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COLLECTION DE VIES DE SAINTS ____________ UN SAINT pour chaque jour du mois JUILLET 1

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COLLECTION DE VIES DE SAINTS____________

UN SAINT

pour chaque jour du mois

JUILLET

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SAINT DOMITIENFondateur de l'abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey (t 440)

Fête le 1er juillet.

Dès le temps des persécutions, et surtout après la conversion de Constantin, beaucoup de chrétiens se retirèrent en des lieux déserts, afin d'y servir Dieu plus librement. Telle fut l’origine de la vie monastique, qui jaillit de l'essence même du christianisme. Les premiers solitaires vivaient séparés, mais bientôt, ils commencèrent à se réunir sous la conduite d'un seul supérieur ou abbé.

Premières années. – Etudes.

Saint Domitien fut en Occident l'un des ouvriers de la première heure. C'est un titre que lui re-connaît le martyrologe romain, lorsqu'il annonce sa fête à la date du 1er juillet. De cet éloge concis, quoique déjà bien long, si on le compare à la brièveté ordinaire du Martyrologe, nous possédons un commentaire précieux dans le texte du Bréviaire de l'ancienne abbaye de Saint Rambert-en-Bu-gey, manuscrit publié au XVII siècle, par l'érudit et savant Samuel Guichenon, historiographe de la Savoie et de la France, et de nouveau, en 1900, par l'abbé Seignerin. Domitien naquit à Rome, au début du Ve siècle, sous le règne de l'empereur Constance III (361).

Ses parents, nobles et chrétiens, surent conserver leur foi intacte, nous dit le chroniqueur, au milieu des scandales de l'arianisme. Dès que leur fils fut en âge d'étudier, ils le confièrent à des maîtres catholiques qui, secondés par les dispositions naturelles de l'enfant, lui communiquèrent un grand amour de la Sainte Ecriture. Lorsqu'il atteignit sa douzième année, il obtint de ses parents qu'ils vendissent une partie de leur patrimoine familial, pour lui permettre d'entreprendre des études plus élevées, en vue de se rendre un jour utile à la défense de la foi. Trois années s'étaient à peine écoulées que son père, nommé Philippe, fut mis à mort par les ariens et, quelque temps après, sa mère, Marcianille, fermait à son tour les yeux à la lumière de ce monde.

La vraie liberté.

Resté seul, le pieux adolescent fut d'abord en proie à la plus vive douleur, et il eût souhaité suivre au tombeau ses bien-aimés parents. Pendant deux mois il se demanda quel usage il allait faire de ses biens. Resterait-il dans le monde ou embrasserait-il la vie monastique ? Tandis qu'il était ainsi dans l'incertitude et ne savait à quel parti se résoudre, il s'adressa un jour à un de ses ser -viteurs : « Écoute, Sisinius, lui dit-il. Penses-tu qu'un homme libre et pouvant conserver sa liberté

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doive se soumettre à une infinité de servitudes pour jouir des biens périssables ? » Sisinius répon-dit : « J'estime que toutes les fois qu'on le peut, il vaut mieux être libre qu'esclave. »

« Tu as bien répondu, reprit Domitien. C'est ce que nous enseigne l'Apôtre, ainsi qu'on me l'a appris à l'école : Si tu peux être libre, préfère la liberté à l'esclavage. J'ai résolu de me conformer à cette règle, et c'est pourquoi je donne la liberté à tous mes serviteurs. Quant à mes biens je vais les vendre et les distribuer aux pauvres. » Il mit aussitôt son projet à exécution. Au bout de deux se-maines, ayant vendu et distribué tous ses biens, il se retira du monde pour embrasser la vie monas-tique. Nous ignorons quel fut le lieu de sa retraite, mais ce que nous savons, c'est qu'il n'y jouit pas longtemps du calme et de la paix. Obligé de fuir, il partit pour la Gaule, visita le célèbre monastère de Lérins et vint se réfugier auprès de saint Hilaire d'Arles, dont la vertu brillait alors du plus vif éclat.

Le premier monastère de saint Domitien.

Saint Hilaire, touché de la piété de son hôte, voulut lui conférer la dignité sacerdotale. Domi-tien reconnut la volonté de Dieu dans ce désir et il consentit à recevoir les saints ordres ; mais, re-fusant toute charge et tout honneur dans l'Eglise, il ne pensait qu'à regagner la solitude. L'île de Lé-rins exerçait sur son âme une douce attraction. Il se disposait à y retourner lorsqu'il entendit parler de la vie merveilleuse de saint Eucher, évêque de Lyon. Changeant aussitôt de direction, il remon-ta la vallée du Rhône jusqu'à la capitale des Gaules. Eucher le reçut avec une bonté paternelle, écouta l'histoire de sa vie et de ses pérégrinations et approuva son projet de vie solitaire.

Il lui donna une pierre d'autel avec des reliques des saints Chrysante et Darius pour la célébra-tion du saint sacrifice. Domitien se retira dans un lieu isolé, où il construisit un petit oratoire en l'honneur de saint Christophe. C'est là que devait s'élever plus tard le village de Bourg-Saint-Chris-tophe. Pendant que le serviteur de Dieu vivait en ce lieu, tout entier à l'oraison, aux veilles, aux jeûnes, à la célébration quotidienne des saints mystères, il vit bientôt accourir à lui de nombreux disciples, qui désiraient partager son genre de vie. Les gens du monde eux mêmes apprirent le che-min de sa retraite, et leur affluence devint telle que le religieux résolut de fuir dans un endroit plus retiré et d'y établir son monastère. Selon son habitude, il consulta saint Eucher, le guide de son Ame : « Père vénérable, lui dit-il, le lieu que j'habite est maintenant si connu et si plein de tumulte mondain, qu'il n'est plus convenable que des moines l'habitent, d'autant plus qu'il est aride et privé d'eau bonne à boire. »

Saint Eucher lui répondit : « Va, et cherche où tu voudras une solitude comme tu la désires. » Puis il le bénit et le congédia.

A la recherche d'une solitude.

Le lendemain matin, après la célébration de la sainte messe, Domitien se mit en route avec un de ses disciples, du nom de Modeste, et se dirigea vers le Levant. Après une longue marche, ils s'engagèrent dans les gorges d'une montagne et atteignirent un vaste espace entouré d'une forêt profonde et qui avait été jadis un repaire de faux monnayeurs. L'endroit était délicieux, et, en l'exa-minant bien, les deux moines trouvèrent plusieurs sources. Vers le milieu de la nuit, Domitien eut une vision. Notre-Seigneur lui apparut, le considéra avec bienveillance et lui dit : « Domitien, ath-lète plein de prudence, montre-toi courageux, car je serai ton appui dans toutes tes entreprises. Tu recevras en ce lieu des fils nombreux qui viendront se former à tes exemples. Mets donc à exé-cution le projet que tu as imaginé dans la journée d'hier. »

Domitien avait en effet, la veille, conçu tout un plan de monastère. Sur la colline où se trouvait

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la principale source, il s'était proposé de construire un grand corps de bâtiment pour les religieux, et plus bas, près du chemin, une hôtellerie et une chapelle pour les voyageurs. A son réveil, il ren -dit grâces à Dieu, et, retournant sans retard auprès de ses Frères, il leur fit part de son heureuse dé-couverte et des bénédictions que Dieu leur promettait. Confiant aux soins d'un prêtre vénérable la chapelle de Saint-Christophe, leurs cellules et leur jardin, ils se rendirent tous à la nouvelle soli-tude, dans le voisinage de laquelle s'élevaient seulement quelques maisons. Outre le couvent et l'hôtellerie, ils construisirent deux chapelles, l'une en l'honneur de la Très Sainte Vierge, et une nouvelle chapelle en l'honneur de saint Christophe. Saint Eucher lui-même vint de Lyon pour les consacrer. On s'occupa en même temps de défricher une partie du terrain et de l'ensemencer. Un jour d'été, après un travail pénible, Domitien descendit avec quelques Frères pour se baigner jus-qu'à une rivière qu'on appelait alors Alberonna et qui n'est autre que l'Albérine, affluent de l'Ain. Tandis qu'ils étaient dans l'eau, un renard survint et se mit à ronger et à déchirer les chaussures du serviteur de Dieu. Domitien s'en aperçut et fit cette prière : « Seigneur, créateur de tous les êtres, je vous demande comme une faveur, qu'à l'avenir cet animal et tous ceux de son espèce ne puissent plus faire aucun mal, ni à nous ni à nos successeurs. »

Il avait à peine achevé ces mots que le renard tomba mort à sa vue. Dans la suite, le couvent n’eut jamais à souffrir de ceux de son espèce. Le manuscrit ajoute, et nous avons peine à le croire : « Non seulement les renards n'ont jamais fait de mal à leurs poules, mais encore on 1es a vus par-fois jouer avec elles. »

Don des miracles. – Affluence des foules.

Dieu accorda, vers cette époque, à son serviteur, le pouvoir de chasser les démons des corps des possédés ; aussi les foules connurent bientôt le chemin du nouveau monastère. Domitien, pour échapper aux marques de vénération dont on l'entourait, fuyait en quelque retraite éloignée et ne revenait qu'au bout de la semaine, pour revoir ses Frères et prendre un peu de nourriture, car dans l'intervalle, il s'abstenait de tout aliment. Ses disciples, désolés de ces longues absences, lui repré-sentèrent qu'ils avaient un besoin incessant de ses conseils et ils obtinrent la promesse qu'il ne s'éloignerait plus et consentirait à prendre tous les jours quelque nourriture. Devant l'affluence irré-sistible des visiteurs, Domitien imagina, pour les détourner de sa personne, de construire une grande église qui serait un lieu de pèlerinage, afin qu'il ne fût pas dit qu'on accourait au monastère uniquement pour le voir.

Les Frères applaudirent à cette idée, et, sans retard, ils se mirent à creuser la terre et à poser les premiers fondements de l'édifice. Quelques maçons du voisinage furent invités à prendre part à leurs travaux, et, en peu de temps, on vit s'élever en ce lieu un édifice qui faisait l'admiration de tous.

Le pain miraculeux.

Pendant qu'on travaillait à l'église, il survint une famine qui désola plusieurs provinces de la Gaule et plus spécialement la vallée du Rhône. Le pain vint à manquer aux moines et aux maçons. L'homme de Dieu ne perdit point courage : « Continuez votre ouvrage, leur dit-il, pendant ce temps je parcourrai les pays voisins pour vous trouver de la nourriture. » Il monta sur son âne et al-la jusqu'à Torcieu qui s'appelait alors Torciacus. Il y arriva précisément un jour où les habitants s'étaient réunis pour cuire le pain. Chacun avait déjà reconnu et reçu sa provision, lorsqu'on retira du four un pain plus gros et plus beau que les autres. Ce ne fut qu'un cri d'admiration. Ce pain, que personne ne réclamait, n'était là que par un miracle du ciel. On comprit que Dieu lui-même l'offrait

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à Domitien, voulant se charger de subvenir aux besoins de ses serviteurs. Le religieux reçut donc le pain merveilleux, qu'on lui attribua d'une commune voix, et s'en revint tout joyeux au monas-tère. « Recevez, dit-il aux moines et aux ouvriers, la nourriture que le Seigneur lui-même vous a préparée ! »

Par un nouveau miracle, le pain se multiplia de telle façon qu'il suffit pendant dix jours, à seize moines et à quatre maçons.

Saint Domitien renverse deux temples païens.

II y avait déjà plusieurs jours que Dieu nourrissait ainsi Domitien lorsque celui-ci retourna dans le monde pour quêter quelques provisions. Cette fois, il dépassa Torcieu, contourna la mon-tagne et se rendit jusqu’à Lagnieu qui s’appelait alors Latiniacus, du nom du propriétaire de l’en-droit, un riche seigneur gallo-romain nommé Latinus. Celui-ci était assis à l’ombre, s’entretenant tantôt avec sa femme Syagria, tantôt avec les paysans qui venaient lui acheter du blé, lorsque Do-mitien, toujours avec son âne, se présenta et lui adressa cette requête : « Nobles époux, dit-il, Dieu vous donne longue vie et prospérité. 

Saint Domitien réveille les maçons qui dorment depuis trois jours.

Des serviteurs du Dieu vivant qui habitent non loin d'ici, dans le désert, m'ont envoyé vers vous, ainsi que vers les autres seigneurs de la contrée, vous demander pour eux quelques provi-sions, ils méritent d'autant plus votre charité que le pain est venu à leur manquer pendant qu'ils tra-vaillaient à la construction d'une église. »

Latinus répondit : « Comment veux-tu que je te donne mon blé, tu as plus l'air d'un bandit que d'un serviteur de Dieu. – Noble seigneur, vous m'avez bien jugé répliqua Domitien, car ma vie est

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loin d'être en rapport avec ma profession. »Or, Latinus était un hérétique arien, et comme ses congénères il ne manquait aucune occasion

de discuter sur les questions religieuses. Heureux de trouver à qui parler, il demanda au religieux : « Puisque tu te dis le chef des serviteurs de Dieu qui vivent dans le désert, dis-moi donc quelle foi vous professez ? »

Domitien répondit : «  La foi est variable, et ne peut qu'engendrer les esprits différents et boi-teux ; si elle est invariable et universelle elle conduit les siens en toute sûreté à la béatitude éter-nelle. – Et quelle est cette foi invariable et universelle ? interrogea Latinus. – La foi que j'ai reçue et apprise de mes maîtres, successeurs des apôtres, foi contre laquelle les ariens s'acharnent main-tenant avec fureur. – Quelle est-elle donc ? » insista son interlocuteur.

Domitien, faisant alors une allusion directe à l'hérésie arienne qui niait la divinité de Jésus-Christ, répondit par cette profession de foi : « Croire en Dieu le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur, et dans le Saint-Esprit. Je dis Dieu le Père, parce qu'il a un Fils ; Dieu le Fils, parce qu'il a un Père, à qui il est entièrement égal par la divinité. Le Saint-Esprit procède de l'un et l'autre, cependant consubstantiel et coéternel au Père et au Fils. Nous déclarons que ces trois Personnes ne font qu'un seul Dieu, parce qu'il n'y a qu'une seule divinité, une seule puissance, une seule éternité, une seule majesté indivise. »

Alors Latinus : « La puissance du Père n'est donc pas supérieur à celle du Fils ? – Non, car le Fils et le Père n'ont qu'une seule et même puissance, la puissance divine. – Ce que tu dis est impos-sible, objecta l'arien. Serais-je sage, réponds-moi, si je confiais mes biens et ma dignité à mon en-fant, lorsqu'il est encore incapable d'en user ? Par la même raison, Dieu ne pouvait communiquer sa puissance et sa dignité à son Fils, après qu'il l'eût engendré. – Ta sagesse est toute charnelle, ré-pondit Domitien. Pour te prouver que j'ai dit la vérité, regarde. Au nom du Fils unique de Dieu, co-éternel et en tout égal à son Père, que ces temples des démons s'écroulent à l'instant! »

Il y avait, en effet, près de là, deux temples païens dédiés l'un à Jupiter, l'autre à Saturne, où les paysans superstitieux venaient encore, en cachette, offrir des vœux et des prières. A la parole du Saint, la terre tremble et les deux édifices s'écroulent avec fracas. En même temps, le ciel se couvre de nuages et, au milieu des éclairs et du tonnerre, tombent une pluie et une grêle abon-dantes. L'arien, sa femme et ses domestiques courent se mettre à l'abri dans le palais, sans s'inquié-ter de Domitien. Latinus revenu à lui se mit à réfléchir sur ce qui venait de se passer, et il comprit que Dieu avait voulu manifester que la foi du moine quêteur était la foi véritable. Les paroles de sa femme, catholique depuis longtemps dans le fond de son cœur, vinrent le confirmer dans cette pen-sée.

L'orage n'avait duré que quelques instants et, de nouveau, le soleil brillait radieux dans un ciel sans nuages. On sortit pour se mettre à la recherche de l'homme de Dieu et on le trouva auprès de l'aire, creusant avec son bâton de petits canaux, pour empêcher l'eau d'arriver jusqu'au blé, qui avait été miraculeusement préservé de la pluie et de la grêle. Latinus se jeta à ses pieds, lui deman-da pardon et le pria de lui enseigner la foi véritable. Il le garda trois jours chez lui et le renvoya à son monastère muni d'abondantes provisions. Il voulut en même temps subvenir aux futures néces-sités des religieux, et, pour cela, il leur fit don de vastes domaines, par acte notarié, signé de sa main et contresigné par sa femme et ses enfants. Le monastère de Saint-Rambert était fondé.

Les ouvriers endormis. – Mort de saint Domitien.

De retour au désert, Domitien ne fut pas peu surpris de trouver les maçons endormis à l'heure du travail. Il les réveilla et leur demanda : « Que faites-vous là, mes frères ? Pourquoi abandonnez-vous l'ouvrage commencé ? Les forces vous auraient-elles manqué ? – Oui, lui répondirent-ils.

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Pendant dix jours nous avons mangé à satiété du pain délicieux que vous nous aviez apporté, mais hier, vendredi, nous n'avons pris aucune nourriture, et nous avons résolu de retourner à nos mai-sons. – Et quel jour pensez-vous qu'il soit interrogea Domitien. – Samedi, répondirent-ils. – Il est aujourd'hui lundi, reprit le Saint. Que ce repos de deux jours vous suffise. Mangez ce que je vous apporte et reprenez votre travail. »

Les maçons restaurés se remirent à l'œuvre avec ardeur et, en peu de temps, ils achevèrent la construction de l'église. Saint Eucher de Lyon revint encore pour la consacrer et bénir le nouveau monastère. La renommée du fondateur ne tarda pas à lui attirer de nouveaux disciples. Domitien, déjà avancé en âge, remit la conduite de son œuvre à un saint religieux du nom de Jean, pour se préparer plus librement à la mort. La maladie le frappa soudainement. C'était en 440.

II appela alors ses Frères autour de son lit et leur parla en ces termes :« Vivez dans la paix et la sainteté, car c'est la condition indispensable pour voir un jour le Sei-

gneur. Obéissez en tout au père de vos âmes. Enfin, apprenez que Dieu doit m'appeler à lui au pre-mier jour de juillet. »

A ces mots, tous fondirent en larmes : « Père, pourquoi nous quittez-vous si vite ? » lui deman-daient-ils avec des sanglots. Mais lui : « Je ne vous abandonne pas, leur disait-il, réjouissez-vous, car je vais vous protéger auprès de Dieu. »

Quand le jour prédit fut arrivé, le saint sacrifice fut célébré devant le moribond qui, après avoir communié avec tous les Frères, s'écria en levant les mains vers le ciel : «  Seigneur, je remets mon âme entre vos mains ! » Et il expira en prononçant ces mots. C'était, croit-on, le 1er juillet.

En même temps, la cellule fut remplie d'un parfum suave et pénétrant, dont l'odeur rendit la santé à plusieurs Frères affectés de diverses maladies. Le corps du serviteur de Dieu fut déposé dans l'église du monastère, près de l'autel de saint Genès, martyr. De nombreux miracles s'accom-plirent dans la suite sur son tombeau.

Saint Rambert. – Ses reliques et celles de saint Domitien.

Le monastère fondé par saint Domitien fut d'abord appelé abbaye de Bébron, du nom du tor-rent, puis abbaye de Saint-Domitien. A la fin du VIIe siècle, se produisit un événement considé-rable. En 680, les religieux inhumèrent dans leur monastère le corps de saint Ragnebert ou Ram-bert, allié à la famille royale de France, assassiné sur les bords du Bébron par ordre d'Ebroïn, maire du palais.

Avec le temps le couvent fut appelé abbaye des Saints-Domitien et Rambert, on trouve ce nom encore en 1138, puis saint Rambert éclipsa le souvenir du fondateur du monastère d'où le nom de Saint-Rambert-de-Joux que portèrent l'abbaye et le bourg voisin qu'on appelle encore Saint-Ram-bert-en-Bugey.

Les religieux y restèrent jusqu'à la Révolution ; ils appartenaient à l'Ordre bénédictin de Cluny. Les reliques qui ornaient le sanctuaire furent transférées dans l'Eglise paroissiale le 12 juin 1789.

Cette église garde encore aujourd'hui dans une même châsse, qui date de 1763, des reliques importantes de saint Rambert et quelques parcelles du corps de saint Domitien.

Un fait analogue de substitution de nom du saint patron s'est produit dans le Forez où le prieu-ré de Saint-André des Olmes a pris le nom de Saint-Rambert, à la suite du transfert d'une partie des reliques des deux Saints dans ce prieuré en 1078.

Un inventaire de reliques, fait en 1625 Saint-Rambert-en-Forez, mentionne plusieurs osse-ments importants, et en dernier lieu, « de la poussière des reliques de saint Rambert et du bienheu-

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reux Domitien ». Les autres procès-verbaux sont en général muets sur saint Domitien.Les reliques des deux Saints, ayant échappé à la Révolution, ont été déposées dans une nou-

velle chasse en 1872 ; le reliquaire se trouve aujourd'hui, dans l'église, abrité par une grille de fer forgé.

R.B.L.

Sources consultées. – Guigernon, Histoire de la Bresse et du Bugey. – Abbé Charles Signerin, His-toire religieuse et civile de Saint-Rambert-en-Forez (Saint Etienne, 1900). – (V.S.B.P., n° 1429.)

SAINT OTHONEvêque de Bamberg et apôtre de la Poméranie (1062-1139)

Fête le 2 juillet.

Saint Othon ou Otton naquit à Mistelbach, dans la Moyenne-Franconie, vers l'an 1062, de pa-

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rents nobles, mais peu favorisés des biens de la fortune. Dès son enfance, il fut appliqué à l'étude, et il s'y livrait déjà depuis quelques années avec un grand succès, lorsqu'il perdit tout à coup ses parents.

Directeur d'école, chapelain impérial, puis chancelier.

Pour ne pas être à charge à son frère aîné, il passa en Pologne, pays alors privé de maîtres ins-truits, et ouvrit une école qui fut bientôt très fréquentée. Sa science, sa piété, sa distinction natu-relle lui acquirent rapidement la sympathie et la confiance des seigneurs polonais ; non seulement ils recherchèrent l'amitié du jeune homme, mais encore ils le prirent souvent comme intermédiaire pour trancher certaines questions litigieuses. Sa renommée arriva jusqu'au duc Boleslas II (celui qui, plus tard, devait mettre à mort saint Stanislas, évêque de Cracovie) ; le duc se l'attacha comme chapelain et le choisit, après la mort de sa première femme, pour aller demander la main de Judith, sœur de l'empereur d'Allemagne, Henri IV. L'ambassade réussit au delà de toute espérance, mais le duc y perdit son sage conseiller.

En effet, l'empereur avait été tellement frappé des belles qualités du négociateur de Boleslas, qu'il voulut l'avoir à sa cour. C'est ainsi qu'Othon, après avoir quitté sa patrie, pauvre et, presque inconnu, y rentrait comme un personnage d'importance, Tout d'abord, cependant, l'empereur ne lui confia que de petits emplois, dont le principal était de réciter avec lui des psaumes. La charge de chancelier étant devenue vacante, Henri IV ne crut pas pouvoir mieux choisir qu'en y appelant son chapelain. Celui-ci s'en acquitta pendant plusieurs années avec tant de zèle, que les affaires du pa-lais ne furent jamais aussi prospères qu'au temps de son administration. L'empereur se promit de le récompenser et, négligeant ses propres intérêts, qui pouvaient souffrir de l'absence d'un ministre aussi entendu, il voulut plusieurs fois donner à Othon un évêché ; mais il se heurtait toujours à des refus, qui lui semblaient inexplicables, alors qu'une foule d'intrigants le sollicitaient. Le cœur du chancelier était au-dessus d'une telle bassesse. Il savait d'ailleurs que le pouvoir que s'arrogeait l'empereur de distribuer les bénéfices et les évêchés était une usurpation des droits de l'Eglise, et il aurait craint, en acceptant les propositions de son maître, de souiller son âme du crime de simonie.

Evêque de Bamberg. – Fidélité de saint Othon au Pape.

L'évêché de Bamberg étant devenu vacant en 1102, l'empereur pensa de nouveau à son chan-celier ; Othon, si énergique dans ses refus antérieurs, céda cette fois, pour éviter que l'évêché en question ne passât en des mains trop indignes (décembre 1102). Il alla plus loin encore (et lui-même reconnaîtra sa faute) ; il consentit à recevoir la crosse et l'anneau de la main de l'empereur, se contentant de réserver dans son cœur tous les droits de l'Eglise, et faisant le vœu de n'accepter la consécration épiscopale qu'après que le Souverain Pontife aurait ratifié son élection.

L'empereur fit conduire l'élu à Bamberg par les évêques de Wurzbourg et d'Augsbourg, et ac-compagné d'un imposant cortège. On était aux premiers jours de février et le froid était rigoureux. Dès qu'Othon aperçut de loin le clocher de la cathédrale, il quitta ses chaussures et il fit pieds nus le reste du chemin, malgré la glace et la neige, au milieu du clergé et du peuple accourus en foule pour le recevoir.

Son premier soin fut d'écrire au Pape, Pascal II, pour l'informer de ce qui s'était passé, et lui demander une ligne de conduite, se déclarant prêt à partir pour Rome, si telle était la volonté du Pontife. Il s'exprimait ainsi, au sujet de son élection :

J'ai passé quelques années au service de l'empereur mon maître, et j'ai gagné ses bonnes grâces ; mais,

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me défiant de l'investiture donnée de sa main, deux fois, j'ai refusé de lui la dignité épiscopale. Il m'a re -nouvelé une troisième fois ses instances et il m'a nommé à l'évêché de Bamberg ; mais je ne le garderai point, si Votre Sainteté n'a pour agréable de m'investir et de me consacrer elle-même. Faites donc savoir votre bon plaisir à votre serviteur, afin que je ne coure pas en vain en courant à vous.

Cette lettre combla de joie le Pape, si peu habitué à une telle déférence de la part des évêques allemands. Il répondit aussitôt en ces termes :

Pascal, serviteur des serviteurs de Dieu, à Othon, son bien-aimé frère, évêque élu de l'Eglise de Bam-berg, salut et bénédiction apostolique. Un fils sage réjouit sa mère. Vos œuvres et vos desseins manifestent un homme plein de prudence ; Nous avons cru convenable d'honorer et d'aider votre avancement. N'ayez aucun doute sur Notre bienveillance et faites-Nous jouir de votre présence au plus tôt.

Othon partit pour l'Italie, accompagné d'une députation des fidèles de Bamberg. Reçu par le Pape à Anagni, l'évêque fit le récit de son élection, remit au Vicaire de Jésus-Christ la crosse et l'anneau qu'il tenait des mains impériales et demanda humblement pardon pour tout ce que sa conduite pouvait avoir de répréhensible. En même temps, il se déclarait indigne de l'épiscopat et insistait pour qu'on écartât de ses épaules un tel fardeau. Le Pape, admirant son humilité se contenta de lui dire : « La fête du Saint-Esprit approche, il faut lui recommander cette affaire. » Othon, de retour à son logis, se prit à considérer les difficultés du temps, les périls auxquels étaient exposés les évêques, l'indocilité des grands et des peuples eux-mêmes. Il craignait encore que la si-monie n'entachât quelque peu son élection ; aussi, après mûre délibération, résolut-il de renoncer à toute dignité, pour vivre dans la retraite le reste de ses jours. Cette décision prise, il n'eut rien de plus pressé que de retourner en Allemagne ; mais il était à peine à une journée de marche, que le Pape lui envoya l'ordre de revenir, en vertu de la sainte obéissance. Seule une injonction aussi for-melle pouvait le déterminer à retourner vers le Pontife, qui le sacra le jour de la Pentecôte, 17 mai 1103. Pascal II ne lui fit point prêter serment, quoiqu'il n'en dispensât aucun de ceux qu'il consa-crait. De plus, il augmenta en sa faveur le privilège de la croix et du pallium, dont les évêques de Bamberg jouissaient alors quatre fois par an ; à partir de saint Othon, ce nombre fut doublé.

Saint Othon propage la vie religieuse. – Le vœu d'obéissance.

De retour dans son diocèse, le nouvel évêque comprit que, pour avoir une action durable sur le peuple qui lui était confié, il devait se donner des auxiliaires capables de le seconder efficacement. Aussi son premier soin fut-il de favoriser de tout son pouvoir les Ordres religieux. En quelques années seulement, il fonda et mit à même de se suffire, par des dons généreux, une vingtaine de monastères, tant dans son propre diocèse que dans plusieurs autres de l'Allemagne. Comme cer-tains se plaignaient de la multitude de ces fondations, il répondit « qu'on ne peut bâtir trop d'hôtel-leries pour ceux qui se regardent, comme étrangers en ce monde ».

Tandis qu'il multipliait ses générosités, il était pour lui-même d'une parcimonie qui faisait l'étonnement des gens de sa maison. Nos biens, leur disait-il, sont les biens des pauvres... »

Simple dans ses habits, qui étaient raccommodés comme ceux d'un pauvre, il avait dans sa nourriture la sobriété d'un anachorète ; on le voyait souvent se lever de table, ayant à peine touché aux mets, qui lui étaient servis, afin qu'on put en faire profiter les indigents. Un jour de jeûne, son intendant lui avait apporté un poisson d'un prix assez élevé.

- Combien, coûte ce poisson ? demanda l'évêque. - Deux pièces d'argent, répondit le serviteur.- Il ne sera pas dit, s'écria le prélat, que le misérable Othon a mangé aujourd'hui une telle

somme à lui tout seul. Et, prenant le plat, il ajouta :- Fais présent de cette nourriture à Jésus-Christ. Offre-la-lui dans la personne de quelque

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pauvre malade ou paralytique. Pour moi, je suis robuste, un peu de pain me suffira.Othon relevait d'une longue maladie, lorsqu'il fit appeler le saint abbé Wolfram, à qui il était

uni par les liens de la plus vive amitié, et le supplia avec instances de vouloir bien l'admettre au nombre de ses religieux, ajoutant que, depuis longtemps, il était décida à déposer les insignes épis-copaux pour vivre loin du monde, dans la pauvreté, l'obéissance et la mortification. L'abbé, homme sage et prudent, loua ce généreux projet, et, acquiesçant à la demande d'Othon, reçut aussitôt son vœu d'obéissance. Quelque temps après, le malade, complètement rétabli, alla trouver son supé-rieur pour demander d'être reçu dans le monastère et d'en revêtir l'habit.

Mais l'abbé Wolfram ne voulait point priver l'Eglise d'un apôtre aussi zélé que le saint évêque de Bamberg ; il se souvint peut-être du geste de l'abbé de Saint-Vanne, en Lorraine, sollicité, lui aussi, par l’empereur Henri II, de l'admettre en son monastère.

- Etes-vous, demanda-t-il à l'évêque, disposé à tenir fidèlement le vœu d'obéissance par lequel vous vous êtes lié envers moi ?

- Au nom du Fils de Dieu, « qui s'est fait pour nous obéissant jusqu'à la mort », je suis prêt à le tenir, répondit Othon.

- S'il en est ainsi, reprit l'abbé, je vous ordonne, Père très saint, de continuer les bonnes œuvres et les saints travaux que vous avez entrepris pour la gloire de Dieu.

Othon se soumit humblement ; et, à partir de ce jour, l'évêché, de Bamberg, qu'il regardait comme son monastère, devint plus que jamais l'hôtellerie des pauvres.

L'apôtre de la Poméranie.

Boleslas, duc de Pologne, venait de conquérir la Poméranie, et, pour tenir dans l'obéissance ses nouveaux sujets barbares et indisciplinés, il résolut de se les attacher par les liens d'une foi com-mune. Il eut l'idée de confier l'œuvre d'évangélisation de ce pays au zèle bien connu de l'évêque de Bamberg. Celui-ci accueillit la proposition avec une joie indicible, et, dès qu'il eut obtenu la béné-diction du Pape pour cette entreprise, il hâta ses préparatifs de voyage. Il n'ignorait pas que la Po-méranie était une contrée opulente et que les pauvres y étaient un objet d'aversion et de mépris ; quelques zélés missionnaires s'étant jadis présentés dans le simple appareil de la pauvreté évangé-lique, avaient été traités comme des misérables, qui ne cherchaient qu'à soulager leur indigence. Saint Othon, au courant des faits, crut donc utile de se présenter en ce pays, environné de tout l'éclat de sa richesse, afin de montrer aux barbares qu'il n'en voulait point à leurs biens, mais à leurs âmes. Il choisit un certain nombre d'ecclésiastiques capables, destinés à l'accompagner, se munit de missels, de psautiers, de calices, d'ornements sacrés, et de tout ce qui était nécessaire au service le l'autel. Il eut soin d'emporter aussi des étoffes précieuses et d'autres présents de grand prix, pour les principaux de la nation.

Le zélé missionnaire se mit en route le 24 avril 1124, traversa la Bohême et se rendit d'abord à Gniezno, alors la capitale de la Pologne. Le duc Boleslas le retint pendant sept jours et lui donna des interprètes, parmi lesquels se distinguait un certain Paulicius, capable de l'aider même dans la prédication.

Après avoir traversé à grand'peine, pendant six jours, une forêt immense, la troupe apostolique s'arrêta sur les bords d'une rivière, la Netze. Le duc de Poméranie, averti de sa venue, s'était campé sur l'autre rive avec cinq cents hommes armés ; il passa la rivière avec une petite escorte et vint saluer l'évêque. Othon et le chef des barbares se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, car le prince était déjà chrétien, mais encore en secret, par crainte des infidèles. Pendant qu'ils s'entretenaient tous deux à part, Paulicius leur servant d'interprète, les barbares qui accompagnaient le duc, voyant les clercs peu rassurés, prenaient plaisir à augmenter leur terreur, en tirant leurs couteaux et en leur faisant entendre par gestes qu'ils voulaient les massacrer, de sorte que les compagnons d'Othon se préparaient déjà au martyre.

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Mais le duc les rassura bientôt, et leur expliqua qu'il n'était entouré que de chrétiens, et que leurs menaces étaient une vaine plaisanterie. Othon, entre autres présents qu'il fit au duc, lui offrit une canne d'ivoire, sur laquelle le prince s'appuya aussitôt avec reconnaissance, disant à ses soldats : « Voyez quel Père, Dieu nous a donné, et quels présents ce Père nous fait. Jamais présent ne m'a fait plus grand plaisir. »

Missions de Piritz et de Camin.

La pieuse caravane se dirigea d'abord vers Piritz, où elle arriva sur le soir ; mais personne ne désirait entrer de nuit dans la ville, encore tout excitée à cause d'une fête païenne qu'on venait de célébrer ce jour-là par des festins et des réjouissances bruyantes. Le lendemain matin, Paulicius et les députés du chef poméranien allèrent trouver les principaux de la ville pour leur annoncer la ve-nu de l'évêque de Bamberg et leur ordonner de recevoir ce prélat. Embarrassés, les païens deman-dèrent quelque temps pour délibérer ; mais les envolés, comprenant que c'était là un artifice, répli -quèrent qu'il fallait se déterminer promptement, que l'évêque était à leurs portes, et que, s'ils le fai-saient attendre, les ducs de Poméranie et de Pologne se tiendraient pour offensés de ce mépris. Les notables de Piritz se montrèrent surpris en apprenant que l'évêque fut si proche. Ils décidèrent aus-sitôt de le recevoir, déclarant qu'ils ne pouvaient résister au vrai Dieu, qui déjouait tous leurs cal-culs ; ils voyaient bien, disaient-ils encore, que leurs idoles n'étaient pas des dieux. Leur résolution fut transmise au peuple, et tous demandèrent à haute voix qu'on fit venir l'évêque. Othon se présen-ta donc et campa sur une grande place qui était à l'entrée de la ville. Les barbares accoururent en foule au-devant de lui, regardant leurs nouveaux hôtes avec une grande curiosité et les aidant de leur mieux à s'installer.

Cependant, l'évêque, revêtu de ses habits pontificaux, monta sur un tertre et parla par inter-prète à ce peuple avide de l'entendre :

- Bénis soyez-vous de la part de Dieu, pour la bonne réception que vous nous avez faite ! Vous savez peut-être déjà la Cause qui nous a fait venir de si loin : c'est votre salut et votre félicité ; car vous serez éternellement heureux si vous voulez reconnaître votre Créateur et le servir.

Comme il exhortait ainsi ce peuple avec simplicité, tous déclarèrent d'une commune voix qu'ils désiraient être instruits de la foi chrétienne. Il employa sept jours à les catéchiser soigneuse-ment, avec ses prêtres et ses clercs ; puis, il leur ordonna de jeûner trois jours, de se baigner et de se revêtir d'habits blancs, pour se préparer au baptême.

L'évêque-missionnaire demeura à Piritz environ trois semaines pour achever l'instruction des néophytes ; puis il se rendit à Camin, où il fit des baptêmes si nombreux que, malgré l'aide de ses prêtres, il avait son aube, trempée de sueur jusqu'à la ceinture.

Deux villes rivales : Vollin et Stettin.

Mais l'accueil ne fut pas le même à Vollin, ville de commerce située à l'embouchure de l'Oder. Les habitants étaient non seulement barbares, mais cruels, et, quoique l'évêque fût logé à la maison ducale, la foule vint l'y attaquer avec furie. Son admirable patience devant les mauvais traitements toucha tellement les assaillants, que finalement ils se déclarèrent prêts à adhérer à la foi chrétienne, si les habitants de Stettin leur en donnaient l'exemple.

Othon se dirigea donc vers Stettin, et Paulicius, accompagné des députés du duc, alla trouver les principaux habitants de la ville, leur proposant de recevoir Othon. Ils répondirent :

- Nous ne quitterons point nos lois, nous sommes contents de notre religion. On dit qu'il y a chez les chrétiens des voleurs à qui on coupe les pieds et à qui on arrache les yeux ; on y voit toutes sortes de crimes et de supplices, un chrétien déteste un autre chrétien, loin de nous une telle

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religion !

Les Stettinois demeurèrent deux mois dans cette obstination. Enfin, deux jeunes gens nobles vinrent trouver l'évêque et demandèrent à être instruits. Othon accueillit avec tendresse ces pré-mices d'une moisson nouvelle, les catéchisa, les baptisa et les garda auprès de lui, pendant les huit jours suivants qu'ils passèrent revêtus de l'habit blanc des néophytes. Ces deux nouveaux chrétiens reçurent de l'évêque de Bamberg des tuniques brodées d'or, avec une ceinture d'or et des chaus-sures aux couleurs éclatantes. Revenus auprès des jeunes gens de leur âge, ils racontèrent ce qu'ils avaient vu chez le missionnaire : la pureté et la régularité de sa vie, sa douceur, sa charité, sa muni-ficence. La jeunesse païenne, encouragée par ce récit, suivit leur exemple, puis l'âge mûr et la vieillesse ; la ville entière fut entraînée.

Le père des deux premiers baptisés était absent au moment de leur conversion. Quand il les sut chrétiens ainsi qu'une grande partie de sa famille, il entra en fureur et jura de se venger de l'évêque, mais, apaisé par les prières de sa femme et touché par la grâce de Dieu, il s'en alla trouver Othon, se jeta tout en larmes à ses pieds et lui con- fessa qu'il avait reçu le baptême en Saxe, mais que les richesses que lui avait offertes le paganisme l'avaient empêché de se montrer chrétien. Après cette humble confession, il se montra un apôtre de la foi qu'il avait jadis reniée et persécutée.

Othon reprit ensuite le chemin de Vollin, dont il trouva la population disposée à recevoir l'Evangile. En effet, les habitants avaient envoyé en secret à Stettin des hommes intelligents pour s'informer de l'accueil ménagé aux missionnaires. L'évêque fut donc reçu avec joie par la popula-tion de Vollin, qui s'efforça de réparer, en toutes manières, les mauvais traitements du premier voyage.

Enfin, après une absence d'environ un an, l'évêque de Bamberg était de retour dans sa ville épiscopale, comme il se l'était proposé.

Seconde mission. – Prodiges. – Mort de saint Othon.

En 1128, avec la bénédiction du Pape Honorius et l'agrément du roi Lothaire, Othon quitta de nouveau Bamberg et se rendit en Poméranie, où l'idolâtrie menaçait de ruiner les belles espérances du début.

Il s'arrêta d'abord à Stettin, dont il trouva les habitants divisés, les uns persévéraient encore dans la foi, les autres, en plus grand nombre, étaient retournés au paganisme. Les apostats, ameutés par les prêtres des idoles, vinrent assiéger la maison de l'évêque, en criant qu'il fallait le massacrer.

Othon, avide du martyre, revêtit ses habits pontificaux, fit élever la croix et, entonnant des psaumes et de hymnes, que continuaient les clercs, recommanda au Seigneur son dernier combat. Les barbares furent extrêmement surpris de ce que, au moment de mourir, ces hommes pouvaient chanter encore. Ils écoutèrent, et, se regardant en silence, commencèrent à s'adoucir, Mais le pon-tife des idoles, qui avait résolu de tuer l'évêque, ayant paru, les apostats brandirent leurs lances pour le transpercer. Miracle ! leurs bras se raidirent et demeurèrent tendus, comme pétrifiés. Othon, mû de pitié, leur donna sa bénédiction, et la liberté de leurs mouvements leur fut rendue. Cette merveille fit tomber la fureur de la multitude, tous demandèrent pardon et revinrent de leurs égarements.

De Stettin, l'évêque de Bamberg se rendit à Vollin. Les habitants en étaient restés dans de meilleures dispositions ils reçurent avec une humble soumission ses remontrances et réformèrent les abus.

Après avoir eu soin de donner à la Poméranie des prêtres chargés de maintenir et de dévelop-per son œuvre, l'évêque missionnaire rentra à Bamberg, où il mourut pieusement, quelques année après, le 30 juin 1139, étant devenu plus que jamais le père des pauvres, qu'il institua ses héritiers.

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Saint Othon a été canonisé par Clément III en 1189 sous une forme particulière : le 29 avril, ce Pape prescrivait aux évêques allemands de procéder à une enquête sur les vertus et les miracles de l'évêque de Bamberg, et leur enjoignait, si le résultat ne laissait pas de doute, de le déclarer solen -nellement canonisé en vertu de l'autorité du Siège apostolique. Sa fête est fixée au 2 juillet. Après le triomphe de l'hérésie luthérienne, la châsse qui renfermait ses reliques a été placée dans le trésor de l'Electeur de Hanovre,

A.R.B.

Sources consultées. – Grands Bollandistes (2 juillet). – Rohrbacher, Histoire de l'Eglise. – (V.S.B.P., n° 1441.)

SAINT ANATOLEÉvêque de Constantinople (400?- 458)

Fête le 3 juillet.

L'Eglise d'Orient célèbre à la date du 3 juillet la mémoire de cet évêque de Constantinople. Il fut certainement le défenseur de la foi orthodoxe. Mais les circonstances assez étranges de son élé-vation à l'épiscopat et plus encore, son hésitation à rompre avec les adversaires de la Papauté ou avec les partisans d'Eutychès, l'ont fait accuser d'opportunisme, pour le moins, par les historiens avertis. Sa vie est connue surtout par la correspondance qu'Anatole échangea avec le Pape saint Léon le Grand, par les Actes du Concile de Chalcédoine et par une biographie grecque peu an-cienne et d'ailleurs sans grande valeur historique.

Le précepteur de saint Anatole.

D'après cette biographie, écrite par un anonyme et publiée par les Bollandistes, Anatole naquit au début du Ve siècle, à Alexandrie, de parents illustres. Il eut pour éducateur et pour maître l'évêque même d'Alexandrie, saint Cyrille (t 444) l'un des plus illustres Docteurs de l'Orient. Cet éminent précepteur conduisit son disciple dans les voies de la science sacrée et de la vertu. Anatole

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semblait avoir l'esprit mûri avant le temps ; sa conversation, tout en gardant le cachet de simplicité du jeune âge, n'admettait rien de frivole, et son caractère sérieux contrastait avec celui des autres enfants. Assidu à lire les Ecritures et à les méditer, il y perfectionna son intelligence et affermit sa volonté dans l'amour du bien. Saint Cyrille le vit avec joie grandir dans ces heureuses dispositions, et le dirigea, vers l'état ecclésiastique. D'abord chargé de lire les Ecritures dans la sainte assemblée des fidèles, il fut ensuite promu à l'ordre du diaconat.

Peu après, il fut envoyé plusieurs fois, en qualité d’« apocrisiaire » – l'équivalent d'un nonce – à Constantinople, pour y traiter avec les empereurs des affaires de l'Eglise d'Alexandrie. Dans ces missions se révéla son jugement droit, son attachement au patriarcat d'Égypte ainsi qu'aux doc-trines défendues avec tant de vigueur par l'énergique et puissant évêque d'Alexandrie. En 428, Nestorius, cet indigne patriarche de Constantinople, avait osé prêcher, dans une série de sermons, qu'en Notre-Seigneur il y a deux personnes. C'était dénier du même coup à la Sainte Vierge son privilège de Mère de Dieu, titre que personne ne lui avait contesté jusque-là. Le peuple d'Orient se révolta devant ce blasphème. Saint Cyrille mit en garde ses fidèles contre la nouvelle hérésie, la fit condamner par un synode d'évêques égyptiens. Le Concile général, réclamé de toutes parts, se réunit en juin 431, dans la ville d'Éphèse, et dès la première session excommunia et déposa Nesto-rius : le diacre Anatole était aux côtés de l'évêque d'Alexandrie qui joua dans le Concile un rôle de premier plan.

Le « brigandage d'Éphèse » (449).

Après le Concile d'Éphèse, Eutychès, archimandrite depuis de longues années d'un couvent de moines à Constantinople, avait été un fougueux adversaire de l'hérésie nestorienne. Mais cet esprit obtus, sans pénétration, dépourvu d'une solide culture théologique, ne tarda pas à tomber dans une erreur opposée. A force de défendre l'unité de personne dans le Christ, il en arriva à affirmer qu'après l'Incarnation, il n'y avait dans la personne de Jésus qu'une seule nature. Dénoncé à l'évêque de Constantinople, saint Flavien, l'hérésiarque fut excommunié et déposé par le Conseil des évêques séjournant habituellement dans la ville impériale.

Il n'accepta pas cette sentence. Dioscore, patriarche d'Alexandrie, indigne successeur de saint Cyrille, le prit sous sa protection, et l'empereur Théodose II ( 450), circonvenu par son ministre fa-vori, Chrysaphe, qui était le filleul d'Eutychès, convoqua un nouveau Concile à Ephèse. Le Pape saint Léon le Grand ( 461) accepta cette convocation, envoya à Flavien une Instruction dogma-tique, nette et précise, où se trouvait énoncée la foi catholique : Le Christ est une personne unique possédant deux natures.

Ce pseudo-Concile s'ouvrit le 8 août 449 dans l'église de Marie, la même église où s'était réuni le Concile de 431. Par l'ordre de la cour, Dioscore présida l'assemblée des évêques, le légat pontifi-cal, nommé Jules ou Julien, qu'accompagnaient un diacre et un notaire, occupant la deuxième place, saint Flavien, la cinquième seulement. Le patriarche d'Alexandrie profita de son pouvoir pour abaisser le siège de Constantinople qui portait ombrage au sien, et cela, bien que le IIe Concile œcuménique eût attribué à son titulaire la première place après l'évêque de Rome.

Il empêcha que lecture fût donnée des lettres pontificales adressées au Concile et à Flavien. Une troisième lettre de saint Léon le Grand n'avait pu être remise à l'impératrice Pulchérie. Enfin, se serrant des troupes impériales et de moines fanatiques, il imposa sa volonté aux évêques terrori-sés. Eutychès fut réhabilité, et saint Flavien déposé : ce dernier, après en avoir appelé au Pape, ne tarda pas à mourir des suites de ses blessures ou de sévices nouveaux, à Epipa, en Lydie. Le « bri-gandage d'Éphèse », latrocinium ephesinum – le terme est de saint Léon le Grand, rendait vacant le siège de Constantinople (449).

Successeur de saint Flavien sur le siège de Constantinople.

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Comment le patriarche Dioscore se faisait illusion.

Le croirait-on ? Ce même Dioscore, meurtrier de Flavien, est appelé à désigner le successeur de sa victime, et, n'osant nommer, malgré son extrême désir, l'odieux Eutychès, il fait élire Ana-tole : ainsi, et c'était pour lui une nouvelle victoire, un prélat égyptien allait occuper le siège de Constantinople. Sans doute, il se flattait de ranger à son parti et de gagner à l'hérésie celui que sa faveur élevait à une si haute dignité. Il espérait que le nouvel évêque reconnaissant saurait se plier à ses désirs, au détriment des droits de la vérité, en épouserait la cause d'Eutychès. C'était peu connaître les sentiments intimes de son élu. Anatole accepta le siège parce qu'il prévoyait les troubles et les malheurs que causeraient à Constantinople son refus et ses hésitations. Il reçut la consécration épiscopale, vers la fin de l'année 449, des mains de Dioscore, qu'assistaient plusieurs prélats de ses amis. Eutychès lui-même était présent à la cérémonie du sacre. Le nouvel évêque se hâta d'écrire au Pape saint Léon le Grand pour lui annoncer son élévation au siège de Constanti-nople et lui demander de l'admettre à sa communion ; de cette lettre un fragment est venu jusqu'à nous.

Saint Léon le Grand ratifie l'élévation de saint Anatole.

L'intervention prépondérante de Dioscore et de ses amis dans le choix du successeur de saint Flavien devait rendre suspecte aux yeux du Pape, gardien vigilant de l'orthodoxie, l'ordination d'Anatole ; et cela d'autant plus que, dans sa lettre, le nouvel évêque ne donnait aucune profession de foi et parlait comme si la controverse eutychienne et le « brigandage d'Éphèse » n'avaient pas existé. Malgré les lettres de recommandation des évêques consécrateurs et de l'empereur Théodose II, saint Léon voulut s'assurer de la foi orthodoxe d'Anatole avant de l'admettre à sa communion. Il envoya donc deux légats à Constantinople, avec mission d'exiger de lui une profession publique de foi catholique et de lui faire souscrire et accepter l'Instruction dogmatique adressée, un an aupa-ravant, à Flavien. Lorsque les deux légats, accompagnés des deux prêtres arrivèrent à Constanti-nople, Théodose était probablement mort, car on sait qu'il succomba des suites d'un accident de cheval (28 juillet 450). Sa sœur, l'impératrice Pulchérie se maria – du moins au yeux du monde car elle garda la continence parfaite – avec le général Marcien ; les deux époux se montrèrent des dé-fenseurs de l'orthodoxie, ce qui facilita la tache de la mission pontificale.

Aux envoyés du Pape, Anatole s'empressa de donner les preuves les plus sincères de la pureté de sa foi. Il réunit un synode à Constantinople, souscrivit le document dogmatique indiqué, dit anathème à Nestorius et à Eutychès. Poussant plus loin son zèle à répandre la vraie foi, il chercha à faire accepter par tous les évêques d'Orient la lettre du Pape à Flavien. Il écrivit de nouveau à saint Léon pour l'assurer qu'il acceptait la foi de saint Cyrille. Le Pape ne tarda pas à lui témoigner (451) sa satisfaction et le pria d'agir en accord avec ses légats, dans l'examen de la cause des évêques qui avaient trahi leur devoir à Ephèse.

Saint Anatole au Concile de Chalcédoine. – Au tombeaude sainte Euphémie.

L'hérésie d'Eutychès, non encore formellement condamnée par une décision conciliaire, conti-nuait à se répandre en Orient, grâce au patronage de Chrysaphe, toujours puissant à la cour de Théodos II, et aux agissements du patriarche d'Alexandrie, Dioscore. Anatole comprit que le seul moyen d'enrayer les progrès de l'erreur était la convocation d'un Concile général qui jugerait Euty-chès et ses partisans. Mais précisément parce qu'il devait son élection à Dioscore, et en raison de ses relations avec Alexandrie, il estimait avec raison que mener à bien une telle entreprise lui serait

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difficile. Par bonheur, le nouvel empereur, Marcen (450-457), était sincèrement catholique et dési-rait convoquer en Orient une nouvelle assemblée des évêques. Saint Léon le Grand y consentit, après avoir exigé qu'elle serait présidée en son nom par ses légats.

Le Concile de Chalcédoine se réunit dans la basilique de Sainte Euphémie, en octobre 451. Anatole y siégea immédiatement après les légats du Pape. Il prit lui-même une part active aux tra-vaux et aux décisions conciliaires. Il reconnut l'orthodoxie de saint Flavien injustement déposé à Ephèse par Dioscore. Ce dernier fut déposé, parce qu'il avait agi contrairement aux lois ecclésias-tiques et refusait d'obéir au Concile. Anatole, après avoir défendu quelque temps une formule où l'on disait que le Christ est de deux natures, adopta, avec les autres Pères, la formule définitive, ré-digé par une Commission de vingt-deux membres, au nombre desquels il se trouvait. La doctrine d'Eutychès était réprouvée ainsi que son auteur.

D'après la légende grecque, Dieu donna aux décisions du Concile la sanction du miracle. Ana-tole déposa dans la tombe de la sainte martyre Euphémie les deux professions de foi, celle d'Euty-chès et celle des Pères du Concile. Quand on ouvrit, quelques jours après, le reliquaire virginal, la cédule de l'hérésiarque avait été froissée et rejetée è l'écart, tandis que la main de la sainte martyre s'était ouverte pour saisir et pour presser le formulaire de foi des Pères du Concile de Chalcédoine et de toute 1"Église.

Le siège de Constantinople devient siège patriarcal d'Asieet de Thrace.

Dans ses dernières sessions le Concile de Chalcédoine adopta plusieurs décisions discipli-naires importantes. Certaines d'entre elles exaltaient outre mesure les pouvoirs et les privilèges du siège épiscopal de Constantinople ; elles lui accordaient une sorte de droit d'appel pour tout l'Orient ; et à sa primauté d'honneur, reconnue en 381 par le Concile de Constantinople, elles ajou-taient une autorité effective sur les diocèses d'Asie Mineure et de Thrace. De pareilles concessions ne pouvaient que développer davantage les prétentions ambitieuses et les interventions déjà abu-sives des évêques de la nouvelle Rome, elles portaient atteinte aux prérogatives des sièges patriar-caux d'Antioche et d'Alexandrie ; enfin, elles menaçaient de déplacer le vrai centre de l'unité ca-tholique. Malgré les réclamations des légats, l'autorité patriarcale effective du siège de Byzance (Constantinople) sur l'Orient chrétien fut établie par le fameux canon 28.

Anatole ne défendit pas lui-même, devant le Concile, les prétentions, de son Église à la pri-mauté ; Aétius, son archidiacre, s'en chargea ; mais il écrivit au Pape saint Léon une lettre assez habile pour obtenir la confirmation du fameux canon. Le Pape refusa d'approuver ce texte usurpa-teur, et c'est seulement au XIIIe siècle que Rome devait finir par le reconnaître. En cette circons-tance, comme en d'autres aussi, Anatole montra bien qu'il se souciait, peut-être avec excès, de la grandeur et des prérogatives plus politiques que religieuses de son siège épiscopal, lequel ne re-montait pas pourtant, au delà du IIIe siècle.

Défenseur des décisions et de la doctrine du Concilede Chalcédoine.

L'évêque de Constantinople joua un rôle important dans les événements religieux qui suivirent le Concile de Chalcédoine. Anathématisé par Timothée Aelure, patriarche monophysite d'Alexan-drie, en 457, il intervint pour défendre en Égypte et les ecclésiastiques persécutés à cause de leur foi catholique par le patriarche et la doctrine définie à Chalcédoine. Il écrivit au Pape et aux métro-politains d'Orient à propos des affaires égyptiennes. Dans un Concile tenu dans la ville impériale,

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il fit condamner Timothée Aelure et prit la défense des formules et des décisions adoptées par le Concile général de 451. Tant de zèle lui attira de nouvelles félicitations de saint Léon, mais aussi des exhortations à la vigilance, car le Pape avait appris qu'il y avait dans le clergé de Byzance des partisans d'Eutychès, en particulier les prêtres Atticus et André ; le Souverain Pontife dut insister pour obtenir leur éloignement, ou tout au moins un désaveu de l'erreur eutychienne. Tout en restant fidèle à la doctrine d'Éphèse et de Chalcédoine, Anatole apparaît comme n'étant pas assez affran-chi de l'influence de Dioscore et de certains partisans d'Eutychès.

Pluie miraculeuse.

Au cours de l'épiscopat d'Anatole, Constantinople eut à souffrir d'une peste rendue plus hor-rible encore par le manque d'eau et une chaleur extraordinaire. Tout se desséchait, tout devenait la proie du fléau. L'évêque, rapporte la Vie anonyme, plein de confiance en Dieu, ordonna des proces-sions solennelles autour des murs de la ville. Lui-même, à la tête de son clergé et de son peuple, chanta les litanies. Puis il monta sur les remparts, et là, nouveau Moïse, les mains élevées vers le ciel, il implora le secours du Seigneur. Sa prière fut aussitôt exaucée : le ciel, depuis si longtemps serein se couvrit de nuages, la pluie commença à tomber avec une telle abondance que tout en fut presque submergé. La peste cessa en même temps que la sécheresse, et tout le peuple rendit grâces à Dieu qui avait glorifié son serviteur.

Saint Anatole défend le stylite saint Daniel.

Saint Daniel le Stylite, déjà célèbre par ses pénitences héroïques, arrivait à cette époque à Constantinople, où il allait vivre durant vingt-huit ans sur une colonne. I1 passa les huit premiers jours dans une église dédiée à saint Michel, bâtie aux portes de Constantinople. Tandis qu'une foule nombreuse entourait le solitaire pour s'édifier de sa sainteté, le démon, jaloux d'un tel concours, inspira à quelques clercs la pensée de le dénigrer, de le dénoncer comme hérétique, afin de le faire chasser de la contrée. « C'est un dragon venimeux, dirent-ils à Anatole. Si vous le sup-portez, il lancera son venin et en infestera tout le pays. »

L'évêque, guidé par une sage prudence, se garda bien de les croire ; il ne voulut pas condamner sans avoir entendu l'accusé : les calomniateurs durent se retirer. Éconduits par l'évêque, ils répé-taient leurs fausses allégations aux gens de la cour, quand Daniel les confondit par un miracle ; c'est du moins ce que relate la Vie anonyme dont on a parlé plus haut.

Par une permission divine, Anatole tomba très gravement malade. A cette nouvelle, son clergé vint le visiter. Soit coutume, soit pour suivre l'entraînement général, les ennemis de saint Daniel arrivèrent, eux aussi, au lit de leur évêque. La conversation s'engagea fortuitement sur le stylite, et, comme toujours, les uns se prononçaient en sa faveur, admirant ses rares vertus ; les autres, ceux qui l'avaient accusé, instruits par l'expérience, n'osaient y contredire ouvertement en présence d'Anatole, mais leur sourire dédaigneux trahissait leur pensée. L'évêque s'en aperçut, et, attristé de cette persistance dans la calomnie, il trouva assez de forces sur son lit de douleur pour leur dire : « Mes frères, vous accusez un Saint. Croyez-moi, le mal dont je souffre ne m'a été envoyé que pour glorifier ce stylite, injustement accusé d'hérésie, et fermer la bouche à ses détracteurs. Qu'il vienne ici, que je le voie, et, par sa vertu, le mal qui, selon toute apparence, doit me conduire au tombeau, disparaîtra comme par enchantement. »

Ainsi en advint-il. Le stylite, obéissant au désir d'Anatole, accourut à son chevet, et l'évêque malade soudain se sentit mieux, et, se levant, il se montra au peuple pour bien le convaincre de sa guérison.

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Mort de saint Anatole.

De nombreux travaux remplirent les neuf années de son épiscopat ; la liturgie grecque lui doit certaines de ses prières, ses antiennes poétiques spécialement désignées sous le nom d'Anatolica : il ajoute ainsi aux gloires de l'évêque et du thaumaturge la gloire du poète. Dieu l'appela à la ré -compense le 3 juillet 458.

Ses restes, escortés de tout ce que Constantinople avait d'illustre et de puissant, furent déposés dans un riche tombeau. Anatole est honoré comme un grand thaumaturge par l'Eglise grecque, le 3 juillet. Les Ménées en font un martyr contre toute vraisemblance. Son nom ne se trouve pas dans le Martyrologe romain ; car il ne faut pas confondre l'évêque de Constantinople avec son homonyme, l'évêque de Laodicée de Syrie (fin du IIIe siècle), dont la fête se célèbre aussi le 3 juillet. Selon le biographe grec, les maladies les plus invétérées disparaissent auprès du tombeau de saint Anatole et on ne peut compter les miracles accomplis par cet évêque de la cité impériale byzantine.

F.P.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. I de juillet (Paris et Rome, 1867). – P. Martin Jugie, « Ana-tole de Constantinople », dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques de Mgr. Baudrillart, t. I (Paris, 1914). – Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, etc., t. XV. – Héfélé-Le-clercq, Histoire des Conciles, t. II (Paris, 1908). – (V.S.B.P., n° 1009.)

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PAROLES DES SAINTS________

Le chemin du ciel.

Si ce chemin nous semble fort raide, déchargeons-nous de nos fardeaux ; s'il est étroit, ne crai-gnons point de nous anéantir ; s'il est long, hâtons-nous d'autant plus, et marchons en plus grande diligence ; et s'il est rude et pénible, recourons à Jésus en lui disant : « Tirez-nous après vous, et nous courrons à l'odeur de vos parfums. » Heureux celui qui court de telle sorte qu'il remporte le prix, ou plutôt qu'on le porte lui-même et qu'on l'enlève vers le ciel pour y recevoir la couronne.

Saint Bernard.(Sur le psaume XXIII.)

Les relations.

Pour ce qui est de vivre dans le monde, veillez à ne point vous familiariser avec des jeunes gens ou autres hommes, quelque amis qu'ils soient de la vertu, parce que, je vous le dis, les liaisons spirituelles aboutissent presque toujours à des affections d'autre nature. Evitez pour vous-mêmes et pour vos filles de fréquenter les femmes oisives qui fuient la retraite et placent leur bonheur dans

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les vaines conversations et dans les plaisirs du monde. Sainte Angèle Merici.

SAINT ULRICÉvêque d'Augsbourg (890-973)

Fête le 4 juillet.

Saint Ulric offre la particularité d'avoir été le premier saint canonisé solennellement par l'Eglise. Au jugement d'un auteur très bien informé des choses romaines, Mgr Battandier, mort en 1921, et fondateur de l'Annuaire Pontifical, ce fut l'acte le plus important du pontificat de Jean XVI, qui pourtant occupa la Chaire de saint Pierre pendant onze ans, de 985 à 996.

Naissance princière.

Ulric de Dillingen, appelé aussi Udalric (le latin connaît surtout la forme Udalricus, sans par-ler de huit autres), naquit en 890 à Augsbourg. Fils du comte Ubald, il était allié à la Maison de Souabe, la plus illustre d'Allemagne à cette époque, par sa mère, Ditperge, fille du duc Burchard ; il devait l'être encore une fois par le mariage de sa sœur Huitgarde, dont le mari régna à son tour sur ce duché. Il vint au monde avec une complexion si délicate, que ses parents s'attendaient d'un jour à l'autre à le voir expirer. Craignant de perdre ce fils unique, ils adressèrent au ciel les plus ferventes prières pour la conservation d'une existence si chère. Leurs vœux furent exaucés, et non seulement l'enfant reprit des forces, mais encore il donna bientôt des preuves de sa sainteté future.

Saint Ulric au monastère de saint Gall.

Il y avait trois siècles que saint Gall, disciple de saint Colomban de Luxeuil, avait fondé, près du lac de Zug, le célèbre monastère qui porte son nom. Au Xe siècle, l'abbaye, où, depuis bientôt deux cents ans, avait été introduite la règle de saint Benoît, était parvenue, à sa plus grande efflo-rescence, au point que beaucoup de nobles et de princes de l'empire y envoyaient leurs enfants, pour les y faire instruire dans toutes les sciences de leur temps. C'est à cette école qu'Ulric eut le bonheur de se former à la vertu et de s'adonner à l'étude des lettres divines et humaines. Le jeune étudiant attira bientôt les regards. A la pénétration de l'esprit, il joignait les vertus d'un religieux. Il devint le modèle de ses condisciples par son assiduité dans l'étude. A cet âge où les passions ont le plus d'empire, il leur opposait les armes puissantes de la prière et de l'austérité ; ainsi fortifié, il fit chaque jour de nouveaux progrès dans la vertu.

Sa douceur inaltérable le rendait aimable envers tous ceux qui l'approchaient ; jamais une pa-

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role blessante ne sortait de sa bouche. Il réglait parfaitement les mouvements de son cœur, de sorte qu'il était en ce monde comme n'y étant pas.

Les moines de Saint-Gall, ravis de ces dispositions, mirent tout en œuvre pour faire prendre au jeune homme l'habit bénédictin. Ulric consulta longtemps la volonté de Dieu sur sa vocation et fut enfin exaucé. En effet, sainte Guiborate, qui vivait en recluse près de Saint-Gall, lui prédit l'épisco-pat et lui annonça que Dieu le destinait à de grandes luttes. Son humilité le fit hésiter un instant sur le parti à prendre, mais les instances de la Sainte le déterminèrent à retourner dans sa patrie : « Car, disait-elle, c'est là que Dieu vous appelle, pour secourir un grand nombre d'âmes affligées. »

Dès lors, l'étudiant se sentit enflammé de l'ardent désir de conquérir ces âmes à Jésus-Christ et, sachant que tel était le bon plaisir de Dieu, il ne se permit aucun retard. S'il ne fit pas profession dans l'Ordre bénédictin, il devait en garder toute sa vie non seulement l'esprit, mais encore l'habit, et même, dans la mesure du possible, les observances de la règle.

Pèlerinage à Rome. – L'épiscopat.

Adalbéron était alors évêque d'Augsbourg. Ce fut à lui qu'en 906 les parents d'Ulric confièrent leur fils ; le jeune clerc fut successivement nommé camérier et chanoine de la cathédrale. Poussé par le désir de visiter le tombeau des Apôtres, il fit part de sa résolution à son évêque, qui l'approu-va et lui confia même des lettres à remettre au Souverain Pontife.

Ulric partit donc pour Rome, en habit de pèlerin, répandant sur son passage la bonne odeur de ses vertus. Après avoir satisfait sa dévotion, il se rendit auprès du Pape, pour s'acquitter de sa mis-sion. Sergius III le reçut avec bonté et lui annonça en même temps la mort d'Adalbéron, que Dieu lui avait révélée. De plus, prévenu par l'évêque lui-même, dans une de ses lettres, en faveur d'Ul-ric, il voulut le lui donner pour successeur sur le siège d'Augsbourg.

Le pèlerin, désolé et effrayé, prétexta sa grande jeunesse et son inexpérience – il avait alors dix-neuf ans, Adalbéron étant mort en 909 – et supplia le Pape de ne pas lui imposer une charge au-dessus de ses forces. Sergius ne le contraignit pas ; mais il lui assura que son refus ne le préser-verait pas de l'épiscopat et que de grandes tribulations viendraient fondre sur son diocèse.

Cette double prédiction se réalisa, en effet. Quatorze ans après, l’évêque Hiltin, qui avait rem-placé Adalbéron, étant venu à mourir, tous les suffrages se portèrent sur Ulric, qui fut désigné una-nimement par le clergé et le peuple. Malgré sa résistance, l'élu fut porté en triomphe à la cathédrale et sacré évêque, le 28 décembre 923, avec une grande solennité.

Saint Ulric rend à son diocèse son ancienne splendeur.

En second lieu, comme le lui avait aussi prédit Sergius III, le nouvel évêque trouva Augsbourg en proie aux plus grandes calamités. Les terribles invasions des Hongrois, encore païens, avaient tout bouleversé, églises et sanctuaires ; le troupeau était dispersé, ceux qui restaient se trouvaient sans guide et sans pasteur, et, ce qui est pire, un grand nombre d'entre eux se livraient à de graves désordres. A la vue de ce triste spectacle, Ulric se sentit pénétré d'une vive douleur. Il se jeta à ge-noux et supplia le Seigneur d'épargner son peuple.

Les chrétiens fidèles, qui l'avaient reconnu pour leur évêque, l'aidèrent à relever les ruines de la ville. Mais le prélat ne se borna pas à cette restauration matérielle, il releva encore le moral de ses diocésains par de continuelles instructions. Il réforma les abus qui s'étaient glissés dans le cler-gé et reprit les vices avec une incroyable énergie. Plusieurs esprits turbulents inventèrent contre lui des calomnies qui tombèrent bientôt devant le zèle de l'évêque pour le maintien des droits de Dieu et de son Eglise et devant l'affection du peuple, qui ne pouvait se lasser de l'entendre. Aucun obs-tacle ne pouvait l'arrêter dans ses courses apostoliques. Tout entier au soin de son troupeau, il allait de village en village, visitant et secourant les pauvres, consolant les affligés.

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Des paysans vinrent un jour le prier de faire la dédicace d'un petit sanctuaire qu'eux-mêmes avaient construit au milieu des rochers. Le parcours était très difficile, et plusieurs évêques avaient même refusé de se rendre à ce lieu, qu'ils regardaient comme inaccessible. Ulric se prête sans hési-ter au désir des paysans ; il les suit à travers les rochers, heureux d'avoir pu souffrir pour Jésus--Christ, son divin Modèle.

Grâce à cette sollicitude toujours croissante, l'Eglise d'Augsbourg devint florissante. Elle sem-blait avoir oublié ses malheurs, auxquels succédaient des jours de paix. Ce calme n'était qu'appa-rent et de nouveaux maux devaient venir la désoler.

Double délivrance d'Augsbourg. – Défaite des Hongrois.

La guerre avait éclaté entre l'empereur Othon 1er, dit le Grand, et son fils, Luitolfe, qui voulait le détrôner. Ulric s'étant justement déclaré contre le fils dénaturé, celui-ci, pour s'en venger, en-voya un de ses généraux, nommé Arnould, qui surprit Augsbourg à l'improviste et livra la ville au pillage. Le fruit de tant d'années de travaux était ainsi anéanti. Mais le dévastateur, ayant voulu s'emparer de la personne de l'évêque, fut puni de sa témérité. Pendant qu'il pressait le siège de la citadelle où le pontife s'était renfermé, une petite troupe de paysans accourut au secours du prélat et repoussa l'armée d'Arnould, à qui la supériorité de ses effectifs promettait pourtant une victoire facile. Ce succès, qui tenait du miracle, était dû aux prières d'Ulric. A peine délivré, celui-ci se hâ-ta d'intervenir entre l'empereur et son fils rebelle et parvint à les réconcilier en 954.

L'année suivante, nouvelle invasion des Hongrois qui mettent tout à feu et à sang dans la la Norique, depuis le Danube jusqu'à la forêt Noire. Ils arrivent devant Augsbourg, saccagent les en-virons, incendient l'église de Sainte-Afra et commencent le siège de la ville ; mais, de même qu'au-trefois l'armée d'Attila avait été arrêtée dans sa marche sur Rome, de même ils devaient trouver dans Ulric un nouveau Léon.

L'évêque avait été averti de l'invasion barbare par une apparition de sainte Afra, patronne de la ville. La Sainte lui avait prophétisé en même temps que le triomphe viendrait après bien des ruines. A l'approche des hordes païennes, Ulric se revêtit des ornements pontificaux et encouragea les habitants à la défense en leur représentant qu'ils combattaient pour leur foi et leur indépen-dance. Sous la grêle de pierres et de flèches lancées par les barbares, ce nouveau « défenseur de la cité » parcourait les remparts, enflammant les courages et soutenant l'ardeur des assiégés. Entouré de son clergé, il adressait à Dieu et à la Très Sainte Vierge des prières publiques pour le salut d'Augsbourg.

Grâce au pontife, la ville soutint le choc des barbares assez longtemps pour permettre à l'armée de l'empereur Othon d'arriver. A son approche, les Hongrois qui avaient déjà perdu beaucoup des leurs pendant le siège se découragèrent ; ils furent complètement battus, le 10 août 955, et s'en-fuirent, laissant un grand nombre de morts sur le champ de bataille.

Othon, reconnaissant envers Ulric, vint en personne remercier l'évêque du concours généreux que celui-ci lui avait apporté en cette circonstance critique. En même temps, il lui procura les moyens nécessaires pour réparer les dommages causés à la ville par les assiégeants. Ce succès, que le peuple attribuait à son pasteur, ne fit que redoubler son affection pour lui. De son côté, Ulric ne négligea rien pour remédier aux désastres antérieurs.

Sa vigilance s'étendit sur le pays environnant, Sainte Afra lui apparut de nouveau pour lui ap-prendre le lieu précis de son tombeau, et le pieux évêque s'empressa de faire rebâtir en cet endroit l'église de la sainte martyre. Il recueillit dans son palais épiscopal tous les prêtres due l'invasion des barbares avait privés de leurs moyens de subsistance ; il multiplia les aumônes en faveur des malheureux, distribuant tout ce dont il pouvait disposer, et son nom, devenu synonyme de charité et de grandeur d'âme, devint de plus en plus cher aux populations.

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Pèlerinage d'action de grâces.

Quand la ville d'Augsbourg fut à l'abri de tout péril, le saint pasteur ordonna dans tout le dio-cèse des prières solennelles d'action de grâces. Non content de cette manifestation reconnaissante envers la bonté de Dieu, il résolut de faire une deuxième fois le voyage de Rome pour remercier les saints apôtres Pierre et Paul de l’insigne protection qu’ils avaient accordée à sa ville épiscopale. En effet, c’était à leur garde qu’il l’avait confiée, pendant que les Hongrois la menaçaient.

Ulric fit ce pèlerinage avec une grande piété et une sincère humilité. Accueilli sur son passage par les populations comme un libérateur, il rapportait à Dieu toute la gloire qu’on lui attribuait, et exhortait les fidèles à se confier en Dieu, qui seul peut nous donner l’avantage sur nos adversaires. « Grâces soient rendues, disait-il, au Seigneur, qui nous a procuré la victoire sur nos ennemis tem-porels ; mais s’il nous a

Dans sa ville assiégée, saint Ulric soutient le courage des soldatset console les blessés et les mourants.

accordé cette faveur, c'est pour que nous veillions avec une plus grande attention aux portes

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de notre âme et que nous en écartions le démon, notre plus redoutable ennemi. » Arrivé à Rome, l'évêque d'Augsbourg fut reçu avec le même empressement par le pape Jean XII et par la cour ro-maine.

Le duc Albéric de Camerino, grand consul de Rome, pour lui prouver son attachement, lui fit don du chef de saint Abonde, que le prélat accepta avec une grande joie et rapporta dans son dio-cèse.

En 967, malgré sa vieillesse et ses infirmités, Ulric fit de nouveau le pèlerinage de Rome, dont il ne revenait jamais sans un surcroît de grâces, car il avait voulu, avant de quitter cette terre, visi-ter encore une fois le tombeau des Apôtres, pour qui il avait une si grande vénération.

Ce que peuvent la prière et la foi.

Dans un de ses voyages, Ulric fut arrêté par le Taro, qui était sorti de son lit, et avait inondé les campagnes environnantes. Ceux qui l'accompagnaient cherchèrent en vain les moyens de le traver-ser. Pour lui, comprenant qu'il fallait recourir à Dieu plutôt qu'aux hommes, il ordonna d'élever un autel sur le bord du fleuve. Il y célébra la messe et, par l'efficacité de sa prière, l'eau rentra dans son lit de sorte que les voyageurs purent continuer leur route sans péril. Une autre fois, comme l'évêque d'Augsbourg traversait le Danube, le bateau qui le portait alla heurter contre un rocher et se brisa ; tous les passagers s'étaient hâtés de prendre terre, à l'exception d’Ulric qui demeura le dernier, afin de permettre aux autres de se sauver plus facilement. Dieu le récompensa de cet acte de charité, car il aborda sain et sauf au rivage. Aussitôt après, le bateau, qu'une force invisible avait retenu jusqu'alors à la surface, s'enfonça dans les eaux du fleuve.

Comme Ulric se rendait à Ingelheim pour assister à un Concile provincial, il rencontra sur sa route un mendiant nommé Robert, affreusement blessé ; saisi de compassion, l'évêque lui offre une généreuse aumône : « Au nom de Notre-Seigneur, dit-il, recevez ceci et allez en paix. » Peu après, Robert fut entièrement guéri.

Le saint pasteur avait fondé un couvent de religieuses sous le patronage de saint Étienne, dans un faubourg de la ville. Parmi les personnes qui s'y consacrèrent à Dieu se trouva une pieuse dame, à qui ses sœurs voulurent confier la charge d'économe à cause de son habitude des affaires.

Mais celle-ci, effrayée des tracas de cette charge, refusa ; l'évêque lui ordonna de s'y soumettre par charité pour ses sœurs ; elle résista encore. Or, pendant son sommeil, elle fut avertie surnatu-rellement qu'en punition de sa désobéissance, elle ne pourrait plus marcher. En effet, elle se ré-veilla paralysée des deux jambes. On la porta étendue sur un grabat aux pieds du pontife ; elle lui demanda pardon de la faute commise contre l'obéissance, reçut sa bénédiction, se releva complète-ment guérie et courut à l'église voisine remercier Dieu. Un jour, le bruit courut que Conrad, évêque de Constance, venait de mourir.

Tous attendaient les ordres d'Ulric au sujet du service funèbre à célébrer pour l'âme de son col-lègue dans l'épiscopat. « Soyez tranquilles, répondit l'homme de Dieu, demain vous saurez ce qu'il faut penser de cette nouvelle.» Le lendemain, un voyageur arrivant de Constance annonça que l'évêque de ce diocèse se portait bien. Dans une de ses courses apostoliques, Ulric eut à traverser une rivière profonde. Le clerc qui l'accompagnait, bien que monté sur un plus grand cheval, avait de l'eau jusqu'à la ceinture. Quel ne fut pas son étonnement en arrivant à l'autre rive de constater que l'évêque n'avait point été mouillé !

Mais le prélat se hâta de lui défendre d'en rien dire à personne tant que lui-même vivrait. Les biographes d'Ulric racontent que saints Fortunat et Adalbéron, son prédécesseur, lui apparaissaient pendant la célébration du Saint Sacrifice de la messe et l'assistaient surtout dans la bénédiction des saintes huiles le Jeudi-Saint. Un grand nombre de malades recouvraient la santé quand on les oi-gnait de cette huile, et Ulric lui-même, étant tombé gravement malade, fut guéri de cette manière.

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Saint Ulric à la cour de l'empereur.

Au retour de son troisième pèlerinage de Rome, Ulric fut mandé à Ravenne, par l'empereur Othon qui voulait le consulter sur plusieurs questions importantes. A peine le monarque eut-il ap-pris son approche, que sans même prendre le temps de se chausser, il sortit à sa rencontre jusqu'au milieu de la ville. L'évêque d'Augsbourg fut accueilli à la cour avec de grands honneurs. Depuis le siège mémorable dont il a été parlé, Othon avait conçu pour lui une estime toute particulière et l'avait souvent admis dans son conseil. Ulric, reconnaissant de cette marque de distinction, se fit un devoir de l'aider par ses exhortations pleines de sagesse dans le gouvernement de l'empire.

L'impératrice sainte Adélaïde, modèle des princesses de son temps par son éminente piété, et qui donna au monde le spectacle des vertus les plus héroïques, se trouvait aussi à Ravenne. Ce lui fut une grande joie de s'entretenir avec le serviteur de Dieu ; ces deux grandes âmes se fortifièrent mutuellement dans l'amour des choses divines et le zèle pour le salut des âmes. Adélaïde re-cueillait en son âme les avis et les exemples salutaires de l'évêque d'Augsbourg.

Faute réparée.

Ulric voulut avant de quitter cette terre, pourvoir son Eglise d'un successeur. Il jeta les yeux sur son neveu Adalbéron, qu'il affectionnait à cause de ses qualités éminentes. L'occasion de lui faire obtenir l'évêché d'Augsbourg ne pouvait être plus favorable. Il s'en ouvrit à l'empereur, qui accéda à sa demande. La coutume voulait que les sujets désignés pour l'épiscopat fussent agréés de l'empereur. Cet usage abusif devait mettre aux prises, au XIe siècle, saint Grégoire VII et l'empe-reur d'Allemagne Henri IV.

Peut-être Ulric avait-il agi dans cette circonstance en consultant trop la voix de la chair et du sang. De plus, cet acte était contraire aux saints canons, lesquels interdisent aux évêques de se don-ner des successeurs dès leur vivant. Aussi dans un Concile tenu à Ingelheim, les évêques assem-blés, blâmèrent la conduite de leur collègue et interdirent à Adalbéron l'exercice des fonctions épiscopales.

Ulric se soumit humblement à toutes les exigences du Concile, il demanda pardon de sa faute aux prélats qui s'y trouvaient et sollicita la permission de se faire moine Bénédictin. Les évêques furent d'avis qu'il devait plutôt continuer l'exercice de ses fonctions épiscopales, et il s'inclina. A son retour d'Ingelheim, il eut la douleur de voir son neveu expirer subitement, ce qu'il regarda comme une punition de Dieu, et depuis lors, il s'imposa des pénitences excessives, afin d'expier ce qu'il appelait son crime.

