0221-Fiducius-Le Faure-Las Aventuras de Cagliostro en Frances

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Masoneria Egipcia

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  • DPT CEHT.BA.L

    34, rue de la Montagne-Sainte-Genevive, Paris

  • L.es Aveotetres

    DE

    CAGLIOSTRO

    PAR

    G. LE FAURE ET J. STEYNE

    CHAPITRE PREMIER

    Un duel trange.

    , En l'an de grce 1726, l'dilit parisienne se trouvait encore du moins en ce qui concernait la voirie entre les mainsde monsieur le lieutenant de police; or, ce digne magistrattait bien trop occup par la politique pour pouvoir songer aamliorer l'tat des rues de la capitale, au point de vue du

    pavage comme au point de l'clairage.Une pluie d'orage avait tt fait de transformer en marais re-

    doutables les voies non paves; quant errer de nuit traverscertains quartiers que n'clairait mme pas la toeurfum'eusedes quinquets balancs par le venta 'l'extrmit des: cordes de

    ^rverbre, il fallait tre igentilhomime, c'est--dire avoir'une

    pe :au ct, ou'mauvais garok, c'est--dire ne craindred'autre attaque que celle peu redoutable des archers: du

    guet.Le soir o commence eexcrt un soir de septembre- -

  • 4 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    bien que le dernier coup de neuf heures tintt encore Saint-

    Germain-PAuxerrois, un silence profond planait sur le quar-tier; les rues avoisinanl l'glise taient dsertes; pas un bour-

    geois attard, pas uii chien errant, et dans les faades som-bres des maisons, les fentres bien closes ne laissaient filtreraucun rayon de lumire.

    Tout coup, non loin del colonnade du Louvre, presqueen face le fameux balcon de Charles IX, un pas press retentitsur le quai; puis, bientt, perant l'ombre, la silhouette vagued'un homme apparut, rasant le parapet de pierre, s'arrtant

    frquemment pour j eter un regard derrire lui, prtant l'oreilleau bruit du vent gmissant travers les branches ou celuides vagues dferlant contr les cailloux.

    A l'angle mme du Louvre, l'homme fit halte, examinantd'un oeil dfiant la chausse au bord de laquelle il tait arrtet qu'clairait dans toute sa largeur la lampe d'un rver-bre.

    C'tait l sans doute, son avis, une zone dangereuse franchir, et avant de s'y risquer, il voulait s'assurer que nul

    gneur n'apparaissait au loin.La lumire qui venait d'en face, bien que l'clairant faible-

    ment, faisait cependant ressortir sur le fond d'un noir d'encreque formait le ciel, sa stature leve et fortement charpente;un chapeau de feutre larges bords mettait sur son visage unmasque d'ombre, et un grand manteau brun l'enveloppait dela tte aux pieds, si long qu'il retombait sur ses bottes, dontles perons allumaient dans l'ombre une tincelle.

    Dans ses bras, ainsi qu'il eut fait d'une enfant, la tte ren-verse sur son paule, il tenait une forme blanche qui avaittoutes les dimensions et la forme d'une femme. Rien de suspect ne lui apparaissant, il abandonna le quai1 et coupa obliquement la chausse pour gagner l'troite rue

    aux Prtres-Saint-Germain-l'Auxerrois, qui longe l'glise.Dj il atteignait les premires maisons, lorsqu'il entendit

    le trot d'un cheval> qui semblait venir de son ct."Prudemment, il s'arrta et tendit l'oreille.

  • LES AVENTURES DE. CAGLIOSTRO

    Bast ! fit-il, celui-l doit tre press; s'il passe par ici, ilne m'apercevra mme pas.

    Ce disant il avisait une porte basse et profonde qui faisaitun trou d'ombre dans lequel il s'enfona.

    Mais son fardeau le gnait sans doute pour se bien tapir aufond de sa cachette, car il le dposa terre.

    Maintenante)]! pouvait reconnatre la silhouette vague d'unefemme vtue de blanc et la tte encapuchonne d'une mantenoire.

    Une fois enj'il l'eut mise sur ses pieds, il la prit par la main,la conduisit dans une des encoignures de la porte, se collalui-mme dans l'autre et, la main tendue sur la tte de la

    femme, dans une attitude de protection ou de commandement,il attendit.

    Sur la place, arrivant du ct du cours la Reine, un cava-lier venait de paratre.

    Par prudence, en atteignant l'embouchure de la rue qui s'ou-vrait devant lui, noire comme une gueule de four, il mit samonture au pas, de peur de trbucher en quelque trou creus

    par les dernires pluies; ensuite, il s'engagea entre les mai-

    sons, se fondit dans l'ombre, et l'homme qui tait cach n'en-tendit plus que le souffle press du cheval qui ttait le sold'un pas prudent, et, par instants aussi, des jurons que .mchonnait le cavalier lorsque la bte faisait un faux pas.

    Soudain, et comme le cavalier atteignait la hauteur de l'en-

    coignure en laquelle l'homme se tenait tapi, une claircie se

    produisit dans la monstrueuse chevauche de nuages, et unclair rayon de lune, glissant sur le toit ardois de. l'glise,vint illuminer la faade des maisons.

    Vive Dieu! exclama joyeusement le cavalier, en se par-lant lui-mme, voil une lune complaisante!

    Ce disant, il regardait droit devant lui, se htant de recon-natre le terrain pour le cas o, un orage venant voiler subi-tement la lanterne .cleste, il lui faudrait reprendre dansl'ombre sa chevauche prilleuse.

    Mais, tout coup, il fit sur sa selle un brusquesoubresaut;

  • 6 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    en mme temps ses regards se portrent vers la porte au fond

    de laquelle l'homme et la femme taient cachs.Il venait d'apercevoir, clairs en plein par la lune, l'homme

    qui entourait de ses deux mains le front de sa compagne, tandis

    que celle-ci, poussant de sourds gmissements, semblait se

    dbattre contre son treinte. Eh! l'homme! cria le cavalier, en pressant de l'peron,

    pour, le faire avancer, les flancs de son cheval, que faites-vousdonc l?

    Sans rpondre, l'autre saisit la femme dans ses bras et, sor-tant de sa cachette, se mit fuir le long des maisons.

    Halte ! ou je fais feu! dit le cavalier. Et, se penchant surle devant de la selle, il prit dans l'aron un long pistoletqu'il arma. Halte! rpta-t-il, en tendant le bras.Mais l'homme avait entendu le bruit sec de la batterie, et

    d'un brusque saut droite, il s'abrita derrire le pignon dfunemaison.

    Le coup partit et la balle alla corcher le mur qui servaitd'abri au fuyard.

    Celui-ci, aussitt, reprit sa course.

    Furieux, le cavalier avait saut terre, et, l'pe la main,suivait le fuyard aux talons.

    Par le diable ! s'cria-t-il enfin tout haletant, t'arrteras-tu, bandit? sinon j;e t'embroche.^ Et il levait le bras, pour mettre son projet excution, lors-

    . qu' sa grande stupfaction, il vit celui qu'il poursuivait fairehalte, remettre la femme sur ses pieds, puis se retournant,l'attendre les bras croiss et la tte haute.

    Que vous faut-il? demanda-t-ii d'un ton irrit, et d'abordqui tes-vous pour vous permettre d'attaquer un hommie inof-fensif.

    Qui je suis ? rpliqua le cavalier avec hauteur et en. piquant en terre la pointe de soii pe; on me nomme le comteAndr de La Vauguyon, et je suis lieutenant aux mousque-taires gris.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO T

    Puis, aprs une pause : Maintenant que j'ai rpondu votre question, fit-il d'un

    ton narquois, daignerez-vous m'apprendre ce que vous faites pareille heure dans les rues de Paris, avec cette femme dansvos bras ?

    Pour toute rponse, l'homme fit entendre un petit rire sec

    qui sonna dsagrablement aux oreilles du cavalier. Eh bien! fit-il impatient, tandis que ses doigts tourmen-

    taient nerveusement la garde de son pe, eh bien! j'attends... Vous attendez!... et quoi donc? Ta rponse, maroufle.L'homme haussa les paules. En ce cas, dit-il, vous feriez mieux dpasser votre che-

    min, car vous risquez fort d'attendre longtemps, monsieur lecomte.

    Tu railles, je crois. Non, rpondit l'autre avec fermet, je parle srieuse-

    ment et je vous donne un bon conseil en vous disant de re-monter en selle et de partir de suite, sinon vous risquez fortde vous mettre inutilement en retard.

    Vive Dieu! fit le gentilhomme, en rejetant derrire luil'ample manteau dont il tait couvert, afin d'avoir l'entirelibert de ses mouvements, j'aurai quand mme raison detoi... Il ne sera pas dit qu'un La Vauguyon aura laiss mo-lester une femme sans lui porter secours.

    En mme temps, il relevait son pe dont la pointe effleu-rait presque la poitrine de l'inconnu.

    Prestement, celui-ci sauta en arrire, puis, d'un mouvementbrusque, il laissa couler terre le manteau qui l'enveloppaitet il apparut tout de noir habill; son justaucorps de veloursouvrant sur un gilet de satin boutons d'acier se fondait

    presque dans la nuit, et ses culottes de velours, retenues au-dessus du genou par une boucle d'argent, se perdaient dansde hautes bottes de cuir fauve. ;

    Eh! eh! ricana le comte, nous sommes coureur degrand'route, ce que je vois... ou chef dbande.

  • 8 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    il disait cela cause de l'pe que l'homme venait de d-

    gainer et avec laquelle il s'tait mis en garde. N'y a-t-il donc que les bandits et les voleurs qui portent

    l'pe en France? demanda l'autre ironiquement. En France, comme ailleurs, les gentilshommes seuls ont

    le droit de la porter, rpliqua La Vauguyon avec une nuance

    d'orgueil dans la voix.L'inconnu se redressa. Et qui vous dit, rpliqua-t-il, que je n'aie pas ce droit

    tout comme vous?Le comte s'inclina railleusement. En ce cas, dit-il, vous plairait-il me dcliner vos nom et

    qualits? Ce sont l choses qui me concernent seul, monsieur le

    lieutenant aux mousquetaires, et que je me rserve de dcli-ner qui bon me semble... mais non au premier venu. Le premier venu! exclama La Vauguyon... Vive Dieu!

    Monsieur le coureur de grand'route, monsieur l'enleveur de

    femmes, voleur ou gentilhomme, vous n'tes qu'un drle et

    je vais vous chtier du plat de mon pe, comme un valet.L'autre ricana. Prenez garde mon pe, monsieur le comte, elle pique.En mme temps, il levait la lame la hauteur des yeux

    de son adversaire. Parle diable ! fit celui-ci en ricanant, jamais arme sem-

    blable n'a battu aux flancs d'un gentilhomme... C'est une pede bourreau que tu as l', mon matre.La lame, en effet, bien qu'ayant la longueur des pes ordi-

    naires, paraissait plus courte, tant plus large d'un peu plusdu double et sortait d'une garde, en forme de coquille, fort

    ( paisse, qui recouvrait la main tout entire, ainsi que lesrapires du sicle prcdent.

    1 En entendant ces mots, l'inconnu sourit lgrement et, lebuste bien d'aplomb sur ses jarrets ploys, la garde protgeantla poitrine, le visage inclin pour fuir les rayons de lunequi tombaient d'aplomb sur lui et garder ainsi le masque que

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    lui mettaient les rebords de son feutre, il attendait, immobileet muet, que l'autre l'attaqut.

    Oh ! oh ! fit le comte, en faisant rapidement deux pas enavant pour se trouvera longueur de fer, nous allons rire.

    Et, avec une prestesse qui dnotait un habitu de la lama,il engagea l'pe.

