Une introduction à la « mobilité professionnelle »… Olivier Monso, Université de Paris I...

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Une introduction à la « mobilité professionnelle »…

Olivier Monso, Université de Paris I

Cycle de formation initiale, Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale, Saint-Etienne, 28 octobre 2008

Être mobile : une qualité recherchée ?

Partie I

Qu’entend-on par « mobilité » ?

Les deux sens étymologiques de « mobilité » :

- mobilité et facilité à se mouvoir…

- inconstance et instabilité (dans l’humeur…)

Ses significations les plus courantes en sciences sociales :

« mobilité professionnelle » (ou intragénérationnelle) : tout changement dans la situation d’un individu vis-à-vis de l’emploi

« mobilité sociale » (ou intergénérationnelle) : situation de l’individu comparée à celle de l’un de ses ascendants (père le plus souvent)

Si les statuts de départ et d’arrivée peuvent être ordonnés, on peut définir une mobilité «descendante» (ou « déclassements ») ou « ascendante ». Exemple : les fils de cadre qui deviennent ouvriers… ou l’inverse

Possible aussi pour l’analyse de la mobilité professionnelle (promotions ou déclassements)

- « mobilité géographique » (ou « migration »), au sein d’un même pays (migrations internes) ou entre pays (migrations internationales)

La « mobilité » : un concept plutôt valorisé ?

(1) La « mobilité » est valorisée à titre individuel

comme :

possibilité de vivre de nouvelles expériences, incitation à quitter son quotidien (jusqu’à valoriser la « mobilité pour la mobilité » ? Cf. Barrère et Martucelli [2005])

exigence d’adaptation dans un contexte changeant (technologies, communication…), se rapprochant du concept de « flexibilité » et allant pour certains jusqu’au « bougisme » (Taguieff, 2002)

capacité à tirer parti des nouvelles opportunités dans un contexte de mondialisation, qui fait de la « mobilité » un atout-clé,

…comme l’illustrent les possibilités de carrière offertes aux jeunes diplômés à l’international.

Peut créer de nouvelles inégalités entre « mobiles » et « immobiles » (Boltanski et Chiapello, 1999) ?

La « mobilité » : un concept plutôt valorisé ?

(2) Elle est aussi valorisée à l’échelle d’une société

… comme le signe d’un dynamisme de la société, par opposition à des statuts figés

En mobilité sociale, préoccupation d’avoir une société ouverte, « fluide » ou l’origine sociale ne conditionne pas la destinée (Montulet et Kaufmann [dir.], 2004)

La mobilité professionnelle doit permettre un renouvellement des positions, évitant par exemple de créer un marché « dual », où ce sont toujours les mêmes individus qui se retrouvent en-dehors de l’emploi (FEACVT, 2006)

… comme permettant une meilleure adéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail

La « mobilité » : un concept plutôt valorisé ? (3)

La mobilité des travailleurs peut permettre de résorber des désquilibres sur le marché du travail…

Par exemple, la mobilité régionale plus forte en Europe qu’aux Etats-Unis pourrait expliquer la persistance d’écarts de taux de chômage entre régions européennes (Bertola, 2000)

… même si, on admet aussi qu’une « mobilité totale » n’est pas l’objectif ultime à atteindre :

questions de stabilité du lien familial, du lien social, débats autour de l’immigration…

l’ajustement du marché du travail par la mobilité professionnelle peut soulever des questions de redistribution (cf. Borjas [1995] pour les migrations internationales).

au niveau « micro », la stabilité de la relation économique avec l’employeur peut être aussi recherchée pour la permanence de la connaissance de l’entreprise (surtout chez les cadres ?), et encouragée par la mobilité interne ou encore l’accès à la formation professionnelle (Goldthorpe, 2000).

Promouvoir la mobilité : une politique européenne

(1)

La mobilité internationale des travailleurs est valorisée institutionnellement, notamment par l’Union Européenne

La libre circulation des travailleurs est au fondement du Marché Commun

La mobilité intra-européenne est considérée comme faible et doit être encouragée

La part des personnes travaillant dans un pays différent de celui dans lequel elles sont nées tendrait à stagner depuis les années 1970

La mobilité doit permettre un marché du travail plus «dynamique» en accord avec la stratégie de Lisbonne

Sur la mobilité professionnelle proprement dite (changements d’employeur…), la position est plus nuancée

Conclusion du rapport de la Fondation de Dublin en 2006 (FEACTV, 2006) : il ne faut pas « plus » de mobilité mais une « meilleure » mobilité

Promouvoir la mobilité : une politique européenne

(2)

Perceptible… y compris dans cette école ?

