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« Enseignement et apprentissage des kanji à l’ère numérique » - Table ronde -
Participants (ordre alphabétique) :
− Tomoko Higashi, MCF (Université Grenoble-Alpes) − Lionel Seelenbinder- Mérand, Professeur agrégé (Lycée La Fontaine) − Makoto Saito, Enseignant titulaire (MCJP) − Naoko Sakurai, Enseignant titulaire (Université de Leuven) − Sumie Terada, PU émérite (INaLCO)
Modérateur :
− Jean Bazantay, MCF (INaLCO)
En offrant de nouveaux supports de diffusion de l’information ou d’échanges interpersonnels, l’innovation technologique modifie les rapports des utilisateurs avec la langue, et la classe de LV n’échappe pas à ces bouleversements. Comme, en leurs temps, la diffusion du magnétophone puis l’arrivée du film lent ont permis le développement de méthodes audio-visuelles ou, plus récemment, l’introduction des TICE (Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) a favorisé la mise en place de pratiques interactives, les nouvelles technologies ont un impact réel sur les pratiques pédagogiques et les méthodes d’enseignement.
Dans l’apprentissage du japonais, le rapport aux idéogrammes a considérablement évolué ces dernières décennies. A partir du milieu des années 80, les enseignants se sont habitués à voir apparaître un nombre croissant d’étudiants utiliser des dictionnaires électroniques sans trop savoir comment évaluer l’impact de cet outil sur les pratiques d’apprentissage et l’acquisition. Dans les années 2000, l’essor d’Internet et de la téléphonie mobile a apporté une nouvelle vague d’outils numériques : dictionnaires sous forme d’applications pour téléphones ou tablettes, outils de traduction en ligne, sites d’entraînement, etc. Par rapport aux dictionnaires papier traditionnels, ces outils proposent de nouvelles fonctionnalités telle que la recherche du caractère inconnu par reconnaissance du tracé à l’aide d’un stylet sur un écran tactile. Ce sont également des outils hybrides qui offrent nombreuses passerelles entre dictionnaires de caractères et dictionnaires de langues (touche “jump”, etc.). Sur Internet, de petits logiciels tels que Reading tutor permettent aussi d’obtenir immédiatement la lecture ou la traduction d’un mot en plaçant la souris sur celui-ci. Et, dans les prochaines années, le développement d’applications de traduction automatique par reconnaissance visuelle, va peut-être apporter encore d’autres changements.
Tous ces outils très souples d’utilisation facilitent l’accès au contenu informatif du fait de la disparition progressive de l’étape intermédiaire de recherche du caractère inconnu avec un dictionnaire de caractères. Il y a donc un gain de temps sur le plan métalinguistique au profit de l’activité langagière elle-même.
Par ailleurs, leurs fonctionnalités permettant bien souvent de suppléer à certaines imprécisions d’écriture du scripteur (Bazantay : 2011), ils rendent également moins nécessaire la maîtrise précise des règles de tracé. On peut donc légitimement redouter une diminution du niveau de connaissance des règles d’écriture (connaissance des clés, ordre et nombre de traits, types de trait, respect des proportions), voire l’acquisition de connaissances erronées ou approximatives. A terme, cela pose la question de la dépendance technologique et de l’incapacité progressive à tracer correctement les caractères manuellement.
Ce revers pourrait être préoccupant du point de vue de la compétence de production écrite s’il ne s’accompagnait pas d’un « cantonnement » progressif de l’écriture manuscrite à des activités d’ordre privé (notes, rédaction d’une carte postale, renseignement d’un formulaire, examen, etc.), elles-mêmes de plus en plus limitées du fait de la concurrence du courrier électronique, des messageries en ligne et des réseaux sociaux. Ainsi aujourd’hui, la plupart des tâches se font par la médiation d’un logiciel de conversion et la mémoire et les connaissances du scripteur sont donc sollicitées. On pourra également s’inquiéter d’une capacité réduite à utiliser un dictionnaire de caractère sous format papier, voire même un dictionnaire de langue, du fait d’une pratique insuffisante de cet exercice ayant pour conséquence une maîtrise approximative des clés ou du système d’entrées suivant le gojûon-zu.
Le débat entre partisans et détracteurs de ces nouvelles technologies ne sera sans doute pas clos de sitôt chez les enseignants. Mais celui-ci a-t-il vraiment un sens ? Il est incontestable que ces nouveaux outils facilitent les activités de réception et de production et permettent de diminuer la barrière linguistique que constituait la connaissance des kanji. A terme on peut légitimement penser que cela contribuera à une diffusion plus large de la langue et de la culture japonaises. Mais, il s’agit probablement d’une évolution inéluctable sur laquelle il est vain de se lamenter. Pour les enseignants, la question qui se pose est plutôt celle de la prise en compte de ce nouvel environnement dans leur enseignement. Comment en optimiser les possibilités tout en prévenant les risques potentiels ?
Si les pratiques pédagogiques restent figées sans intégrer ce nouvel environnement, le discours ou les activités proposées par l’enseignant risquent de se trouver déconnectés des pratiques effectives des étudiants. Inversement leur adoption aveugle risquerait d’avoir des conséquences fâcheuses sur la qualité de l’acquisition. En prenant en compte les progrès de la connaissance en neurosciences (qui a notamment établi le rôle de la mémoire kinésique dans l’acquisition et la mémorisation des kanji), Il semble nécessaire de réfléchir au sens de chacune des activités proposées pour faire des choix pertinents au regard des objectifs pédagogiques de la formation. En définitive, cela revient à s’interroger sur l’objectif de l’enseignement des kanji du point de vue des compétences langagières visées.
Dans cette table ronde, nous interrogerons les participants, tous acteurs de terrain auprès de différents publics, sur la manière dont ils perçoivent et prennent en compte ce nouvel environnement. Ont-ils intégré ce nouvel environnement dans leurs pratiques pédagogiques ? Quelle place accordent-ils aux exercices d’écriture dans l’apprentissage des kanji ? Ces nouveaux facilitateurs favorisent-ils la mise en œuvre de l’approche actionnelle ? Permettent-ils d’étudier un nombre plus important de caractères ?
Présentation des intervenants
Tomoko Higashi, Maître de conférences (LIDILEM), Responsable de la sous-section de japonais de l’Université Grenoble-Alpes, enseigne le japonais dans les filières LEA (Langues étrangères appliquées) et LANSAD (Langues pour spécialistes d’autres disciplines). Ses recherches portent sur l’analyse du discours et de l’interaction, la pragmatique interculturelle et l’enseignement du japonais. Référent scientifique pour le japonais du Système d’Evaluation en Langues à visée Formative (SELF) du projet national IDEFI Innovalangues (2012-2019), elle est également l’auteur d’une méthode de japonais rééditée en 2016 « Parlons japonais » (éd. PUG).
