« Les marins indiens et leur univers, 1870-1949 » de Gopalan Balachandran

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Bonjour à toutes et à tous ! Je viens vous présenter l’article « Les marins indiens et leur univers, 1870-1949 » de Gopalan Balachandran. Cet auteur indien est professeur d’Histoire Internationale à l’Institut de Hautes Études Internationales et du Développement de Genève. De formation de base en Économie, Balachandran se spécialise plus tard dans l’histoire économique internationale. Son travail, et cet article en particulier comme nous le verrons par la suite, s’insère dans un approche d’Histoire Globale et de sub-altern studies. Eclectique, Balachandran a plusieurs thèmes de recherche et domaines d’intérêt. Son parcours est tout à fait sui generis car en partant de l’économie et des thèses autour du rôle des banques centrales, il finit par s’intéresse aux perspectives d’historiographie critique et aux études post-coloniales transdisciplinaires, l’histoire internationale, de l’économique et sociale en général à celle du travail et de l’immigration en particulier. L’article ici en question a été publié dans « Le Mouvement Social », une revue d’histoire sociale axée sur la multidisciplinarité, et est inclus dans un numéro dédié au thème « Travail et mondialisations ». Son propos c’est de raconter l’histoire des marins indiens embarqués dans les navires britanniques pendant l’ère de la navigation à la vapeur, c’est-à-dire, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’agit alors de leurs conditions de travail, essentiellement marquées par la discrimination raciale. Cet article est paradigmatique de l’historiographie de Balachandran dès lors qu’on regarde de près son titre. Bien au goût des sub-altern studies, l’auteur cherche à pénétrer l’univers des marins indiens, à faire le portrait d’un groupe défavorisé et de son monde. Finalement, Balchandran fait de l’Histoire Globale et revendique une histoire au-dessus des nations. Ici il met en exergue le cas particulier des marins indiens comme exemple de la montée de la délocalisation mondiale de l’emploi, phénomène transversal. Avant de me pencher sur l’article en soi j’aimerais juste le situer par rapport à l’ouevre de Balachandran sur le même sujet. Ci c’est article est plutôt centré sur les conditions réels de travail des marins indiens, dans d’autres articles, l’auteur aborde leurs expériences subjectives, notamment leurs attitudes et culture de protestation et leurs efforts de refuser les préjugés raciaux dont ils étaient victimes et de revendiquer une identité ouvrière. Son livre majeur sur le sujet est en anglais « Globalizing Labour? Indian Seafarers and World Shipping, c. 1870-1945 ». 1870-1945 ce sont bien les dates souvent prises par Balachandran pour cerner la question toutefois ici on a 49 et on ne trouvé pas de mention particulière à cette date. Rappelons nous que 45, c’est la de fin la seconde guerre, et 47, l’indépendance de l’Inde. Par rapport à l’article en soi, il est structuré de la façon suivante, d’abord une introduction qui présente le sujet et sa pertinence, ensuite des sections thématiques qui j’exposerai par la suite. L’hypothèse initiale de l’auteur est que la délocalisation mondiale de l’emploi est aussi ancienne que l’économie mondiale moderne! Ceci en prenant comme indicateur l’emploi des marins domiciliés à l’étranger dans le transport maritime international. Même si la puissance navale britannique était d’une étendue nouvelle, ont peut être quand même un peu étonné du fait que l’auteur passe directement au cas britannique sans aucune autre mention préalable puisque la mondialisation aurait démarré avec les dites « grandes découvertes » ibériques et l’ouverture des routes maritimes intercontinentales. Par exemple, dans son « Histoire du Capitalisme » Michel Beaud, en parlant de la puissante flotte marchande des hollandais qui défiait dans le siècle XVII les autres puissances en défendant le mare liberum, il cite l’historien Herbert Heaton : « ils employaient déjà des étrangers, [et à Beaud d’ajouter, surtout anglais ou français], à un salaire inférieur, car, à cette époque, les matelots étaient devenus la lie des travailleurs. Les équipages étaient soumis à une dure discipline, astreints à la propreté et nourris avec frugalité ». Michel Beaud finit par dire que à « elle seule la flotte hollandaise employait en 1614 plus de marins que les flottes espagnole, française, anglaise et écossaise réunies. »

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Exposé d'Histoire Globale

Transcript of « Les marins indiens et leur univers, 1870-1949 » de Gopalan Balachandran

  • Bonjour toutes et tous !

