« La place de l’homme dans la sécurité des vols du … · La période d’avant la 2ème...

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1 Conférence du 15 avril 2013 à Bordeaux pour l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air Par Christian ROGER [email protected] Blog : jumboroger.fr Commandant de Bord Boeing 747 Air France (Retraité) Ex Leader de la Patrouille de France Expert de l’accident de Sharm El Sheikh (2004) Ancien Président du Bureau Air France du SNPL (Syndicat National de Pilotes de Ligne) – 1986 / 1990 « La place de l’homme dans la sécurité des vols du Transport aérien civil »

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Conférence du 15 avril 2013 à Bordeaux

pour

l’Association des anciens élèves de l’Ecole de l’Air

Par Christian [email protected]

Blog : jumboroger.fr

Commandant de Bord Boeing 747 Air France (Retraité)

Ex Leader de la Patrouille de France

Expert de l’accident de Sharm El Sheikh (2004)

Ancien Président du Bureau Air France du SNPL (Syndicat National de Pilotes de Ligne) – 19 86 / 1990

« La place de l’homme dans la sécurité des vols du Transport aérien civil »

La place de l’homme dans la sécurité

des vols du Transport aérien civil

Sur ce thème, je vous propose d’examiner :• Quelques données statistiques sur l’évolution de la sécurité des vols du Transport

aérien.• L’évolution de la conduite des avions par les équipages.• La place qu’a prise et que conserve l’homme dans les progrès de la sécurité des

vols.

En toute rigueur, sur la place de l’homme dans cette sécurité des vols, il faudraitprendre en compte aussi les interventions humaines des non navigants, qu’il s’agissedes ingénieurs de conception ou des multiples métiers qui gravitent autour de lasécurité du Transport aérien.Ce serait un trop vaste programme et nous nous limiterons aux équipages descockpits pour situer l’homme dans cette sécurité des vols.Cette analyse passe par l’étude des moyens dont il dispose pour l’assurer,conditionnés par :• Les commandes de vol• La présentation des informations de conduite de la trajectoire•

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Evolution du risque aérien (source Boeing)

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Airbus A320 Boeing 777

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Evolution du risque aérien

La sécurité des vols a enregistré une grande amélioration du fait de :

• des progrès techniques de l’industrie aéronautique• de l’aiguillon que constituent les enquêtes d’accidents et les procédures

judiciaires• De la meilleure formation des équipages

Dans les années 60 , un passager avait 50 « chances » sur un million de périrdurant son vol, c’est-à-dire 1 chance sur 20.000.

Depuis 1974 jusqu’à l’avènement des avions à commandes de vol électriques en1988, le risque était d’environ 2 crashs par million de vols, c’est-à-dire 1 chancesur 500.000 de périr en vol.

La sécurité s’est encore améliorée, notamment avec les commandes électriques etle taux de crashs par million de vols est maintenant de 0,2 c’est-à-dire 1 chancesur 5.000.000

Mais du fait de l’augmentation du nombre de vols et d’avions et de leur capacité, lenombre de tués reste de l’ordre de 600 par an, ce qui en fait tout de même lemoyen de transport le plus sûr au monde.

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Le transport aérien a encore une forte expansion à venir !

Le nombre de passagers transportés était de 108 millions en 1960 et il est passéà 1 milliard en 1990. Le cap des 3 milliards sera franchi cette année.

Avec un maintien des 5% de croissance annuelle qui ont abouti à la situationactuelle, on estime que le trafic sera de 6 milliards de passagers en 203 0.

Un Français / 2 n’a jamais pris l’avion et seulement 20% effectuent au moins unvoyage / an.

Il n’y a aucune alternative pour remplacer le pétrole, même pas à l’état deprototype et son prix augmentera donc encore.

Les Airbus et Boeing resteront en service avec peu de changements et on ne peutespérer que des gains de consommation de 25% d’ici à 2030.

Pour beaucoup de trajets, l’avion restera un moyen sans alternative et lesinévitables hausses de tarifs seront absorbées par les consommateurs audétriment d’autres postes de dépenses.

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Des commandes de vol inchangées jusqu’à l’apparition

des avions à commandes de vol électriques

La période d’avant la 2ème guerre mondiale fut celles des pionniers, des défricheurs,une épopée illustre, mais où on prenait des risques inévitables si on voulait arriver àpasser le courrier ou des passagers. La sécurité des vols était bien sur unepréoccupation, mais qui passait au second plan. Ce n’était pas encore l’époque du« Safety first ».Pour la place de l’homme dans la sécurité des vols, on peut distinguer deuxpériodes dans cette évolution du transport aérien :

De 1945 jusqu’à l’apparition de l’Airbus A 320 en 1 988Après 1945, le transport aérien devient une industrie et la sécurité des vols unepréoccupation constante, avec l’apparition des premiers jets, Caravelle, Comet,Boeing 707 et DC8.

Durant cette période, les commandes de vol ont le même principe que les premiersavions du début du 20ème siècle : à une action sur les commandes de volcorrespond un braquage proportionnel des gouvernes de vol.

Les liaisons entre le manche pilote et les gouvernes se font par des câbles d’acierqui agissent sur les servocommandes hydrauliques qui actionnent les gouvernes.

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1988 voit l’avènement des commandes de vol électri quesLa mise en service du A320 introduisit deux réformes profondes dans le transportaérien :

1°) Les écrans de tableau de bord « Glass cockpit »Auparavant, le pilote avait sur son tableau de bord le « Té basique », c’est-à-diresix instruments principaux : Horizon artificiel, Altimètre, Badin, Variomètre, Compaset un cadran donnant une direction vers un point (balise Radio compas ou VOR).Avec ces données, il devait imaginer mentalement sa trajectoire et évaluer saposition dans l’espace.

Avec les « Glass cockpit », la tâche s’est considérablement simplifiée, puisque laposition de l’avion et sa trajectoire future sont affichées sur un écran.

2°) Le « Fly by wire »Le A320 lança le concept des commandes de vol électriques, qui était utilisé sur lesavions de chasse depuis les années 60, ainsi que par le Concorde, qui fut lepremier avion de transport à commandes électriques.Les câbles d’acier de liaison des manches pilotes aux vérins des commandesdisparurent, remplacés par des fils électriques.

Sur le A320, le « Fly by wire » modifia considérablement les actions descommandes de vol mises à la disposition des pilotes.

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En fait, il s’avère que ce système, tel qu’instauré par Airbus, pose autant deproblèmes qu’il en a résolu !

Boeing se lança également dans les commandes de vol électriques avec le Boeing777, qui fut mis en ligne en 1995, mais qui aborda cette technologie d’avionsélectriques avec plus de pragmatisme qu’Airbus.

