Post on 29-Oct-2018
ROBINSCHONE
LECLUB–2
Pourl’amourdeRose
Traduitdel’anglais(États-Unis)parCamilleDubois
RobinSchone
Pourl’amourdeRose
Leclub2
Collection:AventuresetpassionsMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parCamilleDubois
©RobinSchone,2009Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:juin2016
ISBNnumérique:9782290121900ISBNdupdfweb:9782290121924
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290121832
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:RoseClarringvoitmouriràpetitfeusonmaristérilequinoiesonamertumedansl’alcool.Depuisqu’ellefréquenteleclubdesMessieursetdesDames,elleacomprisbiendeschosessurlesrelationsentreleshommesetlesfemmes.Désormais,quittersonépouxestpourelleuneobligationmorale.Ellesaitpourtantqu’ellen’aaucunechanced’obtenirledivorce.Saufpeut-êtresiMeJackLodoun,avocatréputéetdéputé,intercédaitensafaveurauParlement.Jackaccepte,àconditionqu’elleneluicacherien.Decetteintimitétroublantevanaîtreledésiret, pourlatoutepremièrefoisdesavie,Rosesesentenfinaiméepourelle-même.Maislasociétévictorienneréprouvelesfemmestroplibresetlesrejette.
Biographiedel’auteur:ROBINSCHONEincarnel’excellencedelaromancehistorique.Traduitedansunetrentainedepays,elleareçuleprixRomanticTimesquirécompenselesœuvreslesplusoriginales.
©VictoriaDavies/TrevillionImages
©RobinSchone,2009
Pourlatraductionfrançaise:©ÉditionsJ’ailu,2016
RobinSchone
Auteurecélèbre,elle incarnel’excellencede laromancehistoriqueérotique.Traduitedansunetrentainedepays,elleareçuleprixRomanticTimesquirécompenselesœuvreslesplusoriginales.
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
DélicesinterditesN°7460ExtasesN°7522
VoyageaujardindessensN°9287
LESANGES
1–L’amantdemessongesN°9557
2–LafemmedeGabrielN°11082
Sommaire
TitreCopyright
Biographiedel’auteur
RobinSchone
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
Chapitre1Londres,1886
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Chapitre29
Chapitre30
Chapitre31
Chapitre32
Chapitre33
Chapitre34
Chapitre35
Chapitre36
Chapitre37
Chapitre38
Chapitre39
Chapitre40
Chapitre41
Chapitre42
Chapitre43
1
Londres,1886Lesgenss’entassaientdansletribunald’OldBailey.L’ambianceétaitàlajubilation.JamesWhitcoxavaitgagné.JackLodounavaitperdu.Unefoisdeplus!—MaîtreLodoun?criaquelqu’undanssondos.Pourriez-vousm’accorderunesecondedevotre
temps?Il remonta son col. L’épaisse étoffe de laine ne chassa pas le froid. L’air humide et glacé lui
pinçaitlesjoues.Ilaccéléralepas.Lafemmequitrottinaitaprèsluineselaissapasdécourager.Maisleprocèsétaitfini.Etilétaitépuisé.—MaîtreLodoun,s’ilvousplaît?Lesclaquementsdetalonsserapprochaient.Iln’avaitplusquedeuxoutroispasàfairepourhéler
lefiacrequivenaitjustementdanssadirection.Déjà,ils’apprêtaitàbrandirsonparapluie.—Jevousenprie,ditlafemme.J’aibesoindevous.Jacks’immobilisaaumilieudesongeste.Lefiacrepassasanss’arrêter,tiréparunchevalrouxet
noir écumant de sueur, les oreilles baissées, qui jouait avec son mors comme s’il cherchait à lerecracher.
—Sic’estunavocatdontvousavezbesoin,madameClarring,jevousconseilledevousadresseràmonexcellentconfrèreJamesWhitcoxplutôtqu’àmoi.
—Vousvoussouvenezdemonnom?demanda-t-elledesabellevoixclaire.Biensûrqu’ils’ensouvenait.Ill’avaitcitéeàcomparaître.Ill’avaitinterrogée.Àprésent,ilnedemandaitqu’àlesoublier,elleetcemauditprocès.Maiselleneparaissaitpasdisposéeàselaisseroublier.RoseClarringsepostadevantlui.—MaîtreLodoun,écoutez-moi:jeveuxjustedivorcer.Jacklaregardaaveccuriosité.—Votremariest-ilbigame?—Non,répondit-elle.Biensûrquenon.DanslaviedeJack,iln’yavaitqu’unechosecertaine:laloi.—A-t-ilabandonnéledomicileconjugal?questionna-t-il,connaissantd’avancelaréponse.Elleétreignitsonparapluieentresesdoigtsgantésdecuirnoir.—Non.
—Danscesconditions,jevousconseilledel’assassiner,madameClarring,caraucunavocatnevousobtiendraledivorce.Pourvousdébarrasserdelui,jenevoispasd’autresolution.Mais,soyeztranquille,Whitcoxvousferaacquitterenmoinsdedeux.
Ellerestainsensibleàsessarcasmes.—J’aimemonmari,maîtreLodoun.—Eneffet,c’estcequevousavezdittoutàl’heureàlabarredestémoins.RoseClarringavaittrente-troisans.Elleétaitblonde,avecdesyeuxclairsetunbeauvisageovale
quiauraitdûêtrepâlesilesjouesn’avaientétébleuiesparlefroid.Éléganteavecsonpetitchapeaunoiràaigretteetsacapedevelours,elleluiarrivaitaumenton–ilfautdirequ’ilmesuraitplusd’unmètrequatre-vingts.Elleavaitl’airfragile,capabledes’effondrerpourunrien.
Mais Jackn’était pasdupe.À labarredes témoins, pasune seule fois ellen’avait détourné lesyeuxalorsqu’il faisaitexprèsde larabaisser,etellen’était tombéedansaucundespiègesqu’il luiavaittendus.
RoseClarringserapprochadeJack,jusqu’àcequ’ilnepuisseplusignorersonparfum.—Vousavezfaitdubontravail,monsieur.Jackricana.—Jevousrappellequej’aiperdu.—Parcequevousl’avezbienvoulu.Soudain,ilneritplus.—Quoi?Êtes-vousentraindem’accuserdeforfaiture,madame?— Je veux juste dire que, pour gagner, il vous aurait suffi dementionner queMeWhitcox et
MmeHartétaientamants.EtFrancesHart–uneveuvedequarante-neufansquiavaitadhéréauclubdesMessieursetdes
Damesaulieudesecomplairedanssonchagrin–auraitétéconfiéeàlatutelledesonfils,leclientdeJack,quiseseraitempressédelafaireenfermerdansunasiled’aliénés.EtJamesWhitcox,l’hommequineperdaitjamais,auraitsucequecelafaisaitdeperdrelafemmequ’ilaimait.
Mais Jack, qui avait juré de servir la loi, avait caché au juge des éléments de premièreimportance.Etiln’auraitmêmepassudirepourquoi.
— Vrais biscuits de Coventry, qui qu’en veut ? Un demi-penny ! Qui qu’en veut ? lança uncolporteur.
Unsecondcolporteur,quiremontaitlaruejustederrièrelui,criait:—Unebonnebièrepourfairepasserlesbiscuits?C’estici!C’estici,labonnebière!—Jenepeuxrienpourvous,ditJackenfaisantunpasenarrière.—SivousétiezMeWhitcox,peut-êtrequevousn’ypourriezrien,répliquaRoseClarring.Mais
vousêtesJackLodoun,membredelaChambredescommunes.Unepâlelumièrefiltraitàtraverslesnuages,nimbantlescontoursdesonchapeauetjouantavec
lesplumesblanchesdesonaigrette.—Vousvoudriezquej’intercèdeenvotrefaveurauParlement?—Oui.Iln’yavaitaucunehésitationdanssonregardoudanssavoix.Pourautantqu’ils’ensouvienne,à
labarredes témoins elle n’avait hésitéqu’une fois, lorsqu’il lui avait demandé si sonmari l’avaitaccompagnée.
—Iln’enestpasquestion,dit-ilformellement.
La société n’approuvait pas le divorce. Et le Parlement non plus. Son siège à la Chambre descommunes,c’étaittoutcequ’illuirestait.
IltournadélibérémentledosàRoseClarring.—N’avez-vousjamaisétéamoureux,maîtreLodoun?lança-t-elletoutdego.Jackrestamuetuncourtinstant,lesmainscrispéessurlemanchedesonparapluie.—Àladifférencedesgenscommevous,madameClarring,rétorqua-t-ild’untonmordant,jene
suisjamaistentédeparlerdemavieintimeavecdesétrangers.Ils’étaitéloignéd’unpas,elleserapprochad’autant.—Vousn’aimezpasleclubdesMessieursetdesDames,n’est-cepas?demanda-t-elle.—Cequejen’aimepas,c’estlesfemmesquicompromettentdélibérémentlaréputationdeleurs
maris.—Vouspréféreriezqu’elleslesassassinent?Del’autrecôtédelaruesetrouvaitlalibrairieBailey.Toutlemondesavaitqu’onyvendaitsous
lemanteaudes livrespornographiques.Unmoisplus tôt, FrancesHart, JamesWhitcox et d’autresmembres du club des Messieurs et des Dames étaient venus y chercher de quoi nourrir leurimagination.
Parmieux,ilyavaitRoseClarring.Mais,cetteinformation-là,Jacknel’avaitpasdévoiléenonplus.—Vousavezparlédevousséparerdelui,rappela-t-il.Pasdel’assassiner.—Maisjesuisentraindeletueràpetitfeu,insista-t-elleenseplantantdevantlui.L’amourqueje
luiporteletue.L’amourqu’ilmeporteletue.Elle levavers luisonvisageviolacépar le froid.Unesautedevent fitclaquersacapenoireet
manquaemporterlechapeaumelondeJack.—Ilsemeurtunpeupluschaquejour,maîtreLodoun.Toutcelaàcausedemalâcheté.Àlabarredestémoins,danslalumièretremblantedeslampesàgaz,lesyeuxdeRoseClarring
avaientparubleunuit.Maintenant,enpleinjour,ilsétaientdecetterarenuancedemauvepâlequ’onnommepervenche.
—Pourtant,fitremarquerJack,vousêteslà,enfacedemoi,débordantedecourage.Par-dessuslechapeaudeRoseClarring,Jackcherchadesyeuxunfiacre.—GrâceàvousetàlafaçondontvousavezregardéMmeHartetMeWhitcox.—Jelesairegardéspourcequ’ilsétaient,répliqua-t-ilsèchement.Uneplaignanteetunconfrère.—Vouslesavezregardésavecenvie.Lesplumesdesonaigrette,secouéesparlevent,semblaientavoirattrapéladansedeSaint-Guy.—Parce quevous saviez qu’ils s’aimaient, ajouta-t-elle, qu’ils ont trouvé le trésor que tout le
mondecherche.Jacksouritnarquoisement.—Cequ’ilsonttrouvé,jepeuxallermel’achetern’importequelsoirdelasemaine.—Ohnon,necroyezpascela,répondit-elleavecassurance.Levéritableamournes’achètepas.
Mêmesionlesouhaite.Ellel’exaspérait,avecsescertitudesetsonaplomb.—Etcommentl’ont-ilstrouvéaujuste,cevéritableamour?s’exclama-t-ild’untonsarcastique.
Dans lesarrière-boutiquesoù l’on trafiquedesalespetits livresquineserventqu’àencourager lesplusnoiresperversions?
RoseClarringnesetroublanullement.
Ellevenaitdecomprendrequ’ilconnaissaitlessecretsdestreizemembresduclubdesMessieursetdesDames–dessecretsqu’ilauraitdûrévéleretqu’ilavaitgardéspourlui.
Les comptes rendus de leurs réunions étaient gravés dans la mémoire de Jack. Avec tous lesdétails.
Desaffirmationsprovocantes.Desdétailsgênants.Desrévélationsscandaleuses.Hommesetfemmesposantdesquestionsindiscrètes.Hommesetfemmesrépondantsanspudeur.Ilétaitsurtoutquestiondesolitude.Dedésir.—Vousavezpeur,n’est-cepas?ditRoseClarring.Jackétaitavocat,maisilétaitaussidéputé.Leshommesquidépendentdel’opinionpubliquene
peuventpasavouerleurpeur.Nileurchagrin.Nileurculpabilité.—Etvous,madameClarring ? riposta-t-il.Votrenom seradans tous les journauxdèsdemain
matin. Vous êtes une très jolie femme. Il y aura peut-être votre description. Vous ne pourrez pluscacher à votre mari vos petites activités clandestines. Il aura le droit de vous faire enfermer,exactementcommemonclienta tentéde le faireavecsamère.Saufqu’iln’yaurapasdeWhitcoxpourvoussauver.Àvotreplace,j’auraispeur.
—Vraiment,maîtreLodoun?—Oui,répondit-il,lecœurbattantetlesoufflecourt.Ellecherchaàaccrochersonregard,commesic’étaitelle l’avocatet lui le témoinde lapartie
adverse.—Qu’ya-t-ildepluseffrayantquedevivresansamour?Rien,pensaJack.Iln’yavaitriendepluseffrayant.Maisilnepouvaitpasledire.—Selonvous,votremarivousaime,repartit-il.Elles’assombritbrusquement.—Lapremièrefoisquej’aivumonmari,dit-elle,jesurveillaismesdeuxpetitsfrères.Ilsavaient
neufetonzeansà l’époque.Je lesaiemmenésdansleparc.Ilsétaientplutôt turbulents.Lorsquejeleuraiditdenepasallerjoueraucerceaudanslarue,ilsm’ontriaunez.IlsseseraientfaitrenverserparunfiacresiJonathann’avaitpasétélà.
Jacknes’étaitpasattenduàdetellesconfidences.—Riennevousobligeàmediretoutça.—Maisj’enaienvie,réponditRoseClarring.Illesaattrapés,ungarnementsouschaquebras,et
illesafaittournoyer.Leursriresretentissaientdanstoutleparc.—Leprocèsestfini,madameClarring.Rentrezchezvous.MaisRoseClarring,perduedanssessouvenirs,nel’entenditpas.—Moiaussi,j’aiéclatéderire,poursuivit-elletandisquesesjolisyeuxpervenches’emplissaient
denostalgie.J’étaistoujoursheureuseauprèsdeJonathan.Cequinel’empêchaitpasd’envisagerledivorce.—Riennevousobligeàmediretoutça,répéta-t-ild’untonbrusque.Etriennem’obligeàvous
écouter.—Moi,j’aibesoindevousparler,rétorqua-t-elle.Danssesyeux,lechagrinremplaçalanostalgie.Unénormeomnibuspassadanslarue,dansunconcertdecraquementsetdecouinements.Jackneputs’empêcherderemarquerqu’ellerespirait laborieusement. Ilavait réussià lui faire
perdrecontenance.Entantqu’avocat,ilauraitpeut-êtreéprouvéunsentimentdevictoire.Mais,entantqu’homme,ilvoyaitsurtoutlagénéreusepoitrinequisesoulevaitsousl’étoffeduchemisier.