Lionel Seelenbinder-Mérand, agrégé de langue et civilisation japonaises, enseigne actuellement le japonais LV1 et LV2 au Lycée La Fontaine (Paris). Membre du Comité d’experts pour l’élaboration des programmes de japonais du ministère de l’éducation nationale
depuis 2005, il est l’auteur d’un manuel d’apprentissage des kanji (Kanji kakitai, éd. Ellipses) et d’un cahier d’activités et d’écriture (en collaboration avec Junko Miura).
Makoto Saito, Professeur titulaire à la MCJP (Maison de la culture du Japon à Paris) est spécialiste des questions de didactique du japonais langue étrangère. Il enseigne actuellement le japonais auprès d’un public varié en utilisant la méthode Marugoto développée par la Fondation du Japon.
Naoko Sakurai est professeur de japonais à l’Institut des langues (ILT) de l’université de Louvain (Belgique). Spécialiste de didactique du japonais, elle est également Présidente de la Belgian Association of Japanese Language Teachers. Ses recherches récentes portent sur l’adaptation du CECRL au japonais. Elle a notamment publié Nihongo kyôshi no tame no CEFR [Le CECRL pour les enseignants de japonais›](éd. Kuroshio, 2016).
Sumie Terada, Professeure émérite, chercheure au Centre d’études japonaises (CEJ) est spécialiste de la poétique de la littérature japonaise classique. Elle est actuellement responsable du Projet Genji du CEJ. Forte d’une longue expérience d’enseignement du japonais dans la filière LLCE de l’INaLCO (elle a notamment coordonné l’enseignement des kanji en première année), elle présentera les raisons qui ont présidé aux choix pédagogiques relatifs à l’enseignement des kanji dans cette filière spécialisée.
デジタル時代の漢字教育
今、漢字教育は必要か
- パネルディスカッション -
参加者 (アルファベット順)
− 東伴子 :(グルノーブル・アルプ大学准教授)
− リオネル・ゼーレンビンダー=メラン (ラ・フォンテーヌ校・アグレジェ)
− 斎藤誠(パリ日本文化会館日本語専門家)
− 櫻井直子(ルーヴァン大学専任講師)
− 寺田澄江(イナルコ名誉教授)
進行役 : ジャン・バザンテ(イナルコ准教授)
科学技術の進歩は常に新しいメディアの誕生や対人コミュニケーション方法に変化
をもたらし、その普及によって人間の言語行動が少しずつ変わっていく。外国語の授
業でも 1960 年代からテープレコーダーの普及とともにオーディオ・リンガル・アプロ
ーチが導入され、そして 90 年代からはコンピューターが入り、教室を超えたインター
アクティブな活動の可能性を広げた。このように、新しい技術が外国語教育に及ぼす
影響は明らかである。
日本語教育の世界ではデジタル時代に入ってから、漢字学習を取り巻く環境が大き
く変わってきた。その静かな革命は電子辞書の出現と共に始まった。そして、21世
紀に入って、IT技術の急激な発展によってスマートフォンやタブレット向けの辞書ア
プリ、無料翻訳サービス、日本語学習サイトなども現れ、新しいITツールや教材の波
が押し寄せてきた。IT辞書では従来の紙の辞書でできなかった新たな検索機能が利用
できるようになった。とりわけ電子辞書やタブレットなどの「手書き認識パッド」の
登場は革新的だったと言えるだろう。タッチペン一本で調べたい熟語の漢字を、大ま
かに描いただけで、即座にその読みや意味が出てくるという機能は、従来の紙の辞書
を使った検索過程で欠かせなかった部首や画数の索引から漢字を探す手続きを無用に
したのである。そして、その利便性により学生の間でたちまち愛用されるようになっ
た。今も漢和辞典の存在は欠かせないが、少なくともその位置づけや使い方が変わっ
てしまった。
このようにデジタル化は新しい学習方法を生み、文字教育全体に大きな影響を与え
ている。そして、これらIT技術が書き手の不正確な点をある程度カバーできるため、
以前ほど書き方の規則を守る必要がなくなり、部首、書き順などの教育意義が問われ
てきている。他方、漢字に関する基礎的な知識(書き順、画数、部首など)が十分で
なければ、漢字の書き方が大雑把になるという懸念もあり、筆記能力から言えば大変
気がかりだが、同時に今日の日常生活では手書きによる記述の機会が激減してきてい
るのも事実である。そして文字で打っているかぎり、変換キーを押すだけで候補の単
語の選択肢が自動的に現れ、たとえ書き方を正確に知らなくても支障がない。そうな
ると、学習者のコンピューターやスマートフォンへの依存、手書き能力の低下が問題
となってくるだろうが、日本語のネイティブでさえ手書きの機会が少なくなったので、
外国人のための日本語教育ではどこまで手書き文字に拘る必要があるかという問いも
ある。なお、従来の紙の漢和辞典を使う機会が減れば、その五十音図順の音訓索引に
よることばの引き方も身につかなくなることも予想される(国語辞典にも同様のこと
が言える)。
また、これらのIT教材の多くは「ジャンプキー」を押したり、ハイパーリンクをクリ
ックしたりするだけで、様々な辞典への切り替えを可能にする機能も備えて、ハイブ
リッド教材だと言えよう。さらにインターネット上では「リーディングチュウ太」の
ようなテキストの読解支援サービスも登場し、分からない漢字のところにマウスを動
かすだけで自動的にその読み方と意味が様々な外国語で出てくる。そうした新しいシ
ステムの機能は漢字学習の負担を軽くし、より早く読解活動に取り組むことを可能に
する。つまり、文字レベルのミクロ的な学習の負担が減り、いちはやくテキストの読
み書きといった言語活動に集中できるようになってきたといえるだろう。
日本語教師の間でも、IT技術やリソースについて、様々な議論があるだろう。それら
に利点も弊害もあることは否定できないが、IT技術やリソースの普及は今現に起こっ
ている不可避な流れであり、日本語教育においてもその対応が迫られている。そうし
たIT リソースの可能性をどう大きく活用できるか、そしてそれらに伴う不都合にどの
ように対処していけるのかを議論することが差し迫った課題だと思われる。
教師がこの新しい環境を考慮しなければ、教師による授業と学習者の実際の漢字使用
との間に大きな溝ができる恐れがある。その際、神経科学や認知科学の研究成果、特
に漢字学習におけるワーキングメモリの働きを参考にしながら、課題や練習の目的を
考える必要がある。そして各教育機関の日本語教育の目的に照らしながら、無意味な
練習を省いて適切な練習を残し、漢字学習に有効だと思われる新しいタイプの活動の
導入も考えるべきだ。機械的に同じ練習を繰り返させるだけではなく、最終的日本語
教育の目的にあった漢字教育を考えるべきだ。
このパネルディスカッションでは日本語教育の第一線で活躍する参加者にこの問題に
対する意見を尋ねる。そして、授業ではどのようにこの新しい環境に対応しているか
また、学習漢字や学習語彙の総数、教授法などに変化があったか、さらに、漢字の手
書きの練習の意義をどのように考えているかなどについて問いかける。
参加者紹介
東伴子:グルノーブル・アルプ大学・准教授,日本語科責任者。LEA(応用外国語)コ
ースとLANSAD(日本語以外の専攻学生)コースの学生対象に教鞭を取る。LIDILEM研究員。主な研究分野は応用言語学(談話・相互行為分析、異文化間語用論)と日本
語教育学。フランス国立研究機構(ANR)「革新的教育を目指した先駆的研究」
(IDEFI)で採択されたInnovalagues (2012-19)の一環として進められているコンピュー
ターベース診断付テスト(SELF)開発の日本語部門学術責任者。2016 年に改訂された
日本語教科書「Parlons japonais」(PUG)の著者。
リオネル・ゼーレンビンダー=メラン :日本語日本文化中等教育教授資格(アグレガ
シオン)取得者。パリ・ラ・フォンテーヌ高等学校において日本語を第一・第二外国
語として教える。2005 年以来、文部科学省の中等教育機関日本語教育の指導要領の委
員会会員。中高生の学習者を主な対象とした漢字学習の教材『漢字書きたい!』(エ
リップス出版社)の著者、及び三浦順子との共著で『漢字書きたい!練習帳1』も出
版。
斎藤誠:国際交流基金派遣日本語専門家。パリ日本文化会館(MCJP)日本語講座運営
担当。MCJPでは 2011 年より「まるごと」を使用した一般向け日本語講座を展開して
おり、年齢・職業など多様な学習者が学んでいる。
櫻井直子:ルーヴァン大学文学部文学部、ルーヴァン言語研究所専任講師。ベルギー
日本語教師会設立、現会長。言語教育、日本語教育を専門とし、近年はCEFRの理念を
取り入れた日本語教育に関し研究をしている。近著に『日本語教育のためのCEFR』(編.2016,くろしお出版)がある。
寺田澄江:日本学研究センター(CEJ)所属、イナルコ名誉教授。専門は日本古典文学
における詩学。現在CEJの源氏物語プロジェクトの責任者。イナルコ日本学部におけ
る漢字教育の経験に基づき、イナルコにおいて要請されている漢字教育の諸要件につ
いて概略する。
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« Enseignement et apprentissage des kanji à l’ère numérique »
Table ronde : la suite…..
Durant cette table ronde, par manque de temps, nous n’avons pu entendre les participants sur la manière dont ils perçoivent et prennent en compte l’environnement numérique dans leur enseignement. Comment l’ont-‐ils intégré dans leurs pratiques pédagogiques ? Quelle place accordent-‐ils aux exercices d’écriture dans l’apprentissage des kanji ? Ces nouveaux outils favorisent-‐ils la mise en œuvre de l’approche actionnelle ? Permettent-‐ils d’étudier un nombre plus important de caractères ? Pour combler cette lacune, nous avons décidé de leur donner la parole et de prolonger les débats dans cette tribune en leur demandant de répondre à trois questions.