    Je viens vous prsenter larticle Les marins indiens et leur univers, 1870-1949 de Gopalan Balachandran.

    Cet auteur indien est professeur dHistoire Internationale lInstitut de Hautes tudes Internationales et du

    Dveloppement de Genve. De formation de base en conomie, Balachandran se spcialise plus tard dans lhistoire

    conomique internationale. Son travail, et cet article en particulier comme nous le verrons par la suite, sinsre dans

    un approche dHistoire Globale et de sub-altern studies.

    Eclectique, Balachandran a plusieurs thmes de recherche et domaines dintrt. Son parcours est tout fait

    sui generis car en partant de lconomie et des thses autour du rle des banques centrales, il finit par sintresse

    aux perspectives dhistoriographie critique et aux tudes post-coloniales transdisciplinaires, lhistoire internationale,

    de lconomique et sociale en gnral celle du travail et de limmigration en particulier.

    Larticle ici en question a t publi dans Le Mouvement Social , une revue dhistoire sociale axe sur la

    multidisciplinarit, et est inclus dans un numro ddi au thme Travail et mondialisations . Son propos cest de

    raconter lhistoire des marins indiens embarqus dans les navires britanniques pendant lre de la navigation la

    vapeur, cest--dire, de la fin du XIXe sicle jusqu la fin de la seconde guerre mondiale. Il sagit alors de leurs

    conditions de travail, essentiellement marques par la discrimination raciale.

    Cet article est paradigmatique de lhistoriographie de Balachandran ds lors quon regarde de prs son titre.

    Bien au got des sub-altern studies, lauteur cherche pntrer lunivers des marins indiens, faire le portrait dun

    groupe dfavoris et de son monde. Finalement, Balchandran fait de lHistoire Globale et revendique une histoire

    au-dessus des nations. Ici il met en exergue le cas particulier des marins indiens comme exemple de la monte de la

    dlocalisation mondiale de lemploi, phnomne transversal.

    Avant de me pencher sur larticle en soi jaimerais juste le situer par rapport louevre de Balachandran sur

    le mme sujet. Ci cest article est plutt centr sur les conditions rels de travail des marins indiens, dans dautres

    articles, lauteur aborde leurs expriences subjectives, notamment leurs attitudes et culture de protestation et leurs

    efforts de refuser les prjugs raciaux dont ils taient victimes et de revendiquer une identit ouvrire. Son livre

    majeur sur le sujet est en anglais Globalizing Labour? Indian Seafarers and World Shipping, c. 1870-1945 .

    1870-1945 ce sont bien les dates souvent prises par Balachandran pour cerner la question toutefois ici on a

    49 et on ne trouv pas de mention particulire cette date. Rappelons nous que 45, cest la de fin la seconde guerre,

    et 47, lindpendance de lInde.

    Par rapport larticle en soi, il est structur de la faon suivante, dabord une introduction qui prsente le

    sujet et sa pertinence, ensuite des sections thmatiques qui jexposerai par la suite.

    Lhypothse initiale de lauteur est que la dlocalisation mondiale de lemploi est aussi ancienne que

    lconomie mondiale moderne! Ceci en prenant comme indicateur lemploi des marins domicilis ltranger dans le

    transport maritime international.

    Mme si la puissance navale britannique tait dune tendue nouvelle, ont peut tre quand mme un peu

    tonn du fait que lauteur passe directement au cas britannique sans aucune autre mention pralable puisque la

    mondialisation aurait dmarr avec les dites grandes dcouvertes ibriques et louverture des routes maritimes

    intercontinentales. Par exemple, dans son Histoire du Capitalisme Michel Beaud, en parlant de la puissante flotte

    marchande des hollandais qui dfiait dans le sicle XVII les autres puissances en dfendant le mare liberum, il cite

    lhistorien Herbert Heaton : ils employaient dj des trangers, [et Beaud dajouter, surtout anglais ou franais],

    un salaire infrieur, car, cette poque, les matelots taient devenus la lie des travailleurs. Les quipages taient

    soumis une dure discipline, astreints la propret et nourris avec frugalit . Michel Beaud finit par dire que

    elle seule la flotte hollandaise employait en 1614 plus de marins que les flottes espagnole, franaise, anglaise et

    cossaise runies.

