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 ÉDUCA TION RELA TIVE À L’ENVIRONNEMENT , Vol. 5, 2004-2005 33 Christophe  Andreux Groupe de Recherche sur l’Écoformation, Université François Rabelais de Tours Écoformation et éducation relative à l’environnement montagnard : entre territoire, nature et culture Résumé : Dans un contexte professionnel d’éducation et de formation liée à l’environnement, comment favoriser la rencontre et le dialogue avec la montagne, avec l’ éco (Oïkos = habitat) ? Comment explorer nos relations dialogiques et conscientiser l’écoformation vécue entre culture et nature montagnardes ? Comment la montagne symbolique contribue- t-elle à la construction d’un imaginaire à la fois individuel et social, source d’écoformation et base d’éducation relative à l’environnement (ErE) ? Ce questionnement sous-tend un grand nombre de préoccu- pations tant pédagogiques et environnementales que de développement de territoires montagnards. Une démarche de praticien-chercheur en formation apporte des éléments de réflexion à ce questionnement. Ceci permet de mettre en lumière des processus d’écoformation montagnarde entre nature et culture et souligne la pertinence de méthodes pédagogiques pour une ErE ancrée dans les cultures et territoires de montagne. Au regard des éléments ressortant de cette recherche, nous proposons l’accompagnement d’une écoformation et éducation montagnarde dans des démarches de rencontre transculturelle , pour s’enrichir de la diversité des façons de voir et de vivre le monde à travers la grande richesse de ses cultures et de ses territoires que nous devons préserver et valoriser.  Abstract :  Within a professional context of environmental education and training, how can interacting and dialoguing with the mountain, with the eco (Oïkos = habitat) be promoted ? How can we explore our dialogic relationships and make eco-education experienced through mountain culture and mountain nature a conscious process ? How does the mountain as a symbolic entity contribute to build an individual and social imaginary frame, a resource for eco- education and a basis of environmental education ? These questions underlie many pedagogical and environmental concerns, as well as concerns related to the development of mountain areas. An in-training practitioner-researcher approach feeds the questioning process on theses concerns. It enlightens eco-education processes between mountain nature and culture and emphasizes the relevance of pedagogical me thods for an environmental education embedded in mountain cultures and places. Considering the results of this research, we suggest the association of mountain eco-education and education with transcultural meeting approaches, to enrich the diversity of ways of seeing and living the world through the great richness of cultures and places we must preserve and value. La montagne est école et cathédrale.  Jean Gi ono

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Imaginarios geográficos

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  • DUCATION RELATIVE LENVIRONNEMENT, Vol. 5, 2004-2005 33

    ChristopheAndreuxGroupe deRecherche surlcoformation,Universit FranoisRabelais de Tours

    coformation et ducation relative lenvironnement montagnard :

    entre territoire, nature et cultureRsum : Dans un contexte professionnel dducation et de formationlie lenvironnement, comment favoriser la rencontre et le dialogueavec la montagne, avec lco (Okos = habitat) ? Comment explorer nosrelations dialogiques et conscientiser lcoformation vcue entre cultureet nature montagnardes ? Comment la montagne symbolique contribue-t-elle la construction dun imaginaire la fois individuel et social,source dcoformation et base dducation relative lenvironnement(ErE) ? Ce questionnement sous-tend un grand nombre de proccu-pations tant pdagogiques et environnementales que de dveloppementde territoires montagnards. Une dmarche de praticien-chercheur enformation apporte des lments de rflexion ce questionnement. Cecipermet de mettre en lumire des processus dcoformation montagnardeentre nature et culture et souligne la pertinence de mthodespdagogiques pour une ErE ancre dans les cultures et territoires demontagne. Au regard des lments ressortant de cette recherche, nousproposons laccompagnement dune coformation et ducationmontagnarde dans des dmarches de rencontre transculturelle, poursenrichir de la diversit des faons de voir et de vivre le monde travers

    la grande richesse de ses cultures et de ses territoires quenous devons prserver et valoriser.

    Abstract : Within a professional context of environmental educationand training, how can interacting and dialoguing with the mountain,

    with the eco (Okos = habitat) be promoted ? How can we explore ourdialogic relationships and make eco-education experienced through mountain

    culture and mountain nature a conscious process ? How does the mountain as a symbolicentity contribute to build an individual and social imaginary frame, a resource for eco-education and a basis of environmental education ? These questions underlie manypedagogical and environmental concerns, as well as concerns related to the development ofmountain areas. An in-training practitioner-researcher approach feeds the questioning processon theses concerns. It enlightens eco-education processes between mountain nature andculture and emphasizes the relevance of pedagogical methods for an environmental educationembedded in mountain cultures and places. Considering the results of this research, wesuggest the association of mountain eco-education and education with transcultural meetingapproaches, to enrich the diversity of ways of seeing and living the world through the greatrichness of cultures and places we must preserve and value.

    La montagne est cole et cathdrale.Jean Giono

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    Comment lexprience de la montagne peut-elle tre source et support deformation pour les professionnels de lErE (ducation relative lenvironnement) et de la montagne ? Quels rles peut jouer lErE danslaccompagnement de politiques environnementales, de dveloppement localde territoire montagnards, dans une dimension partenariale, dchangesentres territoires (montagne-ville, inter-massifs) et de dveloppement durableet local, dco-dveloppement ? Ce questionnement est issu de mon expriencepersonnelle dalpinisme et dexpriences professionnelles danimation/formation nature-environnement et daccompagnement en montagne. Ilsous-tend un grand nombre de proccupations tant pdagogiques etenvironnementales que de dveloppement de territoires montagnards (Roux,2002), qui font cho une mobilisation et des travaux nationaux etinternationaux rcents.

