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1327 Ste-Catherine, OuestMontréal, H3G 1P7tél. : 844-1721

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Librairies Classic

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Et très bientôt: ouverture de Fleur de Lys, Québec

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La vie en rose est éditée par lesProductions des années 80,corporation sans but lucratif etest insérée au coeur de la revueLe Temps Fou

ÉQUIPE DE PRODUCTIONSylvie DupontFrançoise GuénetteAriane EmondLise MoisanFrancine PelletierClaudine Vivier

COLLABORATIONS :Textes

Nicole LacelleGinette LorangerCamille Raymond

PhotographiesAnne de Guise

IllustrationsAndrée BrochuGinette LorangerNicole MorissetTanguay

Conception graphiqueArabelleDiane Petit

Correction d'épreuves :Suzanne BergeronSylvie Dupont

PhotomécaniqueLes Ateliers du Temps Fou

CompositionComposition Solidaire

CoordinationFrancine Pelletier

FinancesLouise DesmaraisSuzanne DucasLise Moisan

Publicité :Claude KrynskiLouise Legault

Permanence :Ariane Emond

On peut nous rejoindre pen-dant les heures normales debureau au 4329 Henri-Julien,Montréal H2W 2K7 ou en télé-phonant au (514) 842-7420.

Dépôt légal Bibliothèque Nationaledu Québec ISSN 0705-694XCourrier de deuxième classe 4292Juin-Juillet-Août 1980

Sommaire

10

1213

1416

16

17

19

1922

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Éditorial : La guerre, no sir

Dernière heure référendum

De la poêle à frire jusqu'à la ligne de feu/ClaudineVivierÀ partir d'une entrevue avec l'équipe de recherche, unaperçu d'un livre passionnant à paraître bientôt auxEditions du Remue-Ménage, explorant le rôle desQuébécoises durant les années de guerre 39-45. Unflashback spectaculaire sur la récupération du travaildes femmes.

Les doutes de la lieutenant-colonel Flynn/FrançoiseGuénetteDirectement du futur, l'armée est devenue une« affaire de femmes ».

La vie en rose : revue cochonne?/

Test en Rose/Francoise Guénette, CamilleRaymondDécouvrez votre quotient érotique.

Centerfold érotique/Nicole MorissetUne première qui aura sûrement ses suites.

De Bataille à Morisset/Françoise GuénetteUne entrevue avec l'auteur très controversée du Cen-terfold érotique, Nicole Morisset, disciple avouée deGeorges Bataille.

Blues sur un air de rupture/Ginette LorangerUn dessin et un récit parfaitement cochons.

Souvenir de vacances I/Francine PelletierL'été, l'évasion, la campagne... et peut-être se fairevioler. Une réflexion sur la « guerre » des sexes. À nepas lire seule la nuit.

Souvenir de vacances Il/Nicole LacelleL'été, l'évasion, la campagne... une voix en contre-point au texte précédent.

Nous, les femmes, nous n'irons pas à la guerre/Fran-cine Pelletier.

Les armes féminines contre Bell Canada/SylvieDupontLa petite histoire d'une grève pas tout à fait commeles autres.

Journal intime et politique/Ariane EmondÀ l'instar de la revue féministe française, « Histoired'Elles », à chaque parution l'une d'entre nous livrequelques pages de son journal.

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Éditorial

la guerre, no sirAvec l'hiver, la guerre froide est revenue...Le ronron de la détente, des accords

SALT, de la coexistence pacifique s'estétouffé sur un os : l'URSS usurpe le rôle degendarme du monde que les USA jouaientdepuis si longtemps, et les Iraniens deviennenttrop baveux.

À l'ordre du jour, la Troisième... celle queça nous prenait, selon ceux et celles quivoulaient nous dresser, pour nous mettre dansle rang ; celle dont nous menaçaient prophèteset gourous amateurs d'apocalypse ; celle quenous promettaient depuis longtemps, opti-mistes, nos idéologues mao-staliniens.

Février est déjà loin. La flambée des grostitres alarmistes, le climat d'avant-guerre,énervant, soudainement recréé par la magiedes média, nous les avons déjà presqu'oubliés.Les retombées existent pourtant. Entémoignent les propos revanchards contrel'Iran ou les Russes, surpris dans le métro, lesrestaurants, les taxis... En témoignent aussiles débats sur la conscription des femmes, surles positions multiples des féministesnord-américaines vis-à-vis l'armée, la guerre.

La guerre, ça passe à la T. V., c'est toujoursloin, ça n'est pas la nôtre : qui se préoccupe duTchad, du Cambodge, du Salvador? De laguerre mondiale ici, au Québec, on n'a connuque les hommes qui partent, qui reviennentmaganés ou ne reviennent pas, le rationne-ment très relatif, le débat sur la conscription,les victoires dans les vieux pays, au loin... Del'armée, aujourd'hui, on ne connaît que lesgentils cadets qui font leur jogging disciplinéau parc Jeanne-Mance, et le souvenir tendud'Octobre '70.

Jusqu'à quel point les Québécoises et lesQuébécois seront-ils mobilisables pourdéfendre « LEUR » MODE DE VIE,« LEUR » PÉTROLE, puisque ce sont là lesenjeux qu'on leur présente dans le conflit àvenir? La bonne vieille tradition denon-engagement et d'anti-conscription

va-t-elle encore jouer? C'est qu'il ne faut pasla confondre avec une tradition anti-guerre ouanti-militariste. S'il est vrai que l'identitéquébécoise s'est énormément consolidéedepuis la dernière guerre, elle s'est aussiélargie. Plus que jamais nous nous identifionséconomiquement et culturellement commeNord-Américain/e/s.

Dans le livre de Geneviève Auger et deRaymonde Lamothe (voir l'article en page 6),sur le vécu des Québécoises pendant ladernière guerre, les femmes elles-mêmesracontent combien l'atmosphère de fébrilitéet d'urgence qui régnait en 1942 étaitcontagieuse. Il était difficile d'échapper àl'attrait de l'effort collectif de guerre. La«> bonne cause •• et bien d'autres appâtsfinissaient par mobiliser même un Québecrécalcitrant.

Pendant la dernière guerre, de 40 à 45, on aaccordé aux femmes une « permission >• trèsprovisoire pour obtenir leur participationmassive : accès au travail salarié, garderies,reconnaissance soudaine de leur impor-tance économique. Ce marchandage de lasoi-disant égalité, Carter vient de le ressortiren proposant la conscription des femmes.Nous ne voulons ni conscription ni « permis-sion ».

Depuis plus de dix ans, nous avons apprisce que signifie se battre pour nos propresintérêts. Dans nos cuisines, dans nos lits, autravail, tant seules qu'avec d'autres femmes,nous avons goûté à la satisfaction qui endécoule. Nous n'allons pas maintenantsuccomber au chantage des « grandescauses », des intérêts « supérieurs » de laraison d'État. Et si nous luttons avec tantd'acharnement pour surmonter nos proprespeurs, ce n'est pas pour se laisser embarquerdans la plus grande entreprise de peur qui soit.

L.M./C.V.pour l'équipe de production

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20 mai, 1980

Quelques femmesdevant la télévision

Tout le tétage de la gauche me fait chier!I 1 restait presque plus rien à la question et

pourtant la question a été rejetée. C'est pourdire combien la question de Reich reste la meil-leure : "En période de famine, il ne faut pas sedemander pourquoi un enfant vole du pain maispourquoi tous les enfants ne sont pas en trainde voler." N.L.

J'étais excitée à cause du moment collectif , dela passion, du suspense, de la lutte du petitcontre le gros. Je retourne à mes affaires maisje suis désolée. P.P.

Ca m'écoeure à cause de ce que ça signifie commerapport de force politique à venir... c'est commese faire rappeler qui détient l'autorité.

Ce qui me désespère, c'est l'ignorance et lacon fusion sous-jacente au déroulement du Réfé-rendum. On ne connait même pas notre propre his-

toire. R.L.

Les nombreuses tergiversations de la gauche etnos réticences pudiques de féministes ont con-tribué, quelque part, à ce qu'une majorité fran-cophone choisisse de se rassoir dans sa pissechaude. Ça laisse un mauvais goût dans la bouche.