    2 LIVR. 2

    Tout &coupune voixgutturale qui semblaitpartir du ciel. {Page13.)

  • 10 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO' Je ne ris jamais, riposta l'autre d'une voix grave ; maissi vous avez des habitudes de gat, libre vous de vous ylivrer, monsieur le comte.

    Ce disant, le mystrieux inconnu dgagea d'un impercep-tible mouvement de poignet et, sans que son pe. et sembl

    froisser celle de son adversaire, celui-ci se trouva dsarm.

    Alors, il abaissa son fer et, sans bouger de place : Ramassez votre pe, Monsieur, pronona-t-il, et si vous

    voulez couter les conseils d'un homme qui ne vous veut au-cun mal, bien que vous l'ayez attaqu, allez-vous-en.

    Prestement, l'autre avait ressaisi son arme, et, avant quel'inconnu et cess de parler, il s'tait remis en garde,

    M'en aller! gronda-t-il avec la rage au coeur... non pasavant que je t'aie trou la peau.

    Cependant, sentant la ncessit de conserver tout son

    sang-froid pour lutter contre cet homme qui ne lui semblait

    pas un adversaire ddaigner, il engagea le fer prudemment,rsolu se tenir sur la dfensive, jusqu' ce qu'il'et pu jugerdu jeu de l'inconnu.

    Celui-ci, comme s'il et ddaign les attaques du comte,avait tourn lgrement la tte gauche pour regarder lafemme qui, immobile l'endroit o il l'avait dpose, assis-tait, impassible, au combat.

    Nanmoins, depuis quelques secondes, ses membres taientagits de longs frissons et son visage se crispait comme sousl'impression d'une vive douleur. '

    . Mme ses lvres s'entr'ouvraienf, livrant passage des'paroles confuses, breclouilles, inintelligibles.

    Mais cette femme dort! s'cria soudain le mousquetaireremarquant seulement alors les paupires closes de la femme.

    Cette exclamation attira l'attention de l'inconnu sur son ad-versaire.

    Il le regarda fixement jusqu'au plus profond des yeux etgrommela quelques mots en une langue que le comte necomprit pas.

    Seulement, ce ou'il comprit, ce qu'il vit, c'est que l'inconnu,

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 11

    tout occup l'examiner, venait de se dcouvrir imprudem-ment.

    Prompt comme l'clair, obissant sa pense, son peexcuta un rapide battement de quarte, pour dgager et

    atteindre, par un coup droit, la poitrine de son adversaire.Malheureusement La Vauguyon ne put excuter que la pre-

    mire partie de cette combinaison.Sans y paratre, l'inconnu surveillait son jeu, sans doute;

    car peine la lame du comte eut-elle t mise en contact avecl'autre que celle-ci, par un froiss d'une violence inoue, l'-carta de la ligne vise, pour se retrouver, elle, immobile, me-

    naant le mousquetaire.Morbleu ! grommela celui-ci, pour qu'il ait par ce coup-

    l, il'faut que le diable s'en mle.Comme une rponse cette rflexion, un ricanement clata

    dans l'ombre, ricanement qui, malgr lui, fit tressaillir La

    Vauguyon.Et aussitt l'inconnu lui dit: Et pourquoi le diable ne se mlerait-il pas de vos affaires,

    monsieur? vous vous tes bien ml des miennes.Ce persiflage poussa son comble la colre du j eune homme.Justement il lui sembla que l'attention de l'inconnu tait

    attire du ct de sa compagne et que son poignet avait un peufaibli.

    Aussitt, sans mme froisser l'autre pe, il poussa sa lameen avant et se fendit fond, sr, cette fois, de percer la poi-trine qui se trouvait devant lui.

    Mais, d'un simple mouvement de poignet, l'autre avaitchang de garde, en sorte que la large coquille de son pe,arrta au passage, ainsi qu'un bouclier, l'arme qui allait l'at-teindre.

    La violence du choc fut telle qu'une flamme bleutre, dueaune tincelle sans doute, brilla dans l'obscurit.

    Et, tout aussitt, le comte laissa chapper un cri de sur-

    prise et de douleur.Il venait, de recevoir, non seulement dans le poignet, mais.

  • 12 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    dans toute la longueur du bras jusqu' l'paule, une secoussesemblable celle qu'il aurait ressentie si on lui et assn unviolent coup de bton.

    En mme temps, il avait dans les doigts un engourdisse-ment tel qu'il dut faire appel toute son nergie pour ne

    point laisser chapper son pe une seconde fois.

    L'inconnu, qui ne le quittait pas des yeux, vit ses sourcilsse plisser soucieusement, tandis que dans ses regards pas-sait, rapide et fugitive, une lueur craintive.

    Eh ! eh ! ricana-t-il, monsieur le lieutenant aux mous-

    quetaires, vous voyez ce qu'il en cote de vouloir faire la po-lice des rues.

    Mais, soudain, il redevint grave et brusquement se retourna.La femme tait sortie de son immobilit, et, les yeux grands

    ouverts maintenant, elle semblait vouloir fuir. Ah ! diavolo ! grommela l'inconnu, voudrait-elle m'-

    chapper!Demeurant toujours en garde pour tenir son adversaire en

    respect, il se dtourna et tendit vers la femme son bras

    gauche dans une attitude de commandement. Demeure, dit-il d'une voix gutturale, demeure.El il faisait peser sur elle des regards sombres, desquels

    semblaient jaillir des clairs.

    Subitement, la femme s'arrta, ses paupires s'abaissrentcomme sous l'influence d'un sommeil invincible, et elle re-tomba dans son immobilit premire.

    Au mme instant, un cri trange traversa l'espace, troublantd'une manire sinistre le silence del nuit, cri qui tenait lafois du rugissement du tigre et du hululement de la chouette.

    Les deux hommes tressaillirent, mais sous l'impression desentiments bien diffrents. Enfin, murmura l'inconnu, il m'a entendu.Quant au jeune comte, il grommela entre ses dents: Cet homme fait sans doute partie d'une bande de dtrous-

    seurs, et ce que je viens d'entendre est probablement le si-gnal qui annonce l'arrive de ses compagnons.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 13

    Et il fut raffermi dans cette supposition en entendant un cri peu prs semblable sortir de la bouche de son adversaire.

    Allons, pensa-t-il, il faut en finir.Puis tout haut, d'une voix pleine de rage : Cette fois-ci, dmon ou sorcier, il faut que j'aie ta vie.Il avait saisi deux mains, ainsi que faisaient autrefois les

    preux dans les combats pour leurs lourdes pes, la poignede son arme et, se prcipitant sur son adversaire, il se fendit

    soudain avec la rapidit de l'clair.

    Mais, au lieu de la poitrine de l'inconnu qu'il s'attendait

    percer, son pe ne rencontra que le vide.D'un bond en arrire, l'autre avait rompu.Le comte fit un double pas en avant, agitant furieusement

    son pe qui sifflait dans l'air comme un serpent.L'autre rompit encore. Ah ! tu fuis, lche, gronda le mousquetaire, furieux de

    le voir chapper son atteinte.L'inconnu ricana et rompit de nouveau.Dans sa retraite, il entranait avec lui la femme qu'il avait

    saisie par le poignet et qui obissait sans rsistance la

    moindre pression de sa main.De nouveau, mais plus rapproch cette fois, retentit le cri

    qui avait fait tressaillir La Vauguyon.Instinctivement il releva la tte pour sonder du regard la

    faade sombre des maisons ; il pensait apercevoir dans l'ombrecelui qui lanait ainsi ce signal dans la nuit.

    Mais celui-l tait bien cach, moins qu'il ne ft point l ole supposaitle comte; car toutes les portes, toutes les fentrestaient closes; tout tait silencieux et semblait dormir.

    Maintenant, l'homme tait adoss la faade des maisonset marchait vers sa droite, lentement, avec circonspection,entranant sa compagne qui le suivait avec la mme docilit.

    Tout coup une voix gutturale, qui semblait partir du ciel,laissa tomber ce mot :

    Esta? (y es-tu). Soy... pronto (j'y suis... vite), rpondit l'inconnu.

  • 14 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Il tait arriv devant une haute maison fort troite, dans la

    faade de laquelle une porte basse tait perce.Alors, abandonnant l'attitude de dfensive qu'il avait eue

    jusqu' ce moment, il fit un pas en avant, cherchant le ferde son adversaire, qui son tour, cherchait se drober.

    Aprs quelques minutes employes se chercher et se

    fuir, l'inconnu rencontra enfin l'pe du mousquetaire, lafroissa durant quelques secondes, puis, soudain, la liant d'untour de poignet l'attacha la sienne aussi fortement que sielle y et t rive.Le jeune homme poussa un cri terribl'evet, tandis que son

    pe lui tait violemment arrache des mains, lui-mme,bouscul par une force inconnue, roulait sur le sol.

    Un moment, il demeura tout tourdi parla violence du choc;puis, fou de rage, il se releva d'un bond, saisit son pe, r-solu mourir ou avoir la vie de cet insolent qui par deuxfois l'avait dsarm, lui, un La Vauguyon, c'est--dire un des

    plus forts bretleurs de l'poque.Mais sa grande surprise, l'inconnu et sa compagne avaient

    disparu.La lune, cet instant, compltement dgage, clairait en

    plein la rue dans toute sa largeur.On ne voyait rien, on n'entendait rien.

    Croyant que peut-tre son adversaire s'tait dissimul dansun coin d'ombre; le jeune comte s'approcha des maisons etfouilla de la pointe de son pe toutes les portes obscures.

    Il en fut pour sa peine.La rage de sa dfaite s'augmenta du dpit de se trouver

    jou aussi compltement; et sans rflchir qu'il risquait d'at-tirer les soldats du guet, auxquels il et t bien en peined'expliquer son cas, tant donnes les ordonnances svresconcernant le duel, il rsolut d'oprer une perquisition danschaque maison de la rue.

    Dj il avait saisi deux mains la lame de son pe pourse servir du pommeau comme de heurtoir afin de rveiller les

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 15

    habitante, lorsque l'horloge deSainl-Germain-l'Auxerrois se

    mit sonner.Aussitt, le comte s'arrta net, et, les bras toujours levs

    pour frapper, il compta les coups mi-voix. Onze heures! murmura-t-il tout surpris; cette sotte

    affaire m'a mis en retard.Il rengaina son pe, hocha la tte d'un air de menace dans

    la direction des maisons dont la faade demeurait muette etsombre.

    Puis il courut vers son cheval qui, spectateur indiffrent,avait assist toute cette scne, se mit en selle lgrementet piquant des deux, partit au grand trot.

    Au bout de quelques minutes, sa silhouette avait disparudans la nuit et l'on n'entendait plus que le bruit des fers ducheval battant le pav.

    Ce bruit, bientt, s'teignit tout fait et la rue retomba dansun silence complet.

    Alors une porte basse roula silencieusement sur ses gondset une tte s'avana avec prcaution.

    C'tait le mystrieux inconnu qui s'assurait qu'il n'y avait

    plus rien craindre. Eh bien ? demanda une voix derrire lui. Plus personne, rpondit-il; tu peux allumer maintenant.La porte se referma sans bruit et quelques instants aprs,

    si monsieur le comte de la Vauguyon eut t moins pressde quitter le thtre de ses peu brillants exploits, il eut puvoir une petite lumire tremblottante monter d'tage en tagejusqu'aux combles d'une maison, sur laquelle monsieur lelieutenant de police n'avait peut-tre, pas tous les renseigne-ments dsirables. .

    CHAPITRE ^11

    Le couvent du faubourg Saint-Antoine.