    Ma dmarche de praticien-chercheur en formation apporte des lments derflexion autour de ce questionnement. Accompagne par Gaston Pineau etle GREF1, cette exploration fait rfrence une recherche-action (Barbier,1996) dont le titre du mmoire est Montagne, formation et profession-nalisation des pratiques dducation lEnvironnement Rechercheethnomthodologique partir de lapproche des Histoires de vie2 . Unerflexivit sur ma vie en montagne, personnelle et professionnelle, dclencheune prise de conscience et une analyse de mes interactions et transactionsavec la montagne et de mes pratiques ducatives et formatives. Ceci mepermet de mettre en lumire des processus dcoformation montagnardeainsi que la pertinence de mthodes pdagogiques pour une ErE ancre dansles cultures et les territoires de montagne.

    1. Vie en montagne, terre de trans-formation

    1.1 La montagne, une exprience coformatrice

    Expression de ma montagne intrieure

    Natif des Pyrnes-Atlantiques puis auvergnat dadoption , je vis lamontagne depuis mon plus jeune ge : randonne, ski de piste et de fond,sjours en montagne pour pr-adolescents en itinrance pied ou vlo.Depuis mon adolescence je pratique lalpinisme en montagnes auvergnates etalpines. partir de 1993, aprs une rorientation professionnelle, maformation et mon implication en ErE se vivent en montagne, o jhabite.Cela me permet de concrtiser un rve : vivre la montagne au quotidien etdurant toutes les saisons, en contact permanent avec et pour ses habitants.Cest en rflchissant limagination matrielle des quatre lments deGaston Bachelard (1947), et particulirement la terre et les rveries de lavolont , que jai dcod mes apprentissages exprientiels et rvl mon sensde la nature par le passage lcrit de mon histoire de vie avec la montagne.

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    Ma montagne intrieure est le reflet de cette exprience de rencontre entre lamontagne et moi.

    Pour moi la montagne cest un paradis sauvage fait pour le bonheur deshommes, des plantes et des animaux. Ici je marche, je grimpe, je respire, jeregarde, jcoute le silence, jentends vivre la nature en toute libert. Je suisseul, simplement humain dans un espace o les lments se dchanent, ole temps est rythm par ma respiration, mes pas, la faim, le sommeil et lessaisons. Je passe des cols, je vais dune valle lautre, je dcouvre. Je gravisdes sommets tout en devenant montagnard, frre du roc, de la neige et desvents. Insensiblement, naturellement, comme leau du torrent qui pouse lapente, mon cur bat au rythme de la terre et de son cours autour du soleil.Dcouvrir. Devenir.

    Massifs extraordinaires, sauvages, la fois si difficiles atteindre et si prochesde moi. Ils me charment, menchantent. Leur beaut est celle des grandsespaces : natifs, premiers, tels quels depuis des sicles, o lhomme dans unelibert totale, naturelle et retrouve, peut marcher et grimper. Il y a laltitudeet les larges panoramas dans une lumire claire. Lascension prend unedimension dhymne la Terre, ses thalwegs patiemment creuss pendantdes millnaires, ses grandes tendues de caillasses cuites comme des briqueset constelles de fleurs, ses neiges ternelles frileuses sous le soleil ardent, ses montagnes souvent caches, mais qui accordent lintimit. Je touche lemystre.

    En remontant les longs vallons sauvages, en traversant les vastes dserts depierres, en suivant la crte des moraines, je dcouvre, pas pas, lamerveilleuse sensation de laisser derrire moi les petites choses que je croyaisimportantes et de vivre lunisson de la grande nature. Silencieux, je retrouveune paix et une allgresse secrte, ne tout simplement de lutilisation de ceque la naissance a donn de meilleur chacun de nous, des muscles, un cur,une me, qui ici trouvent nourritures et cho. Dcouvrir, devenir.

    Il est une nourriture dont on ne parle gure et dont lhomme a besoin :lmerveillement. Or rien ni personne comme la montagne ne peut donner,gratuitement, tous, cette nourriture aussi indispensable que le pain.Lhomme a besoin du frissonnement des feuilles, du vol dun oiseau, dunbrin de mousse ou de mauvaise herbe, il a aussi besoin des orages et destemptes.

    La montagne est avant tout lexpression de llment terre. Mais son vcu partous les temps, toutes les saisons, dans des aventures engageantes o leffortphysique et les prises de risques sont permanents, rvle une prsence trsmarque de leau, de lair et du feu. Cest une relation directe aux quatrelments qui moblige les apprivoiser et me laisser apprivoiser par eux,

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    recrer le lien de parent. Une parent existe bien entre les choses et moi. Lamontagne parente maccueille mais me rsiste aussi. Tous ces objetsrsistants portent la marque des ambivalences de laide et de lobstacle. Ilssont des tres matriser. Ils nous donnent ltre de notre matrise, ltre denotre nergie (Bachelard, 1947, p. 19).

    source de relations coformatrices

    Explorer lcoformation cest conscientiser comment sommes nous affects,touchs, forms, duqus par la terre : par ses climats, ses rgions et seslments (Galvani, 2005). Par une approche sensible, subjective et rflexive,la montagne apparat comme source dmerveillement (Espinassous, 1990) etdauto-coformation. Nous qualifions cette relation personnelle dauto-cologique : le trait dunion entre les deux prfixes renvoie un rapportformateur rciproque entre soi et le cadre de vie, non mdiatis par les autres (Pineau, 1992, p. 22). Dans un contexte professionnel de formation,comment favoriser la rencontre et le dialogue avec la montagne, avec lco(Okos = habitat) ? Comment explorer nos relations dialogiques etconscientiser lcoformation vcue entre culture et nature montagnardes ?Des jalons sont construire, cet article souhaite y contribuer.

