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  • Les rgles de lecture force

    contra proferentem

    et

    contra stipulatorem

    : du rve la ralit

    *

    Didier L

    LUELLES

    **

    Rsum Abstract

    Larticle 1432 du

    Code civil duQubec

    recommande au juge, encas dchec des rgles normalesdinterprtation des articles 1425-1431 dans la divination de la com-mune intention des parties, de tran-cher brutalement dans le sens desintrts dun contractant dfini lavance : le dbiteur, dans les con-trats de droit commun, et le consom-mateur ou ladhrent, dans le casdes contrats de consommation, ausens de larticle 1384 du

    Code civildu Qubec

    , ou des contrats dadh-sion, dfinis larticle 1379 dumme Code. Dans le premier cas, ilsagit de la rgle

    contra stipula-torem

    , dans le second, de la rgle

    contra proferentem

    . Le prsenttexte a pour but de prsenter cettemthode quasi magique de solution

    If the normal rules of constructionof sections 1425-1431 of the

    Qu-bec Civil Code

    give no result alike toguess the common intent of the con-tracting parties, the judge mustnecessarily decide in favor of justone party, defined in advance (sec-tion 1432 Q.C.C.) : the debtor, in thecase of a

    jus commune

    contract (the

    contra stipulatorem

    rule), the con-sumer, in the case of a consumercontract, in the sense of section1384 of the

    Qubec Civil Code

    , orthe adhering party, in the case of acontract of adhesion, defined in sec-tion 1379 of the same Code (the

    contra proferentem

    rule). This paperintends to present this almost fan-tastic method of definitive solutionof a problem of construction, toexplain its origins and its real aim.

    * Le prsent article est une version, lgrement remanie, dun chapitre duvolume 2 du Droit qubcois des obligations, destin aux ditions Thmis, etprsentement en cours de rdaction, avec notre collgue, le professeur BenotMoore. La recherche est jour au 30 novembre 2002.

    ** Professeur titulaire la Facult de droit de lUniversit de Montral.

  • (2003) 37 R.J.T. 235236

    finale dun problme de comprhen-sion contractuelle, den expliquer lessources et la finalit relle. Il aaussi pour objectif den signaler lescontraintes dapplication, den rela-tiviser la pertinence relle et denexpliquer certaines difficults dordreconceptuel.

    It also wants to present the difficul-ties of its implementation, to actuallyevaluate its very utility and to explaincertain conceptual difficulties.

  • Plan de larticle

    Introduction

    .....................................................................239

    I. Expos des deux rgles de lecture force

    ......241

    A. Dans les contrats ordinaires, trancher en faveur du dbiteur : la rgle

    contra stipulatorem

    .................241

    1. Expos de la rgle

    contra stipulatorem

    ................242

    2. Difficults de mise en uvre de la rgle

    contra stipulatorem

    .............................................243

    B. Le cas chant, trancher en faveur de ladhrent ou du consommateur : la rgle

    contra proferentem

    ........245

    1. Le dveloppement historique de la rgle

    contra proferentem

    .............................................246

    2. La justification de la rgle

    contra proferentem

    ......250

    3. Exemples dapplication de la rgle

    contra proferentem

    .............................................252

    4. Le cas particulier de larticle 17 L.p.c. ...................253

    II. La question de lordre public des deux rgles de lecture force

    ........................................255

    III. Les prrequis pour lapplication des deux rgles de lecture force

    .....................256

    A. Les rgles

    contra

    supposent une ambigut .............256

    B. Les rgles

    contra

    ne sappliquent qu titre subsidiaire ..................................................257

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    IV. Bilan de la mise en uvre des deux rgles de lecture force

    .....................................................259

    A. Les rgles

    contra

    sont assez souvent utilises comme arguments de confort .....................................259

    B. Les deux rgles

    contra

    sont parfois lobjet dune certaine confusion ............................................260

    C. Les deux rgles

    contra

    ont, chacune, leur raison dtre .......................................................261

    Conclusion

    ........................................................................262

  • Linterprtation dun texte, quil soit lgislatif ou contractuel,est lun des exercices les plus ardus qui simpose au juriste. Ce der-nier est, en effet, oblig de dcouvrir une intention mystrieuse,celle du lgislateur ou la fameuse commune intention des parties .Le civiliste dispose dun arsenal de rgles non contraignantes pourilluminer un texte contractuel obscur

    1

    . Lutilisation de ces rglessuppose la prsence dune ambigut

    2

    , exigence elle-mme porteusede mystre et dala

    3

    ! Cette tape franchie, le juriste de droit priv sedoit de dceler lintention commune par une lecture globale dutexte, puis, en cas dchec, de solliciter des indices extrieurs autexte, comme les circonstances de la ngociation, le comportementultrieur des contractants eux-mmes, sans compter des rglesplus techniques, comme la rgle de leffet utile.

    1

    Art. 1425-1431 du

    Code civil du Qubec

    . Sur linterprtation contractuelle, onconsultera: Thodore IVAINER, Lambigut dans les contrats, D. 1976.chr.153;Jacques DUPICHOT, Pour un retour aux textes : dfense et illustration dupetit guide-ne des articles 1156 1164 du Code civil , dans

    tudes JacquesFlour

    , Paris, Defrnois, 1979, p. 179; Thodore IVAINER, La lettre et lesprit dela loi des parties , J.C.P. 1981.1.3023; Marie-Hlne MALEVILLE,

    Pratique delinterprtation des contrats, tude jurisprudentielle

    , Rouen, Publications delUniversit de Rouen, 1991; Franois GENDRON,

    Linterprtation des contrats

    ,Montral, Wilson & Lafleur, 2002.

    2

    Desgagn

    c.

    Fabrique de St-Philippe dArvida

    , [1984] 1 R.C.S. 19, 41;

    Sofati Lte

    c.

    Laporte

    , [1992] R.J.Q. 321, 323 (C.A.);

    Bates

    c.

    Sun Life du Canada

    , [1997]R.R.A. 916, 918 et 919 (C.A.);

    Entreprises Rioux & Nadeau

    c.

    Socit de rcup-ration, dexploitation et de dveloppement forestiers du Qubec (Rexfor)

    , J.E.2000-938, REJB 2000-17936, par. 29 (C.A.);

    Banque Laurentienne du Canada

    c.

    Mackay

    , [2002] R.J.Q. 365, par. 8 (C.A.);

    Carrefour Langelier

    c.

    WoolworthInc.

    , REJB 2002-27889 (C.A.);

    Lemarier

    c.

    Corporation de Sainte-Angle

    , (1920)26 R.J. 317, 328 (C. rv.);

    Watson

    c.

    Sparow

    , (1898) 16 C.S. 459, 462;

    EntrepriseSanitaire F.A. Lte

    c.

    Cit de Dorval

    , J.E. 2001-2157, REJB 2001-27776, par. 21(C.S.);

    Godbout

    c.

    Hydro-Qubec

    , REJB 2001-22221, par. 24 (C.S.);

    LaboratoireRayjant Inc.

    c.

    Royal & Sun Alliance du Canada

    , [2002] R.R.A. 215, par. 25(C.S.);

    N. (F.) et F. (P)

    , REJB 2002-30111 (C.S.);

    Entreprises Aquasplash Inc.

    c.

    Ville de St-Jean-sur-Richelieu

    , J.E. 2002-1284 (C.S.); le droit franais va dans lemme sens :

    cf.

    Bordeaux, 10 dc. 1928, D. 1929.2.81, 84, note P. Voirin. Lamme exigence dun doute existe propos des actes juridiques unilatraux; propos des testaments, voir : Germain BRIRE,

    Les successions

    , coll. Trait dedroit civil , Cowansville, ditions Yvon Blais, 1994, n 474, p. 588 et 589 (voirla jurisprudence cite la note 474-5).

    3

    Cf.

    T. IVAINER, Lambigut dans les contrats ,

    loc. cit.

    , note 1, 157, n 29 :

    Il serait vain de chercher dans la jurisprudence

    []

    un critre srieux entre leclair et lobscur. Pour la 3

    e

    Chambre, la clause aux termes de laquelle un loca-taire accepte des lieux vtustes

    dans ltat o ils se trouvent,

    est claire et pr-

  • (2003) 37 R.J.T. 235240

    En cas dchec, cependant, dans la recherche de lintentioncommune, le Code prescrit de lire le texte problmatique dans lesens des intrts du dbiteur ou, le cas chant, du consommateurou de ladhrent. Cette rgle, qui consiste privilgier sans vergo-gne les intrts dune partie

    4

    , nest pas vritablement une rgledinterprtation. Elle prvoit que le doute doit,

    ultimement

    , se

    rsou-dre

    dans un sens favorable un contractant dsign par le droit.Elle suppose une impasse dans linterprtation, un doute absolu

    5

    ,irrductible

    6

    , ou persistant

    7

    . Malgr sa sagacit, le juge peut ne pasdcouvrir cette volont commune. En effet, il est des cas o aucunindice ne permet de la dceler : ni circonstances particulires de langociation, ni contexte textuel, ni usages, ni mme indices de sim-ple opportunit. Les rgles dinterprtation fondes sur la vraisem-blance peuvent donc se rvler impuissantes. Il importe alors detrouver une issue cette impasse, faute de quoi le juge se rendraitcoupable dun dni de justice. La rgle en question offre prcis-ment cette porte de secours. En dpit de lemploi, par les diverslgislateurs, du verbe sinterprte

    8

    , la rgle ltude constitueune simple technique de solution, et non une mthode dinterpr-tation proprement parler. On pourrait, pour lillustrer, recourir limage du pile ou face ou, pour reprendre les mots de Demo-lombe, celle de la courte paille ! Hlas! oui, il y a des cas o ledoute est absolu, comme aussi la perplexit du juge! Et voil pour-

    3

    cise et doit tre applique la lettre (12 nov. 1975, D. 1976. I.R. 13). Pour la1

    re

    Chambre, la clause par laquelle un camion est vendu

    dans ltat o il setrouve []

    est ambigu et justifie le refus du juge de lui donner effet (8 dc.1975, D. 1976. Somm. 28)

    .

