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Licence de Science PolitiqueSociologie Historique de l’Etat – TD
Norbert ELIAS, « La dynamique de l’Occident »,
2° partie de « Sur le processus de civilisation »
(Über den Prozeß der Zivilisation, publié en 1939), traduit en français en 1975.
Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, 320 p.
Norbert ELIAS est généralement présenté comme un sociologue allemand du XX°
siècle. Toutefois, cet auteur dépasse les cadres conceptuels de cette science pour substituer
une approche dynamique (des faits étudiés) à un raisonnement figé. Ainsi il s’attache à décrire
des processus qu’il illustre continuellement d’exemples empiriques. Cette démarche lui
permet de « distinguer, par-delà la diversité des faits historiques isolés, le parallélisme
structurel qui sous-tend l'évolution du champ social dans son ensemble »1.
La dynamique de l’Occident est le second tome de son œuvre Sur le processus de civilisation2.
Cet ouvrage mêle psychologie et sociologie historique pour décrire le processus
civilisationnel en Occident corrélé à la « sociogenèse de l’Etat ». Ce mode d’analyse
s’apparente à une sociologie constructiviste dont l’objectif serait d’identifier en quoi les
configurations sociales sont le résultat de dynamiques structurelles et de trajectoires
individuelles.
A l’époque féodale3 l’autorité publique est morcelée et concurrencée par les nombreux
seigneurs, elle ne peut donc pas perdurer dans le temps et l’espace. Pourtant cette période
porte en elle les germes de l’Etat moderne, à savoir « une entreprise politique à caractère
institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès dans l'application de ses
règlements le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné » 4.
Comment, selon Norbert ELIAS, la genèse de l’Etat moderne, s’est-elle opérée à travers la
monopolisation progressive de la violence légitime et de la fiscalité ? Et en quoi est-elle
corrélée à un « processus de civilisation »?
1 Norbert ELIAS, « Qu’est-ce-que la sociologie ? », 1970, in Encyclopédie Universalis, article sur la sociologie historique, rédigé par Laurent WILLEMEZ, http://www.universalis-edu.com/article2.php?nref=C070079 . 2 Sur le processus de civilisation regroupe deux tomes : La civilisation des mœurs et La dynamique de l’Occident parus en 1939 (1973 et 1975 pour les versions française).3 Cette période s’étend du XI° au XIV° siècle.4 Max WEBER, Economie et société, tome 1, Pocket, coll. Agora, 2003, p. 17.
I. La dynamique de l’Occident.
A. La sociogenèse de l’Etat.
La sociogenèse décrite par Norbert ELIAS n’est pas un processus conscient ; « la France
est le résultat d´une série de combats d´élimination, de la formation automatique de réseaux d
´interdépendances et non d´une vision prophétique de l´avenir »5.
1. La loi du monopole.
La loi du monopole consiste en « la centralisation des pouvoirs militaires et fiscaux par
une seule unité sur l’ensemble d’un territoire ». Ces deux « monopoles clefs » se complètent :
le pouvoir militaire permet au seigneur d’imposer le paiement de l’impôt qui servira en retour
à financer la force armée. Ceux-ci nécessitent la mise en place d’un « appareil administratif
permanent et spécialisé ».
Le processus de monopolisation a été initié au XI° siècle en Occident. Il se compose de
différentes phases mises en lumière par Norbert ELIAS autour de l’exemple français.
2. La phase de concurrence libre (XI°-XIII° siècles)
Cette période est caractérisée par la non-monopolisation des fonctions militaires et fiscales
par une entité politique. De fait il n’existe aucune véritable autorité supérieure. Au sein du
Royaume de France « le détenteur de la couronne royale n´est d´abord rien d´autre qu´un
grand seigneur féodal »6, chaque maison guerrière (ou seigneur féodal) dispose donc des
mêmes chances de conquête. La phase de concurrence libre se définit comme un « système à
chances ouvertes » opposant plusieurs conquérants.
