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A TES PIEDS!

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JULES LERMÏNA

A. TES PIEDS!

PARÏ8

ERNEST XOLB, ÊBITEUR

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Tou <tMtts t~Mrr~(C)

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Bj~OÏTS R~BNRV~S

MÉMO POUR M 80&BR ET ttORVÈOR

Pew la MpMdneMen,s'adresser & ht Noe~~ derCeM de ZettfM, 4T, rae deta ChMSSea-d'Aattn.

Pearia~ra~eUen,6'adrMMr à t'Agent ~nertJtde*~tMef<)M<MtMMre<feFa~MMMeaa~, n FanboargNoat-

martre.

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A TES PIEDS!

Moa ami ~t~pe <MZtJ~.

1

Je crois, en vérité, que j'ai trouvé juste-ment ce que je cherchais. En ce désespoirprofond où tout mon être s'estabïmé–commeces roches qui s'effondrent sous la tempêteet disparaissent dans un gouSre je me

suis senti dédaigneux du suicide, éprouvantau contraire une âpre appétence du chagrin

ïong, introublô. J'ai voulu que, sur mon&ont; tombât, dans la solitude, la perpé-tuéne~goutte d'eau du souvenir. Ennn j'ai

désiré m'abstraire de toute impression exté-<. <

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rieure pour me livrer, sans trouble, à la poi-gnante étreinte des regrets.

J'avais déjà, en mes longuescourses & tra-vers la campagne, remarqué cette propriétéabandonnée, toute close do murs au-dessusdesquels bruissait uno immense broussaille,cherchant à s'évader par le faite des pierres.Je ne sais comment t'ideo m'était venue decomparer cela à une vaste tombe où seraitenfoui le corps d'un géant. La maison petiteavait, en sa façade naguère blanche, des sil-lons noirâtres qui ressemblaient à des larmesde suie. Oui, en réalité, cotte maison semblaitavoir pleuré.

J'avais tenté de jeter mes regards dâns lejardin mais je m'étais meurtri les poignetssans pouvoir m'élever jusqu'à la crête dumur. J'y avais d'ailleursbientôt renoncé, meplaisant maintenant à ne rien savoir. Seule-ment, je voulais que cette maison m'appar-tint. Je voulais m'enfermer dans cette en-ceinte infranchissable, me plonger vivantdans cet inconnu sépulcral.

Essayant de déchiffrer un vieil écriteau debois, cloué à l'angle de la porte, j'avais dis-cerné les premières lettres du nom d'un no-

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taire. J'allai chex lui, dans la petite ville qui~voisinaitcotte solitude.

H me reçut poliment et m'écouta.Mais quand je lui ns part de mon intention

d'acquérirla maison que je lui décrivais, ilfronça les sourcils. Il no savait pas s'il seraitpossible do satisfaire mon désir. Cette mai-son était abandonnée depuis plus de vingtans. Le propriétaire d'autrefois, qui était unartiste, était parti en voyage, un jour, avecsa femme, sans qu'on les eût jamais revus nil'un ni l'autre.

Comme j'insistais, il ajouta qu'un frère dudisparu était venu, il y avait longtemps déjà,reprendre les titres de propriété en vued'une instance judiciaire. C'était tout. Je lepriai de faire des recherches, me déclarantprêt à accepter toutes les conditions qui meseraient imposées.

Je sortis de l'étude, mortifié, fiévreux.Maintenant grandissait ma volonté d'acquérircette maison à tout prix. Je retournai dansle pays pour me livrer moi-môme à une en-quête. D'abord on me regarda de mauvaisœil. Auprès des paysans, cette maison avait

un renom de malédiction; les passionnésde

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la terre halisaent ceux qui l'abandonnent. Cemorceau do sol délaisse leur faisait pitié,comme un cadavre sans sépulture.

Je m'obstinai: et pou à peu l'espoirde res-susciter ce lambeau mort me concilia quoi-que sympathie je pus enfin trouver uneorientation qui, lentement, mais par deschemins sûrs, me conduisit jusqu'à un chefde division, dans une compagnie financière,propre frère de l'ancien propriétaire, qui me

reçut, lui, avec le plus gracieux sourire.J'arrivais & propos: justement quelques

jours auparavant, il avait obtenu du tribunalla déclaration d'absence qui permettait laliquidation desbiens de son frère, sous lèsré-serves que la loi édicte. Restait à nous en-tendre sur le prix, ce qui fut aisé.

Monsieur,medit cet homme,je donneraiordre àunjardinier demettrelejardin en état.

Gardez-vousen bien m'écriai-je. J'en-tends que personne n'y entre, que nul netouche à une brindille de ces herbes qui dèsmaintenant m'appartiennent.

L'homme me regarda avec stupeur. Cebourgeois propre me prit pour un aliénémais mon argent raisonnait pour moi.

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M ne me restera, ajouta't-il, qu'à faireenleverle mobilier.

Il y a un mobilier Je le prends. votreprix?

–Jedois, en bonne conscience, vous pré-venir que depuis vingt ans, les quelquesmeubles qui se trouvent dans la maison sontévidemment dans un épouvantable ë!at dedélabrement.

–Qu'impose si je les paie comme neufs,à la condition, expresse que les clés me se-ront remises à moi et à moi seul et que per-sonne ne se permettra de pénétrer ni dansle jardin ni dans la maison ?2

!i y eut une velléité de résistance donttriomphèrentmes argumentssonnants. Je visbien sur le visage de mon interlocuteur unesorte d'appréhensionvague. Il se demandaitsi, d'aventure, je ne savais pas qu'il existâtdans la maison quelque trésor caché. Maisj'étaisun acheteur peu ordinaireet mon ca-priced'aujourd'huipouvaitêtrepassédemain.L'affaire fut conclue aux conditions formellesque je dictai et deux jours après j'étais pro-priétaire, aux termes de la loi, de la maisondite des Acacias, sur les bords de l'Oise.

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Il

Le sentiment qui me possédait alors pro-cédait à la fois de la curiositéet de Fégoïsmo.

De la curiosité qui commence au premier« pourquoi ? » de l'enfant et adoucit encorel'heure de la mort, par le désir intense desavoir ce qu'il y a derrière le mur terminalde la vie.

Bel'égoïsmedo~t une des nombreuses sub.divisions est le monisme, la passion de lachose unique appartenant à soi seul, passiondes collectionneurs et aussi des ascension-nistes qui révent de poser le pied là où nulêtre humain ne s'est encore élevé, le mo-nisme de l'amour qui a créé le mariage etl'attrait de la premièrenuit.

Et moi aussi, je voulais posséder seul le

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mystèrepressentien cette maison singulière,je routais, le premier le seul!– entrerdans ce jardin où depuis vingt annéesnul pas n'avait retenti, en ces chambres oùpas un souffle humain ne s'était exhalédepuisvingt ans.

J'avais exigé que tes clefs fussent remisesen l'étude du notaire et que, de là, je fusselibre d'aller– ou de ne point aUer– selonma fantaisie de l'heure, a~ la maison qui étaitbien mienne. Lestitres, les jugementsétaienten règle, l'argentavait été versé en écus son-nants et ayant cours.

Je saluai-le notaire et mon vendeur qui nem'estimaient qu'enraison des renseignementsrecueillis chez mon banquier, mais quis'ils eussent été mes parents auraientsongé à me faire interdire, prêts à arguer duprix excessifauquel ils avaient taxé ma fan-taisie.

Il était tard. Encore deux heures et la nuitviendrait. Je calculai que c'était le temps àpeu près nécessaire pour que j'arrivassechez moi. Chez moi! Ce vocable me procu-rait un frisson de satisfaction. Vieillard parle cœur, je suis resté enfantpar la tête.

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Enfant à ce point que je tenais à entrer denuit dans la maison sinistre et que je memunisd'une lanterne etde quelqueshougies,désirant ne m'envelopper point de trop delumièrepourexagérer encore l'eNet nocturnequ'il me plaisait de faire subir a mes nerfstendus. Je prêterais à rire si j'avouais quej'avais constate avec plaisir, sur l'almanach,l'absence de lune ce soir-là. Je ne re-cherchais pas un aspect romantique, maisl'obscurité complète, franche, mate. L'in-connu doit être noir. On ne se sent bien op-primé que par la nuit lourde. Je partis àpied, sans hâte, sûr maintenant d'arriver àmon but, savourant d'avance la sensationcherchée, songeant à ces deux êtres dont jeme rappelais à peine le nom et qui, un jour,s'étaient évadés du monde comme d'une pri-son, qui, peut-être, à cette heure môme,vivaientquelque part, bien loin, heureux de

se savoir oubliés et oublieux eux-mêmesdesindinérents.

Alorsme revenaiten mémoire ce singulierconte d'Hawthomeje crois, dans lequelun mari sort un jour de chez lui, tête nue,en voisin, et ne reparait qu'au bout de vingt

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ans, ayant passé ces lentes années, cachésous un deguïaoment, dans une ras voisinede coMe qu'il habitait,

Qui sait s'iïs ne reviendraient pas, euxaussi i

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!!t

Me voilà arrivé. Ne nous hâtons pas. Atravers la nuit silencieuse, j'entendsle frois-sement des feuilles et des branches. On di-rait un déferlement de vagues douces. Noussommes à la nn de juin la température a lé-gèrement fraîchi. Le ciel est gris. Nulleclarté d'étoiles.

Je veux d'abord faire le tour des murspourêtre bien assuré que nulle curiosité n'a de-vancé la mienne. Au dire de mon vendeur,on n'est entré dans la maison qu'un an aprèsle départ de ses habitants, pour s'assurerqu'aucun accident n'était arrivé. Ils n'étaientplus là. C'était tout. On avait refermé lesportes.

Mes yeux, s'habituantà l'obscurité, ne re-

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marquentrien d'anormal Je viens à la porte,pleine, en bois. J'allume ma lanterne et jedirige le rayon sur la serrure. Le trou estobstruépar des toiles d'araignée. Il est évi-dent que personne n'y a touché. Il est mômesurprenant que, sous cetterouille, la ferrailleait résisté aussi longtemps. J'ai apporté unpetit flacon d'huile et j'oins largement laclef. Elle a peine a entrer; mais l'huileaidant, peu à peu je sens l'engrenage du res-sort. II faut de la patience. J'en ai. Cepen-dant mon cœur bat violemment. Je ne saisquelle pensée de sacrilège traverse ma cer-velle.

Si quelqu'un me voyait, si on distinguaitla silhouette grise de cette homme qui, dansla nuit, accoté contre une porte, s'efforce derouvrir Oui, en vérité, j'ai l'air d'un vo-leur et j'en suis un de fait. Car je viensvoler un mystère. J'ai acheté la maison, c'estvrai mais quelques écus ont-ils payé l'ines-timable, cette sensation énigmatique quiserre ma poitrine et ma gorge ? Ces gens-làn'ont pas compris ce qu'ils vendaient, sansquoi ils m'eussent ruiné

Crac! 'le pène a joué d'un tour, puis de

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deux. La porte ne cède pas tout de suite. Jepose de toute la lourdeur de mon épaule. ilsemble qu'elle soit incrustée dans son cadrede pierre. Est-ceque je ne pourrais pas en-trer, par hasard? Ce serait trop fortt La mai*

son est à moi Je sens une colère froide memonterau cerveau. Est-ce qu'il y aurait là,derrière, quelqu'un qui résiste?

Flan! 1 voilà avec un déchirement,le pan-neau s'est déplacé. Il y a eu section, arrache-ment des lierres, des houblons, des vignesqui s'étaient àccrochés là, victorieux et pla-cides.

J'ai reculé. La tension de mes nerfs estdouloureuse. Cependant il faut en finirSuis-je donc décidément peureux commel'enfant qui a encore aux oreilles les contesde sa nourrice ? Aurais-je peur la nuit dansma chambre ? Ou bien, le jour, frissonne-rais-je en pleine forêt? Alors pourquoi cettejuxtaposition de la nuit et de la broussailleme cause-t-elle cette oppression pénible ? Jereviensà la porteet je pèse encore. La résis-tance mollit. Elle a un caractère d'élasticitéqui me prouve, derrière, la présence debranchesfaisant levier.

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~~<M~<WM-'M !~M.t-J. M-MMM~M~Mt

J'approche la lanterne et je regarde. Je nevois qu'un trou verd&tre. !i s'est forme làcommeune barrière, des sureaux ont pousséau hasard en pleine terre. Qu'est-ceque dessureaux ont d'effrayant Machinalement jetends l'oreille, comme s'il était possible quej'entendissequelque chose. Maison et jardinne sont-ils pas vides depuis vingt ans ?

Je pose ma lanterne à l'intérieur et je meglisse. J'ai refermé la porte avec un geste defureur triomphante. Je suis chez moi et je

suis seul! Comme je me parais à moi-mêmegrossièrementniais Mon imaginationagran-dit démesurémentles moindres faits. Suis-jele premier qui soit entré ainsi, la nuit, dans

une maison inhabitée? Celle-ci particuliè-rement est-elle différente de toutes lesautres ? Eh bien il a poussé là beaucoup deplantes, sansculture. Je voudrais bien savoir

en quoi cela peut étonner. La nature n'estpas plus étrange ici qu'ailleurs.J'ai fait cettegaminerie de venir dans l'obscurité et voici

que j'ai la fièvre. En tout ceci, il n'y a quemoi qui sois hors de la norme. J'écarte lesbranches qui me fouettent le visage, j'arriveà un espace àpeu près libre, c'est-à-dire que

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l'herbe ne m'y vient qu'à mi-corps. Autourde moi, s'entrelace une végétation folle quedomine, à quelque distance, un grouped'arbres, très hauts.

Devant moi, à gauche, la maison. A uneforme vague de branchagesemmêlés commeune chevelure sauvage, je devine un perronet je vais de ce côté, les jambes accrochéespar l'herbe. On dirait que je marche àtravers une flaque d'eau et je dois lancerles bras en avant pour fendre le flot de ver-dure.

Mon pied heurte une pierre, une marched'escalier. Je monte, souffleté par des tiges8nes comme des fouets. Sous mes pieds, unemollesse de matelas. Les marches ont dis-paru sous un humus. Ah! la porte!1 ·

Les volets des fenêtres sont hermétique-ment fermés. La porte est restée solideentre ses chambranles. Donc, pas plus quedans le jardin, nul n'a pénétré dans la mai-son. J'ai quelque peine & découvrir le troude la serrure, tant les lianes nattées forment

un épais treillis. Jy parviens, le ressort jouefacilement, j'ouvre.

Une odeur, âcre & force de fadeur, me sai-

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sit aux narines. Quelque chose court surmon visage,' une araignée sans doute dontj'ai déchire la toi!e. Je ne vais pas M'arrêterà ces détails prévus Entrons.

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IV

La maison ma maison se compose.Il e~t singulier que j'aie tant de peine à

dire ma maison. Car en8n elle est à moi, ellem'appartient autant que la loi permet à uncitoyen d'être maitre de sa chose, M(: etabuti. Et pourtant. il me semble que je nesuis qu'un intrus, le locataire de l'autre, decelui que je ne connais pas et qui est parti simystérieusement,il y a vingt ans. Je ne suispas chez moi, mais chez lui. Chaque pas meparait une usurpation et je me prends à es-quisser un salutd'excuse,lorsque j'ouvre uneporte, comme si j'allais le trouver là, étonnéde l'entréed'un visiteur importun.

Il est vrai que tout contribue ici & entre-tenir cette illusion.

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La maison, dis-je, se compose de deuxétages, un rez-de-chausaôe, élevé sur cavesasse~ spacieuses, et un premier.

En entrant, un vestibuleau fond duquel sedéroule ïa spirale d'un escalier conduisant ~upalier supérieur. A droite du vestibule, unegrande pièce, la salle a manger. Je reconnaisla destination de chaque pièce, puisque j'aiacheté de confiance tout ce qui garnit lamaison.

Rien ne saurait rendre la sensationd'ecoeu-rement et en même temps d'enroi religieuxqui m'a saisi, alors qu'a la lueur de ma lan-terne et de deux bougies j'ai regardé ce quim'entourait et je me suis senti étourdi parcette odeur titillante qui s'exhale des chosesmoisies.

Au milieu, la table disparaissait sous delarges plaquesverdâtres,teintéescommeunefeuille de métal émaHIé qui aurait passé dans

un incendie et dont les tons auraient été ron-gés. Il y avait là toute une végétation mi-croscopique. On devinait la vie sous cetteimmobilité apparente. Les chaises à dossiercanné étaientla trame d'une dentelleépaisse,aux fils mille fois repliés d'où loquetaient des

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grumeaux de poussière laineuse.Aufond, unbuffet dont les myonadisparaissaient sous unNoconnementgris,au milieuduquelpassaientdes fibrilles verdatros et oit co~a~ parfoisun frôlement rapide de choses ïnvisïMea etvivantes.

Les murs avaient ~ne teinte bizarro, pro"duite par la sueurdu nitre aux jours de l'hu-miditéhivernale;ungrisaillementde channesvineuses poudrait le papier dont la couleurétait indevinable, tandis que des fenêtrestraînaient des lambeaux déchiquetés, restesde rideaux que la vétusté avait mangés.

Et sur tout cela, enveloppante, presqueenivrante, l'odeur uidoreuse qu'on retrouvedans les ruines d'un incendie.

A peine osais-je respirer, en ce laboratoirede poisons. J'appréhendais que le moindremouvement, agitant l'air, éveillât le tourbil-lonnementvénéneux de cette poussière im-palpable et vivante, semence qui trouveraiten mes bronches, en mes poumons, un ter-rain fécondant.Et par toute lamaison, j'allais,retenant mon souSte, & pas lents ainsi qu'enun cimetière.

Partout cette odeur de remugle, partout

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cette germination des choses, prouvant quece qui semble inorganique n'est qu'immobileet qu'en tout il y a de la vie condensée.

En face de la salle &manger,de l'autrecotedu vestibule, un petit salon,une bibliothèquede poirier noirci,garnie de vitres,dont les sa.lissures laissaientapercevoirdesobjets enve-loppés d'une gaine livide et qui étaient deslivres. Tout un cosmos cryptogamique s'ac-crochait aux saillies, aux creux, mettant desampoules a l'épidémie des fauteuils naguèresoyeux, à ces sièges d'intimité que des radi-cules, ténues comme une chevelure,enser-raient de leurs vrUles.

A la lueur de ma lanterne, les gammes decouleurs glissaient du rouge vif. presqueallumé, au violet zinzolin, pour se perdre endes verts crémeux ou des jaunes briquetés.

L'escalier glissant mettait sous les pieds

une moiteur visqueuse.En haut, deux portes. J'ouvris celle de

gauche. Un~ courantd'air :ngouifra,si vif eten mêmetemps d'un relent si écœurant, queje faillis tomber. Je voulus me retenir à larampe mais là encore la moisissure avaitplaqué sa patine multicolore et je la lâchai

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aubitement,commesl mes doigtsavaientserréun bras cadavérique. J'eus honte de moi, etbrutalement, tenant à bout de bras ma laa.terne toujours allumée, je me lançai à l'inté-rieur.

Une pauvre pièce nue. Des murs blanchisa la chaux, du moins, autant que je pus dis-tinguer sous la couche noirâtre des fonds,encore brunie par les énormes toiles poussié-

reuses et déchiquetéesqui pendaientdu pla-fond comme des hamacs où se seraient ber-cées des araignéesgéantes. Il y eut dans l'airun glissement et une forme fauve s'évada parle toi une chauve-sourissans doute. C'était,à n'en pas douter,'un atelier. L'ancien pro-priétaire était, je le savais, un artiste, unsculpteur, à ce que je compris, reconnais-'santaux murs des modèles, des ébauchesaux formesempâtées par la cendre des pous-sières.

Le vitrage du haut s'était effondré sous lagrêle.Au coin de lapièce, unamasde feuilles,dont les plus récemmentvenuesavaient con-servé la teinte automnale, montait au murcomme une marée toujours plus envahis-sante. Le plancher, mâché par la pluie, était

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crevé et à peineséché par les éclatants soleilsde l'été.

L'autre pièce, la dernière, était la chombreacoucher,amasde poussière,fouillisd'étoNos.Un matelas fendu laissait jaiUir des floconsde laine.

Je refermai la porte et redescendis, ensomme, mécontentde moi-même.L'effet lon-guement prôparô par ma naïveté romantiquene s'était pas produit. Je n'avais pas éprouvéles aSrea énervantes d'une horreur fantas-tique. L'impressionavait été toute physique,rien que du dégoût, presque de la nausée.Après tout, c'était là une maison banale, pied-à-ferre d'un artiste quelconque qui peut-êtremanquait de talent, quelque bon élève del'école, en odeur de médaille auprès desjurys.

La dispositionmêmedecette demeure indi-quait un esprit rangé, presqueméthodiqueil n est point de petit rentier qui n'ait ainsisalle à manger aurez-de-chaussée et chambreà coucher au premier.J'avais évoqué en monimagination tout un monde mystérieux. Jetombais en pleine réalité. et quelle réalitéMes délicatesses d'homme du monde se re-

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voltaienten face de cette malpropreté que jen'avais pas prévue. Car, vous le comprenezbien, j'avais rev6 de vastes chambres,immo-biles, vides, silencieuses, rappelant à la pen-sée les morts blancsdans leurs suaires.

Je croyaispouvoir me dire Voici, sur cetteychaise les deux disparus s'étaient assis, il y a

vingt ans sur cette table est encore le der-nier livre lu sur ce lit, je puis retrouverl'empreinte de deux corps; sur ces tapis,l'empreintede leurs derniers pas. Au lieu decela

Je redescendis au jardin. L'horloge loin-taine sonna deux heures. Je m'enveloppaidans la couverture de voyage que j'avaisapportée, et je me laissai tomber, au hasard,dans les herbes touffues. L'engourdissementme saisit et je m'endormis.

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v

Je fus réveillepar des coups violentsassé-u6s contre la porte du jardin. Je me dressaid'un bond, effaré, n'ayant aucun souvenir dulieu où je me trouvais ni des événements dela nuit. Mais mes yeux rencontrèrent lafaçade de la maison éclairée maintenantparle plein soleil. La lumière éclatante tombaiten nappe large et chaude sur le jardin qui res-plendissait.

Je me rappelai alors que, voulant avoir àmoi seul, tout entière, cette nuit qui mlavaitsi fort déçu, j'avaisdonné ordre à mondomes-tique, Gaspar, de ne venir que le matin, àsept heures.

C'était lui qui cognait si vigoureusementàla porte.

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Encore enveloppé de ma couverture quifaisait manteau, hérissé de brindilles,je de-vais avoir bien singulière taçon, & en jugerpar l'exclamationde surprisepresqueenrayéeque ma vue arrachaà mon serviteur, au mo-ment où j'ouvris la porte.

En face de la sauvagerie folle de cet em-broussaillement dont rien, à l'extérieur, nelui avait donné l'idée,et aussi de mon accou'trement bizarre,il restait interdit,balbutiant

« Oh! monsieur! ?Allons, entre, ns-je brusquement. Je

pense qu'à mon service tu as perdu l'habitudede t'étonner.

En fait, il ne s'étonnait pas. Il protestait.Essentiellement méticuleux, passionnéd'or-dre, habitué d'ailleurs par moi-même à lapropretéla plus minutieuse,il ne comprenaitrien à ce chaos qui contrastait si fort avecmes coutumes ordinaires. Né paysan, il avaitle respectde la terre et la haine des herbesmauvaisesqui repeignentet Fétranglent.Cesplantes en liberté lui apparaissaient commede méchantes fées, dansant sur le sol vaincuune sarabande démoniaque.

Mais ce fut bien autre chose quand, lui

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ayant fait signe de me suivre,marchant lour-dement & travers ces lianes torses qui luisemblaient des reptiles, je l'introduisis dansla maison.

J'étais entré délibérément, ayant secouécette torpeur morbide qui avait évoqué dansmon cerveau d'ineptes visions maintenantdissipées,sous le coup balayantde la lumièreradieuse.

Encore une fois, la lèvre crispée de dégoût,il répéta son « Oh monsieur! » Mais je luidonnai mes ordres avec un calme qui le ras-séréna.

J'exigeais que, se mettant immédiatementà l'œuvre,il procédât au nettoyage des piècesdiverses de la maison, et cela, sans l'aide depersonne, par lui-même et avec d'extrêmesprécautions. Je serais d'ailleurs présent.

J'entendais qu'il ne dérangeât rien de cequi se pouvait trouver sous la couche pois-seuse des mousses et des poussières. N'ayantpas abdiqué toute curiosité, j'espérais bientrouver quelque objet, quelque indice dontl'examen attentif me mettrait sur la trace dumystère de la disparition.

Un point m'était acquis. Les deux époux

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les deux amants, plutôt, car j'avais crucomprendre&cortainesreticencesquel'uniondes disparus n'avait pas été consacrée par laloi avaient quitté la maison avec esprit deretour. Sans quoi, ils n'eussentpas tout aban-donne en cet état qui impliquait une rentréeprochaine. Donc, à premièrevue, ils avaientété victimes d'une catastrophe, "peut-êtremême d'un crime. En cette hypothèse, j'étaisdécidé à me livrer à une enquête oh! pourmoi seul et j'avais la conviction d'entrouverles élémentspremiersdansune étudesoigneuse des objets garnissantla maison.

La positiondes plus menues choses sur unmeuble, à terre,pouvait présenterune impor-tance capitale.

Mons Gaspar, d'abord hésitant,avait finipar°

prendre son parti de mon caprice. Il fallaitbien, selon lui, que j'eusse le carveau détra-qué pour me venir enterrer dans cette sen-tine immonde, quand, à Paris, le luxe et leconfort m'attendaient. Il ne savait pas, il nepouvait pas savoirquej'avais dit mon acte derenoncement.

Il se mit au travail, vigoureusement.L'an-cien campagnard ne redoutait pas les bes-

>'

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tioles devant lesquelles se pâment les cita-dins. !1 avait ouvertles fenêtres à toute volée,et le soleil, impatient de venger son longexil, s'était rué en conquérant,dardanttoutesa vigueur d'été, invasion de rayons, prisede possession lumineuseet assainissante.

S'aidant d'un couteau, Gasparm'avait vive-ment déblayé,devantle perron,une éclaircie,et ayant déterré, sous l'amoncellement,lesplanches d'un vieux banc, les avait étayéessur deux grosses pierres. J'avaismon siège etje restais là baigné dans la cbaleur exquise.tandis qu'obéissant et soigneux, mon servi-teur chassaità coups d'époussettesles parasi-taires désagrégés qui s'épandaienten l'air enpluie Bne qu'irisait et absorbait le soleil. Jel'entendais gronder contre les insectes qu'ilécrasait sur le plancher d'un coup de talon,et je me sentaispris de pitié pour ces incons-cients que ma fantaisie avait surpris dans leurimmobile jouissance.

Gaspar dut sortir. Il lui manquait des usten-siles indispensables. Il me conseilla de re-

tourner à Paris, de le laisser seul. 'Je revien-drais après quelques jours et trouveraistouten état.

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Je m'y refusai énergiquement.J'entendene plus quitter l'enclos. Il irait au cabaret leplusvoisin m'acheter quelques provisions etje m'installerais là, sous le ciel bleuté.

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VI

Le quatrième jour, je le renvoyai à Paris,malgrésa résistance.

Avant mon installationdéRnitive car deplus en plus je me sentais envahi par un en-gourdissement doux, émanant de la maisonet du jardin je voulais rester seul pendantquelque temps.

Il dut obéir.Sous le travail obstiné de Gaspar, le logis

avait pris une physionomie nouvelle. L'effetne manquait pas d'étrangeté.Il semblait que,sur tous les meubles, sur les papiers, sur lestapis, il s'épandit un brouillard blanchâtrequi reculait la perspective. On voyait tout àtravers un voile aux mailles ternes, eBàçant

2.

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les contourssous cettelueur vague qui donne

aux tableaux de Carrière un charme si péné-trant.

En somme, l'œuvre de destruction n'étaitpas aussi complète que je me l'étais imaginétout d'abord. L'occlusion des fenêtres et desvolets avait préserve leschoses de l'action bru.tale des éléments et de la dissolution lenteparl'humidité.Auxboiseries, dos parties s'étaientdécollées, les placages s'étaient pustulés,mettant aux panneaux des difformités répu-gnantes. Comme sous le pic des ouvriers quivontréveiller les cités enfouiespar l'alluviondes siècles, j'avais vu émerger peu à peu, dece linceul tissé par vingt années, des formes,des choses, des témoins des deux vies quiautrefois avaient animé cette solitude. Seule-ment tout avait une apparence spectrale,affaissée, décomposée.Ma penséetriste s'har-monisait & ces meubles cadavres sur lepoint de tomberen poussière. Le parfum fadem'enivrait comme une odeur de tombe, etmaintenant que nul ne troublait mes médita-tions car il est des pudeurs qui retardentles manifestationsdu sentiment–jem'attar-~dais dans chaque pièce, contemplant les

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objets longuement, hypnotisé par le secretqui se cachait en eux et qu'ilsgardaientjalou*sement.

Car il y avait un secret.J'en avais acquis la preuve a mon premier

examen.Il était faux que les gens qui avaienthabité

là fussent partis délibérément pour un longvoyage. Ç'avait été ma première pensée, etcette objection à l'hypothèsedes indifférentsse trouvait confirmée par ce fait que lesarmoires étaient pleines de linge et de vête-ments, que deux couvertures de voyageétaient soigneusement rangées, serrées dansleurs courroies, que sur le bureau de la biblio-thèque se trouvait un trousseau de clefs,et qu'enfin deux de ces clefs petites, s'adap-taient exactement aux serrures de deuxmalles, placées dans la chambre à coucher.

Sur une petite table, auprès du lit, étaientdes Soles de formeset de grandeursdiverses.Qu'avaient-ellesdonc contenu? Lesétiquettesavaient disparu. C'était de ces bouteillesba-nales dans lesquelles les pharmaciens ven-dent, à prix fantaisiste,les potions préparéessur ordonnances. Une seule contenait encore

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quelques gouttes d'un liquide incolore. J'au-rais voulu l'analyser mais l'absenced'instru-ments et de réactifs m'interdisait cette satis-faction.

Quoi qu'il en fut, il était certain que surce lit la maladie avait cloué un être humain.Quelle maladie? Naturelle ? Un détail me ntfrissonner.Dans un verre, gisant sur le tapis,je reconnus le squelette & peine dénnissabled'une branche de buis, et, auprès du verre,était un petit miroirovale.

En une seconde, tout un tableau de mortavait été évoqué devantmoi. Quelqu'un avaitexpiré là, quelqu'un dont ce miroir avaitcherché le dernier souffle, quelqu'un dontces deux bougies, que je n'avais pas remar-quées tout d'abord, uniformément brûlées,avaient éclairé le masque éteint.

Puis, me penchant sur ce lit qui s'enfon-çait à demi en une alcôve, je remarquaisoudain que les draps étaient encore rejetésau pied et je ne sais pourquoi, mais j'eusimmédiatementl'idée qu'ils avaientété arra-chés violemment, comme si, dans un élanbrutal, quelqu'un avait voulu contempler lecadavre. Contempler ? L'enlever plutôt 1

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Une lueur jaillissait. Cette double dispari-tion s'expliquait. 11 y avait eu un mort. ouune morte dans ce lit. L'autre avait fait dis-paraître le corps,puis s'était enfui.Mais alors,il y avait eu crime Les Noies avaient peut-être renfermé du poison 1

Et ce buis a terre, n'avait-ilpas été jeté parl'assassin, honteux ou furieux du sacrilèged'un hommage suprême, rendu machinale-ment à l'être qu'il avait poussé vers la mort ?

La mort. de qui ? Je n'eus pas longtemps& douter. Furetant, je découvris, glissé sousle lit, un bracelet de ceux qu'onappelleporte-bonheur, ô ironie Déjà bien étroit, il avaitdû glisser d'un bras amaigri.

Ainsi, c'était cela Cette maison où j'avaisrêvé d'abriter ma douleur, à moi, c'était lamaison d'un assassin d'un homme qui avaittué sa maitresset

Qu'avait-il fait du cadavre ? Pourquoil'avait-il arraché, à peine refroidi, à ce litsépulcral ?2

Eh parbleu pour que tout disparût, pourdérober sa trace ultime aux recherches soup-çonneuses. Est-ce que les poisons sont tou-jours introuvables ? Est-ce que la justice est

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toujours impuissante ? Cacher te cadavre,quoi do plus facile en ce liou lointain et mys'térieux ? Le criminel n'avait-il pas choisi àdessein cette propriété entourée de murs quidécourageaient l'espionnage ? N'était-ce pasavec une négligence raisonnée qu'il avaitabandonné le jardin à cette invasion qui luifaisait une complice de la poussée univer-selle 1

Oui, il avait enterré la malheureuse quelque

part, ici, dans une fosse creusée de sesmains. puis, épouvanté de son crime, ilavait fui, comptant sur l'incurie, sur l'indif-férence humaine,laissant croire qu'ils étaientpartis ensemble, tandis qu'Elle était restéesous la terre, deux fois tuée, et par lui et parla nature qui l'étouffait.

Je restais stupéfait de cette perversité,m'évertuant à deviner quel épouvantabledrame d'amour ou de jalousie avait eu sondénouement dans cette chambre où depuisvingt ans aucunevoix n'avait répondu au crid'agonie poussé par la victime.