    A droite, dans le faubourg Saint-Antoine, quelque cents

  • 16 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    mtres avant d'arriver la place de la Bastille, se trouvait fcette poque, une proprit d'apparence modeste, devant la

    quelle, cependant, les petits bourgeois et les gens du mem

    peuple ne passaient jamais que craintivement.Sur la rue, une porte et deux fentres superposes ; la porte,

    paisse de trois pouces et garnie de fer, tait perce dans unmur haut de quatre mtres; les fentres protges par d'paisbarreaux, appartenaient un petit pavillon compos d'une sallebasse au rez-de-chausse et d'une chambre au premier tage.

    En tout, cinq mtres de faade; rien de plus simple, n'est-ce pas, et attirant moins l'attention.

    Au-dessus de la porte, dans le moellon mme dont le murtait construit, un crucifix tait sculpt, au-dessous duquel,.en une sorte de niche, s'allongeait un squelette; puis, toutautour sur une banderolle de pierre ces mots taient gravs : Perinde- ac cadavei Cette devise tait celle de la Compagnie de Jsus et cette pro-

    prit tait l'une des plus importantes qu'ils possdassent.Quand la porte tait ouverte, ou plutt entr'ouverte car

    cette poque, comme la ntre, les portes des maisons dece genre, ne s'ouvraient jamais toutes grandes les curieuxne pouvaient apercevoir qu'une petite cour noire et humide,sur laquelle, adroite, donnait la porte du petit pavillon, auxfentres grilles. .Ce pavillon servait d'habitation aux frres portiers.A gauche, dans une niche de pierre, somnolait un norme

    dogue.Mais celui qui eut pu pntrer dans cette cour la suite

    d'un des familiers de la maison, eut aperu derrrire un se-cond mu.', moins haut que le premier, de trs beaux arbres,occupant une respectable tendue de terrain.

    Pour arriver ce parc, il fallait passer par la loge desfrres portiers; consquemment aucune entre et aucune sor-tie ne pouvaient chapper l'oeil de ces Argus vigilants; quantaux fournisseurs, jamais ils ne dpassaient cette loge.

    La maison occupe par les rvrends Pres, s'levait au

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 17

    fond de ce parc; c'tait un btiment aux lignes sobres, sans

    lgance, d'un aspect triste et froid.En Europe, les jsuites affectaient un grand mpris pour

    le rconfortant et le luxe.Il est vrai qu'en Asie, ils se ddommageaient amplement...

    tous les points de vue.

    3e LIVR. 3

    Allons,paix, Turcl cria-t-it d'une voix de stentor. (Page18.)

  • 18 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Haibituellemat, tous les feux taient teints neuf heures ;les Rvrends Pres se levaient quatre heures du ratatua ;telle tait la rgle.-Qr, le soir o commence- cette: histoire, bien que la pen-

    dule de l'horloge marqut dix heures, une lampe brillait

    encore dans le pavillon. ,A sa lueur douce, deux hommes, deux jsuites travaillaient

    une soutane.L'un tait quelconque. ,Mais l'autre attirait l'attention par sa stature vritablement

    gigantesque et sa carrure d'hercule; son dos norme, ses- paules puissantes eussent t plus leur aise dans une ca-

    saque de soldat que dans cette soutnelede frre portier; ses

    doigts aux attaches effrayantes qu'ornaient des touffes de

    poils fauves paraissaientplus faits pour manier le mousquetonque pour pousser l'aiguille; quant sa tte que recouvraitune toison paisse et crpue de cheveux roux au milieu de

    laquelle la tonsure faisait l'effet d'une clairire taille coupsde hache travers des fourrs inextricables, elle et certai-nement paru martiale sous le casque^ d'acier, en dpit de labonhomie enfantine que respirait une face toute ronde percede petits yeux sans malice, dans laquelle, s'ouvrait une boucheen coup de sabre ourle de deux grosses lvres carlates, Allons ! paix... Turc ! cria-t-il d'une voix de stentor au

    dogue qui tirait sur sa chane avec fureur... Paix, donc... onte dtachera tout l'heure.

    Cette pauvre bte s'impatiente, frre Trvalloc, ditl'autre jsuite... Turc n'a pas l'habitude d'tre la chane, -

    pass neuf heures.' ~

    Frre Trvalloc eut un gros rire. Et moi, rpliqua-t-il, ai-je l'habitude d'avoir l'aiguille

    aux doigts une heure semblable... je prends patience... queTurc fasse comme moi... il n'y a.pas conventus tous les soirs.

    Puis levant les yeux vers la pendule: Le quart de dix heures va sonner, ajouta-t-il... Il me

    semble que le comte de La Vauguyon est en retard.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 19

    Le pre Provincial n'avait-il pas dit que ce gentilhommearriverait avant dix heures? demanda l'autre frre.

    En effet... mais, avec les jeunes gens, sait-on jamais...Et, sur cette rflexion, frre Trvalloc baissa le nez sur son

    ouvrage, dans lequel il donna de grands coups d'aiguille,furieux.

    En pntrant dans le parc, on eut pu constater que la portede l'habitation des pres tait vaguement claire par unelanterne fumeuse accroche dans le vestibule; mais toutesles fentres taient noires. .

    Quoiqu'il n'y et redouter aucun espionnage en cet en-droit, l'abri de tous les regards curieux, les volets avaientt soigneusement clos l'heure rglementaire, et seul, le

    maigre lumignon du vestibule indiquait que, ce soir-l, il yavait infraction la rgle et que les Pres ne dormaient pas.

    Au fond du vestibule, dans une encoignure, un jeune pre' tait assis, sentinelle place l videmment pour garder leconseil contre les indiscrtions possibles de F extrieur; lesFrres n'ont pas le droit,' moins d'y tre appels, de pn-trer dans le convenius.

    En face de l'entre, un escalier conduisait au premier tageoccup par les chambres; droite et gauche, deux portescintres, toutes les deux surmontes d'une croix; l'une taitla porte de la chapelle; l'autre s'ouvrait sur une vaste salle.

    Dans cette salle, qui servait ordinairement aux runions duConseil de l'ordre, douze jsuites taient groups autourd'untable en fer cheval claire par trois lampes; devant chacund'eux un dossier volumineux tait pos.

    Au-dessus de celui des Pres qui semblait prsider l'assem-ble un christ gigantesque en ivoire se dtachait sur un fondde velours noir parsem de larmes d'argent; sur les deuxautres panneaux, leportraitdu grand Ignace de Loyola, faisantface celui du gnral de l'ordre.'

    Ces douze personnages, qui semblaient constituer un tri-bunal, offraient, en dpit d leurs physionomies intelligentes,un ensemble peu sympathique..

  • 20 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Quoique de tempraments peu diffrents, les uns sanguins,les autres bilieux, celui-ci maigre et celui-l gras, il y avaitentre eux un caractre commun : l'expression froide du visageet la duret du regard.

    Deux de ces hommes cependant tranchaient sur leurs col-

    lgues par leur attitude plus sche et plus raide.L'un tait le Prsident du convenius, le Rvrend Pre Gu-

    pard, Provincial de France; l'autre tait le Rvrend Pre Cou-

    turier, confesseur et conseiller intime du cardinal de Fleury,premier ministre de Sa Majest Louis XV.

    Les autres taient les suprieurs des principaux tablisse-ments de la Compagnie dans le royaume.

    Le confesseur du cardinal tait un prtre replet, la figuretoute ronde; mais son embonpoint devait tre d'une graissemalsaine, car sa peau offrait la teinte jauntre des ciergesvieillis; en parlant, il affectait une modration calcule et sa

    pense ne s'exprimait qu'enveloppe de priphrases.C'tait un des meilleurs diplomates de la Compagnie.Le Provincial, au contraire, long, maigre, aux traits sail-

    lants, aux membres taills coups de serpe, avait le teint co-lor des gens qui s'emportent facilement.

    Sa parole tait brve, sa voix mtallique et ses yeux avaientun clat insupportable.

    Bien que son nom indiqut une origine franaise, il eutt difficile de dfinir quelle race il appartenait, car le typefaisait penser un Italien ou un Espagnol.

    D'aprs son ton de commandement, on pouvait supposerque ce jsuite tait un ancien militaire; effectivement les re-gistres de l'ordre constataient que le pre Gupard avait, t ca-pitaine au rgiment d'Aunis et qu'il avait pris part, sous lesordres du duc de Vendme, labalaille de Villaviciosaenl710.

    A cette poque-l, il devait avoir trente ans peineA car en1726 il ne paraissait gure avoir dpass la cinquantaine.

    Debout, les mains croises dans les larges manches de leursrobes, le corps tourn vers le crucifix pendu la muraillele buste lgrement inclin et le menton touchant la poitrine,

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 21

    ils rpondaient par un bredouillement monotone et inintelli-

    gible aux prires latines que marmottait le Provincial.Puis, soudain, d'une voix forte, dans laquelle se devinait

    comme une intonation de soulagement, ils prononcrent amen, se signrent d'un geste et s'assirent.

    Seul, le Provincial, demeura debout, les mains appuyessur la table, la tte haute; il promena autour de lui un regardassur, toussa lgrement, puis de cette voix sonore qui luitait propre et dnotait chez lui l'habitude du commande-ment:

    Mes frres, commena-t-il, si je vous ai convoqus, ainsien grande hte et en dehors des poques fixes, c'est que lescirconstances sont graves

    1et que je n'ai point voulu agir sansvous demander conseil.

    Ici, il fit une lgre pause, ce qui permit aux assistants de

    rpondre par un murmure approbateur aux quelques mots

    qu'ils venaient d'entendre.Ensuite, en quelques paroles fort claires et fort nettes, il lit

    un rsum de la situation.Et certes, cette situation tait loin d'tre brillante.

    Aprs avoir, en 1713, profitant de l'affaiblissement cr-bral du vieux Louis XIV fait lancer de Rome la fameusebulle Unigenitus, qui avait soulev contre eux presque tout leclerg franais, les jsuites avaient vu s'vanouir, leurs rvesaudacieux, lorsque le Parlement, cassant le testament du roidfunt, avait appel la Rgence le duc Philippe d'Orlans,un de leurs ennemis.

    Pendant treize ans, la Compagnie, rongeant son frein, avait.prpar ses voies et, en 1726, poque laquelle commencecette histoire elle avait russi mettre dans son jeu, lecardinal de Fleury, premier ministre du jeune roi Louis XV.

    Et ce n'tait pas trop d'un si puissant auxiliaire pour aiderles jsuites lutter contre le Parlement et contre la majoritdes voques refusant, les uns, d'enregistrer la bulle, les autres,d'y accder.

    ]'archevque de Paris, lui-mme, le cardinal de Noailles,

  • 22 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    tout en leur faisant bon visage, les attaquait quand il en trou-vai't l'occasion et excitait secrtement son clerg la rsis-tance.

    C'est pourquoi, la Compagnie, renonant la persuasionet la corruption pour ramener elle le haut clerg franais, ,

    s'tait-elle, tout rcemment, dcide employer les moyensviolents.

    Le pre Gupard termina le tableau de la situation endisant : Un groupe important d'avocats au Parlement prpare

    une requte au roi contre la Compagnie, et c'est l'archevquede Paris qui leur fournit des arguments.Un murmure de colre indigne courut parmi les assistants. Si le cardinal de Noailles mourait... fit une' voix. Mort inutile, rpliqua froidement Gupard, c'est le Par-

    lement qui est aujourd'hui l'ennemi : c'est le Parlement qu'ilfaut combattre.

    MaisFleury, le premier ministre, ne pourrait-il?...Le provincial haussa les paules ddaigneusement. Contre un ennemi tel que le Parlement, affirma-t-il, il

    nous faut un autre auxiliaire que ce vieux podagre qui s'en-dort sous son chapeau de cardinal.

    Ce disant, il regardait le pre Couturier sur les lvres du-quel errait un sourire vague et singulier.