« Le simple maintien de l’existence sociale dans un champ de « concurrence libre » implique
l’expansion 7». L’enjeu de cette compétition est l’annexion de territoires par « l’initiative
privée », à savoir par la force ou par les mariages. A cette époque, la terre était la première
source de richesse. Et l’accumulation de ressources garantissait aux seigneurs leur
indépendance, leur honneur et leur prestige. Au cours de ce mécanisme, les plus faibles sont
attaqués par un seigneur plus puissant, si bien que des unités de plus en plus vastes et de
moins en moins nombreuses se forment.
Cette phase de libre concurrence fut initiée par l’augmentation de la population et donc la
nécessité de s’arroger de nouvelles terres.
5 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 82.6 Ibid., p. 44.7 Ibid., p. 87.
« Augmentation de la population, difficultés d’expansions extérieures, consolidation de la propriété terrienne » →renforcement de la compétition pour le sol
Phase de libre concurrence dans le système féodal des XI et XIII° siècles.
« Initiative privée » = conquêtes militaires ou arrangements matrimoniaux pour l’accumulation de terres
Diminution du nombre de maisons guerrières
Luttes dans un « système à chances ouvertes »
Suprématie d’une maison (Les Capétiens pour la France du XIV° siècle)
XIV° : suprématie des Capétiens, (Ils disposent de plus de terres et donc de plus de richesses que les autres seigneurs).
Phase de libre concurrence
XIV-XV° : phase des apanages = « transferts de propriété et des fonctions de domination au profit d´un membre de la famille ».
Emiettement du territoire → loi du monopole non linéaire.
L’aboutissement de cette phase de concurrence libre est la suprématie des Capétiens,
effective dés le XIV° siècle en France. Ils ont instauré leur domination grâce à leur « initiative
privée », leur « pouvoir d’attraction » (prestige qui se dégage de cette maison) et « le besoin
de protection des plus faibles ». Mais suprématie ne signifie pas monopole, et le processus ne
se déroule pas de manière linéaire comme nous le démontre la phase suivante, celle des
apanages.
3. La phase des apanages (XIV°-XV° siècles)
« L'apanage a essentiellement désigné, à partir de la fin du XIIIe siècle, le fief concédé
dans certaines conditions particulières aux enfants, et surtout aux fils puînés [cadets] du roi de
France. 8» Cette pratique conduit à l’émiettement du territoire. Plus les Capétiens détenaient
de territoires plus ils en distribuaient en apanage à leurs fils, car la loi du monopole décrite par
Elias n’était pas consciente. La centralisation des pouvoirs n’étant pas un but recherché, ceux
qui recevaient une terre agissaient davantage dans le sens de la décentralisation en laissant
leur volonté de puissance s’y exprimer. Ainsi de nombreuses régions retrouvaient leur propre
autonomie.
4. La victoire du monopole royal (fin XV°-XVI° siècles)
Si certaines régions s’opposent à la centralisation en s’autonomisant, elles restent dans un
processus de concurrence où « les luttes entre les maisons de guerriers médiévales et plus tard
entre grands seigneurs féodaux et territoriaux s’orientent dans le sens de la monopolisation.9 »
8 Définition tirée de l’encyclopédie universalis en ligne, http://www.universalis-edu.com/article2.php?napp=&nref=B920901 , consulté le 20 mars 2009.9 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 89
« Augmentation de la population, difficultés d’expansions extérieures, consolidation de la propriété terrienne » →renforcement de la compétition pour le sol
XIV-XV° : Phase des apanages →émiettement du territoire, autonomisation de certaines régions.
Règne de Louis XI (1461-1483) : création d’un monopole de domination.
Guerre de Cent ans : élimine le roi d’Angleterre en tant qu’adversaire
Luttes contre les forces centrifuges grâce à son habileté, ses domaines etc.
Règne de François Ier ; la compétition (« concurrence libre »), qui reste une initiative privée, est déplacée à l’échelle européenne.
Concurrence entre seigneurs
XV-XVI° siècle : division croissante des fonctions sociales et augmentation des interdépendances.