F.P.

dans la nuit . . .Nous sommes tr i s tes . Une tristesse qui débordelargement toutes nos analyses. Nous sommes in-finiment plus tr istes que nous l'imaginionsmême aux Jours des pires sondages. Passe même latentation de laisser à l'imprimeur le soin derecouvrir entièrement cet espace d'encre noir.

Le NON gagne, on a perdu. A prendre le OUI pouracquis, on a vendu la peau de Ryan avant de l'a-vo ir . . . Jusqu'à l'affaire des Yvette, notremarginalité bien-pensante nous a fait faire lasourde oreil le aux discours de droite. Nous a-vons cru que leur grossièreté aurait le mêmeeffet sur les autres que sur nous.

Durham aurait dû dire "Un peuple qui ne se sou-vient jamais de son h i s to ire . . ." Du down de l'a-pres-Octobre jusqu'à il y a quelques semaines,accaparées par tant d'autres luttes et agacéespar un certain nationalisme borné, nous avonsabandonné à un gouvernement la "question natio-nale", oubliant que nous avions, là aussi, énor-mément d'intérêts à défendre.

Après la Réponse, une question s'impose. Commentavons-nous pu mal comprendre ce qui était en jeuet ce qui se passait au point de nous payer jus-que sur les derniers milles le luxe d'un OUI sicritique que presque muet? Cette désinvolturebien "de gauche" a tellement souvent ouvert laporte à la droite qu'il est maintenant impossi-ble de s'en laver les mains sans inconscience.

L'équipe de production

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De lapoêle à frirejusqu'àla ligne de feu

L'image des femmes véhiculée dans lesannonces publicitaires, on connaît. Qu'ondécide de faire marche arrière pour voir si cetteimagerie a changé depuis cinquante ans et onrisque d'être un peu déçues par la constance etl'uniformité des messages. Seule variante : lapériode 1939-1945. Changement de cap etmobilisation générale. On adresse alors auxfemmes une toute autre image d'elles-mêmes,on a besoin d'elles pour l'effort national et ellesentrent dans l'Histore... pour en ressortir dès1945.

C'est cet itinéraire qu'ont suivi RaymondeLamothe et Geneviève Auger dans unerecherche qu'elles vont bientôt publier auxÉditions du Remue-Ménage sous le titrecrépitant « De la poêle à frire jusqu'à la ligne defeu ». Ce titre elles ne l'ont pas inventé. Ellesl'ont piqué dans une annonce du ministère desServices nationaux de guerre de 1943 quiexhortait les ménagères à récupérer la graissepour la fabrication de nitro-glycérine. Commequoi le travail ménager peut devenir explosif../

SERMENT DE GUERREDE LA MENAGERE

1—Je prendrai soin de

ce que j'ai

2 —Je n'achèterai que

ce qu'il faut

3—ie dépenserai avec

discernement

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Le livre est construit à partir du titre : ilparle des ménagères, des bénévoles, desouvrières, et à la ligne de feu, des femmes duservice actif. Il aborde surtout la viequotidienne des femmes, la façon dont elles ontété mobilisées dans l'effort de guere, commentelles ont vécu cette période. Leur rôle et leursexpériences sont bien sûr restés invisibles dans

• les ouvrages historiques respectables quitraitent de la guerre. La recherche s'est doncbasée sur toutes les publications de l'époque,journaux et périodiques et sur des témoignagestrès diversifiés, recueillis grâce à des appelsdans les journaux, à la TV et à la radio : desfemmes qui étaient ménagères, infirmières,aviatrices, ouvrières d'usine, syndicalistes etmême certaines femmes occupant des postes-clefs dans l'organisation de l'effort de guerre,ont répondu à l'appel.

Les belles mécaniciennes

L'essor économique apporté par la guerremet fin à la crise. Le gouvernement charge le

Service national sélectif de planifier lamain-d'oeuvre. Au début, les hommes sont ennombre suffisant pour répondre aux besoinsdes usines, mais dès 1942, on doit faire appelaux femmes.

Malgré les réticences et la contre-propa-gande du clergé et de l'élite nationalistequébécoise, terriblement inquiets de voir lesfemmes sortir des maisons, un grand nombrede femmes envahiront le marché du travailsalarié. Il faut dire qu'on y met le paquet : lapublicité sur les joies du travail pour lesfemmes bat son plein. Apparaît sur lesannonces la belle mécanicienne aux mainsblanches. On joue sur le renversement desrôles, sur le côté « libérateur » et socialementutile de jobs dont jusque là, les femmes étaientexclues. De fait, il y aura des femmes livreusesde pain, factrices (en Ontario), conductricesd'autobus, peintres au fusil, mécaniciennes,travailleuses dans les mines etc.. Mais elles neseront pas toutes, loin de là, bénéficiaires dejobs aussi « valorisantes ». La plupart seretrouveront dans des positions non-spéciali-sées, style remplisseuses d'obus dans les usinesde munitions, usines où bien évidemment lespostes de direction demeurent aux mains deshommes. Les femmes étant habituées auxtâches monotones et répétitives, c'est bien

Le concours de Miss Travailleuse de Guerre 1943.

On disait que les femmes étaient toutes désignées pour remplir lesobus dans les usines de guerre, étant donné leur grande patience etleur aptitude aux tâches monotones.

A l'usine comme à la maison, les femmes pédalaient à leur machinea coudre.

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connu, la propagande en fait un atoutsupplémentaire : vous serez excellentes pourremplir les obus. La docilité, le manqued'initiative deviennent des facteurs positifspour attirer les femmes sur le marché dutravail. On ira même jusqu'à prétendre que letravail en usine est moins dangereux que letravail ménager, dont on se met en mêmetemps à reconnaître l'existence.

Et les femmes entreront à l'usine. Il fautdire que l'attrait des salaires confortables y estpour beaucoup. On sort de la crise. On peutaussi facilement imaginer l'émancipation quele travail peut représenter pour des femmesjeunes, issues bien souvent du milieu rural :arriver en ville, avoir une chambre à soi, unsalaire, pouvoir sortir en gang avec les filles del'atelier... On créera aussi des garderies,quoiqu'elles se développeront peu au Québec àcause des pressions terrorisantes des milieuxcatholiques.

L'intérêt stratégique du travail ménager :« Mme Morin bombarde Berlin »

Aux ménagères, on commence par adresserd'abord des appels au rationnement volontairepour juguler le boom inflationniste (il y a à cemoment une montée en flèche du pouvoird'achat). Plus tard, on les intégrera dans

T I M B R E SD'EPARGNE

GUERREl'effort gouvernemental de contrôle des prix,de réduction de la consommation et derationalisation des logements. Les prix étantofficiellement bloqués à partir de 1941, on leurdistribue des formulaires énumérant desarticles jugés prioritaires et elles doiventvérifier si les commerçants respectent les prixfixés par le gouvernement et dénoncer ceux quine le font pas. L'intérêt de l'Etat coïncide aveccelui du porte-monnaie, et les ménagères ontl'impression de participer directement auxpolitiques économiques du gouvernement.

« Le budget de la ménagère influe sur lebudget national », clame la propagande. Lemoindre effort pour économiser, pour recyclerles vieux vêtements contribue stratégiquementà la victoire. On leur donne aussi des conseilsau niveau de l'alimentation : nourriture à basede lait quand leurs hommes travaillent dans lesusines de munitions pour prévenir lesempoisonnements par les produits chimiquesentrant dans la fabrication des obus. On leurdemande de louer des chambres pour loger lestravailleurs venus des campagnes et lesmilitaires de passage. Les cuisines apparaissentsoudain sur la map : c'est d'elles que dépendl'entretien d'une main-d'oeuvre productive etd'une chair à canon en santé.

Et les femmes embarquent, se mettent àparticiper bénévolement à toute cetteentreprise. Elles économisent, achètent desBons de la Victoire (l'équivalent de nosobligations d'épargne) pour soutenir financiè-rement le pays, collaborent aux mesures derationnement. Le travail bénévole se fait en

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fonction des besoins de l'armée : confection debas, mitaines, pansements, etc...