Mort de saint Ulric.

Les dernières années de sa vie ne furent qu'une longue suite de pénitences. Elles redoublaient encore à mesure qu'il approchait du terme de son pèlerinage ici-bas. Malgré ses fatigues, il conti-nuait à visiter son diocèse et à prêcher partout à son peuple la parole de Dieu. Le temps que sa charge pastorale lui laissait et parfois le temps même de son repas, il le consacrait à la prière, aux

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saintes lectures, à la méditation.

Enfin, Dieu lui révéla le jour de sa mort, et il sentit une grande joie à la pensée qu'il irait bien-tôt s'unir à son divin Maître. Il distribua le peu de biens qui lui restaient, car sa charité inépuisable ne lui avait laissé que les choses indispensables à la vie. Quelques instants avant de mourir, il se fit étendre sur un lit de cendre en forme de croix, afin d'imiter jusqu'au dernier soupir Jésus-Christ. Il expira le 4 juillet 973.

Saint Ulric fut enseveli à Augsbourg dans l'église de Sainte-Afra et de nombreux miracles s'opérèrent à son tombeau. Il fut canonisé solennellement par Jean XVI, au Latran, vers le 1 er fé-vrier 993. Le texte de la Bulle nous a été conservé ; il a été publié par plusieurs historiens, notam-ment par Dom Mabillon. Ce précieux document porte, outre la signature de « l'évêque de la Sainte Eglise romaine, catholique et apostolique », celle de cinq évêques, de dix cardinaux-prêtres, de l'archidiacre et de trois diacres.

Georges Demiautte.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. II de juillet (Paris et Rome, 1867). –Gallia christiana. – (V.S.B.P., n° 333).

SAINT ANTOINE-MARIE ZACCARIAFondateur des Barnabites et des Angéliques de Saint-Paul

(1502-1539)

Fête le 5 juillet.

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Antoine-Marie Zaccaria naquit à Crémone, en Lombardie, vers la fin de l'année 1502. Quelques mois après sa naissance, il perdait son père, le patrice Lazare Zaccaria. Sa mère, Antoi-nette Pescaroli, n'avait alors que dix-huit ans ; riche et douée des plus brillantes qualités d'esprit et de cœur, elle aurait pu contracter une nouvelle union, mais elle préféra renoncer aux plus flatteuses espérances pour se dévouer tout entière à l'éducation de son fils et à la pratique des bonnes œuvres.

Pieuse éducation.

Dieu bénit cette abnégation. Antoine-Marie profita des exemples de sa mère, et, de bonne heure, il se distingua par son amour de la prière et sa tendre compassion pour les pauvres. Son plus grand bonheur était d'assister aux divins offices, de servir la messe et d'entendre la parole de Dieu. Dans un coin de sa maison, il avait dressé un petit autel qu'il se plaisait à orner lui-même. A son retour de l'église, il appelait les domestiques au pied de cet autel, et imitant de son mieux le ton et le geste du prédicateur, il leur redisait gravement ce qu'il avait entendu.

Son amour pour les pauvres n'était pas moins remarquable. En rentrant à la maison, un jour d'hiver où le froid était particulièrement rigoureux, il rencontre un pauvre, à peine couvert par quelques haillons, qui lui demande l'aumône. Antoine, ému de pitié, cherche la petite bourse que sa mère mettait à sa disposition pour ses menus plaisirs. Hélas ! elle était vide. Désolé et le cœur ser-ré, il continuait sa route, lorsque, tout à coup, il s'arrête, se retourne, regarde autour de lui pour s'assurer que personne ne le voit, se dépouille du riche surtout de soie dont il était revêtu, le jette au pauvre mendiant stupéfait, et s'enfuit à toutes jambes.

Habitué à n'avoir point de secret pour sa mère, il se rend timidement auprès d'elle, lui avoue en rougissant ce qu'il vient de faire, et se déclare prêt à subir la pénitence qui lui sera imposée. La mère, émue jusqu'aux larmes, embrasse avec amour ce fils dont elle est fière, et, pour toute péni-tence, augmente les petites ressources dont celui-ci faisait un si noble usage.

A partir de ce jour, l'enfant, éclairé des divines lumières de la grâce, renonça aux vains orne-ments qui étaient les signes distinctifs des jeunes nobles, pour s'appliquer à orner son âme de la seule parure des vertus chrétiennes.

L'étudiant. – Le médecin.

Antoine-Marie venait de terminer auprès de sa mère ses premières études. Il avait dix-huit ans, l'heure était venue de choisir un état de vie. Désireux de se rendre utile à ses semblables, il embras-sa l'étude de la médecine. Il quitta donc sa mère et Crémone sa patrie, pour aller étudier d'abord à Pavie, puis à l'Université de Padoue, l'une des plus célèbres de l'époque.

Il était bien difficile à un jeune homme vivant libre et indépendant, loin du regard de sa mère, de conserver sa piété et sa vertu au milieu des mauvais exemples et des entraînements d'une jeu-nesse licencieuse. Mais Antoine avait l'âme trop élevée, une foi trop vive, un caractère trop éner-gique pour dévier du droit chemin.

Dès son arrivée à Padoue, il s'imposa un règlement de vie très sévère, qu'il suivit exactement. Levé de grand matin, il allait tous les jours à la messe, où il édifiait les fidèles par son recueille-ment. Souvent, on le voyait s'approcher, avec une piété angélique, de la Table sainte. Le reste de son temps était consacré à l'étude.

Ce fut dans sa piété solide et dans son amour du travail qu'il puisa le courage de résister à toutes les séductions et d'affronter toutes les railleries. Il ne manquait pas, en effet, de jeunes liber-tins pour se moquer de lui en l'appelant « le dévot ».

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Antoine-Marie les laissait dire ; toujours aimable envers tous, il n'en continuait pas moins à servir Dieu avec fidélité. Il finit par gagner l'estime, le respect et la vénération de ceux-là mêmes qui l'avaient le plus tourmenté.

Au bout de quatre années d'études, il était reçu solennellement docteur en médecine. Il n'avait que vingt-deux ans. Il revint aussitôt à Crémone, auprès de sa mère, et commença l'exercice de sa profession.

Le jeune médecin joignait à une grande science professionnelle, une exquise affabilité ; aussi ne tarda-t-il pas à conquérir la confiance de ses concitoyens. Il ne se contentait pas de soigner le corps. « C'est le péché, disait-il, qui est la cause de tout mal, c'est donc l'âme qu'il faut guérir avant tout. » Dès qu'il était appelé auprès d'un malade, il l'exhortait d'abord à mettre sa conscience en règle et à recevoir les sacrements. Les pauvres surtout étaient l'objet de ses soins désintéressés.

Vocation. – Un miracle pendant sa première messe.

Cependant, il sentit bientôt naître en son âme le désir d'une perfection plus haute, d'un aposto-lat plus sublime et plus étendu. II révéla, avec une simplicité d'enfant toutes ses pensées et ses as-pirations à un saint et savant religieux Dominicain, qu'on appelait le P. Marcel. Celui-ci ne tarda pas à découvrir la volonté de Dieu sur son nouveau pénitent. « Ce n'est plus à guérir les corps que Dieu vous appelle, lui dit-il, c'est au salut des âmes que vous devez travailler. Allez, et préparez-vous par l'étude des sciences sacrées à la mission sublime que Dieu vous confiera. » Le jeune doc-teur obéit aussitôt et se mit avec ardeur à étudier la théologie, l'Ecriture Sainte, les Pères de l'Eglise, l'histoire ecclésiastique. En même temps, il travaillait à sa propre sanctification. La prière, la mortification, la fréquentation assidue de l'église et des sacrements entretenaient et augmentaient sans cesse en lui l'amour divin. Son amour du prochain se développait par des visites fréquentes faites aux hôpitaux où il soignait les malades. Enfin, il s'exerçait déjà à l'apostolat en assemblant les enfants abandonnés pour leur enseigner le catéchisme. Son zèle prenait une nouvelle force à mesure qu'il l'exerçait. On le vit bientôt, encore simple laïque, réunir les jeunes gens des familles nobles, dans l'église Saint-Vital, à Crémone, et leur faire de petites conférences où il les exhortait à la fréquentation des sacrements et leur donnait de sages avis pour leur conduite.

En 1528, étant âgé de vingt-six ans, il eut le bonheur de recevoir l'onction sacerdotale. Dieu se plut à manifester par un prodige la sainteté du nouveau prêtre. Afin de pouvoir s'entretenir plus fa-cilement avec son divin Maître dans le calme et le recueillement, Antoine avait voulu célébrer sa première messe sans aucune solennité. Sa réputation avait cependant attiré une foule considérable au pied de l'autel où il devait officier. Au moment de la Consécration, pendant que les assistants émus tenaient leurs regards fixés sur lui, une clarté éblouissante enveloppa tout à coup l'autel et le prêtre ; au milieu de cette lumière, une multitude d'anges formaient un cercle autour de la divine Hostie et s'inclinaient avec respect ; ils restèrent en adoration jusqu'après la Communion. Le bruit de ce miracle ne fit qu'augmenter la réputation de sainteté d'Antoine-Marie, qu'on appelait déjà l’« ange de Dieu », l' « homme angélique ».

L'apôtre de Crémone.

La ville de Crémone était alors dans le plus pitoyable état, ainsi que toute la Lombardie. A la faveur des guerres continuelles qu'occasionnait la rivalité de François 1er et de Charles-Quint, la di-vision avait pénétré partout et jusqu'au sein des familles. Le clergé et les Ordres religieux étaient tombés dans le relâchement, le peuple vivait dans l'ignorance et dans l'erreur ; enfin la corruption des mœurs était effroyable.

Antoine-Marie reprit avec une nouvelle ardeur les prédications qu'il avait commencées à Saint-

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Vital. Son langage simple, énergique, plein de chaleur et de conviction, attira bientôt une foule si considérable, que l'église devint trop petite pour contenir les auditeurs de tout âge et de toute condition accourus à ses conférences ; on ne se contentait pas de l'écouter, on allait s'agenouiller aux pieds du saint prêtre, on lui avouait ses fautes et on se corrigeait. On le voyait encore s'en aller dans les hôpitaux, dans les prisons, pour distribuer à tous, le pain de la parole divine. Aussi était-il l'objet de la vénération publique. Son cœur, disait-on était l'asile de la compassion, comme sa mai-son était le refuge des pauvres. Il jouissait surtout d'une puissance extraordinaire pour consoler les affligés et exciter les pécheurs à la contrition. Les conversions qu'il opéra furent innombrables, si bien qu'au bout de deux ans la ville était complètement renouvelée.

Le fondateur.

Don Zaccaria ne devait pas borner son zèle à la ville de Crémone. A la fin de 1530, poussé par un secret dessein de la Providence, il se rendit à Milan, où ses prédications eurent le même succès qu'à Crémone. Il y fit la rencontre de deux jeunes nobles pleins de ferveur, Barthélemy Ferrari et Jacques Morigia, qui devinrent ses premiers auxiliaires. Deux prêtres milanais ne tardèrent pas à se joindre à eux, et pendant plus d'un an ces quatre collaborateurs, sous sa direction, s'exercèrent en commun aux œuvres de piété. Ils allaient aussi dans les différents quartiers de la ville pour y prê-cher la parole de Dieu et se livrer à tous les actes de charité que leur inspirait leur amour des âmes. Plusieurs témoins, édifiés de leur vie pauvre, humble et austère, sollicitèrent la faveur d'être admis dans leur petite Société, qui se composait de clercs, vivant selon une règle. Antoine-Marie deman-da alors pour la Congrégation naissante l'approbation du Vicaire de Jésus-Christ. Clément VII la lui accorda par un Bref daté du 18 février 1533. Les nouveaux religieux portaient le nom de Clercs Réguliers de Saint-Paul. Ce ne fut que plus tard, en 1547, lorsqu'ils prirent possession d'une église dédiée à saint Barnabé, à Milan, qu'on prit l'habitude de les appeler du nom qui a prévalu : Barna-bites. Antoine-Marie se proposait de ramener à Dieu toutes les classes de la société ; c'est là une œuvre nécessaire à toutes les époques, mais le XVIe siècle, époque de jouissance et de paganisme, en avait autant besoin que notre époque présente. Pour atteindre ce but, l'action du Fondateur s'étendit à toutes sortes de personnes. Pour les prêtres, il institua des conférences spirituelles qu'il présidait lui-même ; on s'y exhortait mutuellement à la ferveur, à la pratique du zèle apostolique, et on y examinait les moyens à prendre pour sanctifier les âmes.

Pour les personnes engagées dans les liens du mariage, il fonda la Congrégation des mariés : les membres de cette association rivalisèrent d'ardeur pour leur sanctification avec les religieux cloîtrés les plus fervents ; ils s'exerçaient aussi aux bonnes œuvres en allant dans les hôpitaux, dans les prisons, consoler les malheureux, en enseignant le catéchisme aux enfants pauvres et aux ignorants. Enfin, le P. Zaccaria institua aussi à Milan, en 1534, un Ordre de religieuses, qui prirent le nom d'Angéliques de Saint-Paul. Elles se consacraient particulièrement à l'éducation des jeunes filles pauvres et à la confection de linges et d'ornements d'église. Elles furent approuvées par le Pape Paul III, le 15 janvier 1535, et confirmées le 6 août 1545. Saint Charles Borromée, qui les avait en très haute estime, s'occupa de fixer définitivement leurs règles et leurs constitutions. Frap-pées par un décret de Napoléon 1er supprimant les Ordres religieux, elles s'éteignirent peu à peu. Rétablies en 1879, elles ont été approuvées par Léon XIII le 21 avril 1882 et restaurées dans leurs anciens privilèges.

Institution des Quarante-Heures.

La dévotion envers Jésus présent dans la sainte Eucharistie avait toujours été le centre de la vie d'Antoine Zaccaria. Son amour lui inspira d'établir dans l'église Sainte-Catherine, à Milan, l'expo-sition publique du Très Saint Sacrement, pendant quarante heures, en souvenir du temps que le

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corps du Sauveur demeura au tombeau. La nouveauté du spectacle, l'ornementation de l'église que le saint prêtre avait fait décorer avec soin, les nombreuses lumières qui brûlaient devant la sainte Hostie, la majesté des cérémonies, attirèrent et émurent la foule. De chaleureuses exhortations achevèrent l'œuvre si bien commencée. Cet usage, établi vers la fin de l'année 1534, s'étendit rapi-dement aux autres églises de Milan, et bientôt à tout le monde catholique.

Persécution.

Les œuvres voulues de Dieu sont toujours marquées du sceau de la persécution ; elle les consolide et les grandit. Les persécutions ne manquèrent pas au P. Zaccaria, qui appartenait, ainsi que ses premiers religieux, aux plus hautes classes de la société. On leur fit un crime d'avoir em-brassé une vie si humble et si pauvre. Quelques esprits malintentionnés allaient même jusqu'à les traiter de fous ou d'hypocrites ; piqûres de moucherons pour le saint Fondateur. Le peuple, mobile dans ses affections, écouta ces insinuations perfides. Les religieux furent dénoncés au Sénat à l'ar-chevêque de Milan, au Pape, comme des novateurs dangereux.

Antoine-Marie, loin de s'affliger, se réjouit d'avoir été trouvé digne de souffrir pour Jésus-Christ. Il rassembla ses religieux pour les rassurer, et leur parla en ces termes : « Nous sommes in-sensés pour l'amour de Jésus-Christ, disait saint Paul, notre guide et notre maître. Il n'y a donc pas lieu de nous étonner et de craindre, si maintenant nous sommes en butte à divers pièges du démon ou aux calomnies des méchants. Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. Loin de haïr ceux qui nous persécutent, nous devons plutôt les plaindre, les aimer, prier pour eux, ne pas nous laisser vaincre par le mal, mais vaincre le mal par le bien. Ses compa-gnons, émus, se jetèrent à ses pieds et protestèrent que jamais ni mépris, ni injures, ni contradic-tions d'aucune sorte ne les détourneraient de leur vocation et qu'ils étaient prêts à verser leur sang pour Jésus-Christ.

Leur innocence fut enfin reconnue et solennellement proclamée. Pour éviter à l'avenir des dif-ficultés qui pouvaient devenir sérieuses, Antoine-Marie demanda la confirmation de son Ordre au Pape Paul III. La réponse ne se fit pas attendre ; la bulle, expédiée le 24 juillet 1535, renouvelait l'approbation donnée par Clément VII et mettait les Clercs Réguliers de Saint-Paul sous l'autorité immédiate du Saint-Siège.

Afin de se conformer pleinement aux intentions pontificales, le Fondateur voulut qu'on procé-dât à la nomination régulière du supérieur. Tous les religieux réunis en Chapitre déclarèrent que nul autre qu'Antoine-Marie ne pouvait exercer cette charge. Mais le P. Zaccaria n'aspirait qu'à obéir, non à commander ; il s'efforça de se faire oublier et réussit à faire élire le P. Morigia. Ce fut alors un spectacle émouvant, comme on n'en rencontre que dans la vie des Saints, Le P. Morigia se prosterne devant ses Frères, exagère son indignité, proteste que l'œuvre ne saurait que périr entre ses mains, supplie le P. Zaccaria d'avoir pitié de sa faiblesse et de son inexpérience ; Antoine-Ma-rie le relève avec bonté, lui montre le Crucifix qui domine l'assemblée, puis, se prosternant à ses pieds, i1 lui promet l'obéissance la plus entière (15 avril 1536).

Mission de Vicence (1537).

L'évêque de Vicence, plein d'admiration pour les vertus d'Antoine et de ses religieux, voulut procurer à sa ville épiscopale les bienfaits qu'ils avaient apportés aux villes de Crémone et de Mi-lan. Le P. Zaccaria partit donc à son appel avec quelques Pères et un certain nombre d'Angéliques. Tous les exercices de piété qu'il avait introduits à Milan, il les établit avec succès à Vicence.

Dieu manifestait déjà par des grâces extraordinaires la sainteté de son serviteur. Un jour, il rencontre un groupe de jeunes gens gais et bruyants, qui se rendaient sans doute à quelque fête. Avisant le chef de la bande, il va droit à lui, le regarde avec affection et trace lentement sur le front

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du jeune homme stupéfait le signe de la croix. Quelques jours après, le jeune homme renonçait au monde et se consacrait à Dieu dans l'Ordre des Barnabites, où il devint un religieux d'une grande vertu.

Un autre jour, se trouvant à Guastalla, petite ville voisine de Milan, le missionnaire se prome-nait sur les rives du Pô, lorsqu'il aperçut un jeune homme qui venait vers lui. Antoine-Marie le sa-lue d'un ton plein de bonté et lui dit en le regardant très attentivement «  Je voudrais, ô mon fils, vous voir rentrer en vous-même et songer au salut de votre âme. Vous savez bien que rien n'est plus fragile que la vie humaine. Mon cœur me dit que Dieu vous appellera à lui beaucoup plus tôt que vous ne pensez. »

Le jeune homme était pourtant plein de santé et de vie et ne songeait nullement à la mort. Ce-pendant, cet avertissement inattendu le frappa, et, comme entraîné par une force irrésistible, il s’agenouilla sur-le-champ aux pieds du Père et lui fit l'aveu de ses fautes avec un sincère repentir. Le lendemain, il périt victime d'un accident, heureux de n'avoir pas différé sa conversion.

La mort. – Les miracles.

Cependant les labeurs d'une vie plus remplie de mérites que d'années avaient, avant quarante ans, épuisé la santé déjà faible du P. Zaccaria. Une mission qu'il donna à Guastalla le fatigua telle-ment qu'il fut obligé de s'aliter. Prévoyant sa fin prochaine : « Conduisez-moi à Crémone, dit-il à ceux qui l'entouraient. Avant la fin de l'octave des saints apôtres, je dois quitter ce monde, et je veux remettre mon âme à mon Créateur là même où j'ai reçu la vie. »

A Crémone, sa pieuse mère le reçut toute en larmes : « Ah ! douce mère, lui dit-il, cessez de pleurer, car bientôt vous jouirez avec moi de cette gloire éternelle où j'espère entrer maintenant. » La mère devait mourir, en effet, peu de temps après son fils.

Autour de la couche du Père, une foule de personnes accoururent pour recevoir une dernière bénédiction. Il accueillait tout le monde avec un sourire, et de sa voix mourante les exhortait en-core à travailler au salut de leur âme. Enfin, il reçut le sacrement de l'Extrême-Onction avec une piété angélique.

Quand on lui apporta le saint Viatique, son visage prit une expression radieuse, qu'il garda jusque dans la mort.

Il mourut le samedi 5 juillet 1539 : il avait à peine trente-sept ans.Son corps, transporté à Milan, fut déposé sur l'autel, dans la crypte de la chapelle des Angé-

liques ; il y demeura pendant environ vingt ans, sans subir de corruption. En 1559, pour obéir aux décrets de saint Pie V, interdisant de conserver sur terre les corps des serviteurs de Dieu non béati-fiés, les Angéliques l'inhumèrent dans la crypte de leur couvent.

On avait commencé, peu après sa mort, à lui rendre un culte public, mais les décrets d'Urbain VIII (1636) exigeant une possession de cent ans, ce Pape demanda la cessation du culte, ce à quoi les Barnabites se soumirent humblement. L'introduction de la cause fut signée par Pie VII en 1807. Pie IX, le 2 février 1849, rendait le décret d'héroïcité des vertus. Mais se basant sur de récentes dé-cisions, les Barnabites demandèrent pour leur saint Fondateur le décret de réintégration de culte qui équivalait à une béatification. Léon XIII l'accorda le 3 janvier 1890. En 1891 la cause fut re-prise, et les reliques du Bienheureux furent transférées à l'église des Barnabites.

Antoine-Marie Zaccaria a été canonisé à Saint-Pierre le 27 mai 1897, en même temps que saint Pierre Fourier, Le 7 décembre suivant, sa fête a été étendue à l'Eglise universelle, et, le 11 portée

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au rite double.Sa statue figure en la basilique Vaticane avec celles des Fondateurs d'Ordres. Quant aux Bar-

nabites, le Pape Jules III les a déclarés Ordre religieux en 1550 ; Grégoire XIII en a approuvé les Constitutions le 7 novembre 1579. Très éprouvés lors de la Révolution, ils se sont reconstitués après 1815.

Gausbert Broha.

Sources consultées. – P. Albert Dubois, Barnabite, Le bienheureux Antoine-Marie Zaccaria (Tour-nai). – Annuaire pontifical catholique (1898, 1899, 1901). – (V.S.B.P., n° 904.)

SAINT GOARPrêtre et ermite près de Trèves (1- 575 ?).

Fête le 6 juillet.

Bien que quelques auteurs assignent saint Goar au VIIe siècle, la plupart le font naître presque au lendemain de la mort de Clovis, c'est-à-dire avant 525. Ses parents étaient de nobles seigneurs de l'Aquitaine, et ils étaient l'ornement de cette province par leurs vertus. Issu d'un sang illustre, Goar, appelé aussi Glièvre, Guèvre ou Gower, manifesta dès son enfance une véritable sainteté. L'histoire nous le montre environné de l'auréole de l'innocence ; il était d'une chasteté ex-quise, et, comme la rose de la charité croît volontiers, dans le voisinage du lis de la pureté, Goar unissait à la vertu des vierges une ardente affection pour le prochain.

Le jeune âpotre

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A peine eut-il atteint l'âge de raison, qu'il se donna aux bonnes œuvres. Il aimait à soulager les pauvres, à consoler les affligés. Cet amour du prochain croissait en son cœur de jour en jour. La pureté de sa vie, l'ardeur de sa charité lui concilièrent l'affection de tous ceux qui l'entouraient. Il sut en profiter pour se faire l'apôtre des pauvres et des ignorants. Il se mit à parler de Dieu avec un zèle qui étonnait dans un âge si tendre. Ses exemples étaient encore plus puissants sur les cœurs endurcis que ses paroles. Par ses instructions intimes, pas ses conseils et ses exhortations, il en-flammait les âmes à la vertu. A sa voix, on vit de nombreux pécheurs renoncer à leurs désordres et aux plaisirs du monde.

Le sacerdoce.

De si beaux débuts avaient attiré sur Goar l'attention de son évêque. Le pontife le contemplait avec joie, et, pour rendre son apostolat plus fécond, il songea à revêtir Goar du caractère sacerdo-tal. Dès que le jeune apôtre eut l'âge requis, il reçut, en même temps que le sacerdoce, la mission d'évangéliser le peuple. Goar s'y dévoua avec une ardeur égale à son amour pour Jésus-Christ et pour le prochain. On sait que la France, au VIe siècle, venait à peine de naître à la foi ; les vieilles mœurs romaines et barbares n'avaient pas encore disparu, et l'on trouvait presque partout de nom-breuses traces de paganisme.

Les efforts de Goar contre des abus et des coutumes invétérés furent couronnés d'un succès tel que son humilité s'en effraya. Il craignit l'orgueil. Goar s'arracha donc aux applaudissements que lui prodiguaient ses proches et ses amis ; il s'arracha des bras de ses parents ; il quitta sa patrie et vint chercher un asile sur les bords du Rhin,

L'ermitage.

Goar s'était arrêté près d'un petit ruisseau appelé Wochaire, dans la campagne de Trèves, au milieu d'un pays où s'élevaient encore un grand nombre de temples païens, où les faux dieux trou-vaient de zélés adorateurs. Le jeune prêtre voyait un nouveau champ ouvert à son zèle apostolique ; mais il commença par demander à Fibice, évêque de Trèves, l'autorisation d'élever un modeste sanctuaire. La permission lui fut accordée sans difficulté, et bientôt une petite église com-pléta l'ermitage que Goar s'était construit. Il dota ce sanctuaire de précieuses reliques.

S'enfermant dans une retraite profonde, il puisa dans la prière, les veilles, les jeûnes et les aus-térités de la vie solitaire, les forces dont il avait besoin pour se livrer à l'apostolat. I1 sortit ensuite de son ermitage muni des armes les plus puissantes, le cœur dévoré par le zèle du salut des âmes. Il parcourut toutes les campagnes voisines, prêchant partout la parole de Dieu, signalant son passage par de nombreuses conversions. Afin de donner plus d'autorité à sa parole, Dieu le favorisa du don des miracles. A sa voix, les païens renonçaient à leurs erreurs et désertaient les temples des faux dieux. Cependant, Goar n'était pas à l'abri des tentations et des épreuves. Le démon irrité lui ten-dait tantôt des pièges occultes et tantôt l'attaquait ouvertement. Mais chaque combat qu'il engageait avec le serviteur de Dieu était suivi d'une honteuse défaite, et, loin de ralentir le zèle de Goar, les luttes ne faisaient que lui donner une nouvelle ardeur.

Comment saint Goar pratiquait l'hospitalité.

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C'est au saint sacrifice de la messe que l'ermite puisait ce zèle qu'il déployait à évangéliser les peuples. Il s'était fait une loi de l'offrir tous les jours ; il y ajoutait encore la récitation du psautier.

Il passait la plus grande partie de la nuit dans les saintes veilles, sa reposant à peine quelques instants. Aux premières lueurs de l'aurore, il commençait le chant des psaumes, et offrait ensuite la Victime sans tache. Son ermitage n'avait pas tardé à devenir le rendez-vous des pauvres et des ma-lades, Quand Goar avait terminé ses longues prières de nuit, il se vouait complètement aux exer-cices de la charité. Il invitait tous les pauvres à sa table, il les servait de ses propres mains. Il don -nait en même temps, libre cours à son zèle apostolique des âmes. Il parlait aux pauvres ignorants avec un accent de foi et d'amour qui souvent déterminait leur conversion ou du moins un change-ment de vie. Les convives recueillaient avec empressement les paroles qui tombaient de ses lèvres, et séduits par ses exemples autant que par ses discours, ils se faisaient souvent ses disciples et imi-tateurs.

Quand les pèlerins se présentaient à son ermitage, Goar les accueillait avec fois, empressé à les servir et à leur donner tout ce qu'ils pouvaient désirer, procurant un logement commode à ceux qui arrivaient vers le soir, et, le lendemain, après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, les invi -tant à prendre un peu de nourriture avec lui. Mais il oubliait souvent de manger pour distribuer à ses hôtes l'aliment délicieux de la parole divine.

Il est calomnié auprès de l'évêque de Trèves.

Une conduite si charitable et si utile aux habitants de la région déplut à quelques envieux. Deux serviteurs de l'évêque de Trèves, Albiwin et Adalwin, vinrent à l'ermitage de Goar sous pré-texte de lever un tribut destiné à l'entretien du luminaire de l'église Saint-Pierre. La vue de l'ermite entouré de pauvres et de pèlerins, avec qui il partageait son pain dès le matin, scandalisa les deux envoyés. Ils considéraient cet acte de charité comme une infraction criminelle à toutes les règles monastiques du jeûne et de l'abstinence. De retour à Trèves, ils dénoncèrent Goar à l'évêque, qui était alors Rustique, comme un homme ami de la bonne chère, qui scandalisait tout un pays en en-traînant un grand nombre de chrétiens dans ses excès et dans sa ruine. Ils conseillèrent même à Rustique de sévir contre l'ermite, de réprimer ses abus criants, et de venger la cause des saintes lois outragées.

L'évêque, de bonne foi, crut aux paroles de ses deux officiers. Entrant avec ardeur dans la voie que ceux-ci lui traçaient, il leur ordonna de retourner en toute hâte près de Goar, et de lui signifier l'ordre de les suivre à Trèves pour rendre compte de sa conduite. Les calomniateurs triomphaient. Ils s'empressèrent de retourner vers Goar qui les reçut avec sa bienveillance ordinaire, sans témoi-gner la moindre surprise de celte visite inattendue. Quand les envoyés l'eurent invité à se rendre à Trèves, près de leur pasteur, Goar s'écria : « Puisse le Seigneur m'en donner la force, parce que l'obéissance ne souffre point de retard ! » Cette invitation lui paraissait étrange, cependant, il dissi-mula ses soupçons. Il pria ses visiteurs d'accepter l'hospitalité dans son ermitage. Il passa la nuit en prières et le lendemain, après la sainte messe, s'adressant à son disciple, il lui dit : « Mon fils, pré-parez-nous un repas, afin que les envoyés de notre Pontife puissent manger avec nous. Peut-être Dieu nous enverra-t-il encore quelque pauvre pour partager avec lui notre nourriture. »

A ces mots, Albiwin et Adalwin s'indignent et reprochent à leur hôte son mépris des lois du jeûne et son intempérance. Goar, que ces fausses accusations ne peuvent émouvoir, montre à ses calomniateurs que les lois du jeûne ne sont pas supérieures à celles de la charité. Il parlait encore, quand son disciple introduisit un pèlerin. Goar l'invita aussitôt à s'asseoir à sa table et ne fit aucune difficulté de manger avec lui, au grand étonnement des deux envoyés. Déjà ceux-ci se disposaient à partir, quand l'ermite leur offrit des provisions pour la route. Ils les acceptèrent et montant à che-val, ils reprirent le chemin de Trèves, pendant que Goar les suivait à pied. Les deux cavaliers

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avaient disparu derrière l'horizon ; ils chevauchaient en silence, lorsqu'ils furent saisis d'une faim, d'une soif et d'une lassitude si étranges qu'ils se croyaient sur le point de mourir. Ils savaient qu'un ruisseau limpide se trouvait dans le voisinage. Ils se mettent à le chercher ; ils le découvrent bien-tôt, mais ils en trouvent le lit desséché.

Ils songent alors aux provisions qu'ils ont reçues de Goar ; ils portent la main à leurs besaces, mais tout a disparu. Ils veulent alors gagner Trèves en redoublant de vitesse lorsque l'un d'eux, ac-cablé de fatigue, épuisé par les tortures de la faim et de la soif, tombe de cheval et roule dans la poussière. Son compagnon, reconnaissant sa faute, se hâte de joindre l'ermite qui les suivait de loin. Il se jette à ses pieds et le supplie de venir à leur secours. Goar, toujours charitable et bien-veillant, écoute ses prières, et accède volontiers à ses désirs. Toutefois, il lui dit : « Souvenez-vous que Dieu est amour : celui qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu, et Dieu en lui.

Lorsque ce matin je vous invitais à prendre avec moi un modeste repas, vous ne deviez point mépriser cet acte de charité. Dieu vous punit en ce moment pour vous apprendre à pratiquer la cha-rité qui est le lien de la perfection. »

Il parlait encore, lorsque trois biches se présentèrent à leurs yeux. Goar leur ordonne aussitôt de s'arrêter ; il s'en approche, se met à les traire, et quand il a fini, il leur permet de continuer leur course à travers les bois. II vient ensuite auprès des deux affamés et leur présente le lait qu'il s'est procuré. « Allez, leur dit-il ensuite, puiser de l'eau dans la rivière et prenez des provisions dans vos besaces. »

En effet, le ruisseau desséché quelques instants auparavant roulait de nouveau une onde lim-pide, et les voyageurs purent s'y désaltérer, en même temps que leurs provisions, retrouvées mira-culeusement, leur permettaient d'apaiser leur faim. Ce prodige leur ouvrit les yeux. Convaincus, désormais, de la sainteté de Goar, ils le présentèrent à leur évêque non plus en calomniateurs ou en ennemis, mais en admirateurs et en hérauts de ses vertus. Rustique ne voulut point les croire ; il fit assembler son clergé, et attendit, en présence de cette imposante réunion, le charitable ermite pour le confondre et le condamner.

L'évêque confondu et pénitent.

Goar, en entrant à Trèves, accompagné de son plus cher disciple, commença par aller adorer le Très Saint Sacrement, et se rendit ensuite au palais épiscopal. Lorsqu’il eut été introduit dans la salle du Conseil, son premier acte, dit la légende fut un prodige : il suspendit son manteau à un rayon de soleil. Ce miracle, loin d’exciter l’admiration de ses juges et de dissiper leurs préjugés, ne fit qu’augmenter leurs mauvaises dispositions. L’évêque Rustique en prit occasion pour accuser Goar de magie, et attribuer ce miracle à son commerce avec l’esprit des ténèbres. Il lui reprocha ensuite son intempérance et son prétendu mépris des règles monastiques du jeûne et de l’absti -nence. Le prévenu écoutait en silence, surpris et étonné du miracle

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Le cavalier félon vint supplier saint Goar de porter secours à un camarade.

Qu’on lui reprochait. Il avait cru suspendre son manteau à un objet destiné à cet usage. Quand l'évêque eut cessé de parler, Goar, levant les yeux au ciel, répondit :

« Dieu, le juste juge, qui scrute les cœurs et sonde les reins, sait que je ne fus jamais initié à l'art de la magie. Si des animaux sauvages se sont arrêtés pour me permettre de les traire, je ne les y ai point forcés par des enchantements coupables. La charité seule me guidait, et je voulais, avec la permission et sur l'ordre de Dieu, sauver la vie de ceux qui m'accompagnaient. Vous me repro-chez de boire, et de manger dès les premières lueurs de l'aurore. Le Dieu qui voit toutes choses, le juge suprême, pourrait vous dire si mes actes étaient inspirés par l'intempérance ou par la charité. »

Pendant que l'ermite se défendait avec sa douceur et sa mansuétude ordinaires, il vit entrer un clerc, portant sur les bras un enfant qui venait à peine de naître, et que sa mère avait déposé, pour s'en défaire, dans le bassin de marbre de l'église, destiné à recevoir les enfants abandonnés. L'évêque devait pourvoir à son éducation. A cette vue, se tournant vers ses ecclésiastiques, Rus-tique s'écria, avec un air de triomphe :

« Nous verrons, maintenant, si les œuvres de Goar sont de Dieu ou du démon. Qu'il fasse par-ler ce jeune enfant, qu'il lui fasse révéler en notre présence qui est son père et qui est sa mère, et nous croirons alors à la sainteté de ses œuvres. S'il ne le peut, nous aurons une preuve éclatante qu'elles sont le fruit de son commerce avec le prince des ténèbres. »

L'homme de Dieu frémit à cette proposition. Il s'efforça de faire comprendre à l'évêque qu'il ne devait pas exiger de lui une chose si extraordinaire. « D'ailleurs, disait-il, un tel miracle ne servirait qu'à couvrir de honte et de confusion ceux qui ont mis au monde cet enfant. La charité seule me fait accomplir quelques miracles, par la grâce de Dieu mais, au nom de cette charité, je ne puis faire ce que vous me demandez. »

L'évêque, sourd aux remontrances de Goar, rejetant toutes ses excuses, lui ordonna de se conformer à ses désirs. Celui-ci, levant les yeux au ciel, fit à Dieu une ardente prière, et s'approcha

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de l'enfant. Il se tourna alors vers l'assemblée : « Quel âge a cet enfant ? Trois jours, lui répondit-on. » S'inclinant ensuite vers lui : « au nom de la Très Sainte Trinité, dit-il, je t'adjure, petit enfant, de nous dire distinctement, et par leur nom, le père et la mère qui t'ont mis au monde. » A peine a-t-il achevé ces mots, que l'enfant étend sa petite main vers un personnage d'Eglise infidèle à ses de-voirs, et dit : « Voilà mon père – il le nomma ; – ma mère s'appelle Flavie. » Aussitôt, les rôles ont changé. Goar voit à ses pieds le coupable, qui verse d'abondantes larmes. Lui-même pleure d'être l'instrument de la révélation de ce crime honteux ; il trouve dans son ardente charité des paroles de consolation et d'encouragement, et le coupable peut se relever, avec l'assurance que l'ermite unira ses prières et ses pénitences aux siennes, pour obtenir de Dieu le pardon d'un péché si scandaleux.

Goar, en effet, lui a déjà promis de faire, pour lui et avec lui, une pénitence de sept ans. Tant de charité et d'humilité charmèrent tout l'auditoire. Le coupable profita des exhortations de Goar ; il se soumit à toutes les rigueurs des règles canoniques et sa pénitence sincère lui mérita de deve-nir un grand Saint, honoré comme tel dans l'Eglise de Trèves.

Saint Goar à la cour de Sigebert.

Cependant, le bruit de ce nouveau miracle ne tarda pas à parvenir à la cour de Sigebert, roi d'Austrasie. Le monarque voulut en voir l'auteur, pour apprendre de sa bouche tous les détails de l'assemblée de Trèves. Il lui envoya des députés qui l'amenèrent bientôt à sa cour. Sigebert le pria de lui raconter tout ce qui s'était passé. Mais la modestie défendait au pieux ermite de retracer au roi les circonstances d'un fait si propre à augmenter sa gloire. Il garda donc le silence. Sigebert, étonné, lui ordonna, au nom de l'autorité que lui conférait sa puissance royale, de lui apprendre les événements passés à Trèves. Goar s'inclina devant un ordre si exprès ; mais comme la charité est toujours ingénieuse, il pria d'abord le roi de lui dire tout ce qu'il en savait. Sigebert ne fit aucune difficulté de lui répéter ce qu'on lui en avait appris, et, quand il eut fini, son interlocuteur lui dit : « Je suis obligé de vous obéir, mais je ne trouve rien à ajouter au récit que vous venez de me faire. Cette réponse si ingénieuse et si humble lui gagna tous les cœurs il n'y eut qu'une voix dans l'as-semblée pour proclamer Goar digne de l'épiscopat, et proposer au prince de l'élever sur le siège épiscopal de Trèves. Goar était le seul à ne point partager leur avis ; il suppliait Sigebert de ne pas l'arracher à sa chère retraite, Sigebert fut d'abord sourd à toutes ses prières ; mais l'homme de Dieu redoubla d'instances, et finit par obtenir un délai de vingt jours.

Il retourne à son ermitage.

Goar se hâta de regagner les bords du Rhin. Il s'enferma dans sa cellule. Passant les jours et les nuits en prière, il suppliait le Seigneur de lui envoyer une maladie pour empêcher Sigebert de mettre ses desseins à exécution. Pour rendre ses prières plus puissantes sur le cœur de Dieu, il y ajouta de grandes mortifications. Le Seigneur exauça les vœux de son humble serviteur. Avant l'expiration du délai accordé par le roi, Goar fut saisi d'une fièvre violente.

C'était le commencement d'une maladie de langueur, qui devait le clouer sur sa couche pen-dant sept ans, et le conduire finalement au tombeau. Sigebert ne put donc élever son candidat au siège épiscopal de Trèves. Goar songea alors à la promesse qu'il avait faite d'offrir à Dieu en ex-piation d'un crime abominable ses horribles souffrances. Des larmes arrosaient sans cesse sa couche, pendant que l'encens de sa prière montait vers le ciel. Il priait surtout pour l'Eglise ; il de -mandait à Dieu de la faire triompher, et d'en augmenter chaque jour les enfants.

Déception de Sigebert. – Mort de saint Goar.

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Au bout de sept ans, Goar revint à la santé. A peine Sigebert sut-il que le saint ermite avait re-couvré un peu de force qu'il lui renouvela ses instances, pour lui faire accepter la mitre et la crosse. Mais Goar répondit que l'heure de sa mort allait bientôt sonner, et qu'il ne fallait plus songer à le priver de la paix et du bonheur qu'on goûte dans la solitude, il pria seulement le roi de lui envoyer deux prêtres pour l'assister à ses derniers moments. Sigebert se hâta d'accéder à ce désir. A peine les deux prêtres furent-ils arrivés qu'ils reçurent le dernier soupir du vaillant soldat de Jésus-Christ, de l'ami des pauvres et des humbles (vers 575).

Les miracles de saint Goar.

Le corps de Goar fut d'abord placé dans la petite église qu'il avait édifiée lui-même, mais Pé-pin le Bref fit bâtir plus tard, sur les bords du Rhin, une magnifique basilique, pour recevoir les précieuses reliques du saint ermite. Une foule de miracles, et de tous genres, furent accomplis sur son tombeau. Mais il semble que saint Goar se plaisait surtout à sauver du naufrage ceux qui l'in-voquaient avec confiance.

On raconte que tout homme qui passait devant l'église consacrée à Goar, sans y entrer pour prier le Saint, était toujours puni. Ainsi, Charlemagne, dans une course rapide qu'il fit sur le Rhin, négligea d'aller offrir sec hommages au saint ermite. Aussitôt, s'éleva une violente tempête ; l'obs-curité la plus grande se répandit sur les flots, le navire de l'empereur erra pendant plus de douze heures, sans que le pilote put atteindre le but du voyage.

Il fallut s'arrêter dans un petit village. Dès le lendemain, Charlemagne envoyait à l'église de saint Goar vingt livres d'argent et deux tapis de soie.

Saint Goar est honoré par les potiers comme leur patron ; en voici peut-être la raison : Un jour, des bateliers conduisaient une embarcation chargée de poteries ; à bord, ils emmenaient une femme et son enfant. Sur sa demande, ils la déposèrent devant l'église, où elle venait prier le Saint, mais ils gardèrent l'enfant avec eux. Or, tandis que la mère était en prière, les bateliers s'enfuirent, emmenant l'enfant ; cette faute n'échappa pas au châtiment ; bientôt, leur barque sombrait, corps et biens, à l'exception du fils de la pieuse femme qui fut sauvé.

L'antique abbaye bénédictine fondée par Pépin le Bref passa, au XIIe siècle, aux Chanoines Réguliers de Saint-Augustin. A la Réforme, elle fut abolie et le corps de saint Goar perdu, sauf quelques reliques que possède encore l'église Saint-Castor, à Coblence.

A.Z.

Sources consultées. – Bollandistes (t. III de juillet). – (V.S.B.P., n° 282.)

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SAINTS CYRILLE ET MÉTHODEApôtres des Slaves (827-869 et 820 ?-885).

Fête le 7 juillet.

Les saints Cyrille et Méthode, Grecs d'origine, Byzantins par leur patrie, Romains par leur mission, apôtres des peuples de race slave, sont considérés, à bon droit, comme les deux lumières de l'Orient, où ils ont porté et répandu la foi chrétienne. C'est en vain qu'on a essayé de les repré-senter comme des ennemis du catholicisme, alors qu'au contraire les faits montrent en eux des fils soumis et respectueux de la Sainte Eglise, prêts à accourir à un appel du Souverain Pontife, atta-chés inébranlablement au successeur de Pierre.

Origine. – Jeunesse studieuse.

Au début du IXe siècle, vivait à Thessalonique, aujourd'hui Salonique, ville qui fut enrichie par l'apôtre saint Paul des lumières de la foi, un haut fonctionnaire grec nommé Léon. Il eut deux fils, dont la premier, né vers 820, reçut au baptême le nom de Méthode ; le second, qui vit le jour vers 827, reçut le nom de Constantin ; c'est le futur saint Cyrille, qu'on appelle parfois saint Cyrille de Thessalonique.

Dès leur jeunesse, ils parlèrent la langue slave, ce qui a fait croire que leur mère était de cette nationalité.

Les Slaves étaient d'ailleurs assez nombreux dans la région de Thessalonique. Ils montrèrent, à Constantinople, où leur père les avait envoyés, une érudition remarquable. Leurs progrès furent ra-pides. Constantin se distinguait par la pénétration de son esprit, surtout dans la pratique des arts militaires et de la jurisprudence.

Mais si la science des deux frères était étonnante, leur vertu n'était pas moins admirable ; on

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les citait comme des modèles de sainteté et d'humilité, et leur piété et leur douceur ravissaient les cœurs de tous ceux qui les approchaient ; l'impératrice Théodora elle-même les tenait en grande es-time.

Moine et missionnaire. – Saint Clément.

Méthode fut promu préfet de la province slave de l'empire byzantin. Il renonça au monde quelques années après et revêtit les habits grossiers de la pauvreté dans le monastère basilien de Polychrone, près de Constantinople. Or, tandis que son frère se préparait à suivre la même voie, entre 857 et 860, le peuple des Khazares, qui habitait au delà de la Tauride ou Crimée, fit savoir à l'impératrice Théodora qu'il désirait embrasser le christianisme, et la pria de lui envoyer quelqu'un pour l'instruire. Jusqu'alors, sa religion n'avait été qu'un mélange de judaïsme et de mahométisme.

Le jeune empereur Michel III, fils de Théodora, choisit Constantin pour cette mission ; celui-ci, qui avait reçu la prêtrise, était devenu bibliothécaire du patriarche, près de Sainte-Sophie, puis professeur de philosophie et avait enfin rempli des missions diplomatiques. Il accepta la charge qui lui était confiée, et se dirigea vers la contrée où il devait exercer son apostolat, emmenant parmi sa suite son frère Méthode qui lui-même avait fait un stage dans un monastère du Mont Athos.

En passant à Cherson – l'ancienne Chersonèse – où il séjourna quelque temps pour étudier la langue des Khazares, Constantin retrouva les reliques du Pape saint Clément, exilé et martyrisé en ce pays, sous l'empereur Trajan. Le corps fut découvert sous des ruines ; à ses côtés se trouvait en-core l'ancre qui avait servi lorsque le martyr avait été précipité dans les flots.

Mission de Constantin chez les Khazares.

L'intention de Constantin était de transporter les reliques de saint Clément à Rome. En atten-dant qu'il put exécuter ce projet, il les confia à l'évêque de Cherson, qui assistait à leur découverte. Il alla d'abord remplir sa mission chez les Khazares, qui consistait à resserrer les liens avec By-zance ; il confondit les sectateurs de la religion juive, ainsi que les musulmans, et la nation devint chrétienne. Il instruisit autant que cela lui fut possible durant les quelques années qu'il resta dans le pays, et lorsqu'il fut rappelé à Constantinople, il laissait à ses néophytes des prêtres pieux et sa-vants pour continuer son œuvre.

Les deux frères en Moravie.

De retour à Constantinople, le zélé missionnaire vécut retiré près de l'église des Saints-Apôtres, tandis que Méthode devenait « higoumène » du monastère de Polychrone. Mais Dieu les appelait l'un et l'autre à de nouvelles missions. Ratislav, roi des Moraves, ayant appris ce que Constantin avait fait chez les Khazares, envoya des ambassadeurs à l'empereur Michel, ou plutôt à sa mère Théodora, disant que son peuple avait renoncé à l'idolâtrie et voulait embrasser la religion chrétienne : en conséquence, il suppliait l'impératrice de lui envoyer des missionnaires.

Constantin et Méthode, désignés, se mirent en route vers la Moravie en repassant par l'Athos. C'est alors que Constantin en composa les caractères slaves glagolitiques. Les deux frères vinrent se fixer à Vélehrad où leur apostolat suscita des merveilles (863). On a dit que la conversion de la Bulgarie était l'œuvre directe des deux missionnaires, et que le cœur du roi Boris fut touché par la

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vue d'une peinture du jugement dernier dont Méthode avait orné un mur du palais. Les faits, ainsi présentés, ne correspondent pas à la réalité. L'artiste portait bien le nom de Méthode ; lui aussi était un moine, mais non pas le frère de Constantin. Si les deux apôtres n'ont pas évangélisé la Bulgarie par eux-mêmes, du moins devaient-ils la convertir par leurs disciples, ce qui leur donne droit à la reconnaissance de cette nation.

Voyage à Rome.

Cependant, les résultats du zèle des deux frères avaient comblé de joie le cœur du Pape saint Nicolas 1er. La nouvelle de l'invention des reliques de saint Clément augmenta encore sa satisfac-tion. Il voulut voir les missionnaires et hâter la translation des reliques de ce Pontife martyr. Constantin et Méthode furent donc mandés à Rome. A leur arrivée dans la capitale du monde chré-tien, Nicolas 1er était mort, mais il avait un successeur digne de lui dans la personne d'Adrien II (867).

Celui-ci vint au-devant des missionnaires, suivi de tout le clergé et du peuple de Rome. Il reçut de leurs mains les reliques de son saint prédécesseur et les déposa dans la basilique de Saint--Clément.

Au XIXe siècle, les fouilles pratiquées, dans les substructions de l'église actuelle ont permis de retrouver la basilique primitive, encore décorée des fresques exécutées en souvenir de cette transla-tion mémorable. L'une d'elles, et non la moins précieuse, reproduit les traits de Constantin et de Méthode. Les deux apôtres des Slaves sont représentés en habits sacerdotaux. Entre eux est placé le Pape ; il porte le pallium sur la chasuble ; ses mains sont étendues dans un geste paternel, comme s'il appelait à lui les multitudes que ses envoyés convertissaient à l'Evangile. Suivant l'ex-pression d'un savant italien, c'est le monument le plus éloquent de la dévotion des Romains pour les apôtres des Slaves, en même temps que de la subordination filiale de l'Eglise slave au Siège apostolique.

La question du rite slave. – Consécration épiscopale.

Constantin et Méthode furent les civilisateurs des peuples slaves, non seulement leur apportant la foi chrétienne, mais en les dotant, comme nous l'avons vu, d'un alphabet, au moyen duquel ces peuples purent désormais écrire leur langue.

Pour lutter contre l'influence germanique qui risquait de blesser le sentiment national sous le couvert de la religion, les deux apôtres avaient cru devoir, non seulement traduire en slavon les Livres Saints, mais encore employer cet idiome dans la célébration du service divin. Cette innova-tion liturgique, que seules des circonstances spéciales pouvaient justifier, devait d'abord être rati-fiée par l'autorité pontificale. En effet, par la Bulle Gloria in excelsis Deo, le Pape Adrien II autori-sa solennellement la liturgie slave. Les deux frères célébrèrent en ce rite dans les grandes églises de Rome : Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-André. Cependant le Souverain Pontife, sur des rapports trop intéressés peut-être, en arriva à suspecter l'orthodoxie des deux novateurs. Il les interrogea, leur fit part des accusations suscitées par leur attitude. Constantin et Méthode s'expliquèrent avec clarté et franchise, et prêtèrent serment de foi catholique.

Sacre épiscopal. – Le moine « Cyrille ». – Sa mort.

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Adrien II fut complètement rassuré et voulut reconnaître des mérites si éclatants, et aussi consolider l'œuvre commencée. Méthode fut d'abord ordonné prêtre, ainsi que quelques-uns de ses disciples (février 868). Le Pape lui conféra la consécration épiscopale et le nomma archevêque de Pannonie ; certains auteurs disent que Constantin reçut la même dignité, mais n'en exerça pas les fonctions.

De toute manière, celui-ci ne devait pas revoir les populations qu'il avait évangélisées. Bien qu'il n'eût encore que quarante-deux ans, ses forces étaient épuisées. Se sentant incapable de porter le fardeau épiscopal, Constantin demanda au Pape et obtint la permission de se retirer dans le mo-nastère grec de Rome ; il fit sa profession religieuse sous le nom de Cyrille, qu'il devait rendre si glorieux à travers les siècles. Quarante jours après être entré dans ce couvent, Cyrille mourut entre les bras de son frère, le 14 février 869, d'après la légende paléo-slave. Toute la ville de Rome pleu-ra sa mort. Méthode demanda au Pape la permission d'emporter le corps de son frère à Constanti-nople :

« Notre mère, dit-il, nous a suppliés avec larmes de ne choisir d'autres sépultures qu'en notre pays. »

Le Souverain Pontife accéda d'abord à ce désir, mais le peuple romain ayant fait de vives ins-tances pour que le corps ne lui fut pas enlevé, Adrien II fit inhumer Cyrille, avec les honneurs ré -servés au Souverain Pontife et la participation des prêtres des deux rites, latin et oriental, en la ba-silique de Saint-Pierre, dans le tombeau qu'il s'était fait préparer pour lui-même. Désolé de ne pou-voir emporter la dépouille mortelle de son frère bien-aimé, Méthode demanda que du moins elle fût inhumée dans la basilique de Saint-Clément, en souvenir de la gloire procurée à ce Pontife par le saint missionnaire. Le Pape ne fit aucune difficulté et le corps fut définitivement transporté dans l'église Saint-Clément, où il fut déposé en un magnifique tombeau.

Saint Méthode archevêque de Moravie.

Louis II le Germanique, empereur d'Est-Franconie, exerçait la suzeraineté sur la Pannonie et la Moravie. Il n'avait pas vu sans ombrage grandir la puissance de Rastislav. Sviatopluk, neveu de Rastislav, prince de Nitra, qui gouvernait les provinces

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Saint Cyrille retrouve les reliques du Pape saint Clément.

orientales, c'est-à-dire la Slovaquie, résolut de détrôner son oncle et de régner à sa place. Comme Louis le Germanique avait envahi la Moravie, il fit alliance avec lui, s'empara de Rastislav (870) et le livra aux Allemands. Il se retourna ensuite contre Louis le Germanique et le força à re-connaître son indépendance. « Son ambition était vaste, écrit Ernest Denis, et ses vues lointaines ; par son mariage avec la fille du prince de Bohême, il rattacha à sa politique les tribus de l'Elbe su-périeur, et il étendit son autorité sur les Serbes de Lusace, la Silésie, la Galicie occidentale et une grande partie des terres danubiennes. »

Il était de l'intérêt de Sviatopluk de favoriser le rite slave et de protéger l'action de Méthode, archevêque de Moravie et de ses deux suffragants, dont l'un siégeait à Nitra. Pourquoi ne le fit-il pas ? L'histoire reste muette là-dessus. Le fait est qu'il favorisa les évêques allemands qui défen-daient leur influence dans ces régions, comme l'empereur avait essayé de sauvegarder la sienne. Sviatopluk le Slave devint un instrument de la latinisation. Inspiré par l'évêque Viching, il intro-duisit la liturgie latine. Ces luttes entre évêques allemands et évêques byzantins paralysèrent en partie l'apostolat de Méthode.

De nouveau à Rome.

Cependant, de nouvelles difficultés surgirent encore à Rome où les mêmes intrigues que précé-demment recommençaient à se nouer. Le Pape Jean VIII, en 873, crut devoir interdire à Méthode de célébrer la messe, sauf en latin ou en grec. Cette défense fut réitérée en 879, en même temps

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que le missionnaire recevait l'ordre de se rendre à Rome. Il obéit et comparut devant le Souverain Pontife en 880. Cette fois encore, ses explications furent si convaincantes que le Pape autorisa, et cette fois en termes nets et formels, l'emploi de la langue slave non seulement pour la prédication, mais encore pour toute la liturgie.

Voici ses propres paroles :

Nous ordonnons que l'on célèbre en langue slavonne les louanges et les œuvres du Christ, Notre-Sei-gneur. Car la Sainte Ecriture ne nous enseigne pas à louer le Seigneur seulement dans une langue mais dans toutes, quand elle dit : « Toutes les nations, louez le Seigneur ; célébrez-le, tous les peuples ! » Il n'est donc contraire ni à la saine foi, ni à la doctrine, de célébrer la messe dans la langue slavonne. Celui qui a fait les trois langues principales, l'hébreu, le grec et le latin, a crée aussi toutes les autres pour sa louange et pour sa gloire...

Nous ordonnons, cependant que dans toutes les églises on lise d'abord1 Evangile en latin pour le plus grand honneur, et qu'ensuite on le lise en slavon pour le peuple qui

n'entendrait pas les paroles latines.

L'on conçoit que l'Eglise catholique permette très difficilement de semblables innovations dans la liturgie sacrée, mais elle les approuve et les confirme quand l'usage les a consacrées, et que la nécessité s'en fait sentir, par exemple pour éviter que des populations insuffisamment instruites ne se laissent entraîner vers le schisme par de mauvais bergers faisant appel à une extrême susceptibi-lité nationale.

Du reste, le Saint-Siège se fit un devoir de protéger la langue slavonne dans les églises qui en usaient légitimement pour le service divin ; les Papes exigèrent seulement que la traduction fût exacte, afin d'éviter toute erreur d'interprétation, et que le slavon ancien, langue morte, y fut seul employé, le sens des mots se modifiant par- fois profondément à l'usage dans les langues vivantes.

Au XXe siècle, le privilège de l'emploi du slavon dans la liturgie romaine – c'est le rite glagoli-thique – existe encore en plusieurs diocèses des bords de la mer Adriatique. Ce privilège a été confirmé par plusieurs Papes, notamment Innocent IV en 1248, Urbain VIII en 1631, Benoît XIV en 1754, Léon XIII en 1898, Pie X en 1906. Cette faveur semble en voie de s'étendre en Yougosla-vie.

Dernières conquêtes de saint Méthode.

Continuateur zélé de l'œuvre commencée par saint Cyrille, Méthode semble avoir été appelé par Dieu à évangéliser, soit par lui-même, soit par ses disciples et continuateurs, toute la partie de l'Europe orientale qui n'avait point embrassé la vraie foi. En Bohème, la conversion et le baptême du prince Borzivoy et de sa femme Ludmille, entraînèrent la conversion en masse, selon des mœurs que nous ne saurions approuver, de toute la nation.

Le saint apôtre eut à lutter contre les efforts amicaux et pressants de Photius, patriarche de Constantinople, qui troublait alors la paix de l'Eglise et qui pouvait espérer l'entraîner dans le schisme. Ces tentatives demeurèrent sans résultat, car ce qui avait pu mettre l'archevêque de Pan-nonie en conflit apparent avec le Saint-Siège n'était qu'une question disciplinaire, celle de la liberté d'un rite autre que le rite latin, et non pas une question dogmatique, ni la discussion de la primauté du Souverain Pontife : jamais la science ni l'orthodoxie de Méthode ne purent être surprises.

Mort de saint Méthode. – Le culte des deux frères.

L'heure du repos était venue ; cet apôtre ardent, qui avait été si uni à son frère durant sa vie, al-

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lait bientôt le rejoindre pour l'éternelle récompense.Sentant sa fin approcher, il désigna un de ses prêtres, nommé Gorazde, pour lui succéder dans

la charge de l'épiscopat ; puis, ayant donné à son clergé et à son peuple des instructions suprêmes, il s'endormit dans le Seigneur, le mardi-Saint 6 avril 885.

Son corps fut rapporté à Rome et enseveli avec la pompe des liturgies romaine, grecque et slave, dans la basilique de Saint-Clément, à côté de celui de saint Cyrille son frère. De nombreux miracles attestèrent la sainteté des deux missionnaires.

Leur nom se trouve à une époque immémoriale dans la liturgie slave ; au XIIIe siècle, dans la liturgie gréco-byzantine ; la Pologne, dans son office de rite latin, les invoquait dès le milieu du XIVe siècle comme des apôtres et patrons du royaume.

Et cependant, dans la suite des âges, le souvenir des deux Saints et de leurs mérites alla en s'ef-façant. C'est ainsi que dès le XIIIe siècle et jusqu'au XVIII prévalut l'opinion que saint Jérôme, Es-clavon de naissance, était l'auteur de l'alphabet glagolitique, si justement appelé « cyrillien », et de la liturgie slave ; chez les Russes orthodoxes l'office propre des deux frères fut supprimé en 1682, et au XVIIIe siècle leur commémoraison n'existait plus dans les calendriers ; elle ne fut rétablie qu'en l'année jubilaire 1863.

Dans l'intervalle, les études slaves inaugurées par Joseph Dobrovski (mort en 1829) mirent en pleine lumière les noms des deux apôtres, et surtout les centenaires célébrés en 1863, 1869 et 1885. Le « British Museum » de Londres a conservé des copies, faites au XIIe siècle, de 55 lettres du Pape Jean VIII, dont beaucoup ont trait à la mission de l'archevêque de Pannonie ; ces docu-ments précieux furent étudiés par des savants de diverses nations.

En 1858, Pie IX accorda aux Bohèmes, aux Moraves et aux Croates de race slave, qui avaient coutume de célébrer chaque année, le 9 mars, la fête des saints Cyrille et Méthode, de le faire dé-sormais le 5 juillet. Lors du Concile du Vatican, de nombreux évêques sollicitèrent l'extension de cette fête à l'Eglise universelle ; une décision fut prise dans ce sens par Léon XIII, en vertu d'une encyclique du 30 septembre 1880. Elle figure actuellement au Calendrier de l'Eglise à la date du 7 juillet, en vertu d'un décret des Rites, du 11 décembre 1897, qui modifia le Bréviaire et le missel.

Sous le vocable des deux Saints se sont fondées plusieurs associations. La première fut insti-tuée en 1850, à Brno, en Moravie ; une autre vit le jour en 1851 et prospéra sous les auspices du serviteur de Dieu Antoine-Martin Slomseck, évêque de Maribor. Cette nouvelle confrérie fut ap-prouvée à Rome le 12 mai 1852 ; elle se développa non seulement parmi les Slovènes, mais encore en Moravie, en Hongrie, en Galicie. En Moravie notamment elle a été remplacée par l’« Apostolat des Saints-Cyrille et Méthode », ligue fondée en 1892 par Mgr Stojan, et qui travaille à propager les sentiments religieux et nationaux et à réaliser l'Union des Églises parmi les Slaves.

La Grande Guerre de 1914-1918, qui a démembré l'empire austro-hongrois et modifié profon-dément la carte de l'Europe orientale, n'a fait que favoriser le culte rendu aux saints Cyrille et Mé-thode.

Les Tchécoslovaques, en particulier, considèrent le Pape Jean VIII comme leur libérateur, car, disent-ils, en conférant les droits archiépiscopaux à saint Méthode, ce Pontife a libéré de la domi-nation allemande les Slaves christianisés.

En 1927, à l'occasion du onzième centenaire de la naissance de saint Cyrille, des fêtes impor-tantes eurent lieu à Prague en l'honneur des deux apôtres slaves. La même année, avec l'approba-tion et sous le contrôle du Pape Pie XI qui en avait approuvé le programme, se tint, à Velehrad, un Congrès international d'études pour l'Union des Eglises.

Sources consultées. – Léon XIII, Encyclique « Grande Munus ». – L’Union des Eglises, 1927. – Acta V. Conventus velehradensis, anno MCMXXVII (Olomouc, 1927). – F. Romaner du Caillaud, Essai sur

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l’Eglise russe catholique et ses Saints (Paris, 1896). – Vacant-Mangenot, Dictionnaire de la foi catholique, au mot « Bulgarie ». – R.P. Martinov, Saint Méthode, apôtre des Slaves (Revue des questions historiques, 1880). – Dr. Fr. Grivec, Stovansti Apostolé Sv. Cyril a Métodéj (Olomouc, 1927). – (V.S.B.P., n° 230.)

SAINTE ÉLISABETHReine de Portugal (1271-1336)

Fête le 8 juillet.

Elisabeth naquit à Saragosse, en 1271 ; elle était le sixième et dernier enfant de Pierre, fils aî-né de Don Jaime 1er, roi d'Aragon ; sa mère, Constance, était fille de Manfred, roi de Sicile, et pe-tite-fille, du côté maternel, de l'empereur d'Allemagne Frédéric II et la petite-nièce, par son père, de sainte Élisabeth, reine de Hongrie, canonisée par Grégoire IX en 1235, dont on lui donna le nom.

L'enfant de la paix. – Sa piété.

L'alliance de l'infant Pierre avec Constance ayant été conclue contre l'assentiment de Don Jaime, il s'en était suivi une brouille entre le père et le fils, qui habitaient des palais séparés, et leurs différends divisaient le royaume. La naissance d'Élisabeth mit fin à ce triste état de choses ; son grand-père, ayant consenti à la voir, fut tellement ravi des charmes précoces de l'enfant qu'il alla aussitôt visiter la mère à laquelle il montra dès lors une affection vraiment paternelle. Il par-donna à son fils, et tous les pénibles ressentiments furent oubliés. Le grand-père emmena sous son toit la charmante petite princesse, cause inconsciente de la réconciliation. Ce rôle de messagère de

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la paix, elle devait le remplir tout le long de sa vie ; il est la plus belle manifestation de sa sainteté, et l'Eglise, dans l'office qu'elle lui a attribué, l'en félicite. La piété précéda en elle l'éveil de la rai-son ; quand elle se mettait à pleurer, on la calmait aussitôt en lui montrant le crucifix ou une image de Marie. Aussi Don Jaime se plaisait-il à dire que cette enfant deviendrait la femme la plus grande de la maison royale d'Aragon. En 1276, Jaime 1er mourut après un long règne, qui lui méri-ta les titres de « saint » et de « conquérant ». Le père d'Élisabeth lui succéda sous le nom de Pierre III. A la cour, Elisabeth dédaigna la magnificence des vêtements, la recherche des plaisirs et des jeux et toutes les occupations inutiles. Elle avait en aversion les fables et les histoires profanes et ne se plaisait qu'à la lecture des livres de piété, à la récitation des psaumes et des hymnes de l'Eglise. Elle pratiquait la dévotion, la charité, la pénitence, et, à l'exemple de sa grand’tante qu'elle avait choisie pour modèle, elle secourait les pauvres avec compassion et tendresse.

Sainte Elisabeth épouse le roi de Portugal.

La jeune fille, qui ressentait un puissant attrait pour la virginité, n'aurait pas voulu des noces d'ici-bas, mais une lumière particulière lui montra qu'elle devait se sacrifier à la raison d'Etat et condescendre au désir de ses parents. L'alliance avec le vaillant roi d'Aragon, qui, en dépit de son règne très court, fut surnommé le Grand, était très recherchée ; Elisabeth fut demandée en mariage par l'empereur d'Orient, les rois de France, d'Angleterre et de Portugal. La pensée de l'éloignement de leur fille était si pénible pour ses parents qu'ils choisirent le prince le plus voisin et le roi d'Ara-gon envoya ses ambassadeurs au roi de Portugal, Denis, pour lui annoncer qu'il acceptait sa de-mande.

Denis se trouvait alors à Alentejo, en guerre avec son frère Don Alonso ; c'est là qu'il reçut les envoyés du roi d'Aragon, et les hostilités cessèrent. Pendant longtemps le roi Pierre ne put se ré-soudre à laisser partir sa fille ; enfin, après l'avoir accompagnée jusqu'aux frontières de son royaume, il la quitta en versant d'abondantes larmes. La jeune princesse fut magnifiquement reçue dans la Castille qu'elle traversa pour se rendre à Bragance. Elle fit, le 24 juin 1282, son entrée à Troncoso, où se trouvait le roi, et le mariage fut célébré le jour même : le roi avait vingt ans et ré -gnait depuis trois ans, la reine en avait à peine douze. Outre la dot qu'il lui donnait, le roi lui offrit la ville de Troncoso où eurent lieu de grandes fêtes, après lesquelles le couple royal se rendit à Coïmbre, alors la capitale.

Elisabeth y fut, comme en Aragon, un modèle de toutes les vertus ; son mari, qui l'aidait dans ses aumônes, lui laissa la plus grande liberté pour ses exercices de piété, tout en modérant les mor-tifications qui auraient pu altérer sa santé et sa beauté qui était remarquable.

Par son exemple, elle ramena les toilettes de la cour à une mesure juste et chrétienne ; elle ne tolérait jamais l'oisiveté parmi ceux qui l'entouraient ; avec les dames de sa maison elle travaillait pour les églises, pour les hôpitaux, pour les monastères, pour les pauvres, et elle veillait à donner toujours un tour élevé aux conversations. Son influence bienfaisante rayonna par tout le royaume, y excitant une heureuse émulation pour le bien.

Une reine populaire.

Au moment où il accueillait sa jeune reine, le Portugal venait de rejeter définitivement les Sarrasins hors de son territoire et de conquérir ses limites actuelles ; il entrait dans une ère de paix et de prospérité. Denis s'appliqua à réparer les ruines que les guerres avaient accumulées ; il bâtit ou rétablit quarante-quatre villes, fonda des hospices, des écoles, dont la célèbre Université de Coimbre ; il développa le commerce et l'agriculture. Pour remplacer les Templiers abolis au Concile de Vienne de 1311, il créa l'Ordre du Christ, que le Pape Jean XXII approuva en 1319, et qui subsiste toujours. L'histoire a désigné sous le nom d’« âge d’or du Portugal » les quarante-six années de ce règne paisible.

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La part d'Elisabeth dans cette œuvre de restauration fut considérable, en particulier dans la construction et l'aménagement des églises, des hôpitaux et des orphelinats ; et si le peuple recon-naissant décerna à son roi les titres de « Roi laboureur » et de « Père de la Patrie », il salua sa reine du vocable de « Patronne des laboureurs ».

Elisabeth avait dix-sept ans quand vint au monde, en 1288, sa première enfant, Constance, qui devait épouser Ferdinand IV, roi de Castille, et mourir en 1313, à vingt-cinq ans, un an après son mari. Peu de temps après cette mort, Elisabeth se rendait de Santarem à Lisbonne avec le roi Denis quand elle rencontra à Vasconcellos un ermite qui l'avertit que sa chère enfant souffrait en purga-toire et y resterait jusqu'à ce qu'une messe quotidienne eût été dite pendant un an pour le repos de son âme. Elle fit appeler un prêtre de grande vertu et le chargea de dire ces messes dans sa cha-pelle particulière. L'année suivante, Constance apparut à sa mère pour lui annoncer son entrée au ciel.

Le 8 février 1291 naissait un fils, Alphonse, qui succéda à son père et régna de 1325 à 1357. Vainqueur des Sarrasins à Tariffa en 1340, il fut surnommé « le Brave ».

Elisabeth eut un troisième enfant, une fille, qui reçut le nom d'Elisabeth et sur laquelle on ne sait rien de particulier. On devine avec quel soin la pieuse reine élevait ses enfants.

Pénibles épreuves. – Trait de justice divine.

Après quelques années d'un bonheur conjugal parfait, le roi se laissa entraîner par de cou-pables passions. La malheureuse reine ne fit pas entendre une plainte, mais elle souffrit beaucoup, moins de son abandon que de l'état de la conscience de son mari et du scandale qui en résultait, non seulement à la cour, mais dans tout le royaume, où la conduite du souverain servait de prétexte aux pires débordements.

Enfin la patience et la douceur de la reine touchèrent le cœur du roi, qui revint à ses devoirs et fit pénitence.

La reine avait un chevalier de grande vertu qui la secondait dans ses aumônes et dans ses œuvres de piété. Un page du roi, jaloux de sa situation, le chargea de calomnies si épouvantables que le roi résolut de le faire périr. Sans réfléchir à l'inanité de cette mensongère accusation, empor-té par la fureur, un jour qu'étant à la chasse il arrivait près d'un four à chaux, il ordonna au maître du four de précipiter dans les flammes l'homme qu'il enverrait le lendemain matin lui demander s'il avait exécuté ses ordres.

Le lendemain, de bonne heure, le roi envoie l'homme de confiance de la reine à l'endroit convenu ; celui-ci, en s'y rendant, passe près d'une église et, entendant la cloche qui annonçait l'instant de la consécration, il entre, assiste à la fin de la messe et aux deux autres qui suivent. Entre temps, le page, désireux de savoir si sa vengeance est accomplie, se rend, lui aussi, au four à chaux ; il y est aussitôt précipité. Le chevalier arrive peu après, apprend qu'on a exécuté l'ordre du roi et va en rendre compte à son souverain. Quelle ne fut pas la stupeur du prince ! Il fit une en-quête et ne tarda pas à reconnaître dans cette affreuse aventure le doigt de Dieu, qui protège les in-nocents et frappe les coupables.

Sainte Elisabeth rétablit la paix.

Alphonse, prince héritier de Portugal, impatient de jouer un rôle politique, chercha, en 1322, à s'emparer de Lisbonne par surprise ; le roi, averti, voulut éviter la guerre en faisant emprisonner le rebelle.

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La reine, partagée entre son amour conjugal et son amour maternel, voulant par-dessus tout éviter l'effusion du sang, fit prévenir Alphonse du danger qu'il courait ; le roi en fut informé ; il l'accusa de prendre le parti de son fils, l'exila à Alenquer, lui retira tous ses revenus et lui interdit de sortir de la ville qu'il fit garder par des sentinelles. Plusieurs seigneurs offrirent leur assistance à la reine en cette pénible circonstance, mais elle refusa, disant que leur première obligation à tous, était de condescendre aux moindres désirs du roi.

Le jeune prince, sous couleur de défendre sa mère, demandait du secours à la Castille et à l'Aragon, pendant que son père levait une puissante armée ; la reine, devant cette extrémité, quitta Alenquer, malgré la défense qui lui en était faite, et accourut à Coïmbre se jeter aux pieds de son mari, qui la reçut avec bonté et consentit à ce qu'elle intervint auprès de son fils. Elisabeth partit pour Pombal, où son fils commandait les troupes rebelles ; elle lui offrit le pardon paternel, et la paix fut rétablie dans le royaume.

Piété et vertus de la souveraine. – Miracle des roses.

Chaque matin, la pieuse reine commençait sa journée dans sa chapelle et y récitait Matines et Laudes, puis assistait à la sainte messe.

Ses oraisons étaient longues ; elle avait le don des larmes à un haut degré et aspirait à souffrir pour Notre-Seigneur. En Carême, elle portait sous ses vêtements de durs cilices et faisait des jeûnes rigoureux. Le vendredi, elle nourrissait, avec l'assentiment du roi, douze pauvres dans ses appartements, elle les servait elle-même, leur donnait des vêtements, des chaussures et de l'argent.

Souvent elle visitait les hôpitaux, s'approchait des malades, s'informait de leurs souffrances, et plus d'une fois, après cette visite, les pauvres gens étaient guéris ou éprouvaient une grande amé-lioration.

Un jour, au monastère de Chelas, à Lisbonne, elle se rendait à l'infirmerie auprès d'une reli-gieuse qui se mourait d'un cancer à la poitrine ; elle voulut voir la plaie, la toucha, et l'affreux mal disparut instantanément. Une autre fois, elle guérit de même une de ses servantes.

Elle fonda, sous la patronage de sa grand’tante, sainte Elisabeth, un hôpital pour quinze hommes et quinze femmes. Pour être près des religieuses et des pauvres, elle se fit bâtir en face un palais qu’elle laissa par testament au couvent, en stipulant, pour épargner tout ennui de voisinage aux religieuses, que seuls les rois, reines ou infants pourraient l’habiter.

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Sainte Elisabeth soigne un malade pauvre.

Comme on élevait ces constructions, la reine portait un jour, aux ouvriers des pièces de mon-naie dans sa robe ; le roi, la rencontrant, lui demanda ce qu'elle portait ainsi ; elle entrouvrit son vêtement, et le roi vit s'en échapper un flot de roses. Une des portes du monastère de Sainte-Claire a été appelée la « porte des Roses » en souvenir de ce miracle.

Construction d'une église. – Miracles nombreux.

Une nuit, dans un songe, l'Esprit-Saint lui ordonna d'édifier en son honneur un temple à Alen-quer. Dès l'aurore, la pieuse reine fit offrir le Saint Sacrifice par son chapelain et pria le Seigneur de lui manifester clairement sa volonté. Aussitôt après, elle envoya des architectes à l'endroit qui lui semblait le plus convenable pour la construction projetée, et ils revinrent lui dire que les tran-chées de fondations étaient ouvertes et que tout était disposé pour la construction. Or, la veille en-core, il n'y avait rien. Le roi ordonna une enquête et fit rédiger un procès-verbal de ce fait mer-veilleux ; la reine se rendit sur les lieux et fut si émue à la vue de ce prodige qu'elle eut une extase de plus d'une demi-heure.

A quelque temps de là, comme Elisabeth allait visiter les travaux, elle rencontra une jeune fille qui portait un bouquet elle le prit et en remit une des fleurs à chacun des ouvriers ; ceux-ci les mirent en lieu sûr, et quand, le soir, ils voulurent reprendre leur fleur, chacune s'était changée en un doublon d'or. D'innombrables merveilles marquèrent la construction de cette belle église et les fêtes qui se donnèrent pour son inauguration. Au bas du parc d'Alenquer coulait un fleuve dans le-quel la reine lavait les draps et les linges des malades de l'hôpital ; au contact de ses mains, l'eau prit une vertu merveilleuse et beaucoup de malades réputés incurables revinrent à la santé.

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Mort du roi Denis.

Le roi était avec la reine à Lisbonne quand, se trouvant fatigué du climat, il voulut se rendre à Santarem, mais, à peine arrivé à Villanueva, la fièvre augmenta et il dut s'y arrêter.

Aussitôt la reine dépêcha des courriers pour faire venir son fils et se hâta de faire transporter le malade à Santarem. L'état du roi devint bientôt si alarmant qu'on dut lui administrer les derniers sacrements. La reine, qui ne le quittait pas, le soigna avec un absolu dévouement et l'amena à un abandon parfait à la volonté de Dieu. Le malade, ayant recommandé la reine, à son fils, mourut pieusement le 7 janvier 1325.

La reine se retira dans son oratoire, afin de donner libre cours à sa douleur, se dépouilla de ses vêtements royaux, revêtit une pauvre robe de Clarisse retenue par une corde grossière, et se couvrit la tête d'un voile.

En attendant le jour des funérailles, qui eurent lieu à Odinellas, elle fit célébrer beaucoup de messes et dire des prières pour le repos de l'âme de son mari ; elle conduisit sa dépouille mortelle au tombeau, accompagnée de son fils, Alphonse, et d'un grand nombre de prélats, de seigneurs et d'ecclésiastiques.

Pèlerinage à Compostelle. – La reine chez les Clarisses.

Durant son deuil, la pieuse reine résolut de se rendre en pèlerinage au tombeau de saint Jacques, à Compostelle. Ayant choisi quelques compagnes, elle sortit secrètement d'Odinellas, es-pérant pouvoir voyager incognito, mais sa réputation de sainteté l'avait partout précédée. Comme elle passait à Arrifana de Santa-Maria, au diocèse d'Oporto une femme se précipita à ses pieds, la suppliant de toucher les yeux de sa fille aveugle-née. La reine fit une large aumône, mais la pauvre femme insistant pour qu'elle touchât les yeux de l'infirme, elle y condescendit. La guérison de l'en-fant fut constatée quelques jours après seulement, et nous pensons que Dieu permit ce délai pour ménager l'humilité de sa servante.

Arrivée en vue de la cathédrale de Saint-Jacques, Elisabeth descendit de sa litière, baisa la terre à plusieurs reprises, se rendit à pied à la ville et y passa deux jours auprès du tombeau de l'apôtre, mais, le 25 juillet, au jour de la fête du Saint, ses riches cadeaux révélèrent l'identité de cette humble pèlerine. Elle conserva toujours comme une relique un bâton incrusté d'argent et de pierres précieuses que l'évêque lui donna.

Au retour de Compostelle, Elisabeth résolut de réaliser le dessein qu'elle avait toujours eu d'embrasser la vie religieuse et d'entrer dans l'Ordre des Pauvres Clarisses, afin que son sacrifice fut plus complet. Elle se rendit donc au couvent de Coïmbre.

Mais, sur l'avis de ses directeurs, elle n'y demeura qu'à titre d'affiliée ou de Tertiaire. Elle ne voyait que les moniales et les pauvres de l'hôpital dont elle faisait les lits et auxquels elle rendait les services les plus humbles ; souvent elle prenait ses repas avec la communauté, et avait toujours auprès d'elle, par une faveur spéciale, sept religieuses.

Nouveau pèlerinage. – Efforts pour la paix.

Malgré le silence dont la Sainte s'était entourée, elle avait été reconnue au cours de son pre-mier pèlerinage à Compostelle ; aussi, désireuse de s'y rendre de nouveau, résolut-elle d'y aller dans un secret absolu et à pied avec deux ou trois pieuses femmes.