Division du travail
La monnaie se substitue à la terre, troc →argent
« Concurrence économique » obéissant à des règles pacifiées.
Ainsi, la guerre de Cent ans10, va permettre à Louis XI11 d’éliminer son adversaire le plus
redoutable : le roi d’Angleterre, puis il va faire de « la lutte contre les forces centrifuges,
contre les seigneurs féodaux rivaux […] la tâche essentielle de sa vie12 ». « Grâce aux moyens
d’action qu’il tire de ses immenses domaines, grâce à l’habileté aussi avec laquelle il sait en
profiter, grâce à une série de hasards qui lui viennent en aide »13 Louis XI va progressivement
éliminer tous ses rivaux. Ainsi, lorsque François Ier arrive sur le trône, « la concentration ou
centralisation de l’autorité gouvernementale en un lieu et en une main » n’est pas encore
atteint, mais « une étape sur la voie du monopole absolu » est franchie. La zone de
« concurrence libre » s’est transposée à l’échelle européenne qui « sera pendant un certain
laps de temps l’axe central d’un système de tensions plus vastes, à savoir le système européen
en gestation.14 » L’enjeu est devenu le tracé des frontières, mais il reste une lutte d’initiative
privée.
Les XV° et XVI° siècles vont être également marqués par une division croissante des
fonctions sociales. La société de troc laisse place à celle organisée autour de l’argent. La
monnaie se substituant à la terre entraîne l’apparition de nouvelles fonctions (les commerçants
les artisans) et donc une division du travail plus importante. Les échanges monétaires
augmentent conjointement avec les interdépendances fonctionnelles. Une nouvelle
concurrence tend à s’instaurer, au niveau « économique », où cette fois la violence laisse
place aux règles pacifiées. Un nouvel ordre social émerge.
5. Le mécanisme absolutiste
Le mécanisme absolutiste est définit comme un « pouvoir central fort dans une société
10 La guerre de Cent ans s’étend de 1337 à 1453.11 Roi « de France » de 1461 à 148312 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 91.13 Ibid., p. 91.14 Ibid., p. 95.
à haut niveau de différenciation, dont l’ambivalence des intérêts des groupes fonctionnels est
si marqué, que les centres de gravités se répartissent si également entre eux, qu’il ne peut y
avoir, de quelque côté que ce soit, ni compromis, ni combats, ni victoire décisive.15 »
Le roi se trouve en position de décideur face aux oppositions insolubles des différents
groupes. L’autocrate tire ainsi son pouvoir des luttes, conscientes ou pas16, entre couches
sociales. Il alimente ces conflits d’intérêt pour maintenir une société divisée qui ne s’alliera
pas contre lui.
Avec la Révolution un pas est franchit vers la fonctionnarisation du pouvoir central. Les
monopoles de domination passent aux mains des couches sociales plus larges, ils sont soumis
à leur contrôle lui-même garantit par des institutions. Le statut de fonctionnaire s’affirme. De
fait, si le pouvoir du souverain augmente, sa dépendance envers la société s’accroît
réciproquement, notamment pour l’impôt collecté. Tandis que la dépendance de la société
tend, quand à elle, à se déplacer du personnage du souverain vers l’appareil de coordination
qui devient progressivement un instrument au service de ses usagés. Celui-ci devient le
théâtre de la confrontation entre le désir d’annihiler certains avantages de l’adversaire social
et, ce faisant, la peur d’en détruire tout le mécanisme, dont le bon fonctionnement garantie
leur existence.
Ainsi se révèle le paradoxe de l’absolutisme : le pouvoir des fonctionnaires s’accroit au
détriment du pouvoir personnel du roi, qui n’a pourtant jamais exercé une telle domination.
6. La sociogenèse du monopole fiscal
Cf. schéma « monopole fiscal », en annexe, p.17.
A. Esquisse d’une théorie de la civilisation.
Si la construction de l’Etat repose sur des dynamiques sociales, il n’en demeure pas moins
que l’Etat transforme réciproquement la société et les manières d’être.