    1.2 Cairns3 pour notre exploration de territoire montagnard entrenature et culture

    La montagne est plus pentue que la plaine, plus haute, plus froide, aux cartsde temprature plus importants, aux sols et la vgtation plus fragiles, auxtravaux agricoles ou industriels plus pnibles et coteux. Malgr cescaractristiques lespace montagnard ne semble pas comporter de traitsgographiques spcifiques comme celui du littoral ou du dsert. Seulement,leurs intensits sont leur maximum, la montagne est un milieu terrestreextrme (Bozonnet, 1992, p. 11). Nous retrouvons galement ce caractreextrme dans les premires vocations que la montagne induit. Il apparat uneopposition primordiale, lmentaire, entre le ciel et la terre. Terre laquellesattachent les notions de pesanteur, dopacit, de matrialit, dinertie,dobscurit, de froid, de rugosit, etc. En revanche laltitude, cette portion deterre qui slve vers le ciel, accumule des observations positives. Ds lors quecette altitude rapproche un objet quelconque du niveau cleste, ellecommence lui confrer ses propres vertus (Samivel, 1984, p. 17-18).

    Pour notre tude, la montagne, ce territoire extrme, est entendue comme un co-anthroposystme (Espinassous et Lachambre, 2001). Cest--dire unterritoire o homme et nature, cosystme et anthroposystme ont, pendantdes sicles, jou une partition qui les unit indfectiblement. Nous sortons delopposition nature/culture (Terrasson, 1997) pour nous rapprocher de lanotion dcoumne, de terre habite par lhomme que Gaston Pineau

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    (2005) dveloppe en ractualisant la msologie, la science des milieux.Ltude de lco-anthroposystme montagnard implique donc une approchemultirfrentielle (Barbier, 1997) reliant lhomme et la culture la nature.Ces notions demandent tre prcises car elles recouvrent une grandediversit dacceptions. Nous avons retenu les dfinitions suivantes commebase de rflexion et de recherche :

    Dans une approche cologique, la notion de nature qualifie un ouplusieurs cosystme(s) (Fischesser et Dupuis-Tate, 1996, p. 307). Lanature reprsente donc une unit cologique fonctionnelle doue dunecertaine stabilit, constitue par un ensemble dorganismes vivants(biocnose) exploitant un milieu naturel dtermin (biotope). Cettenotion intgre galement les interactions des espces entre elles et avecleur milieu de vie (on parle de micro-cosystme pour un tronc darbrepourrissant ; de macro-cosystme pour un ocan).

    Pour la notion de culture, nous faisons rfrence la dfinition formulepar Edward B. Tylor (1871 in Yanez, 2003) dans une approche anthro-pologique :

    La culture est un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances,lart, la morale, le droit, les coutumes, ainsi que toutes autres dispositionset habitudes acquises par lhomme en tant que membre dune socit. Laculture rsulte de lactivit sociale, il ny a donc pas de culture individuelle.

    Dans cette dfinition, la culture est toujours et uniquement collective. Sansaucun doute le commentaire le plus important est que toute socit possdeune culture, de faon quil existe au moins autant de cultures que de socits.La culture apparat comme un rsultat, particulier et unique, dadaptation dechaque socit son environnement travers sa propre histoire. Le conceptde diversit bioculturelle met en vidence les liens troits entre la diversitbiologique et la diversit culturelle (Sauv et Brunelle, 2003, p. 7). Cecinous permet de comprendre lexistence de socits montagnardes qui, travers le monde, se sont construites en sadaptant au spcificits de leurenvironnement. Elles ont structur des cultures montagnardes spcifiquespar rapport aux autres territoires (plaine, littoral, par exemple). Nous lesqualifions souvent de cultures traditionnelles au sein de nos socitsmodernes, par opposition la culture profane.

    1.3 Imaginaire social et mythes des montagnes dans le monde

    la lumire dune dmarche rflexive sur mon imaginaire de la montagne,nous avons identifi des sources de relations coformatrices. Les cairns sur lanature et la culture soulignent que la montagne symbolise aussi unimaginaire social fcond et fcondant que nous retrouvons travers lasymbolique des mythes. Les dimensions spirituelles et culturelles de notre

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    exploration sappuient sur des travaux ethno-gographiques, sociologiques etcologiques des montagnes dans le monde. Leur tude met en lumire lapuissance coformatrice qua la montagne au niveau plantaire et la richesseet pertinence des approches transdisciplinaires (Nicolescu, 1996) ettransculturelles (Galvani, 2003), ncessaires pour notre recherche.