Stoïquement,ilseforçaàlaregarderdanslesyeux.—J’aibesoindevousparler,redit-elle.Onparletoujourstrop,pensaJack.Mais,celanonplus,ilneleditpas.—Aprèsavoirreposélesgarçonsparterre,Jonathanm’aregardéeetiladit:«Jeveuxquevous
medonniezunedouzainedechenapanscommecesdeux-là.»Jackétaittoutouïe.—Ettelleétaitmonintention,maîtreLodoun,continua-t-elle.Jevoulaisluidonnerdesenfantsà
choyer. Il me rendait heureuse et je voulais le rendre heureux en retour… Vous m’avez accuséed’avoirrejointleclubdesMessieursetdesDamespourmeprocurerdesmoyensdenepastomberenceinte…
Nesachantquoirépondre,Jackfitunemouequinevoulaitriendire.—Vousavezmêmeparlédeprophylaxie,reprit-elle.Commesilagrossesseétaitunemaladie…Jackavaiteffectivementemployélemot,etilenconçutdesregrets.—Maiscen’estpasdesmanigancesd’avorteusequiontprivémonmaridedescendance,lança
RoseClarring.C’estlesoreillons.Lessoirsoùnoussommesseulsàlamaison,ilsesaouleàmort.Jevoulaisfairedeluileplusheureuxdeshommes,etj’enaifaitleplusmalheureux.Etilenseraainsitantquenousseronsmariés.Quandilmeregarde,toutcequ’ilvoit,c’estsonincapacitéàêtrepère.
Jacklaconsidéraitavecneutralité.Elleprituneprofondeinspiration.Sapoitrinesesouleva.Toutàl’heure,pendantlecontre-interrogatoire,ellen’avaiteuqu’àaffichercetaircandidepours’attirerlasympathiedesdouzejurés–tousdeshommespourtant,avecfemmeetenfants.
—J’ail’obligationmoraledemettrefinàcettesituationquinoustuetouslesdeux,conclut-elle.Une cloche tinta au loin, mêlant ses vibrations au vacarme de la rue. C’était le carillon de
Westminsterquisonnaitcinqheures.JackcontournaRoseClarringetfitsigneàunfiacre,quis’arrêta.L’odeuraigreduchevalluifit
rejeterlatêteenarrière.—Quiétait-ce,lafemmequevousavezaimée?demandabrusquementMmeClarring.Ilouvrit laportièredu fiacreetmontasur lemarchepied,parfaitementconscientque lecocher
était témoinde lascène–chacundesesgestesétaitobservé,chacunedesesparoles risquaitd’êtrerépétée.N’était-ilpasmembreduParlement?Lachoseavaitsesgrandeursmaisaussisesservitudes.
Pivotant, il accrocha le regard de Rose Clarring et prononça ces mots d’une voix claire etdistincte:
—CynthiaHerriesWhitcox.Lafilledupremier lordduTrésoret l’épousedeJamesWhitcox,avocatà lacour,membredu
conseildelareine.Elleécarquillalesyeux.Etpuis,ellecomprit.Ilavaitdéfendulesintérêtsd’unhommedansleseulbutd’endétruireunautre.Peuimportes’il
détruisaitlesmembresduclubdesMessieursetdesDamesparlamêmeoccasion.Pourcequiétaitdesmembresdececlub, ilavaitpleinementréussi.Leursviesneseraientplus
jamaislesmêmes.Àl’audience,ilavaitsaccagéleursréputations.Dèsdemain,lesjournauxallaientleslivrerenpâtureàunpublicavidedescandale.
Contre toute attente, il ne distingua aucun reproche dans les beaux yeux pervenche de RoseClarring.Aulieudecela,elleposalaquestionquil’empêchaitsisouventdedormir:
—Dites-moi,maîtreLodoun,siellen’étaitpasmorte,croyez-vousqu’elleauraitdivorcé?
2
Unclaquementdeportière,ungrincementderoues,etlefiacredisparutdanslesencombrementsdelaville.
Roseétreignitsonparapluie.Elleavaiteubesoindelui,etilluiavaittournéledos.Commesielleluidéplaisait.Elleavaitpourtanteul’impressiondeluiplaire.Maiselles’étaitpeut-êtreimaginédeschoses.Sesyeuxs’emplirentdelarmes.Quesavait-elledudésirdeshommes,ellequin’inspiraitquedelasouffranceàsonmari?—Jevaisvouschercherunfiacre,mapetitedame?lançaderrièreelleunegrossevoixvulgaire
etéraillée.Roseseretournaetvitunclochard,guèreplusgrandqu’elleetplutôtrondouillard.—Querelled’amoureux,pasvrai?ajouta-t-ilensouriant.Illuimanquaitpresquetoutessesdents.Maissesyeuxétaientpleinsdecompassion.Roseravalasonchagrin.—Jeveuxbienunfiacre,dit-elle.Dèsqu’elleeutsortiunpennydesonréticule,unfiacreserangealelongdutrottoir.Roseglissalapiécettedanslamaincalleuseetsaleduclochard.—QueDieuvousbénisse,m’dame.Toutdoucement,ellesehissadanslefiacre.—Oùça,madame?demandalecocherd’untonlas.Elle ne pouvait pas aller chez Jonathan, dans cette grande maison sans berceau. Mais elle ne
pouvaitpasespérerluicacherindéfinimentleprocèsd’aujourd’hui.—Àl’angledeLanghametdeGreatPortlandStreet,jevousprie.Lefiacreempestait lecigareet leparfumdefemme.Machinalement,ellerefermalaportièreet
regardaparlavitreconstelléedetaches.Qu’allait-ellepouvoirdireàsafamille?Lavérité?Quellevérité?Qu’elle avait discuté de sexualité avec des hommes ? Qu’elle avait lu des livres considérés
commecontrairesauxbonnesmœurs?Celaavaitparubieninnocentàl’époque,cesréunionsdansunesalled’unmuséedeLondres,un
coupdemailletfrappésurunsocleindiquantledébutdechaqueséance.Le procès d’aujourd’hui avait également commencé par un coup demarteau. L’écho s’en était
propagéjusqu’àlapetitepiècesansfenêtredanslaquelleelleattendaitsontour.
La roue gauche du fiacre passa dans un nid-de-poule. Rose fut soulevée par une ruade de labanquette.
Elles’agrippaàlapoignéedelaportière.Lefiacrecontinuaimperturbablementsaroute.Àtraverslavitresale,lesboutiquescédèrentlaplaceàdesolidesbâtissesdebriques.Chaquepâté
demaisonsétaitcommeunvillage.Danschaquemaison,unefamille.Danschaquefamille,desfemmes,chacuneàsaplace:épouse,
mère,fille.Lefiacreralentitetfinitpars’arrêteraprèsquelquesà-coups.Roselevalesyeuxverslecielbleustriédenuagesgris.Leventavaitchassélapluie.Mais,àprésent,iln’yavaitplusdevent.Rosenesavaittoujourspascequ’elleallaitdireàsafamille.Àcontrecœur,elleouvritlaportièredufiacre.Unrayondesoleiléclairaitlafaçadedelagrandemaisonoùelleavaithabitépendantvingt-deux
ans,jusqu’àsonmariage.Laportepeinteenblancbrillaitcommedel’émail.Sachambreavaitdonnésurlarue.Lestoreétaitmaintenantbaisséderrièrelafenêtrecarrée.Rosepayalecocher.Laportes’ouvrit.—MadameClarring…Levieuxmajordome,aussiimposantquelamaison,s’inclinalégèrement.—Hello,Giles,ditRoseenluitendantsonparapluie.Giless’enemparaetlefitpromptementdisparaître.Elleôtasesgants.Lemajordomeladébarrassadesacape.Roses’avançadanslamaison,maisuntoussotementl’empêchad’allerplusloin.Compris!Elle
s’essuyalespiedssurlepaillasson.Têtebaissée,ellevérifial’étatdesessemelles…Convenable.—Mèreest-ellelà?—M.etMmeDavissontdanslesalon.Elleseredressaetpritunairrésolu.—Merci,Giles.Ses parents étaient assis de part et d’autre du somptueux guéridon en noyer qui, du plus loin
qu’ellesesouvienne,avaittoujourstrônéaumilieudusalon.Ilsaffichaienttouslesdeuxuncertainembonpoint.Lescheveuxdesonpèreseraréfiaient,ceuxdesamèregrisonnaient.
Ilsn’étaientpasentraindeprendrelethé,nidejouerauxéchecs,nidefaireuneréussite.SurleguéridonétaitétalélejournalleGlobe.
Roses’arrêtaprèsdelatableetrestalàsansoserrespirer.Lejugementn’attendraitpasdemain.Sonpèrelaregardafixement–c’estdeluiqu’elletenaitsesyeuxmauvepâle.—C’est toute l’estime que tu as pour nous,Rose ? demanda-t-il d’une voix qui trahissait son
chagrin.Commentsefait-ilquenousdevionscomptersurlesjournauxpouravoirdetesnouvelles?Roseregardaleguéridon.Samèreluiavaitapprisàservirlethésurcettetable,pensa-t-elleavec
unserrementdecœur.Etsonpèreluiavaitapprisàjouerauxéchecs.MaintenantleGlobeyétaitdéployé,desmotsimprimésnoirsurblancquisuffisaientàdétruire
trente-troisansdeconfianceetderespect.JackLodounavaitditqu’elleétaitunetrèsjoliefemme.Rosen’avaitpasl’airjoliedutoutdansle
journal.
Au-dessus de son portrait, dessiné avec un certain talent, on lisait : Rose Clarring, en quêted’absoluousaisieparladébauche?
—Ettoi,papa,c’esttoutel’estimequetuaspourmoi?parvint-elleàarticuler.TupensesquejepourraisavoirtrompéJonathan?
—Cen’estpascequej’aidit,protestalevieilhomme.—Maisc’estcequetupenses,persistaRose.Sonpèrerougitdehonteetdétournalesyeux.—Pourquoinenousas-turiendit,Rose?luidemandasamère.—Vousdirequoi,maman?—Quec’étaittoiquinevoulaispasd’enfants.Nousavonstoujourscruquec’était…Mme Davis ne put se résoudre à achever sa phrase : « Nous avons toujours cru que c’était
Jonathanquinepouvaitpasavoird’enfants.»Rosese renditcomptequ’ilétaitunpeu tardpour livrer lessecretsqu’elleavaitsibiengardés
pendantdesannées.Celaneserviraitàrien.L’avenir–désormais,c’étaittoutcequicomptait.Roseprituneprofondeinspiration.—C’estcequ’ilsdisentdans le journal?Que j’ai adhéréauclubdesMessieursetdesDames
pourm’informersurlesmoyensd’éviterlaconception?LevisagedeMmeDavisdevintrougesombre.—Papa,maman,poursuivitRosequicommençaitàsesentirà l’étroitdanssoncorset,si jene
vousaipasparléduclubdesMessieursetdesDames,c’estparcequejecraignaisvotreréaction…Oualors,ellen’avaitrienditparcequ’elleavaitestiméquecelaneregardaitpersonne.Elleavait
justeeuenviedepréserver…commentdire?sonjardinsecret.—EtJonathan?s’exclamaM.Davisd’unevoixhorrifiée.Nemedispasqu’ilvaapprendretout
çaparlesjournaux,luiaussi!Le regard de ses parents l’embarrassait davantage que celui de tous ces gens dans la salle du
tribunal – des hommes et des femmes occupés à juger sa robe, sa figure, sa voix, sonmariage, àestimersavaleurentantqu’êtrehumain.
—J’aiparléduclubàJonathan.C’étaitunedemi-vérité.Ouundemi-mensonge.Jonathanétaitivremortlorsqu’elleenavaitparlé.—Etduprocès?insistasonpère.—Non.M.Davispâlit.Roserassemblasoncourage.Ellen’avaitpasflanchéquandJackLodounl’avait
misesurlasellette.Ellepouvaitrépondrefranchementàsonpère.—Non,redit-elle.Jeneluiaipasparléduprocès.—Oh,Rose!hoquetaMmeDavis.LevisagedeM.Davisdevintgrisâtreetvieillitdevingtansenuneseconde.Àcaused’elle!LavuedeRosesebrouilla,commesilanuitétaittombéed’unseulcoup.Lemajordomesurvinttrèsopportunément.—Madame, monsieur, dit-il, j’ai préparé un plateau. Mme Clarring aura sans doute manqué
l’heureduthé.Roseluicoulaunsourirepleindereconnaissance.Elleadoraitcepersonnagebourruettendrequi
autrefoisluifaisaitlesgrosyeuxlorsqu’ellesalissaitsesparquetsavecsessemellescrottées,maisqui
luiapportaittouslessoirsunverredelaitchaudetuneassiettedebiscuitsencachettedesesparents.—Merci,Giles.LemajordomeenlevaprestementleGlobeavantdedéposersonplateausurleguéridon.Sesmains,gantéesdeblanc,netremblaientpas.AucontrairedecellesdeRosequandellesouleva
lathéière.—Vouspouvezdisposer,Giles,ditsèchementM.Davis.Rose versa le thé dans les fines tasses de porcelaine. Elle fit une tache sur le napperon qui
garnissaitlefondduplateau.Lataches’étalalentement.Commecellequ’elle était en trainde faire sur la réputationde sonmari etqui allaitgrandir à
chaqueparutiond’unjournal.Rosereposalathéière.Aumêmemoment,lesportescoulissantesdusalonserefermèrent.—Pourquoias-tutémoigné?questionnasamère.Rose,perduedanslacontemplationdelatachequinecessaitdes’étendre,tardaàrépondre.—Rose?insistasamère.—J’aiétécitéeàcomparaître…Parl’avocatàquielleavaitdemandédeluiobtenirledivorce!Un homme qui l’avait accusée d’avoir adhéré au club des Messieurs et des Dames afin
d’apprendreàforniquersanstomberenceinte!Unhommequi,toutenaimantlafemmed’unautre,avaitprétenduqu’ellefréquentaitceclubdans
l’espoirdetrouverunamantquilasatisferaitmieuxquesonmari!Maisoùavait-ellelatête?Ilfallaitqu’ellesoitfollepourcroirequ’ilallaitl’aider!—Tuauraisputrouveruneexcusepournepasteprésenter,ditsamère,quinesemblaitpasbien
connaîtrelesloisanglaises.C’estfacile,pourunefemme.—Non,répliquaRoseenseraidissant.Jen’auraispaspu.—Pourquoidonc?demandasonpère.Elleauraitvoulurépondre«Parcequecesontmesamis»,maislesmotsrefusèrentdefranchir
seslèvres.Endeuxans,ellenes’étaitpasfaitunseulamiparmilesmembresduclub,lesMessieursetles
Damesnesefréquentantpasendehorsdesréunions.—Un homme prétendait faire enfermer une femme dans un asile de fous, papa ! Simplement
parcequ’iln’approuvaitpaslesujetdenosdiscussions.—Si j’ai bien compris ce que j’ai lu dans le journal, il s’agit du fils de la dame en question,
objectasonpère.—Filsoupas,ilavaittort.—Qu’unhommeveuillefaireenfermerunefemmesurlaquelleilaautorité,çaneteregardepas,
ditsamèred’untonsansréplique.Roseneselaissapasdémonter.—Sipapatefaisaitenfermer,dirais-tuencorequejen’aipasàm’enmêler?MmeDavisdevintlivide.—Tonpèreneferaitjamaisça!—Maisilenauraitledroit.Quelesfemmessoientendangerdanslasociété,c’étaitévidentpourtousceuxquiavaientassisté
auprocèsd’aujourd’hui.RosesetournaversM.Davis.
