1 L'inoubliable rituel de la course d'école · 2018. 7. 30. · des odeurs. de tout ce qu'il...

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SOCIÉTÉ 1 SORTIES SCOLAIRES 12 1 L'inoubliable rituel de la course d'école Chacun conserve des souvenirs contrastés de la sortie de fin d'année. Mais comment est-elle vécue du côté des enseignants? Quelques personnalités se souviennent, entre bonheur et désastre. «Les mesures de sécurité ont pris une grande impor- tance» Georges Tête R oUh ,'ne, corvée, belle aventure? Si chacun garde quelques souve- nirs plus ou moins joyeux, plus ou moins cuisants, des courses d'école, comment cet incontournable rituel est- il vécu par les enseignants? «ça dépend des volées qu'on a», raconte Georges Tête, instituteur à Martigny -Croix(VS). , Ses meilleures sont l'utili- sation de la course de fin d'année pour des projets sortant de l'ordinaire: «Par exemple monter une pièce de théâtre et jouer à l'extérieur, dans d'autres classes.» Aujourd'hui, il se contente d'organiser des excursions plus simples: «Avec l'âge, on devient peut-être plus prudent, et il faut être attentif aux me- sures de sécurité désormais plus impor- tantes» (lire aussi encadré), Pour Céline Liechti, institutrice à Vicques OU), la course d'école «c'est le point final de l'année, une journée hors du contexte scolaire, un moment de partage avec nos élèves». Cette fois-ci, comme il y a deux ans, elle a choisi La hantise de l'accident Augusta Raurica, à Augst (BL), avec en prime un tour en bateau sur le Rhin «en passant par les écluses». «Ce sont tou- jours de chouettes journées.» Même s'il faut chaque fois compter avec un im -' pondérable de taille: «J'ai toujours eu beaucoup de chance avec le temps. Cette année, il faut espérer que le soleil soit de la partie, car nous avons une date fixe, la dernière disponible avec un guide sur Augusta Raurica. Nous partirons donc par tous les temps Si le temps ne s'y met pas, il faut savoir improviser Collègue de Georges Tête à Martigny-' , , Croix, Emmanuelle Sauraz confirme que «la météo, c'est la chose la "plus embê- tante pour les courses d'école». Et de se souvenir qu'une année «il pleu- vait à ficelle», la décision avait être prise d'annuler la promenade prévue: «D'abord, on est restés dans l'école et quand il a plu un peu moins, on a fait un tour du côté du terrain de foot, ensuite Georges Tête reconnaît que les sorties en plein air sont devenues un peu compliquées à organiser : «Avant, on ne se posait pas trop de questions, on partait seul, à la bonne franquetteUne époque bien révolue: «S'il y a un blessé, il faut prévoir une personne qui restera avec. Il peut y avoir des problèmes d'assurance, ça peut se retourner contre nous, avec procès à la clef. Tout cela génère un certain stress. Ce n'est pas les parents qui ont changé , mais toute la société.» qu'ils sont tous là,» «On est évidemment soulagées quand tout s'est bien paSSé», acquiesce Brigitte Tisserand , qui évoque «les consignes d' en haut, surtout pour Céline Liechti met aussi en avant cette notion de stress: «Pendant la journée, nous craignons toujours qu'il arrive quelque chose . Blessure , maladie, perte d'un élève .. . En avoir vingt sous sa responsabilité hors de la classe, ce n'est pas rien. pense que durant la journée, avec ma collègue, nous comptons à peu près une quinzaine de fois les élèves pour être sûres tout ce qui concerne l' eau» . Avec suivant les cantons l' obligation d'avoir plUSieurs brevets - sauveteur , maître nageur, etc. - pour s'autoriser une baignade: «Maintenant, avec toutes ces contraintes, autant dire qu'on renonce. Et si on y va' quand même, c'est la boule au ventre1 24,10 JUIN 2014 1 MIGROS MAGAZINE 1 1 MIGROS MAGAZINE 1 24, 10 JUIN 2014 1 -- -- SOCIETE S ORTIES SCOLAIRES 1 13 SOUVENIRS DE COURSE D'ÉCOLE Daniel Rossellat, syndic de Nyon, directeur du Paléo Festival «Une belle gamelle en faisant le guignol» «En 1964, nous sommes allés en course d' école à l'Exposition nationale de Lausanne et je me souviens fort bien de l'intrigante Machine à Tinguely, du monorail, de la salle avec un plafond de bouteilles et de la symphonie des _ machines à écrire . J'avais aussi vu le fameux Mésoscaphe (ndlr: un sous-marin réalisé pour l'occasion par Jacques Piccard selon les plans de son père Auguste). J'étais vraiment très excité de découvrir la magie de cette Expo nationale. Mais mon souvenir le plus marquant a été une belle gamelle en faisant le guignol. Je voulais sauter par-dessus une chaîne qui séparait deux espaces d'exposition et j'ai manqué mon coup. Résultat: une grosse bosse sur le front. J'avais l' air ridicule, mais aussi un furieux mal de tête qui m'a poursuivi durant tout le reste de la journée. Pas malin ... »