    Un autre auxiliaire! murmurrent plusieurs des assis-tants en s'interrogeant du regard.

    Gupard rpondit cette muette interrogation par-'cesmots :

    C'est le Roi qu'il nous faut avoir avec nous.-. Il faut quele Roi ordonne au Parlement d'enregistrer la bulle.

    Ayant ainsi pos le problme dont la solution pouvait seulesortir la Compagnie de la situation critique en laquelle elle setrouvait, le pre Gupard considra l'un aprs l'autre tous lesassistants, leur demandant muettement leur avis.Mais tous hochaient la tte, avouant ainsi la faiblesse de

    leurs lumires.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 23

    Alors, Gupard se tourna vers Couturier. Et vous, mon frre, demanda-t-il d'une voix radoucie,

    ne nous direz-vous rien qui puisse nous clairer ?Le jsuite sourit complaisamment. Peut-tre ce que je vais vous dire, rpliqua-t-il, vous

    apparatra-t-il comme la solution du grave problme que nous

    agitons et duquel dpend l'avenir de la Compagnie.En mme temps, il s'accouda sur la table, comme un homme

    qui veut peser toutes ses paroles, et il commena en cestermes :

    Le cardinal de Fleury et moi, nous avons eu hier une

    longue confrence au sujet de l'agitation qui s'organise autourdu Parlement contre la Compagnie de Jsus. Je lui ai nette-ment dclar que le temps pressait pour les intrts de

    l'Eglise dont nous sommes les plus dvous serviteurs...

    Gupard eut un claquement de langue impatient. Allez au fait, mon frre, murmura-t-il. J'abrge, puisque vous le voulez, reprit Couturier. Mais,

    il est ncessaire que vous le sachiez, le cardinal a l'habitude

    d'envelopper l'expression de sa pense dans une foule de

    priphrases et de circonlocutions... Je sais, dit encore le Provincial, qu'il n'est pas franc-du

    collier... cela me suffit. Allez... Jejlui parlais donc des moyens employer pour avoir sur

    le jeune roi une influence certaine et qui s'exercerait sans

    interruption; car il y a, vous le savez, des priodes pendantlesquelles Sa Majest boude le cardinal de la plus dsagrablefaon, et, clans ces moments-l, elle se dfie de tout ce quionlui propose.

    Comme tous les caractres faibles, conclut le Provincial,Louis XV doit tre entt.

    C'est cela mme, fit le confesseur du premier ministre.Tout d'abord le cardinal, qui connat bien Sa Majest, avaitcompt beaucoup sur l'influence de la pieuse Marie Leek-zinska... Louis XV paraissait trs amoureux de sa femme...

    ' ... La premire qu'il et connue, appuya Gupard.

  • 24 LS AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Couturier ne sourcilla pas et poursuivit : Mais on croit que vers la fin de la grossesse de la reine

    et surtout aprs l'preuve trs pnible d'une double maternit,le jeune roi s'en est tout fait loign... Eh! fit le Provincial, ce que vous nous dites-l n'a rien

    de nouveau; qui ne sait que la rcente naissance des deux

    jumelles a eu des consquences qui rendent la cohabitation

    dsagrable... allez donc plus vite, mon frre. Enfin l'on disait : . Dites donc que le cardinal disait.Et le fougueux jsuite appuya dessein sur ces deux mots:

    le cardinal. Eh bien! le cardinal disait qu'il tait craindre que Sa

    Majest ne ft revenue certaines amitis...v-Nous connaissons cela, mon cher Couturier, interrompit

    le Provincial.Et il ajouta pour rpondre aux regards interrogateurs des

    Pres qui, dans leurs couvents de province, vivaient ignorantsdes moeurs de la cour : C'est--dire que les petits de Gesvres et de la Trmouille

    font concurrence la pauvre Marie Leckzinska.Ceux des rvrends qui n'taient pas habitus au langage

    libre du pre Gupard baissrent les yeux.Quant au pre Couturier, ces sorties ne le dsaronnaient

    aucunement, et cette fois encore il reprit avec beaucoup deealme : Alors nous avons... le cardinal a examin devant moi une

    question trs dlicate. Il m'exprimait cette ide qu'il seraitmoins fcheux que le roi ft soumis une influence fmi-nine.

    Le Provincial frappa la table du plat de sa main grandeouverte. Appelez donc les choses par leur nom ! s'cria-t-il brus-

    quement, vous avez song donner une matresse au roi...C'est, en effet, le meilleur moyen.

    Le confesseur du premier ministre ajouta placidement:

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 28

    4-Etle moment parat favorable... Depuis quelques jours,Louis XV s'ennuie;, il. bille au nez du cardinal, quandcelui-ci veut Fentretenir des choses de l'Etat; il jette des re-gards inquiets sur les jeunes dames du palais.

    Il fit une pause et ajouta avec un mouvement d?paulesplein de pit:

    4e LIVB.

    La porte s'ouvrit toute grande, et le comtedeLa Vauguyonparut. (Page 32.)

  • 26 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Mais Sa Majest est d'une si extraordinaire timidit... Cela vaut mieux, affirma Gupard. Et pourtant le roi estbeau, poursuivit le confesseur...

    en croire le cardinal, parmi ces dames...Il s'interrompit, sentant peser sur lui les regards curieux

    de ses collgues.

    rGupard ajouta brutalement, d'un ton mprisant :

    Les trois quarts de ces femmes souhaiteraient que le roileur jett le mouchoir.

    Le Pre Couturier insinua doucement : Pour la moralit de la cour, il est prfrable qu'une

    seule se sacrifie... n'est-il pas vrai, mon frre?.Le Provincial approuva de la tte; puis dardant sous ses

    cils abaisss un regard inquisiteur sur Coxtturier : Faut-il conclure de l, demanda-t-il, que A'.ous avez dj

    trouv une femme capable de jouer le rle ? Prcisment, mon Rvrend Pre, rpondit le confes-

    seurde Fleury... C'est une de mes pnitentes.Gupard pencha son long buste du ct de Couturier. Pas davantage? demanda-t-il d'une voix railleuse. Non, rpliqual'autre; ce n'est, au surplus, ni une femme

    nave ni une dvote mystique... c'est une ambitieuse quis'ignore.

    Le Provincial parut attacher peu d'importance 'la dis-

    tinction classique faite par le confesseur entre certaines pni-tentes et les autres.

    ^Une seule ide hantait son esprit et cette ide, il la prcisa^avantage en demandant:

    .Y* Est-elle jolie? Elle est plus que jolie... elle est charmante; elle a au-

    tant d'esprit qu'il en faut pour ne jamais blesser le roi et elleaura.Ie talent inapprciable de se faire toujours dsirer.

    'Gupard ne put retenir un haut-le-corps, surpris : Ce n'est donc pas une dbutante ?Couturier dclara;gravement :

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 27

    11y a des femmes qui ne sont jamais des: dbutantes...elles ont la science inne de la sduction.

    Le Provincial considra un moment en silence le confes-seur du cardinal; puis, d'une voix, presque aimable, il laissatomber ces mots-:

    Vous tes plus fort que je ne croyais, frre Couturier.Cette phrase fit penser aux autres jsuites que le directeur

    de la conscience du vieux Fleury venait de monter trs hautdans la faveur du Rvrend Gupard, lequel passait pour le

    plus remarquable des sept Provinciaux reprsentant les septttes de l'Ordre en Europe.

    Les Jansnistes disaient en parlant d'eux : Les sept ttesde l'Hydre. ^

    Il y eut un silence.Le pre Gupard se recueillait et aucun des membres,du

    Conseil ne se ft permis de troubler ses mditations.. rEn savourant discrtement son triomphe, le pre Couturier

    semblait abm dans la contemplation du portrait du grand1gnace de Loyola. - *

    En vrit, il attendait que le Provincial lui post de nou-velles questions, car il se ft bien gard de paratre dirigerles dbats; c'et t, de. sa part, une maladresse insigne.

    Il mnageait d'autant plus le Provincial, qu'il avait entre les

    mains, lui, Couturier, dontlaimission apparente tait d servirde cornac au vieux Fleury, une cdule du.gnral de l'Ordre,laquelle le constituait, sur l'heure, Provincial aux lieu et placede Gupard, dans le cas o celui-ci serait souponn d'userde ses pouvoirs dans des conditions compromettantes pour la

    Compagnie.

    Ainsi, auprs de chaque Provincial, comme auprs de chaquesuprieur, le- gnral dsigne un Pre comnle; successeurventuel; mais cette dsignation reste-secrte entre le gnralet le jsuite porteur de la cdule.

    Provinciaux et suprieurs savent.ainsi qu'ils ont un espionattach leurs-pas et intress - les perdre; mais ils ne le;:

  • 28 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    connaissent point, et souvent c'est celui qu'ils souponnentle moins.

    A un jour donn, quelle que soit l'heure, quelque soit le

    lieu, dans sa cellule ou bien en plein conseil, le surveill peutvoir se lever un de ses subordonns qui lui tend froidement

    le papier en vertu duquel il le remplace.Et il s'incline sans prononcer une parole, sans essayer la

    moindre justification; il sait que ce serait inutile, que sa con-

    damnation est sans appel.Perinde ac cadaver.

    Un Provincial d'Espagne avait voulu rsister; le porteur dela cdule tait venu le trouver dans sa chambre, il la luiarracha des mains et voulut la brler.

    L'autre sortit sans lutte; mais cinq minutes ne s'taient pascoules, que le Provincial rfractaire entendait la cloche dela chapelle sonner le glas.Une procession sinistre arrivait lui, le saisissait, le liait,

    le transportait la chapelle o on l'tendaitsur les dalles.

    On le recouvrait d'un drap noir, l'office des morts tait rcit voix basse, terrifiante ironie pour ce rvolt qui avait, un

    moment, oubli la devise terrible : Tu ne dois pas avoir -plus devolont qu'un cadavre.

    L'office termin, sans un oubli, sans hte, le misrable taitdescendu dans un souterrain et mur par ses Frres impas-sibles.

    A ceux qui, par la suite, demandrent des nouvelles du'

    Provincial, on rpondit qu'il tait parti pour laprovince d'Asie,et tout fut dit.

    jCouturier qui, sous sa graisse jaune, dissimulait une pre

    envie de commander, guettait son Provincial avec la patiencedu chat qui guette une souris.

    Mais le rvrend Gupard ne commettait point de fautes.

    D'ailleurs, il y avait pour le supplant secret Un danger :. c'tait d'agir contre-temps ou prmaturment. Gupard se

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 29

    serait soumis ; mais, appel Rome, il et peut-tre dmoliCouturier.

    Pre Couturier, dit enfin le Provincial, peut-tre serait-ilbon que vous donniez nos Rvrends frres quelques dtailssur le temprament du roi; cela leur permettrait de juger lasituation en connaissance de cause.

    Le jeune roi, dit le confesseur en abaissant ses regardssur la table, est d'un temprament exceptionnellement volup-tueux; sous ce rapport...

    Son mariage ne lui a, sans doute, pas donn des satis-factions sensuelles suffisantes, fit Gupard, en achevant la

    phrase hsitante.Couturier sourit discrtement. C'est peu prs cela, la reine a un caractre aimant,

    c'est vrai... mais c'est une crature... Passive, dit encore le Provincial. Oui, en un mot, toutes les qualits d'une pouse qui ne

    demande qu' tre fconde... Mais aucune de celles qui attachent un homme sa

    matresse, se hta d'ajouter Gupard.Le directeur spirituel du cardinal hocha la tte. Marie Leckzinska est cependant trs jalouse de ses de-

    voirs. Mais le roi les oublierait volontiers s'il pouvait sur-

    monter sa timidit l'gard des autres femmes. Hum! fit pensivement Couturier, c'est cette timidit qui

    constitue notre pierre d'achoppement...Il rflchit quelques secondes et ajouta, comme se parlant

    lui-mme : Je crois qu'il faudra non seulement lui offrir l'occasion,

    mais le pousser adroitement, de manire ce qu'il ne puissereculer.