—N’est-cepasquetuenauraisledroit,papa?Ilparutdéroutéparlaquestion.—Tupensesquejen’aimepastamère,Rose?Rosesesouvintdetouteslesfoisoùelleavaitpleuréparamour.—Laquestionn’estpaslà,répondit-ellefermement.Sa mère la regarda avec son habituelle tendresse – une tendresse dont Rose avait tiré tant de
réconfort lorsqu’elle était petite fille, mais qui ne lui servait à rien maintenant qu’elle était unefemme.
—Tonpèreetmoi,noust’aimons.Tulesais,n’est-cepas,Rose?Oui.Toutlemondeaimaittoutlemondedanslafamille.Maisl’amournesuffisaitplus.—Jevaisdivorcer,jetaRose.Ungrondementsefaufiladanslesilencequisuivit.C’étaitlesrouesd’unevoituresurlespavés
delarue.Lanuit,lepassaged’unevoitureétaitbeaucoupplusbruyant.Unvraivacarme.Rosesesouvenaitqu’ellel’avaitparfoistrouvéinsupportable.—Jenetecomprendspas,Rose,fitsonpère.UnsourireétiraleslèvresdeRose.Unsourirepâleettriste.—Moinonplus,jenemecomprendspas.—Est-cequetufaisçaàcausedececlub?demandasamèreavecuntremblementdecolèredans
lavoix.C’estcequelesgensallaientpenser.Commeilspensaientqu’elleavaittrompésonmari.—Non,réponditRose.Çan’arienàvoiravecleclub.Pourimpossiblequecelaparaisse,uneétincelled’espoirs’allumadanslecœurdeRose.—Jevousaime, reprit-elle,mais leclubdesMessieursetdesDames, leprocès,mondivorce,
toutcelan’arienàvoiravecvous.J’espèrequevouscomprenez.Elle regarda les photographies disposées sur les meubles du salon ou accrochées aux murs,
enchâsséesdansdescadresdebronzeoud’argent.Elleavaitcinq frères, leplus jeuneayantvingt-trois ans et le plus âgé trente et un. Chacune de ces photos éternisait un moment de leurs vies :enfance,collège,mariage.
Lesappareilsphotoavaientfaitdesprogrèsenquelquesannées.Unpetitgarçonsouriaitàl’objectif–lefilsdesonplusjeunefrère.Unautregarçontâchaitde
tenirenéquilibresurdespatinsàroulettes–lefilsaînédesonfrèreaîné.Deuxyeuxd’obsidienneavaientl’airdel’observer–ceuxduchevalàbasculeexilédansuncoin.
Sa crinière en étoupe de lin était ébouriffée, sa peinture était couverte de craquelures : il avaitbeaucoupservi.
Ses frères et elle s’étaient balancés sur cepetit cheval ;maintenant, c’étaient les enfantsde sesfrères.
Danscettepiècesetrouvaitréunitoutcequesonmariavaitsouhaité.Roseseretournaverssesparents,promenantdel’unàl’autreunregardquinecillaitpas.—J’espèrequevousapprouvezmadécision.Elle sortit de son réticule un bristol. D’un côté, il y avait, imprimé en caractères antiques,
l’adressedeJonathan.Del’autrecôté,elleavaitécritquelquechoseàlaplume.—J’ailouéunemaisonenville.Voicimanouvelleadresse.Lorsquej’auraifinidem’installeret
quetoutseraenordre,vouspourrezmerendrevisite.
M.etMmeDavisparurentsidérés.—Jevouslaissesavourervotrethé,conclut-elle.Qu’aurait-ellepuajouter?L’épais tapis absorba le bruit de sespasquand elle s’en alla.En revanche, dans le couloir, ses
talonsclaquèrentsurleparquet.—Votrecape,madameClarring,fitGilesdanssondos.Ellesursauta.Gilesavaittoujourseulechicpourarriverencatimini.Ellerestaimmobileletempsqu’illuiposesacapesurlesépaules.Puiselleenfilamachinalement
sesgantsetrécupérasonparapluie.Gilesluiglissaunrouleaudepapierdanssamainlibre.RosereconnutleGlobe.—Ledessinn’estpastrèsressemblant,madameClarring.Ellesourit,maisdeslarmesvinrentluibrouillerlavue.—Vouslepensezvraiment?Aulieuderépondre,lemajordomedemanda:—Est-cequeMmeHartaobtenugaindecause?Rose avait témoigné à deux heures de l’après-midi. Le procès s’était achevé vers cinq heures.
Troptardpourimprimerleverdict,maispastroptardpourruinerdesréputations.—Oui.Sonfilsaétédébouté.Leregarddumajordomenetrahitaucuneémotionparticulière.—J’aidemandéaumarmitond’allervousappelerunfiacre.Rosebattitdespaupièrespourchasserseslarmes.Ilneluirestaitplusqu’às’enaller.Lorsqu’elleseretrouvadanslarue,leciels’assombrissait.Lestoitss’ornaientd’unliserérose.Unattelageattendaitlelongdutrottoir,lefiacreetlechevalaussinoirsl’unquel’autre.Rose donna sa destination au cocher, monta dans le fiacre et s’assit sur la banquette au cuir
fatigué.Ungamindescendaitlarue,allumantlesréverbères.Lalueurdesflammèchesétaittropfaiblepourdisperserlesombres.
Lefiacrefinitpars’arrêter.Roseordonnaaucocherdel’attendreunmoment.Lecrépusculeétaitentraind’avalerlamaisonbriqueparbrique,badigeonnantdegristoutesles
vivescouleursdelafaçade.Parunefenêtreàmeneaux,elleaperçutEmily,lafemmedechambre,entraind’allumerlalumièredanslesalon.
Lemajordomerestabouchebéeenlavoyantparaîtredanslevestibule.—MadameClarring,dit-ilens’inclinantlégèrement.—BonsoirJustin,réponditRose.Enunclind’œil,lemajordomes’étaitressaisi.Ilaffichaitdésormaisunmasqueimpassible.Maisilavaitmanifestementlulejournal.Ilétaittoutenraideuretenhostilité.Roses’interditdepleurer.—Monsieurest-ilrentré?demanda-t-elleenétreignantsaclé.—Non,madame.Rosepoussaunsoupirdesoulagement.ElleaffronteraitJonathan.Maisplustard.Aujourd’hui,ellen’enauraitpaseulecourage.—Unfiacreattenddehors,dit-elle.Faites-yporterlamallequiestdansmachambre.Justinacquiesçad’unsignedetête,pivotaets’éloigna,lesbasquesdesavesteflottantderrièrelui.Au-delàdel’escalier,ilyavaitcinqportes.Closes.Elleavaittrahisonmari,ellen’avaitplussaplacedanscettemaison:voilàcequesemblaientdire
cescinqportes.
Cettemaisonoùelleavaittantdebonsetdemauvaissouvenirs.LabouchedeRoses’emplitd’amertume.Détournantlatête,ellefutéblouieparunreflet.Unplateaud’argent,posésurunetabled’angle,
brillaitdanslaclartédeslampes.Surleplateau,bienrangées,deslettres,etununiquejournal,quinepouvaitêtrequeleGlobe.Rosepritalorsunedécision.Rangeantsaclédanssonréticule,elles’approchadelapetitetable.Lepremiertiroircontenaitdes
cartesdevisite,unporte-plumeetdel’encre.Lesecondtiroircontenaitdupapieretdesenveloppes.Lorsqu’elleenlevasesgants,sonalliancelançauneétincelledelumière.Pourquoilagarder?Elle lafitcoulisser le longdesonannulairehumectéd’unpeudesaliveet l’enveloppadansun
mouchoir,avantdelajeterdanssonréticule.Puisellepritlaplume,latrempadansl’encre…etregardalonguementlafeuilledepapier,sans
rienécrire.CommentexpliqueràJonathanqu’ellenepouvaitplussecontenterdesouvenirs?
3
—C’estdiantrementdommagequevousayezperdu,Lodoun.Lebruitdespiedsdefauteuilsfrottantsurleparquetsemêlaitàceluidesconversations–rienque
desvoixd’hommes.Lafuméedescigaresempêchaitdevoirtrèsloin.—C’estundénide justice, sivousvoulezmonavis.Unclubde libertinsetde libertines !Des
hommes,passeencore!Jediraismême:sacrésveinards,tantmieuxpoureux.Maisl’idéemêmequenosfemmes…Maisbon!Nosfemmesànousneferaientjamaisça,pasvrai?JeplainsClarring.Lepauvrebougre!Mariéàcetteespècedeputain…
Lemot«putain»traversalesvapeursd’alcool.JackavaitditàRoseClarringqu’elleseraitdanstouslesjournauxdedemain.Ils’étaittrompé:elleseretrouvaitdanslesjournauxdusoir.Leverdictétaittombétroptardpourêtredanslapresse,maisiln’yavaitpasdesecretsentrele
tribunaletleParlement.Touslesdéputéssavaientqu’ilavaitperdu.Jack regarda froidement le gros homme assis en face de lui : Blair Stromwell, député depuis
vingtoutrenteansetprésidentdugroupeconservateurauParlement.—VousconnaissezJonathanClarring?demandaStromwellenreposantleGlobesurlatable.Jackleconnaissaitderéputation.Ilconnaissaitsurtoutlesdésirsdesafemme.Ellevoulaitdivorcer.Uneobligationmorale,avait-elledit.Jacklevasonverre–nichéaucreuxdesamaincommeunseindefemme–etlevidad’untrait.
Puisillereposa.LechocducristalcontreleboismassifserépercutadanslagrandesalleduclubSt.Stephen.Àcôtédesonverrevide,ilyavaitunecarafeaufonddelaquellebrillaitunrestedecognac.
Lessoirsoùnoussommesseulsàlamaison,ilsesaouleàmort,avait-elleditaussi.—Pourquoidevrais-jeconnaîtreJonathanClarring?demandaJackaugrosbonhomme.C’estsa
femmequej’aiinterrogée,paslui.—C’estlemeilleuragentdechangedelaville,etpeut-êtredupays.Ilagagnéunefortune.BlairStromwelltirasursoncigareavantd’ajouter:— Allez le voir. Dites-lui que vous venez de ma part. Il aura de bons placements à vous
recommander.Jackreculasonfauteuil,carl’odeurducigareluiétaitpénible.—Jelaissecelaàmonhommed’affaires.—Dommagequevousayezperdu,Lodoun,lançaunevoixderrièrelui.Desmèresquiattaquent
leursfilsenjustice!Etquigagnent!C’estaffligeant.Toutbonnementaffligeant.Consolez-vousenpensantquec’estvousquiétiezdanslevrai.
Jackpivotadoucement.
—Vouslecroyezvraiment?dit-ilauvieillardquiluitapotaitfamilièrementl’épauled’unemainparcheminéeetpresquetransparente.
C’était sirPaulSkeat. Il regardait JackLodoun avec compassion…ou alors, c’était la lumièretremblotantedeslampesquiluidonnaitcetaircompatissant.
SirPaulétaitledoyenduParlementetleprésidentducomitédesprivilèges.Ilavaitquatre-vingt-cinqans,ets’ilavaitapprisquelquechoseaufildesestroisquartsdesiècled’existence,c’étaitqu’onpeuttoujourscomptersurl’ambitiondesjeunesgens.
—Stromwellvousa-t-ilditquenousavonsparlédevouscetaprès-midiencommission?Cetaprès-midi?Pendantqu’ilétaitoccupéàdétruirelaréputationd’unehonnêtefemme!—Oui, confirmaStromwell. J’ai dit au doyen qu’un homme commevous aurait tout à fait sa
placeàlaCoursuprême.Un juge à la Cour suprême siégeait à la Chambre des lords. Si Jack était nommé, la reine
l’élèveraitautitredebaron.Ceseraitlecouronnementdesacarrière.Maistoutepromotionaunprix.Jackl’avaitapprisàsesdépenslorsqu’ilétaitprocureurgénéral.—Jenesavaispasqu’ilyavaitunfauteuillibreàlaCoursuprême,commenta-t-il.—Iln’yenapas…Ledoyenpritl’avant-brasdeJacketleserra;ilyavaitencoredelaforcedanscesvieuxdoigts.—Enfin,pasencore,ajouta-t-ilsurletondelaconfidence.Maisçanesauraittarder.Unsiègeà laChambredes lords.Un titredebaron…Etçanecoûterait rien…àpartquelques
mensonges,quelquessilencescoupables,etbeaucoupdecompromission.Jackpromitd’yréfléchiretpartitverslasortie.Sursonpassage,cefutunconcertde«Dommagequevousayezperdu».Ilsconnaissaienttouslavéritémaisaucunn’osaitladire:«Dommagequetuaiesperducontrele
pauvretypequetuasabondammentcocufié,espècedesaligaud!»Jack récupéra sonmanteau, son chapeau et sonparapluie auvestiaire.Unhommeenuniforme
blancetnoirluiouvritlaporte.Avecunepointed’ironie,Jacksongeaqu’uneinscriptionauclubSt.Stephen–celuioùaimaientà
seretrouverlesdéputésconservateurs–coûtaitpluscherquelesalaireannueldeceportierdontilsavaienttousjurédeprotégerleslibertés.
Ildescenditlesmarchesduperron.Leportier,arrivéavantluisurletrottoir,faisaitdéjàsigneàunfiacre,quis’arrêta.
Jackétaitsaoul.Maispasassezpouravoiroubliécertainsyeuxpervenche.Ildonnaunflorinauportieretmontadanslefiacre.—Où?demandalecocherd’unevoixétoufféeparl’écharpequiluicouvraitlenezetlabouche.Des cloches retentirent, leur assourdissant carillon terminé par trois coups mats. Il était neuf
heuresmoinslequart.Jack leva les yeux. L’imposante silhouette du palais deWestminster, découpée sur le ciel gris,
brillaitcommedel’or.Oùavait-ilenvied’aller?—Danslequartierdupalaisdejustice,dit-ilaucocherenprenantlepariquelalibrairieBailey
seraitouverte.Ellel’était.Ungrelotausonaigreannonçasonentrée.