1. De la contrainte sociale à l’autocontrainte
La civilisation n’est pas un produit de la raison, mais elle n’est pas irrationnelle pour
autant. Norbert ELIAS s’est demandé « qui oriente l’appareil psychique des hommes dans le
sens d’une « civilisation » ?17 » Le sociologue démontre que l’infrastructure serait à l’origine
des évolutions de la superstructure. Ainsi le monopole de la violence légitime semble pacifier
les relations qui ne cessent de croître dans une société différenciée. L’homme est en réalité
contraint à se contrôler ; il repousse ses passions et ses pulsions. Ce « contrôle » peut être
conscient, l’homme songe aux conséquences de ses actes et s’abstient, ou inconscient, il s’agit
15 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 111.16 Ces luttes peuvent être dues aux mécanismes anonymes d’interdépendances ; par exemple les bourgeois s’attaquent aux privilèges enviés des nobles, ainsi ils ne désirent pas véritablement les faire disparaître puisqu’ils y aspirent. 17 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 185.
Monopolisation de la violence
Elargissement du réseau des interdépendances
Mise en place de mécanismes de contrôle conscients : maîtrise de soi.
Autocontraintes : habitudes automatiques transmises dès l’enfance à l’individu.
« Elles tendent vers une modération plus uniforme, une réserve plus continue, une régulation plus précise des manifestations pulsionnelles et émotionnelles selon un schéma différencié tenant compte de la situation sociale. »
Risque de pathologies.
« Refoulement des impulsions spontanées, maîtrise des émotions, élargissement de l’espace mental → c’est-à-dire l’habitude de songer aux causes passées et aux conséquences futures de ses actes »
Diffusion des couches supérieures vers inférieures.
De la contrainte sociale à l’autocontrainte, et sa diffusion.
alors d’une autocontrainte. Ce mécanisme automatique est aveugle est en réalité une habitude
transmise et intégrée dès le plus jeune âge. Le refoulement peut être si important que
l’individu ne parvient plus à « extérioriser sans peur ses émotions transformées ou à satisfaire
directement ses pulsions refoulées ». Il s’expose alors à des « symptômes pathologiques, des
inquiétudes intérieures, des actes compulsionnels etc.18 ».
2. La diffusion de l’autocontrainte
L’autocontrainte se transmet à l’enfant au sein d’un groupe social, ainsi cours des
générations « le caractère social de cet interdit » est oublié. Elle se diffuse également au sein
des classes inférieures par mimétisme. L’interdépendance fonctionnelle tend à diminuer les
contrastes entre groupes tandis que les nouvelles structures sociales poussent à un
comportement « civilisé » pour acquérir « une puissance sociale ». Face à ce phénomène la
classe supérieure et « initiatrice » « pratique une répression plus sévère des émotions et une
codification plus précise de ces comportements.19 »
3. La curialisation des guerriers
La curialisation des guerriers consiste au « Remplacement progressif d’une noblesse de
guerriers par une noblesse « domestiquée », habituée à refouler ses émotions, par une
noblesse de cour »20. Les guerriers libres, perdent leur fonction du fait de la monopolisation de
la force, et deviennent progressivement des courtisans dépendants militairement et
économiquement du roi. La noblesse se résout à cette « reconversion » par besoin d’argent.
Toute activité économique (ouverture d’un commerce, etc.) aurait entrainé la perte de leur
titre tandis que la vie à la cour leur permettait de préserver le prestige de leur rang. En
changeant d’environnement social, les individus vont devoir faire face à une « pression
considérable et constante ». En effet, la peur de perdre son rang21 nécessite et va être le moteur
18 Ibid., p. 199.19 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 215.20 Ibid., p. 221.21 En accueillant les nobles à la cour le roi maintient une séparation avec les bourgeois, et instaure une relative dépendance en comparaison de celle subit individuellement par chaque noble vis-à-vis du roi.
d’un « autocontrôle plus permanent, un Surmoi plus élaboré »22.