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VII

Cette idée s'était imposée & moi avec la sou-daineté d'un choc électrique. Dans une per-ception intuitive et subite que je n'avais pasmême eu le temps de combattre, j'avais vula morte, j'avais vu le meurtrier. De moncerveau en travail spontané, la vérité avaitjailli, me laissant cette surprise de n'avoirpas plus tôt deviné.

Est-ce que tout n'étaitpas expliqué ? Est-ceque cette histoire de fuite à deux, d'absenceéternisée tenait debout ? Des héritiers seulspouvaienty croire, des alliés intéressés à cequ'un soupçon, infamantpour la famille, nevînt pas troubler leur quiétude.

Moi, calme et froid, sans illusion et défiant

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de l'humanité, instruit par mes souffrances,moiseulavais subi l'attraction de cetinconnu,moi seul avais plongé le regard jusqu'au fondde cet abîme.

D'ailleurs, je n'avais pas achevé monexamen, et certainement,d'autres preuves,aussi indéniables que les premières, vien-draient renforcer ma conviction. `

Longtemps cependant, je restai dans cettechambre, penché sur ce lit d'où je cherchaisà évoquer l'ombre de la morte.

Tout bas je lui parlais, murmurantVeux-tu que je te venge ? parle-moi,

dis-moi ]e crime commistJe tendaisl'oreiUe,espérant surprendre un

de ces souffles qui viennent des régionsinconnues, sur le seuil desquelles nous tré-pidons, invinciblement arrêtés par notreimpuissance.

Je m'astreignis,ce jour-là,à ne pas poussermes recherches plus avant. J'ai toujours agide la sorte. Quand une poignante émotion.douleur ou colère, me poussait à un acte vio-lent, j'ai presquetoujourseu le courage de leremettre au lendemain, laissant à la nuit lesoin de calmer mon exaltation, pour qu'au

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matin, l'esprit net et calme, je fasse en étatde prendre une résolution décisive.

J'avais fait dresserun lit dans le petitsalond'en bas, pièce moins atteinte que les autrespar délabrement vétustal. Et je dormis, mepromettantde reprendre l'.instructiondès lespremières lueurs du jour.

Je n'avais pas encore inspecté soigneuse-ment l'atelier. C'était cet examen que j'avaisréservé pour le lendemain.

Il faisait, ce matin-là, grand soleil. Mais,chose singulière, cette lumière vivifiante nefaisait que rendre plus navrante l'impressionqui s'échappait de la maison funèbre.

Les pasn'éveillaientsur lés planchers,surl'escalier, qu'un écho sourd, comme si on eûtmarché sur du bois enveloppé de linges.Toutes choses étaient à demi muettes,enrouées.

L'atelier surtout présentait un aspect deruine qui poignait le cœur. J'ai dit que lesvitres du plafond avaient été effondrées sousla pluie le cadre tordu pendaitlugubrement.Sur lapartiequi subsistait encore,des feuillesamoncelées mettaient leur teinte salie, d'unnoir jaunâtre.

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Sousmadirection,Gasparavait simplementnettoyé le planchercrevassôenmaintendroit.Le parquet pourri avait cédé sous nos pre-miers pas. Les murs, blanchis à la chaux,avaient peu changé de nuance, sauf quelquestaches étranges qui montraient un centrevert foncé, enveloppé d'un halo dont la cou-leur allait s'attadissant.

Ce n'étaitpas là un de ces ateliersélégantscomme en organisent les délicats locatairesde l'avenue de Villiers.

Point de tentures. Ni portières ni tapisse-ries. A tout dire, un lieu de travail et nonun salon.

Au milieu une selle, & quatre pieds, muniede son plateau tournant sur galets. Dans uncoin, un poêle de fonte, de ceux qu'onfabrique au Familistèrede Guise les tuyauxrongés et disjoints s'étaient écroulés. Dansun angle, des armuturesde fer, plus ou moinstordues, ayant déjà servi. Quelques-unesneuveset reçtes.

Aux murs, des rayons, supportantdes mo-delés, quelques bustes de plâtre aussi, enbas, deux selles à trois pieds destinées aux

esquisses.

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Trois chaises, un canapé, un paravent.A côté de la selle tournante, une large

sébile en bois contenant encore du plâtre àmouler, durci, noirci. Le bloc n'était pasdésagrégé.

Je remarquai sur le plancher de nom'breuses taches de plâtre, les unes, éclabous-sures imperceptibles, les autres larges etécrasées, comme tombées de haut. Deuxseaux, vides d'eau, contenaient au fond unlit de plâtre en grumeaux et aussi des épon-ges dont la surface avait la duretéde la pierre.Je relevai des pinceaux à longs poils,secs etraidis.

Donc, mon prédécesseur était un sculp-teur de plus, exception assez rare, il faisaitses moulages lui-même. En susse-je doutéque j'aurais été raffermi dans ma croyancepar des creux suspendus aux murailles. Il yavait encore là des spatules en cuivre jaune,absolument verdies et dentelées par l'oxyda-tion, ayant servi à touiller le plâtre dans lessébiles.

Ne sachant encore à quel détail je devraism'attacherpour trouver le fil conducteur demon enquête, j'examinaistout avec soin. Les

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plâtresposés sur les consoles ne me fournis..salent aucun indice. C'étaient la Vénus deMédicis, la Diane de Jean Goujon,avec leurscoiffures aplaties et surmontées d'un bijousaillant.

Une seule ébauche elle représentaitunefemme jeune, nue, debout, les mains rame-nées derrière la nuque, les seins pointant. Ily avait,là un sentiment réel de la forme avecune J&délité, un réalisme de modeléqui m'in-téressaient.Là, éclatait plus de vie, plus denature active, qu'en mainte statue achevée.

J'ai omis. de mentionner que sur la façadede l'atelier, du côté du jardin, s'ouvrait unelarge croisée, dont les battants se repliaienten dedans regardant par là, je vis en bas

une très longue et large planche, de six àhuit mètres à ce qu'il me parut-gisantdansles herbes. Je remarquai que, dressée, ellearriverait à la fenêtre et constituerait unesorte de glissoire pour un lourd fardeau.C'était à vôriner,

Je reviens à la selle tournante. Elle étaitsurmontéed'un appareil dont tout d'abord ilme fut impossible de comprendre l'usage,quoique je me torturassel'esprit.Voici une

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longue et forte tige de fer, vissée au plateau

par de forts écrous, se dressait jusqu'à la hau-teur de deux mètresenviron puis, à l'extré.mité supérieure, se pliant a angle droit, étaitÛxô un fort crochet de fer auquel s'adaptaitun moufle ou petite poulie pouvant suppor-ter, autant que j'en pus juger, un poids con-sidérable.

Je retrouvai à terre les débris d'une corde,maintenantpourrie, mais qui avait dû s'atta-cher à cette poulie. Je n'avais jamais rienremarqué de semblable chez les sculpteursdont j'avais pu visiter l'atelier. Mais ce quime frappa plus encore, ce fut de trouver,couché au long d'un des murs, un appareilqui me parut s'être adapté àl'armaturede fer.C'était une planche, assez large, et dont l'ex-trémité inférieure était garnie d'une autrepartie de bois formant angle droit avec lapremière. Au bout supérieur de la plancheverticale, deux anneaux de fer étaient forte-ment vissés, retenus dans une plaque demême métal.

Je m'imaginai que lapoulie avait dû servirà soulever, à dresser cette planche chargéed'un poids lourd.

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La partie inférieure, celle qui faisait angleavec la planche verticale, montraitune largetracede plâtre. Ceci pouvait fournir une ex-plication. L'appareil avait pu supporter unestatue que la poulie avait servi adresser sousl'armature. Mais qu'était devenue la statue?Peut-êtren'y avait-il là qu'un projet qui n'a'vait pas été mis à exécution.

J'ai négligé de noter des chiffons, despainsde terre glaise, gisant ça et là, ainsi qu'uneesquisse au fusain dessinée sur le mur, maispresque effacée par le temps. Je distinguaiavec peine la forme d'une femme debout,dont un seul caractère ressortait, assez sin-gulier. Les pieds étaient appuyés non surleurs plantes, mais sur les pointes, à la façondes danseuses.

C'était tout. En somme, je n'avais rienappris.

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Je m'habituais délicieusement au brouil-lard de tristesse, doucement enivrant, qui sedégageait de tout ce qui m'entourait.

Je passais de longues heures dans la bi-bliothèque, assis près de la fenêtre, laissantcourir indolemment mon regardsur la vaguetoujours agitée des herbesque le vent faisaitbouler, dans un perpétuel remous. Par uneéchappée, à ma droite, je voyais courir l'eauverte de la rivière, et plongé en l'exquisesomnolence qu'apporte la monotoniedes sen-sations répétées, j'éprouvais un tel bien-êtrequej'en venais à comprendre les délicieuxengourdissements de l'éternelle solitude. Ily a dans l'éloignement de tout, dans l'absor-ption en soi-même,dansla répercussion de la

vin

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nature sur le Moi immobile, une jouissancequi touche de bien près à celle du Nirvanahindou.

Quoique je ne fusse renfermé dans maThéb ~de que depuis quelques jours, il mesemblait que des mois des annéesavaient fui depuis le jour où la trahison decelle que j'aimais. je n'en veux pas parler.Les êtres et les choses se reculaient avec larapidité d'une voile emportée par le vent, etles formes se confondaient en une brumevague et profonde, perdue en un horizon dé-mesuré. J'étais enlacé par la toute-puissancede la vie qui végétait autour de moi, et enmoi pénétraient les effluves de cette natureriche, prodigue, dont l'opulence dérégléem'enveloppait, me séparant du monde parune barrière impénétrable.

Je songeais avec orgueil que nul ne savaitoù je m'étais réfugié, que nul ne me décou-vrirait et que jamais, jamais plus je n'enten-drais le mensonge humain.

Et il ne me déplaisait pas que la retraitechoisie par moi fût hantée par le ressouvenird'un mystère que je devinais criminel. Jetrouvais là une raison nouvelle pour dédai-

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gner l'humanité en qui j'avais cru, commetous les cœurs nans <– et qui m'avait si bru-talement arrachéma foi.

Peu àpeu ma curiosité elle-même s'émous~sait. J'avais regretté de perdre l'illusion dumal que je m'étais forgée. Je me complai-sais a vivre avec cette hantise d'une énigmedont évidemmentje ne saurais jamaisle-mot.

J'avais été tenté tout d'abord de retournerchez le frère de l'artiste, chez le lourd et so-lennel bourgeois qui avait traité de la dispa-rition de son consanguin comme d'une af-faire, et qui, sans se soucier de connaître lavérité, avait remis un dossieraux mains d'unavoué. Ou bien encore j'aurais pu, visitantle pays, interrogerles plusanciens habitants,recueillir auprès d'eux d'intéressants rensei-gnementssur le couple disparu. A quoi bon ?Je préférais créer de toutes pièces dans monimaginationun drame de haine et de colère,succédantà une idylle d'amour. Peut-être.comme moi, l'amant avait-il acquis tout àcoup quelque preuve d'une infamieféminine,d'un de ces forfaits intimes, atroces, dont lechâtiment n'appartient pas à la justice hu-maine. Il avait eu, lui le courage de tuer.

n

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Sans doute, accomplissant l'œuvre venge"resse, il avait crié son anathème eplora &

celle qu'il punissait, satis&ction enfantine etqui prouvait en lui la vie tenace et latente del'amour. Moi, en vérité plus &?!, je m'étaistu, et j'étaisparti, laissantau temps et à monrival le mandatd'une expiation plus lente etplus sûre J

-Tuer l'inMèlo, n'est-ce pas lui donner unesuprême joie, alors qu'elle comprend com-bien, plus encore qu'elle-même, on souffreles souffrancesqu'on lui inflige! La femmequ'on assassine vous crie dans un dernierrâle qu'on la regrettera. et elle-dit vrai 1

Moi, l'ayant laisséevivante, je suistranquille,je sais que chaque heure qui s'écoule suré-lève le mur de mépris qui nous sépare, quechaque minute qui tombe est une pierre quialourdit le monceau de dédains sous lequels'envelit le souvenir.

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IX

Gaspar revint. En fait, il était temps, carmes provisions, en dépit de ma sobriété,étaient totalement épuisées.

Il me fallut penser à régler notre vie. Jedis notre car j'étais décidé à garderGasparauprès de moi. On parle de solitudeabsolue, comme si, en notre civilisation, elleétait possible. La Bruyère a dit « Toutnotremalheur vient de ne pouvoir être seuls. »Soit. Mais je n'avais jamais eu la pensée dusuicide, et à peine de mourir d'inanition

il m'était impossible de rompre tout com-merce avec les hommes. Le mieux était den'en connaître plus qu'un seul qui me servîtd'intermédiaire avec le monde extérieur. Le

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dévouementde Gaspar était entier: morose,il ne détestait pas l'isolement.

dé lui proposai donc l'arrangement sui-vant

A la maison, du côté de l'Oise, attenait unpetit bâtiment & usage de jardinier, entouréd'une cour que séparait du jardin un mur,percé d'une porte. H habiterait là, s'enga-geant à ne jamais entrer dans la maison nidans le jardin sans mon appel. De plus, ilétait bienentendu qu'en aucun temps et sous

aucun prétexte il ne laisserait pénétrer unvisiteur, quel qu'il fût. En cas de nécessitéabsolue, je recevrais les importunschez lui.

A ces conditions, je le conserverais & monservice, à gages élevés. II accepta.

Il insistait cependant pour que je jetassedehors le mobilier vermoulu de mes prédé-cesseurs. Je m'y refusai. Je voulais encorepour quelque temps conserver à la maisonson aspect primordial. De la sienne, il pou-vait user à son gré, à la condition cependantque je n'entendisse aucun ouvrier. II s'en-gagea, étant fort habile, à tout réparer parlui-même. Je lui ouvris le crédit nécessaire.

Restait la question du jardin.

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En songeant à le garder en sa sauvageriesylvestre, je m'Étais fait une étrange illu-sion. Dans son état actuel, il était fermô atoute promenade. Je voyais bien une longueallée de marronniers, allant d'une extrémitéà l'autre, j'apercevais aussi une sorte de boisou plutôt de bouquetformé d'arbres de hautefutaie, ormes, trembles, peupliers mais ilétait réellement impossible de hasarder cin-quante pas dans l'inextricable enchevêtre-ment des herbes, sans parler des roncesarborescentes qui déjà, à mes premières ten-tatives, m'avaient déchiré cruellement. Lesplantes sauvages sont féroces elles recon-naissent en l'homme un ennemi et se défen-dent.

Je me décidai à quelque amélioration. Gas-

par tracerait une allée de la maison à lapointe, entre la ligne des marronniers,puisune autre, suivant le périmètre de la pro-priété ainsi je me procurerais un dévelop-pement ambulatoire de plus de trois centsmètres. Pour le reste, j'attendrais que l'hi-ver eût passé sur les frondaisons excessives,et, au printemps, nous agirions selon mesdésirs du moment.

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Restait à me ménager un retrait favorablepour mes études sur la lumière radiante.L'atelier du sculpteur me sera excellent,puisque, quant à présent, mes expériencesont trait surtout a la constitution chimiquedes rayons lumineux et que rien ne me seraplus facile que de le transformer en un labo-ratoire de Photogénie.

Maisj'hésite à toucher à ce premier étagequi me cache son secret. J'attendrai doncquelque temps encore je vais, en attendant,reprendre mes études sur l'Inconscient etfranchir, avec Hartmann, le second stade del'illusion.

Méditer, déambuler, écrire, voilà ma viefaite, et peut être trouverai-je là le bonheurdont parle Taubert par la contemplation es-thétique du monde.

Et puis. si je pouvais savoir.

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x

Ce soir-là, le ciel était couvert de nuages,un orage se préparait. Gaspar, actif et sehâtant, voulait à toute force achever sa tâche;il m'avait promis, de son propre mouve-ment, que les travaux du jardin seraientterminés, c'est-à-dire que, dès le lendemain,je pourrais suivre l'allée centrale et l'alléecirculaire. Le pauvre garçon s'était donné,je dois le reconnaître, une peine énorme,d'autant que des jardiniers auraient à peineterminé en un mois le travail qu'il avaitabattu en une semaine.

Ç'avait été une véritable lutte contre lanature, irritée de se voir troublée dans unepossession que lui semblait couvrir une pres-

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cription décisive. Il éprouvait lui-même,me disait-il, une sorte de scrupule, et illui avait semblé que ces choses soufraient.J'avais souri, constatant chez lui ce natf ins-tinct de la vérité. Cependant, voulant savoirjusqu'à quel point cet instinct le guiderait,je lui demandai « Si les végétaux souffrent,alors les pierres souffrent aussi, a Il m'avaitrépondu par son éternel « Oh monsieur »qui est l'expression la plus éloquente de saprotestation, me prouvant une fois de pluscombien le préjugédéforme les notionsélé-mentaires de la logique.

Par brouettées, il avait enlevé, j'en suiscertain, des centaines de kilogrammes d'her-bes et de branchages. Il ne lui restàit plusqu'a percer le sentier qui devait contournerle bouquet de bois dont j'ai parlé et que jelui avais recommandé de n'attaquer en au-cune façon, me réservant d'y pénétrer moi-même, le premier, à loisir. Il avait d'autantplus de hâte que le lendemain il devait allerpasser toute la journée à Paris pour m'alleracheter des livres et des instruments d'op-tique dont j'avais besoin et que j'avais com-mandés d'avance.

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Il était déjà sept heures l'obscurité, depar l'amoncellementdes nuages, augmentaitrapidement. Les roulements du tonnerre serapprochaient; les éclairs déchiraient le cielnoir comme une scie d'or éventrerait unvoile de crêpe. Penché à la fenêtre de l'ate-lier, je regardais; et, en vérité, dans ce cadreétroit, l'orage prenait un caractère d'horreurpresque fantastique. La pluie ne tombaitpas une torpeur pesait sur les choses, se-couées par les stridencesde la foudre. L'Oisecoulait noire et boueuse. On eût dit quetoute la nature avait peur, à la façon d'unêtre faiblequi plie les épaules sous la menaceénorme du poing d'un athlète.

Gaspar, moins nerveux, n'interrompaitpas son travail. Paysan, il avait appris àprécipiter son action avant la pluie, etrefusait de céder la place. J'entendais saserpe qui retombait et la chute des feuil-lages qui s'écroulaient avec des froissementsde soie.

Soudain il se fit au ciel un déchirementplus violent, cent décharges éclatèrentd'unemitrailleuse gigantesque. Je perçus le fra-

cas d'uti horrible craquement, puis un cri

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d'angoisse, de terreur, de souffrance peut-être.

J'avais reconnu la voix de Gaspar. Le mal-heureuxavait-il été frappé par la foudre ouécrasé par la chute d'un arbre?P

Je m'élançai dehors mais je faillis meheurter à Gaspar qui se précipitait, pâle, lescheveux presque droits sur son crâne. Peus'en fallut qu'il ne me renversât pour entreril referma la porte derrière lui et s'y adossa,hagard, les yeux démesurément ouverts,comme s'il eût voulu interdire l'entrée àquelqu'un qui le poursuivait.

Par le diable! m'écriai-je en colère;¡qu'as-tu'donc?

Il ne répondait pas, ses dents claqùaient.Au même instant, les cataractes du ciel'

s'ouvrirent les tourbillons de pluie se dé-chaînèrent contre la maison, fouettant lesvitres avec une épouvantable violence, tan-dis que le vent, clamant sinistrement, se-couait la vieille constructionqu"il eût vouluarracher et emporter dans l'espace.

Mais, encore une fois, qu'as-tu donc?criai-je de nouveau, et, saisi moi-mêmed'unénervement névreux que doublait l'électri-

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cité ambiante, je l'empoignai au collet, lesecouant de toute la force de mes bras.

Il se laissait faire, sans résister, brisé parla terreur intense qui annihilait en lui toutevigueur.

Quoi! ce bélître s'épouvantait ainsi d'unorage? Cent fois, je l'avais vu braver, avecson sang-froid de lourdaud, des périls plusréels, et maintenant, pour un peu de bruit etde lumière soudaine, il s'affaiblissait commeun enfant. Et je l'injuriais, je le frappaismême, pensant qu'avant tout il fallait le rap-peler à la réalité des choses.

Je parvins enfin à l'entraîner hors du ves-tibule, et, l'attirant dans la bibliothèque, jele jetai sur le canapé. Puis, en désespoir de

cause, je versai dans le creux de ma main del'eau dont je lui cinglai le visage. Enfin, ilpoussa son « Oh1 monsieur 1» en levant lecoudepour segarantircomme font lesenfants.

Me diras-tu enfin, triple fou, repris-jeen dominant de ma voix le fracas du dehors,me diras-tu, stupide, ce que signifie cettealerte ? Es-tu Messe? As-tu quelque membrebrisé? Ton sang a.t-il coulé? Parle ou je techasse.

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Cependant, il se remettait peu à peu,avançant la tête avec un effort du gosieroùil recherchait la salive absente. Je lui pré-sentai un verre d'eau il le prit, sa maintremblait si fort qu'il faillit tout verser àterre mais je lui maintins le bras et il but.

Il poussa un long soupir, ferma, puis rou-vrit les yeux, pour reconquérir la netteté deson regard obscurci. Alors il sembla me voirpour la première fois, et stupéfait de se trou-ver assis devant son maître, il se dressa d'unseul élan, balbutiant une excuse.

Je réitérai mes questions, avec moins derudesse toutefois.

Il baissa la tête sous mes reproches etmurmura

Oh monsieursait bien que ce n'est pasl'orage.

J'eus un geste de surpriseQu'est-ce donc alors? As-tu, fis-je en

ricanant, rencontré quelque bête sauvage,quelque fauve égaré dans ce désert?.

Je n'aurais pas eu peur, répondit-il de

sa voix toujours basse.Et, en même temps, il frissonnaitdes pieds

à la tête.

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Je me rappelai soudain que chez Gaspar,

en dépit d'un très long séjour dans le Parissceptique, il restait un fonds de superstitionvillageoise et je repris, en accentuant monrire:

Tu as vu un fantôme peut-être ?.Alors effaré, livide, il me répondit par un

signe énergique.Tu es fou!Oh monsieur, j'ai vu. j'ai vu.Quoi ?. En es-tu encore à ces enfan-

tillages, à ton âge ? c'est honteux. Tu saispourtant bien qu'il n'y a ni spectres ni fan-tômes. Ce sont là contes de nourrice, bonstout au plus à effrayerdes enfants. Tu es unhomme, que diable et je te défends d'avoirpeur.

En ces crises nerveuses, la voix humaineest un calmant souverain et quand, d'aven-ture, il semble, par quelque illusiondes sensque le surnaturel envahisse notre domainepositif,rien n'est pluspropre à démontrersoninanité qu'une manifestationvitale bien netteet bien franche.

Cet effet se produisit,selon mon espérance,et Gaspar reprit d'une voix mieux affermie.

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Je dis à monsieurque j'ai vu.Tu as vu le reflet d'un éclair sur les

feuilles mouillées.Non, monsieur, ce n'était pas un éclair.

C'était.Eh bienpEh bien voilà. J'étais arrivé au petit

bois, et je serpais dur, voulant que, demainmatin, monsieur pût faire le tour de sonjardin. A ce moment-là, est arrivé un grandcoup de tonnerre. J'ai entendu un tapageeffrayant, une masse de branchesa dégringoléprès de moi, et dans le même moment, j'aivu.. aussi clairementque je vois monsieur.

Ici il baissa de nouveau la voix

J'ai vu une grande femme toute blanchequi venait vers moi.

Qui venait. d'où ?

Du bois.Et tu t'es sauvé commeun poltron 1

Monsieur sait bien que je ne suis paspeureux. Mais cette grande forme blanchequi s'avançait.

J'avais réfléchi et compris du premiercoup

Qui était parfaitement immobile, niais

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que tu es Car ce que tu as vu était tout sim-plement une statue

Gaspar me regarda stupéfait.Ha ha continuai-je en riant très

franchementd'ailleurs–voua où tu en es ?2Cette maison a appartenu à un sculpteur, etil a placé une statue dans son jardin. voilàtout

Mais comment monsieur sait-il cela ?yJe l'ai déjà vue, répliquai-je impudem-

ment.Je savais que cette assurance dissiperait

définitivement ses terreurs. C'était donc unmensonge permis. D'ailleurs l'évidences'im-posait, et j'avais le droit de devancer unevérincationprochaine et facile.

Ma figure respirait d'ailleurs une si entièresécurité, mes lèvres gardaient si joyeuse-ment l'empreinte du rire, qu'il se com-muniqua au pauvre garçon, subitement dé-grisé de la peur, qui est, elle aussi, uneivresse.

Il se mit à rire bruyamment, s'écriantVous l'aviez vue Ah suis-je bête,

suis-je bêteCependant la tempête continuait à faire

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rage, ce qui m'empêchait de donner la dé-monstration immédiatede ce qui n'était pourmoi qu'une hypothèse, il est vrai, mais jugéeindiscutable par ma raison.

J'achevai ma plaidoirie, devenue d'ailleursinutile, car la réaction s'était faite chez cenaïf avec une rapidité telle que, pour un peu,il m'eût juré qu'il n'avait cruvoir autre chosequ'une statue.

Dans les moindres actes de la vie s'afnrmela puissance de la suggestion mais je consi-gnerai icien passant, cette observationtopiqueque c'est la manifestation e~~WeMt'e de lavolonté qui seule agit sur le sujet,alors mêmeque cette manifestation est contraire à lapensée réelle du sM~esteMr.

Et je dis cela parce que subitement, aumoment même où, par mon audacieuse affir-mation, je détruisais les craintes de Gaspar,à ce moment précis, dis-je, un doute avaitsurgi en'moi.

Etait-ce bien une statue qu'il avait vue ?̀t

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XI

Il n'avait plus été question entre nous del'étrange vision, de l'hallucination, si l'onveut.

J'avais soigneusement répété à Gaspar mesinstructionspoursonvoyage deParis.Commeil s'agissait d'appareils fragiles et que je pou-vais craindre quelque accident,je lui ordonnaide ne revenir que le surlendemain matin. Ilprendrait une voiture et surveillerait lui-même le transport. Je l'autorisai même, aucas où ils ne seraient pas encore prêts, cer-tains détails méticuleux pouvant avoir occa-sionné un retard, à prolongerde vingt-quatreheures son absence.

Je disais cela froidement, comme s'il se fût

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agi de la chose la plus simple du monde.Maissi Gasparavait pu lire dans ma pensée, il eûtapprécié à sa juste valeur le sang-~roid dontj'avais fait montre si orgueilleusement uneheure auparavant.

Il ne croyait pas a l'apparitiondu bois.Et moi, je n'étais plus certain de n'y pas

croire!Je ne suis pas fou. Au contraire, je suis en

pleine possession de ma raison. Mais cetteraison même me crie que rien n'est impos-sible, que la scienceest encore dans l'enfanceet que notre temps est sur l'extrême limitede tout un monde de révélations qui, danscent ans, seront entrées dans le domaine del'expliqué, du d~Mwtrë, qui sait ?. dubanal peut-être. Je ne définis pas ce que serala science de demain, pas plus que les savantsdu dix-huitième siècle n'auraient pu devinerce que deviendraientla vapeur et l'électricitéà peine constatées. Nous sommes dans unepériode de pressentiment.

Les expériences de Crookes, les photogra-phies de l'Invisible, les indiscutables témoi-gnages recueillispar Edmund Gurnéy sur lesFantômes des Vivants Phantasms of the

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Living toua ces coups d'ceil effrayés quejette l'observation patiente & travers lesobscurités d'un monde ignoré, sont des aver-tissements donnés a notre outrecuidance oua notre partialité.

Donc, pourquoi avais-je rejeté, de primesaut, brutalement, l'affirmation si franche, sispoutanée de mon serviteur ? J'étais certainqu'il n'avait pas voulu m'en imposer: lanaïveté de sa terreur était un gage de sa sin-cérité. Pourquoi, au nom de ma faussescience, de mon expérience incomplète,avais-je voulu le tromper ?2

Pourquoi enfin n'aurait.il pas vu un fan-tôme ? Pourquoi, sous l'action d'un dévelop-pementexcessifd'électricité, de magnétismeterrestre, si l'on veut, ou de tout autreinfluence encore innomée, ne se serait-il pasproduit un phénomène qu'en somme il n'au-rait pas été le premier à constater ? J'ai cetteconviction que ce que nous appelons lasuperstition humaine repose sur un fond devérité. C'est ainsi que, dans les prétenduesMies des alchimistes, nous reconnaissonspeu à peu des tendances vers la réalité~Norman Lockyer et Frauenhofern'ont-ilspas

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démontré que la pierre philosophale ou,pour mieux dire, la métallurgie astralen'est pas une chimère? P

Mais à quoi bon tous ces raisonnements ?En face de l'inexpliqué, je n'éprouve nicrainte ni rien qui ressemble à l'horror desanciens. Mon ignoranceme rend humble. Jen'édicte pas l'impossibilité.

J'avais hâte de rester seul avec mesréËexions.

Mais j'entendis longtemps Gaspar, dans sapetite maison, procéder à ses préparatifspour le lendemain. Il me fallut attendre quele silence me prouvât qu'il était endormi, etje dus veiller ainsi jusqu'à minuit.

Quand je fus bien certain qu'il ne pouvaitf

plus se préoccuper de ce qu'il me plairait defaire car j'eusse été un peu honteux d'êtresurpris en flagrant délit de vèrincation demes propres affirmations si impudemmentposées j'ouvris lentement les volets de labibliothèque et je regardai au dehors.

Depuis plus d'une heure déjà la pluie avaitcessé. De gros nuages noirs couraient par leciel, laissant filtrer par intervalles les rayonsde la lune qui était dans son plein. C'étaient

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des alternatives intéressantes de nuit noireet de clarté Ma~arde. Si j'eusse été en veinede romantisme, jamais paysage n'eût mieuxprédispose mon âme aux évocations fantas-tiques. Mais, encore une fois, le fantastique,en tant que surnaturel, n'a jamais eu deprise sur moi. Je crois à l'inconnu, rien deplus, conséquent en cela avec la nature hu-maine, qui, grâce à cette appétence souventinconsciente vers l'ignoré, réalise le progrèset la civilisation.

J'étais saisi de cette intense curiosité quis'empare de tout l'être et fait converger toutesles forces vers un seul point. En vain jem'efforçaisde lutter. Je me disais qu'il y avaitdans cette passion de savoir la vérité surl'aventure de Gaspar, un reste de pusillani-mité. J'avais les tempes serrées et la bouchesèche, comme si, là, à quelques pas de moi,était tapi quelque ennemi prêt à bondir surmoi.

Pourquoi résister d'ailleurs ? Mieux valaitm'armer de tout mon sang-froid pour êtrepr4t à l'examen de la. chose, quelle qu'ellefût. En vérité, tout plutôt que cette incerti-tude qui me poignait et me donnait la fièvre.

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'Je revins donc à l'intérieur et je cherchai

ma lanterne. Rasséréné par la décision prise,souriant involontairement au souvenir de mapremière entrée dans la maison close, jem'armai d'une serpe solide et bien emman-chée pour couper les broussailles. Je menti-rais si je n'avouais pas qu'en même temps jesongeais que cet outil serait une arme excel-lente en cas de péril.

Puis m'étant assuré une dernière fois queGaspar ne pouvait m'épier tant j'avaishonte de mes contradictions j'ouvris sansbruit la porte du vestibule et je me trouvaidans le jardin.

Je mesurai de l'œil la distance qui me sépa-rait du massif. Je n'y pouvais aller directe-ment. Entre le bouquet d'arbres et moi s'en-tassait une inextricable barrière de brous-sailles. Il me fallait donc suivre d'abord lalongue allée tracée au milieu du jardin,jusqu'à la pointe, pour rejoindre le chemintournant qui me conduirait à l'endroit oùGaspar s'était arrêté.

Donc, je tournai le dos au massifet je memis à marcherrapidement. Quoi qu'on en ait,M nuit pèse au cerveau et aux épaules. Je

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respirais mal. Il me déplaisait d'ailleurs desentir que le mystère était derrière moi

tquiconque a traversé une forêt la nuit a res-senti cette impression lapeur est une arrière.garde.

Je ne me sentis plus tranquille que lorsquej'eus repris le chemin de ronde. Maintenant,sous une éclaircie lunaire, j'apercevais lehaut massif dont les feuilles, sans cesseagitées et bruissantes, luisaient d'eau épan-due. Plus j'approchais, plus je me sentaisrassuré, réconforte.

Je ralentis le pas, dardant mon regard surcette masse. Involontairementje me baissaiscomme lorsqu'on épie un ennemi. N'étais-jepas en embuscade pour surprendre quelquechose ?2

Enfin, j'atteignis le bois. La nuit était sisombre que jene distinguaisrien devant moi.Je levai ma lanterne, dirigeant le rayon àtravers les arbres mais il était arrêté par lesbroussailles, et, encore, je ne vis rien. Je memis à examiner le sol et je reconnus bientôtl'endroit d'où s'était enfui Gaspar. Les bran-chages, tranchés à hauteur d'homme, jon-chaient la terre. C'était sans doute là qu'il

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avait vu ou cru voir l'apparition, c'étaitde là que je devais la voir moi-même.

De nouveau, je levai la lanterne, lui impri-mant un mouvement demi-circulaire pourque successivement toutes les parties du boisqui me faisaient face fussent touchéespar lalueur.