La boutique baignait dans la lumière de nombreuses lampes à gaz. Des dames en chapeau àaigrette etmanteau noir tournaient autour de tables chargées de livres.Desmessieurs enmanteausombreetchapeaumelonparcouraientlesallées.
QuandJackrefermalaporte,legrelotémitdenouveausadéplaisantemusiquette.Personnenes’intéressaàlui.Personne,saufunvieuxvendeurencostumedetweed.IlreconnutJackets’aperçuttoutdesuitequ’ilétaitsaoul.Il connaissait l’existence du club des Messieurs et des Dames – un groupe d’hommes et de
femmesquis’était réuni iciunefois,quelquessemainesplus tôt–et ildevinaitpourquoiJackétaitvenu.
Jacklerejoignitetditseulement:—Montrez-moiça!Sans demander d’explication, le vendeur ouvrit une porte ornée d’une plaque sur laquelle on
lisait:Littératureancienne.Jackseretrouvaconfrontéàunmurdelivresavecdestitresengrecetenlatin–certainsqu’il
connaissait,d’autrespas.D’énormesfauteuilsétaientretranchésdansuncoin.Ilsetrouvaitdansunesalledelecture.Sesdoigtssecrispèrentautourdelapoignéedesonparapluie.Il n’y avait aucun livre pornographique pour exciter l’imagination. Aucun instrument pour
stimulerlecorps.Aucunespoirdesatisfactionsexuelle.—Oùest-ce?questionnaJackd’unevoixrauque.Rauqued’avoirtropbu,sedit-il.Maisilsavaitquecen’étaitpasvrai.—Derrièrececi,monsieur, répondit levieuxvendeuraucostumede tweedenappuyant surun
panneau,quipivotaàgrandbruit,révélantunescalier.Unescalierdepierre,sansrampe.Unefemmequiseseraitprislespiedsdanssaroben’auraiteunullepartoùserattraper.Maiscet
escaliern’avaitpasétéconçuenpensantauxfemmes.—Quandvousserezprêtàpartir,ditlevendeur,quelqu’unvousmontreralasortie.Jacks’avançadanslapénombre.Derrièrelui,lepanneauserefermaavecunbruitsourd.Devant
lui,desalléesseglissaiententredestables.Tropétroites,sansdoute,pourunfauteuilroulant,pensaJack.Pourtant,l’undesmembresduclub
desMessieursetdesDamessedéplaçaitenfauteuilroulant,etçanel’avaitpasempêchédehanterceslieux.
Jack parvint au bas de l’escalier. L’atmosphère était légèrement plus fraîche qu’au rez-de-chaussée.
Ce n’était pas la première fois qu’il s’aventurait dans ce genre de boutique, mais c’était lapremière fois qu’il venait dans celle-ci. Elle ne différait guère des autres, ni par l’allure ni parl’ambiance.
Lestablesétaientcouvertesdetracesdedoigts.L’airsentaitl’hommeenrut.Jackse faufilaentredesmessieursengrosmanteauxetchapeauxdefeutre,etchoisitunecarte
postaleillustrée.Onyvoyaitdeuxjeunesfemmesnues,souriantd’unaircoquin.L’uneoffraitsonpostérieuraux
regardstandisquel’autreluiadministraitunlavement.LesexedeJacktressaillitdanssoncaleçon.
Il se demanda ce que Rose Clarring penserait de cette image. Peut-êtremême l’avait-elle vue.Avait-elleéprouvédudésiroududégoût?
EtCynthiaWhitcox,lafemmequ’ilavaitaimée,qu’aurait-elleditdecettesituation,sommetoutebanalesurlesphotographiespornographiques?
Elleavaitaiméqu’illaprenne…parlepetittrouduguichet,commeelledisaitjoliment.Aurait-elleétéhorrifiées’ilyavaitglissélacanuled’unepoireàlavementetavaitenvoyéenelle
un jetd’eauchaude?Oubienaurait-elleétéémoustillée–commeil l’était lui-mêmetoutàcoupàcetteidée?
Vaguementhonteuxd’éprouverdudésirpourunemorte,ilreposalacartesurlatable.Maisilnepouvaitserésoudreàpartir.Unequestionlehantait.Serait-elleencoreenviesielleavaitdemandéledivorce?Jack tourna le dos à la table qui semblait près de crouler sous le poids des boîtes de cartes
postales.Unegrandevitrineoccupaittoutlemurdufond.Jackenétudiafroidementlecontenu.—Puis-jevousaider?demandaunevoixd’homme.JacksavaitqueRoseClarringétaitvenue ici.Mais ilnesavaitpascequ’elleavaitacheté. Ilne
savaitpascequil’avaitexcitée.Ilnesavaitpasnonplussiladouleurquisereflétaitdanssesbeauxyeuxmauvesétaitguérissable.—Étalezçasurlecomptoir,dit-il.Levendeurparutconsterné.—Tout,monsieur?Jackregardalejeunehommeaveccetaird’autoritéquis’acquiertnaturellementlorsqu’onsiège
àlaChambredescommunes.—Seulementlesobjetspourfemmes.Levendeurétalaprestementtouslesustensilesdemandés,puiss’éclipsa.Ayantaccrochésonparapluieàsonavant-bras,Jackpritunepinceàseinenoretlamitauboutde
sonpetitdoigt.Çafaisaitmal.IlavaitadmirélesseinsdeRoseClarringàtraverssoncorsage.Àprésent,ilessayad’imaginer
sestétons.Étaient-ilsplusgrosqueleboutdesondoigt?Oupluspetits?Est-cequ’ilsseraientdoux?AussidouxqueceuxdeCynthia?…Qu’ilnepourraitplusjamaiscaresser,lécher,téter…Ladouleurauboutdesondoigtsemitàirradier,remontalelongdesonbras.Jackretiralapince.Ungodemichéattirasonattention.Illepritdanssamain.Ungodemichégainédecuir.RoseClarringenavait-elleunpoursedonnerduplaisirlanuit,seuledanssonlit,enimaginant
quec’étaitquelqu’und’autrequesonmari?L’enfonçait-elleprofondémentquandellejouissait?Ilrepensaàl’amouravecCynthia…Lesparoischaudesethumidesdesonsexe…Non!Cynthiaétaitmorte.C’étaitodieuxderepenseràellecommeça.Jackreposalegodemiché,empoignasonparapluieetpivota.Malgrélui,lessouvenirsl’assaillaient.Leva-et-vientdelamaindeCynthiasursonsexe,lalanguedeCynthiasursongland.Etpuis,l’odeurâcredudésir…lescrisdeplaisir.
Ils’approchad’unetablerondesurlaquelleétaientdisposésdesflaconsdecristal.Il reconnut lamarque et le produit : l’huile deMargot, un lubrifiant intime qu’il avait acheté
naguèreencore…pourCynthia.Pasmoyend’yéchapper…
4
Roseseréveillaensursaut.Elle avait rêvé.Ce n’était pas la barre des témoins qu’elle agrippait,mais son drap trempé de
sueur.Cevacarme,cen’étaitpaslemailletdujugesursonsocle,maisleheurtoirdebronzecontrelaporte.
LesparolesdeMeLodounluirevinrentenmémoire.Àvotreplace,j’auraispeur.Ellerouvritlesyeux.Danslapénombre,sespupillessedilatèrentlentement.Sonmaripouvaitlafaireenfermer.À la lumière du jour, l’hypothèse avait paru improbable. Maintenant, au cœur de la nuit, le
heurtoiravaitl’airdedire:«Mettez-vousçadanslatête!»Pourlapremièrefoisdesavie,elleétaitvraimentseule.Ellepourraittoujoursappeler,personne
neviendraitàsonsecours.Personne.Cefutlaraisonquivintàsonsecours.ElleavaitlaisséunmotàJonathanpourl’informerdesanouvelleadresse…Maisseulementen
find’après-midi…Troptardpourqu’ilaitdéjàobtenuunordred’internement.D’autrepart,uncrimineln’annonceraitpassavenueenfaisantautantdetapage.Roserepoussalescouverturesetseleva.Lesolluiparutfroidsoussespiedsnus.Àtâtons,elle
ouvritlepremiertiroirdelatabledechevetetpritlaboîted’allumettes.Uneétincellebleue…puisuneflammejaune.Ellesoulevaleverredelalampeetallumalamèche.Delalumièrejaillit,lapièceavecsesmurs
nussurgitdel’obscurité.Lorsqu’ellesoufflasurl’allumettepourl’éteindre,unnuagedebuéesortitdesabouche.Elle récupéra la bougie dont elle s’était servie pour s’éclairer dans l’escalier et l’alluma à la
flammedelalampe.Descoupsdeplusenplusviolentsretentissaientcontrelaportedurez-de-chaussée.Levisiteur,quelqu’ilsoit,s’impatientait.Labougieprojetasa lueurorangeetvacillantedans lecouloir…dans l’escalier…sur laporte
blancheenvironnéed’ombre.—Quiestlà?demandaRose,lecœurbattant.Unautrecoupfittremblerlaporte.CenepouvaitêtrequeJonathan.Ilsallaientavoirmaintenantladiscussionqu’ilsauraientdûavoirdouzeansauparavant.Elleôtaleverrouetouvritlaporte.
—Jonathan…Unchapeautrempédepluiedégoulinaitsurunvisageconnu.—Bonsoir,madameClarring.Apparemment,cen’estpasmoiquevousattendiez.Ilsentaitsifortl’alcoolqueRoserejetalatêteenarrière.—Vousêtesprisdeboisson,dit-elle.—Maispasivremort,répondit-il.Sous-entendu:«àladifférencedevotremari».Rosesesentitpourainsidiretrahie.Ç’auraitdûêtreJonathansursonseuil,pascethomme.Elleagrippaleboisdelaporte,froidethumide.—Ilesttard,maîtreLodoun.—Iln’yapasd’heurepourlesbraves,repartitJackLodounenlaregardantdroitdanslesyeux.—Quevenez-vousfaireici?—Parlerdevotredivorce.Elleauraitdûmanifesterdelajoie.Aulieudecela,ellerestademarbre.Avait-ellebiencompris?—Toutceque je faisades répercussionssurmacarrière,ajouta-t-il.Etcependant, je suis ici,
prêtàvousaider.Nelaissezpaspasservotrechance…— Je vous remercie de votre sollicitude, répondit Rose d’un ton déterminé.Mais je n’ai pas
besoindevosservices.LesfavorisdeJacksemblaientpailletésd’orsouslalumièredelabougie.—Vousnevoulezplusdivorcer?—Peuimportecequejeveux,répliquaRoseavecunepointed’amertumedanslavoix.Vousavez
luleGlobe.Àcausedevous,monsieur,jepassedésormaispourunefemmeadultère.Jackesquissaunsouriredédaigneux.—Etmaintenant,vousallezpleurnichersurl’épauledevotremari?Cetteméchancetéluifitmal.—J’aiécritàmonmariquejenem’opposeraipasaudivorce,rétorquasèchementRose.—Mais,pourobtenirledivorceàsonprofit,ildevracommencerparprouverl’adultère.Avez-
vouscommisl’adultèreavecl’undesmembresdevotrefichuclub?Laquestionétaitd’uneinjusticerévoltante.—Voussavezbienquenon.— N’oubliez pas, madame Clarring, que j’ai été l’amant d’une femme mariée, dit Jack très
posément.Qu’est-cequivouspermetdepenserquevousêtescapablederésistermieuxqu’elleàlatentation?
Roseledévisageadanslapénombre.Ilavaitl’airimpassible.Pourtant,ildevaitêtreému.Ilavaitaimélafemmed’unautre.Ilavaitchèrementpayécetamour.—Rien,répondit-elleàmi-voix.Rosen’avaitjamaispenséqu’elleétaitmeilleurequ’uneautre.Auloin,BigBensonnaonzeheures.Uncourantd’airfroidethumideseglissasouslachemise
denuitdeRoseetremontalelongdesesjambes.Ellefitunpasenarrière.—Vousn’avezaucuneraisond’avoirpeur,dit-ilenfaisantunpasenavant.Roseétaitcertaineducontraire.Elleétaitnuesoussachemisedenuit,etelleavaitenfaced’elle
unhommequiempestaitl’alcooletdonnaitl’impressiondenepassecontrôlertoutàfait.Laporteserefermaenfaisantunbruitsourdetsinistre.—Commentm’avez-vousretrouvée?
Ellen’avaitdonnésanouvelleadressequ’àsesparentsetsonmari…—Ungreffierm’afaitpartdevotrechangementd’adresse.Àsesparents,sonmari…ainsiqu’àungreffierdutribunal,enarrivant,sesouvintRose.Dans la lueur vacillante de la bougie, elle partit vers le salon. Ses pieds nus sur le parquet ne
faisaientaucunbruit.Derrièreelle,lestalonsdeJackLodounclaquaient.Roseallumaleslampesàgaz,quisemirentàsiffler.Lesalonétaitencombrédemeubleshideux,
ceuxdesanciensoccupants,qu’ilfaudraitchanger.Laformed’unecheminéesedistinguaitlelongdumurdufond.
—Commentsefait-ilquevoussoyezvenueouvrir,etnonvotremajordome?demandaJack.—J’ailouécettemaisonhier.Jen’aipasencoreeuletempsd’embaucherdupersonnel.Unpeupartoutdanslamaison,descraquementsretentissaient,audiblesdanslecalmedelanuit.— Certains pourraient penser, madame Clarring, que vous vous êtes aménagé là un petit nid
d’amour.Endisantcela,ilcontemplaitlesseinsdeRose,facilesàdevinersouslafineétoffedelachemise
denuit.Illescaressaitlittéralementduregard.—Onnepeutpasempêcherlesgensdepenser,rétorqua-t-elleenseforçantàgarderlesbrasle
longducorpsalorsqu’elleavaitenviedelescroisersursapoitrine.Mais,puisquemonmarietmesparentsconnaissentcetteadresse,mesidyllesseraientexposéesàdefréquentesinterruptions.
Jacklacontemplaittoujoursaveclemêmeintérêt.Soussespaupièresàdemibaissées,lenoirdesespupillesdévoraitlebleudesesiris.