Pour contrôler cet énorme effort desfemmes, le gouvernement a mis sur pied desstructures, et créé une sorte de super-ministèredu travail ménager, la Commission des prix etdu commerce en temps de guerre. Autour desbureaux de cette commission, s'est organisé unréseau de comités bénévoles de femmesappliquant les mesures gouvernementales auniveau de la consommation, du rationnement(distribution de coupons), du logement, de laconservation des tissus et des vêtements. Lamode se met à participer à cet élan : les jupesraccourcissent par souci d'économie, tailler dunouveau dans du vieux devient dernier cri, lestyle militaire est roi. L'atmosphère généraleest fébrile, active : on ne peut pas rester àl'écart du mouvement. Les journaux québécoisont beau dénoncer le « dévergondage », lapromiscuité avec les hommes en usine ou àl'armée, le scandale des garderies, accuser lefédéral de proposer l'« aventure » aux femmes,cela ne suffit pas pour freiner l'impulsion.

<< C'était le printemps de ma vie »

Le plus frappant dans les témoignagesrecueillis auprès des femmes qui ont vécu laguerre, c'est l'excellent souvenir qu'elles engardent généralement. La guerre apportait laprospérité économique après dix ans de crise,elle permettait aux femmes de sortir de lafamille, surtout les jeunes, de se retrouverfinancièrement autonomes, d'avoir l'impres-

sion de participer directement à l'énorme effortcollectif contribuant à la victoire finale sur lemonstre nazi. Les jeunes femmes travaillantcomme domestiques quittaient les maisonsbourgeoises pour aller s'embaucher en usine etpouvoir se payer les mêmes cols de renard queleurs anciennes patronnes ; celles-ci ontd'ailleurs très vite abandonné cette modevestimentaire devenue soudainement démo-cratique. Pour celles qui s'enrôlaient, celasignifiait quitter sa paroisse, se mettre àapprendre l'anglais, voyager, aller enAngleterre, participer aux offensives commeen Sicile, sans cependant se rendre jusqu'aufront ; tous ces bouleversements devaientparaître pas mal plus excitants que laperspective du mariage.

Ce que le livre s'attache le plus à mettre enévidence, c'est le rôle de révélateur qu'a pujouer toute la période de la guerre surl'importance des femmes et de leur travail.Parce que la guerre est un moment de crise, lesfemmes acquièrent une importance qu'on neleur accorde pas autrement : elles doiventremplacer les hommes dans le milieu dutravail, on leur demande de collaborer àl'effort de guerre en reconnaissant la valeur detoute leur activité sociale, que ce soit le travailménager, le bénévolat, le travail salarié. Ellesdeviennent partie prenante de l'entreprisegénérale d'une nation en guerre. Quandviendra le temps de la démobilisation, il leurfaudra abandonner toutes leurs illusions etredevenir invisibles. *

Claudine Vivier

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les doutesde lalieutenant-colonelFlynn

Quand la lieutenant-colonel Dorothée Flynnsortit de son baraquement ce matin-là, elle sentitque cette journée du 21 mai 2008 serait en quelquesorte particulière. Son « intuition féminine » le luidictait. Elle sourit, les pieds dans la poussière et lesyeux fixés sur l'horizon poudroyant (derrière cescollines bleutées, frissonnantes dans la chaleurnaissantes, Val d'Or et la civilisation). Après 26 ansde discipline militaire et quelques médailles, elle sefiait donc toujours à son intuition ! Décidément,l'armée ne réussirait jamais à modifier lecomportement des femmes.

Elle le constatait chaque jour davantage, depuisson affectation au camp d'entraînement de RivièreHéva, comme responsable de la formationstratégique spécialisée des « bleus ». Les coursétaient mixtes, bien sûr, mais depuis qu'il y avaitplus de femmes recrues que d'hommes, l'enseigne-ment lui-même avait tellement changé ! Elle essayade se rappeler à quelle époque s'était produite

l'inversion... 1993, 1994?... une quinzaine d'annéesaprès la première annonce, alors jugée scandaleuse,du recrutement des femmes américaines par lePrésident Carter, et probablement juste après lagrande campagne de recrutement menée par LisePayette et Lise Bissonnette sous le thème — ellericana en y repensant — « Aux armes, lesYvettes »... C'est-à-dire... combien? 7 ans après le« OUI » au quatrième référendum sur l'Indépen-dance nationale. Oh oui, comme les choses avaientévolué depuis !

Qui aurait cru, à l'époque, qu'on en arriverait àla situation actuelle? Une armée de femmesentraînées, reconnues comme les meilleurs soldatsde combat de la Grande Alliance Atlantique(depuis surtout l'intervention-commando auGroënland de mai 2006), redoutées jusqu'auxconfins de la Chine Unifiée, les « Amazones »,comme les appelait la presse soviétique !

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Elle songea que cette réputation à peineexagérée de l'Armée du Québec Indépendant venaitde la remarquable cohésion des t roupes ,relativement réduites, comparée aux armadashétérogènes des forces américaines et européennes.Cohésion et féminisme, bien sûr, et tous les expertsmilitaires le reconnaissaient à contrecoeur : seulensemble militaire composé majoritairement defemmes — à 64 % — de tous les corps occidentaux,l'Armée québécoise avec ses 350 000 soldats et sonpalmarès de victoires, était unique en son genre —etle meilleur exemple du féminisme conquérant de lafin du 20e siècle. (Pourtant, certaines femmess'étaient si farouchement opposées à la militarisa-tion dans les années 80. Dorothée s'en souvenaittoujours avec étonnement).

Dans un coin de la grande cour, on hissait lefleurdelysé et Dorothée pensa, avec un peud'anxiété, que ce jour anniversaire de l'Indépen-dance nationale serait probablement ponctué dansles villes du Sud de quelques attentats desgroupuscules fédéro-fascistes. Ici, au camp deRivière Héva, perdu en Abitibi, il ne se passeraitrien, évidemment... Quelques discussions enflam-mées dans les dortoirs entre les bleus nationalisteset les fédéralistes, attisées par les propos corrosifsdes néo-marxistes sakharoviens, les « saks », riende grave, bien sûr, rien de comparable auxmanifestations « anti-conscription » du printempsdernier.

Et Dorothée, tout à coup, sentit son coeur seserrer ; Jean-François aurait bientôt 18 ans. Il avaitdéjà reçu son formulaire de mobilisation et...n'avait pas l'intention de le remplir, d'après ce queRobert lui avait dit la veille. Pauvre Robie ! Il avaitmême pris la peine de lui téléphoner, nerveux,presque hystérique (serait-il de nouveau dépres-sif?), pour lui annoncer la mauvaise nouvelle : sonpropre fils, l'enfant cadet de la lieutenant-colonelDorothée Flynn, avait l'intention de se porterobjecteur de conscience, absolument résolu à ne pasfaire son service militaire.

Dorothée pensa que cela n'aiderait sûrementpas à son avancement. Mais à 54 ans et à 8 mois dela retraite, elle s'en fichait... Le manque d'ambitionétait une des choses les plus fréquemmentreprochées aux femmes militaires de la premièregénération, comme elle. Les jeunes avaient bienrattrapé le temps perdu depuis. Son esprit revint àJean-François et elle se prépara à la discussionqu'elle devrait avoir avec lui, à sa prochainepermission, fin mai.

Elle se sentait si facilement coupable devant sonfils (alors que l'éducation des filles lui avait, plus tôt,semblé facile) ; ne lui avait-il pas déjà reproché — à12-13 ans — de l'avoir abandonné, d'être une« mauvaise mère »?

C'était à son retour de Malaisie, après 18 moisd'une campagne harassante. Elle était rentrée aupays fière d'elle, décorée de l'Ordre de RenéLévesque — elle y croyait tellement à l'époque — etau lieu des baisers et de l'admiration, elle avaitretrouvé son mari, Robert, en pleine dépressionnerveuse et son plus jeune fils révolté. Ça avait étéun dur moment.

Maintenant, heureusement, le climat était plusserein. Elle parlerait avec Jean-François. Elle luidirait qu'elle approuvait son pacifisme radical, qu'ilavait raison, et même qu'elle l'aiderait s'il le voulaità passer aux Etats-Unis... Avec son tempéramentd'artiste frondeur, il n'avait rien à faire ici, dans cegenre d'enceinte poussiéreuse, à se plier à ladiscipline militaire. Et puis, pensa-t-elle, avec unarrière-goût d'amertume, l'Armée et la guerreétaient devenues des affaires de femmes.

Et la lieutenant-colonel Flynn, détachant sonregard fatigué des collines frissonnantes dans lachaleur naissante, tourna les talons et retournadans son baraquement chercher sa casquettegalonnée, pour la cérémonie d'honneur. *

Françoise Guénette

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La vie en rose

revuecochonne?