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L'inoubliable rituel de la course d'école Chacun conserve des souvenirs contrastés de la sortie de fin d'année. Mais comment est-elle vécue du côté des enseignants? Quelques personnalités se souviennent, entre bonheur et désastre.

«Les mesures de sécurité ont pris une grande impor­tance» Georges Tête

R oUh,'ne, corvée, belle aventure? Si chacun garde quelques souve­nirs plus ou moins joyeux, plus

ou moins cuisants, des courses d'école, comment cet incontournable rituel est­il vécu par les enseignants? «ça dépend des volées qu'on a», raconte Georges Tête, instituteur à Martigny -Croix(VS).

, Ses meilleures expéri~nces sont l'utili­sation de la course de fin d'année pour des projets sortant de l 'ordinaire: «Par exemple monter une pièce de théâtre et jouer à l 'extérieur, dans d'autres classes.» Aujourd'hui, il se contente d'organiser des excursions plus simples: «Avec l'âge, on devient peut-être plus prudent, et il faut être attentif aux me­sures de sécurité désormais plus impor­tantes» (lire aussi encadré),

Pour Céline Liechti, institutrice à Vicques OU), la course d'école «c'est le point final de l'année, une journée hors du contexte scolaire, un moment de partage avec nos élèves». Cette fois-ci , comme il y a deux ans, elle a choisi

La hantise de l'accident

Augusta Raurica, à Augst (BL), avec en prime un tour en bateau sur le Rhin «en passant par les écluses». «Ce sont tou­jours de chouettes journées.» Même s'il faut chaque fois compter avec un im - ' pondérable de taille: «J'ai toujours eu beaucoup de chance avec le temps. Cette année, il faut espérer que le soleil soit de la partie, car nous avons une date fixe, la dernière disponible avec un guide sur Augusta Raurica. Nous partirons donc par tous les temps.»

Si le temps ne s'y met pas, il faut savoir improviser Collègue de Georges Tête à Martigny-' ,

, Croix, Emmanuelle Sauraz confirme que «la météo, c'est la chose la"plus embê­tante pour les courses d'école». Et de se souvenir qu'une année où «il pleu­vait à ficelle» , la décision avait dû être prise d 'annuler la promenade prévue: «D'abord, on est restés dans l'école et quand il a plu un peu moins, on a fait un tour du côté du terrain de foot , ensuite

Georges Tête reconnaît que les sorties en plein air sont devenues un peu compliquées à organiser: «Avant, on ne se posait pas trop de questions, on partait seul, à la bonne franquette,» Une époque bien révolue: «S'il y a un blessé, il faut prévoir une personne qui restera avec. Il peut y avoir des problèmes d'assurance, ça peut se retourner contre nous, avec procès à la clef. Tout cela génère un certain stress. Ce n'est pas les

parents qui ont changé, mais toute la société.»

qu'ils sont tous là,» «On est évidemment soulagées quand tout s'est bien paSSé», acquiesce Brigitte Tisserand, qui évoque «les consignes d'en haut, surtout pour

Céline Liechti met aussi en avant cette notion de stress: «Pendant la journée, nous craignons toujours qu'il arrive quelque chose. Blessure, maladie, perte d'un élève ... En avoir vingt sous sa responsabilité hors de la classe, ce n'est pas rien. Jé pense que durant la journée, avec ma collègue, nous comptons à peu près une quinzaine de fois les élèves pour être sûres

tout ce qui concerne l'eau». Avec suivant les cantons l'obligation d'avoir plUSieurs brevets - sauveteur, maître nageur, etc. - pour s'autoriser une baignade: «Maintenant, avec toutes ces contraintes, autant dire qu'on renonce. Et si on y va'quand même, c'est la boule au ventre.»