—Cependant,jesuisici…etiln’yapersonnepournousinterrompre.Rosenedétournapaslesyeux.Elleétaitsûred’unechose:—Lafemmequevousdésirez,cen’estpasmoi,maîtreLodoun.Danslesilencequisuivit,lesmoindrescouinementsdelavieillebâtisseparurentassourdissants.—Si vous voulez divorcer, dit-il soudain, tout ce que vous avez à faire, c’est de prouver que
votremarinepeutpasvousfaired’enfant.—Non,fitRoseavecdétermination.PauvreJonathan!Nel’avait-ellepasdéjàasseztrahi?—C’estbiencequejedisais:vousnevoulezpasdivorcer.Oui,ellelevoulait.Maispasàceprix.—Monmarin’adéjàquetropsouffert.Jeneveuxpasl’humilierpubliquement.—Parcequevouspensezqu’undivorcen’aurariend’humiliantpourlui?Rosesedemandas’ilfaisaitexprèsdenepascomprendre.—Desenfants,voilàtoutcequemonmariatoujoursvoulu,dit-elleendétachantlesmotspour
leurdonnerplusdeforce.Jeneveuxpasquelesgenssemoquentdeluiparcequ’ileststérile.JackregardaavecinsistancelamaingauchedeRose,lecercledepeaumoinsbronzéequelereste
del’annulaire,seuletracevisibled’unmariagededouzeans.Ilrelevabrusquementlesyeux.—Commentsavez-vousquec’estluiquieststérile?LeJackLodounquiposaitlaquestion,c’étaitl’avocatquis’intéressaitàsacause,etnonl’homme
quiavaitadmirésesseins.Roseprituneprofondeinspiration.—JevousaiditqueJonathanavaiteulesoreillons.Elle le lui avait dit quelques heures plus tôt. Mais elle avait l’impression qu’un siècle s’était
écoulédepuisqu’elleavaittrottéderrièreJackLodounensortantd’OldBailey.
—Lesoreillonsnerendentpasnécessairementstérile,corrigea-t-il.Ils’étaitremisàfixerlesrenflementsdelachemisedenuit…sansdissimulersonadmiration.—Aprèssaguérison,reprit-il,votremaria-t-ildenouveaupartagévotrecouche?—Nousfaisionschambreàpart,ditRose,éludantlaquestion.Maisilvoulaituneréponse.—Vousrefusiezd’accomplirledevoirconjugal?—Cesdétailsnevousregardentpas.—Cesdétailsintéresserontlesparlementairessijedevaisleurdemanderdestatuersurvotrecas,
rétorquaJack.C’estpourquoijevaisrépétermaquestion:avez-vousrefusé,ouiounon,d’accomplirledevoirconjugal?
LagorgedeRoseseserra.—Non.—Avez-vouseurecoursàcertainsmoyensouàcertainespratiquesafind’éviterlaconception?—Non.PeuimportequeleGlobeaitimprimélecontraire.—Etvotremari?—Évidemmentnon!réponditRosetandisquelefroiddusolserépandaitdanstoutsoncorps.—Lesoreillonsl’avaient-ilsrenduimpuissant?Cet interrogatoire était presque plus pénible que celui de l’après-midi. Rose se contraignit à
répondre.—Non.—Était-ilcapabledemainteniruneérection?—Oui.—Est-cequ’iléjaculaitenvous?Roseravalasasalive.—Oui.—Etvousn’avezjamaisétéenceinte?—Non.Elleavaiteubeauprier,elleavaiteubeaupasserdesnuitsàpleurer,ellen’était jamais tombée
enceinte.—Quandétait-ce,ladernièrefois?Illaregardaitsanscillermais,non,ellenebaisseraitpaslesyeux.—Le24décembre1875.LeclocherdeWestminstersonnaunefois.—Pourquoimaintenant,madameClarring?questionnasèchementJackLodoun.L’espaced’uneseconde,Roseeutl’impressionqu’elleétaittoujoursàlabarredestémoins.—Pourquoimaintenant…quoi,maîtreLodoun?répliqua-t-elled’untonsucré.—Pourquoi,aprèsdouzeansd’abstinence,demandertoutàcoupledivorce?—Jevousl’aidéjàdit.—Jenecomprendspastoujourstoutdupremiercoup.Redites-le-moi,s’ilvousplaît.—J’aivulesregardsqu’échangeaientMmeHartetMeWhitcox.JackLodounneparutpasconvaincuparcetteexplication.—Vosseinssontdurs.Laremarqueétaitbrutaleetchoquante.Roseeneutlesoufflecoupé.JackLodounôtasonmanteau
et le lui tendit.Dans la lumièredes lampesàgaz,elle remarquaqu’ilavaitunduvetcuivrésur les
poignets.—Tenez,dit-il.Lemanteausentaitlalainemouilléeetlemusc.—Nonmerci.—Prenez-le,madameClarring,insista-t-il.Sinon,jevaispenserquevosseinssontdurspourun
autremotifquelefroid.Alors,bongré,malgré,elleacceptalemanteau.JackLodounôta son chapeau et le jeta sur un canapé.La lumière jeta des paillettes d’or et de
cuivredanssescheveuxetdanssesépaisfavoris.Rose se souvint qu’au tribunal il avait porté une perruque grise. Et, dans la rue, un chapeau.
C’étaitlapremièrefoisqu’ellevoyaitsescheveux.Ilsétaientauburn.Maintenant que le haut de son visage n’était plus dans l’ombre, elle découvrit enfin la vraie
couleurdesesyeux.Jusqu’ici,ilsavaientparunoirs:ilsétaientverts…bienassortisàsescheveux.Jack,traversantlapièceàgrandspas,allas’accroupirdevantlacheminée.Rose avait allumé un feu un peu plus tôt dans la soirée, mais à présent les charbons étaient
refroidisetcouvertsd’unecendreblanche.JackLodountisonnalesbraises;lefeuredémarra.Unelumièrerougeoyanteserépanditdansla
pièce,maisRosenesentitpaslachaleur.— Donc, fit-il en se retournant, vous reconnaissez que vous voulez divorcer pour pouvoir
prendreunamant.—Jen’aijamaisrienditdetel!protestaRose.Jacklaconsidérad’unœilimplacable.—Vous espérez vraiment que le Parlement va croire que vous n’avez pas d’autresmotifs que
d’épargneràvotremarilesdésagrémentsdevotreprésence?LecynismedeJackLodounétaitplusblessantquetout.—Oui,riposta-t-elled’unevoixblanche.Elle était outrée. Le Parlement devait absolument leur octroyer ce divorce. Pour le bien de
Jonathan.Etpoursonbienàelleaussi.—Sijedoisvousreprésenter,madameClarring,ditJackLodounenlaregardantfroidement,je
veuxtoutelavérité.—Jenevousaijamaismenti.Cequiétaitunmensongedeplus.—J’airemarquéquevousneportezplusvotrealliance,déclara-t-il.Rose passa machinalement le bout de son pouce le long de son annulaire, palpa l’empreinte
laisséeparl’anneau…—Ilyalongtempsquenotremariagen’aplusaucuneréalité,expliqua-t-elle.—Maisvousnevoulezpasd’amant?—Non.Silencieusement,ilsoupesasaréponse,commetoutàl’heureilavaitsoupesésesseinsduregard.Le cœur battant, elle attendit la suite.La doublure de soie dumanteau de Jack lui caressait les
épaules,commepourlarassurer.—Jepensequevousmentez.Rosesecrispa.—Pensezcequevousvoulez,maîtreLodoun.—Jepensequevousavezenvied’unamant,madameClarring,dit-ilavecunairindéchiffrable.
Rosesetroubla;lemot«amant»luiavaitfaitundrôled’effet.—Soyonsraisonnables, répliqua-t-elle.Vousêtesbienplacépoursavoirqu’unefemmemariée
n’apasbesoindedivorcerpourmettreunautrehommedanssonlit.MaisJackLodounn’avaitpasenvied’êtreraisonnable.
—Jepensequevousavezenvied’unhommepourvousdonnerlesenfantsquevotremarin’apas
puvousdonner,insista-t-ilsuruntonpresqueaccusateur.Vouscroyezqu’ilfautêtremèrepourêtrefemme.Et,selonmoi,c’estprécisémentpourçaquevousvoulezdivorcer.
5
Lajournéeavaitétélongueetéprouvante.Malgrétout,Roseréussitàfairebonnefigure.—Vousvoustrompezdutoutautout,dit-elle.Jeneveuxpasavoird’enfant,nidemonmarini
d’aucunautrehomme.Et,voyez-vous,c’estprécisémentpourçaquejeveuxdivorcer.Le silence qui suivit ne fut troublé que par le crépitement des braises et le souffle légèrement
sifflantdeslampesàgaz.—Vousm’avezditquevousvouliezluidonnerdesenfants,rappelaJack.Desenfantsàchoyer,
selonvosproprestermes.—C’est vrai, confirmaRose. Je voulais lui donner des enfants…puisqu’il y tenait tant !Une
nombreusefamille,c’étaitsonrêve,paslemien.Moi, toutcequejesouhaitais,c’étaitd’êtreaiméepourmoi-même.
—Etcen’étaitpaslecas?— Visiblement non. Avant les oreillons, Jonathan était tendre avec moi, dit Rose d’une voix
étranglée.Aprèslesoreillons,ilnem’aplusjamaisregardéeuneseulefoisdanslesyeux.Ilregardaitsanscessemonventre…cemauditventrequis’obstinaitànepass’arrondir!
Jack Lodoun écoutait, tout à fait immobile, tandis que des reflets dorés dansaient dans sescheveux.
—Jesuisunefemme,reprit-elle,deladétressedanslavoix.Unefemmeveutêtreaiméepourcequ’elleest,pasparcequ’elleaunutérus!
Jackhochalatête.Ilavaitl’airdelacroire.MaisRosen’enétaitplusàsedemanders’illacroyaitounon.Elleavaitenfinquelqu’unàquiseconfier,etc’étaittoutcequicomptait.—Oui,poursuivit-elle, j’auraisvouluunhommequipenseàme rendreheureuseavant deme
rendremère!JackLodounétaittoujoursaussiimmobilequ’unestatuedepierre.Maislesstatuesdepierren’ont
paslescheveuxquiprojettentdesrefletsflamboyants.Ellesn’ontpasdesyeuxémeraudequibrillentcommedesescarboucles.Ellesnesententpasl’alcool.Nilechienmouillé.
D’untoncalmeetdécidé,Roseconclut:— Je ne veux plus vivre avec un homme qui n’a jamais vu enmoi autre chose qu’un animal
reproducteur,voilà!S’ensuivitunautremomentdesilence.Unsilencepesant.Lefeupétillaitdansl’âtre,leslampesà
gazmodulaienttoujourslemêmeair.—Oui,fitJack.C’estunecurieusemaniedevouloiràtoutprixuneprogéniture.Roseparutsurlepointdesefâcher,croyantàunemoquerie.
—Leshommesnel’ont-ilspastous,cettemanie?—Oh,non!repartit-ilsuruntonamusé.Laplupartdeshommesn’ontpasl’obsessiondefaire
souche, voyez-vous. Ils se contentent duplaisir, dumagnifique plaisir, dumiraculeux plaisir qu’uncorpsdefemmepeutprocurer.
—Vousêtescommecela,vous?—Oui.—Oui?Franchement,Rosepeinaitàlecroire,sonmariayantcessédelarejoindredanssonlitdèslors
qu’iln’avaitplusétécapabledelaféconder!Douzeansdesolitude…douzeansdefrustration…douzeansde tourments…voilàcequ’ilen
avaitrésulté.—Oui,répétaJack.J’aiétéamant,nel’oubliezpas.J’aimefairel’amourpourleplaisirdefaire
l’amour.Soudain,Roseallaouvrir lamallequ’elleavaitapportéeet fouilla jusqu’àcequ’elle trouvece
qu’ellecherchait:lesSonnetsdeShakespeare,somptueusementreliés,quesamèreluiavaitoffertsàlafindesesétudes.
Ellepritlacartepostaleillustréequisemblaitservirdemarque-pageetlatenditàboutdebras.—Regardez-moiça,chermaître.Ellel’observasoigneusementtandisqu’ilexaminaitlaphotographie.—Qu’est-cequevousvoyez?demanda-t-elleavecrudesse.Elleattenditune réponse. Il resta sans réactionun longmoment.Le silence s’éternisa.Enfin, il
relevalesyeux.L’extrémitédeseslongscilsétaitcoloréeenrougeparleslampes.—Ehbien,jevoisunhommequisemasturbe.—Çanevousdégoûtepas?—Non,pourquoi?Eneffet,pourquoi?LecœurdeRosesemitàbattretrèsfort.—Çavousarrivedelefaire?—Oui,reconnut-ilsanslamoindrehésitation.—Seulementquandvousn’avezpasdefemme?demandaRosesuruntondedéfi.—Non,passeulement.—Alors,quand?—Quandj’enaienvie.SurlevisagedeJackLodoun,lesombresetleslumièressemblaients’affronter,remodelantses
traits.—Etcen’estpasl’idéed’engrosserunefemmequivousendonneenvie?Laquestionluisemblatellementabsurdequ’ilneréponditpas,secontentantdesecouerlatête.—Vousleferiezmaintenant,devantmoi?ditRosesansréfléchir.Douzeansdesolitude…douzeansdefrustration…douzeansdetourments…Etpuis,cettedemandeextraordinaire!CommeJackLodounlaregardaitavecdesyeuxronds,ellecherchaàsejustifier.—S’ilvousplaît,touchez-vous!Caressez-vous!Montrez-moicequec’estqu’unhommequin’a
entêtequedejouiretquisemoquedeprocréer.C’estquelquechosequejen’aiencorejamaisvu.Jevoudraisêtresûrequeçaexiste.
Etmaintenant,qu’allait-ilsepassers’ilrefusait?
Etqu’allait-ilsepassers’ilacceptait?
6
LaclochedeWestminstersonnaencoreuncoup.Lessabotsd’unchevalrésonnèrentsurlepavéde la rue.Mais ilsne lesentendirentpas.Lemondeextérieur, toutcequise trouvaitendehorsdesquatremursdusalon,avaitcesséd’exister.
Doucement,tandisquelenoirdesespupillesmangeaitlevertdesesiris,JackLodouncommençaàdéboutonnersabraguette.
Puisqu’ilacceptait,Roses’enhardit.—Tout,dit-elle.Enleveztout.Jeveuxvousvoirentièrementnu.Commel’hommedelacartepostale.Ilôtasaveste.Lescontoursdesesjouesétaientdevenusrougesombre.Un gilet de soie à rayures grises contrastait avec la blancheur immaculée de la chemise et
débordaitsurunpantalonnoir.Lecorpsquiselaissaitdevinersouslesvêtementsétaitindéniablementviril.Rose n’avait encore jamais vu un homme se déshabiller. Elle observait attentivement ses
moindresgestes.Ilôtaunàunlesquatreboutonsdenacredugilet.Legiletglissalelongdesesbras.Lesbretelles
noires suivirent le même chemin. Il desserra sa cravate et la fit passer par-dessus sa tête. Ildéboutonnasachemise.Unmaillotcouleurchairapparutdansl’encolure.