  • Balachandran se penche alors sur le cas de la Grande-Bretagne qui aprs 1850 abrogea les dispositions de

    son code maritime qui limitaient le recrutement dtrangers ce qui a entrain une augmentation rgulire du

    nombre dtrangers prsents sur ces navires jusqu atteindre un tiers en 1904. En effet, le trs mercantiliste second

    Acte de Navigation de 1660 exigeait que le capitaine et les trois quarts de lquipage des navires soient anglais et son

    abrogation les a ouvert aux marins de tout le monde.

    La vague indienne survient aprs 1870, lInde tant alors une colonie britannique. Le nombre de marins

    indiens augmentera graduellement jusqu atteindre un sommet pendant la seconde guerre mondiale avec 60000

    indiens soit prs de 40 % des effectifs totaux.

    Ces marins taient pour la plupart recruts Calcutta et Bombay. Les routes maritimes le plus souvent

    empruntes taient celles qui traves le Canal du Suez menaient la Mditerrane o Marseille servait de point de

    dpt des passagers les plus aiss et du courrier express qui suivait son chemin par voie ferre. Ensuite traverser

    ltroit de Gibraltar direction les ports de lEurope du Nord ou quelques fois lAmrique du Nord. Aprs 1914 et

    louverture du Canal du Panama la cte ouest des tats-Unis pourrait tre galement desservie. Moins frquents

    taient les routes du sud par le cap vers lAfrique occidentale ou lAmrique du Sud. Plus rgulirement les bateaux

    allaient vers lExtrme Orient passaient par Singapour et puis se dirigeait soit vers lAustralie soit vers le nord, jusqu

    Hong Kong, Shanghai ou Japon.

    Lunivers du travail des marins indiens tait fortement dtermin par la question raciale ce qui se

    matrialisait au niveau des leurs fonctions, conditions de travail et de salaire. Sans rentrer dans le dtail des mtiers

    de la mer, en gnral les marins indiens occupaient les postes du bas de lchelle et accomplissait les tches les plus

    pnibles comme lalimentation en charbon dans la salle des machines o la temprature pouvait monter plus de 60

    degrs. Comme le dit Balachandran les divisions raciales primaient sur le rang et tout mtier auxquel no accordaint

    une certaine comptence tait occup par un europen. Les marins indiens faisaient de tout dans les navires

    britanniques. Mme le divertissement ils lassuraient en jouant le bouffon au service des colons britanniques.

    Symbole de son assujettissement, les quipages indiens taient dailleurs exhibs comme trophs exotiques de la

    conqute impriale.

    Les marins indiens ont fortement contribu assurer la comptitivit du transport maritime britannique et

    plus particulirement les profits du plus gros employeur dquipages indiens, the Peninsular and Oriental Steam

    Navigation Company, la P&O. Cette compagnie recevait des subventions trs gnreuses de ltat colonial pour

    acheminer le courrier et dtenait Bombay le monopole du commerce dopium vers la Chine. Ctait la

    matrialisation de limprialisme et de la domination coloniale, la collaboration intresse dans les mots de lauteur

    entre le pouvoir imprial et le profit commercial, entre laccumulation de puissance et celle de la richesse. Dans

    cette conomie Politique de lImprialisme o les marins indiens taient synonyme de profits accrus, les vapeurs de

    la P&O ont t qualifis de vaisseaux amiraux de limprialisme .

    Vaisseaux aussi de lopium ceux de la P&O dont les administrateurs ont t fondateurs de la banque HSBC,

    Hong Kong & Shanghai Banking Corporation installe alors Hong Kong. Thomas Sutherland, superintendant de

    P & O, est devenu aussi le premier prsident de Hongkong & Whampoa Dock en 1863 au moment o 70 % du fret

    maritime concerne lopium venu des Indes et vendu aux Chinois au grand dam des autorits chinoises qui tentent

    en vain de sy opposer. Si vous voulez vous informer un peu plus sur le sujet lisez HSBC, histoire deau

    et dopium dans le site du Monde Diplomatique.

