04 Cosmos 2014

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04 Mars 2014 Ecole de journalisme de l’Institut Français de Presse Paris II A la recherche des aliens Les lutteurs adulés de Dakar Tous les visages de Leconte Portraits de « sans-voix » GAME OVERDOSE /H MHX YLGHR HVW XQ SLOLHU GH OD FXOWXUH VXGFRUpHQQH PDLV O·HQJRXHPHQW YLUH j O·DGGLFWLRQ SRXU XQH SDUW FURLVVDQWH GHV MRXHXUV

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Cosmos 04 le magazine des étudiants M2 promo 2014, spécialité presse écrite de l'école de journalisme de l'Institut Français de Presse Paris 2

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04

Mar

s 20

14 Ecole de journalisme

de l’Institut Français de

Presse Paris II

A la recherche des aliens

Les lutteurs adulés de Dakar

Tous les visages de Leconte

Portraits de « sans-voix »

GAME OVERDOSE/H�MHX�YLGHR�HVW�XQ�SLOLHU�GH�OD�FXOWXUH�VXG�FRUpHQQH��PDLV�O·HQJRXHPHQW�YLUH�j�O·DGGLFWLRQ�SRXU�XQH�SDUW�FURLVVDQWH�GHV�MRXHXUV

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COSMOS #04Ecole de journalisme

de l’Institut Français de Presse

Paris II

Mars 2014

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COSMOS #04Sommaire

Réalisé par les étudiants de Master 2 sous la direction de Fabien Rocha(FROH�GH�-RXUQDOLVPH�GH�O·,QVWLWXW�)UDQoDLV�GH�3UHVVH���3DULV�,,���0DUV�����

INTERNATIONAL

���'RVVLHU���/D�&RUpH�GX�6XG�HQ�JDPH�RYHUGRVH� � � � ����/D�OXWWH�VpQpJDODLVH��XQH�SDVVLRQ�SRSXODLUH

SOCIETE

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CULTURE

���-HII�3DFKRXG�DQWL�KpURV�GH�OD�SKRWR���3DWULFH�/HFRQWH��O·LQFODVVDEOH

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InternationalA Séoul, on passe son temps libre devant les écrans, à Dakar, on s’en!amme dans l’arène. Le jeu vidéo est à la Corée du Sud ce que la lutte est au Sénégal,une passion nationale.

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Un groupe d’amis sa-lue un jeune garçon à lunettes déjà installé face à son écran. Ils enlèvent leurs man-teaux, s’assoient

à côté de lui sur de confortables fauteuils en cuir noir et allument l’ordinateur. Quand les jeunes Fran-çais prennent des cafés pour tuer le temps, les adolescents sud-coréens, eux, se rendent dans un PC bang (prononcez « pissi bang »), c’est-à-dire un cybercafé local. Un phéno-mène devenu tellement populaire que les jeux en ligne représentent aujourd’hui « le » loisir premier des jeunes. Considérés comme le « troi-sième lieu de vie », après le travail HW�OD�PDLVRQ��OHV�3&�EDQJV�RQW�ÁHXUL�à une vitesse record en quelques an-nées : d’une petite centaine en 1997, ils ne représentaient pas moins de 26 000 établissements en 2010 dans tout le pays. Impossible de les rater, on en trouve à chaque coin de rue. 3RXU�FHOD��LO�VXIÀW�GH�OHYHU�OHV�\HX[��8Q�EkWLPHQW�VXU�FLQT�DIÀFKH�OD�SDQ-

carte « PC bang » - « PC » pour RUGLQDWHXU� HW� ©� EDQJ� ª� TXL� VLJQLÀH�« pièce » en coréen.

1 heure de jeu à 0,40¤Ouverts 7j/7 et 24h/24, en sous-

sol ou à l’étage, ces cybercafés sont conçus comme des casinos. Bois-sons, nourritures et même espace pour fumer : les joueurs sont choyés et peuvent ainsi facilement rester SOXVLHXUV� KHXUHV� G·DIÀOpH�� YLVVpV�sur leur fauteuil. Sans horloge ni fenêtre, sous la lumière des néons colorés, le joueur perd toute notion du temps. Sur des ordinateurs der-nier cri, les consommateurs ont accès à un panel de jeux en ligne : Starcraft, Warcraft, Fifa, Diablo et surtout League of Legends, qui fait fureur ces derniers temps.

L’une des raisons de cet engoue-PHQW�HVW�DXVVL�G·RUGUH�ÀQDQFLHU��8QH�heure de jeu coûte environ 500 wons (soit 40 centimes d’euros), ce qui revient beaucoup moins cher que d’acheter un jeu vidéo en boutique, sans compter la consommation

d’électricité chez soi. En comparai-son, le prix d’un ticket de cinéma est d’environ 8 000 wons (soit 5,50 euros). Le cybercafé reste donc l’ac-tivité la moins onéreuse.

Pour comprendre le succès re-tentissant de cette pratique, il faut remonter en 1997, date à laquelle la Corée du Sud a été touchée de plein fouet par la crise économique asia-tique. Pour y faire face, le « Pays du Matin calme » a décidé de tout miser sur les nouvelles technologies comme moteurs de croissance. Ra-pidement, la Corée a su devenir le « pays le plus connecté au monde », doté de l’une des connexions Inter-net les plus rapides. C’est dans ce contexte économique que s’est dé-veloppé le « phénomène PC bang ».

8Q�PR\HQ�G·LQWpJUDWLRQEn effet, lorsque Starcraft - l’un

des jeux les plus populaires - est sorti en 1998, la plupart des foyers n’avait pas encore accès à des ordi-nateurs assez performants. Les PC bangs se sont naturellement impo-

sés comme une alternative idéale. Cette habitude a perduré avec la généralisation du haut-débit. Car entre temps, jouer en ligne est deve-nu une activité sociale, comme une sortie au cinéma ou dans un bar : on y rejoint ses amis et on y emmène sa petite copine. Le jeu est même un moyen d’intégration comme l’ex-plique Pak Hanseok, 22 ans, rencon-tré dans un PC bang, « Comme on joue à des jeux collectifs, on peut se rapprocher de ses amis et entretenir des relations plus privilégiées. Si on ne joue pas, on a moins de sujets de conversation avec le groupe. »

Si au niveau mondial, le jeu vidéo sur console représente encore plus de 50% du chiffre d’affaires de l’industrie du jeu, la Corée du Sud IDLW� ÀJXUH� G·H[FHSWLRQ�� 7DQGLV� TXH�les « gamers » des pays occidentaux ainsi que leurs voisins chinois et ja-ponais ont l’habitude de jouer chez eux, en solitaire, les Sud-Coréens « jouent collectif ». Ainsi, les maga-sins de jeux vidéo sont pratiquement inexistants dans le pays.

Bienvenue au pays

du«gaming»En une vingtaine d’années, la Corée du Sud est devenue le pays le plus connecté

au monde. Les jeux en ligne, véritables institutions, rythment désormais le quotidien

des joueurs, enfants comme adultes.

$ORUV�TX·LO�HVW�PDO�YX�GH�IXPHU�HQ�SXEOLF��OH�3&�EDQJ��HVSDFH�GH�OLEHUWp��HVW�OH�VHXO�HQGURLW�R��OHV�&RUpHQV�VH�SHUPHWWHQW�XQH�©�H[FHSWLRQ�ª�j�OD�UqJOH���3KRWR���$��+DPPDGL�

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Lors des compétitions mon-diales, les gamers coréens sont considérés comme les meilleurs, surtout en équipe.

Le gouvernement soigne particu-lièrement le secteur, véritable pou-mon de l’économie sud-coréenne. Il s’implique dans le développement de l’industrie, entre investissements et création d’agences gouvernemen-tales chargées de soutenir et pro-mouvoir le secteur à l’international.

À tel point que la Corée du Sud est devenue en quelques années la « Mecque » du jeu en ligne. Coupes du monde, chaînes de télévisions

dédiées uniquement aux jeux, ligues de joueurs professionnels… Plus qu’un loisir, c’est un sport pour cer-tains, une profession pour d’autres.

/H�ERRP�GX�VPDUWSKRQHMais aujourd’hui, alors que la

majeure partie des revenus des édi-teurs de jeux provient des PC bangs, une tendance nouvelle pourrait bou-leverser le marché du « gaming ». Les revenus liés à la vente de jeux sur téléphone mobile ont augmenté de 33,8% en 2011, un bond spec-taculaire. Pour le moment, ils ne représentent que 4,8 % de parts de

marché, mais l’enthousiasme pour cette nouvelle façon de jouer a de grandes chances de faire grimper ce chiffre.

Certaines sociétés surfent déjà VXU�OH�ÀORQ��&·HVW�OH�FDV�GH�)D]H&DW��une compagnie de jeu vidéo connue pour la création de « Paladog », un jeu vidéo à succès développé uni-quement sur smartphones. Kakao Games, une plateforme de jeux sur l’application de messagerie Kakao 7DON��D�HQUHJLVWUp�XQ�UHYHQX�G·HQYL-ron 37 millions d’euros depuis son lancement en juin 2012.

Le taux de pénétration toujours

plus grand des smartphones et le développement des jeux vidéo sur PRELOHV�PRGLÀHURQW�VDQV�GRXWH�SUR-fondément les pratiques des Sud-coréens. D’habitude si collectifs, ils pourraient s’enfermer, comme la majorité des joueurs dans le monde, dans une pratique solitaire.

'H�QRWUH�HQYR\pH�VSpFLDOH�$QLVVD�+DPPDGL

%RLVVRQV��QRXUULWXUH��FLJDUHWWHV����,O�HVW�IDFLOH�GH�UHVWHU�SOXVLHXUV�KHXUHV�GDQV�XQ�3&�EDQJ�VDQV�GHYRLU�HQ�VRUWLU���3KRWR���$��+DPPDGL�

Une industrie

planétaire

Q Le jeu vidéo est la

SUHPLqUH�LQGXVWULH�FXOWXUHOOH�GDQV�OH�PRQGH�par son chiffre

d’affaires, avec 56 milliards

d’euros en 2013. Il devrait

s’élever à 75 milliards en 2015.

Q La Corée du Sud

occupe ����GH�SDUWV�GH�PDU-FKp, soit 6,6 milliards d’euros

pour un pays nettement moins

peuplé (50 millions d’habitants)

que les états-Unis (314 millions

d’habitants), qui en repré-

sentent quant à eux 19%. Q Le pays talonne la

Chine (7 milliards d’euros) tan-

dis que le Japon ne représente

que 3,3 milliards d’euros. Q En Corée du Sud,

lD�YHQWH�GH�MHX[�YLGpR�HQ�OLJQH�V·pOqYH�j�����PLOOLDUGV�G·HXURV�HQ�����.

Q �/H�MHX�YLGpR�HQ�OLJQH�GRPLQH�OH�PDUFKp�VXG�FRUpHQ (parts de marché dans

la vente de licences de jeux) :

> Jeux en ligne : 70,8%

> PC-bangs : 19,5%

> Jeux sur mobiles : 4,8%

(avec une croissance de

33,8% en 2011)

> Jeux vidéo sur console : 3%

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Des lois contre

l’addiction

©�2Q�P·DVVLPLOH j�XQ�YHQGHXU�GH�GURJXH�ª

�3KRWR���$��+DPPDGL�

Loisir, sport, profession, le jeu vidéo peut aussi, pour certains, être une drogue. Perte de notion du temps, absentéisme, rupture de liens sociaux ou encore manque d’ali-mentation en sont les sympômes. Les faits divers se multiplient, à l’instar des centres spécialisés (voir le dossier suivant). Beaucoup de-viennent accros aux jeux et passent des journées entières devant leur écran. Face à l’ampleur de ce phéno-mène inquiétant, les autorités sud-coréennes, dans la position délicate d’arroseur arrosé, ont dû réagir. Dé-sormais, le plus grand promoteur de l’industrie des jeux, l’État, est aussi le plus grand obstacle du secteur. Depuis trois ans, le gouvernement a durci sa position à travers une série de législations, prenant le risque de se mettre à dos les entreprises de jeux vidéo.

4XHOOHV�FRQVpTXHQFHV�SRXU�O·LQGXVWULH�GX�MHX�"

En 2011, les députés ont ap-prouvé la loi « Shutdown » (« mise à l’arrêt »). Surnommée « loi Cen-drillon », cette législation empêche les adolescents de moins de 16 ans

de jouer en ligne entre minuit et 6 heures du matin, en les contrai-gnant à s’enregistrer avec leur carte d’identité. Le système peut aisément être enfreint en empruntant la carte d’identité d’un majeur.

Depuis le 1er juillet 2012, une « mise à l’arrêt sélective » permet aux parents ou aux mineurs qui en font la demande pour eux-mêmes de restreindre la fréquence de jeu. Par exemple, uniquement trois jours par semaine ou deux heures par jour.

Si ces mesures sont, dans l’en-semble, saluées par l’opinion pu-blique, le récent projet de loi l’est beaucoup moins. En mai 2013, le gouvernement a proposé d’élever les jeux vidéo au rang d’addictif, au même titre que l’alcool, la drogue et les jeux d’argent. Cela impliquerait un contrôle plus important du temps de jeu et une législation renforcée autour de la consommation de jeux vidéo.

Ce projet de loi n’est pas encore effectif, mais il suscite déjà la colère des entreprises coréennes, qui dé-noncent une perte de compétitivité.

$�+�

Que pensez-vous des législations en cours ou à venir du gouverne-ment ?Je suis contre la loi Shutdown (« mise à l’arrêt »). Cela réduit le pouvoir de l’industrie du jeu vidéo HW� FHOD� D� XQH� PDXYDLVH� LQÁXHQFH�sur les ventes. Mais la législation la plus choquante est la plus récente. 2Q� VRXKDLWH� GpÀQLU� OHV� MHX[� YLGpR�comme une addiction parmi trois autres éléments addictifs, à savoir les boissons alcoolisées ou les stu-SpÀDQWV��0DLQWHQDQW��RQ�YHXW�\�IDLUH�entrer les jeux vidéo. Cette loi a sus-cité l’incompréhension et la colère des créateurs comme moi. J’ai deux enfants, et avec cette loi c’est comme si je passais auprès d’eux pour quelqu’un qui vend de la drogue. C’est pourquoi cette loi sus-cite une véritable aversion.

Quel est l’objectif du gouverne-ment selon vous ?Il y a plusieurs raisons pour les-quelles le gouvernement souligne la dépendance des jeux par le biais de cette nouvelle loi. En fait, ce qui les intéresse, c’est l’argent. Pourquoi ? Parce que l’industrie du jeu est en

forte augmentation en termes de EpQpÀFHV��Une des propositions les plus polé-miques est de vouloir prélever envi-ron 6% des revenus de l’industrie du MHX��/H�JRXYHUQHPHQW�DIÀUPH�TX·LOV�vont utiliser cet impôt pour le déve-loppement des « contenus créatifs » ou pour le traitement des dépendants de la drogue ou de l’alcool. Mais en

réalité, ces 6% sont énormes pour nous, petites entreprises. Car si une compagnie a gagné 10 milliards de wons sur un an (6,7 millions d’eu-ros) - effectivement ça peut sembler EHDXFRXS���PDLV�VRQ�EpQpÀFH�QHW�j�l’arrivée ne représente que 10% de cette somme à peu près.

Si les mesures législatives de-viennent trop contraignantes, en-visagez-vous de vous délocaliser ?Personnellement, je connais un cer-tain nombre de sociétés qui vont s’implanter au Japon, au Canada ou encore en Allemagne, là où elles ont des conditions très favorables. Pour l’instant, ces lois répressives n’ont pas encore été votées. Si elles venaient à l’être, je ne serais pas contre l’idée de délocaliser si l’on SHXW� EpQpÀFLHU� GH� WHOOHV� FRQGLWLRQV�à l’étranger.

3URSRV�UHFXHLOOLV�SDU�$�+�

Depuis 2011, le gouvernement

sud-coréen régule la consommation

de jeux vidéo en mettant en place

une série de mesures.

ENTRETIEN - Pour Young-Cheol, directeur artistique

de Fazecat, start-up coréenne spécialisée dans les jeux vidéo,

les lois anti-addiction suscitent « une véritable aversion ».

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Des électrodes pour

vaincre l’addictionEn Corée du Sud, la pression scolaire expliquerait la dépendance aux jeux vidéo.