    Chez nous, on peut citer larrt

    Blisle

    c.

    Marcotte

    , [1957] B.R. 46; dans cetteaffaire, la clause en tant quil publiera lannuaire est juge ambigu par lamajorit, mais claire par un juge dissident. Voir aussi :

    Constructions MauriceBoivin Inc.

    c.

    Axor Construction Canada Inc., REJB 2001-27215 (C.A.).4 T. IVAINER, Lambigut dans les contrats , loc. cit., note 1, 156, n 18.5 Cf. Charles DEMOLOMBE, Trait des contrats ou des obligations conventionnel-

    les en gnral, t. 2, Paris, Auguste Durand et L. Hachette et Cie, 1869, n 24,p. 22 et 23.

    6 Astral Communications Inc. c. Complexe du Fort Enr., J.E. 99-2328 (C.S.), p. 12du texte intgral; Jean PINEAU, Danielle BURMAN et Serge GAUDET, Thoriedes obligations, 4e d., Montral, ditions Thmis, 2001, n 229, p. 406 et 407.

    7 Autobus Johanaise Inc. c. Socit de transport de la Rive-Sud de Montral, J.E.99-145, par. 3 (C.S.); Godbout c. Hydro-Qubec, prcit, note 2, par. 24.

    8 C.c.Q., art 1432; L.p.c., art. 17; C.c.B.C., art. 1019 et 2499; cf. C.c.fr., art. 1162et 1602.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 241

    quoi le lgislateur, ne voulant pas le laisser rduit au procd de lacourte paille, lui ouvre cette issue par notre rgle! 9 En dfinitive, ceque propose la rgle contra proferentem (cest--dire, lire contre lerdacteur), ou la rgle contra stipulatorem (cest--dire, lire contre lecrancier), ce nest pas de dnouer le nud, cest de le trancher! 10

    I. Expos des deux rgles de lecture force

    A. Dans les contrats ordinaires, trancher en faveur du dbiteur : la rgle contra stipulatorem

    Larticle 1432 impose, dans sa premire phrase, de trancher undoute irrductible dans le sens des intrts du dbiteur11. Cest largle contra stipulatorem (ou contra creditorem ), qui prend partisystmatique contre le crancier12, cest--dire, contre celui qui a stipul lobligation 13. Par comparaison avec ce que prvoit laseconde phrase de la disposition, on doit conclure que la rgle contra stipulatorem ne concerne que les contrats qui ne sont nidadhsion, ni de consommation. Lorigine de la premire phrase delarticle 1432 C.c.Q. est larticle 1019 C.c.B.C., lequel, cependant,ne comprenait pas de seconde phrase et noprait nulle distinctionentre les types de contrats14. Si la rgle contra stipulatorem se jus-

    9 C. DEMOLOMBE, op. cit., note 5, n 24, p. 23 (les italiques sont de lauteur).10 Id., n 23, p. 20 (les italiques sont de lauteur).11 Quil sagisse du dbiteur de base ou de la caution : cf. Frenette et Frres c. Ycom

    Inc., J.E. 93-1136 (C.S.).12 J. DUPICHOT, loc. cit., note 1, 201, n 22.13 Kingpin Lane Co. c. Brunswick of Canada Ltd., [1970] C.S. 76, 79; Astral Com-

    munications Inc. c. Complexe du Fort Enr., prcit, note 6, p. 12 du texte intgral;Syntax Systems Ltd. c. Westburne Industrial Enterprises Ltd., [1999] R.J.Q.1468, 1470 (C.S.); G.P. Pineault Inc. c. Leblanc, REJB 2001-27161, par. 6 et 41(C.S.); Moledet Investments Inc. c. Novek, REJB 2002-30026 (C.S.); Desharnaisc. Grenier, J.E. 2000-18 (C.Q.), p. 6 du texte intgral; cf., propos des clausesde non-concurrence, Tlmdia Communications Inc. c. Pascau, [1990] R.J.Q.2010, 2014 (C.S.); voir aussi : Laurin c. Gestion Jean-Paul Auclair Inc., J.E.2002-1912 (C.A.) (j. Rochon).

    14 En droit franais, lquivalent de larticle 1019 C.c.B.C. est larticle 1162 C.c.fr.qui na jamais contenu, et ne contient toujours pas, de seconde phrase. Cetteseconde phrase se trouve, en quelque sorte, larticle L. 133-2 du Code de laconsommation; ce sujet, voir : Jacques GHESTIN, Christophe JAMIN et MarcBILLIAU, Trait de droit civil : les effets du contrat, 3e d., Paris, L.G.D.J., 2001,n 33, p. 47 et 48.

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    tifie et sexplique aisment (1), elle pose, toutefois, des difficultsquant sa porte vritable (2).

    1. Expos de la rgle contra stipulatorem

    La rgle de lecture dfavorable au crancier est, au fond, le reflet dune volont [] diffuse dans le Code 15 de protection du dbi-teur, rput en tat dinfriorit 16. Songeons, entre autres, auxarticles 1511 (le terme profite au dbiteur), 1546 (dans les obliga-tions alternatives, le choix appartient au dbiteur) et 1566 (en prin-cipe, le paiement a lieu au domicile du dbiteur). La faveur, que crecette disposition objective17, est logique, puisque cest au crancierquincombe le fardeau de prouver, non seulement lexistence, maisencore la teneur de son droit (art. 2803 C.c.Q.) : sil choue, le dbi-teur en profitera 18.

    La rgle contra stipulatorem , telle que libelle par larticle1432 du nouveau Code, ne tient compte que dune ralit : le far-deau de lobligation. Quand le contrat est ordinaire, on favorisecelui qui a assum lobligation19 prvue par la clause ambigu20,quil soit le client21 ou quil soit le professionnel22, quil nait pris

    15 T. IVAINER, Lambigut dans les contrats , loc. cit., note 1, 156, n 19.16 J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILLIAU, op. cit., note 14, n 33, p. 46.17 Cf. J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILLIAU, op. cit., note 14, n 33, p. 46.18 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 406; voir,

    cependant, les rserves de F. GENDRON, op. cit., note 1, p. 104 et 105.19 Cest la phrasologie de lOffice de rvision du Code civil qui proposait comme

    premire phrase de larticle V- 68 : Le contrat sinterprte en faveur de la partiequi a assum lobligation .

    20 Grgoire c. Trpanier, J.E. 95-1386 (C.S.), p. 56 du texte intgral; Manoir desSages Inc. c. CLSC et CHSLD de la MRC des Etchemins, REJB 2002-30113(C.Q.).

    21 Cf. Quebec Fire Insurance Co. c. La Prvoyance, (1916) 50 C.S. 300, 303 et 304;St-Pierre c. Aeterna-Vie, [1965] B.R. 256; Syntax Systems Ltd. c. WestburneIndustrial Enterprises Ltd., prcit, note 13; Banque Toronto-Dominion c. St-Pierre, B.E. 97BE-974 (C.Q.); Banque Toronto-Dominion c. Veilleux, J.E. 97-117(C.Q.), p. 3 du texte intgral.

    22 Cf. Organon Canada Lte c. Trempe, J.E. 2002-2102 (C.A.); Direct InternationalImporting Ltd. c. Thibault Marine Inc., [1976] C.S. 1538, 1540.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 243

    nulle part la confection de la clause23 ou quil lait rdige24 ou co-rdige25.

    2. Difficults de mise en uvre de la rgle contra stipulatorem

    La rgle contra stipulatorem pose parfois des difficultsdapplication. La principale tient la signification relle de la notionde stipulation. Que signifie stipuler ? Certes, aucun problme nese pose lorsque la clause obscure impose une prestation propre-ment parler26. Mais lorsquelle exclut ou limite une responsabilit,peut-on parler de stipulation de la part de celui qui bnficie de laclause? Rien nest moins sr, car celui qui exclut ou limite sa res-ponsabilit ne cre pas une obligation, il lanantit ou en attnue laporte! Il nest pas le crancier, mais bien le dbiteur! Qui devraitbnficier de la rgle de lecture favorable, le dbiteur qui a exclu saresponsabilit ou le crancier qui a abandonn son droit de recours?

    La rponse la question sous-entend la rponse la questionsous-jacente : qui est le dbiteur27? Ou, encore : la notion dobliga-tion est-elle cantonne la prestation principale ou sattache-t-elleaussi une prestation accessoire? Si un entrepreneur renonce

    23 Cf. Tlmdia Communications Inc. c. Pascau, prcit, note 13; Moledet Invest-ments Inc. c. Novek, prcit, note 13.

    24 Cf. Organon Canada Lte c. Trempe, prcit, note 22.25 Cf. Syndicat national des dbardeurs de la Baie des Ha-Ha c. Saguenay Termi-

    nals Ltd., [1964] B.R. 210, 213.26 Cf. St-Pierre c. Aeterna-Vie, prcit, note 21.27 Une affaire illustre bien la question : Manoir des Sages Inc. c. CLSC et CHSLD de

    la MRC des Etchemins, prcite, note 20 : les vendeurs staient engags livrer lacheteur un immeuble libre de toute charge . Il fallait interprter lexpres-sion libre de toute charge . Incluait-elle uniquement les droits rels oudautres charges, comme les arrrages de taxes? Pour la Cour, les arrrages detaxes constituent une charge. Au surplus, dans le doute, le contrat doit sinter-prter en faveur de celui qui a contract lobligation. Lacheteur a donc droit auremboursement des arrrages quil a d injustement payer . Lacheteur a doncbnfici de la rgle contra stipulatorem . Certes, il avait contract lobligationde rembourser les arrrages de taxes au vendeur, mais le vendeur, lui, avaitlobligation de garantir lacheteur contre cette charge ! tait-ce bien lacheteurquil fallait avantager? tait-il le dbiteur? Comme autre illustration de la diffi-cult de dterminer qui est le dbiteur, voir : Entreprises Daniel Croteau Inc. c.Duchesne, J.E. 2001-228 (C.Q.), p. 5 du texte intgral : le dbiteur apparat icicomme la personne qui est impose une clause.