    Les montagnes sacres

    En tant que points culminants et frappants du paysage, les montagnes ontune tendance naturelle veiller un sentiment dmerveillement et de respectml de crainte. Tout contribue crer des impressions de force crasante, demagnificence et de mystre. Transports par de telles motions les hommesdu monde entier, mme ceux des socits modernes, profanes, ressententdans les montagnes quelque chose qui les imprgne dune atmosphre decaractre sacr (Messerli et Ives, 1999, p. 43). Du fait, notamment, de leurnature vocatrice, les montagnes, en sont arrives reflter les valeurs et lescroyances les plus hautes et les plus essentielles de beaucoup de cultures ettraditions diffrentes. Le mont Sina occupe une place particulire dans labible, base de la lgislation et de la morale pour beaucoup de civilisationsoccidentales. Le pic himalayen du mont Kailas dirige les esprits de millionsdHindous et de Bouddhistes vers les plus hautes conqutes de leurstraditions spirituelles. Llgant cne du volcan Fuji en est venu reprsenterla qute de la beaut et de lharmonie se trouvant au cur de la culturejaponaise. Pour beaucoup, dans le monde moderne , le sommet du montEverest symbolise le plus haut but quils puissent sefforcer datteindre, queleur recherche soit matrielle ou spirituelle.

    sources et support dducation et de formation

    Daprs Edwin Berbaum (1990), le caractre sacr de la montagne met enlumire des facteurs culturels et spirituels qui influencent profondment lavie des hommes. Ils sidentifient la montagne et sy forment, structurentleurs socits et tablissent des liens avec les autres et lenvironnementmontagnard. Les valeurs et les croyances associes aux sommets les plus sacrscomme le Sina et le Kailas influencent les faons dont les membres desdiffrentes socits voient le monde et leur place dans celui-ci. Ces valeurs etcroyances dterminent dans une grande mesure leur environnement et lesressources naturelles que les hommes veulent exploiter et ceux quils sesentent profondment dtermins protger.

    dans des cultures traditionnelles cologiques

    Parmi toutes les entits gographiques dans le monde, les montagnes formentles milieux et les cosystmes les plus divers et les plus complets. De plus, lesmontagnes sont les plus grands lments du paysage naturel qui puissent tre

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    directement perus comme des ensembles (Fischesser, 1992). Ellesfonctionnent, en fait, la fois comme des microcosmes et des macrocosmesde lenvironnement, perus comme un tout. Les populations des diffrentescultures font gnralement lexprience du caractre sacr des montagnes travers les visions quelles en ont (Messerli et Ives, 1999) : montagne aucentre de lunivers, lieu de pouvoir et de puissance, divinit ou demeure dela divinit, jardin ou paradis, lieu des anctres et de la mort, identitcommunautaire et identit personnelle, source de la vie, lieu dinspiration, dervlation et de transformation.

    Chaque vision vhicule des ides, des images et des associations diffrentespour voquer lexprience dune ralit plus profonde dans une montagnevnre comme sacre. Ces visions traditionnelles des montagnes, seretrouvent dans les mythes qui expriment une culture sur la nature de laralit. (Messerli et Ives, 1999, p. 45)

    Pour beaucoup de peuples, aussi bien traditionnels que modernes, lamontagne nest pas seulement le milieu naturel. Elle englobe des aspectsculturels et spirituels qui la rendent signifiante. Ils voient la montagne et sesco-anthroposystmes comme des composants essentiels dun systme pluslarge de sens : expressions dune ralit plus profonde qui les soutientspirituellement et culturellement, aussi bien que physiquement.

    2. Montagne, territoire dcoformation entre nature et culture

    2.1 Imaginaire et symbolique de la montagne

    La montagne nous rvle une symbolique puissante des lments et unimaginaire crateur qui en font un co-anthroposystme ducateur etcoformateur : entre ciel et terre. Comment la montagne symboliquecontribue-t-elle la construction dun imaginaire la fois individuel et social,source dcoformation et base dErE ? En nous immergeant dans la formation entre terre et mer , que dveloppe Dominique Cottereau (2001a), cequestionnement nous pousse entreprendre une exploration de la symbo-lique des mythes (Jean, 2001) de la montagne. Gaston Bachelard (1947)ouvre la voie par son imaginaire de la matire . Il nous apporte un clairagesignificatif sur les images et les symboles vcus lors dexpriences directes avecla montagne et laltitude. Ces dimensions, imaginaires et symboliques,contribuent une meilleure comprhension des effets psychosociologiques etrenforcent la singularit de ces territoires de montagne.

    Geste de verticalit, lvation ou gravit

    La montagne travaille linconscient humain par des forces de soulvement.

    Immobile devant le mont, le rveur est dj soumis au mouvement verticaldes cimes. Il peut tre transport, du fond de son tre, par un lan vers les

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    sommets, et alors il participe la vie arienne de la montagne. Il peut vivreau contraire une sensation toute terrestre dcrasement. [] Cesimpressions de verticalit induite vont des plus douces sollicitations auxdfis les plus orgueilleux, les plus insenss. (Bachelard, 1947, p. 358-359)

    lvation et puissance sont en effet synonymes nous rappelle GilbertDurand (1992, p. 151) ce qui se traduit dans les mythes par le vcu desmontagnes bienveillantes et effrayantes. La frquentation des hauts lieux, leprocessus de gigantisation ou de divination quinspire toute altitude et touteascension rendent compte de ce que Bachelard (1947, p. 152) nommejudicieusement une attitude de contemplation monarchique lie larchtype lumino-visuel dune part, de lautre larchtype psycho-sociologique de la souveraine domination : On voit comment lattitudeimaginative de llvation, originairement psycho-physiologique, nonseulement incline la purification morale, lisolement anglique oumonothiste, mais encore rejoint la fonction sociologique de souverainet .