Question 1 : Comment enseignez vous les kanji ? Tomoko Higashi (Université de Grenoble-‐Alpes) :
Nous sommes aujourd’hui presque tous d’accord pour dire que le nombre de kanji mémorisés n’est pas un indicateur de la compétence communicative en japonais comme le pensent encore nombreux étudiants qui évaluent leur niveau en nombre de caractères (« Je connais 100 kanji.», etc.). Cependant, à l’heure de l’approche actionnelle, paradoxalement, la « compétence idéographique » me semble de plus en plus conditionner la performance des étudiants face aux activités langagières reposant sur des ressources authentiques. Une nouvelle approche adaptée à ces situations me semble donc nécessaire. L’apparition de différents outils numériques peut faire penser que la mémorisation n’est plus nécessaire, mais je voudrais insister sur l’importance des connaissances et méta-‐connaissances sur « les kanji de base » pour devenir un utilisateur indépendant de la langue japonaise. Il est important que les étudiants s’approprient les règles de base de la composition des kanji, telles que les clés et les composantes, les principes régissant l’ordre de trait… Cette formation, qui est plutôt classique, me semble plus que jamais importante et utile aujourd’hui pour soutenir l’autonomie des élèves (capacité à inférer le sens ou la lecture d’un kanji inconnu présentant une composante identifiée, capacité à tracer un kanji sur un écran tactile, …). Il est important de prendre du temps pour éveiller la conscience des apprenants à ces aspects des kanji pour qu’ils les mettent en œuvre tout au long de leur apprentissage. Il est également essentiel que les étudiants prennent conscience que les stratégies liées au kanji favorisent grandement la compréhension du texte écrit ou oral. Dans mes cours, nous sélectionnons systématiquement des mots clés pour chaque texte utilisé en cours ou pour chaque leçon, puis les kanji sont abordés à partir de ces mots. Dans la classe d’A1/A2, les étudiants sont encouragés à lire des phrases/textes en présence des kanji inconnus et sans furigana. En cas de difficulté, ils peuvent toujours consulter la liste. Ils sont invités à se rendre en compte que la connaissance de kanji favorise la compréhension/apprentissage des mots, même les plus élémentaires (ex. raishû s’écrit avec来 et週). Dans la classe de B1, le travail se focalise sur les mots composés de kanji (輸出 , 外国人観光客 ) et sur les stratégies de redéploiement des connaissances censées être acquises. Je constate qu’il y a encore beaucoup d’étudiants qui n’ont pas acquis ces stratégies malgré plusieurs années d’apprentissage du japonais. Mais rien n’est trop tard. Je pense que ce travail en amont est important si nous voulons que nos étudiants deviennent de bons utilisateurs du japonais en bénéficiant des outils numériques divers.
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Lionel Seelenbinder-‐Mérand (Lycée La Fontaine) :
Au lycée la Fontaine, comme dans tous les établissements du secondaire proposant l’étude de langue japonaise, nous suivons « à la lettre » le programme officiel du MEN de compétences graphiques1 qui fixe des compétences communes à toutes les classes. Ce programme établit, avec une différenciation des statuts « actifs » et « passifs » des kanji en cours de formation dans le cadre des évaluations, un seuil de 145 kanji en reconnaissance pour la LV3, 385 en LV2, dont 235 actifs et 505 en LV1, dont 385 actifs. Afin de travailler au mieux l’acquisition du geste et la mémorisation, les programmes préconisent un enseignement de l’écriture, notamment des kanji, découplée des autres compétences, en particulier celles de l’oral, même s’ils peuvent et doivent même être introduits ou réintroduits dans les autres activités langagières, par le biais du travail par tâche. Quoi qu’il en soit, dans le secondaire, nous nous efforçons d’enseigner les kanji de manière progressive, par palier, et de manière la plus motivante qui soit. C’est ainsi que nous nous posons la question de la place que les outils numériques peuvent avoir au cours de l’apprentissage de l’écriture. Nous sommes conscients de l’ambivalence de l’usage de ces nouveaux outils, et nous avons eu, comme beaucoup d’entre nous, dès le début une certaine réticence vis-‐à-‐vis de ceux-‐ci, même si nous nous efforçons de les inclure le plus possible dans notre pratique. Néanmoins, comme nous veillons en priorité à entraîner le geste graphique de manière traditionnelle, en formant nos élèves, collégiens et lycéens, à écrire avec un instrument « classique » : crayon, stylo, feutre, etc., en variant les supports, et en étant très attentif à l’ordre des traits, afin que l’acquisition du geste soit la plus harmonieuse et la plus stable possible, il paraît difficile d’envisager au premier abord l’outil numérique. Nous savons que l’écriture est quelque chose de complexe, qu’elle associe aussi bien la vision que le geste, le sens et la prononciation. En cela, elle se différencie sans doute de l’oral qui repose sur une capacité plus naturelle à articuler les sons que celle de « tracer » à la main un signe pour écrire.