    Pendant cet ge dor de la navigation vapeur les marins indiens ont t en activit un peu partout dans le

    monde. Premiers travailleurs expatris de lInde ils ont t prcurseurs de la diaspora indienne et aux parcours trs

    divers ont partag leurs traditions et cultures. Leur recrutement massif les a plac au centre des conflits entre

    armateurs et marins dautres pays principalement ceux de la Grande-Bretagne dont les syndicats de marins les

    accusaient de voler les emplois appartenant de droit aux blancs.

  • La section suivante, intitule Des empreintes sur leau , mets en vidence linvisibilit historique de ce

    groupe dfavorise. Lauteur souligne ici sa dmarche sub-altern studies sans la mentionner directement en jettant

    la lumire sur ces marins indiens mis dans lombre par ltat colonial qui strilisait le contact culturel et le conflit

    potentiel par le biais de rglementations et de bureaucratie routinire, une sorte de biopouvoir au sens foucauldien,

    de mainmise sur les existences. Mais ignors galement par les nationalistes indiens qui dans les rcits sur les

    prouesses maritimes de lInde oublient de chanter les marins indiens comme des hritiers du pass naval de la

    nation. Balachandran pointe galement du doigt au milieu acadmique et aux recherches historiques sur le travail et

    la classe ouvrire. Ni paysans ni proltaires, ni manifestement attachs gographiquement et socialement,

    marginaliss et isols, ils taient difficiles cerner par les catgories de limagination sociale.

    La partie ultrieure, Sens fluides, espaces cosmopolites , dcortique le vocabulaire dploy par les

    britanniques pour qualifier, vaut mieux dire, dqualifier les marins indiens. En dpit de leurs comptences et de leurs

    fonctions bord, les marins indiens taient appels coolies ou lascar des qualificatifs pjoratifs de base

    raciale qui mprisaient leur identit ouvrire. Lascar voulait dire dabord ouvrier non-qualifi pendant que

    coolie ctait de nom quon attribuait aux travailleurs indiens, chinois ou asiatiques qui travaillaient dans les

    plantations coloniales. La dqualification du travail maritime et les hirarchies sur critres raciaux, on cre une

    interchangeabilit des mots lascar et coolie . Tous les marins indiens sont devenus aux yeux des britanniques

    en gnral des lascars indpendamment de leur fonction bord du navire.

    Mais ce terme fut aussi employ en rfrence tous ceux qui ntaient pas europens ou occidentaux, les

    asiatiques, les arabes, les africains. Selon Balachandran, les identits taient fluides dans des environnements de

    travail o il y avait ce quil appelle un cosmopolitisme subalterne qui a rsist aux tentatives de la mtropole de

    lhomogniser et le discipliner. Les ports de Calcutta et de Bombay taient de vritables centres cosmopolites o

    les travailleurs pauvres de partout, y compris de lEurope, venaient chercher de lemploi.

    Une fluidit qui dclina au dbut du XXe du fait du dveloppement des syndicats de marins britanniques qui

    se sont opposs aux quipages trangers dune faon essentiellement raciale. Un syndicaliste britannique dclara

    nous pouvons tolrer les allemands, les scandinaves et les nerlandais () mais pas les grecs, les italiens, les

    espagnols, les arabes, etc. Letc. nous dit beaucoup du prolongement de ces prjugs raciaux de lEurope du Sud

    jusquaux gens de lhmisphre sud. Ce pige identitaire qui efface la diffrentiation conomico-sociale pour mettre

    en avant des catgories simplistes, errones et de faible pouvoir explicatif.

    Honneur lAsie ? est la section qui se suit. Elle concerne les facteurs qui ont permis la rapide

    progression du recrutement des marins indiens et particulirement les salaires moindres et les conditions de travail

    plus prcaires quils subissaient en comparaison avec leurs homologues britanniques.

    Balachandran rfre que laccs aux nouveaux marchs du travail, les avances technologiques en gnral et

    le fait que la navigation vapeur a divis le travail bord en sections diffrentes ont eu comme rsultat la

    hirarchisation et la dqualification du travail maritime. Mais lui de nuancer, la dqualification des marins

    indiens tait plus discursive et politique que technologique ou encore professionnelle. Les comptences acquises

    ntant pas valoriss, les hirarchies demeuraient racialement rigides.