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Elle avait alors soixante-quatre ans, le trajet était long, et, ne voulant vivre que d'aumônes, elle portait sur ses épaules une besace où, elle enfermait les morceaux de pain qu'elle mendiait le long de la route.

A peine de retour à Coïmbre, la reine eut la douleur d'apprendre que des hostilités venaient d'éclater entre le roi de Castille Alphonse IV, son petit-fils, et le roi Alphonse IV de Portugal, son fils. Pour le bien de la paix, Elisabeth résolut d'aller trouver son fils à Estremoz, où il avait ras-semblé son armée.

C'était un voyage de plus de trente lieues ; on était au milieu de juin, la chaleur était accablante ; la reine tomba malade et un abcès pernicieux ne tarda pas à se déclarer. La fièvre était grande et on jugea tout de suite le mal très grave. Aussi la sainte reine reçut-elle, à sa demande, les derniers sacrements.

Sa mort. – Prodiges qui la suivirent.

Dès lors, Elisabeth ne pensa plus qu'à travailler à la paix pour laquelle elle venait d'exposer sa vie, et persuada à son fils de renoncer à la guerre. Les médecins, arrivés à ce moment-là, trou-vèrent le pouls faible.

Comme ils sortaient de sa chambre, Elisabeth voulut se lever du lit sur lequel elle reposait tout habillée ; dès que ses pieds touchèrent le sol, elle tomba dans un profond évanouissement ; revenue à elle, elle vit qu'elle se mourait, récita le Credo, une prière à la Vierge, baisa son crucifix et s'en-dormit dans le Seigneur, le juillet de l'an 1336, à l'âge de soixante-cinq ans.

Par son testament, Elisabeth léguait tous ses biens au monastère de Sainte-Claire de Coïmbre, demandait d'y être enterrée, mais interdisait qu'on l'embaumât.

Or, la chaleur était si grande qu'une rapide corruption était à craindre, et l'on ne savait à quoi se résoudre pour ne pas désobéir à la reine. Enfin, revêtu de la robe de Sainte-Claire et enveloppé dans un linceul, son corps fut déposé dans un simple cercueil de bois.

Au soir du premier jour, les porteurs remarquèrent qu'une sorte d'humeur coulait au travers des jointures ; effrayés, ils crurent d'abord que c'était un signe de décomposition, mais furent remplis d'admiration quand ils sentirent le parfum suave de ce suintement. Des phénomènes semblables sont rapportés dans la vie de plusieurs saints.

Deux belles guérisons eurent lieu au cours de la translation des précieux restes. Après sept jours de voyage, le cortège arriva à Coïmbre ; la foule était si compacte, qu'afin d'éviter le zèle d'une dévotion indiscrète, l'évêque ordonna de renfermer nuitamment le corps dans l'urne qui avait été préparée pour le recevoir.

Les miracles se multiplièrent auprès de ce tombeau. Au procès de canonisation, on reconnut la guérison de six moribonds, de cinq paralytiques, de deux lépreux, d'un fou furieux ; le Fr. Antoine de Escobar rapporte même la résurrection de dix morts.

Elisabeth a été béatifiée par Léon X en 1516. Le 26 mars 1612, son tombeau fut ouvert et l'on trouva son corps parfaitement conservé ; il s'en exhalait des parfums incomparables. Elle a été ca-nonisée par Urbain VIII, le 25 mai 1625, dimanche de la Trinité. Sa fête, d'abord placée au 4 juillet, fut transférée au 8 juillet par décret d'Innocent XII en 1695.

Sainte Elisabeth est la patronne des villes de Saragosse où elle est née, d'Estremoz où elle est morte, de Coïmbre où elle a vécu sur le trône et dans le cloître, et de tout le royaume de Portugal.

C. De Loppinot

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Sources consultées. – Mgr De Moucheron, Sainte Elisabeth d'Aragon, reine de Portugal et son temps (Paris, 1896). – H. Lebon, Vie de sainte Elisabeth de Portugal (Tours, 1893). – Mme C. Lebrun, Vie de sainte Elisabeth, reine de Portugal (Nevers, 1890). – (V.S.B.P., n° 231 et 1596.)

SAINTE VÉRONIQUE GIULIANIAbbesse Capucine (1660-1727)

Fête le 9 juillet.

Dans le cours de l'année 1664, une pieuse mère de famille, nommée Benoîte Mancini, était sur le point de mourir. Sa vie s'était écoulée dans la pratique des vertus chrétiennes. Mariée à Fran-çois Giuliani, l'un des hommes les plus honorables de Mercatello, ville du duché d'Urbino, en Italie centrale, elle avait été mère de sept filles, mais deux l'avaient déjà précédée dans l'éternité. Elle ap-pela les cinq autres autour de son lit de douleur, leur montra le Crucifix en disant :

- Que les plaies de notre divin Sauveur soient votre refuge durant toute votre vie, je lègue à chacune de vous l'une de ces plaies sacrées.

Ursule, la plus jeune, âgée seulement de quatre ans, reçut pour sa part la plaie du côté divin, la blessure du Cœur de Jésus, d'où s'écoulent tous les trésors d'amour. C'était par une disposition pro-videntielle, car le divin Roi avait choisi cette âme dès sa naissance pour en faire un des fleurons de sa couronne, et l'avait prévenue de grâces extraordinaires.

Enfance merveilleuse.

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Née le 27 décembre 1660, Ursule, qui devait prendre plus tard le nom de Véronique, commen-ça dès son berceau à jeûner le mercredi, le vendredi et le samedi, jours plus spécialement consa-crés au culte de Jésus souffrant et de sa sainte Mère.

Elle n'avait pas encore deux ans, lorsque, se trouvant avec une servante de sa mère dans la boutique d'un marchand, elle dit d'une voix claire à cet homme qui cherchait à tromper sur le poids :

- Soyez juste, car Dieu vous voit.A l'âge de trois ans, elle avait déjà des communications familières avec Jésus et Marie. Elle or-

nait avec beaucoup de goût un petit autel devant une image de la Sainte Vierge tenant le divin En-fant dans ses bras. C'est là qu'elle aimait surtout prier. Souvent elle déposait son déjeuner sur cet autel, et, avec une naïveté charmante, avant d'y toucher, elle invitait le petit Jésus à en prendre sa part. Dieu, qui aime l'innocence et la simplicité, avait pour agréable l'amour ingénu de cette enfant ; plus d'une fois, l'image muette de la Vierge s'anima, l'Enfant divin descendit des bras de sa Mère dans les bras d'Ursule, et goûta des fruits déposés sur l'autel.

Pleine de charité pour les pauvres, elle donna un jour ses souliers à une petite mendiante qui n'en avait point. Peu de temps après, elle les vit aux pieds de la Sainte Vierge, tout éclatants de pierreries.

Elle avait choisi pour modèles sainte Catherine de Sienne et sainte Rose de Lima, et s'appli-quait à mortifier son corps à leur exemple. Sa main ayant été prise dans une porte, le sang coula abondamment, mais elle ne se laissa soigner que par obéissance, tant elle désirait souffrir pour l'amour de Jésus.

La mort de sa bonne mère fut pour son cœur une immense épreuve, mais qui servit encore à l'affermir dans la piété, en lui montrant de plus près le néant du monde et les grandeurs de la vie future.

Son père, nommé surintendant des finances à Plaisance, alla s'y établir en 1668. C'est dans cette ville qu'Ursule fit sa première Communion, à l'âge de dix ans. Dès qu'elle eut reçu son divin Sauveur, elle sentit son cœur embrasé. De retour à la maison, elle demanda naïvement à ses sœurs s'il en était toujours ainsi quand on communiait.

Son père, qui l'aimait d'une affection toute particulière, songeait à lui préparer un brillant ma-riage ; plusieurs nobles jeunes gens aspiraient à sa main ; mais ce fut en vain qu'on mit tout en œuvre pour l'attirer dans le monde et obtenir son consentement.

- Vos instances sont inutiles, répondait-elle, faites ce que vous voudrez, je serai religieuse.

Sœur Véronique, religieuse Capucine.

Après bien des résistances, son père finit par céder à ses prières, et lui permit d'entrer chez les Capucines de Citta di Castello. Ursule y prit l'habit le 23 octobre 1677, sous le nom de Sœur Véro-nique ; elle était en sa dix-septième année.

Dès le premier jour, sa ferveur fut à l'aise au milieu des observances très austères de ce couvent ; et, par une parfaite pratique de la règle, elle s'appliquait à devenir une vraie fille de saint François. Son courage, sa joie, sa modestie édifiaient toutes les Sœurs. Cependant le démon ne tar-da pas à l'assaillir de tentations de toutes sortes pour jeter dans son âme le trouble, la tristesse et le découragement ; il essaya même de la faire chasser du couvent, par un singulier stratagème ; il prit l'habit et la figure de Véronique, et ainsi déguisé, il alla dire à une religieuse tout le mal possible de la maîtresse des novices ; mais, par une protection de Dieu, le stratagème fut découvert.

Le soutien de la jeune novice au milieu de ses peines était la méditation de la Passion de Notre-Seigneur ; à cette école, elle apprenait à s'immoler entièrement à son divin Roi, et à le servir coûte que coûte, même sans consolation aucune.

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Le 1er novembre 1678, Sœur Véronique prononça ses vœux, avec une immense allégresse. Elle en célébra avec reconnaissance l'anniversaire toute sa vie.

La noble fille de François Giuliani s'acquitta successivement des divers emplois du monastère, suivant que l'obéissance et la charité le demandaient : elle fut cuisinière, dépensière, infirmière, sa-cristine, portière, donnant partout l'exemple de toutes les vertus. Douce et prévenante vis-à-vis de toutes les Sœurs, elle était empressée à les suppléer au besoin dans leurs charges et à prendre sur elle le plus désagréable et le plus pénible. Dans les emplois de cuisinière et d'infirmière, elle éprouva d'abord des répugnances naturelles dont elle triompha par des actes héroïques. Ainsi elle avait de la peine à supporter l'odeur de certains poissons, elle en prit un dans sa cellule ; elle l'ap-prochait souvent de sa bouche et elle le conserva jusqu'à ce qu'il fut corrompu. Elle avait coutume de dire : « Quiconque veut être à Dieu doit mourir à soi même. » C'est ce qu'elle pratiquait sans cesse.

A l'âge de trente-quatre ans, Sœur Véronique fut nommée maîtresse des novices et pendant vingt-deux ans qu'elle eut à remplir ces importantes fonctions elle forma un grand nombre de reli -gieuses, dont plusieurs parvinrent à un très haut degré de perfection. Telle fut, par exemple, la vé-nérable Florine Céoli, qui succéda plus tard à notre Sainte dans le gouvernement du monastère.

La prudente Mère s'efforçait de conduire ses filles par la voie de la sainte humilité, ainsi que l'Enfant Jésus le lui avait recommandé dans une apparition le jour de Noël. Elle savait qu'on doit marcher par les voies ordinaires, à moins que l'Esprit-Saint ne réclame manifestement une autre di-rection : elle s'appliquait donc à bien instruire ses novices des commandements de Dieu et de la doctrine chrétienne, de la règle, des constitutions et du cérémonial

- Ne négligez point, répétait-elle, les petites choses, car elles ne sont pas aux yeux de Dieu ce qu'elles paraissent aux yeux des hommes.

Elle ne permettait pas à ses novices de lire des livres de hauts mystiques, ne leur laissant que les ouvrages les plus simples, tels que la Vie des Saints, et le Traité de la Perfection chrétienne, de Rodriguez. Dans leurs peines ou leurs maladies, elle les consolait et les soignait comme la plus tendre des mères et s'offrait à Dieu en victime à leur place.

Fille de la Croix.

Mais nous n'avons montré jusqu'ici qu'un côté de cette grande âme. Au milieu de tous ces em-plois extérieurs, Sœur Véronique souffrait un martyre d'amour en union avec Jésus crucifié. Il fau-drait des pages pour le raconter même incomplètement. Ce martyre commença dès les premiers temps de sa vie religieuse.

Il me semble voir, dit-elle, Notre-Seigneur portant sa croix sur ses épaules et m'invitant à partager avec lui ce précieux fardeau... J'éprouvai un ardent désir de souffrir, et il me sembla que le Seigneurs plantait sa croix dans mon cœur et me faisait comprendre par là le prix des souffrances. Voici comment j'en fus ins-truite : Je me trouvais comme environnée de toutes sortes de peines, et au même moment, je vis ces peines transformées en joyaux et en pierres précieuses, qui toutes étaient taillées en forme de croix. Il me fut en même temps révélé que Dieu ne voulait de moi que des souffrances ; et alors la vision disparut. Lorsque je fus revenue à moi-même, je ressentis dans mon cœur une violente douleur qui ne m'a plus quittée depuis, et le désir que j'avais de souffrir était si vif, que j'aurais volontiers affronté tous les tourments imaginables. A partir de ce moment, j'ai toujours eu à la bouche ces paroles : « La croix et Les souffrances sont de vrais trésors, de pures délices. »

La figure de la croix et des autres instruments de la Passion fut alors imprimée réellement et physiquement dans son cœur, ainsi qu'on le vit après sa mort. On sait que sainte Claire de Monte-falco, religieuse Augustine, avait reçu autrefois une faveur semblable.

Pendant tout le cours de sa vie religieuse, Véronique aima tellement ce béni fardeau de la croix de Jésus, qu'en signant son nom elle ajoutait ce titre : « Fille de la Croix ». Un jour d'Assomption,

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la Sainte Vierge apparut à la servante de Dieu : elle recevait un calice des mains de son divin Fils et, le présentant à Véronique : « Ma fille, lui disait-elle, je vous fais ce don précieux de la part de mon Fils. » Sainte Catherine de Sienne, sainte Rose de Lima, qui accompagnaient la Reine des vierges, firent signe à Véronique d'accepter.

Le jour de la fête de saint Augustin, le divin Sauveur se montra de nouveau à sa servante, suivi du Docteur d'Hippone, et lui présenta un calice rempli d'une liqueur qui bouillonnait et débordait ; les anges en recevaient les gouttes dans des coupes d'or, qu'ils présentaient ensuite au trône de Dieu. Il fut révélé à Véronique que cette liqueur figurait les souffrances qu'elle aurait à endurer pour l'amour de Notre-Seigneur.

Elles furent nombreuses, longues et terribles. Ce furent de douloureuses et interminables mala-dies, des tentations violentes de l'Esprit des ténèbres, qui alla jusqu'à la meurtrir de coups ; elle éprouva des sécheresses, des obscurités et des désolations intérieures ; il lui semblait parfois que Dieu, sourd à ses prières, s'était à jamais retiré d'elle pour l'abandonner à une agonie plus cruelle que la mort.

Mais sa main divine restait là, soutenant invisiblement le courage de son héroïque servante, qui demeurait invincible, répétant au milieu de ses dégoûts et de ses angoisses :

- Dieu soit loué ! Pour son amour, tout cela est bien peu de chose. Vive la croix toute seule et toute nue ! Vive la souffrance ! J'accepte tout pour suivre le bon plaisir de Dieu et faire son ado-rable volonté !

Le 4 avril 1694, Jésus-Christ lui apparut, la tête couronnée d'épines, à cette vue, Véronique s'écria :

- O mon Epoux, donnez-moi ces épines ; c'est moi qui les mérite, et non vous, mon souverain Bien !

Le Sauveur lui répondit :- Je suis venu pour te couronner, ma bien-aimée.Et, ôtant de sa tête la douloureuse couronne, il la plaça sur celle de Véronique. La souffrance

qu’elle en éprouva fut telle, qu’elle n’en avait jamais ressenti de semblable. Sa tête demeura dès lors couronnée de douleurs qui ne la quittèrent plus ; elles augmentaient d’intensité chaque vendre-di, pendant les jours de carnaval, durant le Carême et surtout pendant la Semaine Sainte. Les mé-decins, en voulant guérir ce mal, ajoutèrent encore à ses souffrances : il lui appliquèrent un bouton de feu à la tête, lui percèrent la peau du cou avec une grosse aiguille rougie pour lui faire un séton. Rien ne réussit, et ils avouèrent que cette maladie leur était inconnue.

Avec l’humilité d’une sainte, Véronique dévoilait très franchement à son confesseur et direc-teur tout ce qui se passait en elle, le bien comme le mal et les grâces extraordinaires que Dieu lui accordait. C’est le plus sur moyen, comme l’enseigne sainte Thérèse, de ne pas s’égarer, et de ne pas être victime des illusions du démon. Son obéissance était parfaite.

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Jésus couronne sainte Véronique de sa couronne d'épines.

Le 5 mars 1695, Notre-Seigneur lui avait demandé de jeûner pendant trois ans au pain et à l'eau. Ses supérieurs refusèrent d'abord de le lui permettre, et comme le divin Maître renouvelait son ordre, elle lui dit :

- Je veux vous obéir, ô mon Dieu ; or, votre volonté, je le sais, est que je ne fasse, en toutes choses, que ce qui m'est permis par ceux qui sont ici-bas vos représentants à mon égard. Si donc vous voulez que je remplisse vos ordres, disposez en conséquence l'esprit de ceux que vous avez chargés de me diriger.

C'est ce qui arriva, et la permission désirée fut accordée.Le Vendredi-Saint 5 avril 1697, pendant qu'elle méditait les souffrances du Sauveur, pleurant

ses péchés et demandant la grâce de souffrir avec Jésus-Christ, ce divin Maître lui apparut cruci-fié : de ses cinq plaies sortirent des rayons enflammés qui lui firent autant de blessures aux pieds, aux mains et au côté ; en même temps, elle ressentit une grande douleur et se trouva dans un état de gêne semblable à celui d'une personne qui serait clouée à une croix. Elle endura aussi plusieurs fois le supplice de la flagellation.

L'or dans la fournaise.

Cependant, l'autorité ecclésiastique, avertie des faits extraordinaires qu'on remarquait en Sœur Véronique, voulait éprouver l'esprit qui l'animait et constater si ces phénomènes venaient de Dieu ou de l'Esprit des ténèbres, si habile à tromper les âmes pour les perdre. Par ordre du tribunal du Saint-Office, l'évêque de Citta di Castello fut donc chargé de mettre à l'épreuve l'humilité, la pa-

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tience et l'obéissance de Véronique, car ce sont là les pierres de touche de la vraie sainteté.On lui ôta sa charge de maîtresse des novices, on la traita durement, jusqu'à l'appeler, une sor-

cière ; on la mit à part de la communauté comme une brebis galeuse ; une cellule de l'infirmerie lui fut assignée comme prison, avec défense d'aller au chœur même pour assister à l'Office et en-tendre la Messe, excepté les jours de précepte. Le parloir lui fut interdit, elle ne pouvait écrire au-cune lettre, sinon à trois de ses sœurs, religieuses à Mercatello. Enfin, elle fut mise sous la garde d'une Sœur converse, qui avait ordre de lui commander et de la surveiller de près. On la priva de la sainte Communion, épreuve plus sensible à son cœur que toutes les autres.

Le démon, pour l'accabler, s'efforça de son côté de la perdre dans l'estime des Sœurs et de la faire passer pour une hypocrite. Renouvelant son ancien stratagème, il prenait sa figure et se faisait voir mangeant à la dérobée et hors des heures prescrites, tantôt au réfectoire, tantôt à la cuisine ou à la dépense. C'était précisément l’époque où Véronique avait obtenu la permission de jeûner du-rant trois ans ; qu'on juge de l'étonnement des religieuses, témoins de ces infractions à la règle. Un jour, l'une d'elles, croyant apercevoir ainsi Sœur Véronique mangeant en cachette, courut au chœur pour avertir la Supérieure. Quelle ne fut pas sa surprise d'y trouver aussi la véritable Sœur Véronique, tranquillement à genoux, vaquant à la prière ! Ainsi fut découverte la supercherie de l'esprit infernal. Au reste, au milieu de toutes ces épreuves, la Sainte restait calme et douce, heu-reuse d'être humiliée et de souffrir. Et l'évêque de Citta di Castello, Luc-Antoine Eustachi, pouvait écrire au Saint-Office le 26 septembre 1697 :

La Sœur Véronique continue à vivre dans la pratique d'une exacte obéissance, d'une humilité profonde et d'une abstinence remarquable, sans jamais montrer de tristesse ; au contraire, elle fait paraître une tran-quillité et une paix inexprimables. Elle est l'objet de l'admiration de ses compagnes, qui, ne pouvant cacher le sentiment qu'elle leur inspire, en entretiennent les séculiers. J'ai bien de la peine à les retenir comme je voudrais ; cependant, je menace celles qui parlent le plus de leur imposer des pénitences, pour ne pas aug-menter la curiosité et les discours du peuple.

La sainte abbesse.

Le 5 avril 1716, les Sœurs l'élurent à l'unanimité pour abbesse du monastère, et elle resta supé-rieure jusqu'à sa mort, en 1727. Elle veillait avec un grand soin à maintenir dans le couvent la pau-vreté franciscaine dans toute sa rigueur.

Sœur Constance Dini étant venue à mourir, la sainte abbesse vit son âme dans les flammes du purgatoire, pour avoir gardé dans sa cellule plusieurs petites choses inutiles. Elle

courut aussitôt à la cellule de la défunte, et, enlevant toutes les superfluités, elle disait avec dou-leur :

- Ah ! si ma Sœur Constance pouvait revenir parmi nous, comme elle ôterait promptement tout cela !

Toutefois, elle voulait que la plus grande pauvreté des vêtements fut toujours accompagnée de la décence et de la propreté. Elle fit exécuter des réparations nécessaires au couvent ; construire un grand dortoir, élever une chapelle intérieure, et procura plusieurs avantages très utiles au bien gé-néral de la communauté.

Rien n'égalait sa charité pour le salut des pécheurs. Aussi ne passait-elle pas de jour sans prier et souffrir pour leur conversion. On l'a vue verser des larmes de sang sur le malheur des âmes en état de péché mortel. Elle s'offrait à Dieu en victime pour leur salut, et conjurait ses Sœurs de s'unir à elle.

Voici un passage d'une prière qu'elle écrivit de son propre sang :

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Je vous demande, disait-elle à son céleste Epoux, la conversion des pécheurs ; je me place de nouveau entre vous et eux. Me voilà prête à donner mon sang et ma vie pour leur salut et pour la confirmation de la sainte foi. O mon Dieu ! c'est au nom de votre amour, c'est au nom de votre Cœur sacré que je vous adresse cette prière. O âmes rachetées par le sang de Jesus ! O pécheurs ! Venez tous à son Cœur adorable, fon-taine de vie, à l'océan incommensurable de son amour. Venez tous, pécheurs et pécheresses, quittez le pé-ché, venez à Jésus.

Ses confesseurs ont déclaré que beaucoup de personnes avaient dû leur conversion à ses prières et à ses pénitences. Elle a également délivré des flammes du purgatoire un grand nombre d'âmes ; et il plut à Dieu de lui en montrer plusieurs. C'est ainsi qu'elle vit sortir des flammes ex-piatrices l'âme du P. Capelletti, ancien confesseur de la communauté, celle de Mgr Eustachi, son évêque, mort en 1715, et celle du Pape Clément XI en 1721.

Parvenue au plus haut degré de la vie spirituelle, Notre-Seigneur l'honora de ces mystiques fiançailles qui sont le prélude de l'union bienheureuse du ciel. Dans une splendide vision, le Roi de gloire lui apparut au milieu des chœurs angéliques, qui remplissaient l'air de concerts mélodieux, et lui mit au doigt un anneau nuptial sur lequel était gravé le nom de Jésus.

Il lui donna en même temps de nouvelles règles de vie, afin que, morte à elle-même, elle fut soumise en tout à son adorable volonté.

Plus d'une fois, elle reçut la sainte Communion de la main d'un ange, de la Très Sainte Vierge ou de Jésus-Christ lui-même. Elle eut le don des miracles et celui de prophétie. Et tout cela sans ja-mais cesser d'être humble et de souffrir comme une vivante image de Jésus crucifié.

La mort.

Après cinquante ans de cette vie d'immolation, l'heure de la récompense sonna enfin pour elle. Fortifiée par les derniers sacrements, et sur le point d'expirer, elle interrogea du regard son con-fesseur. Celui-ci se souvint qu'elle avait souvent déclaré ne vouloir mourir que par obéissance.

- Sœur Véronique, dit-il, s'il plaît à Dieu que vous alliez jouir de lui, sortez de ce monde.A ces mots, la Mère abbesse baissa les yeux en signe de soumission, puis elle jeta un dernier

regard d'adieu sur ses chères filles, et inclinant la tête, elle expira, le vendredi 9 juillet 1727.Béatifiée par Pie VII le 8 juin 1804, elle a été canonisée par Grégoire XVI le 26 mai 1839. Son

nom est inscrit le 9 juillet au Martyrologe Romain, mais l'Ordre franciscain célèbre sa fête le 13 septembre.

Maxime Viallet.

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Sources consultées. – Ctesse M. De Villermont, Sainte Véronique Giuliani, abbesse des Capucines (Paris, 1910). – (V.S.B.P., n° 605.)

SAINT JANVIER ET SES SIX FRÈRESFils de sainte Félicité, martyrs (t 162).

Fête le 10 juillet.

En l'année 162 de l'ère chrétienne, Rome était gouvernée de fait par le fils adoptif du vieil empereur Antonin, qui prit le nom de Marc-Aurèle en montant sur le trône des Césars. Le jeune prince, qui s'était associé Lucius Verus, affectait de se poser en philosophe ; il était pourtant très superstitieux vis-à-vis des dieux du paganisme, et, malgré une seconde apologie de saint Justin en faveur des chrétiens innocents, il allait rouvrir en 162, tandis que son associé Lucius Verus était en Orient, occupé à combattre contre les Parthes, une nouvelle ère de persécution.

Sainte Félicité vit ces sept fils parmi les premières victimes, avant de les suivre de près dans le tombeau et dans la gloire. Les anciens Martyrologes de Bède, Usuard, Adon, d'autres encore, citent les noms des sept martyrs. Leur passion est décrite dans les Actes de leur sainte mère.

Une mère admirable.

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Félicité appartenait par sa naissance à l'une des familles patriciennes de la ville (peut-être la fa-mille ou gens Claudia), mais ses vertus personnelles la rendaient plus illustre encore. Dieu lui avait donné sept fils : Janvier, Félix, Philippe, Silvain ou Silanus, Alexandre, Vital et Martial. Leur mère les instruisit dès leur plus jeune de la foi et des vertus chrétiennes.

Devenue veuve, elle se voua au service de Dieu, dans la continence parfaite, consacrant ses jours à la prière, à l'éducation de ses enfants et aux bonnes œuvres.

Les pontifes idolâtres, furieux de son influence croissante, résolurent d'en référer à l'empereur. Celui-ci, pour donner à l'affaire la suite qu'elle semblait comporter, la confia au préfet de Rome Publius.

On s'est longtemps demandé qui était le préfet de ce nom.Aujourd'hui, l'épigraphie romaine démontre que dans la série des préfets de Rome l'inconnu

Publius qui cita à son tribunal sainte Félicité est précisément Salvius Julianus, le célèbre juriscon-sulte qui rédigea l'édit perpétuel et pour lequel Marini et Borghesi, sur la foi d'inscriptions an-tiques, ont revendiqué le nom de Publius. (H. Leclercq.)

Le fait même de désigner ce haut fonctionnaire par son seul prénom, ce qui est contraire à l'ha-bitude des Romains, mais conforma à l'habitude des Grecs, concourt avec d'autres détails, notam-ment le titre de roi donné à l'empereur, à laisser croire que les Actes de sainte Félicité et de ses fils ont été traduits d'après un texte grec, la langue grecque était d'ailleurs courante à Rome au IIe siècle.

Dès le lendemain, Félicité fut convoquée chez le magistrat, qui essaya, d'abord avec une défé-rente douceur, puis avec des menaces, de détourner la pieuse veuve de ses devoirs de chrétienne et d'éducatrice. Il se heurta à une attitude inébranlable, et décida de recourir à la procédure légale.

Les enfants de sainte Félicité devant le préfet de Rome.

Le jour suivant, Félicité et ses sept fils durent comparaître devant le même Publius, siégeant à son tribunal du forum d'Auguste, appelé plus tard le forum de Mars parce qu'il se trouvait près du temple de Mars Vengeur. Cette fois, le préfet était entouré de tout l'appareil judiciaire. S'adressant à la mère, le fonctionnaire impérial l'engagea à persuader ses enfants de sacrifier aux idoles. Le dialogue nous a été conservé ; il respire un tel accent de sincérité, qu'il a été considéré comme re-produisant authentiquement les notes du greffier. Félicité, loin de prêter attention aux menaces du préfet, ne songe qu'aux sept âmes que le Créateur lui a confiées :

« Mes enfants, s'écrie-t-elle, regardez le ciel. Tenez vos yeux en haut : c'est là que Jésus-Christ vous attend avec ses Saints. Combattez courageusement pour le salut de vos âmes et montrez-vous fidèles dans l'amour de Dieu !

Irrité par cette attitude qu'il considérait comme un affront, Publius donna l'ordre à ses soldats de souffleter la courageuse mère et de l'emmener hors du prétoire. Alors eut lieu la comparution des sept enfants. Le premier appelé fut l'aîné, qui avait nom Janvier. Publius lui promet des biens immenses s'il consent à sacrifier aux idoles ; il le menace de l'accabler de coups s'il refuse. L'en-fant, digne de sa vaillante mère, répond :

« Vos propositions sont insensées, mais j'ai pris pour guide la sagesse de Dieu. C'est lui qui me donnera la victoire sur votre impiété. »

Le préfet ordonne de le battre de verges, et ensuite on le jette tout sanglant dans un cachot. Il fait comparaître le deuxième, Félix, et l'exhorte à être plus sage que son frère, afin de s'éviter un pareil châtiment :

«  Il n'y a qu'un seul Dieu, dit Félix, c'est celui que nous adorons. A lui nous offrons le sacri-fice de nos cœurs. Ne pensez pas pouvoir nous ravir l'amour de Jésus-Christ, vos tourments n'y réussiront pas plus que vos mauvais conseils.»

Le juge le renvoie en prison, et, s'adressant au troisième, nommé Philippe, il lui dit : « Notre

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invincible empereur, Antonin, Auguste, te commande de sacrifier aux dieux tout-puissants . Ce ne sont pas des dieux, répond le jeune homme ; ils n'ont aucune puissance ; ce sont de vaines statues misérables et insensibles. Ceux qui leur offrirent des sacrifices seront punis de châtiments éternels. »

Publius fait un signe d'impatience, et on reconduit Philippe en prison.Silvain ou Silanus, le quatrième, est présenté au préfet : « Je vois, lui dit le magistrat, que vous vous êtes entendus avec votre méchante mère de telle

sorte qu'ayant méprisé les ordres des princes, vous allez tous être mis à mort. – Si nous craignions ce supplice d'un instant, dit l'enfant avec calme, nous nous exposerions à des châtiments sans fin. Et parce que nous savons d'une manière certaine quelles récompenses sont réservées aux justes, et quels châtiments attendent les pécheurs, nous méprisons avec assurance vos lois romaines ; et ainsi nous gardons les commandements divins, nous méprisons les idoles, nous servons le Dieu tout-puissant et nous trouverons la vie éternelle. Mais ceux qui adorent les démons les rejoindront à l'heure de la mort, dans le feu éternel. »

Pendant qu'on emmène Silvain, Publius interroge Alexandre : « Tu sauveras ton existence encore en pleine jeunesse si tu es obéissant et fais ce qu'ordonne

notre empereur. Sacrifie aux dieux et nos Augustes t'aimeront et ils te combleront de faveurs. – Je suis le serviteur de Jésus-Christ, répond Alexandre. Ma bouche atteste sa divinité, mon cœur l'aime, et je l'adore sans cesse. Si jeune que l'on soit, on montre plus de sagesse qu'un vieillard en adorant le vrai Dieu. Vos fausses divinités périront avec leurs adorateurs. »

Vital, le sixième, est appelé à son tour. Jouant peut-être sur le nom de l'accusé, qui évoque l'idée de la vie et de la force :

« Toi, du moins, mon enfant, lui dit le préfet, tu veux vivre, tu ne veux pas te laisser tuer ? »L'enfant de répondre de même : « Et quel est donc relui qui est le plus raisonnable en souhaitant de vivre ? Est-ce celui qui re-

cherche la protection de Dieu ou celui qui recherche les faveurs du démon ?- Qu'est-ce que le démon ? demanda Publius.- Les démons, ce sont les dieux des païens et ceux qui les adorent. Les soldats le reconduisent

au cachot.Quand Notre-Seigneur prédit à ses disciples les persécutions que ceux-ci auraient à souffrir

dans le monde à cause de lui, il leur recommanda de ne point s'effrayer en songeant à ce qu'il leur faudrait répondre devant les tribunaux :

« Car, ajoutait-il, l'Esprit-Saint vous suggérera ce que vous devrez dire. » Cette promesse ve-nait de s'accomplir d'une manière étonnante sous les yeux du préfet : avait-on jamais vu un groupe d'enfants, mis en présence de supplices et de la mort, répondre avec tant de calme, d'intelligence et d'intrépidité ?

Restait le septième, le petit Martial : il fut digne de ses frères et de sa mère.- Vous allez tous être tués, lui dit le juge, c'est votre faute pourquoi refusez-vous d'obéir aux

ordres des empereurs et persistez-vous à vouloir votre perte ?- Oh ! si vous saviez, dit l'enfant avec majesté, si vous saviez les peines qui sont réservées aux

adorateurs des idoles ! Dieu, dans sa patience, ne fait pas encore éclater sur vous et sur vos dieux les foudres de sa colère, mais, le temps viendra où tous ceux qui ne reconnaissent pas Jésus-Christ pour seul vrai Dieu iront brûler dans les flammes éternelles. »

Le juge se lève en ordonnant de reconduire Martial en prison, et il envoie aux empereurs le procès-verbal de l'interrogatoire.

Le dernier combat.

La réponse impériale ne se fit pas attendre : tous les membres de cette famille étaient condam-

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nés à périr par des supplices. Cependant, afin d'éviter sur le moment un trop grand éclat et pour ne pas laisser peser sur le préfet toute la responsabilité de cette sanglante tragédie, les accusés étaient renvoyés devant plusieurs juges subalternes chargés d'appliquer la peine.

Le premier de ces juges fit battre Janvier, l'aîné des sept frères, à coups de fouets armés de pe-tites boules de plomb ; le supplice dura jusqu'à ce que l'innocente victime eût rendu le dernier sou-pir. Deux autres succombèrent sous les coups de bâtons ; les trois plus jeunes, remis à un même juge, eurent la tête tranchée ; un autre, enfin, fut jeté du haut d'une colline ou d'une muraille et mourut des suites de cette chute. C'était le 10 juillet.

Restait Félicité, sept fois martyre par la mort de chacun de ses enfants ; les opinions varient sur l'espace de temps qui s'écoula entre le supplice des sept frères et sa mort. On admet communément qu'elle fut immolée plus tard, le 23 novembre, date où l'Eglise a inscrit son nom au Martyrologe.

Sépulture. – Découvertes de M. de Rossi. – Le culte.

D'après ce que nous venons de dire on comprend que les sept frères, ayant été remis aux mains de plusieurs juges, n'ont pu, selon toute vraisemblance, être mis à mort en un même point de la ville de Rome. Au dire d'Actes qui paraissent apocryphes, les corps des serviteurs de Dieu furent abandonnés aux oiseaux et aux animaux de proie, qui se tinrent à l'écart, par l'effet d'un prodige, en même temps que s'exhalait et se répandait aux alentours un suave parfum.

A la faveur de la nuit, des chrétiens vinrent enlever ces précieux restes ; ils rendirent les der-niers honneurs aux témoins du Christ et les ensevelirent dans les Catacombes les plus voisines. Fé-lix et Philippe, immolés ensemble, furent déposés dans le cimetière de Priscille. Alexandre, Vital et Martial, mis à mort dans un même endroit, eurent une tombe commune dans la Catacombe de Gordien (Gordiani).

Silvain ou Silanus, qui obtint la palme séparément, fut inhumé dans le cimetière de Maxime ; près de lui, la piété des fidèles déposa ensuite l’héroïque mère. De nombreux pèlerins, jusqu’au VIIIe siècle, visitèrent ses sépultures ; la vénération pour ces héros de la foi était si grande, que le jour anniversaire de leur fête était appelé « le jour des martyrs ». On lit dans les écrits de plusieurs Pères qui écrivirent contre les Novatiens et dans les documents relatifs à ces hérésiarques, que ceux-ci prétendirent faussement que Novatien, l’auteur du schisme, était mort pour la foi (IIIe siècle) ; afin de se procurer un titre véritable, ils volèrent le corps de l’un des sept fils de sainte Fé-licité, pour avoir dans leur cimetière le corps d’un vrai martyr. Dès le commencement du VIIe siècle, le Pape Boniface IV, à cause des invasions barbares, fait transporter dans la ville de Rome un grand nombre de reliques des Catacombes.

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Martyre de saint Janvier et de ses six frères.

Au VIIIe et au IX siècle, les ravages des Lombards et des Sarrasins multiplient les ruines dans la campagne romaine, et les Catacombes sont peu à peu oubliées.

Dans les temps modernes, et surtout depuis le milieu du XIXe siècle, on a recommencé à visi-ter ces souterrains, témoins de la foi des premiers âges ; mais nul ne les a explorés avec tant de science que l'illustre archéologue Jean-Baptiste Rossi. C'est ainsi qu'il retrouva, en 1856, le lieu où fut enseveli saint Janvier, et ensuite le tombeau de ses autres frères.

Trente ans plus tard, on retrouva aussi – mais dans un état lamentable – la chapelle souterraine où fut déposé le corps de sainte Félicité.

Voici le texte, plusieurs fois séculaire, du Martyrologe qui concerne cet admirable groupe à la date du 10 juillet :

A Rome, la passion des sept frères martyrs, fils de sainte Félicité, elle-même, savoir : Janvier, Félix, Philippe, Silvain, Alexandre Vital et Martial. Ils souffrirent au temps de l'empereur Antonin, sous Publius, préfet de la ville. Janvier, d'abord battu de verges, endura ensuite les rigueurs de la prison et fut tué à coups de cordes garnies de plomb ; Félix et Philippe furent assommés à coups de bâton ; Silvain fut précipité d'un lieu élevé ; Alexandre, Vital et Martial eurent la tête tranchée.

Le Bréviaire d'Osnabrück, publié en 1516, contient au 10 août l'office de sainte Félicité et de ses sept fils.

Eloge des sept frères

Le monastère bénédictin d'Ottobeuern, au diocèse d'Augsbourg, vénérait les sept frères mar-tyrs comme ses patrons spéciaux ; ce patronage est dû au fait que le corps de saint Alexandre au-

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rait été transporté en ce monastère.D'autre part, les rédacteurs des Acta Sanctorum nous ont conservé un discours, dû peut-être à

un moine de la même abbaye et composé en l'honneur des sept Saints. Ce discours est rempli de rapprochements ingénieux et de pieux jeux de mots ainsi qu'on les aimait autrefois. Nous n'en don-nerons que le résumé et quelques citations.

En premier lieu, il convient de remarquer comment cette bienheureuse femme, félicité, engendre avec ses sept fils le type et l'ombre de la félicité éternelle et du bonheur. Il nous faut de même, si nous voulons être heureux, engendrer, nous aussi, spirituellement ces sept fils, et nous faire précéder par eux en avant-garde, là où nous aspirons à nous rendre...

Sur ce, l'auteur, vraiment trop subtil à notre avis, passe en revue les sept martyrs :

Le premier des fils, et le plus âgé, est appelé Janvier (en latin Januarius), prenant son nom de la porte (janua)... Il représente pour nous celle dont le Sauveur dit : « Je suis la porte ; si quelqu'un entre en passant par moi, il sera sauvé. »

Suit un long développement sur cette porte : la foi, porte du salut, nous conduit elle-même à la porte du baptême...

Le nom de Félix, le deuxième fils, signifie heureux :

Qui peut être heureux si ce n'est celui qui est baptisé et qui croit au Christ ?... Nous devons nous esti-mer vraiment heureux, autant que la condition de la vie le permet, n'ayant aucune hésitation dans notre foi et attendant la vie bienheureuse, que nous procurera un Dieu qui ne ment pas...

Un peu arbitrairement l'auteur fait venir de l'hébreu et non du grec le nom de Philippe dont le sens véritable est « ami des chevaux », ce qui lui permet d'y voir a « l'aspect de la lampe » ou torche dont la flamme embrasait le cœur du martyr.

Dieu, qui est tout amour, descendant sous l'apparence du feu, a illuminé le cœur des Apôtres encore plus que leur intelligence. Ajoutez que, de même que la flamme s'élève toujours en raison de sa légèreté, de même la charité tend toujours vers les choses d'en-haut, et suit la route qui conduit au ciel, en méprisant les choses terrestres et éphémères.

Le nom de Silvain signifie dieu des forêts ou habitant ; le martyr de ce nom est rapproché des ermites d'Egypte en qui l'auteur voit en quelque sorte des dieux sylvestres, aimant d'un chaste amour et avec une foi sincère Celui qui est mort pour le salut des hommes sur l'arbre de la croix. Puis, vient Alexandre, dont le nom, d'après saint Jérôme, signifie en hébreu : « Qui dissipe les vents de ténèbres » : ces ténèbres sont répandues par les mauvais anges.

Encore : s'il nous arrive de tomber dans la lutte, nous nous redressons avec plus de vitalité – ceci pour rendre hommage au martyr saint Vital – semblables au personnage de la fable, Anthée, qui, projeté sur la terre par Alcide, se relevait toujours plus fort. Enfin chaque chrétien doit se montrer dans la lutte un athlète martial et belliqueux. Et ainsi précédés de ces sept martyrs, prenant tous les jours notre croix, nous suivons le Seigneur, dirigeant vers lui chacune de nos paroles et de nos actions.

A la suite du panégyrique se lit une séquence qui fut vraisemblablement en usage autrefois dans le monastère d'Ottobeuern ; après avoir rappelé le nom de sainte Félicité et le genre de sup-plice de chacun de ses fils, l'auteur poursuit en ces termes :

De ces martyrs, l'Allemagne tout entière célèbre avec les louanges qui sont dues saint Alexandre, fleur éclatante, pierre très précieuse, perle splendide, lui que la bienveillance divine a envoyé pour notre salut du

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Siège romain en ces régions de l'Allemagne.

Entre autres choses, ce discours montre quel fut, au moyen âge, et, plus tard encore, le ton de l'éloquence religieuse pour célébrer les mérites des Saints. Il fait voir aussi que le souvenir des fils de sainte Félicité n'avait pas disparu de la mémoire et du cœur des chrétiens.

A. L.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de juillet (Paris et Rome, 1867). – H. Leclercq, Les Mar-tyrs, t. 1er (Paris, 1902). – Mgr P. Guérin, Les Petits Bollandistes, t, VIII (Paris). – (V.S.B.P., n° 542.)

………………

PAROLES DES SAINTS__________

Par le Saint-Esprit.

Pour aimer Dieu, le cœur d'un homme ne suffit pas, il faut avoir le cœur d'un Dieu. Il faut que Dieu se donne lui-même afin de se faire aimer, parce que Dieu est la charité, et sans la charité nous ne pouvons pas l'aimer. Si donc nous ne recevons un Dieu, nous ne pouvons aimer Dieu.

Etant donc animés d'une si ferme espérance, aimons Dieu du cœur de Dieu même. Oui, aimons Dieu du cœur de Dieu, parce que le Saint-Esprit est Dieu. Que puis-je dire davantage ? Aimons Dieu du cœur de Dieu. Car, puisque la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, et que nous ne pouvons aimer Dieu que par le Saint-Esprit, n'ai-je pas raison de dire : aimons Dieu du cœur de Dieu ?

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Saint Fulgence.(De la prédestination, I. II.)

Les louanges de Marie.

J'avoue mon insuffisance, je ne dissimule pas ma faiblesse : il n'est rien qui me plaise davan-tage, mais rien qui m'intimide plus que de parler de la gloire de la vierge Marie. Je passe sous si-lence, momentanément le privilège ineffable et sa prérogative incomparable ; tous les hommes éprouvent pour elle un si tendre sentiment de dévotion, tous l'entourent, et ce n'est que justice, de tant d'honneur et lui font une telle fête que tous peuvent bien mettre leur joie à parler d'elle ; et ce-pendant tout ce que l'on peut dire de l'indicible, par là même qu'on peut le dire, se révèle moins sa-tisfaisant, moins plaisant, moins acceptable. N'est-ce pas un à peu près, tout ce que la pensée hu-maine peut saisir d'une gloire incompréhensible ?

Saint Bernard.

(Sermon IV pour l'Assomption.)

SAINT PIE 1er

Pape et martyr (t vers 154)

Fête le 11 juillet.

Le Pontife romain qui le premier porta le nom de Pie (Pius), nom que dans la suite de l'ère chrétienne plusieurs Papes devaient illustrer tant par leur sainteté que par leur science, était le suc-cesseur de saint Hygin sur la chaire de saint Pierre. Son pontificat se place dans la première moitié du IIe siècle, sous le règne d'Antonin le pieux (138-161). Cette épithète de pieux (pius), qui im-plique l'accomplissement fidèle de tous les devoirs envers Dieu et envers les hommes, fut décernée par le Sénat romain à ce prince en raison de sa conduite envers Hadrien, son père adoptif et son prédécesseur. Par une coïncidence assez curieuse, elle se trouva être aussi le nom propre de l'évêque qui allait gouverner l'Eglise romaine durant les premières années du règne d'Antonin. Se-lon un document dont la rédaction primitive remonte au temps du Pape saint Eleuthère (175-189), peut-être même un peu plus haut, le Pape Pie 1er gouverna l'Eglise pendant environ quinze ans. II fut élu peu de jours après la mort de saint Hygin, mais il n'est pas possible de préciser la date de son avènement. Quant à sa mort, elle ne peut être reculée au delà de l'année 154 ou 155. Saint Po-lycarpe, en effet, qui fut martyrisé à Smyrne le 22 février 155 ou 156, vint à Rome en 154 ou 155, sous le pontificat de saint Anicet, pour traiter avec lui du jour de la célébration de la fête de

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Pâques. Ce point de repère permet de situer entre 140 et 155, ou plus vraisemblablement entre 139 et 154, les quinze années (en chiffres ronds) du pontificat de saint Pie 1er.

La notice du « Liber Pontificalis ».

La notice consacrée à ce Pape par l'auteur du Liber pontificalis, résumé historique très succinct de la vie des Papes depuis saint Pierre jusqu'à Adrien Il, mort en 872, est, comme pour les autres Pontifes des premiers siècles, très courte. Pourtant, cette brièveté ne manque ni d'obscurité ni d'in-certitude. Saint Pie serait originaire d'Aquilée. Cette ville, située au nord-est de l'Italie, sur la mer Adriatique, fut longtemps regardée comme une seconde Rome et comme la clé de l'Italie à cause de sa position sur la route des Gaules et sur celle de l'Orient. Pie était toujours selon le Liber ponti-ficalis, fils d'un certain Rufinus ou Rufin et avait un frère nommé Pastor. Le Canon de Muratori (on désigne ainsi un catalogue officiel des livres reconnus par l'Eglise comme inspirés, datant au plus tard de la fin du IIe siècle et publié en 1740 par un bibliothécaire de l'Ambrosienne, L.A. Mu-ratori) attribue l'ouvrage célèbre intitulé le Pasteur à un certain Hermas, frère du Pape Pie 1er :

« Quant au Pasteur, il a été écrit tout récemment, de notre temps, dans la ville de Rome, par Hermas, pendant que Pie, son frère, occupait comme évêque le siège de l'église de la ville de Rome. »

Le Catalogue libérien, ainsi que le Liber pontificalis, notent que le Pasteur a été écrit sous le pontificat de saint Pie par un certain Hermès. Ces textes divers posent une série de problèmes his-toriques que les critiques n'ont pas encore pu résoudre. L'auteur du célèbre ouvrage le Pasteur se nomme-t-il Hermas ou Hermès ? Est-il non seulement le contemporain, mais le frère du Pape saint Pie 1er ? Faut-il l'identifier avec le nommé Pastor que le Liber pontificalis assigne comme frère au même Pape ? Autant de questions auxquelles on ne donne pas encore de réponse absolue. Mais ce qui apparaît comme sérieusement fondé, c'est l'existence de rapports assez intimes entre Pie et l'au-teur du Pasteur. Ce dernier, en nous déclarant dans son livre qu'il appartenait à une famille grecque et chrétienne, qu'il fut vendu à une femme nommée Rhoda et bientôt affranchi par elle, nous fournit vraisemblablement des renseignements authentiques sur la condition sociale du Pape, son contemporain et plus probablement son frère. Quoi qu'il en soit, Pie et Hermas appartenaient tous deux au presbytéral romain.

Situation de l'Eglise à l'époque de saint Pie 1er.

Antonin le Pieux, originaire de Nîmes par ses ancêtres, était en pleine maturité quand il succé-da à Hadrien. Aucun empereur romain n'a si belle renommée dans l'histoire. Il la mérite d'ailleurs par ses qualités et son gouvernement. Ce fut un homme religieux, de mœurs austères, sans ambi-tion, secourable aux malheureux, doux, mais ferme et juste dans l'exercice de l'autorité. Son règne fut une époque de tranquillité pour le monde comme pour l'Eglise. Malgré les rescrits indulgents de Trajan et d'Hadrien, la religion chrétienne restait toujours interdite par la loi de Néron, et de ce chef la sécurité des disciples du Christ et des communautés de fidèles demeurait fort précaire. An-tonin eut la sagesse de laisser dormir l'édit persécuteur. Alla-t-il plus loin, jusqu'à publier lui-même un rescrit interdisant de poursuivre les chrétiens parce que chrétiens et édictant des peines contre ceux qui les accuseraient ainsi ? Beaucoup de critiques croient à l'authenticité d'un pareil document adressé à l'assemblée d'Asie », et publié par l'historien Eusèbe.

Quoi qu'il en soit, durant ce règne, l'État romain fit preuve d'une tolérance générale envers l'Eglise. S'il y eut encore ici et là, à Rome comme dans les provinces, quelques martyrs, ce fut l'ex-ception et le fait de magistrats toujours zélés pour appliquer aux chrétiens des lois qui leur res-

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taient contraires ou pour apaiser une populace ameutée par les accusations calomnieuses lancées contre les fidèles par leurs ennemis, les Juifs en particulier.

Les dispositions tolérantes du pouvoir central favorisèrent la multiplication des fidèles. L’Eglise put paraître au grand jour. Elle transforma certains édifices en lieux officiels de prière, elle y rassembla ses enfants. A Rome même elle établit des écoles de philosophie. En même temps que cette tranquillité et cette prospérité de l'Eglise dans la première moitié du IIe siècle, on constate aussi, hélas du relâchement et même des défaillances graves chez les simples fidèles et jusque dans le clergé de Rome. L'ouvrage contemporain le Pasteur d'Hermas atteste l'existence et l'étendue de cette déchéance dans la pureté de la foi et dans la pratique de la morale et de la péni-tence. Il en indique aussi le remède, la conversion et l'expiation, sous la direction de l'Eglise. Au relâchement des mœurs s'ajouta l'hérésie qui vint établir son centre à Rome même, avec Cerdon, Valentin et Marcion, et qui s'organisa en secte agissante : elle cherchait non seulement à répandre les erreurs gnostiques, mais encore, suivant certains témoignages, à s'emparer de la direction de l'Eglise.

Baptême des Juifs convertis. – Décrets disciplinaires.

Telle était la situation générale de l'empire romain et du christianisme à Rome à l'avènement du Pape Pie 1er. On connaît peu de faits historiquement certains relatifs à ce long pontificat de qua-torze ou de quinze ans. Pie 1er décréta que ceux qui venaient de « l'hérésie judaïque » devaient être baptisés. Ceci ne doit pas être pris à la lettre, mais s'entendre des Juifs tout simplement et non d'une secte chrétienne judaïsante. La décision prise avait sa raison d'être. On pouvait croire que le Juif ayant toujours suivi le culte du vrai Dieu, héritier des promesses faites à Abraham, ne devait pas être soumis aux mêmes conditions que les païens et qu'il pouvait entrer de plain-pied dans l'Eglise dont la synagogue était la préparation. Le Pape décrète que le baptême était aussi néces-saire aux Juifs qu'aux Gentils s'ils voulaient entrer dans le sein de l'Eglise et vivre de la foi chré-tienne.

On lui a longtemps attribué un décret imposant une pénitence aux prêtres qui, par négligence, laisseraient se répandre à terre pendant la messe quelques gouttes du Sang précieux du Seigneur. On devait en recueillir tout ce qu'il était possible, laver ou racler le reste : l'eau qui avait servi à l'ablution et les débris de bois et de pierre devaient être brûlés, les cendres jetées dans la piscine. La pénitence imposée variait de trois à quatre jours de jeûne suivant la gravité de la profanation. Très probablement cette décision disciplinaire n'est pas du pontificat dont nous parlons. C'est pour-quoi, sous le Pape Léon XIII, elle a été retranchée de la légende ou de la notice que le Bréviaire ro-main consacrait à saint Pie au jour de sa fête. On s'accorde aussi à regarder comme apocryphes deux décrets très sévères que ce même Pape aurait portés contre les blasphémateurs. Il faut en dire autant de deux lettres adressées par Pie à l'évêque de Vienne en Dauphiné, saint Juste. La première nous apprend que le prédécesseur de Juste venait de donner sa vie pour la foi. Le Pontife exhorte son correspondant récemment élu à se montrer plein de charité pour les fidèles, les diacres et les prêtres, à honorer la sépulture des martyrs, à soutenir les confesseurs de la foi. Dans sa seconde lettre, le Pape fait allusion à un voyage que l'évêque de Vienne venait de faire à Rome, il s'informe des progrès de la foi dans son diocèse et il se plaint des ravages que fait dans l'Eglise l'hérésie de Cérinthe. Selon certaines collections des décrétales des Papes, élaborées au IXe siècle, Pie 1er au-rait ordonné que les biens donnés en fonds à l'Eglise fussent inaliénables. Il aurait aussi défendu d'employer à des usages profanes les vases et les ornements sacrés et de recevoir les vierges au vœu perpétuel de chasteté avant qu'elles eussent atteint l'âge de vingt-cinq ans. On ne peut ad-mettre d'une façon indiscutable l'authenticité de ces divers décrets disciplinaires. Le Bréviaire ro-main relève parmi les actes importants du successeur de saint Hygin, le fait d'avoir prescrit de célé-brer la fête de Pâques le dimanche, en mémoire de la résurrection du Christ, et non un jour de la

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semaine. Il est certain, d'après le témoignage de saint Irénée, que non seulement Pie 1er, mais ses prédé-

cesseurs Hygin, Télesphore et Sixte, ne permettaient pas en Occident de célébrer la Pâque un autre jour que le dimanche. Les Asiates, au contraire, célébraient chaque année la Pâque le 14 de nizan – d'où le nom, de quartodécimans – au même jour que les Juifs, et prétendaient que c'était la bonne manière. Cette divergence entre l'Eglise d'Occident et les Eglises d'Asie disparut peu à peu, non sans avoir suscité de graves difficultés à la fin du IIe siècle, sous le Pape saint Victor.

Les églises Sainte-Pudentienne et Sainte-Praxède.

Quand saint Pierre était à Rome, vers l'an 42, il logeait dans la maison ou palais d'un patricien converti nommé Pudens qui avait son habitation sur l'Esquilin. C'était peut-être le père, plus vrai-semblablement l'aïeul des saintes Pudentienne et Praxède. Ces deux vierges vécurent au temps du Pape Pie 1er. Leur histoire nous est connue par le Liber pontificalis et surtout par un document qu'on désigne ordinairement sous le nom d'Actes des saintes Pudentienne et Praxède. La légende s'y mêle à la vérité et il est parfois difficile de faire la part exacte de l'une et de l'autre. Les Actes dont nous parlons se composent de deux lettres et d'un appendice narratif écrit par un prêtre contemporain et même familier de Pie, et qui se nomme Pastor. Dans la première lettre, ce Pastor s'adresse au prêtre Timothée et lui dit que Pudens, avant sa mort, avait résolu, sur les conseils du bienheureux évêque Pie (le Pape Pie 1er), de consacrer sa maison au culte divin, d'en faire une sorte d'église, un « titre » (titulus), sous le nom de Pastor.

Il ajoute que Pudens étant mort, ses deux filles Praxède et Pudentienne, restées vierges, ven-dirent leurs biens afin de les distribuer aux chrétiens, parmi lesquels on comptait beaucoup de pauvres, et se consacrèrent au service de Dieu et de l'Eglise dans le titre ou église fondée par leur père. D'un commun accord entre elles et le prêtre Pastor, avec l'approbation et les encouragements de l'évêque Pie, une piscine baptismale fut érigée dans cette église.

Un jour de Pâques, le même Pontife y conféra le baptême aux esclaves encore païens des deux sœurs, après avoir fait procéder préalablement à la cérémonie légale de leur affranchissement. L'ancienne maison de Pudens devint un lieu de prières et de réunions permanentes. Pie y célébrait souvent les saints mystères, y administrait les sacrements. Dans les bâtiments contigus, les deux vierges continuaient leur vie d'apostolat et de dévouement à l'Eglise et aux fidèles.

L'église, ou titre du Pasteur, est également désignée dans certains documents des IVe ou Ve siècles, sous le nom de maison de Pudens (domus Pudentis) ou d'église de Sainte-Pudentienne. Elle fut reconstruite ou modifiée sous le Pape saint Sirice (384-399). La célèbre mosaïque du fond de l'abside représente entre autres choses le Sauveur sur un trône, il a un livre ouvert sur lequel se lisent ces mots :

« Le Seigneur gardien de l'église Pudentienne ».

On ne sait en quelle année mourut Pudentienne. Elle fut ensevelie près de son père Pudens dans le tombeau que la famille possédait, sur la via Salaria dans le cimetière de Priscille, le plus ancien de tous les cimetières chrétiens de Rome. Praxède continua à habiter la maison paternelle. Le Pape Pie, des prêtres, des chrétiens, entre autres un certain Novatus, homme très charitable en-vers les fidèles peu fortunés, la visitaient souvent pour lui apporter des paroles de consolation.

Novatus étant tombé gravement malade reçut la visite du Pape et celle de sainte Praxède. Avant de mourir, il laissa par testament tous ses biens à Praxède et à Pastor. Ce dernier consulta le prêtre Timothée frère de Novatus et héritier naturel, pour savoir si celui-ci consentait à cette dona-tion. Une lettre de Timothée lui apporta le consentement désiré. Etant entrée en possession des biens légués par Novatus, Praxède transforma les thermes qui se trouvaient dans le vicus Lateritius en un lieu de réunions pieuses pour les fidèles.

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D'où un second titre, une seconde église. Le Pape Pie 1er en fit la consécration ou la dédicace sous le nom de Praxède. Cette église est-elle la même que celle dont parle une inscription de 491 ? On ne saurait l'affirmer d'une façon absolue. Quoi qu'il en soit, les deux églises romaines dédiées à sainte Pudentienne et à sa sœur sainte Praxède sont à mettre parmi les monuments les plus anciens de la Rome chrétienne.

La première apologie de saint Justin à l'empereur Antonin.

Le paganisme de plus en plus menacé par la diffusion de la religion du Christ ne craignit pas de lancer contre ce terrible adversaire les pires accusations, en particulier celles d'athéisme, d'im-moralité, d'inutilité sociale. Il n'y eut pas que le peuple plus ou moins excité pour répandre ces im-putations calomnieuses. Des lettrés occupant des positions officielles, comme Fronton de Cirta, ami d'Antonin le Pieux et précepteur de Marc-Aurèle, partagèrent sur ce point les préventions de la populace et attaquèrent le christianisme dans leurs discours et dans leurs écrits.

Alors, Dieu donna à son Eglise les apologistes. Ces écrivains du IIe siècle ne se contentèrent pas de réfuter les atroces calomnies, dont leur religion était l'objet : ils démontrèrent aux autorités publiques et aux philosophes païens, la valeur rationnelle et surnaturelle de la doctrine évangé-lique. Leurs écrits, dirigés soit contre les Juifs toujours très ardents à calomnier les fidèles, soit contre les adorateurs des idoles, sont tour à tour des apologies proprement dites, des œuvres de controverse, des thèses exposant et justifiant les croyances chrétiennes.

Ce fut sous le pontificat de Pie 1er que saint Justin, le plus célèbre des apologistes, publia sa première apologie en faveur des chrétiens.

Vers l'an 152, à Rome vraisemblablement, il s'adresse à l'empereur Antonin le Pieux, à Marc-Aurèle son fils adoptif, au Sénat, à tout le peuple romain, en faveur d'hommes de toute race qui sont injustement haïs et persécutés. Il réclame qu'on les juge avec justice et équité, sans préjugé, sans écouter d'anciennes et perfides rumeurs. Après avoir protesté contre l'illégalité des poursuites intentées contre les chrétiens, il prouve que ces derniers sont honnêtes, loyaux, qu'ils ne sont pas athées, le culte des idoles étant absurde. Il compare ensuite le paganisme au christianisme et montre positivement la supériorité de celui-ci : les fables païennes, parfois honteuses, les pratiques de débauche, de magie et de corruption, mettent les idolâtres bien au-dessous des chrétiens. Ce que le paganisme a de meilleur, il l'a emprunté à la Bible. Pour montrer enfin que les pratiques de la re-ligion du Christ n'ont rien d'immoral, il s'affranchit de la loi du secret et parle ouvertement du bap-tême ou cérémonie de l'initiation chrétienne, ainsi que des rites sacrés du sacrifice eucharistique célébré dans les réunions dominicales. Cette apologie si intrépide et si scientifique du christia-nisme reçut-elle de l'empereur Antonin un accueil favorable ? On peut croire qu'elle porta le prince à se montrer encore plus tolérant envers la nouvelle religion. Vers la fin du règne d'Antonin ou au début de celui de Marc-Aurèle, saint Justin s'adressera de nouveau aux souverains, au Sénat, pour protester contre de récentes persécutions et proclamer encore l'innocence des chrétiens. Il est très probable que le grand apologiste, qui séjourna habituellement à Rome dans la seconde partie de sa vie, connaissait le Pape Pie et qu'il s'inspira de ses conseils pour la défense et l'enseignement de la doctrine catholique à Rome.

Mort de saint Pie 1er.

Selon la chronologie communément adoptée de nos jours, ce Pape mourut en 154 ou 155, après avoir, en cinq ordinations faites au mois de décembre, créé dix-huit prêtres, vingt et un diacres et douze évêques pour divers pays : ce sont les chiffres donnés par le Liber pontificalis.

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Aucun document ancien ne nous renseigne sur son genre de mort. Fut-il martyrisé ? On ne le dit pas dans la notice que lui consacre l'ouvrage que nous venons de citer. Cependant, quelques monu-ments hagiographiques affirment que ce Pontife eut la gloire, dans des circonstances qui de-meurent inconnues, de verser son sang pour la foi. Le Bréviaire romain considère saint Pie 1 er

comme martyr, et l'Eglise nous fait réciter l'office des martyrs au jour de sa fête, le 11 juillet, jour où il aurait été mis à mort sous Antonin le Pieux. Son corps fut déposé au Vatican près du tombeau de saint Pierre. Une partie des reliques furent transportées plus tard dans l'église Sainte-Puden-tienne. On vénère encore des reliques de ce même Saint à Bologne en Italie, dans plusieurs églises du diocèse d'Amiens et en d'autres lieux encore.

F. C.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de juillet (Paris et Rome, 1867). – E. Lacoste, Les Papes à travers les âges, t. II (Paris, 1930). – A. Battandier, Annuaire pontifical de 1900 (Paris, p. 171). – Luigi Triperi, San Pio 1, studi (Rome, 1869). – (V.S.B.P., n° 438).

…………….

PAROLES DES SAINTS________

La primauté du Pape.

Il est l'unique pasteur de tous, non seulement des brebis, mais des pasteurs. Comment le prou-ver ? Par la parole du Seigneur. Auquel donc, je ne dis pas des évêques, mais des apôtres, ont été pareillement confiées toutes les brebis, sans réserve ni distinction ? Si tu m'aimes, Pierre, pais mes brebis. Lesquelles ? les peuples de telle cité, de telle contrée, de tel royaume déterminé ? Mes bre-bis, dit le Seigneur. Qui ne comprend qu'il désigne ainsi, mon pas telles brebis, mais toutes ? Il n'y a pas d'exception, quand on n'introduit aucune distinction. Peut-être les autres disciples étaient-ils présents quand, en confiant ses brebis à un seul, il recommandait à tous l'unité, en un seul troupeau sous un seul pasteur. L'unité est le chiffre de la perfection. Les autres nombres n'impliquent pas la perfection, mais la division, en s'écartant de l'unité. C'est pour cela que les autres apôtres reçurent chacun en partage un seul peuple, car ils savaient ce mystère. Jacques lui-même, qui passait pour une colonne de l'Eglise, se contenta de la seule Jérusalem, cédant l'univers à Pierre. Si le frère du Seigneur s'efface de la sorte, quel autre usurperait la prérogative de Pierre ?

Saint Bernard.

(De la considération, 11, 8, 9.)

Contre le luxe.

Donnez, donnez. Pourquoi tant de folles dépenses ? Pourquoi tant d'inutiles magnificences ? Amusement et vain spectacle des yeux, qui ne fait qu'imposer vainement et à la folie ambitieuse des uns et à l'aveugle admiration des autres ! Que vous servent toutes ces dépenses superflues ? Que sert ce luxe énorme de votre maison ? Toutes ces choses périssent.

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Saint Cyprien.

(De l'aumône.)

SAINT JEAN GUALBERTFondateur des Bénédictins de Vallombreuse (995 ?-1073).

Fête le 12 juillet,

La règle de saint Benoît, écrite en 529 dans la solitude du Mont-Cassin et, au dire du Pape saint Grégoire, sous l'inspiration du Saint-Esprit, a peuplé le monde d'un nombre incalculable de moines adonnés aux travaux de la terre ou à l'étude des lettres et des sciences, en même temps qu'au chant des louanges divines. Elle a illuminé tout le moyen âge, alors que florissaient en Eu-rope des milliers de monastères, dans chacun desquels vivaient souvent plusieurs centaines de cé-nobites, et aujourd'hui encore, dans le monde entier, plus de quinze mille religieux en suivent les prescriptions. C'est donc avec un orgueil bien légitime qu'en l'année 1929, l'Ordre bénédictin en a célébré solennellement le quatorzième centenaire.

Elle est si sage, si pleine de discrétion, si conforme aux aspirations de l'homme spirituel, que tous les fondateurs d'Ordres monastiques proprement dits l'ont placée à la base de leurs constitu-tions particulières. Le fondateur de l'Ordre de Vallombreuse, saint Jean Gualbert ou Walbert, ne crut donc pas pouvoir mieux faire que d'y soumettre ses disciples, comme l'avait fait, quelques an-nées plus tôt, saint Romuald pour les Camaldules ; comme le firent plus tard saint Robert de Mo-lesmes pour les Cisterciens, saint Sylvestre d'Osimo pour les Sylvestrins, le bienheureux Bernard Tolomei pour les Olivétains.

Saint Jean Gualbert dans le monde

Vers la fin du Xe siècle vivait à Florence une noble famille, composée du père, de la mère et de deux enfants. Le père s'appelait Gualbert, la mère dont le nom nous est inconnu, descendait peut-être des Carolingiens ; les enfants se nommaient Hugues et Jean. Ce dernier était né vers 995, selon l'opinion la plus commune ; certains chroniqueurs, cependant, le font naître dix ans plus tôt, et d'autres, trois ans plus tard.

Soit que son éducation religieuse eût été négligée, soit qu'il en eût peu à peu oublié les prin-cipes, sa première jeunesse fut assez dissipée, et le métier des armes qu'il avait embrassé n'était certainement pas fait pour lui inspirer de meilleurs sentiments. Il menait donc la vie insouciante d'un grand seigneur, sans songer au salut de son âme, lorsque survint un événement tragique, qui devait avoir pour lui des conséquences imprévues. Un jour, son frère Hugues fut assassiné par un

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autre gentilhomme florentin. Jean pouvait avoir alors une trentaine d'années. Il voua au meurtrier une haine implacable et, suivant les mœurs de l'époque, dont il reste encore des traces en Corse et en Calabre, il jura de venger la malheureuse victime. Mais Dieu se servit de cet événement même pour ramener à lui le jeune homme qu'il appelait à une vie toute différente de celle du monde.

En effet, quelque temps après, Jean rentrait à Florence, accompagné d'une nombreuse escorte. Il chevauchait à travers la campagne, dans un étroit sentier, bordé de haies fleuries, car on était alors au printemps. Soudain, il se trouve face à face avec le meurtrier d'Hugues. Les deux gentils-hommes ne pouvaient, en pareil cas, se croiser, sans que l'un cédât le pas à l'autre. A cette vue, le cœur de Jean bondit de joie et de colère en même temps. Enfin, il tient donc l'occasion tant désirée de venger la mort de son frère ! Il saisit son épée et s'apprête à en frapper le meurtrier. Mais, spec-tacle inattendu, celui-ci descend de cheval, se jette à genoux, étend les bras en croix et implore son pardon au nom de Jésus crucifié.

Or, c'était le Vendredi-Saint. Les sentiments religieux de Jean se réveillent tout à coup ; il se rappelle les paroles du Pater : « Pardonnez-nous, comme nous pardonnons » ; il lui semble voir Jé-sus crucifié en la personne de cet homme, qui le supplie les bras en croix, et il se souvient que le divin Maître a prié pour ses bourreaux. Il jette son épée, tend la main au coupable en disant : « Je ne puis vous refuser ce que vous me demandez au nom de Jésus-Christ. » Puis, après s'être recom-mandé à ses prières, il l'embrasse et le laisse continuer sa route.

Lui-même, poursuivant son chemin, arrive bientôt sur les hauteurs qui bordent la rive gauche de l'Arno au sud de Florence, et d'où l'on embrasse d'un coup d'œil toute la ville des fleurs. Il passe devant l'église de San Miniato et, brisé par l'effort qu'il vient de faire, y entre pour se reposer quelques instants. Il s'agenouille devant un tableau représentant le Christ en croix et se met à prier. Alors, les divines paroles deviennent pour lui une réalité. Il voit le divin Crucifié incliner vers lui sa tête couronnée d'épines, comme pour l'approuver, et il sent que Dieu lui a pardonné ses fautes, comme il vient de pardonner à son ennemi.

Saint Jean Gualbert embrasse la vie religieuse.

Jean avait une âme ardente. Jusqu'alors, il s'était laissé entraîner par sa passion pour le plaisir. Désormais, avec la même ardeur, il va se livrer aux austérités de la pénitence. Il n'hésite pas un instant. Sous un prétexte quelconque, il prie ses compagnons de rentrer à Florence et reste à San Miniato. A côté de l'église s'élevait un couvent de Bénédictins, de l'Ordre de Cluny, occupé aujour-d'hui par les Bénédictins Olivétains. Le nouveau converti s'y rend aussitôt et demande à parler à l'abbé. Il lui raconte le prodige dont il vient d'être favorisé, se jette à ses pieds et le supplie de l'ad-mettre parmi ses Frères. L'abbé, en homme prudent, lui représente d'abord toutes les difficultés de la vie monastique, les sacrifices nécessaires pour renoncer à une vie commode et se soumettre à une règle austère. Enfin, cédant aux instances de Jean, il lui permet de rester dans le monastère, mais sans en prendre encore l'habit.

Cependant, les compagnons de Jean Gualbert étaient rentrés à Florence et avaient raconté à son père ce qui s'était passé. Celui-ci ne voyant pas revenir le jeune homme, prit avec lui une petite troupe de gens armés, le chercha partout dans la ville et finalement le trouva à San Miniato. Plein de colère, il menaça l'abbé de dévaster le monastère si Jean ne lui était pas rendu. L'abbé l'écouta avec calme et se borna à lui répondre :

- Votre fils va venir; parlez-lui, et s'il veut vous suivre, nous ne le retiendrons certainement pas.

Apprenant que son père était là et l'attendait, Jean comprit qu'il devait recourir à des moyens extraordinaires. Il saisit une tunique de moine, va à l'église, et, devant l'autel, se coupe lui-même les cheveux. Après quoi, il se dépouille des habits séculiers, revêt la bure monastique et, ainsi vêtu,

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se présente à son père. Il lui raconte sa rencontre avec le meurtrier de son frère, le pardon accordé à cet homme au nom de Jésus-Christ, le prodige dont il a été témoin dans l'église de San Miniato ; après quoi il le supplie de lui laisser suivre l'appel du Seigneur.

Emu par ce récit et impressionné par l'habit monastique que portait son fils, Gualbert, qui était arrivé la menace sur les lèvres, se laissa fléchir. Il embrassa Jean, le bénit et lui permit de persévé-rer dans sa vocation. Désormais, rien n'arrêtera plus le jeune moine dans la carrière qu'il a embra-sée. Modèle des novices par son obéissance, sa patience et son humilité, il deviendra, après sa pro-fession, celui de tous les religieux de San Miniato par sa fidélité à la prière, aux veilles, au jeûne et à l'abstinence.

Saint Jean Gualbert se retire chez les Camaldules.

Il n'est donc pas étonnant que l'abbé étant mort, les religieux aient songé à Jean Gualbert pour lui succéder et les conduire dans les voies de la perfection. Notre humble moine, estimant qu'il n'était pas entré en religion pour commander, mais pour obéir, refusa énergiquement la charge que ses Frères voulaient lui confier, et, pour couper court à toute insistance nouvelle, il prit une déter-mination radicale, il quitta San Miniato.

Les plus anciennes chroniques de l'Ordre de Vallombreuse attribuent cette démarche à un mo-tif bien différent ; Jean aurait estimé ne pouvoir tester sous l'autorité d'un nouvel abbé, dont l'élec-tion était entachée de simonie, abus trop fréquent au XIe siècle et que Grégoire VII, seul, réussira à extirper.

Mais, depuis, le savant Dom Mabillon a démontré que le récit de ces anciennes chroniques était inadmissible ; il ne faut donc voir dans la résolution de Jean qu'une preuve de son humilité. Il emmenait avec lui un compagnon, qui partageait les mêmes désirs de perfection. Les deux reli-gieux remontèrent le cours de l'Arno et gagnèrent, à l'est de Florence, les montagnes des Appenins. Ils suivirent probablement la route qui passe aujourd'hui par Pontassieve, Diaccetto, Borselli, Consuma, Casaccia, Pratovecchio et Stia.

C'est dans le voisinage sans doute de l'un de ces villages, on ne sait lequel, que se produisit un incident merveilleux, semblant démontrer que le ciel approuvait leur détermination. Un jour, ils trouvent sur leur chemin un pauvre qui leur demande l'aumône.

- Frère, dit aussitôt Jean à son compagnon, donnez à ce pauvre homme la moitié du pain qui nous reste.

- Mais nous n'avons plus, à nous deux, qu'un seul pain pour le repas de ce soir. Cet homme trouvera facilement de quoi se nourrir dans le village voisin.

- Allons, mon frère, n'hésitez pas et faites comme je vous dis.Le religieux obéit, un peu à contre-cœur, il faut l'avouer. Or, vers le soir, ils arrivèrent, près

d'un bourg, où Jean ne voulut point entrer ; il envoya seulement son compagnon quêter auprès des habitants. Celui-ci ne tarda pas à revenir les mains presque vides, car, dit la chronique, il n'avait pu recueillir que trois œufs, et il ne manqua pas de faire remarquer à Jean son imprudence.

Le saint moine ne répondit rien, mais, quelques instants plus tard arrivèrent successivement trois habitants du village, qui apportaient chacun un pain. Des bergers, qui ramenaient, leurs trou-peaux à l'étable, avaient entendu les reproches adressés à Jean par son compagnon ; ils avaient ra-conté la chose à leurs concitoyens, et ceux-ci, touchés de tant de charité, avaient voulu venir en aide aux deux religieux.

Nos voyageurs franchirent en deux ou trois jours les quelque cinquante kilomètres qui séparent Florence de Stia. De ce village, traversant le val d'Arno, non loin de la source de ce fleuve, ils at-teignirent une autre vallée, à 900 mètres d'altitude. Le pays était solitaire, tout à la fois sauvage et

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pittoresque ; il était bien fait pour attirer une âme contemplative. Aussi, quelques années aupara-vant, saint Romuald y avait fondé, en l'an 1012, son premier ermitage, et, deux siècles plus tard, François d'Assise devait subir le même charme et établir, vingt kilomètres plus au Sud, sa rési-dence de l'Alverne. Le site portait le nom de Campus Maldoli, dont on a fait Camaldoli en fran-çais, Camaldules.

Jean Gualbert s'y arrêta et demanda à l'abbé ou prieur, de l’admettre, lui et son compagnon, parmi les ermites, qui étaient encore soumis aux supérieurs de l’Ordre bénédictin. D’aucuns pré-tendent que le monastère était encore gouverné par saint Romuald lui-même, lequel mourut en 1027 ; d’autres nomment le prieur Pierre Daguin. Quoi qu’il en soit, l’ancien moine de San Minia-to fut reçu à l’ermitage et y donna l’exemple de toutes les vertus. Après plusieurs années, l’abbé voulut le faire ordonner prêtre. Mais Jean, se jugeant indigne du sacerdoce, ne voulut jamais y consentir et il demanda l’autorisation de se retirer dans une solitude profonde. Le supérieur l’y au-torisa et ajouta même, comme inspiré par le ciel :

- Allez donc jeter les fondements du nouvel Institut dont vous serez le Père.Il est très difficile de préciser la date du départ de Jean ; tout au plus peut-on indiquer qu’il eut

lieu entre 1015 et 1039.

Saint Jean Gualbert rencontre l'assassin de son frère.

Fondation de Vallombreuse. – Ferveur des premiers habitants.

Cette fois, Jean Gualbert se dirigea vers l'Ouest et, se rapprochant de Florence, repassa le Val Casentino. A moitié chemin, entre Camaldoli et Florence, il trouva une magnifique forêt de sapins et de hêtres, située à plus de 900 mètres d'altitude. C'était la solitude la plus complète. L'humble

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moine s'y bâtit une hutte de branchages et s'y installa. Il comptait bien y vivre connu de Dieu seul, mais la renommée de ses vertus le trahit bientôt et les disciples affluèrent. Dans le principe, ils ha-bitaient des cellules séparées, bâties autour de celle de Jean. Au bout de quelque temps, il fallut construire une chapelle commune, puis un monastère. Enfin, le nombre des religieux augmentant sans cesse, Jean songea à les diviser en deux classes : les religieux clercs, qui s'occupaient surtout du chant de l'office divin, et les convers, qui s'adonnaient aux soins matériels de la maison. Par la suite, les Ordres mendiants eurent de même les Frères lais ou laïcs. D'autres Instituts plus récents ont adopté le nom de coadjuteurs ; en fait, sous un nom ou sous un autre, la même distinction se retrouve entre religieux vaquant à l'office divin ou aux travaux de l'esprit, et religieux occupés aux travaux matériels.

Voilà donc Jean Gualbert devenu, bien malgré lui, père de nombreux fils spirituels. Pour règle, il leur donna naturellement celle de saint Benoît, qu'il avait déjà pratiquée à San Miniato, puis à Camaldoli. Mais il voulut qu'on l'observât à la lettre, sans tenir compte des adoucissements que le temps y avait introduits. Quant au vêtement, il fut de couleur tirant sur le gris. Voici comment Jean fut amené à l'adopter. Les moines tissaient eux-mêmes leurs habits. Or, la première fois qu'ils eurent à le faire, la laine fournie par les troupeaux du monastère se trouva d'être presque par moitié blanche et noire. Le fondateur ordonna qu'on l'employât telle qu'elle se présentait, et le tissu qui en résulta fut de couleur grise. Les moines de Vallombreuse chantaient donc les louanges de Dieu avec une grande ferveur et se livraient vaillamment aux observances de la vie religieuse. Celle de l'abstinence leur était particulièrement chère ; elle allait jusqu'au scrupule. Un jour, le pain vint à manquer et Jean ordonna de tuer un mouton pour le servir au réfectoire. Aucun des moines ne vou-lut y toucher et tous demeurèrent à jeun. La même chose se produisit une seconde fois, mais Dieu se contenta du premier sacrifice des pieux religieux. Comme ils sortaient du réfectoire, on sonna à la porte du monastère, et le Frère portier trouva une grande quantité de pain et de farine apportée par une main inconnue.

Vertus et miracles de saint Jean Gualbert.