Le Fly by wire » est devenu un système incontournabl eSi on considère les avions livrés , on constate que, selon une source Boeing• Tous les avions Airbus livrés depuis la fin des années 90 sont à commandes

électriques ainsi que le B777 de Boeing.• Sur un total de 15.828 avions livrés, 6.774 sont au nouveau concept de

commandes électriques (soit 43%) .Total avions livrés fin

2010Airbus Boeing

A320 :4728

B737 = 6637

A330 = 750

A340 = 503

B777 = 910

B767 = 994

A350 = 0 B787 = 0A380 = 41 B747 =

14185869 9959

Les nouvelles technologies du cockpit

ont permis de réduire considérablement

les compositions d’équipages

Une profonde modification de la composition des équipages s’est produite du faitde l’introduction de :• L’informatique,• Des « glass-cockpit »• Des plateformes à inertie et GPSLors mon premier vol Air France en ligne en 1967 vers Los Angeles sur un Boeing707, l’équipage technique était formé d’un CDB, 2 copilotes, 2 mécaniciens et 1navigateur, pour emporter 164 passagers ! Sur l’Asie nous emmenions un officierradio.

Dans les années 60, Air France enregistra 6 crashs mortels (2 Caravelle – 4Boeing 707), qui causèrent la mort de 540 personnes.Un énorme effort de redressement fut fait qui améliora considérablement la sécuritédes vols, puisque, jusqu’à aujourd’hui, les deux seuls crashs mortels enregistrés dufait de pilotes ayant reçu la sélection et la formation Air France ont été celuid’Habsheim, un cas d’espèce très particulier et celui du Concorde, où l’équipagen’avait aucun moyen d’échapper à son tragique destin. 9

Le nombre de PNT au cockpit n’était pas un gage de sécurité

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Sur ce sujet des accidents enregistrés par Air France, je tiens à souligner que mis àpart les deux cités ci-dessus, tous les autres accidents sur des avions aux couleursd’Air France ont impliqué des CDB provenant des fusions avec UTA et Air Inter.

La quasi-totalité des pilotes de ces deux compagnies était irréprochable, mais ledroit du travail a obligé à absorber aussi certains pilotes qui auraient certainementété refoulés s’ils avaient dû passer la sélection mise en place depuis les années 60(Accidents de Papeete,Toronto, Air Littoral, Rio-Paris).

Seuls les pilotes subsistent dans les cockpits des avions de ligneLes innovations techniques ont fait disparaitre des cockpits d’abord l’officier radio,détrôné par la généralisation de la VHF, puis le navigateur, éliminé en 1970 par lesplates-formes de navigation à inertie.

Puis vint le tour des officiers mécaniciens navigants et ce fut une affaire difficile,surprenante par l’opposition qu’elle rencontra.

Lors de l’apparition des jets intercontinentaux, les compagnies aériennes s’étaientretrouvées avec un sureffectif de mécaniciens navigants, puisqu’il n’en fallait plusqu’un pour faire des vols de type Paris-New-York de 8h de vol, alors qu’il y en avaitdeux sur le même vol en Constellation à hélices, qui ralliait Paris à New-York en 14heures de vol.

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Beaucoup de ces OMN furent transformés en pilotes et devinrent CDB.

Mais quand il fallut remplacer par des B737 les Caravelles d’ Air France quivolaient avec un mécanicien, bien que certifiée en équipage à deux, il y eut uneréaction de rejet par les OMN, suivis par de nombreux pilotes qui pensaient quec’était porter atteinte à la sécurité des vols.

En 1976, j’étais chargé du dossier composition d’équipage lors d’un congrès duSNPL et j’ai présenté une étude approfondie, qui démontrait qu’il n’y avait pas plusde crashs et de collisions en vol sur les avions qui volaient sans OMN depuis desannées (DC9 et B737).

J’ai donc proposé de remplacer les Caravelles par des B737, sans OMN, et derecycler ceux-ci en pilotes, mais cela fut rejeté catégoriquement par une majorité despilotes et la totalité des OMN.

Il me fallut attendre 1981 pour que les esprits ayant changé, je puisse lancer unréférendum qui permit au Pdt d’Air France Pierre Giraudet d’acheter des B737conduits par deux pilotes pour remplacer les Caravelles.

Les pilotes d’Air Inter refusèrent d’entériner l’accord Air France et firent de multiplesgrèves dans les années 80 pour obtenir un OMN sur le A320, sans succès.

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La question de l’OMN se posa une dernière fois lors de la mise en service en 1988du Boeing 747 400, qui fut certifié en équipage à deux, sans OMN.

Le Boeing 747 400 en équipage à deux apparaissait comme une gageure osée, carle Boeing 747 200 précédent comportait 931 cadrans, boutons et voyants avec ungrand panneau latéral pour l’OMN, qu’il semblait difficile de synthétiser.

Ce fut pourtant fait par Boeing, qui réduisit à environ 300 le nombre des bitonios etsynthétisa le tableau de bord pour une exploitation sans OMN.

Toutes les compagnies mondiales adoptèrent l’équipage à deux sur ce B747 400,sauf Air France, qui jugea nécessaire une expérimentation d’un an avec un OMN.

C’est un exemple typique de la difficulté de ce pays à s’adapter à une évolution etrappelons que nous fumes en son temps le pays des « Canuts de Lyon » !

Aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée de personne de vouloir revenir à la présence d’unOMN sur un avion de ligne.

L’équipage de base sur tous les jets de ligne du monde est de deux pilotes,renforcés par un ou deux autres si le vol est long.

Interface pilote-avion Airbus et Boeing :

deux conceptions radicalement différentes

L’essentiel de la construction mondiale des avions de ligne est maintenantl’apanage des deux géants Airbus et Boeing, qui ont des approches très différentesde la place du pilote dans la conduite de la trajectoire.

La gestion informatisée des commandes de vol et de l’affichage des données duvol ont permis de modifier considérablement la gestion du vol par les pilotes.

On a vu que ces commandes de vol électriques et nouveau tableau de bord ont euun effet légèrement positif sur les résultats en matière d’accidents, mais iln’apparait aucune discontinuité sensible dans la sécurité des vols constatée.

Des sources d’accidents ont disparues du fait de ces « progrès », mais d’autressont nées, résultant des profondes modifications des concepts de gestion dupilotage.

La mise en œuvre des commandes électriques s’est faite de façon fort différente,selon qu’on regarde du côté de Boeing ou d’Airbus. 13

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Interface pilote-avion chez AIRBUS : des pilotes tenus en lisière

Chez Airbus, lors de la conception de l’Airbus 320, les ingénieurs sont partisd’emblée sur un postulat : puisque la plupart des accidents aériens avaient uneorigine humaine, il convenait de donner le maximum de prérogatives àl’informatique en tenant le pilote en lisière, afin d’éviter ses erreurs de pilotage.

Puisque les ordinateurs de bord devaient assumer l’essentiel de la sécurité du vol,les ingénieurs et pilotes d’essais d’Airbus ont considéré avec une certainedésinvolture l’interface homme-machine, pourtant établie comme une nécessitéimpérieuse dans la conception de tous les avions dans le monde, hier commeaujourd’hui.En témoigne le déficit d’ergonomie que l’on constate sur toute la flotte Airbus :

1°) Les minimanches des pilotes ne sont pas conjuguésC'est-à-dire que quand un pilote déplace son manche pour faire évoluer l’avion, lemanche de son collègue reste inerte.Et pourtant, tous les pilotes qui ont volé sur des avions à double commandesavent combien il est précieux quand c’est « l’autre » qui pilote de voir bouger lemanche devant soi, voire de l’accompagner en posant d’une main dessus sansinterférer dans le pilotage engagé.