1 N° 24,10 JUIN 2014 1 MIGROS MAGAZINE 1 1 MIGROS MAGAZINE 1 N° 24, 10 JUIN 2014 1

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SOUVENIRS DE COURSE D'ÉCOLE

Daniel Rossellat, syndic de Nyon, directeur du Paléo Festival

«Une belle gamelle en faisant le guignol» «En 1964, nous sommes allés en course d'école à l'Exposition nationale de Lausanne et je me souviens fort bien de l'intrigante Machine à Tinguely, du monorail, de la salle avec un plafond de bouteilles et de la symphonie des_ machines à écrire. J'avais aussi vu le fameux Mésoscaphe (ndlr: un sous-marin réalisé pour l'occasion par Jacques Piccard selon les plans de son père Auguste). J'étais vraiment très excité de découvrir la magie de cette Expo nationale. Mais mon souvenir le plus marquant a été une belle gamelle en faisant le guignol. Je voulais sauter par-dessus une chaîne qui séparait deux espaces d'exposition et j'ai manqué mon coup. Résultat: une grosse bosse sur le front. J'avais l'air ridicule, mais aussi un furieux mal de tête qui m'a poursuivi durant tout le reste de la journée. Pas malin ... »

Page 2: 1 L'inoubliable rituel de la course d'école · 2018. 7. 30. · des odeurs. de tout ce qu'il fallait préparer pour y aller et aussi de quelques lieux qui m'avaient marquée. comme

SOCIÉTÉ 1 SORTIES SCOLAIRES 1 N" 24, 10 JUIN 2014 1 MIGROS MAGAZINE 1

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«Les courses nous font découvrir les enfants SOUS un autre angle» Brigitte Tisserand

on a mangé dans l'école, fait plu­sieurs récréations, puis un parcours Vita.» A la fin de la journée, il s'est tout de même trouvé un petit de pre­mière primaire pour confier à sa mm -tresse que «c'était la plus belle course d'école qu'il avait jamais connue». Comme quoi, l'importance de l'iti-

. néraire est toute relative (lire enca­dré). «L'essentiel, c'est de passer une journée avec les enfants, qu'ils pro­fitent d'un pique-nique et s'amusent bien entre eux.»

Brigitte Tisserand, qui enseigne aux Bayards, dans le canton de Neu­châtel, partage le même enthou­siasme: «J'ai toujours aimé les courses d'école, ça permet de découvrir les enfants sous un autre angle.» C'est bien simple,'des courses d'école, ~lle ne garde que de bons souvenirs. A une exception près: «Une personne s'était jetée sous le train. Ça a été compliqué ~ gérer, à ne pas raconter aux enfants ce qui s'était passé.»

Bien qu'appréciée, la course d'école n'a plus l'effet d'antan Emmanuelle Sauraz parle de son côté d'un« bon moment de rencontre avec les enfants, où l'on n'est pas forcé d'être comme à l'école, une façon de mon­trer qu'on est content, qu'on a passé une bonne année scolaire.»

Georges Tête, cependant, constate que, sur un point au moins, la course d'école a perdu un peu de sa raison d'être: «Les élèves connaissent dé­jà tellement de choses, ont visité tel­lement d'endroits en compagnie de leurs parents. On n'est plus à l'époque où, quand on prenait le bateau en course d'école, c'était la première fois qu'on allait sur le lac.»

Texte: Laurent Nicolet fllustration: Andrea Caprez

LEURS SOUVENIRS DE COURSE D'ÉCOLE

Claudine Elsseva, secrétaire générale des femmes libérales-radicales

«J'aimais me retrouver entourée de nature» «Je ne garde que des bons souvenirs des courses d'école. On avait un instituteur as­sez innovant au niveau du choix des ex­cursions. On prenait un bus, une fois nous sommes même allés jusqu'au Tessin, ce qui représentait pour nous un sacré voyage. J'aimais surtout beaucoup le fait de pas-ser une journée dehors, pour une fois dans la nature, au lieu de rester enfermée entre quatre murs. Je me souviens particulière­ment d'une journée merveilleuse entière­ment passée àjouer en forêt. Plus tard, ça a été les voyages d'études avec l'Ecole de com­merce des filles. Vingt et une filles à Londres, pour nous, c'était génial, mais pour les profs, j'imagine que cela a dû représenter un véri­table challenge ... »