Iln’yavaitpaslamoindrehésitation,paslemoindreembarrasdanssesgestes.Lachemiseatterritsurlesol.Et,aussitôtaprès,lemaillotdecorps.Sespoilscuivrésbrillèrentdanslalumière.Sursapoitrine.Soussesbras.Rosecessaderespirer.Lalumièreetlesombresdansaientsursesépauleslargesetmusclées.Sesmamelonsperçaientà
traversunemoussedepoilsdorés.RosepritconsciencequeJackLodounétaituntrèsbelhomme.Lesbraisespétillaientdansl’âtre.—Vouspermettezquejem’asseyepourôtermeschaussuresetmeschaussettes?LavoixdeJackLodounétaitneutre,maisunfeuétrangebrûlaitdanssesyeuxémeraude.Roseavalasasalive.—Faitesdonc.Lesressortscouinèrent,commesilefauteuilprotestaitcontrelefardeauqu’onluiimposait.Lespaupièresmi-closes,ilsepencha.Desboucleschâtaines,plussombresqueleduvetdesapoitrine,ornaientsanuque.Lesmusclesde
sesépaulesetdesesbrasfrémissaientsouslapeau.
Ilretroussasonpantalonpourôtersessupports-chaussettes.Rose avait l’impression qu’un air brûlant circulait dans ses bronches. Elle n’aurait jamais cru
possible de partager un tel moment d’intimité avec un homme qu’elle ne connaissait que depuisquelquesheures–ellequin’enavaitpasconnudetelavecsonmariendouzeans!
LesressortsdufauteuilcouinèrentànouveaulorsqueJackLodounsereleva.Ilouvritlentementsabraguette,unboutonaprèsl’autre,cinqentout.
Roseleregardaitfaire,incapablederespirer.Le pantalon de Jack et son caleçon dégringolèrent ensemble jusqu’au sol. Ses cuisses et ses
molletsapparurentdorésdanslalumièredufeu.Roseregardafixementlemembredresséaumilieud’unbuissondebouclesbrunes.Lesboucles
étaientplusdruesquecellesdel’hommesurlacartepostale,etlemembreétaitpluslong.Lecœurdelajeunefemmesemitàbattretrèsfort.Sonsangétaitprochedupointd’ébullition.AuxyeuxdeRose,lesexedeJackLodounavaittoutdebeau:lebulbesatiné,lesirisationssurla
couronne à la base du gland, le réseau de veines bleutées qui lui donnaient un air de vigueurextraordinaire.Lesexedel’hommesurlaphotonesupportaitpaslacomparaison.
Delonguessecondespassèrent.Iln’avaitaucunehonteàs’exhiber.Etellen’avaitaucunehonteàl’admirer.
Il prit son sexe dans la main gauche et caressa le gland avec l’index de la main droite aprèsl’avoirhumectédesalive.Lorsqu’ilécartalesjambes–longues,musclées,couvertesdepoilsdorés–lalumièredeslampesenveloppasestesticules.
Empoignantsolidementsonmembre,samaingaucheentamaunmouvementdeva-et-vient.Lesavancéesetretraitssefaisaientaurythmedesbattementsdesoncœur.
Roseauraitvoululuidirequ’ilétaitbeau,maislesmotsluimanquaientpourdécrirecequ’elleavaitsouslesyeux.
Tous les hommes nus qu’elle avait vus jusqu’ici, c’était sous la forme de statues, dans destableaux ou en photo. Rien qui puisse se comparer à un homme en chair et en os. Au bout d’unmoment, Jack glissa la main droite entre ses cuisses et se pétrit délicatement les testicules.L’entrejambedeRosesemitàfrémiràl’unisson.Quelquechoseétaitentraindesepasser,quelquechosequiaccéléraitsarespirationetluidonnaitchaud.
JackLodounrenversalatêteenarrière.Ilavaitl’airextatique.Rosesupposaqu’ilétaitentraindepenseràsonanciennemaîtresse,CynthiaHerriesWhitcox.
UnhommeetunefemmequiavaientconnuuneintimitéàlaquelleRosen’avaitfaitquerêver.Soudain,JackLodounrouvritlesyeuxtandisquesasemencefusaitenplusieursjets.Lesombresetleslumièresluisculptaientunmasque.Ilgrogna.Redescendusurterre,ilétaitentraindeserendrecomptequecelan’avaitétéqu’uneillusion.Rosen’étaitpaslafemmequ’ilaimait.Lafemmequ’ilaimaitétaitmorte.Ensilence,Rosequittalapièce,lelaissantseulavecsonchagrin.
7
—Messieurs,veuillezvousdécouvrir!L’ordreserépercutadanslavastesalle,rebonditsurlemarbreblanc,lesvitrauxetlecarrelage
luisant.Jacknes’intéressaitpasàlaprocessionparlaquelles’ouvraitchaquesessiondelaChambredes
communes.Ilpréféraitregarderlesgens,l’émerveillementquisepeignaitsurleurvisageaupassagedusergentd’armesquiportaitsursonépaulelamassedorée.
Leprésidentavaitrevêtuletraditionnelmanteaudesoienoiredontdeuxpagestenaientlalonguetraîne.
Unerumeurd’impatienceserépanditdanslehall.Laprocession– le sergent d’armes, le président, l’aumônier, le greffier, le greffier adjoint, le
greffierdescomités,lespages–disparutderrièreunedoubleporteenboismassif.Troisminutesallaientpasseravantquelesportesneserouvrent.À l’intérieur, le sergent d’armes déposait la masse sur un piédestal placé devant la table du
greffier, où elle allait demeurer tout au long de la séance, symbole de l’autorité de l’Assembléelégislative.Pendantcetemps,leprésidentetl’aumôniers’agenouillaientpourlesprières.
JackpensaitàRoseClarring.Audésespoirquil’avaitpousséeàl’aborderdevantletribunald’OldBailey.Audésirquiavaitassombrisessuperbesyeuxmauvestandisqu’elleleregardaitsedéshabiller.Àsadéterminationdedivorcer,alorsquetoutdivorceétaitexclu.Devantlaportenord,lesspectateurscomptaientlesminutes.Adossé à unmur, Jack laissait errer son regard sur les statues des rois et des reines. Pour la
énièmefois,ilrelutlacitationbibliqueinscritesurlecarrelage:Sil’Éternelnebâtitlamaison,ceuxquilabâtissenttravaillentenvain.
—Lesprièressontfinies!proclamaunhuissier.Simultanément,d’autreshuissierspoussèrentlesportes.Lestroisminutesétaientécoulées.Laséanceétaitouverte.Destalonsdetoutesorterésonnèrentsurlecarrelageetdansl’escalier.UneimagepassadevantlesyeuxdeJack,celledesixfemmesetcinqhommes.Enattendantleverdictdansl’affaireFrancesHart,RoseClarrings’étaittenueaufonddelasalle
dutribunal,entreJohnNickols–l’hommeclouésurunfauteuilroulant–etungaillardmoustachu,JosephManning,lefondateurduclubdesMessieursetdesDames.
MarieHoppleworth,unepetitedameàlunettes,avaitposésamainsurl’épauledeJohnNickols.JosephManningavaittenulebrasd’ArdelleDennison,unefemmeàlabeautéévidentemaisfroide.
LeminusculeettimideGeorgeAddimores’étaitserrécontrel’immenseSarahBurns.LatrèsdigneEstherPalmeravaittrouvérefugeauprèsdutrèsdigneThomasPierce.
Ilsavaientfaitcorps.AuParlement,leshommesetlesfemmesétaientséparés,pensaJack.Leshommessurlagalerie,
lesfemmesretranchéesderrièreuntreillisdecuivre.Ilsedécolladumur,sonchapeauetsonparapluiedanssamaindroite.
—Non,madame,jen’accepteraipasunsoudemoins.Roseregardaunefoisdepluslalettrequ’elletenaitàlamain.Levieuxmajordomeavaitlesmeilleuresréférencesdumonde.Ellereconnutlenomdesonancienpatron…Ellesavaitqu’ilavaitdebonnesetlégitimesraisons
dequittersonemploi.Ses patrons avaient loué leur maison de ville et avaient acheté un manoir à la campagne. Le
majordometenaitàresteràLondres,oùsetrouvaittoutesafamille.Par ailleurs, elle était une femme dont l’inconduite était notoire et qui faisait partie d’un club
scandaleux.Aucundomestiquerespectablen’auraitenviedetravaillerpourelle–àmoinsd’ytrouversoncompte.Maislesexigencesdecelui-làétaientextravagantes.
—Danscecas,monbonmonsieur,j’aibienpeurquenousnepuissionsfaireaffaire,ditRoseenrepliantsoigneusementsalettrederecommandationetenlaluirendantd’unemainquinetremblaitpas.Mercid’êtrevenu.
Enfaisantlamoue,l’hommerécupéralalettre.Cettemouevoulaitdirequ’iln’auraitaucunproblèmepourtrouverdutravail.C’étaitlequatrièmecandidatqueRosevoyait,tousdumêmeacabit.Avecunpetitreniflementdedédain,l’hommes’enalla.Restéeseuledanslesalon,Roseselaissachoirdanslefauteuiltropmouetfixalemur,surlequel
iln’yavaitrienàvoir,àpartlestachesetlestracesd’usuresurlavieilletenture.EllerepensaauxyeuxdeMeLodounlorsqu’ill’avaitinterrogéeautribunal.—Votremariest-illà?Ellefermalespaupières,maiscelanesuffitpascarlesimagesétaientdanssatête.JackLodounl’avaitpoursuivieimplacablement.—Veuillezregarderdanslasalle,madameClarring.Dites-moisivousvoyezvotremari.—Non.—Pourquoi?—Parcequ’iln’estpasici.—Attend-ildehors?Jepourraisdemanderàungreffierdel’appeler.—Non,iln’attendpasdehors.— Comment se fait-il que votre mari ne soit pas ici avec vous, un jour comme aujourd’hui,
madameClarring?Laréponseauraitété:«Parceque,auxyeuxdemonmari,jen’existepasvraiment.»Maisellen’avaitpasréussiàledire,avectouscesétrangersquil’observaient:lejuge,lesjurés,
lestémoins,lesavocats…Elle n’avait pas réussi à dire qu’elle n’avait personne vers qui se tourner, à part les autres
membres du club des Messieurs et des Dames. Mais ils n’avaient pas besoin d’elle non plus. Ilss’étaientsuffiàeux-mêmes,unhommeparfemme,unefemmeparhomme.
Roseavaitétélafemmeentrop.D’autresimagesseformèrentdevantsesyeux.Despoilscuivrésquibrillaientdanslalumièredeslampes.Unecolonnedechairterminéeparun
bulbevioletquimiroitaitcommedusatin.Rosenes’étaitjamaisdoutéequ’unsexed’hommepouvaitlittéralements’enflammerdedésir.Maintenant,ellesavait.Elle savait comment Jack Lodoun avait envie d’être caressé. Elle savait où Jack Lodoun avait
envied’êtrecaressé.Ellesavaitcequesadéfuntemaîtresseavaitadmiré,caressé,prisenelle.Ressentirdelajalousieenversunemorte,iln’yavaitpasdesentimentplusamer!Nonloin,uncarrossepassasurlespavés.Roseseleva.Sonestomacgronda.Ellesesouvintqu’ellen’avaitrienavalédepuisunetassedecaféetunpetit
gâteauavantdeserendreàl’agencedeplacement.Lesoleiléclairaitleparquet.Lebronzeetlecuivrebrillaientdanslapénombre.La cloche de Westminster sonna quatre fois. Quatre heures de l’après-midi. Rose se souvint
quec’étaitl’heureàlaquelleleParlementseréunissait.Danslevestibule,ilyavaitsacapeetsonchapeau.Maispaslamoindretracedel’hommeàquielleavaitouvertsaportelaveilleausoir,àquielle
avaitdemandédesemettreentièrementnu,àquielleavaitdemandédesemasturberdevantelle!C’étaitcommesilasoiréed’hiern’avaitjamaiseulieu.Rosejetasacapesursesépaulesetposasonchapeausursescheveuxendésordre.Pendantdelonguessecondes,elleexaminasonrefletdanslemiroirovaleaccrochéaumur,au-
dessusdelatable.Lesoleildoraitsescheveuxetrosissaitsesjoues.Ellesetrouvaitjolie…etdigned’êtreaimée.Cetteidéenesuffitpasàlaréjouir.Ellevoulutattrapersonsacdansletiroirduhaut.Samaintombasurl’éditionduGloberapportée
dechezsesparents.Legraveurl’avaitreprésentéeaveclespaupièresàdemibaissées,cequiluidonnaitdesairsde
sainte-nitouche.Lesgenspenseraient:«Nonseulementperverse,maishypocrite.»Elle sedemanda si sonmari avaitvu l’imagedans le journal.S’était-il souvenude l’innocente
jeunefillequ’elleavaitété?Roserepensaàl’hommeàlarobenoireetàlaperruquegrisequiavaitdétruitsaréputation.Elle
repensaaumêmehomme,encostumedevilleettêtenue,quiavaitrefusédeselaisserémouvoirparses souffrances. Et puis au même homme encore, entièrement nu, la lumière dansant sur sesclavicules,lesombresdonnantl’impressiondeluipincerlestétons,etquiavaitfaitjaillirsonspermedevantelle.
JackLodounneluiavaitpasreprochédepréférerêtreunefemmequ’unemère.Ellefroissafurieusementlejournal–maislejournalnerenditpasunbruitdepapierfroissé.Étonnée,ellelelissa.Desmiettesdebiscuittombèrentsurlatable.Rosesourit.Giles,levieuxmajordome,nel’avaitpasabandonnée.
Celaluifitchaudaucœur.Plustard,ellenettoierait.Pourl’heure,lesoleilinvitaitàlapromenade.Rosefit tomberquelquesmiettesdanslecreuxdesamain, laissalejournalsurla table,attrapa
sonsacetsortit.Unefoissurleperron,ellemitlesmiettesdanssabouche.Lapâteétaittoujoursmoelleuse,les
grainsderaisintoujourshumides.Ellepivotapourfermerlaporte.Del’arbrevoisin,desoiseauxs’envolèrent.—Coucou,Rose!s’écriaunevoixdanssondos.Rosen’eutqu’àl’entendrepourqu’aussitôtsabonnehumeurdisparaisse.Enmâchonnant–leraisinavaitprisbrusquementlaconsistanceduliège–,ellefermalaporteà
cléetseretourna,lesourireauxlèvres.Unejeunefemmesurmontéed’unpetitbonnetbleusetenaitaubasdesmarches.Lesoleilquise
reflétaitsursescheveuxnoirslesfaisaitparaîtrepresqueroux.Elleattendaitunbébé.— Coucou, Lucy, répondit Rose. Ton mari ne serait peut-être pas content s’il savait que tu
sillonneslesruessiprochedetonterme.—Dereksaitquejesuisici.LucyétaitlafemmedufrèreaînédeRose,etelleavaitdéjàtroisfils.—Monbébéavaitenviedevoirsatante,ajouta-t-elleensecaressantleventre.Rosefitunepetitegrimace.Lesquelquesmiettesdebiscuitqu’elleavaitmangéess’étaientmisesà
luipesersurl’estomac.—Ce n’est pas seulement pour ça que tu es venue ? demanda-t-elle, pressentant unemauvaise
nouvelle.—Nousnousfaisonsdusoucipourtoi,Rose.Roseserralespoingssanspresques’enrendrecompte.—Écoute,Lucy,c’est trèsgentildevotrepart,çame touchebeaucoup,vraiment,mais jepeux
t’assurerquejevaisbien.Lucyn’avaitjamaisétédugenreàmâchersesmots.—Rose,ilyadesfemmesàquil’accouchementfaitpeuret j’admetsquecen’estpastoujours
unepartiedeplaisir,maiscen’estpastropcherpayerpourlesjoiesquel’onaensuite.Quanddonclaviedesfemmescesserait-elledetournerautourdelamaternitéetdesenfants?—Tuesheureuseavecmonfrère?demandaRosesansréfléchir,tandisquelacléqu’elleserrait
dansunemainluilabouraitlapaume.—J’aimeDerek,réponditLucy.Àvoirsafigure,ellenementaitpas.—Ettuaimescequ’iltefait?insistaRose.—Dequoiparles-tu?—Ehbien,decequ’iltefaitpour…pourquetuteretrouvesenceinte.Lucyécarquillalesyeux.Elleétaittellementestomaquéequ’ellenetrouvarienàrépliquer.—Écoute,enchaînaRoseaprèsavoirprisuneprofonde inspiration, jevais te répondreceque
j’airéponduàmesparents:jet’aimebien,maiscequejefaisneteregardepas.Çaneregardepasnonplusmesfrères…Jesuisen traindem’installer.Jen’ainidomestiquesnimeubles.J’aimeraisvousrecevoir,maiscen’estpaspossiblepourl’instant…S’ilteplaît,nerevienspasavantquejenet’invite.