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Avec le manche d’à côté inerte, le contrôle par le pilote non en fonction (PNF) dela pertinence des actions sur son mini manche du pilote en fonction (PF) n’estpossible qu’avec retard.

Le PNF ignore totalement les pressions et mouvements exercés sur le manche parson collègue PF. Il ne perçoit la trajectoire que par l’observation du résultat sur sesinstruments et il lui est difficile d’anticiper sur les mouvements futurs.

Lors des essais du A320 en 1987, le SNPL Air France que je dirigeais alors avaitvigoureusement insisté pour que cette conjugaison des manches subsiste.

Pour justifier son refus, Airbus nous répondit que la non con jugaison desmanches faisait gagner 10kg sur la masse de l’avion ! (Sic). C e n’est pasnégligeable, certes, mais sans commune mesure avec le dégât fait surl’interface pilote avion par cette non conjugaison.

Airbus est le seul constructeur qui a refusé la conjugaison d es manches surdes avions « Fly by wire », ce qui aboutit à une dégradation de l ’interfacepilote/avion.

Ce dispositif n’apporte que des inconvénients aux pilotes d ans toutes lesphases de pilotage manuel.

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2°) Les manettes des gaz sont inertesSur tous les avions de ligne, le pilote peut déplacer les manettes des gaz du ralentijusqu’à la poussée maxi. Sur les avions modernes, les manettes des gaz sontactionnées par une automanette, qui est une sorte de pilote automatique de cettefonction.

Sur tous les jets de ligne anciens ou modernes à l’exception des Airbus,l’automanette déplace les manettes des gaz en même temps qu’elle modifie lapoussée. Les pilotes ont ainsi « de visu » et éventuellement gestuellement s’ils ontla main sur les manettes un retour d’information de ce que fait l’automanette etdonc sur l’évolution de la poussée des réacteurs. C’est précieux dans l’interfacepilote/avion.

Sur tous les Airbus électriques, les manettes des gaz ne bougent pas quand lapoussée varie. Pour apprécier la poussée, les pilotes d’Airbus n’ont que les seulsindicateurs de cadrans (petits) de cette poussée.

Une évolution de la poussée sous une action intempestive de l’automanette peutainsi passer inaperçue des pilotes s’ils n’ont pas le regard sur les cadrans depoussée.

Ces manettes fixes n’apportent aucun avantage aux pilotes e t dégradentl’interface pilote/avion. Aucun appareil d’école avant la qualification de typeAirbus n’en est équipé.

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3°) Une limitation autoritaire du domaine de vol est imposée aux pilotesLe domaine de vol est caractérisé par des limites et les ingénieurs d’Airbus ontconsidéré qu’il convenait d’interdire certains dépassements par les pilotes. Ainsi ontété fixées :• Limite d’inclinaison de l’avion à 67°• Limite d’incidence maximale à 6°, avec une limitation interdi sant de dépasser une

valeur maxi (Alpha max)• Assiette maxi + 25°(Cabré) et mini -15°(Piqué)• Limite de facteur de charge en évolution à 2.5G/-1GCes limitations sont actives dans une loi de commande de vol dite « normale ». Ellesoffrent une protection efficace et cela fait des Airbus des avions agréables à piloter.

Chez Boeing : le pilote reste le maître final des commandes de vol

Lors de la conception du Boeing 777 en 1988, le constructeur décida d’y associertous les métiers concourant à l’exploitation de l’avion. Il y eut bien sûr les pilotes,mais aussi le PNC (Hôtesses et stewards), les mécaniciens sol, les bagagistes,etc….Bien entendu, on s’orienta vers les commandes de vol électriques, en concertationavec l’US ALPA (Syndicat des pilotes de ligne US ).

Mis en ligne en 1995, le B777 comporte toutes les protections nécessaires,mais il donne au pilote la primauté finale du contrôle de la tr ajectoire,contrairement à Airbus qui la donne aux ordinateurs.

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Il y a là entre Airbus et Boeing deux approches radicalement différentes de laprésence de l’homme.

On peut rapprocher cette philosophie pragmatique de Boeing de celle qui prévalutlors de la conquête spatiale.

Les Américains avaient conçu le module lunaire avec un pilotage éventuellementmanuel de l’alunissage. Bien leur en prit, car Neil Armstrong dut couper etrallumer plusieurs fois ses fusées de freinage pour alunir manuellement, lesystème de guidage prévu étant HS.

De leur côté, les Soviétiques avaient tout basé sur les automatismes, caridéologiquement, ils n’avaient pas confiance dans l’homme.

Les Soviétiques n’ont pas marché sur la Lune !

Sur le Boeing 777, les protections de vol existent donc aussi mais au lieu d’être limitatives comme sur les Airbus, elles sont dissuasives par l’effort à fournir aux commandes .

Par exemple, quand le pilote donne un ordre à incliner, le système decommandes va renvoyer une force au manche pilote proportionnelle àl’inclinaison déjà atteinte.

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Ainsi, plus l’avion est incliné, plus le manche sera lourd et il faudra une force de plus en plus importante pour l’incliner encore dans la même direction.

Par contre, si le pilote est déterminé, il peut exercer une force suffisamment élevéeet obtenir l’inclinaison qu’il veut.

Le principe vaut aussi pour les commandes de la profondeur et du palonnier.

Boeing a conservé le manche classique des avions de ligne pour ses commandesélectriques (« la bête à cornes ») et les manches CDB et OPL sont bien entenduconjugués.

Les manettes des gaz se déplacent quand l’automanette est connectée, donnantaux pilotes l’information visuelle et gestuelle de la variation de poussée.

En définitive le B777 est en parfaite harmonie avec la techno logie modernemais aussi avec ses pilotes .

Cet avion est considéré par les pilotes comme le meilleur avion du mondeactuellement.

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Cockpit Boeing 777

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Lors de l’émission sur Canal Plus du 12 novembre 2012 « Air France, la chutelibre » , j’avais notamment déclaré :

« Dans des conditions « normales », on peut avoir l’impression sur les Airbus qu’ilsuffit d’avoir des pilotes « de beau temps », mais les passagers attendent despilotes qu’ils rattrapent les choses quand l’ordinateur du bord devient fou »

Je ne pensais pas que l’actualité donnerait aussi vite une illustration exemplairede mon propos, car une semaine plus tard, la conception des Airbus a failliprovoquer une catastrophe, qui n’a été évitée que par la présence de pilotesremarquables de sang-froid et professionnalisme, ainsi que par la présence d’undispositif Airbus nouveau.