    Les armateurs ont cherch faire des conomies salariales en remplaant les quipages britanniques par

    dautres moins onreux. Les britanniques qui dlaissaient de plus en plus du travail maritime cause des salaires bas

    et irrguliers et lloignement frquent et qui taient jugs trop indisciplins et violents.

    Un ancien capitaine de la P&O dresse un bilan trs positif de la prsence des marin indiens en disant quils

    taient contents de leur sort et soumis la discipline ordinaire, plus compltement au service de larmateur

    quaucun autre groupe dhommes. Et il persiste et signe, les quipages europens ne peuvent rivaliser, endurer et

    spanouir de la mme manire saine Honneur LAsie ! ou en anglais All give way to the asiatic !

  • Pour les armateurs il y avait des avantages conomiques majeurs car le cot des quipages indiens tait

    moindre dans ces trois dimensions, savoir le salaire, les frais de vie bord et lapprovisionnement. Au niveau des

    salaires, en moyenne un indien recevait entre 1/5 et du salaire dun matelot britannique et ils taient dailleurs

    moins bien pays que leurs homologues asiatiques. tant moins chers ils taient recruts en nombre suprieur au

    ncessaire jusqu atteindre des situations de sureffectifs. Toutefois cela ne crait pas de problmes particuliers

    dhbergement vu que les couchettes des indiens taient plus petites que celles des britanniques. Au niveau de la

    nourriture, leur rgime alimentaire taient infrieur celui auquel taient habitus les britanniques, tait moins

    vari et moins couteux. Finalement, les marins indiens travaillaient plus longtemps en faisant des fois des semaines

    de 72 84 heures, les heures supplmentaires tant rmunres sous forme de temps de cong, et ils taient moins

    enclins dserter, donc moins visibles dans les ports, et moins redouts que leurs collgues arabes ou chinois.

    Puis la section Syndicats britanniques et marins indiens explore la militance des corps de marins

    britanniques aprs leur cration en 1880 contre les quipages asiatiques et spcifiquement contre les indiens. Les

    syndicats britanniques ont exig et obtenu des armateurs quelques compensations en change du recrutement des

    indiens. Pas sans ironie ils ont revendiqu des salaires et des conditions de travail quivalentes pour ceux quils

    appelaient les coolies au rabais pour rduire leur avantage comparatif.

    Pendant que les armateurs se dfendaient des pressions des syndicats et des fonctionnaires de sant des

    ports sur les conditions insalubres et les espaces confins, les syndicalistes britanniques faisaient tourner les marins

    indiens en drision en les traitaient de faon dprciative et en gommant leur identit ouvrire. Toujours avec des

    descriptions caricaturales du type incapables de travailler dans le froid , effrays et inutiles en cas de tempte .

    Balachandran cite le Premier-Ministre Lloyd George qui pendant la Premire Guerre, au cours de laquelle environ

    3500 indiens sont morts, affirma que les lascars navaient pas le cran de lhomme blanc . La rhtorique du

    vritable marin britannique, une sorte de culte de lhomme blanc tait sous-jacente, la question raciale tant un

    accessoire pour les syndicats britanniques dans une lutte intra-classe ouvrire.

    Le dernier souffle de larticle est celui de La force de lEmpire . Balachandran conclut son article en

    revenant sur le rle des marins indiens dans la gloire britannique. Il commence par souligner que le recrutement

    croissant de marins indiens rpondaient par seulement aux moindres cots mais aussi une insuffisance de la main-

    duvre britannique pour assurer les besoin de la flotte.

    Mais lconomie Politique de lImprialisme que jai mentionn au dbut faisait que ltat colonial avait un

    intrt direct dans le recrutement de travailleurs bon march. La P&O avait reu en 1870 une subvention pour

    lacheminement du courrier vers lInde et la Chine. En 1900, les subventions impriales au transport maritime

    constituait prs de 2 millions de livres, dont un tiers tait financ par les colonies. Selon les estimations, les

    subventions pour le courrier on pu atteindre dans les annes 1870 plus dun tiers des revenus totaux de la P&O.

    Souvent, dit Balachandran, les profits privs taient assurs aux dpens du Trsor Public et dans cette quation les

    indiens reprsentait une variable dajustement en allgeant le poids financier de ces Partenariats-Public-Priv .