Ça n'a pas été facile. On ne devient pas une revue cochonnedu jour au lendemain. D'ailleurs, beaucoup de ce que nousannoncions dans notre célèbre « teaser » ' — le désird'outrepasser, de déborder, d'enjamber les ghettos, d'appeler àl'imaginaire, d'être excessives — sont choses plus faciles à direqu'à réaliser, il a bien fallu s'en rendre compte. En ce sens, onpeut dire que nous avons vécu notre premier grand test au sujetde l'érotisme. Nous ne l'avions pas vu venir, celui-là, et nousnous retrouvions tout à fait démunies devant cette questionencore tabou parmi nous. Le cul nous a fait peur.

La vie en rose pourait-elle publier le dessin qu'elle avaitcommandé de plein gré à une copine passionnée pour en faireson premier et percutant Centerfold érotique ?2 Alors que nousne nous entendions sur rien. Était-ce érotique ou non? Était-cefinalement pertinent qu'il le soit? La merveilleuse ambiguïté dudessin l'emportait-elle sur l'image de la contrainte et surl'inévitable bataclan du sado-masochisme, avec ses conjurationsde femmes passives, soumises, victimes... ? L'intolérable spectredu « ah-ah, vous voyez, vous aimez ça, vous le recréez mêmeparmi vous... » nous hantait particulièrement, flap-flappantau-dessus de nos têtes. Car ce dessin choquant, troublant — il yavait au moins unanimité là-dessus — une fois publié, affiché,serait la vitrine de La vie en rose, qu'il faudrait endosser,expliquer, replacer dans un contexte inconnu du lecteur etlectrice innocent/e/s. De plus ce fameux dessin, au coeur de nosmaigres 24 pages, ferait probablement exploser tout le reste ducontenu en autant de petites miettes insignifiantes. Nous nousarrachions les cheveux, partagées entre la liberté d'expression etla provocation (auxquelles nous prétendions tellement), d'unepart et, d'autre part, la responsabilité collective et la mise auclair.

C'est avec un mélange de trépidation et de soulagement quenous présentons ENFIN le Centerfold érotique de NicoleMorisset. Il est lui-même l'aboutissement d'une démarche qui -n'a pas été sans vacillations et métamorphoses comme vouspouvez le constater. C'est ainsi, finalement, que La vie en roseentame, avec optimisme et crampes d'estomac, une rechercheécrite et dessinée sur l'érotisme des femmes. Le défi vous estlancé. Il y a des tas de fantasmes, de clichés, de mythes qui nousattendent. Nous ne voulons surtout rien cacher et puis nousexploserons bien, s'il le faut. *

La vie en rose

1) Voir Le Temps Fou, numéro 8.

2) La parution de ce dessin était prévue, initialement, pour notrepremier numéro : mars 80. À noter que l'esquisse qu'elle nous avait alorssoumise et qui déclencha des discussions enflammées, est la Je.

1ère ÉTAPE (Esquisse que personne n'a vue)

Après avoir trouvé le geste-thème (l'abandon), je cherchai du côté dessituations peu communes, histoire de surprendre un peu À mon avis,l'état de surprise a toujours quelque chose d'excitant. Même si le contactreprésenté ici est plutôt conventionnel (hétérosexuel), la différence d'âgeentre les personnages peut toutefois éveiller l'imagination Sans doute lesai-je placés sur un petit bureau bien droit pour suggérer qu'en amour,l'inconfort peut avoir des propriétés stimulantes. Quant a la flûte deChampagne renversée, elle laisse supposer qu'ils sont tombés (comme ontombe en famille), dans un excès de griserie

2ème ÉTAPE (Esquisse montrée officieusement i quelques membres del'équipe)

De la griserie à la volupté il n'y a qu'un pas. j'ai pensé qu'en les installantplus confortablement, ils auraient l'air de se « consacrer - davantage à ladouceur de vivre et moins de satisfaire une cupidité à la sauvette

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3ème ÉTAPE (Esquisse présentée officiellement au comité de lecture)

Comme on me reprochait les ficelles, à cause des relations de pouvoirhomme-femme, j'ai cru égaliser les forces en remplaçant le vieux monsieurpar une dame bien. Mais la teinte sado-masochiste continuait d'obscurcirla vérité que j'essayais de traduire par cette image. Pour moi il s'agit d'uneentente basée sur le désir de vivre des émotions extrêmes. Comme on peutcélébrer l'été en se laissant pénétrer (« prendre » ) totalement par lesrayons du soleil, l'une a choisi une position dans laquelle elle ne peut rienfaire, autre que de jouir des caresses de sa complice, qui, en retour, acceptede ne rien faire, autre que d'irradier. Moi je sais que demain, parmi milleinventions, elles inverseront les rôles. Les masques, qui leur permettentd'oublier qui elles sont, la pêche, qui comble un désir d'être rempliejusqu'au bord et peut-être aussi celui d'éviter toute parole inutile, enfin lesfameuses cordes, preuve d'une inertie complète, sont autant d'artifices quiéclairent le sens du grand jeu qu'elles proposent : aimer et être aimée à lalimite du possible.

4eme ÉTAPE (le Centerfold, présenté comme dessin final, a prendre ou alaisser. Pendant que l'équipe discutait, j'évoluais de mon côté, de sorte que letemps nous manquant, ce dessin ne fut jamais officiellement soumis à l'oeilvigilant de l'équipe éditoriale.

Les cordes étaient tellement chargées d'émotivité que je les ai convertiesen ce bout de corps, tout aussi condamné à l'inertie, qui ne sacrifie doncrien d'essentiel au scénario. À la résistance irrationnelle j'ai répondu par lefantastique, et si l'image y a perdu en provocation elle y a gagné endérision. Laisser perplexe, n'est-ce pas le singulier mérite de tout ce quifinit en queue de poisson?...

Nicole Morisset

Le test

DÉCOUVREZ VOTRE QUOTIENT EROTIQUE

1,— Sérieusement, que voyez-vous dans le dessinde la page suivante?

Une scène— d'amour— d'abandon— de masochisme— de sadisme— de torture— d'érotisme— de jeu

2.— De qui ou de quoi s'agit-il?— d'un homme et d'une femme— de deux femmes— d'un homme et d'un travesti— d'une femme et d'un poisson— d'un homme et d'une poupée gonflable— d'une femme et son fantasme- d'un homme et son péché

en rose

— d'un fauteuil encombré— d'un Québécois regardant la Soirée duhockey avec sa blonde

3.— Trouvez-vous cela :— platte— dégoûtant— misogyne— troublant— excitant— bandant ou mouillant— flyé— symbolique

4.— L'avez-vous déjà fait?— jamais, mais je ne dis pas non— une fois... de trop— souvent, petite, avec ma mère (mon père.mon chat)— pas encore assez. Hummmmm...

F.G./C.R.

LA VIE EN ROSE, juin 1980 / 13

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Elle vint vers moi et dit : « Prenez-moi.Faites en sorte qu'aucune partie de moi-mêmene puisse résister au plaisir.Au plaisir d'être...

La Vie e

CENTE

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Comme le fruit s'abandonne aux lèvres,je remets ma vie entre vos mains.»

À l'époque,je saisissais mal ce langage..

RFOLD

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De Bataille... à MorissetJe ne me ferai pas ficeler. (C'est trop long...)

Mais j'ai connu de ces moments.

Nicole Morisset a plus de 30 ans. L'âge qu'ilfaut, d'après elle, pour découvrir l'érotisme.L'érotisme tel qu'il est vraiment, « désembourbédes illusions romantiques, dégagé de la gangue del'amour fou qui l'avait jusque là émoussé. »

Pourquoi a-t-elle entamé cette recherche ? Parcequ'un jour, discutant avec un copain, elle réalisa etdéplora la double absence au Québec deslittératures d'érotisme et de science-fiction,« preuve de l'immaturité d'un peuple », et voulutcommencer à corriger une de ces lacunes. Ce quil'entraîna, de livre en livre, de Bataille à Nabokov,sous l'oeil bienveillant de l'éditeur Jean-JacquesPauvert, puis d'images en images, des fresquesambiguës de la grotte de Lascaux aux toiles desgrands maîtres, à chercher et trouver desreprésentations de l'érotisme presque toujourshétérosexuelles, incomplètes, conformistes.Derrière l'imagerie traditionnelle, il y avait

cependant le rappel des grandes émotions, ce lieuoù l'érotisme rejoint la mort.