Une ferveur si peu commune ne nous étonnera pas, si nous pensons que Jean, élu abbé par ses frères, donnait à tous l’exemple des plus hautes vertus et que Dieu opérait par lui des prodiges sans nombre. Il avait une horreur souveraine de la simonie. Sur le conseil d’un reclus de Florence nom-mé Teuzon, il dénonça en pleine place publique un évêque qui s’en était rendu coupable et qui avait nom Pierre de Pavie. L’affaire fit un bruit énorme. Et Jean dut céder à la pression de l’opi-nion et laisser un de ses religieux, Pierre Aldobrandini, affronter l’épreuve du feu pour convaincre le simoniaque, lequel revint à résipiscence ; quant au moine, sorti victorieux des flammes, il en garda le nom de Pierre « Igné », sous lequel il est honoré aujourd’hui dans l’Eglise. D’autre part, s’il avait la haine la plus profonde pour le péché, Jean Gualbert était plein de miséricorde pour le pécheur, et il reçut de son monastère plusieurs prêtres simoniaques qui voulaient se convertir. Son esprit de pauvreté était extrême, et il entendait que cette vertu fut exactement observée dans les maisons qu’il avait fondées. Visitant le couvent de Muscerano, qui venait d’être construit, il trouva une grande et belle construction dont l’abbé se montrait très fier. Il lui reprocha son manquement à l’esprit de pauvreté et pria le Seigneur d’y apporter remède lui-même. Aussitôt, le ruisseau qui passait près de là, dit la chronique, s’enfla démesurément ; il inonda le monastère et le renversa de fond en comble. Sa confiance en la Providence était sans bornes et résultait de son amour pour la pauvreté. Une année de grande disette, les monastères de l’Ordre manquaient de blé. Jean pensa qu’il en trouverait au couvent de Passignano, petite bourgade située sur la rive orientale du lac de Trasimène, célèbre par la défaite qu’Annibal infligea aux Romains en 217 avant Jésus-Christ. Il s’y rendit donc et pria le cellérier ou économe de lui donner la moitié de ce qu’il possédait. Le pauvre moine montra à Jean son grenier, à peu près vide à ce qu’il croyait. Mais à peine en eut-il

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ouvert la porte, qu’il s’arrêta épouvanté ; le grenier était plein d’excellent froment. Le vénérable abbé en fit remplir les sacs qu’il avait apportés, et cependant, lorsque le cellé-

rier alla voir son grenier, il le trouva également bien approvisionné. Une autre fois, recevant la vi-site du Pape saint Léon IX, il n’avait rien à lui offrir pour son repas. L’abbé commanda à deux no-vices d’aller pêcher quelques poissons dans l’étang voisin, où il n’y en avait habituellement que très peu. Les deux novices obéirent et revinrent bientôt apportant deux magnifiques brochets. Nous n’en finirions pas si nous voulions raconter tous les miracles que les biographes attribuent au fon-dateur de Vallombreuse. Bornons-nous à citer encore le suivant. Un jour, l'écuyer d'un chevalier du voisinage accourt à la cellule de Jean Gualbert et lui annonce que son maître est à l'agonie. Jean se met en prières et bientôt dit au messager : - Retournez vers le seigneur Ubaldo ; il se porte très bien et vous attend. L'écuyer repartit en toute hâte et retrouva le chevalier plein de santé.

Mort de saint Jean Gualbert. – Son culte. – Ses reliques.

Cependant, Jean Gualbert, âgé de soixante-dix-huit ans, tomba gravement malade. Il se trou-vait alors au couvent de Passignano. La maladie fut assez longue, et on raconte qu'un ange venait servir le vénérable mourant et l'aider à supporter ses souffrances. Jean fit appeler les abbés des mo-nastères qu'il avait fondés, leur recommanda une fidélité constante à la règle et une parfaite charité fraternelle. Il mourut le 12 juillet 1073 et son corps fut enseveli dans la chapelle du couvent. Le Pape Célestin III le canonisa le 6 octobre 1193 ; Clément VIII (mort en 1605) donna à sa fête le rite simple ; Clément X, le 21 mars 1671, le rite semi-double ; Innocent XI, le 18 janvier 1680, le rite double. La majeure partie des reliques du Saint est encore à Passignano. Un de ses bras est à Vallombreuse ; sa mâchoire, à l'église de la Sainte-Trinité, à Florence ; dans cette même église, on conserve le Crucifix miraculeux de San Miniato ; il se trouve dans l'une des chapelles du transept de droite, mais il est habituellement voilé. Une fête de la translation des reliques est fixée eu 10 oc-tobre. Quant à l'abbaye de Vallombreuse, les bâtiments actuels n'en datent que du XVIIe siècle ; elle fut fermée en 1810 par les Français et ne fut rouverte aux religieux qu'en 1819. Le monastère a été transformé en école forestière en 1869, et seuls quelques religieux y furent maintenus en quali-té de gardiens en attendant le retour du couvent à sa destination première. Du vivant du fondateur, l'Ordre vallombrosien avait été approuvé par le Pape Victor II en 1055 ; il le fut de nouveau par le bienheureux Urbain II, le 6 avril 1090 ; les Constitutions furent confirmées par Clément XI, le 15 mai 1704, puis par Benoît XV, le 28 mai 1921. Au début du XXe siècle, les religieux de Vallom-breuse étaient peu nombreux ; en 1929, on n'en comptait guère plus d 'une soixantaine, répartis en six monastères, dont celui de Sainte-Praxède, à Rome, le célèbre sanctuaire marial du Montenero, près de Livourne, et l'abbaye de Saint-Eusèbe, sur le Lac Majeur, qui leur avait été rendue pendant la Grande Guerre.

Th. Vettard.

Sources consultées. – Grands Bollandistes (t. III de juillet). – Migne, Dictionnaire des Ordres reli-gieux (t. III, Paris, 1850). – Annuaire pontifical catholique. – (V.S.B.P., n° 23).

SAINTS EUGÈNE, ÉVEQUE DE CARTHAGE

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SALUTAIRE ET MURITTE, ET LEURS 500 COMPAGNONS(-I- vers 505)

Fête le 13 juillet.

En 457, l'Eglise de Carthage avait perdu son évêque, saint Déogratias. Son veuvage allait du-rer un quart de siècle. A cette époque, c'est-à-dire dans la seconde moitié du Ve siècle, l'Afrique du Nord, possession romaine depuis près de six siècles, tout entière adonnée au plaisir de vivre s'il faut en croire Salvien, était devenue la proie des Vandales. Cette race avait dévalé comme un tor-rent du nord de la Gaule, traversant en 429 le détroit de Gibraltar et venant semer les ruines dans cette contrée. Le roi des Vandales, Genséric, s'était emparé de Carthage en 439.

En ce prince le fanatisme arien se mêlait à la cruauté et à la haine contre le catholicisme. Non content d'avoir inondé l'Afrique du sang des martyrs, il avait cru porter un dernier coup à la reli-gion orthodoxe en défendant sous peine de mort d'ordonner de nouveaux évêques, et cela pour in-terrompre la perpétuité du gouvernement ecclésiastique et empêcher la succession de l'épiscopat. Cependant, en 476, Genséric fit rouvrir les églises et revenir les évêques exilés. Il mourut l'année suivante, après un règne de trente-sept ans.

Élection de saint Eugène comme évêque de Carthage.

A Genséric succèda Hunéric, son fils aîné, dans le fond aussi farouche et aussi arien que lui-même. Cependant, les premières années de son règne, Hunéric donna aux catholiques des signes d'apaisement. Depuis vingt-sept ans, Carthage, privée d'évêque, n'avait pu obtenir de Genséric la liberté d'en élire un nouveau. L'intervention de l'empereur d'Orient, Zénon, arracha cette autorisa-tion à Hunéric ; mais le roi vandale y mit une restriction qui faillit en annuler l'effet.

L'édit qui permettait de procéder à l'élection, lu publiquement par Witarit ou Witared, notaire royal, était ainsi conçu :

Le roi m'ordonne de vous apprendre ce qui suit. L'empereur Zénon et la très noble Placidie nous ont écrit par Alexandre… qu'ils souhaitaient de Nous voir accorder un évêque à l'Eglise de Carthage. Sa Ma-jesté y consent, l'ordonne et le mande à l'empereur par l'ambassade. Suivant leur désir, vous choisirez tel évêque qui vous plaira, à condition que l'empereur autorise l'ordination en terre d'empire des évêques de la religion du roi (ariens). Sa Majesté veut que les évêques de sa religion, résidant à Constantinople et dans les autres pays d'Orient, aient liberté de prêcher en telle langue qu'ils voudront, et d'y exposer les mystères du christianisme comme ils l'entendront. Telle est, en effet, la permission qu'il vous accorde pour l'Afrique, d'avoir des oratoires, de célébrer la messe et de faire toutes choses comme vous l'entendrez. Si l'empereur refuse cette liberté en Orient à ceux de notre religion, Sa Majesté songe à exiler chez les Maures non seule-ment l'évêque de Carthage qui va être élu, mais tout le clergé d'Afrique sans exception.

Pour qui en pèse attentivement les mots, cette permission constitue un véritable marché, gros de menaces ; le document cité pouvait se résumer ainsi : les catholiques jouiront, parmi les héré-tiques ariens d'Afrique, des mêmes droits que les ariens dans l'empire, et si les ariens d'Orient ne jouissent pas de la liberté, les catholiques africains seront livrés aux Maures. On conçoit dès lors qu'un tel édit ait attristé le nombreux clergé de Carthage au lieu de le réjouir, car il laissait la porte ouverte aux plus lamentables équivoques. Ne valait-il pas mieux abandonner le gouvernement de l'Eglise au Christ, l'éternel Pasteur invisible ? Mais cette conclusion désespérée n'était pas du goût du peuple de Carthage, privé d'évêque depuis si longtemps. On lui donna donc satisfaction, et

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l'élection du prêtre Eugène eut lieu en 481, au milieu d'un enthousiasme indescriptible qui se tra-duisit même par des hurlements de joie, d'après l'historien de ces temps mouvementés Victor, évêque de Vite.

Le bon pasteur et les épreuves de l'Eglise de Carthage.

Qui était cet Eugène, devenu successeur des Cyprien et des Augustin ? Rien n'a transpiré de sa première histoire, et nous ne saurons rien de sa famille ni de ses premières origines. Le fait est, qu'il se révéla immédiatement comme une personnalité hors pair, d'une charité sans limite et qui ne se réservait rien.

On ne pourrait dire le triste état où les spoliations des Vandales, devenues proverbiales, avaient réduit la pauvre Église de Carthage ; néanmoins le pieux évêque trouvait moyen de ré-pandre parmi les indigents de si larges aumônes, que Dieu semblait multiplier à plaisir les res-sources entre ses mains.

Cependant les évêques ariens, surtout un certain Cyrila, crurent arrêter le progrès de son apos-tolat en lui faisant interdire par Hunéric de recevoir dans l'enceinte de son église aucun chrétien qui ne serait pas habillé à la mode vandale. Ils croyaient circonscrire ainsi le zèle du pasteur dans le cercle des Africains, depuis longtemps attachés au catholicisme, et l’empêcher de conquérir les ariens à la vraie foi. L’évêque repoussa ces suggestions. « La maison de Dieu, répondit-il avec une noble et sainte fierté, est ouverte à tout le monde : on ne peut pas en chasser ceux qui se pré-sentent. » Ce fut le signal d’une nouvelle persécution. Des bourreaux, placés par Hunéric à la porte des églises, crevaient les yeux des chrétiens qui s’y présentaient vêtus à la romaine ; d'autres fois, ils les tiraient violemment avec des crochets de fer, en forme de peignes, qui leur arrachaient les cheveux, souvent même la peau de la tête. Des femmes, dont cet effroyable supplice avait mis le corps en lambeaux, étaient ensuite promenées à travers les rues de la ville, pendant que les crieurs publics, précédant cette marche sanguinaire, invitaient les habitants à venir repaître leurs yeux de ce spectacle. Cependant aucune des saintes martyres ne devait succomber à un pareil tourment.

La persécution d'abord concentrée dans l'intérieur de Carthage, prit de l'extension. Hunéric voulut contraindre tous les officiers de son palais à signer une profession de foi arienne ; aussitôt les catholiques attachés à la cour par des charges ou des emplois, et qui préféraient la mort à l'apostasie, furent exilés dans les plaines d'Utique, et soumis comme des esclaves aux rudes tra-vaux de la campagne, exposés presque nus aux rayons brûlants du soleil africain. L'un d'eux, de-puis plusieurs années déjà, ne pouvait se servir d'une de ses mains. Cette infirmité suffit pour que ces barbares l'obligeassent à un travail plus pénible que celui de ses frères. Avec une grande confiance, le confesseur de la foi se mit en prières, et sa main paralysée recouvra aussitôt mouve-ment et vie.

La persécution devient générale et plus violente.

Cette première persécution avait été surtout dirigée contre les simples fidèles : Hunéric n'avait pas encore osé s'attaquer aux pasteurs, car il craignait que l'empereur Zénon n'usât à Constanti-nople des mêmes procédés à l'égard du clergé arien. Aussi Eugène, malgré les vexations inces-santes de l'astucieux Vandale, dont le trône s'élevait à côté du palais épiscopal, jouissait-il encore d'une indépendance relative. Il en profitait pour visiter, consoler et fortifier ses ouailles, et les pré-parer à de nouveaux combats. D'ailleurs, Hunéric tournait alors sa fureur contre les membres de sa propre famille ; prince ombrageux et cruel, il bannissait ou massacrait tous ses proches parents, afin de léguer à ses fils un trône solidement affermi. Sûr de lui, ce prince crut le moment venu

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d'établir en Afrique l'arianisme comme religion officielle sur les ruines de la foi catholique.

Héroïsme de plusieurs vierges. – Exil en Mauritanie.

Bien résolu cette fois à s'attaquer de préférence aux évêques, comme à la source même du sa-cerdoce, il eut d'abord recours aux plus infâmes procédés. I1 réunit les vierges consacrées à Dieu et voulut les contraindre à déposer contre l'honneur des évêques et des clercs catholiques. Pour donner une idée des affreuses tortures auxquelles il livra ces chrétiennes, qu'il nous suffise de dire qu'après leur avoir attaché aux pieds des poids énormes, on les suspendait en l'air et qu'on leur fai-sait sur le corps de larges et profondes brûlures avec des lames de fer chauffées au rouge. Malgré ces tortures, pas une parole calomnieuse ne sortit de la bouche de ces saintes filles. Le farouche Vandale, outré de dépit, ne dissimula plus ses desseins de vengeance. Jusque-là, il n'avait fait que des menaces contre les pasteurs ; cette fois, il allait rendre les églises désertes par d'effroyables massacres. Un décret de bannissement, daté du 19 mai de la septième année du règne de Hunéric, fut porté contre les évêques, les prêtres, les diacres et les catholiques restés fidèles. Ils furent ras-semblés au nombre de quatre mille neuf cent soixante-seize, à Siccaveneria, aujourd'hui Le Kef, et à Lares, aujourd'hui Lorba, pour être déportés dans les déserts de la Mauritanie, où ils allaient être soumis au plus dur esclavage. Les catholiques se portaient en foule à leur rencontre, portant des cierges et offrant leurs petits enfants à la bénédiction des confesseurs de la foi.

L'évêque de Vite, qui fut lui-même banni et persécuté, a laissé le récit des souffrances de ces généreux chrétiens. C'est un long martyrologe dressé dans un esprit de foi et de charité par la plume d'un martyr. « Les expressions me manquent, ajoute le témoin de la persécution, pour dé-peindre le spectacle vraiment tragique dont nous fûmes l'objet quand on nous livra entre les mains des Maures. Il n'était pas même permis à ces généreux martyrs de réciter tout haut une prière. Si la faiblesse ou la maladie en mettait quelques-uns dans l'impuissance de marcher, les barbares les pi-quaient avec la pointe de leurs javelots ou les lapidaient. Enfin, à leur arrivée dans une ville de Mauritanie, on les ensevelit dans une prison qui ressemblait plutôt à un tombeau.

On nous y jetait pêle-mêle les uns sur les autres, comme un tas de sauterelles, dit encore l'évêque de Vite, ou plutôt comme des grains d'un froment très pur. Joignez-y une chaleur dévorante qu'augmentait en-core la puanteur occasionnée par tant de corps malades et mourants et par les agglomérations d'immon-dices qui faisaient de notre cachot une fosse de pourriture et de boue...

On aurait dit que les barbares voulaient lancer un défi à tous les sentiments d'humanité. Cette malheureuse chrétienté d'Afrique, décimée par tant de vides, était en outre incapable de renouer la chaîne sacerdotale par des ordinations. Aussi le deuil et la dévastation s'étendaient-ils partout ; les ronces croissaient librement jusque dans les églises converties en granges ou en étables.

Une cérémonie troublée. – La conférence de Carthage.Les muets parlants de Tipasa.

Dans cette furieuse tempête, qu'était devenu le pilote de l'Eglise désolée de Carthage ? Par une permission visible de la Providence, il était demeuré à Carthage. La haine du roi vandale n'avait cependant pas désarmé. Ainsi, le jour de l'Ascension, 19 mai 483, pendant que les catholiques réunis dans l'église célébraient cette sainte solennité, un groupe de barbares pénétra dans l’enceinte et présenta à Eugène un nouveau décret du roi. Celui-ci, proposait sur le ton d’un ultimatum, une conférence entre les catholiques et les ariens de Carthage, pour le 1er février 484.

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Eugène répondit aux envoyés que si le roi souhaitait une conférence sur la religion, il serait bon de réunir les évêques d’autres pays, Italie, Gaule et Espagne, afin que la décision fût résolue d’après leur consentement unanime.

Saint Eugène refuse d'obtempérer aux ordres d'Hunéric.

« Fais-moi monarque de tout l’univers, repartit durement Hunéric, et je t'accorderai ce que tu demandes. – Il n'est pas nécessaire que vous soyez leur maître répliqua le prélat au barbare, il vous suffit d'écrire à vos amis (les autres princes ariens) de laisser venir leurs évêques, et de mon côté je préviendrai les nôtres, en particulier celui de Rome, l'Evêque des évêques, afin qu'étant tous as-semblés, ils décident quelle est la véritable foi. »

Cette réponse était trop raisonnable pour plaire à Hunéric ; frémissant de colère, il fit saisir plusieurs évêques, en envoya quelques-uns en exil et condamna les autres à être frappés de verges par les licteurs ; à la suite de cette flagellation, plusieurs subirent la peine capitale. Il défendit en même temps à tous ses sujets de manger avec les catholiques. Ces vexations n'étaient pas de nature à favoriser la concorde et la paix.

Cependant la conférence s'ouvrit à Carthage au jour indiqué, réunissant 466 évêques, ce qui montre combien l'Eglise africaine était florissante aux premiers siècles. La veille, le roi vandale avait fait arrêter et disparaître le saint évêque Latus, un des plus savants du clergé, afin d'intimider les autres. Convoquée sans bonne foi, cette assemblée ne fut qu'une nouvelle occasion pour Huné-ric de renouveler la persécution. Les catholiques avaient choisi dix de leurs prélats pour prendre la parole ; on ne voulut point les entendre. Une profession de foi explicite fut rédigée ; elle contenait la doctrine orthodoxe sur l'unité de substance et la trinité des Personnes divines, la nécessité, d'em-ployer le terme de « consubstantiel », la divinité du Saint-Esprit, et les autres dogmes attaqués par l'arianisme.

Le savant Bénédictin Dom Ruinart, qui fut longtemps le collaborateur de Mabillon, découvrit

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au XVIIIe siècle, dans la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, à Paris, un manuscrit écrit en caractères mérovingiens, disant que cette profession de foi fut envoyé en double exem-plaire aux évêques ariens et au roi. C'est la seconde que nous possédons. Elle est digne de figurer dans l'histoire du dogme de Nicée à côté des magistrales professions d'un saint Athanase et d'un saint Hilaire de Poitiers.

Le roi vandale répondit brutalement par un édit, daté de Carthage, 25 février, établi sans aucun doute par un personnage cultivé, et appliquant aux catholiques, selon la menace faite précédem-ment, les mêmes peines qui avaient été infligées en Orient aux hérétiques. Cet édit était applicable, à partir du 1er juin suivant. Toutes les églises catholiques furent fermées, leurs biens confisqués et les évêques et les clercs déférés aux tribunaux.

Tous ceux qui avaient pris part à la conférence de Carthage furent jetés sur des vaisseaux et transpor-tés dans l’île de Corse, où on les employait à couper le bois pour la construction des navires. Les fidèles qui demeurèrent constants dans leur foi étaient livrés aux plus cruels supplices. Des villes entières furent dépeuplées, et les habitants traînés en exil. (Darras.)

A Tipasa, pendant que les catholiques réunis dans une maison particulière célébraient les saints mystères, une horde de barbares pénétra dans l'enceinte et coupa la langue jusqu'à la racine à tous les membres de ce pieux troupeau ; mais ces héroïques martyrs gardèrent miraculeusement l'usage de la parole.

Si quelqu'un doute de ce prodige, ajoute Victor de Vite, qu'il s'achemine à Constantinople ; il y trouve-ra un sous-diacre, nommé Réparatus, qui fut de ces confesseurs de la foi, et qui parle avec une facilité et une éloquence merveilleuses : aussi est-il l'objet d'une grande vénération à la cour de l'empereur Zénon.

Exil de saint Eugène. – Mort d'Hunéric.Fin momentanée de la persécution.

Cependant Eugène n'avait pas été compris dans ce premier bannissement : Hunéric n'avait pas encore assez dépeuplé le troupeau de Carthage pour s’attaquer librement à son premier pasteur. C'est alors que l'impie Cyrila, chef des ariens sentant qu'il devenait 1'objet de l'exécration pu-blique, essaya de ressaisir le crédit populaire qui lui échappait. Eugène fut déporté dans un désert voisin de Tripoli, et confié à la surveillance tyrannique d'un évêque arien, nommé Antoine. Cet homme orgueilleux et barbare le retint longtemps prisonnier dans une caverne humide, où on espé-rait le voir succomber aux mauvais traitements, mais Dieu lui conserva la vie. C'est ainsi que les prélats ariens se faisaient eux-mêmes persécuteurs et bourreaux. Ils parcouraient les campagnes à la tête de soldats armés, rebaptisant tous ceux qu'ils pouvaient arrêter sur les grands chemins et multipliant partout les victimes de leur fureur.

Cependant la main de Dieu sembla s'appesantir sur les persécuteurs. Une maladie effroyable consumait lentement le corps d'Hunéric. Victor de Vite dit qu'un ulcère affreux s'étendit sur les membres inférieurs du corps, des vers sans cesse renaissants le dévoraient tout vivant. Saint Gré-goire de Tours ajoute que, dans sa frénésie, il déchira ses propres chairs avec ses dents.

Enfin, saint Isidore de Séville écrit que les entrailles lui sortirent du corps. L'horreur d'un tel spectacle fit trembler ses sectateurs mêmes, et il mourut dans des souffrances atroces, le 13 dé-cembre 484. Sa sépulture, ajoute Victor de Vite, fut plutôt celle d'un âne mort que celle d'un homme. Personne n'osait l'approcher, et on la montrait au doigt comme un exemple redoutable de la vengeance divine. Guntamond, son fils, mit fin à la persécution et rappela les exilés.

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Persécution de Trasamund. – Mort de saint Eugène.Ses reliques.

Cependant, après un court intervalle de paix, l'Afrique voit bientôt la persécution contre les ca-tholiques se renouveler par les ordres de Trasamund qui venait de succéder à Guntamond (496). Le système qu'il adopte contre ses sujets orthodoxes ne consiste plus en violences ouvertes, en sup-plices barbares, en exécutions sanglantes. Trasamund espère séduire les catholiques en leur pro-mettant des charges, des dignités, de l'argent ou des faveurs, mais ni les séductions ni les persécu-tions ne corrompent la foi, elles ne font que la purifier.

Les artifices de ce tyran sont aussi impuissants que l'avait été la rigueur des persécutions contre les fidèles de Carthage, car le vigilant pasteur veille toujours sur son troupeau. Outré de dé-pit, le roi vandale l'envoya prendre par ses satellites, et après avoir en vain essayé d'ébranler sa constance par la vue des supplices, il le fit déporter probablement en Sardaigne, comme en té-moigne la lettre du pape saint Symmaque écrivant « aux déportés de Sardaigne et autres îles ».

Il faut donc abandonner la tradition qui fixerait son exil à Albi, on 484, dans les Gaules. Cette version est peu vraisemblable, car Albi était alors du royaume wisigoth, qui professait l'arianisme comme les Vandales, et les ariens n'eussent pas manqué de le molester, sinon de le faire périr.

Par ailleurs, il est possible qu'Eugène ait habité en Corse où une vieille tradition veut le voir. Cependant, après être débarqué en Italie pour des raisons que nous ignorons, il suivit la grande voie romaine qui menait en Gaule et s'établit à Albi auprès du tombeau du saint martyr Amaranthe. Alaric II régnait sur le midi de la Gaule, alors pacifié. C'est sur ce sol hospitalier que le vaillant athlète de la foi vit la fin de ses glorieux travaux, le 13 juillet 505. Il fut enseveli dans le monastère qu'il avait fait bâtir à Vioux, ou Viance, près d'Albi. Le tombeau du grand évêque devint bientôt célèbre par les miracles qui s'y produisirent. Tous les Martyrologes parlent d'Eugène au 13 juillet. On croit à Albi qu'il est mort le 6 septembre.

Nous avons de saint Eugène une Exhortation aux fidèles de Carthage ; une Exposition de la foi catholique ; une Apologie de la foi, et une Discussion avec les ariens dont il ne reste que des frag-ments.

En 1404, Louis d'Amboise, évêque d'Albi, fit transporter dans sa cathédrale les réliques du saint évêque de Carthage, ainsi que celles de saint Amarand ou Amaranthe, qui honora le premier territoire d'Albi par son martyre, au IIIe siècle.

Une cohorte de cinq cents martyrs.

Au souvenir de saint Eugène, le Martyrologe Romain associe celui de « tous les clercs de son Eglise, au nombre d'environ cinq cents, ou même davantage », qui ont eu à souffrir persécution pour demeurer fidèles aux enseignements de l'Eglise. Et le texte se poursuit en ces termes :

Durant la persécution des Vandales, sous Hunéric, roi arien, ils endurèrent les fouets et la faim. Parmi eux, il y avait beaucoup d'enfants qui servaient comme lecteurs ; tous souffrirent en-suite avec joie les rigueurs d'un cruel exil. Les plus célèbres étaient l'archidiacre, nommé Salutaire, et Muritte, le second des officiers de cette Eglise, qui, confessant le Christ pour la troisième fois, eurent tous deux la gloire d'avoir persévéré constamment dans leur office.

Louis Petit.

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Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. III de juillet (Paris et Rome, 1867). – Abbé Baudoin, Saint Eugène (Marseille, 1909). – H.Leclercq, l’Afrique chrétienne, t. II (Paris, 1904). – (V.S.B.P., n° 388.)

SAINT BONAVENTUREFrère Mineur, cardinal et évêque, Docteur de l'Église (1221-1274)

Fête le 14 juillet.

Jean de Fidanza, si célèbre dans l'Eglise sous le nom de saint Bonaventure, naquit à Bagno-rea, en Toscane, en 1221. L'enfant entrait à peine dans sa quatrième année, lorsqu'il fut attaqué d'un mal si dangereux que les médecins perdirent bientôt tout espoir. Sa mère résolut de le sauver en obtenant un miracle. Saint François parcourait alors les campagnes de l'Ombrie, semant les pro-diges sous ses pas ; elle courut se jeter à ses pieds implorant avec larmes la guérison de son fils  ; elle promit en retour de le consacrer à Dieu dans l'Ordre que le Poverello achevait de fonder. Ce-lui-ci prit l'enfant dans ses bras, le guérit, et, entrevoyant les mystérieuses destinées qui lui étaient réservées dans l'Eglise, il s'écria : 0 buona ventura ! Oh ! la bonne rencontre ! » D'où le nom de Bonaventure, qui resta.

Quand l'enfant fut en âge de le comprendre, sa mère lui révéla le vœu qu'elle avait fait. A cette nouvelle, il tressaillit de joie. Mais avant de lui permettre l'entrée du couvent, on l'envoya dans les plus célèbres Universités d'Italie. Son humilité et son innocence n'y souffrirent aucune atteinte, malgré de réels dangers.

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Dans l'Ordre des Frères Mineurs.

Cependant Bonaventure avait atteint sa dix-septième année. Le moment était venu de quitter la vie facile du siècle pour l'austérité du cloître. Il le fit sans peine. Il entra dans l'Ordre des Frères Mineurs. Son noviciat se passa dans une ferveur croissante, et la profession combla tous ses vœux. Ses supérieurs remarquèrent bientôt les heureuses dispositions et les qualités éminentes du jeune profès. Aussi ils se déterminèrent, probablement vers 1242, à l'envoyer à l'Université de Paris, où il fut confié aux soins du célèbre Alexandre de Halès, le « Docteur irréfragable ». Celui-ci recon-nut sur-le-champ l'innocence qui resplendissait dans son disciple. « C'est un candide Israélite, di-sait-il, qui semble n'avoir pas même été souillé de la tache originelle. »

C'est à cette même époque qu'il faut faire remonter l'arrivée aussi de saint Thomas d'Aquin aux écoles de Paris, car il se lia bientôt avec Bonaventure d'une étroite amitié, qui sembla faire revivre celle de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze à Athènes. Tous deux couraient plus qu'ils ne marchaient dans la carrière des sciences et de la vertu. Bonaventure passa sans interruption et avec le plus prodigieux succès des épines de la philosophie à tort ce que la théologie a de plus grand et de plus profond. Il fut bientôt à même de résoudre avec une exacte précision les plus embarras-santes diffi- cultés, et l'Ecole retentit de ses louanges. Mais il ne cherchait à acquérir des connais-sances que pour mieux comprendre ses devoirs. La lumière de l'étude servait à le faire marcher plus sûrement dans la voie des Saints et à le rapprocher davantage de Dieu. L'invocation de l'Es-prit-Saint commençait toujours son étude, qui n'était du reste que la prolongation de sa fervente oraison.

Vertus de l'étudiant.

Déjà la charité consumait son cœur. Le service des malades était le plus doux objet de ses soins. Sans écouter ni délicatesse ni répugnance naturelle, il leur rendait tous les services. C'était au pied du Crucifix qu'il puisait cet héroïque dévouement.

A la vue d'un religieux de si grande vertu, les supérieurs voulurent l'élever au sacerdoce. Bona-venture crut que Dieu parlait par leur bouche, et malgré les saintes frayeurs de son humilité, il vint aux pieds de l'évêque recevoir l'onction sacrée. L'auguste ministère des autels fut dès lors la préoc-cupation exclusive de son cœur. Les ardeurs de sa charité devinrent encore plus brûlantes pendant le Saint Sacrifice. Son cœur enflammé du tendre amour de Jésus-Christ semblait passer jusque dans ceux qui le voyaient à l'autel. Il ne parlait de l'Eucharistie qu'avec de vifs transports. Nous avons un gage de ces tendres effusions dans son oraison : Transfige me, l'Eglise met sur les lèvres des prêtres après la sainte messe.

Mais Bonaventure savait qu'il avait reçu l'onction sacerdotale surtout pour les autres. C'est pourquoi il voulut tout de suite commencer à travailler à la vigne du père de famille. Il fut d'abord chargé d'annoncer la parole de Dieu. Les vérités de la religion clairement exposées, les dangers du siècle manifestés, le vice dépouillé de ses artifices et, présenté sous toutes les couleurs qui peuvent le rendre odieux, la vertu mise dans un jour aimable, tels étaient les sujets de sa première élo-quence, avec l'énergie et l'onction qui le caractérisèrent toujours.

Saint Bonaventure Docteur.

Le peuple chrétien avait donc trouvé dans ce jeune prêtre un apôtre. Ses Frères avaient le droit de chercher en lui un Docteur. C'est pourquoi ses supérieurs lui donnèrent une chaire dans les

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écoles de l'Ordre. Mais son nom en eut bientôt franchi les limites, et lorsque Jean de La Rochelle quitta sa chaire publique, à la Sorbonne, Bonaventure, âgé de trente-trois ans, fut appelé à lui suc-céder. C'était en 1254. Il y expliqua Pierre Lombard, le « Maître des sentences », avec tant d'abon-dance et de netteté qu'on l'aurait plutôt pris pour l'auteur que pour l'un de ses interprètes. Il com-mençait la preuve de ses questions par l'Ecriture Sainte, il passait ensuite aux autorités des Pères et il y joignait des raisons dont l'attrait inconnu produisait toujours une conviction entière. D'où les ti-rait-il ? Il va nous l'apprendre lui-même.

Thomas d'Aquin vint un jour le visiter, et comme il appartient aux Saints de pénétrer les Saints, il ne pouvait se méprendre sur les connaissances surnaturelles de Bonaventure. Il lui de-manda dans quels livres il puisait cette profonde doctrine que l'on admirait si justement en lui. Bo-naventure lui montra quelques volumes qu'il lisait assez souvent. Mais son ami lui ayant répondu qu'il avait aussi ces mêmes livres, qu'il en faisait également usage et qu'il n'y trouvait pas les mêmes richesses, alors Bonaventure montra un crucifix qui était sur sa table et dit :

« Voici l'unique source de ma doctrine ; c'est dans ces plaies sacrées que je puise mes lu-mières. »

Aussi sa doctrine, avec celle de saint Thomas, était reçue comme la plus saine et la plus salu-taire ; et c'est à juste titre qu'on l'appela le « Docteur séraphique », parce que ses leçons avaient au-tant d'onction que de force, et qu'en portant dans les esprits la lumière de la science, il portait dans les cœurs les feux de l'amour divin.

De si précieuses qualités lui valurent toute la confiance du roi saint Louis IX. Ce pieux mo-narque l'appelait souvent à sa table et l'admettait dans ses conseils. Bonaventure savait toujours, avec une aimable candeur, aider son royal ami. C'est à la prière de celui-ci qu'il mitigea la règle de sainte Claire pour les filles de la Cour qui voulaient se donner à Dieu dans le cloître, à l'abbaye de Longchamp, près Paris.

Des travaux si nombreux ne l'empêchaient pas cependant de prendre une part active à la lutte tristement célèbre, que certains esprits malfaisants avaient engagée contre les Ordres mendiants. Là encore il se retrouva aux côtés de Thomas. II écrivit deux opuscules : l'Apologie des pauvres et la Pauvreté de Jésus-Christ, pour réfuter les funestes et perfides attaques de Guillaume de Saint-Amour et de maître Girard. La plus grande charité unie à une force et à une éloquence entraînante préside à ces écrits.

Ministre général de son Ordre.

Pendant que l'illustre Docteur brillait ainsi au sein de l'Université, l'Ordre des Frères Mineurs souffrait de dissensions intestines, produites en grande partie par les soupçons d'hérésie que plu-sieurs nourrissaient à l'endroit du Ministre général, Jean de Parme. Le Pape Alexandre IV gémis-sait le premier de cette triste situation, et pour y mettre un terme, il ordonna la tenue d'un Chapitre général qui eut lieu le 2 février 1257, dans le couvent de l'Ara Caeli, à Rome.

Le Général s'y démit de ses fonctions. Par déférence, ses Frères le prièrent de se choisir lui-même un successeur. Sans hésiter il nomma le Fr. Bonaventure comme celui qui était le mieux en état de diriger l'Ordre séraphique. Cette désignation fut accueillie par d'unanimes applaudisse-ments. Le Pape la confirma, et Bonaventure, malgré ses larmes et ses supplications, dut accepter le fardeau. Le nouveau Général quitta aussitôt Paris pour se rendre à Rome où sa présence était très nécessaire et s'appliqua immédiatement à calmer les esprits. Une douceur sans faiblesse, une fer-meté sans aigreur, des discours pleins d'onction et de force, telles furent ses armes pour exciter les lâches, ranimer les tièdes et soutenir les fervents. Grâce à cette sage conduite, la sérénité revint bientôt dans tous les esprits, et il lui fut possible de reprendre le chemin de Paris.

Il visita sur sa route tous les couvents soumis à son autorité, et montra partout qu'il n'était de-venu le maître de tous, qu'afin de donner plus parfaitement l'exemple de l'humilité et de la charité.

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A Paris, il mena de front les devoirs de sa charge et les études particulières. Saint Thomas et lui avaient réfuté les ennemis des religieux. La paix et le calme avaient succédé aux agitations, au sein de l'Université. En gage de réconciliation, on invita les deux Saints à venir recevoir le bonnet de Docteur. Bonaventure avait fait dans les écoles mêmes de l'Université tous les exercices requis pour le grade qu'on allait lui conférer ; Thomas y était plus étranger, ayant fait une partie de ses études à Cologne. Qui des deux sera couronné le premier ? L'humilité de Bonaventure lèvera le doute, et malgré ses protestations, Thomas devra se rendre. Bonaventure triomphait ainsi de son ami et de lui-même.

Après cet événement, qui se produisit le 23 octobre 1257, il se retira à Nantes pour y goûter la paix de la solitude. On y voit encore la pierre qui lui servait d'oreiller. C'est en cette ville que furent composées plusieurs de ses ouvrages.

En 1260, il tint son premier Chapitre général, à Narbonne, où il donna aux Constitutions de l'Ordre leur forme définitive et où il se chargea d'écrire la Vie du séraphique saint François. De là, il passa au mont Alverne, afin de vivre pendant quelque temps dans un petit oratoire où son bien-heureux Père avait reçu l'impression des Stigmates. Sa vie y fut une extase continuelle, et il nous en laisse entrevoir la sublimité dans le livre qu'il écrivit aussitôt après : Itinéraire pour aller à Dieu.

Avant de quitter l'Italie, il se rendit à Assise et aux divers endroits où saint François avait vécu. Il y recueillit tous les renseignements de la bouche même de ceux qui avaient été témoins des mer-veilles opérées par le saint fondateur. Et de retour à Paris, en 1261, il se consacra à sa noble tâche avec une ardeur incroyable. II suffit, du reste, de lire cet admirable travail pour sentir que l'auteur était rempli des vertus qu'il exalte. Thomas d’Aquin était venu un jour lui rendre visite, et la porte de la chambre étant entrouverte, il l'aperçut tout ravi, hors de lui-même, et élevé de terre. Pénétré d'admiration et de respect, il ne voulut pas le troubler, et se retira en disant : « Laissons un Saint travailler à la vie d'un Saint. »

Dévot serviteur de Marie.

Saint Bonaventure avait une tendre dévotion envers la Mère de Dieu, et il en donna des preuves non équivoques au commencement de son généralat. Immédiatement après son élection, il s'était placé, lui et son Ordre, sous la spéciale protection de Marie. Toute sa vie, il travailla à étendre son culte. Ses écrits respirent l'amour le plus pur et la confiance la plus absolue en cette bonne Mère. Ainsi dans son Miroir de la Vierge, il décrit merveilleusement les grâces, les vertus et les privilèges dont Marie fut favorisée. Il composa aussi en son honneur un petit Office, tout rem-pli des effusions d'un cœur tendre et respectueux.

Le Souverain Pontife désirait le revêtir de quelque dignité ecclésiastique pour lui donner plus d'autorité. Aussi, l'archevêché d'York, en Angleterre, étant venu à vaquer, Clément IV, qui avait succédé à Urbain IV, ne trouva personne qui fût plus capable de gouverner cette Eglise que Bona-venture. Sans le consulter, il l'en nomma archevêque le 24 novembre 1265. A cette nouvelle, l'humble religieux accourt, tout effrayé, se jeter aux genoux du Pape ; il le supplie avec larmes de ne pas charger ses débiles épaules d'un aussi pesant fardeau. Il y met tant d'instances que Clément IV finit par céder, bien qu'à regret et Bonaventure, rendu à l'amour de ses enfants, s'appliqua plus que jamais à les guider dans la voie des Saints, plus peut-être encore par ses exemples que par ses paroles.

L'humilité la plus grande présidait à toute sa vie. Frappé de sa profonde indignité, il s'était abs-tenu pendant quelque temps de célébrer. Mais un matin qu'il entendait la messe et qu'il méditait sur la Passion de Jésus-Christ, une partie de l'hostie consacrée se détacha miraculeusement de la main du prêtre, et vint se déposer sur ses lèvres. Cette faveur remplit son âme de délices toutes célestes.

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Cardinal évêque d'Albano.

À la mort de Clément IV, en 1268, le Collège des cardinaux, indécis et irrésolu, ne pouvait lui donner un successeur. L'Eglise tout entière souffrait de cette absence de pasteur. Cette situation se prolongeait depuis déjà deux ans et dix mois quand Bonaventure entreprit d'y mettre un terme. Il réussit à faire tomber le choix des cardinaux sur le pieux Théobald, originaire de Plaisance, dont l'élection eut lieu le 1er septembre 1271. Le nouvel élu prit le nom de Grégoire X, et pendant les jours qui suivirent son élection et sa consécration, il honora Bonaventure des marques d'une amitié tout à fait spéciale.

Mais celui-ci, craignant qu'il ne la poussât jusqu'à vouloir l'élever aux dignités ecclésiastiques, s'empressa de quitter l'Italie. Arrivé à Paris, il reprit ses travaux, et c'est alors qu'il composa son Hexaméron (Sermons sur les six jours de la Création), où l'on trouve, avec la richesse d'une expo-sition sentencieuse, toute la pénétration d’une subtile scolastique. A peine avait-il achevé cet ou-vrage qu'il reçut un bref de Rome, daté du 3 juin 1273, dans lequel Grégoire X le nommait évêque d'Albano et cardinal ; et pour que son humilité ne put opposer de nouveaux obstacles, le Souverain Pontife lui donnait l'ordre d'accepter et de partir immédiatement pour Rome.

En même temps, il députait deux légats qui devaient le rencontrer en route et lui remettre, au nom du Pape, les insignes du cardinalat. Ceux-ci le trouvèrent dans le couvent des Franciscains de Mugelio, près de Florence. Le Général, qui recherchait toujours les plus bas offices, était occupé, avec plusieurs de ses frères, à laver la vaisselle. L'arrivée des deux délégués pontificaux ne le trou-bla nullement. Il leur demanda la permission de continuer ce qu'il avait commencé, et les pria de suspendre à une branche d'un arbre, tout proche, le chapeau de cardinal qu'il ne pouvait décem-ment recevoir de leurs mains. Les deux légats accédèrent à son désir et s'éloignèrent.

Bonaventure acheva son humble travail, puis alla les rejoindre, et leur rendre les honneurs dus à leur rang. La joie était si grande dans tout le couvent que les religieux laissèrent passer l'heure à laquelle ils récitaient ordinairement les Complies, sans oser abandonner leurs respectables hôtes. Ceux-ci ne les quittèrent que vers le soir, et aussitôt après leur départ, on se rendit au réfectoire, ajournant l'office après le repas. A peine était on à table que le Général, dont rien ne pouvait dis-traire la vigilance, s'occupa de savoir si l'on avait récité Complies ; sur la réponse négative qu'on lui fit, il leur demanda lequel des deux exercices devait être plus sagement renvoyé ; et, arrêtant le repas, il conduisit lui-même les religieux au chœur.

Au Concile de Lyon.

Pendant ce temps, le Pape était arrivé à Florence, et c'est là que Bonaventure lui fut présenté. Grégoire X l'exhorta à porter vaillamment sa nouvelle charge comme un prince de l'Eglise, et lui promit de le sacrer lui-même. Dans le cours de cet entretien, le nouveau cardinal reçut aussi l'ordre de se préparer à parler au Concile général réuni à Lyon, pour l'union des Grecs et des Latins. Saint Thomas y avait été appelé de son côté, mais le moment était venu, pour celui qu'on a appelé l'Ange de l'école, de monter aux cieux. Préoccupé des devoirs que lui imposait le cardinalat, et partageant toutes les vues du Pape, Bonaventure se livra à un labeur opiniâtre ; et, au bout de peu de temps, il fut en état de se montrer l'organe de la foi, et comme l'âme même du Concile. Il en dirigea les as-semblées préliminaires, et prépara toutes les matières qu'on devait traiter. A l'arrivée des ambassa-deurs grecs, il dut d'abord conférer avec eux, détruire leurs objections, et se prémunir contre leurs subtilités. Du reste, sa douceur et sa force d'argumentation les subjugua, et ils se soumirent à tout ce qui leur fut proposé.

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Mais tant de travaux avaient fini par attaquer une santé jusque-là très robuste. Cependant Bo-naventure ne voulut point y prendre garde. Il assista à l’ouverture du Concile, le 7 mai 1274, et, après le Pape, il adressa la parole aux Pères, réunis au nombre de cinq cents, sur ce texte : « Lève-toi, Jérusalem : monte sur un lieu élevé, regarde du côté de l'Orient, et vois tous tes enfants rassem-blés, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident. »

La justesse de l'application et les charmes de son éloquence gagnèrent tous les cœurs. Mais le mal grandissait, et il fallut bientôt constater que l'espoir n'était plus permis. Par une sorte de mi-racle, Bonaventure put encore se soutenir jusqu'après la quatrième session du Concile, au début de juillet. Il convenait, en effet, que l'ouvrier du Seigneur put contempler un moment les admirables fruits de sa parole. A la messe, après le chant du Credo, les Grecs, au nom de l'empereur, abju-rèrent le schisme, acceptèrent la profession de foi de l'Eglise romaine, et reconnurent, librement et sans restriction, la primauté du Pape. Tous les vœux de Bonaventure étaient comblés ; et, après avoir joui un instant de la récompense sur la terre, il ne lui restait plus qu'à aller recevoir celle du ciel.

Mort de saint Bonaventure. – Son culte.

L'abattement du corps était complet, mais son âme restait en paix. La singulière dévotion qu'il avait toujours eue pour l'adorable Sacrement de nos autels lui faisait vivement souhaiter de le rece-voir ; mais à cause du vomissement continuel dont il souffrait, il se priva, par respect, de cette consolation divine afin de se dédommager, en quelque sorte, il voulut revoir encore son Bien-Ai-mé.

Pour satisfaire ce pieux désir, on apporta dans sa chambre le saint ciboire. Dès qu'il l'eut aper-çu, il recueillit toutes ses forces, attacha fixement ses yeux sur ce Pain des anges, et dans les dans les transports d’une foi et d'une tendresse sans bornes conjura le prêtre d'approcher de lui cet Agneau de Dieu, et de le poser sur sa poitrine. A peine l'Hostie sainte avait-elle touché le cœur brûlant de ce séraphin terrestre, qu'elle pénétra la poitrine, laissant une marque sensible de son pas-sage. Après cette divine faveur, dans une paix inaltérable, il émigra vers Dieu, le 15 juillet 1274, à l'âge de cinquante-trois ans. L'Eglise entière le pleura, car elle perdait en lui un de ses plus beaux ornements ; un Docteur incomparable, qui apprit beaucoup plus des révélations divines que de son propre travail, et qui sut traduire sa science dans un langage enflammé d'amour.

Du reste, le témoignage de Grégoire X suffit à lui seul pour montrer ce qu'était Bonaventure : « Cecidit columna christianitalis : une colonne de la chrétienté est tombée », s'écria le Pape au cours de la dernière session du Concile. Ce mot était bien le résumé d'une vie tout entière em-ployée à défendre et à faire aimer l'Eglise.

Bonaventure fut canonisé, le 14 avril 1482, par Sixte IV, et, le 14 mars 1587, Sixte-Quint le mit au rang des Docteurs.

Les reliques du Saint furent conservées longtemps à Lyon, dans l'église des Frères Mineurs, où il avait été enterré. En 1434, le 14 mars, elles furent transférées dans une autre église de la ville nouvellement bâtie et dédiée à saint François. En 1562, les huguenots brûlèrent une partie de ces précieuses reliques. A la grande Révolution elles disparurent tout à fait. On n'a plus du Saint qu'un bras que l'on conserve, depuis 1434, à Bagnorea, sa ville natale.

A. R.

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Sources consultées. – G. Palhoriès, Saint Bonaventure (Collection La Pensée chrétienne). – P. Eusèbe Clop, Saint Bonaventure (Collection Les Saints). – P. Léopold De Chérancé, Saint Bonaventure. – (V.S.B.P., n° 233).

SAINT HENRIRoi et Empereur (973-1024)

Fête le 15 juillet.

Du point de vue chronologique, saint Henri est le treizième des vingt rois inscrits par l'Eglise au Martyrologe Romain. Mais, comme l'observe finement un de ses biographes, l'abbé Lesêtre, telles ont été pour ces hommes les difficultés à surmonter afin de devenir des saints dans la place qu'ils occupaient, que leur nombre, si faible qu'il paraisse, est encore un titre de gloire pour l'huma-nité.

A l'ombre du cloître.

Henri vit le jour le 6 mai 973, probablement à Ratisbonne. Il était le premier-né d'Henri II le Querelleur, duc de Bavière et cousin de l'empereur Othon II. Sa mère, Gisèle, fille d'un roi de Bourgogne, eut à se préoccuper de bonne heure de l'éducation de son fils, car celui-ci- atteignait à peine sa deuxième année quand son père fut jeté en prison par ordre de son puissant cousin. Pour désarmer le courroux du monarque, elle mena l'enfant au monastère d’Hildesheim, en Saxe, et pro-mit de le vouer à la vie des Chanoines réguliers. Ainsi dirigé officiellement vers la carrière reli -gieuse, le jeune Henri ne risquerait pas, pensait-elle, de porter ombrage à Othon II.

Au contact quotidien avec les auteurs sacrés, les biographes des Saints, les littérateurs et les philosophes de marque, le futur empereur commença d'acquérir ce tour d'esprit, ce sens des choses de l'Eglise, cette largeur et cette modération d'idées qui lui seront plus tard d'un si grand secours dans le gouvernement des hommes.

Il importait toutefois à la popularité du jeune prince que son éducation s'achevât en Bavière, dans le duché que son père avait gouverné et à la tête duquel on espérait bien malgré tout le voir lui même un jour. C'est pourquoi ses parents le confièrent à saint Wolfgang, religieux Bénédictin devenu évêque de Ratisbonne.

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Le duc de Bavière.

Henri avait vingt-deux ans quand les seigneurs de Bavière le désignèrent pour succéder comme duc de Bavière, à son père, Henri II, mort le 28 août 995. Le défunt avait tout fait pour pré-parer cette élection ; elle s'accomplit avec d'autant moins de difficulté que la tendance à recon-naître les droits héréditaires s'accusait de plus en plus dans un pays où jusqu'alors toutes les digni-tés, au moins en droit, étaient électives. L'empereur Othon III, qui venait de succéder à Othon II, ratifia sans peine le choix de la noblesse bavaroise.

Vers cette époque, le nouveau duc, cédant aux instances de son peuple, contracta mariage. Il rencontra une épouse digne de lui dans la personne de sainte Cunégonde, fille de Siegfried, comte de Luxembourg. Ainsi que devait le déclarer Eugène III, en 1145, dans la Bulle de canonisation, leur union fut sanctifiée par une chasteté conservée intacte jusqu'à la mort. Pendant les sept années qu'il gouverna son duché, Henri III de Bavière se montra seigneur loyal et dévoué, s'efforçant d'apaiser la turbulence des féodaux. Il accompagna l'empereur en 996 et en 998 dans ses deux ex-péditions en Italie. Les rapports les plus cordiaux existaient entre lui et Othon III, qui se plaisait à le nommer son « très cher cousin » et son « aimable duc ».

Ils furent de courte durée. Le 23 janvier 1002, Othon III mourait sans postérité à Paterno, près de Capoue, âgé seulement de vingt et un ans. Sa royale descendance comme aussi la faveur mar-quée d'un bon nombre de seigneurs influents, autorisaient le duc de Bavière à briguer la succession de l'empereur défunt. Dans une Diète tenue à Werla, en 1002, l'assemblée reconnut qu'Henri devait régner « avec l'aide du Christ et en vertu de son droit héréditaire ». Ces rivaux essayèrent de lui opposer d'autres Diètes, mais l'un d'eux, Eckhard de Meissen, fut assassiné. Un autre, Hermann, duc de Souabe, était désavantagé par son grand âge ; Henri se fit élire, sacrer et couronner le di-manche 7 juin 1002, à Mayence. Le duc de Bavière Henri III devenait ainsi Henri II, roi de Germa-nie. Sa royauté fut reconnue au cours des mois suivants.

Le roi de Germanie.

A l'avènement d'Henri II, l'Allemagne, outre les cinq duchés de Saxe, de Franconie, de Souabe, de Bavière et de Lorraine, comprenait encore la Belgique, les Pays-Bas, presque toute la Suisse, quelques provinces de l'Italie et de la France. Cette trop vaste agglomération manquait de l'homogénéité nécessaire pour durer. Aussi le nouveau monarque fut-il constamment aux prises avec les difficultés. Au sein de l'empire s'agitait une féodalité orgueilleuse, brutale, impatiente du joug commun, toujours prête à la révolte et parfois à la trahison. A son propre foyer, les cinq frères de sa femme remplissaient le palais d'intrigues. Enfin, l'Italie et surtout la Pologne constituaient de grosses menaces. Dès l'année 1003, la lutte s'engagea entre l'Allemagne et Boleslas Chobry, le chef redoutable des Polonais. Après trois guerres indécises, un compromis intervint enfin le 30 janvier 1018 entre les deux rois : en échange de la Lusace, Boleslas renonçait à la couronne germa-nique.

En même temps qu'il faisait face à l'ennemi de l'Est, Henri avait à se défendre au Sud, où le roi Arduin d'Ivrée cherchait à soulever contre l'empire le sentiment national. La nécessité de le com-battre et aussi de repousser les Sarrasins et les Grecs obligea le monarque allemand à trois expédi-tions en Italie. Au cours de la première, en 1004, il reçut à Pavie la couronne de Lombardie.

En prince imbu de l'esprit chrétien, Henri s'était proposé le règne de Dieu sur la terre. Fidèle à cet idéal, sa politique chercha toujours à concilier, par des combinaisons sagement étudiées, les in-térêts de l'Eglise et ceux de l'Etat. Un de ses premiers actes fut de doter de nombreux monastères

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en Bavière et d'en fonder de nouveaux. C'est qu'à cette époque l'Ordre monastique se présentait comme un organisme merveilleusement adapté à l'œuvre de la civilisation, soit qu'il assurât le bien-être des populations par le travail, soit encore que ses domaines intercalés entre ceux des grands vassaux du royaume empêchassent les seigneurs d'acquérir une prépondérance territoriale menaçante pour le souverain ; soit enfin parce que chaque centre monastique constituait un foyer exemplaire de prière et d'étude.

Au cours de ses pérégrinations, Henri aimait à séjourner dans les couvents au milieu des moines. Il s'édifiait de la régularité des bons, mais ne craignait pas d'intervenir hardiment pour faire cesser les abus. Par amour de la popularité, Bernard, abbé du monastère de Hersfeld, au nord de Fulda, laissait ses moines vivre à leur guise. Lui-même, sous prétexte de santé, se retira avec sa suite dans une demeure bâtie sur la montagne. Il y vivait fort largement, si bien que les moines se plaignirent qu'il employât à son usage les biens du monastère et leur refusât à eux-mêmes le néces-saire.

Henri, à qui la plainte fut adressée, appela aussitôt à Hersfeld, en qualité d'Abbé, un saint reli-gieux, Godehard, avec mission d'y introduire la réforme. « Ce n'est pas un monastère qu'on me donne, se serait écrié le nouveau venu, à la vue de tant de biens, c'est un royaume ! » Puis, sans tar-der, l'abbé signifia aux religieux qu'il venait pour appliquer à la rigueur la règle de saint Benoît, mais que la porte restait ouvert à ceux qui ne se sentaient pas le courage de s'y soumettre.

Quelques vieillards et quelques jeunes moines demeurèrent seuls. La désertion du grand nombre ne découragea ni Henri ni Godehard. Les moines fugitifs revinrent peu à peu, les trésors amassés furent distribués aux pauvres, la simplicité monastique fut remise en honneur et bientôt à Hersfeld refleurit dans toute son austérité la règle bénédictine. Ce qui se fit à Hersfeld se renouvela dans beaucoup d'autres monastères, sous l'impulsion du pieux souverain, qui entretenait, les plus intimes relations avec les grands réformateurs de son époque, en particulier avec saint Odilon, ab-bé de Cluny. Ils se comprenaient merveilleusement l'un l'autre, et l'on peut dire, écrit M. Lesêtre, que « si, dans l'œuvre de la réforme monastique, Odilon fut la tête, en Allemagne Henri fut le bras droit ».

Les intrigues des seigneurs soutenus par ses propres beaux-frères et plusieurs autres membres de sa famille étaient pour le roi de Germanie une source de soucis. D'accord avec l'évêque de Wurtzbourg, ces ambitieux avaient habilement combiné le plan d'une répartition des diocèses qui arracherait à l'archevêque de Mayence la suprématie sur les régions frontières de la Bohême. Cette mesure n'était pas seulement la ruine de l'œuvre de saint Boniface : elle était dans l'esprit de ses au-teurs, le prélude d'un morcellement de l’empire à leur profit.

Pour déjouer ces calculs, et aussi pour « détruire le paganisme des Slaves », le roi négocia avec le Pape Jean XIX l'érection de l'évêché de Bamberg (1006), qui fut placé sous la protection directe du Saint-Siège, mais sans être soustrait à la juridiction de la métropole de Mayence. D'autre part, la concession du titre et de la puissance de duc à l'évêque de Wurtzbourg, en 1017, finit par apaiser le prélat.

L'empereur d'Allemagne.

Par ses brutalités et ses maladresses, Arduin d'Ivrée, le prétendu « roi national », avait mécon-tenté ses sujets italiens qui commençaient à tourner les yeux vers le monarque allemand ; mais ce-lui-ci attendait pour intervenir à coup sûr, une occasion favorable. Elle lui fut fournie en 1012 par l'élection de Benoît VIII en faveur duquel Henri II se prononça contre l'antipape Grégoire dont il rendit l'usurpation éphémère.

L'apparition de l'armée allemande en Italie, à la fin de 1013, eut son rapide contre-coup dans la péninsule. Arduin, se voyant perdu, renonça à la couronne pour se retirer ensuite dans un monas-

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tère. A Rome, les partisans de Grégoire jugèrent leur cause désespérée, abandonnèrent leur créa-ture et attendirent en silence les événements, pendant que Benoît VIII reprenait possession de la ville et des palais apostoliques.

Le roi y arriva à son tour dans les premiers jours de février. Le Pape, entouré d'un nombreux cortège de prélats, se porta à sa rencontre, tenant un globe d'or, enrichi de pierres précieuses et sur-monté d'une croix, symbole du pouvoir que le souverain devait exercer sur le monde en loyal sol-dat du Christ. Henri reçut le présent avec joie, l'examina et dit au Pape : « Saint Père, ce que vous m'avez fait préparer là est très expressif ; vous me donnez une excellente leçon en me montrant par ce symbole de mon empire, d'après quels principes j'ai à gouverner. »

Puis retournant le globe à plusieurs reprises, il ajouta : « Personne n'est plus digne de posséder un tel présent que ceux qui, loin de l'éclat du monde, s'appliquent à suivre la croix de Jésus-Christ. » Et le globe d'or prit la route de Cluny.

Le couronnement eut lieu le 14 février 1014. Le matin de ce jour, le roi se rendit avec son épouse Cunégonde à la basilique de Saint-Pierre. Le Pape l'attendait sur les marches du péristyle, où il lui posa les questions accoutumées, s'il consentait à être le zélé patron et défenseur de l’Eglise romaine et s’il promettait fidélité en toutes choses à lui et à ses successeurs. Sur sa réponse affir-mative, Henri fut introduit dans la basilique et sacré empereur, puis couronné solennellement avec l’impératrice Cunégonde. Il fit aussitôt don de sa couronne, qu’elle fut placée sur l’autel du Prince des apôtres. A l’occasion de son couronnement, le nouvel empereur délivra au Pape une charte de privilèges. Il lui garantissait la Toscane, Parme, Mantoue, la Vénétie, l’Istrie, les duchés de Spolète et de Bénévent, et même éventuellement les territoires de Naples et de Gaëte, encore aux mains des Byzantins. Une autre clause stipulait que « tout le clergé et toute la noblesse de Rome s’enga-geraient par serment à ne procéder à l’élection des Papes qu’en observant les règles canoniques, et que le nouvel élu, avant d’être sacré, s’engagerait lui-même, en présence des envoyés de l’empe-reur ou en présence de tout le peuple, à conserver les droits de tous ».

L'Abbé du monastère de Saint-Vanne, qui a reçu saint Henri au nombre de ses religieux, lui ordonne, au nom de l'obéissance de remonter sur le trône.

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C'était, en somme, la confirmation d'un droit reconnu par serment à Louis le Débonnaire par Eugène II (824-827) et qu'expliquaient, en cette période de troubles et d'anarchie, les difficultés de l'élection pontificale. Toutefois, cette tutelle impériale exercée sur l'Eglise lui réservait les plus graves périls, car les empereurs d'Allemagne s'en réclamèrent ensuite pour justifier leurs interven-tions intolérables dans les affaires de la Papauté. La bonne entente, ainsi scellée entre Benoît VIII et Henri II, ne se démentit pas un instant pendant toute la durée de leur commun gouvernement. Elle leur permit de travailler efficacement au bien de la chrétienté, en particulier à l'observation da la Trêve de Dieu, dont le Concile de Poitiers avait, en l'an 1000, proclamé le principe et qui, pour entrer dans les cœurs, avait besoin du bras séculier.

Dès les premières années du XIe siècle, on vit Henri II parcourir les provinces d'Allemagne, proclamant la paix locale, Landfrieden, dans les grandes assemblées, comme à Zurich en 1005, à Mersebourg en 1012, où tous, depuis le plus humble jusqu'au plus puissant, jurèrent « qu'ils main-tiendraient la paix, qu'ils ne seraient point complices de brigandages ». Beaucoup de seigneurs et d'évêques suivirent cet exemple. Burkhard, évêque de Worms, publia un édit de paix afin de sou-mettre ses sujets « riches et pauvres » à la même loi. Contre ceux qui s'opposèrent au mouvement, l'empereur n'hésita pas à sévir et à dépouiller même des margraves de leur charge.

C'est également le désir de réaliser la pensée pontificale d'une paix universelle qui détermina Henri II à se rencontrer à Mouzon, près Sedan, les 10 et 11 août 1023, avec le roi de France Robert le Pieux. Ensemble les deux monarques y étudièrent les moyens de remédier aux maux de la chré-tienté. Ils convinrent qu'un Concile général serait demandé au Pape pour remédier aux abus.

L'empereur grec de Constantinople conservait encore une certaine prétention d'autorité sur les Etats pontificaux. Les quelques villes de la Basse-Italie demeurées sous sa domination étaient ad-ministrées par un gouverneur. Celui-ci, obéissant aux ordres de son maître, envahit plusieurs villes de la Pouille qui relevaient du Saint-Siège et il ne dissimulait point son intention de rétablir l'in-fluence byzantine dans toute l'étendue de la péninsule. Le Pape envoya contre lui, Raoul, prince de Normandie, qui força les Grecs à se retirer de la Pouille. Mais pour assurer d'une manière plus du-rable l'indépendance de l'italie, Benoît VIII passa les Alpes et vint exposer à l'empereur l'état des affaires.

L'entrevue eut lieu à Bamberg (avril 1020). Des questions de la plus haute importance y furent examinées tant au point de vue social qu'au point de vue religieux. Il s'agissait de repousser la do-mination byzantine, hostile à l'Eglise et ennemie de son unité. Saint Henri renouvela donc au Pape ses engagements de fidélité, et lui promit de voler à la défense du Saint-Siège dès qu'il le verrait menacé dans ses droits. Diverses questions de discipline furent également examinées relativement à la réforme du clergé. Dans le milieu de novembre 1021, l'empereur quittait Augsbourg pour une troisième expédition dans l'Italie qu'avaient envahie à nouveau les Grecs.

Cette fois, leur défaite fut complète. Henri leur enleva toutes les places qu'ils avaient conser-vées jusqu'alors et en fit don au Saint-Siège ; puis, après avoir ainsi pacifié la péninsule, il songea à retourner dans ses Etats. II s'arrêta quelque temps au Mont-Cassin, où il régla avec le Pape di-verses affaires concernant l'administration de la célèbre abbaye.

La couronne éternelle.

Un jour qu'Henri visitait les bâtiments de l'abbaye de Saint-Vanne, en Lorraine, que, venait de restaurer Richard, Abbé de ce monastère, il proféra, en entrant dans le cloître, ces paroles du psal-miste : « Voici le lieu de mon repos pour toujours, c'est là que j'habiterai, dans le séjour de mon choix. » Haimon, évêque de Verdun, qui accompagnait le souverain, connaissait son goût de la vie monastique. Il avertit l'Abbé de ce qui allait probablement se passer. En effet, Henri ne tarda pas à

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manifester le désir de quitter la vie séculière pour devenir moine. Richard comprit que la vocation de l'impérial visiteur n'était pas celle d'un pauvre et modeste religieux ; il trouva un expédient pour satisfaire la piété du prince sans nuire à l'État. Il assembla sa communauté et pria l'empereur de s'expliquer devant tous ses religieux. Henri protesta qu’il avait résolu de quitter les vanités du siècle, pour se consacrer au service de Dieu dans le monastère où il se trouvait.

- Voulez-vous, dit l'Abbé, pratiquer l’obéissance jusqu'à la mort, suivant la règle et l'exemple de Jésus-Christ ?

- Je le veux, répond Henri.- Et moi, reprend l'Abbé, dès ce moment je vous reçois au nombre de mes religieux. J'accepte

la responsabilité du salut de votre âme, si de votre côté vous promettez de suivre, en vue du Sei-gneur, tout ce que je vous ordonnerai.

- Je jure de vous obéir ponctuellement en tout ce que vous me commanderez.- Je veux donc, conclut Richard, et je vous ordonne, en vertu de la sainte obéissance, de re-

prendre le gouvernement de l'empire confié à vos soins par la Providence divine.Je veux que vous procuriez, autant qu'il dépendra de vous, le salut de vos sujets, par votre vigi-

lance et votre fermeté à rendre la justice.L'empereur, étonné, regretta sans doute de ne pouvoir secouer le joug qui pesait sur ses

épaules ; il se soumit pourtant, et continua de faire briller sur le trône les vertus qu'il eût voulu en-sevelir dans la solitude.

Cependant sa vie, si remplie de saintes œuvres, touchait à sa fin. Sa santé avait toujours été chancelante. Ses voyages incessants, ses nombreuses campagnes, les soucis de toute nature et sur-tout son dernier séjour en Italie minèrent ses forces. Au commencement de 1024, il devint évident que sa fin approchait. Un repos de trois mois à Bamberg lui ayant procuré quelque soulagement, il se remit aux affaires et ce fut sa perte. La mort le terrassa dans l'exercice des devoirs de sa charge, le 13 juillet 1024, au château de Grona, non loin de Goslar. Avec lui s'éteignait la maison de Saxe. Par son fondateur, Henri le Grand, elle avait puissamment travaillé à grouper autour d'elle les peuples germaniques ; par son dernier représentant, Henri le Saint, elle avait noblement servi l’Eglise.

Un peu plus d'un siècle après sa mort, le Pape Eugène III fit instruire le procès de canonisation et proclama, le 12 mars 1146, la sainteté du souverain. Au milieu de la nef centrale de la cathédrale de Bamberg se dresse encore le monument élevé à la mémoire de l'empereur Henri et de l'impéra-trice sainte Cunégonde. Ce tombeau, déplacé en 1658, fut rétabli en son lieu primitif en 1833.

Des deux époux il ne conserve plus aujourd'hui qu'un peu de poussière. Ce qui reste de leurs ossements à Bamberg, principalement le crâne et le fémur de saint Henri, le crâne de sainte Cuné-gonde, est gardé dans le trésor de la cathédrale, avec différents objets leur ayant appartenu. Le tombeau porte cette inscription :

« Aux saints Henri et Cunégonde, associés dans une impériale et virginale union, fondateurs, défenseurs, patrons de cette église. »

Le Pape Pie XI, le 4 décembre 1923, a amplifié le culte de saint Henri en élevant sa fête au rite double pour toute l'Allemagne.

H.L.

Sources consultées. – Abbé Henri Lesêtre, Saint Henri (Collection Les Saints). –Abbé Fernand Mour-ret, Histoire générale de l'Eglise, t. IV, La Chrétienté. – (V.S.B.P., n° 85.)

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………….

PAROLES DES SAINTS_________

L'amour de Dieu.

Si jamais, dans la sérénité des nuits, contemplant d'un œil attentif l'inénarrable beauté des astres, vous avez pensé au Créateur de l'univers qui a semé le ciel de fleurs brillantes et donné aux choses une utilité plus grande encore que leur beauté ; ou si, pendant le jour, vous avez admiré les merveilles de la lumière, et, par une soigneuse méditation, monté des choses visibles jusqu'aux in-visibles, alors vous êtes un digne auditeur (de la parole de Dieu).

Saint Basile.

(Homélies sur l’Hexaemeron, IV.)

SAINTE REYNELDEVierge, et ses compagnons, martyrs en Brabant (- 680).

Fête le 16 juillet.

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Dans les dernières années du VIIe siècle, des bandes de barbares, auxquels les peuples ef-frayés ont donné le nom de Huns, mais qui étaient plutôt des Frisons, se jetèrent sur les provinces du nord des Gaules et causèrent de grands ravages dans le Hainaut, le Brabant, et jusque dans la Morinie, le Ponthieu et la Picardie. C'est de la main de ces idolâtres que la noble vierge sainte Rey-nelde, patronne de Condé, sa patrie, reçut la couronne du martyre.

Une famille de Saints.

Reynelde, encore appelée Ernelle, Renelle, Reinilde ou Rinilde, naquit, vers le milieu du VIIe siècle, à Condé ou peut-être à Saintes, localité du Brabant située entre Hal, qui est le centre d'un pèlerinage marial très célèbre en Belgique, et Enghien. Elle était fille du bienheureux Witger et de sainte Amalberge ou Amélie.

Amalberge, souche de cette famille bénie, était la nièce, du bienheureux Pépin de Landen qui fut maire du palais d’Austrasie sous le règne des rois Clotaire II, Dagobert 1er et Sigebert II. Deve-nue orpheline à un âge assez tendre, Amalberge se suffit à elle-même dans l'administration de ses domaines de Saintes, apanage de sa famille. Aux qualités qui font une princesse accomplie, elle joignait une tendre dévotion pour notre Sauveur, et c'est aux pieds du divin Maître, qu'elle allait puiser cet esprit de douceur et de fermeté qu'elle déployait dans toutes ses actions.

Elle eût bien désiré passer sa vie dans le saint état de virginité ; mais telle n'était point la vo-lonté de Dieu qui l'avait choisie pour donner au monde une génération entière de Saints. Le bien-heureux Pépin, son oncle, la fiança au comte Witger, noble seigneur du pays, qui remplissait à la cour des fonctions importantes et dont les vertus déjà grandes s'augmentèrent encore sous l'action de l'ange que Dieu lui donnait pour compagne.

Cinq ou peut-être sept enfants, tous décorés de l'auréole des élus furent les fruits de cette sainte union ; ce sont saint Emebert ou Aldebert, appelé aussi Hildebert, qui, succédant à saint Vindicien sur le siège de Cambrai et d'Arras, gouverna ce diocèse de 693 à 713 ; deux autres Saints sont sou-vent désignés comme ses frères, à savoir Venant et Gengoux ; enfin viennent quatre filles les saintes Ermentrude, Pharaïlde, Reynelde et Gudule ou Goule, cette dernière patronne de la reli-gieuse Belgique, et dont la fête se célèbre le 8 janvier.

Pieuse enfance.

Dès ses premières années, Reynelde donna de grandes espérances qui devaient pleinement se réaliser. Aussi ses parents l'environnaient-ils de leurs soins et de leur sollicitude, afin de faire croître dans son cœur les germes de vertu que Dieu y avait déposés. Lorsqu'elle fut arrivée à l'âge de l'adolescence, elle se vit recherchée, à cause de sa naissance et de ses brillantes qualités, par plusieurs jeunes seigneurs dont chacun ambitionnait d'avoir pour épouse une personne si accom-plie. Reynelde sut décliner avec prudence toutes ces prétentions et déclara ouvertement qu'elle ne vivrait que pour Dieu, à qui elle voulait consacrer ses biens, sa virginité et toute son existence.

Déjà même elle se préparait à l'accomplissement de ce généreux sacrifice, par la pratique des bonnes œuvres. Les jeûnes, les veilles et les prières faisaient ses délices ; elle soulageait les pauvres, les malades, les infirmes et leur procurait tous les secours qui étaient en son pouvoir. Sa

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présence rappelait partout la joie, la paix et surtout la confiance en Dieu. Du Maître divin, en effet, elle parlait sans cesse avec un sentiment de bonheur qui se trahissait dans ses traits et qui pénétrait le cœur de tous ceux qui l'entendaient. Dans sa demeure, on la voyait toujours soumise aux volon-tés de ses parents, pleine de douceur et d'affabilité envers les serviteurs, à qui elle rendait même plus de services qu'elle n’en recevait.

Plus tard, lorsque Amalberge et son mari, déjà avancés en âge, virent leurs enfants disposés à entrer dans la carrière sacerdotale ou religieuse, ils songèrent eux-mêmes à se retirer, d’un consen-tement mutuel, dans quelque monastère, afin de se préparer tranquillement à la mort et de ne plus s’occuper que de la grande affaire de leur salut, donnant ainsi au monde un admirable exemple d’abnégation. Cette façon de faire était fréquente à ces époques de foi profonde et de vie parfaite-ment chrétienne. C’était alors la manière de « prendre sa retraite », comme on dit de nos jours, et aujourd’hui encore, quelques personnes sages s’essayent à l’imiter. Witger, après avoir réglé ses affaires temporelles et disposé de ses biens, alla s’enfermer à l’abbaye bénédictine de Lobbes, où il termina ses jours. Quant à Amalberge, après avoir reçu le voile des mains de saint Aubert, qui fut évêque de Cambrai de 633 à 668, elle se retira au monastère de Maubeuge, qu'elle édifia encore par une longue vie, consacrée tout entière à la prière et aux œuvres de pénitence ; elle mourut en l'an 690. Son corps fut transporté au monastère de Lobbes, comme elle l'avait demandé, et enseveli dans l'église de Sainte-Marie, auprès de celui de son mari. Ces saints époux sont tous deux honorés par l'Eglise le 10 juillet.

Les deux sœurs.

Gudule et Reynelde, désormais maîtresses d'elles-mêmes et héritières d'un vaste domaine, n'as-piraient plus qu'à vivre dans la retraite, et, loin de profiter de leurs richesses, elles s'étudiaient à faire de leur château un monastère anticipé, éprouvant leur vocation par toutes les rigueurs de la vie religieuse, tant pour la nourriture et le vêtement que pour le coucher. Reynelde portait conti-nuellement le cilice, marchait pieds nus, couchait sur la cendre, et pour toute nourriture, se conten-tait d'un peu de pain d'orge trempé dans de l'eau. Sa sœur ne menait pas une vie moins admirable.

Ainsi s'écoula, dans les œuvres de pénitence et de miséricorde, la première partie de la vie des deux saintes sœurs. C'était une belle aube qui annonçait un plus beau jour encore. Pendant tout ce temps, les séductions du monde et les tentatives du démon ne cessèrent de harceler les deux saintes filles pour les faire renoncer à la voie austère qu'elles suivaient. Et il est bien probable que les ma-nifestations diaboliques dont la vie de Gudule nous offre le récit ne furent point épargnées à Rey-nelde. Mais, à la coupe enivrante du monde dont la surface ne cache trop souvent, hélas ! qu'un poison mortel, elles avaient préféré l'une et l'autre le calice plein du vin qui fait germer les vierges.

Afin d'éviter les filets toujours tendus sur le chemin du monde, elles font d'abord le vœu de virginité entre les mains de saint Aubert, puis, sur le conseil de ce saint directeur, elles n'hésitent plus à rompre définitivement avec le siècle et décident de faire à Dieu le sacrifice de leurs biens en les consacrant aux bonnes œuvres. Après quoi les deux sœurs prennent un commun essor « comme deux oiseaux s'envolent ensemble vers le ciel, dit le cardinal Pitra, semblables à ceux dont il est écrit ; Qui sont ceux qui volent comme les nues et courent à leurs nids comme des colombes ? »

Entrée miraculeuse dans une église.

Elles se dirigent vers l'abbaye de Sainte-Pierre de Lobbes, où leur père était mort peu aupara-vant. Elles frappent longtemps à la porte, mais la règle de saint Benoît était formelle ; toute entrée dans ce lieu était interdite aux femmes. Après de vaines prières, Gudule se retire dans la solitude de Moorsel, sur les rives de la Meuse, où bientôt elle devait gouverner un nombreux essaim de

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vierges sacrées. Sa sœur fut plus persévérante ; pleine de confiance en Dieu qui sans doute lui ins-pirait cette résolution, elle demeura pendant trois jours et trois nuits, sur le seuil de l'abbaye, ne cessant de prier le Seigneur d'exaucer ses prières et de lui faire connaître sa sainte volonté. Or, au milieu de la troisième nuit, les portes de l'église s'ouvrent d'elles-mêmes devant elle ; les cloches retentissent tout à coup comme un éclat de tonnerre et ébranlent les murs du couvent.

Réveillés par cet étrange bruit, les religieux effrayés quittent leur dortoir :- Un tremblement de terre ! s'écrient-ils, un tremblement de terre !Dans leur épouvante, ils se réfugient à l'église, et quelle n'est pas leur surprise de trouver, pros-

ternée sur le sol, devant une image du Sauveur, cette jeune fille qu'ils avaient jusqu'ici impitoya-blement repoussée ! Après un moment de silence, l'Abbé s'avise enfin de lui demander la raison de cet étrange incident :

- Pendant trois jours, répondit Reynelde, vous avez refusé l'entrée de ce lieu à une pécheresse comme moi ; mais Celui qui commande aux éléments a daigné me manifester sa puissance, malgré mes péchés, et m'a lui-même introduite dans ce temple. A ces mots, prononcés avec une grande humilité, les moines reconnaissent une véritable servante du Christ et se jettent à ses pieds ; mais Reynelde, toute confuse de l'honneur dont elle est l'objet, se prosterne à son tour devant l'Abbé et le supplie d'accepter, pour l'honneur de Dieu et de saint Pierre, patron du monastère, l'offrande de ses domaines de Saintes avec leurs dépendances. Pour toute récompense, elle sollicite humblement une bénédiction ainsi que la faveur d'avoir part aux prières et aux mérites des moines. C'est pour-quoi certains auteurs ont pu la considérer comme une moniale bénédictine.

Pèlerinage en Terre Sainte.

Après s'être ainsi dépouillée, Reynelde, accompagnée seulement d'un serviteur et d'une ser-vante d'une vertu éprouvée, prit la route de Jérusalem, dans le désir de vénérer la montagne du Cal-vaire et tous les endroits sanctifiés par la présence du Sauveur et l'effusion de son sang. Pendant sept ans, elle accompagna l'Agneau immolé pour le salut du monde dans les principales stations de son sacrifice.

Les différentes particularités de ce lointain voyage ne sont point connues ; on voit seulement qu'à son retour la princesse remporta un grand nombre de reliques précieuses, entre autres un mor-ceau du Saint Sépulcre, du bois de la vraie Croix et d'un vêtement de la Sainte Vierge, qu'elle em-ploya à enrichir l'église du martyr saint Quentin, à Saintes, où elle désirait avoir sa sépulture. Ren-trée au milieu des siens, Reynelde continua la vie édifiante et mortifiée qu'elle avait menée jus-qu'alors. Tous les habitants de la contrée l'appelaient « la Sainte » et lui témoignaient le respect profond dont son éminente piété les pénétrait. L'humble vierge rapportait fidèlement à Dieu ces hommages, et en profitait pour attirer les âmes à lui et faire fleurir partout autour d’elle les vertus chrétiennes. Tandis qu’elle se livrait ainsi à l’exercice de toutes sortes de bonnes œuvres, la pieuse princesse ne se doutait peut-être pas que le trésor de l’église Saint-Quentin, amassé au prix de tant de fatigues, allait devenir la proie des barbares.

L’invasion. – Martyre de sainte Reynelde.

En l’an 680, les tribus sauvages, franchissant la lisière de leurs épaisses forêts de Pannonie (Hongrie), se précipitent comme un torrent sur la Gaule-Belgique, pillant tout ce qu’ils peuvent emporter, mettant le reste à feu et à sang. A l’approche du danger, les habitants cherchent un re-fuge dans les cavernes, dans les forêts et derrière les remparts des châteaux forts. Reynelde, se confiant en Dieu entre les mains de qui elle remet son sort, reste dans l’église de Saintes, avec

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deux imitateurs de son courage, un clerc appelé Grimoald ou Grimold et un serviteur du nom de Gondulphe.

Sainte Reneylde, accompagnée de sa servante,arrive en vue de Jérusalem.

Là, les bras en croix et prosternée humblement devant l'autel du martyr saint Quentin, elle de-mandait à Jésus-Christ la grâce de répandre pour lui son sang, comme il avait daigné répandre le sien pour le salut des hommes. Les barbares arrivent bientôt dans le village abandonné ils se di -rigent vers l'église. Semblables à des bêtes féroces avides de sang, ils se ruent par troupe sur les trois innocents gardiens de ce sanctuaire, qui s'offraient en holocauste pour le peuple entier.