    Le Provincial se renversa sur le dossier de son sige. Bien ! pre Couturier ! fit-il d'un ton visiblement satisfait,

    vous tes long vous faire comprendre,., mais nous sommesclairs.

  • 30 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Il garda quelques minutes le silence, dans une- pose mdi-

    tative; puis, se redressant: Mes frres, dit-il en parlant lentement et en pesant

    chaque parole, je vais en quelques mots rsumer la situation ce point- de vue: tant donne cette timidit du jeune roi, il

    y a lieu d'esprer que sa premire matresse si elle sait s'yprendre conservera longtemps l'empire qu'elle aura sur lui.Dcouvrant la femme sous un nouvel aspect et trouvant danssa conqute des trsors de volupt qu'il aura ignors jusqu'ce moment, il ne pourra rien lui refuser.

    Puis, s'adressant particulirement Couturier : Nous esprons donc, continua-t-il, mon cher pre, que

    vous avez bien choisi; car une erreur de votre part dans cetteten-ative rendrait la seconde beaucoup plus difficile... Quandcne jeune femme sera-t-elle prsente au roi ?

    La reine l'a admise parmi ses dames, ds le lendemainde sa dlivrance, sous la recommandation du nonce. Est-elle italienne? demanda vivement le Provincial. Bien qu'elle soit de maison franaise, je la souponne

    fort d'avoir d sang italien dans les veines.Et le roi, l'a-t-il vue?

    Le roi l'a vue... le cardinal croit mme qu'il l'a re-

    marque.!

    -El la reine? La reine est encore trop; fatigue pour deviner quelque

    chose, et son poux ne fait que de-: courtes apparitions dansses appartements.

    Pre Couturier, il faut brusquer cette affaire'... jamaisnous ne retrouverons des circonstances plus favorables... jevous accorde un mois. pour, russir et songez que si nouspouvons tenir le roi par une matresse de notre choix, c'en.est fait du Parlement...

    Comme le Provincial prononait ces paroles un coup desonnette retentit dans le- vestibule.

    Les pres qui commenaient changer quelques rflexions,

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 31

    se turent immdiatement, puis croisant les bras sur la poi-trine, ils se fixrent dans une immobilit de statue.

    Bientt on put entendre sur les dalles du vestibule des pasprcipits; puis un colloque s'changer voix basse, enfin la

    porte de la salle s'ouvrit et le jeune Pre qui tait en senti-

    nelle, entrant, s'approcha du Provincial. Mon pre, dit-il, un gentilhomme est l qui demande

    vous' entretenir sur-le-champ. J'espre qu'on ne l'a pas laiss attendre dans la rue ? de-

    . manda vivement Gupard. Non, mon pre, on l'a fait entrer dans la petite cour. N'est-ce pas une imprudence ? murmura une voix l'o-

    reille du Provincial.Celui-ci sourit. Le pore qui est ma droite, dit-il, demande si vous

    n'avez pas commis une imprudence en faisant entrer cet

    tranger et en le laissant avec votre compagnon dans la loge ?

    Le portier rpliqua tranquillement : Nous avons des pistolets chargs qui sont toujours la

    porte de la main, partir de la nuit tombe... en outre, frreTrvaloc est un hercule qui trois hommes ne feraient paspeur.

    Gupard demanda: Ce gentilhomme vous a-t-il dit son nom ? Oui mon pre; mais pour vous seul.Il s'approcha du Provincial et lui chuchotta un nom l'o-

    reille.Un sourire de contentement plissa les lvres du jsuite.C'est bien, dit-il, j'appellerai.Le jeune Pre sortit, suivi du portier.Alors Gupard s'adressant aux assistants : Mes frres, dit-il, vous pouvez vous retirer.Tousse levrent, s'inclinrent devant le Provincial et, silen-

    cieux, quittrent la salle.Comme le confesseur de Fleury allait franchir le-seuil:

  • 32 LE& AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    -- Demeurez, je vous prie, pre Couturier, dit le Provincial ;

    peut-tre aurai-je besoin de;vous. : > ; . \ ~.

    . L'autre s'inclina et revint;prendre: place sur son fauteuil.

    -Puis quand la porte se fut referme.sur le dernier jsuite: Lecomte de La. Vauguyon qui nie vient rendre, visite, fi

    est un de nos affilis. Malgr :sa jeunesse, .il; n'a.gure quevingt-six ans; c'est, une d nos plus prcieuses recrues; il

    est bien en cour, est possesseur d'une belle fortune, a de nom-breux amis, entend beaucoup, de choses, eu surprend beau-

    coup d'autres et grce lui, je suis mieux-inform que mon-sieur. le lieutenant de police.. Je prsume que^ pour venir cette heurj il a en pphe_une importante nouvelle. ..

    En terminant ces mots, il frappa trois fois dans ses mains.Peu aprs ce signal, un bruit d'perons retentit dans la salle

    voisine; puis la porte s'ouvrit toute grande et le comte de La

    Vauguyon parut.* ...

    ;Les regards du pre Couturier se tournrent curieusement^vers le nouvel arrivant qui, tonn de la prsence du confes-seur de Fleury, se tenait immobile sur le seuil, la main;gauchesur la poigne de son pe, la droite crispe un peu nerveu-sement sur le bord de son chapeau.de feutre ganse d'or.

    La: lueur d'une lampe suspendue au plafond, juste en facede lui, clairait .un visage jeune auquel une fine nioustachenoire, frise et retrousse, donnait une allure fire et hardie;l'ovale de ce visage tait rgulier et le front large empreintd'une certaine noblesse; c'tait l, du moins, l'expression quise dgageait d'un premier et rapide examen.

    Mais le regarder avec plus d'attention, on remarquait quelesourcil fin et bien arqu surplombait un orbite profonddans lequel l'oeil luisait avec un clat douteux, manquant defranchise, et dans lequel ne se refltait pas l'me dl'individu;en outre, la paupire, au lieu d'tre releve entirement [ainsiqu'il arrive chez les gens qui vous fixent, carrment, la pau-pire, tait- demi plisse, voilant; sous ces cils le regard quiavait quelque chose de craintif ou de fuyant; le aiez, la cour-bure lgrement aeeehtue. ressemblait vaguement un bec

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 33

    d'oiseau de proie, et les lvres, d'un dessin correct, mais trs

    fines, semblaient continuellement pinces dans un sourire

    cruel; enfin, la mchoire infrieure, imperceptiblement pro-minente, donnait la physionomie du comte un caractrede fermet que le menton, nettement carr, accentuait encoredans le sens de l'enttement.

    5e LIVR, 5

    C'taitune tte d'enlant. (Page 38.)

  • 34 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Tels taient les petits dtails physiologiques qu'une obser-vation approfondie eut relev dans les traits du comt de La

    Vauguyon, et nous devons ajouter que, du premier coupd'oeil, le pre Couturier avait jug l'homme sa juste valeur;c'est peut-tre pour cela que, presque instantanment, son

    regard curieux et dfiant,, s'tait adouci pour envelopper,comme dans une caresse, le jeune gentilhomme.Celui-l tait bien de la Compagnie.Le Provincial s'tait lev, et., avec une hte pleine d'affec-

    tation, s'tait port au-devant Au comte.Celui-ci jeta, d'un geste plein de dsinvolture, son chapeau

    sous son bras, et avana la main pour presser les trois doigtsrunis benotement que lui tendait le jsuite. Ah! mon cher enfant, fit le pre Gupard, en donnant

    -.sa voix une intonation toute paternelle, que je suis aise devous voir... vous ne sauriez croire avec quelle impatience jevous attendais... le courrier que vous m'avez expdi dans lajourne m'a inquit, et il me tardait de connatre la nouvelleimportante laquelle vous faisiez allusion.

    Ce disant, il indiquait un sige au jeune homme, et retourna son fauteuil.

    Ce que j'ai vous dire, mon Rvrend, rpliqua LaVauguyon, esttrop grave pour que j'aie pu songer aie confierau papier; c'est pourquoi j'ai prfr venir vous trouver,aussitt mon service fini au chteau.. Monsieur le comte arrive de Versailles? demanda le

    pre Couturier, non sans surprise. " En droite ligne... oui, mon Rvrend, fit le jeunehomme,

    j'en suis parti huit heures, et je fusse arriv ici depuis long-temps, si une sotte affaire ne m'avait mis en retard.En prononant ces mots, sa voix s'tait fait tellement cas-

    sante, tellement amre, que le pre Gupard, qui le connais-sait bien, le regarda fixement. !

    Ah! murmura-t-il, une sotte affaire... Qui aurait pu mme m'empcher d'arriver jamais. Comment cela?

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 35

    Une rencontre bizarre prs de Saint-Germain-l'Auxer-

    rois; j'ai voulu arrter un homme qui emportait une femme

    vanouie; nous avons dgain,' et... Vous n'avez pas t bless? demanda Gupard avec une

    nuance d'intrt. Non, rpliqua rageusement La Vauguyon, mais seule-

    ment dsarm; sans que j'aie pu me rendre compte du com-

    ment, cet homme a fait sauter mon pe dix pas de moi, et

    lorsqu'aprs l'avoir ramasse, j'ai couru de nouveau sur mon

    adversaire, il avait disparu comme par enchantement. Trop de fougue, mon cher enfant, reprit gravement le

    Provincial; il faut vous habituer, lorsque les intrts de la

    Compagnie sont enjeu, ne vous laisser dtourner de. votrechemin par aucune considration : enlvement ou assassinat...

    enfin, c'est la jeunesse; cela vous passera. Il souriait d'un air bonhomme en prononant ces der-

    niers mots.Puis sa lace redevint grave et il demanda, en voilant sous

    un brusque abaissement de paupires, l'inquitude qui luisaitdans ses yeux.

    La A^auguyon tira de son sein un papier qu'il tendit auProvincial..

    Celui-ci se mit lire.Ds les premires lignes, ses doigts se crisprent sur le pa-

    pier, ses traits se contractrent, une lgre pleur envahitson visage, et ses yeux lancrent de sombres clairs. C'est le texte authentique? demanda-il enfin les dents

    serres. Absolument authentique, rpondit l'officier aux mous-

    quetaires.Et, lisant une interrogation dans le regard surpris que

    . Gupard faisait peser sur lui : Je l'ai obtenu de la jolie madame Savart, continiua-t-il,

    lgitime pouse, comme vous savez, de l'avocatfte plus coutau Parlement.

    Et il ajouta, baissant les yeux avec une feinte pudeur et en

  • 36 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    dissimulant un sourire qui n'avait pour but que de soulignerses paroles :.'.-;

    Cette chre dame m'avait accord tant de choses,

    qu'elle ne pouvait dcemment ne pas me cder propos decelle-l... j'ai copi ce document hier soir pendant que dor-mait cet excellent monsieur Savart.

    Il est vieux et laid, sans doute ? fit Couturier mi-voix. Ma foi, dit La Vauguyon qui avait entendu, je n'en sais

    rien, car je ne l'ai jamais vu.Le.Provincial continuait s'absorber dans sa lecture, reli-

    sant certains passages plusieurs reprises pour se bien pn-trer de leur importance et pour bien en saisir le sens exact.

    Enfin, froissant le papier avec une colre nerveuse : Le document que le comte de La Vauguyon vient de

    m'apporter, dit-il Couturier d'une voix sourde et dans

    laquelle se dcrivait une colre difficilement contenue, c'estla copie de la requte rdige contre nous par les avocats duParlement.