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    une sret laquelle il aurait en principe droit, et que cette clauseprsente une difficult de comprhension, doit-on lire la clausedans le sens des intrts du client, dbiteur de lobligation de payerdes honoraires, ou dans celui des intrts de lentrepreneur? Endautres termes, qui est le dbiteur, qui est le crancier, dans lecadre de cette clause? La Cour dappel, dans un cas de ce genre, napas hsit trancher en faveur de lentrepreneur28. Dans le fond, lapersonne qui bnficie ainsi de la rgle contra creditorem est lapartie qui a renonc un avantage, et non le dbiteur. Comme cetavantage est essentiellement reli une crance, la lettre de larticle1432, 1re phrase, semble contrarie, moins quon ne voie, dans larenonciation, une obligation de ne pas faire. En ce cas, on interpr-terait contre le dbiteur (sous-entendu, dune prestation secondaireou accessoire, visant ne pas se prvaloir dune sret).

    Une autre question se pose. La notion dobligation se limite-t-elle une prestation de fond ou inclut-elle aussi une exigence deforme, ou de procdure? Ainsi, lorsquune condition est impose auclient pour la mise en uvre de ses droits contractuels, commelinstitution de poursuites judiciaires contre un tiers responsable, qui doit profiter la rgle ltude, si la clause prte quivoque? la personne qui doit respecter ces exigences de mise en uvre mais alors, il sagit du crancier de lobligation , ou la partie quiest due cette procdure mais alors, cest le dbiteur. Les tribu-naux ont tendance aller dans le sens de la personne qui estimpos ce type de condition procdurale29.

    28 147310 Canada Inc. c. Trust Gnral du Canada, J.E. 96-372 (C.A.), p. 6 dutexte intgral, [1999] R.L. 91 (C.A., 1996).

    29 Cf. Quebec Fire Insurance Co. c. La Prvoyance, prcit, note 21 : interprtationfavorable lassur (une compagnie dassurance!), propos dune clause qui luiimposait, en cas de malversation dun de ses employs, dintenter au pralabledes poursuites judiciaires contre lui. Cette condition visait-elle tant les pour-suites criminelles que les poursuites civiles? Une lecture favorable lassur amilit pour la suffisance de poursuites au civil ou au criminel. Voir aussi : Immeu-bles populaires Inc. c. Ledoux, [1958] C.S. 539, 544: le contrat en cause donnait un contractant le droit de rsilier la condition denvoyer un avis crit. Commelavis ntait pas sign, bien que contenu dans une enveloppe qui identifiait clai-rement lexpditeur, la question sest pose de savoir si la condition exigeait unavis sign. La Cour a opt pour le contractant qui voulait rsilier :

    le tribunal, appliquant [] les principes dinterprtation des art. 1013, 1015 et1019 C.C. [] se croit justifi dinterprter, contre la demanderesse qui a stipulet en faveur du dfendeur qui a contract, lobligation dannuler loption par lettrerecommande comme constituant, en substance, lobligation pour le dfendeur

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 245

    Enfin, dire quil faut privilgier les intrts du dbiteur ne peutavoir de sens que si on les envisage de manire concrte, et non demanire abstraite30!

    B. Le cas chant, trancher en faveur de ladhrent ou du consommateur : la rgle contra proferentem

    La deuxime phrase de larticle 1432 tmoigne dun parti prisen faveur de ladhrent 31 ou du consommateur32. Elle favorise lunou lautre, peu importe quil soit crancier ou dbiteur de lobliga-tion litigieuse 33.

    Cette rgle, que connat aussi la common law, pour les contratsdadhsion34, nest pas ne spontanment (1). Justifie par la pater-

    30 de transmettre par crit sous pli recommand un avis sign ou non sign portanteffectivement la connaissance de la demanderesse lintention du dfendeurde rvoquer le mandat et dannuler loption.

    30 Cf. Place Qubec Inc. c. Desmarais, [1975] C.A. 910, 916. Une clause retardaitlexigibilit dun paiement au moment o la construction promise par un entre-preneur serait devenue possible . Quel sens avait lexpression en cause : fallait-il lenvisager dun point de vue matriel (ce qui aurait signifi une exigibilitimmdiate, puisque cette construction tait dj matriellement ralisable) ouconvenait-il de laborder sous un angle juridique (ce qui supposait un retard carle permis de construire ntait pas encore dlivr)? Ce second sens est retenu: laconstruction est devenue possible partir de loctroi du permis de construire (Lesens quil faut [] donner [ la condition suspensive], si doute il y a, est le sens leplus favorable lappelante en tant que dbitrice, savoir quel moment le paie-ment devenait d et exigible, quel moment le crancier aurait pu former sonaction en recouvrement du prix stipul (art. 1019 C.C.) ). Certes, dun point devue thorique, cette lecture de la clause favorise les intrts du dbiteur, puisquelexigibilit de son obligation de payer est retarde. Mais, dans les faits, cela luinuisait, puisque la solution retardait le dpart des dlais de prescription, si bienque la crance de lentrepreneur ntait pas atteinte par la prescription extinctive!

    31 Adrian POPOVICI, Le nouveau Code civil et les contrats dadhsion , [1992]Meredith Lect. 137, 159.

    32 GOUVERNEMENT DU QUBEC, Commentaires du ministre de la Justice, leCode civil du Qubec, t. 1, Qubec, Publications du Qubec, 1993, p. 868.

    33 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 407; voiraussi : Vincent KARIM, Commentaires sur les obligations, vol. 1, Cowansville,ditions Yvon Blais, 1997, p. 181.

    34 Cf. Reid Crowther & Partners c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1R.C.S. 252, 269; Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, 165;Wigle c. Allstate Insurance Co., (1984) 49 O.R. (2d) 101 (C.A.) (j. Cory); GeraldHenry Louis FRIDMAN, The Law of Contract in Canada, 3e d., Scarborough,Carswell, 1994, p. 471; Restatement 2d Contracts, 206.

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    nit mme de lambigut (2), cette rgle, malgr son attrait vident,nest pas applicable directement (3). Aprs avoir donn des exemplesde son application dans le cadre de larticle 1432 C.c.Q. (4), nous pr-senterons ses spcificits dans le cadre de larticle 17 L.p.c. (5).

    1. Le dveloppement historique de la rgle contra proferentem

    Lorigine de la seconde phrase de larticle 1432 C.c.Q. se trouveparadoxalement dans un texte de lancien Code qui ne la contenaitpas! En effet, larticle 1019 du Code civil du Bas Canada se conten-tait dinviter les tribunaux interprter la disposition litigieusedun contrat lencontre du crancier de lobligation concerne : Dans le doute le contrat sinterprte contre celui qui a stipul, eten faveur de celui qui a contract lobligation . En effet, stipulerune obligation rfre tout simplement la cration de lobliga-tion35, et non la rdaction du texte la prvoyant36. Celui qui stipuleune obligation est le crancier, quil soit ou non le rdacteur dutexte contractuel. Certes le vendeur stipule lobligation de lache-teur de payer le prix, mais lacheteur stipule aussi une obligation,celle du vendeur de livrer le bien, mme sil na pas rdig quoi quece soit. Ce sens premier du mot stipuler tait, du reste, confortpar lexpression contracter lobligation .

    Larticle 1019 C.c.B.C. permettait donc, parfois, de donnersatisfaction au client du professionnel37, dans les cas o la difficultde comprhension impliquait une clause prvoyant une obligation la charge du client38. Mais, fonde sur la notion de crancier, cettemme disposition pouvait, techniquement, jouer tout aussi biencontre le client, dans les cas o la clause impliquait des obligationsmises la charge du professionnel39. Cest pourquoi la jurispru-

    35 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 406.36 Cf. Paul-Andr CRPEAU, Dictionnaire de droit priv et lexiques bilingues, 2e d.,

    v stipuler, Cowansville, ditions Yvon Blais, 1991, p. 541.37 Que le professionnel ft un industriel, un commerant, un assureur.38 Cf. St-Pierre c. Aeterna-Vie, prcit, note 21; Quebec Fire Insurance Co. c. La Pr-

    voyance, prcit, note 21.39 J. DUPICHOT, loc. cit., note 1, 201, n 22 : Mais, par ailleurs, cette mme doc-

    trine enseigne souvent que larticle 1162 [C.c.fr.] est devenu un obstacle lapoursuite de lquit, notamment au cas de prrdaction unilatrale de lins-trumentum car le dbiteur nest pas en soi plus digne dintrt que le crancier .

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 247

    dence, consciente du fait que le contrat avait t impos au client,quant son contenu, avait fini par adapter la porte de larticle1019 C.c.B.C. pour interprter la disposition ambigu lencontrede son rdacteur (do lappellation contra proferentem ), cest--dire, dans la trs grande majorit des cas, lencontre du profes-sionnel, quil ft ou non crancier de lobligation stipule40. Cesdcisions, guides par un souci dquit41 et mues par un ralismede bon aloi, constituaient donc une jurisprudence prtorienne etprogressiste , qui navait pas hsit transformer un texte duCode42, pour tenir compte de la ralit socio-conomique nouvelle43.