Mais pourquoi y avait-il dans toute l'imagerielue, illustrée et vécue, une telle « atrophie del'imaginaire »? « On ne fait pas assez appel au jeu, àl'imaginaire. Comme le reste de nos rapportssociaux, nos gestes érotiques sont d'une banalitéterrible... J'ai voulu faire un dessin choquant etcochon, qui m'exciterait moi-même, mais c'estdifficile d'être cochonne quand on a tendance àsublimer ! J'avais le désir d'être charnelle, préciseplus que suggestive (comme le sont souvent les raresdessins érotiques). »

« La situation s'est vite imposée, mais le dessinchangeait. Par le contraste d'âge, la nouveauté, jevoulais montrer l'importance du jeu dans une scèned'abandon. D'abandon pas de masochisme. Je necomprends pas qu'on ait pu l'interpréterautrement. Les mots veulent dire quoi? Quesavons-nous personnellement du sado-maso-chisme? » *

propos recueillis par Françoise Guénette

Midi vingt, elle tourne la clef,ouvre la porte et bute sur unepetite enveloppe brune. Ellepile toujours sur sa malle enrentrant chez elle. L'envelop-pe à l'envers dégage un petitair de lettre personnelle quilui rappelle qu'elle avaitarrêté d'attendre depuis aumoins un jour et quart.L'espoir, avec sa seconde detremblement et de défail-lance, lui noue les tripes siviolemment qu'elle reste là,debout, à regarder l'enve-loppe à ses pieds. Puis, sûred'elle, elle se penche et laretourne : GAZ MÉTRO-POLITAIN,bla, bla, bla...La rage, les larmes et le fourire lui viennent simultané-ment. Quelle dérision !Elle débranche le téléphone,se glisse dans son lit en plein

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Blues surun airde ruptureTexte et illustration :Ginette Loranger

après-midi, à l'heure où toutle monde travaille.

Ramper sur le drap frais, sefrayer un chemin lentementdans les méandres et lestextures du lit défait. Ellecherche son sexe avec sondoigt et le rencontre déjàmouillé, ouvert, presquechaud. Elle sourit à l'idée queson corps anticipe déjà leplaisir avant même qu'elle aitchoisi ses images.

Le vent lui renvoie sa propreodeur et la reporte à unsouvenir précis et qu'ellesavait marquant comme unephoto de plateau choisieparmi tant d'autres pourreprésenter le film.Elle consommera cet hommequi n'écrira probablementpas et qu'elle ne rencontrerapeut-être plus que par hasard.

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Souvenir de vacances I

À minuit, ils sont arrivés. Trois gars (on neles aurait pas appelés des hommes) descen-daient de leur voiture. Leurs corps dégin-gandés, leur beau tas de ferraille en patienteattente... une apparition incongrue dans ledésert velouté de la nuit. Ils traversaient laterrasse avec une alarmante désinvolture. Leplus grand, en chef de ligne, marmonnait unmot à peine compréhensible, « la lumière...lu-mière ». Les deux autres pataugeaient derrière,niais. Tous prêts à passer la porte sans mêmequ'on ait le temps de broncher. Ni vues niconnues ces figures mâles à notre porte, mamère, ma soeur et moi dans cette chaudecampagne que nous visitions, passablementheureuses. Le conte du Petit Chaperon Rougeest une parabole du viol. Il y a d'effrayantesformes mâles qui rôdent dans les bois — on lesappelle parfois des loups — et les femmes sontimpuissantes devant eux. Mieux vaut ne pasquitter les sentiers battus, mieux vaut ne pas trop

s'aventurer... '. Je fige au-dessus de ma brosse àdents. Trois tours de vis dans le ventre. La peurqui est toujours là quelque part,en petitesmiettes éparpillées pour ne pas trop paraître,pour me laisser vivre et respirer convenable-ment, se rassemble et rebondit d'un coup sec.Les muscles d'acier de ma soeur se raidissent, jele sens. Mais je ne vois que l'écume de mabouche. Choisies par hasard (parce qu'aper-çues seules sur la plage ou sur la route, lescuisses au vent et la tête au soleil?), sanspréavis, pour l'invasion masculine. Objetsaveugles de mépris.

Chaque fois qu'on se charge de me rappelerma piètre condition féminine — proie facile,terrain à vendre, chair à piétiner, trou de cul —la douleur et la colère me coulent comme de lalave. L'énorme dérision dont je suis l'objet, la

I) BROWNMILLER, SUSAN. Against Our Will : Men, Women andRape. 1975

LA VIE EN ROSE, juin 1980 / 17

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farce platte que je suis devenue... Ayant unemeilleure emprise sur la réalité que nous, nosprofesseurs savaient ce que nous n'imaginionspas : que la plupart d'entre nous remettrait sesgrandes idées sur Homère, Proust et Joyce entreles mains du mariage et du bénévolat. La plupartd'entre nous, comme le savait très bien cesprofesseurs en majorité mâles, serait vouée ausilence. Toutes nos bonnes intentions et notregrand enthousiasme n'avaient rien à voir avec cequi nous attendait au-delà de ce petit parcd'amusement2. Il marmonne encore. Lesépaules et les hanches avancées. Lève le bras,pose le pied, allonge le cou... ils savent prendrede la place. Je me cantonne derrière la portemi-close de la salle de bain. Entièrementpeureuse. Et presque pas habillée. On estjamais assez habillée. J'ai passé des étéscomplets avec de larges chemises et unmanteau sur le dos. Pour me cacher. Commentdéplace-t-on un corps qui a le pouvoir d'invoquerles pires malveillances?3. Ma soeur est dresséecomme un piquet. Le silence est parfait, lesminutes ne se comptent pas. J'ai une brosse àdents à la main contre toute épreuve, ma viearrêtée entre le lavabo et le cadre de porte.Perdante a priori. La force qui tue est une forceélémentaire, grossière. Combien plus étonnanteet variée est celle qui ne tue pas, qui retarde lemassacre. Elle tuera sûrement, elle tuerapeut-être ou bien, elle est simplement suspendueau-dessus de l'être qu'elle peut à tout instantanéantir. De là découle un autre pouvoirbeaucoup plus prodigieux : celui de réduire à unechose inerte celle qui vit toujours*. J'les haïs,j'les haïs, j 'les haïs... l'incantation estincessante dans ma tête. Devrais-je crier touthaut pour leur faire comprendre que j'existe.Moi qui m'apprêtais à doucement dormir, j'les

haïs. Ma haine est ma résistance. Je n'ai plus lechoix : succomber à mon état de morte vivanteou cracher dessus. Je n'ai pas vraiment vouluêtre guerrière. Je me serais élue ballerine maisles ballerines se défendent franchement pas.

C'est ce qu'on appelle survivre maisqu'adviendra-t-il de mes désirs? Que sepasse-t-il quand les promesses de ce mondenous sont brusquement retirées? Dans leursyeux que je ne vois pas, que je ne veux pas voir,se décompose le mythe des amours quim'étaient promises. Toute ma vie à revoir à lalumière d'un regard crevé. Ma bouche toujoursécumante dans le miroir, je me sens dégringolerde ma fière solitude à l'abandon. Le petitpouvoir que j'accumule à nommer mes terreursquotidiennes, à cataloguer mes peurs, àmesurer mes rétrécissements ne se compareguère à de plus belles et déjà vieilles ambitions.

Ils ont fini par déguerpir. Ma mère sortaitde sa chambre, instinctivement, innocemment,pour voir. Ma mère qui offrirait les chaises et lecognac pour quelques bons mots rendus,posait d'absurdes questions : « Vous êtesvenus à pied ? Vous êtes le fils d'Henri-Paul ? ».De nombreuses femmes à qui l'on posa laquestion, « Avez-vous déjà été violée?»,répondirent, « Je ne sais pas »5. Ma mère laduègne, formidable dans son impuissance, leurtira le tapis sous les pieds sans même s'enapercevoir.*

Francine Pelletier

2) DWORKIN, ANDREA. Our Blood. « The Rape Atrocity and IheBoy Next Door » 1975.

3) GRIFFIN, SUSAN. Rape : The Power of Conciousness. 19794) WEIL, SIMONE, « L'Iliade : pointe sur la force »5) MEDEA, ANDREA, Thompson, Kathleen . Againis Rape, 1976.