Les circonstances de l’incident d’Eva AirL’incident relaté ci-dessous aurait pu arriver à tous les avions Airbus à commandesélectriques, qui sont de même conception.Une semaine après l’émission de Canal Plus, le 18 novembre 2012, un AirbusA330 de la compagnie Eva Air (Taiwan) a fait un piqué incontrôlé après avoirdécollé d’un aéroport japonais.

De la nécessité d’un bon pilote dans l’avion quand

les ordinateurs deviennent fous !

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L’avion allait arriver à son niveau de croisière sous pilote automatique quand lespilotes ont vu celui-ci se déconnecter et l’avion se mettre en piqué sans qu’ils nepuissent le contrer, malgré une action à cabrer au maximum sur les manchespilotes.

Pourquoi ce piqué aberrant ? : Les calculateurs qui protègent le domaine de volagissent en fonction d’informations aérodynamiques (angle d’incidence, vitesse,altitude…) qui proviennent de capteurs.Les Airbus comportent 3 sondes d’incidence AOA (Angle Of Attack), dont lesdonnées sont comparées en permanence pour évincer toute valeur incohérente.On part du principe qui semble logique que si deux valeurs sont semblables, onélimine la troisième. Mais ni Airbus, ni les autorités de certification n’ont envisagéque plusieurs sondes puissent fournir simultanément les mêmes faussesvaleurs .

Sur cet A330 d’Eva Air, les sondes d’incidence ont givré à basse altitude, figeantainsi à la valeur au moment du givrage l’incidence transmise aux calculateurs.

Pour les calculateurs, pas de problème, car les données sont cohérentes avec lalogique de conception…… mais une valeur d’incidence qui était correcte à bassealtitude devient anormale à haute altitude, car l’incidence de décrochage diminuelorsque l’altitude augmente.

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En approchant de son niveau de croisière (38.000 pieds), l’avion s’est alors toutsimplement protégé contre un décrochage qui n’existait pas et a décidé de piquerpour garder une incidence correcte, alors que le vol était « normal ».

Malgré l’action à plein cabrer des pilotes, l’avion s’est engagé en descente, àenviron 10.000 pieds/minute, avec un Mach proche de 0,8.

L’avion d’Eva Air sauvé par le BUSS !

L’avion serait certainement allé jusqu’à l’impact si les pilotes n’avaient pas utilisé lesystème BUSS, qui a permis de couper les 3 ADR (Air Data Reference), c’est-à-dire les calculateurs qui fournissent les informations aérodynamiques.A noter que jusqu’à cet accident, aucune procédure Airbus ne prévoyait de mettreles calculateurs ADR sur OFF, sauf si l’avion était équipé du BUSS.

Du fait de la coupure d’au moins deux ADR, l’avion a quitté la loi « Normale » decommandes de vol, pour passer en loi « Alternate », qui faisait disparaitre certainesprotections et les pilotes ont pu reprendre le contrôle de l’avion.

Ce système BUSS (Back Up Speed Scale) a été conçu par Airbus en 2006 à lasuite de quelques accidents et incidents qui ont engagé Airbus à donner aux pilotesla possibilité d’éliminer en cas de besoin les lois de protection du domaine de vol.

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Information donnée par le BUSSLe BUSS se met automatiquement en action quand l'éq uipage déconnecte les trois calculateurs ADR (Air Data reference). On n’utilise plus alors les sondes d’incidences habituelles et cette information d’incidence est donnée par une origine inertielle. L’altitude est fournie par une origine GPS.

Une fois les ADR mis sur OFF, l'équipage voit apparaitre sur son horizonartificiel une plage de vitesse « Back Up Speed » qui remplace l’échelle de vitessehabituelle en donnant des zones verte, ambre et rouge, ces dernières indiquant unevitesse trop faible ou trop forte (Fast ou Slow).Le pilote doit garder la maquette de l’horizon en face de la zone verte.

Horizon artificiel habituel Avec BUSS activé

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On peut considérer que ce BUSS apporte une sécurité améliorée, mais elle n’estque partielle, car l’avion passe en loi « Alternate » et des fonctions parasitessubsistent, comme le maintien du Trim automatique, qui a fortement contribué àentrainer le vol Rio-Paris dans la mer.

Il serait plus simple et rationnel qu’Airbus donne au pilote la possibilité de passerdans la loi de commandes de vol dite « Directe », qui existe sur tous les Airbus,dans laquelle toute l’informatique est neutralisée.

Dans cette loi « Directe », les manches des pilotes actionnent alors directementles gouvernes de vol de façon proportionnelle au braquage, comme c’était le cassur tous les avions depuis les frères Wright !

C’est ce que j’appelle un « Panic button » et il faut souligner que le nouvel avionde transport militaire A400, (construit par Airbus !) et le Falcon 7X en sont équipés.

Le Concorde a volé des dizaines d’années sans incidents avec seulement deuxlois de commandes de vol électriques : une loi de commande de vol « Normale »et en cas de problème, les pilotes pouvaient passer en loi « Directe » et celafonctionnait très bien.

Mais pourquoi faire simple si on peut faire compliqué !

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Le BUSS : un aveu implicite par Airbus de la dangerosité de leur doctrine

Cet incident d’Eva Air ne s’est pas traduit par une catastrophe du fait de la présencedu BUSS à bord de l’avion et de la bonne connaissance de l’avion par les pilotes.

Mais le BUSS n’est qu’une option au choix des acheteurs alors que ce devraitêtre un dispositif de sécurité monté en série. A Air France, s eul le A380 en estéquipé. Pourquoi pas les autres Airbus ?

Cette création d’Airbus redonne presque aux pilotes le contrôle en dernier recourssur la trajectoire.

C’est une reconnaissance implicite par Airbus des faillites potentielles latentes del’architecture de la chaîne anémométrique. C’est une remise en cause de la logiquedoctrinale donnant la suprématie de la décision de trajectoire aux ordinateurs et nonpas aux pilotes.

Il faut souligner que le BUSS ne résulte d’aucune avancée technique et ne fait ques’appuyer sur des données d’origine inertielle et GPS disponibles à bord de toutavion, qu’Airbus n’avait pas jugé utile de présenter de façon ergonomique sur sesavions.

On se rapproche ainsi de la logique de Boeing, qui fait confiance à l’homme et jepense qu’il faut continuer cette évolution.

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La place du pilote quand l’ergonomie du cockpit est

un handicap au lieu d’être une aide

Je vais essayer d’illustrer ce titre avec les remarques qu’on peut formuler surl’accident tragique et spectaculaire du vol AF 447 Rio-Paris d’Air France le 1er juin2009, qui causa la mort de 228 personnes.