Lucyparutmeurtrie.—Queveux-tuquejediseàDerek?
—Dis-luiquejel’aimebeaucoup.Pourseracheter,Rosedescenditlesmarchesetposalamainsurleventredesabelle-sœur.Elle
eutl’impressiondesentirunpetitpiedbouger.— Et dis-lui aussi, ajouta-t-elle en se contraignant à ne pas retirer sa main, ce que tous ses
instincts luiordonnaientdefaire,dis-luiaussique,sic’estunefille, j’espèrequevous l’appellerezcommemoi.
—C’estpeuprobable,aprèstroisgarçons,répliquaLucyenplissantsonjolipetitnezcouvertdetachesderousseur.Maissic’estlecas,Derektientàcequ’elles’appellecommemoi.
—LucyRose,çasonnebien,qu’endis-tu?proposaRose.Lucyretrouvalesourireaussivitequ’ellel’avaitperdu.—VapourLucyRose!RoseglissasaclédanssonsacetpritLucyparlamain.—Maintenant, je te raccompagne.Si tuveux,onpourramêmes’arrêteren routepourmanger
uneglace…LucypressalamaindeRosedanslasienne.—Derekaparléavectonmari.Àdeuxpâtésdemaisonsdelàsetrouvaituncarrefouroùellespourraientprendreunfiacreouun
omnibus.Roseseditqu’àforcedemettreunpieddevantl’autre,ellefiniraitbienparyarriver.—Qu’est-cequ’ilssesontdit?demanda-t-elled’untonfaussementindifférent.
8
Les lourdes portes de chêne massif se refermèrent derrière Jack. L’obscurité commençait às’entasseraupieddesmurs.Au-dessusdestêtes,lalumièredeslustrestremblotait.
Deuxcentdix-neufautreshommess’avançaientdanslecouloir–échangeantdesplaisanteriesetdesconsidérationspolitiques.
Enrevanche,ilsnediscutaientpasdelarequêtesurlaquelleilsavaientétéappelésàvoter.Leurdécision–ainsiquecelledeJack–étaitprise.
Tandisqu’ilsdéfilaientenrangpardeux,lesportesàl’autreboutducouloirs’ouvrirent.Unhommecriad’unevoixde stentor :«EdwardLimpton», aussitôt suiviparuneautrevoix,
moinstonitruante:«BrianDougby.»Chaquedéputé,ensortant,donnaitsonnom.Iln’enfallaitpasdavantagepourvoter«non»etdétruirelesrêvesd’unefemme.Son tourvenu, Jackdit sonnomet sortit.RoseClarringallait lesmaudire, luiet leParlement,
pourcettejournée.—Lodoun?lançaquelqu’undanssondos.Viendrez-voussouperavecnous?—Jesuisdéjàpris,répondit-ilsansralentirlepas.—Alors,uneautrefois,vieuxfrère…MaisJackétaitdéjàloin.Auvestiaire,ilrécupérasonmanteauetsonchapeau.Danslehallcentral,desdéputésselaissaient
volontiersarrêterparlesjournalistesaccrédités.Lesvoixserépercutaientsousledôme.—MonsieurLodoun!Soudain,unhommeàcheveuxgominésetcostumeàcarreauxseplantadevantlui.Jackreconnut
lecorrespondantdelaPallMallGazette.—Hier,vousavezperduunprocèsaucivilcontreJackWhitcox.Qu’avez-vousàdireàcesujet?—Rien,réponditJack.Ilpartit.Lejournalistelesuivit.—Ya-t-ilunerivalitéentrevousetWhitcox?—Jen’airienàdire,tranchaJackenregardantdroitdevantlui.—Commentavez-vousvotéconcernantlarequêtedeMmeGreffen?Sonvoteparaîtraitaujournalofficiel;iln’avaitaucuneraisondefairelemystérieux.—J’aivotécontre.Lejournalisteétaittoujourssursestalons.—Pourquoi?
—Toutbonnementparcequeladiterequêteestcontraireàlaloi.Quelqu’unannonçal’arrivéeduPremierministre.Jacksortitparuneportelatérale.LejournalistedelaPallMallGazettenelesuivitpas:ilavait
mieuxàsemettresousladent.RoseClarringétaitlà,appuyéecontreunlampadaire,levisagetournéverslesoleil.Jacks’immobilisa.Un grincement de rouages et des claquements annoncèrent que Big Ben n’allait pas tarder à
sonner.Quandellesonna,Roselevalesyeuxverslesommetdelatour,l’airextatique.Le cœur de Jack se serra. Elle était jolie, et elle avait envie de connaître la passion.Mais le
Parlementnereconnaissaitpasledroitàlapassion.Jack avança vers elle, humant le frais parfum des roses, faisant s’envoler des pigeons. Les
clochesdeWestminsterrecouvraientlebruitdesestalonssurletrottoir.Ellenel’entenditpasvenir.Elleneserenditcomptedesaprésencequelorsqu’illapritparlebras.
Ellesetournaverslui.—C’estunbeauquartier,n’est-cepas?dit-elle.—Oui.Autrefois,ill’avaitpenséaussi;aujourd’hui,ilétaitunpeublasé.—Vousaviezbuhiersoir,avantde…Ellelaissasaphraseensuspens.—Oui,unpetitpeu…—Voussouvenez-vousdequelquechose?Jacksentitsesjouesdevenirbrûlantes.Laboufféedechaleurserépanditjusqu’àsonbas-ventre.—Oui.Ilsesouvenaitdechaquemotqu’elleavaitdit.Delamoindreétincelledanssesmerveilleuxyeux
pervenche,renduoutremerparlapénombre,dechacunedesexpressionsdesonvisagetandisqu’ilsedéshabillait…etdelasuite…
L’échoducarillondeWestminsterfinitparsedissiper.—C’estleseulendroitoùj’étaisàpeuprèssûredevousretrouver,ditRosetimidement.Maisle
momentestpeut-êtremalchoisi…Aucunefemmen’étaitjamaisvenueattendreJackdevantleParlement.Curieusement,iléprouvait
lemêmesentimentdevulnérabilitéqu’hiersoir,quandils’étaitretrouvénuaumilieudesonsalon.—Engénéral,nousfaisonsunepausevershuitheures.Les trottoirs furent peu à peu envahis. Des parlementaires et des spectateurs, qui s’en allaient
dîner.—Ellevousaimait,MmeWhitcox?demandaRosetoutàtrac.—C’estpourçaquevousêtesvenuejusqu’ici?répliquaJackd’untonquinetrahissaitaucune
émotionparticulière.Pourm’interrogersurmonanciennemaîtresse?Ellebaissalesyeux.—Non,c’estpourparlerdemondivorce.—Sijemesouviensbien,nousenavonsdéjàparléhier.—Et,sijemesouviensbien,rétorquaRose,nousnesommespasarrivésàgrand-chose.Toutce
quejeveuxsavoir,maîtreLodoun,c’estsivousacceptezdemesoutenir…Enfait,Jackn’ensavaittoujoursrien.Ilrepensaàlarequêteindividuellecontrelaquelleilvenait
de voter. Il songea aux journalistes qui risquaient de sortir à tout moment et de l’apercevoir enconversationprivéeaveclascandaleuseRoseClarring.
IlpensaàsirPauletàStromwell,etaupostedejugeàlaCoursuprêmequ’ilsluiavaientagitésousleneztelleunecarottesouslenezd’unâne.
Commeilnerépondaittoujourspas,Roseserembrunit.—Jevois,dit-elle.J’imaginequevotretempsestprécieux.Pardondevousavoirdérangé.Ellecherchaàdégagersonbras,qu’iltenaittoujours,maisillaretint.—Vous avezdit quevous auriezvouluunhommequipense àvous rendreheureuseavant de
vousrendremère,rappela-t-il.Quevousnevouliezplusvivreunesecondedeplusavecvotremariparcequ’iln’avaitjamaisvuenvousautrechosequ’unanimalreproducteur…
Elle le regarda longuement, comme si elle cherchait au fond de ses yeux l’homme qui s’étaitexhibédevantellemoinsdevingt-quatreheuresauparavant.
—C’estvrai,j’aiditcela.—Votremarivousa-t-iljamaisfaitjouir?demandaJack,connaissantd’avancelaréponse.Rosesecrispa.—Nousétionsdesgossessansexpérience,murmura-t-elle.—Çaveutdirenon?—Maisquellefemmeabesoindesonmaripourjouir?repartitRosed’untonpincé.Ellepeutse
fairejouirtouteseule.—Ensecaressant?—Oui.—Etvousvoulezdivorcer?—Oui.—Pourvousépanouirlibrement?—Oui.—Sansbiensavoircequecelaveutdire?—Toutcequejesais,c’estqueçan’arienàvoiraveclefaitd’êtremère.—Vousditescelaparcequevousn’avezpasaimébaiseravecvotremari?—Jen’aipasditcela.—Quevousn’aimiezpas?—Quemonmarimebaisait,commevousdites.—Maisc’estcequevousauriezvouluqu’ilfasse?—Non.—C’estpourtantcequevousavezdit.—J’aijusteditquejevoulaisunhommequim’aimeetquiyprenneautantdeplaisirquemoi.—Vousavezditquevousvouliezvousépanouir,rappelaJack.Commentsavez-vousquecen’est
pasenbaisantcommedesbêtesqu’ons’épanouit,madameClarring?À la barre des témoins, elle n’avait pas refusé une seule fois de répondre. Elle n’allait pas
commencermaintenant.—Jen’ensaisrien,admit-elle.Àvraidire,Jacknonplus.D’unemainferme,illadécolladulampadairesurlequelelles’appuyaitetl’entraînaverslarue.—Oùallons-nous?demandaRose.—Chercherl’épanouissement.Unfiacreenpassant lefrôla,faisantvoleter lespansdesonpardessus.D’unmêmepas,hanche
contrehanche,ilstraversèrentlarue.Elletressaillitenvoyantlaboutiqueverslaquelleill’entraînait–unelibrairie.
Lorsqu’ilpoussalaporte,uneclochettetinta.Unevaguedelumièreorangéeserépanditdehors.Roserestaenarrière.Elleétaitlivide.
—Allons,n’est-cepaspourçaquevousêtesvenueicicesoir?s’exclamanarquoisementJack.Pourchercheruneformed’épanouissement?
RoseClarringdevintbrusquementtouterouge.—Cen’estcertainementpasdansunelibrairiequejetrouveraiça.—Vous êtes pourtant bien placée pour savoir qu’avec les librairies, il ne faut pas se fier aux
apparences,répliquaJack.L’arrière-boutiqueestquelquefoismoinsinnocentequeladevanture.Vousavezpeur?ajouta-t-ilcarellehésitaittoujourssurleseuil.
—Pourquoiaurais-jepeur?rétorqua-t-elleenfaisantunpasenavant.C’estunendroitpublic.—Alors,enroute!BigBensonnahuitheures:uncarillonauxsonoritésclairessuividehuitdong!Lesoleilallait
bientôtsecoucher.Lejourfinirait.Quantàsavoirdequoilanuitseraitfaite…Unhommesobrementhabillédenoirvintàleurrencontreetleurbarralepassage,commepour
leurinterdirel’accèsàl’arrière-boutique.Ils’écartalorsqueJacklefusilladuregard.Laportedel’arrière-boutiquesefermaderrièreeuxavecunbruitsec.Jack observa la réaction deRose devant cet endroit dont tous les parlementaires connaissaient
l’existencemaisdontnulneparlait.Un jeune homme tourna la tête et écarquilla les yeux en voyant une femme. C’était Thomas
Sayreville,unparlementaire–conservateurcommelui.Aussitôt,Jackattrapasonregard.Ilssetoisèrentpendantdelonguessecondes.Jackleconnaissait.Ilconnaissaitaussisafemme.Sayrevillebaissalesyeux.LesjouesdeRoseClarringsecolorèrent.Maisellenepenchapaslatêtepoursecacherderrière
lereborddesonchapeau.Jackneputs’empêcherdel’admirer.Illaguidadanslesalléesmaléclairées.Luilâchantlebras,illapritparlataille.Ledosétaitaussi
rigidequelebras.Dansunevitrine se trouvait toutunassortimentd’accessoiresdontcertainsavaientété inventés
pour faire souffrir et certainement pas pour faire jouir : des anneaux de métal, des pinces, desmenottes…
—Puis-jefairequelquechosepourvous?s’enquitunvendeurquiparaissaitintimidé.LevendeurregardaitJack.JackregardaitRoseClarring.RoseClarringregardaitlavitrine.Sans cesser d’admirer le nez et les joues de la jeune femme– tout ce qui était visible entre le
reborddesonchapeauetlecolécharpedesacape–,Jackrépondit:—Nousvoudrionsvoirlesgodemichés.Avecdesmainsquitremblaientunpeuetenévitantsoigneusementdejeterunregardàlafemme
quisetenaitprèsdeJack,levendeurétalasurunetableunedouzainedephallusartificiels:encuir,envelours,enverre,petits,gros,monstrueux…
—Laissez-nous,ditJack.Levendeursefitunejoied’obéir.
Rose Clarring contempla ces instruments qui, malgré leurs différences, avaient tous la mêmedestination.
—Vousenvoulezun?demandaJack.LapoitrinedeRosesesoulevasoussacape.—Oui,répondit-elled’unevoixblanche.—Alors,choisissez.