18 / LA VIE EN ROSE, juin 1980

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Souvenir de vacances IIElle criait tellement fort qu'elle m'a

réveillée ; à neuf ans je dormais très dur. J'étaisseule avec ma mère dans notre petit camp àl'île. Une fille de seize/dix-sept ans était venuepasser la semaine chez son oncle, notretroisième voisin, et elle criait comme uneperdue en plein milieu de la nuit.

— « Moman ? »— « C'est rien. Dors ».

Les cris rempiraient, puis des hurlementsd'homme que je reconnais — la rivière porte lavoix — il m'avait toujours répugné, lui, avecson verre de p'tit blanc pis ses garçons niaiseuxqui voulaient pas que je joue aux fers parce queje jouais mieux qu'eux autres.

Un cri horrible, sans équivoque. Aucunchamaillage raide mais consenti dans ce cri-là.Pourtant j'en avais déjà entendu d'autres. Jesaute de mon lit, je prends la carabine de monpère pis je sors. Ma mère a dû entendre leplac-plac du chargeur et se rendre compte toutd'un coup de ce que je faisais parce qu'elle arebondi en trois secondes sur la galerie.

— « T'es-tu folle ? Arrive icitte j'te dis ! »Je suis restée une éternité entre les cris de la

fille et la voix de ma mère. J'étais sûre de

comprendre. Je comprenais tout et je necomprenais rien.

—« Donne moi c'te fusil-là, t'as-tucompris ! »

Je ne sais pas encore pourquoi je lui ai remis.—« Qu'essé qu'tu connais là-dedans.

Rentre te coucher ».De quoi elle avait peur? Moi j'avais pas

peur. Je savais qu'une petite fille en pyjamaavec un gros 12 est invulnérable. De quoi elleavait peur?

Je ne me souviens plus à quoi je pensais cettenuit-là. Je pense que je ne pensais à rien. Je neme souviens de rien après m'être rendue, sansâme, sans corps, jusqu'à mon lit sauf dulendemain matin. J'étais encore couchée maisje savais que le bateau de Madame Boudreauétait arrivé, c'était le seul qu'on connaissait quiavait un moteur Johnson. Le son des Johnsonque je n'aimais pas me semblait pire qued'habitude, j'avais mal partout. La voix de mamère arrivait de dehors.

—« J'vous dis, j'sais ben pas ce que j'vasfaire avec c't'enfant-là... »*

Nicole Lacelle

Nous lesfemmes,

nous n'ironspas à la

guerre

Le 7 mars 1980 un grand oiseau blanc se posaitsur les 6000 manifestant/e/s de la Journée interna-tionale des Femmes. Un grand oiseau qui volaitderrière mais bien au-dessus des pancartes descomités de condition féminine des centrales syndi-cales et bien-bien au-dessus des choeurs monotoneset militaires des groupes de gauche. L'oiseau était lafigure de proue du contingent des groupesautonomes de femmes, gaiement escorté par lesdames géantes de l'escouade de la couleur. Unoiseau qui effectivement rappelait une toute autrecouleur, une autre ambiance. Un oiseau de la paix.

L'oiseau est l'heureuse initiative d'un petitgroupe de femmes (cinq en tout) qui, encouragéespar les déclarations de Kate Millet (Women's Press)et de Yolande Cohen (Le Devoir, 19/2/80), ontdécidé de profiter de cette parade devenue un peutrop traditionnelle pour riposter à la menace deguerre et, surtout, à l'éventualité de la conscriptiondes femmes américaines dans les forces armées.Rappelons qu'au début de cette année, le présidentCarter cherchait à faire passer une loi qui aurait

LA VIE EN ROSE, juin 1980 / 19

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rendu obligatoire le recensement de toute femme demoins de 21 ans (aussi bien que les hommes) en vued'une conscription éventuelle. Si le Sénat américainapposa finalement son veto à cette loi, on peutcroire que les milliers de femmes qui protestèrent yont été pour quelque chose.

Malgré le veto, la question n'en demeure pasmoins grave et de nombreux débats se poursuiventà ce sujet. Nous rapportons ici quelques proposd'une féministe radicale américaine en réponse à lamontée du militarisme et plus spécifiquement « àcet argument trompeur qui affirme que le prix del'égalité est le service militaire ».

« D'abord et avant tout, une armée est uninstrument de meurtre généralisé, approuvé parl'État. Depuis la création de l'armée volontaire,on a systématiquement occulté le fait que le butessentiel d'une armée est d'entraîner et defournir des assassins sur une grande échelle. Àse fier au discours libéral, on pourrait croire quel'armée n'est qu'un programme de promotiond'emplois avec égalité d'accès...

Nous n'avons nullement l'intention de re-mettre notre pouvoir et notre responsabilitéindividuelles entre les mains d'une autoritéquelconque, surtout pas entre les mains desmilitaires. » *

C'est dans cet esprit que les groupes autonomesde femmes se sont rassemblés autour d'un grandoiseau blanc qui semait sur son chemin, ce soir-là,de petits feuillets roses, où l'on pouvait lire :

« Off Our Backs, avril 1980, Rapport d'une conférence àWashington, D.C. le 1er mars sur • Les femmes et laconscription », p. 7.

— SOUS LE PRÉTEXTE DE L'ÉGALITÉENTRE LES SEXES ON UTILISERAITNOS VIES ET NOTRE FORCE DETRAVAIL À DES FINS D'OPPRES-SION ET DE DESTRUCTION DUMONDE.

— L'ÉGALITÉ ENTRE LES SEXES ESTUN « ARGUMENT EXTRÊMEMENTINSIDIEUX EN CE QU'IL UTILISEUNE REVENDICATION FÉMINISTEPOUR FAIRE CAUTIONNER PAR LAMOITIÉ DE LA POPULATION UNEPOLITIQUE CONTRAIRE À SESINTÉRÊTS ET SES TRADITIONS ». **

— LES POUVOIRS POLITIQUES ENPLACE CONTINUENT DE NOUSREFUSER L'ÉGALITÉ DES DROITSDANS TOUS LES DOMAINES (GAR-DERIE, TRAVAIL, DROIT DE DIS-POSER LIBREMENT DE NOS CORPS,ETC.)

— NOUS NOUS SOMMES TOUJOURSOPPOSÉES AUX VALEURS GUER-RIÈRES DES MÂLES AU POUVOIR.

Pour manifester votre appui écrire à :Women Against ViolenceAgainst Women579, 9th Ave., N.Y.10036 N.Y.U.S.A. F.P.

•• « Les femmes et la conscription », Yolande Cohen, LeDevoir, 19/2/80.

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Les armesfémininescontreBell Canada

À vrai dire, j'ai toujours eu une dent contreBell Canada : couper mon téléphone sousprétexte que je leur dois $ 36.87 quand on fait433 millions de profits nets (en 1979), je trouveça cheap. J'ai donc eu l'impression d'êtrevengée quand les 6456 téléphonistes et em-ployées de salle à manger du Québec et del'Ontario ont déclenché la grève. Quelquetemps après, j'ai rencontré par hasard trois demes justicières attablées au restaurant. Pourparler comme La Petite Gazette à son meilleur,elles m'en ont appris de « Bell ».

Saviez-vous que Bell Canada n'est pasobligé comme tout le monde de donner lesalaire minimum au Québec et profite de saréputation de bonne compagnie pour sous-payer honteusement ses employé/e/s * ; que lesgros boss du Conseil exécutif de Bell gagnentaux alentours de $ 7 000 à $ 10 000 parsemaine (vous avez bien lu et ce n'est pas unecoquille) et qu'une fois par mois, ils fontmonter par un ascenseur de service une oudeux employées de la cafétéria à $ 113 parsemaine (clairs...) pour un cocktail si raffinéqu'il y a moins de deux ans elles devaient lesservir avec des gants blancs (au sens propre) etqu'ils ne leur ont jamais laissé une cenne depourboire; que de 1969 à 1979, 6600 emplois

* Avant la grève, les salaires d'employé/e/s de salle à mangervariaient entre $ 119.00 et $ 147.00 brut par semaine et ceux destéléphonistes entre $ 142.00 et $ 194.00 brut par semaine.