Je dis de suite et sans aucune modestie : ce drame ne me serait pas arrivé, carl’excellente formation reçue à l’Ecole de l’Air et la longue pratique du pilotagemanuel en haute altitude sur les chasseurs inculquent chez les pilotes ayant eucette formation un savoir faire enfoui dans leur cerveau reptilien, qui va jaillir dansune situation critique comme celle qu’ont connu les pilotes de ce vol.La genèse de cet accident est fort simple : des tubes Pitot d’une qualitéinsuffisante qui givrent, les indications de vitesse disparaissent temporairement etle pilote automatique se déconnecte. Tout le reste fonctionne. L’avion est enpilotage manuel, la poussée de croisière est toujours là, inchangée. Les troishorizons artificiels du CDB, du Copilote et de Secours fonctionnent normalement.

En appliquant l’adage vital de tous les pilotes : « Fly the aircraft first », il suffit degarder les ailes horizontales et l’assiette de croisière de 2,5° su r l’horizon artificielet vérifier la poussée des réacteurs. Ensuite, faire le bilan et les vitesses étantrevenues normales à la fin du givrage de 29 secondes , les commandes de volauraient quitté le mode « Alternate », pour revenir en loi « Normale » et le PAaurait pu être réenclenché.

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Mais s’en tenir là serait un peu court, comme nous allons le voir et si les pilotes onttoute leur part dans cet accident, ils ne sont pas les seuls.Lorsque le givrage des tubes Pitot survient :

- Le Pilote automatique et l’Auto Thrust de poussée se déconnectent, maisla poussée reste à sa valeur affichée avant la perte du PA

- L’avion passe de la loi de commandes « Normale » à celle « Alternate »- Les vitesses indiquées disparaissent et aussi la protection d’incidence- Conséquence du givrage des Pitots, l’altimètre indique brutalement uneperte d’altitude de 400 pieds qui n’est pas réelle mais instrumentale

L’OPL Droit annonce « J’ai les commandes » et aussitôt, il met son manche vers« Cabrer » au ¾ de la butée cabrer. La perte de 400 pieds peut expliquer cette miseen cabré de rattrapage.

L’assiette de l’avion part vers « Cabrer » à environ 12° alors qu’el le est de 2,5° encroisière. Cette action est aberrante en haute altitude, surtout si on ne remet pas depoussée.L’avion va monter de 3.000 pieds en 40 secondes et cette montée se paie bienentendu en vitesse qui chute, puisque la poussée est restée à 83%, sa valeur avantla perte des Pitots .On va voir que mis à part environ 40 secondes, l’OPL Droit va ga rder unecomposante « à cabrer » de son manche durant les 4 minutes 24 sec quiséparent la déconnexion du PA de l’impact fatal.

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Paramètres partiels du Flight Data Recorder

Givrage Pitots Décrochage Impact

Altitude

Vitesse

Verticale

(Variomètre)

Vitesse indiquée

Assiette

Incidence

PHR

Cabré

Piqué

Période d’invalidité des vitesses

30

La raison pour laquelle le copilote de droite va se crisper sur une action à cabrerquasi constante durant 4 minutes restera à tout jamais une énigme, car il ne fautattendre aucun élément nouveau.

Durant cette période de 4 minutes, alors que c’était une donnée fondamentale ducontrôle de la trajectoire, parfaitement disponible, le mot « Assiette » ne seraprononcé qu’une fois, par le Commandant de bord, 2 secondes avant l’impactavec la mer !

Cette ignorance incroyable du paramètre « Assiette » montre que laconnaissance des fondamentaux du pilotage était absente du cockpit.

Mais si les pilotes n’ont pas identifié une situation de décrochage, il faut dire quel’ergonomie du cockpit et des commandes de vol ne les a pas aidés :

• 1°) Aucune indication explicite de la panne des Pitots n’app araitsur leur écran de panne

L’écran de pannes indique une vitesse à ne pas dépasser alors que leur problèmeest celui d’une basse vitesse.

Les défaillances ergonomiques de l’Airbus

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• 2°) Le PHR (Plan Horizontal Réglable) se déroule à plein cabr er

Comme si les actions à cabrer de l’OPL Droit ne suffisaient pas, c’est le logiciel del’avion qui va aggraver les choses.Dans le même temps où l’avion passe en décrochage, le PHR - Plan HorizontalRéglable - situé devant la gouverne de profondeur, se déroule vers « Cabrer ».

Dans la Loi « Normale » de commandes de vol, chaque fois que le pilote demandedu cabrer par son manche, le PHR vient « l’aider » en mettant plus ou moins decabrer.Cette action a pour but de placer le PHR de telle façon que la gouverne deprofondeur soit « dans le lit du vent » et ne provoque pas de trainée parasite. Celane pose aucun problème en loi « Normale » puisque la protection d’incidence joueson rôle pour limiter l’action du PHR.

Il en est tout autrement en cas de Loi « Alternate», car dans ce cas il n’y a plusde protection d’incidence , mais la fonction « Trim automatique » esttoujours active . En gardant une pression à cabrer quasi constante, l’OPL Droitamène l’avion à une incidence qui dépasse celle de décrochage et dans le mêmetemps, le PHR suit les demandes à cabrer du pilote et il se déroule stupidementvers plein cabrer.

Ainsi, à l’insu des pilotes, le PHR s’est déroulé vers plein c abrer alors quel’avion était déjà en décrochage, rendant la récupération i mpossible.

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3°) La non conjugaison des manches handicapela perception par le PNF de l’action de son collègu e PF

Du fait des manches non conjugués, le copilote de gauche ne perçoit pas que soncollègue conserve une action à cabrer intempestive. Il serait à coup sûr intervenusur les commandes si les manches avaient été conjugués.

4°) L’effet nocif d’une forte mise en poussée lors d’un décrochage !50 secondes après la perte des Pitots, la poussée est mise sur TO/GA (décollage),ce qui provoque un fort couple à cabrer des réacteurs qui accroît l’assiette àcabrer à 15°, valeur catastrophique à une altitude qui est passée d e 35.000 à38.000 pieds.

Il faut signaler le danger d’une remise de poussée importante sur un avion commele A 330. Les moteurs sont en dessous de l’aile et leur mise en pleine pousséeproduit un couple cabreur extrêmement puissant et rédhibitoire lorsque l’avion esten décrochage (la poussée des réacteurs est de 68 tonnes au niveau de la mer etd’environ 30 tonnes à 35.000 pieds).Ce danger est signalé dans un article d’Airbus de Jacques ROSAY, chef piloted’essai :

« Il est important de savoir que lorsqu’une remise de poussée est appliquéesur un avion déjà en décrochage, l’effet longitudinal entra înera l’avion plusavant dans le décrochage dans une situation qui peut être irr écupérable ».

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Effet du couple piqueur sur l’ assiette

Moteurs

PiquerManche OPLCabrer D

PiquerGouverne

ProfondeurCabrer

PHRCabrer

CabrerAssiette

Piquer

Incidence

Ralenti moteurs

Plein cabrer

Effet couple piqueur

Le cabré s’accentue

Givrage Pitots Décrochage Impact mer

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(IAS = Indicated Air Speed)

L’assiette de 5° recommandée et la poussée de montée « CLB » (c limb)aboutissaient à une montée puisque l’assiette de croisière était de 2°.