4. Le refoulement des passions et la rationalisation
La Cour peut se définir comme « un vaste espace humain à peu près à l’abri de la violence
physique »23. Toutefois y règne une autre sorte de violence, sociale cette fois : la concurrence.
Elle implique « la réflexion, la prévision à long terme, la maîtrise de soi, la régulation
rigoureuse de son émotivité, la connaissance du cœur humain et du champ social »24. Cette
compétition reste cependant cantonnée à la cour, elle n’influencera, dans un premier temps,
que les comportements de cette sphère. Mais cette autocontrainte répond à un raisonnement
rationnel25 à savoir la répression des pulsions pour échapper au déplaisir qui suit leur
satisfaction. D’ailleurs « les nouvelles structures de la société pénalisent ceux qui se laissent
aller à des réactions passionnelles, à des actes irréfléchis, et les menacent de destruction.26 »
Les bouleversements sociaux ont donc transformé, rationalisé « l’habitus » de l’homme ; sa
conscience est modifiée et ses pulsions sont « manipulées ».
5. La pudeur et la gêne
La pudeur est ici utilisée dans le sens de « l’économie pulsionnelle », il s’agit en réalité
d’une peur intériorisée. Cette crainte concerne « la transgression des interdits sociaux »
pouvant mener à une perte de prestige, de son statut social. Ce mécanisme va de pair avec
l’augmentation des relations humaines nécessitant une maîtrise de soi. Finalement le
monopole de la violence à réduit la peur externe (réglementation et pacification des relations)
mais les peurs internent de cessent de croître.
6. La civilisation et la mobilité sociale
La civilisation initiée à la cour27, et perçue comme un modèle, s’est transmise par
mimétisme (classe inférieures, colonisation etc.). Le savoir vivre toujours plus distingué des
aristocrates s’est largement « vulgarisé ».
22 Ibid., p. 232.23 Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, p. 235-236. Les duels y étaient interdits.24 Ibid., p. 236.25 La rationalité de cour à influencé la rationalité des lumières.26 Ibid., p. 248.27 Les aristocrates sont réunis autour du roi pour faire « contre poids » à la classe bourgeoise, se qui alimente leur soucis de distinction d’autant plus qu’ils ont le temps de développer et raffiner leurs comportements.
Curialisation des guerriers :les chevaliers libres deviennent des courtisans domestiqués.
La monopolisation de la force fait disparaître la fonction guerrière des aristocrates.
Besoin d’argent et volonté de préserver leur prestige social.
Transformations sociales
Forte dépendance des nobles vis-à-vis du roi et concurrence importante entre eux →peur de la perte de son honneur, prestige →refoulement des pulsions, maîtrise de soit.
Mise en place des mécanismes d’autocontrainte = répulsion automatique et aveugle des pulsions.
Les nobles sont regroupés à la cour par le roi pour faire contre poids aux bourgeois →alimente la volonté des aristocrates de raffiner leur comportement et maintenir leurs distinctions sociales.
Comportements raffinés
« Civilisation » perçue comme modèle par les classes sociales inférieures et imitées.
Transformations psychiques
II. Critiques.
A. L’ouvrage.
1. Réception de l’ouvrage, de l’œuvre.
Über den Prozeß der Zivilisation est le premier ouvrage de Norbert ELIAS, paru en 1939.
Le contexte tourmenté retarda la réception et la diffusion de la théorie. Sa traduction française
comprenant deux tomes, La civilisation des mœurs et La dynamique de l’Occident, ne parus
qu’en 1974 et 1975. Mais l’œuvre, en général a été popularisée à des « rythmes très différents
selon les pays et les disciplines. Tout n’est d’ailleurs pas encore publié à ce jour.28 » Cet
échelonnement tient également au fait que l’auteur, qualifié de sociologue, mélange plusieurs
sciences, tel l’histoire, la psychologie, ou encore l’anthropologie. Ainsi l’œuvre a suscité un
intérêt différent dans chaque discipline à des époques variées.