    lumire ou tnbres, contemplation ou agression

    Claire ou sombre, la montagne tient la fois de lair et de la pierre. Par lesarchtypes de laltitude, lascension sera toujours sous-tendue par deuxmotivations antagoniques, lagression et la contemplation, illustresrespectivement par les mythes de Promthe et dIcare (Bozonnet, 1992).Deux motivations contradictoires poussent donc gravir la montagne,incarnes dans deux modles dascension. Elles plongent leurs racines dans lesaspects opposs de la montagne symbolique, en rapport direct avec le milieuphysique lmentaire, lair et la terre. Elles sont lies aussi au statut mythiquede lespace montagnard, sige du surnaturel, lequel suscite toujours deuxattitudes contraires : leffroi et lattirance. Mais, dans la pratique, cettedistinction entre les motivations se retrouve au sein dune mme personne.Lexprience ascensionnelle concrte les contient toutes les deuxinextricablement lies : on attaque lascension dans leffort inquitant pourjouir ensuite dans la srnit contemplative des grands espaces.

    Possession, centralit,

    Il existe aussi sur les sommets des images de domination plus apaises devantla terre infinie. Ces images apportent des nuances multiples la psychologiede la hauteur. Il semble quune telle contemplation grandisse la fois lespectacle et le spectateur. Elle donne lorgueil de voir grand et elle veillelide dimmensit. La premire image de limmensit est une image terrestrenous dit Bachelard (1947). Il y a l un exemple de grandeur absolue, dunegrandeur sans comparaison, mais concrte, immdiate, lorsque lon est enhauteur. De quelque ct que se tournent les yeux, les objets diverspourraient retenir une attention particulire, mais une force dintgration les

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    attache un cercle commun qui a lobservateur pour centre. Un regardcirculaire entoure tout lhorizon. Le regard panoramique est une ralitpsychologique. Par son tour dhorizon, le rveur prend possession de toute laterre. Il domine lunivers (Bachelard, 1947, p. 380).

    souverainet, identit territoriale

    Dune vue panoramique, le rveur reoit parfois une fonction de vigie. Desi haut on garde la campagne (Bachelard, 1947, p. 384). Lisolement dansla montagne consacre le rveur la fois comme un voyant et comme unveilleur (Bachelard, 1947, p. 384). Apparat le sentiment que le veilleur estle protecteur de la paix des champs et quil en prend possession. On pourraparler dune contemplation monarchique. Elle est une loi de limagination dela hauteur, forme dans la contemplation sur les hauteurs (Bachelard, 1947,p. 385-386). Nous pouvons alors facilement faire de cette image un thmede psychanalyse. La volont de puissance accueille ingnument cette image.Un naf orgueil du montagnard est de contempler, du sommet de lamontagne, la petitesse des hommes. Tout ceci exprime ce sentiment depossession, de souverainet, didentification un territoire, mais galementde domination de la vie den bas dans un complexe de supriorit o ce quidevient petit nous rend grands. Le sentiment de prise de distance, dedpassement des problmes du quotidien est favoris. Des sommets, dans cepremier contact avec limmensit, il semble que la contemplation trouve lesens dune soudaine matrise de lunivers.

    Lascension rgnratrice et transformatrice

    Chaque ascension est une rgnration, une ractualisation de lexprienceprimitive qui ragaillardit les corps et raffermit les mes (Bozonnet, 1992, p. 38). Le symbole ascensionnel est utilis par certaines coles depsychanalyse qui se servent de la montagne ou de ses substituts. RobertDesoille en particulier, qui travaillait avec la technique du rve veill,demandait ses patients dimaginer lascension dun sommet ou dun escalier(Lesourd, 2005). Pour les ascensionnistes de jadis comme pour noscontemporains, lascension nest pas simplement un acte physique, mais ungeste qui prend son sens au sein dun rcit qui nous transforme (Terrasson,1997) : lascension doit tre raconte pour exister, fonction des mythes etmme de nos rcits personnels.

    aux rythmes des saisons et au fil de la vie

    Les saisons trs marques en montagne donnent des points de repre spatio-temporels de la vie et de la mort, de lternel retour du printemps quisymbolise la rgnration, la transformation et la progression. Dans cesespaces-temps (Moneyron, 2003), cest lobligation pour lhomme, comme

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    pour toutes les autres espces, de respecter le cycle naturel et de vivre sesrythmiques. Le travail saisonnier agricole et touristique dcoule des rythmesimposs par la montagne. Le rythme personnel de la marche a une influencepsycho-physiologique (Bozonnet, 1992). Nous avons aussi tous les chants et musiques de la montagne qui caractrisent les saisons avec les sources ettorrents la fonte des neiges, les oiseaux qui annoncent le printemps avec lapriode des amours et de la reproduction, la monte en estive des milliers devaches et de moutons avec leurs sonnailles, les sauterelles et les criquets quinous rythment les chaudes journes dt, les vents de lautomne et le silencede lhiver. Cycles et rythmes dialectisent les antagonismes, la montagnedevient reliance , charnire entre ciel et terre, lumire et tnbres, sommetet gouffre.