Cette procédure a été modifiée par Airbus depuis l’accident , quirecommande le maintien de l’assiette et de la poussée de croi sière.

5°) Une check-list vitesse douteuse inadaptée

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6°) Une alarme de décrochage aberrante, qui amène l a confusion et l’incompréhension chez les pilotes

L’alarme sonore de décrochage (Stall) va retentir 75 fois dans le cockpit sans queles pilotes y fassent référence. Elle fonctionne quand l’incidence dépasse 4°.La confusion des pilotes a été aggravée d’une façon très contributive à l’accidentpar les incohérences de cette alarme, qui arrête son message si la vitesse détectéedevient inférieure à 60kt, car les ingénieurs d’Airbus ont considéré qu’en dessousde cette valeur, les données ne sont plus significatives. C’est vrai dans la logiqueingénieur mais inepte en mécanique du vol, car l’incidence e st toujoursexcessive et le décrochage continue.L’alarme sonore de décrochage s’arrête donc quand l’incidence devient invalide etse réactive quand elle redevient valide, sous l’effet de quelques reprises légères devitesse par l’action du copilote.

Ces disparitions successives de l’alarme sont source d’un quiproquo tragique, carl’arrêt de l’alarme « Stall » laisse penser que soit le décrochage est maitrisé, soitque l’alarme est fantaisiste.La réglementation européenne JAR 25 exige que « l’alarme décrochagefonctionne tant que l’incidence est supérieure à la valeur à laquelle cettealarme s’est déclenchée ».C’était le cas pendant plus de trois minutes. Pourquoi Airbus s ’est-elleaffranchie de cette réglementation et pourquoi les autorit és compétentesn’ont-elles pas réagi (DGAC et EASA) ?

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Pourquoi les pilotes n’ont-ils pas pris conscience du décrochage de l’avion ?

Cette question hante tous les pilotes de ligne, qui se demandent : « Et moi ? Qu’aurais-je fait ? »

L’annonce « Stall » est sans équivoque. Et pourtant, aucun des pilotes n’en tirera laconclusion que l’avion pouvait être en décrochage, alors qu’elle va retentir 75 fois,dont 31 fois en présence du CDB.

On pourrait attribuer cette indifférence des pilotes à un manque de crédit sur savalidité, dont même Airbus avait fait état . Mais je pense qu’il aurait été logiquequ’au moins un des trois pilotes s’interroge sur cette alarme et dans le doute sur savalidité, vérifie son assiette et sa poussée et fasse part de son interrogation à sescollègues.

La prise d’altitude intempestive de 3.000 pieds sans remise de poussée aurait dûégalement mettre la puce à l’oreille des pilotes. Mais à aucun moment un piloteévoque cette possibilité que l’avion soit en décrochage.

L’occultation par le cerveau des alarmes auditivesSans tenter de justifier l’apathie des pilotes vis-à-vis de l’alarme « Stall », mais pourtenter de l’expliquer, il faut donner sa place a un paramètre fondamental de lasituation : l’effet de surprise et le stress intense qui en résulte.

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Car les pilotes ne sont pas des surhommes, mais des êtres humains et leurcerveau, comme celui de tous leurs congénères peut avoir des comportementsdifférents de ce que l’on peut attendre d’eux.

Dans un rapport de mai 2012 sur un incident grave de trajectoire survenu sur unvol Caracas-Paris, le BEA (Bureau d’Enquêtes et Analyses) prend en compte laréaction des pilotes à une alarme auditive :

« L’effet de surprise se produit quand il existe une différenc e entre lareprésentation mentale qu’a le pilote du comportement de so n avion et soncomportement réel.Cet effet de surprise peut entraîner une diminution ou une pe rte deconscience de la situation, l’oubli de procédures, une abse nce de réactionou dans un temps trop long ».

Sous l’effet du stress et de la surprise, le cerveau bascule d’une décisionrationnelle à un décision émotionnelle.Sollicité par d’autres problèmes accaparants, le cerveau tend à occulterl’information auditive.J’ai vécu ce phénomène lors des approches par temps de brouillard sur monBoeing 747. Je demandais toujours au mécanicien navigant qui lisait la sondealtimétrique en courte finale de faire les annonces d’une voix très forte, carl’attention que je portais à la trajectoire diminuait fortement chez moi la perceptionde cette information auditive.

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7°) L’absence funeste d’un indicateur d’incidence s ur les Airbus

Un constructeur est illégitime pour rejeter la responsabil ité d’un accident surles pilotes dès lors qu’il ne leur fournit pas l’instrumenta tion optimale etsécurisante que la technique du moment peut offrir.L’absence d’une présentation de l’incidence aux pilotes a été un facteur déterminantde la confusion des pilotes et de leur non perception du décrochage. Lors de lamise au point du A320, j’avais demandé à Airbus au nom du SNPL l’installation d’undétecteur d’incidence. Cette solution ne fut adoptée que sur les A320 d’Air Inter,sous l’impulsion de mon collègue Roland Billecard, (Ecole de l’Air 1953) qui étaitDirecteur Technique de la compagnie.

Dès que l’avion s’approche d’une incidence voisine du décrochage, il faudrait quel’incidence jaillisse en information sur le tableau de bord, d’une façon facile à lire etqui ne risque pas de passer inaperçue.La technologie actuelle le permettrait sans aucune difficulté.

Dès les années 60, un indicateur sommaire d’incidence existait sur les Mirage III,sous forme de trois lampes : « Verte », « Ambre » ou « Rouge ».Les pilotes de chasse s’en trouvaient très bien pour apprécier les limites dudécrochage sur l’aile délicate en DELTA du Mirage.En 2012, la technologie permet assurément de créer un dispositif jaillissant auxyeux des pilotes en cas de nécessité et facile d’emploi.

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Dans son rapport final sur l’accident du Rio-Paris, le BEA a p ris consciencede cette anomalie criarde de l’instrumentation du tableau d e bord etrecommande l’installation d’indicateurs d’incidence sur TOUS les avions deligne.Cette indication d’incidence est déjà fournie par Boeing sur le B777 avec le PLI(Pitch Level Indicator), qui fait apparaitre deux « moustaches » sur l’horizonartificiel à l’approche de vitesses critiques.

Il suffit de garder l’assiette de l’avion en dessous de ces moustaches pour éviter ledécrochage.8°) L’avion est entré dans un décrochage du type « D eep stall » dont il

n’avait aucune chance de sortir !

Jusqu’à 02h 11 05, (Givrage Pitots + 1 minute), l’avion était aisément rattrapable.

Il suffisait de ramener la maquette de l’avion sur la ligne d’horizon artificiel, degarder les ailes horizontales et maintenir la poussée de croisière. On aurait ensuitetranquillement récupéré l’altitude du plan de vol de 35.000 pieds.

Mais à compter de ce top de 02h 11 05, l’avion s’engage dans un décrochage quiva aller en s’amplifiant sous l’action à cabrer de l’OPL Droit et du déroulement versplein cabrer du PHR, pour aboutir à un « Deep Stall » dont il n’existait pas derécupération possible dès lors que l’avion est passé sous l’altitude de 30.000 pieds.