Pour enrayer ce phénomène toujours plus inquiétant, les centres spécialisés

se sont multipliés dans tout le pays, sous l’impulsion du gouvernement.

Kim Chun Won, chef de service de la clinique de « sauvetage des cerveaux » au Gongju National Hospital, fait OD�GpPRQVWUDWLRQ�G·XQH�VpDQFH�GH�WUDLWHPHQW��/·DSSDUHLO�HQYRLH�des ondes électro-magnétiques VXU�O·KpPLVSKqUH�JDXFKH�du cerveau pour stimuler la zone « endommagée ». (Photo : Margaux Couturier)

U ne jeune femme qui accouche dans un cyber café, une mère assassinée par VRQ� SURSUH� ÀOV� SRXU�

O·DYRLU�SULYp�G·RUGLQDWHXU�RX�HQFRUH�XQ�KRPPH�UHWURXYp�PRUW�DSUqV�DYRLU�MRXp�SOXV�GH�FLQTXDQWH�KHXUHV�G·DIÀ-OpH«�(Q�&RUpH�GX�6XG��GHV�KLVWRLUHV�FRPPH� FHOOHV�FL�� LO� \� HQ� D� WRXV� OHV�DQV��'HV�IDLWV�GLYHUV�LQTXLpWDQWV�TXL�PHWWHQW� HQ� OXPLqUH� XQ� SUREOqPH�QDWLRQDO� EHDXFRXS� SOXV� YDVWH� �� OD�cyberdépendance.

$ORUV� TX·XQ� WLHUV� GH� OD� SRSXOD-WLRQ� MRXH� UpJXOLqUHPHQW� HQ� OLJQH��OH� QRPEUH� GH� GURJXpV� DX[� MHX[� QH�FHVVH� GH� FURvWUH� GH� PDQLqUH� DODU-PDQWH�GDQV�OH�SD\V�©�OH�SOXV�FRQQHF-Wp� DX� PRQGH� ª�� $FWXHOOHPHQW�� XQ�DGROHVFHQW� VXU� GL[� HVW� FRQVLGpUp�FRPPH� DGGLFW� G·DSUqV� O·HVWLPDWLRQ�GX�'U�� 6DP�:RRN�&KRL�� TXL� GLULJH�OD�FOLQLTXH�(XOML�$GGLFWLRQ�,QVWLWXWH�

j� 6pRXO�� (Q� TXHOTXHV� DQQpHV�� OHV�MHX[�YLGpR�VRQW�GHYHQXV�XQH�DIIDLUH�GH�VDQWp�SXEOLTXH�PDMHXUH�

122 structures spécialisées(Q�O·HVSDFH�GH�FLQT�DQV��OH�JRX-

YHUQHPHQW� VXG�FRUpHQ� D� GpFLGp� GH�SUHQGUH�OH�SUREOqPH�j�EUDV�OH�FRUSV��HQ�ÀQDQoDQW�����pWDEOLVVHPHQWV�SX-EOLFV� VSpFLDOLVpV�� UpSDUWLV� GDQV� WRXW�OH�SD\V��/HV�MRXHXUV�DFFURV�VRQW�Gp-sormais considérés comme des cas SV\FKLDWULTXHV� GHYDQW� rWUH� VRLJQpV�G·XUJHQFH�� 3RXU� FHOD�� GHV� WUDLWH-PHQWV�VSpFLÀTXHV�OHXU�VRQW�UpVHUYpV�

« Ce sont toujours les pa-rents ou les professeurs qui nous contactent »��H[SOLTXH�/HH�(XQ�-HXO��GLUHFWULFH�GX�.RUHD�,QWHUQHW�$GGLF-WLRQ�&HQWHU��.,$&���XQ�FHQWUH�G·DS-SHO� G·XUJHQFH�� EDVp� j� 6pRXO��« Les signes avant coureurs sont toujours les mêmes : les jeunes ne se rendent plus à l’école ou à l’université, dé-veloppent des comportements vio-

lents. Ils n’arrivent plus à distinguer le monde virtuel et le monde réel. »

/H� .,$&�� TXL� H[LVWH� GHSXLV������� UHoRLW� FLQTXDQWH� DSSHOV� SDU�MRXU��3DUPL�HX[��« 80 % concernent des addictions aux jeux vidéos en ligne »�� SUpFLVH� OD� GLUHFWULFH�� DYDQW�G·DIÀUPHU��TXH�« le nombre de cas graves ne cesse de se multiplier, même si ce sont surtout des addicts légers qui sont pris en charge ici ». &KDTXH� MRXU�� HQYLURQ� KXLW� SDWLHQWV�VRQW� DFFXHLOOLV� HQ� FRQVXOWDWLRQ�� /H�VXLYL�GXUH�HQ�PR\HQQH�WURLV�PRLV�

Ondes électromagnétiques3RXU� OHV� SHUVRQQHV� GRQW� O·pWDW�

GH� VDQWp� HVW� OH� SOXV� GUDPDWLTXH�� LO�DUULYH�ELHQ�VRXYHQW�TXH�OH�GLDORJXH�HW�O·pFRXWH�QH�VXIÀVHQW�SOXV��'HSXLV�XQ� DQ�� DX� VHLQ� G·K{SLWDX[� SV\FKLD-WULTXHV� SXEOLFV�� GHV� VHUYLFHV� VSp-FLDOLVpV� RQW� pWp� PLV� HQ� SODFH� SRXU�FH� W\SH�GH�SDWLHQWV��&·HVW� OH�FDV�GH�O·(XOML�� VLWXp�j�*DJQDP�� OH�TXDUWLHU�

GHV� DIIDLUHV� GH�6pRXO�� RX� GH� OD� FOL-QLTXH�©�GH�VDXYHWDJH�GHV�FHUYHDX[�ª�GH� O·K{SLWDO�*RQJMX�� j�GHX[�KHXUHV�GH�URXWH��DX�VXG�GH�OD�FDSLWDOH�

&HV� pWDEOLVVHPHQWV� VRLJQHQW� OHV�SHUVRQQHV� VRXIIUDQW� OH� SOXV� VpYqUH-PHQW� GH� GpSHQGDQFH� HW� IRXUQLVVHQW�GHV� WUDLWHPHQWV� PpGLFDPHQWHX[� HW�QHXURORJLTXHV��« Lorsque le patient ne parvient pas se réguler lui-même et à changer son rythme de vie, nous sommes obligés d’intervenir direc-tement sur le cerveau », H[SOLTXH�/HH� -DH�:RQ�� FKHI� GH� VHUYLFH� j� OD�FOLQLTXH�(XOML��

« Les joueurs développent certes leurs capacités oculaires et leur dextérité à force de manier la sou-ris et de regarder leur écran mais affaiblissent la fonction d’autoré-gulation de leur cerveau, qui n’est plus stimulée. C’est comme cela que les comportements violents appa-raissent chez les addicts »��DMRXWH�OH�GRFWHXU��

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.LP� &KXQ� :RQ�� FKHI� GX� VHU-YLFH� GH� OD� FOLQLTXH� GH� ©� VDXYHWDJH�GHV� FHUYHDX[� ª� GH�*RQJMX�� VH� UDS-SHOOH�G·XQ�FDV�W\SLTXH���« Il s’agis-sait d’un garçon de treize ans qui jouait de manière abusive aux jeux vidéos et s’était progressivement coupé du reste du monde. Un jour, avant de partir travailler, ses pa-rents ont placé son ordinateur dans une bibliothèque fermée à clef pour pYLWHU�TXH�OHXU�ÀOV�QH�SDVVH�VD�MRXU-née devant. A son réveil, le garçon, furieux, a commencé à chercher le 3&� GDQV� WRXWH� OD�PDLVRQ�� ,O� O·D� À-nalement trouvé et s’est muni d’un outil pour briser la fenêtre en verre derrière laquelle l’ordinateur avait été placé. A leur retour, ses parents ont constaté les dégâts : le garçon jouait, les yeux rivés sur l’écran, sans même avoir nettoyé les débris de verre qui jonchaient le sol. La décision a été rapide : ses parents l’ont fait interner sur le champ. »

$X[� JUDQGV� PDX[�� OHV� JUDQGV�UHPqGHV��/D�SUHPLqUH�pWDSH�GX�WUDL-WHPHQW�HVW�O·DQDO\VH�GX�FHUYHDX�SRXU�YpULÀHU� O·pWDW� GH� VDQWp� GX� PDODGH��/H� SDWLHQW� VXELW� XQH� pOHFWUR�HQFp-SKDORJUDSKLH�F·HVW�j�GLUH�XQ�VFDQQHU�du crâne. « Cela permet de savoir à quel point le patient est devenu accro en détectant les zones de son cerveau qui ont été endommagées », FRPPHQWH�.LP�&KXQ�:RQ��

« Un an pour guérir »9LHQW� HQVXLWH�� OH� WUDLWHPHQW� HQ�

OXL�PrPH�� $� O·DLGH� G·XQ� DSSDUHLO��OH�PpGHFLQ� HQYRLH� GHV� RQGHV� pOHF-WURPDJQpWLTXHV� SDU� SHWLWV� j�FRXSV�VXU�O·KpPLVSKqUH�JDXFKH�GX�FHUYHDX�GX�SDWLHQW�DÀQ�GH�OH�VWLPXOHU��« Cela permet de lutter contre les phéno-mènes de dépression qui touche un tiers des accros à Internet », informe OH�FKHI�GH�OD�FOLQLTXH�GH�©�VDXYHWDJH�GHV�FHUYHDX[�ª�

/D� VpDQFH� HVW� « indolore »� HW�GXUH� YLQJW� PLQXWHV�� « Pour avoir des résultats satisfaisants, il faut

compter au moins quinze séances », SUpFLVH�.LP�&KXQ�:RQ��(Q�GHUQLHU�UHFRXUV�� OHV� SV\FKLDWUHV� SUHVFULYHQW�DX[� DFFURV� XQ� WUDLWHPHQW� PpGLFD-PHQWHX[��« Il n’y a pas de traitement type, nous nous adaptons à chaque cas »��H[SOLTXH�.LP�&KXQ�:RQ�

« Il faut en moyenne un an au patient pour guérir »�� DIÀUPH� /HH�-DH�:RQ� GH� O·(XOML�� 'DQV� FHV� pWD-EOLVVHPHQWV� SXEOLFV�� OHV� VRLQV� VRQW�JUDWXLWV�� 6·LOV� QH� OH� VRQW� SDV�� OHV�DVVXUDQFHV�VDQWp�SUHQQHQW�HQ�FKDUJH�XQH� JUDQGH� SDUWLH� GHV� IUDLV�� /HV�FR�WV�V·pWHQGHQW�GH��������ZRQV�����HXURV��SRXU�XQH�FRQVXOWDWLRQ�VLPSOH�VDQV�SUHVFULSWLRQ�GH�PpGLFDPHQWV�j��������ZRQV��XQH�WUHQWDLQH�G·HXURV��

SRXU�XQH�VpDQFH�GH� WUDLWHPHQW�QHX-URORJLTXH�

« La pression scolaire peut avoir un rôle prépondérant dans ces addictions »

/·(XOML�UHoRLW�DLQVL�WUHQWH�DGGLFWV�DX[� MHX[� HQ� OLJQH� SDU� PRLV� TXDQG�

O·pWDEOLVVHPHQW�GH�*RQJMX��VLWXp�j�OD�FDPSDJQH��Q·HQ�UHoRLW�TX·XQH�SHWLWH�GL]DLQH�� /H� FRUSV� PpGLFDO� UHJUHWWH�TXH� FHUWDLQV� PDODGHV� Q·RVHQW� SDV�YHQLU�FRQVXOWHU�

« L’addiction aux jeux en ligne touche aussi des adultes mais on ne peut pas les forcer à venir se faire soigner. Et pour les enfants, il est SDUIRLV�GLIÀFLOH�GH�PHQHU�j�WHUPH�OH�traitement car pour cela, il faudrait qu’ils ratent parfois l’école. Ce que les parents refusent catégorique-ment »��DMRXWH�.LP�&KXQ�:RQ�

3RXU� FRPSUHQGUH� OHV� PRWLYD-WLRQV� GHV� MHXQHV� j� YRXORLU� V·pFKDS-SHU�GH�OD�UpDOLWp�GDQV�OHV�MHX[�YLGpRV��WRXWHV� OHV� UpSRQVHV� GHV� SV\FKLDWUHV�

FRQYHUJHQW�YHUV�OD�PrPH�GLUHFWLRQ���« Il est clair que la pression scolaire peut avoir un rôle prépondérant dans ces addictions »��FRQÀH�OD�GL-UHFWULFH�GX�.,$&�

Taux de suicide alarmant (Q� HIIHW�� VHORQ� XQ� FODVVHPHQW�

GH� O·2&'(� �2UJDQLVDWLRQ� GH� &RR-SpUDWLRQ� HW� GH� 'pYHORSSHPHQW�(FRQRPLTXHV��� OHV� pFROLHUV� GX� ©�3D\V� GX� 0DWLQ� FDOPH� ª� VRQW� OHV�SOXV�DVVLGXV��DYHF�FLQTXDQWH�KHXUHV�G·pWXGHV� SDU� VHPDLQH� HQ�PR\HQQH��/·(WDW� FRQVDFUH� ������ GH� VRQ� 3,%�j�O·pGXFDWLRQ�FRQWUH�������GDQV�OHV�DXWUHV�SD\V�GH�O·2&'(��/D�UpXVVLWH�VFRODLUH�HVW�OD�FOp�GH�O·DVFHQVLRQ�VR-

Un enfant de cinq ans subit un scanner du crâne. Le psychiatre refuse de préciser les troubles dont il souffre. (Photo : Margaux Couturier)

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« Je joue douze heures par jour »

©� -H� MRXH� GHSXLV� O·kJH� GH� ��� DQV��ORUVTXH� M·DL� REWHQX� PRQ� SUHPLHU�RUGLQDWHXU�� 0DLV� OH� MHX� HVW� YpUL-WDEOHPHQW� GHYHQX� XQH� REVHVVLRQ�TXDQG� MH�VXLV� UHQWUp�j� O·XQLYHUVLWp�FDU�M·DL�HX�SOXV�GH�WHPSV�OLEUH�SRXU�PRL�� $FWXHOOHPHQW� HQ� UHFKHUFKH�G·HPSORL�GDQV�OH�VHFWHXU�GX�MHX�YL-GpR��MH�MRXH�HQYLURQ�GRX]H�KHXUHV�SDU�MRXU�DX�3&�EDQJ��

« Les jeux ne sont pas un problème GH�VRFLpWp��F·HVW�plutôt le fait GH�Q·DYRLU�ULHQ j�IDLUH�G·DXWUH��ª

0HV�MHX[�SUpIpUpV�VRQW�/HDJXH�RI� /HJHQGV�� 6WDUFUDIW�� :DUFUDIW��&LYLOLVDWLRQ� HW� 'LDEOR�� -H� QH� PH�FRQVLGqUH�SDV�FRPPH�DFFUR��-H�PH�GHPDQGH�PrPH�VL� O·RQ�SHXW�DIILU-PHU�TX·RQ�SHXW�rWUH�©�DFFUR�ª�DX[�MHX[�YLGpRV�HQ�IDLW��

/H� MHX�PH� SHUPHW� G·DYRLU� GHV�

VXMHWV� GH� FRQYHUVDWLRQ� DYHF� PHV�DPLV�� 2Q� VH� VHQW� SOXV� SURFKHV�FRPPH�oD��

6L� M·LPDJLQH�PRQ� HQIDQW� MRXHU�SOXV�GH����KHXUHV�SDU�MRXU�"�-H�QH�VHUDL� SDV� FRQWUH��$X� FRQWUDLUH�� -H�SHQVH� TXH� M·HQ� SURILWHUDLV� SRXU�MRXHU�DYHF�OXL��

� -H� QH� SHQVH� SDV� TXH� OHV� MHX[�VRLHQW� XQ� SUREOqPH� GH� VRFLpWp� HQ�VRLW��&·HVW�SOXW{W�OH�IDLW�GH�Q·DYRLU�ULHQ�j�IDLUH�G·DXWUH�TXL�HVW�XQ�YUDL�SUREOqPH�SRXU�OHV�MHXQHV��ª

Recueillis par M.C.