Grimoald a la tête tranchée ; par un raffinement inexplicable de barbarie, les païens enfoncent trois gros clous dans la tête de Gondulphe ; quant à Reynelde, elle est saisie par les cheveux, traî -née sur le pavé du sanctuaire dans le sang de ses deux héroïques compagnons, et, après avoir subi mille outrages, elle a la tête tranchée, le 16 juillet. A la suite de cette scène horrible, les idolâtres essayent de mettre le feu à l'église ; mais les flammes, arrêtées par le sang des martyrs comme par une rosée bienfaisante, s'éteignent aussitôt.

Les barbares s'efforcent de les raviver, ces tentatives demeurent inutiles. Lorsqu'ils eurent ra-vagé tout le pays, ils retournèrent vers les côtes de la Frise, et les habitants de Saintes qui avaient survécu rentrèrent dans leur village incendié et pillé. Ils retrouvèrent les restes sanglants des trois martyrs, et les enterrèrent dans l'église avec tous les honneurs dus à des corps saints.

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Culte et reliques.

De nombreuses guérisons ont été obtenues au tombeau de sainte Reynelde et les ex-voto multi-pliés rappellent le souvenir des bienfaits de la vierge martyre. Il y eut plusieurs (élévations) ou translations solennelles de son corps : la première fut faite en 866 par saint Jean, évêque de Cam-brai, dans le diocèse de qui se trouvait l'église de Saintes ; ce prélat était assisté de l'évêque de Liège et de celui de Noyon, le titulaire de ce dernier siège étant à la fois – les choses durèrent ainsi jusqu'en 1146 – évêque de Tournai. En même temps qu'avait lieu cette élévation, les reliques étaient déposées dans une châsse d'argent ; on peut croire que ce reliquaire fut volé par les pillards normands, s'il est vrai qu'au XIe siècle, entre 1076 et 1085, sous l'épiscopat de Gérard, on ait placé les reliques dans une nouvelle châsse, également d'argent.

En 1170, l'Abbé de Saint-Pierre de Lobbes, de qui relevait sans doute alors le lieu de la sépul-ture de Reynelde, exposa solennellement les reliques de la Sainte à la vénération du peuple ; on lui attribue aussi leur translation dans une châsse plus précieuse. En 1352, Pierre, également Abbé de Lobbes, procéda à une « visite » officielle. En 1621, ce fut le tour de François Vander Burch, ar-chevêque de Cambrai.

Le culte de sainte Reynelde a été de tout temps célèbre dans le Brabant, le Hainaut et surtout dans le village de Saintes, témoin de son martyre. La dévotion amène souvent des foules de pèle-rins auprès de ses reliques, particulièrement le jour de sa fête, 16 juillet, où les habitants des vil-lages voisins, suspendant leurs travaux, accourent à Saintes pour remplir leurs devoirs religieux. Le dimanche de la Trinité a lieu une procession solennelle dans laquelle les châsses de la vierge martyrisée et les châsses un peu plus petites, de ses compagnons, les saints Grimoald et Gon-dulphe, sont portées triomphalement sur un char.

La châsse de sainte Reynelde est en cuivre doré et d'un très beau travail. Des deux côtés on voit douze petites statuettes en argent qui représentent douze apôtres. La sainte patronne occupe seule une des faces de la châsse et l'image de la Mère de Dieu, la face opposée. La statue de sainte Reynelde est aussi en argent et haute de 30 centimètres environ : la Vierge est représentée en cos-tume de pèlerine, un bourdon dans la main gauche et une palme dans la main droite.

Les Souverains Pontifes ont accordé des indulgences aux fidèles qui viendraient honorer la Sainte, et une confrérie, établie par les habitants de Saintes et des lieux avoisinants, attire sur toute la contrée les bénédictions du ciel en aidant ses membres à se maintenir et à progresser dans la ver-tu. A Saintes et aux alentours, on invoque particulièrement sainte Reynelde pour la guérison des ulcères et des blessures, et l'on se sert, à cet effet, de l'eau d'une fontaine située à environ 500 mètres de l'église de Saintes et qui porte le nom de fontaine Sainte-Reynelde.

La martyre est la patronne de Maeseyck, petite ville du Limbourg belge, sur la Meuse. A Condé on désigne encore l'endroit où se trouvait le château quelle avait habité. De toutes parts on vient prier la Sainte devant sa statue placée dans l'église, et l'on va puiser au puits de Sainte--Reynelde une eau qui a, dit-on, opérée souvent des guérisons remarquables. Ce puit est situé au-jourd'hui dans le vaste enclos de l'arsenal ; il est entouré de murailles à hauteur d'appui et entretenu avec soin et respect. L'église de Condé possède aussi un très ancien reliquaire sur lequel on lit l'in-vocation suivante : « Sainte Reynelde, native de Condé, priez pour nous. »

On représente sainte Reynelde traînée par les cheveux, puis décapitée par les barbares ; ou en-core, ayant à ses côtés l'épée, caractéristique de son martyre ; enfin, dans un groupe avec sa mère, sainte Amalberge, et sa sœur sainte Gudule.

Reynelde, Grimoald et Gondulphe ont toujours été honorés dans l'Ordre de saint Benoît comme s'ils avaient appartenu à cette famille religieuse. Ils figurent au Martyrologe romain au 16 juillet.

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L.P.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. IV de juillet (Paris et Rome, 1868). – Mgr P. Guérin, Les Petits Bollandistes. – Abbé Destombes, Vies des Saints des diocèses de Cambrai et d'Arras. – (V. S. B. P., n° 463.)

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PAROLES DES SAINTS___________

Le ciel.

Pourquoi vous rabaissez-vous vers la terre, puisque vous avez été transporté au ciel en la per-sonne d'Enoch, enlevé sur un chariot de feu en la personne d'Elie, ravi dans le paradis où vous conversez avec les anges en la personne de saint Paul, revêtu des ailes de la colombe que vous avez obtenues en la personne de David, afin de pouvoir voler ; et pardessus tout cela, élevé en la personne du Christ et rendu capable de prendre le vol vers le ciel à la faveur de l'esprit  ? Car le Saint-Esprit, en descendant du ciel en forme de colombe, vous a donné des ailes pour apprendre à vous élever de la terre.

Saint Ambroise.(Sur le psaume CXXXVIII.)

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Le pain du ciel.

Le Christ est le Pain qui est descendu du ciel, mais le pain qui ranime et qui ne manque pas ; le pain qui peut être reçu, mais qui ne peut être épuisé.

La manne symbolisait ce pain. C'est de là qu'il est dit : Il leur a donné le pain du ciel ; l'homme a mangé le Pain des anges. Le Christ est le Pain du ciel ; mais pour que l'homme mange le Pain des anges, le Seigneur des anges s'est fait homme. Car, il ne s'était pas fait homme, tu ne posséderais pas sa chair, et ne pourrais manger le pain de l’autel.

Saint Augustin.

La pensée de la mort.

Quiconque a un vrai désir de servir Notre-Seigneur et de fuir le péché ne doit nullement se tourmenter de la pensée de la mort ni des jugements divins, car, encore que l'un et l'autre soient à craindre, néanmoins la crainte ne doit pas être de ce naturel terrible et effroyable qui abat et dé-prime la vigueur et la force de l'esprit ; au contraire, elle doit être tel lement mêlée avec la confiance en la bonté de Dieu que par ce moyen elle en devienne douce.

Saint François de Sales.(Lettres, 1. V, 27.)

SAINT ALEXIS.Confesseur (t vers 412)

Fête le 17 juillet.

Plusieurs documents latins nous présentent, avec des variantes d'intérêt secondaire, une rela-tion assez longue de la vie de saint Alexis. Cette relation latine, rédigée à Rome vers le Xe siècle, probablement par les moines qui desservaient l'église Saint-Boniface, apparaît comme la traduc-tion un peu remaniée d'une légende ou biographie en langue grecque composée plus d'un siècle au-paravant par un auteur inconnu. A son tour, cette biographie grecque est dans une dépendance fort étroite d'une part avec un récit syriaque du Ve siècle, postérieur à la mort de Rabboula, évêque d'Edesse ou Orfa en Mésopotamie (~ 435) ; d'autre part avec les Actes du moine saint Jean Cali-byte qui vécut, comme saint Alexis, plusieurs années dans la maison paternelle, inconnu de ses pa-rents jusqu'au moment du décès. Le récit syriaque et les Actes du moine acémète ont dû très proba-blement inspirer, dans une mesure qu'il est difficile de préciser, le rédacteur grec de l'histoire de

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saint Alexis, parue au début du moyen âge. Plusieurs parties de son œuvre sont considérées comme discutables historiquement.

Famille de saint Alexis.

Selon l'historien grec, Alexis naquit à Rome dans la seconde moitié du IVe siècle. Il était fils unique, et ses parents, le sénateur Euphémien et Aglaé sa femme, l'avaient demandé au ciel par de longues et ferventes supplications, par des aumônes versées abondamment dans le sein des pauvres. Ils avaient, en effet, une fortune considérable. L'enfant si ardemment désiré reçut au bap-tême le nom d'Alexis et fut élevé dans la piété la plus fervente. A l'âge voulu, on lui donna l'éduca-tion exigée par la haute situation que sa famille occupait. Héritier d'une fortune immense, apparen-té par certains de ses aïeux au prince qui gouvernait alors l'empire romain, le jeune homme sem-blait tout naturellement destiné à des emplois ou à des charges élevés, le monde avec ses gloires et ses honneurs devait lui sourire.

Mais Dieu, qui ne l'avait accordé qu'aux larmes et aux prières de ses pieux parents, le réservait à une gloire plus solide que celles de la terre. Il le prédestinait à être pour le monde un signe écla-tant de contradiction en lui accordant le don sans pareil de la pauvreté volontaire.

Commencement et fin d'une fête de mariage.

Quand Alexis eut atteint l'âge nubile, ses parents cherchèrent à lui faire contracter un mariage en rapport avec sa condition et son brillant avenir. Ils lui proposèrent une jeune fille chrétienne et alliée elle aussi à la maison impériale. Malgré ses répugnances pour l'état de mariage, Alexis dut accepter la décision prise par son père. Ce dernier se réjouissait fort d'avoir ainsi assuré le bonheur de son enfant en même temps que la continuation de sa race et des traditions chrétiennes de sa fa-mille.

Au jour fixé, on commença avec un éclat extraordinaire les diverses cérémonies ou formalités que comportait, à cette époque, la célébration du mariage. Alexis se prêta à tout. Mais au soir de cette journée de fête, au moment d'accomplir la démarche qui devait clore et rendre définitif pour toujours le contrat commencé, le jeune homme hésita. Au lieu de conduire sa fiancée dans le somptueux appartement qui lui était destiné, Alexis se sépare des assistants, et dans une fervente prière demande à Dieu de lui faire connaître sa volonté.

Sous une inspiration que la grâce fait descendre en son âme, il renouvelle la promesse déjà for-mulée de n'appartenir ici-bas qu'à Jésus-Christ seul et de l'imiter dans son humilité et sa pauvreté. Il consacre son corps et son âme à Dieu et entend rester vierge. Alexis devait faire connaître à sa fiancée la décision qu'il venait de prendre sous le regard de Dieu. A cet effet, il déposa, dans la chambre de la jeune fille la bague d'or, gage d'alliance, dont la remise faite à cette heure, d'après l'usage de l'époque, rompait le mariage non encore définitivement conclu. Puis, délivré de l'hymen comme d'une servitude, le jeune homme quitta cette nuit-là même et secrètement la maison de ses parents pour commencer dans les souffrances et la pauvreté volontaires sa vie de pèlerin.

De Rome jusqu'à Edesse.

Afin de se soustraire plus rapidement et, plus sûrement aux recherches que ses parents ne man-

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queraient pas de faire, Alexis dut probablement se hâter de quitter Rome pour gagner le port d'Os-tie d'où il pouvait, par bateau, arriver en Égypte ou en Syrie. On ne connaît pas l'itinéraire suivi par le pieux pèlerin. Évitant avec soin tout ce qui pouvait le faire reconnaître des messagers envoyés ici et là par ses parents éplorés, il visitait longuement les églises, surtout celles des martyrs, men-diant le pain nécessaire à son existence. Pour s'éloigner encore davantage de sa famille, il se diri-gea à pied vers une ancienne et opulente ville de la Mésopotamie septentrionale. Édesse – aujour-d'hui Orfa, – capitale de l'Osrhoène, ville frontière romaine, avait été évangélisée de bonne heure. Elle était devenue le premier centre religieux des Araméens chrétiens, et, grâce à sa célèbre école ou Université, le foyer ardent d'un mouvement intellectuel chrétien. On y rencontrait plus de trois cents monastères fervents et le culte de Marie y était en honneur. C'est dans cette ville foncière-ment chrétienne que le jeune patricien romain s'arrêta. Il se mêla aux nombreux mendiants qui se tenaient habituellement près d'un sanctuaire très fréquenté de la Sainte Vierge.

Comme eux il voulut vivre d'aumônes, passant la majeure partie de ses journées et de ses nuits en prière. Se contentant d'un peu de pain et, de quelques légumes, il donnait aux autres mendiants le surplus de ce qu'il recevait des fidèles. Le prêtre sacristain de l'église était fort édifié par la conduite et les paroles de ce pauvre qui, un jour, sous le sceau du secret, lui ouvrit toute son âme et lui fit connaître la raison de sa présence à Édesse : il n'avait pas voulu entrer dans l'état de mariage.

Selon le récit syriaque, cette confidence de l'homme de Dieu (le nom d'Alexis ne figure pas dans cette relation très ancienne) fut communiquée après la mort (ou peut-être après le départ d'Alexis) à l'évêque d'Edesse, le célèbre Rabboula. Si l'on croit l'auteur de la vie grecque de saint Alexis, le fils du sénateur Euphémien serait resté dix-sept ans dans l'abjection et l'oubli parmi les mendiants d'Edesse. Après ce laps de temps, il plut à la Sainte Vierge de glorifier son serviteur par un miracle éclatant.

Saint Alexis quitte la ville d'Edesse.

Un jour, comme le trésorier, ou peut-être le sacristain de l'église, passait sous le porche du sanctuaire dédié à Marie, l'image de la Vierge s'illumina d'une clarté soudaine. Effrayé par ce pro-dige, le prêtre vint s'agenouiller en tremblant aux pieds de Notre-Dame. La Mère de Dieu le rassu-ra d'un geste plein de douceur, et, lui montrant 1e mendiant qui se tenait non loin de là, elle dit : « Allez, préparez à ce pauvre un logement convenable, je ne puis souffrir qu'un de mes serviteurs aussi dévoué demeure délaissé et méconnu à la porte même de mon sanctuaire. »

La nouvelle de cette révélation se répandit bientôt dans la ville. Alors, pour se soustraire aux témoignages de respect et de vénération dont il était l'objet et pour empêcher que sa véritable con-dition ne vint à être connue, Alexis quitta tout à coup Edesse, gagna par étapes la côte syrienne et s'embarqua sur un navire qui faisait voile pour Tarse. Il espérait visiter cette ville encore pleine des souvenirs de saint Paul. Mais une terrible tempête obligea le bateau à modifier son itinéraire. Après une traversée assez longue, Alexis se retrouvait en face des côtes d'Italie et non loin de Rome, où la Providence avait fixé le séjour définitif de l'illustre pèlerin.

Mendiant dans la maison paternelle.

En entrant pauvre et inconnu dans cette ville où sa famille occupait une situation honorable, Alexis conçut une grande pensée. Au lieu de choisir pour refuge, comme à Edesse, le porche d'une église, il se dirigea vers la demeure paternelle et il n'hésita pas à mendier une petite place dans la maison qui lui appartenait. Euphémien ne repoussait pas les pauvres. I1 ne voulut pas qu'on empê-chât celui qui arrivait sous un accoutrement vraiment misérable de demeurer dans sa maison et le

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jour et la nuit. On lui aménagea donc un refuge, sous l'escalier d'entrée, et en retour de cette hospi-talité, que le monde jugeait extraordinaire, le bienfaiteur ne demanda qu'une faveur.

« Laquelle ? interrogea le mendiant. – Je te demande de prier pour le prochain retour d'un fils unique qui nous a quittés il y a bien longtemps. »

Alexis considéra les larmes de son père : son cœur fut brisé ; mais, luttant en quelque sorte de générosité avec Dieu qui l'avait ramené à la maison paternelle, il garda son secret, sachant que le Seigneur s'était engagé à récompenser magnifiquement tout sacrifice accompli en son nom, et que la douleur même de son père se changerait dans le Ciel en joie. Il résolut de demeurer inconnu et plus ou moins méprisé des siens, et partagea ses journées entre la prière, la visite des églises et, les œuvres de charité. Il dut parfois subir les outrages ou les insultes de la populace, ou les mauvais traitements des esclaves de son père.

II vit les larmes de sa mère, celles da sa fiancée, qui, raconte la légende, avait conservé une fi-délité inviolable à celui à qui elle avait espéré appartenir. Il écouta leurs plaintes et le récit de leurs souffrances ; sans nul doute, il sut les consoler et leur donner un légitime espoir. Il priait pour elles, mais jamais il ne se fit connaître : son âme souffrait beaucoup de voir souffrir tous ceux qu'elle aimait si ardemment, mais elle garda son secret pour rester fidèle à l'amour parfait promis à Jésus. Et il en fut ainsi durant les dix-sept autres années qu'Alexis passa comme un mendiant ordi-naire dans la maison de ses parents, en contact fréquent avec eux. Dieu permit que sa véritable identité restât ignorée de tous jusqu'au moment de sa mort. Un jour vint cependant, où il lui ordon-na de mettre par écrit et son nom et l'histoire de sa vie. Alexis obéit, et comprit que bientôt il allait rendre son âme au Créateur.

Mort de saint Alexis.

Épuisé par les austérités auxquelles il se livrait depuis tant d'années, le pauvre du Christ se vit contraint par la maladie de rester dans son misérable réduit. Il se réjouit de cette dernière épreuve. Mais il voulut emporter son secret dans la tombe. Continuant cette lutte extraordinaire avec Dieu qui semblait vouloir glorifier son serviteur, tandis que celui-ci ne se souciait que de glorifier l'hu-milité et la pauvreté évangéliques, Alexis saisit le parchemin qui contenait son nom et son histoire et s'efforça de la main défaillante de le faire disparaître aux regards des hommes.

Quelques jours après, comme le Pape Innocent 1er (402-417), raconte la légende latine, célé-brait la messe dans la basilique de Saint-Pierre, en présence de l’empereur et d’un grand concours de fidèles, une voix céleste se fit entendre, disant : « Cherchez l’homme de Dieu, il priera pour Rome, et le Seigneur lui sera propice. » La ville entière rechercha ce saint inconnu dont le ciel dai-gnait révéler l’existence. Mais tous les efforts furent infructueux. Le peuple, réuni de nouveau dans la même basilique, se mit à prier avec plus de ferveur et de foi, suppliant Dieu de faire connaître la retraite de son serviteur.

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Les parents de saint Alexis découvrent leur fils.

Il obtint cette réponse : « L'homme de Dieu que vous cherchez se trouve dans la maison d'Eu-phémien. » Le sénateur ne croyait pas posséder dans sa demeure un pareil trésor. Il n'arrivait pas à l'y trouver, quand un de ses esclaves qui s'était attaché plus particulièrement à Alexis, fit cette re-marque : «  Seigneur, l'homme de Dieu dont le ciel a révélé l'existence dans votre maison doit être le pauvre à qui vous donnez l'hospitalité. Il prie, il jeûne, il visite les églises, il est d'une douceur et d'une patience inaltérables. »

Euphémien s'approcha de l'endroit où son fils était couché. Le mendiant reposait tranquille-ment, le visage couvert d'une étoffe grossière. Euphémien l'appela plusieurs fois, mais il ne reçut aucune réponse. Alexis venait de mourir peu d'heures auparavant. Cela arriva selon l'auteur de la biographie latine, sous le pontificat d'Innocent 1er. Saint Alexis serait donc mort entre 402 et 417, dans les premières années du Ve siècle, à une date qu'on ne peut préciser davantage. Le Martyro-loge et le Bréviaire romains désignent le 17 juillet comme jour du décès mais cette détermination est loin d'être certaine.

Saint Alexis est reconnu par ses parents.

Quand on se fut assuré que le mendiant venait de rendre son âme à Dieu, on enleva le sac qui couvrait sa poitrine et ses mains. Il y avait dans ces dernières un parchemin plié. On le prit, on le lut, et la stupeur saisit tous les assistants quand ils entendirent la lecture du petit écrit. Il révélait la véritable personnalité de ce mendiant que personne ne connaissait.

C'était le fils unique du sénateur Euphémien, et voilà qu'il venait de mourir inconnu et presque abandonné dans la maison de sa propre famille ! On devine la douleur du père, de la mère d'Alexis à cette nouvelle inattendue. Ils ne pouvaient presque pas y croire, et cependant c'était la vérité, et le ciel lui-même avait voulu la manifester.

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Quelle souffrance pour ces pauvres parents ! Ils retrouvaient enfin leur enfant, mais sans vie, et ils l'avaient hébergé sans le savoir pendant de si longues années ! Ils s'en voulaient de n'avoir pas su le reconnaître sous les haillons qui le recouvraient. Ce spectacle déchirant de toute une fa-mille plongée si soudainement dans une terrible épreuve excitait la compassion de tous les té-moins.

Le Pape fit célébrer les funérailles aussi solennelles que possible. Pendant une semaine, le corps de saint Alexis resta exposé à la basilique de Saint-Pierre, au milieu d'un concours immense de peuple qui venait implorer l'assistance de l'homme de Dieu. Quelques jours après, si l'on en croit le récit contenu dans plusieurs manuscrits latins, on le transporta dans l'église Saint-Boniface, sur le mont Aventin. Des miracles éclatants ne tardèrent pas à s'accomplir au tombeau de l'humble pèlerin.

Culte de saint Alexis.

Le culte de saint Alexis demeure presque inconnu à une bonne partie de l'Occident jusque vers la fin du Xe siècle. Les Martyrologes, les calendriers liturgiques qui sont parvenus jusqu'à nous ne mentionnent pas de fête en l'honneur de ce Saint. Au début du moyen âge, son nom est associé à celui de saint Boniface, comme titulaire d'une église de Rome. Il semble que ce fut surtout l'évêque Serge de Damas, réfugié à Rome à cette époque, qui fit connaître à l'Italie l'histoire de saint Alexis et propagea son culte. Vers la fin du Xe siècle, le Pape Benoît VII avait mis à la disposition du pré-lat oriental l'église Saint-Boniface.

Serge y établit un petit monastère de moines grecs. Ils eurent à cœur de faire connaître la vie extraordinaire du jeune patricien romain et traduisirent en la remaniant la notice grecque déjà com-posée, et la répandirent de leur mieux dans les nations chrétiennes. Dans la Ville Eternelle, la dé-votion envers saint Alexis devint vite très populaire : le pèlerin mendiant était Romain d'origine et il était revenu mourir dans la maison paternelle. Mais le culte de saint Alexis se propagea aussi en dehors de Rome. Saint Adalbert ou Albert, évêque de Prague, qui habita quelque temps le monas-tère bénédictin des saints Boniface et Alexis sur l'Aventin (-j- 997), a laissé une homélie sur saint Alexis.

Un autre évêque, celui-là du XIIe siècle, Marbode, composa un long poème sur le même Saint. Baronuis marque dans ses Annales ecclésiastiques pour l'année 1004 un miracle obtenu par l'inter-cession des saints Alexis et Boniface, en faveur d'un religieux malade de la peste. L'église souter-raine de Saint-Clément à Rome conserve des fresques de la seconde moitié du XIe siècle. Sur l'une d'elles on a représenté quelques scènes de la vie de saint Alexis.

L'un des plus anciens monuments de la langue française est une petite épopée hagiographique, datant du XIe siècle, et intitulée la Vie de saint Alexis. Quand elle vit le jour, elle eut tout de suite un succès considérable, et jusqu'au XIVe siècle elle devait connaître plusieurs remaniements. Dans l'Eglise latine, la fête de ce confesseur, instituée probablement vers l'an 1200, est célébrée le 17 juillet. On n'en fit pendant longtemps qu'une simple mémoire, d'après le Bréviaire de 1550. Le Pape Urbain VIII, le 18 octobre 1637, l'éleva au rite semi-double qu'elle a conservé. Innocent XII, le 31 août 1697, en fit une fête de précepte pour le diocèse de Rome. C'est à la date du 17 mars que l'Eglise grecque honore saint Alexis. Les monophysites de Syrie célèbrent la mémoire du même Saint sous le nom de Johannan bar Euphemjanos (Jean fils d'Euphemianus) le 12 mars.

Dans l'iconographie chrétienne, saint Alexis est représenté soit avec les insignes des pèlerins d'autrefois, le bourdon et le chapeau, soit sous les traits d'un mendiant tenant entre les mains rai-dies par la mort l'écrit qui le fit reconnaître. Il est vénéré comme le patron des pèlerins, des men-diants, etc. A Rome, dans l'église de Saint-Boniface, martyr sous Dioclétien, on trouve sous le

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maître-autel, le corps de saint Alexis. A l'autel du Saint-Sacrement on vénère une antique image de la Vierge que le mendiant pèlerin aurait rapportée d'Edesse.

E.P.

Sources consultées. – Acta Sanctorum (juillet, t.V). – Analecta Bollandiana (t, 1er et t. III). – J.P Kirsch Saint Alexis, dans Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, de Mgr Baudrillart, Vogt et Rouziès (Paris, 1914). – (V.S.B.P., n° 22.)

…………..

PAROLES DES SAINTS_________

La crainte et la sagesse.

La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. On doit s'entretenir de la sagesse, non de la sagesse de ce monde qui est folie devant Dieu, mais de la vraie sagesse qui est selon Dieu. C'est Dieu qui est la sagesse suprême, et la sagesse de l'homme est le culte de Dieu. Ceux qui dissertent sur la sagesse l'ont ainsi définie : la sagesse est la science des choses divines et hu-maines. Mais il en est beaucoup qui ne recherchent attentivement cette sagesse que pour en retirer la louange des hommes, ne mettant dans leur vie que la doctrine, et non les mœurs qu'ordonne la sagesse ; et obtenant la vaine gloire, ils ne peuvent parvenir à la lumière de Dieu. Ils ne cherchent pas la sagesse, même lorsqu'ils paraissent le faire, parce que s'ils la cherchaient véritablement, ils vivraient selon ses principes ; mais ils veulent s'enfler de ses paroles, et ils s'éloignent d'elle d'au-tant plus qu'ils s'enflent davantage.

Saint Augustin.

L’Education.

Croyez bien que la bonté vous fera plus obtenir que les réprimandes aigres et sévères, quand il ne sera pas indispensable de recourir à celles-ci, ce qui doit arriver rarement, et non point avec tout le monde. C'est la charité qui dirige tout vers l'honneur de Dieu et l'avantage des âmes ; c'est elle qui vous enseignera la discrétion et le discernement ; d'elle seule on apprend à être tantôt indul-

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gent, tantôt sévère, selon les circonstances. Sainte Angèle de Mérici.(2e Souvenir.)

La charité pour tous les Ordres.

Me demandera-t-on aussi pourquoi moi, qui approuve tous les Ordres, je ne les embrasse pas tous ? Oui, je les approuve et je les aime tous, tous les états où l'on vit pieusement et saintement dans l'Eglise de Dieu. J'en embrasse un par la pratique, et tous les autres par la charité. Mais la charité, j'en parle avec confiance, fera que je ne serai pas frustré des avantages de ceux-là mêmes dont je ne suis pas les Constitutions.

Saint Bernard.(Apologie, IV.)

SAINT FRÉDÉRICÉvêque d'Utrecht et martyr (790?-838).

Fête le 18 juillet.

Ce que nous savons de la vie de saint Frédéric est tiré en grande partie d'une biographie pu-bliée par les Bollandistes, à la date du 18 juillet. Il s'y trouve des détails critiquables, ou même er -ronés, mais le fait que les Bollandistes l'ont insérée dans la collection des Acta Sanctorum prouve qu'elle n'est pas sans valeur. Il est permis de ne pas attribuer une réalité historique aux discours qu'elle contient, discours qui sont un amalgame de textes tirés de l'Écriture. Il n'y a pas lieu non plus d'insister sur la cause des reproches adressés par saint Frédéric à Louis le Débonnaire ; d'après certains biographes, Judith, épouse de l'empereur, aurait été sa nièce, ce qui est plus que douteux. La conduite légère des Judith et son ambition suffisent à légitimer l'intervention de l'évêque d'Utrecht.

Premières années.

Frédéric, qui appartenait, croit-on, à une noble famille, naquit vers l'an 790, en Frise. En ses premières années, il mena une vie pieuse et recueillie ; il aimait aller à l'église ; il écoutait attenti -vement ce qu'on y lisait ou chantait, et, de retour à la maison, il répétait ce qu'il avait entendu. Aussi, sa mère, toute heureuse, lui chercha-t-elle des maîtres pour l'instruire. Elle confia d'abord son fils à des moines puis à l'évêque d'Utrecht, nommé Ricfrid.

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Celui-ci s'appliqua avec une ardeur d'autant plus grande à former l'âme de l'enfant et à l'ins-truire que, grâce à une véritable révélation, il savait que Frédéric lui succéderait. L'étudiant, de son côté, par sa piété, ses vertus et son assiduité dans le travail, donnait toute satisfaction à son maître. Lorsque le temps en fut venu, l’évêque d’Utrecht conféra à Frédéric les différents ordres et enfin la prêtrise. Bientôt, le jeune clerc, par son ardeur pour le bien des âmes et particulièrement pour la prédication, se fit connaître au loin, malgré sa profonde humilité.

L'épiscopat.

Ricfrid mourut entre 824 et 828. A cette époque, lorsqu'un siège épiscopal était vacant, clergé et fidèles se réunissaient pour choisir le futur évêque, et le Pape, ou son délégué, ordinairement le métropolitain, donnait à l'élu l'institution canonique. Cette manière de faire était rendue nécessaire par la lenteur et les difficultés des communications. Au IXe siècle, le diocèse d'Utrecht, fondé en 696 par saint Willibrord, comprenait à peu près le territoire actuel de la Hollande ; son évêque était suffragant de l'archevêque de Cologne.

Lorsque Frédéric en fut élu évêque, l'empire avait à sa tête Louis le Pieux ou le Débonnaire, fils et successeur de Charlemagne. On sait que Louis partagea une première fois ses Etats entre ses trois fils, Lothaire, Pépin et Louis, au grand mécontentement de son neveu, Bernard, déjà roi d'lta-lie, qui se trouvait dépossédé de son royaume. Plus tard, l'empereur, devenu veuf, épousa Judith de Bavière, femme aux mœurs légères et sans scrupules, qui lui donna un fils, Charles, surnommé « le Chauve ». Mais pour doter ce fils, Judith obtint de Louis qu'il annulât le premier partage de l'em-pire et qu'il en fit un nouveau. Les trois frères aînés, dont la part était ainsi diminuée, se soule-vèrent contre leur père. De là, des luttes continuelles entre l'empereur et ses fils, et la haine de ceux-ci contre Judith. La vie de l'Eglise allait en subir une répercussion. Louis le Débonnaire, ayant appris la mort de l'évêque Ricfrid, manda aux électeurs de lui donner pour successeur Frédé-ric, dont il avait entendu parler, et d'amener ensuite ce prélat au palais impérial.

Cet ordre répondait trop bien au désir des habitants pour n'être pars obéi tout de suite. Il y eut une véritable lutte entre l'humilité de l'élu, qui se jugeait incapable d'occuper un tel poste, et le dé-sir hautement exprimé par les électeurs ; il semblait que rien ne put faire accepter à Frédéric un far-deau qu'il trouvait trop lourd. L'empereur lui fit l'accueil le plus favorable : « Serviteur de Dieu, dit-il, je me réjouis beaucoup que vous soyez venu. » Et, après avoir donné à Frédéric l'accolade, le prince le fit asseoir à ses côtés. Il demanda ensuite aux grands de sa cour qui étaient présents leur avis sur l'évêque qu'il convenait de nommer à Utrecht. D'une voix unanime tous désignèrent Frédé-ric. Alors celui-ci, se jetant aux genoux du souverain, le supplia de ne pas lui imposer ce fardeau, mais de faire choix d'un prêtre plus digne. Ces instances furent inutiles, et le serviteur, de Dieu dut enfin accepter l'épiscopat.

La cérémonie du sacre se fit en présence même de l'empereur et elle fut suivie d'un repas où le prélat fut à l'honneur auprès de son souverain. Avant de retourner dans son diocèse, l'évêque d'Utrecht eut une nouvelle audience. Louis le Débonnaire lui recommanda de veiller au bien des âmes et spécialement de faire ses efforts pour amé- liorer les mœurs fort dissolues de l'île de Wala-crie, aujourd'hui Walcheren ; Frédéric, se faisant l'écho des rumeurs qui couraient, à tort ou à rai-son, sur les mœurs de l'impératrice Judith, lui parla avec une courageuse fermeté. Pareil discours, écouté humblement par l'empereur, ne pouvait qu'irriter l'impératrice lorsque celle-ci en aurait connaissance.

Zèle épiscopal.

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Après ces événements, Frédéric revint à Utrecht où il fut reçu avec les plus grandes marques de respect et au milieu des manifestations de la joie la plus vive.

Les premiers temps de son épiscopat furent consacrés à la ville d'Utrecht. Il prêchait, s'effor-çant de ramener la paix parmi son peuple et de faire disparaître les dernières traces du paganisme. Accueillant pour tous, généreux envers les pauvres, hospitalier pour les voyageurs, dévoué dans la visite des malades, il s'adonnait à la prière et aux exercices de piété, et mortifiait son corps.

Mais cette vie déjà si parfaite ne lui suffisait pas. Il voulut encore parcourir son vaste territoire, et il commença par cette île de Walacrie que l'empereur avait recommandé à ses soins. Quand il parvint en cette île, sa première visite fut pour l'église. La partie saine de la population vint l'y sa -luer et lui rendre les honneurs qui lui étaient dus. Mais les mauvais chrétiens se montrèrent hos-tiles. Pour les attirer, le saint pontife fit annoncer un synode, menaçant même de l'excommunica-tion ceux qui refuseraient d'y venir. Peine inutile, les coupables s'abstinrent.

Alors, Frédéric, s'adressant à ceux qui étaient là, des vieillards pour la plupart, les supplia d'user de toute leur influence en vue d'amener leurs concitoyens. Les fidèles firent ce que l'évêque leur avait demandé. De son côté, le prélat suppliait Dieu d'attendrir le cœur des coupables. Sa prière fut exaucée. Beaucoup de personnes qui avaient cessé de suivre la voie droite vinrent rece-voir les conseils de leur évêque. Bientôt, les coupables rentrèrent en eux-mêmes, et promirent avec serment de s'amender. Bientôt, le pontife quitta de nouveau la ville épiscopale pour parcourir son diocèse, prêchant, encourageant, relevant les églises, donnant partout les marques du zèle le plus grand.

Dieu, d'ailleurs, lui envoya du secours. La paroisse d'Orschot était gouvernée par saint Odulphe, qui instruisait le peuple et l’édifiait par ses exemples ; or, ce prêtre eut une vision  : un ange lui donna ordre d'aller à Utrecht et de s'y mettre à la disposition du prélat ; saint Odulphe obéit avec empressement.

A cette époque, de graves erreurs touchant le mystère de la Sainte Trinité avaient cours en Frise. L'évêque d'Utrecht s'y rendit pour prêcher les hérétiques et les convertir. Mais son zèle n'ob-tenant pas les résultats désirés, il fit appel à saint Odulphe, qui le rejoignit dans la ville de Stave-ren, aujourd'hui Stavoren. Les pré- dications de Frédéric et de l'ancien curé d'Orschot ramenèrent beaucoup de brebis au bercail. Pour rendre durables ces retours à la vérité, Frédéric rédigea une profession de foi qui résumé l'enseignement catholique sur la Sainte Trinité, et ordonna de réciter trois fois par jour une prière en l'honneur des trois Personnes divines. Enfin, il repartit pour Utrecht, laissant Odulphe à la tête de l'Eglise de Frise. Celui-ci continua d'y faire beaucoup de bien ; son nom est inscrit parmi les Saints, à la date du 12 juin.

Le Concile de Mayence.

Une fois au moins Frédéric sortit de son diocèse pour se rencontrer avec les autres membres de l'épiscopat de la région. Voici en quelles circonstances. En 828, l'empereur Louis demanda aux évêques de prescrire un jeûne de trois jours et annonça son intention de réunir bientôt une assem-blée générale du clergé. De nouvelles attaques des Normands et des Bulgares l'empêchèrent de réa-liser ce projet. Cependant, au cours de l'hiver 828-829, Louis put réunir un certain nombre d'évêques et de laïcs éminents. Là, on décida un jeûne de trois jours pour la semaine de la Pente-côte de 829, et en même temps, non plus une assemblée générale du clergé, mais quatre assem-blées distinctes, à chacune desquelles assisteraient plusieurs archevêques avec leurs suffragants.

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Ces réunions eurent lieu, en effet, à Mayence, à Paris, à Lyon et à Toulouse. Elles s'occupèrent des réformes à introduire dans la vie des laïques et des clercs.

Suffragant de Cologne, Frédéric assista à l'assemblée qui se tint en juin 829, dans le monastère Saint-Alban, à Mayence, sous la présidence d'Otgar, archevêque de ce diocèse. Il y avait là les ar-chevêques de Mayence, de Cologne, de Trèves, de Besançon et de Salzbourg, avec leurs suffra-gants, et quelques autres dignitaires ecclésiastiques, parmi lesquels le célèbre Rhaban-Maur, abbé de Fulda.

Nous n'avons plus les textes de ce synode de Mayence, mais nous savons que sur un point au moins il se trouva d'accord avec les trois autres synodes :

Comme chaque ville a son évêque, chaque église doit avoir son prêtre. Beaucoup de prêtres se chargent chacun de plusieurs églises. Qu'il n'en soit plus ainsi lorsqu'une église a des revenus. Si l’église n’a pas de revenus, l'évêque décidera ce qu'il y a à faire.

La mort de saint Frédéric est décidée.

Plusieurs années passèrent, laissant l'empereur Louis le Débonnaire toujours en difficultés avec ses fils, tandis que Judith restait en butte à leur haine. On accusait l'impératrice d'avoir une conduite répréhensible ; peut-être à l'instigation de Lothaire et de ses frères, on accusa Louis d'être son complice, en raison des liens de parenté existant entre eux. Les évêques avaient fait entrer Ju-dith dans un monastère, mais elle en était sortie. De nouveaux reproches furent adressés à l'empe-reur ; il y répondit par la violence ; c'est ainsi qu'il fit arrêter Ebbon, archevêque de Reims, et qu'il chercha à faire déposer ce prélat par les autres évêques. Ensuite, il alla habiter sur les bords du Rhin, où il ne se refusa aucune jouissance.

Frédéric, toujours courageux pour combattre le mal, lui écrivit une lettre pleine de sentences ti-rées des Saints Livres, pour l'engager à une conduite meilleure. Cette parole apostolique ne fit qu'irriter davantage les susceptibilités et la haine de Judith, qui jura de se venger. Elle excita la convoitise de deux hommes sans scrupules, leur promettant une forte récompense au cas où ils par-viendraient à la délivrer secrètement de ce pontife dont la hardiesse lui avait tant déplu.

Le martyre.

Les deux assassins se munirent de coutelas, et partirent pour Utrecht. Là, ils demandèrent à s'entretenir en particulier avec l'évêque, de la part de l'impératrice. On alla prévenir Frédéric. Ce-lui-ci s'apprêtait alors à célébrer la messe en l'église SaintSauveur. Dieu lui fit comprendre que son dernier jour était arrivé. Il soupira, leva les mains et les yeux au ciel et rendit grâces à Dieu. Puis il dit à ceux qui l'entouraient : « Je sais ce qu'ils veulent, mais qu'ils attendent que la messe soit ter-minée. » Sans trouble apparent, il célébra cette dernière messe avec sa piété habituelle, et adressa la parole à son peuple. Il annonça même sa mort, mais dans une métaphore :   « Aujourd'hui même, dit-il, je recevrai de Dieu le pain éternel avec les Saints, dans le royaume des cieux. » Ce discours fit couler bien des larmes, sans que cependant les assistants comprissent bien tout le sens des paroles qu'ils entendaient.

L'office terminé, le prélat entra, encore revêtu des ornements sacrés, dans une chapelle dédiée à saint Jean l'Evangéliste, où il avait fait préparer son tombeau, et donna l'ordre qu'on le laissât seul, ne gardant avec lui qu'un seul chapelain. Après une fervente prière, il dit à celui-ci d'intro-duire les envoyés de Judith, puis d'aller se placer derrière l'autel du Saint-Sauveur et de ne revenir que sur un ordre formel.

Les assassins eurent un moment d'hésitation. « Accomplissez votre mission, leur dit le martyr,

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conformément aux ordres reçus ; ne craignez pas. Avant même que vous fussiez ici, je savais le but de votre démarche. » Les deux criminels, qui auraient dû être saisis par une telle révélation, ti-rèrent alors leurs coutelas, jusque-là cachés dans leurs manches et en frappèrent Frédéric en di-sant : « Maintenant, notre maîtresse est vengée. »

Cependant, le martyr, comprimant avec ses mains une atroce blessure, par laquelle ses en-trailles menaçaient de s'échapper, recommanda à ses bourreaux de s'en aller rapidement afin de n’être pas pris. Un peu après, rassemblant ses forces, il rappela son clerc et lui dit : «  Montez sur les murailles de la ville, regardez si mes envoyés ont traversé le Rhin, et vous me direz si réelle-ment ils se hâtent. » Le clerc obéit et revint, disant : « Les deux messagers ont traversé le Rhin avec une hâte qui ressemble à une fuite. « Alors, seulement il constata combien son maître avait pâli, et vit le sang qui coulait. Il s'informa de ce qui s'était passé. « Je suis frappé, mon fils, lui dit Frédéric. Appelle mes frères ; convoque le peuple. »

La tristesse fut immense parmi le clergé et les fidèles d'Utrecht qui s'empressèrent d'accourir. « Père, lui disait-on, pourquoi nous laissez-vous orphelins ? – Si j'ai, répondit-il, une part à la ré-compense des Saints, je ne vous laisserai pas orphelins, j'intercéderai pour vous. »

Ensuite, il donna sa bénédiction aux assistants, puis se fit étendre vivant dans son tombeau. Il commença alors lui-même la psalmodie de l'office des morts : « Placebo Domino : je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants. » On l'entendit aussi répéter plusieurs fois le verset : « Entre vos mains, Seigneur, je remets mon âme. » Il était couché le visage tourné vers le ciel. « C'est la, dit-il, mon repos pour l'éternité ; j'y habiterai parce que là j'ai choisi ma demeure.  » Puis dans un calme admirable il rendit à Dieu sa sainte âme, le 18 juillet de l'an 838.

Les évêques et le clergé de France et d'Allemagne protestèrent contre la mort de Frédéric, dont ils rendaient coupable l'impératrice. L'empereur, fort troublé de ces accusations, craignit d'être lui-même déposé comme complice. L'un et l'autre jurèrent devant tous qu'ils étaient innocents de cette mort, qu'ils ne l'avaient ni voulue ni conseillée, mais qu'ils n'avaient pas pu découvrir les assassins.

Le tombeau profané.

La crypte où se trouvait le tombeau de saint Frédéric servit quelque temps de logement à un serviteur laïque de l'église. Celui-ci, ivrogne et voleur, y déposa des objets dérobés, ne craignit pas de prendre des ornements d'église pour rendre sa couche plus moelleuse, et souilla même les tom-beaux.

Par deux fois, saint Frédéric lui apparut avec deux autres évêques, Alfric et Ludger, également inhumés en ce lieu, et lui reprocha sa conduite. Ce fut en vain.

Un matin, on le retrouva mort dans son lit embrasé ; en même temps, on constatait la profana-tion des tombeaux et des ornements sacrés. Le fait fut considéré comme un châtiment céleste, et le malheureux fut enterré sans aucune cérémonie.

Le culte et les reliques de saint Frédéric.

Les détails que nous possédons sur les reliques de saint Frédéric sont malheureusement incom-plets. En l'année 1362, on jugea nécessaire de restaurer la tombe où n'avaient pas cessé de reposer ses restes. On en profita pour mettre à part le crâne, qui fut enfermé dans un beau reliquaire d'ar-gent ciselé, représentant le buste du Saint, revêtu d'ornements pontificaux et coiffé de la mitre. Il fut conservé précieusement au couvent dOud-Munster. Le jour de la fête du martyr, le 18 juillet, l'office ne se célébrait pas au chœur du monastère, mais dans la crypte. Les chanoines s'y rendaient

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en procession, et, ce jour-là, le reliquaire demeurait exposé à la vénération des fidèles.

Pendant les Vêpres de la vigile et de la fête, il était placé sur le maître-autel ; avant la messe, le prêtre semainier le portait en procession à la crypte, et, à l'Offertoire, les chanoines venaient le vé-nérer. La chronique nous dit qu'en 1563, la fête tombant le dimanche, la procession fut plus longue et plus solennelle ; elle parcourut les jardins de l'évêque. En dehors de la fête du Saint, il y avait dans l'année vingt fêtes où le reliquaire était exposé sur l'autel. Enfin, il était porté en procession le jour de la dédicace de l'église et le jour de Sainte-Marie-Madeleine. Cette dernière date était celle de la dédicace de la cathédrale d'Utrecht. Les troubles de la Réforme mirent fin à ces usages. La cathédrale ayant été assaillie deux fois par les protestants en 1580, les chanoines de Saint-Sauveur craignirent que leur église ne fût aussi saccagée. Le chef de saint Frédéric fut alors transporté, avec beaucoup d'autres objets de valeur, à Emmerick.

A la même époque, le reste du corps du Saint, qui se trouvait encore dans la tombe, fut exhu-mé et placé, le 25 juillet 1580, dans un coffre de bois. Le précieux dépôt, fut transporté, croit-on, dans une maison particulière, pour être soustrait à la fureur des hérétiques. Par prudence, il fut in-terdit d'indiquer par écrit la cachette ; peu de personnes en étaient instruites ; encore devaient-elles jurer de ne pas la révéler. Aujourd'hui, on ne l'a pas encore découverte.

Le chef de saint Frédéric revint à Oud-Munster le 14 septembre 1609, ainsi que la châsse qui contenait les reliques de son ami saint Odulphe.

En 1673, l'église du Saint-Sauveur étant détruite, les chanoines occupèrent l'abbaye de Saint-Paul, mais ils avaient emporté avec eux leurs reliques. Au début du XVIIIe siècle, nous retrouvons le buste reliquaire à Leyde, dans la chapelle privée d'un homme illustre par son érudition et pieux, mais malheureusement janséniste, HuguesFrançois Van Heussen, vicaire général de l'Eglise schis-matique d'Utrecht. En 1776, les reliques de saint Odulphe furent retirées de leur reliquaire, et ce-lui-ci fut vendu pour l’entretien de l’église.

En 1887, le reliquaire de saint Frédéric fut vendu à son tour, pour 7 000 francs, à un antiquaire qui le revendit bientôt à un collectionneur parisien, nommé Charles Stein, puis racheté par les Pays Bas pour le musée artistique d'Amsterdam. Mais les reliques n'y étaient plus, et nous ne savons ce qu'elles sont devenues.

On représente saint Frédéric tenant deux épées et la palme du martyre, ou bien encore, frappé par deux sicaires.

Fr.Follin.

Sources consultées. – Acta Sanctorum (18 juillet). – Archives pour l’histoire de l’archidiocèse d’Utrecht, 1892-1897 (en néerlandais) ; De Katolik (Le Catholique). – Héfélé-Leclercq, Histoire des Conciles, t. IV. – Ch. Cahier, S.J., Caractéristiques des Saints. – G. Cantineau, Les nominations épisco-pales en France, des premiers siècles à nos jours (Rouen, 1905).

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SAINT VINCENT DE PAULApôtre de la Charité (1581-1660)

Fête le 19 juillet.

Quand Dieu fit le cœur de l'homme, il y mit la bonté, dit Bossuet. En nul autre homme, peut-être, cette grande vérité n'a eu une aussi resplendissante manifestation qu'en Vincent de Paul, dont le nom personnifie le dévouement et la charité. Ce grand homme et ce grand Saint est l'honneur de son pays et l'une des gloires les plus incontestées de l'Eglise catholique.

C'est à Pouy, petit village des Landes, près de Dax, que naquit saint Vincent de Paul, le 24 avril 1581. Comme l'innocent Abel, comme David, il garda pendant son enfance les troupeaux de son père. Il avait vraiment « reçu du ciel une âme bonne, et la miséricorde croissait en lui », ainsi que parlent nos Saints Livres. Tout jeune enfant, lorsqu'il revenait du moulin, rapportant la farine à la maison paternelle, il en donnait des poignées aux pauvres qui lui en demandaient. « De quoi, ajoute l'historien de sa vie, son père, qui était homme de bien, témoigna n'être pas fâché. » Voici un autre trait. A l'âge de douze ou treize ans, ayant amassé peu à peu jusqu'à trente sous de ce qu'il avait pu gagner, ce qu'il estimait beaucoup en cet age et en ce pays où l'argent était rare, et ayant un jour trouvé un pauvre qui lui paraissait dans une grande indigence, touché de compassion, il lui donna tout son trésor.

C'étaient en cet enfant de bénédiction les premiers signes de la grande charité qui devait se ré-pandre sur le monde. De si heureuses dispositions inclinèrent son père à faire, suivant sa modique fortune, quelques sacrifices pour l'appliquer aux études en vue du sacerdoce. Le jeune enfant étu-dia d'abord au collège de Dax ; plus tard, une paire de bœufs fut vendue pour l'aider à continuer à l'Université de Toulouse, où il prit ses grades en théologie.

Esclave à Tunis.

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Vincent de Paul avait été ordonné prêtre à Château-l'Evêque, près de Périgueux, le 13 sep-tembre 1600, il n'avait que 19 ans, les décrets du Concile de Trente n'étant pas encore reçus en France. Or, il arriva qu'en 1605, ayant à revenir par mer de Marseille, il tomba en captivité et fut emmené par les pirates à Tunis. Lui-même en a fait le récit.

Trois brigantins turcs, dit-il, qui côtoyaient le golfe du Lion pour s’emparer des barques qui venaient de Beaucaire, où il y avait une foire que l'on estime être des plus belles de la chrétienté, nous attaquèrent si vivement, que deux ou trois des nôtres étant tués, et tout le reste blessé, et même moi ayant eu un coup de flèche qui me servira d'horloge tout le reste de ma vie, nous fûmes contraints de nous rendre à ces félons. Les premiers éclats de leur rage furent de hacher notre pilote en mille pièces ; cela fait, ils nous enchaî-nèrent, et, après nous avoir grossièrement pansés, ils prirent la route de Barbarie, où, étant arrivés, ils nous exposèrent en vente.

Vincent de Paul fut vendu d'abord à un pêcheur, puis à un médecin, enfin à un renégat qui l'employa au travail des champs. L'unes des femmes de ce renégat était Turque.

Curieuse qu'elle était, raconte Vincent de Paul, de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir aux champs et me posait des questions. Un jour, elle me commanda de chanter les louanges de mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodo cantabimus in terra aliena des enfants d'Israël captifs en Babylone me fit com-mencer, les larmes aux yeux, le psaume Super flumina Babylonis, et puis le Salve Regina, et plusieurs autres choses, en quoi elle prenait tant de plaisir que c'était merveille. Elle ne manqua pas de dire à son ma-ri, le soir, qu'il avait eu tort de quitter sa religion, qu'elle estimait extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait de notre Dieu et quelques louanges que j'avais chantées en sa présence.

Celui-ci, touché à son tour, s'embarqua sur un léger esquif pour fuir cette terre infidèle avec son esclave Vincent. Ils abordèrent à Aigues-Mortes et le renégat fit son abjuration entre les mains du vice-légat du Pape, à Avignon, à la grande joie de Vincent de Paul.

Saint Vincent de Paul curé.

La Providence poussa l'apôtre à Paris, centre de toutes les misères et de toutes les ressources, à la fin de l'année 1608. Il avait le titre d'aumônier de la reine Marguerite de France et il visitait les hôpitaux. Désormais sa vie ne sera plus qu'un acte sublime de charité au service des pauvres. Dieu donna à Vincent de Paul de servir les pauvres dans toutes les conditions où on peut les rencontrer. Ce fut d'abord comme curé d'humbles paroisses ; à Clichy, dans la banlieue de Paris, et à Châ-tillon-les-Dombes, alors au diocèse de Lyon. En peu d'années, tant la main de Dieu était visible-ment avec lui, Vincent avait renouvelé la population de Clichy dans la religion, rebâti l'église, ins-titué des confréries, posé les bases d'une école ecclésiastique ; il avait surtout gagné tous les cœurs. A Châtillon, dont il accepta d'être curé en 1617 par déférence pour les prières de M. de Bérulle, son directeur, il ne mit que cinq mois pour réaliser les merveilles qu'il avait accomplies à Clichy : il amena à une vie exemplaire les prêtres qui vivaient en cette localité ; il convertit les hérétiques et c'est là qu'il fonda les premières associations de charité, qui produisent encore de si grands biens.

La Confrérie et les Dames de Charité.

Un dimanche du mois d'août, quelques jours après son arrivée dans la paroisse, Vincent re-commanda au prône une famille malade en une ferme voisine de Châtillon. La parole de l'homme de Dieu eut sa bénédiction ordinaire, et le sermon terminé, presque tous les auditeurs prirent le

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chemin de la ferme, les mains pleines de toute sorte de secours. Après Vêpres, il prit la même di-rection et fut agréablement surpris de voir les groupes qui revenaient à Châtillon ou cherchaient sous les arbres de la route un abri contre une excessive chaleur.

- Voilà, s'écria-t-il, une grande charité, mais elle est mal réglée. Ces pauvres malades, pourvus de trop de provisions à la fois, en laisseront une partie se gâter et se perdre, et ils retomberont en-suite dans leur première nécessité.

Dès lors, avec l'esprit d'ordre et de méthode qu'il portait en tout, il fit un règlement pour les femmes pieuses et charitables de Châtillon ; les confréries de charité et les associations des Dames de Charité étaient fondées. En d'autres localités de diverses régions telles que Folleville, Courboin, Joigny, Mâcon, Montreuil-sous-Bois, les hommes se réunirent sous sa direction et il leur donna un règlement analogue et un programme : ainsi feront plus tard les Conférences de Saint-Vincent de Paul.

On a un règlement écrit de sa main pour l'organisation d'une manufacture chrétienne, sur la manière de pourvoir aux nécessités des pauvres et de leur faire gagner leur vie, avec les devoirs du maître ouvrier, de l'apprenti, et l'emploi chrétien de la journée ; c'est l'assistance par le travail et les patronages. Tant il est vrai qu'il n'y a pas une œuvre de charité qui n'ait été devinée par le cœur et organisée par la main prévoyante et bienfaisante de Vincent de Paul.

Chez les Gondi et sur les galères.

Sa charité était universelle. M. de Bérulle fit encore appel à son dévouement pour servir Dieu auprès des grands, et il l'introduisit dans la famille de Gondi qui donnait alors des serviteurs à l'Etat et des chefs à l'Église de Paris. Vincent fut bientôt comme l'âme de la maison. Mme de Gon-di ne pouvait plus se passer de lui pour la direction de sa conscience et l'accomplissement de ses bonnes œuvres. La vertu du saint prêtre lui donnait aussi un grand empire sur M. de Gondi. Celui-ci était l'administrateur général des galères de France. Vincent en profita pour obtenir de visiter ses prisonniers. Il se mit à évangéliser les bagnes ; il procura l'amélioration de la condition matérielle des forçats dans leurs prisons et sur les galères ; il allait essuyer leurs larmes, leur porter les conso-lations de la religion et adoucir leur douleur. Louis XIII lui donna le titre qui lui était très cher, parce qu'il lui permettait de faire beaucoup de bien : celui d'aumônier général des galères de France.

Les missions dans les campagnes.

« Les pauvres sont évangélisés », avait dit Notre-Seigneur. Ce fut peut-être la parole de l'Evan-gile la plus chère au cœur de Vincent de Paul. Pour évangéliser les pauvres, il fonda une commu-nauté de missionnaires, voici à quelle occasion. Vers le commencement de l'année 1617, il se trou-vait avec M. de Gondi au château de Folleville, dans le diocèse d'Amiens, lorsqu'on l'appela à un village voisin, Gannes, pour confesser un paysan qui se mourait. Celui-ci passait pour un homme de bien, mais une fausse honte lui faisait cacher depuis longtemps quelques fautes en confession. Vincent fit faire au mourant une confession générale qui lui rendit une telle paix qu'il ne cessait d'en bénir Dieu publiquement pendant les quelques jours qu'il vécut encore : « Ah ! Madame, dit-il à Mme de Gondi devant tous les gens du village, j'étais damné, si je n'eusse fait une confession gé-nérale à cause de plusieurs gros péchés dont je n'avais pas osé me confesser. » La pieuse comtesse, touchée et effrayée par cet exemple, pressa alors Vincent d'évangéliser les campagnes environ-nantes.

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L'homme de Dieu n'avait pas de plus ardent désir. Autour de lui se groupèrent d'autres prêtres zélés qui se dévouèrent à cette œuvre et s'engagèrent par vœu, sous la conduite de Vincent, à tra-vailler toute leur vie au salut des pauvres gens des champs : ce fut le début de la Congrégation de la Mission. L'une des œuvres apostoliques les plus importantes de Vincent était ainsi fondée ; elle donne encore aujourd'hui des fruits abondants. Vincent travailla toute sa vie à évangéliser les cam-pagnes ; à soixante-quinze ans il allait encore dans les missions. « Lorsque je rentre à Paris, disait-il, en pensant aux pauvres qui restent à évangéliser, il me semble que les murailles de la ville vont tomber sur moi pour m'écraser. » Pour maintenir le fruit des missions, il fallait évidemment établir dans les villages de bons curés. La réforme ecclésiastique s'imposait donc. Les retraites des ordi-nands, les Séminaires, les réunions hebdomadaires, dont nous reparlerons, furent les moyens qu'il employa pour régénérer le clergé.

Saint-Lazare et les œuvres de charité dans Paris.

Les œuvres de charité se multipliaient sous la main de Vincent et sa réputation s'étendait. Le roi Louis XIII mourant, en 1643, fit appeler l'homme de Dieu pour se préparer à paraître devant son souverain Juge. Vincent habita tout d'abord avec sa communauté au collège des Bons-Enfants. Près de l'église Saint-Laurent était une vaste maison où résidaient des chanoines dont la Commu-nauté s'éteignait ; leur prieur, ayant été témoin du bien entrepris par Vincent, de la modestie et du zèle de ses disciples, leur offrit sa maison ; de là, la nouvelle Congrégation reçut la dénomination populaire de Lazaristes, et Saint-Lazare, par la présence de Vincent de Paul, devint le foyer de la charité matérielle et spirituelle dans Paris.

Une nuit de saint Vincent de Paul.

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C'est de Saint-Lazare que l'homme de Dieu organisa l'œuvre des Enfants-Trouvés. Les nou-veau-nés, dont les mères ne voulaient pas, étaient abandonnés dans les rues, déposés dans les églises ou placés sur des « tours ». On les portait de là, par ordre de la police, dans une maison qui s'appelait la Couche, où, faute de nourriture et de soins, presque tous mouraient. Avec l’aide des dames de la Charité, Vincent prit ces petites créatures à sa charge et réussit à les arracher presque toutes à la mort ; il s'en occupait jusqu'au jour où elles étaient en âge de gagner leur vie par le tra -vail. Cette œuvre rendit son nom légendaire dans les annales de la charité. C'est de Saint-Lazare encore qu'il créa au faubourg Saint-Martin l'hôpital du Nom de Jésus, qu'on a regardé comme l'idéal de l'hospice chrétien ; c'est de là qu'il organisa l'Hôpital général de Paris, destiné à recueillir l'innombrable armée de mendiants qui était une des plaies de la grande capitale. Et à la porte de Saint-Lazare, pendant ce temps, Vincent multipliait aussi les aumônes. L'homme de Dieu prodi-guait en même temps autour de lui les secours spirituels. Des foules véritables de laïques, de prêtres, de soldats, venaient à SaintLazare faire les exercices de la retraite spirituelle. Le clergé de Paris s'y réunissait pour les conférences dites du mardi, présidées par Vincent et dans lesquelles on s'entretenait sur des sujets de science et de vertu. Bossuet, qui en avait fait partie, écrivait à ce sujet au Souverain Pontife : « En y entendant les paroles de ce saint prêtre, il nous semblait entendre comme les paroles de Dieu » ; c'est de là aussi que Vincent, toujours intimement uni à la chaire de Pierre, organisait la lutte contre le jansénisme.

Saint Vincent de Paul nourrit des provinces entières.

Dès 1639, pendant la dernière période de la guerre de Trente Ans, Vincent avait fait des pro-diges pour secourir la Lorraine ravagée par la guerre. Il n'y avait plus ni récoltes ni semailles dans ces campagnes toujours foulées par les soldats ; on vit les horreurs de la famine et jusqu'à des re-pas abominables de chair humaine. Epuisée par cinq armées qu'elle entretenait alors, la France n'avait plus rien à consacrer aux malheureux. Un homme se leva, et son cœur miséricordieux osa rêver de soulager des provinces tout entières ; c'était encore Vincent de Paul.

Il quêta à la Cour, il organisa la charité et envoya les prêtres et les frères de sa communauté porter à ces malheureuses provinces le pain matériel et les secours religieux. La peste se mêlant à la famine, il faisait ensevelir les morts, puis distribuer aux paysans du pain et des semences. Il sou-lageait les seigneurs et les nobles aussi bien que les paysans ; il procurait aux prêtres des orne-ments pour leurs églises ruinées ; il recueillait les religieuses chassées de leurs couvents par la guerre et la misère.

En Lorraine, en Champagne, en Picardie et dans d'autres provinces, pendant vingt-cinq années, on s'habitua à regarder Vincent de Paul comme la Providence incarnée. Il renouvela les mêmes prodiges dans la capitale, pendant les troubles de la Fronde. Après avoir épuisé la bourse de Saint-Lazare, il quêtait et faisait quêter. Ce fils d'un pauvre laboureur a pu distribuer, dans le cours de sa vie, des aumônes dont la totalité a dû dépasser 1 200 000 louis d'or, plus de 12 millions de livres ! Voilà comment il mérita le nom que lui donnèrent plusieurs villes reconnaissantes, de « sauveur de la patrie » !

Les missions lointaines.

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«  Dieu, disait Salomon, m'a donné un cœur dont l'amour est vaste comme les plages de la mer. » Vincent de Paul, dont le zèle ne connut aucune barrière, pourrait en dire autant, et il envoya ses missionnaires aux Hébrides, en Pologne et même en Barbarie, soigner les chrétiens que les Turcs tenaient captifs dans les bagnes d'Alger et de Tunis. II rêvait déjà la conquête de l'Algérie par la France chrétienne, et il pressait Richelieu, puis Louis IV, de l'entreprendre. En attendant, il accepta pour ses missionnaires les titres de consuls et de préfets apostoliques à Tunis et à Alger, qui lui donnaient le moyen de secourir les pauvres esclaves. Les bagnes furent d'abord évangélisés en se-cret, puis on y dit la messe et, on y célébra les solennités. A la Fête-Dieu, l'Hostie sainte y était portée en procession, escortée par ces captifs qui, à leur manière, faisaient à Jésus-Christ, de leurs liens et de leurs haillons, un splendide triomphe. Les missionnaires envoyés par Vincent étaient parfois jetés eux-mêmes dans les fers ou mouraient de la peste, en évangélisant les bagnes. Il ne se lassait pas de remplacer par de nouveaux prêtres ceux qui succombaient.

Vincent ne fut pas moins empressé à pourvoir d'ouvriers évangéliques la grande île de à Mada-gascar, où la France venait de planter son drapeau. Autant il envoyait d'apôtres, autant il en mou-rait, emportés par le travail et l'intempérie du climat. Il pleurait ses enfants, mais « bienheureux, disait-il, sont ceux qui consomment leur vie pour le service de Jésus-Christ ; la mort qui nous sur-prend les armes à la main est la plus enviable et la plus désirable ». Il remplaçait ceux qui mou-raient en disant : « Les marchands laissent-ils d'aller sur mer et les soldats à la guerre, à cause des plaies et de la mort à laquelle ils s'exposent ? » Au terme de son existence, il rêvait d'envoyer des missionnaires en Chine, à Babylone, au Maroc.

Les Filles de la Charité.

Le chef-d'œuvre de Vincent de Paul fut peut-être la création de la Compagnie des Filles de la Charité. De concert avec une femme d'une rare intelligence et d'une foi éminente, Louise de Ma-rillac, veuve Le Gras, que l'Eglise devait béatifier le 9 mai 1920, il créa cette œuvre avec une au-dace que le génie de la charité lui inspira. Jusqu'alors, en effet, les personnes consacrées à Dieu vi-vaient, protégeant leur vertu dans les cloîtres. Vincent osa lancer ses filles au milieu du monde, comptant sur leur dévouement pour assurer la sauvegarde de leur angélique chasteté. Il écrivit dans leurs Règles ces paroles admirables : « Elles n'auront point d'autres monastères que les maisons des pauvres ; point d'autres cloîtres que les rues des villes et les salles des hôpitaux ; point d'autre clôture que l'obéissance, ni d'autre voile que la sainte modestie. »

Aussitôt, à l'œuvre, les Filles de saint Vincent, penchées sur le berceau des enfants trouvés ou sur le lit des mourants, envoyées par leur bienheureux Père lui-même sur les champs de bataille, au siège de Calais et parmi les pestiférés, provoquèrent un cri d'admiration, qui n'a cessé de retentir dans l'Eglise catholique. Ces humbles filles proclamaient de leur côté leur bonheur de servir les pauvres que Vincent leur avait appris à regarder comme leurs seigneurs et leurs maîtres. Une d'elles mourait et Vincent l'assistait. « N'y a-t-il rien qui vous fasse de la peine ? dit-il, – Rien, mon Père, répondit-elle, sinon, peut-être, que j'ai eu trop de plaisir au service des pauvres quand on m'appelait près d'eux ; je ne marchais pas, je volais, tant j'étais heureuse de les servir ! – Mourez en paix, ma fille », répliqua l'homme de Dieu, ému et consolé de tant de simplicité et de tant de charité. Les Filles de saint Vincent de Paul sont aujourd'hui sous tous les climats du monde, au mi-lieu des nations catholiques et chez les peuplades infidèles.

La journée de saint Vincent de Paul. – Sa mort.

Le secret de tant de merveilles que nous n'avons pas même énumérées était dans l'amour de Dieu, amour pratique qui brûlait au cœur de saint Vincent de Paul. « Aimons Dieu, Messieurs et

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mes Frères, disait-il aux membres de sa communauté, et aimons-le aux dépens de nos bras et à la sueur de notre front. » De fait, l'homme de Dieu, jusqu'à sa mort – et il mourut âgé de quatre-vingts ans – se levait chaque matin à 4 heures. Souvent, au lever, une discipline sanglante meur-trissait ses épaules. Les premières heures du jour étaient pour la prière et la méditation, qu'il faisait à genoux, avec les siens, dans la chapelle de la maison de Saint-Lazare. Il célébrait alors la messe avec une foi qui ravissait les assistants : « Oh ! que ce prêtre dit bien la messe ! » s'écriait un jour un des témoins de tant de ferveur.

Il eut là des visions du ciel : un jour qu'il célébrait, il vit l'âme de sainte Chantal mourante (1641) ; cette âme montait au ciel et celle de saint François de Sales venait l'accueillir (1622) ; et ces deux âmes allaient se perdre en Dieu. Après la messe, commençait le travail de journées qui étaient sans repas ni trêve. Traitant avec les rois et les princes comme avec les mendiants, Vincent resta l'homme de sa vertu favorite, l'humilité ! Il disait aussi dans son zèle « qu'un prêtre doit tou-jours avoir plus de travail qu'il n'en peut faire ». Il joignait au travail une pénitence incessante ; et on entendit cet infatigable ouvrier de l'Evangile se dire, dans son humilité en entrant au réfectoire : « Malheureux, as-tu gagné le pain que tu vas manger ? » Sa journée se prolongeait bien avant dans la nuit, et, chaque soir, il se mettait devant Dieu et se préparait à mourir.

Dieu l'appela enfin le 27 septembre 1660 à recevoir la récompense,Benoît XIII le béatifia le 13 août 1729 et la cérémonie eut lieu le 21 ; Clément XII le canonisa

le 16 juin 1737. Ses reliques reposent en l'église des Lazaristes, 95 rue de Sèvres, à Paris ; Léon XIII l'a proclamé en 1885 le Patron des œuvres de charité.

A.P.C.

Sources consultées. – Pierre Coste, Saint Vincent de Paul, Correspondance, Entretiens, Documents, 1919-1925. – Emmanuel De Broglie, Saint Vincent de Paul, 1903 (Collection Les Saints). – (V.S.B.P., n° 24, 27, 792, 906, 1220, 1272, 1324.)

SAINT JÉROME EMILIANIFondateur des Clercs Réguliers Somasques (1481-1537).

Fête le 20 juillet.

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Jérôme Emiliani, ou Miani, naquit à Venise, en 1481, d'une illustre famille qui avait donné à l'Eglise plusieurs prélats et à la République vénitienne des procurateurs de Saint-Marc, des séna-teurs et de grands capitaines. Son père, Ange Emiliani, était sénateur de Venise. Dès son enfance, Jérôme se fit remarquer par sa gaieté et son entrain, assaisonnés l'un et l'autre de dignité et de gra-vité ; son esprit vif faisait présager que, sous une main habile, il ferait des études brillantes. Ses pa-rents ne négligèrent point de si heureuses dispositions ; sa mère, Eléonore Morosini, d'une famille qui a donné trois doges de Venise et deux patriarches de Constantinople, le forma dès la plus tendre enfance à la prière ; elle posa dans son cœur les principes d'une foi solide et éclairée. Mais le jeune homme, fils d'une longue lignée d'hommes de guerre, prêtait volontiers l'oreille au clique-tis des armes et au bruit de la guerre. Vers sa quinzième année, il n'y put tenir ; l'instinct belliqueux qu'il portait dans son sang réveilla en lui le courage martial que ses ancêtres avaient fait paraître.

Soldat à quinze ans. – Vie mondaine et désordonnée.

Les conquêtes que Charles VIII, roi de France, avait faites en Italie sur la fin du XVe siècle donnèrent de l'inquiétude aux Vénitiens : ils organisèrent contre ce prince une coalition ou ligue, dans laquelle ils réussirent à faire entrer le Pape Alexandre VI, l'empereur, le roi d'Espagne, le roi de Naples, le duc de Milan et le marquis de Mantoue. Les intéressés eurent de la peine à s'accorder ; mais enfin l'entente fut signée le 31 mars 1495, pour « le maintien de la paix en Italie, le salut de la chrétienté, la défense des honneurs dus au Saint-Siège et des droits de l’Empire romain », disait l’acte officiel qui n’était pas sans cacher des intentions politiques. De toutes parts, on courait aux armes. Jérôme Emiliani avait alors quinze ans ; son père venait de mourir ; avide d’indépendance et de gloire, le bouillant jeune homme laisse ses études et s’enrôle comme volontaire, malgré les supplications et les larmes de sa mère.

Ce n’est pas que sa mère manquât de patriotisme, mais qu’allait devenir la vertu de son cher enfant, si jeune, si impétueux, au milieu de la licence des camps ? Qu’allait devenir son âme au milieu de tant de périls ? La ligue vénitienne fut victorieuse et la puissance de Venise portée à son apogée.

Il n’est pas douteux que le jeune Emiliani ne fit son devoir avec ardeur ; mais les craintes de la mère ne tardèrent pas à se vérifier ; Jérôme, en suivant les camps, en contracta bientôt les vices. Il devint violent, les moindres contradictions le mettaient dans une vive colère. Ce vice fit tant de progrès que plus tard ce fut celui qu’il eut le plus de peine à extirper. Ses qualités elles-mêmes de-vinrent un danger : aimable, noble, beau, il fut recherché par tous ; mais des amitiés malsaines le conduisirent promptement jusqu’à la dégradation des plus vils penchants. Ce fut en vain que sa bonne mère l’avertit, le supplia avec larmes ; ses frères le prièrent aussi, mais inutilement. La fu-reur des vices semblait croître en raison même des efforts que l’on faisait pour l’en détourner. Dieu le permettait sans doute pour faire ressortir avec plus d’éclat la force de sa grâce ; et comme il se sert de toutes les circonstances pour ramener les âmes, ce fut un sentiment d’ambition qui mit le premier frein aux débordements du jeune soldat vénitien.

Prisonnier. – La conversion. – délivrance miraculeuse.

Le Sénat de Venise avait l’habitude, qu’on ne saurait trop louer, d'accorder les charges de la

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République, non aux plus ambitieux ni aux plus riches, mais aux plus vertueux ; Jérôme Emiliani comprit, dans sa soif des honneurs, qu’il devait changer de vie s'il voulait y parvenir. En 1508, les Vénitiens se levèrent en masse pour s'opposer à la Ligue de Cambrai, formée contre eux, le 10 dé-cembre, par plusieurs puissances, à savoir le Pape Jules II, le roi de France Louis XII, l’empereur Maximilien 1er et le roi d’Espagne Ferdinand ; le Sénat confia à Emiliani la défense de Castelnuo-vo, près de Trévise ; au moment même où il y entrait, le gouverneur s'enfuyait lâchement en en-tendant les troupes impériales saper les murailles. Sans perdre de temps, le jeune chef fit réparer les brèches ; il repoussa plusieurs fois les ennemis qui s'avançaient sous les fortifications ; ceux-ci le pressaient de se rendre, le menaçant des derniers supplices s'il ne le faisait pas. Mais Jérôme ré-pondit fièrement : « J'ai voué ma tête à la liberté de la patrie ; je sacrifierai plutôt ma vie que la place... L'empereur peut éprouver notre valeur, lancer ses traits dans nos poitrines, jamais il ne nous verra fuir. »

Malgré tant de valeur, la citadelle fut prise, la garnison massacrée ; Emiliani lui-même fut jeté dans un cachot obscur et profond. Les Allemands ne lui épargnèrent aucune injure ; ils le char-gèrent de chaînes et lui mirent aux pieds un boulet de marbre ; on le nourrissait au pain et à l'eau, chaque jour on inventait de nouveaux tourments ; il attendait à chaque heure la mort qu'on lui pro-mettait. Mais Dieu, qui se rit des desseins des hommes, veillait sur lui avec plus de soin que les geôliers. Jérôme se souvint de sa foi, il s'humilia devant Dieu, reconnut la grandeur de ses fautes et en demanda pardon avec un immense repentir, avouant que Dieu n'était que juste et qu'il méritait bien ce qu'il souffrait. Il se rappela les reproches de sa mère et de ses frères, leurs supplications, leurs larmes.

Tandis que ces pensées salutaires agitaient son âme, son cœur s'émut davantage encore au sou-venir de son autre Mère, celle du ciel, la Sainte Vierge, à laquelle il avait été consacré dès son en-fance. Il se rappela Notre-Dame de Trévise dont il avait visité le sanctuaire ; il se jeta à genoux et l’implora avec ferveur comme le Refuge des pécheurs et la Consolatrice des affligés, il la supplia d'être son avocate auprès de Jésus-Christ, qui ne peut pas ne pas l'exaucer. Enfin il fit vœu de visi -ter pieds nus son sanctuaire de Trévise, d'y faire célébrer une messe, d'y publier ses bienfaits de vive voix et par des inscriptions. A peine Emiliani a-t-il achevé ses supplications, que la Mère de Dieu lui apparaît, l'appelle par son nom, lui remet en mains les clés de ses menottes, de ses en-traves et de son cachot, lui commande de sortir et d'exécuter fidèlement sa promesse. Elle le conduit de même, à travers l'armée ennemie, jusqu'à la porte de Trévise. Il y entre, se rend à l'église de la Vierge, dépose au pied de l'autel les clés de sa prison, les fers de son cou, de ses pieds et de ses mains, suspend à la voûte son boulet de marbre, publie tous ces faits de vive voix, les fait enregistrer par-devant notaire et peindre dans des tableaux. Ce miracle est rappelé par les statues du Saint qui le représentent avec une longue chaîne de fer tombant à ses pieds, et dont le dernier anneau, énorme, reste entr'ouvert.

Nouveaux progrès dans la vertu.

De Trévise, le captif délivré d'une manière merveilleuse revient à Venise en racontant partout le prodige dont il a été l'objet. Le Sénat, voulant récompenser Emiliani de sa valeur et de sa géné-rosité, le nomma podestat de Castelnuovo. Mais il n'exerça que peu de temps cet emploi, car un de ses frères étant venu à mourir, il se rendit à Venise prendre la tutelle de ses neveux. Il travailla pour eux avec un désintéressement parfait, faisant même à leur profit des entreprises commerciales afin d'assurer leur avenir. Mais ce qui le préoccupa le plus, c'était leur instruction religieuse, pour laquelle il ne négligea rien. En même temps, il luttait avec une courageuse sévérité pour corriger ses propres défauts et devenait le modèle de ses concitoyens. Il se faisait un devoir autant qu'une joie d'entendre souvent la parole de Dieu. Jésus-Christ crucifié surtout l'attirait, et dans l'effusion de son amour on l'entendait souvent s'écrier : « O très doux Jésus, ne soyez pas mon Juge, mais

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mon Sauveur. » Plus souvent encore, il redisait avec saint Augustin : « Oh ! soyez vraiment mon Jésus ! »

Comprenant que dans le combat spirituel comme dans les combats matériels le soldat a besoin d'un chef expérimenté, il choisit pour directeur un Chanoine régulier de Latran, aussi pieux qu'éclairé. Il s'abandonna entièrement à la conduite de ce saint religieux, qui lui fit fouler aux pieds tout ce qui ressentait la vanité et le luxe et remplit son âme de force en le faisant approcher souvent des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Une confession générale avait mis une paix et un calme complet dans l'âme de Jérôme. Dès ce moment, il ne désire plus qu'une chose : vivre et souf-frir pour Jésus, qui a souffert et qui est mort pour le monde ; dans ce dessein, il s'applique à toutes les vertus. Afin de fermer la voie à l'ambition, il se démet de ses charges ; il combat l'orgueil en s'adonnant aux œuvres les plus humbles. Il pratique l'humilité dans son maintien, ses paroles, ses actes, bien plus encore dans son cœur, fuyant les louanges et acceptant sans se plaindre les humi-liations. Ses libéralités ne s'étendaient pas seulement sur les pauvres des hôpitaux et les indigents de la rue, mais lorsqu'il prévoyait les dangers moraux dont se trouvait menacée quelque pauvre fille, il la dotait et lui cherchait un parti avantageux.

Peu à peu, il devient pleinement maître de ses passions. Aussi doux qu'il avait été violent, il pardonne à ses ennemis que ses vertus mêmes ne désarmaient pas ; il oublie leurs offenses, leur rend le bien pour le mal, les apaise par la mansuétude de son visage et de ses paroles. Un jour, un homme s'emporta violemment contre lui, l'injuria, et se jetant sur lui, il voulait lui arracher la barbe : « Voilà ma barbe, répondit Emiliani, arrache ! » Son ennemi s'arrêta honteux de lui-même et vaincu par tant de douceur.

La famine. – Le père des orphelins.

Le serviteur de Dieu eut 1'occasion d'exercer sa charité dans une famine générale qui frappa l'Italie en 1528. Les préfets de l'annone, ou des approvisionnements à Venise, purent d'abord remé-dier à la disette en faisant venir des blés de plusieurs endroits ; mais cette abondance inespérée atti-ra tant de monde que la disette s'en accrut encore. A ce moment critique, la charité de Jérôme ne connut plus de bornes, il distribua tout son argent, vendit ces meubles, tout ce qu'il possédait, afin de subvenir aux besoins de ces malheureux : il se fit le plus pauvre de tous, ne voulant rien garder pendant qu'autour de lui une infortune restait à soulager.

Il entraîne ses concitoyens à l'imiter, et avec leur aide, il peut assister les malades et les mori-bonds qu'il visite assidûment. La nuit il enterre les morts, dont il porte les cadavres sur ses épaules jusqu'aux cimetières. Cependant, étant tombé malade à son tour, il reçut les derniers sacrements et demanda au ciel la santé, non pour jouir de la vie, mais pour faire une pénitence plus longue, et pour exécuter ce que Dieu pouvait attendre de lui pour le salut du prochain. Sa prière fut exaucée, et Jérôme reprit avec ardeur sa mission charitable.