Et soudain, dans la profondeur, je vis unegrande tache blanche, immobile. J'eus unsoupir d'indicible soulagement. Du premiercoup, j'avais deviné juste. C'était une statue.Je n'en voyais que la partie inférieure, jus-qu'au buste. Elle était évidemment surélevéesur un piédestal, caché dans la profondeurdes herbes et des arbustes la partie supé-rieure se dérobait derrière les branchesentre-lacées des arbres.

Examinant alors, sans bougerde ma place,le bouquet de bois, je m'aperçus bientôtqu'autrefois il se trouvait au milieu uneplace vide, ronde, une salle à manger d'étéau-dessus de laquelle les arbres faisaientvoûte et dontla statue constituaitle principalornement.

Tout perdait en un instant son caractèred'étrangeté j'éprouvais même je ne sais

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quel regret de la banalitéde cette conclusion.Irais-je voir cette statue de près? A quoi

bon ? Je ne me passionne que pour l'admi-rable. L'humiditécommençait à pénétrer monvêtement. Pour parvenir jusqu'à elle dontla valeur me paraissait très problématique–il me fallait traverser deux ou trois mètres debroussailles, d'herbes touffues, spongieusesde pluie, et je ne me sentais guère en humeurde prendre ce bain glacé.

Je restai quelques minutes irrésolu, com-battu entre le désir de retourner en arrière etl'amour-propre qui me poussait à regarderdeprès le premier cette statue sur la-quelle nul regard ne s'était arrêté depuisvingt ans.

Et puis, ce fut une autre idée. Je ne saispourquoi je songeai tout à coup que, s'ilexistait quelque part une explication àl'énigme dontje cherchais en vain la solution,c'était ici que je la devais trouver. Je merésolus à en avoir le coeur net, d'autant quela lune, dônnitivement dégagée des nuages,versait sa lumière claire et blanche sur toutce qui m'entouraitet facilitaitsingulièrementma tâche.

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Maniant vigoureusementma serpe, je mefrayai un passage à travers les herbes qui secouchaient, impitoyablement fauchées, ettombaient lourdement sous le poids de l'eauqui les imprégnait. Je travaillais avec tantd'énergie que je fus tout à coupsurprispar unheurt assez fort. Dans un mouvementbrusque, j'avais touché le piédestal.

Je me dressai j'étais auprès de la statuedont alors je ne voyais que le bas, c'est-à-direune draperie flottante qui s'épandait surpresque toute la largeurdu piédestal. Ma têtese trouvait à peuprès à la hauteur des genouxdont la forme s'arrondissaitsous les plis.

Je pris ma lanterne posée a terre, et jel'élevai i bout de bras le plus haut qu'il mefut possible, et je vis que la statue était entiè-rement vêtue. Un bras était replié sur lapoitrine, la main gauche soutenant le brasdroit qui sa relevait verticalement. Je répètequo jo no voyais pas la tôte a laquelle mamain ne pouvait nttohuh'o <~t <~i et ait cachéewut! tps fott!t!(~. MK!hjc <!«vh«t! que !a~u«é~t pw6<' )!<utn !'<tttth«t<' <ht KUmw, ~t~<h~ !« <!<ti~t nm' lu h«m't~ oxttUtK' (hmM !«<'<t'!n'f H))'<M!!<'«

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L'exécution de cette statueme parutbonne,en tant qu'esquisse bien entendu, car cen'était qu'un moulage de plâtre et de plus letemps et les intempéries avaient altéré lamatière qui semblait percée de mille trous,comme si elle eût été bombardée de grêle. Lateinte qui paraissait blanche dans l'obscurité

et surtout par contraste avec les frondai-sons sombres qui l'enveloppaient était encertaines places grisâtre, presque noire.

J'achevai de couper avec ma serpe lesherbes qui cachaient le piédestal, et je dé-gageai la partie antérieure. Me courbant,j'examinai si je n'y découvrirais pas une ins-cription. Une mousse épaisse couvrait leplâtre que je me mis à grattersoigneusement.Or, il arriva que, comme la lame enlevaitavec précaution tout ce qui faisait saillie, jevis se détacher, aussi clairement que si elleseussent été peintes, dos lettresquejo parvinsbientôt à déchiMror.

Voici oe que ju In~

A't'K~ t'U'U'~

t'ttt'.fUt'tt"

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Puis une date.Je poussai un cri. Il y avait justementvingt

ans que cette statue avait été dressée làc~est-a-dire que, sans qu'il me fût possibled'en douter, ce monumentdatait de l'époquemême où le crime car je croyaistoujoursàun crime avait été commis.Mais que signifiaient ces mots A tes pteds

qui semblaient le cri suprême d'une adorationprofonde.

Je restai quelque temps perplexe,cherchantà imprimer une direction aux idées qui se croi-saient dans mon cerveau et qui n'avaient pasentre elles de lien logique.

Ceci me déroutait car si la femme lacompagne du sculpteur était morte, on nem'eût point raconté qu'elle était partie aveclui.Leurdisparition simultanée éloignait cettehypothèse, et pourtant ne semblait-il pas quece fût là un monument élevé au souvenird'une femme aimée ?

Lo my~téro, loin de a'éclt)h'ch', devenaitplua dcnao.

La p«n~ n~ vh~ Mift~ ){no, ft .)~ }w'<)\M~

Vt'h' !') v{<~n (h) !)< nt)thtt', jf th'ct'Mta <t« <'«H~

t'««~M<<!t<m <{w~t~ ~~{«utiun nnuvnUt~

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J'avais déjà remarqué que la statue étaitplus grande que nature. Peut-étre, aprèstout, n'était-ce là qu'une création symbo-lique, née de l'imagination d'un artiste.A supposer môme que cette effigie eût laprétention de représenter la Fidélité, n'a-vons-nous pas constaté cent fois que legénie peut être en contradiction avec laconscience ?

En somme, je voulais voir.Je posai d'abord ma lanterne sur le socle.

Puis, m'aidant de branchages gisant à terrecomme d'un escalier, je parvins non sansdifficulté à me hisser sur le piédestal. J'en-veloppai la statue de mon bras gauche, et mebaissant, je saisis la lanterne que j'élevai peuà peujusqu'à la hauteur de la tête.

La longue tunique qui enveloppait l'efugie,et sous laquelle se dessinaient des formesjeunes et grêles, était attachée, à la façongrecque, sur les épaules qui émergeaientnues, exquises. Le cou était un peu long.

Jo dirigeai !e rayon lumineux sur levirago.

Kt. ~vt)p un r<U«, )tt))m(iQun<tut ~tu<'qni m« ~fv~t ~e ;)Mh~ d'Ht, ~h~ h

<i

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lanterne qui se brisa sur l'angle du socle, jetombai de toute la hauteur dans l'herbe,anéanti, foudroyé.

La statue avait une tête de mort

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XH

Quand je revins à moi, le jour était écla-tant.

Combien de temps étais-jereste évanoui, jel'ignorais. Je ne me souvenais plus de ce quim'était arrivé et j'avais aux oreilles un insup-portable bourdonnement.

J'eus peine à reprendre possession de mesfacultés j'avais reçu un coup en plein crâne,demi-apoplexie qui avait fait craquer moncerveau. J'étais tombé sur le côté mon brasreplié était douloureux, mais co fut cotte dou-leur même qui me ramena à la réalité.

Je me soulovai avec précaution, mo ruppo'lant ma ohuto et m'ai~utmt quoique fra~m'u.ï~'éptdt~tw dM horb~ m'avait pt'é~'vé dot)0t aident,

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Chose singulière, quand ma pensée se futéclaircie, quand la vision de lanuit se dessinade nouveau dans ma mémoire, je l'envisageai

avec une tranquillité d'esprit qui contrastaitétrangement avec l'emët foudroyant dontj'avais été la victime. La bête humaine.malgré toute son énergie, est vaincue parsesnerfs il n'est pas de soldat si vaillànt qui nesuccombe dans un guet-apens.

Donc, voici ce que j'avais vu. Un crâne,deux yeux ou plutôt deux trous, la fossetriangulaire du nez avec des cartilages, uneboucheoù des dents blanchesetserréesriaientsardoniquement.

En tout ceci, l'illusion n'avait joué aucunrôle, j'en étais certain. Mais ma surprisen'avait rien d'inexplicable, non plus la com-motion cérébrale que j'avais ressentie.

Maintenant, plus froid, j'admettais le fait,j'avais à l'étudier de plus prés et à en saisirla relation avec les règles immuables qui pré.sident à l'évolution dos choses. Il n'avaitrien,ne pouvait avoir rion <lo surnaturel, il n'étaitqu'inhabituel. Car jamaia jusqu'ici, que jot~ht<, pM'aonno n'avait t'onconM uno nt<ttuodo pt&tru tim'motttéc d'nnu tuto dtt mmt

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J'oublie de dire que cette tête n'était pas unsimulacre, mais avait réellementappartenu &

un être vivant. Peut-être n'y avait-il là, aprèstout, qu'une fantaisie macabre et de mauvaisgoût. Je me souvenais même d'un dessind'André Gill conçu en cette manière et quipeut-être avait suggéré l'idée d'une imita-tion.

Ranërmi, un peu honteux de ma faiblessequoique assez orgueilleux d'avoir recon-

quis aussi vite mes saines facultés d'examenje me redressai tout à fait, et, froidement,

comme si je me fusse trouvé en un muséequelconque, je relevai les yeux.

Je revis la tête de mort.Seulement, voici ce que je n'avais pas

constaté toutd~abord, en raison de lapositiondans laquelle je m'étais trouvé cette nuitalors que mon visage touchait presque à cettetête, mon regard n'en pouvait embrasser quela face antérieure.

Cette tête ou plutôt ce visage do sque-letto était enveloppée & aa pnrtio po~M-rioufe, do l'occiput <m cou, daua une cuuchode p!Ah'e ép~tw de p!n8tom~ penUmé~'oh ut<pu ~'tt~t t'p~t~tc~ unp twtf <~ o~n"

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chon. D'après les proportions que je 'mesuraide mon œil & demi clos, je compris qu'elleétait renferméetout entière dans un moulagedont une partie avait été brisée par quelquechose, mais non pendant l'orage de la nuit

car la cassure que je voyais distinctement, etqui suivait de la racine des cheveux à la lignedes oreilles pour repasser au-dessous dumenton, était ancienne et noirâtre.

Je voulus sur-le-champvéri&ermon hypo-thèse et j'explorai l'herbe entourant le socle.Je ne tardai pas à trouver les débrisdu visage.Il avait été fendu juste en deux pièces sépa-rées la lèvre supérieure.

Satisfait et voulantme livrer paisiblementà mes réflexions, je ramassai soigneusementces vestiges étranges et suivant de nouveaule sentier que j'avais frayé la veille, je revinsvers la maison.

Décidément Gaspar était un homme pré-cieux. Sans s'étonnerde mon absence, il avaitpréparé mon repas sur la petite table de labibliothèque, puis était parti sans se per-moth'o aucune rocheroho mdiftcrMo. C'étaitd'âpre nw <'onv«nttonn exp~M~s.

Ap~'H ttvt'h' chtm~é d~ vRtctwntH, par

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miens étaient littéralementpénétrés d'humi-ditéetme glaçaient je vinsm'asseoirdevant

une table et, à côté de moi, je posai le masquede plâtredont je réunis délicatement les deuxfragments qui s'adaptaient exactement l'un àl'autre.

Puis je m'accoudai, regardant.C'était, en vérité, un délicieux visage, d'une

finesseexquise, et que les doigts du sculpteuravaient modelé avec amour. Le front un peubas, caché sous des boucles, surmontait unnez petit, coquet, presque enfantin. Mais labouche était bien d'une femme les lèvrespleines appelaient le baiser qu'elles accueil-laient d'un sourire heureux, presque recon-naissant. Le mentonpeu accentué témoignaitd'une faiblesse générale. Mais c'était auxyeux surtout que je m'attachais, et je voyais

avec admiration que le sculpteur avait su ymettre un regard. Ils vivaient, pensaient,aimaient. Il y avait, dans la courbe des pau-pières, dans l'ombre ménagée, une douceurpénétranteet passionnéo.

0(tttf) nguro était un portrait et colle qui

on avalt été le modèle t~it fttmo. Jo l'tntor-pogoaia oommt) ai «'~t <~é unn f)tco v~ntn,

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et elle me répondait par une afnrmation dé-cisive d'un bonheur sincère, et, puisse dire,partagé. Le regard s'était renôté en un autreregard, et sur ce front mat et pur je lisais lapensée d'amour.

Je sentais s'eSacer de mon âme les tristeshantises de crime qui me pesaient si lour-dement. Car, pas un instant, je ne doutaique ce visage ne fût celui de la femme quiétait morte là-haut, dans cette chambreoù le lit gardait encore l'empreinte de soncorps.

Mais tout à coup je frissonnai.Qu'était cette tête de mort dontla face gri-

maçante m'était apparue? Etait-ce donc ?.Ne pouvant plus commander à mon im-

patience, je courus de nouveau à la statue,et, l'examinant attentivement, je constataiencore une fois qu'elle avait des dimensionsplus grandes qu'un corps humain. Je remar-quai que la main, dont le doigt devait setrouver devant les lèvres de la morte, 4'aprèsle mouvement général, avait disparu. Avecune ardeur navreuae, je fouillai les brous.«ailles. La main était intacte, maia & la brl.auro du bptta je vta m'y attende

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que là aussi te plâtre recouvrait.unpoignetet une main qui avaient vécu.

Plus de doute. La femme était mouléetout entière dans la statue. Je voulus unepreuve nouvelle et décisive. Je remontai àl'atelier où je m'armai d'une masse et d'unciseau. Je me hissai sur le socle au premiercoup le biseau d'acier mordit et Rt sauter unéclat.

Cette statue était une tombe. Le corpsdélicatet précieux avait été engainé dans leplâtre que l'artiste avait ensuite amoureuse-ment modelé, dans cette attitude de silenceéternel.

Imagination à la fois respectueuseet sacri-lège 1 Folie que la folie seule pouvait expli-quer

Pour être éclairci le problèmen'en subsis-tait pas moins dans toute son étrangetôsai-sissante.

Je rejetais maintenant l'hypothèse d'uncrime. Nul n'aurait eu le courage infâme detuer cette femme jeunesse et beautédont le regard s'était animô de la sainteôttnoollo d'amour,

Ma!a lui ht! Oommont avRit" pu a'en''

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fuir? Oomment, après avoir eu la sublimeaudace de son impiété– en laquelle je.voyais le témoignage d'une adoration su-prême comment avait-il eu la lâchetéd'abandonner cette statue sépulcre ?

Accroupi dans l'herbe, devant le socle, jeréfléchissais.

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XIII

1

Je comprenais bien maintenant commentil avait opéré. Une fois, dans un amphi-théâtre, j'avais assisté au moulage d'uncadavre tératologique.

L'homme venait de mourir.On l'avait étendu, encore chaud, sur une

planche à l'extrémitéde laquelle était clouéeune sorte de console, à angle droit, pour sup-porter les pieds. Alors l'interne qui assistaitle sculpteur avait disposé les membres, unbras replié sur la poitrine, l'autre étendu aulong du corps. Les pieds avaient été collésau moyen d'un g&chia de pl&tre à la plan-chette infériouro. On avait calé le deaaouades rpiua pour conserve!' la courbe du do~,

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on avait maintenu le mouvement des brasau moyen de lattes de bois et de boules deterre glaise. Le mouvement avait été demême donné à la tête avec des tampons d'é-toae.

Puis on avait laissé l'ouvre de rigidités'accomplir.

Ensuite, après avoir installé sous les ais-selles une courroie qui, par un double tour,passait derrière la grande planche, suppor-tant le corps tout entier, on avait attaché àcette courroie une corde solide passée dansune poulienxée auplafond.On avaitdressé lecadavre, lentement, en ayant soin de le faireglisseren arrière sur des lattes lisses et sa-vonnées. Une fois dressé, le cadavre avaitété ncelé à une armature, puis la planche àlaquelle il était appuyé avait été retirée, etil se tenait ainsi debout, dans l'immobilitéraidie de la mort, et cependant avec le mou-vement de la vie. Le mouleur avait alorsachevé son travail.

Celui qui avait agi ici n'avait eu que peude modificationsà apporter à ce programme.J'avaisvu dans l'atelier l'armature de fer, laplanche, la poulie, les cordes.

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Mais il avait du se préoccuper de cettecirconstance que, laissant le cadavre dans temoule et devant te recouvrir d'une couchemodelée de cinq à six centimètres d'épais-seur, la statue serait sensiblement plusgrande que le corps, puisque, par l'adjonc-tion du plâtre, la largeur augmenterait dé-mesurémentpar rapport àlahauteur. Il avaitdonc fallu jeter les plis d'une draperie des-cendant plus bas que les pieds.

Tousces caractères se trouvaient dans lastatue.

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XIV

J'attendis impatiemment le retour de Gas-par qui, selon mes ordres, ne revint que lelendemain.

Je jetai & peine un regard distrait sur lesappareils qu'il m'apportait. Il s'agissaitbienen ce moment de recherches scientifiquesr

A sa grande surprise, je lui interdis de lafaçon la plus formelle l'accès du jardin et ledépéchai a laville voisine, pourm'aller ache-ter du plâtre à mouler.

Dès qu'il fut en ma possession, je revinsà la statue. Je coupai soigneusement lesbranches qui pouvaient la menacer encorede destruction. Je jetai un dernier regardsur l'ossature dénudée, puis, avec une ha-

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bileté patiente, je replaçai le masque et jerétablis te poignet et la main dans le mouve-ment VOUlu.

Et, faisantcela, je murmuraisPauvre, pauvre femme 1 tu as conservé

sans doute jusqu'à ta dernière heure l'illu-sion de l'amour. C'est toi peut-être qui asdemandé à ton amant d'ensevelir ton corpsadoré dans cet étrange sépulcre, et ce sou-rire que je lis sur ton masque immobile estle dernier remerciementarraché par sa pro-messe passionnée. Hélas! j'ai dit l'illusionde l'amour Pouvais-tu supposer, en ta naï-veté charmante, que celui qui allait te tenirmorte dans ses bras, comme si souvent il t~y

avait tenue vivante, t'abandonnerait ensuitedans ta tombe, te livrant seule aux hasardsd'une tempête, et qu'il faudrait, pour que tufusses respectée, qu'un étranger presqueun fou vint te défendre et te sauver de ladestructionsuprême 1

Car cet homme avait commis là un crimeque rien ne pouvait expier. Où était-il, à

cette heure où mes regards profanaient l'i-dole En quel pays promenait-il son insou-ciance et son oubli ? Lâche, trois fois lâche 1

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Et il me semblait a moi, que je devenais

amoureuxde cette morte que j'apercevais àtravers la masse froide et dure.

Pourtant, plus je la contemplais et plus jem'étonnais de l'expression de béatitudecon-nante qui éclairaitson doux visage. Son doigt,posé sur sa bouche, semblait m'ordonnerdo

me taire, parce que je no comprenais pas.Et quand, maudissant l'ingrat que j'accu-

sais, esclave de la vraisemblance qui n'estbien souvent que le mirage du mensonge,je tournais les yeux vers elle pour solliciterune adhésion muette à mes colères, je sur-prenais sur ses traits l'expression incrustée,éternelle, de la foi profonde et de laplaciditéheureuse.

Je me rappelais les termes qu'emploieMérimée pour caractériser la physionomiede la fantastique Vénus d'Ille

« Tous sestraitsétaient contractéslégè-rement. Les yeux un peu obliques, la bou-che relevée des coins, les narines quelquepeu gonflées. Dédain, ironie, cruauté selisaient sur ce visage, d'une incroyablebeauté cependant. En vérité, plus on regar-dait cette admirable statue, et plus on éprou-

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vait le sentimentpénible qu'use si merveil-leusebeauté put s'allier à l'absence de touteaenstMMtô. »

SenaibUïtô. Tel était bien le mot qui s'a-daptait le mieux à l'expression do ma statue,mais sensibilité non seulement intime,égoïste, si je puis dire, mais partagée, réper-cutée en quelque sorte. Elle se donnait etconquérait à la fois.

Peu à peu, je me sentais dominé par sonamrmation, vaincu par le plaidoyer de sonsourire. J'étais sous le coup d'une obsessionnouvelle qui se compliquait d'un remords,

du remords de calomnier peut-être celuiqu'elle avait aimé. Je me reprochais ma mal-veillance, ma mauvaise foi, je faisais les plusgrands efforts pour concilier les actes del'absent avec cette confiance dont la statueme donnait à toute heure le témoignage iné-branlé.

J'avais fouillé de nouveau, avec une sorted'acharnement,la maison en ses recoins lesplus secrets. Gaspar ne comprenait rien àmes allures; à peine avais-je modifié quel-qu'un des arrangements intérieurs que jem'adressais de violents reproches, m'accu-

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sant d'avoir peut-ôtre détruit tel vestige in-compris jusque-là et dont un plus attentifexamen m'aurait révélé le sens.

Mais si, à première enquête, il m'avaitparu évidentque rien dans cette demeurenerévélait une volonté de départ, pou à peu,au contraire, je me pénétrais de cette idéeque le survivant avait pris toutes ses me-sures pour ne jamais revenir. C'est ainsi queje trouvai des cendres de papiers, des débrisd'esquisses et d'ébauches,traces de ces des-tructionshâtivesqui accompagnentune fuite.Je ne pus découvrirni un portefeuille ni uncarnet. Je savais que, lors de la première etunique entrée des héritiers, ils n'avaientdéniché aucune somme d'argent dans lestiroirs. Ceci était surtout un indice graved'un exil volontaire.

Maintenant que la statue était rétablie dansson état primitif, je n'avais plus aucunerai-son de m'opposer à ce que Gaspar achevâtson travail de jardinage. Je l'avais seulementobligé à respecter le nid de folles herbes,tout hérissé de pavots multicolores, d'oùs'élevait la figure du Silence.

En vain j'avais voulu me livrer à mes oc-

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cupationaordinales. Malgré ma passion pourles sciences naturelles, je ne pouvais parve.nir à engrener de nouveau mon attentiondans ces rouages qui vous entraînent horsde la vie banale.

Chaque jour, un livre à la main, je rêve.nais dans le quinconce, et là, j'aimais à m'e.tendre dans ces herbes épaisses, la tête reje-tée en arrière, les yeux fixés sur les yeux dela morte, balbutiant a mon insu la mômequestion à laquelle nul ne répondait, et telleétait la possession qui me hantait, que j'a-vais presque oublié ma propre douleur.

Il y avait déjàun moisque j'étais seul dansla m:.ison closp, m'enivrant chaque jour da-vantage de la monotonie de mes pensées.

Ce jour-là, je m'en souviens, il était septheures du soir.

A travers le feuillage, du côté de l'Ouest,les rayons du soleil couchant dardaient, écla-tants comme des barres d'acier chauffées aurouge ardent.

A ce moment, couché dans les herbes, jem'étais appuyé sur mon coude et, pour lacentième fois, je contemplais avec une pas-sion d'assyriologue les quelquesmots gravés

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dans la pierre et qui me semblaient écrits enune langue inconnueet indéchiSrable.

Soudain je vis, au long du cadre du pan-neau de plâtre qui portait l'inscription, unpoint brillant métallique. Je crus d'abord àla présence dans la pâte durcie de quelqueparcelle de silex. Cependant je m'approchai,rampant, avec mes éternelles allures d'es-pion, cherchant à surprendre l'inconnu.Comme je m'étais déplacé, Fangle de ré-flexion s'étant modifie, je ne trouvai plus lepoint brillant. Mais en examinant attentive-ment l'endroit où il m'était apparu, je cons-tatai l'existence d'une ligne de section, sui-vant la'moulure qui encadrait le panneaucentral, ligne ai peine visible d'ailleurs,cachée par les mousses. J'introduisis la lamede mon canif, et je pus la faire jouer dans lepourtour entier.

Cette découverte, peut-être insignifiante,me causa une brusque commotion. Je com-pris aussitôt que je ressaisissais un bout duRI qui devait me guider.

Après un temps d'arrêt nécessaire à ladétente de mes nerfs subitement crispés, jerecommençai l'opération. En haut et en bas

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du panneau, la lame glissait dans toute lalongueurde la rainure sans rencontrer aucunobstacle. Mais sur les côtés, il n'en était pasde même.

A gauche, je sentais une résistance à quel-

ques centimètresdu bord supérieur puis lalame glissait sur un corps dur, pour, un peuplus bas, pénétrer de nouveau jusqu'aumanche du canif. A la partie inférieure,même effet.

Les deux corps durs étaient certainementdeux charnières. L'explication s'imposait, etsi elle était juste, elle se pouvait immédiate.ment vériSer, car, de l'autrecôté, je rencon-trerais un seul corps dur qui serait le pêned'une serrure. L'événement confirma mesconjectures. C'était donc sur ce pène, évi-demmenten acier, qu'était venu frapperparhasard le rayon de soleil, en quelque pointinnnitésimal qu'avait mis à découvert lachute récented'une parcelle de plâtre.

Fait certain, le piédestal était creux. Jen'avais jamais songé à cela. La vérificationétait facile, je perçus par la percussion ladifference du plein et du vide.

Rien déplus simple maintenant. J'allais

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évidemment trouver la-dedans quelque ma-nuscrit, histoire romanesque écrite en unstyle ampoulé, réédition do Werther ou,qui sait? de Manon Lescaut!t

Bien souvent, pendant un long voyage lanôvre curieuse qui vous entrainait vers lebut s'atténue à mesure que vous. en appro-chez et, pour un peu, au moment d'entrerda'is la ville tant désirée naguère, vouséprouvez une tentation de n'y pas pénétreret de vous enfuir. Ainsi devraitagir l'hommeau seuil de ses illusions, pour les garder,dans son désir, vierges du désenchantement.

Je n'avaisplus de hâte, parce queje savaisque là était la fin du mystère avec lequel jem'habituais à vivre, me grisant de lui comme.un Oriental de haschisch. A quoi aboutis-saientmes rêves? à une serrure forcée. Puistout serait fini. Je retomberais dans les pla-titudesde la réalité. Quelles joies de posses-sion ont jamais valu les exquises tortures del'attente?

Une serrure? Où était-elle?Je n'en voyaispas trace. A l'aide d'un petit outil de fer, jeme mis à gratter la pierre à l'endroit où nor-malement elle aurait dû se trouver. Je ne

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découvrais rien. L'examen le plus attentifnedécelait pas la moindre fissure par laquelleune clef, si petite fût-elle, aurait pu s'intro-duire. Peut-être l'orince avait-il été comblépar le plâtre. Je me mis a frapper à petitscoups, enlevant une épaisseur d'un centi-mètre sur une surface assez large pour quele secretne pût m'échapper.Rien!1

Comment donc all~s-jo faire jouer le pêneque je voyais maintenantet qui devait s'en-gager dans une gâche intérieure? Si l'hommeavait enfermé quelque chose, des papiersdans l'intérieur du socle, s'il avait ménagécette porte au lieu de cimentercette face dupiédestal ainsi qu'il avait agi pour les troisautres, c'est qu'évidemmentil avait la fermeintentionde revenir quelquejour reprendreàcette cachette étrangece qu'il lui avait confié.

Serrant de plus en plus monraisonnementje me sentais dérouté. A quoi bon une ser-rure, des gonds ? Si, comme je le supposaistout d'abord, il n'avait eu que le désir deconfier à la statue un dépôt provisoire, il eûtété bien plus simple de murer le socle, puis,au jour venu, d'en faire sauter les éclats àcoups de ciseau et de pratiquer une buver"

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ture facilement réparable, une fois le dépôtreconquis.

En tout cas, dans ma première hypothèse,il fallait nécessairementqu'ilexistât quelquepart un ressort sur lequel on pût agir del'extérieur.

Ce soir-là, je ne voulus pas brusquer ledénouement que je sentais proche. Je m'ar-mal d'indinërence, et, la nuit tombée, je ren-trai chez moi, voulant me contraindre à lapatience et comptantsur le calme de la nuitet même sur le sommeil pour mieux affinermes facultés de déduction.

Je parvins à obtenir la sédation désirée et,le lendemain matin, je m'éveillai dispos,convaincu qu'un nouvel examen me donne-

·rait la clef de l'inexplicable énigme.

Je ne revins auprès de la statue que dansl'après-midi. Pour n'être pas dérangé, j'avaisencore une fois renvoyé Gaspar, sur leslèvres duquel il m'avait paru surprendre unsourire d'ironie.

Évidemment il soupçonnait que je lui ca-chais quelque chose, et il prenait en pitiéune folie qu'il devinait, sans la connaître.Peu m'importaitd~ailleurs.

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Lui parti, je m'installaidevant le socle, etalors, avec une persévérance acharnée,l'ayant divise par carrés de cinq centimètres,je sondai chacune des parties. Il avait unmètre vingt de hauteur sur quatre-vingt-dixde largeur.

Comme j'étais agenouillé devant un despanneaux, je remarquaitout à coup que monombre, vivement projetée par un rayon desoleil, se trouvait exactement encadrée parla moulure qui suivait la rainure de la partiemobile. Seulement,si je relevais la tête, monombre dépassait le cadre et touchait à l'ul-time draperie de la statue. Je me compluspendant quelques instants à me placer dansla position nécessaire pour que l'encadre-ment fût parfait. Pour cela, il me fallait bais-

ser la tête sur ma poitrine et, les deux ge-nouxpliés, posermes mains sur mes cuisses.

Et commeje regardais cela depuis quelquessecondes, une sueur froideme glaça soudain.Deux idées, dont une réminiscence singu-lière, venaient de traverser mon cerveau.

D'abord, j'avais songé a quelque idoleindienne dont ma silhouetteserait la repré-sentation grotesque; puiSy~sunultanément

~~t~t <<

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pour ainsi dire, s'étaitdessinée àmesyeuxuneancienne gravure du Me~asm Pittoresquequi m'avait frappé dans mon enfance d'un deces effrois persistants que rien ne dissipe.

C'était, autant que mes souvenirs sontexacts, la sépulture d'un Indien Cornados.Le cadavre apparaissait momiue~ horrible,entre les dentelures de la paroi brisée d'unesorte de jarre en poteriegrossière. Les mem-bres comprimés, réduits à leur minimumd'extension, rigides comme la pierre, don-naient au mort l'apparence de quelque bêtehideuse, d'un génie malfaisant au masqueossinô.

Et mesurant encore une fois du regardmon ombre accroupie et immobile, je me,disais qu'il était possible!

Je bondis plutôt que je ne me levai etquelques minutes après, j'accourais arméencore une fois de la masse et du ciseau. J'at-taquai violemment le panneau mobile. Leplâtre durci résistait; mais je sentais mesforces se décupler.

Enfin je mis à nu la serrure qui n'avaitpas d'orifice, pêne de verrou qui se fermaitpar la simple attraction vers la gâche.

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Je frappais toujours. Les éclats volaientautour de moi et tout à coup, dans l'ombrenoire du socle creux, j'aperçus une formedouloureusementhorrible,momie navrante,agenouillée, la tête baissée et les mainsétendues au long des cuisses, momie quiavaitété un homme, encore couvert des lam-beaux d'un vêtement que je reconnus pourune blouse d'atelier.

A ses pieds, je trouvai un petit flaconvide, et, auprès, un lambeau de papier rongépar l'humidité et sur lequel pourtant je pusencore déchiffrer ces mots

doM&~e serment que j'ai ~e~tt,de ne pas coM~ef ton co~ps aimé à la <en'cet de dormir éternellement à tes pieds.

Je comprenais tout. L'adorée était morte,et lui, après avoir enfermé son corps danscette gaine dont ses doigts avaient modeléles contours, s'était agenouillé dans le socledont il avait tiré à lui le panneau, muni d'unverrou que nul ne pouvait ouvrir ni du de-hors ni du dedans.

Et aussi, je saisissais maintenant le sens

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de cette inscnptiond'ottjaUMaaa~ !e rayon-nement de Famoar 6temet

A TES NBOS

TOOXMMs!1

1 1 · · i · · · 1 · i' 1 · ·Vingt nouvelles années se sont écoutées.

Vingt années pendant lesquelles j'ai veillésur mes amants disparus et dont seul je con-nais la suprême retraite.

Je vieiUis! et quandje mourrai, que de-viendront-ils ?P

Figaro, mara iaec.

MN BB A TB8 PÏEDS 1

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A. V.

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A. V.

mon ami ~m«H<<FM<V~.

1

Si, comme l'a dit Chateaubriand, le bon-heur réside dans l'habitude, M. CharlesPollet, l'ancien notaire retiré, pouvait passerpour un hommeparfaitement heureux.Jamaisexistence ne fut en effet plus exactementchronomôtrique. Ayant vendu son étude,quoique jeune encore, quarante-troisans,

& la suite d'une catastrophe de famille,sa .femme et son jeune enfant ayant péri en-semble, en vue de Courseulles, dans unepromenade en mer, M. Pollet s'était retiré

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dans une petite maison, & l'entréede Passy,et làvivaitseul, avecunevieillegouvernante,ayant arrangé savie aveo une régularité quijamais no se démontait.

Levé tous les matins à six heures, il des-cendait dans son jardin, faisait quelquestours, donnait un coup d'œil a ses plates-bandes; à sept heures précises, rentraitdansla maison, trouvait servi le café quotidien,puis remontait dans son cabinet de travail.A huit heures, les journaux qu'il lisait dévo-tieusement,quelques revues hebdomadairesou mensuelles changaientseules, mais à jourfixe, ce menu intellectuel. A onze heures, ledéjeuner sérieuxagrémentéd'une lecture, lelivre appuyé contre la bouteille, à droite,jamais à gauche. En ces infiniment petits,la position d'unechaise, laplace d'une carafe,la moindre modi&. jttion lui eût été une souf-france.