FLDOH�HQ�&RUpH�GX�6XG��$SUqV�DYRLU�GpPDUUp� OD� MRXUQpH� YHUV� �� KHXUHV��OHV� pWXGLDQWV� UHMRLJQHQW� j� OD� VRU-WLH� GHV� FRXUV� j� ��� KHXUHV� ��� OHV� ©�KDJZRQV� ª�� FHV� LQVWLWXWV� SULYpV� TXL�OHV� HQWUDvQHQW� MXVTXH� WDUG� GDQV� OD�QXLW� j� OD� SUpSDUDWLRQ� GH� O·H[DPHQ�G·HQWUpH�j�O·XQLYHUVLWp��/·pSUHXYH�OD�SOXV�LPSRUWDQWH�GH�OD�YLH�G·XQ�MHXQH�VXG�FRUpHQ�� 6HORQ� O·2&'(�� ����GHV� SDUHQWV� VXG�FRUpHQV� DWWHQGHQW�GH�OHXU�HQIDQW�TX·LO�REWLHQQH�XQ�GL-SO{PH� XQLYHUVLWDLUH� FRQWUH� ���� HQ�$OOHPDJQH��

« L’éducation a un rôle fonda-mental en Corée. Les jeunes n’ont qu’une seule idée en tête : étudier et rentrer dans une bonne université. Le soir, quand ils rentrent, ils n’ont qua-siment pas de temps pour avoir des activités alors ils se réfugient dans les jeux. En plus de ça, beaucoup de parents s’absentent du domicile, ce qui fait que l’enfant se retrouve sou-vent seul à jouer »��H[SOLTXH�OD�GLUHF-WULFH�GX�.,$&�

0DLV�FHV�ERQV�UpVXOWDWV�QH�V·RE-WLHQQHQW� SDV� VDQV� KHXUWV�� /D� &RUpH�GX�6XG�HVW�DXVVL�OH�SD\V�GH�O·2&'(�TXL�DIÀFKH�OH�WDX[�GH�VXLFLGH�OH�SOXV�pOHYp� DYHF� ����� FDV� SRXU� ���� ����KDELWDQWV�HQ�������GHYDQW�OD�5XVVLH��OD�+RQJULH�SXLV�VRQ�YRLVLQ��OH�-DSRQ��/HV�PRLQV� GH� ��� DQV� VRQW� OHV� SOXV�WRXFKpV�

Fuir le quotidien-D\� -L\RXQJ�� ��� DQV�� pWXGLDQWH�

HQ� LQJpQLHULH� FLYLO�� HQ� WpPRLJQH� ��« Au lycée, la pression scolaire était extrêmement dure à supporter. Je n’avais plus d’énergie. Je faisais des allers-retours dans les instituts du soir. Mes parents étaient tout le temps derrière moi. Avant de m’en-dormir, il m’arrivait souvent d’espé-rer ne plus jamais me réveiller. J’ai essayé de me suicider à l’âge de 18 ans. J’étais à bout. En en parlant avec des amis de l’université, je me suis rapidement rendue compte que je n’étais pas un cas isolé. La moi-

tié de mes amis ont déjà tenté de se suicider. »

8QH� IRLV� UHQWUpH� j� O·XQLYHUVLWp��O·pWXGLDQWH�D�HX�XQ�SHX�SOXV�GH�WHPSV�OLEUH�� GHV� PRPHQWV� GH� ©� SDXVH� ª�TX·HOOH� D� GpFLGp� GH� SDVVHU� j� MRXHU�HQ� OLJQH� �� « Au début, je me suis consacrée aux jeux vidéos par loi-VLU��3XLV��FHOD�D�ÀQL�HQ�GpSHQGDQFH��Le jeu est un moyen de fuir quand le quotidien devient trop stressant. Actuellement, je passe 2 heures par jour dans les PC bang mais il y a des périodes pendant lesquelles j’ai besoin d’évacuer le stress. Je peux DORUV�\�UHVWHU���KHXUHV�G·DIÀOpH��ª

« À cause des idées confucianistes, les gens préfèrent cacher leurs problèmes plutôt que de les DIIURQWHU��ª

(W�FHWWH�VLWXDWLRQ�GH�FDXVH�j�HIIHW�HQWUH� MHX�YLGpR�HW�SUHVVLRQ� VFRODLUH�QH� ULVTXH� SDV� GH� VH� GpEORTXHU� GH�VLW{W��« À cause des idées confucia-nistes qui sont très présentes dans le pays, les gens préfèrent cacher leurs problèmes plutôt que de les affron-ter. Il existe encore beaucoup de non dits »�� VH� GpVROH� /HH� -DH�ZRQ�� (Q�HIIHW��OH�FRQIXFLDQLVPH��SOXV�TX·XQH�UHOLJLRQ�� HVW� XQH� SKLORVRSKLH� GH�YLH��(OOH�GpIHQG� OHV�YDOHXUV�GH�FRO-OHFWLYLWp�PDLV� VXUWRXW� GH� UHVSHFW� HW�G·LQWLPLWp�� GRQW� VRQW� LPSUpJQpV� OHV�&RUpHQV�GHSXLV�OH�,;H�VLqFOH�

De notre envoyée spéciale Margaux Couturier

Byeong-gwon, diplômé en psy-chologie et en design de jeux vidéo. (Photo : M.C.)

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Pour Byeong-gwon, Séoulite de 32 ans,

le jeu vidéo, loin d’être addictif, fait partie

intégrante de la culture coréenne.

DOSSIER : GAME OVERDOSE

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La lutte sénégalaise,une passion populaireEntre tradition et professionnalisme, les combats suscitent l’hystérie. Et l’intérêt des entreprises. Stars adulées, les lutteurs portent désormais les couleurs de leurs sponsors sur leur pagne.

Un vieux tacot, di-rection le stade. A l’intérieur, la RTS, la radio télévision sénégalaise, cré-pite : le combat est

retransmis en direct. Les chants de bravoure, censés galvaniser les lut-teurs, retentissent. Le commentateur exulte en wolof, la langue verna-culaire du pays. Le chauffeur, lui, est silencieux, à l’image des rues de Dakar incroyablement paisibles HQ� FHWWH� ÀQ� G·DSUqV�PLGL�� FHV� UXHV�d’ordinaire si bruyantes. Tous les yeux et les oreilles du pays suivent OHV�pYqQHPHQWV��

Sur l’avenue Bourguiba qui PqQH� DX� VWDGH�� OH� EDWWHPHQW� GHV�djembés accueille les spectateurs. Quelques enfants à l’entrée qué-mandent une place pour assister au combat du jour : « c’est le duel des revanchards aujourd’hui ! » Boy Niang, l’enfant de Pikine, une ban-

lieue défavorisée de la région de 'DNDU��UHYLHQW�DSUqV�XQH�VXVSHQVLRQ�de douze mois suite à une agression commise en avril 2012. Son adver-saire, Baye Mandione, le porte dra-peau de Thiaroye, autre banlieue de l’est de la ville, n’a pas gagné depuis longtemps.

Les lutteurs V·DVSHUJHQW�G·KXLOH�PDJLTXH�

« Vous supportez qui ? »�KqOH�W�on à l’entrée. Pas question de venir au stade sans avoir un favori. Sur la pelouse de Demba Diop, conçu initialement pour le football, s’or-ganisent les rituels mystiques. Le FRUWqJH� GH� PDUDERXWV� TXL� DFFRP-SDJQH� OHV� DWKOqWHV� SULH� SRXU� FRQMX-rer le mauvais sort. Leurs protégés

arborent des gris-gris censés leur apporter la victoire. Les lutteurs s’aspergent de lait caillé et d’une huile magique. Ce jour là, les bàkk, chants et danses hymniques propres à chaque lutteur, dureront plus de trois heures. Les milliers de specta-teurs sont venus pour les têtes d’af-ÀFKH��0DLV�F·HVW�DX�WRWDO�XQH�GL]DLQH�de lutteurs qui s’affronteront. « Il a déjà dansé Modou Lô ? » interpelle, l’air inquiet, un retarda-taire. La super star de la lutte s’est invitée à la fête. Quelques pas de GDQVH�� SXLV� O·DWKOqWH� V·LQVWDOOH� VXU�XQH� ODUJH� FKDLVH� IDLVDQW� RIÀFH� GH�WU{QH��(Q�IDFH�GH�O·DUqQH�� LO� UpSRQG�aux questions des journalistes. Un passage éclair, histoire que personne n’oublie que, sur le terrain, c’est lui le patron.

Tous les yeux sont rivés sur le colosse, pourtant un combat a lieu GDQV� O·DUqQH��3HQGDQW�TXHOTXHV�PL-nutes, les adversaires s’observent.

&RXUEpV�� OH� SRVWpULHXU� HQ� DUULqUH��ils paraissent vouloir s’attraper les mains, comme s’ils dansaient un EDOOHW��3XLV��OHV�FKRVHV�V·DFFpOqUHQW��c’est le combat. Dans cette lutte avec frappe, tout est permis ou presque. /D�UqJOH�HVW�VLPSOH��8Q�WRPEp�VXIÀW��Lorsque la tête, les fesses ou le dos du lutteur touchent le sol, le combat est terminé.

Un sport professionnelModou Lô est certes une im-

mense star, mais c’est avant tout un professionnel. Tout en conser-vant la dimension traditionnelle et mystique, les bases de ce sport ont été mises par écrit dans les années 1970. Quelques années plus tard, en mars 1994, le Comité national de gestion de la lutte est créé. Au-trefois, les combats étaient orga-nisés entre villages voisins. Ils ont depuis laissé place aux écuries, les équipes et école de formation de

'DQV�O·DUqQH��OHV�ULWXHOV�P\VWLTXHV�SUpFqGHQW�OH�FRPEDW�3HQGDQW�SOXV�GH�WURLV�KHXUHV��OHV�PDUDERXWV�SULHQW�SRXU�FRQMXUHU�OH�PDXYDLV�VRUW��3KRWR���+LSSRO\WH�VXU�ÁLFNU��

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lutteurs. Aujourd’hui implantées dans les villes, elles sont 107 selon l’Agence de presse sénégalaise. /D�SOXV�FpOqEUH�Q·HVW�SRXUWDQW�SDV�celle de Modou Lô mais celle de Pikine, temple formateur des plus grands.

Sauf qu’au milieu des années 1990, l’écurie Bull Falé est venue détrôner celle de Pikine. Son chef GH�ÀOH��7\VRQ��HVW�GHYHQX�OH�FKDP-pion par excellence. 1m98 pour 130 kg de muscles.

Entre 1995 et 2002, il a détrôné et terrassé ses adversaires et a ainsi LQVXIÁp� XQ� QRXYHDX� FRXUDQW� GDQV�le monde de la lutte sénégalaise. Pour Abdoul Wahid Kane, socio-logue du sport, « il représente une manière d’être, de s’habiller, une DIÀUPDWLRQ� GH� VRL�� (Q� XQ� PRW� ��O·DPHULFDQ� GUHDP� ª�� Parce que le Tyson sénégalais écoute de la musique rap, roule en 4x4 et porte le pseudo d’un des plus grands champions de boxe de la catégorie poids lourd.

« Il incarne le succès grâce au sport, donc la réussite sociale HW� OD�QRWRULpWp�QDWLRQDOH��7\VRQ�D�été un exemple pour beaucoup de 6pQpJDODLV�TXL�V·LGHQWLÀHQW�j�OXL��ª

Dans les gradins, les supporters DIÀFKHQW�ÀqUHPHQW�OHV�FRXOHXUV�GH�leur favori. Ce jour, jaune pour Boy Niang et rouge pour Baye Mandione. Les chants, les danses pleuvent. Certains s’évanouissent à force de crier ou de pleurer.

©�7\VRQ�LQFDUQH�OH�VXFFqV�JUkFH�DX�VSRUW��GRQF�OD�UpXVVLWH�VRFLDOH�ª�

Dans les tribunes, un enfant, âgé d’une douzaine d’années se met subitement à convulser. Il n’est pas rare que des « fans » trépassent lorsque leur champion s’incline.

« Les cas de crise cardiaque sont assez courants, cela se pro-duit souvent dans le quartier G·RULJLQH� GX� YDLQFX�� 2Q� GLW� LFL�que c’est l’effet des gris-gris », explique Idrissa Sané, journaliste sénégalais, spécialiste de la lutte.

Mais en ce dimanche de février, aucun incident de ce genre n’est à déplorer.

« Au Sénégal, quand on parle du sport de chez nous, on fait allu-sion à la lutte », poursuit Idrissa Sané. Tous les villages, même dans les coins les plus reculés du pays, soutiennent un champion. A l’ins-tar de Toubab Dialaw, petit village de pêcheurs de 3 000 âmes, à une FLQTXDQWDLQH� GH� NLORPqWUHV� DX� VXG�de Dakar. Ici, un des seuls bâtiments en dur abrite un club de supporters dédié à Modou Lô.

8QH�GLVFLSOLQH�QDWLRQDOHLes écoles de lutte profession-

QHOOHV�RX�FOXEV�DPDWHXUV�ÁHXULVVHQW�à travers le Sénégal. Ce sport est considéré comme un ascenseur VRFLDO� SRXU� OHV� MHXQHV��$EGRX� JqUH�avec sa famille le restaurant de la plage du virage à Ngor, une com-mune de Dakar. Mordu de lutte, il RUJDQLVH�UpJXOLqUHPHQW�GHV�FRPEDWV�amateurs sur la plage. Parmi les 8 000 licenciés que compte le pays, certains n’hésitent pas à commen-cer gratuitement dans l’espoir de se faire connaître.

Lointaine est l’époque où les

lutteurs se battaient pour du bétail ou des céréales et où le vainqueur était sacré champion du village. A partir des années 1920, les lut-teurs touchent leur premier sa-laire. L’argent provient des riches colons français installés à Dakar. Aujourd’hui, les plus grandes stars touchent entre 50 et 100 millions de francs CFA (entre 76 000 et 152 000 euros), soit jusqu’à 1 000 mois de salaire d’un petit fonctionnaire sénégalais.

La plupart des lutteurs sont des « jeunes de banlieues ». « Ils sont analphabètes, des ouvriers qui SHLQHQW� j� MRLQGUH� OHV� GHX[� ERXWV��La lutte permet de changer de sta-tut social », analyse Idrissa Sané. ©� /H� URL� GHV� DUqQHV� ª�� DOLDV� %D\H�Gaye 2, était menuisier métallique. « Aujourd’hui, il conduit des gros bolides et habite une villa à trois pWDJHV��ª�Yékini, une autre star, était pêcheur. « Il est désormais dans les affaires et habite aux Almadies, le TXDUWLHU�KXSSp�GH�'DNDU��ª

Conséquence de la profession-nalisation, la lutte est devenue une YpULWDEOH�PDQQH�ÀQDQFLqUH�

Autour du terrain, les grandes marques sénégalaises font leur

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publicité. Les yaourts Doli, les mar-garines Adja, l’opérateur de télé-phonie Sonatel… Ici les sponsors sont locaux. Au moment de choisir leur surnom, les lutteurs en herbe n’hésitent plus à emprunter des noms de marque (Sococim, Mobil 2 ou Elton) pour attirer les sponsors.

7RXV�VSRQVRULVpV�Ce jour là, avant de revêtir leurs

pagnes traditionnels, les lutteurs portent des survêtements jaune ou rouge. Ils sont tous sponsorisés par la dibiterie CPT, un fast-food séné-galais. « Les entreprises mettent beaucoup d’argent en contre par-tie de la visibilité », indique Idrissa Sané. Mais l’argent brassé par la lutte ne vient pas uniquement des sponsors. Une poignée de promo-teurs se partage l’organisation des combats. Leur rôle ? Financer et négocier le cachet. Si l’équipe du lutteur donne son accord, le pro-moteur offre une avance à cha-cun. « C’est seulement au terme de cette étape que le promoteur va GpPDUFKHU� OHV� VSRQVRUV�� &RPPH�les combats sont spectaculaires et drainent la foule, ils se bousculent pour faire partie du show, pour

concevoir et placer les publicités OHV�SOXV�DOOpFKDQWHV��ª

Et le Sénégal a son « Don King ». Gaston Mbengue, à qui on a donné le même surnom que le magnat de la boxe américaine, est le bailleur le plus emblématique. « Au départ, quand je suis arrivé GDQV� OH�PRQGH� GH� OD� OXWWH�� OH� V\V-WqPH� GX� FDFKHW� Q·H[LVWDLW� SDV�� /D�lutte ne brassait pas les foules, il Q·\�DYDLW� TXH���RX��� FRPEDWV�SDU�DQ��-·DL�SULV�OH�ULVTXH�G·HQ�RUJDQL-VHU�� M·DL�SHUGX�EHDXFRXS�G·DUJHQW��Mais aujourd’hui, la lutte est le sport national ! » explique Gaston Mbengue.