    40 Frenette c. La Mtropolitaine, cie dassurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, 657,[1992] R.R.A. 466 (C.S.C.) (j. LHeureux-Dub); Great West Life Assurance Co. c.Paris, [1959] B.R. 349, 358; Berthiaume c. Great West Life Assurance Co., (1942)48 R.J. 16 (C.S.); Orchard c. Mutual Benefit Health and Accident Association,[1961] C.S. 293; Daoust c. Cie dassurances lite, [1969] C.S. 377, 381; Labrec-que c. Lquitable Compagnie dassurances gnrales, [1976] C.S. 619, 633; l-dessus, voir : Jean-Louis BAUDOUIN, Les obligations, 2e d., Cowansville, di-tions Yvon Blais, 1983, n 378, p. 231; Didier LLUELLES, Prcis des assurancesterrestres, 3e d., Montral, ditions Thmis, 1999, p. 108 et 109. En dehors descontrats dassurance, voir, entre autres dcisions : Place Crmazie Parking Ltec. Migneron, [1971] C.A. 813, 814; Beauregard c. Montpetit, [1959] R.L. 193, 201et 202 (C.S.).

    41 J. DUPICHOT, loc. cit., note 1, 201, n 22.42 Cest vritablement la jurisprudence qui a cr la notion sociale de contrat

    dadhsion et la rgle contra proferentem . Quant Raymond Saleilles, con-trairement ce quon laisse trop souvent entendre, sil a eu le mrite de dgagerla notion et de crer le vocable de contrat dadhsion, ce nest pas lui qui est lorigine de la rgle contra proferentem , bien au contraire. Il a, en effet, donn sa dcouverte une porte peu propice aux adhrents : voyant dans ce type de contrat lexpression de la seule volont de son rdacteur, il proposait, danslinterprtation de ses clauses, de ne tenir compte que de lintention du seulauteur du prtendu contrat ; en fait, Saleilles voyait dans le contrat dadh-sion plus un acte rglementaire de nature prive quun vritable contrat il ya contrats et contrats : Raymond SALEILLES, De la dclaration de volont : con-tribution ltude de lacte juridique dans le Code civil allemand, Paris, d. F.Pichon, 1901, n 90, p. 230; l-dessus, voir : Ren DEMOGUE, Trait des obli-gations en gnral : sources des obligations, t. 2, Paris, Librairie Arthur Rous-seau, 1923, n 618, p. 310 et 311; cf. Franois TERR, Philippe SIMLER et YvesLEQUETTE, Droit civil : les obligations, 7e d., Paris, Dalloz, 1999, n 190,p. 183-185.

    43 Jacques MESTRE, Lvolution du contrat en droit priv franais , dans Lvo-lution contemporaine du droit des contrats, Paris, P.U.F., 1986, p. 41, la page49 : En assimilant celui qui a stipul, vis par [larticle 1162 C.c.fr.], la par-tie qui a rdig le contrat, la jurisprudence a pu viter que les clauses ambigusdun contrat dadhsion ne puissent finalement bnficier au professionnel .

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    Particulirement fconde en matire dassurance44, cette juris-prudence favorable aux adhrents avait t, dune certaine faon,codifie, en droit civil, avant mme ladoption du Code civil du Qu-bec, mais de manire sectorielle. Ainsi, partir du 20 octobre 1976,larticle 2499 C.c.B.C. prvoyait expressment que le doute devaitse rsoudre contre lassureur45. Mais cette conscration lgislativeponctuelle de la lecture jurisprudentielle de larticle 1019 C.c.B.C.46

    tait, somme toute, relative. Lassureur, en effet, pouvait ne pasavoir t le rdacteur de la clause litigieuse47. Depuis le 1er janvier1994, le contrat dassurance nest plus lobjet dune dispositionparticulire en matire de doute irrductible. Seul larticle 1432

    44 La rgle contra proferentem tait trs frquemment utilise en assurance; deplus, loin dtre cantonne aux polices elles-mmes, elle [tait] souvent invo-que dans le cas des questionnaires figurant dans les formules de proposition :Didier LLUELLES, La porte du questionnaire sur le principe de la dclarationspontane, la lumire du droit compar des assurances terrestres , (1988) 67R. du B. can. 258, 284; Francis Joseph LAVERTY, The Insurance Law ofCanada, 2e d., Toronto, Carswell, 1936, p. 210; Great West Life Assurance c.Paris, prcit, note 40; Legault c. Metropolitan Life, [1968] C.S. 577, 583; Daoustc. Cie dassurances lite, prcit, note 40, 381 et 382. La rgle ntait cependantpas cantonne dans le seul secteur des assurances; voir, propos des clausesde non-concurrence : Jeanty c. Labrecque, [1978] C.S 463, 465; Tlmdia Com-munications Inc. c. Pascau, prcit, note 13; Jean-H. GAGNON, La porte ter-ritoriale des engagements de non-concurrence , dans Service de la formationpermanente, Barreau du Qubec, Dveloppements rcents en droit commercial,ditions Yvon Blais, 1992, p. 69, la page 106.

    45 Cf. Cyr-Grenier c. Cie dassurance gnrale de Commerce, [1979] C.P. 26; Logements L.B.(1981) Inc. c. Socit Mutuelle dassurance contre lincendie de Beauce, J.E. 83-506 (C.P.).

    46 Poulin et Lacroix Lte c. Assurances Federated, [1990] R.R.A. 907, 909 (C.Q.);Jean-Guy BERGERON, Les contrats dassurance : lignes et entre-lignes, t. 1,Sherbrooke, d. SEM, 1989, p. 105; Roger BOUT, Le contrat dassurance en droitcompar franais et qubcois, Cowansville, ditions Yvon Blais, 1988, p. 11.

    47 J. Vincent ODONNELL, The New Quebec Insurance Act : Some General Com-ments and Some Potential Problems , (1978) Meredith Lect. 1, 7. On pouvait sedemander si larticle 2499 C.c.B.C. trouvait application au cas de la police rdi-ge par lassur ou son courtier. La question ne sest jamais pose en jurispru-dence. Il est quand mme souligner que les juges, propos de polices rdigespar lassureur, semblaient insister sur le fait quil fallait interprter contrelassureur, non pas tant parce quil tait assureur mais parce quil avait rdigla police : Lalonde Chevrolet Oldsmobile Lte c. Aetna Casualty Canada, [1984]C.S. 1174, 1177; McClintock c. Prudential Insurance Co. of America, (1985) 10C.C.L. 117, 125 (Ont. S.C.); une seule dcision avait affirm que larticle 2499C.c.B.C. autorisait une interprtation contre lassureur, non-rdacteur, dansune espce o, cependant, ce ntait ni lassur ni son courtier qui avaientrdig la police, mais une autorit administrative : Laurentienne gnrale, ciedassurance c. Blanchard, [1990] R.R.A. 427, 432 (C.A.) (j. Tyndale).

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 249

    C.c.Q. sert trancher le nud, soit contre le crancier, assureur oupreneur, si le contrat dassurance est ngociable hypothse peucourante, mais probable , soit le plus souvent contre lassureur,si le contrat dassurance est dadhsion48.

    Le droit civil contemporain a donc codifi la rgle contraproferentem , mais il la, dune certaine faon, tendue aux contratsde consommation. Cette extension nest cependant pas une nou-veaut. En 1978, le lgislateur incluait, dans la Loi sur la protectiondu consommateur49, une disposition (larticle 17) qui prescrivait dersoudre le doute ou lambigut dans un sens favorable au con-sommateur, et ce malgr larticle 1019 C.c.B.C. . Cette dispositionstatutaire na pas t abroge en 1994, et nous verrons quelle estloin de faire double emploi avec larticle 1432 C.c.Q.

    Linclusion du contrat de consommation dans la secondephrase de larticle 1432 est fort heureuse50. Il peut arriver, en effet,quune personne physique nait pas ngoci le contrat pass avecune personne exploitant une entreprise, alors quelle tait en situa-tion de le faire. En ce cas, le premier alina de larticle 1379 exclutce contrat de la notion de contrat dadhsion. Nanmoins cette per-sonne physique, mue par un but personnel, familial ou domestique,pourra, le cas chant, profiter de la lecture favorable due la rgle contra proferentem , grce son statut de consommateur civil 51.

    48 Larticle 2499 C.c.B.C. ayant t aboli au profit de larticle 1432 C.c.Q., le lgislateur adonc mis un terme au doute que pouvait crer larticle 2499 de lancien Code, en ce quiconcerne le contrat dassurance de gr gr. Sous lempire du nouveau Code, un telcontrat devrait sinterprter ultimement contre le crancier de lobligation en cause,lequel pourrait fort bien tre lassur. Sur lensemble de la question, voir: Grgoire c.Trpanier, prcit, note 20; J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6,n 229, p. 407 et 408, la note 777; sur la difficult de qualifier un contrat dassu-rance de contrat de gr gr, voir: Maurice TANCELIN et Daniel GARDNER, Jurispru-dence commente sur les obligations, 6e d., Montral, Wilson & Lafleur, 1996, p. 152.

    49 L.Q. 1978, c. 9; L.R.Q., c. P-40.1.50 Le projet de lOffice de rvision ne procdait pas cette extension, se contentant dlar-

    gir la porte de larticle 1019 C.c.B.C. aux contrats dadhsion: ORCC, art. V-69.51 Nous songeons lacheteur dun immeuble usage dhabitation (cf. art. 1785 et

    suiv.) qui naurait pas ngoci alors quil le pouvait amplement. Ne pouvant sequalifier dadhrent (art. 1379, al. 1er C.c.Q.), et ne pouvant, non plus, profiter delarticle 17 L.p.c., faute davoir conclu un contrat de consommation au sens de laLoi sur la protection du consommateur, cet acheteur immobilier pourrait, commeconsommateur au sens du Code civil (Didier LLUELLES, avec la collaboration deBenot MOORE, Droit qubcois des obligations, vol. 1, Montral, ditions Th-mis, 1998, n 164, p. 77 et 78), bnficier de larticle 1432, 2e phrase. Sanslextension aux contrats de consommation, il ne pourrait quutiliser la rglecontra stipulatorem, ce qui risquerait de ne pas tre satisfaisant.