    2.2 Trajet anthropologique de limaginaire montagnard

    Gilbert Durand, par ses structures anthropologiques de limaginaire (1992), permet danalyser les images et les symboles lis nos gestes, notreexprience directe avec la montagne. Cest la forme des interactions sensori-motrices, la forme mme de nos gestes, la structure dynamique de nosinteractions, qui sintriorise dans la psych sous forme dimage. Cetteintriorisation de la forme de nos gestes est le schme.

    Le schme cest la forme dun mouvement, labstraction du geste. Les gestesfondamentaux de ltre humain : se dresser, se nourrir, se reproduire, sontalors les grandes matrices qui polarisent limagination de la formationhumaine. (Galvani, 2001, p. 270-272)

    Gilbert Durand (1992) nomme ce processus de formation le trajetanthropologique , cest--dire lincessant change qui existe au niveau delimaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimationsobjectives manant du milieu cosmique et social (p. 38). Chacun des troisgestes rflexologiques dominants est mis en lien avec trois rgimes delimaginaire symbolique : le rgime diurne dominante posturale et les deuxrgimes nocturne, mystique dominante digestive et synthtique dominante copulative. Chacun des trois rgimes caractrise limaginaire et lasymbolique de la montagne.

    Du rgime diurne dominante posturale Geste de verticalit, lvation ou gravit, lumire ou tnbres,

    contemplation ou agression

    Le geste postural de la verticalit oriente la structure ascensionnelle delimaginaire du rgime diurne. Il correspond aux deux schmes de laverticalisation ascendante (hrosme) et de la division tant visuelle quemanuelle (antithtique) dans la distinction et lopposition entre le haut et le

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    bas, la lumire et les tnbres. Ce rgime diurne semble tre le plus prgnantdes imaginaires de citadins, pour qui la montagne est vcue le plus souventlors de sjours. Il correspond limaginaire de nos premires rencontres avecla montagne, mais aussi celui de tous les passionns des cimes.

    au rgime nocturne mystique dominante digestive Possession, centralit, souverainet, identit territoriale

    Dans limaginaire symbolique du rgime nocturne mystique, la forme dugeste de lavalement nous porte vers les rveries de lintimit et delintriorit. Les schmes correspondants sont ceux de la descente et dublottissement : arriv au sommet il faut bien redescendre, le retour au foyer, la maison, au refuge lieu du repos, du ressourcement. Nous retrouvonsle schme de la possession avec larchtype du centre par ce quelle gnrecomme contemplation monarchique , souveraine, sur les sommets. Danssa dimension sociale, comme territoire de vie, la montagne symbolisegalement le centre du monde . Dans les mythologies, la montagnecosmogonique reprsente le centre du cosmos et lorigine de la vie terrestre,la terre nourricire. Ces mythes contribuent la construction culturelle etsociale, lidentit des populations montagnardes.

    rythm par le rgime nocturne synthtique dominante copulative Lascension rgnratrice et transformatrice, aux rythmes des saisons

    et au fil de la vie

    Le rgime nocturne synthtique, avec le geste de la reproduction, secaractrise par les formes cycliques, le schme de la roue, des cycles dessaisons qui donne la rythmique cosmologique vcue par lensemble des trevivants. Par ses multiples espaces-temps, lco-anthroposystme montagnardsymbolise la complmentarit des saisons, des pratiques professionnelles enpluriactivit. Il dialectise les antagonismes du haut et du bas, des cimesrservoirs et sources de vie et des valles productrices des ressources, etc. Cetimaginaire synthtique, caractris par larchtype de la montagne charnire,mdium, est celui de toutes les penses paradoxales qui grent les polaritsdans la complmentarit. Elle relie les contradictions par la matrise du tempsdans son historisation.

    Tous les symboles de la mesure et de la matrise du temps vont avoirtendance se drouler selon le fil du temps, tre mythique, et ces mythes[] tentent de rconcilier lantinomie quimplique le temps : la terreurdevant le temps qui fuit, langoisse devant labsence, et lesprance enlaccomplissement du temps, la confiance en une victoire sur le temps.(Durand, 1992, p. 322-323)

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    crant lmergence dune coformation montagnarde

    Dans linteraction entre la personne et la montagne, limagination est le lieuintermdiaire entre le sensible et lintelligible, le lieu des correspondancessymboliques et des rsonances harmoniques (Galvani, 2001, p. 270). Cettedynamique co-symbolique de morphogense et de mtamorphose de nosreprsentations du monde est conditionne par la forme mme de nos gestesintrioriss en schmes (Durand, 1992). Les schmes de cette co-symbolique se forment au niveau de limaginaire individuel et participentgalement limaginaire social qui se traduit par les mythologies, les cultures,etc. Limaginaire cre donc des interactions avec la montagne qui, par unedmarche rflexive dexpression et dexplicitation de lexprience, setransforme en transactions coformatives. Cette coformation montagnardeest bien le fruit de processus de formations exprientielles et existentiellesissus de nos appartenances culturelles et territoriales. Les dmarchesdouverture et de rencontre dautres cultures et de dcouverte dautresterritoires participent donc fortement lenrichissement de notrecoformation individuelle et collective. Il ny a pas toujours besoin debeaucoup voyager pour vivre ces rencontres et dcouvertes coformatives.Elles peuvent se concrtiser au sein mme dun pays, dune rgion, dundpartement, etc.