/D�OXWWH�HVW�GHYHQXH�XQH�YHULWDEOH�PDQQH�ÀQDQFLqUH

Sport ou business ? C’est le mariage des deux que l’on observe DFWXHOOHPHQW� GDQV� O·DUqQH� HW� KRUV�de son enceinte.

En attendant le dernier combat,

les vendeuses déambulent dans les allées proposant rafraichissements et FDFDKXqWHV��2Q�\�WURXYH�GH�WRXW��8Q�photographe propose même un por-trait pour 1000 francs CFA. Eux aussi HVSqUHQW� IDLUH� IRUWXQH�� ,O� YD� ELHQW{W�être vingt heures, la nuit tombe. Le FRPEDW�ÀQDO�FRPPHQFH��7URLV�KHXUHV�trente de cérémonies, de danses, d’in-cantations pour une poignée de mi-nutes de combat. Boy Niang terrasse Baye Mandione, en trois minutes.

$XVVLW{W��OHV�6pQpJDODLV�VH�OqYHQW��manifestent leur joie, se ruent sur le terrain, courent autour du stade. Les enfants, refoulés à l’entrée faute de WLFNHW�� VH� IDXÀOHQW� SDUPL� OHV� VSHF-tateurs, dans l’espoir d’apercevoir leurs idoles. Trop tard, les champions sont déjà partis. Les rues, si calmes quelques heures avant le match, s’ani-ment brusquement. La foule saute dans les taxis. Les voitures entament un concert de klaxons. Un faux air de coupe du monde. Les gens grimpent sur les camions, sur les lampadaires, FULHQW��ULHQW��VLIÁHQW��(W�pWUDQJHPHQW��tout le monde avait l’air de supporter le vainqueur.

'H�QRWUH�HQYR\pH�VSpFLDOH�Coralie Pierret

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/H����PDL������j�'DNDU��*DUJD�0ERVVH�DIIURQWH�

%RPEDUGLHU�/RXJD��3KRWR���$3��2OLYLHU�$VVHOLQ�

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Société« Contactés », ufologues, passionnés d’OVNI...ils croient aux extra-terrestres et l’assument. Marginal d’un autre genre, Jackie, drogué aux faits divers, arpente quotidiennement les couloirs du Palais de justice. Dans la rue, les « sans-voix » se mobilisent pour que progresse le droit de vote des étrangers. Autre combat, celui des femmes excisées qui se recontruisent grâce à la chirurgie.

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«Je suis redevenue

une femme grâce

à la réparation ».

Hatouma, 32 ans, a été excisée à l’âge de 5 ans.

Elle s’est faite opérer il y a trois mois. Comme elle, plus de 140 millions de femmes vivent sans cli-toris dans le monde. Dont 50 000 en France. D’après l’Unicef, cette pratique n’est pas prête de s’arrêter. ���PLOOLRQV�GH�ÀOOHWWHV�RX�G·DGROHV-centes risquent d’en être victimes dans les dix prochaines années. Mais depuis une vingtaine d’années, la chirurgie réparatrice apparaît comme une réponse à la mutilation. En quelques coups de bistouris, les médecins savent désormais recons-tituer l’organe génital. En France, environ 4000 femmes ont eu recours à cette technique. Elles ont été répa-rées, et « sauvées », disent-elles.

Hatouma est l’une d’entre elles. « J’ai appris que j’étais excisée

TXDQG� M·DL� HX�PRQ� SUHPLHU� ÀOV�� MH�ne savais même pas ce que ça vou-

lait dire ». La jeune mère en discute avec sa sœur. « Elle m’a parlé d’un

PpGHFLQ� IUDQoDLV�� OH� GRFWHXU� )RO-GqV��TXL�UpSDUH� OHV� IHPPHV�FRPPH�moi ». Intriguée, elle se renseigne, hésite pendant deux ans. « J’avais

XQ� SHX� SHXU�� HW� SXLV� MH� PH� GLVDLV�que j’étais bien comme ça ». Fi-nalement, en 2013, elle se décide à pousser la porte de l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye (Val-de-Marne). « Je voulais avoir du plai-

VLU��SDUFH�TX·DYHF�PRQ�PDUL�DX�OLW��c’était pas génial. On a même failli

se séparer plusieurs fois à cause

de ça. Alors je me suis lancée ». Elle passe dans le bloc opératoire en décembre dernier. S’en suivent plusieurs semaines douloureuses. « $SUqV� O·RSpUDWLRQ�� M·DL� IDLW� WURLV�KpPRUUDJLHV�� PDLV� LO� SDUDvW� TXH�c’est normal ». Elle serre les dents, avale des antalgiques, puis la dou-leur s’atténue.

Aujourd’hui, elle ne tarit pas d’éloge sur le docteur Foldès. « Je

le conseille à toutes les femmes.

0DLQWHQDQW�� MH� UHVVHQV� GHV� WUXFV�

que je n’avais jamais sentis avant.

Je me sens femme ».

La réparation, bien plus TX·XQH�RSpUDWLRQ

L’architecte de cette recons-truction se nomme Pierre Foldès. Dans les années 1980, en mission au Burkina Faso, le médecin uro-logue découvre l’horreur de l’exci-sion. Depuis, cet homme « qui aime

OHV� IHPPHV�� /$� IHPPH� » a trouvé son combat. Marie-Noëlle Arras, éditrice et auteure, a rencontré le chirurgien pour son livre Entière1. « Il a dû se battre pendant des an-

QpHV�SRXU�IDLUH�UHFRQQDvWUH�OHV�ELHQ-

faits de sa technique. Nombre de

ses confrères mettaient en doute sa

découverte ». Une découverte pour-tant simple. « /RUV�GH�O·H[FLVLRQ��RQ�enlève relativement peu du clitoris, explique le docteur. Je me suis aper-

çu que la majorité de cet organe est

en réalité enfoui. Pour ce qui est

GH� OD� UHFRQVWUXFWLRQ�� RQ� SURFqGH� j�O·DEODWLRQ� GH� OD� ]RQH� FLFDWULFLHOOH��SXLV��DYHF�OHV�DXWUHV�SDUWLHV��RQ�UH-

fait un clitoris ». En 45 minutes, le bistouri redessine un organe vivant et sensible. Facile et peu coûteuse, l’opération, sous anesthésie géné-rale, peut être réalisée dans la jour-née. Depuis 2004, elle est même remboursée par la Sécurité sociale.

« 7RXWHV�PHV�DPLHV��j�TXL�M·HQ�DL�SDUOp��YHXOHQW�O·RSpUDWLRQ�SRXU�rWUH�entières ». Entière, le mot revient dans toutes les bouches. Mahoua a grandi en Côte d’Ivoire. L’opé-ration a transformé sa vie. « J’ai

l’impression d’avoir rompu une

FKDvQH�� G·DYRLU� FKRLVL� PRQ� GHV-tin », raconte-t-elle dans le livre de Marie-Noëlle Arras. Car il ne s’agit pas seulement de ressentir du plaisir sexuel. D’après une enquête publiée en juin 2012 dans la revue scienti-ÀTXH�7KH�/DQFHW, 99% des sondées se sont faites opérer pour « retrou-

ver leur identité ». « On reconstitue

en quelques sortes une personnalité

féminine », explique le docteur Fol-dès. Les chiffres sont sans ambiguï-té, les mots aussi. « J’étais une autre

en me réveillant après l’opéra-

En France, 4000 femmesont eu recours à la chirurgiepour réparer leur clitoris mutilé.(Dessin : Pauline Alcala)

Pratique barbare pour les Occidentaux, rite de passage

dans certaines sociétés traditionnelles, l’excision bouleverse l’identité des femmes.

La chirurgie peut à présent reconstituer le clitoris, une étape pour se reconstruire.

Blessées et réparées

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tion », témoigne une jeune femme. La réparation va bien au delà de l’acte chirurgical. Pour beaucoup, c’est une renaissance. « J’ai cru que

FH�VHUDLW�IDFLOH��PDLV�LO�\�D�SOHLQ�GH�choses qui remontent », explique Hatouma. « /·RSpUDWLRQ�UpDFWLYH�OH�traumatisme de l’excision », rap-pelle Laura Beltran, sexologue.

/H�SDUDGR[H�GH�O·H[FLVLRQ�L’excision « altère ou lèse in-

tentionnellement les organes géni-

taux externes de la femme pour

des raisons non médicales », se-lon l’Organisation mondiale de la santé. Une mutilation donc. Hor-rible, par les souffrances qu’elle entraîne. Pour autant, à l’origine, il V·DJLW� GH� IDLUH� SDVVHU� OD� ÀOOHWWH� GH�l’état d’enfant à celui de femme.

L’excision remonte à des temps anciens, avant l’apparition des reli-gions monothéistes. Chez les Dogons du Mali, « l’âme mâle loge dans le

FOLWRULV�GH�OD�IHPPH��3RXU�O·KRPPH��l’âme femelle loge dans le pré-

puce»2. Circoncision et excision per-mettent une différenciation sexuelle. Sans ces rites de passage, l’enfant GHPHXUH�VDQV�VH[H�GpÀQL��6DQV�FOL-toris, la femme peut accéder à la féminité. Et être intégrée au groupe.

« /·LGpH� TX·XQH� IHPPH� H[FLVpH�n’est pas entière relève d’un eth-

nocentrisme occidental », avance

Sokhna Fall, thérapeute et anthro-pologue. Sans relativiser les dou-leurs engendrées par l’excision, Sokhna Fall met en garde contre une vision très européenne, qui dis-tille mal-être et incompréhension. « En disant qu’une femme exci-

VpH� Q·HVW� SDV� YUDLPHQW� XQH� IHPPH��on génère beaucoup de honte ».

« /·H[FLVLRQ�HVW�YpFXH�HQ�(XURSH�comme un acte maltraitant imposé

DX[� SHWLWHV� ÀOOHV, explique Chris-tine Bellas Cabane, anthropologue. Mais dans la société traditionnelle

PDOLHQQH�� OD�PDOWUDLWDQFH�� F·HVW� GH�PDUJLQDOLVHU� OD� SHWLWH� ÀOOH� HQ� QH�l’excisant pas ». L’excision, comme la circoncision, est « garante d’une

cohésion sociale », poursuit-elle, car elle permet « une régulation

mécanique du désir ». Un contrôle, par le groupe, d’une sexualité vue comme porteuse de désordre social.

Pas de solution magique « 2Q� Q·RSqUH� SDV� OD� KRQWH�� HW�

toute trace de l’excision ne dispa-

UDvW� MDPDLV, martèle Sokhna Fall. 0DLV� LO�\�D�FHWWH� LGpH�G·XQH�RSpUD-

tion magique ». « /H� ULVTXH�� F·HVW�d’expliquer tous les problèmes

conjugaux avec l’excision, précise Laura Beltran. Certaines femmes

pensent que tout va se résoudre

avec l’opération». Or, un mariage imposé, ou une sexualité forcée

sont autant de facteurs qui entravent une vie sexuelle épanouie. Ce que la chirurgie ne saurait réparer. « /H�ERXW� HVW� SHUGX�� LO� PDQTXH� TXHOTXH�chose qu’on ne pourra pas récupé-

UHU��PrPH�DYHF�O·RSpUDWLRQ, précise Roa’a Gharaibeh, sociologue. C’est

un peu comme perdre un bras et

PHWWUH� XQH� SURWKqVH�� dD� UHPSODFH��mais ce ne sera jamais la même

FKRVH�� ,O� \� D� XQ� WUDYDLO� GH� GHXLO� j�faire ».

©�/·RSpUDWLRQ�QH�GRLW�SDV�GHYHQLU�O·XQLTXH�UpSRQVH�j�OD�PXWLODWLRQ�ª

&{Wp� IRQFWLRQQHO�� OHV� EpQpÀFHV�de l’opération ne sont plus à véri-ÀHU��3OXV�G·XQ�WLHUV�GHV�IHPPHV�RSp-rées ont eu accès à l’orgasme pour la première fois dans l’année qui a suivie l’opération. Et la grande ma-jorité voit leur plaisir sexuel s’amé-liorer. Mais « la sexualité n’est pas

qu’une question d’organe, soutient Laura Beltran. Et le fait de redeve-

QLU�XQH�IHPPH��F·HVW�TXHOTXH�FKRVH�GH�EHDXFRXS�SOXV�ODUJH��/H�ELVWRXUL�n’est qu’un seul ingrédient ».

A l’hôpital Bicêtre, près de Paris, l’unité de soins des femmes excisées présente un bilan surprenant. Seules 10% des femmes qui y viennent se IRQW�ÀQDOHPHQW�RSpUHU��6RNKQD�)DOO�et Laura Beltran rencontrent chaque année une centaine de femmes, en compagnie d’Emmanuelle Anto-netti-Ndiaye, chirurgienne et gyné-cologue. Elles leur proposent un accompagnement psychologique ou sexologique. Et éventuellement une opération. « Il faut prendre le

temps d’écouter leurs demandes et

leurs souffrances », explique la thé-rapeute.

« 'HYHQLU� IHPPH��F·HVW� VH� UpDS-

proprier son corps », résume Koude-dia Keita, présidente de l’association « Marches en corps », qui sensibilise à la question de l’excision. Une dé-marche complexe, au-delà de l’acte chirurgical. « 6H�VHQWLU� IHPPH��F·HVW�SRXYRLU�GpFLGHU��IDLUH�GHV�FKRL[�SRXU�VRL�PrPH��HW�oD�SDVVH�SDU�GpFLGHU�GH�son corps », souligne Laura Beltran.

« /·RSpUDWLRQ�QH�GRLW�SDV�GHYHQLU�l’unique réponse à la mutilation » rappelle la sociologue Roa’a Gharai-beh, d’autant plus que « beaucoup de

femmes n’ont pas accès ou n’ont pas

OHV�PR\HQV�GH�VH�IDLUH�UpSDUHU�». En France, elles ne sont que 4000 à avoir SURÀWp� GH� O·LQYHQWLRQ� GX� GRFWHXU�Foldès. Des chercheurs de l’Institut national des études démographiques

21

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(Ined) ont interrogé des femmes excisées : 60% d’entre elles ne sou-haitent pas être réparées, même si elles connaissent la technique. Elles n’en ressentent pas le besoin. Dans le monde, et surtout dans les pays où l’on pratique les mutilations géni-tales, cette technique reste marginale, réservée aux classes aisées.

Une vision occidentale« /·REMHFWLI� Q·HVW� SDV� GH� UpSD-

UHU��PDLV�GH�QH�SDV�H[FLVHU », répète Marie-Noëlle Arras. Mieux vaut prévenir que guérir. D’autant plus que les actions de sensibilisation permettent de lever un tabou, étape indispensable avant de passer à une réparation. Koudedia Keita organise des marches en France pour infor-mer sur les mutilations génitales féminines. « Ça libère la parole. Je

rencontre des femmes qui parlent de

leur excision pour la première fois.

2Q�Q·HQ�SDUOH�SDV�QRUPDOHPHQW��QL�HQWUH�DPLHV��QL�HQ�IDPLOOH�».

Lever un tabou sans jeter la pierre. « Il ne faut pas que les mères

se sentent accusées ou culpabili-

sées », explique Roa’a Gharaibeh. Les discours qui accompagnent la lutte contre l’excision véhiculent trop souvent une image négative des sociétés traditionnelles africaines. Barbares et rétrogrades. Or, comme l’explique Christine Bellas Cabane,

ces « attaques qui mêlent jugements

PRUDX[� HW� UpDOLWpV� REMHFWLYHV�� RQW�provoqué une forme de repli iden-

titaire ». L’excision est devenue un symbole à défendre, celui d’une « identité africaine et religieuse

hostile au monde occidental ». De chaque côté, préjugés et stéréotypes s’élèvent comme autant d’obstacles à l’abandon d’une pratique néfaste pour la santé de la femme.