Aussi la mission de la vieille madameGranson, qui le servait depuisdix ans, c'est-à-dire depuis qu'il s'était terré dans sa re-traite, était-elle de veiller à la pérennité duprésent. Elle l'avait acceptée et peu à peul'avait exagérée elle-même, réglant tous les

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actes où elle devait intervenir sur l'inflexiblemarche de la pendule, attendant, pour appe-1er son maître, que l'aiguillede l'horlogefûtposée sur la minute précise, conservantdanssa tête la topographie exacte des lieux et deschoses, et on ceci parvenueà la perfection dustatu q~o.

A midi, M. Pollet faisait une siestede troisquarts d'heure, puis se mettait au travail,féru qu'il était de la passion des rechercheshistoriques,et tout particulièrement de l'é-tude du quinzième siècle, & quoi l'aidait sin-gulièrement la pertinacitô patiente de sonesprit essentiellementméthodique.

De quatre à six, une promenade, quelquetemps qu'il fit, au bois de Boulogne, dans lesallées de la Muette puis le dîner, pendantlequel, soigneusement, M. Follet lisait unjournal du soir, de la première a la dernièreligne.

Quoique absolument retiré du monde,M. Pollet avait pour devise que, Parisien,rien de ce qui était parisien ne devait luiêtre étranger. Non seulement il absorbaitconsciencieusement les articles de politiquegénérale, française ou étrangère, et dans

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sa solitude, il se passionnait vivementpourses opinions, mais, de plus, il suivait trèsattentivement le feuilleton, sans pour celanégliger lesnouvellesdu jour. les bruits dethéâtre et surtout les faits-divers.

Pour ceux-cimême, comme pour les tri.bunaux, il avait une prédilectiontoute parti-culière. Il professait que c'est dans cescolonnes spéciales que se trouve le mieuxrésumée la vie d'un peuple les incidents dechaque jour, les débats judiciaires prenaientà ses yeux l'importance d'un procès-verbal,peignant,auxyeuxde celui qui sait lire, l'étatexact de la société.

De huit à dix. Ici, selon les jours, leshabitudes, quoique hebdomadairement ré-pétées, n'étaientpas les mêmes.

Deux fois par semaine, le dimanche et lejeudi, M. Pollet recevait. Non qu'il tint salonouvert certes, il aimait trop sa tranquillitépouremplir de bruit sa maison placide.

Le dimanche à huit heures précises, arri-vait sa belle-sœur, une vieille nlle, sœur desa femme regrettée, et pendant deux heureson causait, le plus souventde la morte. Ma-demoiselle Anna Cardinier, c'était son nom,

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était une femme intelligente qu'une désillu-siond'amour– très franchementavouée–avait décidée au célibat, et qui s'était tailléun petit coin reposé dans une communautédont elle était pensionnaire point bigote,raisonnablementcroyante, ne disantaucunepropagande. A dix heures précises, madameGranson allaitchercherunevoiture,M. Polletreconduisait sa beUe-sœur et fermait lui-même la portière et, lui-môme, de la mêmevoix, tous les dimanches, & dix heures pré-cises, jetait au cocher l'adresse de la maisond'Auteuil, avec cette recommandation «Vousattendrez, n'est-ce pas? que madame soitrentrée chez eUe. a

Le jeudi, la modificationapportée à la rou-tine journalière était plus complète. A sixheures précises, arrivait un vieil ami, M. Va-rodat, un homme de haute taille, très doux,très calme, ayant une superbetête d'apôtre,touchant a la soixantaine. M. Pollet l'atten-dait cinq minutes d'avance soit sur leperron, soit à sa fenêtre, en cas de pluie.

Les deux amis dînaient ensemble, puis,aussitôt après le dîner, passaientdans le petitsalon où les provoquait l'échiquier, tout

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dressépar les soins de madame Gransonquine savait du jeu que la position des pièces,ce qui sufnsait a ses aptitudesméthodiques,On faisaittrois parties, pas une de plus, pasune de moins, si bien que parfoisM. Varodatpartait à neuf heures, si des mats imprévusavaient accourci la lutte, tantôt au contraireétait retenu jusqu'àdixheuresetdemie, onzeheures. On les avait vus o prodige

1combattre encore aux environs de minuit.

M. Varodat étaitprofesseurde chimie dansune grande institution. Ces deux hommes seconnaissaient depuis l'enfance, s'aimaientets'estimaient. Ils causaient rarement, ayantmêmes souvenirs et peut-être mêmes,dou-leurs dans le passé. Il était à remarquer ce-pendantque M. Pollet témoignaitune sortederespect attendrià son ami Varodat, peut-êtreparce qu'il avait encoreplus souffert que lui.

Il existait entre eux une habitude peu or-dinaire, surtout à Paris. Au momentdu dé-part, ils s'embrassaient,sincèrement,réelle-ment, sur les joues, comme deux frèresencore enfants. Ce mouvement, accomplisimplement, prenait un caractère touchant.

Des parties d'échec, un livre était tenu,

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très régulièrement,où (~ it notée la minuteexacte où rengagement avait commencé,l'heureoù le perdant avait rendu les armes.Nombre de pages étaient déjà remplies, caril y avait dix ans que les deux athlètes semesuraient chaque jeudi mais leur lecturene pouvait blesser l'amour-propre d'aucun,car ils étaient de force égale et l'équilibredes victoires et des défaites s'établissait tou-jours.

A dix heures en tout temps, sauf en cer-tainescirconstantes exceptionnelles du jeudi,

M. Pollet se couchait pour se relever à sixheures et commencer son manège quotidien.Impossible d'imaginer une existence mieuxpondérée jamais M. Pollet n'allait faire devisites, jamais il n'en recevait, à l'exceptionde quelques libraires qui venaient lui offrir'des documents relatifs à ses études favorites.

Les manuscrits et ils étaient nombreuxse plaçaient, religieusementreliés, sur un

rayon de sa bibliothèque il ne les publieraitpas, n'ayant aucune vanité d'auteur. Seule-ment par son testament,de longtemps rédigé,il en faisait don à la Bibliothèque nationale.

En réalité, un homme excellent, faisant le7

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bien dans la mesure de ses ressources et parl'intermédiaire do madame Granson, n'en-viant rien ni personne un désillusionnéqui n'avait pas de misanthropie, mais esti-mait qu'il avait assez vécu, assez agi, assezsouffert et qui ne se souciait plus d'exposerson cœur déjà meurtri à de nouvelles bles-sures.

Tel était l'homme qui, un samedi de dé-cembre 1887, vint, selon son invariable habi-tude, s'asseoira la table du diner, au momentoù sonnaient six heures.

Déjà le potage était servi, fumant, car ill'aimait très chaud. Par un mouvement ma-chinal, sa main se portait & droite de sonassiette et y prenait le journal du soir dont ilfaisait sauter la bande d'un seul doigt.

Il le dépliait, le retournait pour regarder àla quatrième page le tableau de la Bourse,non qu'il spéculât, mais parce que le mouve-ment de hausse ou de baisse lui servait d'in-dication immédiate sur la situation du jour,puis il parcourait rapidement les dernièresnouvelles.

Ceci fait, il revenait à la première page,pliait le journal de façon à se ménager la lec-

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ture de trois colonnes, appuyait le papiercontre la bouteille et lentement dégustait,tout en lisant.

Lesdiversespartiesdujournalconcordaientavec les services. Politiqueau potage, corres-pondances étrangères et-nouvelles militairesà l'entrée. Parlement au rôti, laits-divers etbibliographie aux légumes, théâtres et feuil-leton au dessert. C'était réglé comme dupapier à. musique.

Pendant cette lecturequi était, elle aussi,une dégustation, madame Granson circulaitde ses chaussures sans talon, s'eSbrçant dene pas troubler son~maMre dont Finaltérablecalme et le méthodisme étaient, pour elle, lameilleuregarantieque tout allait bien.

Or, ce soir-là, M. Pollet, au moment d'atta-quer une tranche de gigot, était arrivé à lacolonne des faits-divers, et très posémenten avait commencéFétude, quandtoutà coupil poussa un <r mon Dieu N si expressif, siviolent même que madame Granson s'àr-rêta, stupéfaite, le regardant de ses yeuxeffarés.

M. Pollet avait pris le journal en main etse dressant à demi pour être mieux éclairé

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par la lampe, descendant du plafond, ils'exclamait

Mais c'est impossibleLui lui allonsdonc!

Et son émotion était telle que, très pale, ilretomba sur sa chaise en chancelant.

Mais qu'avez-vous donc, Monsieur?s'écria la brave dame. Est-ce qu'il est arrivéun malheur?P

Un malheur, oui, oui un grand mal-heur mais ça n'est pas possible cria-t-il

encore en donnant un grand coup de poingsur la table.

Puis, se tournant vers sa gouvernanteVoyons,Madame Granson, écoutez ceci

Varodat, mon ami Varodat,arrêté pourassas-sinat 1.

Jésus Marie C'est un mensonge dejournal, bien sûr Est-ce que M. Varodatest capable?.

Et ce qui est monstreux, continuaitM. Follet, relisant encore le paragraphe quil'avait si fort troublé, c'est que ces gens pré-tendent que Varodat a tout avoué.

Mais ce n'est peut-être pas notre M. Va-rodat.Ily enad'autresquiont le mêmenom.

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Mais pas du tout. Varodat, professeurde chimie. c'est bien lui. tenez, madameGranson, en vérité, je n'y vois plus clair.Voulez-vous lire cela vous-même touthaut ?.

La gouvernante,ahurie,prit le journal quelui tendait son maître, et assujettissant seslunettes sur son nez, elle se mit à lire de savoix un peu chevrotante

« Au momentde mettre sous presse, nousapprenons que l'assassin de la rue Saint-Anne, qui a frappé d'un coup de couteau,ayant déterminéla mort immédiate, un sieurCaribert, agentd'affaires,s'est livré lui-mêmeà la justice et a avoué être l'auteur de cecrime atroce. C'est un sieur Varodat, profes-seur de chimie, très honorablement connu,parait-il. Nous ignorons encore le mobile dece meurtre dont nous avons donné hier lespremiers détails. Varodat a été écroué auDépôt et sera interrogé demain par le juged'instruction. »

Vite, le journal d'hier s'écriaM. Pollet.Car, en vérité, cette histoire m'a presqueéchappé. Caribert. un agent d'affairesComment Varodat connaitrait-il cela?. Et

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puis. et puis. il est incapable de com-mettre un crime, lui, l'honnête homme parexcellence.

Madame Granson, s'empressant, avaitcouru au cabinet de son maitro, où les jour-naux, pendant les huit jours qui suivaientleur apparition, étaient gardes, sur destablettes spéciales, soigneusement mis enordre.

EUe n'eut donc pas de peine & trouver lejournal de la veille.

M. Follet le luiprit des mains, le développanévreusement, et, l'ayantétendu sur la table,se mit & lire, les deux coudes sur le papic"

Voici ce qui était publié au sujet du crimeen question

« Ce matin, le concierge de la maison rueSainte-Anne, i28, montant l'escalier pourporter comme d'ordinaire la correspondancede ses divers locataires, fut surpris de voirque la porte de M. C. agent d'affaires, étaitentr'ouverte, détail qui le frappait d'autantplus qu'il connaissait les habitudes de dé-fiance de ce locataire. n cogna d'abord à laporte, puis sonna violemment et, n'obtenantpas de réponse, il se décida & entrer. A peine

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avait'il pénétré dans l'antichambre qu'il vit,étendu sur le dos, on travers de la porte quiconduit à la pièce principale, te corps deM. C. au milieu d'une mare de sang. Ett*)u-

vanté, il appela, et d'autres locataires survin-rent. On releva le malheureux, mais déjà lecorps était roiroidi, et on constata qu'unelarge blessure dans laquelle restait encoreun couteau–existait a la nuque. La mortavait d~ être instantanée.

» De la très rapide enquête à laquelle il aété procédé, il semble résulter qu'hier, versdix heures du soir, on a entendu sonner à laportedusieurC. Le locatairequihabite sur lemême palier, et dont une des pièces est con-tiguë au cabinet de l'homme d'affaires, aperçu le bruit de deux voix qui semblaient sedisputerviolemment,puis toutest rentré dansle silence. Peut-ôtre cependant ce même loca-taire a-t-il entendu, mais il ne l'affirmepasavec assurance, un choc lourd, commecelui d'un corps qui tombe.

» De plus, une famille qui revenait, à cettemême heure, d'un café-concert des environsa rencontré dans l'escalier un homme quidescendait très rapidement, et dont le signa-

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lement a été recueilli. Oe serait un hommejeune, vêtu d'un paletot gris, coiCe d'un cha.peau de hauteforme,avec barbe blonde assezfournie. Seulement, le concierge, dont rienn'avait attiré l'attention, a au môme instantéteint le gaz, selon l'usage de la maison, sibien queces témoins ne sont pas d'accord surles détails.

» La victime ne parait pas être des plusrecommandables. Le sieur C. serait un deces types d'usuriers, trop nombreux à Paris,et qui exploitent les fils de famille ou les né-gociants dans l'embarras. Il aurait déjà étécondamné pour usure en police correction-nelle. On croit donc qu'il a été frappé parquelqu'une de ses dupes qui se serait vengée.On n'aurait jusqu'ici relevé aucune trace devol. Du reste,l'enquêteestmenéeactivement;la police esten possession d'un indice impor-tant le couteau resté dans la plaie n'est pasune arme ordinaire. C'est un poignard deluxe qui porte des initiales. Nous tiendronsnos lecteurs au courant de cette affaire quicause, on le comprend, un certain émoi dans

ce quartier si vivant et si populeux. »M. Pollet avait lu lentement, avec un soin

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minutieux, étudiant chaque ligne, chaquemot.

Tout a coup il s'écria, en se frappant lefront:·

Mais j'y songe tout cela n'a aucun sens.Voyons,je ne suispas fou, que diable. La datedu journal? C'est bien cela. le crime a étécommis jeudi. à dix heures du soir. Ehbien! à dix heures du soir, Varodatêtaitici.

Mais oui, Monsieur même qu'il n'estparti qu'après dix heures et demie.

Donnez-moi le livre d'échecs.Il le feuilletarapidement,et posant le doigt

sur la page cherchéeVoici. trois parties. La premièregagnée

par moi, les deux dernières gagnées parVarodat et très chaudement disputées. Finià dix heures un quart. Donc il ne pouvaitpas être, à dix heures, rue Sainte-Anne. Pourmoi, je n'ai pas même besoin de cettepreuve.Je le connais trop bien 1. Mais la justice 1.Et il aurait avoué Quoi ? Un crime dont ilest innocent t C'est de la folie 1 Ma canne,mon chapeau ?

Monsieursort s'écria madameGransonstupéfaite.

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Et croyez-vous donc que je pourraisdormir sans en avoir le cœur net P Mon cher,mon bon VarodaU. Cependant je me sensdéjà plus tranquille. Dix heures, c'est dixheures, sapristi1

M. Follet, tout en parlant, endossait sonpaletot, s'enveloppantde son mieux.

Madame Granson s'était approchée de lafen&iceet s'écriait avec de grands gestes

Oh monsieur, comme il neige Vousne pouvez pas sortir par un pareil tempst

Et quand il y aurait un tremblementdeterre 1

Et, sans plus discuter, il enfonça son.cha-peau sur sa tête et sortit.

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II

L'amitié qui unissait ces deux hommes re-montait à plus de quarante années à peines'étaient-ils perdus de vue pendantde courtespériodes. Rien n'avait relâché les liens qniles attachaientl'un & l'autre.

M. Pollet avait cinquante-trois ans, M. Va-rodat cinquante-sept. Leurs familles habi-taient jadis à la campagne, auprès de Paris,deux maisons voisines. Les enfants avaientjoué ensemble, ensemble s'étaient retrouvésau collège, se suivant dans leurs étudesl'un avait choisi le droit, l'autre la méde-cine et les sciences exactes. Ils s'étaient ren-contrés étudiants, et là s'était complètementeffacée la différence d'âge qui les séparait.

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Pollet avait quelque peu prolongéla duréedeson séjour au quartier, tandis que Varodat.plus assidu, pïus sérieux, avait employé jus-qu'à sa thèse le temps strictementnécessairepour l'obtention de son titre' de docteur.Follet, licencié on droit, avait acheté uneétude de notaire. Tous deux étaient richeset jamaisentre eux n'avaientexistéces petitescauses de froissements, prôts et emprunts.

Il est à remarquer que ni l'un ni l'autren'étaientd'une nature expansive. Leur amitiéavait eu pendant longtemps un caractèrepresque réservé. Ils se plaisaient à se rencon-trer, à passer leurs soirées ensemble mais,par une sorte de convention tacite, ilsn'échangeaientsur leur vie privée aucune deces confidences dont souventles jeunesgenssont trop prodigues.

Le temps ne respecte, a-t-on dit, que cequ'il a contribuéà édifier. Ainsi fut-il de leuramitié. Un jour, ces deux hommes, froids enapparence, et qui avaient causé plus qu'ilsne s'étaient confiés l'un & l'autre, s'aperçu-rent qu'ils s'aimaientplus que des frères, carils s'étaient choisis.

Celui qui le premier eut besoin qu'il lui fût

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rendu un service sérieux s'adressa tout natu-rellement a l'autre, sansmômeavoir la penséequ'il pût éprouver, non pas un refus, maisune hésitation. H s'agissaitpour Pollet d'uneajBMre très grave,et quipouvait compromettresa situation. Un de ses clercs avait quittél'étude après des détournementsassez consi-dérables mais, ce qui était plus criminelencore, il avait emporté pour faire pièce àson patron, coupable seulement de trop deconfiance, des papiers et des dossiers de laplus haute importance. Le notaireconnaissaità peuprès l'endroit où il se trouvait. Il s'agis-sait de le rejoindre et, sans bruit, sans scan-dale, de l'amener à restitution. Il était impos-sible à Pollet de quitterson étude il demandaà Varodat de partir à sa place. Celui-ci ne fit

pas une objection, prit le train le soir mêmeet fut de retour au bout de quarante-huitheures, ayant réussi.

Or, & cette époque,Varodat, qui avait com-plètement renoncé a la médecine pour seconsacrer tout entier à des études de chimie,avait souvent entretenu son ami de recher-ches nouvelles, réclamantune minutie et unepersévérancede tous les instants.

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Eh bien, lui demandaitPollet à quelquetemps de là, où en est votre expérience surla liquéfactiondes gaz?

Varodat parut embarrassé, balbutia et ilna-lement dut avouerqu'ilavaitnéglige,pendantquelquesjours, de suivre avec le soin néces-saire cette expérience décisive, qu'il avait dûrecommencer tout le travailet qu'il y avait làun retard d'au moins une année.

Pollet comprit le savant lui avait sacriné,sans un mot de reproche, la réalisationd'un de ses rêves les plus chers. C'était cevoyage de deux jours qui avait tout com-promis.

–Eh bien! n'en auriez-vous pas faitautant à ma place ? demanda le chimiste.

–C'est vrai, répondit l'autre.A trente ans, Pollet se maria. Varodat fut

son premiertémoin, mais il resta l'ami intimedu mari sans consentir à prendre la mêmeplace dans son intérieur. Quoi qu'il eût rc<porté sur la femme et sur l'enfant de Polletl'aSèctionqu'il luivouait <~tqu'il fût pour. euxcapable de tous les dévouements,il se refusa,malgré toutes les instances, à devenir cequ'on appelle l'ami de la maison.

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Mais vous ne vousmariez doncpas ? de-mandaitPollet à Varodat..

Celui-ci lui avoua alors qu'il avait aiméjusqu'à. l'adoration une jeune fille qui,croyait-il, le payait de retour, mais que sesparents avaient contrainte à un autre ma-riage. Quant à lui, il était décidé maintenantà rester célibataire.

Deux ou trois ans après. Follet insista denouveau.Maiscette foisVarodatrépondit plusnettementencore.Il était de sondevoir de ne

pas se marier. Que signifiait cette phraseénigmatique ? Il demanda à son. ami de nepas insister.

Celui-ci avait constaté depuis quelquetemps en lui une mélancolie toujours gran-dissante. Il comprit qu'il y avait en son cœurune douleurencoretroprécente pour qu'ilf~tgénéreux de toucher à la blessure et quel'affection. vraie veut la discrétion. Ce futVarodat qui plus tard parla le premier. Ilremit à son ami un pli cacheté en lui disant

Je ne vous demande pas de serment.Vous n'ouvrirez cette enveloppe que si. jemeurs avant vous, et vous vous conformerezexactement à mes instructions.

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PoUet lui avaitserré la main. C'était chosepromise. Il n'en avait plus été question. Lepli était en lieu sûr, et, en ce cas de mort dePollet, il reviendraitsansdiffleulté aux mainsde son propriétaire.

Varodat s'était jeté avec plus d'ardeur en-core dans le travail. Inconnu de la foule, ilavait acquis une notoriétéde bon aloi parmiles industrielsauxquels ses découvertes chi-miques avaient rendu de réels services. Ilétait resté modeste, aimait l'obscurité etpassait à travers la vie, toujours un peutriste. Il avait son secret de douleur et deregret.

Quandl'horriblecatastrophede Courseullesavait brisé la vie de PoUet, en lui arrachantd'un seul coup, par une aberration mons-trueuse de la fatalité, ce qui constituait savie, ses espérances, son avenir, sa femmeet son enfant, Varodat était venu à lui,abandonnanttout; il avait reçu dans ses brasce blessé qui appelait la mort, pleurant aveclui et, amitié vraie, ne cherchant pas à leconsoler avant l'heure.

La crise avait été longue, horriblementdouloureuse mais l'affectionpatiente, infati-

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gable en avait eu raison. Il n'était restéau désespéré qu'une sorte de lassitude devivre par impossibilité de recommencer lavie. C'était Varodat qui avait endormi sesexaltations dans la monotonie des occupa-tions régulières, c'était lui qui avait fourni àson esprit déséquilibré l'aliment des étudesd~ passé, propres à voiler le présent, et lebonheur relatif dont jouissaitl'ancien notaireétait son œuvre.

L'existence avait repris son train placide,ponctuépar la régularité des habitudes.

Vous êtes un grand médecin, lui disaitparfois Pollet qui le.comprenait.

Une seule fois Varodat avait réponduGrand médecin qui ne sait pas se gué-

rir lui-même.Mais il n'avait rien ajouté.Et voilà l'homme qui aujourd'hui se serait

trouvé compromis dans une horrible affaired'assassinat Enfin Pollet allaitpouvoir pren-dre sa revanche,. il allait se dévouer à sontour pour défendre, pour sauver son ami. Ilétait sûr qu'en cette sinistre péripétieVaro-dat comptait sur lui, l'attendait.

Mais il avait avoué! racontars de jour-

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naux auxquels il ne fallait pas attacher lamoindre importance.

Donc, a sept heures du soir, au milieu detourbillons de neige que poussait un ventfroid de décembre, l'ancien notaire se trou-vait dans la grande rue de Passy, impatientd'aller. ou? il ne le savait pasencore.

Les omnibus étaient arrêtés. Pas une voi-turc qui consentît à marcher..

Pollet résolument se mit en route, rôné-chissant.

Par où commencer ? Pardieu, c'était biensimple. Madame Granson avait prononcéelle-même, avec son instinct, le premiermotde la situation. Varodat 1 le nom, pour n'êtrepas commun, pouvait être porté par quelqueautre personne. Professeur de chimie? lehasard en avait fait bien d'autres

Eh bien il fallait d'abord se rendre au do-micile de Varodat. Là on saurait immédiate-ment à quoi s'en tenir. Il demeurait rue deDouai, et l'Ecole industrielle où il professait

se trouvait rue de Rome. Si les renseigne-ments faisaient défaut à son domicile, Polletse rendrait à l'Ecole. Le plan était. ainsi bientracé.

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Il n'avait plus la vigueur de la premièrejeunesse M était devenu un peu gros, la res-piration était courte, les jambes étaient dé-shabituées de la marche, et surtout de lamarche rapide avec ce fouettement glacé auvisage, avec ce glissement sous les pieds.

Il ne sentait rien, il allait, impatient d'ar-river.

Partout des voitures en détresse. La villesubitements'était faite déserte. Les quelquesvéhicules qui rentraient au gîte passaient si-lencieux, commedes ombres.

Pollet serrait son paletot autour de lui, secuirassant et contre le froid et contre l'im-pression douloureusequi luivenaitdes chosesmornes.

Ainsi il arriva à la rue de Douai, transi, etpourtant ayant la nèvre.

Il connaissait bien la maison de son ami,quoique bien rarement il fût allé chez lui.Quelquefois seulement, sur une demandeexpresse, il avait quitté sa thébaïde pourassister à une expérience curieuse, révélantun progrès, un pas en avant dans cette voiesans fin où, depuis le commencement dusiècle, la sciences'est si résolumentengagée.

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Le logement occupait le rez-de-chausséed'une grande maison et avait été choisi parle travailleur parce qu'il connnait, par der-rière, à une sortede hangar qu'il avait louéet transforme en laboratoire.

C'était au numéro 47. Surpris, l'ancien no-taire vit deux voitures devant la porte co-chère, qui étaitfermée.Au-devant,un sergentde ville se tenait, hermétiquement encapu-chonné, immobile avec son aspect de moinenoir.

Pollet s'avançarésolument.Qu'est-cequevous demandez? fit l'agent

en barrant la porte.Entrer dans cette maison.Pourquoi faire?Pour rendre visite à un de mes amis.Qui s'appelle ?.

Pollet n'était pas des plus patients, et un« Cela ne vous regardepas a lui monta auxlèvres mais il se contint à temps.

N'est-on pas libre d'entrer?Non. Il faut dire ce que vous voulez.Eh bien! 1 finissons-en. Je suisl'ami d'un

locataire qui demeure là au rez-de-chaussée.Il est chez lui, puisqueje vois de la lumière.

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Ah c'est chez celui-là. dites-moi doncun peu son nom, pourvoir.

-Puisqu'il le faut absolument. je vaiachez M. André Varodat.

U avait ajouté le prénom, comme pour-dé-truire d'un seul coup des soupçons pouvantnattre d'une homonymie.

Bon, lit l'agent. Alors entrez. j'entreavec vous.

Pollet eut peine à réprimerun frisson. Mal-gré tout son optimisme, il sentaitque la mainde la police était sur cette maison.

L'agent avait poussé la porte, puis, s'ena-çant, l'avait invité à passer devant lui, l'avaitsuivi et, se dirigeantvers le rez-de-chaussée,avait ouvert la porte intérieure, lançant cesmots:

Voilà un monsieur qui vient voirM. Va-rodat.

Subitement,Pollet s'était trouvé au milieud'un groupe d'agentsen uniforme et d'autrespersonnages en habits bourgeois. Instincti-vement, il ôta son chapeau.

En sa qualité d'ancien officier ministériel,il avait le respect de tout ce qui, de près oude loin, touchait à l'autorité légale.

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C'est vous qui demander M. Varodatinterrogea assez brusquement un hommejeune, au profil maigre, en lame de couteau.

Oui, monsieur, c'est moi.Veuillez me donner votre nom.

Ces mots avaient été prononcésplus poli-ment. Follet avait pris son air « notaire » etle petit monsieur avait vu tout de suite qu'ilétait quelqu'un.

Au fond, Pollet tremblait. Il restait calme.Ce sont là les grands courages.

Il tira sa- carte et la remit au personnagequi n'était autre que le secrétaire du com-missaire de police du quartier et qui, ayantjeté les yeux sur le bristol, lui dit:

Veuillez attendre un instant, Monsieur.Je vais remettrevotre carte à M. le juge d'ins-truction.

Cette fois, le pauvrehomme frissonna pourtout de bon. Le juge d'instruction1 ainsi toutétait vrai. c'était bien son Varodat, à lui,qui était au pouvoir de la. justice, sous uneinculpation pouvant entrainer la peine capi-tale.

Mais, à mesure que le danger s'affirmaitplus évident, Pollet reprenait son sang-froid.

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Varodatcourait un péril réel. Il fallait le dé-fendre. 11 ne faiblirait pas. D'ailleursne suf-nrait-il pas d'un mot pour renverser toutl'échafaudage de l'accusation?

!1 regardait autour de lui, examinant cesfaces impassibles, mais résistant au désir in-tense de questionner. A quoi bon d'ailleurs,puisque dans un instant il allait connaîtretoute la Terite P

Quelques minutes s'écoulèrent pendantlesquelles, avec une légère cambrure desreins, PoUet raffermissait à la fois son allureet sa volonté.

Une porte s'ouvrit. Le secrétaire reparutet lui fit signe d'avancer.

Il obéit et se trouva dans une pièce qui ser-vait de salle à manger et qu'il connaissaitbien. Devant une table, un homme assisécrivait.

Un autre, cheveux blancs, correct, officierde la Légion d'honneur, était debout, par-lant

Vous convoquerez pour mardi les per-sonnes que je n'ai pu recevoir aujourd'hui.Vous avez bien les noms ?

Le greffier, ânonnant, lut sur une feuille

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M. Martial Combault, M. Adrien Ver-nier, M. Charles Laterre.

C'est bien cela.Pollet restait immobile, attendant.Le grefner dit

Monsieur le juge, voilà la personne.Et il lui tendit la carte que lé juge prit

et regarda. Puis se tournant vers l'arrivant:C'est vous, Monsieur, qui veniez rendre

visiteàM.Varodat?C'est moi.Vous le connaissez ?2Beaucoup. Depuis quaranteans.Ah Et que lui vouliez-vous ?Monsieur, ma qualité dont vous avez

pris connaissance par la lecture de ma cartevous est une garantie de ma sincérité. J'ailu ce soir môme, dans un journal, la stupé-nante nouvelle de l'arrestation de mon amiM. Varodat. J'ai cru, je crois encore qu'il ya là un malentendu épouvantable. Je suppo-sais même qu'il s'agissait d'une autre per-sonne portant le môme nom, et je suis venupour m'en assurer. D'après ce que je vois, jecomprends que l'information était exacte etque mon ami est l'objet de soupçons graves.

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Je suis d'autant plus heureux d'avoir faitcette démarche, que, si vous me le permettez,je vous prouverai d'un mot que l'accusationtombed'elle'môme.

Le juge d'instruction le regardait attenti-vement l'ancien notaire avait une de cestournures toutes spéciales que donne l'habi-tude des fonctionslégales. H parlaitposémentavec netteté, employant le motpropre, sansphrases inutiles.

Vous dites connaître M. Varodat depuislongtemps, reprit le juge sans répondre di-rectement à ses dernièresparoles,sans doutevous ôtes son confident intime.

Comme il est le mien, Monsieur.Alors vous a-t-il avoué qu'il eût des em-

barras d'argent.Lui M. Varodat est dans une situation

très aisée que j'estime au moins à quinzemille livres de rente.

Je crois que vous vous trompez. Cardans la perquisitionqui vient d'être faite, onn'a trouvé aucune trace de valeurs.

C'est qu'elles sont en dépôt dans quel-que établissement de crédit.

On aurait trouvé les reçus. Mais lais-

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sons cela les déclarations de M. Varodatlui-mêmecontredisentvosafnrmations. Vousdites donc que vous pouvez nous donner lapreuve immédiate de l'innocence de l'in-culpe.

Oui, monsieur. Cette preuve, que je nepuis vous donner queverbalement,vous seraconnrmee par une pièce quasi authentique

et par des témoignages. Mais d'abord mepermettrez-vousde vous demandersi le jour-nal disaitvrai en nxant à jeudi, dix heuresdu soir environ, le crime dont il s'agit.

C'est exact.Eh bien, monsieur, je vous donne ma

parole d'honneur, vous entendez bien etde plus je prouverai mon dire que jeudisoir, à dix heures et demie, M. Varodat étaitchez.moi. Or, je demeure à Passy. Mêmeavec la plus grande hâte, il serait impossiblede se trouver rue Sainte-Anne, avant onzeheures et demie. donc il y a confusion, jele répète, malentendu. M. Varodat ne peutêtre coupable du crime dont on l'accuse.

Il y eut un silence.Savez-vousbien, monsieur, dit le juge

en fixant ses yeux sur ceux de son interlocu-

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teur, que vous me paraissez vous compro-mettre quelque peu.

En disant la vérité 1

En vous laissant entralner par l'amitiéau delà des limites raisonnables.

Mais je vous jureAttendez

Le juge aUa a une porte du fond etdit:

Amenez l'accusé.Pollet se sentit pâlir. Une indéfinissable

angoisse lui serrait le coeur.Varodat apparut entre deux agents.C'était bien lui, c'était bien sa bonne et

vaillante Sgure, aux méplats osseux et éner-giques, au regardattristé.

Mais Pollet eut peine à retenir un cri desurprise. D'ordinaire, et il y avait deux joursencore, Varodat portait sa barbe très longue,une barbe blonde blanchissante, une barbede fleuve.

Maintenant -cette barbe était courte, tailléeen deux pointes, ce qui changeait et rajeu-nissait la physionomie tout entière.

Varodat vit Pollet et ne put réprimer untressaillementque surprit le juge.

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Vous connaissez monsieur ? demanda-t-il à Varodat.

S'il me connaît! commença l'anciennotaire.

Veuillez garder le silence, dit le jugeassez sèchement. C'est monsieur que j'inter-roge.