    Nos multiples relations la montagne, dans son histoire et dans linstant,nous amnent rentrer dans lintriorit des choses, des autres et de soi-mme car il faut creuser au plus profond de soi pour dterrer les secretssymboliques substantiels et contradictoires de la montagne (Bureau,1991, p. 220). Lapprofondissement de cette intriorit nous pousse toujoursplus loin dans la prise de conscience de nos liens et interdpendances entre lavie quotidienne et la grandeur du monde, ainsi que dans la formalisation etlvolution de nos pratiques et projets ducatifs et formatifs. Pour cela,lexploration de limaginaire montagnard, reliant les dimensions micro etmacrocosmiques, apparat comme une cl essentielle pour comprendre nosinteractions, nos transactions et nos transformations issues de nos relationsaux co-anthroposystmes : notre coformation montagnarde.

    3. Quelles pdagogies pour une coformation et ducation monta-gnarde ?

    3.1 Pdagogie de limaginaire pour une coformation montagnarde

    Lexploration des images symboliques de la montagne peuplant rcits, mytheset contes, montre que tout imaginaire se nourrit de nos propres pulsions etde tout le pass culturel de limagination en mouvement depuis et sans douteen de de lHistoire (Jean, 2001, p. 535) et ceci mme dans nos socitsmodernes. En tant quacteurs de lcoformation et de lErE (Chautagnat et

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    Andreux, 2002), cela peut nous permettre de relier limaginaire de chaquejeune, de chaque adulte des archtypes universels. nous demprunter etde poursuivre les chemins de limaginaire baliss par DominiqueCottereau (1999), qui propose une pdagogie centre sur ltre-au-monde.Cest--dire, une pdagogie qui favorise lmergence des multiples formes quinous constituent et nous construisent. Une pdagogie qui prend lacomplexit de ltre-au-monde (Cottereau, 2001b, p. 63) comme postulatde toute formation pouvant tendre vers une prise de conscience cologique.

    3.2 De lcoformation lducation au territoire

    Des projets ducatifs de territoire de vie partag

    Comment peut sinscrire la pdagogie de limaginaire, de lcoformation,dans une ducation au territoire ? Une piste de concrtisation est celle miseen uvre en montagne auvergnate. partir de 1997, de nouveauxprogrammes dErE se droulent en milieu scolaire, pour le primaire et lesecondaire, en accompagnement de politiques environnementales etpaysagres. En plus des contextes socio-conomiques difficiles, desproblmatiques environnementales spcifiques aux territoires de montagnesont identifies : pollution des sols et des eaux, rosion et diminution de labiodiversit des milieux et des espces, dgradation de la qualit paysagre.Dans le mme sillon, la gestion et la prvention des risques naturels fontlobjet actuellement de rflexions et travaux rgionaux et nationaux sur laculture du risque, en particulier pour les territoires de montagne (Andreux,2002).

    Pour contribuer une meilleure prise en compte de ces enjeux territoriaux,par lensemble des acteurs, ces nouveaux programmes se mnent enpartenariat avec un grand nombre dacteurs locaux, ds leur phasedlaboration jusqu leur phase dvaluation. Trois thmatiques sont tudiesdans une approche cosystmique : leau, les dchets / la consommation ainsique les paysages. Les projets lis aux paysages font lobjet de trois annesdtudes (Andreux et Brault, 2003). Cette dernire thmatique permetdaborder le territoire montagnard dans sa globalit pour chacune descollectivits territoriales engages : patrimoine et enjeux environnementaux,culturels et socio-conomiques. La dmarche pdagogique de lalternanceliant les pdagogies de projet et de lcoformation (cole et Nature, 1997)permet de prendre en compte et de rvler la dimension de territoire de viepartag (Andreux, 2001-2002, p. 155-166).

    dans une pdagogie de lalternance

    Lancrage et le dveloppement de la pdagogie de lalternance dans lesterritoires permettent une relle mobilisation et implication de lensemble

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    des acteurs pour des projets dco-dveloppement du territoire montagnardet de la personne. Nous retrouvons, outre-atlantique, des proccupations etprojets communautaires semblables, dvelopps dans une pdagogie delappartenance (Sauv, Berryman et Villemagne, 2005).

    Les porteurs de projet (lus, enseignants et animateurs environnement) sontmerveills par lenthousiasme, les prises de conscience et les nouveauxrapports qui se crent entre les jeunes, les adultes et leur territoire, durant lamise en place de cette alternance pdagogique en montagne. Nous sommestous amens regarder, goter, sentir, toucher, endurer, couter, parler,rflchir, crer, rver, nous merveiller, vivre la montagne par tout notrecorps et nos sens, mais aussi avec toute la joie de savoir, dimaginer, de re-connatre, dapprivoiser par la connaissance et dagir ensemble. En plusdes tudes de milieu et paysagres et des enqutes auprs de la population,nous vivons des ateliers dcriture, dart et nature, des partages dexprienceset de ressentis. La cration de contes et de pomes nous immerge dans unmonde symbolique, imaginaire o la montagne prend une dimensionextraordinaire. Une grande diversit dapproches pdagogiques (cole etNature, 2001) permet une alternance entre les diffrents modes de relationsavec les autres et le milieu montagnard : cognitif, sensoriel, corporel, ludique,imaginaire, symbolique, cratif, etc. Lenvironnement est alors la foismilieu dapprentissage et ressource pdagogique : il est source dequestionnement et fournit les lments de rponse (Sauv, 1994, p. 18).