« -H�QH�VXLV�SDV�TX·XQ�FOLWRULV��HW�SRXUWDQW��RQ�PH�O·D�FRXSp », résume ainsi une féministe égyptienne. L’excision est un acte horrible, mais faut-il en rajouter en niant la fémini-té d’une femme mutilée ? Car même excisée, elles restent des femmes comme les autres. « Je suis mal à

l’aise quand des médecins parlent

GH�UHFRQVWLWXHU�XQH�IpPLQLWp��oD�VXS-

pose qu’une personne non réparée

Q·HVW� SDV� HQWLqUH�� SDV� QRUPDOH », souligne Sokhna Fall. Les discours peuvent être violents, et lourds de conséquences. Comme pour cette jeune femme, qui a cessé de ressen-tir du plaisir le jour où elle a appris qu’elle n’avait pas de clitoris.

Lorène Lavocat1 Entière, Marie-Noëlle ARRAS, Broché, 2008.2 Dieu d’eau, Marcel GRIAULE, Fayard, 1966.

Que dit

la loi ?(Q�)UDQFH��O·H[FLVLRQHVW�FRQVLGpUpH�FRPPHXQH�YLROHQFH�©�ayant entraînéXQH�PXWLODWLRQ�RX�XQH�LQÀUPLWp�permanente�ª��SXQLH�GH����DQV�G·HPSULVRQQHPHQW�HW���������½�G·DPHQGH��DUW���������'HV�SRXUVXLWHV�SRXU�QRQ�DVVLVWDQFH�j�SHUVRQQH�HQ�GDQJHUVRQW�SRVVLEOHV��/HV�PpGHFLQV�GRLYHQW�VDLVLU�OHV�DXWRULWpVMXULGLTXHV�RX�PpGLFDOHVDÀQ�G·HPSrFKHU�XQH�PXWLODWLRQ�4XDQW�j�OD�FLUFRQFLVLRQ��HOOH�Q·HVW�SDV�LQWHUGLWH��(OOH�SHXW�PrPH�rWUH�UHPERXUVpH�'DQV�XQH�UpVROXWLRQ�DGRSWpHOH��HU�RFWREUH�������OH�&RQVHLO�GH�O·(XURSH�DVVLPLOHOD�FLUFRQFLVLRQ�j�XQH�YLRODWLRQ�GHV�GURLWV�GH�O·HQIDQW��0DLVOD�GHFLVLRQ��TXL�Q·HVW�SDVFRQWUDLJQDQWH�SRXU�OHV�(WDWV�PHPEUHV��D�pWp�YLROHPPHQW�FRQGDPQpH�SDU�OHV�RUJDQLVDWLRQV�MXLYHV�HW�PXVXOPDQHV�

/�/�Selon The Lancet, 99% des femmes excisées se sont faites opérer « pour retrouver leur identité ». (Dessin : Pauline Alcala)

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Anzoumane Sissoko, tête de liste des sans-voix, au marché des Enfants-Rouges, dans le IIIe arrondissement de Paris. (Photo : Jérémy Gabert)

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Des sans-voix

pour le vote des étrangers

Immigrés extracommunautaires et Français ont constitué symboliquement une liste

pour les élections municipales à Paris. A sa tête, Anzoumane Sissoko, un Malien qui se bat

pour la régularisation des sans-papiers depuis une douzaine d’années.

Anzoumane n’a pas chanté sous les fe-nêtres du QG de la candidate parisienne Anne Hidalgo : ven-dredi, les quelque

cinquante soutiens aux étrangers irréguliers ont terminé la marche en bordure de la place de la Bastille, ceinturés par les policiers, à une enjambée du 32 boulevard Henri-IV.

Le porte-parole de la Coordi-nation parisienne des sans-papiers (CSP 75) n’a pas hurlé dans le mé-gaphone non plus. Il s’est rangé der-rière la banderole des sans-voix, sa liste pour les municipales. 45 candi-datures déposées symboliquement la veille à la préfecture… et aussi-tôt invalidées, la moitié des inscrits étant des étrangers extracommunau-taires.

« Qu’importe, je saurai pour qui voter », lance une sympathisante, qui ôte le bâillon tricolore qu’elle a noué à hauteur de ses lèvres. « Nous mettrons des bulletins pour notre liste dans les urnes, annonce Anzou-

mane. Ils seront considérés comme nuls mais nous susciterons peut-être une réaction des autorités adminis-tratives. »

Visage anguleux, casquette pâle et sac en bandoulière. Le Malien de 49 ans, pourtant souvent silencieux, est écouté. Sous la tente du collectif, dressée chaque dimanche jusqu’aux élections municipales, en face de la mairie du XVIIIe arrondissement, on vient le saluer, lui demander conseil. Il répond posément. « En dehors de la liste des sans-voix, j’aide à constituer des dossiers de régularisation », explique celui qui conçoit en souriant être « le symbole politique » du mouvement, une tête brûlée.

« Les occupations, les négociations, il connaît »

« La colère bouillonne en lui », constate Martine, militante NPA. « Il sait ce qu’il veut, et quand il l’ouvre, ce n’est pas pour rien dire. » « C’est un homme honnête, droit, il se dé-mène pour les autres », salue Oussy,

un sans-papiers malien. De 7 heures à 9 heures 30, Anzoumane travaille au marché des Enfants-Rouges, dans le IIIe arrondissement. Il balaie les allés, passe les cartons au broyeur, nettoie les sanitaires. Puis rejoint sa femme et leurs deux enfants âgés de 11 et 8 ans, avant de repartir aider les étrangers en situation irrégulière. (QÀQ�� j� ��� KHXUHV� SLOH�� UHWRXU� DX�marché pour la fermeture.

« Les occupations, les négo-ciations, il connaît », résume Ma-rianne, une amie sénégalaise. Oussy se rappelle très bien de l’occupation de la Bourse du Travail de Paris en 2008. Le collectif réclamait sa part dans les mille régularisations promises par le gouvernement à la CGT. Après plusieurs ultimatums, le syndicat envoie ses gros bras pour évacuer les sans-papiers. « On s’est barricadé dans la grande salle. An-zoumane nous a demandés de faire nombre, de ne pas plier », raconte-t-il. Mais à l’arrivée de la police, le porte-parole a obtempéré. « Si l’on se montre violent, on ne peut plus

espérer ouvrir le dialogue », ana-lyse Anzoumane, qui a une trentaine d’occupations à son actif : la mai-rie de Neuilly-sur-Seine, le cabinet d’avocat de Nicolas Sarkozy, le siège du Medef, celui de la Licra. Avec, à chaque fois, son lot de régu-larisations.

Treize ans sans-papiers Lui a attendu treize ans avant

de l’obtenir, en 2006. Quant à la naturalisation, elle lui sera refusée six ans plus tard. « On me reproche mon militantisme », peste Anzou-mane, dont le nom apparaît sur un ÀFKLHU� GH� OD� SROLFH�� OH� 6WLF� �6\V-tème de traitement des infractions constatées), pour avoir organisé des manifestations sans autorisations. Il a également écopé de six semaines de détention pour « usage de faux ».

« J’ai un regret : je n’aurais pas dû venir illégalement. J’ai emprunté un mauvais chemin »��FRQÀH�W�LO��8Q�parcours semé d’embûches. « J’ai travaillé pendant sept ans comme agent d’entretien dans un magasin.

70 heures payées 39, vous vous ren-dez compte, la marge que s’est faite mon employeur ! »

« Je ne pensais pas rencontrer DXWDQW�GH�GLIÀFXOWpV�ª, explique-t-il, lui qui à 23 ans a été désigné par son père, chef du village de Monéa, au sud du Mali, comme celui qui étu-diera (jusqu’au bac) et voyagera.

Anzoumane a préparé pendant sept ans son entrée en France. Il y arrive dans « une simple voiture »� HQ������� WURXYDQW�ÀQDOHPHQW�XQ�moyen de joindre la Belgique en avion, en décollant de Guinée.

&LQTXLqPH�ÀOV�G·XQH�IUDWULH�GH�neuf enfants, Anzoumane soutient une école dans son village natal et envoie depuis régulièrement de l’argent, des vivres et des médica-ments à sa famille. Mais lundi, une seule question le taraudait : va-t-il FROOHU� SDU� GHVVXV� OHV� DIÀFKHV� GHV�candidats aux municipales, l’e-mail de la préfecture rejetant sa liste ?

Jérémy Gabert

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©�/·pJDOLWp�HQWUH�GHX[�KRPPHV�QH�VH�UpVXPH�SDV�j�XQH�TXHVWLRQ�GH�VDODLUHV�ª�

Laura, engagée

mais pas militante

Martine regrette

encore l’affaire Leonarda

A 21 ans, Laura est la plus jeune candidate de la liste. Française née d’une mère kabyle et d’un père français, cette étudiante en science politique à Nanterre garde « un pied dedans » sans se considérer comme une mili-tante. Elle est lasse de voir que, depuis 1981, les gouvernements passent mais que l’engagement de François Mitterrand reste lettre morte. « Cette liste est une piqûre de rappel. L’égalité entre deux hommes ne se résume pas à une question de salaires. C’est aussi une question de droits. Qui dit pas de droit de vote pour les étrangers extracommunautaires, dit représen-tation biaisée aux municipales, et notamment dans le XVIIIe arrondisse-ment. Paris, c’est eux ! Il ne faut pas l’oublier. »

Enseignante retraitée, Martine est militante au NPA. C’est elle qui, lors de la marche du Grand Paris, a prêté sa voiture, convertie en snack bar itinérant pour ravitailler les manifestants. L’affaire Leonarda lui hérisse le poil. « C’est inimaginable, dément ! Arrêter une enfant devant ses camarades, les précédents ministres de l’Intérieur ne se seraient pas permis. Et Manuel Valls se dit de gauche ! » Pour elle, si les enfants de sans-papiers trouvent globalement une place à l’école jusqu’au bac, « il est plus dur pour les adultes de suivre des études supérieures ou de les reprendre ».

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©�7RXW�OH�PRQGH�QH�SHXW�SDV�rWUH�IUDQoDLV��0DLV�REWHQLU�OH�GURLW�GH�YRWH��FH�VHUDLW�GpMj�oD�ª

Oussy, sans-papiers

depuis quatorze ans

Oussy a rencontré pour la première fois Anzoumane Sissoko à la Bourse du Travail. C’était en 2008. Il m’a « demandé de ne pas sortir, de faire front ». Les centaines de sans-papiers seront évacués par la CGT, après quatorze mois d’occupation. Oussy n’obtiendra SDV�GH�UpJXODULVDWLRQ��IDXWH�GH�SUpVHQFH�VXIÀVDQWH�VXU�OH�WHUULWRLUH��« J’avais 25 ans quand je suis arrivé en France », raconte le Malien de 39 ans. « J’ai été plusieurs années cuisi-nier avant de devoir travailler au noir. Aujourd’hui je suis au chômage : mon employeur ne pouvait plus me payer. » Lui qui étudierait la science politique s’il avait la possibilité de reprendre ses études, conclut avec détachement : « Tout le monde ne peut pas être fran-çais. Mais obtenir le droit de vote, ce serait déjà ça. »

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(A droite) Manifestation de la Coordination des sans-papiers de Paris, boulevard Beaumarchais, le 7 mars.(Photos : Jérémy Gabert)

©�/HV�(XURSpHQV�SHXYHQW�YRWHU��

�SRXUTXRL�SDV�QRXV�"�ª

Marianne, sans emploi stable

pas de naturalisation

Nancy, sans-voix en France

et dans son pays natal

Marianne a 57 ans, « mais la retraite, ce n’est pas pour tout de suite ». Cette Sénégalaise, mère de six enfants, « tous restés au pays » à l’excep-WLRQ�G·XQH�GH�VHV�ÀOOHV��DFWXHOOHPHQW�HQ�VLWXDWLRQ�UpJXOLqUH��PXOWLSOLH�OHV�petits boulots. Agent d’entretien, garde d’enfants, après avoir suivi une formation d’auxiliaire de vie en France. « C’est pas facile », martèle-t-elle. « On ne m’a jamais reproché mes origines mais souvent mon âge. C’est dingue, les recruteurs ne devraient juger que de la volonté des candi-dats. » 'LIÀFLOH�SRXU�HOOH�GH�GHPDQGHU�XQH�QDWXUDOLVDWLRQ�VDQV�XQ�HPSORL�stable, a fortiori quand on n’a pas de logement à son nom. Mais le droit de vote « devrait passer avant » : « les Européens peuvent voter, pourquoi pas nous ? »

Nancy, une Canadienne de 51 ans, vit depuis vingt ans dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où elle est propriétaire de son logement. Son métier : informer les patients qui se soumettent aux essais cliniques de médicaments. Faute d’avoir participé à une élection canadienne ces dernières années, elle a perdu son droit de vote, sans pour autant lancer la démarche pour l’obtenir en France. Résultat, « je ne peux voter nulle part », peste-t-elle. « J’ai repoussé ma demande de naturalisation en 2012, lors de la campagne présidentielle de François Hollande. Il avait promis d’accorder le droit de vote aux étrangers extracommunautaires. (…) Moi ça ira, j’obtiendrai facilement ma naturalisation, en six mois peut-être comme mes amis anglais et américains mais Anzoumane Sissoko, après plus de vingt ans sur le territoire, on lui reproche son militantisme. »

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I l passerait presque inaperçu

dans la fourmilière du tri-

bunal de grande instance de

Paris. Vêtu d’un anorak, bas-

kets aux pieds, Jackie arpente

quasi quotidiennement les

longs couloirs de l’institution d’un

pas lent, mains jointes dans le dos.

Il n’est pas rare de le voir assis

sur un des bancs de bois installés

devant les différentes chambres,

parler à de parfaits inconnus ou à

quelque avocat qu’il connaît « de

vue ». Ce retraité fait partie de ceux

qui assistent aux audiences « pour le

plaisir ». La première fois que Jac-

kie est entré dans le Palais de jus-

tice de Paris, c’était en juillet 1957.

Quand on lui demande pourquoi, la

réponse est claire : « ben, pour voir

à quoi ça ressemblait », lâche le

vieux monsieur avec un franc-par-

ler qui le caractérise, ses yeux d’un

bleu vif écarquillés.

Jackie a beau s’intéresser aux

audiences, il n’avait a priori aucune

prédilection pour les palais de jus-

tice. Cette habitude, il l’a prise pour

des motifs beaucoup plus triviaux ;

l’entrée gratuite et la température

ambiante, agréable par temps de

grands froids. D’ailleurs, Jackie ne

s’y rend qu’en hiver, « l’été (il va) à

la campagne ». Et s’il a continué à

le faire, c’est parce que ça lui « oc-

cupait l’esprit ».

Une curiosité sans limiteA le voir, on le prendrait

presque pour un ancien de la mai-

son, revenu hanter les quelques 37

000 m2 de couloirs du palais. La

vie professionnelle de Jackie s’est

pourtant déroulée loin de ces murs.

« J’étais peintre dans le bâtiment. Et

alors ? » questionne-t-il, comme s’il

était sur le point de se fâcher avant

de poursuivre : « mais j’ai pas fait

n’importe quoi hein : j’ai travaillé

dans la maison de Jean-Paul Guer-

lain à Montfort-l’Amaury, j’ai par-

ticipé à la création du musée d’Or-

say... J’étais même là quand on a

construit le siège social de Cartier,

rue François 1e». Sa première visite

du palais, il l’a faite quand il travail-

lait encore. Ce jour-là, « il faisait

très froid et on pouvait entrer comme

on voulait ». Depuis que les procès

d’assises ne se tiennent plus l’après-

midi, Jackie a élu domicile vers le

tribunal correctionnel qui s’occupe

des délits. On peut l’y croiser « trois

ou quatre fois par semaine ». Il af-

fectionne particulièrement la XVIIe

chambre, en charge des affaires de

presse et de diffamations « pour les

cancans qu’on y entend et parce que

le reste, c’est devenu une plaisante-

rie : les prisons sont pleines, un tas

de délits ne sont plus poursuivis ».

Pour lui, la justice est devenue trop

clémente.

Doté d’une mémoire déconcer-

tante, il pourrait passer des heures

à relater les audiences auxquelles il

a eu l’occasion d’assister. Tous ses

souvenirs, également accumulés au

tribunal de Meaux et de Bobigny,

commencent par la même anaphore :

« j’me rappelle de cette affaire qui

était passée à la XVe (chambre) ».

Souvent, Jackie extirpe de sa poche

un petit rectangle cartonné. C’est là

qu’il note les audiences qui l’inté-

ressent, ou les renvois. Mais cette

passion le quitte quand il a passé les

larges grilles noires du tribunal. « Je

lis la presse, mais pas les comptes-

rendus d’audience » martèle-t-il.