Varodat se redressa, élargissantsa poitrine,commepour l'emplir d'air et de force, et ditsimplement

Oui, monsieur.M. Follet, reprit le juge en jetant les

yeux sur la carte qu'il tenait à lamain afin dese remémorer ce nom, M. PoUet affirme quevous avez passé chez lui la soirée de jeudi.

Varodat tenait les yeux à demi-baissés;

une légère contraction crispa ses lèvres, etentre ses paupières, son ami surpritunregardnavré, suppliant.

Mon ami, M. Pollet, malheureusementse trompe, dit Varodat.

Mais non mais non 1 cria M. Pollet. Jesais bien, moi, que nousavons passé la soiréeà jouer aux échecs.

Cette fois, très nettement, d'un accentpresque dur, Varodat répliqua

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C'est une erreur. J'espère que M. lejuge excusera votre amitié pour moi. maiselle ne doit pas aller jusqu'au mensonge.

M. Pollet eut un sursaut nerveux il avaitreçu le coup en pleinepoitrine,et, stupéfait,il balbutiaitdes protestations inintelligibles.

Monsieur, repritle juge, je tienscomptede l'affection que vous semblez porter à l'ac.cusé et ne veux pas incriminer votre atti-tude. Seulement, vous comprendrez, j'es-père, que touté insistance serait, non seule-ment inutile, mais encore peu convenable.Veuillez vous retirer. Je vous ferai d'ailleursprochainementappeler à mon cabinet.

L'ancien notaire n'était pas un timide.Mais l'étrangeté de la situation le paralysait.Il regarda encore Varodat qui maintenanttenait ses yeux obstinément Rxés à terre, ilouvrit la bouche pour parler les mots s'ar-rêtèrent dans sa gorge, et, ahuri, commefoudroyé, il vit la porte s'ouvrir devant lui etil se trouva dans la rue sans savoir commentil était sorti.

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III

Mettez donc votre chapeau, monsieur,dit une voix auprès de lui. Vous allez vousrendre malade.

En effet, Pollet, dans son trouble, restaitle crâne nu, exposé à la neige.

Il obéit machinalementet regarda l'hommequi lui avait donné ce conseil.

C'était un personnage jeune, élégammentvêtu, enveloppéd'un paletot & collet de four-rure.

–Monsieur, reprit celui-ci, voussemblezconnaître l'accusé.

–Oui. oui. je le connais. c'est monplus intime ami.

Alors vous ne refuserez sans doute pasde me fournir quelques renseignements.

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Et tout en pariant, l'inconnu avait touchéla-bras de M. Pollet et l'avait mis en marche,l'accompagnant de près..

Mais. de quel droit? qui êtes-vous ?2balbutiait le bravehomme.

Rien que de très simple. Je suis jour-naliste, reporter, si voos voulez, attaché auNouvelliste, et je vous serais reconnais-sant.

Au Nouvelliste 1 mais c'est par lui quej'ai appris cet horrible malheur. Je vous enprie, dites-moi ce qui s'est passé. exacte-ment.

Très volontiers, Rt le reporter, mais àcharge de revanche, n'est-ce pas?

Oui. je vous promets.Alors Varodatest bienréellement accusé d'assassinat.

Réellement. Nos informations étaienttresejcactes.

–Mais, qui l'a accusé?.Personne. ou plutôt le hasard, ce dan-

gereux hasard qui est le plus précieux auxi-liaire de la police. Mais, permettez, noussommes en pleine rueet, par un pareil tempst~es mal installés pour causer. Vous répu-gnerait-il d'entrerun instant au café ?2

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Au café il y avait certes plus de vingt ansque pareille équipée n'était arrivée au soli-taire de Passy. Mais il s'agissaitbiende celatIl suivit donc le reporter et, un instant aprèstous deux se trouvaient, devant une table demarbre, à un café de la place Moncey.

M. Pollet ne vit môme pas le verre deMore qu'on plaça devant lui.

L'autre, fort poli, lui mit sa carte sous sesyeux

Michel Lamblin, du NoMceHt~e.La physionomie était ouverte et intelli-

gente.Par un mouvement d'échange instinctif.

M. Pollet lui remit sa carte à son tour. Puisildit:

Ecoutez, monsieur, en ce moment j'aila tête perdue. Laissez-moi vous expliquercela en deux mots. Je suis depuis près decinquante ans l'ami, le compagnon, l'insépa-rable de M. Varodat. Or, je sais, moi, quenul homme n'a jamais été plus honnête. Jesais qu'il n'a pas commis le crime dont onl'accuse. C'est pourquoi, puisque vous êtesla première personne à qui les circonstancesm'adressent, je vous supplie de me répondre

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avec la sincérité la plus absolue, de ne merien cacher de ce que vous pouvez savoir.et. mon Dieu, j'ajouterais, s! je l'osais, queje vous demande comme une grâce de m'ai-der à le sauves.

Lamblin, tout en s'intitulant très modeste-ment reporter, était mieux que simple cher.cheur de nouvelles plus sceptiqueque vrai-ment philosophe, il se plaisait avant tout àl'étude des problèmes que le « Fait divers eoffre chaque jour à Paris, à la sagacité del'analyste. Doué d'un sens très fin, un peuaigu même, porté 'par nature à un certainpessimisme, il n'admettait guère plus lesbonnes que les mauvaises actions. « Tout asa raison d'être disait-il souvent, et il eûtété fort difficile de l'amener à blâmer ou àapprouvercomplètement tel ou tel acte. S'ilajoutait à l'éloge le « seulementqui l'atté-nue et souvent l'annihile, il compensait leblâme par des « pourtant N qui excusaienten expliquant. Chez lui, le journaliste n'avaitpas absorbé l'homme, et ses récits, toujoursintéressants, ne présentaientpoint ce carac-tère d'indiscrétion à outrance qui parfoisfrise l'indélicatesse ou la cruauté. Il sem-

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blait savoir beaucoup en fait, il disaitmoinsqu'il ne savait, conservantnombre de détailspour sa propre instructionet estimant quelepublic en connaissait assez, dès qu'il croyaitles connaître tous.

Voyons, Monsieur, Rt'il après avoirentendu l'adjuration de l'ancien notaire, jevais vous expliquer ce qui s'est passé. Rienn'estd'ailleursplus clair et plus bref. Je voisque vous êtes de bonne foi et que vous vousintéressezvivement à ce chimiste. Vous ledites innocent, vous êtes dans votre rôled'ami. Mais j'ai bien peur que vous n'ayezà changer d'opinion.

C'est impossibleSoit, je ne discute pas. Voici les faits.

Donc, vous savez que jeudi soir, un certaingredin, très connu d'ailleurs sur la place deParis section des bas-fonds usurier,donc voleur, a été trouvé assassiné. Il esthors de doute que le crime a été commisentre neuf heures et demie et dix heures.

On est bien sûr de l'heure?Absolument. Ce M. Caribert est rentré

chez lui à huit heures et demie. On l'a vu.L'autopsie a fixé l'heure de la morL C'est

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indiscutable. A-t-on vu l'assassin P Oui. On

a rencontré dans l'escalier un personnagequi descendait rapidement quant à sonsignalement, il faut se contenter d'à-peu-pres. Une barbe blonde à deux pointes.On a dit qu'il était jeune, mais l'escaliern'était pas très vivement éclairé. A ce pointde vue, une erreurest possible. Maintenant,comment a-t-on été mis sur la trace du cri-minel ? Tout d'abord, on est en possessionde l'arme qui à servi à commettre le meurtre,un couteau, ou plutôt un poignard, de fabri-cation espagnole, comme il s'en vend àToléde, avec manche damasquiné. Sur cemanche, deux initiales, un A et un V. C'étaitlà un indice précieux;mais, il faut le recon-naître, si on avait dû chercher le coupabledans le nombre des gens qui ont les mêmesinitiales,on auraitbien pu battre en vain lesbuissons. Mais si l'assassina commisl'impru-dence de laisser l'arme dans la plaie, ce quiprouve qu'il ne s'agit pas là d'un meurtrierémérite,maisbien d'un passionné qui a cédéàun mouvement de rage, fort explicable quandil s'agit d'un bandit comme ce Caribert, il afait plus encore. Le lendemain matin, lors

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d'une seconde descente de police, notexceci à la seconde seulement,ce qui prouvecombien ces sortes d'affaires sont menéeslégèrement, on a trouvé en bas de l'esca-lier, dans l'angle rentrant de la cage, un por-tefeuille dont le cuir portait ces mêmes ini-tiales A. V. ot, dans ce portefeuille, les pa-piers de M. André Varodat, dont deux billetsà ordre, de deux mille francs chacun, frois-sés et tachés de sang.

M. Pollet eut un geste d'incrédulité fu-rieuse.

Je vous affirme que tout cela est parfai.tementexact. Enfin, vous connaissez le prin-cipe policier, cent fois venue, d'après lequel1l'assassin toujours rôde autour du théâtre ducrime. Eh bien, dans l'après-midi, et avantqu'on se fût rendu chez lui, M. André Varo-dat venait sous prétexte d'appartement àlouer, demanderau concierge des renseigne-ments insignifiants. Le chef de la Sûreté quise trouvait là jugeaque les allures du person-nage étaient singulières, l'interrogea, con-stata son trouble et l'arrêta. Enfin, dans laperquisition opérée tout à l'heure, on a saisichez M. Varodat, suspendue dans sa cham-

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bre à coucher, auprès la glace, la gaine dupoignard en question. M. Varodat n'a d'ail-leurs même pas tenté de nier. Dès les pre-mières minutes, il s'est senti perdu et aavoue! Persistez-vous à dire qu'il est in-nocent ?

Oui, cent fois oui s'écria l'ancien no-taire.

Il faut reconnaître, monsieur, que vousavez la foi solide. A mon tour, je vous de-mande de m'expliquersur quelles basespeutreposer votre conviction. Partez d'ailleursde ce principe que je n'admets jamais l'im-possibilité de rien. J'ai toujours jugé saintThomas trop incrédule. Ne voyez donc pasen moi un adversairede parti pris.

Peu à peu, M. Pollet avait repris sonsang-froid.Le ton calme du reporter n'avaitpas peu contribué à cette accalmie.

Monsieur, lui dit-il, regardez-moi bien.Ai-je l'air d'un fou?

Mon Dieu, non.J'ai dépassé la cinquantaine. J'ai rem-

pli pendantvingt ansdes fonctions délicates.J'ai la tête saine et ne m'emporte jamais.Eh bien 1 je vous affirme sur l'honneur

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sur l'honneur, vous entendez Mon queM. André Varodat, mon ami, a passé avecmoi, en face de moi comme en ce momentvous vous trouvez vous-même, la' soirée dejeudi dernier et qu'à dix heures du soir nousétions occupés tous deux ajoueraux échecs,dans mon salon, a Passy. A mon tour, jevous le demande, est-ce assez clair, est-ceassez net ?

Lamblin regardaitattentivementson inter-locuteur. A cette question « Ai-je l'air d'unfou ? » il n'avaitpas répondu par une déné-gation trop vive, jugeant que les pires foussont ,ceux qui ne semblent pas l'être. Mais,

en vérité, en ce moment, M. Pollet parais-sait jouir de toute sa raison.

A quelle heure M. Varodat est-il arrivéchez vous ?̀t

A six heures, ainsi qu'il arrive tous lesjeudis, depuis plusieurs années.

Vous avez dîné ensembleOui.Quel était votre menu ?

M. Pollet eut un mouvement presque en-coléré. C'était bien le moment de plaisan-ter 1

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Ne vous étonnez pas dômes questions,nt le journaliste.Je vous les expliquera! tontà l'heure. Donc qu'avez-vous mangé a dîner?

Attendez! oui, voici. Potage grasaux pâtes d'Italie, blanquette de veau, petitspois de conserve, niet rôti, fromage.

Ducafé?Nous n'en prenons jamais le soir.Et après dîner ?P

-Nous nous sommes commodémentins-tallés devant l'échiquier, et nous avons faittrois parties.

Qui a gagné ?PVarodat. J'ai perdu les deux dernières.

A dix heureset demie il est parti.–A pied?.

Il a dû, comme toujours, prendre l'om-nibus avec correspondance pour les boule-vards extérieurs, et descendre ici même à laplace Moncey, vers onze heures un quart.Donc, il est impossible qu'il se soit trouvérue Saint-Anne à dix heures. Donc, il n'apas assassiné cet homme,et, à défaut de lacertitude morale qui est en moi et que rienne pourrait ébranler, j'ai la certitude maté-rielle la plus indiscutable.

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Lamblin Fléchissait.Tout a sa raison d'être, dit-il enfin,

énonçantune fois de plusson axiome favori.Vous aimez M. Varodat, et le juge d'instruc-tion attribuera votre tentative de défense aun pieux motif.

C'est-à-dire, monsieur, que vous mecroyez capable de mensonge 1.

Le mot serait mal appliqué, si on pré-tend que le mensonge est toujours une mau-vaise action.

Mais je ne demande pas votre indul-gence 1 fit M. Pollet qui s'exaspérait. Certes,s'il fallait mentir pour sauver Varodat, je leferais sans hésiter, je ne m'en cache pas;

mais ici, je ne dis que la stricte vérité. Etj'ai des preuves ma domestique confirmeracette affirmation. Que sais-je? il se peutque des voisins aient vu sortir Varodat:dechez moi. Je prouverai, vous dis-je, quetout cela est exact, archi-exactl.

Alors, demanda Lamblin, commentexpliquez-vous,primo, que le crime ait étécommis avec un poignard appartenant àM. Varodat, que le portefeuille de M. Varo-dat ait été trouvé dans l'escalier, que M. Va-

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rodat soitvenu rôder autour de la maison dela rue Saint-Anne, et, ennn, que M. Varodat

se soit avoué coupable. Répondez d'abord àces questions. Après cela, nous discute-rons.

M. Pollet se tenait la tête à deux mains,avec une expression de douloureuse an-goisse

Que voulez-vous que je vous dise?Ps'écria-t-il. Rien ne fera que Varodat n'aitpoint passé la soirée chez moi.

-Vousne vous trompez pas de jour ?Impossible. Il ne vient chez moi que le

jeudi.Alors, comme nous ne pouvons suppo-

ser que M. Varodat, de gaieté de cœur, s'ac-cuse d'un crime qu'il n'a pas commis, nousdevons nous en tenir à une autre hypothèse.

Laquelle ?C'est qu'on se trompe sur l'heure de

l'assassinat. En effet, sur quoi se base-t-onpour la fixer? Sur de prétendus bénits quedes voisins auraient entendus chez ce Cari-bert sur le témoignage de gens qui, ren-trant chez eux, auraient rencontré dansl'escalierun homme qui paraissait se hâter

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de sortir. Tout cela peut, en somme, n'avoiraucune importance. L'assassinat n'a étéconstaté que le matin, et les médecinspeuventfort bien se tromper à une ou deuxheures près. De votre propre aveu,M.Va-rodat, parti de chez vous à dix heures etdemie, peut être arrivé rue Sainte-Annevers onze heures, onze heures un quart.Vous ne savez pas quelle direction il a priseen sortant de chez vous, s'il est monté enomnibus ou en voiture de place. Votreaffirmation n'est pas une de ces preuves quidétruisent toute une argumentation,fondéesur les présomptions les plus solides.

M. Polletsemblait atterré. Lamblin vit degrosses larmes monter à ses yeux. Il lui pritla main

Pardonnez-moi, dit-il, si j'ai pensé touthaut. Je vous cause un réel chagrin, mais ceque je déduis ici sera relevépar l'accusation.Que dis-je? elle n'aura môme pas ce soucipuisque votre ami se reconnaît coupable.Il expliquera lui-même à quelle heure s'estpassée la scène tragique. il dira à quelleheure il est parti de chez vous, comment ils'est rendu rue Sainte-Anne.

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Maïs non s'écria M. Pollet en frappantla table de son poing fermé. Non, il ne dirarien de tout cela. car, il est un détail quevous ignorez, c'est que tout à l'heure, enface de moi, il a nié avoir passé la soirée àPassy.

Cette fois, le journaliste releva vivementla tête.

Etes-vous sûr de cela? fit-il.Eh! parbleu, encore une fois, je ne suis

pas un halluciné. J~ sais ce que j'ai vucomme ce que j'ai entendu. Le malheureux,en face du juge d'instruction, m'a infligé ledémenti le plus catégorique.

Les deux hommes gardèrentle silence.Chez Lamblin, l'éveil était donné au cher-

cheur. Décidément il y avait en tout celaquelque chose d'anormal. Il flairait un mys-tère comme le chien de chasse tombe en ar-rêt sur une piste.

Jusqu'à ce moment, toute cette aventurelui avait paru d'une simplicité élémentaire.Le crime n'étut qu'une revanche violente devexations, de persécutions d'usurier, tropfaciles à deviner et à comprendre. Quant àl'ancien notaire, mû par un sentiment très

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naturel, il allongeait d'une heure ou deux leséjour de Varodat chez lui.

Mais que celui-ci niât justement cette cir-constance qui aurait pu servir de base à sadéfense, c'était stupéflant Et, en admet-tant qu'il lui fût impossible de revenir surl'aveu que, dansson premier trouble, il avaitlaissé échapper, pourquoi se refusait-ilà re-connattre qu'il était allé ce soir-la chez sonami de Passy ?

C'était donc que l'heure primitivementindiquée pour la perpétrationdu crime étaitexacte, dix heures, et que, par conséquent,M. Pollet mentait.

M Pollet mentait-il?La supposition n'avait rien d'invraisem-

blable. Cependant, s'il était très naturel qu'ileût menti au juge d'instruction, alors qu'ilcroyait apporter à la défense de son ami unappoint considérable, quel intérêt avait-il à

persister dans ce mensonge, percé à jour,inutile à son ami et peut-être préjudiciablepour lui-même?

Ecoutez, monsieur Pollet, reprit Lam-blin, vous ne me connaissezpas, et je n'ai au-cuntitre à votre confiance.Cependantcroyez

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que je suis un très honnête homme je vousai abordé par curiosité,par devoir de métier,je puis dire. Maintenant j'obéis a un intérêtplus élevé. Voulez-vous me faire connaîtreles liens qui vous attachent à M. Varodat ?PJe suis franc avec vous vous affirmez unechose M. Varodat la nie. L'un de vousdeux altère la vérité, et je ne vois d'intére~tni à l'un ni à l'autre dans cette dissidence.Dites-moi ce que vous savez de lui, et jechercheraià me former une opinion.

Mais votre opinion doit être toute for-mée. Ne vous ai-je pas donné ma paroled'honneur?

C'est vrai, et il serait inconvenant àmoi d'en douter. Vous admettez bien cepen-dant l'étangeté du cas, et nous ne porteronsla lumière dans ce chaos qu'à la conditiond'allumer notre lanterne. Voici ce que jevous propose. Vous demeurez à Passy im-possible de trouver une voiture je vais vousreconduire et, en route, vous me raconterezl'histoire de M. Varodat. Acceptez-vous ?

Un seul mot. Je n'ai aucune raison dedéfiance à votre égard. Mais je suis de natureprudente. Je suis un bourgeois, et j'ai un

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peu peur des journaux. Bien que je ne diseque la stricte vérité, je redoute la publi-cité.

–Je m'engage sur l'honneur, à mon tour,à ne rien publier denotre entretien sans votrecomplet assentiment.

Je vous remercie, et je suis à votre dis-position.

Les deux hommes partirent. La route étaitlongue, mais ils ne s'en aperçurent pas.M. Pollet retrouvait toute l'éloquence de lajeunessepour parler de son ami, pour expli-

quer les trésors de bonté, de magnanimitéqu'il y avait en lui c'était, en ce bourgeois,comme il s'intitulait lui-même, l'explosiond'une amitié profonde, qui jamais n'avaittrouvé l'occasion de se manifesteravec tantd'abandon.

Lamblin, d'abord hésitant, maintenant sesentaitenveloppé, entraîné.Une doutaitplus.Varodat avait passé la soirée chez son ami, ilétait innocent. Et pourtant il s'avouait cou-pable Si étrange que fût l'anomalie, elleexistait! et, 'sa passion de chercheur se su-rexcitant, il se jurait à lui-même de trouverle mot de l'énigme.

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Il était minuit quand ils arrivèrentà Passy.Madame Granson, à demi morte d'inquié-

tude et de froid, attendait à la fenêtre.Elle ouvrit précipitamment la porte, et,

avant que son maître eût franchi le seuilEh bien MonsieurVarodat? demanda-

t-elle. Êtes-vousrassurée au moins ?P-Arrêté C'était bien lui! mais il est

innocent. C'est inconcevable 1

Madame Granson regardait curieusement,et non sans inquiétude, le compagnon queramenait son maître. Un étranger à la mai-son, et à pareille heure, c'était le monderenversé.

Très naturellement, M. Pollet le lui pré-senta, disant

M. Lamblin, un ami, qui m'aidera àsauver ce pauvre Varodat1

–Ah! Monsieur, cria la gouvernante, cesera une belle action. Ah à propos, Mon-sieur, j'ai eu bien peur tout à l'heure. Ilest venu une éspèce de gamin, marquantmal, et qui a apporté une lettre pour vous.

Une lettre donnez vite1

C'était un billetnon fermé, écrit au crayonet qui était froissé, presque illisible.

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M. Pollet lut:« Par grâce, silence 1 A. V. »C'était l'écriture de Varodat. Evidemment

ce billet avait été écrit après le départ deM. Pollet. Quel moyen Varodat avait-il putrouver pour l'envoyer & son adresse, peuimportait. L'intention était patente. Il sup-pliait son ami de ne pas intervenir.

M. Pollet le passa à Lamblin et les deuxhommes se regardèrent:

Madame Granson, donnez-moi le livred'échecs.

Il l'ouvrit devant le journaliste, lui indi-qua du doigt les mentionsdu registre et luidit:

Maintenant, croyez-vousque je vous aidit la vérité?

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IV

En France, les instructions sont suspen-dues, officiellement, pendant quarante-huitheures, du samedi soir au mardi matin. Ledimanche, passe encore, mais on comprenddifficilement pourquoi les juges. « font lelundi a. Vieil usage, dira-t-on. Cela suffit.Tarte à la crème.

Donc, pendant ce temps, M. Pollet et Lam-blin, qui s'était mis de tout coeur à sa dispo-sition, ne purent obtenir aucun détail nou-veau. Le Nouvelliste, tout en publiant lesdétails de la perquisition, n'avait fait aucuneallusion aux complications dont les deuxhommes avaient le secret. La visite deM. Pollet à la rue de Douai était demeuréeinaperçuepour les autres.

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Cependant, pour la premièrefois depuis delongues années, M. Folletavaitcontremandé,pour le dimanche, la visite de madame Car-dinier. Il était trop préoccupé pour remplir,comme il en avait l'habitude, son rôle demaître de maison.

Mais à sa grande surprise, le lundi matin,une voiture s'arrêta devant sa porte et lavieille fille en descendit. Elle avait été telle-ment troublée par l'avis insolite qu'elle avaitreçu, puis saisie d'une telle inquiétude,qu'elle n'avait pu résister au désir de savoirle véritable motif do ce contre-ordre. Elleavait supposé quelque catastrophe dans lavie de M. Follet, et brisant, elle aussi, avectoutes ses habitudes, elle était sortie et s'étaitfait conduire à Passy.

Vivement touché de cette démarche, dontil comprenait mieux que tout autre la valeurréelle, M. Pollet, lui serrant la main, l'attiradans le salon et lui dit:

Je vous remercie d'être venue. Vousavez deviné juste. Je suis malheureux, trèsmalheureux.

Et il lui dit la terrible aventure de son amiVarodat.

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Il était assez singulier que ces deux amisde M. Pollet, mademoiselle Cardinier etM. Varodat, jamais ne se rencontrassentchezlui. Une seule fois, il les avait réunis et à

sa grande surprise, ils avaient paru mal àl'aise.

M. Pollet savait cependant qu'ils s'étaientconnus autrefois; mais il ignorait quellesavaient été ces relations. Voyant qu'en toutétat de cause ils ne semblaient pas désireuxde les renouveler; il s'était abstenu de toutenouvelle invitation collective.

Mais mademoiselle Cardinier n'ignoraitpas l'affection qu'il portait à M. Varodat, et il

ne se fit aucun scrupule de lui dire l'intérêtqu'il portait a sa malheureuse situationMême il s'écria

Je suis sûr que, comme moi, vous êtescertaine de son innocence.

Mademoiselle Cardinier était une grandefemme mince, ayant dépasséla cinquantaine,et n'ayant conservé d'une beauté qui avaitdû être très réelle que la douceur exquise dedeux grands yeux bleus, que voilaient d'unefrange d'argent deux bandeaux de cheveuxblancs, toujours soigneusement ondulés, à la

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mode d'autrefois, et qui tombaient le longdes joues, jusqu'au-dessous du lobe desoreilles.

Je tiens M. Varodat, dit-elle, pour undes hommes les meilleurs et les plus hon-nêtes que j'aie jamais connus.

M. Pollet ne put cacher un geste de sur-prise.

Oui, je vous comprends, dit-elle. Vousvous étonnez que, professant à son égardcette opinionprécise, j'aie paru gênée de metrouver en sa présence, et que lui-même aitsemblé peu soucieux de ma compagnie.je veuxvous expliquer cela. Aussibien, puis-que pour la première fois depuis bien long-temps l'occasion se présente de vous donnerces détails, je ne veuxpas la laisser échapper.Et, d'ailleurs, une raison toute de hasardmepousse encore à vous faire certaines confi-dences. N'avez-vous jamais entendupronon-cer le nom des Vaillant?

Si fait. Les Vaillant étaient, si je ne metrompe, des cousines dema femme,les vôtrespar conséquent.

C'est exact. J'ai été élevée moi-mêmeavec mademoiselle Charlotte Vaillant, ma

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cousine, un peu plus jeune que moi. Or,t

avez-vous su que M. Varodat eût aimô Char-lotte à la folie, et et été sur le point de l'é-pouser.

J'ai su, en e~et, qu'il y avait dans savie un amourcontrarié. qui lui a laissé aucœur une blessure toujours ouverte. Mais jen'aijacr.ais mis sa discrétion & l'épreuve endemandant le nom de cette femme.

M. Varodat a un cœur exquis. Oui, il aaimé Charlotte comme on ne devrait adorerque Dieu. Elle était sortie du couvent à vingtans. Je dois dire que jamais je n'ai connuune créature plus belle. Elle était brune,avec des yeux d'or qui semblaient jeter despaillettes. M. Varodat donnait des leçons dechimie à l'aîné des Bis, qui, depuis, est mortaux colonies. C'est ainsi qu'il avait fait laconnaissance de Charlotte, et celle-ci, dontj'étais alors la confidente, avait encouragé sapassion. Vous n'ignorezpas combien M. Va-rodat a été lui-môme séduisant avec sa phy-sionomie intelligente et grave, avec ses exal-tations de savant. Charlotte, qui est avanttout une fille de tête, vous en aurez la preuvetout àl'heure, s'enthousiasmait très sincère-

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mentquand M. Varodatexposaitses théories,grâce auxquelles, avec la fougue de la jeu-nesse, il croyait devoir révolutionner lemonde. J'assistais souvent en tiers à leursentrevues et je me souviens encore des ti-rades un peu folles de cet amoureux qui rê-vait de faire de celle qu'il aimait une reine,dont il aurait lui-même construit le palais.

Si Varodat l'avait voulu il serait mil-lionnaire.

Je n'en doute pas. Mais laissez-moicon-tinuer. C'était une très singulière fille queCharlotte Vaillant. Très énergique, trèsadroite,elle était exceptionnellement ambi-tieuse, mais d'une ambition toute spéciale.Elle voulaitla richesse, le luxe, parce quece sont des instruments de domination.Ja-mais je n'ai constaté chez une femme desidée aussi despotiques. Et ce qui lui plaisaiten M. Varodat, c'était justement cette afilr-mation d'une puissancedont elle ne compre-naitpas bienla nature etqui, de par la science,devait lui assurer, à elle, une sorte d'autoritésur lemonde entier. M. Varodat l'aimait, lui,naïvement, avec tout l'abandon de ses vingt-cinqans. Il croyait en elle, convaincu qu'elle

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le comprenait, qu'elle partageait toutes sesidées, absorbé dans la contemplation decette beauté que j'appellerai impériale et quine lui apparaissait pas altière, ce qu'elleétait en réalité. Il s'était donné à elle, et jecrois qu'aujourd'hui encore il n'a pas eu laforce de se reprendre. Oui, je suis certaine

que l'amour de M. Varodat pour Charlotteest aujourd'hui encore aussi vif, aussi pro-fond qu'il l'était il y a vingt-cinq ans et plus.Et cependant savez-vous ce qu'elle a fait, labelle Charlotte ? Comme M. Varodat ne fai-sait pas fortune aussi rapidement qu'ellel'avait espéré, elle lui déclaraun jour, devantmoi, avec l'orgueil superbe d'une impératricequi condescend à donner quelques explica-tions à un de ses plus obscurs sujets, queson père lui avait proposé l'alliance d'ungrand industriel, dix fois millionnaire. etqu'elle avait accepté.

Oh 1 fit M. Pollet avec un sursaut.Elle lui dit cela aussi simplement que

je vous le dis moi-même. Le malheureuxétait devenu si pâle que j'eus peur de le voirtomber, foudroyé, sous mes yeux. AlorsCharlotte compléta ses explications elle con-

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serverait toutes ses sympathies a M. Varodat,dont elle estimaitau-dessus de tout le carac-tère et la haute valeur; mais il devaitcom-prendre lui-mômp qu'ellen'étaitpas née pourvégéter dans la médiocrité. Que vousdirai-je ? Il était anéanti, stupéné. Et il se mit àsangloter. Il parla, plaida, se traîna à sespieds. Elle ne le repoussapas, n'eut pas uneparole dure, mais ne modifiapas d'un iota sarésolutionprise. Il fallait qu'il en fût ainsi.Enfln je le vis partir. et, certaine que lemalheureux allait commettre quelque actede désespoir, je criai à Charlotte qu'ellen'a-vait pas de cœur. Elle me répondit froide-ment « J'ai du courage contre moi-même,voilà tout. a Et en réalité, je vous l'affirme,elle l'aimait! Oui, elle l'aimait. C'est in-croyable, et pourtant cela est. Elle souffraitde ne pouvoirrésister à son orgueilpluspuis-sant en elle que tout autre sentiment. Dixmillions ce chiffre l'avait fascinée. L'hommequ'elle allait épouser était, dans son dépar-tement, une sorte de roi de l'industrie. C'étaitun éblouissement, d'autant plus qu'elle n'a-vait en dot que sa beauté. Elle se considé-rais très naïvement comme accomplissant,

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par sa rupture avec M. Varodat, un sacriflceômérite. Elle se sacrifiait à cette vanité quiétait chez elle comme un vice grandiose eteffrayant. Comment M. Varodat ne mourutpas, j'en suis encore à me le demander. Lejour du mariage, on le ramassa, auprès del'église, la tête brisée. Il avait tenté de sefaire sauter la cervelle. Charlotte sut cela etpleura dans mes bras, murmurant « Je nepouvais pourtantpas l'épouser »

Mais cette femme est un monstre t

s'écria M. Pollet. L'avez-vous revue? A-t-elle expié ce crime 1

Je l'ai revue; mais de sa vie, de ses pen-sées, jene sais rien. Ily a des âmes fermées.Celle-là est cadenassée. Aujourd'hui sonmari a vingt millions et est retiré des affaires.Je vous connais trop pour ne pas avoir foi

en votre discrétion. Je puis vous dire sonnom. Elle se nomme madame Vernier.

Quoi cette madameVernierdont l'hôtelaux Champs-Élysées passe pour une mer-veille de Paris, dont les fêtes ont un renomlégendaire. la belle madame Vernier dontles journaux boulevardiers chantent inces-samment les louanges.

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Cette madame Vernier est celle dontvotre ami pleure et pleurera toujours l'a-mour.

Mais il doit avoir renoncé à elle, l'avoiroubliée.

N'en croyez rien. Quand, ici même, jeme suis trouvée en face de M. Varodat, dansson regard, dans sa voix, moi qui suis femme,

et qui ai aimé, vous le savez et je ne m'encache pas, j'ai retrouvé toute la passiond'autrefois. il eût voulu me parler d'elle, ilm'aurait suppliée de rouvrir de mes mainsla blessure .toujours prête à saigner. Il n'apas osé je suis restée muette. Mais quandje vous dis toute mon estime pour lui; c'estque je sais tout ce que ce cœur d'hommerenferme de véritables grandeurs. Vousme dites qu'il est accusé d'un crime, vous lecroyez innocent. c'est possible. Moi je suissûre seulementde ceci, c'estque, eût-il com-mis ce crime, il n'a pas commis une bas-sesse.

Oh! moi aussi je sais cela. Mais je n'ad-mets pas même cette idée de crime, Varodatest victimede quelque machination infâme.il se sacrifie, je le croi~, mais à qui?. Il

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faudra bien que nous sachions la vérité.Que nous sachions. hélas! ce n'est

sans doute pas sur moi que vous comptez.Voudrais-je vous aider que je ne puis rien.

J'ai un allié, un brave jeune homme,un journaliste nommé Lamblin. qui m'apromis tout son concours.

-Je souhaite qu'il soit efficace. Mais at-tendez, je ne vous ai pas tout dit. Au débutde notre conversation, je vous parlais d'unecirconstance qui m'avait remis en mémoiretous ces souvenirs du passé, si étrangementréveillés au moment où ce malheureux Va-rodat est encore frappé. Vous me deman-diez tout à l'heure si j'avais revu madameVernier. je l'ai vue hier.