Tant de vertus attirèrent bientôt vers lui d'autres âmes généreuses ; Ce furent d’abord saint Gaétan de Thiène et Jean-Pierre Caraffa, de Naples, qui l’aidèrent de leurs conseils et de leurs ac-tions. La famine et la contagion avaient emporté une foule de personnes, les orphelins étaient nom-breux, réduits à la mendicité, sans secours, sans éducateurs, exposés à tous les dangers de la cor-ruption. Jérôme Emiliani adopta les enfants, les logea près de l’église Saint-Roch, leur trouva des maîtres, leur fit apprendre des métiers, quêta pour eux. Il les nourrissait, les revêtait, mais par-des-sus tout prenait soin de leurs âmes.

Dans la matinée, il conduisait ces abandonnés à l’église, pour y entendre la messe et y prier. Puis il se faisait leur instituteur, leur apprenant à lire et à écrire. Avant chaque repas, on récitait le Miserere ; la confession de chaque mois était en pratique. Consacrés à la Sainte Vierge, ces en-fants en portaient les livrées, car ils étaient vêtus de blanc ; les jours de fête, ils parcouraient les

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places de Venise en chantant les louanges de Marie.

Saint Jérôme Emiliani fait chanter les louanges de la Sainte Viergeaux enfants de Venise.

Tout le monde s'émut ; chacun voulait voir ces orphelins ; on chantait avec eux les litanies de la Vierge et le rosaire ; mais par-dessus tout, on était édifié de voir cet homme distingué, ce vaillant capitaine, se faire ainsi le père des pauvres et des abandonnés. Les secours arrivèrent en abondance et, après avoir réglé toute chose, Jérôme Emiliani put sans inquiétude s'éloigner de ses chers enfants.

Fondation d'établissements charitables.

Son zèle dévorant le porta à visiter les environs de Venise. Les souffrances n'y manquaient pas, car la famine avait sévi durement ; un grand nombre d'hommes, jeunes et vieux, allaient périr, manquant de tout. Emiliani ne pensa plus qu'à les secourir, et fit pour eux ce qu'il avait fait pour les enfants de Venise. Le Sénat, reconnaissant, lui offrit la direction de l'hospice des incurables. Avec l'aide de ses amis, l'homme d'œuvres accepta cette mission, mettant toute sa confiance dans la Providence. Dans les plus pressantes nécessités, il faisait prier les petits enfants ; il choisissait quatre orphelins au-dessous de huit ans, les faisant s'agenouiller avec lui et unir leurs supplications aux siennes. Tout cela ne lui suffisait pas encore, et malgré les sollicitations de ses amis, après avoir confié ses œuvres à des hommes sûrs, il quitta Venise. Sans ressources, il se rendit à Padoue, puis à Vérone en 1531, et y fonda des œuvres semblables à celles de sa patrie. Bientôt il va à Bres -cia, semant le bien et l'édification sous chacun de ses pas. Là encore il acquiert une maison, y re-cueille les orphelins et mendie pour les entretenir. Les habitants, touchés, apportent eux-mêmes les secours, se cotisent pour offrir un édifice plus vaste et mieux approprié à son œuvre. Ils louent même cette maison de quelques revenus, et saint Charles Borromée, archevêque de Milan, se trou-vant alors en visite à Brescia, régularise la dotation. Quand tout est terminé, Emiliani passe à Ber-game, où il rencontre un autre genre de misères. La peste et la famine avaient tellement sévi que

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les moissons périssaient dans la pampa par défaut d'ouvriers. Le « Saint » (c'est ainsi que les po-pulations le nomment désormais) voit là une bonne occasion de se dévouer, il n'hésite pas. Il re-cueille des faucilles, fait appel aux hommes valides et avec eux coupe la récolte en leur faisant chanter des cantiques. A Bergame comme ailleurs, il fonda trois maisons, l'une pour les orphelins, l'autre pour les jeunes filles, la troisième pour les personnes adonnées publiquement aux vices ; de celles-ci il convertit un bon nombre, qu'il décida à une vie de pénitence. Cette dernière œuvre, comme toutes celles dont Jérôme s'occupait, ne tarda pas à prendre un grand développement. On vint à son secours, et bientôt, à Bergame, au lieu de la corruption, on respira un air pur, Louis Lip-pomani, évêque de cette ville, qui fut plus tard une des lumières du Concile de Trente, reconnut bien vite dans Emiliani un homme de Dieu, et le seconda de tout son pouvoir ; sous ses auspices, celui-ci parcourut son territoire, consolant, prêchant, multipliant les bienfaits et ramenant ainsi à Dieu un grand nombre d'âmes pécheresses. Tout ce bien ne put se faire sans retentissement. On courait vers lui, deux prêtres remarquables se mirent sous sa direction : c'étaient Alexandre Bezu-lio et Augustin Barilo ; riches, ils se firent pauvres comme leur maître. Bientôt, d'autres accou-rurent : Bernard Odescalchi, lequel commença par donner ses biens pour plusieurs fondations, puis se donna lui-même. Après lui, arriva Primo de Conti, descendant de la sœur de Didier, l'ancien roi des Lombards. Dieu lui amenait à propos ces auxiliaires : l'œuvre principale de Jérôme Emiliani, celle qui devait lui survivre et perpétuer ses fondations, allait prendre corps.

Institution des « Clercs réguliers Somasques. »

L'homme de Dieu comprit que le moment était venu de mettre à exécution le projet qu'il nour-rissait depuis longtemps : fonder une Société qui aurait pour but le soin des pauvres et des orphe-lins. La volonté divine lui apparaissait manifeste ; ses compagnons la suppliaient eux-mêmes de leur donner une règle commune. Jérôme n'hésita plus. Par humilité et par amour du recueillement, il ne voulut pas placer le berceau du nouvel Institut dans une grande ville, mais dans la campagne. Il trouva, entre Bergame et Milan, un emplacement convenable, à Somasca. C'est là qu'il se fixa avec ses disciples ; de là aussi le nom que portent ceux-ci : « Congrégation des Clercs réguliers Somasques », appelés encore « Clercs réguliers de Saint-Mayeul », à cause de l'église de ce nom, sise à Pavie, qui leur fut donnée par saint Charles Borromée. Bien qu'institués en fait à une date postérieure, les Somasques font remonter non sans raison leur origine à 1528, c'est-à-dire à l'année même où, comme on l'a vu, Jérôme Emiliani avait commencé à se signaler par sa grande charité. Le Fondateur rédigea lui-même les points essentiels de la règle, dont le fond est celle de saint Au-gustin. L'esprit de détachement et d'abandon à la divine Providence, tel est le caractère principal du nouvel Institut. Cet esprit paraît partout, dans les habits, les meubles, les repas. Cette règle prescrit un silence rigoureux, des austérités fréquentes ; l'obéissance doit être prompte ; on passe une partie de la nuit en prières ; pendant le jour, on se livre à l'étude et on délasse l'esprit par quelques tra-vaux manuels. De temps en temps, Jérôme envoyait ses premiers disciples en mission dans les campagnes voisines ; ils évangélisaient, consolaient les affligés, fortifiaient les pauvres, re-cueillaient les orphelins. Ils s'appliquaient surtout à instruire les enfants et à découvrir parmi eux des vocations ecclésiastiques. Ce fut, du reste, le meilleur mode de recrutement pour la Congréga-tion naissante ; un certain nombre des enfants élevés par elle entraient au noviciat des Somasques et en perpétuaient l'esprit de zèle, de dévouement et de renoncement. En six ans, le Fondateur éta-blit douze maisons et réunit trois cents disciples.

Dernières années. – La mort.

Les dernières années de Jérôme Emiliani furent consacrées à développer et à consolider son

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œuvre, notamment à Côme, à Milan et à Pavie. Il visitait toutes ses maisons, marchant à pied et vi-vant de pain et d'eau. Averti par Dieu de sa mort prochaine, il revient à Somasca, se met en retraite et examine sa vie avec un soin scrupuleux. Il se construit seul une cellule, dont il porte sur ses épaules tous les matériaux. Il est dans la joie de sa solitude, où il se livre sans merci à la pénitence et à la prière. Invité par son ami le cardinal Caraffa, le futur Pape Paul IV, à se rendre à Rome, il répond : « Pierre Caraffa me mande à Rome, le Seigneur me mande au ciel ! Je préfère me rendre au ciel. » En effet, il se prépare avec une ferveur croissante à son départ de ce monde, répétant souvent les paroles de saint Paul : « Je veux mourir pour être avec le Christ. ». Il encourage ses disciples et leur fait ses dernières recommandations. Il demande les sacrements de l'Eglise, qu'il re-çoit comme un Saint. Enfin, le 8 février 1537, les mains et les yeux fixés au ciel, gardant une luci-dité entière jusqu'à la fin, plein de sérénité au milieu des sanglots de tous, à minuit, il ferme douce-ment les yeux et rend son âme à Dieu en prononçant les saints noms de Jésus et de Marie. Il était âgé de cinquante-six ans. Beaucoup de miracles suivirent sa mort, aussi précieuse devant Dieu que sa vie avait été fructueuse aux hommes. Ses œuvres prirent une nouvelle extension. Benoît XIV le béatifia le 29 septembre 1747 ; Clément XIII le mit au nombre des Saints le 16 juillet 1767, à Saint-Pierre, et fixa sa fête au 20 juillet. Sa statue, œuvre de Bracci, se trouve dans la basilique Va-ticane avec celles des autres grands fondateurs d'Ordres. Le 14 mars 1928, Pie XI a signé un décret de la S. Congrégation des Rites proclamant patron, pour le monde entier, des enfant orphelins et abandonnés cet admirable apôtre de la charité, qui avait été, au XVIe siècle, pour l'Italie du Nord-Est, ce que saint Vincent de Paul devait être en France un siècle plus tard.

A.P. Monfort.

Sources consultées. – Les Petits Bollandistes. – Hélyot, Dictionnaire des Ordres religieux (Collection Migne). – (V.S.B.P,, n° 647.)

SAINTE PRAXÈDEVierge de Rome (t vers 164).

Fête le 21 juillet.

La femme païenne, à toutes les époques, a connu les mêmes préoccupations ; son vêtement, ses chaussures, sa toilette, sa coiffure, ses plaisirs, légitimes ou non, et cela plus particulièrement aux époques de décadence. Aux premiers siècles de notre ère, tandis que les martyrs sont dévorés par les animaux, ou déchirés par les ongles de fer, et que, dans le lointain, les Barbares du Nord préparent leurs invasions vengeresses, les matrones romaines, si elles n'ont plus d'enfants et af-fectent des allures d'hommes, se font soigner par des coiffeuses, qu'on appelle alors des cosmètes ; les cyniflores leur mettent dans les cheveux des teintures en poudre ; les calamistes les frisent, et les psèques dressent leurs chevelures. Les noms changent avec le temps, mais les mœurs restent identiques après les grandes secousses. Si les Barbares ne sont plus dans le Nord, il en est ailleurs, prêts à intervenir, si Dieu ne les arrête. Mais depuis sa venue sur la terre, dans tous les siècles,

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même les plus corrompus, Notre-Seigneur trouve et continuera de trouver des vierges fidèles, sui-vant l'Agneau sans tache, et qui sont, comme le dit saint Cyprien, « la portion la plus illustre du troupeau de Jésus-Christ, la joie et la gloire de l'Eglise, sa Mère, parce que c'est en elles et par elles que l'Eglise voit largement fleurir sa glorieuse fécondité ». Sainte Praxède et sa sœur sainte Pu-dentienne occupent un rang brillant parmi ces femmes admirables dont les noms peuplent nos Martyrologes. Elles appartenaient à la gens ou famille Pudentiana.

Le sénateur Pudens. – Son habitation.

Quand saint Pierre vint à Rome, en l'an 42, il logea dans la maison ou palais dun nommé Pu-dens, qui avait son habitation sur l'Esquilin. On a identifié ce Pudens avec celui dont parle saint Paul en sa seconde Épître adressée à Timothée quand il écrit : « Eubule et Pudens, ainsi que Lin et Claudie, vous saluent. » Et on a cru voir en lui un sénateur, appartenant à la célèbre famille Corne-lia. Bien plus, il ne serait autre que le centurion Corneille ou Cornelius, baptisé par saint Pierre en Palestine ; mais cette dernière supposition paraît définitivement écartée. Comme l'a fait remarquer un rchéologue contemporain, Horace Marucchi, ce surnom de Pudens est assez fréquent chez les Romains, généralement dans l'aristocratie, mais il y eut des Pudens d'un rang plus modeste. Cepen-dant le nom de Claudie, qui voisine avec le nom de Pudens dans l'Épître de saint Paul, semble lui-même désigner une femme de distinction, et jusqu'ici rien ne s'oppose à admettre l'identité des deux personnages, ni la dignité de sénateur de l'hôte de saint Pierre. Le milieu aristocratique où l'Apôtre trouva un abri à Rome montre que la foi qu'il prêchait ne s'adressait pas seulement aux humbles Juifs, cachés en leurs boutiques des rues tortueuses du Transtévère, mais qu'elle faisait aussi ses conquêtes parmi les riches et les puissants. La vie des Romains, à cette époque, était toute au dehors, mais les grands personnages tenaient à rassembler dans leurs demeures tout ce que les autres étaient obligés de chercher ailleurs. L'habitation du sénateur Pudens, autant qu'il est permis de la reconstituer par les souvenirs païens qui nous restent d'édifices analogues, comprenait une vaste étendue de terrain ceinte d'un mur percé de quatre portes. Dans l'intérieur se trouvaient non seulement la maison du propriétaire, mais des hippodromes, thermes ou salles de bains, des places, des rues, des théâtres, bref, une ville en miniature. Puis venaient les écuries, les demeures des es-claves, les magasins, les jardins, des sortes de forums ou portiques sous lesquels le maître se pro-menait avec ses amis. Le tout richement décoré de marbres et de statues. Comme on le voit, un pa-lais était alors comme un lieu qui devait pourvoir à toutes les nécessités de la vie. C'est dans ce mi-lieu opulent que Praxède vit le jour. Une question importante se pose au sujet de ses parents. Le Pudens qui donna une hospitalité généreuse au Prince des Apôtres en l'an 42 était-il le père ou le grand-père de Praxède ? Les Bollandistes inclinent à admettre deux Pudens ; l'aïeul, marié à Pris-cille ; le père, marié à Sabinella. Cette manière de voir a l'avantage de concilier plus facilement la date de l'an 42 avec l'époque du pontificat de saint Pie 1er, postérieur d'un siècle (139-154), et qui était celle où vivait sainte Praxède. Un critique moderne, rejoignant des auteurs plus anciens, ad-met au contraire que, Praxède et sa sœur ayant vécu jusqu'à un âge avancé, rien ne s'oppose à ce qu'elles soient les propres filles du généreux ami de saint Pierre. C'est cette version qu'adopte le Martyrologe romain, à la date du 19 mai ; saint Pudens y est donné comme le père de sainte Praxède, et le texte ajoute que, « revêtu de Jésus-Christ dans le baptême, il conserva sans aucune tache la robe d'innocence jusqu'à la fin de sa vie ». Quoi qu'il en soit, nous nous trouvons en pré-sence d'une famille foncièrement chrétienne des tout premiers âge, famille privilégiée, comme le dit Mgr Gerbet dans son Esquisse de Rome chrétienne :

Famille Heureuse jusque dans ses noms, qui rappellent des idées de pudeur, de crainte de Dieu, d'anti-quité et de renouvellement. Cette famille est la première dans laquelle se soit effectué la transition des idées hautaines, sur lesquelles reposait le patriciat antique, aux sentiments de la fraternité humaine qui

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constitue l'égalité chrétienne. Elle ouvrit sa dernière sénatoriale à ces assemblées des fidèles, où l'esclave, envoyé dans les carrières, prenait place au banquet eucharistique à côté des grands ; car c'est là… c'est chez Pudens que les chrétiens de Rome se sont d'abord réunis pour assister aux saints mystères, pour y recevoir la communion de la main de saint Pierre, qui résidait chez lui ; ce qui suffirait pour conférer à cette famille, aux yeux de la piété, une incomparable noblesse.

Dès lors, quoi d'étonnant si Pudens s'appliqua surtout à élever ses deux filles dans l'amour de la virginité et dans la pratique des préceptes du Seigneur ?

Pudens fonde un «  titre » ou église dans sa maison.

L'histoire de Praxède et de sa sœur nous a été conservée et transmise par un prêtre qui se dé-signe lui-même sous le nom de Pasteur (Pastor), et qui vivait intimement au milieu de cette famille d'élus. Il était le contemporain et le familier du Pape saint Pie 1er, sans toutefois se donner pour son frère ; il nous apparaît comme le conseiller et le soutien de Praxède et de Pudentienne. On l'a considéré comme l'auteur de trois documents auxquels les siècles précédant le nôtre attachaient un grand prix.

Le premier est adressé par lui-même à Timothée, et il est permis d'y voir une des plus belles pages de l'histoire de l'église aux temps apostoliques. Le deuxième se présente à nous comme la réponse de Timothée ; le dernier est un appendice narratif, dû au même Pastor, et qui nous mène jusqu'à la mort de Praxède, que l'auteur déclare avoir ensevelie lui-même. Cet écrit n'est peut-être pas, sous cette forme, absolument authentique. Il est possible que, dans un dessein d'édification ou autre, il ait été remanié au IVe ou au Ve siècle ; d'autre part, si l'on peut croire que, dans ces docu-ments, la légende s'est mêlée à l’histoire, et s'il ne paraît pas possible, faute d'arguments décisifs, de démontrer la vérité de ces assertions, ce même manque d'arguments ne permet pas non plus de s'inscrire en faux contre les détails rapportés. En résumé, et à défaut d'autres sources plus an-ciennes et plus sûres, il nous faut suivre les écrits de ce Pasteur.

Pudens, nous dit-il, se trouvant privé de son épouse, désira, sur les conseils du bienheureux évêque Pie (le Pape saint Pie 1er), transformer sa maison en église. Ce fut moi, pauvre pécheur, qu'il choisit pour réali-ser ce pieux dessein. Il érigea donc, en cette ville de Rome, au Vicus Patricii, un titre (église) auquel il voulut donner son nom.

De fait, au 26 juillet, le Martyrologe romain porte cette mention : « A Rome, saint Pasteur, prêtre sous le nom duquel il y a un titre cardinalice sur le mont Viminal, à Sainte-Pudentienne. » Au IIe siècle, l'Eglise persécutée ne possédait point encore pour les réunions des fidèles les édi-fices publics qui prirent ensuite le nom de basiliques : c'était dans les maisons particulières ou à l'ombre des Catacombes que les chrétiens s'assemblaient pour prier et pour célébrer les divins mys-tères.

Mort de saint Pudens.Zèle apostolique de sainte Praxède et de sa sœur.

« Cependant, continue le prêtre Pasteur, Pudens s'en alla vers le Seigneur, laissant ses filles munies de la chasteté et savantes dans toute la loi divine. « Les deux sœurs vendirent alors tous leurs biens, afin de les distribuer aux chrétiens, parmi lesquels on comptait beaucoup de pauvres.

Fidèles à l'amour du Christ, fleurs de virginité, elles persévèrent ensemble dans les saintes veilles, le jeûne et la prière. Elles avaient un grand zèle pour propager la foi autour d'elles ; dans ce dessein, elles témoignèrent au Pontife saint Pie 1er le désir qu'elles avaient d'ériger une piscine bap-tismale dans le titre ou église paroissiale fondée par leur père. L'évêque du Siège apostolique ac-

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cueillit favorablement le projet, désigna de sa main le lieu où la piscine sainte devait être placée, et la construction fut faite sous ses ordres. Pendant ce temps, les deux servantes du Christ réunirent tous les esclaves qu'elles possédaient à la ville et à la campagne. Ceux qui étaient chrétiens furent affranchis, et l'on commença à instruire les autres de l'Evangile. Quand ceux-ci eurent déclaré leur volonté d'être chrétiens, le Pontife Pie ordonna de faire la cérémonie légale de leur affranchisse-ment dans l'église même, puis, à la fête de Pâques, quatre-vingt-seize néophytes y furent baptisés.

Sous le règne de l'empereur Antonin, dit le Pieux, règne qui coïncidait précisément avec le pontificat de saint Pie, l'Eglise et le monde connurent peut-être une époque de tranquillité. Cet em-pereur, originaire de Nîmes, qui construisit ou acheva le pont du Gard et les célèbres arènes de sa ville natale, était un païen épuré et élevé autant qu'un païen pouvait l'être. Il laissait, dit-on, dormir les édits persécuteurs ; on lui attribue même un rescrit, dont l'authenticité est admise par les uns et rejetée par les autres, et interdisant toute persécution, légale ou illégale.

De toute manière, cependant, il est prouvé qu'en plusieurs provinces, où la populace s'ameutait parfois contre les fidèles et demandait leur supplice, comme les lois leur restaient contraires, il était toujours possible à quelques magistrats zélés d'envoyer les chrétiens à la mort et c'est ce qui se produisit à diverses reprises. En mettant les choses au mieux en ce qui concerne Rome, et en supposant que la tolérance y fut alors la règle générale, on peut définir cette situation par ce mot très moderne et qui a reçu en des temps plus récents une application analogue : « la police fermait les yeux ».

Quel que fût le régime auquel était soumise la religion du Christ à ce moment, la maison des deux vierges devint un lieu de réunions permanentes. Nuit et jour, le chant des hymnes s’y faisait entendre, et beaucoup de païens y venaient trouver la foi et recevaient le baptême en toute allé-gresse. Et comme les assemblées publiques des chrétiens demeuraient interdites, les Papes se reti-raient secrètement chez elles pour offrir les saints mystères et administrer les sacrements aux fi-dèles qui les y venaient trouver.

Mort de sainte Pudentienne. – Mort de Novatus.

Or, la vierge Pudentienne étant morte la première, à un âge qu’il est difficile de préciser, sa sœur Praxède l’ensevelit : les chrétiens entourèrent son corps d’aromates et de parfums et le tinrent caché, par prudence, durant vingt-huit jours, dans l’intérieur de l’oratoire. Puis, le 14 des calendes de juin (le 19 mai), ils purent le transporter durant la nuit au cimetière de Priscille, sur la via Salaria, et le déposer près du corps de saint Pudens. Ce cimetière chrétien, le plus ancien de tous, doit sa fondation au consul Glabrion, martyrisé sous Domitien en 91 ; on y rattache le souve-nir de la première prédication de saint Pierre ; lieu toujours vénéré et vénérable, puisque sept Papes y avaient leur tombeau en une basilique qui a été restaurée en 1907. La famille Pudens avait là une sépulture propre.

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Sainte Praxède veille à l'ensevelissement des martyrs.

C'est là qu'on transportait les restes des martyrs, à l'aide de chariots à deux roues nommés bi-rotes, qu'employaient les maraîchers des environs de Rome pour apporter dans la ville les produits de leurs terres, ce qui permettait, en temps de persécution, de dissimuler un corps humain sous un monceau de provisions. Praxède continua à habiter le titulus, après le départ de sa sœur bien-ai-mée. Les plus nobles chrétiens, avec le saint évêque Pie, la visitaient souvent pour lui apporter des paroles de consolation. Parmi eux était saint Novatus, homme très généreux, qui répandait ses au-mônes dans le sein des pauvres de Jésus-Christ et consacrait ainsi tous ses biens en œuvres de mi-séricorde, demandant souvent à la vierge Praxède de se souvenir de lui dans ses prières. Le Marty-rologe, au 20 juin, l'appelle le frère de Praxède, mais il convient sans doute de prendre ce mot dans le sens plus large de « frère dans le Christ ».

Ici nous laissons la parole au prêtre Pasteur :

Or, un an et vingt-huit jours après la déposition de Pudentienne, dans l'assemblée des fidèles on remar-qua l'absence de Novatus. L'évêque Pie, dont la sollicitude embrasse tous les chrétiens, s'informa de lui. On apprit que Novatus était retenu par la maladie, et cette nouvelle nous affligea tous. La vierge Praxède, s'adressant alors à notre père le Pontife :

- Si vous l'ordonnez, dit-elle, nous irons visiter le malade ; peut-être vos prières obtiendront-elles du Seigneur sa guérison.

L'assemblée accueillit avec bonheur ces paroles. Profitant des ombres de la nuit, nous nous rendîmes auprès de Novatus. Cet homme de Dieu, en nous voyant, rendit grâces au Seigneur de lui envoyer la visite du saint évêque Pie, de la vierge Praxède et de nous-même. Nous demeurâmes dans sa maison les deux jours qui suivirent. Dans cet intervalle, il lui plut de laisser au titulus et à la vierge Praxède tout ce qu'il possédait. Cinq jours après, il émigra vers le Seigneur.

Praxède demanda à saint Pie d'ériger un second titre ou église à côté de l'ancien, dans les thermes de Novatus, lesquels n'étaient plus en usage et avaient une salle grande et spacieuse. Le

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Pape en fit la dédicace sous le nom de la bienheureuse vierge Pudentienne. Plus tard, il dédia une autre église là où s'élève aujourd'hui l'église Sainte Praxède, et il y établit un baptistère.

Retour de la persécution. – Mort de sainte Praxède.

A Antonin le Pieux succéda, en 161, Marc-Aurèle, l'empereur philosophe, aux principes ri-gides, dont on voudrait faire une manière de saint laïque, et qui versa plus de sang chrétien à lui seul que Néron et Domitien. C'est sans doute sous son règne que Praxède termina sa vie terrestre, et c'est bien ce qu'indique le Bréviaire romain quand il parle de la persécution de l'empereur Marc-Antonin, c'est-à-dire Marc-Aurèle, de la famille des Antonins. Quelque temps après, une grande tourmente se déchaîna contre les chrétiens et beaucoup d'entre eux conquirent la couronne du mar-tyre. Praxède, comme le dit le Bréviaire, s'efforça de venir en aide aux serviteurs de Dieu :

Elle les soulageait de ses biens, leur rendait elle-même tous les services qu'elle pouvait et les consolait dans leurs peines. Elle cachait les uns dans sa maison, exhortait les autres à demeurer fermes dans la foi, ensevelissait les corps de ceux qui avaient triomphé. Elle veillait à ce que rien ne manquât aux prisonniers et à ceux qui étaient condamnés aux bagnes.

Mais l’empereur Marc-Aurèle ayant appris que des réunions se faisaient au titre de Praxède, le fit investir par ses soldats et beaucoup de chrétiens furent pris, notamment le prêtre Semmétrius et vingt-deux autres. Ils furent conduits au supplice sans même qu’on daignât leur faire subir un in-terrogatoire. Praxède recueillit leurs corps durant la nuit, et elle les ensevelit au cimetière de Pris-cille le septième jour des calendes de juin. D'un âge très avancé, cette pieuse femme n'aspirait plus qu'à l'éternel repos « dans le baiser du Christ ».

Ne pouvant supporter le spectacle de ces sanglantes persécutions, elle pria Dieu de la retirer du milieu de tant de maux, s'il était expédient qu'il en fût de la sorte. Le Seigneur l'appela au ciel vers ce temps-là pour récompenser sa piété.

Ainsi s'exprime le Bréviaire. Nous n'avons d'autres détails sur sa mort et sa sépulture que ceux de ses Actes où nous lisons :

Praxède émigra vers le Seigneur, vierge consacrée, le 12 des calendes d'août. Moi Pasteur, prêtre, j'ai inhumé son corps près de celui de son père, dans le cimetière de Priscille, sur la voie Salaria.

Avec ces données on ne voit pas comment certains hagiographes ont pu ranger la pieuse femme au rang des vierges martyres.

Culte rendu à sa mémoire.

Praxède avait eu l'honneur de fournir un temple à Jésus-Christ et un asile à l'Eglise : une basi-lique s'éleva bientôt sous son vocable, dans la Ville éternelle, et c'est un des titres cardinalices les plus anciens. L'église actuelle, confiée aux Bénédictins de Vallombreuse, est à trois nefs divisées par seize colonnes de granit, avec son maître-autel décoré d'un baldaquin, que surmontent quatre colonnes de porphyre. La tribune et le grand arc sont ornés de mosaïques anciennes ; dans la tri-bune se voit aussi un tableau de Dominique Muratori, représentant la Sainte.

La chapelle la plus remarquable, décorée, même à l'extérieur de mosaïques anciennes, ren-ferme une colonne transportée de Jérusalem en 1233, par le cardinal Jean Colonna, et qui, d'après la tradition, serait la colonne de la flagellation. Au milieu de l'église est un puits, dans lequel, af-

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firme-t-on, sainte Praxède recueillait le sang des martyrs. On montre aussi une éponge avec la-quelle elle lavait pieusement les précieux restes de ces témoins de Jésus-Christ.

Le corps de sainte Praxède, que le Pape saint Pascal 1er fit retirer des Catacombes au IXe siècle, est honoré sous le grand autel. Le même Pape ordonna en même temps de transporter dans cette église les corps de deux mille martyrs : au jour de la résurrection, ils se lèveront pour escorter celle qui, de son vivant, se fit l'humble servante des confesseurs de la foi.

Saint Charles Borromée reçut, en novembre 1564, le titre cardinalice de Sainte-Praxède, et il enrichit beaucoup de ses bienfaits cette église qui lui était chère par son ancienneté et par la multi-tude de ses reliques.

Non content de la restaurer et de l'embellir, le saint cardinal se fit construire dans ses dépen-dances une résidence qu'il ne cessa d'habiter dans la suite, tant qu'il resta à Rome. Une des cha-pelles, religieusement conservée, y perpétue le souvenir du grand archevêque de Milan.

Un des premiers documents iconographiques concernant sainte Praxède, dont nous constations l'existence, est un buste sculpté sur la porte de bronze de l'église Sainte-Pudentienne, figure qui re-monte au Ve ou VIe siècle. La Sainte est représentée tenant une lampe allumée, comme une vierge sage.

En cette même église Sainte-Pudentienne se trouve une mosaïque fameuse du IXe siècle : Notre-Seigneur, assis sur un trône au pied de sa croix y est entouré de ses apôtres ; derrière ce groupe, deux matrones d'âge mûr tiennent chacune une couronne.

Les célèbres archéologues Jean-Baptiste de Rossi et son élève Horace Marucchi reconnaissent en ces deux femmes sainte Praxède et sa sœur. On représente parfois Praxède et Pudentienne ren-dant aux martyrs les derniers devoirs.

Le graveur Jacques Callot a de même figuré sainte Praxède épongeant le sang des martyrs sur une place publique. Dans quelques parties de la France, cette Sainte est honorée sous le nom altéré de Pérussette.

Octave Caron.

Sources consultées. – H. Marucchi, notice au mot « Pudens » dans le dictionnaire biblique de Vigou-roux. – Abbé Martin, Les Vierges martyres, t. 1er (Paris, 1874). – Mgr Gerbet, Esquisse de Rome chré-tienne. – (V.S.B.P., n° 752.)

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PAROLES DES SAINTS_________

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La vie intérieure.

I1 faut être réservoir et non canal. Il ne faut pas vouloir répandre avant d'avoir reçu, pas vou-loir enseigner, avant d'avoir appris. La source ne s'écoule en ruisseau, ne forme des lacs, qu'après s'être remplie.

Saint Bernard.

SAINTE MARIE-MADELEINEPénitente (1er siècle).

Fête le 22 juillet.

Les Évangélistes nous parlent de trois femmes du nom de Marie ; Marie la pécheresse ; Ma-rie, sœur de Marthe, et Marie-Madeleine. Certains commentateurs en font trois personnages diffé-rents ; sans prétendre trancher la question, l'Eglise a voulu rappeler, le 22 juillet, ce triple souvenir, ce qui nous permet de croire qu'il n'y a contre l'unité des trois Marie aucune objection sérieuse, au-cun argument décisif. Nous nous en tiendrons donc à cette tradition.

Première phase de sa vie.

Marie-Madeleine naquit à Béthanie, en Judée, d'une famille opulente dont l'Évangile fait connaître plusieurs membres ; Lazare, le mort de quatre jours que Jésus-Christ ressuscita ; Marthe, sa sœur aînée qui, par suite de la mort de ses parents, avait reçu dès son adolescence l'administra-

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tion des biens patrimoniaux ; Madeleine enfin, la plus jeune, qui vivait loin de son frère et de sa sœur, dans le château de Magdala, qui constituait sa part, d’où son nom de Magdaleine, dont nous avons fait Madeleine.

Pour comprendre le récit évangélique, il faut se souvenir que les Romains, maîtres de la Judée, y avaient importé les vices du paganisme. Quelle fut dans l'existence de Marie-Madeleine la part de cette cause, nous l'ignorons. Toujours est-il qu'elle fut possédée par sept démons, et que l'Évan-gile la désigne sous le nom de « pécheresse dans la cité ». Le Sauveur venait d'atteindre sa tren-tième année, le bruit de ses miracles commençait à se répandre, et le peuple accourait vers lui. Ma-deleine fut de ce nombre. Tourmentée par le remords plus encore que par les esprits impurs qui la tyrannisaient, elle était accourue vers le nouveau Prophète, et, délivrée du joug infernal, elle avait cru en lui. Nous ne connaissons pas les détails de sa conversion, qui furent sans doute fort tou-chants ; mais nous pouvons penser qu'en entendant Jésus dire à tous : « Venez à moi, Vous tous qui souffrez, et je vous consolerai... Je ne suis pas venu pour sauver les justes mais les pécheurs », elle se sentit éprise d'un immense amour pour son Rédempteur. A vingt-deux ans, elle résolut de suivre les pas du Divin Maître.

Simon invite Jésus à dîner chez lui.

Un pharisien, nommé Simon, avait invité Jésus à dîner chez lui, probablement à Capharnaüm. Et voilà qu'une femme portant un vase de parfums précieux apparut soudain dans la salle du festin. C'était Madeleine, qui, sans invitation, osait affronter l'indignation d'un pharisien rigide, pour venir verser sur les pieds du Seigneur les larmes de sa pénitence avec le parfum de son amour. Simon ne put voir sans indignation sa maison souillée par la présence de la pécheresse.

« A coup sur, se dit-il en lui-même, si celui-là était prophète, il saurait bien qui est cette femme qui baise ses pieds. » Jésus se tournant alors vers lui : « Simon, j'ai quelque chose à te dire. – Parlez, Maître. – Un créancier avait deux débiteurs dont l'un lui devait 500 deniers, l'autre 50 ; comme ils ne pouvaient payer leurs dettes, le créancier les leur remit à tous deux : dis-moi, qui des deux l'aimera le plus ? – Maître, répond le pharisien, c'est celui à qui a été faite la plus grande re-mise. – Tu en as bien jugé, Simon. » Et, se tournant alors vers Madeleine, Jésus dit à Simon : « Je suis entré dans ta maison ; tu ne m'as pas offert de l'eau pour me laver les pieds, et cette femme les a inondés de ses larmes ; tu ne m'as pas donné le baiser que l'on donne aux hôtes vulgaires, et celle-ci, depuis le moment où elle est entrée chez toi, n'a point cessé de couvrir mes pieds de bai-sers ; tu n'as pas répandu l'huile sur ma tête et c'est sur mes pieds qu'elle a répandu tout ce parfum précieux. C'est pourquoi je te dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce quelle a beaucoup ai-mé. »

Madeleine n'était venue chercher que son pardon. Quelle joie ne dut-elle pas sentir, en enten-dant exalter son amour par Celui dont elle implorait la clémence ! Elle venait d'être l'objet d'une résurrection plus merveilleuse que celle dont sera plus tard favorisé Lazare son frère. Désormais, dit saint Bernard, la Pénitente de Béthanie sauvera plus d'âmes que la pécheresse de Magdala n'en avait perdues.

Jésus reçoit l'hospitalité à Béthanie.

Jésus ne vivait que d'aumônes ; qui donc subvenait à ses besoins ? Quelques saintes femmes groupées autour de la Vierge Marie et, avec elles, Marie-Madeleine.

Un jour, à Béthanie, Marthe le reçut dans sa maison. Marthe, sœur de Marie-Madeleine, diri-geait avec empressement les apprêts du repas, mais celle-ci, assise aux pieds du Sauveur, savourait avec délices les paroles qui tombaient des lèvres divines. Marthe, qui allait et venait inquiète, s'ar-

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rêta devant le Seigneur, et prenant la parole :

« Maître, dit-elle, ne voyez-vous pas que ma sœur me laisse seule dans le service de la maison ? Dites-lui donc qu'elle vienne à mon aide. » Jésus prit la défense de Marie : « Marthe, Marthe, répliqua-t-il, pourquoi votre cœur est-il inquiet et se trouble-t-il pour tant de choses ? Sa-chez cependant qu'une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera point enlevée. » Ainsi étaient précisées par le divin Sauveur la légitimité et la dignité éminente de la vie contemplative.

Résurrection de Lazare.

Peu de temps après, l'heureuse famille que Jésus aimait et qui se signalait par son retour d'amour, la sœur convertie surtout, fut plongée dans la tristesse. Lazare se mourait et Jésus n'était pas là ! Consulté par ce message plein de confiance : « Seigneur, celui que vous aimez est ma-lade », il avait répondu : « Cette maladie n'est pas pour la mort, mais pour la gloire du Fils de Dieu. » Que pouvait la médecine sur celui que Dieu avait résolu de laisser mourir ? Lazare expira pendant que son divin Ami continuait de prêcher au loin. Cependant, deux jours après, Jésus dit à ses apôtres : « Retournons en Judée, car notre ami Lazare sommeille. »

Marthe fut la première informée de son arrivée, elle courut à sa rencontre, et se jetant à ses pieds en pleurant : « Seigneur, disait-elle, si vous aviez été là, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant je sais que tout ce que vous demandez à Dieu vous est accordé sur-le-champ. » Marie, appelée par le Seigneur lui-même accourut aussi se jeter à ses pieds en pleurant : « O Seigneur, si vous aviez été là, mon frère ne serait pas mort. » Elle n'ajouta rien de plus, mais ses larmes cou-laient abondamment. Jésus, à la vue de sa douleur et de la tristesse des Juifs qui l'entouraient, ne répondit point, mais il se troubla lui-même et frémit en son esprit. « Où l'avez-vous posé ? dit-il d'une voix faible. – Seigneur, venez et voyez. » Et le Fils de Dieu pleura.

Il pleura, pour nous apprendre à pleurer avec ceux qui pleurent, dit saint Ambroise ; il pleura surtout sur la mort spirituelle des pécheurs, dont la mort corporelle n'est qu'une faible image. Ce-pendant, quelques Juifs, à la vue de ses larmes, disaient à voix basse : « Voyez comme il aimait Lazare ! » D'autres osaient encore murmurer : « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle-né, ne pou-vait-il pas empêcher son ami de mourir ? » Il se fit un grand silence, lorsque, la pierre du sépulcre enlevée, on aperçut Lazare couché dans son linceul et exhalant une odeur de corruption. Les apôtres inquiets attendaient quelque grand événement, et Jésus, levant alors les yeux au ciel, s'écria : « Père saint, je vous rends grâces de m'avoir exaucé » ; puis, se tournant vers le sépulcre, il cria d'une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et Lazare se lève plein de vie, et sort du sépulcre. La foi de ses deux sœurs avait reçu sa récompense. Quant à Jésus, sa mort fut dès ce moment décrété par les Juifs, ses implacables ennemis.

Seconde onction à Béthanie.

Après le triomphe du jour des Rameaux, le peuple de Jérusalem, soulevé par les pharisiens, préparait une croix au Fils de Dieu. En attendant, Jésus acceptait un abri à Béthanie, dans la mai-son de ses amis privilégiés. Là, en effet, s'étaient rassemblés, avec Lazare, Marthe et Marie-Made-leine, Marie, sa Mère, les apôtres, ainsi que quelques disciples restés fidèles. Au cours de cette se-maine, nous voyons Notre-Seigneur assister à un dernier repas public, dans la maison de Simon le lépreux. Lazare, le ressuscité, était en face de son Sauveur ; Marthe servait comme toujours. Quant à Marie-Madeleine, elle avait encore choisi la meilleure part. On la voit bientôt, en effet, apparaître dans la salle du festin, portant un vase d'albâtre rempli d'un parfum précieux, qu'elle répand sur les

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pieds de Notre-Seigneur. Mais l'onction des pieds ne lui suffit plus cette fois, et c'est sur la tête, qui bientôt sera couronnée d'épines, qu'elle verse avec amour les dernières gouttes de la précieuse li-queur.

A cette vue, l'avarice de Judas se réveille : « A quoi bon cette prodigalité excessive ? mur-mure-t-il indigné. On aurait pu vendre ce parfum plus de 300 deniers et en donner le prix aux pauvres. » Et quelques disciples, plus attachés aux biens terrestres, redisaient les mêmes paroles. Marie-Madeleine, qui n'avait agi que par amour, se tut, pendant que Jésus prenait encore sa dé-fense. « Pourquoi attristez-vous cette femme ? Son action envers moi est bonne, car vous aurez toujours des pauvres avec vous ; mais moi, vous ne m'aurez pas toujours. Aussi, ce baril qu'elle a répandus sur mon corps, l'a-t-elle versé comme pour m'ensevelir. C'est pourquoi, je vous le dis, en vérité, partout où cet Evangile sera prêché, on redira à la gloire de cette femme ce qu'elle a fait en mémoire de moi.»

A la Passion et à la Résurrection de Jésus.

C'est dans la Passion de son Seigneur surtout que se manifeste en toute sa force l'amour de la pécheresse convertie. Tous les apôtres ont fui. Pierre a rougi de lui devant une servante et l’a renié trois fois. Marie-Madeleine, malgré la faiblesse de son sexe, malgré les menaces, les injures, les moqueries de la populace, suit partout celui que les Juifs maudissent. Elle est là avec la Mère de Jésus. Et quand le Christ élevé en croix ne fut plus soutenu que par les blessures de ses mains et de ses pieds, quand il put contempler cette foule ennemie qui s'étendait au loin, s'agitant autour de lui comme « des chiens menaçants », selon la parole du Psalmiste, au milieu des cris de haine et de mort de la multitude, il entendait les sanglots de la pécheresse qui se tenait debout et pleurait à ses côtés. Elle ne se retira de ce lieu sacré qu'au moment où Joseph d'Arimathie, accompagné de Nico-dème, eut mis le cadavre dans le sépulcre.

L'aube venait à peine de se lever, le dimanche matin, lorsque Marie-Madeleine et ses com-pagnes vinrent au tombeau, portant des aromates avec l'espoir d'achever l'ensevelissement.

Mais grande fut leur surprise : le tombeau était ouvert et vide, le corps de Jésus avait disparu ; seules les bandelettes qui avaient servi à l'envelopper étaient restées. Madeleine courut annoncer la nouvelle aux apôtres, et alors Pierre et Jean vinrent à leur tour, et ne furent pas moins surpris, n'ayant pas encore pénétré le sens des paroles du Maître « Je ressusciterai le troisième jour. »

Bientôt Marie-Madeleine se trouva seule près du sépulcre vide. Et voilà qu'en s'approchant de nouveau, elle aperçut deux anges vêtue de blanc. « Femme, pourquoi pleurez-vous ? » lui dirent alors les deux messagers du ciel. Et elle répondit : « C'est parce qu'on a enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l’a mis. »

Comme elle achevait ces paroles, elle se retourna et vit Jésus derrière elle ; mais elle ne le re-connut point, et, croyant que c'était le jardinier, elle lui adressa ces paroles, où elle se peint bien : « Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et moi j'irai le prendre. »

Devant cette explosion d'amour, Jésus s'écria : « Marie ! » Et celle-ci, reconnaissant la voix du Sauveur, se jette à genoux pour baiser ses pieds, en disant :   «  Rabbi (Maître) ! »

« Ne me touche point », reprit alors Jésus, expression que certains auteurs traduisent ainsi : « Ne t'attache point à mes pas. » Et le divin Ressuscité ajouta : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais toi, va dire à mes frères : « Voilà que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »

A la Sainte-Baume. – La mort.

Marie-Madeleine s'acquitta de sa mission, mais le cœur des apôtres, comme celui des dis-

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ciples, l'incident d'Emmaüs le prouve, était encore si dur, qu'ils n'ajoutèrent pas foi immédiatement à ses paroles. Ici prend fin la présence de Madeleine dans les Évangiles, mais tout permet de croire, et le contraire même serait surprenant, qu'elle participe activement à la vie de l'Eglise nais-sante, et nous pouvons nous la représenter enfermée dans le Cénacle avec les apôtres, mêlant ses prières aux leurs ; là son amour déjà si intense sera encore dilaté par les flammes de l'Esprit-Saint.

Et voici ce que relate la légende, que nous rapportons avec un respect profond, tout en regret-tant d'ignorer tant de choses sur lesquelles les documents se taisent. Les Juifs se saisirent d'elle ain-si que de vingt-trois autres disciples du Seigneur et les firent monter sur une pauvre barque sans rames ni voiles. La nacelle voguait à la garde de Dieu. Mais les habitants de la Provence virent aborder au rivage une pauvre barque remplie d'hommes qui chantaient des cantiques. Ces hommes étaient les amis et les parents du Sauveur, et l'heureux pays qu’ils abordaient devait être un jour la France.

A l'endroit où prit fin cette traversée miraculeuse se trouve aujourd'hui un sanctuaire connu sous le nom des Saintes-Maries de la mer.

Les nobles fugitifs se partagent la Gaule pour la gagner au Christ. Marseille fut l'héritage de Lazare, Aix échut à saint Maximin, Avignon et Tarascon à Marthe. Madeleine dit adieu à sa sœur bien-aimée, et, peu de temps après, à son frère Lazare qu'elle avait suivi à Marseille ; puis seule, désormais, en un pays complètement inconnu, elle s'enfonça dans les montagnes boisées de la Pro-vence, à la recherche de la « meilleure part ».

Conduite par les anges ou, selon la légende, portée par eux, elle se retira à la Sainte-Baume, c'est-à-dire la Sainte Grotte, qui se trouve à égale distance de Toulon, d'Aix et de Marseille. C'est là que Marie-Madeleine se renferma pour y honorer, par trente ans d'une héroïque pénitence, les trente années de silence de Jésus sur la terre. C'est là que l'ancienne pécheresse commença et finit cette vie plus angélique qu'humaine, que les hommes charnels ne sauraient comprendre. A genoux dans sa grotte, les bras et les yeux levés au ciel, elle passait les jours et les nuits, les mois et les an -nées à contempler le Christ assis à la droite du Père. Et, c'est, dit la légende, Maximin qui, au jour très désiré où elle devait quitter ce monde, lui apporta la sainte communion.

Les reliques à Saint-Maximin et à Vézelay.

Les restes de la Sainte furent déposés en un mausolée. Au VIIIe siècle, ils furent cachés par crainte des Sarrazins, et c'est seulement au XIIIe siècle, en 1272, que Charles II, roi de Sicile et comte de Provence, neveu de saint Louis, les retrouva.

Vers la même époque, ces lieux sanctifiés par la pénitence et les larmes de la Pécheresse convertie furent confiés à la garde des Dominicains, et l'on vit s'élever par leurs soins une belle église, au lieu dit « Saint-Maximin ». Aujourd'hui encore ces religieux, dont le restaurateur, le P. Henri-Dominique Lacordaire, a consacré un beau livre à Marie-Madeleine, sont les gardiens de la Sainte Baume. Des précieuses reliques, il ne reste plus que le chef entier.

Concurremment avec Saint-Maximin, Vézelay, sur les confins du Nivernais et de la Bour-gogne, a revendiqué l'honneur de posséder les reliques de sainte Marie-Madeleine. De fait, on y a vénéré, pendant des siècles, en l'église de la Madeleine, qui reste l'un des monuments les plus cé-lèbres de France, un corps réputé celui de Marie de Magdala, et qui fit accourir des foules innom-brables ; on se rappelle sans doute aussi que dans ce lieu de pèlerinage saint Bernard, en 1146, prê-cha la Croisade avec succès, devant le roi Louis VII et les grands du royaume.

En 1267, la cérémonie de la reconnaissance des reliques, qui eut lieu en présence de saint Louis, ne fit que donner une impulsion nouvelle au pèlerinage. La châsse de sainte Marie-Made-leine a disparu au XVIe siècle, au cours des guerres de religion. Cependant, de nos jours, Vézelay a recommencé à prendre vie, et l'on y vit accourir comme autrefois des pèlerins, principalement des

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trois diocèses de Sens, de Nevers et d'Autun.

Ordres religieux et culte populaire.

La solitaire de la Sainte-Baume méritait bien d'être honorée d'un culte spécial par les femmes qui, après avoir ou non imité les désordres de sa jeunesse, ont voulu suivre son exemple dans la voies de l'expiation. Aussi voit-on se fonder plusieurs Ordres ou monastères qui portent son nom. Dès le XIe siècle, on trouve en Allemagne des religieuses pénitentes de la Madeleine ; Metz en avait au XVe siècle. Au XVIIe siècle, les Madelonnettes sont instituées à Paris ; ces dernières étaient des âmes arrachées au mal et désireuses de la perfection ; la direction de leur établissement fut assurée d'abord par les religieuses de la Visitation, puis par les Ursulines, en dernier lieu par les religieuses de Saint-Michel. De nos jours encore, dans certaines conditions, certaines Sociétés reli-gieuses acceptent les « Madeleines » repenties et désireuses d'expier loin du monde les égarements du passé.

L'iconographie de sainte Marie-Madeleine est très riche. Le plus souvent, elle est représentée tenant à la main un vase. D'autres fois, agenouillée, ayant près d'elle une tête de mort, ou encore communiée miraculeusement, enfin, transportée au ciel par les anges.

De plus, elle figure sur la plupart des Descentes de Croix que nous ont laissées peintres et sculpteurs.

Plusieurs corporations, parfumeurs, gantiers, jardiniers, la revendiquent pour patronne. La date de sa fête revient assez fréquemment dans nos vieux proverbes ruraux.

A.F.B.

Sources consultées. Mgr Gaume, Biographies évangéliques, 1ère série. – Dictionnaire biblique (article « Marie-Madeleine »). – (V.S.B.P., n° 81).

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PAROLES DES SAINTS________

La primauté du Pape.

Les moyens nécessaires pour affermir les autres et pour rassurer les faibles, c'est de n'être point soi-même sujet à la faiblesse, mais d'être solide et ferme comme une vraie pierre et un ro-cher. Tel était saint Pierre en tant que pasteur général et gouverneur de l'Eglise. Ainsi, quand saint Pierre fut établi à la base de l'Eglise, et que l'Eglise fut assurée que les portes de l'enfer ne prévau-draient pas contre elle, ne fut-ce pas assez dire que saint Pierre, comme pierre fondamentale du gouvernement et de l’administration de l'Eglise, ne pouvait se froisser et rompre par l'infidélité ou l'erreur, ce qui est la porte principale de l'enfer ?

Car qui ne sait que, si le fondement est renversé, si on y peut porter la sape, tout l'édifice sera renversé ? De même, si le Pasteur suprême peut conduire les brebis dans les pâturages vénéneux, on voit clairement que le troupeau sera bientôt perdu. Car, si le suprême Pasteur conduit à mal, qui le redressera ? Et s'il s'égare, qui le ramènera ? A la vérité, il faut que nous ayons à le suivre sim-plement, et non à le guider. Autrement, les brebis seraient pasteurs.

Dans les difficultés qui surviennent journellement, à qui pourrait-on mieux s'adresser ; de qui

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pourrait-on prendre une loi plus assurée, une règle plus certaine, que du Chef général et du Vicaire de Notre-Seigneur ? Or, tout ceci n'a pas seulement lieu dans saint Pierre, mais dans tous ses suc-cesseurs ; car la cause demeurant, l'effet demeure encore. L'Eglise a toujours besoin d'un confirma-teur infaillible à qui on puisse s'adresser ; d'une base que les portes de l'enfer et principalement l'er-reur ne puissent renverser ; elle a toujours besoin que son Pasteur ne puisse jamais conduire ses en-fants à l'erreur. Les successeurs de saint Pierre ont donc tous ces mêmes privilèges qui ne suivent pas la personne, mais la dignité et la charge publique.

Saint François de Sales.

SAINT APOLLINAIRE DE RAVENNEEvêque et martyr (+ 87)

Fête le 23 juillet.

On donnait autrefois le nom de « passion » au document hagiographique relatant le martyre d'un Saint. Nous possédons un grand nombre de « passions » très anciennes dont toutes n'ont pas la même autorité historique. Il est arrivé, en effet, quelquefois, que les récits primitifs ont été notable-ment développés par l'écrivain, et agrémentée d'épisodes recueillis sans discernement à travers les traditions et les légendes populaires.

La « passion » de saint Apollinaire.

La « passion » de saint Apollinaire, qui fournira les éléments de cette notice, est classée par les historiens parmi celles qui ont éprouvé cette regrettable déformation. Le fond toutefois est hors de discussion, à savoir, que saint Apollinaire fut le fondateur de l'Eglise de Ravenne, qu'il fut envoyé dans cette ville par saint Pierre lui-même, qu'il y opéra d'éclatants miracles et qu'il y subit le mar-tyre sous le règne de Domitien. Ces faits sont contrôlés par le témoignage d'un des successeurs du Saint sur le siège de Ravenne, saint Pierre Chrysologue, Docteur de l'Eglise, dont l'épiscopat dura de 432 à 452.

Il est difficile de dire jusqu'à quel point l'auteur de la « passion » s'écarte de l'exacte vérité, ou plutôt jusqu'à quel point les anciens récits dont il a dû se servir méritent notre confiance. Ce n'est pas une raison de rejeter en bloc un texte vénérable tout au moins par son antiquité, puisqu'il re -monte sûrement au delà du Ve siècle.

Nous l'utiliserons donc largement, faute de sources plus autorisées. Qu'il nous suffise d'avertir le lecteur que les dialogues assez longs que nous reproduisons ne doivent pas être considérer

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comme des documents sténographiés, mais plutôt comme l'expression littéraire et dramatique des événements.

Saint Apollinaire envoyé à Ravenne.

A la suite de Jésus qui disait à ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations », Pierre, son premier Vicaire ici-bas, n'eut rien plus à cœur que d'envoyer des ouvriers évangéliques à travers le monde. Parmi les premiers que le Prince des apôtres désigna lui-même pour cette sainte mission, Apollinaire est un des plus illustres. Il avait suivi l'apôtre d'Antioche à Rome, où il fut quelque temps son auxiliaire infatigable. Arrivé aux environs de Ravenne, vers l'an 50, l'homme de Dieu entra chez un soldat auquel il demanda l'hospitalité. Ce soldat s'appelait Irénée. Il reçut le saint évêque avec empressement. Apollinaire lui raconta son voyage et lui exposa en même temps le but pour lequel il venait à Ravenne et l'invita à quitter le culte des idoles.

- Étranger, répondit le soldat, si le Dieu que tu prêches est si puissant que tu le dis, supplie-le de rendre la vue à mon fils, et je croirai en lui.

Le Saint se fait amener l'enfant et, devant les assistants (car beaucoup étaient accourus pour sa-voir ce que pouvait être cet étranger), il fit sur l'aveugle le signe de la croix. A. peine avait-il termi-né que, au grand étonnement de tous, le malheureux recouvrait la vue. Ce miracle disposa leurs cœurs à recevoir l'enseignement de l'apôtre.

Chez un tribun. – Son arrestation.

Un ou deux jours après, Irénée se trouvait chez un tribun militaire, dont la femme, appelée Thécla, souffrait depuis longtemps les tortures d'une maladie réputée incurable par les médecins. La conversation roulait sur des choses diverses. Or, ce jour-là, Thécla avait souffert plus qu'à l'or-dinaire. Le tribun exposa ses angoisses au soldat. Ce dernier lui répondit :

- J'ai chez moi un étranger qui a rendu la vue à mon fils sans employer aucun remède. Si tu veux, je le ferai venir, et par une seule de ses paroles ta femme recouvrera la santé.

- Qu'il vienne ! répondit le tribun.Apollinaire fut appelé, guérit la malade et par ce miracle convertit le tribun, sa famille entière

et de nombreux amis. Apollinaire habita chez le tribun. La maison de ce dernier devint ainsi un centre d'action apostolique où se réunissaient en secret ceux qui voulaient entendre le prédicateur de l'Évangile. Plusieurs lui confiaient leurs enfants pour qu'il les instruisît dans la foi chrétienne. Peu à peu il se forma dans Ravenne une chrétienté florissante.

Des prêtres et des diacres furent ordonnés. Le Saint vivait en communauté avec eux. Ceux-ci s'unissaient à lui et récitaient les offices sacrés en chœur. Les prêtres étaient Adhéritus et Calocé-rius ; les diacres, Marcianus et Leucedius. Cependant, la réputation d'Apollinaire se répandit bien-tôt dans toute la ville, et les païens craignirent pour leurs dieux. En conséquence, ils se saisirent de l'étranger et le menèrent chez le gouverneur Saturnin.

Celui-ci le conduisit au Capitole de Ravenne et lui dit en présence des prêtres idolâtres :- Que prétends-tu faire au milieu de nous ?Prêcher le nom du Christ, répondit Apollinaire. - Qu'est-ce que le Christ ?- Le Fils de Dieu par qui toute créature vit au ciel et sur la terre.- Il t'a donc envoyé parmi nous pour détruire le culte de nos dieux ? Ignorerais-tu, par hasard,

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le nom sacré de Jupiter, habitant de ce Capitole, nom que tu dois invoquer avec crainte?- Je ne sais quel est cet habitant. J'ignore pareillement s'il a un temple.A ces mots, les pontifes lui dirent :- Viens donc, nous te ferons voir ce temple magnifique, orné de toutes les splendeurs. Tu y

verras la statue du puissant et redoutable Jupiter.A la vue de ce temple, Apollinaire se prit à sourire et dit aux pontifes :- Ce sont là les ornements dont vous êtes si fiers ? Vous feriez mieux d'en distribuer le prix

aux pauvres que de les offrir aux démons.Les prêtres ne purent contenir leur colère. Ils ameutèrent contre lui le peuple qui l'accabla de

coups, le chassa de la ville, et le jeta à demi mort sur le rivage de la mer. Ses disciples le re-cueillirent et le cachèrent dans la maison d'une veuve vertueuse, dont les soins assidus le rame-nèrent en peu de temps à la santé. Cédant aux sollicitations d'un certain Boniface, citoyen de Chiu-si, en Toscane, Apollinaire sortit de Ravenne et vint délivrer la fille de cet homme, possédée du démon. De là, il passa dans l'Emilie et revint à Ravenne.

L'ex-consul Rufus.

A peine rentré à Ravenne, saint Apollinaire reçut l'envoyé d'un ex-consul nommé Rufus. Ce dernier avait une fille unique, dernier espoir de sa vieillesse, mais elle était sur le point de mourir, et le père était dans l'affliction la plus profonde. C'est pourquoi, ayant appris que le prêtre du Christ était de retour, il lui fit dire de venir chez lui et de guérir son enfant. Apollinaire se rendit aussitôt chez le noble patricien, mais à peine mettait-il le pied sur le seuil de la maison que la ma-lade mourait. A cette vue, Rufus éclate en sanglots et dit à l'apôtre :

- Ah ! plut aux dieux que tu ne fusses pas venu dans ma demeure ! Car Jupiter s'est irrité contre moi, et voici qu'il m'a puni de ma révolte contre lui. Ma fille est morte ; désormais, que pourrais-tu faire pour elle ?

Il répondit :- Aie confiance, Rufus. Jure-moi seulement par César que tu laisseras à ta fille la liberté de

suivre Jésus-Christ.- Je sais qu'elle est morte, répliqua Rufus. Si elle pouvait jamais revivre, certes, je n'oserais pas

m'opposer à ce qu'elle me quitte pour suivre son Sauveur.Pendant ce temps, tous pleuraient autour de la défunte. Le Saint s'approche du lit funèbre et

fait à Dieu cette prière : «  Seigneur qui avez accordé à Pierre le pouvoir des miracles, donnez à son disciple celui de ressusciter cette créature qui est vôtre ; car il n'y a pas d'autre Dieu que vous. » A ces paroles, il prend la main de la jeune fille et lui dit :

- Au nom du Christ, lève-toi, et confesse qu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui.Elle se lève vivante.- Je confesse, dit-elle, qu'il n'y a pas d'autre divinité que celle que nous prêche Apollinaire. Les

assistants, si désolés un instant auparavant, ne se possèdent plus de joie. Ils s'associent au bonheur de la ressuscitée et la suivent dans sa conversion. Ils étaient au nombre de trois cents. Le Saint leur conféra à tous le baptême, en commençant par Rufus et sa fille.

Saint Apollinaire devant le vicaire impérial.

Rufus aimait et servait Apollinaire en secret, car il redoutait la vengeance de César. Sa fille se consacra au Seigneur par le vœu de virginité. Cependant, les progrès du christianisme à Ravenne donnaient de l'inquiétude aux païens, surtout aux prêtres des idoles qui voyaient de mauvais œil

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leur influence diminuer petit à petit depuis l'apparition des chrétiens. Ils firent parvenir leurs plaintes à l'empereur Vespasien, qui donna ordre à Messalinus, son vicaire à Ravenne, d'interroger publiquement l'étranger. L'ordre fut exécuté sur-le-champ, et Apollinaire comparut devant le tribu-nal du procurateur.

- Quel est ton nom ? lui demanda celui-ci.- Mon nom est Apollinaire.- D'où viens-tu ?- D'Antioche.- Quel art exerces-tu ?- Je suis chrétien et disciple des apôtres du Christ.- Que dis-tu du Christ ? Quelle est cette divinité inconnue ?- Le Fils du Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, de la mer et de tout ce qu'ils renferment.- C'est peut-être ce Christ que les Juifs ont crucifié pour s'être dit le Fils de Dieu ? A la vérité,

s'il avait été un dieu, il ne se serait jamais laissé insulter et mettre à mort comme il l'a fait. Je ne sais quelle folie traverse ton esprit pour oser mettre cet homme au nombre des dieux.

- Il était Dieu, il l'est encore et le sera toujours. Né d'une vierge, il a voulu souffrir et mourir pour délivrer les hommes de la servitude où le démon les retenait.

- Ce fait a bien été raconté parmi nous, mais il me paraît incroyable.- Messalinus, écoute avec bonne foi ce que je vais te dire. Ce Dieu qui avait pris un corps dans

le sein d'une Vierge ; faisait durant sa vie des miracles sans nombre. S'il a été crucifié par les Juifs, ce n'est pas sa divinité qui a subi la mort, mais la chair dont il s'était revêtu. Après trois jours pas -sés dans le tombeau, il est ressuscité et monté au ciel. A ceux qui veulent être ses disciples, il donne une telle puissance que les démons fuient à leur approche, qu'à leur parole les malades gué-rissent et les morts ressuscitent. C'est en vain que tu voudrais me persuader d'adorer un Dieu que le Sénat de Rome ne reconnaît pas.

- Cesse au plus tôt tes discours insensés, et sacrifie à Jupiter, sinon je te ferai torturer et en-voyer en exil.

- J'offre à mon Seigneur Jésus-Christ un encens de louange en odeur de suavité. Fais de moi ce que tu voudras.

A ces mots, les prêtres païens s'écrièrent :- Il usurpe le titre de pontife qui n'appartient qu'à nous, pour séduire et tromper le peuple ; qu'il

soit accablé de coups !Messalinus appela les bourreaux et leur commanda de le flageller. Comme le saint apôtre ne

cessait de confesser Jésus-Christ au milieu des supplices, on essaya de vaincre sa constance en le soumettant à des tortures plus terribles. C'est ainsi qu'il fut successivement flagellé, étendu sur un chevalet et plongé dans de l'huile bouillante. Après ce dernier supplice, le juge ordonna de lui lier les pieds avec une chaîne d'un poids énorme, et de l'envoyer en exil en Illyrie.

- 0 juge inique ! s'écria le Saint, pourquoi ne crois-tu pas au Christ, afin d'éviter les supplices éternels ?

Pour le punir de son audace, Messalinus ordonna de lui frapper la bouche avec des pierres ai-guës. A cette vue, les chrétiens indignés intervinrent, raconte la « passion » du Saint, et mirent à mal de nombreux païens. Messalinus lui-même allait avoir son tour, s'il ne s'était aussitôt échappé. Cet incident ne fit qu'aggraver la situation d'Apollinaire, qui fut jeté dans un noir cachot, dont les gardiens avaient ordre de le laisser mourir de faim. Mais, pendant la nuit, un ange lui apparut, et lui fit prendre de la nourriture en présence de ces mêmes gardiens terrifiés. Après quatre jours pas-sés dans ce réduit, il fut jeté sur un navire pour être conduit en Illyrie.

Courses apostoliques. – Retour devant le tribunal.

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Une tempête furieuse éclata et le navire fit naufrage. Beaucoup d'hommes périrent engloutis dans les flots. Apollinaire, soutenu par « Celui qui commande au vent et à la mer », parvint au ri-vage oriental de la mer Adriatique. Des nombreux soldats qui composaient l'équipage du vaisseau, deux ou trois seulement avaient échappé au péril. Le Saint les convertit, et ainsi ils lui vinrent en aide pour l'évangélisation du pays où la Providence les avait jetés. Afin d'empêcher l'œuvre d'Apollinaire, le démon endurcissait les cœurs des barbares ; néanmoins, plusieurs se convertirent à la vue des miracles que le Saint fit en guérissant de la lèpre le fils d'un noble de Mœsie.

L'apôtre du Christ parcourut successivement la Mœsie, longea les bords du Danube et descen-dit vers la Thrace, où il convertit encore un grand nombre d'idolâtres. Comme il prolongeait son séjour dans une ville de cette province, l'idole qui rendait des oracles avant son arrivée ne répondit plus à ceux qui venaient la consulter. Les païens cherchaient en vain la cause de ce silence. Ils in-terpellèrent leur dieu, lui demandant ce qu'il fallait faire pour apaiser sa colère. Ce dernier, c'est-à-dire le démon qui habitait cette statue, déclara qu'il ne rendrait plus d'oracles avant qu'un certain Apollinaire n'eût quitté la contrée. On le chercha. Interrogé sur ce qu'il était venu faire en Thrace, il répondit qu'il était venu annoncer la foi du Christ. A peine avait-il prononcé ces mots qu'il fut accablé d'injures et de coups, puis on le jeta, lui et ses compagnons, dans un navire qui les ramena en Italie. Apollinaire rentra à Ravenne après trois ans d'absence ; il y fut reçu avec joie par les chrétiens qui pleuraient en revoyant leur père dans la foi. Hélas ! leur triomphe dura peu. Dès que les prêtres idolâtres eurent appris son retour, ils se hâtèrent d'exciter le peuple contre lui. Ils s'em-parèrent du missionnaire et le conduisirent vers le temple d'Apollon ; mais, à la prière de l'apôtre chrétien, le temple s'écroula soudain.

Le Saint fut alors livré au préteur Taurus, dont il guérit le fils aveugle. Pour soustraire Apolli-naire à la rage des Gentils, le préteur le fit conduire dans une de ses villas, sous prétexte de l'y en-fermer. Quatre années consécutives se passèrent à fortifier les chrétiens dans la foi, à convertir les païens et à guérir les infirmes.

Saint Apollinaire mis en prison tente de s'évader. – Sa mort.

Cependant, les prêtres des idoles découvrirent l'intention que Taurus avait eue en faisant gar-der Apollinaire dans sa villa. Ils adressèrent de nouveau leurs plaintes à l'empereur Vespasien, l'as-surant que son empire était en danger s'il n'imposait silence aux discours enchanteurs de l'étranger venu d'Antioche pour ruiner la religion des Romains. Le prince donna ordre au patrice Démos-thène de juger le prétendu criminel.

Le patrice fit comparaître le Saint devant lui et lui dit : - Vieux séducteur, de quelle condition es-tu ? - Je suis chrétien, c'est mon plus beau titre de noblesse. - Allons ! insensé, le temps est venu de cesser tes folies et d'apaiser la colère des dieux irrités

contre toi. - Loin de moi pareille turpitude ! Je mourrai fidèle à mon Dieu, et je m'offrirai comme victime

pour le salut des enfants que j'ai engendrés dans la foi. Quant à toi, Démosthène, je te déclare (ain-si qu'aux autres païens qui refuseront d'adorer Jésus-Christ) que tu seras livré en pâture aux flammes éternelles de l'enfer.

Ces paroles courageuses remplirent le juge de rage. Aussi résolut-il d'infliger au Saint des peines inconnues jusque-là. En conséquence, il le remit à la garde d'un centurion en attendant d'avoir trouvé le nouveau genre de supplices. Mais le centurion était chrétien dans le secret de son âme. Il offrit donc au martyr un moyen de s'échapper de la prison. Apollinaire, dans l'espoir de ga-gner de nouvelles âmes à Jésus-Christ, acquiesça à cette proposition.

Vers minuit, il sortit de la maison du centurion. Il était déjà hors de la ville, lorsque des païens,

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qui avaient épié son évasion, le saisirent et l'accablèrent de coups de bâton. Le croyant mort, ils se retirèrent, mais ses disciples le recueillirent avant le lever du jour et le portèrent dans une maison de lépreux où il vécut encore sept jours, et prédit aux chrétiens de grandes persécutions pour l'Eglise et une paix profonde qui suivrait le triomphe définitif du christianisme sur le paganisme.

Sa mort arriva le 23 juillet 87. Il fut enseveli à Classe, aujourd’hui (Classe Fuori), faubourg de Ravenne. C'est près de ce tombeau que les habitants de la ville se réunissaient quand ils avaient quelque serment à prêter, ce qu'ils faisaient en étendant la main sur la tombe de celui qui les avait engendrés à la foi.

Les reliques de saint Apollinaire.

L'histoire des reliques du saint évêque nous est connue avec certitude depuis les temps les plus anciens. Nous savons par des témoignages indubitables qu'au VIe siècle une église lui était déjà dé-diée à Classe. Elle avait été construite sur son tombeau, grâce à la générosité du banquier Julien, et elle fut consacrée en mai 549 par l'évêque Maximien. Un siècle plus tard l'évêque Maurus (642-671) plaça les reliques au milieu même de l'église et fit graver son histoire sur des laines d'argent. Une première reconnaissance solennelle du précieux trésor eut lieu en 1173, sous Alexandre III, et une seconde, sous Jules II en 1511, lors de la restauration du tombeau. Au XVIe siècle aussi, les re-ligieux de Saint-Apollinaire de Classe, s'étant transportés au couvent de Saint-Romuald, à Ra-venne, emportèrent secrètement les reliques de leur illustre Patron, qui furent déposées dans leur église. Finalement le Chapitre de la cathédrale fit de vives réclamations à Rome, alléguant que les reliques de leur premier évêque revenaient de droit à l'église métropolitaine qu'il avait fondée. Ils obtinrent gain de cause, et, en 1654, par décret de la Sacrée Congrégation des Rites, les reliques du Saint furent définitivement transportées dans l'antique basilique. Elles reposent dans la crypte, au-dessous de l'autel majeur.

A.B. Catoire.

Sources consultées. – Acta Sanctorum (juillet, t. V, p. 328 sq). – S. Pierre Chrysologue, Serm.128 (Patrologie latine). – Dom Quentin, Les martyrologes historiques (Paris, 1908). – (V.S.B.P., n° 335.)

……………..

PAROLES DES SAINTS_________

Prière et lecture.

Par la prière nous somme purifiés, par la lecture nous sommes instruits. L'un et l'autre moyen sont bons, s'ils nous sont accordés, sinon il est mieux de prier que de lire. Celui qui veut être tou-jours avec Dieu doit fréquemment prier et lire très souvent. Car en priant nous parlons à Dieu lui-même, et lorsque nous lisons, c'est Dieu lui-même qui nous passe. Toute instruction vient par la lecture et la méditation. Ce que nous ignorons, en effet, la lecture nous l'enseigne ; et ce que nous savons, la méditation nous le conserve. Ce double avantage, la lecture des Saintes Écritures nous le donne par excellence, soit parce qu'elle développe l'intelligence, soit parce qu'en retirant l'homme des vanités du monde, elle le conduit à l’amour de Dieu.

Saint Isidore de Séville.

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SAINTE CHRISTINEVierge et martyre en Italie (t vers 300)

Fête le 24 juillet.

Cette vierge martyre reçut de bonne heure les honneurs du culte, du moins en Occident. Ses Actes, écrits par un auteur inconnu, ne jouissent pas, dans toutes leurs parties, de la même créance chez les hagiographes ; certains, parmi ces derniers, ne les considèrent pas comme entière-ment authentiques. Le surnaturel y éclate d'une façon singulière. Qui n'admirera la foi courageuse de cette jeune fille fidèle à Jésus-Christ malgré les fureurs de son père païen et les larmes de sa mère ! On aime à voir Jésus entourer sa faiblesse de sa force divine et mettre pour ainsi dire à sa disposition ses anges et sa toute-puissance.

La jeune recluse.

On ne connaît pas de façon précise le lieu de naissance de Christine. Certains historiens disent qu'elle était Romaine. Elle souffrit le martyre, selon ses Actes, dans la cité de Tyro ou Tur, située dans une île du lac de Bolsena ou Bolsène (Lacus Vulsianus), en Toscane. Ses parents, étaient païens, et le père, nommé Urbain, gouvernait la petite ville de Tur. La jeune fille avait reçu du ciel, avec une beauté corporelle très remarquable, les plus belles qualités morales et les biens de la for-tune, en un mot tout ce qui rend heureux selon le monde. Cependant, Dieu lui avait fait un don bien plus précieux encore, c'était celui de la foi.

Christine semblait vouée par sa naissance à l'erreur, mais Dieu lui fit la grâce de connaître la religion chrétienne ; elle en reconnut la vérité et l'embrassa avec sincérité et courage, malgré tous les périls qu'elle prévoyait, elle voua désormais à Jésus-Christ tout son amour, décidée à lui être fi-dèle jusqu'à la mort. Cependant, sa famille ignorait encore ce changement. Urbain était fier de sa fille ; pour la dérober aux yeux du monde, et peut-être aussi pour la soustraire au prosélytisme des disciples du Christ qu'il détestait, il fit construire une espèce de tour, raconte la légende, y mit des dieux d'or et d'argent et y renferma Christine et quelques servantes, avec ordre d'offrir aux idoles de l'encens et des sacrifices.

La jeune recluse avait onze ans. Toutes ces précautions seraient bien inefficaces pour rendre Christine vertueuse si elle était païenne, le culte des démons ne pouvant que la rendre semblable à eux, mais la jeune fille est chrétienne ; voilà la source de ses vertus, et elle ne craint pas la solitude, parce qu'elle reste en compagnie de son Sauveur et de son Dieu. En effet, élevant ses pensées et ses regards vers le ciel, la pieuse chrétienne s'entretenait en silence avec le céleste Roi de son âme, et le suppliait avec tout son cœur de lui donner toujours lumière, force et persévérance. Sept jours s'étaient déjà écoulés et les statues des divinités païennes n'avaient reçu aucun hommage. Les ser-

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vantes commencèrent à s'en inquiéter. Elles dirent donc à leur maîtresse : « Depuis sept jours nous sommes ici et nous n'avons offert aux dieux ni encens ni sacrifices. Ils vont s'irriter et nous faire mourir. »

D'ailleurs, elles craignaient encore plus la colère d'Urbain que celle de leurs dieux, et s'éton-naient que Christine, si obéissante dans les autres choses, n'obéît pas à son père en ce point.

- Et pourquoi cette crainte ? reprend vivement la jeune fille. Vos dieux sont aveugles, ils ne me verront pas ; ils sont sourds, ils n'entendront pas mes prières. Pour moi, je n'offre de sacrifices qu'au seul vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'elle renferme.

Effrayées de ce langage, les servantes se jettent à ses genoux :- Nous vous en prions, écoutez-nous, lui disent-elles. Vous êtes de noble naissance, votre père

est préfet de la cité, pourquoi adorez-vous un Dieu que vous ne voyez pas ? Si votre père le savait, il nous accuserait de vous avoir appris une religion impie et nous porterions la peine de sa fureur.

- Le démon vous a séduites, répond Christine, venez vous jeter avec moi dans les bras de ce Dieu du ciel, donnez vos cœurs à Jésus-Christ et il vous délivrera du démon.

La fille de Dieu consolée par un ange.

Sur ces entrefaites, Urbain vint pour voir sa fille et adorer les dieux. Il trouve la porte fermée ; il frappe, il appelle, mais Christine, absorbée dans la prière ne l'entend pas. Elle a les yeux levés au ciel, elle contemple son Dieu. Enfin, on ouvre les portes à Urbain, on lui apprend que Christine est chrétienne et méprise les dieux.

Le préfet, irrité, court auprès de l'enfant et lui dit :- Eh quoi ! ma fille, est-il possible que vous soyez aveuglée au point d'adorer un Dieu qui n'a

pu se sauver lui-même ? Sacrifiez aux dieux, sinon ils vous feront mourir !Vos dieux n'ont aucun pouvoir sur moi répondit Christine ; je suis fille de ce Dieu du ciel à qui

j'offre mes sacrifices. Urbain se retira dans une grande colère. Alors prévoyant des luttes terribles, l'enfant supplia Jésus de venir à son aide et aussitôt un ange lui apparut et lui dit : « Le Seigneur a entendu votre prière, soyez courageuse, vous aurez à combattre contre trois juges. Si vous rempor-tez la victoire, vous serez couronnée. » En disant ces mots, le messager céleste fit le signe de la croix sur le front da la jeune fille.

Sainte Christine brise les statues des idoles.Son père se fait son bourreau.

Le soir venu, la jeune Christine, indignée de voir tout autour d'elle ces statues d'idoles, brisa toutes celles qu'elle put et fit distribuer les fragments de métal précieux aux chrétiens indigents. Quelques jours après, Urbain revenait vers sa fille ; mais quelle n'est pas sa fureur en apprenant ce que sa fille avait fait et commandé. Aussitôt il appelle les bourreaux, fait souffleter et battre de verges l'innocente victime. On déchire avec des griffes de fer son corps déjà sanglant, sa chair vole en lambeaux, mais la jeune vierge, invincible dans sa foi, s'adresse au magistrat et lui dit :

- Voici que ceux qui me frappent sont fatigués, vos idoles ne peuvent donc leur donner de la force ?

Urbain, honteux de se voir vaincu par son enfant, la fait jeter en prison, retourne chez lui et re -fuse de boire et de manger. La mère de Christine, informée de ce qui s'était passé, vint auprès de sa fille et lui dit : « Ma fille, ayez pitié de votre mère, et ne la faites pas mourir de douleur ; vous êtes mon unique enfant, tout ce que j'ai est à vous. » Ni les larmes ni les supplications de la mère païenne ne purent vaincre le courage de la jeune martyre. Pourtant, elle aimait bien sa mère, mais elle savait qu'il faut aimer Jésus-Christ encore davantage, et qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux

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hommes. Urbain l'appelle de nouveau à son tribunal et lui dit : « Christine, adorez les dieux, sinon je ne vous appellerai plus ma fille.

- Je suis l'enfant de Dieu, répliqua la chrétienne, car c'est de lui que je tiens mon âme et la vie divine, mon corps seul vient de vous. »

A ces mots, le gouverneur ne peut contenir son indignation ; il appelle les bourreaux et leur or-donne de nouveau de battre de verges la jeune fille. Bientôt ses membres, encore tout meurtris des flagellations précédentes, se déchirent sous la fureur des coups, les plaies s'ajoutent aux plaies, la chair est à nu, le sang coule de partout. Soutenue par une force divine, l'héroïque enfant sourit au milieu de cet affreux supplice qui ne peut la vaincre ; puis, s'inclinant avec calme, elle ramasse sans s'émouvoir un lambeau de chair ensanglantée qui vient de tomber à terre et le présente à ce père dénaturé pour qu'il repaisse ses yeux de cet horrible spectacle.

Mais cet homme cruel n'en fut pas attendri ; peut-être le lâche craignait-il de perdre sa place et sa magistrature s'il pardonnait à une chrétienne. Il veut en finir par un supplice, offrant quelque chose de nouveau : il fait donc attacher la victime à une roue, qu'il fait arroser d'huile et entourer d'un grand feu. A la vue des flammes qui l'environnent comme un vêtement de douleur, la jeune martyre s'écrie : « Seigneur, mon Dieu, ne m'abandonnez pas dans ce combat, mais étendez votre main et que vos saints anges éteignent ce feu afin que je n'en reçoive aucune atteinte. »

Le feu respecta ses membres endoloris, et les flammes se portant sur les spectateurs, en consu-mèrent plusieurs, racontent les Actes. Et comme Urbain lui demandait d'où lui venait ce secours surhumain, la vierge répondit : « C'est de Jésus-Christ que me vient cet appui ; c'est lui qui m'a ap-pris à souffrir, lui, la lumière des aveugles, la vie des morts, la joie des affligés. C'est en son nom que je triomphe de la puissance de Satan votre père. » Christine fut de nouveau jetée en prison. Trois anges lui apparurent, la guérirent de ses plaies et nourrirent son corps d'un aliment spirituel.

Sainte Christine marche sur les eaux. – Mort subite d'Urbain.Le juge Dion.