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    2. La justification de la rgle contra proferentem

    La justification de la lecture favorable au consommateur ou ladhrent repose sur cette ide que cest celui qui a matris la con-ception des clauses de subir les consquences dune rdaction dfi-ciente52. Le reproche, inhrent la rgle, est souvent adress aurdacteur du contrat53. Il ny a pas que le rdacteur-contractant quidoit assumer les maladresses rdactionnelles. Doivent aussi les assu-mer les personnes qui ont pris son relais, comme layant cause dontlauteur a rdig la clause54, le subrog55 ou le mandant du rdacteur56.

    On pourrait certes contester cette ide que cest la rdactionmme de la clause qui sous-tend la rgle de larticle 1432, 2e phrase.En effet, pourrait-on remarquer, cette disposition ne prescrit pas detrancher contre le rdacteur, mais pour ladhrent ou le consomma-teur. La deuxime phrase de larticle 1432, ne consacrerait pas tantla fameuse rgle contra proferentem quune rgle voisine, certes,mais quelque peu distincte, la rgle pro adherentem , voire proconsumentem ! Cet argument ne serait pas vraiment convaincant.Le contractant ne peut se qualifier dadhrent que pour autant queson contrat est dadhsion au sens de larticle 1379, al. 1er. Or, celanest possible que si ses stipulations essentielles ont t imposespar une des parties ou rdiges par elle . La paternit, directe ounon, de la clause ambigu est donc, par dfinition et en dfinitive,au cur de la rgle de larticle 1432. Quant au consommateur, il estvrai que la dfinition que donne larticle 1384 du contrat auquel ilest partie nexige pas la rdaction des clauses par lexploitant delentreprise. On conviendra, nanmoins, que la reconnaissance deson statut est due essentiellement au fait quil est un contractant

    52 Cf. Great West Life Insurance Co. c. Paris, prcit, note 40, 357.53 Sous lempire de la jurisprudence adaptant larticle 1019 C.c.B.C., voir : Great

    West Life Insurance Co. c. Paris, prcit, note 40, 357; Entreprises TlcapitalesLte c. Meublier du Qubec Inc., [1982] C.P. 326, 327; sous lempire de larticle1432 C.c.Q., voir : La Gerling globale, compagnie dassurances gnrales c. Citdu Grand Mandarin III (S.E.) Inc., J.E. 98-2140 (C.Q.), p. 10 du texte intgral;Banque Toronto-Dominion c. St-Pierre, prcit, note 21; Banque Toronto-Domi-nion c. Veilleux, prcit, note 21; au mme effet, en common law canadienne : EliLilly & Co. c. Novopharm Ltd., prcit, note 34.

    54 Berthiaume c. 91439 Canada Inc., J.E. 94-1294 (C.S.), p. 6 du texte intgral.55 La Gerling globale, compagnie dassurances gnrales c. Cit du Grand Manda-

    rin III (S.E.) Inc., prcit, note 53.56 Amiska Corporation immobilire c. Bellerive, [2001] R.J.Q. 1495, par. 34 (C.A.).

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 251

    vulnrable, et quen pratique, ce nest pas lui qui rdige son contrat,mme si la chose peut, trs exceptionnellement, se concevoir57.

    Enfin, dans la mesure o elle se fonde sur le fait que lambigutest due au contractant-rdacteur, la rgle contra proferentem nedevrait logiquement pas trouver application lorsque la clause nestque la reproduction dune disposition lgislative ou rglementaire58.Toutefois, si la clause du contrat, emprunte au texte lgislatif ourglementaire, cre une difficult de comprhension, non par elle-mme, mais prcisment par le fait de son emplacement lint-rieur du texte contractuel, on pourrait vraisemblablement recourir la rgle contra proferentem . De fait, la difficult serait vritable-ment imputable au rdacteur du contrat, et non au lgislateur59.

    La rgle contra proferentem pourrait, la rigueur, sappliquer aucontenu mme dune clause contractuelle reproduisant les dispositionsdun texte rglementaire si ce texte a t dcrt par le contractantmme, dans le cas dun contrat de type administratif, comme celuipass avec une socit dtat, munie de pouvoirs rglementaires60.

    57 Cf. Claude MASSE, Loi sur la protection du consommateur : analyse et commen-taires, Cowansville, ditions Yvon Blais, 1999, p. 212.

    58 Madill c. Chu, [1977] 2 R.C.S. 400; Insurance Corporation of British Columbia c.Joseph, (1989) 37 C.C.L.I. 178 (B.C.C.A.), note James A. Rendall; cf. AmericanPaint Service c. The Home Insurance Co. of New York, 246 F.2d 91, 94 (1957); cf.Alger, 30 janv. 1957, R.G.A.T. 1957. 50, 51, note A. Besson. Quant la clausecontenue dans une police entirement rdige par un tiers, comme lInspecteurgnral des Institutions financires (en matire dassurance automobile), largle ne saurait jouer puisquun tel contrat, auquel a pourtant fort probable-ment adhr lassur, ne constituerait pas un contrat dadhsion (cf. art. 1379,al. 1er)! moins, videmment, quon naccorde la rdaction de lInspecteurgnral quune valeur formelle, considrant que, dun point de vue sociologique,ce sont bien les assureurs qui sont lorigine du contenu de la policetype : Laurentienne gnrale, cie dassurance c. Blanchard, prcit, note 47.Mais la chose reste vrifier, si tant est que lapproche sociologique soit accep-table! L-dessus, voir : D. LLUELLES, op. cit., note 40, p. 111 et 112.

    59 Cf. D. LLUELLES, op. cit., note 40, p. 112, note 321. Nous rfrons, en fait, lanotion de vice de structure dun texte; sur cette notion, voir: T. IVAINER,Lambigut dans les contrats, loc. cit., note 1, 154, n 10; cf., par analogie, Jean-Claude HALLOUIN, La lettre de France, (2001) 35 R.J.T. 409, 414: Il est clair quela seule place dun article [] dans un ensemble de textes dtermine sa porte.

    60 Cf. Godbout c. Hydro-Qubec, prcit, note 2, par. 24 (C.S.). Il sagissait simple-ment dune incorporation au contrat, par voie de renvoi, dun rglement adoptpar le rdacteur mme du contrat, la socit dtat Hydro-Qubec. La Cournaurait pas eu dobjection appliquer la rgle contra proferentem une dis-position du rglement qui faisait problme si elle avait vritablement t ambi-gu. A fortiori, il aurait d en aller ainsi, si la disposition rglementaire avait treproduite in extenso dans le contrat.

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    3. Exemples dapplication de la rgle contra proferentem

    Les exemples dapplication de la rgle contra proferentem nemanquent pas61. Ainsi, bnficient de la lecture favorable : le pre-neur dune assurance62, y compris dune note de couverture provi-soire63, ladhrent dune assurance collective64, le titulaire dunecarte de crdit65, le client dun courtier immobilier66, ladjudicatairedun contrat de service67. Le droit compar offre aussi des exemplesde bnficiaires de la rgle, comme cette dcision franaise qui a lu lesconditions dun contrat de pari de courses, organis par ltat, dans lesens des intrts du parieur, qui tait pourtant dans une position decrancier68. Le cas chant, si les parties un contrat commercialinternational ont assujetti leur convention lapplication des Princi-pes dUNIDROIT, la rgle contra proferentem pourra profiter au con-tractant qui na pas pris part la rdaction du contrat69.

    61 Pour un panorama raisonn des premires applications jurisprudentielles delarticle 1432, voir : Jean PINEAU, La discrtion judiciaire a-t-elle fait des rava-ges en matire contractuelle? , dans Service de la formation permanente, Bar-reau du Qubec, vol. 113, La rforme du Code civil, cinq ans plus tard (1998),Cowansville, ditions Yvon Blais, p. 141, aux pages 172 et 173; lauteur y com-mente les dcisions ci-aprs : Bytewide Marketing Inc. c. Cie dassurances Unioncommerciale, [1996] R.R.A. 757 (C.S.); Garipy c. Immeuble Desjardins de Mont-ral et de louest du Qubec, [1996] R.D.I. 408 (C.S.); Bacon-Gauthier c. BanqueRoyale du Canada, [1997] R.J.Q. 1092 (C.S.); Hyundai Motor America c. Auto-mobiles des les (1989) Inc., J.E. 97-783 (C.S.); 2617-3138 Qubec Inc. c. RogersCantel Inc., J.E. 98-1014 (C.S.); Location dquipement Jalon-Simplex Lte c.Animation Proludik Inc., B.E. 97BE-410 (C.Q.).

    62 Caisse populaire Desjardins du quartier chinois c. Addendum recrutement et for-mation Inc., REJB 2002-29978 (C.S.); Jean Pineau & associs c. Socit de ges-tion dassurance Encon, [2002] R.J.Q. 1392, par. 79 (C.S.).

    63 Blais c. Cie dassurance-vie Union commerciale du Canada, [2001] R.R.A. 22,par. 43 et 44 (C.S.).

    64 Toyota Credit Canada Inc. c. Axa Assurances Inc., J.E. 2002-1372 (C.Q.).65 Banque Laurentienne du Canada c. Abul-Wahab, J.E. 2002-135 (C.S.); Banque

    Toronto-Dominion c. Veilleux, prcit, note 21.66 Tremblay c. Marten, J.E. 2001-1119 (C.Q.).67 Xquipe Inc. c. Communaut urbaine de Montral, REJB 2001-26233, par. 69 (C.S.).68 Aix, 6 avril 1960; cf. J. DUPICHOT, loc. cit., note 1, 201, n 23, la note 91.69 Principes dUNIDROIT, art. 4.6 : en cas dambigut, les clauses dun contrat

    sinterprtent de prfrence contre celui qui les a proposes (Institut internatio-nal pour lunification du droit priv, Principes relatifs aux contrats du commerceinternational, Rome, UNIDROIT, 1994, disponibles : [http ://www.unidroit.org/french/accueil.htm]). Cette rgle est rarement utilise en matire arbitrale, la

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 253

    La rgle de larticle 1432, 2e phrase, profite donc ladhrent ouau consommateur, mme sil est le crancier du cocontractantindustriel, professionnel ou assureur70. De plus, ladhrent qui pro-fite de la faveur de la rgle nest pas toujours le client du profes-sionnel, mais peut, loccasion, tre le professionnel dispensateurde services, qui sest fait imposer le contenu du contrat par unclient-entreprise71 ou par un client-institution72.