    Il frappa du poing sur la table et s'cria : Jamais accusations plus violentes dans la forme et...

    plus prcises dans le fond n'ont t portes contre la Com-

    pagnie de Jsus ! Non seulement notre Ordre y est prsentcomme dangereux pour la scurit de la monarchie, mais on

    y dnonce des faits indniables que pas un des Pres ici pr-sents ne connat et que je croyais tre seul savoir enFrance.

    Le confesseur de Fleury, impassible, considrait le Pro-vincial.

    Si cette requte n'est pas touffe, appuya Gupard, le

    scandale sera tel que nous pouvons tre vaincus... Il faudra

    la Compagnie un demi-sicle pour reconqurir le terrain

    perdu.Sur les lvres du pre Couturier se dessinait un sourire

    sceptique. *.'

    Le roi est trop jeune, dit-il, pour ajouter loi de sem-

  • LS AVENTURES DE CAGLIOSTRO 37

    blables dnonciations... en admettant que nos ennemis.par-viennent lui faire lire cette requte.

    Gupard jeta sur le confesseur de Fleury un regard per-ant.

    Votre apprciation est juste, dit-il entre ses dents; il y al des choses trop... extraordinaires pour que la plupart des

    gens ne les jugent impossibles.Il se tut un moment puis, brusquement, brutalement: Pre Couturier, dit-il d'une voix sonore comme un com-

    mandement, le sort de la Compagnie est entre vos mains...il faut russir.

    J'y mettrai tous mes efforts, mon Pre, rpondit avecune feinte humilit le confesseur de Fleury; Dieu permetquelquefois ses plus faibles cratures d'accomplir de grandeschoses.

    Gupard le considra longuement, puis, rompant d'un ho-chement de tte le cours de ses penses :

    Allons dans ma cellule, dit-il, nous y serons mieux pourcauser, je veux vous soumettre ceci.

    Et il montrait entre ses doigts crisps le papier importantque lui avait apport La Vauguyon.

    Passant son bras sous celui du jeune comte : Venez, mon enfant, dit-il, je vais vous conduire ma

    cellule b vous passerez la nuit... je ne puis permettre quevous vous en retourniez une heure semblable.

    Depuis quelques instants tout bruit s'tait teint dans levestibule; les Pres avaient rejoint leurs cellules respectiveset, dans la vaste salle du Conventus, dserte maintenant, unsilence lugubre rgnait, que troublait seul le grsillementimperceptible de l'huile des lampes que Gupard avait

    nglig d'teindre.Tout coup, la draperie rouge qui retombait de l'estrade

    jusqu' terre, s'agita; les. plis se soulevrent et une ttes'avana avec prcaution.

    A eh juger par la lumire un peu vague qui tombait des

  • 38 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    lampes, c'taitune tte d'enfant, ou du moins djeune garon, la mine plie, aux traits bouleverss, aux yeux hagards.

    Un moment, il demeura immobile,' promenant autour de

    lui des regards inquiets, sondant soucieusement les coins de

    la salle, l'oreille au guet, prt disparatre au moindre bruit

    qui lui paratrait dangereux.Mais rassur par le silence qui non-seulement rgnait dans

    "la salle, mais encore enveloppait toute la maison, il avanadavantage et la suite de la tte, le.buste parut, puis les

    jambes.Durant quelques minutes encore, par prudence, il demeura

    accroupi sur les dalles.Enfin il murmura: Ils sont partis... ce n'est pas trop tt... je commenais

    touffer l-dessous... Eh bien quand on me reprendra vou-loir surprendre les secrets des Rvrends Pres...

    Et il accompagna sa rflexion d'un mouvement d'paulesqui prouvait combien il se repentait de sa curiosit.

    C'tait l sans doute un de ces lacs que les jsuites pre-naient tout jeunes leur famille pour les employer comme

    domestiques, avec la pense, lorsqu'ils leur reconnaissaientdes aptitudes spciales, d'en faire plus tard des frres, c'est--dire les plus soumis des esclaves.

    Cependant, l'enfant s'tait relev, et fixait des regards cu-rieux sur la grande table couverte de papiers, autour de la-

    quelle les jsuites taient runis quelques instants aupa-ravant.

    Puis, il tourna lentement sur ses talons, et, soudain, fitun bond en arrire en touffant un cri de terreur.

    Il venait d'apercevoir, tranchant par sa lividit funbre surle drap noir parsem de larmes d'argent, le christ norme,gigantesque, dont les dimensions, dans cette obscurit, pa-raissaient presque doubles, le ohrist, dont les grands brastendus, semblaient l'appeler sur sa poitrine amaigrie etsanglante.

    Ce christ, l'enfant le connaissait bien, et cependant, dans

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 39

    cette nuit, une sorte d'hallucination le lui montrait, terrifiant,comme prt se dtacher pour marcher vers lui.

    Il voulut fuir.Mais une curiosit maladive, .une attraction plus forte que

    sa frayeur le tenait clou devant ce terrifiant spectacle. Mon Dieu ! mon Dieu ! balbittia-t-il d'une voix angoisse.Et il joignait les mains, pris d'un frisson convulsif.Enfin, aprs quelques minutes de cette sinistre contempla-

    tion, il s'loignait tremblant, gagnant la porte sur la pointe despieds, glac d'effroi au seul bruit du frottement de ses sandalescontre le sol, -lorsque soudain il s'arrta, chancela, sous l'in-fluence d'un malaise subit, inexplicable, et dut s'asseoir surun des fauteuils qui entouraient la table.

    Peut-tre succombait-il la multiplicit de ses motions?Non, ce ne pouvait tre cela; il se serait vanoui, tandis

    que ses jambes seules lui refusaient le service.Peut-tre bien tait-ce le sommeil ?Non; car ses yeux restaient grands ouverts.Par contre, il ne voyait plus rien autour de lui; tout ce qui

    tait dans la salle, ce christ mme qu'il voulait prier tout l'heure, tout lui tait devenu indiffrent.

    Son intelligence, comme son corps, toutes ses forces mo-rales et physiques semblaient se concentrer contre une in-fluence mystrieuse qui l'envahissait peu peu.

    On eut dit qu'il se dbattait contre une volont qui pesait surla sienne, et sans qu'il st d'o venait et quelle tait cette volont.Bientt il se leva; non parce qu'il avait repris la libert de

    ses mouvements, mais parce qu'il obissait malgr lui cettepuissance inconnue qui prenait dfinitivement et d'une'ma-nire absolue, possession de son individu.

    Sa face tait ple, ses traits rigides,: ses. prunelles dilates,son regard fixe. :

    Il fit deux pas en avant, passa devant le christ sans mmelui jeter un regard, et, sans chanceler, avec la dmarche d'unautomate, il se dirigea vers la porte, l'ouvrit, et quitta la salledu conseil.

  • 40 - LES., AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Il traversait le parc, lorsque soudain, quelques mtres

    devant lui; une lanterne parut clairant vaguement une sil-

    houetle noire et de proportions gigantesques.'

    De soi-mme, par mcanique, l'enfant marcha droit la

    lanterne. - ' .. Lorsqu'il fut arriv quelques pas, la lanterne s'arrta, et

    une voix surprise s'cria::.. Mais, Damins! o donc allez-vous pareille heure ?

    vous tes fou, mon garon!; Celiti qui parlait ainsi n'tait autre que le frre-Trvalloc,

    qui, avant de se coucher, faisait une dernire ronde traversla proprit.. .'.-.-.. -

    ' ,MaisDamiens ne rpondit pas, et, conime s'il n'avait rien

    YU,;riir entendu, il, poursuivit soii chemin.

    ; Frre Trvalloc demeura un moment interdit, puis reve-nant sur ses pas,'se mit la'poursuite du jeune garon, qu'ilrattrapa au moment o il allait ouvrir la porte de la loge.

    L'hercule le saisit entre ses bras avec l'intention bien chari-table de le' reconduire son lit; ; -

    .' Mais.d'un seul mouvement, et, en apparence, sans efforts,Damiens se dgagea de l'treinte du terrible portier, et s'en-

    gagea dans la cour. ' ..'-.-- Trs tonn et en croyant peine ses sens, frre Trvallocs'lana sur les traces du fugitif..D'ailleurs la porte de la rue tait ferme , en consquencepoint de crainte que l'oiseau s'chappt.' Mais l digne portier n'tait pas au bout de ses tonne-

    ments; car, aprs avoir tt la porte, le jeune garon se di-

    rigea, sans hsiter, vers l'encoignure du mur qu'il escaladaavec une facilit qui tenait du prodige.

    Quant au dogue, qui tait dtach, il avait assist sans

    protester cette vasion; il connaissait le petit domestiqueet ils taient mme les deux meilleurs amis du monde.L'animal n'avait donc aucun motif pour s'opposer cette

    promenade nocturne; il eut t plutt dispos y prendrepart.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 41

    Un moment frre Trvalloc bahii s'arrta, cherchantdans son paisse cervelle de breton, une explication cettesortie anormale.

    Puis, soudain, il lui vint l'ide de happer le fuyard ladescente.

    6 Liv. 6

    Le guet aurait eu le spectaclerjouissant d'une course folle. (Page 42.)

  • 42 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Il ouvrit donc la-porte barde de fer. Mais il n'y avait per-sonne dans la rue. ' * , . '", .

    Eh! Eh! fit-il, le gamin n'aura pas os sauter, il serarest sur la crte du mur. ' '

    Et il courut dans le parc d'o il rapporta une chelle qu'ilappliqua contre le mur et vivement il en gravit les chelons.

    Mais, une fois arriv en haut, nouvelle dception; il n'yavait pas plus de Damiens sur la crte que dans la rue.

    Malheureusement, pour aller plus vite, Trvalloc avait

    nglig de refermer, la porte, en sorte que lorsqu'il redes-cendit de son chelle, le dogue, n'ayant pas souvent l'auto-risation de vaguer au dehors,'s'tait empress de profiter de

    l'occasion, sans rien dire.\Si bien que le digne'frre, aprs avoir veill son collgue

    pour que celui-ci gardt la porte en son absence, dut se lan-cer dans la rue, arm d'un argument persuasif, c'est--dired'un fouet, pour courir aprs le dogue mancip.

    Si le guet, en ce moment, et pass par l, ilaurait eule spectacle rjouissant d'une course folle entre le.chien Turcet un grand diable qui, pour faciliter le jeit de ses jarrets,avait relev sous son bras, sa soutanelle de jsuite.

    Enfin, aprs une demi-heure de tours et de dtours, matreTurc s'tant suffisamment drouill les pattes, rentra, aulogis, la langue pendante, suivi de Trvalloc, reint, cr-otljsqit' l'chin, :el fort inquiet de la faon dont il explique-rait au Provincial la fuite du petit "Damiens.

    CHAPITRE III .. ; .-

    Cagliostro.

    C'tait une trange maison que cette maison de la rue desPrtres-Sa-mt-Germain-l'Auxerrois, dans laquelle avait sisubrepticement disparu le mystrieux adversaire du comte deLa Vauguyon.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 43

    Depuis le rez-de-chausse, qui formait boutique jusqu'auxcombles, servant de grenier, elle tait pleine de meubles detoutes sortes, de dfroques de tous genres, neuves ou dfra-chies, et d'une foule d'objets dont, premire vue, il et tassez difficile de dfinir la nature : en un mot, un vritable

    magasin universel dans lequel, quelque condition que l'on

    appartnt, cadet de famille ou bourgeois, petit commis ou cou-reur d'aventures, grisette ou femme galante, chacun aurait putrouver se nipper ou se meubler, selon son tat ou sa fan-taisie.