22 / LA VIE EN ROSE, juin 1980

ont été éliminés grâce à des changementstechnologiques si efficaces que les télépho-nistes ont maintenant 17 secondes pour nousjaser et qu'elles doivent attendre que la lumièrerouge soit allumée (à Montréal) ou que leSnoopy ait la tête en l'air (à Toronto) pour allerpisser.

Quelques jours après la fin de la grève, j'airevu Michèle Brouillette et Carmen Lantin,téléphonistes et déléguées syndicales, quim'ont raconté à leur façon une grève pastout à fait comme les autres.*

S.D.

Depuis 36 ans, nous étions membres duSyndicat de la communication du Canada,exemple parfait du syndicat de boutique patronaloù nous étions complètement isolées. « Pasd'hommes, pas de troubles. » C'est ce quepensait le Bell jusqu'à ce qu'on s'affilie à laF.T.Q. en août 1979, que les négociationscommencent et qu'on obtienne notre droit degrève légale, la veille de Noël, à minuit.

On est sorties avec une majorité de femmesqui n'avaient jamais fait la grève de leur vie. Ilfaut dire qu'au début, ça a été très difficile pourelles de participer, de venir faire du piquetage :elles tenaient beaucoup à l'image de latéléphoniste-distinguée-bien cotée-bien payée.

Mais la grève a brisé la belle image destéléphonistes d'autrefois. Ça n'a pas été long :sur le trottoir, sans argent, on apprend vite. Aubout d'un mois, celles qui étaient sûres que le Bellne les laisserait pas longtemps dans la rue ontcompris que c'était vraiment la guerre et qu'ilvalait mieux passer pour des femmes combativesmême si avant ça s'appelait être «communes».Maintenant le mythe de la « bonne compagnie »a disparu et bien des mères ont arrêté d'achalerleurs filles pour qu'elles aillent travailler au Bell.

APPRENDRE A RUSER

Les premiers temps de la grève, on secontentait du piquetage doux, presque légal maison a vite senti qu'on ne gagnerait rien comme ça.On a organisé notre première vraie action :bloquer l'entrée du garage des techniciens sur larue de la Montagne. Mais les policiers ont jouédur pour nous donner une leçon : ils ont frappé,bousculé, matraqué. Pendant trois jours ensuite.

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il n'y avait plus grand monde sur les lignes depiquetage. Ils avaient réussi à nous faire peur ; ilfallait que nous apprenions à résister, à ruser.

Nous avions remarqué que les policiersvoulaient toujours parler à « la personne encharge ». Nous avons donc décidé de n'avoir« personne en charge », ou d'avoir une « porte-parole » — pour les contenter — à qui onrefuserait d'obéir. Cela les obligeait à parle-menter. C'est comme ça qu'on a commencé àgagner du temps et donc du terrain. On avaitcompris le truc.

On ne se dispersait plus, on ne faisait dupiquetage que de façon occasionnelle et oncherchait plutôt à aller là où le monde pouvaitnous voir : occuper les Téléboutiques, faire dessit-in, passer des tracts dans les centres d'achats,déranger les boss à la Place des Arts, pendant unballet commandité par Bell. On commençait àavoir le tour de ne pas se faire blesser, ni arrêter.Des centaines de personnes étaient témoins :nous n'étions qu'une gang de femmes en grèvequi chantaient « parlez-moi d'amour » auxpolices en les regardant droit dans les yeux. Onavait réussi à leur inculquer le sens du ridicule :« Un beau jeune homme comme vous, si mon p'titgars vous voyait pousser sa mère, qu'est-ce qu'ilpenserait ? » À la fin, on les tenait pendant desheures. Les filles trouvaient ça l'fun et partici-paient de plus en plus.

SI NOS ENFANTS NOUS VOYAIENT!

On vidait des flacons de parfum cheap etpuant sur les boss, de la mélasse et du siropd'érable sur leurs beaux manteaux de poil, de lagomme et du rouge à lèvre un peu partout. ÀChicoutimi, les grévistes avaient une roulottesans toilettes; elles lançaient des chaudièresd'urine sur les portes du Bell et regardaient lesboss casser leur pisse gelée pour entrer, croyantque c'était de l'eau. Elles appelaient ça se donnerdes orgasmes syndicaux.

Les armes féminines, ça leur rongeait lemoral, ils n'avaient jamais vu ça. Les techniciensn'ont pas fait le même genre de grève que nous :les gars ont fait une grève d'hommes. Ils ontpréféré le piquetage ordinaire, le sabotage, cetype d'action que font quelques-uns, toujours lesmêmes. Nous, les femmes, nous n'avons pas faitde sabotage mais tout le monde était impliqué,tout le temps. Notre journal. Ça Cloche faisait lelien entre nous. A la fin de la grève, on étaitprêtes à tout. J'ai vu des femmes de 60-65 ans

Illustration-caricature : Claire Dion — téléphoniste deSainte-Hyacinthe — et sa fille Annie, 12 ans.

saccager une Téléboutique en disant : « Tant piss'ils disent qu'on a fait du vandalisme, ça soulagede sortir c'qu'on a sur le coeur depuis 25 ans.Mais si nos enfants nous voyaient ! »

Maintenant il faut qu'elles retournent endedans. Dehors elles se sont révélées des femmessolides et fortes. C'est très dur pour elles de serasseoir, de se reploguer et de redevenir lespetites filles sages de Bell.

Je ne sais pas ce que la grève a vraimentchangé. Dehors on disait qu'on ne lâcherait pasen rentrant. Mais après la grève, il n'y avaitpersonne à la première réunion du syndicat. On aun grand souffle à reprendre mais il va en falloirbeaucoup pour que le monde vienne aux réu-nions. On avait demandé aux filles de ne plusattendre la lumière pour aller pisser. Dehors, çaavait l'air évident mais vendredi quand je suisrentrée elles avaient recommencé. Il faudra enreparler parce qu'à Bell, ça cloche un peu moinsmais ça cloche encore. *

propos recueillis par Sylvie Dupont

LA VIE EN ROSE, juin 1980 / 23

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25 février

J'émerge d'un long hiver — doux au dehors, dur audedans — le vague à l'âme, le coeur en boule, le corpsrompu. La fébrilité dans laquelle je m'exténue depuis desmois commence à m'inquiéter. Et cela me rassure. Endéfinitive, je ne tolère jamais de m'intoxiquer bienlongtemps par le travail — fut-il passionnant. Mon corpstel une vigie intransigeante s'épuise vite à ce jeu de dupe.Il me vient maintenant une envie impérieuse de quittercette grisaille et d'en finir avec l'hiver.

6 mars

Le lancement de La vie en rose demeurerainoubliable. Trois jours plus tard, encore alanguie parl'atmosphère de volupté indescriptible qui régnait, je medemande si je n'ai pas rêvé tout ça. Mes souvenirs de cettesoirée convergent vers un regard lumineux et envoûtantqui m'incendie et me ranime. L'énergie insoupçonnée quim'habite me fait sourire. Le printemps vient de merattraper.

13 mars

Je ne dors plus, je ne mange plus. Je nage en pleinromantisme. Je pourrais aligner tous les clichés éculés surles amours débutantes — et les endosser jusqu'au dernier.Le bonheur est obscène, disait Sartre. Il est à tout lemoins indécent.

Du haut de ses presque trois ans, Laurence meregarde d'un oeil sceptique. Elle me réclame haut et fort.

. V

Son manège m'émeut. Elle craint pour elle et pour sonpère. Même en leur présence, elle me sait ailleurs. On netrompe pas son enfant. J'en sais quelque chose.

M., son père, dit : Dommage que cette aventure arrivedeux mois avant que tu ne déménages. Ce serait plussimple pour tout le monde, non?

18 mars

M. me désarçonne. Ce matin, il m'a libérée de tout, etde notre fille, et du domicile « conjugal ».

— Va t'installer ailleurs pour vivre ça jusqu'au bout.Prends quinze jours pour sonder ce que H. a dans leventre. Tu reviendras après me dire quelle place il mereste.

Savait-il que c'est là tout ce que je voulais entendre etque je n'osais lui demander? Sa générosité m'impres-sionne et me bouleverse. Aurais-je eu le même courage?« Et si jamais ça m'arrive... tu me devras la pareille »,a-t-il ajouté. J'émigre chez mon amie S. la semaineprochaine.