Pendant la nuit, cinq hommes, envoyés secrètement par le préfet, s'emparèrent de la jeune fille, lui attachèrent une pierre au cou et la précipitèrent dans le lac. Mais, ô merveille ! Christine reste sur les flots et s'avance tranquillement sur le rivage. Une belle couronne lui orne le front, une étole de pourpre est suspendue à son cou et des anges marchent devant elle. Pendant qu'on ramenait la vaillante chrétienne en prison, son malheureux père expirait au milieu des souffrances les plus atroces.

Urbain eut pour successeur Dion, païen cruel et persécuteur des chrétiens comme lui. Mis au courant de la procédure suivie jusqu'alors envers la prisonnière, il fit comparaître cette dernière et essaya de l'intimider : « Christine, ma chère enfant, lui dit-il, tu es de noble famille, quelle erreur t'aveugle donc et te pousse à abandonner nos dieux pleins de miséricorde pour adorer un Dieu cru-cifié ! Offre des sacrifices à nos divinités, sinon je serai forcé de te livrer aux supplices, et ton Dieu ne pourra t'arracher de mes mains.

- Esprit immonde ! repartit vivement Christine, oh oui ! le Christ que tu méprises m'arra-chera de tes mains. »

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Le préfet Urbain menace sa fille sainte Christine de la faire mourirsi elle ne sacrifie pas aux idoles.

Le juge irrité, ordonna de la plonger dans un récipient en fer rempli d’huile bouillante mêlée de poix, mais Dieu veillait sur sa chère servante : elle fit le signe de la croix et ne ressentit aucune douleur de ce bain naturellement mortel.

« C’est aux dieux que tu dois cette protection, lui dit Dion, ils veulent te sauver la vie – Non, c’est à mon Dieu, répliqua Christine, à mon Dieu qui te jettera dans les enfers si tu le persécutes dans les chrétiens. »

Dans sa rage, le païen ordonne de lui couper les cheveux, de mettre ses habits en pièces et de l'exposer ainsi aux moqueries et aux insultes de la populace. Mais le peuple, chez qui l’héroïsme de cette enfant provoquait l'admiration, se récria : les femmes surtout manifestaient hautement leur indignation, Christine en rendit grâce à Dieu et pria son divin Epoux de lui continuer son appui pendant ses combats.

Dion et ses faux dieux. - Le feu dompté.Résurrection d'un magicien.

Quelque temps après, Dion fit conduire Christine au temple d'Apollon. Aussitôt que la vierge en eut franchi le seuil, la statue de l'idole tomba de son piédestal et se brisa. Frappés de ce miracle, un grand nombre de païens – les divers historiens donnent des chiffres différents – crurent au vrai Dieu. Dion, épouvanté et surtout furieux de ce qui arrivait, fut frappé comme Urbain par la justice divine.

Un autre magistrat, plus féroce encore s'il est possible, du nom de Julien, lui succéda. Il avait lu les actes du procès de la jeune martyre ; désireux de connaître cette enfant extraordinaire, il se la fit amener.

« Magicienne, lui dit-il, adore les dieux, sinon je te fais mourir. - Vos paroles, répondit Christine, ne pourront jamais me faire changer.

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- Eh bien ! qu'on chauffe une fournaise pendant trois jours et qu'on y jette cette chrétienne ! » dit le juge.

Ses ordres furent exécutés à la lettre, et la pauvre enfant fut précipitée dans le four embrasé. Mais aussitôt un ange descend du ciel dans la fournaise, prend la martyre par la main et avec elle chante la gloire du Dieu des chrétiens. Les soldats entendent des voix harmonieuses ; effrayés, ils en portent la nouvelle au préfet. Celui-ci fait ouvrir la fournaise, et Christine en sort pleine de force et de vie après y avoir demeuré pendant cinq jours.

Julien ne savait plus que faire pour se débarrasser de cette jeune fille victorieuse de tous les supplices. Soudain, une pensée diabolique lui vient à l'esprit ; et, s'adressant à ses soldats : « Ame-nez-moi un magicien, leur dit-il, et qu'il jette dans la prison de cette impie des serpents, des aspics et des vipères ! »

Le magicien fit ce qui lui était ordonné. Il s'efforça d'exciter les animaux venimeux par ses in-cantations ; mais le succès ne répondit pas à ses espérances. Les reptiles vinrent auprès de la jeune fille, sans lui faire aucun mal ; mais par contre, ils se jetèrent sur le magicien et lui infligèrent des morsures mortelles. A cette vue Christine se mit à genoux et dit aux serpents : « Au nom de mon Seigneur Jésus, allez chacun en votre lieu et ne faites de mal à personne. » Puis elle se mit en prières pour obtenir de Jésus qu'il redonnât la vie au malheureux magicien, victime de son obéis-sance aux ordres cruels du persécuteur. Elle fut exaucée ; malgré le venin, le magicien recouvra la vie et les forces ; il rendit grâces au Dieu de Christine. L'étonnement des spectateurs fut à son comble. Mais le magistrat, aveuglé par la haine de la religion chrétienne, reprocha à la jeune fille d'user à son tour de maléfices et lui ordonna de sacrifier enfin aux dieux. Sur son refus, le bourreau lui fit à la poitrine des incisions profondes et fort douloureuses pour une enfant.

Sainte Christine supplie Dieu de la laisser mourir.

Julien, voyant avec dépit qu'aucun genre de supplice n'ôtait la vie à la courageuse martyre, la fit mettre de nouveau en prison. Elle y convertit quelques femmes qui vinrent la visiter. Quelque temps après, Julien la fit venir de nouveau devant son tribunal : « Christine, c'est fini, dit-il, vous allez mourir si vous ne vous convertissez aux dieux. – Eh quoi ! vous n'êtes pas encore en repos ? Jamais je ne renierai ma foi. –Bourreaux, coupez-lui la langue. » En entendant cet ordre du monstre, Christine s'écria : « Mon Seigneur, jetez les yeux sur votre servante et faites qu'elle achève enfin sa course. »

Une voix du ciel retentit alors : « Christine, disait-elle, venez jouir du repos éternel, venez re-cevoir la récompense de la confession de votre foi. »

On coupa la langue à la bienheureuse vierge. Elle la reçut dans ses mains et la jeta à la face de son persécuteur. Julien, frappé aux yeux devint aveugle. Enfin, la jeune fille fut attachée à un po-teau, son corps fut criblé de flèches jusqu'à ce que la vie s'en échappât. C'était, selon les Martyro-loges anciens, le 24 juillet. L'année du martyre est inconnue. Des récits hagiographiques indiquent les débuts du IVe siècle, durant la persécution de Dioclétien ; cette date n'a rien de bien certain. Par contre, le lieu de la mort, la localité de Tur, sur le lac de Bolsena, n'est pas contesté. Un copiste du Martyrologe hieronymien a confondu la localité toscane avec la ville de Tyr en Phénicie.

Culte et reliques.

Les précieuses dépouilles de sainte Christine, recueillies d'abord par un de ses proches furent ensuite, dit-on, portées à Palerme, où elles furent en grande vénération. De suaves odeurs s'échap-paient de son tombeau et il en découlait une huile miraculeuse. C'est seulement au XIe siècle, par

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les soins de la comtesse Mathilde, qu'elles seraient revenues à Bolsena et auraient été déposées dans un hypogée chrétien voisin de cette ville. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'une grande partie en a été volée. D'autre part, le tombeau de la martyre y a été découvert en 1880 ; le sarcophage avait été brisé ; à l'intérieur se trouvait un vase funéraire en marbre, affectant la forme d'un coffret et portant une inscription très abrégée qui permit néanmoins d'identifier son contenu. L'inscription paraît dater du VIIIe siècle.

Les Petits Bollandistes rapportent que son corps (une partie probablement), fut enlevé par deux pèlerins et apporté près de Béthune, sur les paroisses réunies d'Ecque (La Pugnoy) et La Beu-vrière. C'est là que mourut le second de ces pèlerins, après avoir avoué au prêtre du lieu les cir -constances de son larcin. Alors on bâtit une église et on fonda un monastère pour honorer digne-ment de si précieuses reliques, et on appela des religieux de l'abbaye de Charroux pour les garder et les vénérer.

Sans discuter la valeur de ce récit, il est bon de rappeler que Palerme, en Sicile, ainsi que la lo-calité de Tur conservent aussi des reliques de leur céleste patronne. Il y a plus d'un demi-siècle, on découvrit, sur les indications de M.H Stefenson, le tombeau et le cimetière dit de sainte Christine à Bolsena. Le tombeau portait une inscription remontant au Xe siècle.

Le Martyrologe romain, à la date du 24 juillet, rappelle les divers supplices que la vierge chré-tienne eut à subir à Tur, en Toscane. Le même jour, au Bréviaire romain, on fait mémoire de la Sainte. Cette fête, simple dans le Bréviaire de 1550, a été laissée telle par saint Pie V ; à son ori-gine, elle est propre aux calendriers occidentaux ; avant le IXe siècle, l'Orient chrétien semble l'avoir ignorée.

Le diocèse de Saint-Flour se glorifie d'honorer d'un culte spécial cette aimable Sainte. La pa-roisse Sainte-Christine de Saint-Flour solennisait sa fête d'une manière toute particulière. Dès la veille, à la chute du jour, le curé de la paroisse, revêtu de l'étole et de la chape, entouré de ses vi-caires et de l'élite de ses paroissiens, allait processionnellement, au chant du Veni Creator, bénir un immense bûcher dressé sur la grande place de la paroisse ; touchant souvenir du supplice du feu in-fligé à la Sainte. Dès que la flamme pétillait, le Te Deum, entonné par le célébrant, s'échappait de toutes les poitrines. Trois fois la procession faisait le tour du feu de joie avant de rentrer à l'église. La population tout entière prenait part à ces cérémonies renouvelées du moyen âge. Les paroisses voisines elles mêmes s'ébranlaient et accouraient prêter leur concours à ces fêtes. Trois jours de suite, tout travail était suspendu dans la paroisse. Le dimanche de la solennité, nouvelle proces-sion, nouveaux chants ; bénédiction et distributions solennelles de rameaux à tous les assistants. La statue de la glorieuse patronne était portée en triomphe par les principaux personnages de la pa-roisse, tandis que le célébrant offrait à la vénération des fidèles les reliques précieuses de sainte Christine. Mais, vers la fin du XIXe siècle, ces cérémonies, ayant donné lieu à quelques abus, ont été à peu près complètement supprimées. Le dimanche de Quasimodo et le dimanche qui suit le 24 juillet, la paroisse de Viserny (Côte-d'Or) a aussi coutume de porter en procession une châsse an-tique contenant des ossements de la vierge martyre de Tur.

L'iconographie représente ordinairement sainte Christine tenant un serpent ou une flèche, ou bien ayant près d'elle des idoles brisées, ou enfin marchant sur les eaux avec les anges. Plusieurs artistes se sont aussi inspirés des différents supplices que la martyre eut à endurer ; c'est ainsi qu'on la voit liée à une grosse pierre et jetée dans un lac, ou encore tenant une roue.

F.P.

Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. V de juillet (Paris, 1868). – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. IX (Paris, 1885). – J.B. de Rossi, Bulletin d'archéologie chrétienne, édition française par l'abbé L.Duchesne, III série (Rome et Paris, 1880). – (V.S.B.P., n° 389.)

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SAINT JACQUES LE MAJEURApôtre, patron de l'Espagne (1er siècle).

Fête le 25 juillet.

Saint Jacques le Majeur est pour l'Espagne ce que saint Michel est pour la France et saint Georges pour l'Angleterre ; un puissant protecteur qui pend souvent la forme d'un guerrier toujours prêt à défendre son peuple de sa vaillante épée. L'apôtre saint Jacques, dont l'Eglise célèbre la fête au 25 juillet, était le frère aîné de saint Jean l'Evangéliste. Zébédée, leur père, habitait les bords du lac de Génésareth ; l'Evangile nous le montre occupé avec ses fils au métier de la pêche.

Marie-Salomé, leur mère, était proche parente de la Sainte Vierge. Quelques auteurs ont même cru qu'elle était sa sœur. C'est une erreur ; la Sainte Vierge était fille unique. Mais il est certain que la famille de saint Jacques était liée à celle de Notre-Seigneur par les liens du sang, et que saint Jacques était même assez proche parent du Fils de Dieu selon la chair. A cause de cette parenté, les fils de Zébédée sont plusieurs fois appelés dans l'Evangile les « frères du Seigneur », expression qui se disait alors des simples cousins. L'Eglise a donné à saint Jacques, fils de Zébédée, le surnom de Majeur pour le distinguer de saint Jacques le Mineur, fils d'Alphée, et pour marquer peut-être aussi une certaine supériorité, conforme d'ailleurs à celle dont Notre-Seigneur lui-même daigna ho-norer saint Jacques en le mettant dans un rang à part.

La vocation.

Notre-Seigneur, marchant sur les bords du lac de Génésareth, vit deux frères dans une barque avec leur père, occupés à raccommoder des filets. C'était Zébédée avec ses enfants. Jésus, qui pré-vient souvent sans attendre qu'on le cherche, appela les deux frères pour en faire des disciples. Aussitôt, Jacques et Jean laissent là leur père, leurs filets, leur barque et leur métier, pour se mettre à la suite du Fils de Dieu. Pourrait-on manquer de promptitude quand Jésus appelle ? Cependant, les filets sont toujours à craindre, ainsi que les anciens métiers, et les parents parfois plus que tout le reste. Zébédée laissa partir ses enfants et resta seul dans sa barque. Dur sacrifice. Mais les liens des tendresses humaines doivent céder à l'appel de Jésus qui dispose des âmes en Maître souve-rain.

Les enfants du tonnerre.

Notre-Seigneur changea les noms des deux nouveaux apôtres et les appela Boanergès, c'est-à-dire enfants du tonnerre. Jésus-Christ ne donna un surnom qu'à trois apôtres seulement : à Simon, qu'il appela Céphas ou Pierre, parce qu'il devait être la pierre fondamentale de son Église, et aux deux frères Jacques et Jean, dont la voix devait être un tonnerre grondant et foudroyant. Ce surnom

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ne supplanta pas pour les deux frères, comme pour Simon, le nom d'origine ; il désignait plutôt l'impétuosité de caractère de Jacques et de Jean, dont Notre-Seigneur s'appliquait à corriger les saillies.

Un jour, le divin Maître montait à Jérusalem pour les fêtes de Pâques. Arrivé près de Samarie, il envoya en avant quelques-uns de ses disciples pour préparer le repas. Mais les Samaritains ne voulurent pas les recevoir. Cette injure faite à Notre-Seigneur fut très sensible à saint Jacques et à saint Jean.

Dans l'ardeur de leur zèle, ces enfants du tonnerre voulaient tout foudroyer : « Vous plaît-il, Seigneur, que nous fassions descendre le feu du ciel pour consumer toute cette nation ? » Jésus-Christ se contenta de leur répondre : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes. » Le prophète Elie avait fait descendre jadis le feu du ciel sur des soldats insolents, mais cette impétueuse sévérité n'était plus de saison, sous une loi de grâce, d'indulgence et de miséricorde. L'ardeur naturelle de Jacques et de Jean sera réglée par les inspirations d'en haut, mais justifiera toujours le surnom de Boanergès.

L'Apocalypse de saint Jean, écrite au milieu des éclairs et des tonnerres, en est une preuve ; les sanglantes exécutions des saints anges, les coupes d'or remplies d'une implacable colère sont au-tant de coups de foudre qui remplissent de terreur. Quant à saint Jacques, l'Espagne vénère en lui un cavalier indomptable, terreur des infidèles, qui menait la bataille contre les Maures et défendait son peuple en lui donnant l'exemple de la vaillance.

Les deux premières places.

La familiarité de Notre-Seigneur et sa bonté pour les deux frères leur avait probablement don-né le désir et l'espoir d'une plus grande distinction encore. Ils firent présenter leur requête au divin Sauveur par leur mère, Marie-Salomé. Celle-ci s'approcha en toute confiance, comme une parente qui n'était pas habituée aux refus, et elle demanda à Notre-Seigneur les deux premières places de son royaume : « Dites que mes deux fils soient assis l'un à votre droite, l'autre à votre gauche. » Vous ne pouvez le refuser. Vous le devez en quelque sorte à notre parenté et à notre amitié pour eux.

Jésus vit bien que les enfants parlaient par la bouche de leur mère, et il leur adressa à tous cette réponse : « Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire mon calice ? » Vous parlez de gloire et vous ne songez pas à ce qui la précède. La gloire est le prix des amertumes et des souf-frances. Les apôtres ambitieux s'offrent à tout.

«  Nous pouvons le boire, ce calice », disent-ils.

Ils s'offraient à souffrir par ambition. Jésus ne voulut pas les satisfaire. Il accepta leur parole pour la croix : « A la vérité, vous boirez le calice que je boirai » ; mais pour la gloire, il les ren -voya aux décrets éternels de son Père : « Pour ce qui est d'être assis à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de vous le donner : c'est pour ceux à qui mon Père l'a destiné. »

Leçon d'humilité.

Cette demande d'honneurs particuliers indigna les autres apôtres, qui étaient pourtant dans les mêmes sentiments. Éclairés pour reprendre, ils étaient aveugles pour se connaître et pour se cor-riger. Notre-Seigneur, en effet, les surprit bientôt se disputant « qui d'entre eux serait le premier ». Jésus leur dit : « Que celui qui voudra devenir le plus grand parmi vous soit votre serviteur ; que

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celui qui voudra devenir le premier parmi vous soit votre esclave : comme le Fils de l'homme, qui n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs.  » Ces ambitions et les défauts des apôtres font ressortir les merveilleux changements que les instruc-tions de Notre-Seigneur et l'effusion du Saint-Esprit opérèrent en eux. Après avoir souvent disputé entre eux de la primauté, ils la céderont sans peine à Pierre. Dieu n'exige pas qu'on soit parfait du premier coup ; mais il demande qu'on fasse des progrès.

Chez le prince de la synagogue, au Thabor et à Gethsémani.

Dans plusieurs circonstances, Jésus-Christ marqua que saint Jacques et saint Jean étaient, après saint Pierre, ses plus intimes amis. Quand il ressuscita la fille de Jaïre, le chef de la synagogue, il voulut que ces trois apôtres fussent les seuls témoins de sa puissance. Quand il se transfigura sur le Thabor, ces trois apôtres eurent seuls le privilège de contempler la gloire de son humanité sacrée. Quand il se retira au jardin de Gethsémani, la veille de sa mort, pour prier et souffrir les affres de l'agonie, il ne prit encore avec lui que ces mêmes apôtres, pour être les seuls confidents de ses dé-goûts, les seuls témoins de ses mystérieuses défaillances.

Saint Jacques en Espagne.

Nous ne savons rien de positif sur l'apostolat de saint Jacques le Majeur ; il fut d'ailleurs de courte durée. Treize ans à peine après la mort du divin Maître, saint Jacques, le premier des apôtres martyrs, était décapité à Jérusalem, en l'an 42 (I). C'est la seule chose certaine que nous connaissions. Mais la légende s'est plu à broder de glorieuses arabesques autour du fils aîné de Zé-bédée. Elle le fait évangéliser l'Espagne, qui se montra d'abord une terre fort ingrate à la semence divine. Quelle que fût l'ardeur de son zèle, l'enfant du tonnerre ne parvint à s'y attacher que neuf disciples. Sujet de consolation pour les prédicateurs qui n'ont pas de succès. Dieu se plaît, ainsi à éprouver la foi et le courage de ses envoyés. Qu'ils jettent la semence et ne perdent pas espoir. D'autres recueilleront les fruits. D'ailleurs, la plus douce de toutes les consolations était réservée à saint Jacques.

Notre-Dame del Pilar.

La Sainte Vierge était encore de ce monde et vivait à Jérusalem dans la maison de son fils adoptif, saint Jean, frère de saint Jacques. Jésus voulut laisser longtemps sa sainte Mère ici-bas, pour qu'elle veillât sur son Église naissante. Un soir que saint Jacques, alors à Saragosse, était en oraison sur les bords de l'Ebre, il entendit tout à coup dans les airs un concert délicieux d'où sor-taient ces paroles : Ave Maria, gratia plena. C'était une troupe d'esprits angéliques qui chantaient leur glorieuse Reine. Ils portaient une colonne de jaspe, et sur cette colonne se tenait debout la très pure Vierge Marie. Le saint apôtre salua la Mère du Sauveur, et celle-ci lui dit :

« Jacques, mon cher fils, le Tout-Puissant veut que vous lui consacriez ici un temple en mon nom. Je sais que cette partie de l'Espagne me sera fort dévote et affectionnée. Dès à présent, je la prends en ma sauvegarde et protection. »

La Vierge disparut, et les anges laissèrent à saint Jacques la colonne de jaspe qu'ils avaient ap-portée. Quand le petit édifice fut achevé, l'apôtre y plaça une statue de la Vierge debout sur cette même colonne. Elle occupe encore aujourd'hui l'endroit même où la tradition affirme que saint Jacques l'a déposée. La modeste chapelle fut le premier sanctuaire dédié à la Sainte Vierge ; il fut

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remplacé, dans la suite des temps, par la magnifique église qu'on voit aujourd'hui à Saragosse.La Sainte Vierge a prouvé depuis que les Espagnols étaient bien sous sa sauvegarde. Ce peuple

indomptable et fier a trouvé dans sa foi, que Marie a rendue inébranlable comme une colonne, cette fermeté qui vient à bout de tout et qui fait les héros. Saragosse, la siempre heroïca, la tou-jours héroïque (2), doit à sa divine Protectrice ses plus beaux titres de gloire.

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(I) Il est reconnu que l'ère chrétienne a été retardée par erreur, de quatre année. D'après la chronologie la mieux fondée, la mort de Notre-Seigneur se place en l'an 29 et non en 33, ce qui laisse un espace de treize ans entre la mort du divin Maître et celle de saint Jacques, survenue en l'an 42.

(2) Ce titre fut conféré à la vaillante ville par un vote des Cortès en récompense de la vigou-reuse défense de 1809.

Martyre de saint Jacques

Quoi qu'il en soit du séjour de saint Jacques le Majeur en Espagne, cet apôtre se trouvait à Jé-rusalem, en l'an 42, peu après que le roi Hérode Agrippa eut réussi à reconstituer le royaume de son grand-père, Hérode le Grand. Les courtisaneries d’Agrippa à l’égard des empereurs Caligula et Claude avaient obtenu ce résultat.

Il se trouvait à Rome le 24 janvier 41, lorsque Caligula, son bienfaiteur, fut assassiné. Ce fut lui qui ensevelit la victime du tribun Chéréas.

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« Santiago Matamoros »

Ce fut encore lui qui fit agréer comme empereur, par le Sénat, Claude, oncle du défunt. En re-connaissance, le nouvel empereur agrandit les possessions d'Agrippa en ajoutant aux trois tétrar-chies qu'il gouvernait déjà, la Samarie et la Judée. Le royaume du premier Hérode – toute la Pales-tine – fut ainsi reconstitué sous la main de son petit-fils, avec Jérusalem pour capitale. Tout en éta-blissant dans les principales villes du pays, des théâtres, des cirques, des combats de gladiateurs à la mode romaine, Hérode Agrippa affectait un grand zèle pour la religion mosaïque, pour faire ou-blier ses origines iduméennes. II observait ponctuellement la loi juive, immolait de nombreuses victimes, se montrait assidu aux solennités. Il offrit au Temple une chaîne d'or, cadeau de Caligula, et dont le poids équivalait à celui de la chaîne de fer qu'il avait portée à Rome dans les prisons de Tibère. Cette résurrection apparente de leur ancien royaume, cet éclat donné aux cérémonies ri-tuelles, flattaient l'orgueil national des Juifs. Pour se les concilier plus complètement, Hérode pen-sa que le meilleur moyen serait de persécuter le nom chrétien.

En ces jours-là (c'était en l'an 42), le roi Hérode mit la main sur quelques-uns de l'Eglise pour les tour-menter, et il fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean. Voyant que cette conduite agréait aux Juifs, il fit aussi arrêter Pierre, avec l'intention de le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. (Actes des Apôtres, XII, I-4.)

Pierre fut miraculeusement délivré par l'ange du Seigneur, mais Jacques fut décapité. Il eut l'honneur de devancez tous les apôtres dans la mort. Le zèle ardent de ce « fils du tonnerre » l'avait sans doute, particulièrement désigné à la haine des Juifs et d'Hérode. D'ailleurs, dans les listes des apôtres que nous donnent les Évangiles, Jacques est toujours parmi les quatre qui figurent en tête, formant groupe : Pierre, André, Jacques et Jean, indice d'une situation privilégiée qui devait attirer l'attention et provoquer les dénonciations des zélateurs.

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Hérode visait à la popularité. Le moment était opportun pour faire plaisir aux Juifs. II le mit à profit et commanda aussitôt de trancher la tête à saint Jacques. Comme on le menait au supplice, un paralytique lui demanda la santé, et l'apôtre la lui donna entière, au nom de Jésus-Christ. A la vue de ce prodige, Josias, le scribe qui avait fait preuve du plus grand acharnement contre saint Jacques, lui demanda pardon et confessa que Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu. Saint Jacques lui donna le baiser de paix, et les Juifs associèrent le maître et le disciple dans le martyre. Josias eut aussi la tête tranchée. On vénère à Jérusalem, dans l'église cathédrale des Arméniens schismatiques, la place même où saint Jacques fut décapité.

Le corps de saint Jacques à Compostelle.Le troisième grand pèlerinage.

Il ne nous reste aucun document ancien pour nous renseigner sur le sort du corps de saint Jacques. Il fut enseveli à Jérusalem, mais n'y resta pas. La tradition espagnole est très affirmative dans la revendication de ce pieux trésor pour le célèbre sanctuaire de Compostelle, en Galice. Toute la chrétienté, pendant le moyen âge, y accourut des quatre points de l'horizon pour vénérer les restes de l'apôtre. Bien qu'elle soit enveloppée d'obscurités, cette tradition ne mérite pas le dé-dain dont certains ont voulu la flétrir.

On ne saurait préciser l'époque à laquelle la dépouille mortelle de saint Jacques fut enlevée de Jérusalem et transportée en Espagne. Les précieuses reliques furent d'abord déposées à Iria-Flavia, aujourd'hui El-Padron, sur les frontières de la Galice. Demeurées longtemps cachées et inconnues, elles furent découvertes par une révélation de Notre-Seigneur au commencement du IXe siècle, sous le règne d'Alphonse-le-Chaste, roi de Léon, et transportées à Compostelle, par l'ordre de ce prince. Là, saint Jacques est honoré, non seulement de la Galice et de l'Espagne, mais encore de toutes les nations de la chrétienté. Les Papes accordèrent de grandes faveurs à ce pèlerinage, qui fut mis au nombre des grands pèlerinages de la chrétienté. Jusqu’à ces derniers temps, quiconque avait fait vœu d'aller à Compostelle ne pouvait être relevé de son vœu que par le Saint-Siège.

La coutume des grandes pérégrinations, aux siècles de foi, était de commencer d'abord par une visite au sanctuaire du Mont-SaintMichel. C'est là que le pèlerin prenait ses coquilles. De là il se rendait à Saint-Jacques, après quoi il allait à Rome et enfin à Jérusalem. Saint-Gilles, qui se trou-vait à moitié route de Compostelle à Rome, était une station où le pèlerin ne manquait jamais de séjourner quelque temps ; c'est ce qui a donné une si grande célébrité à ce sanctuaire du Langue-doc.

Ces interminables processions de pèlerins ressemblaient à ce long ruban d'étoiles qui divise le ciel et qui paraît une large route encombrée de brillants voyageurs. C'est pour cela que l'imagina-tion pieuse des peuples de foi donna à la Voie lactée le nom de Chemin de Saint-Jacques.

« Santiago matamores » (1), saint Jacques tueur de Maures.

Saint Jacques a toujours défendu la foi chrétienne et l'indépendance nationale des Espagnols. On l'a vu plusieurs fois combattre contre les Maures et faire un cruel carnage des ennemis. Ce fait, fut particulièrement constaté en 834, sous le roi Don Ramire, à la bataille du Clavigo. L'Espagne était soumise alors à un infâme tribut de cent jeunes filles qu'il fallait livrer aux Maures toutes les années. Don Ramire refusa de jeter plus longtemps de pauvres brebis innocentes dans la gueule des loups. On en vint aux mains et Don Ramire perdit la bataille.

La nuit suivante pendant qu'il priait dans la tristesse, saint Jacques lui apparut : « Que tes sol-dats se confessent et communient, et demain attaque les Maures en invoquant le nom de Notre-Sei-

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gneur et le mien. Je marcherai à la tête de l'armée, monté sur un coursier blanc, un étendard blanc à la main, et les mécréants seront vaincus. »

Ainsi fut fait. Le lendemain, 60 000 Maures jonchaient le champ de bataille. Leur camp fut pillé, et la ville de Calahorra fut prise. Depuis lors, en Espagne, on a donné le signal des batailles par cet appel au vaillant défenseur : « Santiago, Espana combate, saint Jacques, l'Espagne combat. » Le cri de guerre de l'Espagne est l'équivalent de l'ancien cri de guerre de France : « Montjoie ! Saint-Denys ! »

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(I) C’est le surnom de saint Jacques guerrier, tel que notre gravure le représente. L’expression ma-tamoros est passée dans la langue française, mais en changeant de signification. Le matamore qui est, pour les Espagnols, un grand pourfendeur de mécréants, n’est, pour les Français, qu’un soldat vantard et poltron.

Saint Jacques, à l’entrée du paradis, examine Dante sur l’espérance.

Pierre est le symbole de la foi, Jacques de l'espérance et Jean de la charité. Dante, le poète théologien, n'a pas oublié ce rôle dans sa Divine Comédie.

Au moment d'arriver à la vision de l'éternelle lumière, ce point tellement brillant que le regard se ferme à son tranchant aigu ». Béatrice rappelle au poète que les vertus théologales peuvent seules l'introduire auprès de Dieu, et alors interviennent les trois apôtres qui l'interrogent successi-vement : saint Pierre sur la foi, saint Jacques sur l'espérance, et saint Jean sur la charité.

L'espérance est la marque des grands caractères, si rares en nos jours de découragement. De-mandons à saint Jacques de fortifier en nos cœurs la belle vertu dont il est le symbole. Que l'attente certaine des biens futurs console des malheurs présents et donne force et courage pour le combat.

E. Lacoste.

Sources consultées. – Les quatre Évangiles. – Les Actes des Apôtres. – Les Petits Bollandistes. – Dic-tionnaire d'Archéologie et de Liturgie (article Espagne, t. V, 411-417 ; et Saint Jacques Le Majeur, t. VII, 2089 et suivantes). – (V.S.B.P., n° 511.)

……………..

PAROLES DES SAINTS_________

Vivre selon l'esprit.

Vivre selon l'esprit, c'est penser, parler et agir selon les vertus qui sont en l'esprit, et non selon les sens et sentiments qui sont en la chair. Celui-ci, il s'en faut servir, il faut les assujettir, et non pas vivre selon eux ; mais ces vertus spirituelles, il les faut servir, et il leur faut assujettir tout le reste. Quelles sont ces vertus de l'esprit ? C'est la foi, qui nous montre des vérités toutes relevées

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au-dessus des sens ; l'espérance, qui nous fait aspirer à des biens invisibles ; la charité, qui nous fait aimer Dieu plus que tout, et notre prochain comme nous-mêmes, d'un amour non sensuel, non naturel, non intéressé, mais d'un amour pur, solide et invariable, qui a son fondement en Dieu.

Saint François de Sales.

(Lettres spirituelles, I.III, 56.)

SAINTE ANNEMère de la Très Sainte Vierge.

Fête le 26 juillet.

Le nom de la glorieuse sainte Anne ne nous est connu que par la tradition. On n'a de détails certains ni sur la vie de cette sainte femme ni sur l'année de sa mort. Les plus anciens écrits qui nous parlent de l’aïeule de Notre-Seigneur sont les Evangiles apocryphes, l'Evangile de la Nativité de Marie et de l'enfance du Sauveur, enfin le Protévangile de saint Jacques. C'est dire qu'il est bien difficile de faire la part de l'histoire et celle de la légende. Nous nous bornerons à relater ici les cir -constances que rapportent ces écrits, sans prétendre faire cette discrimination. Ajoutons seulement que l'Eglise a admis les noms traditionnels de Joachim et d'Anne sous lesquels on désigne les pa-rents de la Sainte Vierge.

Jeunesse de sainte Anne.

Anne naquit très probablement à Bethléem. Elle était de la race sacerdotale d'Aaron, au moins par sa mère, car plusieurs pensent que Mathan son père, qui était prêtre, était, comme saint Joa-chim, de la famille royale de David. La bienheureuse enfant reçut à sa naissance le nom d'Anne, Anna, qui veut dire grâce ou miséricorde. C'était bien le nom qui convenait à la mère de celle que l'ange appellera « pleine de grâce ». Anne avait deux sœurs, Sobé, mariée à Bethléem, et qui fut la mère de sainte Elisabeth et l'aïeule de saint Jean-Baptiste ; Marie, qui épousa, elle aussi, un habi-tant de Bethléem, et fut la mère de Marie-Salomé, femme de Cléophas ou Alphée, lui-même frère de saint Joseph. C'est cette dernière que, suivant l'usage des Hébreux, l'Evangile appelle sœur de la Sainte Vierge, dont elle était à la fois la belle-sœur et la cousine germaine. Plusieurs théologiens se demandent avec raison si Notre-Seigneur n'aurait pas accordé à son aïeule la faveur qui fut faite à Jérémie, à Jean-Baptiste, et, comme quelques-uns aiment à le croire, à saint Joseph, d'être sancti-fiés dès le sein de leur mère. Une singulière innocence, qu'elle enrichit sans cesse des plus beaux trésors spirituels, dut être d'ailleurs l'apanage de toute sa vie. Anne nous est présentée comme

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étant, à l’âge de cinq ans, conduite au Temple où elle devait demeurer douze ans.Sainte Anne et saint Joachim.

Dieu, qui préparait à Marie une mère digne d'elle, avait également choisi entre tous, celui qui devait être son père. « Seigneur, dit la sainte Eglise dans ses prières, vous qui, parmi tous les autres saints, avez choisi le bienheureux Joachim pour être le père de la Mère de votre Fils, etc. » C'était Joachim, originaire de la Galilée, de la maison et de la famille de David. Ce fut lui, dit saint Jean Damascène, qui reçut en mariage Anne, cette femme élue de Dieu, et au-dessus des louanges les plus sublimes. On croit qu'elle avait environ vingt-quatre ans.

L'heureux fils de David conduisit donc son épouse dans la ville de Nazareth où était alors sa demeure, cette demeure, où devait plus tard s'accomplir un si grand mystère au jour de l'Annon-ciation. « Dieu, dont le regard embrasse tous les temps, dit sainte Brigitte, et voit la vie de tous les époux passés et futurs, n'en a point rencontré comme Anne et Joachim. En effet, Marie et Joseph les ont seuls surpassés. »

Ils étaient tous deux justes devant le Seigneur, dit saint Luc des parents de saint Jean-Baptiste, marchant sans reproche dans tous les commandements et les préceptes de Dieu. En pouvait-il être autrement des parents de la Mère de Jésus ?

Saint Jérôme affirme qu'ils faisaient trois parts de leurs biens. La première était destinée au Temple de Jérusalem, et nul n'était plus fidèle qu'eux à s'y rendre aux solennités fixées par la loi ; la deuxième était distribuée aux pauvres ; la dernière servait à l'entretien de la maison.

Stérilité mystérieuse.

Cependant, leur sainteté devait éclater sur un nouveau théâtre. Une douloureuse épreuve était venue peu à peu appesantir leur cœur. Depuis de longues années que durait leur union, ils n'avaient point d'enfant. La stérilité privait Anne, et par suite Joachim, de la plus douce joie que des époux pussent désirer en Israël : l'espérance de devenir les ancêtres du Messie, ou du moins de pouvoir assister dans leur postérité aux jours bénis du Sauveur. « Heureux, s'écriait le vieux Tobie mou-rant, s'il demeure quelques restes de ma race pour voir la clarté de Jérusalem. » C'est pourquoi la stérilité était considérée comme un opprobre et une malédiction de Dieu.

La douleur d'Anne et de Joachim n'était cependant pas due à l'apparente infamie qui rejaillis-sait sur eux : ils la portaient avec un grand courage et une grande soumission, mais bien à la pen-sée du Messie, d'autant plus que les temps approchaient et qu'ils étaient de la famille de David d'où le Sauveur devait naître. C'est que la stérilité d'Anne était pleine de raisons mystérieuses, nous disent les Pères de l'Eglise.

Anne était la figure du monde, jusque-là stérilisé, et qui allait enfin produire son fruit, suivant l'expression du prophète. D'un autre côté, rien de ce qui avait paru sur la terre depuis le commen-cement du monde ne pouvait entrer en comparaison avec la merveille que Dieu allait réaliser par la naissance de Marie. Ce prodige des prodiges, cet abîme de miracles, comme l'appelle saint Jean Damascène, ne pouvait commencer que par un miracle, grandir par des miracles, et quitter enfin cette terre par un nouveau miracle. Cette Vierge, dont la maternité sera si admirable, doit naître elle même d'une façon, miraculeuse. En troisième lieu, Marie devait être fille de la grâce plutôt que de la chair et du sang, elle devait venir du ciel plutôt que de la terre, Dieu seul pouvait donner au monde un fruit si divin. Dieu destinait cet inestimable trésor à saint Joachim et à sainte Anne, il les avait, dans ce but, prévenus de ses bénédictions et de ses grâces, mais il voulait leur laisser l'hon-neur d’en payer le prix dans une certaine mesure, par des années de prières, de vœux, de jeûnes, d'aumônes et de vertus admirables.

A toutes ces œuvres, à l'exercice de toutes ces vertus, les deux époux joignirent une promesse

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et vouèrent au Seigneur l'enfant qu'il leur donnerait. Leur stérilité durait depuis vingt ans ; ils en-traient dans la vieillesse ; chaque jour semblait venir diminuer leur espoir cependant ils ne ces-saient pas d'avoir confiance en celui qui, selon le mot de l'Écriture, des pierres du désert peut faire des enfants d'Abraham.

L'affront public à Jérusalem. – La visite de l'ange.

C'était une des fêtes de la loi, celle des Tabernacles ; Joachim et Anne s'étaient rendus à la Ville Sainte. Au milieu de la multitude des chefs de famille qui se pressaient au Temple pour pré-senter leurs offrandes, Joachim apportait également les siennes. Mais quelle que fût la noblesse de sa race, les prêtres les refusèrent devant toute la foule.

- Comment le Seigneur les aurait-il pour agréables, dirent-ils, puisqu'il n'a pas daigné féconder votre union, et vous accorder ce qu'il accorde à tant d'autres ? Quel crime l'a irrité contre vous ?

Joachim ne chercha pas à se justifier. Soumis à la volonté de Dieu qui les éprouvait, les époux acceptèrent sans murmure ce terrible affront et sortirent du Temple. Ils revinrent à Nazareth. Mais, au lieu de retourner dans sa maison, Joachim rejoignit ses troupeaux dans les pâturages de la mon-tagne et il y demeura cinq mois dans la prière et dans le jeûne. Anne de son côté priait, se désolait et faisait pénitence.

Un jour, assise dans son jardin à Nazareth où elle s'était fait comme une solitude, elle renouve-lait ses supplications. Tout à coup, le futur messager de l'Incarnation, l'archange Gabriel, lui appa-rut. Il lui annonça de la part de Dieu que ses prières avaient été exaucées, lui prédit la naissance d'une fille qui s'appellerait Marie, objet de la prédilection de Dieu et de la vénération des anges. Dans le même moment, un message céleste annonçait la même nouvelle à Joachim.

Anne connut bientôt que Dieu avait fait cesser son opprobre. Elle était le sanctuaire où venait de s'accomplir le plus grand prodige qui fût sorti jusque-là des mains du Tout-Puissant, et que les merveilles de l'Incarnation devaient seules surpasser. En elle, venait de s'accomplir l'Immaculée-Conception de Marie. Après Marie qui en fut l'objet, nul ne touche de plus près au mystère de l'im-maculée-Conception que sainte Anne, et nul prodige ne nous fait connaître si bien son éminente sainteté. Joachim prit dix agneaux et les offrit au Temple en sacrifice d'actions de grâce et comme s'il ne s'était point souvenu de l'injure que les prêtres lui avaient faite, il leur fit à eux-mêmes des présents.

Sainte Anne et Marie.

Quand le temps fut arrivé, Anne mit au monde la Mère de Dieu. Selon l'opinion commune, ce fut à Jérusalem, dans la maison sur laquelle s'élève aujourd'hui la basilique de Sainte-Anne. Tu en-fanteras tes fils dans la douleur, avait dit le Seigneur à la première femme en la chassant du paradis terrestre. C'était un châtiment du péché, mais Marie n'eut jamais rien de commun avec le péché, et cette loi des filles d'Eve n'atteignit pas plus sa mère que la loi du péché originel ne l'avait atteinte elle-même. Ainsi brilla sur le monde la douce aurore du grand jour de la Rédemption.

Mais Anne n'avait pas oublié le vœu qu'elle avait fait de concert avec Joachim. Dès que Marie put se passer d'une mère, ils songèrent à la rendre à Dieu qui la leur avait prêtée. Conformément aux désirs de Marie elle-même, ils la conduisirent au Temple. L'enfant franchit les quinze degrés du sanctuaire, fut reçue par les prêtres et réunie à celles qui vivaient à l'ombre de la maison de Dieu.

Sainte Anne, Marie et Jésus.

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Nous ignorons la date précise de la mort d'Anne. On croit généralement qu'elle mourut à Jéru-salem, quelques années après saint Joachim et pendant que Marie vivait dans le Temple, qu'elle avait environ cinquante-six ans. Plusieurs pensent, au contraire, qu'elle a vécu jusqu'après le retour de la sainte Famille de la terre d'Égypte. C'est même ce que la Sainte Vierge aurait révélé un jour à sainte Brigitte. S'il en fut ainsi, la bienheureuse mère put donc être témoin des divines destinées de sa fille très sainte, destinées que l'ange lui avait peut être apprises. Elle put, dans un transport inex-primable, serrer sur son cœur le Fils même de Dieu, devenu, pour nous sauver de la mort éternelle, son petit-fils bien-aimé. Elle put mourir, emportant avec les dernières prières de Joseph et de Ma-rie les dernières caresses et le dernier baiser de Jésus.

Le culte de sainte Anne en Orient et en Occident.

Le culte de sainte Anne remonte aux premiers siècles du christianisme, époque où nous le voyons se répandre rapidement, surtout en Orient. Les Pères de l'Eglise ont chanté à l'envi les gloires de la mère de Marie. « Les premiers chrétiens, dit saint Epiphane, ayant recueilli ses re-liques, les placèrent en grande pompe dans l'église dite du Sépulcre de Notre-Dame, dans la vallée de Josaphat. »

En 550, l'empereur Justinien fit bâtir à Constantinople une église en l'honneur d'Anne et de Joachim, et la tradition assure que le corps de sainte Anne y fut transporté deux siècles plus tard, en 710. L'Eglise grecque honore sainte Anne le 4 septembre avec saint Joachim ; le 9 décembre, elle fête sa conception et le 25 juillet sa mort. Dans l'Eglise latine, la fête de l'aïeule de Notre-Sei-gneur est célébrée le 26 juillet, date qui rappelle la translation de ses reliques à Constantinople (en 710). Le nom de sainte Anne figure au Bréviaire romain en 1550. Sa fête, supprimée par saint Pie V, a été rétablie par Grégoire XIII en 1584 ; Grégoire XV, le 24 avril 1622, en fait un jour de fête chômée ; Clément XII l'élève au rite double majeur le 20 septembre 1738 ; enfin, le 1er août 1879, Léon XIII, qui avait reçu au baptême le nom de Joachim, élève au rite double de seconde classe les fêtes de sainte Anne et de saint Joachim.

Le culte de sainte Anne à Apt.

La ville d'Apt, en Vaucluse, revendique la gloire de posséder en grande partie les reliques de sainte Anne. La légende dit qu'elles auraient été apportées en Provence par Lazare, Marthe et Ma-rie-Madeleine et remises ensuite à saint Auspice, évêque d'Apt, pour les soustraire aux profana-tions. Mais la persécution ayant gagné la ville d'Apt, saint Auspice eut la précaution d'ouvrir une crypte sous les dalles de la cathédrale et d'y cacher le précieux dépôt qui échappa ainsi aux incur-sions des barbares et des Sarrasins et fut oublié pendant plusieurs siècles.

On raconte que Charlemagne, après une de ses nombreuses expéditions contre les Sarrasins, était venu dans Apt. C'était le jour de Pâques de l'an 792 ; le monarque assistait à l'office, entouré du peuple et de ses chevaliers. Tout à coup, un jeune homme de quatorze ans, aveugle et sourd-muet de naissance, Jean, fils du baron de Caseneuve dont l'empereur était l'hôte, entre dans l'église avec un air inspiré et, conduit, par une main invisible, il s'avance jusqu'au pied du sanctuaire. Il de-mande par gestes qu'on lève une dalle et qu'on creuse. Le monarque veut qu'on obéisse. On lève la dalle, on fouille, et voici qu'on découvre la crypte où étaient des reliques, d'où s'échappaient, des rayons lumineux. Le jeune homme, tout à coup guéri, s'écria : « Ici est le corps de sainte Anne, mère de la Sainte Vierge. »

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Et de fait, quelques instants après, on découvre une châsse en bois de cyprès, au bas de la-quelle se lisent ces mots : « Ci-gît le corps de la bienheureuse Anne, mère de la Sainte Vierge. » La châsse est ouverte ; un parfum suave s'en dégage. On juge de l'émotion de cette foule en pré-sence de ce prodige. L'empereur fit écrire une relation exacte de l'événement et la porta à la connaissance du Pape Adrien 1er, qui l'authentiqua de sa signature, lui donnant ainsi un caractère officiel.

Parmi les Souverains Pontifes qui accordèrent de nombreuses indulgences au pèlerinage de Sainte-Anne d'Apt, citons Clément VII, (Bref du 30 octobre 1533), Benoît XII, Innocent IV, Mar-tin V, Alexandre VI, Paul III, Clément VIII.

Le moyen âge eut pour ce sanctuaire une très vive dévotion ; les personnages les plus illustres vinrent s'agenouiller devant la châsse. C'est par l'intercession de sainte Anne d'Apt, que la reine de France Anne d'Autriche obtint du ciel un fils qui fut Louis XIV.

Une confrérie de Sainte-Anne existait à Apt dès l'an 1501. Pie IX l'érigea en Archiconfrérie le 25 juin 1861 ; Léon XIII, le 8 août 1879, conférait à l'église d'Apt le titre de basilique mineure. Presque toutes les reliques que l'on vénère à travers le monde, dans les nombreux sanctuaires dé-diés à sainte Anne, proviennent de l'église d'Apt. On vénère aussi à Noyon une insigne relique du crâne de sainte Anne.

Le culte de sainte Anne en Bretagne : Sainte-Anne d'Auray.

Nulle part, sainte. Anne ne fut l'objet d'un amour et d'une vénération plus ardents qu'en Bre-tagne, où le pèlerinage de sainte Anne d'Auray est connu du monde entier.

Il serait difficile de déterminer l'époque de l'établissement de son culte en cette province. Mais, ce qui est incontestable, c'est qu'une chapelle bâtie en son honneur au village de Ker-Anna fut dé-truite vers l'an 700. De cette antique construction, il n'était resté qu'un souvenir vague et quelques ruines dans le champ du Bocenno.

En 1624, sainte Anne apparut plusieurs fois à Yves Nicolazic, cultivateur de la paroisse de Pluneret et propriétaire de la terre du Bocenno. C'était un homme de quarante ans, pieux et droit, et gardant au cœur un profond amour pour la Sainte Vierge et pour sainte Anne. Un soir qu'il revenait d'Auray, en récitant son chapelet, il arrivait près d'un calvaire, quand il vit tout à coup un flambeau le précéder comme pour éclairer sa marche.

Une nuit, il est réveillé par le bruit d'une immense foule en marche ; il se lève, explore les alentours de sa demeure et ne voit rien. Effrayé, il prend son chapelet et se met en prières ; une clarté soudaine l’environne, et il aperçoit une dame vénérable, éblouissante de beauté, avec des vê-tements blancs comme la neige, et qui lui dit : « Yves Nicolazic, ne craignez point ; je suis Anne, mère de Marie. Dites à votre recteur que, dans cette pièce de terre que vous appelez Le Bocenno, il y a eu autrefois, même avant qu'il y ait eu ici aucun village, une chapelle dédiée à mon nom.

Il y a neuf cent vingt-quatre ans et six mois qu'elle a été ruinée. Je désire qu'elle soit rebâtie et que vous preniez ce soin, parce que Dieu veut que j'y sois honorée.

Après quelques hésitations et de nouveaux ordres de sainte Anne, il alla trouver le recteur de la paroisse, qui le traita de visionnaire.

Nicolazic résolut alors, généreusement, de vendre ses biens pour en consacrer la valeur à rele-ver la chapelle. Enfin, sainte Anne lui ordonna d'aller dans le champ du Bocenno où il trouverait, à un endroit qui lui serait indiqué, la statue autrefois vénérée en ce lieu. Il s'y rendit un soir, à la tom-bée de la nuit, avec quelques voisins.

Le long du chemin, un flambeau mystérieux, tenu par une main invisible, les précédait. A l'en-droit où cette lumière s'arrêta, ils trouvèrent, en creusant, une statue de bois représentant sainte Anne. L'image de sainte Anne attira bientôt une foule innombrable de pèlerins ; on bâtit une ma-

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gnifique chapelle qui fut confiée aux Carmes le 21 décembre 1627. Ce sanctuaire célèbre fut enri-chi d'indulgences par les Papes et une confrérie y fut érigée.

En 1792, l'image de sainte Anne fut brisée et brûlée par les révolutionnaires ; on réussit cepen-dant à sauver une partie du visage qui fut enchâssée plus tard dans le piédestal d'une nouvelle sta-tue.

Le 29 mai 1876, Léon XIII avait concédé une messe et un office propre au sanctuaire de Sainte-Anne d'Auray, et Pie X devait proclamer sainte Anne patronne secondaire de la Bretagne.

Le culte de sainte Anne au Canada : Sainte-Anne de Beaupré.

Un pays qui rivalise avec la Bretagne dans le culte de sainte Anne, c'est le Canada. Jacques Cartier et ses hardis marins bretons emportèrent cette dévotion en leurs voyages de découvertes ; ils en déposèrent le germe dans le sol canadien où ils abordèrent en 1534. Dès lors, sainte Anne al-lait préparer le berceau de la foi en ce pays et le protéger d'une façon singulièrement manifeste. On peut dire qu'elle est « la mère du Canada ». Des pêcheurs bretons échappés à un naufrage éle-vèrent, en 1620, une modeste chapelle, à Beaupré, sur la rive gauche du Saint-Laurent, à quelques kilo- mètres de Québec. Les miracles qui y attirèrent les premiers pèlerins ne devaient plus cesser. Sainte-Anne de Beaupré est devenue comme le Lourdes du Canada. I1 y vient chaque année un nombre de plus en plus considérable de pèlerins du Canada et des Etats-Unis, et qui dépasse le chiffre de 600 000.

Sur l'emplacement de la petite chapelle une première basilique fut édifiée en 1872, et quatre ans plus tard, au mois de mai 1876, Pie IX, voulant récompenser la foi du peuple canadien, procla-mait sainte Anne patronne de la province de Québec. Cette basilique fut détruite en 1922 par un in-cendie ; un second édifice était en voie d'achèvement quand il fut de nouveau la proie des flammes en 1926. Ce double cataclysme n'a pas diminué le courage ni la générosité des Canadiens, et une basilique plus belle encore que les précédentes a été élevée à Sainte-Anne de Beaupré.

Ce sanctuaire abrite de précieuses reliques données par la France au XVIIe siècle, notamment un fragment d'os du bras de sainte Anne qui, enfermé dans un reliquaire d'or, a pu être sauvé des flammes ainsi que la statue de la vénérée patronne de ce saint lieu.

A.E.A.

Sources consultées. – F.Vigouroux, Anne (n° 4), dans Dictionnaire biblique (Paris). – Athanase Olli-ver, Sainte Anne (Nantes, 1907). – Abbé Max Nicol, Sainte-Anne d’Auray, histoire de pèlerinage (Paris, 1877). – Mgr de Ségur, Les merveilles de Sainte-Anne d’Auray (Paris, 1878). – R.P. Marc Ramus, S.J., La dévotion à sainte Anne (Lyon, 1888). – Notice sur Sainte-Anne d’Apt (Apt). – J. Buléon et E. Le Garrec, Sainte-Anne d’Auray (3 vol.). – (V.S.B.P., n° 74, 702 et 856.)

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SAINT PANTALÉONMédecin et martyr à Nicomédie ( 303).

Fête le 27 juillet.

Le 23 février 303, le vieil empereur Dioclétien, cédant aux instances de son associé, le césar Galère, signa le décret d'une extermination générale des chrétiens. Ce fut le début de la dixième grande persécution, la plus violente de toutes : tout le temps qu'elle dura, l'empire romain – les Gaules exceptées – se trouva noyé dans le sang chrétien. La ville de Nicomédie, en Asie Mineure, alors résidence des empereurs d'Orient, vit plusieurs milliers de chrétiens verser leur sang pour la foi. L'un des plus illustres, parmi ces héros, fut saint Pantaléon. Le récit de sa vie, que nous don-nons d'après les anciens hagiographes, repose sur un fond historique ; malheureusement, il n'est pas toujours possible de faire le discernement entre les détails authentiques et les développements légendaires.

Une noble ambition.

Pantaléon naquit à Nicomédie au IIIe siècle. Son père, riche sénateur et idolâtre, se nommait Eustorge. Eubule, sa mère, était une fervente chrétienne, mais elle fut enlevée trop tôt à l'affection de l'enfant pour lui donner de la religion véritable autre chose qu'une idée confuse et incomplète. Après l'avoir appliqué à l'étude des lettres, Eustorge confia son fils aux soins d'Euphrosynus, pre-mier médecin de Dioclétien. A l'école d'un tel maître, le jeune disciple d'Hippocrate, grâce à sa vi-vacité d'esprit, fit de rapides progrès, à tel point que l'empereur lui-même résolut de se l'attacher.

A la science médicale, il joignait des manières affables et distinguées, une prudence remar-quable et une honnêteté rare chez les païens. Un brillant avenir s'ouvrait devant lui. Mais Dieu pré-parait à Pantaléon une palme mille fois plus honorable que les lauriers de la science profane. Dans une maison humble et écartée vivait un saint vieillard, nommé Hermolaüs, revêtu du sacerdoce chrétien. La persécution l'avait obligé à chercher un refuge dans ce lieu ignoré. Il en sortait cepen-dant quand le bien du prochain le demandait. Un jour, il rencontra le jeune Pantaléon qui se rendait auprès de son maître Euphrosynus.

Frappé de sa douceur et de sa modestie, il l'invita à s'arrêter un instant, sollicitant l'honneur d'un amical entretien. L'étudiant y consentit volontiers. Le vieillard lui demanda qui il était et ce qu'il faisait dans la grande ville.

« Je n'ai qu'une ambition, lui dit le jeune homme : arriver à guérir toutes les infirmités hu-maines. – Votre désir est digne de louange, répondit le vieillard, et je vous souhaite bon succès dans vos projets. Mais, Esculape, Hippocrate, Gallien, et autres maîtres dans la médecine, ne gué-

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rissent que les corps, et pas toujours, et pour peu de temps. Jésus-Christ, au contraire, guérit les corps et les âmes et donne une vie éternelle. Pendant qu'il vivait sur la terre, il rendait la santé à tous les malades qu'on lui présentait, même à ceux dont les médecins désespéraient. Il a même eu le pouvoir de communiquer ce don à ses disciples : on les a vus, et on les voit encore, rendre la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds ; que dis-je ? le nom de Jésus-Christ a suffi pour ressusciter des morts. » Ce langage remplit le jeune médecin d'admiration. « Ma mère était chrétienne, dit-il, mais je l'ai perdue trop tôt pour apprendre d'elle la divine médecine du Christ ; mon père, qui suit la reli-gion de l'empire, m'a donné pour maître le célèbre Euphrosynus. » Il prit congé du vieillard en pro-mettant de revenir le voir.

Saint Pantaléon ressuscite un enfant.

Bientôt, Dieu ménagea une grande grâce à son âme droite et sincère. Dans une de ses prome-nades à la campagne, il trouva sur son chemin un pauvre petit enfant étendu mort près d'un serpent dont la morsure l'avait tué. Saisi de compassion, et voyant la médecine humaine sans ressources en présence d'un tel malheur, il se souvint des paroles du prêtre chrétien, que le nom du Christ avait ressuscité des morts. I1 dit donc, avec un esprit de foi digne d'un vrai chrétien : « Mort, au nom de Jésus-Christ, reviens à la vie ; et toi, serpent exécrable, reçois le mal que tu as fait  ! » Au même instant, l'enfant se lève et le reptile venimeux expire.

En présence de ce prodige, Pantaléon, émerveillé, court se jeter aux pieds d’Hermolaüs, lui expose le miracle dont il vient d'être l'instrument et, déjà chrétien dans son cœur, sollicite le saint baptême. Hermolaüs veut bien lui accorder cette faveur, mais à la condition qu'il achèvera de s'ins-truire de la foi chrétienne : le bon prêtre le retient sept jours à ses côtés, lui enseigne ce qu'un chré-tien doit savoir et pratiquer, lui donne le baptême, et s'unit à lui pour remercier Jésus-Christ de ses bienfaits et de ses grâces.

Saint Pantaléon convertit son père par un grand miracle.

Pantaléon revint chez son père, brûlant du désir de procurer la vie spirituelle à celui qui lui avait donné la vie temporelle. Mais il fallait procéder avec prudence et ménagement, persuasion et douceur. En attendant, il priait et ne perdait aucune occasion d'éveiller l'attention paternelle sur la vanité des idoles. A quelque temps de là, des hommes conduisant un aveugle, vinrent frapper à la porte de la maison, demandant si le médecin Pantaléon était là. On va prévenir le jeune homme. Il s'agissait d'une maladie incurable ; c'est précisément ce que sa foi attendait pour convaincre son père. Il le prend avec lui et s'approche du malade. « Je suis privé de la lumière, dit celui-ci. Se-cours-moi. J'ai déjà consulté bien des médecins, j'ai dépensé une grande partie de ma fortune pour les payer et ils n'ont réussi qu'à me faire perdre le peu de lumière qui me restait. – Si je te rends la vue, dit Pantaléon, que me donneras-tu ? – Tout ce qui peut me rester de biens, répondit le malade, pourvu que je voie. – Le Père des lumières te rendra la vue par mon ministère, reprit le jeune chré-tien, et l'argent que tu me destines, tu le donneras aux pauvres. »

Aussitôt, il met les mains sur les yeux du malade, en invoquant le nom de Jésus-Christ. Les yeux de l'aveugle s'ouvrent soudain. Devant une telle merveille, Eustorge et l'aveugle guéri tombent à genoux, reconnaissent la divinité du Christ, condamnent le culte des idoles et déclarent qu'ils veulent être chrétiens. Eustorge rassembla les statues des faux dieux qui ornaient sa maison ; il les brisa et les jeta ensuite dans une fosse, à la grande joie de son fils. Il reçut le saint baptême, et Pantaléon, donna à Dieu mille louanges pour tous les bienfaits dont le père et le fils avaient été comblés. Eustorge n'eut pas le temps de perdre la grâce précieuse de son baptême, car Dieu ne tar-

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da pas à l'appeler à l'éternel repos.

Jalousie des autres médecins. – Au tribunal de Dioclétien.

Devenu maître de ses biens, Pantaléon affranchit ses esclaves et leur donna de quoi vivre ho-norablement dans le monde. Il distribua le reste de sa fortune aux veuves, aux orphelins, aux indi-gents qu'il trouva. La prière et les œuvres de charité se partageaient son temps. En qualité de méde-cin, il visitait les malades, les guérissait au nom de Jésus-Christ, et non seulement n'exigeait d'eux aucun salaire, mais les secourait lui-même s'il les voyait dans la gêne. C'est pourquoi, pauvres ou riches, tous ceux qui souffraient de quelque infirmité accouraient à Pantaléon.

Les autres médecins de Nicomédie, ainsi délaissés, et mécontents de voir leurs bénéfices dimi-nuer de jour en jour, en conçurent une jalousie extrême. Apprenant que leur concurrent a des rela-tions avec les chrétiens, ils le dénoncent à Dioclétien comme partisan d'une religion illégale. Pour confirmer leurs assertions, ils font comparaître devant l'empereur l'aveugle que Pantaléon avait guéri et qui avoua que Pantaléon était chrétien : «Quant à moi dit-il, je suis aussi chrétien, et je confesse que je suis redevable à Jésus-Christ, non à Esculape, d'avoir recouvré la vue. Vous-même, ajouta-t-il en s'adressant à Dioclétien, qui adorez des statues inertes, vous devriez supplier le Christ de vous guérir de votre aveuglement spirituel. – Tu outrages les dieux ! s'écria l'empereur. Ne vois-tu pas que c'est leur bienveillance qui t'a rendu ta vue ? – Hé quoi ! seigneur, répondit le chrétien, comment des idoles, qui elles-mêmes ne voient pas, pourraient-elles rendre la vue aux autres ? »

Irrité de cette hardiesse, l'empereur ordonna de lui trancher la tête. Pantaléon recueillit le corps du martyr et l'ensevelit près des dépouilles de son père Eustorge.

Cependant Dioclétien manda Pantaléon à son tribunal.

Un défi aux prêtres des idoles.

L'empereur essaya d'abord la douceur. « Je ne connais, répond le généreux chrétien, qu'un Dieu véritable, le Christ ; à lui seul mes adorations. Convoque tes prêtres, Dioclétien, et qu'on amène un paralytique en notre présence. J'invoquerai le Christ ; vos flammes et vos autres prêtres appelleront Jupiter, Esculape et tous vos dieux ; la divinité qui rendra la santé au malade sera re-connue pour seul vrai Dieu.»

Cette proposition plut à la curiosité de l'empereur. Par son ordre, on amena un homme qui était paralytique depuis plusieurs années, et que les remèdes humains n'avaient pu guérir. Les prêtres païens furent réunis en grand nombre : ils ne pouvaient se soustraire aux ordres de l'empereur ni s'avouer vaincus avant le combat.

Ils commencèrent avec ardeur des prières, des cris, des incantations magiques, des sacrifices. Les dieux restèrent sourds, comme autrefois Baal aux appels des faux prophètes. Quand les païens furent lassés, Pantaléon invoqua le vrai Dieu ; puis, s'approchant du lit du paralytique, il prit le ma-lade par la main et dit avec assurance : « Au nom de Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, lève-toi, et marche ! » A l'instant, le malade retrouva l'usage de tous ses membres. Un frémissement d'enthou-siasme agite aussitôt la foule, et beaucoup de païens, secouant la paralysie de leur âme, se conver-tissent à la foi chrétienne.

Saint Pantaléon est accusé de magie.

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Furieux d'un échec si humiliant les prêtres des idoles persuadèrent Dioclétien que, s'il ne sévis-sait immédiatement contre le magicien Pantaléon, la religion de l'empire tomberait dans le mépris et serait abandonnée par le peuple crédule. Dioclétien n'eut pas de peine à entrer dans leurs vues. « Pantaléon, dit-il au jeune chrétien, crois-moi, laisse ces artifices magiques, ils n'ont pas porté bonheur à ceux qui les ont pratiqués. »

Puis, évoquant le nom du saint évêque de Nicomédie, dont il avait fait un martyr, il ajouta : « Souviens-toi d'Anthime, ce vieillard insensé, qui était le chef des chrétiens de cette ville : à quoi lui a servi son obstination ? Il a péri d'une mort cruelle, ainsi que tous les autres ennemis des dieux qui l'ont imité dans son impiété. Les mêmes supplices t'attendent si tu persistes dans ta désobéis-sance. Mais j'ai pitié de ta jeunesse. Sacrifie aux dieux. – Tes menaces, pas plus que tes promesses, ô empereur, ne sauraient émouvoir mon cœur ; comment me laisserais-je tenter par tes biens, moi qui ai renoncé même à ceux que je possédais ? Quand aux supplices, non seulement je ne les crains pas, mais je désire souffrir et mourir pour l’amour de Jésus-Christ. Tu viens de me parler de l’évêque Anthime, j’envie son sort ; il jouit maintenant de la béatitude éternelle avec le vrai Dieu, tandis qu’à toi des supplices sans fin sont réservés. Sa mort a dignement couronné sa belle vie, et la pourpre du martyre a orné l’éclat de ses cheveux blancs. Si un vieillard, brisé par l’âge, a pu ain-si résister à ta fureur, que penses-tu arracher au courage d’un jeune homme ? »

Saint Pantaléon dans l'arène.

Le Saint reste paisible au milieu des supplices.

C'était abuser de la patience du tyran. Déjà les bourreaux avaient préparé le chevalet. Sur

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l'ordre de Dioclétien, ils y attachent le martyr, tendent ses membres, déchirent ses flancs avec des ongles de fer, puis ils promènent sur ses plaies des torches ardentes. Cet atroce supplice ne troubla pas la sérénité de la victime.

Les seules forces humaines ne vont pas jusque-là ; évidemment Dieu venait au secours de son serviteur d'une manière surnaturelle. En effet, au milieu de ce tourment, Notre-Seigneur apparut au martyr sous les traits d'Hermolaüs, le saint vieillard qui avait été son père dans la foi chrétienne. Il le consolait et lui faisait entrevoir les joies de la Jérusalem céleste.

Bientôt, lassés par un poids invisible, les bras des bourreaux s'engourdirent, et les torches s'éteignirent. Le patient se releva : il ne ressentait aucune douleur et ses chairs ne portaient même pas la trace de la moindre blessure. « Vil magicien, lui dit l'empereur, révèle-nous les secrets de ton imposture. – Ma science magique, c'est le Christ ; je n'ai pas d'autre talisman. – Mais si j'aug-mente tes supplices ? – Ma récompense croîtra en proportion. »

Nouveaux tourments et nouveaux prodiges.

A ces mots, Dioclétien commande de fondre du plomb dans une immense chaudière et d'y plonger le martyr. A la vue du liquide bouillant qu'on lui prépare, le chrétien prie le Seigneur avec humilité et confiance : « Mon Dieu, disait-il avec le Psalmiste, écoutez ma prière pendant que je crie vers vous… Seigneur, délivrez-moi de la crainte de mes ennemis. » Ensuite, le vaillant athlète entra avec intrépidité dans le liquide de feu. Le Seigneur exauça sa prière : il descendit avec lui dans la chaudière, toujours sous la figure d'Hermolaüs, et au même instant le plomb se refroidit.

Les témoins de cette scène étaient dans l'admiration ; mais l'empereur, fermant ses yeux à la lumière, cherchait par quel supplice il pourrait se débarrasser de cet homme qu'il ne pouvait vaincre. Plusieurs officiers, sachant quelle vénération les chrétiens avaient pour les martyrs, conseillèrent à l'empereur de jeter Pantaléon à la mer, afin, disaient-ils, que son corps ne fût pas re-trouvé et ne put servir au culte des chrétiens. Dioclétien agréa ce projet.

Le martyr fut conduit à la mer, on lui attacha une grosse pierre au cou et on le précipita dans l'abîme. Mais le Dieu qui sait tempérer la violence des flammes sait trouver « sur les flots des sen-tiers inconnus à toute créature ». Jésus-Christ apparut une troisième fois, empruntant encore les traits d'Hermolaüs. Il prit son serviteur par la main, et affermissant les ondes sous ses pieds, il re-gagna le rivage avec lui. A ce fait extraordinaire, s'en joignait un autre : la pierre qu'on avait atta-chée au cou de Pantaléon surnageait comme les feuilles que le vent fait tomber sur un lac tran-quille. L'empereur fut extrêmement surpris et irrité de le voir revenir sain et sauf. « Quoi ? s'écria-t-il, la mer elle-même obéit à tes enchantements ? – La mer obéit, comme les autres éléments, aux ordres qu'elle reçoit de Dieu, répondit le martyr : tes serviteurs t'obéissent à toi, monarque d'un jour, et tu voudrais que toutes les créatures n'obéissent pas au Roi éternel ? »

Respecté par les fauves. – Trois nouveaux martyrs.

« Soldats, dit l'empereur, qu'on expose ce magicien aux bêtes de l'amphithéâtre ; nous verrons si les fauves sont aussi soumis à ses incantations, et si je ne viendrai pas à bout de son opiniâtre-té. »

La nouvelle qu'un chrétien allait être jeté aux bêtes féroces de l'amphithéâtre fit le tour de la ville, et une foule immense accourut. Le héros chrétien s'avance, calme, au milieu de l'arène ; ses yeux s'élèvent vers le ciel et ses lèvres murmurent une prière. Soudain la barrière s'ouvre, les ani-maux sauvages s'élancent avec fureur, mais en approchant du martyr, ces bêtes fauves, comme fas-cinées par une puissance surnaturelle, s'apaisent, deviennent douces comme des agneaux ; elles s'approchent, craintives et respectueuses du saint martyr, lui lèchent les pieds et ne se retirent

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qu'après avoir reçu sa bénédiction. A ce spectacle, une immense acclamation ébranle l'amphi-théâtre : « Il est grand, le Dieu des chrétiens ! s'écrie la foule. Il est seul vrai Dieu ! » D'autres ajoutaient : « Qu'on mette le juste en liberté ! »

La colère du tyran était au comble, il s'en prit aux bêtes féroces et commanda de les tuer. Le jeune héros fut soumis au cruel supplice de la roue, mais il en sortit encore sain et sauf et on le jeta dans un cachot. Alors le vénérable Hermolaüs et deux autres chrétiens, nommés Hermippe et Her-mocrate, qu'on avait trouvés dans sa maison, furent amenés devant l'empereur. « C'est donc vous, leur dit le prince irrité, qui avez séduit le jeune médecin Pantaléon pour lui faire abandonner le culte des dieux ? – Jésus-Christ, répondirent-ils, sait bien appeler à la lumière ceux qui en sont dignes. – Laissons ces rêveries absurdes. Vous n'avez qu'un moyen d'obtenir le pardon du crime que vous avez commis, c'est de ramener Pantaléon au culte de nos dieux. Si vous y réussissez, vous serez mes amis, et je vous comblerai des plus hautes faveurs. – Loin de songer à pervertir notre frère, nous sommes prêts nous-mêmes à mourir pour Jésus-Christ. » Après divers supplices, on leur trancha la tête. Leurs noms figurent au Martyrologe romain, également le 27 juillet.

Le dernier combat.

Pantaléon comparut de nouveau devant Dioclétien : « Tes maîtres, Hermolaüs, Hermippe et Hermocrate, lui dit l'empereur, ont enfin reconnu leurs véritables intérêts, ils ont consenti à adorer les dieux, et je viens de leur conférer ici de grandes dignités. – Mais, reprit Pantaléon, je ne vois nullement ces trois personnages parmi les officiers de la cour ? – C'est, repartit impudemment l'empereur, que je viens de les envoyer dans une autre cité pour affaires urgentes. – Vous dites plus vrai que vous ne pensez, répliqua le martyr ; vous les avez envoyés dans l'éternelle et sainte cité de Dieu. »

Le prince, devant l'inutilité de ses efforts, ordonna alors de flageller cruellement le martyr, non dans l'espoir de le fléchir, mais pour satisfaire sa colère et se venger, puis il le condamna à être dé-capité et ensuite brûlé. Pantaléon, voyant ses combats près de finir et songeant au ciel qui allait s'ouvrir devant lui, marcha au supplice le visage rayonnant de joie.

On l'attacha au tronc d'un olivier et un licteur leva son glaive pour le frapper. Mais le fer s'amollit comme de la cire et laissa intact le cou de la victime. A cette vue, les bourreaux se jettent aux pieds du martyr et lui demandent pardon. Le jeune chrétien les embrasse, et une voix se fait entendre : « Pantaléon, tu t'appelleras désormais Pantaléimon (nom qui veut dire très miséricor-dieux), et beaucoup obtiendront miséricorde par ton entremise. »

La victoire.

Ce fut alors un spectacle attendrissant au delà de toute expression. Le martyr, désireux de ver-

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ser son sang pour Jésus-Christ et d'entrer dans le ciel, suppliait les bourreaux d'exécuter l'ordre qu'ils avaient reçu. Tous refusaient. Enfin, Pantaléon insista tellement, qu'après l'avoir embrassé une seconde fois, ils se décidèrent à lui trancher la tête. Du lait au lieu de sang jaillit sous le glaive, et l'olivier fut tout à coup couvert de fruits. L'empereur ordonna d'abattre l'arbre et d'en construire un bûcher pour brûler le corps du martyr, mais les soldats s'en allèrent et n'exécutèrent pas la sen-tence. Les chrétiens recueillirent le corps de leur frère et l'ensevelirent avec honneur.

Plus tard, Constantinople, et Lucques en Italie, devinrent dépositaires de ces précieuses re-liques. Charlemagne obtint le chef du saint martyr, qu'il donna à la ville de Lyon, et d'autres osse-ments, dont il enrichit la célèbre abbaye de Saint-Denis. Cette dispersion de ses reliques et les nombreuses grâces obtenues par son intercession ont rendu le culte de saint Pantaléon populaire en Orient et en Occident. Au calendrier copte, sa fête figure le 16 octobre. Huit communes de France portent son nom ou celui de Saint-Pantaly, qui en est la forme populaire dans le Midi. Les méde-cins l'honorent comme un de leurs principaux patrons.

Maxime Viallet.

Sources consultées. – Les Grands Bollandistes. – Dom Ruinart, Acta Sanctorum. – Ulysse Chevalier, Répertoire bibliographique. – (V.S.B.P., n° 496.)

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PAROLES DES SAINTS___________

Avec Dieu.

Une âme que l’esprit de Dieu anime est capable de faire des choses extraordinaires.

Saint Vincent de Paul.

SAINT SAMSONPremier évêque de Dol (480?-565?)

Fête le 28 juillet.

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Homme d'une originalité puissante, successivement moine et missionnaire, ermite et voya-geur, humble abbé et grand évêque, saint Samson, chef des « sept Saints de Bretagne », peut être considéré, à juste titre, comme l'un des principaux évangélisateurs de cette région de la Gaule. Il partagea sa vie entre les deux pays qui s'appelaient jadis la Grande-Bretagne et la Bretagne Mi-neure ou Armorique.

Son arrivée sur les côtes du second pays marque le milieu du long exode du peuple breton s'exilant sous la poussée violente et dévastatrice des Saxons, et venant s'établir au pays de Domno-née qui forme actuellement la partie septentrionale de la Bretagne française. Pendant près de deux cents ans, de véritables caravanes de barques sillonnèrent la Manche, amenant ces exilés volon-taires vers leur nouvelle patrie. La plupart du temps, ces émigrations étaient dirigées par des moines, dont le courage et la sainteté s'imposaient à leurs concitoyens, et qui devenaient ainsi les animateurs, puis les organisateurs de ces étranges colonies.

Saint Samson est certainement le type achevé de ces hommes prodigieux, qui nous appa-raissent encore aujourd'hui comme des héros légendaires, dont le nom est inséparable de l'histoire bretonne et française.

Naissance et premières années de saint Samson.

La famille de Samson appartenait à la Galles du Sud. Son père, originaire du comté de Cla-morgan, se nommait Amon-Du. Sa mère, de la province du Gwent, s'appelait Anna. Les deux époux étaient nobles, car leurs parents avaient rempli, à la cour des petits rois de ces provinces, les fonctions de « dystain », autrement dit maître d'hatel. C'était un poste important et qui venait im-médiatement après ceux de gouverneur du palais et d'aumônier de la maison royale. De cette union naquit Samson, l'an 48o. Cette naissance, longtemps et vivement désirée, fut suivie de celles de cinq frères et d'une sœur. Profondément pieuse, Anna destina secrètement son premier-né au ser-vice des autels. Aussi veilla-t-elle tendrement sur sa petite enfance. Quand il eut cinq ans, la ques-tion se posa de son éducation. Chef de famille noble, Amon désirait, comme c'était le coutume, la carrière des armes pour son fils aîné. Mais la volonté du ciel en avait décidé autrement, et le père, après quelques hésitations, consentit à envoyer Samson à l'école monastique. Bien plus, nouvel Abraham, ce fut lui qui conduisit son enfant à saint Iltut ou Iltud, abbé d'un monastère voisin, celui de Llantwit.

La jeunesse de saint Samson.

Le célèbre et saint abbé, qui était d'ailleurs un éducateur remarquable, distingua vite les belles qualités de Samson et l'entoura de tendresse et de soins. A quinze ans, le disciple égalait presque le maître, et, devenu savant, il pouvait, se mesurer avec les plus habiles. Loin d'en tirer vaine gloire, il ne cherchait la sagesse qu'au pied du Crucifix. Un jour, ne pouvant résoudre une difficulté philo-sophique, il s'adressa d'une façon plus pressante à Dieu, comme au seul maître dont il voulût rece-voir les enseignements, et non seulement une lumière divine éclaira son entendement, mais sa cel-lule elle-même fut remplie de rayons, et une voix se fit entendre annonçant que toute grâce deman-dée par lui serait accordée. Les nombreux miracles de Samson témoignent assez que Dieu ne refu-sa rien, en effet, à son serviteur.

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Premier miracle.Entrée dans la vie monastique et dans les Ordres.

Comme le jeûné Nomme était occupé avec quelques-uns de ses compagnons à arracher, sur le commandement de saint Iltud, les herbes folles d'un champ de blé, dans la saison où le soleil d'été est le plus ardent, un des enfants ayant soulevé une pierre, une vipère sortit de dessous et le piqua à la jambe. En quelques minutes, la mort de l'enfant était devenue imminente. Samson, rappelant à Dieu, dans son cœur, la promesse de son assistance, bénit la plaie, et la guérit, se servant pour tout baume d'eau bénite et d'huile prise à la lampe du sanctuaire.

Samson prit le froc dans le monastère où 'il avait été élevé. Il embrassa dés lors toutes les aus-térités que s'imposent d'ordinaire les Saints. Saint Dubrice, évêque de Carlon (Isca Silurum), lui conféra l'ordre du diaconat, et, pendant la cérémonie, une colombe plana sur la tête du néophyte, Dieu voulant ainsi marquer combien le nouveau diacre lui était agréable. La colombe reparut à la cérémonie de la prêtrise de Samson, et, plus tard, à celle de sa consécration épiscopale.

Saint Samson convertit deux de ses ennemis.

On s'étonne que Samson ait pu avoir des ennemis. Il arriva pourtant que deux neveux de saint Iltud, tous deux hôtes du monastère, d'un à titre de pharmacien, l'autre comme prêtre, mais tous les deux de mœurs corrompues, prirent le serviteur de Dieu en une telle aversion qu'ils ne négligeaient aucune occasion de le contrister. Ils en vinrent à former le projet de l'empoisonner. Le pharmacien prépara à cet effet un poison violent qu'il présenta au religieux un jour où, pour obéir à la règle, tous les membres du monastère devaient user d'un breuvage rafraîchissant composé de quelque in-fusion de plantes médicinales, A leur grand étonnement, Samson le but sans en ressentir aucun mal. Or, ils avaient essayé l'effet de ce poison sur un chien vigoureux qui avait perdu la vie en quelques minutes. Ce miracle du ciel convertit le pharmacien, mais l'autre n'en éprouva que plus de haine pour celui dont la vertu, par la permission de Dieu, se jouait de ses artifices. Le dimanche suivant, Samson servait lui-même la messe à ce prêtre sacrilège, quand le démon s'empara par une possession manifeste de cet indigne ministre de l'autel. Il fallut un nouveau miracle de Samson pour délivrer ce possédé.

Sa famille entière entraînée dans la vie religieuse.

L'éclat de ses vertus et des miracles que le ciel répandait sous sa main attira vite sur Samson l'attention du pays entier. Afin de pouvoir mener une vie plus cachée, il demanda à saint Iltud la permission de se retirer dans un monastère gouverné par un abbé du nom de Pyron, et situé dans une île écartée de l'Océan ce monastère porte aujourd'hui le nom de Caldey, célèbre dans l'histoire religieuse d'Angleterre.

Il s'y trouvait depuis quinze jours, quand un courrier le vint prendre pour le conduire à son père. Celui-ci était à toute extrémité et voulait voir son fils avant de mourir, L'abbé Pyron ordonna à son disciple de partir incontinent, et celui-ci obéit. La légende rapporte que, traversant une forêt, le moine et le messager furent poursuivis par le démon qui leur apparut sous les traits, d'une femme d'une grande beauté, mais la tentation, ne triompha ni de l'un ni de l'autre. Le démon vaincu

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s'en vengea en traînant sur les rocs et parmi les ronces l'envoyé du père de Samson jusqu'à ce que son corps né fût plus qu'une plaie ; alors, d'un signe de croix, Samson, recourant au Seigneur, mit en fuite l'esprit malin et guérit le blessé sans qu'il restât trace de ses meurtrissures. Quand les deux voyageurs arrivèrent au logis d'Anion, le vieillard, toujours très malade, éprouva cependant une grande joie ; mais, songeant vite au salut de son âme, il fit taire tous autres sentiments et voulut s'humilier en se confessant à son propre fils. Samson admira les bons sentiments de son père, et pria pour lui avec tant de ferveur, que le ciel accorda à l'âme du vieillard la rémission de toutes ses fautes et son corps la guérison de la maladie qui le menaçait de mort.