Naoko Sakurai (Université de Louvain) :
Je considère que l’apprentissage de kanji équivaut à l’apprentissage de vocabulaire et que l’apprentissage du vocabulaire est un des apprentissages les plus cruciaux pour que les étudiants puissent prendre part à la vie de leurs communautés en utilisant la langue apprise. Afin de mémoriser les Kanji et le vocabulaire de manière solide et certaine, nous avons besoin d’écrire. Selon les études de Naka (1997), les participants qui étudiaient des Kanji en les écrivant à la main avaient une mémorisation plus solide que les participants qui apprenaient seulement de manière visuelle. De plus Misaki et Naka (2006) affirment qu’écrire le mots plus de cinq fois est plus efficace pour la mémorisation que l’écrire moins de cinq fois. Par mes observations des étudiants, j’ai remarqué que les étudiants ayant acquis une bonne connaissance de Kanji et de vocabulaire, étaient très souvent des étudiants qui ont construit leur propre cahier de Kanji écrit à la main. En somme, je peux constater que dans l’apprentissage des kanji, les activités qui requièrent de les écrire sont essentielles et nous pouvons, ou plus, nous devons proposer aux étudiants de continuer à écrire, même s’il y existe aujourd’hui des outils utiles comme les smartphones ou les tablettes.
1 Programmes fixant l’acquisition de la compétence graphique au collège : ressources pour les langues vivantes au cycle 4 en japonais, sur eduscol.eduction.fr (mars 2016), et au lycée : enseignements des langues chinoise et japonaise au lycée -‐ acquisition de la compétence graphique BOEN n° 32 du 08.09.2011, pages 8 à 11.
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Makoto Saitô (Maison de la culture du Japon à Paris) :
Les cours de japonais pour adultes comme ceux que nous dispensons à la MCJP, ont pour vocation d’enseigner la langue de manière pratique et utilitaire et sont guidés par le souci de ne pas surcharger de travail les apprenants. Dans cet esprit, les kanji sont traités comme du lexique ; ils sont lus et compris en contexte et l’on considère que c’est suffisant ainsi. Nous n’imposons pas d’exercices d’écriture aux apprenants pour lesquels cet exercice est une charge et nous proposons des activités en ayant à l’esprit les possibilités de saisie par ordinateur ou tablette. D’autre part, quand nous introduisons un caractère, nous n’enseignons pas toutes ses lectures mais seulement celle qui est nécessaire dans la situation. Lors d’une enquête que nous avons conduite auprès de nos apprenants, les deux tiers
des personnes ont répondu que « l’apprentissage n’était pas / ou n’était quasiment pas une charge » et « qu’ils souhaitaient en apprendre davantage. » Ces résultats montrent une curiosité intellectuelle et un certain plaisir lié à l’apprentissage des caractères. Nous devons réfléchir à plusieurs points. En effet, notre approche actuelle ne répond
pas au souhait de certains apprenants de connaître l’ensemble des emplois d’un kanji. Les explications sur les clés et le sens des caractères ne sont pas suffisantes non plus. Par ailleurs, les exercices d’écriture n’étant pas obligatoires, des écarts importants apparaissent entre les apprenants suivant leur intérêt et leur investissement dans ce travail. Pour palier cette situation, nous présentons des applications d’apprentissage des caractères et nous réfléchissons à d’autres stratégies telle que l’ouverture d’un cours optionnel de soutien en kanji etc.
Question 2 : Utilisez-‐vous les outils numériques dans vos cours ? Encouragez-‐vous leur utilisation par les apprenants ou recommandez-‐vous toujours l’utilisation des dictionnaires « papier » ? Lionel Seelenbinder-‐Mérand (Cité scolaire La Fontaine, Paris) :
Il convient de préciser d’emblée que notre établissement est plutôt mal équipé, et le peu de matériels, installés dans un nombre limité de classes ne bénéficient pas de la maintenance requise. Nous sommes donc réduits à une utilisation des plus rudimentaires de l’outil informatique en classe : un ordinateur relié à un projecteur, qui sert essentiellement à l’affichage devant les élèves, et si parfois nous pouvons effectuer en direct des recherches, ces derniers n’ont presque jamais l’occasion de le manipuler. En outre, nous disposons d’une salle dite « informatique », mais, presque inadaptée, aussi sommes-‐nous peu enclin à l’utiliser, d’autant qu’il nous faudrait dédier une heure entière à cela sur les deux ou deux heures et demie d’enseignement dont nous bénéficions en moyenne actuellement, ce qui paraît difficile à envisager.
Lorsque nous avons la possibilité de le faire nous essayons d’abord d’initier nos élèves à la saisie informatique en japonais, comme le préconisent les programmes. Elle vient en complément de l’acquisition du geste, permettant d’acquérir d’autres automatismes, et de découvrir d’autres règles, comme celles de la typographie japonaise. Cependant, ce que nous demandons aux élèves, c’est d’abord qu’ils rédigent à la main la plupart de leurs productions. A contrario, ceux-‐ci possèdent presque tous un smartphone, et un ordinateur à leur domicile, avec un accès qui semble illimité à ces nombreuses possibilités, quand ils les connaissent. Ils s’exposent donc assez naturellement d’eux-‐mêmes à ces outils, et nous en font part régulièrement.
C’est la raison pour laquelle notre rôle le plus important à long terme auprès des élèves est certainement de les faire entrer dans un cercle vertueux, en les aidant à se repérer dans ce trop plein d’informations, afin qu’ils puissent discerner l’essentiel du
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secondaire, mais aussi les différents niveaux de langages, et ne deviennent pas dépendant de la machine. Nous devons pour cela tout faire pour qu’ils sachent utiliser le plus judicieusement possible les outils numériques et les rendre parfaitement autonomes. Mais avant cela, pour y parvenir, nous devons aussi leur faire acquérir une véritable compétence graphique. Cela implique de posséder la capacité de lire et écrire un signe sans aide. Si l’élève n’en est pas capable sans modèle, il n’y a pas d’autonomie, donc pas de réelle maîtrise ou de compétence.