    4. Le cas particulier de larticle 17 L.p.c.

    De lavis du btonnier Masse, larticle 17 L.p.c. voulait tenircompte des cas o cest le consommateur qui a lui-mme rdig lecontrat. Il serait dans ce cas le stipulant [73] et le contrat pourraittre interprt contre lui sans la rgle dicte larticle 17 L.P.C. 74.Cela pouvait se comprendre une poque (de 1978 1994) o largle jurisprudentielle contra proferentem ne concernait que lescontrats dadhsion.

    Comme larticle 1432 du nouveau Code tend la porte de largle contra proferentem aux contrats de consommation75, onpourrait se demander si le lgislateur naurait pas d supprimerlarticle 17 L.p.c., comme il la fait pour larticle 2499 C.c.B.C., propos des contrats dassurance. En fait, le lgislateur a agi en

    70 plupart des contractants tant des professionnels aguerris; l-dessus, voir :Marie-Hlne MALEVILLE, Pratique arbitrale de linterprtation des contratscommerciaux internationaux, R.D.A.I. 1999.100, 108, n 12. Pour une des raresapplications de larticle 4.6 des Principes, voir : Grenoble, 24 janv. 1996, [www.unidroit.org], Rev. arb. 1997.115. Cet exemple nest pas trs dcisif, dautresarguments ayant pes dans la dcision.

    70 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 407 et 408; V.KARIM, op. cit., note 33, p. 181.

    71 I.E.G. Systems Consultants Inc. c. Energia Systems Corp., J.E. 2001-2077, par.16 (C.S.); Boudreau c. Intersan Inc., REJB 2002-3509 (C.S.).

    72 Xquipe Inc. c. Communaut urbaine de Montral, prcit, note 67.73 Ce terme a, sans doute, ici, le sens de rdacteur .74 C. MASSE, op. cit., note 57, p. 212.75 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 407.

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    toute connaissance de cause76. Larticle 17 L.p.c. est loin de fairedouble emploi avec larticle 1432 C.c.Q. Heureusement, dailleurs,car si larticle 17 L.p.c. avait t supprim en 1994, cela aurait putre dommageable pour certaines catgories de contractants quine seraient pas des consommateurs aux fins de larticle 1432,exclus quils seraient de la dfinition de larticle 1384. Nous son-geons au professionnel, lagriculteur ou au petit artisan quiaurait, par un contrat quil aurait ngoci ou quil aurait pungocier , acquis un bien dun commerant, dans le cadre de sonactivit professionnelle77.

    Quand un contrat est de consommation, tant en droit civil quendroit de la consommation, le consommateur peut opter pour larti-cle 17 L.p.c. ou pour larticle 1432 C.c.Q.78.

    76 De plus, quelques annes aprs la mise en vigueur du nouveau Code, le lgis-lateur, loin de supprimer larticle 17 L.p.c., la maintenu en y apportant unemodification de concordance. Dans sa version de 1978, cette disposition selisait : Malgr larticle 1019 du Code civil du Bas Canada, en cas de doute oudambigut, le contrat doit tre interprt en faveur du consommateur .Depuis le 22 octobre 1999, cet article se lit : En cas de doute ou dambigut, lecontrat doit tre interprt en faveur du consommateur (Loi concernant lhar-monisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999, c. 40, art. 234).

    77 Ces contractants ne sont pas des adhrents, dans notre cas de figure; mais ilssont srement des consommateurs selon larticle 1 (e) L.p.c. (D. LLUELLES et B.MOORE (coll.), op. cit., note 51, n 155, p. 72 et 73, la note 113). Sans larticle 17L.p.c., ils ne pourraient bnficier de la seconde phrase de larticle 1432, ntantpas des consommateurs au sens du Code civil, en leur qualit dexploitantsdentreprise. Ils ne pourraient se prvaloir que de la rgle dicte la premirephrase de larticle 1432 (la rgle contra stipulatorem ), pour autant, cependant,que la clause litigieuse mette en cause une dette contracte par eux lgard ducocontractant, ce qui rduirait considrablement lintrt de la disposition.

    78 Cf. Location de voitures compactes (Qubec) Lte c. Moise, J.E. 97-1467 (C.Q.),p. 8 du texte intgral. Larticle 17 L.p.c. offre un autre intrt : la rgle contraproferentem y est sans aucun doute dordre public (cf. art. 261 L.p.c.), alorsquun doute planerait sur le sujet en droit civil (infra, sous-paragraphe 2). Leconsommateur aurait alors tout intrt se placer sur le terrain de larticle 17L.p.c. Pour dautres exemples dapplication de larticle 17 L.p.c., voir : Quantz c.A.D.T. Canada Inc., [2002] R.J.Q. 2972, par. 44 (C.A.); Delisle c. Unitours(Canada) Lte, [1986] R.R.A. 629 (C.P.) (rs.), p. 10 du texte intgral; Gosselin c.102150 Canada Inc., [1990] R.J.Q. 1454 (C.Q.); Lambert c. Jean Frchette Lte,J.E. 91-536 (C.Q.), p. 8 et 9 du texte intgral; voir aussi les dcisions indites,rsumes et commentes dans C. MASSE, op. cit., note 57, p. 212-216.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 255

    II. La question de lordre public des deux rgles de lecture force

    Le contrat peut-il lgalement carter lapplication des rgles contra proferentem et contra stipulatorem ? Une chose estcertaine : la rgle de lecture force de larticle 17 de la Loi sur la pro-tection du consommateur est sans conteste dordre public (art. 261L.p.c.) : toute clause lcartant serait frappe de nullit relative. Laquestion serait apparemment ouverte pour les contrats assujettisau seul droit civil79. Alors que le projet de lOffice de rvision de1977 dcrtait dordre public la rgle de lecture favorable ladh-rent (art. V-69), larticle 1432 C.c.Q. est muet sur le sujet. Il seraittoutefois trange que cette absence de prcision permette unelibert rdactionnelle dbride, en fait celle du plus fort, dans undomaine o lon a prcisment voulu rtablir un quilibre en faveurdu plus faible! Ne serait-ce que sur le terrain des assurances o largle de larticle 2499 C.c.B.C. tait dordre public et, qui plus est,de direction (art. 2515, al. 1er C.c.B.C.) , il serait surprenant que lelgislateur ait permis un tel recul dans ce secteur.

    notre avis, et quel que soit dailleurs le secteur concern, lesprescriptions de larticle 1432 sont vraisemblablement dordrepublic. Dans la mesure, en effet, o elles sinscrivent dans lapolitique de protection du caractre clair du consentement deladhrent ou du consommateur 80, et dans la mesure o il seraitchoquant quun professionnel puisse, toutes fins utiles, carterson obligation de renseignement81 et surtout son obligation debonne foi (art. 1375) , il apparat peu vraisemblable quune clausecartant la rgle contra proferentem puisse supprimer lofficedu juge dans la solution de lambigut irrductible82. Pour les con-trats ordinaires, par contre, une clause cartant la rgle contra

    79 Sur les hsitations du droit civil franais en la matire, voir : J. GHESTIN, C.JAMIN et M. BILLIAU, op. cit., note 14, n 35, p. 48 et 49 ( propos de larticle1162 C.c.fr., en droit commun) et n 40, p. 54 ( propos de larticle 1602 C.c.fr.,dans le domaine de la vente).

    80 J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229, p. 407.81 Cf. J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILLIAU, op. cit., note 14, n 40, p. 55.82 De toute faon, la clause, figurant dans un contrat de consommation au sens de

    larticle 1384 ou dans un contrat dadhsion selon larticle 1379, qui carteraitla rgle contra proferentem pourrait, dfaut de contrer lordre public, trequalifie dabusive par le juge et, donc, tre carte par lui sur la base de larticle1437!

  • (2003) 37 R.J.T. 235256

    stipulatorem serait, en principe, valide, sous rserve de lexigencede la bonne foi (art. 1375), dont la violation pourrait justifier loctroide dommages-intrts, voire une fin de non-recevoir, si la preuveest apporte de lintention dlibre du contractant rdacteurdinduire son cocontractant en erreur.