Certes, le mobile du crime et l’ins-

truction l’intéressent, mais pour le

reste… « J’en ai rien à cirer moi des

plaidoiries des avocats et des réqui-

sitions du procureur ».

Un signe du gendarmeEn une demie décennie, des

« accros » d’audience comme lui, le

retraité en a connus. « Maintenant

il n’y a presque plus personne. Les

gens disparaissent. » Un avocat âgé

apparaît au loin. Comme à chaque

passage, Jackie redevient silencieux.

Devant la XVIIe chambre, spécialisée dans les affaires de presse et de diffamation, les avocats attendent la prochaine audience. (Photo : Jérémy Gabert)

L’ombre du palaisRetraité du bâtiment, Jackie est un « accro » des salles d’audiences. Tous les jours, il rôde dans les couloirs du palais de justice de Paris, à l’affût de procès captivants et d’affaires hors du commun.

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La main en visière au-dessus de ses

épais sourcils poivre et sel, il scrute.

« Qui c’est celui-là ? Ah non c’est

pas lui… » Puis il sort de sa torpeur.

« Même les journalistes ne sont plus

aussi nombreux qu’avant. Quant

aux avocats, ils sont trop nombreux.

À Paris il y en a autant que dans

toute l’Allemagne ! Tu trouves ça

normal toi ? » Les gendarmes qui

le croisent lui adressent souvent un

petit signe. « Je ne les connais que

de vue, précise Jackie. C’est comme

des magistrats ou des présidents

de correctionnelles. Je sais que lui

s’appelle comme ça et où il était il y

a dix ans, mais ça s’arrête là. »

Soixante ans de souvenirsJackie a vu évoluer le Palais.

« Avant il n’y avait pas tous ces

oiseaux-là », ronchonne-t-il en

évoquant les nombreux gendarmes

issus de la compagnie de sécurité

des palais nationaux (CSPN) en

charge de la sécurité du tribunal de

grande instance de Paris. « On pou-

vait entrer comme dans un moulin,

directement par le métro et les salles

d’audience n’étaient pas gardées et

surveillées comme aujourd’hui ».

À peine remarquable, l’ancienne

bouche de métro a pourtant laissé

des vestiges à gauche des escaliers

principaux du palais. Un petit muret

rectangulaire délimite ladite sortie.

À l’époque, une autre issue donnait

également un accès direct à la pré-

fecture de police.

« Avant, on pouvait entrer comme dans un moulin, les salles Q·pWDLHQW�SDV�JDUGpHV�FRPPH�DXMRXUG·KXL�ª

Quant aux nombreux gendarmes,

ils seraient en place selon lui depuis

l’évasion de Jean-Jacques Willoquet

du tribunal en 1975. Complice de

Jacques Mesrine, Willoquet était

jugé au tribunal correctionnel pour

onze attaques à main armée. Jackie

a eu vent des faits, qu’il raconte sans

oublier le moindre détail : « tu vois,

la XIVe chambre était en travaux. Du

coup elle siégeait dans les locaux de

la XXXIe qui s’appelait XVIe avant… »

L’histoire, la voici : alors que Jean-

Jaques Willoquet se trouve dans le

box, sa femme, déguisée en avocate,

s’en approche, grenade dégoupil-

OpH�HQ�PDLQ��(OOH�FRQÀH�XQH�DUPH�j�son mari. Le juge et le substitut du

procureur sont pris en otage et un

gendarme blessé. Les époux s’en-

fuient... Ils seront arrêtés quelques

mois plus tard. La sécurité aurait été

renforcée depuis cette affaire.

La question du dispositif de sûre-

té se posera d’ailleurs une nouvelle

fois, au moment de la délocalisation

du tribunal de grande instance de

Paris aux Batignolles d’ici à 2017.

Quand on évoque ce déménage-

ment, Jackie devient moqueur. « Ah

ben dis donc c’est pas près d’arri-

ver c’est pas sorti de terre encore

! Y a pas de thunes. » Mais vous

irez ? « Oh j’en sais rien… Tu me

demandes quand je vais mourir ? »

Manon Gauthier-Faure

31

La Une du Petit Journal datée du 24 mai 1908, Le dernier

FULPH�GH�O·RJUHVVH. 5pFLW�VXU�OHV�PHXWUHV�G·HQ-

fants par strangulation com-mis par Jeanne Weber, sur-

QRPPpH�©�O·RJUHVVH�ª��

Page 33: 04 Cosmos 2014

Des Unes aux couleurs criardes

et aux titres outranciers, des émis-

sions de télévision qui tentent de faire

la lumière sur d’anciens crimes ou

reviennent simplement sur les faits.

Depuis quelques années, le fait divers

est partout. Il occupe l’espace média-

tique immodérement. Et les créa-

tions ne cessent de se multiplier, au

risque de banaliser cette rubrique qui

ÀW�SRXUWDQW�O·kJH�G·RU�GH�OD�SUHVVH�DX�XIXe siècle.

Le lecteur assiste à une VXUHQFKqUH�GDQV�O·KRUUHXU

Le fait divers est évoqué pour la

première fois par Le Petit journal en

1863. Pour ses théoriciens, il désigne

toutes sortes d’histoires quotidiennes,

et ne devient fait divers que s’il est

médiatisé. Il se constitue comme

rubrique dès le XVIIe siècle. Même

si elle refuse de l’intégrer en tant

que telle, La gazette de Théophraste

Renaudot, plus ancien journal publié

en France à partir de 1631, admet son

existence. L’existence d’une caté-

gorie d’informations composée de

crimes et de catastrophes.

Fondé en 1863, Le Petit jour-

nal donne tout de suite une place au

fait divers. Il gagne ses lettres d’or

avec l’affaire Troppmann en 1869.

Quand huit membres d’une même

famille sont retrouvés morts à Pantin,

l’affaire connaît un retentissement

immédiat. Le tirage du journal passe

ainsi de 200 000 exemplaires par jour

à 500 000 en un temps record.

Aujourd’hui, les publications

spécialisées dans le fait divers se

multiplient. La plus connue reste Le

nouveau détective, quatrième appel-

lation de Détective, publiée à partir de

1928. Ce magazine, dont le but est de

revenir sur des crimes ou des affaires

généralement très violentes, trône

désormais au côté d’une multitude de

déclinaisons. Dans le kiosque, le lec-

teur assiste ainsi à une surenchère de

l’horreur.

Ce genre semble pourtant retrou-

ver une certaine forme de noblesse

avec les mooks, ces revues, géné-

ralement trimestrielles, à la croisée

du magazine et du livre. Crimes et

Châtiments et Alibi en font partie.

Dans un style plus élaboré, elles

reviennent sur des faits divers mais

proposent également des nouvelles,

s’intéressent largement aux polars et

intègrent dans leurs pages des sujets

justice.

'H�O·LQIRUPDWLRQ�����������������������au divertissement

Quand il fait son apparition dans

les journaux télévisés de 20 heures

au début des années 1960, le fait

divers ne représente que 2% des su-

jets. Deux ans plus tôt, l’arrivée de

Frédéric Pottecher en tant que pre-

mier chroniqueur judiciaire marque

le début de l’ascension de cette dis-

cipline.

Depuis, le fait divers s’est instal-

lé durablement sur nos écrans. Pour

le meilleur, comme pour le pire…

De 1990 à 2008, Le Droit de savoir

occupe la seconde partie de soirée

sur TF1. Cette émission revient sur

des sujets de société et s’empare

parfois de sujets sensibles, assimilés

aux faits divers. Lancé par France

2 en 1999, Faites entrer l’accusé,

reste une référence. Chaque épisode

dissèque une affaire criminelle dans

une mise en scène inquiétante. Le

téléspectateur assiste, tel un témoin,

à l’évolution de l’enquête. Vingt ans

plus tard, de l’information, le fait

divers passe au divertissement.

« Du journal télévisé ou maga-

zine, le voici qui conquiert les émis-

sions de variétés, la case documen-

WDLUHV��OHV�ÀFWLRQV�RX�OHV�WDON�VKRZV�ª�explique Claire Sécail dans son ou-

vrage Le crime à l’écran. L’arrivée

de la TNT (Télévision numérique

terrestre) sur les ondes a été pour

beaucoup dans cette ----++explo-

sion de programmes.

Enquêtes criminelles sur W9,

Chronique criminelle sur NT1,

Crimes sur NRJ12, Présumé inno-

cent sur Direct 8, Enquête de vérité

sur NRJ12 : autant d’émissions en-

tièrement consacrées aux faits di-

vers. Dernier programme en date,

cette fois sur le câble : Dans la tête

du tueur, présentée par l’ancienne

actrice de charme Clara Morgane

et le rappeur MC Jean Gab’1...

M. G.-F.

Aussi vieux que la presse, le goût du public pour les faits divers, qui mêlent l’incroyable et la banalité, n’est jamais retombé.

Drames, crimes et succès d’audience

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«Ce sont des

extra-ter-

r e s t r e s ,

tais-toi, tu

ne diras

rien. Ce

sont des extra-terrestres, tais-toi, tu

ne diras rien. » Charles Provost se souvient de cette voix dans sa tête, comme si c’était hier. En 1976, il s’approche en voiture d’une grande lueur qu’il aperçoit dans la plaine. Le jeune trentenaire se trouve alors soudainement paralysé, « comme

une pierre ». La voiture continue de rouler

toute seule. Il entend cette voix une nouvelle fois qui le force au silence. Quand son corps retrouve ses sen-sations, il fait demi-tour, se dirige à nouveau vers la lueur : la paralysie revient et la voix reprend sa litanie. Il se taira neuf ans, ne partageant ce moment qu’avec sa femme.

A 7 ans, Charles avait déjà observé un phénomène étrange : « un immense cigare de toutes les

couleurs » suspendu à une centaine

de mètres du sol. Pendant vingt mi-nutes, l’enfant se sent observé. De retour à la maison, son grand-père, qui l’élève, le rassure : « encore

une connerie des Russes ! »

Un matin de 1995, nouveau coup de théâtre : un morceau de peau carré manque sur sa langue ! Il ressent un picotement mais tout est bien cicatrisé. C’en est trop. Il contacte l’année suivante des « en-quêteurs », des bénévoles passion-nés des phénomènes paranormaux.

Aujourd’hui, Charles Provost raconte ses aventures à une cin-quantaine de personnes attentives. A chaque nouvelle révélation, un KRPPH�VRXIÁH�G·pWRQQHPHQW���©�oula-

lala, ah oui, quand même». Une fois par mois, le Mufon France, un or-ganisme basé sur une approche « VFLHQWLÀTXH�ª�GHV�3KpQRPqQHV�$p-ULHQV� 1RQ� LGHQWLÀpV� �3$1��� RUJD-nise des conférences à La Défense �3DULV���

La plupart des spectateurs et des intervenants n’ont pas l’air de déséquilibrés. Des retraités en ma-

jorité et quelques quadragénaires. Ils n’ont rien à voir avec les sectes.

Quand on rapproche les croyances de Charles et celles des Raëliens, ce mouvement qui croit que des extra-terrestres technolo-giquement avancés, les « elohim », ont créé la vie sut Terre, il s’insurge : « ah non ! Je ne crois pas du tout à

Raël ! Ce n’est pas la même chose,

c’est vraiment une secte ».

Ouverts et curieux Le sociologue des rumeurs, Jean-Bruno Renard1�� OH� FRQÀUPH� �� OHV�XIRORJXHV� �FHX[� TXL� pWXGLHQW� OHV�SKpQRPqQHV� SDUDQRUPDX[�� � HW� � OHV�« contactés », comme Charles, n’ont rien à voir avec des mouvements sectaires. Ce sont même des per-sonnes ouvertes, très curieuses et plus instruites que la moyenne.

Ils vivent dans un paradoxe existentiel : ils adorent la science mais la contestent en même temps. Ils seraient en quelques sortes frustrés et déçus que la science ne reconnaisse pas l’ufologie et l’exis-

WHQFH�GHV�291,��2EMHW�9RODQW�1RQ�,GHQWLÀp��

Dans les années 1950, les pre-miers « contactés » comptent parmi les premiers écologistes, selon Jean-Bruno Renard. Quand on croit à une existence extra-planétaire, comment ne pas être profondément convaincu que nous sommes tous des citoyens du monde et qu’il faut protéger notre Terre ? Dans un contexte de Guerre Froide, les « contactés » rejetaient fortement ce déchirement de la pla-nète en deux blocs.

Hormis les personnes qui se-raient entrées en contact avec des extra-terrestres, un sondage datant de 2002 montre que 52% des Améri-cains pensent que les extra-terrestres existent et ils sont 48% à croire qu’ils sont déjà venus sur notre pla-nète. Le phénomène est bien plus prégnant dans les pays anglo-saxons qu’en France.

Selon le sociologue des médias et des religions Sébastien Poulain2, on retrouve chez ces passionnés des OVNI bien plus que de la curiosité

Un OVNI, ou objet volant non

LGHQWLÀp��HVW�XQ�SKpQRPqQH�DpULHQ�TX·XQ�RX�SOXVLHXUV�WpPRLQV�DIÀUPHQW�DYRLU�REVHUYp�VDQV�SRXYRLU�O·LGHQWLÀHU��FRPPH�LFL��HQ�&RUVH��3KRWR���-HDQ�)UDQoRLV%RQDFKHUD�

Dingues d’aliens

La vie dans l’espace, ils y croient. Passionnés par les extra-terrestres,

experts en OVNI ou simples amateurs, ils défendent leur vision d’une autre réalité.

Voyage chez les « Contactés ».

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&KDUOHV�3URYRVW�VH�FRQVLGqUH�FRPPH�XQ�©�JUDQG�FRQWDFWp�ª��3KRWR���&OpPHQWLQH�0DUFKDLV�

pour les sciences. Déçus d’une hu-manité qui aurait perdu toute spiri-tualité, ils rejettent tous les religions mais croient en « quelque chose » et se posent de nombreuses questions.

Comme Lisa, une cinquantaine d’années, qui assiste aux rencontres ufologiques de Paris depuis cinq ans. Elle se sent « accompagnée par

quelqu’un » depuis l’âge de trois ans, quand elle a commencé à savoir lire. Dès lors, elle est convaincue d’être protégée par cet être. « Même

si la Terre explose, je survivrai ! » Elle a tout simplement l’impression d’avoir été « jetée sur une planète

arriérée », notre Terre.

« Même si la Terre explose, je survivrai ! »

« Tout est lent, même le TGV !

Je ne trouve ma vitesse que dans les

manèges à sensation ª�� DIÀUPH�W�elle avec un large sourire.

Aux rencontres ufologiques, la parole est libérée. Pas de tabou, tout le monde est ouvert et les débats s’en-chainent. Les extra-terrestres sont-ils des êtres bien ou mal intentionnés ? Le public se déchire sur la question.

Pour Lisa, ils sont forcément bons : s’ils voulaient nous détruire, ils l’auraient déjà fait depuis long-temps. « Ils ont l’air super ! », s’ex-clame-t-elle.

0HQ�LQ�%ODFN�Mais quand Charles évoque son implant dans la jambe posé, selon lui, par les extra-terrestres, certains doutent de leurs bonnes intentions. Comment peuvent-ils expérimenter des technologies sur des humains sans leur autorisation ? « Moi, ces

extra-terrestres, ils me font peur », lâche, d’une voix fébrile, l’organisa-teur aux grands yeux ronds.

Charles Provost le rassure : son implant est une bonne chose. Parce que oui, Charles en est convaincu, il porte un implant dans la jambe. Il le sait depuis qu’il fait des séances de « régression magnétique » chez un magnétiseur. Pendant ces ses-sions, il a des visions. C’est ainsi qu’il explique ce qui lui est arrivé en 1976. Il se voit entrer dans un vais-seau. Un être, aux oreilles pointues et qui semble vêtu « d’un collant

noir », l’accueille. Il se dirige vers une pièce « métallique et concave,

comme s’il se rendait chez le doc-

teur ». Il s’allonge sur une table d’opé-

ration, se déshabille et un extra-ter-

restre lui enfonce une seringue dans la jambe. Depuis, il assure porter la marque de cet implant qui, de temps à autre, grossit et devient rose trois jours avant qu’il n’observe un nou-veau phénomène paranormal. Pour rien au monde Charles ne ferait reti-rer son implant. Il sent qu’il en retire des pouvoirs, comme une communi-cation facilitée avec les animaux. Il se considère donc comme « un

grand contacté ».