Les élèves nous disent qu’ils utilisent en priorité sur leur smartphone, ou sur leur ordinateur, des logiciels de reconnaissance de kanji et des dictionnaires avec des liens interactifs, mais aussi parfois une zone tactile réservée à l’écriture manuscrite, que l’on peut effectuer avec un stylet, ou un doigt. Ces logiciels de reconnaissance sont plus ou moins contraignants, et obligent pour certains à bien connaître l’ordre des traits. Quand il y a un doute, plusieurs propositions apparaissent et obligent à sélectionner le bon caractère, c’est aussi une capacité qui mérite d’être développée. Pour certains travaux d’expression écrite, mais pas la majorité, nous autorisons les élèves à utiliser le dictionnaire électronique, le plus souvent intégré à leur smartphone, et les logiciels de reconnaissance de caractères auxquels ils ont accès. Il faut noter que ces logiciels peuvent prendre aussi en charge les progrès des élèves en gérant ce qui est acquis et ce qui ne l’est pas, dans le cadre d’un apprentissage par la répétition ou la remémoration qu’ils effectuent chez eux.
Naoko Sakurai (Université de Louvain) : A propos du dictionnaire en soi, personnellement, je n’impose pas aux étudiants d’utiliser le dictionnaire papier car l’utilisation des dictionnaires est considérée comme une des stratégies fonctionnelles propre à l’utilisateur de la langue. Aussi, les étudiants sont libres de choisir le type de dictionnaire qui leur convient le plus. Ma préoccupation est plutôt la manière dont on utilise le dictionnaire. Certains étudiants tentent de chercher tous les mots dans le dictionnaire lors de lectures ou d’écriture d’un texte. Il est certain qu’il est très important de s’assurer de l’utilisation des mots afin de trouver le mot le plus approprié pour s’exprimer. Mais, en même temps, l’utilisateur de la langue doit pouvoir « se débrouiller » avec les mots dont il dispose. Lors des lectures, pouvoir inférer le sens d’un mot à partir du texte est également une compétence très importante. Ainsi, dans notre établissement, lors d’un examen de rédaction de 3 heures, les étudiants sont autorisés à utiliser le dictionnaire durant la dernière heure. Cependant, je dis aux étudiants de ne pas croire toutes les choses qui se trouvent dans les dictionnaires gratuits en ligne et leur propose de consulter plusieurs dictionnaires. Par contre, pour encourager les étudiants à pratiquer l’auto-‐apprentissage de kanji, les applications ou les sites pour smartphone ou ordinateur, comme ANKI ou Weblio, sont d’une grande aide pour les étudiants. Les étudiants ont très souvent plus d’informations à partir de ces applications qu’à partir des enseignants. C’est pourquoi dans notre cours, nous organisons plusieurs sessions où les étudiants peuvent présenter des sites et des applications utiles pour eux.
Makoto Saitô (Maison de la culture du Japon à Paris) :
Le site d’auto-‐apprentissage en ligne « Marugoto Plus » (http://marugotoweb.jp/) de notre méthode « Marugoto : langue et culture japonaise » propose des pages d’exercices pour les trois niveaux débutant (A1), élémentaire 1 (A2.1) et élémentaire 2(A2.2). Ce site propose pour chaque leçon le sens des nouveaux caractères, l’ordre des traits,
des feuilles d’exercices à imprimer, des exercices de lecture et l’on encourage les apprenants à les utiliser dans le cadre de leur auto-‐apprentissage. Nous avons également sorti le « Memory Hint » de ce site sous forme d’une application nommée « Kanji Memory
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Hint » pour proposer un outil souple et facile pour un travail de mémorisation de caractères. Nous ne recommandons pas de dictionnaire papier partir car il nous semble qu’il n’y a
pas encore en France de dictionnaire d’apprentissage adapté aux apprenants débutants. Nous laissons à chaque apprenant la liberté de tester et de choisir les sites et applications qui leur conviennent. Nous attendons la publication d’un dictionnaire de japonais pour les apprenants de langue maternelle française qui propose des le sens et des exemples adaptés.
Tomoko Higashi (Université de Grenoble-‐Alpes) : Aujourd’hui, je constate que les compétences et les attitudes des étudiants face aux kanji sont plus diversifiées qu’autrefois, ce qui est sans doute lié à l’existence de nombreux outils et ressources numériques en accès libre. Il y a des étudiants qui ont renoncé à apprendre/mémoriser les kanji, à réfléchir s’ils les connaissent déjà ou non, et qui sont complètement dépendants de l’outil indiquant la lecture. Même si, d’un point de vue purement fonctionnel, ces étudiants ont finalement accès au sens du texte, je ne considère pas qu’ils soient autonomes car ils ne mettent pas en œuvre la moindre stratégie d’inférence et surtout je vois qu’ils sont mal à aise devant un texte s’ils ne disposent pas d’outil pour leur indiquer les furigana. D’un autre côté, Il y a des étudiants qui recourent très habilement aux différents outils numériques selon leurs besoins pour accomplir des tâches communicatives données (par exemple « lire le site d’une entreprise »). L’utilisation des outils numériques doit être un bon complément de leur compétence d’inférence (graphique, lexique, grammaticale et textuelle). C’est pourquoi j’ai insisté sur l’importance de la connaissance et de la méta-‐connaissance des kanji de base ainsi que la formation pour éveiller la conscience et les stratégies mentionnées plus haut. En ce qui concerne le dictionnaire, la majorité de mes étudiants utilisent un dictionnaire sur leur smartphone. Selon moi, trouver un outil pratique et adapté à leur portée est une condition première pour assurer l’autonomie des étudiants. Et le problème n’est pas de savoir s’il faut choisir le dictionnaire papier, électronique ou en ligne, etc. Il faut choisir un bon dictionnaire adapté au but. Pour choisir un mot japonais, par exemple pour une activité de rédaction ou une traduction français-‐japonais, il faut un dictionnaire riche en exemples, et la majorité des dictionnaires proposés sur smartphone s’avèrent trop sommaires. Pour chercher la prononciation/le sens d’un kanji dans le texte le plus rapidement possible, une application avec écran tactile serait très utile. Mais pour cela, il est nécessaire que l’étudiant ait acquis la règle de base des kanji. Pour le travail d’apprentissage individuel des kanji, il y aurait des dispositifs intéressants permettant aux étudiants de percevoir simultanément la prononciation, le tracé avec animation, et le sens, etc. Il y aurait des jeux pour apprendre de façon ludique. Cependant, nous ne connaissons pas tous ces outils… C’est pourquoi il me semble important que les enseignants inspectent ces outils (comme ils font l’analyse de manuel) et prévoient un travail de mise en commun sur les pratiques de chaque étudiant dans la classe, quel que soit le niveau et l’objectif de la formation. Aujourd’hui, cela me semble faire partie du rôle de l’enseignant… Faut-‐il écrire à la main ou au clavier ? Il est vrai que c’est inquiétant si des étudiants débutants utilisent exclusivement l’ordinateur mais il est aussi inquiétant que des étudiants B1 ne sachent pas écrire un texte correctement sur l’ordinateur (un mail, par exemple). A mon avis, écrire sur l’outil « numérique » est une compétence indispensable à former à l’université. Quant à l’écrit à la main, je ne pense pas que l’écriture manuscrite
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doive être imposée à tous les étudiants durant tout leur apprentissage (mais la majorité des étudiants en licence écrivent à la main dans mes cours). Toutefois, la notion du mouvement de traits des kanji et des kana, et les gestes associés doivent être acquis au début de l’apprentissage. Je peux citer le cas d’un étudiant qui était dans mon cours de B1-‐2 qui a apparemment appris le japonais en autodidacte avant d’intégrer ce groupe. Au fil du temps, j’ai découvert qu’il recopiait tous les textes distribués en cours à la main chez lui et il a une belle écriture (C’est un étudiant en informatique !). J’ai alors compris que cela était sa méthode pour apprendre une langue en autonomie. Chacun peut choisir sa stratégie d’apprentissage et la mettre en œuvre. Cet étudiant a trouvé tout seul la sienne mais, en général, c’est le rôle de l’enseignant d’aider à en prendre conscience, me semble-‐t-‐il. Si les étudiants sont plus à l’aise avec les claviers, je ne pense pas qu’il faille l’interdire.