    III. Les prrequis pour lapplication des deux rgles de lecture force

    A. Les rgles contra supposent une ambigut

    La subordination des deux rgles contra la ncessit duneambigut est fermement rappele par les juges83. Si cette exigencene pose pas de problme pour la rgle contra stipulatorem , tantdonn le libell mme de la premire phrase de larticle 1432 ( Dansle doute, [] ), on a pu se demander si la codification de 1991-1994ne remettait pas en cause cette exigence pour la rgle contraproferentem . En effet, lemploi, dans la seconde phrase de larticle1432, de la prcision dans tous les cas ne signifierait-il pas que lecontrat dadhsion ou de consommation sinterprte contre lecontractant rdacteur dans toutes les circonstances, y compris en

    83 Sous lempire de larticle 1019 C.c.B.C., voir : Bates c. Sun Life du Canada,prcit, note 2, 918 et 919 (C.A.); Tamper Corp. c. Kansa General Insurance,[1998] R.J.Q. 405, 413 (C.A.); Belcourt Construction Co. c. Automobile et TouringClub de Montral (A.T.C.M.), [1987] R.J.Q. 1151, 1155 (C.S.). propos de larti-cle 2499 C.c.B.C., voir : Hamel c. Assurance-Vie Desjardins, (1987) 7 Q.A.C.24; Poulin et Lacroix Lte c. Assurances Federated, prcit, note 46; cf. Tremblayc. Madill, [1988] R.R.A. 596 (C.S.). Sous lempire de larticle 17 L.p.c., voir :Lambert c. Jean Frchette Lte, prcit, note 78. Sous lempire de larticle 1432C.c.Q., voir : Bytewide Marketing Inc. c. Cie dassurances Union Commerciale,prcit, note 61, 759; Collections de style R.D. internationales Lte c. TradeIndemnity, [1996] R.R.A. 1062 (C.S.); Garipy c. Immeuble populaire Desjardinsde Montral et de lOuest-du-Qubec, prcit, note 61, 412; Hyundai Motor Ame-rica c. Automobiles des les (1989) Inc., prcit, note 61; Astral CommunicationsInc. c. Complexe du Fort Enr., prcit, note 6, p. 11 du texte intgral; AutobusJohanaise Inc. c. Socit de transport de la Rive-Sud de Montral, prcit, note 7;Godbout c. Hydro-Qubec, prcit, note 2, par. 24; Caisse populaire Desjardinsdu quartier chinois c. Addendum recrutement et formation Inc., prcit, note 62;Jean Pineau & associs c. Socit de gestion dassurance Encon, prcit, note62; Soprema Inc. c. La Gerling Globale, cie dassurances gnrales, [2002] R.R.A.361, par. 31 (C.S.); Roy c. Compagnie mutuelle dassurances Wawanesa, [1998]R.J.Q. 2169, 2171 (C.Q.).

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 257

    cas dabsence dambigut84? La rponse est, bien sr, ngative.Selon toute vraisemblance, cette mention signifie tout simplementque la lecture favorable ladhrent ou au consommateur a lieumme si ce dernier est le crancier de lobligation en cause85.

    B. Les rgles contra ne sappliquent qu titre subsidiaire

    Le caractre subsidiaire des rgles contra stipulatorem et contra proferentem , jadis suggr avec force par la doctrine86, estconstamment rappel par les juridictions suprieures. Ce nest quelorsquil subsiste une ambigut, malgr le recours aux rgles nor-males dinterprtation, que le juge peut recourir la lecture force.Le magistrat ne va pas directement lire une clause, quil estimeambigu, dans le sens des intrts du dbiteur ou, le cas chant,de ladhrent ou du consommateur. Il va dabord sassurer que lesrgles dinterprtation fournissent une rponse satisfaisante87.

    84 Cf. Maurice TANCELIN, Sources des obligations, 5e d., Montral, Wilson &Lafleur, 1993, n 224, p. 146.

    85 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 5e d.,Cowansville, ditions Yvon Blais, 1998, n 433, p. 355; Maurice TANCELIN, Desobligations : actes et responsabilits, 6e d., Montral, Wilson & Lafleur, 1997,n 321, p. 158; voir aussi : GOUVERNEMENT DU QUBEC, Commentaires duministre de la Justice, op. cit., note 32, p. 868 et A. POPOVICI, loc. cit., note 31,158 et 159; cf. J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n 229,p. 407, la note 776; V. KARIM, op. cit., note 33, p. 183 et 184; comp. F. GEN-DRON, op. cit., note 1, p. 107.

    86 C. DEMOLOMBE, op. cit., note 5, n 23, p. 21 : on ne doit lappliquer quautantque toutes les autres rgles dinterprtation (sic) font dfaut .

    87 Sous lempire de larticle 1019 C.c.B.C., voir : Exportations ConsolidatedBathurst c. Mutual Boiler & Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888 etLIndustrielle, compagnie dassurance sur la vie c. Bolduc, [1979] 1 R.C.S. 481,493; Belcourt Construction Co. c. Automobile et Touring Club de Montral(A.T.C.M.), prcit, note 83, 1154; Bates c. Sun Life du Canada, prcit, note 2,918 et 919; Astral Communications Inc. c. Complexe du Fort Enr., prcit, note 6,p. 12 du texte intgral; Fernand Gilbert Lte c. Municipalit de St-Gervais, J.E.2000-495, p. 18 du texte intgral (C.S.). Les autorits appliquaient la mme solu-tion la rgle de larticle 2499 C.c.B.C. : J.-G. BERGERON, op. cit., note 46,p. 105; implicitement : Poulin et Lacroix Lte c. Assurances Federated, prcit,note 46. Sous lempire de larticle 1432 C.c.Q., voir : Len-Jay Inc. c. J.R.S.Transport Inc., [2001] R.R.A. 799, par. 36 (C.S.). Voir, cependant : ExportationsConsolidated Bathurst Lte c. Mutual Boiler and Machinery Co., prcit dans laprsente note, 899-901: ce nest que si le texte est ambigu que lon doit appli-quer la rgle contra proferentem, deuxime tape du processus ;

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    Le caractre quasi magique des rgles contra ne devrait doncpas crer des espoirs indus, qui risqueraient dtre dus : Lesrgles dinterprtation pour dterminer la commune intention desparties priment le principe de linterprtation contra proferentem 88.Une dcision de la Cour suprme a rappel de manire presque dra-matique le caractre secondaire des rgles contra . Ces derniresdoivent sincliner devant une solution fournie par les rgles dinter-prtation, comme la globalit, les circonstances ou les usages89. Lasubsidiarit des rgles contra proferentem et contra stipulatorem ,se trouve mme renforce par le nouveau Code qui leur assigne ladernire place dans lordre des articles de linterprtation90. Rappe-

    88 dans le mme sens : Groupe Desjardins, assurances gnrales c. Gnral Acci-dent, compagnie dassurance du Canada, [1998] R.R.A. 942, 943 (C.A.); AmiskaCorporation immobilire c. Bellerive, prcit, note 56 : ces juges semblent sauter ladeuxime tape (celle de linterprtation proprement dite), pour aller directement la troisime, quils qualifient de deuxime tape! Mais, ce nest quune faon desexprimer, car dans larrt-phare Exportations Consolidated Bathurst, la Cour atout de mme procd la deuxime tape en procdant la lecture globale de lapolice!

    88 Len-Jay Inc. c. J.R.S. Transport Inc., prcit, note 87.89 LIndustrielle, compagnie dassurance sur la vie c. Bolduc, prcit, note 87. La

    Cour suprme, dans ce jugement divis, a refus dappliquer la rgle contraproferentem , propos dune clause dune police dassurance, excluant la dou-ble indemnit au cas o lassur exercerait une fonction quelconque relative-ment lenvole . Ce dernier, aropointeur, tait charg de donner au pilote lesindications ncessaires pour lefficacit des largages des tonnes deau destines teindre des incendies de fort. Sil ntait pas un pilote ou un agent de bord,tait-il un passager ordinaire? Cette clause na pas t lue dans un sens favo-rable lassur, son sens pouvant tre donn par la lecture coordonne dautresdispositions du texte contractuel. Pour la majorit, la clause devenait ainsicomprhensible, et le risque tait exclu. Pour la minorit, cependant, la clausecomportait une ambigut qui devait tre interprte contrairement aux prten-tions de lassureur. Pour des commentaires critiques de larrt Bolduc, voir :Jean-Louis BAUDOUIN, Chroniques de droit civil qubcois : session 1978-79 , (1980) 1 S.C. Law Rev. 249, 251-254; Marvin G. BAER, New Develop-ments in Insurance Law , (1980) 1 S.C. Law Rev. 347, 352-354. Cette dcisionest dautant plus dramatique que la commune intention des parties tait loindtre vidente, mme aprs une lecture globale! Nous sommes loin, ici, delattente raisonnable de lassur, dont la Cour suprme semble faire tant tatces derniers temps!

    90 Cette dcision judicieuse aurait certes fait plaisir un grand juriste de France quiadressait au lgislateur de son pays le reproche davoir improprement localislarticle 1162 C.c.fr. : C. DEMOLOMBE, op. cit., note 5, n 23, p. 21. Le mmereproche aurait pu tre adress aux rdacteurs du Code civil du Bas Canada, propos de larticle 1019, noy dans la masse des dispositions sur linterprtation.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 259

    lons-le : ces rgles, loin de constituer un guide interprtatif, fournis-sent plus exactement un outil de lecture brutale en cas dimpassedans la recherche de la probable intention des parties.

    IV. Bilan de la mise en uvre des deux rgles de lecture force

    A. Les rgles contra sont assez souvent utilises comme arguments de confort

    En principe, les rgles de lecture dfavorables au crancier ouau rdacteur ne devraient fonctionner quen cas de panne delappareil normal dinterprtation. Or, il appert que, dans beau-coup de situations, le magistrat recourt cet outil du dsespoir,alors quil pouvait et que, de fait, il a pu deviner lintention com-mune, par lemploi des rgles dinterprtation proprement dites.La rgle de lecture force sert alors dargument additionnel, don-nant une lgitimit la solution retenue91. Gnralement, lesjuges commencent par utiliser les outils dinterprtation, avant debrandir le bouclier de la rgle contra proferentem , comme la lec-ture globale, les usages, lapplication stricte des clauses dexclu-sion. Plus rarement, ils vont commencer par recourir la rgle delecture force, suivie dune rfrence une rgle normale dinter-

    91 Place Qubec Inc. c. Desmarais, prcit, note 30; 147310 Canada Inc. c. TrustGnral du Canada, prcit, note 28; Talbot c. Commission scolaire rgionaleLapointe, [1976] C.S. 938, 941; Astral Communications Inc. c. Complexe du FortEnr., prcit, note 6, p. 12 du texte intgral; Syntax Systems Ltd. c. WestburneIndustrial Enterprises Ltd., prcit, note 13; Royal Lepage commercial Inc. c.Degrmont Infilco Lte, J.E. 2001-1217 (C.S.) (en appel); Cormier c. Banquenationale du Canada, [1994] R.R.A. 1046, 1047 (C.Q.); Armstrong-Larnder c.Compagnie dassurances Union commerciale du Canada, [1995] R.R.A. 814, 818(C.Q.); La Gerling globale, compagnie dassurances gnrales c. Cit du GrandMandarin III (S.E.) Inc., prcit, note 53, p. 8 du texte intgral; cf. EntreprisesDaniel Croteau Inc. c. Duchesne, prcit, note 27; Manoir des Sages Inc. c. CLSCet CHSLD de la MRC des Etchemins, prcit, note 20. Parfois, le juge recourt larticle 1432 pour conforter une solution fournie, non par les rgles dinterpr-tation, mais par un autre outil, comme la notion de divergence entre la policedassurance et la proposition [(art. 2400); Jean Pineau & associs c. Socit degestion dassurance Encon, prcit, note 62, par. 68 et 79], ou comme la clauseabusive [(art. 1437); Abadie c. MFQ Vie, [2000] R.J.D.T. 569, par. 13 et 14(C.Q.)].