    La science postule la possibilit dune totale sparation entre lobjet et lesujet. Limagination au contraire place lobjet au cur mme du sujet. Ainsi, entre la montagne objective dune goscience et la montagne subjectivedune gosymbolique, nous constatons un renversement complet deperspective (Bureau, 1991, p. 220). Lalternance pdagogique nous faitvivre la montagne sous de multiples dimensions et nous permet de conjuguercette dichotomie radicale entre objet et sujet. La montagne devient objetdtude et territoire de vie communautaire, mais aussi sujet dans destransactions coformatives, aux niveaux personnels et collectifs. Alors lemode de relation Je-Il avec la montagne objet se transforme en mode Je-Tu (Buber, 1969) caractrisant un dialogue direct avec la montagne sujetque nous nommons co-dialogue (Andreux, 2004).

    3.3 Pdagogie de lalternance et formation tripolaire

    La pdagogie de lalternance que nous venons de prsenter dans des contextesducatifs est galement mise en uvre dans des actions de formation sedroulant en montagne. Nous avons pu tudier les diffrentes formesdaccompagnement en formation (Andreux, 2004) conditionnes parlalternance pdagogique en rvlant les liens avec la formation tripolaire. Eneffet, croiser pdagogie de projet et pdagogie de lcoformation cest trouver

  • COFORMATION ET DUCATION RELATIVE LENVIRONNEMENT MONTAGNARD ... 47

    un quilibre dans linfluence des matres qui participent lducation dechacun : soi-mme, les autres, et les choses (Rousseau, 1966). Partant de cestrois matres, Gaston Pineau (1986) a dfini les principes de la formationtriplaire permanente o ltre se dveloppe sous cette triple articulationentre lautoformation, lhtroformation et lcoformation, tel que montr la figure 1.

    La pdagogie de projet est une pdagogie de lautoformation, puisquellesappuie sur limplication des personnes dans leur propre processusdapprentissage (le projet est de leur ressort). Elle est aussi une pdagogie dela co-formation, car les personnes constituent un groupe (htro) dans lequelelles changent, se concertent, communiquent. La pdagogie delcoformation apporte la troisime part influente qui est celle du mondephysique, notre okos, environnement matriel (naturel ou artificiel) danslequel nous habitons et qui forme notre cosystme. Elle donne la possibilitde vivre notre double rapport au monde, qui est la fois : objectif et subjectif,rationnel et imaginaire, scientifique et potique, collectif et personnel,intellectuel et sensible. Ainsi avec la conjugaison des deux pdagogiesredonne-t-on chaque ple formatif la place qui lui revient. Cest par cemoyen que se forment des individus autonomes, responsables et impliqusdans le devenir du monde.

    4. Conclusion Pour une coformation et ducation montagnardetransculturelle

    L Agenda Montagne , labor Rio en 1992, stipule que la protection descosystmes et des populations des montagnes du monde est une priorit(Messerli et Ives, 1999). Tout comme nous avons besoin de maintenir labiodiversit pour son propre bien et pour les bnfices quelle peut apporter lhomme, nous avons besoin de prserver la diversit culturelle etindividuelle pour sa valeur intrinsque, humaine, et pour les richesses quelle

    Figure 1 : La formation tripolaire selon Gaston Pineau (1986)

    Les autres

    Htroformation

    SoiAutoformation

    Les chosescoformation

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    peut offrir. Dans leurs propres cheminements, les diffrentes culturesmontagnardes traditionnelles mme dans notre monde moderne ontbeaucoup apporter par leurs connaissances de lenvironnement et leursmanires de vivre en harmonie avec la nature (Galvani, 2005). Pour cela, unedes voies nous parat tre la rencontre de ces cultures traditionnellesmontagnardes par une ducation au territoire, dans un change rciproquedes savoirs entre les diffrentes cultures : traditionnelle et moderne,montagnarde et urbaine, etc. Au regard des lments ressortant de cetterecherche, nous proposons laccompagnement dune coformation etducation montagnarde dans des dmarches de rencontre transculturelle,pour senrichir de la diversit des faons de voir et de vivre le monde, traversla grande richesse de ses cultures et de ses territoires que nous devonsprserver et valoriser. Notes1 Groupe de Recherche sur lcoFormation, Laboratoire des Sciences de lducation et de

    la Formation de lUniversit Franois Rabelais de Tours et Centre de Recherche surlImaginaire Social et lducation de lUniversit de Paris 8, voir : www.barbier-rd.nom.fr\GREF.html.

    2 Mon rcit de vie avec la montagne a contribu llaboration de ma grille danalyse, basede ma mthode de recherche-action, dans une dmarche dethnomthodologie (Coulon,1987), utilisant lhistoire de vie sociale approfondie en co-investissement (Pineau et Le Grand,2002, p. 97-112) dun animateur-formateur en ErE en montagne galement conteur etcrivain.

    3 Cairns est le nom donn, dans les montagnes franaises, aux constructions de pierressches servant de balisage tout au long des sentiers daltitude.

    Note biographique Christophe Andreux est conseiller, formateur et charg de recherche en coformation,ducation lenvironnement, au dveloppement durable, prvention des risques majeurs etdveloppement local. Il accompagne la professionnalisation des pratiques ducatives etformatives ainsi que les politiques territoriales dans les domaines prcits. Il est galementmembre actif au niveau national du Rseau cole et Nature et du GREF, ainsi que de lONGPlantERE au niveau international.

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