Parmi les thématiques favorites des amateurs d’OVNI, il y a les Men In Black, chargés d’assurer la dis-crétion des aliens qui seraient déjà parmi nous. Encore une fois, Charles en est convaincu et encore une fois, il a une histoire qui le prouverait. En

1998, alors qu’il est commerçant dans une ville balnéaire, une femme vient acheter tous les jours, pendant une semaine, la même chose : deux nectarines, deux pêches. Et cette même semaine, chaque fois qu’il se rend chez le boucher et le boulan-ger, il se trouve nez-à-nez avec un homme.

Le vendredi, tous les deux le saluent d’une même voix méca-nique : « Au-re-voir-Mon-sieur-

Pro-vost ». Pourquoi la même voix ? Comment connaissent-ils son nom ? Il conclut d’une ma-nière peu convaincante : « voilà,

c’était juste pour dire qu’il y a des

Men In Black qui sont sympas ».

7RXV�FRQVSLUDWLRQQLVWHV�4XDQG�OD�ÀFWLRQ�GHYLHQW�OHXU�UpDOLWp��l’idée du complot n’est jamais loin. « Tous les présidents de la République

connaissent [l’existence des OVNI].

,O�\�D�GHV�VHUYLFHV�VSpFLDX[��PDLV�RIÀ-ciellement, ça n’existe pas ». Quand on demande à Charles de préciser sa pensée, la réponse est vague : « des ser-

vices spéciaux sur la question ». Pas de certitude donc, mais une croyance très forte.

C’est également son sentiment au sujet des Reptiliens, des lézards humanoïdes qui manipuleraient l’espèce humaine. Selon Charles,

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« ça peut exister, mais il ne faut pas

tomber dans la paranoïa », comme ce Néo-Zélandais qui, en février dernier, a demandé à son Premier ministre une preuve qu’il n’était pas un lézard déguisé en humain ! « J’ai

vu un médecin ainsi qu’un vétéri-

QDLUH�HW�WRXV�GHX[�RQW�FRQÀUPp�TXH�je ne suis pas un reptile », a répondu John Key, le Premier ministre.

Pour Charles Provost, les preuves ne sont pas là. « Je ne crois

que ce que je vois, comme Saint-

Thomas », même indirectement, par « régression magnétique ».

'HV�PDUJLQDX[ Selon le sociologue Jean-Bruno Re-nard, les théories conspirationnistes survivent grâce à la « convergence des marginalités », d’autant plus lorsque les nouvelles technologies nous mettent en relation avec la pla-nète entière.

Des personnes qui se sentent en marge de la société, parce qu’elles rejettent la réalité telle qu’elle est présentée, se retrouvent souvent sur des mêmes convictions.

Un tel évènement a été mani-pulé par les puissants, comme le 11 VHSWHPEUH�� /·+LVWRLUH� RIÀFLHOOH� HVW�un mensonge : la théorie des anciens astronautes veut que les dieux évo-qués par les anciennes mythologies

soient en fait des extra-terrestres humanoïdes. Les passionnés d’ufo-logie reconnaissent qu’il n’est pas facile de partager leur propre vision de la réalité avec leurs proches.

Lisa pense que sa famille est beaucoup trop matérialiste pour la comprendre. « Ils n’y croient

pas, ils s’en moquent. » Ils se font tout de même du souci pour elle puisqu’elle n’hésite pas à partir se promener dans la forêt toute la nuit.

Protégée par un « être », elle est WUqV�FRQÀDQWH�en la vie et dit ne rien craindre.

$VVXPHU�VHV�FUR\DQFHVQuant à Charles Provost, il n’a ja-mais évoqué ses récits incroyables auprès de ses clients lorsqu’il était commerçant. « Je passerais pour

un dingue », avoue-t-il. Il dit avoir été beaucoup moqué par son entou-rage « mais jamais blessé ». Son

expression préférée : « Vous avez le

droit de ne pas croire mais pas de

vous moquer ». Mais adhérer à une autre réalité, c’est tout remettre en cause, notre monde, notre organisa-tion, l’humanité. Charles est-il prêt à assumer cette croyance ?

Quand on lui demande si, par exemple, son implant ne serait pas en fait une blessure ou une piqûre de guêpe, il est catégorique : « vous

pouvez me jetez dans le feu, je dirai

que ça existe ! Je suis obligé d’y

croire. L’implant, je l’ai, c’est véri-

ÀDEOH�� /D� UpJUHVVLRQ� PDJQpWLTXH�aide à expliquer mais l’implant

reste une preuve ». Pourtant, en pri-Yp�� LO� FRQÀH�TX·LO� DLPHUDLW� ELHQ�XQ�jour connaître la vérité : rencontrer directement des extra-terrestres.

0rPH�V·LO�DIÀUPH�SXEOLTXHPHQW�que ces êtres lui ont déjà beaucoup apporté, on sent chez lui quelques regrets : connaîtra-t-il la vérité un jour ? Et surtout, restera-t-il tou-jours aussi fortement persuadé de l’existence des extra-terrestres et de son implant ? Pour le moment, il est convaincu d’être convaincu.

&OpPHQWLQH�0DUFKDLV1. Le Merveilleux. Sociologie de l’extraordi-

naire. Paris, CNRS Éditions, 2011.2. La fabrique des extraterrestres. Mots, n°92, 2010.

3OXV�GH�OD�PRLWLp�GHV�$PpULFDLQV�FURLHQW�DX[�H[WUD�WHUUHVWUHV��3KRWR���'DQLHO�&DPSR\�

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CultureAuteur de !lms d’action ou d’époque, de comédies dramatiques ou désopilantes , Patrice Leconte est un réalisateur complet. Comme lui, le photographe Je" Pachoud s’essaie aux di"érents genres, passant du journalisme d’actualité aux portraits d’anonymes. Deux artistes aux parcours singuliers.

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Jeff Pachoud, le 5 mars 2014, à Lyon. (Photo : Maxime Vatteblé)

Le jeune photographe vient de remporter le prix World Press Photo dans la catégorie sport. Rencontre avec un nouveau talent du photojournalisme, dont la vision du métier oscille entre réalisme et intimisme.

Des huskys cavalent dans la vallée de la Maurienne. Ce samedi 18 janvier 2014, les chiens courent, la langue

pendante, charriant leurs maîtres agrippés à leurs traîneaux. Ces hommes participent à la Grande Odyssée Savoie Mont-Blanc, une des courses internationales réunis-sant chaque année les plus grands « mushers », nom communément donné à ces pilotes d’attelage. Jeff Pachoud, photographe du bureau de l’Agence France Presse (AFP) de Lyon, couvre l’événement et suit la course à bord d’un hélicop-tère. Vu du ciel, le tracé sur lequel évoluent les chiens creuse de larges vallons recouverts d’une épaisse neige vierge, comme le sillon d’un

doigt plongé dans un pot de crème fraîche. L’image est capturée par le photographe qui rentre quelques heures plus tard à l’agence pour dé-poser les clichés, commandés dans la matinée.

Le 14 février dernier, Jeff Pachoud consulte sa messagerie électronique. Trentenaire depuis la veille, il ne s’attendait pas à rece-voir ce jour-là un e-mail de félici-tations pour une des photographies prises quelques semaines plus tôt. Le message provient du directeur de la photographie du bureau de l’AFP de Lyon. Il lui apprend qu’il vient de remporter le prix World Press Photo, le prestigieux concours annuel de photojournalisme, dans la catégorie sport. « Un moment sur-réaliste » résume-t-il à la terrasse d’un café situé Rue de la Barre, à

quelques pas de la place Bellecour de Lyon. Entre deux gorgées d’un décaféiné et de grandes bouffées de fumée, il cherche encore ses mots pour évoquer cette récompense et à dépasser sa timidité, lui qui se considère comme un « photographe débutant ».

Monsieur Tout le MondeCe prix n’est pas la reconnais-

sance d’une technique particulière mais celle de la beauté d’un décor naturel. « Il n’y a aucune prouesse dans cette image, elle est passée devant moi, j’ai juste appuyé sur le déclencheur. » Peu habitué à être interviewé, il tient surtout à nuancer la lumière portée sur sa jeune car-rière� ©� -H� QH� P·HQÁDPPH� SDV� GX�tout, c’est une reconnaissance ponc-tuelle, et de taille, mais il faut repla-

cer les choses dans leur contexte, le principal pour moi c’est de conti-nuer à faire des images, à raconter des histoires du mieux que je peux et continuer à apprendre mon métier. » Cette humilité, Jeff Pachoud la puise dans son rapport à la photographie, à la fois discret et direct.

Avant de devenir photographe professionnel, terme qu’il exècre, Jeff Pachoud s’intéressait déjà l’image. Il voulait aussi l’explorer en deux dimensions; il se rêvait alors dessinateur de bande dessinée. Adolescent, il s’amuse à reproduire les traits minutieux des supers hé-ros des comics Marvel dans le but G·DIÀQHU�VD�WHFKQLTXH��,O�OLW�DXVVL�OHV�« BD de monsieur tout le monde », des albums d’Astérix et des numé-ros de Fluide Glacial. Le dessin réaliste l’attire mais il atteint rapi-

Jeff Pachoud,anti-héros de la photo

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La photo lauréate du World Press 2013, catégorie « sport feature », capturée le 18 janvier 2014. Une course de chiens de traîneaux, une des étapes de La Grande Odyssée, près de Megève. (Photo : Jeff Pachoud)

La World Press Photo est une asso-ciation néerlandaise, basée à Amster-dam. Son but est de promouvoir la liberté de la presse et le photojourna-lisme de qualité. Depuis 1955, année de sa création, elle organise chaque année le concours international de photojournalisme qui porte son nom récompensant les meilleures photos de presse dans de nombreuses caté-gories : portrait, paysages naturels, sport, vie quotidienne…La catégorie « World Press Photo de l’année » est la plus prisée et la plus médiatique de ce concours. De grands photoreporters tels James Nachtwey, Don McCullin ou encore Frank Fournier l’ont remporté. Ce prix est à la photographie ce que la Palme d’or est au cinéma. Il consacre une photo de presse puissante, symbolisant au mieux son époque. Cette année, il a été remis au photographe américain John Stanmeyer de l’agence VII pour son cliché, publié au sein de la revue National Geographic, représentant des migrants africains à Djibouti, tenant tous leur téléphone à bout de bras, à la recherche de réseau télécom.

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Le World Press Photo, le plus célèbre prix de photojournalisme

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(De gauche à droite) Un soldat français dans un village afghan, François Hollande, et une femme sur un marché en Ukraine. (Photos : Jeff Pachoud)

dement ses limites, découragé par les nombreuses heures de travail à fournir pour parvenir à maîtriser son coup de crayon. Dans la famille, son père prend régulièrement des pho-tos. Lui s’y essaye assez tard, aux alentours de dix-huit ans alors que certains de ses illustres collègues étaient en culottes courtes lorsqu’ils prenaient leur premier cliché.

Mettre les détails au premier plan

Cette seconde passion lui per-met de capter la réalité, qu’il voulait d’abord dessiner, dans un nouveau langage. « J’ai commencé à faire de la photo de mon côté au lycée et j’ai su que c’est ça que je voulais faire. Je me suis inscrit dans une école de photo, pour rassurer mes parents : ma mère voulait que je poursuive mes études. Quand je lui ai dit que je ferai de la photo, elle est tombée de l’armoire », glisse-t-il dans un sourire nonchalant, fendant sa barbe fournie. Loin des idées reçues de la vocation et de la passion chevillée au corps dès l’enfance, Jeff Pachoud a pris son temps pour s’épanouir et le prends encore, notamment lorsqu’il élabore une série intitulée Every Day (Work in Progress) où il pho-tographie, quasi quotidiennement,

des lieux qu’il traverse. Un éloge de la lenteur, au cœur de sa démarche professionnelle et artistique. Les réalités retranscrites par le pho-tojournalisme sont pour lui les plus parlantes. Il découvre d’abord les grands noms du genre comme Henri Cartier-Bresson puis admire le tra-vail de l’américain James Nachtwey, un des plus grands photographes de guerre. Stanley Greene, qu’il aborde un peu plus tard, est un autre pho-tographe qu’il apprécie. Si son nom ÀJXUH� DXMRXUG·KXL� DX� F{Wp� GH� SUR-fessionnels renommés grâce au prix World Press, il s’interdit d’y voir une consécration. « Se retrouver à côté de ces gens, c’est absolument intimidant, je suis à des années lumières d’eux »�� FRQÀH�W�LO�� -HII�Pachoud a pourtant eu l’occasion d’arpenter des terrains foulés par de grands reporters.

©�,O�Q·\�D�SDV�GH�FDVWH�GH�OD�SKRWR�SRXU�PRL�ª

En septembre 2012, il s’envole en Afghanistan couvrir le retrait des troupes françaises pour l’AFP

et suivra l’unité mécanisée du 16E Bataillon de Chasseurs. En discutant avec les soldats, il apprend qu’un membre de ce bataillon habite à Ge-nas, une ville située à une vingtaine de kilomètre de Lyon. De la base de Nejrab à Kaboul, jusqu’au retour au foyer familial où sa femme enceinte de six mois l’attend, Jeff Pachoud veut raconter la vie de cet homme. Il VH�IRFDOLVH�VXU�XQ�IUDJPHQW��VLJQLÀ-catif de l’événement qu’il était venu couvrir. Sa démarche est la même lorsqu’il réalise des commandes pour la presse locale. « Il n’y a pas de caste de la photo pour moi. Le métier est le même que l’on soit un reporter de guerre ou bien un pho-tographe de PQR qui doit enchaîner cinq reportages par jour et faire en sorte que ses images soient de qualité, c’est dur et ce n’est abso-lument pas moins méritoire qu’autre chose », assure-t-il, sans fausse mo-destie. Les petites histoires font la grande, c’est une certitude pour lui.

Le photojournalisme est un tremplin sur lequel il est aujourd’hui H[WUrPHPHQW� GLIÀFLOH� GH� V·pODQFHU��Les salaires décents s’y font de plus en plus rares. Dans ce contexte, le style et les intentions du photo-graphe font la différence. Après deux ans passés à faire ses classes

à l’Ecole de Condé, le Lyonnais a envie de « raconter des histoires » et a faim de reportage. Une fois les bases acquises, il se met à photogra-phier la ville qu’il connaît et forme son regard, pendant son temps libre. « Il faut aiguiser son œil dans la rue. C’est ce que j’ai fait : j’allais aux manifs à Lyon, sans bosser pour personne, juste pour m’exercer. » Jeff Pachoud commence à prendre des photos pour la Tribune de Lyon en 2005. Licencié pour raison éco-nomique un an plus tard, il pige ensuite pour l’AFP pendant six ans, essentiellement à Dijon puis revient j�/\RQ�HQ�������GpVRUPDLV�RIÀFLHO-lement embauché par l’agence. Un statut « privilégié » qui lui laisse le loisir de soigner son style.

« Une valeur documentaire »Portraits de prêtres retraités,

couverture d’une partie de chasse à courre ou encore reportage dans une entreprise de pompes funèbres, le photographe met à disposition sur son site des travaux plus personnels. La série de portraits intitulée Les Gens, pour certains réalisés en marge d’un reportage, synthétise son ap-proche : hommes politiques, acteurs et anonymes prennent tous la même pose, droits comme des « i », au

centre du cadre. Dans les légendes, tous les sujets sont présentés par leurs prénoms « J’ai la même intention de raconter une histoire lorsque je pho-tographie un inconnu ou un ministre. J’avais envie de mettre tout le monde au même niveau », explique-t-il. Jeff Pachoud revendique un photojour-nalisme qui se détache de la seule dictature de l’actualité et de l’évé-nement garant de l’image la plus spectaculaire.

Ce souci de proximité, Jeff Pa-choud le cultive dans l’ensemble de ses clichés. Et il compte bien pour-suivre dans cette voie, indépendam-ment de l’honneur qu’il vient de recevoir de la part de ses pairs. Pour lui, le photojournalisme n’est pas simplement une représentation de l’instant mais une démarche répon-dant à une logique, une cohérence. « Le quotidien des gens m’intéresse énormément. À très long terme, je pense que cela aura une valeur docu-mentaire », commente-t-il à propos de son travail. Au-delà de la renom-mée et de l’objectivité, valeur sacra-lisée et galvaudée de la photographie de presse, la vision de Jeff Pachoud réhabilite l’une des approches fonda-mentales du journalisme, la sincérité.