–Hier?.Voilà qui vous étonne. Oui, la belle

madameVernier est arrivée chez moi, sanséquipage, en voiture de place je venais derecevoir votre billet, et, d'une surprise, jesuis tombée dans une autre.

Et que venait-elle vous dire ?

Je ne m'arrêterai pas dans la voie desconfidences.Je sais à qui je parle. MadameVernier a presque atteint la cinquantaine,

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mais, en vérité, elle est aussi beUe que lors-qu'elle avait vingt ans. Le teint est devenumat, mais les traits se sont amnés. C'estune tête de statue avec toujours ce regardétincelant qui surprend et fascine, et unepâleur qui donne l'illusion du marbre. Or,savez-vous ce que venait me demander larichissimemadame Vernier?

De l'argent1A peu près. elle me demandait de faire

vendre, pourmon compte, dixmille francs derente française,dont elle m'aremisles titres.

C'est étrange! pourquoi ne pas fairecette négociation elle-même.

Elle me l'a dit, et vraiment, pendant unquart d'heure, j'ai vu devant moi une femmeque je ne connaissaispas, brisée anéantie, hu-miliée.11 paraît que sonmari,l'archi-million-naireM. Vernier, est d'une avarice sordide.Entendons-nous. tout ce qui est luxe exté-rieur, train de maison, il le paye sans comp-ter. S'agit-il d'acheterun tableau, une statue,il u'Msito pas, certain que io lendemain loa~m'mux côlôhreyont !o Mécôna, protecteurtt<~ <a'tn. m!~ !t t'ofu~ <i!x !t)u!n )'). ~tff'unuo, <4 ((U)tut tt ~n nth.

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Il a un Sis.Oui, un garçon de vingt-cinq ans envi-

ron, pour lequel sa mère semble éprouverune passion folle. Eh bien, M. Vernier luifait une pension insignifiante. Sa sévérité,sa dureté pour ce jeune homme sont exces-sives. et sa mère veut l'y soustraire. C'estpourquoi elle veut l'envoyer faire de grandsvoyages en Asie, en Amérique. Bien queson cœur saigne à la pensée de se séparerde lui, il semble qu'elle soit contrainte des'y résoudre. Cet argent, qui sera à sa dis-position dans trois jours, je suis allée cematin chez mon agent de change, serviraà payer les frais de cette excursion.

Mais, fit le notaire réfléchissant, com-ment, puisque le mari de madame Vernier lalaisse dénuée de tout, est-elle en possessiond'un titre aussi important?. Dix mille francsde rente, cela représente plus de doux cencinquante mille francs.

Vous comprenex que je no l'nio pasintwogée a co sujet, o'OtU été do l'india"ct'~Hon.

V(Wt-'u« lui <tvo!! {)«« ?)«'!< do V)t!'<'th~?.M! txtt, un htHt~. 0<t)~d j'<'«ttt(~ ht'n

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doléances au sujet de son mari, je n'ai pum'empocher de lui dire « N'éussiez-vouspas été plus heureuse d'épouserM, Varodat »

Et alors ?P

Je l'ai vue frissonner et pâlir horrible-ment. Mais elle n'a rien répondu. C'était unaveu.

Mais j'y songe si vous croyez que ma-dame Vernier ait conservé sur Varodat uneinfluence réelle, et pour moi, comme pourvous, cela ne fait pas de doute, ne pourrions-nous pas avoir recours à elle dans les doulou-reuses circonstances qui se présentent ?2

Je ne vous comprends pas.Je vous ai dit, et vous avez senti comme

moi, que la conduite de Varodat cache unmystère. Cette femme ne peut le haïr, ellene peutvouloir qu'il souffre. Peut-être, si ellese prêtait à nos désirs, obtiendrait-elledo luiquoique aveu qui nous permettraitde le dé-fendre, do le sauver.

MadomoiaoUo Oardhuor secoua la téta<~r~U ~t ~Mamf. lo tmpaotéro do

Ott<u')"t~ M) rùHUtuf (Ht o<~ doux mots. Va"ntdttt, (t<'<'u~ d'utt~'htK', tt~vh'ndftt pom'oUo

nu n~ct. d'~th'ui. ~u)tu(. wp~ qu'oU~

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compromette par quelque démarche– et la-quelle ? je suis convaincue qu'il n'y faut passonger.

Peut-être avez-vous raison. Mais quisait ? Quand on se noie, à quelle branche netenterait-on pas de s'accrocher?.

–Je veux bien faire une tentative. Ma-dame Vernier reviendra chez moi, jeudi soir,pour recevoir son argent. J'amènerai la con-versation sur ce pauvre Varodat. Mais, jepense & cela, vousme dites que tous les jour-naux racontent le drame de la rue Sainte-Anne. elle les a dû lire comme vous. et,hier, elle savait la vérité. C'est ce quim'explique l'émotion presque foudroyante,provoquéepar cenom subitementprononcé.et pourtant elle n'a pas eu un mot de pitié.Je vous le dis, ce serait folie que d'attendrede cette femme, de cette malade d'orgueil, unélan de générosité.

Pourtant, oasayox.Je !o fonti, avoc la cortitudo d'un échec.

MahttOMhut quo jo conmuMcotto c~ouvan~htn<~h'C, JO Mt) put!) m0 tUt~X'UH~' dn lui <Ut

p)H'!<'r. M<~ quo t'<«!t<h'<~)."('U<) y ht «Ho r~r~nd.

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v

Le brave Pollet n'entendait pas resterinactif. Certes, le laconique billet émané deVarodat l'avait fait hésiter sur la ligne deconduite qu'il devait suivre « Par grâce,silence H lui disait son ami. Il consentait àlui obéir, mais dans la limite stricte de laprière qui lui était adressée. Se taire, soit.Mais ne pas agir, pourquoi P

Pollet était de plus en plus convaincu dol'innocence du chimiste. Il se disait que descirconstances incxpliqueoa lu poussaient aa'accuM)!* d'un Ot'ime qu'il n'avaitpas oomm~.MuiM tt(w ch'(!«nHta!H)t~p<tuv<upnt diaptu'ath'f,ot alow il fauaM tttw Xt'nt~ do (out~ pi<<~pttm' «t~nht~H't', p~tt' tUt~anth' l'tm~Hoa~OH.

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Or, la preuve indéniable de sa non'culpa-bilitô, c'était l'alibi. Il fallait l'établir, dèsmaintenant, de façon indiscutable, constituerun dossier qu'on serait toujours prêt à pro-duire, le cas échéant. Varodat exigeait la dis-crétion, elle était possible jusqu'au momentoù elle dégénérerait en complicité d'uneerreur judiciaire,par exemple à la ~ille dela condamnation.

Madame Granson ne reconnaissait plusson maître. L'ancien notaire, naguère si pla-cide, si sédentaire, ne pouvait plus tenir enplace.

Tout d'abord, il avait fait signer à sa gou-vernante une déclaration affirmant la pré-sence de Varodat, chez lui, pendant la soiréeen question.

Puis, armé de la photographie de son ami,il s'était rendu chez les boutiquiers, habitanton face ou à peu de distance de sa maison.Or, il avait ou la chance de tomber sur uncharbonnier qui, ju&tomont co soir-la, fumantune bonno pipe devant aa porto, avait trèsbiou vu « la pCMouno » outrer chox Pollot,Soulamont, lo <<htn'honnior n'~mmit ~t~6prh'<~ df m'tttn~ <h) <~tupFM~!h'<' « dtu~

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des aS~res. a !1 fallut se contenter de sontémoignage verbal, d'ailleurs très explicite,et que l'ancien notaire reproduisit avec uneponctualité d'officierministériel.Le charbon-nier se déclara prêt à le confirmer « où onvoudrait, pourvu qu'on lui payât sa course. »Déjàdeuxpièces au dossier, sans parlerd'unecopie du livre d'échecs.

Il était donc bien établi que Varodat étaitvenu a six heures à Passy.

Mais le point le plus important, c'étaitl'heure à laquelle il en était parti.

De ses méditations, M. Pollet sortaitpresque policier. Il eut une idée géniale. Ilalla a la station des omnibus, et là, s'instal-lant chez le marchand de vins, interrogea lescochers et les conducteurs, leur montrant àchacun la photographie. Et là encore, ce futun succès. Varodat n'avait-il pas l'habitudedo donner au conducteur un bon pourboiredo deux sousDo plus, il portait un chapeauà h'oa largoa borda, di~no d'uu médecin do

camp~no. Ou 1& connais~).. (3'otnit lo mon-attw <ht jttm! ot ~ndwtom',mtt~'n fum'rh«', t'(tHtfi~;<ht~ Hou (!tu'HHf~t. HoM~n~Mt l~~t )h~ ;MMh'u mt van'a t~ v(~ <' <tc ht

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bouteille a, ce qui, eu toute autre circons-tance, lui eût arraché une grimace. Car ilétait un peu gourmet. Il n'eut qu'un sourire.

Ce triomphe le mettant en goût, il pritl'omnibuset alla au bureau de la correspon-dance, place de l'Etoile. Là, il fut assez malreçu. On crut à quelque réclamation et puis,en vérité, il y passaittant de monde ? Il ne sutrien. Non plus à la place Moncey. Il revintchez lui, exténué et cependant satisfait.

Il trouva un télégramme de Lamblin.Le journaliste le priait de se trouver à neuf

heures du soir au café Riche. Communicationimportante.

Il ne poussa même pas un soupir. Le devoirparlait, et non un devoir imposé, mais uneobligation volontaire et a laquelle pour rienau monde, il n'aurait eu, même un instant,la pensée de faillir.

Tout était bouleversé dans sa vie, jusquedans su môthodo de lecture. Quand le A'bu-t!o!!M<o arrivait, il no jetait tmhue ptM uncoup d'wil 8ur lit Uouruc, dédaignanth~ dor-!)!t)t'~ ttonvollon, ma!h t'mu'at) tout d~ muto

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Anne. Il reconnaissait, d'instinct, le style deLamblin, très sobre, très clair, sans préten-tion.

Ce soir-là, voici ce qu'il lut Bien quel'accusé Varodat ne soit pas sorti de Mazasdepuis deux jours, et qu'il n'aitsubi aucuninterrogatoire, cependantdes éléments nou-veaux sont venus s'ajouter à l'instruction.M. Anthelme Caribert, la victime, était, pa-rait-il, établi dans l'of&cine de la rue Saint-Anne depuis plus de vingt ans, et, commenous l'avons dit, il avait subi une condamna-tion à six mois de prisonpour délit d'usure, cequi, d'ailleurs, ne l'avaiten aucune façoncor-rigé. Il avait amassé une fortune relativementimportante, plusieurs centaines de millefrancs, dont on a trouvé la trace chez lui, enreçusconstatant des dépôtsde fondsetde titresàla Banque de Franceet &la Sociétégénérale.Cet homme vivait seul, n'ayant à son servicequ'une femme de ménage qui venait quel-ques heures dana la matinée. La justice eston poaaoaaion doa <!amot~ ~np losquels ilitMM'tvtttt ~s opôfMtim~t pt on y a rolevônombt'~ do nonM Mpn<H'taut MM ~nd t~m..KtM'CM i~Mt (4 «H~tt~ MM M~ndo dpM

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viveurs. Caribert ne négociaitpas les valeursqui lui étaient remises en garantie.Il les gar-dait en portefeuille et procédait lui-même àses recouvrements. Détail singulier on n'atrouvé aucune inscription au nom de M. An-dré Varodat. On sait cependant que dans leportefeuille, ramassé au bas de l'escalier, etque le meurtrier aurait laissé tomber dans sachute, étaient enfermés deux billets à ordrede 2,000 francs chacun. Ces billets avaientété souscrits il y a quinze mois, à l'ordre deM. Caribert, ils portent la date du 10 sep-tembre 1886 et étaient à l'échéance du 10septembre 1887, donc impayés depuis troismois. Il ne semble pas cependant qu'aucunepoursuiteait eu lieu, et il n'existe chezl'usu-rier aucune trace de correspondance deM. Varodat, fût-ce pour reclamer un délaiet cependant Caribert était un impitoyablecréancier. Un des cartons qui surmontaientson bureau, portait cette rubrique signiuca-tivo -4 ot~'a~M, et renfct'mait nombre dedosera du pom'nnittM. L'impt'oh!~ do cethummo <Mt <r~U~m'!< h<w do onutost~ et,d<M dofUtttOtttu t'wt~t)!~ <'h"i< h<{, i! t't~tt't<}H'H (~t(t~y~. tc'~ ~t(\'<~t. !tt (H)HK'MVt't'

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suivante, des plus malhonnêtes il acceptaitdes acomptes sur les billets en souffrance,n'inscrivait sur les pièces aucune mention,et, bien plus, se refusant & remettre aucuncompte à ses débiteurs, il conservait pardevers lui les billets, même payés, sous pré.texte qu'il était dû encore un reliquat defrais. Ceci ressort clairement de la corres-pondance dans laquelle les épithétes les plusclaireset les plus brutaleslui sontprodiguées.Le juge d'instructiona fait citer à son cabi-net la plupart décès débiteursqui, peut-être,ne devaient plus rien. Evidemment,et mal-gré l'absence de toutes pièces le concernant,M. Varodat a été victime de quelque machi-nation de ce genre et s'en est vengé dans unmoment de folle colère. Peut-être a-t-il em-porté le dossier relatif à ces discussions. Undernier mot. Au premier moment, l'instruc-tion avait été dirigée sur une toute autrepiste, et il n'a fallu rien moins que les aveuxdo M. Varodat pour qu'elle fût abandonnée.(Jo~o ot't'fm' provonait d'una aimiUtude d'iui-Uah't), awsf!!< Mx.pUoaMo 00 <~<u'<t MM ~n<!n«t«bt'« ))c pow~~ av<~ ttW~H<~ l'ttt-m"f!)'t' <~)~ ~!i~f)! a

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Et pas un mot de sympathie pour monmalheureux ami 1 pensait M. Pollet avec undépit attristé.

Il eût voulu que le journaliste plaidât,affirmât son innocence. Au lieu de cela, ilsemblait accepter l'accusation,la reconnattrepour établie. C'était presque une trahison,et l'ancien notaire se demandait s'il nedevait pas rompre tous pourparlers avec unhomme qui tenait si mal ses promesses.

En tous cas, il se réservait de lui direnettement sa façon de penser.

A neuf heures précises, M. Pollet entraitau café Riche. D'abord un peu ébloui par legaz, il ne vit personne. II errait à travers lestables, maugréant contre une inexactitudepresque impolie, quand Lamblin, qui étaitassis au milieu d'autres personnes, se leva,vint à lui et lui tendit la main.

Et comme M. Pollet semblait hésiter à luidonner la sienne

Bon 1 vous m'en voulez 1 fit-il en riant.En quoi donc ai~e démonté a vos youx ?Y

Ils ~'éttdent. &Mic, non loin du groupe quoIfjouy~U)~ vM~it do qntHcp.

uh6iMM!t). f)'<n~hi~, M. FoU~ h)i

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dit son impression au sujet de son articleMon cher Monsieur, dit Lamblin en

riant, vous êtes un peu prompt au soupçon.Vous rappelez-vous qu'à notre première en-trevue je vous ai demandé, à votre grandesurprise, quel avait été le menu de votrediner ? Pourquoi ? C'est parce que je voulaisjuger, par la précision des détails, de la net-teté de vos souvenirs. C'était une épreuvepareille à celle que les juges, en chambre deconseil, imposent à ceux dont on réclame1"interdiction, en les invitant à compter despièces de monnaie. Vous avez répondu trèspositivement à mes questions, doncvous étiezsincère. Eh bien c'est cette même épreuveque j'impose et à moi-même et au public. Jecompte les pièces de monnaie dont se com-pose la somme de l'accusation, et je totalisementalement. Le public en fait autant de

son côté. Obtenons-nous le même résultat,tout est là.

Û'eat bien subtil, fit M. Pollet, surtoutquand il s'agit d'une choae Mu~i évidente.

~vidontc pour vous, quo diaMo Ht lajt~t'nttU~P ttv<~ !mp<tti~('< pnut'<~ m~uto

p(Wt' <)< M~ o'nycf.'VMHH quo ju~,

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que les lecteurs supposent même l'innocencede M. Varodat? Pourquoi heurter de frontleur conviction, pourquoi s'exposer, en enga-geant trop tôt la lutte, à un échec certain ?Croyez-moi, si aujourd'hui je plaidais la non-culpabiliiô de votre ami, je pourrais obtenirun succès passager la réaction contre luin'en serait que plus violente. Mais passons.Il y a dans mon article bien des nnesses,

j'ai la vanité de le dire, qui vous ontéchappé. Nous y reviendrons. Ce soir, voicipourquoi je vous ai prié de venir. Je vouspose une question. Voyez si vous y voulezrépondre M. Varodat avait-il, a-t-il une maî-tresse ?

Une maîtresse Non, j'en puis jurer 1

Est-il marié ? Séparé de sa femme ?Il est célibataire.Alors, selon vous, aucune femme ne

joue actuellement un rôle quelconque danssa vie.

Aucune, encore une fois, j'en suis abso-lumont certain.

(Jeci prouve, char Monsieur, qu'entrete~ mo!Uoura am!a il y )t tonjum'n < oufr6Mrv< (wnïno d~out. MM. tt)n j(~u!

H

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Que voulez-vousdire P

Ceci est un gros secret. Sachez d'abordque la concierge de M. Varodat adore sonlocataire. Et c'est bien naturel, votre amiayant sauvé son on~nt du croup, en risquantsa vie lui-même par la pratique des inaufBa-tions. Or, j'ai su conquérir la conCanço do ceconcierge qui ma revoie a moi seul un faitdont il n'a pas dit un seul mot à la justice.« M. Varodat est déjà assez malheureux N

C'est l'opinion de ce brave homme. Mais jel'ai endoctriné, et il a parié. Or, dans la nuitde jeudi à vendredi, & deux heures du matin,on a sonné violemment à la porte de lamaison. Le concierge, à demi endormi, a-tiréle cordon, puis il a ouvert le vasistas quidonne sur le vestibule et a crié le « Quiest là? ? traditionnel. Une voix, une voix defemme a répondu « M. Varodat. » En mêmetemps, on a sonné à la porte de votre ami,au rez-de-chaussée,commevous le savez. Leconcierge n'a pas fait de suppositionsde mau-vais goût il a pensé, M. Varodat étant me.decin, qu'on venait le chercher. Et, en effet,dix minutes ne s'étaient pas écoulées queM. Varodat est sorti de chez lui, avec la dame

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en question, a demandé te cordon et a dis-paru. Il n'est rentré qu'à six heures du matin.Pouvez-vous supposer quelle était cettedame?Y

Non, je vous le jure.Leconcierge,pourêtre un brave homme,

n'en est pas moins curieux comme tous sescongénères. Pendant tout le temps que ladame était chez Varodat, il est reste, l'<ailbraqué au vasistas. Il l'a vue sortir. Eue pa-raissait très émue. Elleôtait enveloppée dansun vaste camail de soie noire, et son visageétait couvert d'un do ces voiles de dontellede soie qui dissimulent complètement lestraits. Seulement, comme elle ne se savaitpas observée, elle ne serrait pas contre ellele camail qui s'estentr'ouvert, et le conciergea remarqué qu'elle portait une robe dé-clarée par lui splendide, une robe de bal,a-t-il amrme, toute brodée d'oiseaux multico-lores, à fond clair grisaille. De plus, sous levoile qui était rouléautour de sa téte~ il a vu,absolument vu, une guirlande de fieurs. Dèsque la porte a été refermée, il a entendu leroulement d'une voiture qui s'éloignait trèsrapidement. Comme je vous l'ai dit, il était

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plus de six heures quand M. Varodat estrevenu de son excursion nocturne. Encoreune fois, vous est-il impossible d'émettremôme une supposition sur le but de cetteétrange sortie ?

Absolument impossible. Mais pourquoine pas croire qu'en effet il est allé remplirauprès d'un malade son office de médecin?.

Pourquoi? je vais vous le dire. S'iln'existaitlàaucun mystère, M. Varodat auraitparlé de cette visite au juge d'instruction,etil ne lui en a pas souMô mot. j'en ai la cer-titude.

A quoi bon en parler Quelle relationa-t-elle avec le prétendu crime ?P

Décidément, mon cher Monsieur Pollet,vous niez l'évidence môme. Y-a-t-il oui ounon, quelque chose de mystérieux dans cefait d'un homme qui s'accuse d'un crimequ'il semble n'avoirpas commis?Oui, n'est-cepas? Eh bien quand voyez surgir un autrecoin de mystère, vous ne pensez pas quecelui-ci explique celui-là ?2

M. Pollet se tut. Il ne semblait pas con-vaincu. De même qu'il était certain de l'inno-cence de Varodat quant au crime, de même

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il avait la persuationintime que nulle femme

ne jouait un rôle dans savie l'entretien qu'ilavait eu avec mademoiselle Oardinier n'enôtait'iipas unepreuve nouvelle?Varodatn'a-vait aimô, n'aimait peut-être encore qu'unefemme, et de celle-là U était séparé par desbarrièresausssi fortes quetamorteUe'<oéme.

A ce moment, et comme LamMin gardaitlui aussi le silence, vexé au fond de ne pasvoir jaillir en toute cette obscurité un rayonde lumière, un jeune homme entra dans lecafé, et soudain fut saluéparle groupe d'amisquivenait de quitter Lamblin, et qui se com-posait d'artistes, de journalistes et d'unacteur très en renom.

ïl y eut une vigoureuse distribution depoignées de main.

Je suis heureux de te voir, Adrien, ditl'un d'eux, car j'ai des excuses à adresser àta mère et j'espère que tu voudras bien meservir d'interprète auprès d'elle. Mon compterendu de sa dernièrefêten'a pu encore passerau journal, faute de place. Mais il y serademain matin sans remise.

Celui quiparlaitainsi était le reporter high-life d'un grand journal parisien.

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Le jeune homme interpellé était grand,blond, le menton glabre, les cheveux enbrosse, très beau gardon auquelcetteabsencede barbe et cette coinure sobre donnaientune physionomie originale, déparée cepen-dant par un lorgnonà verres dits famés.

Ah ça, cher ami, reprit un autre,que diable avex-vous de changé dans langure! Mais j'y suis! vous avez coupévotre barbe.

Et laissé tombersous le for votre cheve-lure bouclée ajouta un troisième.

Adrien se mit a rire.Tête de voyageur, MessieursComment tu pars tDemain, tout simplement pour les gran-

des Indes.Il y eut un toile de surprise.-Que voulez-vous? reprit Adrien, Paris

m'assomme, le boulevard m'ennuie.Et tes amis Tun'es guère aimable

Ne dites pas cela. Sérieusement,je vousregrette. Mais j'ai soif d'espace, d'inconnu.Qu'est-ce que je fais ici ?

Tu dépenses les millions de papa, c'estune occupation.

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Eh bien, je les dépenserai au moins enapprenantquelque chose.

Noble ambition et quel est l'itinérairechoisi.

D'abord, Marseille, Suex, puis l'Min-doustan, Bombay, Calcutta,quesais-je! Jecompte bien faire le tour du monde.

En quatre-vingtsjours.Certes non. J'aime trop mes aises pour

m'adonner aux voyages extraordinaires. Jeprendrai mon temps, un ou deux ans.

Et c'est pour mieux voir que tu portesce lorgnon? Sais-tu que cela te dépare singu-lièrement.

Que veux-tu? un coup d'air. Ce nesera rien.

Disant cela, le jeune homme aperçut Lam.blin qui se trouvait, à côté de M. Pollet, surla banquette juste en face de lui et lui adressade la main un salut amical, un peu protec-teur.

Lamblin le lui rendit, de loin. Ce fut tout.Je tiens d'autant plus à ce que mon

compte rendu soit publié, reprit le reporterqui suivait son idée, que j'ai fait de la toilettede ta mère une de ces descriptions 1

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Ah si une fois il se met à causer chif-fons!

Pourquois pas 1 la robe d'une femme,Messieurs, c'est le nuage de la déesse, c'estle zaïmph de l'idole. Figuroz'vous une dra-perie de gazes,de mousseline d'argentbrodéed'une infinité d'oiseaux merveilleux.jamaisje n'ai rien vu de plus lieu, de plus aérien,et de plus riche à la fois. On eût dit autre-fois que c'était l'œuvre des fées. Aujourd'huicela doit venir des mystérieuses contrées duThibet. mais tu n'as rien remarqué, toi,Adrien 1. car tu n'es arrivé qu'à minuit.et, à ce propos, que diable avais-tu donc?Tu étais pâle comme un mort. et tu asdisparu avec ta mère presque immédiate-ment.

–Allons! mais c'est de l'inquisition,cela!1JBt le jeune homme assez sèchement. Je puisavoir mes contrariétés, sans être obligé d'enrendre compte à tout le monde.

Là1 ne te fâchepas 1. surtout à laveillede nous quitter. admettons que je n'ai riendit. Ah ça, mais, en ton absence, nous allonsperdre ces fêtes merveilleuses. Madame Ver-nier clora les portes de son hôtel.

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Les jeunes gens parlaient haut. Machina-lementet sans intention évidente, M. Polletque leur verbiage berçait, n'avait pas perduun mot de la oonversation.

Oe nom Madame Vernier sonna à sonoreille comme un éclat de fanfare.

Quelest donc ce jeunehomme? deman-da-t-il à Lamblin.

Un viveur double d'un imbécile, nt lejournalisteà mi-voix, et peut-être pis encore.

Mais. son nom ?Adrien Vernier, le Bis de la belle ma-

dameVernier, une des reines du Paris mon-dain, grande habituée des premières asensa.tions, trop millionnaire, affaméede réclames,ouvrant ~on hôtel des Champs-Elyséesà tousles rastaquouères;~n somme, une aubergistedu tout Paris. Mais qu'avez-vousdonc, cherMonsieur?P

En effet, M. Pollet était devenu tout àcoup si pale, qu'il semblait prêt à défaillir.

Ce nom de Vernier, ainsi jeté, lui avaitmis au cœur une subite angoisse, et il re-garda le jeune homme, les yeux agrandis,comme si son visage eût été pour lui uneénigmequ'il s'eNbrçait en vain de déchiffrer.

ii.

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Maia la brusque question de Lamblin lerappela a lui.

J~n'ai rien, Rt'il mais, je vous en prie,dites-moi tout ce que vous savez sur ce jeunehomme.

Lamblin l'examinait. Bien qu'il ne conn&tpas l'ancien notaire depuis longtemps; ilavaitdeviné,souscette enveloppebourgeoise,une n''?vosité exceptionnelle. C'était ce quel'on eut appelé naguère l'homme sensible,dans la parfaiteacception du mot. La solitudemôme a laquelle il s'était voué, depuis lacatastrophequiavait brisé sa vie, avaitencoreaiguisé cette impressionnabilité qui se tra-duisait à son insu, et en dépit de ses efforts

pour la contenir, dans le tremblementde savoix, dans l'anxiété de son regard.

Or, de son côté, Lamblin n'avait prêtéqu'une oreille distraite aux papotages desjeunes gens. Adrien Vernier lui était d'ail-leurs antipathiqueet il :ie le cacha pas:

Ce que je sais de lui Que peut-on savoird'un personnage qui n'a jamais agi, jamaistravaillé, qui n'a ni une idée dans la tête, niun sentiment dans le coeur. Je vous l'ai dit

un viveur, plus encore? un jomssourbete~

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presque grossier, cherchant les amoursbruyantes et stupides, un des derniers cas-seura d'assiettes des cabinets particuliers.Son caractère ? Il n'en a pas. Je te sais brutal, lache au besoin, d'autres fois violentjusqu'àla folie. Son père est vingt ou trentefois millionnaire, un ancien rafnneur. Samère a été la plus belle femme de Paris, et,bien que jene l'aie pas vue depuis longtemps~

on la ditencore admirable.Voyez'vous, cherMonsieur, c'est un monde à part, pétri d'uneboue dont les éléments sont la vanité, l'in-différence et l'égoïsme. Adrien Vernier,riche, n'est bon a rien. Pauvre, il eut été ca-pable de tout: en deux mots, voilà mon opi-nion. Mais en quoi vous intôresse-t-elle sifort?

M. Pollet raisonnait in petto, des motsvenaient à ses lèvres qu'il ne voulait pas pro"noncer. N'était-il pas bien étrange que, parune coïncidence inouïe, mademoiselle Cardi-nier lût venue lui parler de cette madameVernier, lui révéler les liens qui l'avaientatt&.shée à Varodat, et que justement, lemême jour, ce nom résonnât encore à sonoreille?. Ainsi, ce Sis, c'était l'homme pour

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lequel madame Vernier faisait vendre en cemoment même dix mille francs de rente,Tout cela semblait indépendant de l'affaireactuelle, et pourtant! M. Pollet avait uninvincible désir do parler à Lamblin des re-lations qui avaient existé naguère entre ma-dame Vernier et Varodat, c'est-à-dire de laseule femme qui il en était convaincuavait passé dans sa vie.

Mais déjà mademoiselle Cardinier avaittrahi un secret, se Rant a sa discrétion. Il nepouvait pas, il ne devait pas le trahh' à sontour, surtout quand aucune raison plausiblene l'y contraignait.

D'autre part, pourquoi le visage de cejeune homme le troublait-il à ce point? Iléprouvait comme une sensation de « déjàvu », et pourtant il était certainde jamais nes'être trouve en face de lui.

Ah! j'oubliais un détail, fit Lamblin. Jevous ai dit qu'au début de l'instruction onavait cru tomber sur une piste toute autreque celle de votre amiVarodat. Cela touchedirectement à M. Vernier. Tout millionnairequ'est son père, cet insatiable joue au fils defamille. il emprunte à droite et a gauche,

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et il figurait sur les registres de l'excellentCaribert pour une dette ae quarante millefrancs. Il n'était pas le seul d'ailleurs.Mais il paraitque son compteétait solc.6, car,bien qu'il fût signalé parmi ceux que Cari-bert devait poursuivre à outrance, on n'atrouvéaucun billet signéde lui. Seulement,avez-vous remarqué une particularité?.Adrien Vemier. initiales A. V., et le poi-gnard était marqué A. V. Il n'en avait pasfallu davantage pour qu'un instant la justicefit fausse route, et sans l'aveu de M. AndréVarodat.

Mais puisque Varodat est innocent!L esdeuxhommes se regardèrent.M.Pollet

baissa les yeux. Lamblin eut un geste desurprise. Mais quelle que fût la pensée quiavait soudainement traversé leur cerveau, ilsne se décidaient pas à parler.

M. P ollet eut un large soupir, puis il ditEn somme, j'ai répondu à votre ques-

tion principale. Il n'y a aucune liaison fémi-nine dans la vie actuelle de mon ami Varo-dat. Si vous n'avez plus besoin de moi, il sefait tard et je demeure bien loin.

Cher monsieur, reprit Lamblin, j'ai cru

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bien agir en vous demandant ce renseigne-ment. Si j'ai fait fausse route, ne m'enveuillez pas. Je reste tout a votre disposi-tion.

A votre tour, fit M. Pollet, je vous sup-plie de ne pas vous blesser. peut-être n'ai-jepas répondubien franchement je l'avoue.Mais vous comprenez. j'ai peur. je puisme tromper.

Lamblin lui prit la main.Vous êtes un brave homme. et quand

vous aurez besoin de moi, vous me retrou-verez.

Us échangèrent une étreinte signincative,gratitude de la part de M. Pollet, intérêt pro-fond de la part du journaliste.

M. Pollet monta en voiture et donna sonadresse, à Passy.

Lamblin resta au café, se disantA. V. etAndré Varodat est innocent.

C'est à étudier.

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VI

En rentrant chez lui, M. Pollet trouva uneassignation à comparaitre le lendemain, onzeheures du matin, devant le juge d'instruc-tion.

Tout d'abord, cela lui fit peur. Que dirait"il? Que répondrait-ilà un interrogatoire pré-cis ? Par la vérité pure et simple? MaisVaro-dat ne le priait-il pas de se taire? Et il n'yavait pas d'équivoque sur la signification decette prière. Varodat savait ce que son amiprétendaitétablir, c'est-à-dire que tous deux,au jour du crime, avaientpassé la soirée en-semble. Donc c'était cela même qu'il le sup-pliait de cacher.

Et mentir ou tout au moins s'abstenir

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faire connaître la vérité, c'était serendre complice de l'incarcération,qui sait?de la condamnation peut-être de Varodat.Comme aussi parler, c'était contrevenir àcette règle d'obéissance passive qui est lapremière condition de l'amitié.

Toutes sortes d'arguments contradictoireset, pour tout dire, de casuismes, se heur-taient dans la tête do M. Pollet. Habitué àprocéderen tout avec ordre, à suivre les in-flexibles principes de la logique, il se perdaitdans cette dialectique où toute solution, &

peine trouvée, se trouvait immédiatementcombattue.

S'il prenait un moyen terme! ne pas serendre à la convocation reçue. Ici intervenaitle caractère indélébile de l'ex-fonctionnairepublic~ respectueux de toute hiérarchie etsurtout de la justice. C'eût été un acte d'ir-respect dont il se sentait incapable.

Et alors ses angoisses le reprenaient plusfort.

La nuit passait, et il ne pouvait se déciderà se mettre au lit.