    Rodriguez, c'tait le nom du locataire unique de cette mai-

    son, avait aussi une autre branche de commerce, de beaucoupla plus intressante et la plus productive : il prtait sur gages,et, chose extraordinaire, il passait pour faire ceux qui le

    venaient trouver des conditions assez douces : de l, une clien-tle fidle et nombreuse, recrute indistinctement dans toutesles classes de la socit.

    " '.

    On prtendait, en effet, que maint seigneur de la cour,

    aprs avoir vid ses poches au Pharaon, trouvait dans lacaisse de Rodriguez cinq cents cus pour poursuivre-la for-,tune aussi facilement que le courtaud de boutique, dsireuxd'acheter un fichu son amie, y trouvait cent sous.

    Sans doute, quelque lien mystrieux unissit-il cet homme celui contre lequel avait ferraill le comte de La Vauguyon,car il tait rest, tout le temps du combat, la face colleanxieusement contre la persienne qui masquait une petitefentre situe au premier tage, juste au-dessus de la bou-

    tique.Et c'est lui qui avait pouss dans la nuit ce sifflement

    trange dont le lieutenant aux mousquetaires s'tait si vive-ment mu.

    C'est encore lui que l'trange adversaire du comte avait interrog si brivement, tout en jouant de l'pe et qui lui

    avait rpondu.Enfin, c'est lui qui, suivant les phases du combat, avait

    compris quel but avait la retraite de son comnagnon, et qui,

  • 44 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    descendant prestement l'escalier conduisant au vestibule,avait entr'ouvert la porte de la rue, juste au moment o le

    mousquetaire, dsarm, roulait terre ct de son pe.

    La porte s'tait referme sans bruit comme elle s'tait ou-

    verte, et, l'oeil coll un imperceptible judas perc dans l'une

    des planches, Rodriguez piait ce qui se passait dans la rue,tandis que l'autre attendait, immobile dans l'ombre, portantdans ses bras la . rame endormie.

    Aprs quelques instants, il demanda voix basse, avec

    impatience : Eh bien ? Le voil qui se relve... il ramasse son pe... Ah ! il

    regarde les maisons... il s'avance de ce ct...L'inconnu mchonna une menace qui fit se retourner

    Rodriguez. Faut-il l'expdier? dt-il, en mettant la main sa ceinture.L'autre lui posa la main sur l'paule. Ne sais-tu pas que je t'ai dfendu de verser le sang inu-

    tilement! grommela-t-il.Rodriguez courba la tte et reprit son poste d'observation.

    Bientt, il fit entendre un petit ricanement. yueDiaboioi dii-i... il est enrag; il fouille les portes

    avec son pe... Ah! il s'arrte... il s'approche de son cheval...le voil en selle... il s'en va...

    En effet, sur le pav, retentissaient les fers du cheval.

    Alors, l'inconnu carta Rodriguez, entr'ouvrit la porte et

    passa sa tte au dehors.Un moment, il attendit, les yeux fixs dans la direction o

    s'loignait le lieutenant aux mousquetaires; puis, lorsque lebruit se fut teint, il ferma la porte, et se retournant vers son

    compagnon : Allume, dit-il.

    Rodriguez tira d'une niche, au fond de laquelle elle tait

    cache, une petite lampe en cuivre qui jetait autour d'elle unelueur indcise.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 4o

    Seulement alors il remarqua de quelle nature tait le far-deau que l'inconnu portait entre ses bras.

    Emport par la curiosit, il leva la lampe de faon ceque sa clart tombt sur le visage de la femme et il euttoutes ls peines du monde retenir un cri de surprise.

    Caramba! grommela-t-il, la senorila Marguerite!... Que dis-tu donc ? demanda l'autre, aux oreilles duquel

    ces mots taient arrivs indistincts et confus. }

    Mais Rodriguez tait pass matre dans l'art de la dissimu-lation. Je pestais contre cette maudite lampe qui claire

    peine, rpondit-ilEt, prcdant l'inconnu, il se mit gravir les marches; mais

    tout en montant, il grinait des dents et dans son coeur unecolre sourde s'allumait.

    Elle ici! pensait-il... qu'en veut-il faire?... est-ce quepar hasard, de celle-ci aussi il voudrait faire sa matresse...Ah! par le diable ! Les autres, cela m'tait indiffrent... maisMargot, non... et il faudra bien que je sache...

    Tu es bien taciturne, ce soir, Rodriguez... quoi doncpenses-tu ? Ah ! senor Cagliostro, rpliqua l'espagnol, tout en m'on-

    tuit lentement, je pense que j'ai t sur le point de venir votre aide.

    Tu sais bien que je te l'ai dfendu, rpondit l'autre d'unevoix nette et tranchante... s'il t'arrivait malheur.., ma retraitepourrait tre dcouverte...

    Si cet officier vous avait bless...L'inconnu sourit ddaigneusement : C'tait impossible, rpondit-il... ma. volont tait entre

    son pe et moi.Il avait prononc ces mots d'une si trange faon que Ro-

    driguez s'arrta brusquement dans son ascension et, pivotantsur ses talons :

    Qhl senor Cagliostro, balbutia-t-il avec une sorte deterreur respectueuse, vous avez fait un pacte avec le dmo...

  • 46 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Les lvres de l'inconnu se plissrent dans une moue de

    mpris. L'imbcile! grommela-t-il. '

    Puis tout haut, il rpliqua : Je ne crois pas au dmon, Rodriguez... je crois la. su-

    priorit de l'homme intelligent qui arrache la nature sessecrets... je ne suis pas le Mal... je suis une Force. -

    En prononant ces mots, il y avait dans sa voix Une auto-rit surprenante en mme temps que dans son grand oeil brunun clair d'orgueil passait.

    Il ajouta : Je n'eusse pas t arm que l'pe de ce soldat n'aurait-

    pas davantage t craindre pour moi. .

    Rodriguez baissa la tte, tout en jetant vers l'inconnu un

    regard curieux et craintif; puis, sans ajouter une parole,' il seremit monter lentement.

    Ah! pensa-t-il, il ne croit pas au dmon, lui!... mais,moi. j'y crois, car le dmon c'est lui.

    Il ajouta en crispant sa main sur la corde graisseuse quiservait de rampe: Et, Caramba! dut-il me plonger vivant dans ses chau=r

    '

    dires, j'en aurai le coeur net; s'il veut abuser de Margotil "me trouvera entre elle et lui.

    Arriv en haut de l'escalier, devant une porte troite quisemblait, s'ouvrir sur les combles, il s'arrta: Senor, demanda-t-il humblement, puis-je vous tre utile? Non; tu peux aller dormi."... si par hasard j'avais besoin

    de toi, je t'appellerai. >"

    Rodriguez dposa lu lampe sur une planchette assujettieau mur et descendit.

    Pench sur la rampe de l'escalier, Cagliostro couta lespas qui faisaient craquer les marches; puis;, une porte s'ou-vrit, se referma et un silence profond rgna dans la mai-son. ~ . ',-"'.Alors, il poussa la porte et pntra dans une sorte de gre-

    nier, encombr, comme le reste de la maison, par des mar-

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 47

    chndises de toutes sortes;, aprs l'avoir travers, il arriva un mur sur lequel il promena quelques instants sa main, tton, dans l'obscurit.

  • 48 LES : AVENTURES ;DE: JCAGLIOSTRQ

    une;boul! d cristal donnait cette carafe l'clat id'unnormediamant.',: ;;:';-"' :.:' --'-:.

    '",- ''-:- :-

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 49

    Sans doute l'examen le satisfit-il, car ses lvres s'cntr'ou-vrirent dans un lger sourire et il murmura :

    Allons, encore vingt-quatre heures, et ce sera par-fait.

    Il replaa la cornue sur le fourneau, tourna un robinet, etaussitt la petite flamme bleue grandit.

    T Liv. 7

    Il la contraignait 5 se pencher vers la carafe. (Page53.)

  • 50 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Alors, il revint vers la-jeune- femme ouplutt vers la jeune-fille; car, vue ainsi en pleine lumire, elle ne paraissait gureplus de seize ans.

    C'tait une brune aux cheveux fins et onduls, avec un :teint: mat, et dont.l'piderine dlicat laissait transparatre lerseau-azur d ses veines.

    Ses sourcils semblaient peints, tellement ils taient fins etrguliers;; de longs cils soyeux et recourbs ombrageaientsesyeux:'.clos..

    Avec sonvisage l'ovale harmonieux,, sa. bouche rose dontla fracheur appelait les baisers, son nez dlicat aux narines

    palpitantes, c'tait la plus jolie crature que l'on pt voir.D?aprs soir costume, ce devait tre une- fille du peuple,

    une ouvrire sans doute; car les doigts de ses mains pen-dantes portaient leur extrmit ces taches brunes que font -

    aux doigts des travailleuses les piqres d'aiguille.Etait-elle vanouie? c'est peu probable ; elle dormait plutt,

    en juger d'aprs le lger incarnat qui rosissait ses joues etla respiration calme qui-soulevait d'un mouvement rgulier:sa poitrine-naissante.

    Si je m'tais tromp? murmura voix basse Cagliostro.Il la regardait. longuement avec une acuit telle dans le

    vgard, qu'il semblait-percer les vtements qui la recou-vraient.

    Puis,- aprs un moment.: Est-ce: bien l mue vierge? pensa-t-il un peu plus haut.Et une anxit-poignante- se peignit sur son: visage;Machinalement, il s'assit et, tandisr-que- son regard vague -

    se fixait sur la jeune fille,; il tomba en une. mditation pro-fonde, songeant cette prdiction trange que depuis biendes mois il lisait dans les astres, avec une affolante rgularit :

    Tu auras une puissance quasi royale. Voil ce que le cilj consult quotidiennement, persistait

    lui rpter.Une puissance quasi-royale !A lui, un aventurier qui, aprs avoir couru le monde en

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 51

    tous sens, venait en France pour la premire fois, afin d'ytenter la fortune rebelle jusqu'alors.

    Ah! certes, s'il et t de la mme trempe que les autreshommes, si des richesses blouissantes, si des honneurs con-sidrables avaient pu le satisfaire, depuis longtemps dj iln'et plus rien eu dsirer.

    Tellement'tait grande sa force morale, tellement tenduesa connaissance de toutes choses, tellement approfondie sontude des hommes et des choses, que richesses et honneurslui eussent t faciles conqurir.

    Mais pour lui, tout cela tait des. hochets d'enfants.A son ambition audacieuse, il fallait d'autres aliments.Et son horoscope lui promettait la puissance !Mais, o l'exercerait-il?En Europe ou dans quelle autre partie du monde?De quelle faon l'exercerai t-il ?Par la diplomatie?... par les armes?

    Et, en vain, il interrogeait les astres... il n'en pouvait arra-cher autre chose que cette blouissante mais obscure pr-diction.Alors, il s'tait rsolu rechercher la vrit par d'autres

    moyens.Ce que le ciel se refusait lui expliquer plus clairement,

    il allait tenter de le savoir par la bouche de cette faible cra-ture que sa volont transformerait.

    Brusquement il dtourna ses regards de la jeune fille, seleva, marcha au guridon, prit sur le marbre noir la carafe decristal et examina le liquide qu'elle contenait, en l'exposant la lumire qui brillait au plafond.

    Ses sourcils se contractrent; il vida la carafe et la remplitde nouveau avec de l'eau qu'il prit dans un grand flacon soi-

    gneusement bouch.Cette'fois la limpidit du liquide dt lui paratre irrpro-

    chable, car sa physionomie se rassrna.Il posa la carafe sur le guridon et regarda la jeune fille..Celle-ci dormait toujours sans faire le moindre mouvement.