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Le Deep Stall survient quand le tandem formé par l’empennage horizontal et lagouverne de profondeur deviennent inefficaces. On braque la gouverne quifonctionne normalement, mais la surface de l’aile de l’avion devant cet empennagearrière dévie les filets d’air et il y a disparition de l’efficacité de l’empennage.

On trouve ce type de décrochage sur les avions modernes aux ailes supercritiques,lorsque le flux d’air est perturbé par une aile en forte incidence de 40° au lieu de2°, qui vient masquer l’empennage arrière et le rend inefficace.

Pour l’AF 447, le FDR montre que dans les 3 minutes qui s’écoulent entre ledécrochage et l’impact maritime, l’incidence a oscillé entre 30 et 40°au lieu de2°.

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Durant cette chute vers l’abime, les pilotes se sont trouvés dans unesituation qui n’avait jamais été explorée par Airbus. C’est un domainescabreux pour des essais en vol, car le risque est grand de ne pouvoir sortir d’unesituation de Deep Stall.Le seul cas d’essai dont nous avons connaissance a été réalisé sur le A 400,prototype militaire d’avion de transport européen, pour lesquels les essais dedécrochage ont été effectués avec des fusées situées à l’arrière de l’avion, quiauraient permis de donner un couple piqueur salvateur en cas de décrochagesans issue.

Il n’est pas possible non plus de faire des essais en simulateur, car il faudraitintégrer dans les logiciels des données sur les caractéristiques du Deep Stall …..dont on est justement dépourvu !

Dans une émission TV du 14 mars 2012, Jacques Rosay, le Chef Pilote d’Airbus adéclaré qu’il aurait suffi de garder les ailes horizontales et la poussée de croisièredans cette aventure.C’est aussi ma thèse, mais il n’a pas donné la recette miracle qu’auraient dûutiliser des pilotes de ligne, de nuit au-dessus de l’Atlantique et dans lesturbulences, pour se sortir de ce « Deep Stall » dans lequel ils s’étaient fourrés.

Si on était certain qu’il suffisait de rendre la main à piquer pour émerger d’undécrochage aussi profond, il l’aurait dit et dans ce cas, on l ui aurait demandéde le démontrer lors d’un vol d’essai !

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Pour l’AF 447, le rattrapage du décrochage était im possibleUne fois engagé dans le décrochage avec le PHR à plein cabrer, c’est-à-dire 1minute et 25 secondes après le givrage des Pitots, l’avion ét ait condamné,bons pilotes ou pas !

Pour ramener l’avion à une incidence inférieure aux 6° maximum et sortir ainsi dudécrochage, il aurait fallu que le pilote mette son manche à plein piquer pendantplus d’une minute.Mais même si le pilote avait entrepris ce long piqué de récupé ration, il estprobable que la gouverne de profondeur n’aurait pas eu l’eff icaciténécessaire pour produire l’effet piqueur suffisant permet tant de revenir de43°d’incidence à celle inférieure aux 6°limite de décrocha ge, du fait de :

• l’incidence atteinte de 40°de l’aile.• l’effet cabreur très puissant du PHR à plein cabré.• pour récupérer de la vitesse, le pilote aurait été tenté de ga rder une forte

poussée et donc un effet cabreur permanent qui aurait aggrav é leschoses.

Selon des confidences de pilotes d’essai, compte tenu du tem ps nécessairepour ramener le PHR et l’incidence à la normale, il est probab le qu’unemanœuvre correctrice entreprise en dessous de 30.000 pieds n’avait aucunechance de succès.

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Des pilotes focalisés sur le contrôle de l’inclinai son de l’avion !

Il y a un contraste qui est difficilement compréhensible entre l’attention que portentles trois pilotes aux problèmes d’inclinaison, comparé à leur indifférence totale aucontrôle de l’assiette de l’avion.Dès la déconnexion du pilote automatique, les deux copilotes sont confrontés àune instabilité très forte de l’inclinaison, qui se manifeste par des mouvementscorrectifs excessifs.

Il y a à cela plusieurs explications :• L’absence d’expérience du pilotage manuel à haute altitude dans une loi

dégradée de commandes de vol.• La situation de décrochage qui accentue l’instabilité de roulis.• Le passage d’un taux d’inclinaison possible de 15°/sec en loi « Normale » à

25°/sec en loi « Alternate ».• La déflection des ailerons dans cette loi, où elle devient proportionnelle au

déplacement du minimanche.• La situation de centrage arrière proche de la limite du fait du transfert de

carburant qui augmente inévitablement l’instabilité de l’avion.

Ces facteurs expliquent la focalisation des pilotes sur le contrôle de l’inclinaison,qui est manifeste sur le CVR et a sans nul doute contribué à l’absence deréaction sur les valeurs de l’assiette qu’ils lisaient sur leurs horizons artificiels.

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Airbus : la forte tentation d’une formation au rabai s

« Cet avion est tellement facile qu’il pourrait être piloté par ma concierge » déclaraitBernard Ziegler, Directeur technique d’Airbus et qui fut l’artisan de la conception duA320.

Cette facilité apparente est effective. Durant les essais en vol du A320, j’ai eul’occasion de voler sur cet avion avec le chef pilote d’Airbus Pierre Baud et j’avaisutilisé l’avion en le poussant dans ses limites d’une façon si spectaculaire quej’avais dit à la fin du vol que si j’avais fait ce vol dans un combat aérien contre unSpitfire, je me serais certainement mis dans sa queue (les canons en moins !)Les ingénieurs navigants qui étaient en cabine lors de ce vol d’essai m’ont dit que« Je leur avais mis l’estomac dans les chaussettes! »

A priori, les protections de vol Airbus peuvent donc sembler un progrès, puisque ledomaine de vol représente une enveloppe qui a été explorée en vols d’essais etqu’il ne faut pas dépasser.Mais cette impression de sécurité est trompeuse et valable s eulement si lesconditions de la loi « Normale » de commandes de vol sont opérationnelles.

Si du fait de certaines pannes, comme par exemple celle des sondes Pitot, sondesd’incidence, pannes de calculateurs, l’avion quitte la loi de commandes de vol« Normale », il passe dans des lois de commandes de vol dites « Alternate ».

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Ces lois dégradées peuvent rendre le contrôle problématique, car le pilote ne peuts’affranchir complètement de cette informatique censée le protéger et qui peutl’entrainer vers l’abime.

Lorsqu’il quitte le domaine des commandes « Normales », l’Airbus électriquedevient une véritable usine à gaz aux procédures incertaines en matière de sécuritéet la maitrise de cet avion dans ces conditions dégradées impose la présence depilotes autres que ceux que je qualifierai « de beau temps ».