Le choix délicat de l'excursion

Stéphanie Pahud,lIngulste, chroniqueuse

« L'occasion de côtoyer différemment sa classe» «J'ai surtout gardé des souvenirs de l'ambiance, des odeurs. de tout ce qu'il fallait préparer pour y aller et aussi de quelques lieux qui m'avaient marquée. comme le Musée des grenouilles à Estavayer. Après, je voulais systématiquement y retourner avec mes parents. Je me rappelle aussi de la Tour Saint­Martin, du Weisshorn. C'était plutôt exaltant de préparer le pique-nique et des choses qué je mangeais pas habituellement. Cette journée était vécue comme une expédition, une aventure. C'était aussi pour moi l'occasion de voir des camarades que je ne fréquentais pas tellement pendant la classe. Je n'étais pas très sociable à l'époque, et comme première de classe, vous êtes un peu mise de côté. La course d'école, c'était un moment où on pouvait un peu plus être ensemble. Entre le bon et le mauvais souvenir, il y a cette course d'école ou mes parents, sans doute angoissés de savoir comment ça se passait, ont débarqUé en apportant des jus de fruits pour tout le monde. Une sacrée surprise pour moi.»

La classique balade dans la nature, Georges lëte la réserv~ plutôt pour la sortie d'automne. Quant à la course d'école proprement dite, illa conçoit davantage comme «une sortie récréative». Cette année, il a opté pour la piscine de Renens, «où il y a des toboggans, où les enfants peuvent bouger, et où je n'ai pas de problème de sécurité: les gardiens sont efficaces et vigilants, et je demande à un

parent de m'accompagner». Cette sortie-là cumule donc l'avantage d'être attrayante, rassurante, et de ne pas coûter trop cher: «Nous voyageons en train et l'entrée de la piscine est bon marché, Ce qui donne une journée à vingt francs.»

les fonds par différents moyens. Sans objectif précis, on choisira une balade qui ne coûte pas

le budget: «L'année passée, nous avions gagné un peu d'argent avec mes élèves. Nous avions donc pu faire une course d'école plus conséquente avec visite

Car oui, même pour les courses d'école, le nerf de la guerre reste l'argent: «Si on a un objectif de sortie, on le prépare durant l'année et on essaie de réunir

trop cher.» Le financement des courses d'école varie suivant les cantons et même de commune à commune: ici, il existera un budget octroyé par classe, là le coût de la course sera divisé entre l'école et les parents, ailleurs encore, tout sera à la charge des parents. Céline Liechti confirme que la prinCipale contrainte reste

du Laténium à Neuchâtel puis traversée du lac en bateau et visite du Village lacustre à Gletterens, avec en prime la r~alisation d'tme galette.» L'itinéraire est aussi souvent choisi en fonction de la «motivation des élèves», raconte Georges lëte.

SOCIÉTÉ 1 SORTIES SCOLAIRES

Masslmo Furlan, metteur en scène, performer, plasticien

«C'était comme faire le t ur du monde en un joun> «Je garde ~eux souvenirs des courses d'école. L'un,,fétais enfant. on était partis avec la maîtresse en train. Pour une journée qui allait s'avérer cauchemardesque. D'abord, le jus d'orange renversé dans le sac sur les petits sandwichs, déjà à la base moins beaux que ceux des copains. Ensuite ça a été l'orage, on devait marcher sous la plUie pour attraper un bateau, il a fallu courir, la maîtresse disait qu'on allait le louper. Ensuite, sur ce bateau

. chahuté par la pluie et le vent. ça a été le mal de mer et les vomissements interminables. Au retour, quand mon père est venu me chercher à la gare, c'était comme si je venais de réch.apper de l'enfer. Je ne sais plus où c'était, mais j'avais l'impression d'avoir fait le tour du monde en une journée. L'autre souvenir date plutôt de l'adolescence. On avait fait une marche puiS dormi dans un refuge. C'était déjà plus intéressant. il y avait les filles qu'on aimait bien, avec tout ce côté de liberté et de découverte d'un monde secret et du fruit interdit, l'aventure, bref le paradis.»

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L'instituteur discutera avec eux pour «trouver une sortie qui convienne à tout le monde».

en lien avec ce qui a été êtudié à l'école. «Si on a travaillé sur

Lui, en tout cas, a renoncé aux excursions culturelles traditionnelles, genre Musée olympique: «En fin d'année,les élèves ont surtout besoin d'être à l'air. La visite d'un musée, s'il n'y a pas eu une préparation spécifique, les ennuiera vite. Brigitte Tisserand s'efforce d'ailleurs de choisir un lieu qui soit

le Moyen Age, on ira visiter un château.» Son autre critère est d'opter pour une région qui n'ait pas les mêmes caractéristiques que celle où habitent les élèves. «Avec les enfants des Bayards par exemple,je vais souvent au bord du lac.» Quant à Emmanuelle Sauraz, elle prend surtout soin «de ne pas toujours se rendre aux mêmes endrOits».