Il avait la nèvre il s'était assis devantsonbureau, et, la tête dans ses deux mains, il

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s'interrogeait, ressassant interminablementles mômes raisonnements qui chevauchaient

sous son crâne, comme des botes accoupleset dont chacune tirerait en un sens dine-rent.

Soudain ses yeux se Bxerentsur la photo-graphie de Varodat, qu'il avait jetée sur sonbureau, après sa dernière enquête dans lesbureaux d'omnibus.

Il s'absorba dans sa contemplation, hantéde je ne sais queUe idée vague qui ne parve-nait pas à s'a~rmer en lui.

Ce portrait remontait à une dizaine d'an-nées. Déjà, comme depuis sa jeunesse, Varo-dat portait toute sa barbe; seulement, parune coquetterie dernière à laquelle depuisil avait renoncé, il séparait, par un glis-sement inconscient des doigts, cette barbeen deux longues pointes, dont l'écartementlaissait apercevoir le menton, rond, trèsfort.

Ce trait spécial attirait l'attention deM. Pollet, qui, peu à peu, avec une curio-sité inexpliquée, détaillait chaque partie duvisage.

Ce front haut, très bombé, ces yeux sur-

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montés d'épais aouroila, ces maxillaires, unpou larges, 11 étudiatout cela comme ~ill'eutvu pour !a première fois.

Et voici qu'un nom, en ce momentpresque oublié,– lui monta aux lèvres, en un

murmure.Co nom ôttUt celui d'A<!r!en Vom!er. Oui,

ces deux hommes se rossomblaiont, le ~métait tnd6n!&Me. Sous la fatigue des traitsdu quinquagénaire, il retrouvait le visageimberbe du jeune homme. Fermant les yeux,il revoyait le viveur qu'il avait obstinémentregardé tout à l'heure; il cherchait a fixerdans sa mémoire le dessin de cette figurequ'il juxtaposait mentalementà celle de Va-.rodat.

Quelle folie! A les détailler, ces deuxphysionomies étaient dissemblables. Les si-militudes spéciales n'existaient pas à peine,dans l'ensemble,quelque identité. Un air defamille, comme on dit.

M. Pollet haussa les épaules, repoussantbien loin l'idée invraisemblable qui s'étaitglissée dans son esprit. Ce que c'est que lapréoccupation, cependant

Puis il revenait à son étude comparative

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si Varodat avait un secret, pourtant Si uneiamme était encore mêlée à sa vie Une fam.me. LamMin aMrmait qu'ou en av~it vuune, la nuit Mômoqui avait suivi to crime.Une femme en toilette de bal. Une robegrise brodée d'oiseaux.

Un cri s'ôchappa de sa poitrine. Ces mots,brodés d'oiseaux, H tes avait entendupronon-cer, i! y avait quelques heurea a peine. Parqui ? Oh ? Eh parbleu, au café. on disait ·.

la mère portait une robe.de gaze d'argent.brodée de. Et cotte femme, c'était Ja beUemadame Vernier. et Varodat avait aimemadame Vernier!

Soudain, M. PoHot se leva et courut & sonsecrétaire, dont il ouvrit violemment les ti-roirs. Un pli se trouva sous sa main, unelarge enveloppe, scellée d'un cachetde cire,et sur cette enveloppe, ces mots étaientécrits « A lire quand je aérai mort. w

Là était renfermé tout le mystère etM. Pollet porta la main sur le cachet.

Mais il lui sembla qu'il touchait un ferrouge. Lui l'ancien of&cierministériel vio-ler un dépôt, remis en des circonstances etsous des conditions spéciales

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Tout son sang d'honnêtehomme aMua &

son ccaur, avec une aupréme honte d'avoirmôme conçu un seul Instant cettepensée. Etpourtant, là encore, une épouvantable con-tradiction1 Son devoir d'ami n'etatt-H pas dedéfendreVarodat,quandmême, malgré luiLà étaientcertainementles élémentsde cettedéfense, le salut sans doute. Et on n'auraitpasIedroU!

Non, cent fois non en dépit de tous lessophismes, l'ordre donné par Fami, den~ouvrir le pli qu'après sa mort, –< était for-mel, indiscutable. Ces mots étaient répétésen suscription. Passer outre, c'était com-mettre un abus de conuance.

Le pauvre homme haletait,avec des larmesdans les yeux. Agir ou s'abstenir, obéir & l'af-fection ou à l'obligation consentie, récla-maient un égal héroïsme. Le devoir l'em-porta, aidé de l'habitude professionnelle. Ilrejeta l'enveloppedans le tiroir qu'il refermaà clef, violemment.

Au matin, il partitpourle Palais de Justice,ignorant de ce qu'il ferait, de ce qu'il répon-drait, un peu calmé d'ailleurs, quoique tou-jours irrésolu. Après tout, s'était-il dit, je

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suis un honnête homme, et ce que je ferai

sera bien fait. C'était s'engager & se régleraur les circonstances.

Arrive au Palais, il alla tout droit au cabi-net du juge d'ïnstrucHen, rem!ta l'huissieraa lettre et s'assît sur le banc, prêt à la pa-tience.

Peu à peu, d'autres témoins arrivaient,convoques commelui.C'ôtaient le conciergede la maison de l'usurier, puis les voisins,ceux qui avaient rencontré l'assassin dansl'escalier. Aussi, deuxhommes très ôiégants,l'un de vingt-cinq, Fautre de cinquanteans,qui étaient venus ensemble et avaient parufort surpris, indignés môme, qu'on ne lesreçût pas immédiatement.

C'est fort désagréable!1 dit l'un.De cette façon, fit l'autre en ricanant,

si on assassinait tous mes créanciers, il mefaudrait passer toute ma vie ici 1

C'étaientdes débiteurs de Caribert.Les autres causaient à voix basse, indiffé-

rents. Ils avaient déjà dit ce qu'ils avaient àdire. Pourquoi les déranger de nouveau ?

Dis donc, papa, demandait une jeunenlle, es-tu sûr de le reconnaître ?

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Entremille, la tête sur le billot répli-qua l'homme, qui paraissaittre~ Cer de l'im-portance de sa déposition.

On appela ces témoins et le concierge. Ilsentrèrent.

M. Pollet regardait la porte qui s'était, re-iiBrmèe sur eux. Ainsi, en ce moment, cesgens décidaient du sort de Varodat. C'étaitla confrontation. Qu'allaient-ils répondre?Pourtant ils ne pouvaient pas affirmer avoirvu Varodat à dix heures dans l'escalierde larue Sainte-Anne Il faudrait bien que, grâceà eux, le doute s'imposât & la justice, mêmeen dépit de tout aveu. Car enfin s'ils s'é-criaient:« Ce n'est pas lui!

Une demi-heure se passa encore. Cesgens sortirent, très rouges, animés. « Moi, jete dis, papa, qu'il <~it beaucoup plus jeuue1

Et moi, Mademoiselle, je vous déclare

que vous êtes une sotte et qu'il est fort in-convenant de donner un démenti à sonpère 1 Mais, toi, maman! Veuillez

vous retirer », dit l'huissier, qui appela.M. Follet.

Les deux débiteurs de Caribert se dressè-rent et s'approchèrentde l'huissier. En ve-

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rité, c'était intolérable. Hs ne pouvaientattendraplus longtemps.

L'huissier, très calme, ouvrit la porte et ntentrer M. Pollet.

C'était bien le même juge qui avait pro-cédéà lapremièreenquête dans la maison deVarodat.

Il parut d'abord très occupéà prendre desnotes, gardantla tête baissée sur sespapiers,puis, tout & coup, comme s'il se fût tardive-ment aperçu qu'un témoin avait été introduitdans son cabinet, il se redressa, avec unmot d'excuse, et regarda la lettre de convo-cation.

–Ah! M. Pollet. ancien notaire, n'est-il pas vrai ? Veuillez compléter votre état-civil, vos prénoms, votre demeure? Fortbien! J'ai déjà eu l'honneur de vous voir,n'est-ilpas vrai ?

Oui, Monsieur, chez mon ami Varodat.En effet. je me souviens. Vous êtes

venu de vous-même. pour fournir un ren-seignement. Lequel? Je ne m'en souvienspas. Vous m'excuserez tant d'affaires1

Celui-ci avait son « truc » comme tous lesjuges, c'était de paraltre n'attacher qu'une

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importance très secondaire à ce qu'il enten-dait. M. Follet faillity être pris. Si vraimentle juge ne se souvenait pas de ses afnrma-tions, il était encore temps do les atténuer,de louvoyer.

J'étais venu, en onet, pour vous afnr-mer que la culpabilité de M. Varodat étaitde. tous points invraisemblable.

Oui, c'est cela. Un alibi, je crois.Décidément, la mémoire lui revenait.

J'ai eu l'honneurde vous afRrmor que,dans la soirée où le crime a été commis,nousavionspassé plusieursheuresensemble.

Parfaitement. Et où cela?PChez moi. où M. Varodat a dîné.

Il n'y avait pas a reculer. Il répéta textuel-lement sa déposition, en toute sincérin;.

Alors, si je vous comprendsbien (il eûtété difncile qu'il en fût autrement 1) à dixheures du soir, M. Varodat était encore chezvous, ce qui exclut la possibilité de sa pré-sence à la mêmeheure sur le lieu du crime.

Eh mais ce juge semblait entrer décidé-ment dans la bonne voie. Pollet l'y suivit,avec empressement, reprenant un à un tousles arguments.

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Mais ce n'est pastout. Monsieurle juge,j'ai procédé moi-même à une enquête, j'aides témoins qui vous oortinerontmes dires.un charbonnierqui a vu mon ami entrerchezmoi à six heures, un conducteur d'omnibusqui l'a remarqué entre dix heures un quartet dix heures et demie.

C'est excellent. Vous voudrez bien,n'est-il pas vrai? répéter toutes ces aSh'ma.tionsdevant l'accusé lui-même.

M. Pollet eut un malaise. C'était la mômescène qui recommençait. Eh bien, cette foispuisqu'il le fallait, il discuterait, mordieu, ilsoutiendrait ses dires la vérité contreVarodat lui-même. Il le sauverait malgré lui.Puisqu'il semblait assez fou pour vouloir seperdre, les autres n'étaient pas obligés d'a-voir la même folie.

Parfaitement, Monsieur le juge.Le magistrat donnaun ordre, et de nou-

veau se pencha sur ses notes, hachant lepapier de son crayon.

Varodat entra, accompagné d'un garde.Bien qu'il se Unt très droit, marchantd'un

pas sûr et ferme, cambrant même ses épau-les que d'ordinaireil portait un peu voûtées,

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comme tous les lassés de la vie, cependantPollet qui le connaissait Mon constata surson visage les traces de douloureuses souf-frances.

Les deux hommes ae regardèrent, Polletmettant dans ses yeux toute son amitié, toutson actif dévouement l'autre, très froid,souriant a peine en signe de reconnaissance.

C'est bien de M. Varodat, ici présent,que vous voulez parler? demandale juge.

De lui-même. Je le connais depuis monenfance. Je ne puis donc me tromper.

Expliquez donc ce que vous m'avez dittout à l'heure.

Pollet hésita une seconde, épiant s'il nesurprendrait pas sur les lèvres de l'accuséun signe qui lui répéterait les mots du billet,qui lui ordonneraitde se taire. Rien. Varodatattendait, simplement.

PoUetse décida, balbutiant il lui semblaitqu'en parlant il se laissait aller à forfaire àl'amitié. Il répéta les faits, avec circonstan-ces d'heure aussi précises que possible.

Varodat resta impassible. Le jugeditalorsVous avez entendu. M. Follet est votre

ami, n'est-ce pas ?

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Mon plus ancien et plus intime ami,répliqua l'accusé.

Essaye-t-il de tromper la justice pourvous sauver. ou dit-il la vérité?P

Il dit la vérité, repondit Varodat, quePollet interrompitpar un cri de joie.

Enfin, il avouait. Enfin, il allait se défen-dre ?P

Comment, dit le juge, ces amrmations

se concilient-elles avecvos aveux?.C'est une question de quarts d'heure,

dit Varodat. J'avais d'abord nié ma visitechez M. Folletafin de ne pas le compromet-tre inutilement.Voici la vérité. Ayant d'abordl'intention d'échapper à la justice, quandmême des indices seraient relevés contremoi, j'avais préparé moi-mème cet alibi enavançant la pendule. M. Pollet ne s'en estpas aperçu. Je suis parti de chez lui à neufheures et demie, peut-être même un peuavant, j'ai couru à l'omnibus, suis montésur l'impériale et ai payé ostensiblementmaplace, en y ajoutant le pourboire ordinaire.Mais, arrivé à la place de l'Étoile, je suisdescendu, j'ai pris une voiture et suis allé.où l'on sait. Suis-je arrivé à dix heures, à

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dix heures un quart, je n'en sais rien, pasplus d'ailleurs que les gens qui m'ont re-connu dans l'escalier.

PoIIet, bouche béante, était atterré. Varo-dat répondait à tout, détruisait toute l'argu-mentation, anéantissait les témoignages re-cueillis.

Mais, dit le juge, comment M. Polletne s'est-ilpas aperçu que sa penduleavançaitd'une demi-heure?P

Justement, s'écria l'ancien notaire d'unaccent désespéré, elle s'est arrêtée dans lanuit!

Vous voyez, Monsieur le juge, repritVarodat. Je n'en remercie pas moins monami (et il appuya sur le mot) de sa démarcheet de son dévouement. Par malheur, rienne peut prévaloir contre les faits.

Que pensait le juge? Les paupières à demibaissées, il gardait le silence. Puis il reprit

Ne m'avez-vous pas dit aussi,monsieurPollet, que M. Varodat était, sinon riche,tout au moins dans l'aisance?

Mais j'en suis certain, s'écria Follet. Iln'y a pas six moins encore que, dans unéchange de confidences, il m'avait confié sa

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situation près de i&,000 &anca de rente, surl'État, au porteur.

Ceci est le passé, dit tristement M. Va-rodat. Mais il y a longtemps que j'ai perducette fortune, dépensée en expériences coû-teuses et qui n'ont pas réussi. j'en étaisréduit aux emprunts. et j'avais naturelle-ment dissimulécette. décadenceà mon vieilami<

Et vous ne vous êtes pas adressé à moipour ces emprunts! s'écria Pollet. Mais j'aivingtmille livres de rentes, moi Qu'est-ceque j'en fais Ah! c'est mal, c'est trèsmal!

Varodat,maintenant, regardait le plafond,indifférent.

Tout à coup, Pollet s'écriaEh bien Non Monsieurle juge, non,

cet homme qui a de l'honneur, qui est bon,qui a toutes les qualités du coeur et de l'es-prit. cet homme ne s'est pas ruiné, il n'a pasfait à un vieil ami l'injure de s'adresser à uninfâme usurier. il n'a pas arrêté ma pen-dulè. il n'a pas tué! j'en jure Dieu Jedis que Varodat, en ce moment, se dévoue,se sacrifie. pourquoi ? pourqui ? Je n'mo sais

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tien! Mais cela est. et qu'il y prennegarde! Si une fois je me mets à chercherpour tout de bon, je trouverai. je saurai lavérité. et je la dirai! quandmême!

Mais vous tairez-vous! s'écria Varodatemporté par une colère subite. Tout cela eststupide et fou! J'ai tué! qu'on me tue!etque tout soit fini

Le cri furieux avait fini en une sorte desanglot.

Pollet se sentait frissonner. Ah! s'il avaitété seul avecVarodat, il se serait traîné à sesgenoux; il lui aurait bien arraché sa confes-sion, et, s'il avait voulu mourir quandmême,eh bien peut-être Pollet eût-il consenti &

son sacrifice. Mais qu'est-ce qui prouvaitque ceux pour lesquels il s'accusait méritas-sent cet excès de générosité.

Le juge n'avait pas interrompucette scène.–Monsieur Pollet, dit-il, vous pouvez

vous retirer je vous prie de ne pas vouséloigner de Paris, et je vous engage à com-pléter vos renseignements. Je vous feraiappeler dans quelques jours.

Pourquoi disait-il cela?Est-ce qu'il croyaitlui aussi à la sincérité du témoin? Est-ce

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qu'il doutât, lui aussi, de la voracité desaveux. de l'accusé?

Varodat était livide. Le juge s'étant dé-tourné un instant, il porta ses deux mainsjointes devant ses lèvres, mouvement deprière, de supplication, instantané, qui s'a-dressait a son ami.

On frappa à la porte. L'huissier entra, etremit une carteau juge d'instruction puis ildit à mi-voix

Cette dame est avec son fils. Elle insistepour que M. le juge la reçoive tout de suite.M. le procureur général la recommande àM. le juge.

Le juge avait lu le nom « Madame Ver-nier N, fit-il. Oui, dans une seconde.

Madame Vernier Folletet Varodatavaiententendu le nom, l'un, laissant échapper uneexclamation involontaire, l'autre, se reculantvers la porte par laquelle il était entré, d'unbond si vif, que le garde, croyant à je ne saisquelle tentative d'évasion, le saisit auxépaules.

Faites sortir l'accusé, dit le juge. Aurevoir, monsieurPollet.

Pollet tourna sur lui-même, chancelant,

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avec des allures d'homme ivre, ne trouvautpas la porte.

Mais elle s'ouvritet madameVemier entra,accompagnéede son nls.

L'ancien notaire la vit et, l'enveloppantd'un rapide regard, il la reconnut telle quemademoiselle Cardinierla lui avait dépeinte,adtnirablementbelledanssatoilettedeveloursnoir qui moulait un corps de déesse, portanthaut son visage pale, aux lignes exquises,éclaire par doux yeux pailletés d'or.

Il la regarda, bien en face, comme s'il eûtvoulu mesurer sa force. Mais, orgueilleusejusque dans son indinerenco, elle le toisaimperturbablement. Le juge s'était levé etvenaitau-devant d'elle.

M. Pollet, en sortant, heurta les deux vi-veurs,toujours dansl'attente, qui maintenants'étaient écroulés, mornes, sur un banc.

Il courut comme un fou hors du Palais et,au premier sergent de ville qu'il rencontra,demanda l'adresse du bureau télégraphiquele plus proche.

Là, il écrivit

« Mon cher monsieurLamblin, dites-moi,

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par dépêche immed!ate, qnetjtmr a en Mou

ehexmadameV~a!w ïa fôtedontKétaitpavM

hier au café Riche. Ne venez pas, Tetegt'a-ph!ex seulement. »

t~e soir môme, Pollet reçuth réponse.Elle ôtait ainsi conçue

« Cher monsieur,

a C'est jeudi, jour du crime de h rueSainte-Anne, qu'a eu lieu la fête en questiondonnée par madame Vernier, qui portait unerobe de mousseline de soie, fond d'argentavec oiseauxbrodés. M

PoUet ne s'étonna pas, quoiqu'il n'attenditpas une réponseaussi détàiHée.

Il s'enfermadans son bureau, eHà, délibé-rément, sans une hésitation, il rouvrit sonsecrétaire, prit l'enveloppe que naguère luiavait conBée Varodat et brisa le cachet.

Seulement, en commettant ce crime, iltremblait comme un enfant.

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VH

Le jeudi suivant, à sept heures du soir,une voiture s'arrêtait, & Auteuil, devant lamaison de refuge de Sainte-Elisabeth, asilede vieillards ou de solitaires, riches, maisayant renoncé & toutes les joies bruyantesdumonde, pourne plussongerqu'àvivre le pluslongtemps possible.

Madame Vernier en descendit et, aprèsavoir parlementé avec la tourière, se dirigeavers le « quart de pavillon » occupé par ma-demoiselle Cardinier.

C'étaitla finde décembre.MadameVernier,tout emmitoufléede fourrures, la tête enve-loppée d'une sorte de mante qui lui donnait,vue par derrière, une allure quasi monas-tique, s'enallait, de sonpas ferme sous lequel

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craquait le grésil, ayant dans toute sa per-sonne, des pieds aux épaules, cette ondula-tion que le poète latin a résumée d'un mot~ceasMpa<M<<dea.

Elle ouvrit, sans happer, la porte qu'elleconnaissait bieu, et se trouva dans le petitsalon, tout empreintde coquetterie vieillote,où se tenait mademoiselle Cardinicrqui l'at-tendait, lui ayant envoyé un billet dont lestermes, convenus d'avance, signiuaientque« les fonds » étaientà sa disposition.

Un feu do bois, bien clair, pétillait dans lacheminée. Madame Vernier, qui avait froid,s'installa dans le fauteuil que mademoiselleCardinier avait approché pour elle.

Combien je vous remercie, dit-elle,d'avoir bien voulu me rendre ce petit ser-vice.

Elle avait rejeté son capuchon, etapparais-sait avec son divin visage, à la fois étrangecomme celui d'une sultane d'Orient et gra-cieux comme celui d'une Pari~nne. Ellesouriait, découvrant entre des lèvres dontl'âge n'avait pas altéré la teinte d'un rougechaud, des dents petites et serrées. Cettefemmeeût pu servir de modèle à une allé-

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gorie de la séduction, si, en ses yeux singu-liers, le regard n~eût été plus perçant queprès '~ieux. La&amme doses pupilles bru-lait plutôt qu'ellene réchauffait. En fait, desyeux de Sémiramis et de Catherine II. Riende Cleopatre.

Mademoiselle Cardinier, dont la beautéavait été atteinte par le temps, était l'anti-thèse vivante de cette femme. Il y avait enelle une gravité douce, channerosse, enve-loppante, et aussi une dignité en quelquesorte émanantde sa nature môme, et & la-quelle l'art des attitudes n'avait. rien àajouter.

Elle prit sur la table un coffret qu'elle'ou-vrit.

Deux cent soixante-six mille francs,dit-elle. Voici le bordereau de l'agent dechangeet les billetsde banque. Voulez-vousque nousles comptions ensemble ?

A quoi bon? fit en souriant madameVernier.

Elle referma le coffret dont le couvercletomba avec un bruit sec.

Elle eût voulupartir immédiatement, mais

« l'usage du monde » s'y opposait.

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Si voua saviez, reprit-elle, quels em-barras vous m'avez éviter par votre complai-sance.

Votre Sis est-il en route?–'Non. Il quittera Paria demain matin,

pour s'embarquer samedi à Marseille.L'autre jour, vous m'avez paru bien

peinée de cette séparation. Vous avez prisvotre parti.

Que voûtez-vous? Ces grands enfantsne peuvent restertoujoursattachés aux jupesde leurs mères puis, en vérité, je vous l'aidit, c'est charité de ma part que de le sous-traire, pour quelque temps, aux duretés de

son père. M. Vernier est, à son égard, d'uneinjustice.

Savez-vous, dit très nettement made-moiselle Cardinier, changeant la conversa-tion par une brusque volte-face, savez-vousque M. André Varodat est en prison, accuséd'assassinat, et sous le poids d'une condam-nation capitale?.

Madame Vernierne fitpasun mouvement,pas un pli de son visage ne tressaillit. Ellerépondit

En effet, j'ai appris celapar les journaux.i3

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–Et vous n'avez pas été surprise quecet honnête homme eût commis un pa~eMcrime P

Cette fois, madame Vernier tourna la têtevers la vieillefille et la regarda fixement:

Il y a si longtemps que je n'ai entenduparler de M. Varodat, dit-elle, que j'ignoreabsolumentson caractère actuel.

Et cependantvous l'avez bien connuautrefois. vous savez mieux que personnecombien son coeur est loyal, sa consciencedroite.

En émet, j'ai su tout cela. Mais les an-nées passent etpeuventchangerles hommes.

Elle répondait cela, d'un ton naturel,comme suivant la causerie la plus ordinaire.

Mademoiselle CardinierrepritVous ne pouvez avoir abdiqué tout in-

térêt pour lui. Vous êtes riche, en relationsavec tout ce que Paris compte d'influences.Consentiriez-vous, si je vous en priais, àtenter quelquedémarche en sa faveur ?P

Vous vous méprenezsur les « influen-ces » dont vous parlez, ma chère amie. Jene pourrais rien.

Et ce seraitavec cette sérénité que vous

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apprendriez la condamnation, l'exécutionmémo de celui qui vous a tant aimée r

Madame Vernierse leva et ditEspéronsque les choses n'en viendront

pas à ces extrémités dramatiques. encoreune fois, mille remerciements.

Et elle posa la main sur le coffret, pourremporter.

Un moment, dit mademoiselle Cardi-nier.

Allant vers la porte du fond, elle l'ouvritEntrez donc, monsieur Pollet, je vous

prie.MadameVerniers'était arrêtée, un peu in-

terdite, curieuse surtout.L'anciennotaire s'inclina

Madame, lui dit-il, voudriez-vous mefaire l'honneur de m'accorder quelques ins-tants d'entretien?

A vous, monsieur,et à quel titre?pJe m'appelle Pollet, je suis ancien no-

taire, et je connais Varodatdepuis tantôt cin-quante ans.

Eh bienque peut-il y avoir de com-entre vous et moi ? Je m'étonne, en vérité,ma chère mademoiselle Cardinier.

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Pollet se pencha vers elle et, très bas, luidit:

Il y a ceci de commun, madame, quevotre fUs Adrien est le fils de mon ami Va-rodat.

Mademoiselle Cardinier était sortie, dis-crètement.

Sans répondre,madameVemier se dirigeavers la porte.

Pollet continua, a mi-voix, cette foisSi vous ne m'entendez pas, madame,

demain j'irai révéler au juge d'instructionque madame Vernier est venue, chez Va-rodat, dans la nuit qui a suivi le crime de larue Saint-Anne.

Elle parut hésiter, puis, comme prenantune résolution décisive, elle revint vers lacheminée, s'assit dans le fauteuil, et dit

Parlez, monsieur.Elle ne se livraitpas, n'avouaitni ne niait.

En vérité, Pollet l'admira. Ce sang-froid, enface d'unè accusation précise, presque bru-tale, dénotaitune énergie extraordinaire.

Mais il était résolu à en avoir raison ilétait sûr de ses armes

Madame, dit-il, Varodat est innocent.

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Ce n'est pas lui qui a tué l'homme de la rueSainte-Anne. L'assassin a comme lui lesinitialesA. V. qu'on a trouvées sur le poi-gnard, encore fiché dans la plaie. Je ne veuxpas vous faire languir: cet assassin senomme Adrien Vernier c'est votre aïs, etcelui de Varodat. Voilà ce que je sais. J'aides preuves. Or, j'aime Varodat de toutesmes forces, je ne veux pas, vous entendezbien, je ne veux pas qu'il porte la peine d'uncrime qu'il n'a pas commis. Je n'ai pasvoulu agir avant de vous voir, de vousparler. C'est fait. Maintenant que décidez-vous ?.

Elle étaitrestéeimmobile, les yeuxfermés,les mains croisées.

Quand Pollet eut nni de parler, il y eut unsilence assez long. Puis elle dit

Ainsi M. Varodat a manqué à sa parole,menti à son serment. il a commis une lâ-cheté.

Pas un mot de plus, madame. Nul n'ale droit, et vous l'avez moins que per-sonne, d'insulter l'homme qui n'auraitqu'un mot à dire pour que les portes de laprison s'ouvrissent toutes grandes devant

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lui. Car il se sacrine, il abandonneplus quesa vie, il renonce à tout un passe de probitéet d'honneur. Eh Mon je vous dis quenous devons le sauver.

Et je vous dis, moi, qu'il a commisunemauvaise action, oui, une action infâme,

lorsqu'il vous a dit qu'entre lui et moiexistait un lien déshonorant. il n'est pasvrai que mon nïs soit le sien.

Et, dans cette dénégation, la belle ma-dame Vernier mettait toute sa force, se re-dressant, altière, devant l'insulte.

Mon ami Varodat n'a pas commis d'ac-tion infâme. car il n'a pas parlé.

Alors, c'est vous qui inventez cette ca-lomnie.

Non, madame, je n'invente rien. C'est,moi, et moi seul, qui ai acquis la preuve dece que j'affirme. Prenez-y garde, d'ailleurs.Si vous niez, vous me rendezma liberté, etalors j'agis. Je me fais fort de prouver, envingt-quatre heures, l'innocencede Varodat,de guider la justice sur l'autre piste. A votreaise! si Adrien n'est pas le nls de Varodat,que m'importe alors qu'on l'accuse et qu'onl'arrête. Un seu~ scrupule me retient, la pa-

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ternité de mon ami. Qu'elle n'existe pas, et jesuis délié.

Il attendit une réponse qui ne vint pas.Alors il continua

Vous avez tort de pousser ma patienceà bout, madame.Je suis débonnaire, placide,faible môme. Mais je n'aime au monde quecet homme, et, pour lui, je retrouve toutemon ônrrgie qui est très réelle, je vous jure.Je veux encore vous dire ce que je sais. Votrefils est venu jeudi, à minuit, au milieu dubal que vous donniez, et là, vous entramantà l'écart, vous a avoué le crime qu'il venaitde commettre. Vous, vous êtes partie en robede bal, à peine cachée sous un manteau, etvous êtes allée droit à Varodat. et cela en-core, sans lui, maigre lui, je puis le prou-ver.

Madame Vemier fit un signe de la main,comme pour imposersilence. Elle dit

C'est vrai. M. Varodat est le père demon fils. et 'c'est pour son fils qu'il se sa-crifie. ce qui est son devoir.

–Son devoir!Eh bien, oui! Le mot vous étonne?Je

vais vous l'expliquer.Savez-vous ce qui s'est

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passé, seulement, pour parler avec cette as-surance qui est presque de l'arrogance?PMais, si M. Varodat était là, et qu'il vousentenditme parler ainsi, mais il vous sou~fletterait, monsieur.

Elle s'était à demi drossée, et, dans sonattitude, Pollet, un peu interdit, voyait larévélation de toute l'autorité quecettefemmepouvait exercer. En ce moment où la colèrepale accusait plus nettement leslignes de cemasque de reine, il se sentait petit devantoUe, devant cette audace sûre d'elle-même.

Ah vous êtes l'ami de M. Varodat, re-prit-elle. Son àmi de cinquante ans! Vousa-t-il jamais parlé de moi? Vous a-t-il ditqu'il ait été mon amant ?

Non, jamais.Et ce qu'il a caché pendantvingt-cinq

années, vous voulez qu'il le crie aujourd'huitout haut, et pourquoi? Pour défendre sa vieen livrantcelle de son aïs Allons donc,mon-sieur Ou vous le connaissez bien mal, ouvous savez bien qu'il se taira.

Maisje ne veuxpasqu'il soit condamné!s'écria Pollet en un cri de désespoir.

Il ne mourra pas. Il obtiendra des cir-

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constances atténuantes. et, plus tard, sagrâce.

Et vous supposezque je permettraiquecet hommeaille au bagne

S! vous touchez à moi où à son fils, ilse tuera. C'est vous qui l'aurez condamne àmort.

Elle se leva et, droite devant son interlo-cuteur, d'une voix sourde, elle reprit

J'aimemieux que vous sachiez tout. Quej'aie eu tort ou raison de repousser l'alliancede M. Varodat, cela appartient au passe. Jeme suis mariée il a tenté de se suicider. Jeme suis échappée de chez mon mari, et jesuis allée chez lui. plusieurs fois. La con-valescence est venue il est tombé a mespieds. Je l'ai repoussé, je lui ai dit que je lehaïssais. Je mentais d'ailleurs, il l'a com-pris, et a su me rendre faible. Ce jour-là jelui ai donné mon honneur, il m'a donné savie. Et c'est ce pacte qui s'exécute aujour-d'hui.

Oui, c'est mon nls, notre fils qui a tuéle misérable usurier. Savez-vous pourquoi?Parce que mon mari, obéissant à un instinctque rien n'a pu vaincre, a toujoure haï, hait

a

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aujourd'hui cet enfant: parce que son en-fance, sa jeunesse, son adolescence ont étépersécutées bassement, lâchement. Oui, ilest méchant, M est hypocrite, il est brutal,ce fils A qui la faute? Qui l'a jeté dans lavie? Qui a commis ce crime, de donnerl'existenceà l'être qu'il ne pouvait ni proté-ger, ni défondre?.

« De ce crime, dontj'ai été complice,soit J

croyez-vous donc que je n'aie pas subi lechâtiment, moi? Comptez-vous pour rien lesangoisses, les humiliations cachées que j'aisouffertes! Et, quand je l'ai vu grandir, cetenfant sournois, mauvais, est-ce que je l'aiaccusé? Ne comprenez-vous pas combien, leconnaissant, le sentant rebelle a toutes mesexhortations, le voyant peu à peu descendredans un gouffre de paresse et de vice, j'ai ététorturée dans mon amour de mère. dansmon orgueil? Oui, mon orgueil Pourquoine l'avouerais-jepas?

« Et ce nls, auquelj'ai tout donné, voiciqu'un jour il vient, hagard et me crie « J'aitué un hommea Alors je me suis dit « Jene puis plus rien; au tour de son père, main-tenant » Savez-vous qu'il était perdu le

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poignard lui appartenait et portait ses ini-tiales. Il avait bien arraché à l'homme assas-sine, en un moment de folie, de ragevengeresse contre des escroqueries sansnombre, les traites que j'avais déjà payéeset qu'on refusaitde lui rendre, le menaçantde poursuites,et, chose terrible, de réclama-tions à son père. à mon mari, son ennemiet son bourreau. Mais il n'avait pas songéque des dossiers à son nom resteraient chezce misérable. De plus, on l'avait vu dansl'escalier son costume, la taille de sa barbeétaient signalés.