Pour conclure, souhaitez-‐vous ajouter quelque chose sur la question ? Lionel Seelenbinder-‐Mérand (Cité scolaire La Fontaine, Paris) :
Il est un autre aspect de l’informatique que l’on ne doit pas négliger non plus, c’est celui des multimédias. Même si elle concerne essentiellement la capacité à lire, de manière passive, c’est une fonction très efficace pour associer le signe graphique aux sons, et donc à la prononciation, par le biais des fichiers audio, ou de la vocalisation numérique des textes. C’est la raison pour laquelle, nous encourageons toujours les élèves à pratiquer le karaoke, ou à voir des films, des anime et des séries sous-‐titrés en japonais, sans qu’ils en abusent, ou a écouter tout en les lisant des textes enregistrés divers et variés. Si l’outil informatique est indéniablement une aide et un moyen de motiver les élèves, il peut être aussi, pour finir, une stratégie de remédiation. Les élèves viennent encore souvent nous voir, en affirmant qu’ils ont du mal à assimiler à long terme les kanji. En plus des conseils classiques que nous pouvons leur prodiguer, comme les inciter à jouer avec les associations formelles ou sémantiques, en se constituant par exemple des collections de kanji sur fiches, ou de les transformant en objets artistiques, nous proposons de plus en plus souvent l’outil informatique, comme moyen de remédiation, qui prend déjà en charge toutes ces possibilités, mais en les aiguillant également sur les logiciels d’écritures manuscrites qui leur permettent de répéter le geste graphique, avec un aspect plus motivant, comme une ardoise interactive [intelligente] qui peut s’avérer très efficace pour l’acquisition du geste, et une bonne mémorisation. Malgré tout, nous constatons depuis plusieurs années progressivement la perte du geste graphique, ainsi qu’une baisse générale de connaissances en ce qui concerne l’utilisation des clefs, de l’ordre des traits et de leur particularité graphique, car, avec l’utilisation des dictionnaires électroniques, entre autre, les élèves mobilisent toujours moins ces savoirs pour écrire. Un autre déficit se fait peut-‐être plus inquiétant encore, c’est celui de la maîtrise du tsukaiwake [l’usage correct d’un caractère en fonction du contexte], elle est pourtant nécessaire aussi bien lorsqu’on choisit ses kanji en écrivant de manière manuscrite, mais aussi pendant leur saisie. Dans ce deuxième cas, une aide directe est toujours envisageable lors de la frappe, grâce à une petite fenêtre qui fournit une explication sur les différentes nuances existantes. Si l’outil informatique vient en aide -‐ c’est son rôle -‐, il ne doit pas se substituer à l’intelligence humaine. Notre plus grande crainte reste donc que élèves ne comprennent pas qu’en étant toujours plus passifs, leurs connaissances seront moins riches, qu’elles se nourriront moins les unes et les autres, et qu’ils deviendront dépendants de la machine, et ne pourront que difficilement acquérir l’autonomie nécessaire, ou qu’ils aient une utilisation naïve de l’informatique, un peu comme l’usage abusif d’un dictionnaire, peut être un frein à l’apprentissage.
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Notre pratique passera sans doute à l’avenir par l’emploi de tablettes connectées à l’ordinateur principal de la classe, ce qui nous permettra d’être tous en interaction écrite, en plus de celle de l’oral. Cette possibilité nous est déjà offerte, de manière embryonnaire, grâce aux TBI [Tableau Blanc Interactif], elle se développera sans doute davantage. Notre rôle continuera nécessairement d’évoluer auprès des élèves, puisqu’ils ont un accès de plus en plus direct aux savoirs, sans passer par le professeur, il ne nous reste plus qu’à les guider au milieu de cette surabondance d’informations et de signes, de leur donner les outils nécessaires pour développer leur sens critique et leur autonomie. Cela nécessitera un gros investissement financier de la part des autorités, mais aussi de temps pour nous afin de réinvestir notre métier.
Naoko Sakurai (Université de Louvain) :
Pour résumer mon avis sur l’apprentissage des kanji, je considère qu’il y a trois objectifs et que des méthodes différentes peuvent être proposées selon les objectifs. Le premier objectif est de constituer un stock de connaissances idéographiques. Pour cela, la méthode traditionnelle, c’est-‐à-‐dire les exercices d’écriture, sont toujours très efficaces. Le deuxième objectif est d’aider à développer les stratégies de compréhension de kanji. L’acquisition des stratégies langagières est une clé pour pouvoir utiliser la langue de manière indépendante. De plus, chaque stratégie, comme la stratégie de compréhension de kanjis ou la stratégie de lecture sont fortement liées entre elles. Nous devons les développer tout au long du cursus par des activités variées. Il faut enfin aider les étudiants à trouver leur propre manière d’étudier les Kanji. Apprendre les kanji est finalement un travail constant et individuel. Les enseignants proposent le plus de manières possibles afin que chacun puisse trouver une façon qui lui convient le plus. Pour cela, j’organise des sessions dans lesquelles les étudiants peuvent partager entre eux leurs expériences et leurs opinions sur l’apprentissage des kanjis.
Tomoko Higashi (Université de Grenoble-‐Alpes) :
Pour résumer, je voudrais insister sur les points suivants. Le kanji n’est pas un objet à étudier à part, mais fait bel et bien partie de la compétence linguistique, qui est une composante de la compétence communicative. L’innovation technologique et numérique favorisera cet apprentissage. Cependant, pour exploiter pleinement ces possibilités, il faut un travail d’inspection, d’évaluation et de mise en commun des pratiques en amont… il nous manque encore des informations. Les étudiants peuvent bénéficier des supports numériques pour accomplir leur tâche langagière aussi. Mais la connaissance et la méta-‐connaissance sur les kanji, les règles fondamentales sur les kanji me semblent primordiales si les étudiants veulent être au moins utilisateurs indépendants de cette langue (CECRL B1) et souhaitent profiter pleinement des dispositifs numériques.