    En plus ils taient indispensables lorsque lEmpire tait en guerre selon Balachandran. Environ 3500

    indiens ont perdu la vie pendant la Premire Guerre et 5000 dans la Seconde. Les armateurs britanniques ont

    affirm fin de la seconde guerre mondiale que les marins indiens avaient une exprience de paix et de guerre

    extraordinaire . Pour Balachandran cest en partie une exagration intresse. Et lui densuite juger pertinent de

    citer un auteur selon lequel plus que jamais pendant les deux guerres mondiales les marins indiens constiturent la

    force de lEmpire .

    Maintenant que japproche la fin de mon expos, il simpose de faire un bilan critique. Je laisserais ce

    dernier propos de lauteur une critique en guise de nuance en disant que l aussi il sagit peut-tre dune

    exagration intresse . Le rle attribu par Balachandran aux marins indiens dans la gloire et la richesse

    britannique nous parat peut-tre un peu extrapol. Sil est vrai que lempire britannique tirait une bonne partie de

    sa puissance du commerce maritime et que la flotte marchande y jouait un rle trs important, il nous peut paratre

  • excessif den dduire que les marins indiens faisaient la force de lempire malgr le fait quils aient reprsent

    un moment donn plus dun tiers des quipages.

    Jusqu' cette dernire partie, Balachandran a garde un quilibre quil semble perdre. Tout au long de larticle

    il met en place une historiographie en quelque sorte normative mais de faon modre en voulant jeter un peu de

    lumire sur un groupe qui est rest dans lombre bien au gut des sub-altern studies - ce que lon peut trouver

    pertinent et louable. En plus son pari est russi car il le fait lappui dun considrable ventail darchives, de rcits

    et de donnes qui donnent du ciment son propos. Toutefois ces derniers propos sur le rle des marins indiens

    laissent penser quil se laisse emporter par un degr excessif de normativit.

    L on retrouve la critique souvent adresse ce type dhistoriographie qui force dessayer de donner de la

    voix aux sans voix, le les rendre visible dans lHistoire, leur attribuent souvent une place trop importante par rapport

    aux faits ou alors mythifient ou glorifient leur action en lui octroyant un dessein majeur.

    Malgr cette nuance, jespre bnigne, Balachandran nous parat plus raisonnable et pertinent quand il

    affirme que La Grande-Bretagne dominait peut-tre les ocans mais des travailleurs du monde entier les

    naviguaient pour elle . Cette phrase souligne le rle des travailleurs au sens large, indiens ou non, qui dans lombre

    ont produit des efforts qui ont men des rsultats auxquels ils sont rarement associs.

    Ainsi, et en guise de conclusion lyrique, je finis avec un pome de Bertolt Brecht qui cristallise peut-tre

    ltat desprit de cette historiographie qui mrite dtre considre:

    Questions que pose un ouvrier qui lit

    Qui a construit Thbes, la ville aux sept portes ?

    Dans les livres, on lit le nom des Rois. Les Rois ont-ils charri les blocs de pierre ?

    Et Babylone, qui fut plusiers fois dtruite, qui tant de fois la reconstruite ?

    Dans quelles maisons de Lima, la dore, hanitaient les ouvriers du btiment ?

    Et le soir Quand la Muraille de Chine fut termine, o allrent les maons ?

    Rome la grande est pleine darcs de triomphe. Qui les rigea ? De qui les Csars ont-ils triomph ?

    Et Byzance, tant chante, navait-elle que des palais pour les habitants ?

    Mme dans la lgendaire Atlantide la nuit o la mer lengloutit, les matres, se noyant, crirent encore aprs

    leurs esclaves.

    Le jeune Alexandre conquit les Indes. Tout seul ?

    Csar vainquit les Gaulois. Navait-il pas ses cts au moins un cuisinier ?

    Quand sa flotte fut coule, Philippe dEspagne pleura. Personne dautre ne pleurait ?

    Frdric II gagna la Guerre de sept ans. Qui, part lui, tait gagnant ?

    chaque page une victoire. Qui cuisinait les festins ?

    Tous les dix ans un grand homme. Les frais, qui les payait ?

    Autant de rcits, autant de questions.