Maxime Vatteblé

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Dans ces deux pages pa-rues dans le magazine Pilote au mitan des an-nées 1970, la patte du grand cinéaste est déjà là. Un homme, carica-

ture du nanti content de lui, — géant massif, cigare aux lèvres, haut-de-forme —, s’étonne que les journaux titrent sur la « crise ». Il entre dans un restaurant trois étoiles. Attablé devant un repas gargantuesque, il s’effondre, « foudroyé par une crise de foie », rapporte la presse. Dessinant « des

pages et des pages » à cette époque, Patrice Leconte, alors jeune diplômé de l’Institut des hautes études ciné-matographiques (Idhec), savait mettre en œuvre « concision », art du décou-page, comique de situation et sens du rythme.

Lorsqu’il sort son premier long-métrage en 1975, l’époque est au succès de comédies joyeuses et de qualité, fondées sur l’un de ces sché-

mas invariables : personnages plus grands que nature, groupes d’amis ou duos composés d’un clown blanc et d’un auguste. Joués par des acteurs talentueux, servis par des GLDORJXHV� FLVHOpV�� OHV� ÀOPV� G·<YHV�Robert, Edouard Molinaro, Georges Lautner, Gérard Oury, Francis Veber ou Claude Zidi triomphent.

Introduit à Pilote par Gotlib, Patrice Leconte écrit avec le des-sinateur un scénario : Les Vécés

étaient fermés de l’intérieur. Il WRXUQH�OH�ÀOP�DYHF�-HDQ�5RFKHIRUW�HW�Coluche, qu’il avait rencontré avant qu’il devienne « une très grosse

vedette de music-hall ». Malgré les GHX[� WrWHV� G·DIÀFKH�� FHWWH� FRPpGLH�policière, comme les trois Fantô-

mas (André Hunebelle) avec Louis De Funès la décennie précédente ou Inspecteur la bavure (Claude Zidi) en 1980 avec Coluche, « n’a pas

marché » auprès du public, déplore Patrice Leconte.

L’échec est rude. Mais, grâce à d’autres histrions de café-théâtre, il parvient à rebondir. Il sympathise avec la troupe du Splendid, dont la pièce

Amours, coquillages et crustacés sus-cite l’enthousiasme des spectateurs. Se voyant proposer une adaptation au grand écran, les comédiens refusent de tourner avec un autre réalisateur que Patrice Leconte, ni qu’« un metteur

HQ� VFqQH� FRQÀUPp� FRPPH� (GRXDUG�Molinaro ou Claude Zidi » chapeaute

le jeune cinéaste. « J’avais la peur au

ventre parce que c’était mon deuxième

ÀOP��-H�Q·DYDLV�SDV�OH�GURLW�GH�PH�JRX-

UHU� XQH� GHX[LqPH� IRLV��0DLV� OH� WRXU-nage était extrêmement joyeux, insou-

ciant », se souvient-il. « Au moment

où j’étais un peu démoralisé, voire

carrément à la ramasse parce que je

me demandais comment j’allais pou-

voir continuer le métier que je m’étais

choisi, j’ai fait Les Bronzés��(W�PD�YLH�D�FKDQJp��ª

6RUWL� HQ� QRYHPEUH� ������ OH� ÀOP�attire quelque 2,4 millions de per-sonnes dans les salles. Comme Claude Zidi dirigeant Les Charlots ou, dans XQ� VW\OH� GLIIpUHQW��<YHV� 5REHUW� GDQV�Un éléphant ça trompe énormément (1976) et sa suite Nous irons tous au

paradis (1977), le réalisateur met en scène une bande d’amis. La satire du culte des congés payés, des clubs de vacances, de la drague d’été et de la révolution sexuelle en marche est HIÀFDFH�� /HV� GLDORJXHV� QH� VRQW� SDV�

Patrice Leconte dans

son bureau parisien,

le 7 mars 2014.

(Photo : Timour Aggiouri)

Patrice Leconte, l’inclassableDepuis ses premières comédies dans les années 1970, le réalisateur a exploré tous les genres ou presque. Retour sur sa carrière et l’évolution EV�DJOÏNB�QPQVMBJSF�GSBOÎBJT�Pá�JM�GBJU�mHVSF�E�FYDFQUJPO�

44

« Au moment R��M·pWDLV�XQ�SHX�GpPRUDOLVp�� M·DL�IDLW� Les Bronzés »

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Jean Rochefort et Coluche,

WrWHV�G·DIÀFKHV� des Vécés étaient fermés GH�O·LQWpULHXU (1975),

le premier long-métrage

de Patrice Leconte.

(Photo : DR)

45

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G·XQH�H[FHSWLRQQHOOH�ÀQHVVH�HW�QH�UHV-semblent en rien à ceux, imagés, in-ventés par Michel Audiard. Les per-sonnages des Bronzés sont des beaufs

dans toute leur splendeur, et le ÀOP� Q·HIÁHXUH� SDV�les thématiques so-ciales que la crise pétrolière rend pré-gnantes. La même année, le public

se précipite devant La Zizanie de Claude Zidi, avec Louis De Funès en patron d’usine. Cette comédie qui a aussi tout de la légèreté boulevar-dière, évoque des sujets sérieux en résonance avec l’époque, le chômage et l’écologie.

Chez Patrice Leconte, la gravité viendra après Les Bronzés font du ski, suite du premier volet sortie en 1979. Dans Viens chez moi, j’habite chez

une copine (1981), il raconte l’histoire d’un homme sans le sou qui, ayant perdu son domicile en même temps que son emploi, s’installe chez un ami et sa compagne. Dans Ma femme s’ap-

pelle reviens (1982), un médecin subit le départ de son épouse et se rapproche de sa voisine, qui souffre également G·XQH� UXSWXUH�� (QÀQ�� GDQV� Circulez

y’a rien à voir ! (1983), un policier harcèle une femme qu’il a rencontrée pendant son travail. Michel Blanc WLHQW�OH�U{OH�SULQFLSDO�GH�FHV�WURLV�ÀOPV�enlevés et intelligents. Il ne compose plus Jean-Claude Dusse, son person-

nage des Bronzés. « Le ton est un peu

différent parce que ce ne sont pas des

ÀOPV� FROOHFWLIV, remarque Patrice Le-conte. ,O�HVW�OH�UHÁHW�GH�QRWUH�FROODER-

UDWLRQ�j�0LFKHO�%ODQF�HW�j�PRL�PrPH��» Sans basculer dans le tragique, ces comédies représentent la solitude et la GLIÀFXOWp�GHV�UDSSRUWV�KXPDLQV��

Changement nécessaireDésormais réalisateur reconnu,

Patrice Leconte aurait pu continuer dans la même veine. « Je m’étais

mis sur des rails assez confortables

et sans doute un peu navrants de la

FRPpGLH�� >«@� &·pWDLW� GDQJHUHX[��parce qu’il y avait comme une espèce

de confort qui me serait retombée sur

OH� FRLQ�GH� OD�ÀJXUH�ª, estime-t-il. Le

producteur Christian Fechner est à l’origine de ce changement néces-saire. Il déclare un jour à Patrice Le-conte : ©�¶9RLOj��M·DL�XQ�SURMHW�GH�ÀOP�HQ� WrWH�� >*pUDUG@� /DQYLQ�� >%HUQDUG@�*LUDXGHDX�� OD�&{WH� G·$]XU�� XQ� FDVVH�DKXULVVDQW�� 4X·HVW�FH� TXH� YRXV� HQ�dites ?’ Il n’y avait rien d’autre que

oD��(W�LO�DMRXWH�: ‘J’adorerais faire ce

ÀOP�DYHF�YRXV��FH�VHUDLW�SDUIDLW�·�(W�MH�OXL�DL�GLW���¶7UqV�ELHQ��RQ�YD�IDLUH�oD�·�>«@�-·DL�LPPpGLDWHPHQW�YX�GDQV�FHWWH� proposition très inattendue la possi-

bilité d’aller ailleurs, de faire dérail-

OHU� XQH� PDFKLQH� WURS� ELHQ� UpJOpH�� ª L’élaboration des Spécialistes peut commencer.

Rassemblant plus de 5,3 millions GH�VSHFWDWHXUV��OH�ÀOP�HVW�XQ�FDUWRQ�HQ�1985. Le duo Lanvin-Giraudeau fait penser aux duettistes dirigés à trois reprises par Francis Veber, Pierre Ri-chard et Gérard Depardieu (La Chèvre en 1981, Les Compères en 1983, Les

Fugitifs en 1986). Dans Les Spécia-

©�8QH�HVSqFH�GH�FRQIRUW�TXL�PH�VHUDLW�UHWRPEpH� VXU�OH�FRLQ�GH�OD�ÀJXUH�ª�

Patrice Leconte avec Anna

Galiéna, femme aimée du Mari GH�OD�FRLIIHXVH (1990).

(Photo : DR)

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©�/HV�SURGXFWHXUV�Q·RQW�SDV�EHDXFRXS�G·LGpHV�� LOV�SUHQQHQW� WRXMRXUV�OH�WUDLQ�HQ�PDUFKH�ª

listes, les deux acteurs, qui interprètent des détenus évadés, sont toutefois au service de l’action pure, comme l’est Alain Delon dans 3DUROH�GH�ÁLF (José Pinheiro, 1985).

« Mais non, faites Les Spécialistes 2 »

Patrice Leconte n’a plus aucun obstacle sur sa route, sinon les pro-ducteurs sans imagination. En 1981, il a commencé à écrire le scénario du futur Tandem. « C’est parce que Les Spécialistes a été un tel succès que

je me suis dit : ‘Maintenant, je peux

faire Tandem�� M·DL�OH�GURLW·��0DLV�FX-

rieusement, après Les Spécialistes,

quand j’allais voir des producteurs

pour faire Tandem, personne n’en

YRXODLW�� 2Q� PH� GLVDLW� �� ¶0DLV� QRQ�faites Les Spécialistes 2, faites des

ÀOPV�G·DFWLRQ��PRQ�YLHX[�·�(W� M·DL� HX�toutes les peines du monde à monter

O·DIIDLUH�� ª� ,O� \� DUULYH�ÀQDOHPHQW��/H�ÀOP�VRUW�HQ�������EkWL�VXU�XQH�KLVWRLUH�simple : un animateur radio incarné par Jean Rochefort, apprend l’arrêt de son émission itinérante, inspirée du Jeu des mille francs. « Il y a une forme

G·KXPRXU� XQ� SHX� GpVHQFKDQWp�� >«@��

&·HVW�XQ�ÀOP�DVVH]�GpFKLUDQW�ª, juge Patrice Leconte.

Depuis Tandem, il s’est permis d’explorer presque tous les genres. Dans Monsieur Hire (1989), un solitaire glaçant à la voix mono-corde incarné par Michel Blanc, espionne sa voisine qu’il aime. Drame à suspense épuré et bref, ce chef-d’œuvre attire plus de 600.000 spectateurs, malgré son exigence et sa dureté. « Il n’y a

pas un gramme d’humour, c’est

XQ�ÀOP�DVVH]�GpVHVSpUp��&·HVW�SDV�XQ� ÀOP� OXPLQHX[� PDLV� FUpSXVFX-

laire », observe le cinéaste. Le

Mari de la coiffeuse (1990) est une autre comédie dramatique, qui repose sur cet argument : un petit garçon est obsédé par le rêve d’épouser une coiffeuse.

Nouvelle rupture en 1996 avec Ridicule�� &H� ÀOP� G·pSRTXH� TXL� D�pour cadre la Révolution française, ©�D�EpQpÀFLp�GH�WRXWHV�OHV�JUkFHV���il a fait l’ouverture du Festival

de Cannes, eu des entrées magni-

ÀTXHV�� O·XQDQLPLWp� GH� OD� FULWLTXH�ou peu s’en faut, une nomination

DX[�2VFDUV��TXDWUH�&pVDU�ª.

Patrice Leconte aurait pu per-sister dans cette voie historique. « De la même manière qu’après

Les Spécialistes on me disait :

¶0DLQWHQDQW�LO�IDXW�IDLUH�GHV�ÀOPV�d’action et d’aventures’, après

Ridicule, j’ai eu des propositions

SRXU�IDLUH�GHV�ÀOPV�G·pSRTXH��/HV�

producteurs n’ont pas beaucoup

d’idées, ils prennent toujours le

WUDLQ� HQ� PDUFKH�� ª Pas Chris-tian Fechner : à son initiative, le cinéaste a le plaisir de diriger

Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans Une Chance sur deux �������� HQFRUH� XQ� ÀOP� G·DFWLRQ��Les deux acteurs sont réunis pour la première fois depuis Borsalino (Jacques Deray, 1970).

�����PLOOLRQV�G·HQWUpHV« Après, j’ai continué à n’en

faire qu’à ma tête », explique Patrice Leconte. Il tourne beau-FRXS�� QRWDPPHQW� XQ� ÀOP� PXVL-cal, Dogora (2004) et, comme un retour aux sources comiques, Les

Bronzés 3 : amis pour la vie (2006). Le cinéaste ne garde pas « un très

bon souvenir » du tournage. Par rapport aux deux premiers volets, « l’insouciance avait disparu de-

SXLV� EHOOH� OXUHWWH�� ,O� \� DYDLW� XQH�pression énorme, une attente ter-

rible », analyse-t-il. En dépit des critiques assassines, le réalisateur UHWLHQW�OH�ER[�RIÀFH��OH�PHLOOHXU�GH�sa carrière : plus de 10,3 millions d’entrées. Les personnages sont pourtant outranciers, sans éclat, loin des deux comédies à succès de ces dernières années, Bienve-

nue chez les Ch’tis (Dany Boon,

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Page 49: 04 Cosmos 2014

2008) et Intouchables (Eric Tole-dano, Olivier Nakache, 2011).

Patrice Leconte avoue s’être «

un peu perdu » en réalisant ensuite

des�©�ÀOPV�SDV� WUqV�SHUVRQQHOV�ª, comme Mon meilleur ami (2006), /D� *XHUUH� GHV� PLVV (2009), ou Voir la mer (2011), « qui a fait un

bide monumental ». En réalisant Une promesse�� ÀOP� VRPEUH� TXL�sort le 16 avril, il pense être « re-

WRPEp�VXU�>V@HV�SLHGV�ª. « C’est un

court roman de Stefan Zweig que

j’ai adapté avec une émotion folle

parce que ça raconte une histoire

G·DPRXU� TXL� P·D� ERXOHYHUVpH��Même si ce n’est pas un scéna-

rio original, c’est le retour à un

FLQpPD� LQÀQLPHQW� SOXV� SHUVRQQHO�TXDQW� DX[� pPRWLRQV� H[SULPpHV�� ª Mais que les fans de ses comédies se rassurent : Patrice Leconte ré-vèle travailler sur un « projet » de ce genre.

Après plus de quarante ans de carrière, il se sait singulier dans le ci-néma français par son « éclectisme », que seul aurait eu « Alain Corneau ». De cette ouverture, il croit connaître

l’origine à l’époque où, dans sa jeu-nesse à Tours, il aimait presque tous OHV� W\SHV� GH� ÀOPV�� 6RXYHQW� DFFRP-pagné par son père, il se rendait au festival annuel de courts métrages de la ville, au ciné-club, dans des salles d’art et d’essai et appréciait le ciné-ma commercial, par exemple « les

ÀOPV� GH� *HRUJHV� /DXWQHU�� GH� -HUU\�Lewis ».

©�2Q�GLW�TXH�OHV�JUDQGV�FLQpDVWHV�IRQW� WRXWH� OHXU� YLH� OH� PrPH� ÀOP��Moi, je m’en fous, je ne serai pas

un grand cinéaste, ça m’est com-

plètement égal », déclare Patrice Leconte indifférent aux honneurs, comme tourné vers son propre plai-sir derrière la caméra. Et vers celui du public.

Timour Aggiouri

$YHF�Une promesse�� LO�SHQVH�rWUH� ©�UHWRPEp� VXU�VHV�SLHGV�ª

(A gauche) Patrice Leconte

avec Daniel Auteuil et

Vanessa Paradis, vedettes

de /D�)LOOH�VXU�OH�SRQW (1999).

(Photo : DR)

(A droite) Sur le tournage

G·8QH�SURPHVVH, avec

Rebecca Hall et

Richard Madden.

(Photo : Nicolas Izo)

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COSMOS #04Ecole de journalisme

de l’Institut Français de Presse

Paris II

Mars 2014