24 mars

Ce devait être une longue fin de semaine en tête-à-têteavec Laurence, à la campagne. Mais le second jour, H. estvenu nous surprendre et du même coup ravir notreintimité. Laurence était contrariée, plutôt méfiante. Lesentiment sans doute d'avoir été bernée.

Le chagrin d'un enfant se monnaie plus difficilementque celui d'un adulte. Pourtant il n'a jamais été questionde le lui épargner, de la tromper, de lui faire croire que,rien n'avait changé. Le mensonge me fait trop penser aumépris. Et enfant, on m'a trop méprisée.

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30 mars

Boston, comme une fugue, une grisante incartadedans un monde auquel seuls nous avions accès. Dutemps entre parenthèses. Le sentiment si doux d'être àl'écart et au-dessus de tout. L'émotion des premièresconfidences, le début de l'abandon, la peur aussi,insidieuse et légitime, que ce soit trop beau.

Au retour, il me faut faire le point avec M. Je dis :Boston a été un révélateur important. H. me faitbeaucoup de bien. Il ne faut pas te mettre en « stand-by »,ça pourrait être long. Notre panne d'amour nousdesséchait tous les deux. Ça aurait pu être toi quit'envoles le premier. Il dit : Je ne m'attendais pas à ça.J'ai mal.

Pâques

M. et moi, cloîtrés à la campagne, nous parlons. Nousnous épuisons littéralement à vouloir tout décortiquer,tout expliquer, tout justifier. « Que restera-t-il de nous? »Je n'arrive pas à partager sa panique. Il n'arrive pas àcomprendre mon optimisme. Son doute m'accable (sansme culpabiliser vraiment) et désormais je me retrouveavec le fardeau de la preuve. Il y a de l'amertume dansl'air. Le dialogue de sourds vient de commencer.

10 avril

Fallait-il vraiment se payer une guerre froide pour sedétacher l'un de l'autre, pour s'accorder un moment derépit entre deux trains, et réévaluer l'itinéraire enfonction de nouveaux rêves de voyage? Jusque là jecroyais que nous serions plus habiles que d'autres, quenous réussirions à traverser cette histoire sans trops'écorcher. Mais nous n'éviterons pas l'inévitable — aumoins pour un moment. On ne met pas fin à quatre ans devie commune impunément.

17 avril

Depuis plus de quinze ans ans maintenant — trèsprécisément depuis le soir de la projection du « Journald'Anne Franck », un samedi de spleen au pensionnat —je tiens, irrégulièrement et de façon anarchique, desjournaux intimes. Dans ces cahiers choisis à chaque foisavec un soin un peu plus maniaque, je tente de débrouillerma vie, quand l'angoisse ou l'exaltation me font perdre lenord et qu'il me faut mettre un pied à terre pour freinerl'allure, parce que je ne sais plus où je m'en vais. Lorsqueje sens que j'ai contrôlé et apprivoisé mon vertige, que jene suis plus à la remorque de ma vie, je laisse le cahiergénéralement inachevé. Un autre le remplace à lasecousse suivante. Ces derniers jours, telle unefunambule, je m'accroche à ce journal comme à une barred'équilibre. *

Ariane Émond

LA VIE EN ROSE, juin 1980 / 25

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NOM

ADRESSECe livre est disponible en librairie. Diffusion Dimedia, ou chez l'éditeurPour le recevoir par la poste, retournez te bon avec un chèque ou mandatà l'ordre de Nouvelles Édilions de Poche, en incluant $0.50 pour les frais opuscule, 3449 St-Denis , Montréal H 2 X 3L1

Collection histoire

Les luttes que nous menons ne sont pas nées d'hier.D'autres femmes, bien avant nous, sorcières ou suffragettes,ont tenté de changer la vie en voulant rompre notreenfermement dans la sphère familiale, en affirmant notre droità l'existence publique et notre droit à la changer. Leurs luttessont ignorées ou travesties et tant qu'il en sera ainsi, l'histoirese répétera, jamais à notre avantage.

Une lecture lucide et attentive des événements et circons-tances qui ont façonné notre destinée collective nous permettrad'impulser nos énergies comme nos imaginaires dans desformes plus précises et plus belles.

Vient de paraître

les éditions du remue-ménage

les éditions du remue-ménage Casier postal 607 succursale C. Montréal, Code postal H2L 4L5

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il faut lire...FEMMES ET RUSSIE 1980Par le collectif de rédaction de I Alma-nach et quelques autres Traduit durusse Des Femmes 218p. $14.95

Septembre 1979. naissance d'unMouvement de Liberation des Femmesen U.R.S.S.

Des femmes russes (la Russie estl'une des Républiques Soviétiques) ontdécidé d'unir leurs forces. De rassem-bler témoignages, documents, poè-mes, et de publier un almanach: "lepremier journal libre destiné auxfemmes "

Publication clandestine et difficiledix exemplaires commencent à circu-ler, chacun tape a la machine, sousmenace constante de saisie policière(l'une des femmes du collectif derédaction sera aussitôt convoquée parle KGB)

Ces textes, cris et pensées, sont siforts et si lucides qu'il nous sembleabusif de les commenter

Ils sont le signe politique le plusimportant, le plus neuf, le plus avancequi nous soit |amais parvenu d'U.R.S.S.Ils traversent et dépassent la dissi-dence.

Et ils lancent un appel "Rien ne setransforme tout seul Personne nenous aidera, nous en sommes sûres.Alors, nous nous aiderons... Nousespérons que nos efforts réunis vontatténuer le poids de notre condition, etmettre en marche le mouvement delibération des femmes."

Notre premier geste de solidaritéimmédiate ICI, dès que nous avonsappris l'existence de cet Almanach, aété de nous le procurer, de le traduireet de le publier en quelques |ours: lestextes sont parus dans "des femmes en

mouvements hebdo" du 11 janvier.Nous les republions ici avec un texte

médit de Galina Grigoreva sur les pri-sons, des poèmes écrits en français parTatiana Mamonova. et une série d'en-tretiens réalisés avec certaines desfemmes qui ont fait naître ce mouve-ment. Les éditions Des Femmes.

Christiane OlivierLES ENFANTS DE JOCASTEDenoel/Gonthier (Coll. Femme) 680p.$17.95

VOICI "l'autre psychanalyse", la partféminine, celle que Freud n'a pas puécrire.

En face d'Oedipe, il y a Jocaste, samère, qui règne sur son fils en l'ab-sence de Laïos, le père tué. Et Jocasterègne toujours, non seulement sur sonfils, mais sur sa fille, en l'absence dupère qui abandonne avec joie les soinset l'éducation du jeune enfant à safemme.

Pour Christiane Olivier, femme etpsychanalyste, c'est l'ombre de lamère, ressentie si différemment par lepetit gaçon et la petite fille, qui expli-que et nourrit l'antagonisme séculaireentre l'homme et la femme Dans unstyle clair et accessible à tous, elledresse le procès, non pas de la mater-nité mais du maternage, procès quipeut aussi se lire comme un moded'emploi de la vie du couple.

Où l'on verra, avec humour, que lafameuse "envie du pénis" dont souffri-raient les femmes pourrait bien n'êtreque la projection d'une "envie du sein"ou "envie de l'utérus" dont souffri-raient les hommes

Evelyn ReedFÉMINISME ET ANTHROPOLOGIETraduit de l'américain Denoel/Gon-thier (Coll. Femme) 563p. $21.00

Aboutissement de plus de vingt ans derecherches, ce livre est sans doute laplus large étude jamais présentée surles cultures primitives a différentsniveaux de développement et centréesur le rôle de la femme et tous sescorollaires Cette étude qui brosse letableau de la naissance de la sociétédepuis son stade "sauvage" puis "bar-bare", remet en cause un certain nom-bre d'idées reçues et apporte quelquesrévélations étonnantes.

Pour les primitifs, la parente matrili-néaire était la seule évidente; lesfemmes régissaient alors des sociétésprimitives organisées en clans matriar-caux ou régnaient des relations pluspacifiques et plus égalitaires qu'on nesaurait l'imaginer de nos jours

Evelyn Reed retrace la longue évolu-tion qui, à une date relativementrécente, avec l'apparition du mariageet de la paternité reconnue, a permisl'énorme bouleversement dans lesrelations claniques et l'établissementde la famille patriarcale

Des discussions scientifiques ser-rées, une accumulation de faits font decet ouvrage un livre passionnant