(Propos rassemblés par Jean Bazantay)
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Enseignement des kanji à l’INALCO
Sumie Terada, CEJ
1. Le programme de Kanji à l’INALCO
L’objectif des études japonaises chez nous est de former des spécialistes de la langue et de la culture japonaises, capables de jouer le rôle d’interface entre les deux cultures dans des domaines variés, que ce soit dans le domaine la recherche ou dans diverses voies professionnelles. Pour cette raison, le poids de l’écrit chez nous peut être plus important qu’ailleurs. Nous avons fixé à 1500 le nombre de kanji à apprendre sur 3 ans, qui se répartissent actuellement de la manière suivante :
Niveau Nombre par période A la fin de la période 1ère année 400 400 Vacances 86 2e année 387 873 Vacances 92 3e année 535 1500
Bien qu’on ne demande que la lecture pour les kanji appris après la 2e année (un peu plus de
600), le programme est lourd. Or, le volume horaire des cours n’est pas très important. L’apprentissage des kanji représente pour la première année 2 heures hebdomadaires, soit environ 15 % de l’ensemble des cours de langues et environ 10 % de la totalité du volume horaire de l’année. En 2e année, le volume horaire diminue (1h30 par semaine), et en 3e année, il n’y a pas de cours dédiés au kanji. Autrement dit, le travail individuel des étudiants joue un rôle capital. Les manuels sont conçus pour répondre à cette condition, et nous encadrons le travail des étudiants à l’aide de matériels pédagogiques, un accompagnement indispensable des manuels. Sur ce plan, la 2e année a pris un retard que nos collègues sont en train de rattraper.
Notre enseignement est donné dans un cadre universitaire dont une mission importante, sinon principale ces derniers temps, est de former l’esprit des étudiants, de développer leur capacité de réflexion. Dans un établissement comme le nôtre, où la part de l’apprentissage de la langue est importante (2/3 des cours pour la première année), les cours de langue doivent également répondre à cette exigence. Pour cette raison, le cours de kanji de la première année n’adopte pas une approche purement scolaire centrée sur le seul effort d’assimilation. Nous demandons aux étudiants de combiner deux manières de travailler : une approche analytique et synthétique, et l’apprentissage patient et répétitif, seule façon de maîtriser dans un court délai un nombre important de kanji. 2. Environnement et approche de l’enseignement Nous avons plus de 300 étudiants à la fin de la 1ère année et il y a donc une diversité de profils plus importante par rapport aux petites structures. Les manuels de kanji sont conçus pour répondre aussi bien aux besoins des étudiants qui demandent ou nécessitent le strict minimum et de ceux qui sont intéressés par des études approfondies. Des repères sont donnés pour indiquer les éléments prioritaires ou moins importants, et cette distinction devient plus importante à mesure que les étudiants progressent. Ils sont invités à structurer eux-mêmes leur apprentissage. Les manuels de kanji de la 1ère
à la 3e année sont dotés de repères afin de les aider à maîtriser le strict minimum sans les y enfermer. Ainsi, pour les kanji de la première année, les éléments précédés d’un triangle ne font pas
l’objet de contrôle. Ils sont donnés simplement par souci pédagogique. Ceux qui sont indiqués en-dessous d’une ligne pointillée ne font l’objet ni d’explication en cours ni de contrôles. Ces éléments sont néanmoins intégrés dans le manuel dans la perspective de l’apprentissage de la licence sur 3 ans. Nous présentons à la page suivante un extrait de la première leçon :
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Les manuels de la 2e et de la 3e années sont conçus selon le même principe, d’une manière
visuelle pour la 2e année, et avec un choix de mots précédés d’un astérisque pour le vocabulaire de la 3e année.
3. Principes de base
Dans l’enseignement des kanji, nous insistons sur deux principes fondamentaux, qui sont sans doute appliqués partout ailleurs. Il s’agit de ne jamais dissocier la forme, le son et le sens, en mettant l’accent sur le dernier élément, le sens, car celui-ci pose le plus de problèmes aux étudiants qui n’ont connu que l’écriture phonétique, et qui n’ont donc pas dans leur système d’écriture cette dernière case. Dans l’apprentissage des kanji, on a tendance à insister sur le côté graphique qui fascine les étudiants et qui est facilement intégrable à un programme informatisé. Mais à privilégier à l’excès cet aspect graphique, on risque d’éclipser la composante la plus intéressante et la plus difficile à assimiler des kanji, qui est leur sens.
Le 2e point important sur lequel nous insistons pour que les étudiants partent sur une bonne base, c’est de leur faire comprendre la différence qui existe entre les kanji tels quels et les kanji qui font partie des mots. Pour cela, nous utilisons un cahier.
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La partie en haut avec les cases de lecture grisées est réservée aux kanji tels quels. On demande aux étudiants de ne pas mettre la lecture à ce niveau, mais uniquement au niveau des mots, pour qu’ils comprennent que les kanji seuls sont des signes amorphes, avec un contour imprécis qui se précise seulement quand ils sont combinés avec d’autres éléments. Dans ce tableau, seuls font exception les kanji dont la case de lecture est signalée par une lettre suivie des signes prime ou double prime. Comprendre la différence entre 何 (d : sans lecture), un pur signe graphique, d’un côté, et 何 (d’ : nani) et 何 (d” : nan), notant des mots entiers, de l’autre, est le premier pas indispensable pour bien progresser dans l’apprentissage des kanji.
Pour sensibiliser les étudiants à l’importance de l’association de la forme, du son, et du sens, nous exploitons des mots qui ont une forme identique mais donnent des lectures différentes afin d’aiguiser l’intérêt pour le sens et pour les contextes. On utilise ce type d’exercice également pour la prise de conscience des problèmes de lecture, ce qui est en fin de compte la composante la plus difficile de l’apprentissage des kanji.
Suivant ce principe, on fait apprendre les kanji dans les mots qui ne contiennent pas d’éléments inconnus à la fin des leçons.
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La lecture « bun » à la leçon 4 est donnée avec indication (L 10). Cette lecture sera donc apprise dans la leçon 10 avec l’apprentissage du kanji 新. Et l’introduction décalée de cette lecture par rapport aux autres étudiées dans la leçon 4 est signalée dans la liste récapitulative donnée à la fin de la leçon 10, avec le kanji encadré pour le mettre en évidence. Les lectures hors programme comme « ka » pour 何, présenté plus haut, ne figurent pas dans la liste.
Sans entrer dans les détails sur l’approche analytique concernant les formes, signalons simplement que les types d’erreurs faites par les étudiants montrent qu’ils procèdent par un apprentissage synthétique, par combinaison des éléments qu’ils ont appris.
Nous signalons aux étudiants que la maîtrise des formes proches devient l’objectif premier du
2e semestre. Pour ce qui est du sens, nous encourageons également des approches raisonnées en nous
focalisant sur des points qui risquent de produire le plus d’erreurs étant donné le système de la langue française sur lequel les étudiants s’appuient intuitivement.