2. Place de l’ouvrage dans le courant sociologique, dans l’œuvre de l’auteur.
Norbert ELIAS, est souvent qualifié d’auteur à « contre courant ». En effet, il est
difficile de le situer au sein de la discipline. Il s’inscrit dans la branche de la sociologie
historique mais dépasse la séparation entre individu et société. Il n’appartient ni au holiste, ni
à l’individualisme méthodologique. Pour ELIAS les individus forment la société à travers
leurs interdépendances (l’accroissement de leurs interdépendances est à l’origine de normes
sociales), et inversement, la société affecte les individus (ce sont des changements sociaux qui
28 http://socio-logos.revues.org/document30.html, consulté le 24 mars 2009.
sont à l’origine de la mise en place d’autocontraintes).
ELIAS a été nettement influencé par Max WEBER et sa théorie de la monopolisation
de la violence légitime par l’Etat, à laquelle il ajoute la monopolisation fiscale. Il se rapproche
de Sigmund FREUD par le mécanisme d’intégration progressive des contraintes sociales en
autocontraintes, qui tend à rappeler l’idée de « Surmoi » développée par le psychanalyste. On
peut également voir une parenté avec Karl MARX, non pas au sujet de sa philosophie de
l’histoire car ELIAS se défend de toute prophétie, mais davantage au sujet du déterminisme.
Le concept d’habitus incarne les paroles du théoricien affirmant que « ce n’est pas la
conscience des hommes qui définit leur être, c’est inversement leur être social qui définit leur
conscience »29.
B. La forme.
Les méthodes utilisées par Norbert ELIAS sont relativement novatrices. Elles ont
cependant souffert, soit de l’appropriation et de la popularisation par ses successeurs - comme
le concept d’habitus qui va être largement repris par Pierre BOURDIEU- soit d’une remise en
cause quand à leur pertinence – c’est le cas de la notion de configuration. Une configuration
correspond aux interdépendances spécifiques formées entre individus et dans lesquelles
s’expriment généralement des relations de pouvoirs et donc de dépendances. Ces relations
sont changeantes et permettent à l’auteur d’en étudier les mouvements.
Car, pour Norbert ELIAS, l’émergence et le développement de l’Etat moderne doivent être
étudiés « comme des processus sociaux de longue durée »30. L’étude serait « dénaturer » ou
vidée de substance si elle s’ancrait dans le présent seul, et ne faisait écho qu’à une catégorie
de pensée. L’auteur s’oppose à l’évolution des sciences humaines au XX° en prônant le
décloisonnement disciplinaire et l’analyse sur le temps long.
C. Le fond.
Si l’œuvre de Norbert ELIAS mis du temps à se diffusée elle fut largement critiquée dès
sa réception. Les historiens lui on tout d’abord rappelé ses « insuffisances documentaires »31
mais cette remarque ne remet toutefois pas en cause sa théorie. Des critiques plus virulentes
portent sur « le processus de civilisation ». Hans Peter DUERR, un anthropologue allemand
va l’attaqué sur son « évolutionnisme européocentrique »32, notamment à propos de son
développement sur la pudeur en démontrant que l’on retrouve certaines règles morales dans
des sociétés extra-européennes ou antérieures à la Renaissance.
29 Karl Marx, « Préface », in Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 18.30 Florence DELMOTTE, Norbert Elias : la civilisation et l’Etat. Enjeux épistémologiques et politiques d’une sociologie historique, éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2007, p. 14.31 http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RHIS_072_0285, consulté le 24 mars 2009.32 Encylopédie universalis en ligne, Processus de civilisation, http://www.universalis-edu.com/article2.php?napp=&nref=NT01575, consulté le 24 mars 2009.
Quand à la critique évolutionniste, qui « […] admet que les changements des systèmes
vivants sont des transformations qui font que ces systèmes procèdent les uns des autres, et
interprète tous les phénomènes biologiques dans cette perspective33 », elle est à relativiser. Il
est vrai qu’ELIAS ne voit pas en l’Etat moderne « la forme achevée de l’organisation
politique des hommes »34, c’est bien plus un « moment ». D’ailleurs il envisage une poursuite
du regroupement des collectivités humaines. Il transpose, les luttes entre chevaliers libres, aux
Etats, dont la concurrence pour le monopole de la force (du pouvoir) conduirait à la création
d’entités supranationales, telles l’Union européenne. Cependant l’Etat, entité relativement
stabilisée, a initié la création d’une identité collective, un « nous », qui s’incarne avec la
Nation.