« Tout droit je suis allée chez M. Varodatet lui ai dit « Voulez-vous que notre fils

meure sur l'échafaud, que, moi, je meurede honte et de désespoira Et pour le ftls etpour la mère, il s'est dévoué. Croyez-vousqu'il ait obéi à une exaltation passagère etdont il puisse se repentir? Ecoutez. M. Va-rodat est venu, je suis montée chezmon fils,j'y ai pris l'étui du poignard et je le lui airemis. Lui, le matin, à six heures, s'est glissédans la maison du crime, et a déposé sonportefeuille, avec des traites qu'il avait fa-briquées,séance tenante, signées de son nom

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et maculéesdo son sang, c'est devant moiqu'il s'est percé le bras, dans l'angle del'escalier où il a été retrouvé. Il est allé dans

un quartier éloigné se faire tailler la barbe

pour que sa physionomie rappela celle del'hommequi avait été rencontré.et, dans lemémo but, il s'est affublé d'un paletot grts.Dèale matin, nous avons appris que l'atten-tion était attirée sur les initiales A. V. et surle nom d'André Vernier. Il n'y avait pas uneminute à perdre. Ah! j'oubliais! M. Varodatavait chez lui des titres de rente pour plusde trois cent mille francs. Il fallait qu'on lecrût gêne, presque sans ressources il m'adonné tout cela pour son nls! et il s'estfait arrêter!

« Etc'estquandcet hommea accomplicetteaction sublime, c'estquand j'ai eu, moi, l'hor-rible courage de l'accepter, de l'encourager

que dis-je? de l'exiger, c'est alors quevous, placide, débonnaire, comme vous dites,vous arrivez nous dire « Il faut que lecoupable soit découvert, et le coupable, c'estle nls pour lequel vous avez commis cescrimes moraux! ? Allons donc! Lui etmoi, dans les acres tortures que nous subis-

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sons, nous éprouvons peut-être les seulesjoies qu'il noua ait été donné de ressentirdans notre vie. Et vous voudriez noua lesenlever! Essayez! Plutôt que de laisserarrêter mon nls, je le tuerais, moi, de mapropre main, et je me tuerais après lui 1

Allez dire à M. Varodat que vous avezpoussévers la mort la femme et l'enfant. Faites donccela, vous qui dites l'aimer!1

Madame Vernier se tut, oppressée, hale-tante, sublime d'emportement.

Oui, c'est ainsi qu'elle lui avait parlé, à cethomme qui toujours l'avait adorée. Car,c'était vrai ce testament que l'ami avait lu,c'était un long cri d'amour pour cette femmequi était restée, quand môme, la chair de sachair, dont le souvenir était la tunique deNessus qu'il ne pouvait arracher qu'avec deslambeaux de son cœur!

Et devant cethorribleet grandiose égoïsmede mère, devant ce martyre du père qui ra-chetait une double faute, cet homme à laconscience droite se sentait saisi d'un frissonpresque religieux, et, voyant cette beauté defemme centuplée par la beautéde la mèrequidéfend son petit, il comprenait la terrible

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abnégation de Varodat et la jouissance aiguëdu sacrifice.

Tout à coup, il s'écriaMon Dieu qui sait si déjà je ne vous ai

pas tous perdus1

Vous que voulez-vous dire?.Cet homme qui se souvenaitde la mort de

sa femme, de son enfant, emportés par uneiatalité aveugle a laquelle cent fois il avaitcri6 « Pourquoi ne pas m'avoir pris et lesavoir laissé vivre? » était saisi d'une subiteangoisse, faite de honte et de repentir, ensongeant, que, par son zèle absurde, par sacruelle désobéissance & l'ordre suppliant de

son ami « Par grâce, silence ? il avaitcom.promis toute cette œuvre d'héroïquefolie h..

C'est qu'envérité il ne pouvait s'absoudre.Il avait mis dans ses confidencesun journa-liste, Lamblin, très En, très curieux et quidéjà était sur la piste. Les termesde son télé-gramme en faisaient foi. Le juge d'instruc-tion lui-même n'avait-il pas paru douter dela culpabilité de Varodat? Et c'était lui quiavait fait cela!

Il disait tout à madame Vernier qui l'écou-tait, livide, sentant monterautourd'elle, au-

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tour deson fils, cottemarée dusoupçon qu'elleavait cru endiguer.

Un instanteelle leva les mains comme pourle frapperEt c'était cela, l'amitié? Il n'avaitobéi ni au billet de Varodat, ni à sa volontéexpresse que son testament fût respecté de

son vivant! Que répondrait-il a son ami, sicelui-ci, chassé de sa prison pour faire placeà son Sis, lui reprochait sa trahison?. Etnaïvement Pollet s'écria

Madame il faut sauver VarodatQuefaut-il faire? Ordonnez!J'obéirai!

Le sauver, maintenant,c'était se iaire com-plice de ses mensonges, c'était le pousservers la Cour d'assises, vers le bagne,qui sait?vers Féchafaud. Et il comprenait cela; il nediscutait plus, tant il sentait qu'il eût agi,pour sauver son enfant,.comme agissait son

~mi.Madame Vernier reprit

Eh bien écoutez. Mon fils doit partirdemain matin par l'express de Marseille.C'est en tout cas le salut. Hier, je suis alléechez le juge d'instruction. Vous m'avezvued'ailleurs. Je m'étais fait appuyer auprès delui par ses chefshiérarchiques. Monfils m'ac-

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compagnait, cité comme témoin. C'est moiqui ai parlé. J'ai expliqué que les relationsd'Adrien avec ce Caribert étaient rompuesdepuis longtemps, que les traites souscritesavaient été payées. J'en donnais la preuve,car ces traites, mon fils les avait reprises, etellesne portaient, celles-là, aucune trace desang. Doncj'expliquais au juge que sa dépo-sition n'avait aucune importance. Le juge acompris.J'ai alors demandé pour Adrien l'au-torisation de partir, do s'éloigner de Paris.Le juge m'a déclaré qu'il n'y voyait aucuninconvénient. C'est vous dire que jusqu'icide ce cOté nous n'avons rien àcraindre. Mais,puisqu'il faut tout avouer, j'ai peur de monnls: partira-t-il? Quand il sentira dans sesmains unesomme importante,consentira-t-ilà quitter Paris où lavie folle, où le jeu le re-tiennent ? Eh bien' il faut qu'un ami dévoué.l'accompagne, combatte ses résistances, enun mot, l'embarque. Voulez-vous être cetami?2

Un mot seulement, demandaM. Pollet.Votre nls sait-il qu'un innocent est sur lepoint de payer sa dette?

Madame Vemier baissa la tête

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–Il le sait!Et il n'a pas eu un élan de générosité,

de pudeur, de conscience1–Non!i

1 ïais c'est doncun monstre s'écrial'an-cien notaire, oubliant que naguère il appli-quait la même épithète à la mère.

C'est mon nls! réponditsimplementma-dame Vemier.

Du moins,il ignore que Varodat soit sonpère!

Croyez-vous donc que j'aie consenti àrougir devant lui fit la mère en undernierélan d'orgueil.

M. Follet n'insista plus.Je suis à vos ordres, dit-il.Eh bien voici ce que je vous demande.

Venez avecmoi.Vousverrez mon fils.Je vousprésenterai & lui comme un fondé de pou-voirs, chargéde luiremettreles fonds à Mar-seille. C'est seulementainsi que nous auronsraison de lui. Vous consentez à l'accompa-gner, n'est-ce pas?

Jesuisprêt.Je vousdemande seulementle temps de passerchez moi. A quelle heuredevrai-je me présenter à votre hôtel ?

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Venez à onze heures. Ma femme de,chambre vous introduira dans mon apparte-ment. Mon fils sera sans doute rentré. Nousprendronstoutes les mesures nécessaires.

Et elle lui tendit la main, pour sceller lepacte.

Il la prit et la garda un instant dans lasienne

Je serai exact, dit-il. Puisse le sacrificedu martyrn'être pas inutile

Il vit une larme dans les yeux de madameVemier; il s'inclina sur sa main et la baisa,vaincu, lui aussi, par ce féroce égoïsme demère.

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VIII

Maintenant il était décidé il comprenaitque son véritable devoir d'amitié était dansunecomplicitéabsolue,aveugle; des volontésde son ami, quelles qu'elles fussent, il seraitl'exécuteurpassif. Et quelles volontés avaientjamais été plus nettement exprimées que lessiennes!

Mais il ne suffisait pas de raisonner il fal-lait agir ou plutôt réagir contre les mala-dresses qui avaient été commises. Des té-moins que Pollet avait raccolés,aucund'eux,très vraisemblablement, ne prendrait l'initia-tive d'une démarche,et, par bonheur, le juged'instructionn'avait pas jugé utile de noterleurs noms et leurs adresses. Quant à ma-dame Granson, elle ne bougerait pas, sansl'ordre formel de son maître.

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RestaitLamblin,cet intrus,quePollotavaitmis si niaisementau courant de cette affaire.Aussi,pourquoice reporter était-il ainsivenuse jeter dans ses jambes ? Il y a vraiment desgens d'une indiscrétionMais aussi, de soncôté, quelle nécessité de se fier ainsi au pre-mier venu ?P

En vérité, il s'adressait les plus vifs repro-ches, envahi par cette idée qu'il avait forfaità l'amitié il ne songeait plus qu'a détruirel'échafaudage de preuves que, ce matin en-core, il s'eSbrçait de consolider, à si grandepeine.

H s'agissaitde dépister Lamblin. Serait-cefacile?Voici que le journalisteavait, commelui-même, trouvélatracede madameVernier:C'était cette histoire de robe exceptionnelle,qui avait tout perdu. Mon Dieu! pourvu que,dans son journal, il n'eût pas écrit quelqueslignes dénonciatrices1

Et, en sortant de la maison d'Auteuil,M. Pollet courut à un kiosque et acheta leNouvelliste.

La rubrique « le Crime de la rue Sainte-Anne éclatait en seconde page.

Dans la rue, M. Pollet ne pouvait lire. Il

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entra dans un café et, bien que n'ayant pas`

dîne, il prit la demi-tasse que le garçon luiapporta,sansqu'ill'eûtdemandée.Mais quellesupposition qu'un homme aux allures aussiposées n'eût pas dîne, à neuf heures dusoir!

« L'instructionde l'affaire Caribert suitsoncours. Plusieurs témoins ont été entendusqui, tous, sans exception, ont dénoncé lesescroqueries et les exactions dont ils avaientété victimes. Les causes du crime semblentdonc parfaitement élucidées, et, bien qu'il nerentre pas dans la catégorie des « excu-sables ?, il est à supposer que le jurytrouvera,dans l'exposé de la cause, de sérieux motifsd'indulgence. »

Bravo pensa Pollet. Voilà qui est biendit les circonstances atténuantes qui sait ?

un acquittement peut-êtreIl continua:a D'ailleurs, nous apprenons à la dernière

heure que des faits nouveaux, sur lesquels ilne nous appartientpas d'insister, parce quejusqu'ici ils semblent aux non-initiés n'avoiraucune corrélation avec cette affaire, pour-raient changer du tout au tout la situation de

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l'accusé. Notre discrétionbien connue nousempêche d'insister. »

Qu'est-ce que cela veut dire ? se de-mandait Follet. Quel diable de mystère aencore flairé ce maudit Lamblin Les non-initiés changer du tout.au toutï.

Et il relisait ces mots étranges, comme s'ileût espéré, entre les lignes, découvrir unsens caché qui lui eût échappé tout d'abord.

L'articlese terminait là. Ensuite commen-çait une autre rubrique « l'Altercation ducafé Riche Le café Riche se dit Pollet.Pardieu je vais y aller. Peut-être y rencon-trerai-je ce Lamblin. Il faudra bien qu'ils'explique, et si d'aventure il est prêt à quel-que imprudence compromettante, jé sauraibien l'arrêter. Cette affaire ne le regarde pas,après tout.

M. Pollet était très monté, et eût été trèsmal venul'imprudent qui, en ce moment, sefût avisé de lui apporterla preuve indéniablede l'innocence de Varodat. La belle madameVernier avait accompli un véritable miracle,et comme Pollet comprenait bien la passioninsenséede son ami

Il sortit de l'estaminet et vite sauta dans

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une voiture. Au café Riche M. Pollet nequittait plus les cafésEt madame Gransonqui l'attendaitpour le dîner H s'agissaitbiende cela1. Dix fois, l'ancien notaire se pen-cha à mi-corps hors de la voiture, adjurantle cocher d'aller plus vite il y aurait unpourboire sérieux.

Enan il arriva et s'élança sur le trottoir.Il pénétra à l'intérieur, délibérément, en ha-bitué, et alla droit aux tables, où la veille ilavait rencontré Lamblin et ses amis. Ellesétaient occupées par des familles hollan-daises.

Il arrêtale garçonEst-ce que M. Lamblin est làP

M. Lamblin, à cette heure-ci jamais 1

à moins que. Voyez donc aux bambous.Aux bambous Quid les bambous Là-

bas, au fond Ce que c'estque l'ignorance ?Ne pas savoir que la salle du fond du caféRiche, en retour sur la rue Le Peletier,est garnie de banquettes, à cadre de bam-bou 1.

Vous verrez, ajouta complaisammentle garçon, il est peut-être avec les messieursdu duel.

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Du duel Ah les journalistes 1 Quelle cli-que de batailleurs1

M. Pollet s'engagea résolument dans lesbambous.

M. Po~et ne trouva pas celui qu'il cher-chait. Seulement,comme il s'approchait tropcurieusement d'un groupe de quatre per-sonnes, groupées dans un coin, et'qui cau-saient, penchées l'une vers l'autre avec mys-tère, l'une d'elles, personnage chauve àlongues moustaches,lui dit très sèchement

Vousdésirez, monsieur?.Il battit en retraite, s'excusant. Attendre 1

à quoi bon P Le garçon n'avait-il pas indiquétrès nettement qu'à pareille heure il n'exis-tait aucune chance de rencontrer Lamblin.Et puis, l'heure passait, et il était temps de

tenir parole à madame Vernier. Il s'assit ce-pendant,voulantencoreinterrogerle garçon.On lui servit du café. H l'avalaen se brûlant.Ce n'était pas le même garçon. Celui-cipa-raissait rogue, peu disposé à lier conversa-tion. M. Pollet s'enfuit et de nouveau prit unevoiture.

Café, voiture voiture, café 1 quelle exis-tence pour un homme qui depuis quinze ans

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n'est pas une seule fois sorti le soir Oh seschères études!

Il arriva aux Champs-Elysées.La femme de chambre l'attendait dans la

loge du suisse. Évidemment, son signalementavait été donné,car, avant qu'il eût prononcéune parole, la camériste s'écria

Ennn Ah Madame vous attend avecune impatience!

Il n'avait plus la notion du temps ni dulieu. Paroù le conduisit-on ? Quelsvestibules,galeries, salons, traversa-t-il ? Il lui eût étéimpossiblede le dire.

Seulement, il sentit que quelqu'un lui pre.nait les mains avec une ardeur fiévreuse, etil vit madame Vernier dans une matinée dedrap rouge, éclatant, qui lui cria

Venez, je vous en supplie. Le malheu-

reux enfantnous perdEt elle l'entraîna, à travers d'autres pièces,

jusqu'àune sorte de fumoir japonais.Là, sur un canapé, un homme était étendu,

cramoisi, chantonnantun air que coupaientdes hoquets.

EtmadameVernier,avec une ironie navrée,presque sinistre

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Voilà celui pour qui on se dévoue. re.gardez-le 1 Il est ivre

Ivre c'était vrai 1 Il était rentré, il y avaitune heure à peine, titubant, incapable deparler. En vain, sa mère l'avait adjuré de re-venir à lui, de l'écouter. Il avait éclaté derire, lançant des mots odieux. Qu'on le lais-sât tranquille Après tout, puisqu'on le dé-testait, on serait bientôt débarrassé de lui.

Et, en ce momentmême, alors que Polletse penchaitvers lui, il ouvrit brusquementles yeux et cria

Qu'on me. laisse la paix t

Pollet regarda madameVernier. Elle pleu-rait maintenant, & grosses et lourdes larmes,et elle se laissa tomber à genoux, enfouissantses doigts crispés dans ses cheveux.

L'autre semblait s'être rendormi, et'soufflait bruyamment.

L'ancien notaire restait debout, furieux deson impuissance. Ainsi son seul ami était enprison, cette femme expiait, par d'horriblesdouleurs, ses folies d'orgueil. et cette bruteétait le bourreau de ces deux êtres

Il se baissa vers madame Vernier, lui pre-nant le bras pour la relever

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D'où vient-il ? demanda-t'il que s'est'ilpassé?Q

Eh que peut-il s'éb'e passé, sanglotamadameVernier,sinonquelque orgie ignobleoù ce malheureuxa jeté tout ce qci lui restaitencore de dignité et dire qu'il est le aïsd'un honnête homme 1

Êtes-vous toujours décidée à le fairepartir demain matin.

–Plus que jamais. il faut qu'il quitteParis, sinon qui sait si à son premier crime

est-ce le premier, mon Dieu il n'ajou-tera pas d'autres crimes.

A quelle heure le train ?PA onze heures quinze du matin.

Voici ce que je vous propose. Je vaism'installer ici auprèsde votre fils. Je passerailanuitdansce fauteuil. Evidemmentl'ivressese dissipera vers quatreou cinq heures. Alorsje luiparlerai, je le morigéneraidoucement.Vous me permettez de me servir de votrenom 1.

Certes Comment reconnaîtrai-jetantde bonté?.

En me parlant. de l'autre. Car c'est àlui que je pense.

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'Elle eut un mouvement brusque, et regar-dant M. PoUet, & plein, dans les yeux

Ne comprenez-vous pas que c'est.l'autre que j'aime en celui-ci.

Ah si vous l'aviez épousé dit naï-vement le brave homme qui songeait àce qu'aurait donné l'union de ces douxforces.

Elle secoua la tête.Vingt millions murmura-t-elle, et je

n'ai pas vingt louis dans ma chambreEnfin, vous acceptez?.Je vous remercie.Quant à toi, mon gaillard, fit Pollet en

s'efforçant de sourire, tu verras de quel boisse chauffe un ancien tabellion. `

Si, par aventure, vous aviez besoin demoi, pendant la nuit, dit madame Vernier,voici par cette porte, vous entrez dans unesuite de trois salons. Au-delà, tout droit, sontmes appartements. Ma femme de chambrepassera la nuit dans la première pièce. Ellem'appellerait immédiatement.

Un instant après, M. Pollet restait seul.Il regardal'ivrogne. H était calmé mainte-

nant, la respiration reprenait son cours

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normal. Il lui t&ta la tête doucement. Elleétait chaude, mais sans excès

–Cegarçon.làdoit être faitacela, se dit-il.Demainmatin, il n'y paraîtra plus. Il faut qu'ilparte, il partira. Installons-nous pour notrenuit blanche.

Il se pelotonna de son mieux dans un Jfau-teuil, résolu & ne pas dormir d'ailleursl'aurait-il pu ? Les deux tasses de café iln'en prenait jamais le soir avaient mis &

sa peau, à son crâne un insupportable four-millement. C'était comme une Sevré. Lesilence était profond. Dans la tête du bravehomme, les idées se brouillaient c'était unchevauchement devisions qui se succédaientavec une rapidité vertigineuse, le déroule-ment d'un panorama toujours changeant, àscènes incohérentes, d'un caractère sinistretantôt la profondeur noire d'une prison, et,dans le coin sombre, un homme enchaîné,hâve, qui le menaçait en lui reprochant satrahison; tantôt l'éclatementd'une robe rougeau-dessus de laquelle se dressait une têteaux traits brutaux, physionomie de bourreau.Tout à coup la robe semblait se fondre.s'écrouler en quelque sorte en un ruisseau

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de sang, et une femme se débattait dans'ceDot éclatant, tandis que dans un brouillardapparaissait au-dessus la ngure ricanante deLamblin.

Et toujours cette idée persistante « Je nedors pas 1 je ne veux pas dormir ?)

Tout à coup, il lui sembla entendre desvoix, murmurantes, contenues. Encore unehallucination, évidemment. Pourtant il ntunmouvement brusque. et il eutsubitementla notion du réveil. Il avait cru veiller, cen'étaitpasvrai il avait dormi, dormipendantde longues heures. Car une lueurpâle filtraitentre les rideaux. Et il ne parvenait pas às'arracher à l'engourdissementqui l'oppres-sait. Il le fallait pourtant Par un effort vio-lent, il ouvrit les yeux.

Devant lui, il vit trois hommes; l'un,Adrien Vernier, très pâle maintenant, quisecouait la tête, causant à mi-voix avec lesdeux autres, dont il reconnut l'un c'était lepersonnageà grandes moustaches qui l'avaitrembarréau café Riche.

Adriendisait:Je suis à vos ordres; partons, Messieurs.

Duel ce mot jaillit comme une flamme

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dans le cerveau de M. Pollet. Il bondit versle jeune homme

Où allez voua? Que faites-vous? Je neveux pas.

Et il saisit le jeune homme par le bras.Celui-ci, d'un geste violent, se dégagea:

Qu'est-ce que cet imbécile P s'écriaVernier, et d'où sort-il?. Allons, Mes-sieurs.

Mais, je ne veux pas!1 votre mère.Messieurs. j'ai le droit.

Les deux autres l'avaient séparé du jeunehomme qui, ayant enfoncé son chapeau sursa tête, sortait ils le suivirent rapidement.M. Pollet, courait après eux, répétant:

Non,non. cela est impossible. je vous

dis que.Nous donnerez-vous la paix P nt un des

témoins d'un air menaçant, et il bouscula lepauvre homme qui trébucha.

Une porte se referma sur les troishommesil entendit le craquement de la serrure. Onl'enfermait. Il voulut arracher la serrure,ébranler la porte. Il se brisa les ongles, semeurtrit les mains. Alors, désespéré, commefou, il traversa la pièce où il avait passé la

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nuit, courut à travers les salons, criant:-Madame Vernier Madame VernierLr femme de chambre était devant luu

Que voulez-vous? Madame Vernierre-pose.

–Vite! Vite! Qu'elle vienne! Son Sis.parti. un duell.

Madame Vernier avait entendu elle appa-rut, et M. Pollet lui jeta dans un cri

Votre fils est allé se battre1.Et comme elle l'interrogeait, stupéfaite,

affolée, il lui dit tout, se confessant. Il avaitdormi, dormi comme une brute; et, au ré-veil, il n'avait pu s'opposer au départ dujeune homme.

Un domestique interrogé expliqua qu'àsept heures deux messieurs s'étaient présen-tés et qu'il les avait introduits auprès deM. Adrien. Ils étaient repartis ensemble, àl'instant, en voiture. Il ne savait rien de plus.Où allaient-ils? Il n'avait rien entendu.

Etmoi qui avais confiance en vous 1 criamadame Vernier à Pollet.

Mais a quoi bon les récriminations Il fal-lait courir, les poursuivre, les atteindre. Dequel côté? Aubois de Boulogne,évidemment.

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La voiture Comme tout cela etaitiongLa pauvre femme se tordaitles mains, tandisque M. Pollet, stupôaô, honteux, n'avaitmême plus la force d'articuler une excuse.MadameVernier s'adressaitaux domestiquesau cocher, suppliante. Où se battait-on enduel d'ordinaire?Elle ne savait plus, oubliantjusqu'aux racontars ordinaires des journaux.L'un d'eux dit « Moi, j'irais à Longchamps,derrière les tribunes N. L'autre opina pourleparc des Princes, ou la Muette.

Partons partons répétait la malheu-reuse mère.

Les chevauxétaient enfin attelés. Un der-nier incident. Le valet de chambre deM. Verniervint, sur l'ordre de son maître,qui s'opposaità ce que les chevaux sortissentà cette heure.

Madame Vernier haussa les épaules, etrééditant sans y songer l'apostrophe de Mira-beau

Allez dire à votre maître, s'écria-t-elle,qu'il emploie la force, s'il l'ose.

La porte avait été largement ouverte. Lavoiture partit. Décidément on risquait Long-champs.

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Madame Vernier, abîmée dans le coin du.landau, ne parlait pas: c'était comme ungrondementsourd qui sortait de sa poitrine.M. Pollet pleurait, silencieusement, ayantau cœur l'étreinte douloureuse d'un remords.

Mais allez donc, Jean allez donc!Les chevaux fouettés, galopaient. Le jour

s'était levé, gris, troublé, avec une humiditéfroide qui tombait en bruine.

Personne dans les allées du bois. Impossi-ble d'obtenir un indice. Un cheval to~-ba.Madame Vernier s'élançahors de la voiture,injuriant le cocher, en un paroxyme de fu-reur qui mettait à ses lèvres des mots gros-siers, que jamais elle n'avait prononcés.Polïet se démenait, essayant, d'aider le cocher qui le repoussait, l'appelant propre àrien'

Enfin le cheval fut relevé. On repartit.Mais U fallut ralentir l'allure, la bête trébu-chant à chaque pas.

M. Follet sortait à mi-corpsde la voiture,regardant. Tout à coup, il poussa une excla-mation.

11 venait de reconnaître, sur un côté de laroute, Lamblin qui, apercevant la voiture,

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arrivait en courant,faisant des gestes, commepour l'arrêter.

Au risque de se romprele cou, il sauta surle chemin, tomba, se redressa, rebondit.

Lamblin le remit en équilibre et lui dit

C'est madame Vernier qu'elle n'ap-proche pas!

Mais son Sis. AdrienMadame Vernier était auprès d'eux, hale-

tante, livide. Lamblin la salua silencieuse-ment.

Alors au détour de la route, on vit ungroupe, s'avançantlentement On portait uncorps.

Madame Vernier, avec un cri horrible,courut, et tout àcoup, reconnaissantson Bis,

se jeta sur lui, roulant son visage dans lesangqui couvrait sapoitrine.

!1 est mort dit Lamblin à l'oreille deM. Pollet. Voici. Depuis quelques jours, ilétait dans un état d'exaltation furieuse.Avant-hier soir, au café Riche, il a insultébrutalement,sans raison plausible, le comtedeM. et l'a frappéau visage. Eviter le duelétait impossible.Le comte est une des meil-leures lames de Paris, mais Vernier est un

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assidu de salles d'armes. La partie n'étaitpas assez inégale pour qu'en ces conditionsles témoins s'opposassent au duel, d'autantque le comte est presqueun vieillard, ce quirétablissaitjusqu'à un certain point l'égalitédes chances. Le duel a été correct. Verniera été frappé en plein cœur. Il n'a pas souffert.

Et vous saviez tout cela' et vous nem'avez pas averti!

M'avez-vous dit que les affaires deM. AdrienVemierpussent vous intéresser ?.

Mais vous l'avez devinétOh ce que je puis devinerm'appartient

à moi seul. et, laissez-moi vous le dire,ajouta le journaliste en désignantde la,main-a voiture qui revenait au pas, il était bon

qu'il en fût ainsi.Maintenant que faut-il faire ? Je vous en

prie, j'ai la tête perdue' Conseillez-moi'Lamblin passa son bras sous ce!ui du

pauvre homme qui semblait n'avoir plus laforce de marcher.

Ne tremblez pas ainsi, lui dit le journa-lister En tout ceci vous n'avez rien, entendez-vous, rien à vous reprocher. Varodat est in-nocent. Je le sais, j'ai la conviction que le

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juge d'instructionle sait, lui aussi. Croyez-moi, un coupable qui se défend ment mieuxqu'un innocent qui s'accuse. Certes, votreami est intelligent, et il avait tendu tous lesressortsde son intelligence sur ce point uni-que se prouver criminel. Or, je sais, pardes moyens à moi, moyens de simple repor-ter que le juge, au second interrogatoire,était absolument nxé sur le compte de Varo-dat. La Sûreté a refait l'enquête que vousavez ébauchée. Varodat est demeuré chezvous, le jeudi du crime, de six heures àdix heures et demie. Restait à savoir com-ment il avait en sa possession l'étui A. V. dupoignard A. V. Un autre point était acquis.Il avait touché lui-mêmeau dernier trimes-tre ses coupons de rente les registres duTrésoren font foi. Donc il n'était pas ruiné.De plus, savez-vous ce qui a été découverthier soir. je vous le donne en mille. Pourfaire croire à des relations d'affaires,existantentre lui et ce Caribert, il a souscrit des bil-lets, &un an d'échéance,datés de i886. surquoi ? sur du papier timbré portant le nii-grane de i887, c'est-à-dire plusieurs moisavant qu'iln'eût été émis. On a retrouvé le

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barbier qui lui a coupé la barba. Cent de.tails enan qui prouvent aon mensonge. Iln'est pas si facile que l'on croit de tromperla justice, quand un juge Cnaud veut se fairevaloir, en dômôlant un écheveau en appa-rence inextricable.Aussi vous avez l'air trophonnête,monsieurPoUet! c'est votre faute!le juge, pas un seul ins~nt, n'adout6 de vo-tre sincôritô. VoUà les faits; en devinez-vousla conclusion ?

Continuez! je ne puis plus raison-nerl. `

Par .bonheur, je raisonne pour deux.Au début de l'instruction, vous le savez, lenom d'Adrien Vernier, A. V., avait frappél'attention despoliciers. Un instant déroutés,ils allaientse rejeter surcette piste. Croyez-

vousque le concierge qui m'a révélé la visitede la dame à oiseaux se fût toujours abstenude parler. Là était le nœud, et il n'étaitpas sidifficile d'y me~re le doigt. Un journal a pu-Mié la descriptionexacte de cette toilette dontl'étrangeté luxueuse devait nécessairementêtre remarquée. Je vous dis que dans qua-F~nte-huitheures Adrien Vernier eût été ar-ï'été. Aurait-ilnié? Non. C'était un brutal,

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c'était un lâche. C'est par lâcheté qu'il s'estfait tuer. La vanité l'a amené sur le terrainlà, il n'a plus su commenton tenait une épée.Il eût tout avoué, en pleurant. comme unenfant. et alors le juge eût été obligé de sedemander pourquoi Varodat se dévouait aufils de madame Vernier. Je ne sais ni neveuxpressentir ce qu'il eût supposé ou deviné.Cherchez. Mais souvenez-vous qu'il s'agis-sait d'une instructionsurlaquelle était dirigéela curiosité de Tout-Paris et dont la singula-rité eût surexcité toutes les malices cher-cheuses.MadameVernier eût été appelée en.témoignage, elle eût été confrontée avecVa.rodat je n'insiste pas. Cet imbécile, le véri-table assassin de Caribert, n'étaitpas de forceà porterson crime. II n'avait pas de remords;il avait la fièvre, qui en est la forme phy-sique. Cette Sevré l'a poussé là où il est au-jourd'hui.

Mais de tout cela, que ~-t-il advenir?Ceci. Le fils Verniersera enterréaprès-

demain il y aura enquête sommaire. Lecomte de M. sera peut-être poursuivi pourla forme. Tous les droits sont de son côte.C'est unvieillard, il a été l'objet de bruta.li-

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tés ignobles, il a ménagéson adversaire quis'est enferré. C'est un acquittement cer-tain. Madame Vemier a tout intérêt à coupercourt à cette instruction qui se rattacherait àl'autre. Voici ce que je lui conseille. Elle estune des reines de Paris; elle a ses entréespartout. Qu'elle se rende chez le ministre dela justice. et qu'elle lui conne toute la vé-rité. Encore une fois, je ne cherche pas & sa-voir quelle est cette. vérité. Varodat seramis en liberté, et l'affaire sera classée. Dansquinze jours, on n'y songera plus. D'ailleurs,nous, de lapresse, nous savons au besoinfaire de bonnes actions; et je me charge detout expliquer au public, sans que personnesoit compromis.

Vousêtesbon dit simplement Pollet.Pas trop d'éloges. L'affaire m'a grande-

ment intéressé, comme tout drame parisien.Sans vous, j'aurais peut-être fait fausseroute. C'est moi qui vous dois de la recon"naissance.

.Quatre jours après, on lisait dans leNouvelliste

a Voici un fait bien curieux et presqueunique dans les annales judiciaires. M. Va.

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rodat s'était, on le sait, accusédu meurtredel'homme d'affaires de la rue Sainte'Anno.Or, de l'enquête minutieuse à laquelle s'étaitlivré le juge d'instruction, il résultait lapreuve indéniable d'un alibi, sansparler dela réputation intacte de cet honnête travail-leur, qui n'a jamais, de près ni de loin, étéen contact avec gens de cette sorte. Des mé-decins aliônistes ont été commisà l'examenmental du pseudo-coupable et ils ont bien-tôt reconnuque M. Varodat, à la suite de tra-vaux excessifs, était sous le coup d'une crisecérébrale, qui nécessitait son internementprovisoire dans une maison de sant~~bestcertain d'ailleurs que cet état tout passagers'amendera rapidement, et qu'avant un moisle savant professeur pourra reprendre sesétudes. Il a déjà d'ailleurs conscience de sasituation et a manifesté sa surprise d'une in-carcération qui reste encorepour lui inexpli-quée. Quant à l'auteur du crime, on a acquisla certitude que c'était un dangereux reprisde justice, qui est activement recherché. »

Le lendemain, nouvelle note d'une autrenature

« A la suite du terrible événementqui a

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causelamott de son Bis, madameVemieraquitté rhotelqu'eUe occupait avec su maripawr s'enfermerau. couvent de&~amesde laMise~iBocde.a

.Varodat, qui a vieilli de dix ans, vienttousles jeudis passer-sa soirée cheKSonvieitamiPollet. 3eulement,le livre d'ôoha)cs~6otos. Us causentdes morts.

~mfaat des D~a«, M~er !M9.

FIN Du A. V.

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TABLE

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