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Le premier mot 山国 est un cas typique. Beaucoup le traduisent par « montagne du pays » sur la base de la construction standard de la détermination en français, qui est la postposition du déterminant. Nous insistons que dans les composé, ce dont on parle occupe la dernière position du mot, autrement dit, quand on dit 山国, on ne parle pas de « montagne » 山, mais de « pays » 国. De même, pour les composés comme 動物園, on demande aux étudiants de découper correctement le mot, en insistant sur le fait que là aussi, on parle d’un type de « jardin » 園, et non d’« animaux » 動物.
Même si cela provoque des erreurs, nous encourageons les étudiants à chercher à comprendre les mots en activant les connaissances qu’ils ont acquises, tout en leur montrant les limites, et insistant sur la nécessité d’une vérification.
• Exemples des erreurs :
長男 : homme grand 水道 : voie navigable
• Exemples des sujets 人間は水力や火力で電力を作ります。
Voici des erreurs qu’on rencontre. Les étudiants savent dire correctement « homme grand » « 大きい男の人», donc forcément « 長男 » a un sens différent. Ils ont appris d’un autre côté que « 長 » a le sens de « chef », le premier d’un groupe, parmi les membres masculins à cause du second kanji 男, mais rien ne dit qu’il s’agit d’une famille. La formation du sens n’est donc pas si évidente, mais ce type de raisonnement aide à mémoriser les mots. Pour ce qui est de 水道 (canalisation), le contexte aide : on ne pensera pas aux bateaux quand il s’agit d’une installation dans un appartement ou dans une ville. Pour inciter des approches raisonnées, suite à la proposition de Mme Konuma, actuelle responsable de l’apprentissage des kanji de la première année, nous demandons lors des examens, que les étudiants sachent lire et traduire correctement quelques mots qu’ils n’ont pas appris. Dans la phrase donnée comme exemple, les étudiants n’ont appris ni 水力 ni 火力. La lecture ne pose pas de problème puisqu’ils savent que la modalité la plus fréquente des composés est la lecture on. Quant au sens, nous sommes exigeants pour le choix des mots, et par souci pédagogique nous n’acceptons que les traductions qui correspondent au contenu de la phrase : énergies hydraulique et thermique, et nous rejetons la réponse comme « force de feu » etc. qui pourraient être valables dans une histoire de la sorcellerie. 4. Formation des étudiants universitaires Le rôle d’interface entre deux cultures que les étudiants devront jouer après l’obtention du diplôme demande une compétence en français. Jusqu’aux années 90, les étudiants avaient un bon niveau de français, et il suffisait de leur enseigner seulement le japonais. Maintenant ce n’est malheureusement plus le cas. La remise au niveau du français n’est pas notre rôle, cependant nous tâchons d’améliorer leur capacité à trouver en français des mots équivalents en japonais, un travail de nature différente de la rédaction spontanée en français.
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Cela demande qu’on soit exigeant sur des choses simples et qu’on n’accepte pas la traduction d’un phrase comme : あの店でお茶を飲みましょう par « Allons boire un thé dans ce magasin » ou « dans cette boutique ». C’est pour cela que nous combinons exercices d’écriture, de lecture et de traduction, trois compétences qui correspondent aux trois composantes interdépendantes de l’apprentissage des kanji. 5. Kanji et nouvelle technologie • Dictionnaires électroniques et autres outils informatisés
Lorsqu’on apprend le français, après une année ou deux de cours, on peut commencer à lire Madame Bovary, en consultant beaucoup le dictionnaire et en s’aidant au besoin de la traduction pour les passages les plus difficiles. Avant l’ère des dictionnaires électroniques, c’était un rêve irréalisable pour l’apprentissage du japonais. Comme la lecture est le versant le plus difficile du kanji, chercher dans un dictionnaire l’entrée d’un mot comprenant des kanji pour en trouver le sens était un parcours du combattant. Ainsi les étudiants disaient qu’ils avaient bien travaillé quand ils avaient recherché les mots d’un texte dans leur dictionnaire. Grâce aux dictionnaires électroniques, ils peuvent maintenant se consacrer à un travail intellectuellement plus rémunérateur. Vive le dictionnaire électronique ! pourrait-on dire. Mais se pose inévitablement une question : à partir de quand faut-il l’introduire comme outil de travail ?
D’après ce que nous avons observé depuis quelques années, son utilisation dès la première année n’a que des effets néfastes. Car des erreurs que nous ne rencontrions pas précédemment sont en augmentation à cause de l’utilisation erronée de cet appareil. Voici deux exemples :
この町は公園も多いし → 大石
歯が痛みます。 → 葉が傷みます。 Il s’agit d’exercices d’écriture et de compréhension qui demandent de réécrire avec des kanji des phrases données entièrement en hiragana. Ces deux réponses présentent un même problème: elles comportent des kanji qui ne sont pas au programme : 石 et 傷み. Les étudiants ont dû rédiger leur réponse en recopiant l’écran de leur dictionnaire électronique sans bien comprendre ce qu’ils ont écrit. La suite incohérente de caractères « 公園も大石 » le suggère. Autrement dit, l’emploi sauvage des dictionnaires électroniques favorise un comportement désastreux pour ceux qui commencent à apprendre une langue. Ce geste dépourvu de sens donne aux étudiants l’illusion d’avoir fait quelque chose mais en réalité sape les bases d’un apprentissage progressif et raisonné des kanji. Si les étudiants vont au gré de ce qu’affiche l’écran, ils se noieront très vite dans l’océan des kanji étant donné le grand nombre d’homophones. Pour pouvoir se servir avec intelligence d’un dictionnaire électronique, il faut avoir atteint un niveau de base solide permettant de faire des choix appropriés, niveau qu’on pourrait situer par exemple au 2e semestre de L2. • Usage de l’écran
C’est naturellement très utile d’enseigner avec un système comme PPT, qui permet de structurer visuellement les cours, de les enrichir de données variées, comme les formes étymologiques de kanji intéressantes à montrer, de concentrer l’attention des élèves... Il ne faudrait cependant pas considérer cet outil comme une panacée. On n’a pas vu de différence dans le résultat final de première année entre les groupes qui ont appris les kanji avec PPT et ceux qui l’on fait sans PPT, sans doute parce qu’une clarté visuelle moindre est compensée par la démonstration corporelle des enseignants. Or pour les étudiants, cette dimension corporelle est primordiale dans l’apprentissage des kanji. On peut dire oui à l’écran dans la mesure où celui-ci ne chasse pas l’appropriation des kanji par la main.
Toutes ces considérations révèlent une richesse de domaines qu’embrasse l’apprentissage des kanji qui mobilise d’une manière équilibrée le corps et l’intellect. L’enseignement à l’INALCO qui évoluera avec les étudiants est un exemple de tentative qui cherche à associer ces divers aspects