Mais, en proposant cette analyse, ne recrée –t’on pas une physique sociale, à savoir un
mécanisme qui oriente l’homme dans une direction déterminée ?
ELIAS prend, toutefois, soin d’adopter une approche comparative des différents systèmes
européens. Ainsi il en retire des convergences mais ne manque pas de souligner les points de
divergence.
Cette idée d’évolution orientée fait l’objet de la critique la plus récurrente quand au
« processus de civilisation ». En effet, si les hommes vont dans le sens d’une pacification de
leurs relations par l’augmentation croissante de leurs interdépendances, comment expliquer
l’holocauste ?
Tout d’abord, ELIAS n’a jamais parlé de dynamique linéaire ; « ce serait se méprendre sur la
théorie […] que de voir en elle un modèle de progrès, sans parler d’inévitable progrès.35 » En
1939, il écrit dans Über den Prozeß der Zivilisation que « l’armure des conduites civilisées
pourrait s’effondrer très rapidement si, à la suite d’un changement dans la société, le degré
d’insécurité qui prévalait auparavant s’interrompait encore, et si le danger redevenait aussi
incalculable que naguère. Les peurs correspondantes feraient reculer les limites qui leur sont
actuellement imparties »36. Ce qui revient à dire que les comportements civilisés se
développent sur un temps long et dans un univers sécurisé mais « peuvent être détruites
rapidement» si ce dernier vient à être remis en cause. Or dans le contexte de crise sociale, des
années 29-33, le monopole de la violence légitime théoriquement attribué à la République de
Weimar n’était-il pas en péril37 ?
Selon ses méthodes, en se replaçant sur une échelle de temps plus longue, on remarque
d’ailleurs que les tendances civilisatrices se sont accrues, malgré cet événement. Toutefois,
ELIAS va être atteint par ces nombreuses critiques. C’est pourquoi, dans son ouvrage Etudes
33 Définition de l’évolutionnisme selon l’encyclopédie universalis, http://www.universalis-edu.com/article2.php?napp=24018&nref=NT02142 consulté le 26 mars 2009.34 Ibid., p. 14.35 Ouvrage sous la direction d’Alain GARRIGOU et Bernard LACROIX, Norbert Elias. La politique et l’histoire, La Découverte, Paris, 1997, p. 216.36 Norbert ELIAS, The Civilizing Process (1939), vol.1, The History of Manners, Blackwell, Oxford, 1978, p. 201, in Ouvrage sous la direction d’Alain GARRIGOU et Bernard LACROIX, Norbert Elias. La politique et l’histoire, La Découverte, Paris, 1997, p. 217.37 A cette période cinq partis, tous titulaires de leur propre force (parfois supérieure à celle de l’armée), se disputaient le pouvoir, et l’instabilité gouvernementale était une réalité.
sur les Allemands38, l’auteur revient sur la Shoah sans renier le processus mais en lui inférant
cette fois une dynamique inverse ; une « décivilisation ». Ce mouvement parallèle serait
semble-t-il continu mais ne serait visible que lorsqu’il prend le dessus sur le premier.
Finalement, Norbert ELIAS, à travers cet ouvrage, nous fournit une sociogenèse de
l’Etat pertinente, mais il a également, quelque soit les critiques, cherché à remplir sa
« mission » de sociologue ; c’est-à-dire mettre en lumière les autocontraintes des hommes
pour leur permettre de « mieux agir », en ayant connaissance « des interdépendances et de la
temporalité dans lesquelles s’inscrivent leurs actes, leurs pensées, leurs vies même. »39
BIBLIOGRAPHIE
Livres :
_Norbert ELIAS, La dynamique de l’Occident, Agora, coll. Pocket, Paris, 1990, 320 p.