Expériences professionnelles diversifiées… y compris à l’étranger

« Les politiques familiales sont-elles un frein ou un moteur à la mobilité professionnelle ? »

Thème d’une session de la 46è Réunion internationale (avec Philippe Steck)

Correspond bien aux orientations politiques européennes actuelles pour ce qui concerne la mobilité intra-européenne

La mobilité est perçue comme quelque chose à encourager et que les politiques familiales ne devraient pas freiner

Exemple développé par P. Steck : accords récents sur le paiement des prestations familiales des travailleurs transfontaliers

La mobilité professionnelle : définition (plus) précise et

outils de mesure

Partie II

Les différents types de mobilité professionnelle

Tout changement en lien avec le travail peut-être vu comme une mobilité professionnelle. Par exemple :

Passage du non-emploi à l’emploi (ou l’inverse) Changement d’entreprise (mobilité dite « externe ») … de profession (qu’on regardera sous l’angle du « groupe social ») :

fonctions secteur d’activité éléments du statut (salarié/non-salarié, public/privé, qualification…)… le « groupe social » permet d’approcher ces éléments de façon

synthétique de contrat de travail de rémunération de lieu de travail/de vie…

Mesurer la mobilité professionnelle

Les sources d’enquête :

Exemples : les enquêtes de l’Insee Emploi ou Formation et Qualification Professionnelle

Avantages : interrogation rétrospective (on a toute les informations en une fois), cohérence entre les déclarations

Inconvénients : biais de mémoire, possible reconstitution du passé par l’individu

Les sources de panel (on suit les mêmes individus au cours du temps) :

Exemples : les Déclarations Annuelles de Données Sociales (DADS), l’Echantillon Démographique Permanent (EDP)

Avantages : pas de biais de mémoire Inconvénients : coût, attrition (perte d’individus), cohérence dans les informations

données et notamment celles utilisées pour le codage des professions

A noter aussi les sources permettant de mesurer les « flux d’emploi » (comme les Déclarations mensuelles de main-d’œuvre, DMMO), mais elles ne mesurent pas la mobilité individuelle

La mobilité professionnelle en France : quelques tendances récentes

Partie III

Une mobilité de plus en plus forte

Depuis les années 1980, de plus en plus de personnes voient leur situation professionnelle évoluer à très court terme (Amossé, 2002)

Les changements d’entreprise et les transitions emploi-chômage suivent la conjoncture

De plus en plus de promotions… mais aussi de

déclassements

Les salariés les moins qualifiés sont toujours les plus nombreux à Les salariés les moins qualifiés sont toujours les plus nombreux à bénéficier de promotions (Monso, 2006)bénéficier de promotions (Monso, 2006)

Les déclassements sont souvent associés à un passage par le Les déclassements sont souvent associés à un passage par le chômagechômage

Une dualisation du marché du travail ?

La précarité s’est développée chez les jeunes (contrats à durée déterminée…), notamment chez les moins qualifiés

D’un autre côté, les « seniors » se sont stabilisés dans leur emploi, mais leurs difficultés de reclassement en cas de perte d’emploi ont augmenté (Amossé, 2002)

Des mobilités géographiques plus

fréquentes… Depuis les années 90, la Depuis les années 90, la

mobilité résidentielle a mobilité résidentielle a augmenté (Baccaïni, augmenté (Baccaïni, 2007).2007).

Lien entre mobilité Lien entre mobilité géographique et mobilité géographique et mobilité professionnelle loin d’être professionnelle loin d’être systématique maissystématique mais : :

Les trajets « longs » semblent Les trajets « longs » semblent souvent faire intervenir des souvent faire intervenir des raisons professionnelles raisons professionnelles (FEACTV, 2006)(FEACTV, 2006)

Les situations géographiques Les situations géographiques d’arrivée sont très liées à la d’arrivée sont très liées à la profession (Vivas, 2007)…profession (Vivas, 2007)…

Mobilité et caractéristiques individuelles

(changer d’emploi veut-il dire la même chose pour tout le monde ?)