  • 52 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Cagliostro s'avana et posa sa main droite sur le front dela dormeuse, de telle sorte que la paume tait appuye surla tempe droite, tandis que l'extrmit des doigts s'appuyaitsur la tempe gauche.

    Aussitt elle fut secoue, par tous ses membres d'un lgerfrisson.

    Comment t'appelles-tu? demanda Cagliostro, en donnant sa voix un accent, mtallique, plein d'tranget.

    La dormeuse hsita un moment, puis de ses lvres peineentr'ouvertes ce mot s'chappa, lger comme un souffle maisdistinctement, prononc:

    Marguerite... ou Margot.Cagliostro se tut un moment, puis demanda:Marguerite..., aimes-tu?La jeune fille garda le silence; mais sa poitrine se soule-

    vait, comme si une lutte intrieure l'eut agite.Cagliostro appuya plus fortement sa main sur le front de

    la. dormeuse. Rponds, ordonna-t-il, aimes-tu?

    Aprs une courte hsitation, elle rpondit: Oui... j'aime...Des lvres crispes de Cagliostro un juron s'chappa et,

    durant quelques instants il demeura immobile, enveloppantla jeune fille d'un regard furieux.

    Enfin, d'une voix anxieuse: Es-tu vierge? poursuivit-il.Nouvelle hsitation de Marguerite, qui dura quelques se-

    condes et ces quelques secondesparurent Cagliostro longuescomme des sicles.

    -*- Rponds, commanda-t-il d'une voix forte. Oui, seigneur... balbutia-t-elle.

    Et, prise de honte, elle se couvrit le visage avec ses mains. Tu mens, s'cria Cagliostro irrit et inquiet de l'hsi-

    tation qui avait prcd cette rponse.Elle eut un nouveau frisson; ses joues plirent et deux

    grosses larmes filtrrent de ses paupires fermes.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 53

    Elle dit d'une voix triste mais ferme cependant: Non, je ne mens pas. Lve-toi, fit Cagliostro.La jeune fille obit.Il la prit par la main et la conduisit devant le guridon. Ouvre les yeux, dit-il...Elle fit un effort, et rpondit: Je ne peux pas.Cagliostro passa lgrement l'extrmit de ses doigts sur

    ies paupires closes de la jeune fille.

    Subitement, alors, ces paupires se soulevrent, dcouvrantde beaux yeux bleus, ombrags de longs cils, mais qui sem-blaient.sans intelligence en ce moment, car ils taient privsd'expression.

    Marguerite regardait fixement devant elle; mais, videm-

    ment, elle ne voyait pas. Regarde dans cette eau! commanda Cagliostro.Et en mme temps, l'une de ses mains touchait le front de

    la jeune fille, tandis que l'autre s'tendait, grande ouverte, surle col de la carafe.

    Vois-tu? demanda-t-il aprs un moment. L'eau estsombre comme l'abme, rponditla jeune fille...

    "

    je ne vois rien. Regarde bien... regarde Paris.En parlant ainsi, il la contraignait se pencher vers la ca-

    rafe, de manire ce que son visage toucht presque lecristal.

    Je vois des nuages pais que le vent chasse dans le ciel...

    j'entends le grincement des girouettes... le pas lourd des ar-chers du guet... puis plus rien... Paris dort...

    Il attendit un moment, prtant l'oreille la bise qui s'en-

    gouffrait dans la rue avec un lugubre sifflement, faisant trem-bler les vitres dans leur chssis de plomb et un sourire im-

    perceptible drida sa face grave. Elle est lucide, pensa-kil.Puis il demanda:

  • 54 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Et moi... me vois-tu?Elle secoua la tte. Non... Seigneur... non, je ne vous vois pas. Prends ma main et cherche...La jeune fille prit la main de Cagliostro et, les yeux rivs

    sur la' carafe, elle cherchait- avec une telle volont de voir

    que bientt de grosses gouttes de sueur perlrent sur son

    Je ne vois pas, balbutia-t-elle dcourage. Vois, pronona-t-i d'un ton menaant... je veux que tu

    Soudain une crispation douloureuse tordit les lvres plesde la donneuse.

    ''''- vo--?-iu? demanda Cagliostro anxieux.El -, . ..lia aussitt: Les astres me prdisent une puissance royale... je veux

    que tu m'expliques ces mots... cherche... cherche bien...Et malgr lui, ses doigts, rivs au poignet de l'enfant,

    meurtrissaient la chair dlicate.Mais, toute proccupe d'obir aux ordres de Cagliostro,

    Marguerite semblait indiffrente la souffrance physique.Le buste lgrement inclin en avant, le cou tendu, elle

    jeta brusquement son bras droit dans l'espace, indiquant dudoigt- un point vague sur lequel ses yeux se fixrent. Me vois-tu? rpta-t-il. L... l, murmura-t-elle d'une voix rauque... dans un

    palais... je voisune dame... une grande dame... qui se dbatcontre un homme... oh! comme il la regarde... comme il lafascine... elle est perdue... la malheureuse... elle est perdue!

    Elle poussa un cri d'horreur. Oh! le misrable... il la tient... il la tient...Elle s'interrompit, haletante, la gorge serre par une inex-

    primable angoisse.Stupfait, Cagliostro la regardait en silence, les sourcils

    froncs, les lvres contractes dans une moue soucieuse. Regarde, ordonna-t-il, regarde encore...

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 55

    La jeune fille passa lentement ses mains tremblantes surses paupires, comme pour en arracher un voile :

    Je ne vois plus, balbutia-t-eile- d'une voix mue... je-nevois plus... tout est sombre... c'est la nuit...

    11frappa du pied avec colre. Cette dame, grommela-t-il... dis-moi aumoins quelle elle

    est ?

    Marguerite se tut. un moment, puis avec un accent terrifi,elle dit tout bas :

    La reine de France.

    Cagliostro ne put retenir un cri de surprise. La reine de France!... rpta-l-il tout songeur.Et il murmura, comme si vraiment il et dout de ce que

    son esprit croyait deviner : En vrit 1 la destine m'ordonnerat-elle?...

    Il s'interrompit, revint la jeune fille et passa doucement

    l'extrmit de son index sur chacune de ses arcades sourcil-

    lres : Ce palais, dit-il, le vois-tu encore ?Elle secoua la tte. Il fait nuit, maintenant... je ne vois plus rien, rpondit-

    elle.De rage, Cagliostro se mordit les lvres. Eh bien! dit-il, quitte le palais... avance dans le.temps,

    cherche-moi, dans.plusieurs annes... me vois-tu? dis... mevois-tu?

    Il ajouta d'une voix imprieuse :

    Je veux que tu me voies.La jeune fille'semblait en proie une douloureuse oppres-

    sion : les veines gonflaient la peau fine et transparente, de ses

    tempes, les muscles de.son cou frle se tordaient comme s'ilsallaient clater, et ses regards ternes avaient une expressionn -.vrante.

    Sous l'apostrophe imprieuse.de Cagliostro, elle fit un vio-

    lent et dernier effort.

  • 56 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    Elle se courba davantage encore, ramena au-dessus de ses

    yeux sa main, comme pour donner plus d'tendue sa vue.

    Puis, soudain, elle joignit les mains dans un geste admi-

    ratif. Dieu! dit-elle, quelle puissance!... quelle gloire!., pre

    d'un enfant de sang royal... .tout vous est permis, seigneur...tout se courbe sous votre volont...

    En dpit de sa force sur lui-mme, Cagliostro avait pli. Pre d'un enfant de sang royal ! se rpta-t-il.Puis, tout de suite : Et cet enfant, demanda-t-il, anxieux, rgnera-t-il?La dormeuse demeura silencieuse. Je ne peux pas voir... non... c'est trop loin... je ne peux

    pas.....ne se tut quelques instants encore, et ajouta : Mais je vois confusment des intrigues... des embches...

    des drames... Ali! du sang! du sang!Et elle cacha avec horreur son visage dans ses mains.Elle se redressa soudain, et les yeux perdus dans le vague,

    elle dit d'une voix inspire, comme en une prophtie, oubliantla personnalit mme de l'homme qui l'interrogeait :

    Que la volont de cet homme, toujours tendue vers lemme but, ne faiblisse jamais, et surtout qu'il soit aid dansses desseins par son fils lui-mme... sinon...

    Sinon? demanda Cagliostro haletant. Je ne vois-plus... je ne vois plus...Et elle demeura immobile, muette, les lvres balbutiantes,

    lo visage inond de sueur.'

    Perdant tout sang-froid, Cagliostro la saisit aux poignetset la secouant brutalement :

    Mais cet homme, grommela-t-il, cet homme dont tu

    parles, est-ce moi?... rponds... rponds... quel est-il? Cet homme, articula nettement la jeune fille, a t mar-

    qu par le destin d'une tache sanglante au milieu du front.Et tendant la main sur le visage de celui qui l'interrogeait. Cet homme, ajouta-t-elle, c'est vous, seigneur.

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 57

    Cagliostro tressaillit. ; La tache ! hiurmura-t-il, la tache !Et il courut un miroir grav, comme ceux que l'on fabri-

    quait alors Venise, et qui tait suspendu -l'un des pan-neaux de la pice.

    S* Liv, 8

    Un soldaipaule son mousqueton...il fait tau. (.Page63.)

  • 58 LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO

    A peine y eut-il jet les yeux, qu'il poussa une sourde,exclamation.

    L, dans ce miroir qui lui refltait son image, sur son front

    ple, entre ses deux sourcils noirs, une tache sanglante, sem-blable une cicatrice encore frache, apparaissait.

    Diavolo! grommela-t-il.Et il passa nergiquement la main sur son front pour effacer

    la tache, mais le frottement ne fit que l'aviver.

    Alors, il se tint immobile, considrant toujours le miroir;peu peu la tache plit, disparut, et son front reprit son

    aspect ordinaire.Alors, il reconquit son sang-froid et murmura pensive-

    ment : Pre d'un enfant de sang royal... il faudrait donc pour

    cela que Marie Leckzinska...Il haussa les paules en frappant du pied : Folie! exclama-t-il.

    Puis, aprs un moment : Et, cependant, le langage de cette enfant complte

    merveille la prdiction des astres.La jeune fille tait toujours la mme place, les yeux

    grands ouverts, n'clairant d'aucune flamme son visage im-passible.

    Cagliostro se rapprocha d'elle et lui entourant le front deses deux mains runies :

    Cherche-moi; commanda-t-il.Et ensuite :

    . Me vois-tu? Je vous vois, rpondit-t-elle avec effort. Suis-je l'homme que tu as aperu dans le palais avec la

    reine Marie Leckzinska? Oui.Un pli profond se creusa entre les sourcils de Cagliostro. Peux-tu me dire comment je dois parvenir jusqu' la

    reine?

  • LES AVENTURES DE CAGLIOSTRO 59

    L,a dormeuse demeura longtemps silencieuse, tandis que,sur son visage, se refltait le grand effort qu'elle faisait pourobir.

    Enfin, elle rpondit : Je ne puis vous dire comment vous devez faire... mais

    je vois des hommes qui le peuvent, eux...

    Et, dgageant sa tte des mains de Cagliostro, elle se

    pencha en avant, comme pour voir au loin.Un clair de triomphe brilla dans les yeux de Cagliostro. Ces hommes, dit-il, sont-ils des amis ou des ennemis?Elle poussa un soupir : Je ne puis voir dans leur me.Il fit entendre un claquement de langue impatient. Attendons, murmura-t-il.Et ensuite : Ces hommes, ajouta-t-il, o se trouvent-ils? Dans une grande salle. O cela? Je ne vois pas bien en ce moment.

    Cagliostro, que l'impatience tenaillait, se contint cepen-dant et demanda :

    Ces hommes, qui sont-ils?... des gens du peuple? Non.

    Des grand