_Ouvrage sous la direction d’Alain GARRIGOU et Bernard LACROIX, Norbert Elias. La
politique et l’histoire, La Découverte, Paris, 1997
_Florence DELMOTTE, Norbert Elias : la civilisation et l’Etat. Enjeux épistémologiques et
politiques d’une sociologie historique, éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2007,
235 p.
_Marc MONTOUSSE et Gilles RENOUARD, 100 fiches pour comprendre la sociologie, 3°
édition, Bréal, pp. 80-81,
Sites internet :
_ http://scpo.univ-paris1.fr/fichiers/dynamique%20occident%20expose.pdf , consulté le 24
mars 2009.
_encyclopédie universalis en ligne
_ http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RHIS_072_0285, consulté le 24 mars
2009.
_ http://socio-logos.revues.org/document30.html, consulté le 24 mars 2009.
Et, _cours de « sociologie historique de l’Etat » de licence 2, science politique, de l’université Lyon II.
38 Studien über die Deutschen. Machtkämpfe und Habitusentwicklung im 19. und 20. Jahrhundert a été publié en 1989.39 Florence DELMOTTE, Norbert Elias : la civilisation et l’Etat. Enjeux épistémologiques et politiques d’une sociologie historique, éditions de l’université de Bruxelles, Bruxelles, 2007, p. 13.
TABLE DES ANNEXES
_Schéma : « La sociogenèse de l’Etat », p. 16.
_Schéma : « le monopole fiscal », p. 17.
« Initiative privée » = conquêtes militaires ou arrangements matrimoniaux pour l’accumulation de terres
Diminution du nombre de maisons guerrières
Luttes dans un « système à chances ouvertes »
Suprématie d’une maison (Les Capétiens pour la France du XIV° siècle)
« Augmentation de la population, difficultés d’expansions extérieures, consolidation de la propriété terrienne » →renforcement de la compétition pour le sol à l’intérieur :
XIV-XV° : Phase des apanages →émiettement du territoire, autonomisation de certaines régions.
Règne de Louis XI (1461-1483) : création d’un monopole de domination.
Règne de François Ier ; la compétition (« concurrence libre »), qui reste une initiative privée, est déplacée à l’échelle européenne.
Luttes contre les forces centrifuges grâce à son habileté, ses domaines etc.
Guerre de Cent ans : élimine le roi d’Angleterre en tant qu’adversaire
XV-XVI° siècle : division croissante des fonctions sociales et augmentation des interdépendances.
« Concurrence économique » obéissant à des règles pacifiées.
La monnaie se substitue à la terre, troc →argent
Division du travail
Suprématie d’une maison (Les Capétiens pour la France du XIV° siècle)
La sociogenèse de l’Etat.
Parallèlement :
Phase de concurrence libre
Période féodal :Chaque seigneur exploite ses terres (par le biais de ses sujets). Il est le vassal du seigneur central, à qui il met à disposition des moyens militaire, mais garde ses butins de guerre.Les taxes sont exceptionnelles. Les bourgeois transforment
leur contribution militaire en contribution financière
Cette taxe s’institutionnalise, notamment avec la guerre de Cent ans.
Avec la Révolution le consentement à l’imposition apparaît.
Le monopole fiscal :
« Les impôts sont comme toutes les autres institutions, le produit des interdépendances sociales » et le reflet des rapports de forces qui règnent au sein d’une société. La capacité du roi à mettre en place un impôt dépend de sa puissance.
Toutefois le paiement ne s’effectue que sous la contrainte (directe ou indirecte).
Renforcement du pouvoir central et création de la fonction pour collecter l’impôt.
La puissance sociale du roi se renforce, l’institution fiscale devient permanente, le roi proclame ou augmente les taxes par simple déclaration publique, l’armée et les finances se renforcent.
Processus de bureaucratisation ; un « instrument de gouvernement », centre régulateur et organisé, se met en place.