Partie IV

La mobilité : une expérience différente… selon l’âge Les jeunes aspirent beaucoup plus souvent à

la mobilité (FEACTV, 2006)

Jeunes et seniors sont fortement touchés par les mobilités « subies » mais elles n’ont pas la même signification :

Chez les jeunes, elles sont la conséquence d’une montée des contrats courts

Chez les salariés âgés, elles sont souvent la conséquence de restructurations (industrie, bâtiment) et entraînent des difficultés de reclassement

… selon qu’on est un homme ou une femme

Les femmes bénéficient Les femmes bénéficient beaucoup moins souvent de beaucoup moins souvent de promotions (Monso, 2006)promotions (Monso, 2006)

Ceci résulte en partie d’ Ceci résulte en partie d’ interruptions de carrière interruptions de carrière «longues» plus fréquentes «longues» plus fréquentes notamment lors de l’arrivée notamment lors de l’arrivée d’enfants (Petit, 2006)d’enfants (Petit, 2006)

En couple, leur mobilité est En couple, leur mobilité est encore assez souvent liée à encore assez souvent liée à celle des hommes («tied celle des hommes («tied movers», Arrighi et Roux, movers», Arrighi et Roux, 2006)2006)

… selon sa situation familiale La mobilité, surtout géographique, pose plus de difficultés

pour les familles que pour les individus isolés (FEACTV, 2006)

Cela peut contribuer à expliquer pourquoi les familles ont des intentions de mobilité et une mobilité effective plus faible (Amossé, 2003)

… selon le diplôme et la qualification

Les plus diplômés sont plus enclins à la mobilité et leur Les plus diplômés sont plus enclins à la mobilité et leur mobilité est beaucoup plus souvent volontaire (FEACTV, mobilité est beaucoup plus souvent volontaire (FEACTV, 2006)2006)

Les effectifs de diplômés ayant augmenté plus vite que Les effectifs de diplômés ayant augmenté plus vite que

les emplois qualifiés, la mobilité des diplômés est une les emplois qualifiés, la mobilité des diplômés est une façon de corriger les déclassements nombreux en début façon de corriger les déclassements nombreux en début de carrière (Giret et Tomasini, 2006)de carrière (Giret et Tomasini, 2006)

Une fois les postes qualifiés atteints, ces salariés ont une Une fois les postes qualifiés atteints, ces salariés ont une forte stabilité dans leur entreprise, et bénéficient plus forte stabilité dans leur entreprise, et bénéficient plus souvent de mobilités internes (Amossé, 2002 et 2003)souvent de mobilités internes (Amossé, 2002 et 2003)

Chez les moins qualifiés, la mobilité rime à la fois avec Chez les moins qualifiés, la mobilité rime à la fois avec des chances de promotion et une forte précaritédes chances de promotion et une forte précarité

Les Français sont-ils mobiles ?

Quelques éléments de comparaison européenne

Partie V

Les Français sont jugés assez peu mobiles…

Exemples lors du colloque « Les mobilités professionnelles : une réponse aux tensions sur le marché du travail ?, Centre d’Analyse Stratégique, 2006 :

Les Français valoriseraient la stabilité de l’emploi, surtout compte tenu du risque de chômage

Même du côté des employeurs, une mobilité excessive serait souvent considérée comme de l’instabilité

Attrait du modèle « danois » : flexibilité du marché du travail et sécurisation des parcours professionnels

La modeste comparaison européenne qui suit ne prétend bien sûr pas confirmer ou infirmer ses positions… Mais on peut on peut sans doute mieux voir d’où l’on part !

Changer de région : les Français plutôt d’accord…

(1)

Les Français semblent très ouverts à l’idée de déménager pour changer de région…

C’est encore visible dans leurs mobilités effectives (changements plus nombreux que la moyenne de l’Union Européenne)…

Changer de pays: les Français moyennement

d’accord… (2) … mais la situation des

Français est beaucoup plus «moyenne» lorsqu’il s’agit de quitter la France pour aller à l’étranger (tout du moins dans un autre pays de l’UE)…

Les Français semblent plutôt mobiles

professionnellement… Mais cela dépend beaucoup de l’indicateur qui est retenu

(hétérogénéité des travailleurs concernant les perspectives de mobilité ?)

Peut-on expliquer les disparités européennes ?

(1) Dans son rapport (FEACTV, 2006), la « Fondation de Dublin »

rappelle et réinterprète la (célèbre) typologie d’Esping-Andersen (1990) :

Modèle de type «libéral », à prestations sociales basses et soumises à conditions de ressources (on aide surtout les plus faibles). Royaume-Uni, Irlande…

Modèle de type «corporatiste », où les droits sociaux sont liés au travail et à l’appartenance à une profession (cotisations à des caisses spécifiques…). Allemagne, Belgique, France (?)…

Modèle «social-démocrate », protection sociale de degré très élevé, redistribution forte, services sociaux très importants (garde d’enfants, etc.). Pays scandinaves, Pays-Bas...