Le 15 janvier 2009, le Commandant Sullenberger est devenu mondialement célèbreen posant magistralement son Airbus 320 sur l’Hudson, ses deux moteurs éteintssous l’effet d’ingestion d’oiseaux.Ce pilote avait un passé de pilote de chasse dans l’US Air Force, notamment 7années sur F4 Phantom et une forte expérience de planeur. Sans ce bagage, iln’aurait probablement pas réussi cette performance.

La prestation de mes collègues du vol Rio Paris est la démonstration à contrario dela nécessité de cette compétence et la maitrise de Captain Sullenberger confortecette certitude.

Toutefois, il n’est pas indispensable de passer par ce cursus pour devenir un bonpilote de ligne, mais la facilité apparente des avions à commandes électriques

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incite les dirigeants de l’aéronautique à vouloir alléger de façon excessive laformation initiale des pilotes, en postulant de la faible occurrence de pannes quirendent la conduite de la trajectoire difficile.

Certes, l’occurrence de ces pannes est faible, mais les quelques 7.000 Airbusélectriques qui volent actuellement effectuent environ 30 millions d’heures devol/an et la probabilité de panne est donc loin d’être négligeable et les deuxaccidents cités ci-dessus en sont la démonstration.

Sourds à la logique d’une formation de bonne qualité, des plumitifs de Bruxellesqui ne sont pas pilotes décident d’homologuer une formation initiale de 150heures de vol, sans aucun vol solo, avant de passer sur le simulateur desAirbus. Ce seront d’excellents «pilotes de beau temps» et la sanctiond’accidents viendra imposer, mais un peu tard, de remettre le curseur de laformation à un niveau plus sensé.

Ces mêmes inconscients s’apprêtent à promulguer des limitations de volapplicables en 2015 qui permettraient à un pilote de poser un avion après 22heures sans sommeil.

Aberrant et irresponsable. Qu’ils continuent à s’occuper le la norme sur lacambrure des bananes, passe encore, mais qu’ils arrêtent de sévir sur dessujets où ils sont ignares !

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Une nécessité : l’entraînement aux vols proches du décrochage

Les pilotes formés sur avions de chasse ont effectué tellement de vols aux limites,allant jusqu’à la mise en vrille, que les réactions face à une situation dedécrochage sont imprimées dans leur savoir-faire pour le restant de leurs jours.

Pour ceux qui ont suivi un cursus moins endiablé, il y a ce qui reste de leurformation de base, où ils ont en principe été confrontés au décrochage sur desavions école.

Ces acquis sont fondamentaux, s’ils ont bien été acquis, ce qui n’est pas du toutcertain pour les pilotes du type « Cadets », qui effectuent environ 200 heures devol sur avion école à hélice avant d’être envoyés sur le simulateur du A320 pourterminer leur formation de pilote.C’est très maigre, car il s’agit pour ces jeunes gens d’imprimer dans leurexpérience des réactions qui devront rejaillir efficacement durant toute leurcarrière en cas de situation de crise brutale et inopinée.

Il est de fait que le transfert massif de la formation initial e sur avion légervers le simulateur du type A320 a éloigné les pilotes de l’exp érimentation dudécrochage.

J’aime cette phrase de Confucius : « L’expérience est une lampe que l’on portedans le dos et qui n’éclaire que le chemin parcouru » !

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Entraînement au risque de décrochage : dès 2002, les pilotes d’Air France avaient alerté leur Direction !

De façon prémonitoire et professionnelle, lors d’une séance du Comité d’Hygiène etde Sécurité du PN (CHSCT-PN), les pilotes avaient demandé en 2002 à la Directiond’Air France de classer la procédure A320 « Stall » en « Manœuvre d’urgence ».

Ils demandaient « De former et de maintenir compétents les équipages àl’exécution de cette procédure » .

La Direction refusa, arguant que « L’alarme Stall ne peut pas représenter uneutilisation normale de l’avion, contrairement à d’autres pannes (Exemple : perte depressurisation entraînant une descente d’urgence) »Il était souligné également qu’Airbus n’avait même pas créé de Check List « Stall »et s’était contenté d’un descriptif inséré dans la documentation, annexe auxcommandes de vol !

Le manque de discernement des dirigeants d’Air France ne faisait doncqu’emboîter le pas à Airbus, qui considère encore aujourd’hui que : « L’efficacitéde l’architecture des commandes électriques de vol et l’exi stence de lois deContrôle élimine le besoin d’entraînement aux manœuvres de récupérationsur les avions d’Airbus protégés ».Cette arrogance est consternante.

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Le décrochage : cause principale des accidents aéri ens

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Prise de conscience internationale sur le décrochag eL’AF 447 n’a donc pas été le seul avion à s’écraser après un décrochage et une réflexion internationale est en cours sur ce sujet.Entre 2002 et 2011, sur la flotte de jets, on a enregistré 79 crashs, dont 18 avaientcomme cause le LOC (Lost of control), c’est à dire le décrochage.

Avec son pragmatisme habituel, la Federal Aviation Agency américaine (FAA) aformé en 2009 un groupe de travail avec l’industrie appelé « Stall/Stick PusherTraining Working Group » pour définir les meilleures pratiques d’entraînement etde formation des équipages face au décrochage.Un autre groupe de travail a, quant à lui, travaillé sur les outils de formation pourprévenir, reconnaître et récupérer un décrochage à haute altitude.

Pour ma part, je regrette vivement la disparition du « Stick Shaker » quiexistait sur les jets de ligne des année 60, qui faisait vibre r le manche piloteà l’approche du décrochage.

A Air France, il y a eu la création en 2010 de deux nouveaux « memory items »(manœuvres d’urgence) sur les Airbus : “Stall warning at lift off” et “Stall recovery”.

On voit que nous sommes très éloignés des affirmations d’Airbus sur « ses avionsqui ne pouvaient décrocher ».

Depuis Icare, on sait ce que valent ce genre de rodomontades !

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ConclusionLa place des pilotes dans les avions de ligne actuels et futurs est conditionnée parles moyens mis à leur disposition pour maitriser effectivement la trajectoire. Cettecapacité sera aussi le fruit de la formation qu’ils auront reçue.

Les automatismes ne sont pas une fin destinée à remplacer l’homme, mais unmoyen qu’il faut lui donner pour maitriser la trajectoire. Il ne doit jamais être perdude vue par les constructeurs que si l’homme est faillible, la machine l’est aussi etque les passagers n’accepteront jamais qu’un système à la logique devenue folleles entraîne irrésistiblement vers l’abime.

D’où la nécessité d’une situation claire comme chez Boeing, où le pilote a lamaitrise de l’avion en dernier ressort. D’où la nécessité pour Airbus de modifier sesconcepts de cockpit pour aboutir au résultat : le pilote décisionnaire ultime dans laboucle des décisions.

Un premier pas a été fait par Airbus avec le BUSS, mais qui ne donne quepartiellement l’élimination radicale de l’informatique en cas de lourds problèmes(solution du « Panic Button ».)

Lors d’une cérémonie des Oscars de interface pilote / avion,c’est Boeing qui sera nominé !

Sans conteste ! Et je le regrette en tant que Franç ais !*******************************************************************************************