Cette double vie de la santé et de la grâce, le vieillard, reconnaissant, voulut immédiatement la consacrer au souverain Maître. Cinq de ses fils, frères de Samson, formèrent une semblable réso-lution ; leur mère ressentit le même attrait, et toute cette pieuse famille prit le chemin des cloîtres, chacun où le dirigeait le doigt de Dieu. Un oncle et une tante ne résistèrent pas à un tel exemple et imitèrent leurs neveux dans le sacrifice. Seule, une sœur de Samson resta dans le monde.

Amon et Umbrafel, le père et l'oncle du Saint, le suivirent quand il rentra au monastère de Py-ron, et c'est là, près de lui, qu'ils prirent l'habit et commencèrent leur vie religieuse.

Saint Samson est nommé abbé.

A peine avaient-ils passé quelques mois dans 'la paix et le recueillement de la vie religieuse, que l'abbé de Pyron vint à mourir. Cette mort affligea beaucoup Samson qui perdait en lui un père et un ami. Dès que la tombe se fut fermée, la voix de ses compagnons, ayant à se choisir un supé-rieur, s'accorda à l'appeler à cette charge. L'humilité de' l'élu en fut consternée ; il accepta néan-moins pour faire la volonté de Dieu. Zèle, charité, prudence, il réunit toutes les qualités que peut avoir un maître. Ce qui brilla particulièrement à cette époque de sa vie fut sa charité pour les pauvres. Il avait donné l'ordre de ne damais en rebuter aucun ; un four, n'ayant autre, chose à don-ner que le miel des abeilles qui avaient leurs ruches dans les jardins du couvent, il ne put résister â l'élan de sa charité, et fit vider les ruches de leurs trésors pour en faire profiter les pauvres. Dieu permit que, le lendemain, les ruches fussent encore pleines comme si on n'y eût pas touché.

En Irlande.

Il gouverna dix-huit mois son abbaye. Mais la Providence ayant amené d'Irlande à son monas-tère quelques religieux qui venaient de Rome et retournaient à leur cloître, il implora de saint Du-brice, son évêque, la permission de faire un voyage en Irlande dans la compagnie de ces religieux. Il avait reconnu combien ces moines étrangers étaient versés dans les études sacrées et il voulait s'instruire à leur école. Il passa ainsi quelque temps dans l'Hibernie. Plusieurs miracles attirèrent encore sur lui l'attention, et il fut bientôt entouré d'honneurs et de considération ; aussi son humili-té n'y put-elle tenir, il sollicita et obtint de ses nouveaux supérieurs l'autorisation de retourner à son monastère.

Il venait de monter sur un navire : le vent gonflait les voiles et on allait quitter le rivage, - quand des religieux accoururent. Leur supérieur était tombé sous le pouvoir du démon, ils venaient supplier l'abbé d'être leur intermédiaire près du ciel. Le commandant du navire ne voulait pas retar-der. « Allez, disait Samson, partez quand vous voudrez, je vous retrouverai demain I » et il courut au monastère de ces religieux, peu éloigné du port. Le capitaine du voilier donna l'ordre de lever l'ancre ; le navire essaya de s'éloigner, mais un souffle surnaturel le repoussait 1 la côte, et, ln len-demain, quand Samson revint, son ouvre de grâce accomplie, le navire l'attendait. Le prieur, déli-vré de sa terrible épreuve, accompagnait Samson. Dais sa reconnaissance, il ne voulait plus se sé-

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parer de son bienfaiteur, et il venait d'abandonner à sa juridiction le monastère à la tête duquel il avait été lui-même, Samson ayant promis aux religieux de leur choisir un nouveau supérieur dans sa propre maison.

Séduit par la vie religieuse, le père de saint Samson vient demander asile dans le monastère de son fils.

Fuite dans la solitude.

Rentré en son propre monastère, il eut la satisfaction d'y voir son père et son oncle très avancés dans les voies spirituelles. S'élevait immédiatement au-dessus de toutes considérations humaines, il leur commanda, au nom de l'obéissance, de partir pour le monastère d'Irlande qu'il venait de laisser sans chef. Les religieux le prièrent de reprendre le gouvernement du monastère, mais il s'y refusa formellement, après quoi, ayant pourvu pour l'avenir à la direction du reste de la communauté, et comme poussé par une force surnaturelle, il quitta pour toujours son abbaye et se mit en route avec quatre de ses moines. Sur les rives de la Saverne, non loin des ruines d'un ancien château, les voya-geurs découvrirent une grotte d'un accès difficile, au fond d'une épaisse' forêt. Samson établit ses quatre compagnons dans les murs ruinés du château pour lui, il se retira dans la caverne, dont il in-terdit l'entrée. La vie qu'il mena dans cet endroit ne peut se définir : Chaque dimanche, il sortait pour aller célébrer la messe à l'oratoire édifié par ses religieux. Pour sa nourriture, il se contentait d'un pain tous les mois, huis se retirait sans laisser deviner l'endroit de sa retraite. Un jour, néan-moins, ses pas lurent si bien épiés, que sa grotte fut découverte. Vers le même temps, l'évêque de la contrée tenait un synode, et le récit ayant été fait à cette assemblée des merveille; de la vie de Samson, il ordonna de l'aller chercher et de l'amener. I1 en fut ainsi et Samson dut prendre, par

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obéissance, la direction du monastère fondé jadis par saint Germain d'Auxerre dans ces parages.

Saint Samson est nommé évêque.

La Providence le réservait à une plus grande dignité. Peu de temps après, trois évêques s'as-semblaient au monastère qu'il dirigeait. Ils avaient à élire un évêque. Or, l'usage de l'Eglise, en Cambrie, dans ces temps reculés, voulait qu'à chaque intronisation d'évêques on sacrât avec le pré-lat deux autres évêques destinés à lui servir d'assesseurs. Il y avait ainsi trois évêques à ordonnai' et trois qui ordonnaient. Cette fois, l'évêque titulaire était choisi et un de ceux qui avaient à partager sa dignité ; mais. le choix du troisième rivait été remis jusqu'au jour de l'assemblée. Saint Dubrice, l'un des trois évêques consécrateurs, eut dans la nuit une vision Un ange l'avertissait que, par ordre de Dieu, le troisième évêque devait être Samson. Il fut donc sacré le lendemain.

Saint Samson reçoit l'ordre d'aller en Armorique.Derniers miracles en Angleterre.

La fonction d'évêque régionnaire, sans siège proprement dit, ne suffisait pas au zèle du nou-veau pontife, et, d'autre part., c'était trop pour son humilité. Son sacre était passé depuis plusieurs années. .

« Va ! lui dit un ange pendant une nuit de Pâques, traverse la mer, rends-toi au pays d'Armo-rique au milieu des ouailles que Dieu te réserve. »

Et Samson partit, En voyage, il répandait la grâce sur ses pas. Un jour, il traversait un village où les habitants célébraient -une sorte de fête païenne autour d'une statue d'idole qu'ils avaient con-servée. C'étaient des danses, des jeux, des festins, le tout mêlé de libertinage. Au moment oie Sam-son passait, un jeune homme qui conduisait un char se vit emporter par les chevaux fougueux et fit une chute affreuse qui le laissa mort sur place. Samson se fit apporter le corps, resta deux heures en prières et lui rendit la vie. Les habitants renoncèrent à leurs plaisirs sensuels et se convertirent.

Plus loin, l'évêque trouva un endroit qui lui semblait favorable à la construction d'un monas-tère ; il s'y arrêta donc et mena à bonne fin cette fondation. Un animal gigantesque occupait une caverne qu'il avait choisie pour y prendre son repos, et' répandait la terreur dans toute la contrée ; les chroniques disent que c'était un (C. dragon )), mais ce nom les anciens l'ont appliqué un peu à toutes sortes de bêtes d'une férocité extraordinaire. Samson délivra le pays de ce fléau. Son nou-veau monastère terminé, il appela son père à en être supérieur, et il partit pour l'Armorique.

Fondation d'un monastère à Dolet organisation de la Haute-Bretagne.

Samson, envoyé par Dieu vers les rivages de l'Armorique, ne venait pas seul. Un grand nombre de ses concitoyens ainsi que plusieurs saints religieux avaient obtenu de l'accompagner. Citons entre autres saint Magloire et saint Méen. Ils abordèrent à l'embouchure d'une rivière appe-lée le Guyoul, dans la partie septentrionale du département actuel d'Ille-et-Vilaine. Ils rencon-trèrent en débarquant un seigneur de l'endroit, nommé Privatus, dont la femme était lépreuse et la fille possédée du démon. Samson, ému de compassion à la vue de ce malheureux, le suivit dans son domaine et guérit les deux malades. La reconnaissance de Privatus fut si grande, qu'il offrit à l'évêque une partie de ses terres pour y fonder un couvent. Le monastère de Dol fut fondé. Des ca-

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banes se groupèrent autour. Dol devint une ville. Peu de temps après, Samson fit encore bâtir à Landtmeur un couvent dont il fit abbé saint Magloire. Pendant plusieurs années, Samson parcourut la Bretagne, surtout dans sa partie septentrionale ; il y fonda de nombreux monastères, rat tachés à celui de Dol, et qui devinrent bientôt comme autant de paroisses qui purent accueillir les nouveaux émigrés d'Outre-Manche.

Voyage à Paris. – Saint Samson, évêque de Dol.

De grands troubles divisaient la Bretagne. Le roi Conomor avait tué le roi Jonas. Les grands de la contrée suppliaient le prieur de Dol de se rendre à Paris pour demander secours à Childebert, en faveur de Judual, fils de Jonas. Samson remplit cette mission, et Childebert, cédant à des considé-rations politiques, ne se pressa point de rétablir le jeune prince dans les Etats de son père ; mais, plein de déférence pour le saint ambassadeur, il lui donna des terres sur la rivière de Risle entre Brionne et Pont-Audemer, en Normandie. Samson y construisit le monastère de Pental, soumis à celui de Dol.

Judual rentra enfin en possession de ses Etats, et, plein de reconnaissance, combla de présents le monastère de Dol. Il agissait en même temps, se faisant appuyer de l'autorité de Childebert, pour que le Pape Pelage Ier érigeât ce monastère en évêché. Le Pape accorda cette faveur et envoya le pallium à Samson, qui le reçut pieds nus et prosterné devant l'autel. C'était vers l'an 555.

Aujourd'hui, Dol n'est plus évêché ; son dernier évêque, Urbain de Hercé, mourut pour la foi en 1793. Le titre épiscopal, comme celui de Saint-Malo, est porté par l'archevêque de Rennes.

Au h P Concile de Paris. – Mort de saint Samson.

En 557, Samson se transporta de nouveau à Paris pour assister au IIIe Concile réuni en cette cité. Là, comme partout, son humilité se signala. Il refusa de signer avec les achevêques, comme le privilège du pallium l'y autorisait, et il mit son contre-seing l'avant-dernier des évêques, avec cette formule ; u Moi, Samson, pécheur, évêque... u La même humilité lui fit refuser de prendre l'appar-tement que le roi avait fait, préparer pour lui dans -son palais, et il préféra la retraite du monastère de Saint-Germain. Il était à cette époque d'un âge avancé et courbé sous le poids des ans. Pendant son voyage pour retourner en Bretagne, une des roues du chariot qui le portait se brisa dans la Beauce. Il était difficile de trouver un ouvrier. Samson fit un signe de croix sur la roue, et Dieu voulut qu'elle se retrouvât instantanément en parfait état. Le roi Childebert, informé du miracle, désira qu'on bâtit en ce lieu un monastère, que Samson appela « Rotmon ». C'était une dépendance de l'abbaye de Dol.

Arrivé à Dol, Samson délivra huit démoniaques et guérit deux agonisants ; il rendit la vue à une dame qui, au mépris de sa défense, était entrée dans son monastère et avait été frappée de céci-té par le ciel à la suite de cette faute.

Au cours d'une maladie assez longue, il comprit que le terme de sa vie était arrivé. Il rassembla ses religieux, et désigna, en leur présence, saint Magloire pour son successeur ; puis, ayant reçu les derniers sacrements, il rendit son esprit à Dieu le 28 juillet 565.

Une partie de ses reliques est conservée à Paris, dans l'église de Saint-Jacques du Haut-Pas. Le tiers environ de son chef est honoré dans la cathédrale de Dol, qui est placée sous sois vocable concurremment avec celui de la Très Sainte Vierge. Son culte est très répandu aussi bien en Angle-terre qu'en Bretagne, en Normandie, et même dans le centre de la France.

A. C.

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Sources consultées. - Abbé A. Couüvois, Saint Samson (Paris, Buniie Presse. ig28). - Acta Sa-netorum, t. VI de juillet (Paris-Rome, 1868). -- Dom Louis .GOUGAUD, Les ehréti€&és cel-tiques, Paris, rgir. -- (V. S. B. P., n' i8o.)

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SAINTE MARTHEVierge, sœur de Marie de Béthanie et de Lazare (1er siècle)

Fêle le 29 juillet.

Le nom de sainte Marthe est celui d'une des saintes femmes que nous voyons paraître dans le récit évangélique. Nous savons positivement qu'elle était la sœur de Lazare et de Marie de Bétha-nie. Mais si l'on veut préciser davantage au sujet de sa famille, se pose une question assez délicate : celle de l'identité de Marie de Béthanie, de Marie la pécheresse qui intervient, portant un vase de parfums, au repas chez Simon, et de Marie de Magdala, de laquelle sept démons étaient sortis. Les commentateurs de l'Evangile voient les uns une même personne ; d'autres deux ; les derniers trois. Aucune raison grave ne s'oppose à la première de ces trois opinions, la plus généra-lement admise, et l'Eglise elle-même semble nous y rallier en rappelant ce triple souvenir le 22 juillet. Nous nous conformerons à cette manière de voir, sans oublier toutefois, que la question n'est pas tranchée. Le poète chrétien Fortunat a été le premier à donner à sainte Marthe le beau titre de « vierge » ; ce titre a été ratifié par la croyance universelle.

La famille de sainte Marthe entre en amitié avec Notre-Seigneur.

Jésus avait été invité, peut-être à Capharnaüm, chez Simon le pharisien, et il était assis dans la salle du festin, lorsqu'une pécheresse trop connue de la ville ou des environs vint se prosterner à ses pieds, et, les baisant, elle les lavait de ses larmes, les oignait d'un parfum précieux, qu'elle ré-pandait avec profusion d'un vase d'albâtre.

Le divin Maître, qui lit au fond des cœurs, déclara solennellement à la pécheresse prosternée à ses pieds : « Tes péchés te sont remis. » Cette femme ainsi justifiée était Marie-Madeleine, la sœur de Marthe, et, à partir de ce jour, les deux sœurs se mirent sans doute à la suite du Sauveur avec les saintes femmes, et le Sauveur daigna les distinguer de telle sorte que Marthe, Marie-Madeleine et Lazare, leur frère, devinrent ses amis privilégiés sur la terre.

Jésus, écrit le P. Lacordaire, avait donc à Béthanie une famille tout entière d'amis. C'était là que, ve-nant à Jérusalem, dans la ville où devait se consommer son sacrifice, il se reposait des fatigues de sa prédi-cation et des douloureuses perspectives de l'avenir. Là étaient des cœurs purs, dévoués, amis ; là, ce bien incomparable d’une affection à l'épreuve de tout.

« La meilleure part. »

Un jour donc que Notre-Seigneur se rendait à Jérusalem, il entra « dans un bourg » que ne pré-cise pas l'Evangile, mais qu'on peut croire être Béthanie. Ce fut Marthe qui le reçut. Pendant qu'elle se livrait avec agitation à tous les soins domestiques, sa sœur Marie demeurait aux pieds du Sauveur, et elle écoutait sa parole. Marthe ne sut pas alors le prix de cette contemplation divine, et, trouvant que sa sœur ne comprenait pas les devoirs de l'hospitalité, et en usait mal vis-à-vis d'elle, qui se dévouait à tout préparer, elle ne put s'empêcher de remarquer :

« Seigneur, ne considérez-vous pas que ma sœur me laisse tout préparer ? Dites-lui donc de venir à mon aide. »

Marie laisse au Christ le soin de prendre sa défense.« Marthe, Marthe, dit alors le Maître avec douceur et gravité, pourquoi ce trouble et cette in-

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quiétude ? Tu te mets en peine pour beaucoup de choses ; or, une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, et elle ne lui sera pas enlevée. »

Un auteur, l'abbé H. Lesêtre, commente ainsi cette réponse :

Le Sauveur ne blâme que ce qu'il y a d'excessif dans l'activité de Marthe ; cet excès, empêche de son-ger au principal, qui est le soin de la vie spirituelle. Marie a choisi la bonne part, la part bonne par excel -lence ; celle que Marthe a prise pour elle n'est que d'une bonté secondaire. Notre-Seigneur ne veut donc pas que Marie soit réduite à abandonner le nécessaire et l'excellent pour ce qui est simplement utile et bon.

La perfection ici-bas consiste à unir la vie contemplative à la vie active.

Résurrection de Lazare.

Chassé de Jérusalem par les Juifs qui avaient menacé de le lapider, Notre-Seigneur était re-tourné dans la Galilée, quand Lazare, le frère de Marthe et de Marie, tomba malade à Béthanie. Aussitôt, les deux sœurs envoyèrent dire au Sauveur : « Seigneur, celui que vous aimez est malade. » Comme pour éprouver davantage la foi de Marthe et de Marie, et sans doute aussi pour que l'éclat du miracle augmente la foi de ses disciples et de tous ceux qui devaient en être les témoins, Jésus ne se hâte point de répondre à cet appel, et, quand il arrive à Béthanie, le cadavre de Lazare est depuis déjà quatre jours dans le tombeau. Beaucoup de Juifs étaient accourus pour consoler les deux sœurs du mort. Dès que Marthe apprit l'arrivée de Jésus, sans rentrer à la maison où Marie re-posait, elle courut au-devant de lui et elle s'écria :

« Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort ; mais je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous l'accordera. »

« Ton frère ressuscitera », dit Jésus.Mais Marthe ne pouvait croire que sa prière était exaucée : « Je le sais, il ressuscitera, quand

tous ressusciteront, au dernier jour. » Jésus lui répond :«  Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s'il est mort, vivra, et celui qui

vit et croit en moi, ne mourra point pour toujours ; crois-tu cela ? »Et Marthe, éclairée par la lumière d'en haut, de s'écrier : «  Oui, Seigneur, je crois que vous

êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. »Marthe, après cette admirable parole, courut vers sa sœur et lui dit à voix basse : « Le Maître

est là et il t'appelle. »A ces mots, Marie se leva précipitamment et courut se jeter aux pieds de Jésus, qui était encore

à une certaine distance de la maison, au lieu où Marthe l'avait rencontré. Elle-même répète le mot de sa sœur :

«  Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. »Alors, conduit dans la grotte funéraire, le Christ, frémissant de douleur, s'avança vers le tom-

beau, et il demanda qu'on enlevât la pierre. Mais Marthe, craignant que l'odeur du cadavre ne l'in-commodât s'écria : « Maître, il sent déjà mauvais ; il y a quatre jours qu'il est mort. » Jésus lui re-partit avec une autorité pleine de douceur :

« Ne t'ai-je point dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » Et, s'avançant vers la tombe ouverte, il rendit témoignage à son Père qui est dans les cieux, et, d'une voix forte, il s'écria «  La-zare, viens dehors. »

A l'appel de son Dieu, le mort se réveilla soudain, et, en se levant malgré les entraves qui lui liaient les pieds et les mains, et le linceul qui lui voilait la face, il apparut vivant, rendant hommage à Celui qui l'avait arraché à la mort. Ce miracle éclatant devait inciter les pharisiens et le grand-prêtre à arrêter définitivement la mort de Notre-Seigneur.

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On montre à Béthanie, dit l'auteur de Historiae Terrae Sanctae elucidatio, une citerne taillée dans une roche appelée « la citerne de Sainte-Marthe où l'on dit que celle-ci rencontra la première fois Jésus-Christ. On voit, en outre, au pied de cette citerne, une pierre oblongue peu élevée au-dessus du reste du rocher, ap-pelée vulgairement « la pierre de Béthanie ». On l'a toujours grandement vénérée, parce que, d'après la tra-dition, Jésus-Christ s'y assit en attendant l'arrivée de Marie que Marthe était allée chercher… Les pèlerins en détachent par respect des parcelles qu'ils recueillent et honorent comme des reliques. Quelques auteurs la nomment « la pierre du colloque » ou « du dialogue ».

De la Passion à l'Ascension.

Six jours avant la Pâque, Jésus revenait à Béthanie. Il soupa chez Simon le lépreux ; Lazare était parmi les convives, Marthe faisait encore le service. C'est pendant ce repas que, de nouveau, Marie brisa le vase de parfum, en répandit le contenu sur les pieds et la tête de Notre-Seigneur, et lui essuya les pieds avec ses cheveux, provoquant les murmures des uns, et au contraire, l'approba-tion admirative du Maître. L'avant-veille de sa Passion, Jésus ne vint pas à Jérusalem, comme il le faisait les jours précédents, pour instruire le peuple au Temple. Il passa ces dernières heures à Bé-thanie dans la prière et en de suprêmes épanchements avec Marie, sa divine Mère, avec ses dis-ciples et avec la famille amie qui lui offrait l'Hospitalité.

Dès lors, l'Évangile est muet au sujet de Marthe. Quand l'heure de la dernière victoire fut ve-nue, Jésus quitta Béthanie pour se rendre de nouveau à Jérusalem. Pendant que Marie-Madeleine, la pécheresse justifiée, fondait en larmes en voyant souffrir, pour effacer les péchés du monde, Ce-lui qu'elle avait tant aimé, Marthe, plus calme dans son affliction, soutenait sans doute avec une tendre sollicitude la Mère de Dieu, demeurant avec les autres saintes femmes au pied de la croix pendant la journée du Vendredi-Saint, puis accompagnait en pleurant jusqu'au tombeau le corps de Notre-Seigneur.

Quarante jours après sa résurrection, le Christ quittait cette terre « et ce fut à la vue de Béthanie, le vi -sage tourné vers ses murs, du côté de l'Orient, qu'il monta au ciel, presque à égale distance du Calvaire où il était mort et de la maison où on l'avait le plus aimé n. (H.D. Lacordaire.)

La tradition des Églises provençales.

La seconde partie de la vie de sainte Marthe a fait couler une grande quantité d'encre. C'est toute la question de l'apostolicité de l'Eglise des Gaules qui est en jeu. Au XVIIe siècle, Jean de Launoy, écrivain d'esprit si critique que près de trente de ses travaux d'érudition figurent au Cata-logue de l'Index publié sous le pontificat de Pie XI, faisait paraître une dissertation latine « Sur l'arrivée mensongère de Lazare et Maximin, Madeleine et Marthe en Provence ». Depuis lors, d'autres écrivains ont combattu dans le même sens tandis que se levaient dans l'autre camp des dé-fenseurs de l'opinion traditionnelle, dont les titres les plus incontestables remontent au XIIe siècle, ce qui n'exclut pas l'existence possible de documents antérieurs.

Voici le résumé des traditions dont s'honorent les populations de la côte méditerranéenne :

Après l'Assomption de la Sainte Vierge, Marie-Madeleine, Marthe et sa servante Marcelle, et Marie-Salomé, qui s'étaient attachées au service de la Mère de Dieu, n'échappèrent pas à la persé-cution qui s'éleva en Judée. Saisies par les Juifs, elles furent exposées aux flots avec Lazare, Maxi-min et quelques autres, sur un navire sans voiles, sans cordages, sans gouvernail. Mais Jésus qui, au milieu de la tempête, avait sauvé et conduit la barque de Pierre, veillait aussi sur ses amies de

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Béthanie : les vagues irritées s’inclinèrent soudain devant les serviteurs du Christ, et la mer fit, à travers ses montagnes mouvantes, un libre passage au frêle esquif qu’elle menaçait d’engloutir. Les anges dirigèrent cette barque privée de gouvernail, et les flots la déposèrent sur la terre des Gaules.

En souvenir de ce débarquement miraculeux, au lieu même où l'esquif est venu aborder, s'élèvent aujourd'hui le hameau et l'église des Saintes-Marie. On y conserve comme un précieux dépôt les corps des saintes Marie-Salomé et Jacobé, et il s'y fait de nombreux miracles.

Les Saints prirent possession de la terre que Dieu leur donnait :Lazare s'établit à Marseille, dont il fut le premier évêque et où l'on vénère son tombeau ; Tro-

phime et Maximin allèrent fonder la métropole d'Arles et l'archevêché d'Aix ; Marie-Madeleine se réfugia dans la solitude de la Sainte-Baume, où elle continua sa vie de pénitence et de contempla-tion ; Marthe et sa servante Marcelle s'adonnèrent à la vie active, et dirigèrent leurs pas du côté d'Avignon, puis se fixèrent en un endroit rapproché de Tarasco ou Tarasconos, aujourd'hui Taras-con.

Sainte Marthe enchaîne le dragon.

Au moment où Marthe commençait son œuvre d'évangélisation dans les cités riveraines du Rhône, un monstre effroyable, qui, par sa description, rappelle les animaux antédiluviens que nous révèlent les fouilles géologiques, jetait la terreur dans toute la contrée. Son souffle répandait une fumée pestilentielle, et sa gueule, armée de dents aiguës, faisait entendre des sifflements perçants et des mugissements horribles. Il déchirait avec ses dents et ses griffes tous ceux qu'il rencontrait, et la seule infection de son haleine suffisait à ôter la vie.

Or, un jour que Marthe annonçait la parole divine dans la ville de Tarascon, près de laquelle le monstre avait établi son repaire, la foule s'écria : « Si vous parvenez à détruire le dragon, nous em-brassons sans tarder votre foi. – Si vous êtes disposés à croire, repartit la vierge, tout est possible à l'âme qui croit. » Et, seule, elle s'avança vers l'antre redouté, suivie de loin par la foule qui osait à peine la regarder.

Pour combattre cet ennemi terrible, Marthe n'a qu'une arme, le signe de la croix ; mais voici qu'à ce signe l'animal farouche baisse la tête, il tremble, et Marthe, l'enchaînant avec sa ceinture, l'amène comme un trophée de victoire aux habitants. Ceux-ci ont peine à en croire leurs yeux et leur frayeur revient devant le monstre captif. La vierge les rassure, et ils immolent avec joie le dra-gon vaincu, en rendant grâces au Christ. Depuis ce temps, les Tarasconais célèbrent leur délivrance par une magnifique procession, où l'on traîne un monstre enchaîné figurant l'animal et qu'on ap-pelle « la Tarasque ». Marthe s'établit dans la ville qu'elle venait de délivrer ; elle se fit la servante et l'hôtesse des pauvres, et une communauté de vierges se réunit sous sa direction. Bientôt, les foules affluèrent auprès de sa demeure, qu'illustrèrent de nombreux miracles. Saint Trophime d'Arles et saint Eutrope, d'après la tradition, dédièrent dans la maison même de Marthe une église au Seigneur.

Cependant, sa sainte vie touchait à sa fin. Déjà l'hôtesse du Seigneur avait vu dans une vision l'âme de sa sœur, environnée par les anges, s'envoler vers l'Epoux ; elle-même, en proie à une fièvre violente, étendue sur un lit de sarments, avait prévu sa mort prochaine. Lorsque le jour dési-gné par elle fut arrivé, par son ordre on étendit sous un arbre touffu de la paille recouverte d'un ci-lice, et on la plaça dès le matin sur ce lit improvisé. Marthe demanda l'image de Jésus crucifié. Puis, tournant ses regards vers les fidèles accourus pour recueillir son dernier soupir, elle les sup-plia d'accélérer par leurs prières le moment de sa délivrance. Elle-même éleva les yeux vers la croix et expira dans l'élan de la prière et de l'amour. C'était le 4 des calendes d'août, le huitième jour après la mort de sainte Madeleine : Marthe avait soixante-cinq ans.

Funérailles miraculeuses.

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Ses obsèques, auxquelles assista une foule immense, furent illustrées par un éclatant miracle. A l'heure où tout le monde était réuni pour la cérémonie de l'inhumation, saint Front, évêque de Périgueux, qui avait promis d'assister à ses funérailles, se préparait à célébrer le saint sacrifice. As-sis sur sa chaise épiscopale, il attendait les fidèles, quand, soudain, il fut saisi d'un sommeil mysté-rieux. Alors Jésus lui apparut et lui dit : « Mon fils, venez accomplir votre promesse, venez ense-velir Marthe, mon hôtesse. » A peine le Sauveur avait-il achevé ces paroles, que saint Front se trouva dans l'église de Tarascon ; le Christ était à côté de lui, et tous deux apparurent au peuple, un livre à la main.

Le Sauveur ordonna à saint Front de soulever le corps avec soin, et ils le placèrent dans le mausolée, en présence de tous les assistants étonnés par cette brusque apparition. Puis le Sauveur sortit de l'église, accompagné de Front ; un clerc s'approcha et lui demanda qui il était et d'où il était venu. Pour toute réponse, le Christ lui passa le livre qu'il avait entre les mains ; il était écrit : « La mémoire de Marthe, l'hôtesse du Christ, sera éternelle. »

Cependant, à Périgueux, le peuple était arrivé dans l'église, et il se lassait d'attendre, quand le diacre vint éveiller l'évêque : « Ne vous troublez pas, dit le prélat en s'adressant aux fidèles, je viens d'être ravi en esprit et transporté à Tarascon, avec notre divin Maître pour y rendre les de-voirs de la sépulture à sainte Marthe, sa servante. »

Ce prodige, constaté à la même heure par les habitants de Périgueux et ceux de Tarascon, ame-na au tombeau de la Sainte un grand concours de pèlerins. Chaque jour, des sourds, des aveugles, des paralytiques, étaient guéris et rendaient témoignage à la puissance de son intercession. Le pre-mier roi chrétien des Francs, Clovis, affligé d'un mal très grave, fut guéri, vers l'an 500, en tou-chant Le tombeau de sainte Marthe, et, en reconnaissance, il céda à la basilique tous les bourgs, villages, bois et terres qui s'étendaient de l'un et l'autre côté du Rhône sur un espace de trois lieues.

Le culte. – Les reliques.

L'essentiel de tout cet ensemble de traditions, sur lequel nous ne prétendons pas nous pronon-cer, est ainsi résumé dans la leçon du Bréviaire :

… Il est rapporté qu'après l'Ascension de Notre-Seigneur, Marthe, saisie par Les Juifs avec son frère, sa sœur et de nombreux autres chrétiens, et placée dans un navire privé de voiles et de gouvernail, se diri -gea vers Massilia (Marseille). Devant ce miracle et sous l'effet de leur prédication, les Massilienses (habi-tants de Massilia) et les populations voisines furent gagnés à la foi. Quant à Marthe, après avoir conquis par la sainteté admirable de sa vie et par sa charité l'attachement et l'admiration de tous les Massilienses, elle se retira avec quelques pieuses femmes dans un lieu écarté loin des hommes. Elle y vécut longtemps avec une piété et une prudence admirables, et enfin, après avoir prédit sa mort longtemps d'avance, rendue illustre par ses miracles, elle émigra vers le Seigneur.

Le texte du Martyrologe, le même dans l'édition de Grégoire XIII et dans l'édition publiée par les soins de Benoît XV, dit simplement :

A Tarascon, dans la Gaule narbonnaise, sainte Marthe, vierge, hôtesse de notre Sauveur, sœur de la bienheureuse Marie-Madeleine et de saint Lazare.

En 1187, eurent lieu la découverte et la translation du corps de sainte Marthe. Son tombeau, qui se trouve dans l'église souterraine de Tarascon, objet d'un culte immémorial, a été longtemps le centre d'un magnifique pèlerinage. Avant d'être recouvert en 1653 par un grand cénotaphe de

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marbre blanc, il était flanqué des statues de Notre-Seigneur et de saint Front ensevelissant celle qui l'avait servi avec dévouement dans sa maison de Béthanie.

Plusieurs églises se glorifient de posséder des reliques de sainte Marthe. On dit notamment que son pied gauche serait en Belgique. Un bras serait conservé à Cabanès, au diocèse de Rodez ; la re-lique, authentiquée par Mgr Giraud qui fut évêque de ce diocèse de 1830 à 1842, était conservée avant la Révolution dans une châsse portant l'inscription : Dona Martha.

Jeté sur le parvis de l'église, ce bras fut recueilli et caché par une personne chrétienne. Une re-lique identique se trouve à Roujan, au diocèse de Montpellier ; jadis elle était conservée par les Chanoines réguliers de Saint-Ruf, de l'Ordre augustinien, au prieuré de Notre-Dame de Cassan. Il n'est pas possible, à moins d'un miracle, de savoir s'il s'agit bien, dans l'une et l'autre paroisse, de Marthe de Béthanie, la sainte hôtesse du Sauveur.

Tarascon honore sainte Marthe pour patronne et célèbre sa fête sous le rite double de première classe avec octave.

L'Eglise copte commémore sainte Marthe au 1er octobre, et célèbre au 1er janvier sa « dormi-tion » et celle de sa sœur.

A.D.

Sources consultées. – II. Lesêtre, Marthe, dans Dictionnaire de la Bible, de Vigouroux (Paris, 1908). – J.M. Olivier, O.P., Les amitiés de Jésus (Paris, 1903). – Abbé M.M. Sicard, Sainte Marie-Madeleine (Pa-ris). – H.D. Lacordaire, O.P., Sainte Marie-Madeleine (Paris, 1914). – (V.S.B.P., n° 8.)

SAINTS ABDON & SENNENMartyrs à Rome ( vers 250).

Fête le 30 juillet.

La tradition, s'appuyant sur les Actes de ces deux martyrs, actes qui ne sont pas authentiques, fait d'Abdon et de Sennen deux princes ou satrapes persans, par conséquent deux hommes illustres par leur naissance, et possédant, avec beaucoup de richesses, les premières dignités de l'Etat. Un historien moderne, Paul Allard admet cette version, et voit en eux des prisonniers ou des otages, retenus à la suite de l'expédition de l'empereur Gordien III contre le roi des Perses, Sapor. Au

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contraire, un autre historien, Albert Dufourq, suppose qu'ils étaient seulement des ouvriers, et il l'explique par le fait que leur tombeau se trouvait près du quartier où vivaient les ouvriers tra-vaillant aux entrepôts du Tibre. Quoi qu'il en soit, de l'avis de tous, la tradition constante et les noms mêmes des deux Saints attestent une origine orientale.

Pour raconter leur passion, nous citerons nécessairement les Actes de leur martyre, l'historien ne pouvant pas exactement, faute de documents précis, retenir ce qui est vérité certaine et rejeter ce qui est légende apocryphe. En tout cas, la mise à mort de ces deux témoins de Jésus-Christ, est, chose sûre, de même que, le lieu où ils furent inhumés, et la date de leur martyre est vraisembla-blement 250 ou 251, sous la persécution de l'empereur Dèce, et le 30 juillet.

Premier interrogatoire.

S'il faut en croire le récit ancien de leur passion, Abdon et Sennen, vaincus et faits prisonniers dans le soulèvement du roi Sapor, jouirent d'une certaine liberté, jusqu'au jour ou Dèce, général de l'empereur, les fit arrêter et comparaître devant lui pour avoir donné la sépulture à des chrétiens martyrs du Babylone et de Cordula.

- Et vous aussi, leur dit le général, vous êtes venus à ce point de folie ! Souvenez-vous que c'est pour n'avoir pas honoré les dieux que vous êtes devenus les captifs des Romains et les nôtres.

- Nous sommes plutôt vainqueurs, par la faveur de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui règne éternellement.

- Votre abaissement actuel ne vous dit-il pas assez que votre vie est toute entre mes mains ?

- Notre abaissement ! Nous ne sommes abaissés que devant Dieu le Père, et devant Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui a daigné venir sur terre et s'abaisser lui-même pour notre salut.

Tant de surnaturelle fierté – selon le récit que nous suivons – valut aux deux confesseurs d'être chargés de chaînes et jetés dans un cachot. Bientôt, cependant, les événements obligeaient Dèce de retourner à Rome. Il partit d'Orient, mais en traînant à sa suite, selon la coutume, des prisonniers, qu'il voulait donner en spectacle au peuple romain, et parmi eux figuraient Abdon et Sennen.

C'est ainsi que, quatre mois après, ces deux chrétiens faisaient leur entrée publique dans Rome ; mais, au lieu du martyre qu'ils espéraient, ils eurent la liberté. La grâce leur venait de Phi-lippe l'Arabe, empereur demi-chrétien, qui venait de succéder à Gordien III en 244.

Arrestation. – Menaces de supplices.

Il est certain que Dèce, successeur de Philippe, n'hérita pas de ce dernier sa bienveillance en-vers les disciples du Christ ; tout au contraire, conduit parfois par sa seule antipathie personnelle et politique contre son prédécesseur, il se fit une joie de persécuter ceux que Philippe avait protégés ou honorés de sa confiance. C'est à ces sentiments qu'une multitude de chrétiens durent d'être arrê-tés, et parmi eux les deux Orientaux. Abdon et Sennen furent revêtus, pour la circonstance, de leur riche costume persan, qui devait frapper l'imagination des Romains. Et s'il faut en croire le récit ancien, ordre fut donné au Sénat de se réunir en corps dans le temple de la terre, où l'empereur se rendit lui-même.

- Pères conscrits, dit l'empereur, que votre assemblée prête attention. Les dieux et les déesses ont livré entre nos mains ces farouches ennemis.

Au même moment, Abdon et Sennen étaient introduits, sous leur costume oriental. A leur vue, le Sénat tout entier fut saisi d'un mouvement d'admiration.

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Dèce seul demeura impassible, et manda Claude, pontife de Jupiter Capitolin. Claude arrive avec le trépied sacré. Alors l'empereur s'adressant aux confesseurs :

- Sacrifiez aux dieux, leur dit-il, et à l'instant même vous obtenez la paix avec l'Empire, vous êtes comblés de richesses et d'honneurs.

- Nous avons fait une fois pour toutes le sacrifice de nous-mêmes au Seigneur Jésus-Christ, tout indignes pécheurs que nous sommes ; il ne nous reste rien à offrir à vos dieux, répondirent les courageux confesseurs de la foi.

- Qu'on prépare pour ces misérables les plus horribles tortures ! répliqua Dèce, irrité par cette résistance. Qu'on tienne prêts contre eux les lions et les ours !

- Que tardez-vous ? dirent Abdon et Sennen. Faites à votre guise ; pour nous, nous sommes sûrs de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il est assez puissant pour renverser vos desseins et vous anéantir vous-même.

Le martyre.

Dans la matinée du lendemain, l'empereur descendait déjà le mont Palatin et se rendait à l'am-phithéâtre de Vespasien, quand on vint lui annoncer que les lions et les ours destinés à dévorer les deux martyrs étaient morts dans leurs loges. Dèce s'emporta en apprenant ce fâcheux contretemps, et renonça à paraître aux jeux.

- Amenez les prisonniers devant le dieu Soleil, dit-il à Valérien, préfet de la ville ; et, s'ils ne consentent pas à l'adorer, qu'ils périssent quand même par la dent des bêtes féroces.

Devant la statue du dieu, Valérien adressa aux confesseurs cette dernière sommation :- Ayez égard à la noblesse de votre race, et faites fumer l'encens devant le dieu Soleil, sinon

vous serez livrés aux bêtes féroces.- Nous adorons le Seigneur Jésus-Christ, et nous ne courbons pas nos fronts devant des idoles,

ouvrage de la main des hommes, répondirent-ils.Malgré cette déclaration nette et ferme, les soldats entraînent les deux chrétiens jusqu'au pied

de la statue et veulent les forcer à sacrifier. Mais eux crachent sur l'idole, et, se retournant vers Va-lérien :

- Faites au plus tôt ce que vous avez à faire.Furieux de l'outrage, Valérien ordonne de les flageller, puis, de les mener au spectacle. Avant

l'exécution, le héraut prit place sur la « Pierre scélérate », dressée tout auprès, et proclama, avec les noms des condamnés, leurs crimes prétendus et le chât- iment qui allait leur être infligé. On dé-pouilla ensuite plusieurs martyrs de leurs vêtements, et la flagellation commença.

Tandis que les chaînes de bronze et les balles de plomb qui en garnissaient les bouts s'abat-taient en tous sens sur le corps des suppliciés, le préfet se dirigeait vers la porte du Colisée. Il mon-ta sur le podium impérial, ou estrade, et vint occuper la place d'honneur à côté du siège de César ; car, César absent, c'était à lui de présider les jeux en sa qualité de premier magistrat de la justice et des plaisirs.

Abdon et Sennen furent conduits à leur tour vers l'amphithéâtre. A la vue de ces deux nou-velles victimes, une clameur confuse s'élève dans la vaste enceinte. Des trois étages superposés, qui regorgent, le héraut leur fait faire le tour de l’arène. Parvenus devant la loge du préfet, ils s'ar-rêtent, et leurs bouches s'ouvrent pour le saluer avant d'aller mourir.

- Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous entrons ici pour remporter la couronne ; qu'il t'empêche de nous la ravir, esprit immonde !

Après cela, ils gagnent l'endroit qui leur est indiqué, et, se rangeant côte à côte devant l'autel du Jupiter Latialis, ils attendent en priant.

- Qu'on lâche deux lions et quatre ours ! crie Valérien aux gardiens des bêtes.A ce signal, les herses de fer qui ferment les fosses souterraines sont relevées avec fracas, et

ces antres obscurs vomissent dans l'enceinte six animaux féroces, dont les yeux flamboyants ont

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bientôt aperçu la proie facile qui leur est préparée. Les lions s'élancent en rugissant, le cou tendu et la crinière hérissée ; les ours accourent en grognant ; les six monstres vont saisir les deux victimes et les déchirer de leurs griffes et de leurs dents, lorsque, comme par une sorte d'enchantement, leur furie tombe tout à coup ; la crinière des lions s'abat sur leur cou timidement penché à terre, le hur-lement des ours tourne en plainte lugubre ; et tous ensemble, s'approchant à pas lents, viennent tra-cer comme une couronne autour des martyrs et se couchent à leurs pieds.

Désappointée, la foule accueille par des cris irrités cette conversion subite des animaux fu-rieux.

- Voilà bien un prestige de leur magie ! s'écrie Valérien.Les gladiateurs armés de tridents, et les rétiaires de filets, reçoivent l'ordre de s'avancer dans

l'arène. Ils approchent des animaux ; mais ceux-ci, recouvrant contre ces importuns ennemis de leurs protégés tous leurs instincts féroces, se précipitent vers eux pour les dévorer. Sans reculer, les rétiaires, par un mouvement de main rapide et sûr, leur lancent à la tête leurs amples filets, et les bêtes fauves, aveuglées, embarrassées, ne font plus que rugir ou grogner et se consumer en vains efforts. Ainsi livrées sans merci à leurs assaillants, elles sont percées de coups de tridents et tombent expirantes au milieu des applaudissements de la foule. Alors on vit ce spectacle odieux des gladiateurs, maintenant libres de tout obstacle, et n'ayant plus à lutter contre des bêtes féroces, se porter avec leurs armes contre les deux serviteurs de Jésus-Christ qui furent massacrés sans pi-tié.

La cruauté sanguinaire des persécuteurs était satisfaite, mais non leur fanatisme. Sur un nouvel ordre de Valérien, les gladiateurs lient les pieds des deux Saints, traînent leurs corps à travers l'en-ceinte et vont les jeter par la porte des Cercueils hors de l'amphithéâtre, au pied de la statue du So-leil. Les dépouilles sacrées demeurèrent là, gisantes et abandonnées, durant trois jours. Dans la nuit du troisième jour, un sous-diacre, nommé Quirin, qui habitait près du Colisée, vint les re-cueillir et les emporta dans sa demeure.

Au cimetière de Pontier.

Un demi-siècle après, « Constantin étant déjà chrétien, racontent les Actes, les bienheureux Martyrs révélèrent eux-mêmes le lieu de leur déposition. Alors se fit la levée de leurs corps et leur translation au cimetière de Pontien ».

Dès le milieu du IVe siècle, un « Chronographe » ou, si l'on préfère, un Martyrologe de l'Eglise romaine, indique à la date du 30 juillet : « Abdon et Sennen, au cimetière de Pontien, qui est près de l'Ours-coiffé ».

La dénomination de « cimetière de Pontien » n'a aucun rapport avec le Pape de ce nom, ense-veli au cimetière de Calixte. Il s'agit ici d'un autre Pontien, riche chrétien du Transtévère, dont parlent les Actes de saint Calixte, et qui possédait ce cimetière, en bordure de la voie de Porto, sur les pentes actuelles du Monteverde. Quant à l’« Ours coiffé », c'était vraisemblablement une en-seigne très connue ; nous avons d'autres noms pittoresques de même genre, tels que les « Deux lauriers », ou « la Descente du concombre », pour indiquer certains cimetières de Rome. La men-tion du Martyrologe, que nous venons de citer, est le document vraiment historique le plus ancien que nous possédions sur les deux martyrs.

Dans une des chambres sépulcrales de la catacombe Pontienne, se voit encore aujourd'hui la vasque d'un antique baptistère, où ne cesse de jaillir une eau fraîche et limpide. Un tombeau qui servit d'autel forme la paroi du fond ; au-dessus du tombeau, une niche arquée est pratiquée dans la roche et présente sur sa façade intérieure la plus belle croix diamantée qu'on puisse admirer dans les catacombes. C'est à droite de la niche, ou arcosolium, qu'on disposa la tombe des Martyrs per-sans.

Le cubiculum, ou chambre sépulcrale des saints Abdon et Sennen, étant devenu, du IVe au

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VIIe siècle, un des buts de promenade préférés des chrétiens de Rome et d'au delà des monts, les ornements se succédèrent autour des précieux restes et jusque sur la pierre du tombeau. Un des plus remarquables fut la peinture, conservée jusqu'à nos jours, dont on décora au VIe ou VIIe siècle la face antérieure du sépulcre, gardien des vénérables reliques ; elle représente l'apothéose des illustres Martyrs. Vers le VIIe siècle, une basilique s'éleva même au-dessus de l'emplacement du cimetière ; mais les Lombards, au cours de leur longue lutte contre le Saint-Siège, ayant fait des faubourgs de Rome le principal théâtre de leurs ravages, cette basilique, comme tant d'autres, tom-ba dans un délabrement déplorable ; à tel point que le Pape Grégoire IV, en 826, résolut de trans-férer les corps des deux Martyrs persans dans l'église Saint-Marc, à l'intérieur de la ville. La crypte de Saint-Marc garda fidèlement son trésor jusqu'à la seconde moitié du Xe siècle.

Sainte-Marie d'Arles en Roussillon. – Série de miracles.

A cette époque, le monastère bénédictin de Sainte-Marie, au diocèse actuel de Perpignan, et toute la vallée d'Arles-sur-Tech, qui en dépendait, semblaient frappés par la justice de Dieu. C'étaient des orages affreux et continuels qui emportaient tous les ans les récoltes ; c'étaient des bêtes des forêts, loups, sangliers, ours, chats sauvages, qui, chassés de leurs repaires par la faim, se répandaient dans la campagne. Prières, jeûnes, processions, tout fut mis en œuvre pour obtenir de Dieu la cessation de ces fléaux ; mais Dieu se montrait sourd !

Arnolphe, abbé du monastère, résolut alors d'aller à Rome solliciter le don de saintes reliques, dans l'espoir que leur présence à Arles serait le salut du pays. Il partit donc, malgré son grand âge, et les événements prouvèrent que son dessein était inspiré d'en haut. Le Pape, ayant remarqué l'ab-bé de Sainte Marie dans une procession stationale, le fit appeler, l'interrogea, et touché par le récit que lui fit Arnolphe des épreuves de son monastère, lui concéda, dit une tradition, telles reliques qu'il désirerait, hormis celles des apôtres Pierre et Paul et des martyrs Etienne et Laurent.

Pendant son sommeil, Arnolphe eut un songe mystérieux, à la faveur duquel lui furent dési-gnées les reliques qu'il devait demander. Une crypte lui fut montrée, et dans cette crypte deux tom-beaux, d'où s'échappait une fontaine de sang. C'était la confession même de la basilique où avait eu lieu, la veille, la station, et cette basilique était celle de Saint-Marc. « Les reliques renfermées dans ces deux tombeaux, lui dit une voix, sont celles des bienheureux martyrs Abdon et Sennen. » Alors, se tournant vers la voix : « ô Seigneur, s'écria-t-il, qu'il vous soit agréable que je les emporte avec moi pour la délivrance de ma patrie ! » Ce vœu ardent fut exaucé. Le Pape, informé de la ré-vélation, fit solennellement procéder à la recherche des saints corps, et, quand il les eut découverts, il fit deux parts des sacrés ossements.

L'heureux Arnolphe en reçut environ la moitié. Trésor inestimable, mais que son prix même allait exposer à de graves dangers. Dans ces âges de foi, les saintes reliques inspiraient des convoi-tises désordonnées, si bien qu'Arnolphe avait tout lieu de craindre que les populations, sur son pas-sage, ne se fissent un devoir de l'en dépouiller respectueusement, pour l'amour de Dieu et de ses Saints. En homme avisé, il commanda, d'après la chronique, un barillon assez grand, divisé en trois compartiments. Dans la cavité du milieu, il déposa « les perles précieuses », c'est-à-dire les re-liques, et il remplit de vin les deux cavités extrêmes.

Il n'eut qu'à se féliciter d'avoir pris cette originale précaution. Au port de Gênes, le démon tra-hit la présence des Martyrs par la bouche d'une femme possédée ; le prudent abbé fit boire à la femme du vin du baril et elle fut délivrée. En mer, les démons déchaînèrent une furieuse tempête et, afin qu'aucun passager ne s'y méprit, ils faisaient entendre distinctement ces cris dans les airs : « Saints de Dieu, pourquoi nous affligez-vous ? » Au plus fort du péril, l'abbé tombe à genoux ; il invoque les Saints, l'équipage s'unit à lui par un vœu, et soudain deux jeunes gens d'une beauté sur-humaine apparaissent à l'avant et à l'arrière du vaisseau, relèvent l'antenne brisée, accommodent

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les voiles et calment les flots irrités.

Débarqué dans une anse du cap de Creus, Arnolphe charge le barillon sur ses épaules véné-rables et poursuit sa route par terre. Au pied des Pyrénées, nouveau miracle ; deux jeunes men-diants aveugles recouvrent la vue en buvant un peu de vin du mystérieux barillon. Pour effectuer le passage de la grande chaîne, Arnolphe, par un sentiment de dignité, dit la chronique, loue un mule-tier avec une monture, et décharge sur celle-ci son précieux fardeau. Dès qu'il se trouve sur le terri-toire dépendant de son abbaye, dans toutes les localités qu'il traverse, les cloches se mettent en branle d'elles-mêmes et sonnent sans aucun secours humain.

On entendait déjà le carillon joyeux de l'antique monastère, quand un nouveau prodige vint manifester la puissance des deux Martyrs persans. La monture, suivie, du muletier et de l'abbé, longeait un escarpement vertigineux, sur le flanc de la montagne. Surexcité par toutes ces sonne-ries étranges, poussé surtout par l'esprit malin, le muletier aiguillonne nerveusement sa bête, qui perd l'équilibre et s'en va rouler, à travers les broussailles et les saillies de rochers, au fond du pré-cipice, dans la rivière.

- Au nom de Dieu, murmurait en même temps le bonhomme, je verrai bien si je porte le diable ou ce que je porte.

Le mulet ne reçut aucun mal dans sa chute ; il se redressa tranquillement sur ses jambes, le ba-rillon intact sur le dos, et, remontant le lit de la rivière, il précéda son maître et Arnolphe à l'ab -baye.

La vallée d'Arles-sur-Tech était sauvée ; le ciel redevint serein, les bêtes sauvages firent en-tendre quelques hurlements horribles, qui furent comme leurs derniers adieux, et les mères n'eurent plus à craindre les monstrueux animaux ravisseurs d'enfants.

La « sainte tombe »

Dans un angle formé par la façade de l'église Notre-Dame d'Arles et le mur extérieur du cloître, à côté d'une petite chapelle, on remarque un sarcophage fermé de marbre blanc, que la science considère comme remontant au IVe et même au IIIe siècle. Ce tombeau est entièrement isolé du sol par deux dés de pierre, et n'est pas non plus en contact avec les murs avoisinants. La tradition locale veut qu'il ait reçu, dès leur arrivée, les reliques des saints Abdon et Sennen ; en tout cas, il a contenu au moins quelques parcelles de leurs ossements, et c'est à ces précieux restes que l'on doit attribuer le prodige dont la cavité de la tombe est le siège permanent. Une eau claire et limpide s'y renouvelle sans cesse, une eau dont on puise tous les jours, et qui ne s'épuise jamais. Plusieurs fois pourtant, dans le courant des siècles, l'eau est venue à manquer, en temps pluvieux comme en temps sec ; mais les prières publiques du peuple ont chaque fois eu la vertu de la rame-ner.

La Révolution profana la « sainte tombe » en 1794, renversa le couvercle et remplit la cavité intérieure d'immondices. Mais, seize mois après, la piété des fidèles mettait fin à la profanation. Le sarcophage fut lavé et étanché ; or, après chaque essuyage, l'eau renaissait sur toutes les parois et allait se réunir au fond. Le prodige, depuis n'a pas été, pour ainsi dire interrompu.

La science incrédule a soumis à plusieurs reprises la merveille de la « sainte tombe » à des examens minutieux, on attend encore son explication. Mieux avisée, la foi des fidèles y voit une manifestation de la puissance miséricordieuse de Dieu qui veut honorer ses Saints. Confiante dans le crédit des saints Abdon et Sennen, elle leur demande la guérison des maladies du corps et de l'âme, et cette foi n'est ni trompeuse ni trompée.

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A.L.

Sources consultées. – Les Bollandistes. – Tolra de Bordas, Histoire du martyre des saints Abdon et Sennen, de leurs reliques, de leurs miracles et de leur culte (Paris, 1880). – (V.S.B.P., n° 235.)

SAINT IGNACE DE LOYOLAFondateur de la Compagnie- de Jésus (1495-1556).

Fête le 31 juillet

Chaque fois que la chrétienté semble menacée, Dieu suscite une croisade dont le chef appa-raît tout de suite comme l'homme providentiel. Au XIe siècle, ce fut Pierre l'Ermite ; dans la pre-mière moitié du XVIe, ce fut Ignace de Loyola. A cette époque, où la confusion était dans tous les esprits, où la foi catholique était menacée par des princes voleurs, des moines apostats, par un cou-rant d'idées d'inspiration toute païenne, dit de la Renaissance, il fallait une croisade plus intellec-tuelle, unissant, la politesse humaine aux vertus des apôtres, la science à la foi, qui fût toujours prête à justifier cette foi parmi les ignorants et les savants, les fidèles et les hérétiques, les pauvres et les riches. Ce rôle d'adaptation surnaturelle fut celui de la « Compagnie de Jésus » et de son fon-dateur, Ignace de Loyola.

Enfance et jeunesse de saint Ignace.

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C'est au château de Loyola, dans la province de Guipuzcoa, en pays basque, tout voisin de la frontière française, qu'il naquit, en 1491, dans la nuit de Noël, ou plus vraisemblablement en 1495. Il reçut le baptême en l'église d'Azpeitia, sous le nom d'Ignace – en espagnol Inigo. Son père, Ber-trand de Loyola, eut de son mariage avec dona Maria Saenz treize enfants ; Ignace fut le dernier des fils. Pour situer d'une façon plus concrète la vie d'Ignace, disons qu'il naquit sous le règne de Ferdinand le Catholique, et qu'il mourut deux ans avant l’Empereur Charles-Quint.

Arrivé à l'âge d'homme, et capitaine à la solde de Ferdinand, dont il avait été page, il nous ap-paraît comme « un de ces fils de famille, si nombreux à ces époques de turbulence » épris de la vie des cours et aussi des batailles, galants par faux point d'honneur et grands fanfarons de parade. Certes, Ignace avait des principes de religion et d'honneur ; mais nous n'oserions affirmer qu'ils furent suffisants pour le garder de lamentables écarts. Les historiens, d'ailleurs, différent d'opinion sur la jeunesse du héros ; il est certain qu'elle fut très mondaine. Voies mystérieuses de la Provi-dence ! Ce fut peut-être en vue de son rôle à venir que Dieu permit ces faiblesses, et que le fonda -teur d'un Ordre dont le rôle serait de ranimer la confiance des pécheurs abattus eût connu lui-même certaines détresses morales.

Siège de Pampelune. – Conversion. – Départ pour Montserrat.

Or, voici qu'en l'an 1521, alors que, en qualité de commandant, il est chargé de défendre Pam-pelune contre les troupes de François 1er roi de France, un boulet lui casse la jambe. Transporté presque mourant au château de Loyola, il subit une série d'opérations et d'affreuses tortures qu'il endure sans un cri, afin de ne pas rester boiteux. De cette blessure, il lui resta toujours une légère claudication. Pour tromper l'ennui de sa lente convalescence, il se fit apporter des lectures et de-manda l'Amadis des Gaules, sorte de roman d'aventures amoureuses et belliqueuses qui faisait les délices de François 1er. Pourquoi la Providence voulut-elle que le livre fut alors égaré et remplacé par un recueil de Vies des Saints et par la Vie du Christ, de Ludolphe le Chartreux ? Contraint par l'immobilité à la réflexion, il dut donc, bon gré, mal gré, s'intéresser à tant d'histoires de pauvreté volontaire, d'humilité et de faiblesse plus forte que la force, de désintéressement. Il lui fallut se fa-miliariser avec l'idéale figure du Christ souffrant de nouveau sa Passion pour les crimes des pé-cheurs, et peu à peu il pénétra, presque à son insu, dans le monde surnaturel.

Il se disait en lui-même : «  Quoi ! si je faisais ce qu'ont fait saint François ou saint Domi-nique ? » Mais les pensées mondaines revenaient toujours, mêlées aux pensées nouvelles de reli-gion. Il se mit alors à observer comment les unes et les autres commençaient et finissaient. Il dé-couvrit que les mauvaises pensées en s'évanouissant lui laissaient le cœur vide, tandis que les autres remplissaient son âme.

Et ces observations ont été le point de départ de la fameuse théorie du « discernement des es-prits », qui remplira plus tard les Exercices spirituels.

Mais réflexions et lectures ne suffisaient pas à le contenter. Il fallait, pour cette âme ardente, passer aux actes. Une de ses premières pensées fut de se faire Chartreux, mais après qu'il serait allé à Jérusalem. Il nourrissait donc le dessein de quitter sa famille pour commencer sa vie de péni-tence. Il monta un jour à dos de mulet, après avoir parlé de visiter le duc de Nagera, vice-roi de Navarre, alors à Navarete ; en route, il s'arrêta au célèbre sanctuaire de Notre-Dame d'Aranzazu, puis en quittant Navarete, il se rendit à Notre-Dame de Montserrat, près de Barcelone. En chemin, il formula le vœu de chasteté perpétuelle et commença de prendre la discipline tous les soirs, ce qu'il pratiqua toujours fidèlement.

Arrivé au pied de la montagne de Montserrat, il acheta, en vue de son pèlerinage aux Lieux Saints, un équipement complet de pèlerin, habit de grosse toile, ceinture et sandales de corde, bourdon et calebasse.

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Il passa trois jours à Montserrat et les employa à lire à un religieux sa confession générale, après quoi il suspendit, devant l'autel miraculeux de la Vierge son épée et son poignard, dont en route le bouillant chevalier avait failli percer un Maure, coupable d'avoir mal parlé de Notre-Dame.

A Manrèze. – Les « Exercices spirituels ».

Avant de s'embarquer, car la peste était à Barcelone, il se rendit à Manrèze, où se trouvait un hôpital pour les pèlerins. Il y soigna les malades, vivant d'aumônes, s'imposant les pénitences les plus rudes, recherchant de préférence la compagnie de ceux qui l'accablaient de sarcasmes, à cause de sa tenue volontairement négligée ; car il s'étudiait, après avoir été d'une tenue raffinée dans son élégance, à se vaincre sur ce point en se donnant un aspect malpropre. Il eut donc à subir les pires avanies. Mais il dut surtout passer par les tentations les plus douloureuses. Ses scrupules enva-hirent son imagination surmenée ; il eut même la hantise du suicide, qu'il repoussait avec horreur à la pensée d'offenser Dieu. De cette épreuve où il faillit sombrer, il garda toute sa vie le don parti-culier de rassurer les âmes scrupuleuses.

C'est alors qu'il eut ses célèbres visions, non pas extérieures et objectives, mais, dit son secré-taire, « il comprit merveilleusement un grand nombre de chose touchant soit aux sciences natu-relles, soit aux mystères de la foi, et reçut alors plus de lumières que dans toutes ses autres visions et toutes les autres études de son existence réunies ».

Quelque temps après, il eut des ravissements ou extases. L'un d'eux dura sept jours et on le crut mort. Quand il revint à lui, il poussa seulement ce cri : « Ah ! Jésus ! » ; il ne voulut jamais ré-véler les grâces goûtées pendant ces jours inoubliables.

Cependant, le pèlerin de Montserrat, qui avait fait l'apprentissage de la sainteté par les voies douloureuses de l'épreuve intérieure, et aussi les imprudences d'une pénitence excessive, se tour-nait peu à peu vers la vie de l'âme, de la confiance et de l'amour. Il se dit alors qu'il pouvait bien faire profiter les autres de son expérience. Mais comment ? Sans être tout à fait ignorant, il n'était pas, certes, un intellectuel ; il ne négligea donc aucune occasion de s'instruire, apprenant la gram-maire, s'exerçant à parler, recherchant le monde pour se faire un auditoire, éloquent lorsqu'il parlait d'abondance, assez gauche s'il préparait. On le regarda bientôt avec d'autres yeux et la curiosité sympathique remplaça les traitements indignes. Il s'en aperçut et, pour éviter ce nouveau piège, il chercha une retraite où il fut plus caché qu'à l'hôpital. Il la trouva au fond d'une vallée voisine, dans une grotte broussailleuse ; la Santa Cueva de santo Ignacio, ainsi qu'on l'appelle, toujours vé-nérée à Manrèze, fut le témoin d'austérités épiques qui minèrent sa constitution pourtant très forte. C'est de là qu'est sortie l'ébauche d'un des plus purs chefs-d'œuvre de l'ascétisme : les célèbres Exercices spirituels, qu'Ignace composa en s'inspirant, comme point de départ, d'un ouvrage du Bénédictin Cisneros, mais adapté à son caractère particulier.

A vrai dire, il n'en jeta à Manrèze, durant les dix mois qu'il y resta, que les grandes lignes. Mais l'ébauche ne devait pas être moins pleine d'idées que l'œuvre définitive, qu'il retoucha ensuite durant vingt-cinq ans. Bien peu de personnes chrétiennes ignorent ce beau livre. Le titre en est tout militaire, et dans la pensée de l'ancien défenseur de Pampelune, c'est bien en effet une manière de plan de campagne à l'usage de l'homme qui, pour se vaincre et sortir de son péché, se fait la guerre, et avec la grâce de Dieu s'achemine de victoire en victoire, jusqu'à la perfection, « sous l'étendard du Christ ». Tout est réglé avec un soin savant dans ce plan de réforme intérieure.

Le point de départ est la distinction des deux esprits dont il a été question et qu'Ignace avait entrevue sur son lit de souffrances ; c'est la comparaison entre les deux états de consolation et de désolation qu'on peut ressentir successivement en soi-même. Personne n'est le maître de dominer le second de ces esprits ; mais chacun est libre de choisir le moment qui dans ces états lui paraît le mieux convenir à prendre une décision définitive, en vue « d'un choix de vie » ; et s'il est déjà en-

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gagé dans une vocation, il doit encore élire le mode d'usage le plus pur qu'il doit en faire. Après les principes, Ignace demande que l'on s'exerce par des moyens pratiques à les faire pénétrer dans sa vie ; prière, examens, confessions, communions, méditation approfondie de la vie de Notre-Sei-gneur. On sait le parti qu'il conseille de tirer des secours de l'imagination visuelle et auditive, qui reconstitue mentalement dans les Préludes le lieu de la scène sacrée dont on médite le mystère.

A qui étaient destinés les Exercices ? A l'auteur d'abord, puis à ceux que, dans sa pensée, il voulait voir devenir ses compagnons d'apostolat, aux personnes du monde enfin, d'un milieu social éclairé, « au bon chrétien moyen », comme on dirait aujourd'hui, qui veut devenir plus pieux. Là est l'originalité et la force de ce livre loué par Paul III le 24 juin 1543. Depuis longtemps il a fait ses preuves ; il continue et il ne cessera pas de faciliter, et dans tous les milieux, par les retraites fermées, l'ascension des âmes vers Dieu.

Pèlerinage à Jérusalem. – Retour en Espagne. – A Paris.

Estimant que sa santé le lui permettait désormais, Ignare quitta Manrèze pour prendre le che-min de Jérusalem, et s'embarquant à Barcelone, il aborda à Gaëte. De là, en mendiant, il continua son chemin vers Rome, où il arriva le dimanche des Rameaux 1523. Quinze jours après, il partie pour Venise ; là, recommandé par un riche compatriote, il obtint du doge une place à bord d'un ba-teau qui devait le conduire à Chypre. Bien que très malade il s'embarqua et partit le 14 juillet. Comme il voulait réprimer le libertinage des matelots, peu s'en fallut que ces endurcis ne l'aban-donnassent sur une île déserte. Mais Dieu veillait. Parvenu à Chypre, Ignace y prit le vaisseau ordi-naire des pèlerins et arriva après quarante-huit jours de navigation à Jaffa, d'où il se rendit en cinq jours à Jérusalem : il y entra le 4 septembre.

Il pleura de joie à la vue des Lieux Saints et en visita toutes les stations plusieurs fois. Il eût voulu se fixer en Orient pour y travailler la conversion des infidèles ; mais le Provincial des Frères Mineurs, qui avait pouvoir apostolique pour renvoyer les pèlerins en Europe sous peine d'excom-munication, lui ordonna au nom de l'obéissance de s'en retourner.

«  Le pèlerin » comme il s'appelle lui-même dans des souvenirs recueillis par son secrétaire, rentra à Barcelone d'où il était parti, en repassant par Chypre, Venise où il arriva au milieu de jan-vier 1524, et Gênes, où il reprit la mer.

Grâce à la générosité d'une bienfaitrice, isabelle Roser, qui devait encore favoriser plus tard son œuvre religieuse, il étudia deux ans les humanités, sous la direction d'un saint maître, Jérôme Ardebalo, tout en continuant ses austérités et travaillant au salut des âmes. Il partit de là pour l'Uni-versité d'Alcala, où il retrouva trois compagnons auxquels se joignit un jeune Français. Comme partout, il y vécut d'aumônes. Son zèle à travailler à la conversion des pécheurs et à répandre la pratique des Exercices spirituels lui attira des ennemis, et par leurs machinations il se vit en prison, accusé d'hérésie. Renvoyé absous au bout de quarante-deux jours, il se transporta à Salamanque pour y continuer ses études avec l'appui matériel de l'archevêque de Tolède.

Ignace et ses trois compagnons n'y furent pas plus heureux, puisque de nouveau ils connurent la prison ; l'insuffisance de liberté pour travailler au salut des âmes donna au chef du groupe l'ins-piration de venir à Paris, où étudiaient un grand nombre d'étrangers. Il y arriva seul, le 2 février 1528, et suivit les cours du collège de Montaigu, puis les leçons de philosophie au collège de Sainte-Barbe et devint maître ès arts le 14 mars 1535.

Cependant, le temps approchait où Dieu allait donner à l'Eglise, par son entremise, la Compa-gnie de Jésus. Il inspira donc premièrement à six excellents jeunes hommes de se joindre à Ignace pour travailler sans relâche au salut du prochain. C'étaient Pierre La Fèvre ou Favre, prêtre, origi-naire de la Savoie ; François Xavier, qu'il avait conquis par son indulgente bonté ; Jacques Laynez, Alphonse Salmeron, Nicolas Simon, dit Bobadilla, et Simon Rodriguez, qui tous sont devenus éclatants par leur doctrine et leur sainteté. Pourtant, ni eux ni Ignace n'eurent avant l'année 1538,

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l'idée de fonder la Société religieuse aujourd'hui célèbre dans le monde entier. Le jour de l'As-somption de l'année 1534, ils firent vœu, de concert, en la chapelle du martyr saint Denis, au mo-nastère des Bénédictines de Montmartre, de se rendre à Jérusalem, de se consacrer à la conversion des infidèles du Levant, et si le voyage leur était impossible, d'aller se jeter aux pieds du Pape, afin que celui-ci disposât entièrement d'eux pour les œuvres de l'Eglise. Ce vœu fut renouvelé au même lieu et à la même date en 1535 et 1536.

Saint Ignace en Italie. – Fondation de la Compagnie de Jésus.

Auparavant Ignace dut se rendre en Espagne pour y régler les affaires d'intérêt de ses disciples. Puis il leur donna rendez-vous à Venise, où il les attendit pendant plusieurs mois. Entre temps, trois nouveaux adeptes s'étaient joints aux anciens :

Jean Codure, d'Embrun ; Paschase Broët, d'Amiens, prêtre, et Claude Le Jay, savoyard. Tous arrivèrent à Venise le 6 janvier 1537.

C'est là que ceux qui n'étaient pas encore ordonnés reçurent la prêtrise, le jour de la Saint-Jean de la même année, des mains du nonce, Mgr Varallo, plus tard cardinal. Ignace avait mis un an à s'y préparer et il avait passé quarante jours dans une vieille masure, ouverte à tous les vents, jeû-nant et priant sans cesse. Encore n'osa-t-il dire sa messe tout de suite, et il avait décidé d'attendre une année entière ; finalement, il abrégea ce délai et choisit la fête de Noël. Cependant la guerre qui survint entre les Vénitiens et les Turcs avait rendu impossible le pèlerinage à Jérusalem. Ignace demeura encore un an à Venise, envoya plusieurs de ses compagnons dans les Universités d'Italie pour y inspirer la piété aux étudiants, en désigna d'autres pour l'accompagner à Rome, où il voulait se rendre afin d'y pressentir le Souverain Pontife et de lui exposer les intentions de la Société nais-sante.

Le Pape Paul III lui fit un excellent accueil. Il était à juste titre préoccupé de la réforme des mesures ecclésiastiques et religieuses, qui devait faire l'objet principal des travaux du Concile de Trente. Il témoigna une grande bienveillance à ce groupe de prêtres zélés, vertueux, réalisant pour leur part l'idéal que se proposaient déjà les Théatins, approuvés en 1524, et les Somasques établis en 1528. Ce que se proposaient alors Ignace et ses compagnons, c'était l'apostolat sous toutes ses formes, l'enseignement, les missions du dedans et du dehors. En 1539, d'un commun accord, le groupe décida de former un Institut nouveau, et ce projet fut approuvé verbalement par le Pape le 23 septembre 1539.

Le 27 septembre 1540, par la Constitution Regimini militantis Ecclesiae, Paul III autorisa Ignace et ses compagnons à former une Société, dite « Compagnie de Jésus », et à y admettre qui-conque serait disposé à faire le vœu de chasteté perpétuelle et à travailler à l'avancement des âmes dans la vie chrétienne par la prédication, les exercices spirituels, l'audition des confessions et les œuvres de charité. Cette nouvelle institution luttera efficacement contre le protestantisme en même temps qu'elle sera une aide précieuse pour mettre à effet les décisions du Concile de Trente, auquel deux de ses membres participeront en qualité de théologiens du Souverain Pontife.

Extension de la Compagnie. – Mort de saint Ignace.

Déjà les fils de la Compagnie de Jésus se répandent dans le monde ; avant même la publication de la bulle, saint François Xavier a couru évangéliser les Indes ; deux Jésuites et un novice pé-nètrent en Irlande au péril de leur vie. Quant à Ignace, il se donnait à de nouveaux travaux. Il ac-complissait la réconciliation des grands ennemis politiques, il fondait des maisons de refuge pour

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les juifs et les pécheresses converties ; il établissait des maisons d'éducation.Le 22 avril 1541, à Saint-Paul hors les murs, Ignace, élu supérieur du nouvel Institut, recevait

les vœux de ses premiers disciples et y joignait les siens au moment de la Communion. Les faveurs pontificales ne devaient pas faire défaut sous le pontificat de Paul III ; qu'on en

juge : en 1543, Ignace obtient une Bulle supprimant la limitation du nombre des profès ; en 1545 une autre Bulle permet à la Compagnie de prêcher et d'administrer les sacrements ; en 1546 vient le droit d'avoir des coadjuteurs temporels et spirituels ; en 1548, à la demande du duc de Gandie, le futur P. François de Borgia, les Exercices sont examinés et approuvés.

Le Pape Jules III confirma en 1550 les décisions de son prédécesseur ; par contre, Paul IV, moins favorablement disposé, songea à modifier la règle sur deux points importants : la nomina-tion d'un Supérieur général à temps et non à vie, et l'obligation de l'office au chœur. Finalement, il déclara s'en remettre à la Société elle-même.

Cependant, par suite de la fatigue ou par humilité, Ignace, en 1547, voulut abdiquer le généra-lat et se faire remplacer par le P. Laynez ; de nouveau, en 1550, après la Bulle de Jules III, il écri -vit une lettre dans laquelle il déclarait déposer le généralat. Cette demande fut repoussée. Le fon-dateur employa les dernières années de sa vie à travailler aux Constitutions de l'Ordre, rédaction définitive, commentaire, application. Au début de l'été de 1556, étant tombé gravement malade, il dut laisser le gouvernement à trois Pères. Enfin, le 31 juillet, après avoir demandé la bénédiction du Pape, il expira doucement. Il avait alors soixante et un ans. Il en avait passé trente dans le monde, dix-neuf dans ses pèlerinages et seize depuis qu'avaient été jetés les fondements de la So-ciété.

Son Ordre avait à ce moment douze provinces et au moins cent collèges, et par lui les glo-rieuses conquêtes de la foi se poursuivaient dans le monde entier.

Le corps d'Ignace fut d'abord enterré dans l'église de la maison professe de Rome en 1587, puis transféré dans l'église du Gesù.

Il faudrait des volumes pour raconter les miracles obtenus par l'intercession du Serviteur de Dieu. Le 12 mai 1622, il fut canonisé pair Grégoire XV. Sa fête, du rite semi-double, sous Inno-cent X, fut élevée au rite double par Clément IX, le 11 octobre 1667. L'histoire de la Compagnie de Jésus est désormais inséparable de l'histoire de l'Eglise. Supprimés par le Pape Clément XIV sous la pression des cours européennes le 21 juillet 1773, les Jésuites furent rétablis par Pie VII le 7 mars 1801, en Russie, où ils étaient restés unis, puis le 30 juillet 1804 dans le royaume de Naples, et enfin le 7 août 1814 dans le monde entier. En 1928, l'Ordre comptait plus de 20 000 re-ligieux, dont environ 2 400 dans les missions.

A. Poirson.

Sources consultées. – Henri Joly, Saint Ignace de Loyola (Collection Les Saints, Paris, 1905). –

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Mourret, Histoire générale de l’Eglise : tome V, « La Renaissance et la Réforme ». – Eugène Thibaut, S.J., Le récit du pèlerin (Louvain, 1922). – (V.S.B.P.n n° 179.)

SOMMAIRE________

JUILLET________

1. Saint Domitien, fondateur de l'abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey (t 440), R.B.L. 2. Saint Othon, évêque de Bamberg et apôtre de la Poméranie (1062-1139), A.R.B3. Saint Anatole, évêque de Constantinople (400?-458), F.P.4. Saint Ulric, évêque d'Augsbourg (890-973), Georges Demiautte.5. Saint Antoine-Marie Zaccaria, fondateur des Barnabites et des Angéliques de Saint-Paul (1502-1539), Gausbert Broha.6. Saint Goar, prêtre et ermite près de Trêves (t 575?), A.Z.7. Saints Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves (827-869 et 820?-885), A.D.8. Sainte Élisabeth, reine de Portugal (1271-1336), C. De Loppinot.9. Sainte Véronique Giuliani, abbesse Capucine (1660-1727), Maxime Viallet. 10. Saint Janvier et ses six frères, fils de sainte Félicité, martyrs (t 162), A.L.11. Saint Pie 1er, Pape et martyr (t vers 154), F.C.12. Saint Jean Gualbert, fondateur des Bénédictins de Vallombreuse (995?- 1073), Th. Vettard.13. Saints Eugène, évêque de Carthage, Salutaire et Muritte, et leurs 500 compagnons (..… vers 505), Louis Petit. 14. Saint Bonaventure, Frère Mineur, cardinal et évêque, Docteur de l'Eglise (1221-1274), A.R.15. Saint Henri, roi et empereur (973-1024), H.L.16. Sainte Reynelde, vierge, et ses compagnons, martyrs en Brabant (t 680), L.P.17. Saint Alexis, confesseur (t vers 412), E.P.18. Saint Frédéric, évêque d'Utrecht et martyr (790?-838), Fr. Follin. 19. Saint Vincent de Paul, apôtre de la charité (1581-1660), A.P.C.20. Saint Jérôme Emiliani, fondateur des Clercs Réguliers Somasques (1481-1537), A.P. Montfort.21, Sainte Praxède, vierge de Rome (t vers 164), Octave Caron.22. Sainte Marie-Madeleine, pénitente (1er s.), A.F.B.23. Saint Apollinaire de Ravenne, évêque et martyr (t 87), A.B. Catoire.24. Sainte Christine, vierge et martyre, en Italie (t vers 300), F.P.25. Saint Jacques le Majeur, apôtre, patron de l'Espagne (1er s.), E.Lacoste.26. Sainte Anne, mère de la Très Sainte Vierge, A.E.A.27. Saint Pantaléon, médecin et martyr à Nicomédie (t 303), Maxime Viallet.28. Saint Samson, premier évêque de Dol (480?-565?), A.C.29. Sainte Marthe, vierge, sœur de Marie de Béthanie et de Lazare (1er s.), A.D.30. Saints Abdon et Sennen, martyrs à Rome (t vers 250), A.L.31. Saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus (1495-1556),

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A. Poirson.

(Illustrations de J.M. Breton.)

TABLE DES MATIÈRES___________

Les pages en chiffres gras indiquent les biographies complètes ; les pages suivies d’un astérisque (*) les citations des écrits ; les autres pages de simples notes.

SAINTS Louis IX, 107.Abdon et Sennen, 233. Martial, 76.Alexandre, 75. Méthode (avec Cyrille), 49.Alexis, 129. Muritte, 97.Ambroise, 128*. Nicolas 1er, 51. Anatole de Constantinople, 17. Othon de Bamberg, 9.Anatole de Laodicée, 24. Pantaléon, 209. Antoine-Marie Zaccaria, 33. Pasteur, 163.Apollinaire de Ravenne, 177. Paul, 161.Augustin, 128*, 136*. Philippe, 75.Bernard, 24*, 80*, 88*, 136*, 168*. Pie 1er, 81. Basile, 120*. Pierre, 162, 178.Bonaventure, 105. Pierre Chrysologue, 177.Clément, 50. Pudens, 161.Cyprien, 88*. Rambert, 8.Cyrille d'Alexandrie, 17. Salutaire, 97.Cyrille et Méthode, 49. Samson de Dol, 217.Daniel Stylite, 23. Sennen (et Abdon), 233.Domitien, 1. Silvain, 75.Dubrice, 218. Thomas d’Aquin, 107.Eucher, 3. Ulric d’Augsbourg, 25.Eugène de Carthage, 97. Vincent de Paul, 145, 216*.Félix, 74. Vital, 75.Flavien, 18.

François de Sales, 128*, 176*, 200*. SAINTESFrédéric d'Utrecht, 137. Front, 231. Adélaïde, 31.Fulgence, 80*. Amalberge, 121.Goar, 41. Angèle Mérici, 24*, 136*.Henri, empereur, 113. Anne, 201.Hilaire d'Arles, 2. Christine d’Italie, 185.Ignace de Loyola, 241. Cunégonde, 120.lltud, 218. Elisabeth de Portugal, 57.lsidore de Séville, 184*. Félicité, de Rome, 73.Jacques le Majeur, 193. Gudule, 123.Janvier et ses frères, 73. Marie-Madeleine, 169, 225.Jean Gualbert, 89. Marthe, 225, 169.Jean l'Évangéliste, 193. Praxède, 161, 85.Jérôme Emiliani, 153. Pudentienne, 165.Joachim, 202. Reynelde, 121.Justin, 86. Véronique Giuliani, 65.

Lazare, 171, 226. BIENHEUREUXLéon 1er, 19. Witger, 121.

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