Ce qui suit est un schéma construit partir de ma lecture de la lecture par la Fondation de Dublin d’Esping-Andersen (prudence donc !…)

Peut-on expliquer les disparités européennes ? (2)

Un modèle qui s’accorde plutôt bien avec les

données… Les pays scandinaves, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ont bien

des durées d’emploi supérieures à la moyenne… alors que l’Irlande et la France se conforment moins clairement à ce schéma

… mais qui laisse quelques questions en suspens…

Les nouveaux Etats-membres rentrent-ils dans ce schéma ?... Comment interpréter la forte mobilité dans les Etats Baltes (autrement que par une croissance forte) ?

Les classements de tel ou tel pays pourraient être discutés (exemple de la France, qui « tranche » d’ailleurs dans les statistiques de mobilité)

Le lien causal entre les institutions et les comportements (ici la mobilité) est très délicat et pourrait être inverse

une illustration sur un thème un peu différent : lien entre la politique familiale et l’activité féminine. Par exemple, les taux d’activité féminins augmentent-ils parce que l’offre de services de garde s’accroît… ou est-ce l’inverse (Hakim, 1999) ?...

Et même si le lien institutions=>mobilité existe, il s’ancre probablement sur certaines

conditions (degré de «civisme», fort consentement à l’impôt…) qui peuvent le rendre difficilement exportable

Du coup, peut-on en tirer des recommandations politiques et notamment une valorisation du modèle danois (question ouverte) ?...

Conclusions Dans le contexte politique et économique actuel, la mobilité

(professionnelle notamment) semble être fortement valorisée

La mobilité tend à s’accroître depuis le début des années 1980, à plusieurs points de vue (changements d’entreprise ou entre emploi et non-emploi, changements de groupes sociaux…)

Les Français sont plutôt mobiles par rapport à la moyenne européenne…

… mais les situations et les aspirations des travailleurs vis-à-vis de la mobilité diffèrent beaucoup selon l’âge, le sexe ou encore le niveau de qualification

Le système social explique sûrement une partie des différences en Europe, mais cette discussion est ouverte !

Références (1)

Amosssé T. (2002), « Vingt-cinq ans de transformation des mobilités sur le marché du travail », Données sociales, pp. 235-242.

Amossé T. (2003), « Interne ou externe, deux visages de la mobilité professionnelle », Insee Première, n°921.

Arrighi J.-J. et Roux V. (2006), « Mobilités géographiques et genre en début de carrière professionnelle », soumission au 4e colloque de l'AIDELF à Aveiro (Portugal).

Baccaïni B. (2007), «« Les flux migratoires interrégionaux en France depuis 50 ans », Population, n°1, pp. 143-160.

Barrère A. et Martucelli D. (2005), « La modernité et l’imaginaire de la mobilité : l’inflexion contemporaine », Cahiers internationaux de sociologie, n°118, pp. 55-79.

Bertola G. (2000), « Labour markets in the European Union », CESIFO Forum, 1/2000, pp. 9-11.

Références (2)

Boltanski L. et Chiapello E. (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

Borjas G. (1995), « The Economic Benefits from Immigration », Journal of Economic Perspectives, American Economic Association, vol. 9(2), pp. 3-22, Spring.

Esping-Andersen G. (1990), The three worlds of welfare capitalism, Cambridge, Polity Press, 1990.

Fondation Européenne pour l'Amélioration des Conditions de Vie et de Travail (FEACVT, 2006), Mobility in Europe, Luxembourg: Office for Official Publications of the European Communities.

Giret J.-F. et Tomasini M. (2006), « Le déclassement des jeunes sur le marché du travail », Données sociales, pp. 307-314.

Goldthorpe J. (2000), On sociology: numbers, narratives, and the integration of research and theory. Oxford: Oxford University Press.

Références (3)

Hakim (1999), « Models of the Family, Women’s Role and Social Policy : A new Perspective from Preference Theory », European Societies, vol. 1, n°1, pp. 33-58.

Monso O. (2006), « Changer de groupe social en cours de carrière. Davantage de mobilités depuis les années quatre-vingt », Insee Première, n°1112.

Montulet B. et Kaufmann V. (dir.) (2004), Mobilités, fluidités... libertés?, Bruxelles, Publication des Facultés universitaires Saint-Louis, 2004.

Petit P. (2006), «Les écarts de salaires horaires entre hommes et femmes en 2002 : une évaluation possible de la discrimination salariale», Premières Synthèses, n° 22.1.

Taguieff P.-A. (2002), L’idée de progrès. Une approche historique et philosophique, Cahiers du CEVIPOF n°32.

Vivas E. (2007), « La séparation des parents ou le décès de la mère distend les relations avec le père », Insee Première, n°1157.