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    prtation, qui conforte la solution92. Paradoxalement, lemploi dela rgle contra proferentem titre dargument additionnel tend affaiblir son impact. tout prendre, cet outil sert surtout lorsque lemagistrat nest pas absolument convaincu de la solidit des indicesde volont commune que rvle le dossier.

    B. Les deux rgles contra sont parfois lobjet dune certaine confusion

    La distinction entre les deux rgles de lecture force apparataise dun point de vue conceptuel. Mais, dans le concret de certai-nes affaires, la distinction ne semble pas toujours trs nette. Ainsi,aprs avoir rappel la rgle gnrale selon laquelle les clausesdexonration sont dinterprtation restrictive , un juge a recouru larticle 1432, en faisant appel la premire phrase de la dispo-sition : comme il faut interprter la clause de manire restrictive et,selon larticle 1432 C.c.Q., dans le doute, () en faveur de celui quia contract, je ne peux conclure que la clause exonratoire couvrela situation en cause o la dficience de linstallation faite par ledfendeur ou sous son autorit est [] la cause du dommage 93.Dans cette affaire, il sagissait dun bail commercial, vraisemblable-ment de gr gr. Comme le magistrat le reconnat clairement, cestla rgle de lecture favorable au dbiteur quil fallait appliquer. Or, lejuge a interprt contre le rdacteur de la clause, et non contre lecrancier; en effet, cest le locataire qui tait le crancier (de lobli-gation dindemniser), et cest le bailleur qui tait le dbiteur (decette mme obligation)! Or, cest le bailleur-dbiteur qui avait rdigla clause dexonration.

    Dans le fond, la rgle contra proferentem semble parfoisdteindre sur lapplication de la rgle contra stipulatorem , lorsquele contrat nest ni dadhsion, ni de consommation. En donnant uneinterprtation dfavorable au rdacteur, quel que soit son rle decrancier ou de dbiteur, on semble oublier la premire phrase delarticle 1432. Cest ce que la Cour suprieure a pourtant dcid propos dune clause relative des redevances en matire de cra-

    92 Tremblay c. Marten, prcit, note 66 : Cette interprtation [fonde sur larticle1432] est dailleurs conforme la nature et aux usages du courtage immobilier(art. 1426 et 1429 C.c.Q.) ; voir aussi : Laurin c. Gestion Jean-Paul Auclair Inc.,prcit, note 13.

    93 Entreprises Daniel Croteau Inc. c. Duchesne, prcit, note 27.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 261

    tion artistique, ne mentionnant mme pas la rgle contrastipulatorem 94. L aussi, le rdacteur ntait pas le crancier, maisle dbiteur de lobligation de verser les redevances.

    Ces dcisions illustrent la difficult de distinguer les notions destipulation et de rdaction95. Pourtant, lexercice, tout rebutantsoit-il, mrite quon sy livre. Interprter contre le rdacteur duncontrat ordinaire, quel que soit son statut par rapport lobligationimplique, est discutable. Historiquement, la solution peut se com-prendre96. Elle est, dailleurs, concevable en droit franais, o larti-cle 1162 C.c.fr.97 na pas t modifi98. Mais, au Qubec, nous avonsdepuis 1994 un texte, larticle 1432, qui prvoit deux rgimes dis-tincts. Pour les contrats dadhsion et de consommation, on interprte pour ladhrent ou le consommateur (en fait, contre lerdacteur) et ce, dans tous les cas , cest--dire, peu importe que leconsommateur ou ladhrent soit dbiteur ou crancier de lobliga-tion en litige. Par contre, la premire phrase, concernant les contratsordinaires, commande clairement d interprter en faveur de celuiqui a contract lobligation et contre celui qui la stipule . La termi-nologie montre bien quil faut considrer le rle du contractant entant que crancier ou dbiteur de lobligation implique, et non entant que rdacteur ou non-rdacteur de la clause litigieuse99.

    C. Les deux rgles contra ont, chacune, leur raison dtre

    Mme sil y a souvent concidence entre le statut dadhrent oude consommateur et celui de dbiteur100, il importe de ne pas con-

    94 Berthiaume c. 91439 Canada Inc., prcit, note 54. Le contrat ntait pasdadhsion, du moins le point nest pas avanc.

    95 Voir aussi : La Gerling globale, compagnie dassurances gnrales c. Cit duGrand Mandarin III (S.E.) Inc., prcit, note 53 , p. 9 et 10 du texte intgral.

    96 Cf. J. DUPICHOT, loc. cit., note 1, 202, n 23.97 Lquivalent de larticle 1019 C.c.B.C.98 Cf. J. GHESTIN, C. JAMIN et M. BILLIAU, op. cit., note 14, n 33, p. 47.99 Insister ce point sur le rdacteur de la clause pourrait mener penser que la

    premire phrase de larticle 1432 ne sanctionnerait que le rdacteur de la clause,mme si cette dernire prvoit une obligation dont il est le dbiteur. On risquedonc de limiter la porte de la rgle contra stipulatorem : ne serait favoris que ledbiteur non-rdacteur. Cette solution serait videmment inadmissible.

    100 Cf. Ville de Rosemre c. Art Spino Enterprises Inc., [1972] C.S. 794, 798; voiraussi : Amiska Corporation immobilire c. Bellerive, prcit, note 56; G.P.Pineault Inc. c. Leblanc, prcit, note 13.

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    fondre les deux rgles de larticle 1432. Il importe surtout de ne pastre obnubil par la rgle contra proferentem , et de ne pas oublierla premire partie de larticle 1432 C.c.Q., en ce qui concerne lecontrat ordinaire ou de droit commun . Du reste, la qualificationde contrat dadhsion ou de consommation ne simpose pasdemble101. Faute de qualification convaincante, on doit prsumer,du moins en principe, que le contrat est de droit commun. Commele prvoyait la lettre de larticle 1019 C.c.B.C., le doute doit alors sersoudre contre le crancier contra creditorem, ou contra stipula-torem 102, quil soit le professionnel ou le client, lassureur oulassur103, advenant mme quil nait pas rdig la clause liti-gieuse104.

    Il est heureux, du reste, que la vieille rgle contra stipulatorem ait t maintenue par le codificateur moderne. En effet, certainesclauses peuvent tre pratiquement rdiges lavance par lun descontractants et imposes lautre, qui ne sera pas pour autantun adhrent, sil pouvait ngocier le contrat (art. 1379, al. 1er), ni unconsommateur, sil sagit dune personne morale, par exemple (art.1384). Sans la rgle contra stipulatorem , le contractant en ques-tion, dbiteur de lobligation en cause, ne pourrait bnficier dunesolution favorable, en cas dimpasse vritable.

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    La rgle contra proferentem tient en quelque sorte du mer-veilleux. Elle risque, toutefois, dtre un pur mirage si lambigutnest pas irrsistible : le rve peut alors virer au cauchemar. Ellepeut aussi tre vaine si le texte nest pas ambigu. Bien quelle nesoit pas une rgle dinterprtation en tant que telle, cette rgle delecture ne saurait forcer un texte clair! Certes, une thorie relative-ment rcente, dinspiration anglo-amricaine, dite des attenteslgitimes , risque de mener une telle ngation du contrat. Cettethorie, qui pourrait, dans un certain sens, mesurer la vraisem-blance de lintention des parties, en cas de vritable ambigut, est

    101 Cf. Organon Canada Lte c. Trempe, prcit, note 22.102 Pour un exemple rcent dapplication de la rgle contra creditorem , voir :

    Lafleur c. Issa, [2000] R.J.Q. 87, 99 (C.S.).103 Cf. Grgoire c. Trpanier, prcit, note 20; cf. Quart c. Royal Insurance, [1973]

    C.A. 912, 914 et 915; M. TANCELIN et D. GARDNER, op. cit., note 48, p. 152.104 Cf. Organon Canada Lte c. Trempe, prcit, note 22.

  • LES RGLES CONTRA PROFERENTEM ET CONTRA STIPULATOREM 263

    trop souvent galvaude. En outre, elle est trangre au gnie dudroit civil et la notion mme de contrat, puisquelle tend ne tenircompte que des dsirs dun seul contractant. Elle mrite tout demme une tude objective, que nous venons de prsenter aux lec-teurs dans le cadre dun hommage au professeur Jean Pineau105.

    105 Voir : Didier LLUELLES, La thorie des attentes lgitimes (ou raisonnables)dans la clarification contractuelle : est-ce si lgitime? est-ce bien raisonnable? ,dans Mlanges Jean Pineau, sous la direction de Benot MOORE, Montral, di-tions Thmis, 2003, p. 407.