9
Il régnait dans l’arrière-boutique un silence de bibliothèque. Un toussotement se fit entendre,commepourleurrappelerqu’ilsn’étaientpasseuls.
Deshommeslesobservaient.D’ungesteunpeuraide,RoseClarringtenditlebrasversungodemichédecuir.—Lesmainsnues,recommandaJack.Vouslesentirezmieux.Elleôtasesgantsetlesfourradanssapoche.RoseClarringavaitdesdoigtsfinsetfuselés.Prudemment, commesi c’étaitunpistolet chargé,elleprit legodemiché,quin’étaitguèreplus
grandquesonindex.—C’estpourunanusdefemme,expliquaJack.Oud’homme.Aussitôt,ellerelevalesyeuxverslui.—Avez-vousdéjà…—Sodomiséunefemmeavecundecespetitsengins?proposa-t-il.—…étévous-mêmesodomiséavecl’undecespetitsengins?rectifia-t-elle.—Oui,avouaJackàcontrecœurtandisquedessouvenirsluirevenaientenmémoire.Unemaîtresseinventivel’avaitautrefoisinitiéàdessensationsdiversesetvariées.Dontcertainesqu’ilavaitpartagéesavecCynthiaWhitcox.Rose plissa les yeux. Il eut l’impression qu’il éprouvait de la surprise, de la curiosité, mais
certainementpasdudégoût.Jacks’emparad’ungodemichédeverre,grosetlong.—Essayezcelui-là,dit-ilenluiôtantdesmainsceluiqu’elletenait.Rosepritlegodemichédeverre:ildébordaitlargementdesamain.Jacksecollaàellepourquepersonned’autrenepuissevoircequ’ellefaisait.Ellepassaledoigtdessus.Aumêmemoment,Jackeutl’impressionqu’undoigtcouraitpareillementsursonmembre.—MeWhitcox, lorsqu’il enaparlé, les a appelés«consolateursdeveuves»,ditRoseàvoix
basse.Jacképrouvadudéplaisiràl’entendreprononcerlenomdumaridesamaîtresse.Siuneréponse
luimontaauxlèvres,illaravala.Iln’avaitpasenviedeparlerdeJamesWhitcox.IlavaitjusteenviedeparlerdeRoseClarring.Sansleregarder,elleajouta:—VousavezaccuséMmeHartetMeWhitcoxd’avoirfaitleuréducationenlisantdeslivressur
lesperversionssexuelles…Enfait,maîtreLodoun,auclubdesMessieursetdesDames,nousavions
commencé à étudier les perversions sexuelles bien avant que Mme Hart nous rejoigne. C’étaitscientifique, pas graveleux. Nous apprenions des choses intéressantes… Savez-vous, par exemple,que dans l’Antiquité grecque, la spécialité locale à Milet était les godemichés en cuir, et que lecommerceétaitflorissant?
Jacklesavait…maisseulementparcequ’ill’avaitludansledossierduclubdesMessieursetdesDames.
—Lesphallusartificiels,cen’estdoncpasnouveau,poursuivitRoseencaressantmachinalementleboutdugodemiché.MêmelaBibleenparle.Maisnotresavoirrestait théorique,etnousparlionspolimentdes choses lesplusdélicates. Jusqu’au jouroùMeWhitcox a apporté des cartes postalesillustrées.
C’étaitlejouroùFrancesHartavaitétéofficiellementreçuedansleclub.Lasecrétaireavaitnoté la séancedu16avrilmaisn’avaitpaséprouvé lebesoindedécrire les
illustrations.—C’étaitévidentpourtoutlemondequ’illesavaitapportéespourMmeHart,ditencoreRoseen
passantledoigtsurlefreindugland.Pourqu’ellevoieleschosesquil’excitaient.Jacksesouvintdelacartepostalequ’ilavaitvueàlalibrairieBailey–cellesaveclesdeuxfilles
nues,dontl’unes’exhibaittandisquel’autrejouaitavecunepoireàlavement.L’idée de partager des goûts avec James Whitcox, après avoir partagé la même femme, le
révulsait.—Surl’unedesphotos,continuaRose,unefemmetenaitungodemiché.C’est lapremièrefois
que j’envoyaisun.Si jen’avaispas suàquoi celapouvait servir, je l’auraisdeviné facilementenvoyant ses jambes écartées. Jeme souviens que j’ai trouvé drôle qu’un homme puisse prendre duplaisiràregarderunefemmes’enservir.
UnemaininvisibleétreignitlesexedeJack.—Vous avez déjà vu une femme faire ça, maître Lodoun ? demanda Rose, les yeux baissés,
commesielles’adressaitaugodemiché.Ilauraitpréférénepasavoiràrépondreàcettequestion.—Oui.—Çavousaplu?Desimagesluirevinrentenmémoire,accompagnéesd’aucuneémotion.Uncorpsdefemme.Maisilnesesouvenaitpasdesestraits.Nidelacouleurdesescheveux.Ni
del’odeurdesapeau.—Oui,çam’aplu.— Il est gros, dit Rose en fixant le godemiché. Mais quand même moins gros que votre
membre…Jackneréponditrien.Elleconnaissaitaussibienqueluilatailledesonsexe.Elleposalegodemichédeverreetenpritunencuir,depresquevingtcentimètresdelong.Tandisqu’ellelesoupesait,Jackeutl’impressionquesonsexedevenaitplusgrosetpluslourd.—MllePalmerenaachetéuncommeçaquandnoussommesalléstousensembleàlalibrairie
Bailey.Jacksesouvintdecettefemmed’unetrentained’années,quiétaitdevenuerougecommeunkilo
de poudre de cochenille lorsqu’il l’avait interrogée,mais qui avait répondu à toutes ses questionssanssedémonter.
Elleavaitétéprofesseurdansuneinstitutiondejeunesfillestrèsréputée.Laveilleduprocès,elleavait informé ladirectricedeson implicationdans l’affaireduclubdesMessieursetdesDameset
avaitétérenvoyéeséancetenante.Maiscelan’avaitpassuffiàpréserverlaréputationdel’école,dontlenomavaitétécitéparplusieursjournaux.
Rosecontinuaitdemanipulerlesgodemichésdecuirenréfléchissanttouthaut.—Celui-làesttropgros,dit-elle.Cen’estpasungodemiché,c’estunpal!…Celui-là,parcontre,
meplaîtbien.Ilaàpeuprèslamêmetaillequevotremembre.Ellerelevasonchapeau.Sonaigrettetrembla.—Jecroisquejevaisleprendre.—Vousavezenvied’avoirçaenvous?Iln’yavaitpasd’incertitudedanssavoixlorsqu’ellerépondit:—Oui.Maisiln’yavaitnonplusdedésirdanssesyeux.—Êtes-vousmouilléeentrelescuisses?—Oui.—Avez-vouspeur?—Dequoi?Elleavaitbienrépondu;iln’yavaitaucuneraisond’avoirpeur.Illuipritlegodemiché.—Attendez-moiprèsdelasortie.Elleserebiffa.—J’aipourhabitudedepayermoi-mêmecequej’achète,monsieurLodoun.—Et,naturellement,vousavezaussipourhabituded’acheterdesgodemichés?Touslesjours?
Treizeàladouzaine?Elleouvritdesyeuxronds.—Vousavezvraimentenviequ’onvousdévisageàlacaisse?expliquaJack.Ouquelevendeur
fasseuneattaqued’apoplexie?Roseéclataderire.Jackeutl’impressiondevoirRoseClarringtellequ’elleavaitétédouzeansplustôt,mariéeàun
hommequilarendaitheureuse.Maislabonnehumeurdelajeunefemmefutdecourtedurée.Têtebaissée,dissimuléeparlenoirduchapeauetleblancdel’aigrette,ellefouilladanssonsacet
ensortittroisflorins,qu’elleluidonna.—Sic’estpluscher,vousmeledirez.Tousleshommeslasuivirentdesyeuxlorsqu’elles’enalla.Ladémarchefière,lesondulationsde
lacape:elleétaitmajestueuse.Jackétaitsidéré.Pendantdeuxans,ilavaitfréquentéunefemmeencachette;etmaintenant,celle-cis’affichaitavec
luidansuncommercedepornographie!—Avecceci,monsieur?demandalevendeur,beaucoupmoinsintimidémaintenantquelafemme
étaitpartie.Vousfaut-ilautrechose?—Oui,réponditJackensuivantdesyeuxungroshommequisortaitavecunvolumineuxpaquet
souslebras.Donnez-moiunflacond’huiledeMargot.—Dites-moi,vieuxfrère…?Jackseretournapourvoirquiluiparlaitsurcetonexaspérant.C’étaitlejeunedéputéqu’ilavait
aperçuenarrivant,Sayreville.—Quoi?
—Ceneseraitpaslafemmequiétaitdanslejournal?Cellequifaisaitpartiedececlubunpeuspécialcontrelequelvousavezplaidéhier?
Sayrevilleétaittoutrouged’excitation.LuiaussiavaitsuividesyeuxRosequandelleétaitsortie.—Monchercollège,ditJackd’untonglacial,jenevoispasdequivousvoulezparler.Sayrevilleparutdéconcerté.—Maisenfin,lafemmequivientdesortir…—Iln’yajamaiseulamoindrefemmeici,ditJackenletoisant.D’ailleurs,cettepiècen’existe
même pas et n’a jamais existé. Si par malheur elle existait un jour, eh bien, certaines chosesdeviendraientpubliques,nécessairement.
Songeantàsonépouse,Sayreville,quiétaitrouged’excitation,devintrouged’embarras.Jackpritlepaquetdesmainsduvendeuretsortit.Comparéeàlapénombredel’arrière-boutique,lalumièredanslaboutiqueétaitéblouissante.Une
clochettesuraiguëécorchaitlestympansàintervallesréguliers:quelqu’unentrait,quelqu’unsortait.Dans laboutique,desmessieursd’allure respectableetdesdamesélégantespassaient entredes
tablessurlesquellesétaientempilésdeslivres.Personnen’auraitdevinél’existencedel’arrière-boutique.RoseClarringl’attendaitenfeuilletantunlivre.Il lapritparlebrasetilssortirent.Lanuitétait
fraîche.BigBensonnaneufheures.Toutenmarchant,JacktournaitrégulièrementlesyeuxversRose.Lechapeau,l’aigrette,lecolde
la cape… À part ça, il ne voyait que quelques mèches blondes qui flottaient dans la brise, finescommedescheveuxdebébé.
Ilfitsigneàplusieursfiacres,jusqu’àcequ’ilyenaitunquiconsenteàs’arrêter.Rose ymonta. Sous la lumière d’un lampadaire, ses yeux brillèrent, rivalisant d’éclat avec les
perlesdesesbouclesd’oreilles.L’heureétaitvenuepourJackdeprendreunedécision.Soitlalaisserpartirseule.Soitlasuivrejusqu’auboutduchemin.Legodemichésouslebras,Jackgrimpadanslefiacre.
10
Lefiacretanguaitentraversantunpont.RoseClarringneparlaitpas.Jacknonplus.Ellenesavaitpascommentfairepouréviterqueleurshanchesnesetouchent.Àchaquetourde
roues, ilsétaientprojetés l’uncontre l’autre, tandisque legodemichédanssonpapierd’emballageétaittoujourscoincésouslebrasdeJack.
Aprèslepont,uneruepavée.Lessecoussessemultiplièrent.—Aufait,est-cequejevousdoisdel’argent?demandaRose.—Non.—Vousnerisquezpasd’êtreenretard,quandlaséancereprendra?—Celasepourraitbien.—Jen’aitoujourspastrouvédemajordome.JacktournalatêteetobservaRoseClarringdanslapénombre.Lafaiblelumièred’unréverbèreilluminal’aigretteblancheduchapeauetprécisalescontoursde
sonvisage.Disait-ellecelapourentretenirlaconversation,ouafinqu’ilsachequ’iln’yauraitaucunserviteur
chezellepourlesdéranger,sijamais…Ilréponditseulement:—Ahbon?—Oui,confirma-t-elle.Pourtantj’enaivuquatre,aujourd’hui.—Etaucunquivousconvienne?—C’estplutôtmoiquineleurconvenaispas.JacksedemandasielleliraitlaPallMallGazettedulendemain.C’étaitunjournalqu’elleétaitobligéedeconnaître.L’undesmembresduclubdesMessieurset
desDamesytenaitunerubrique.—Mabelle-sœurestvenuemevoiraujourd’hui,repritRoseenforçantlavoixpourcouvrirles
couinementsdesrouesdufiacre.Rose avait cinq frères, tousmariés, et par conséquent cinqbelles-sœurs. Ses cinqbelles-sœurs
étaienttoutesplusjeunesqu’elle.—Quand?—Enmilieud’après-midi.Ilcalasonpiedcontrelaportièredufiacre.—C’estpourcelaquevousêtesvenuem’attendrecesoir?RoseClarringneréponditpasdirectementàlaquestion.
—Elleestenceinte.J’aimislamainsursonventreetj’aisentisonbébébouger.—Ellesaitquevotremarieststérile?demandaJackd’unevoixneutre.—Non.—Ellecroitquec’estàcausedevousquevotremariageestrestésansenfant.—Oui.Pendantdouzeans,RoseClarringavaitgardélesecret.Paramour.Lefiacrefitunbond,unerouepassantdansunnid-de-poule.Rose eut beau s’agripper à une poignée, elle ne put s’empêcher de glisser et leurs cuisses se
touchèrent.Àlasecondesuivante,lefiacreseredressaetellefutrepousséedel’autrecôté.Jacknelasentit
plus,maisladouceimpressionpersista.Elleregardaitparlafenêtre.Àchaquelampadaire,sonvisages’éclairaitavantdedisparaîtredenouveaudanslapénombre.Soudain,elleseretournaverslui,leblancdesesyeuxétrangementlumineux.—Avez-vousdéjàprésentéunerequêteendivorcedevantleParlement?N’osantpluslaregarder,Jacksetournaverssafenêtre.—Non,répondit-ilsansautrecommentaire.—Lorsqu’elleestvenuecetaprès-midi,mabelle-sœuravaitunmessagedelapartdemonmari.Jackpivotabrusquementverselle.—Qu’est-cequec’était?Iln’auraitsudires’ilposaitlaquestionentantqu’avocat,entantquemembreduParlement…ou
entantqu’homme,toutsimplement.—Jonathanm’afaitdirequ’ilmepardonnait.LamaininvisibleautourducœurdeJackresserrasonétreinted’uncran.— Quand vous jouirez tout à l’heure, madame Clarring, demanda-t-il d’une voix rude, vous
penserezàqui?—Àvous,maîtreLodoun.Lefiacres’arrêtaenfin.—Oui,jepenseraiàvous,assura-t-elle.Rose lui prit des mains le godemiché, descendit du fiacre sans l’attendre, grimpa sur le
marchepiedpourpayerlecocheretcourutjusqu’àlaportedesamaison.Ildescenditdufiacreàsontouretlarejoignitausommetduperronaumomentoùelletournaitla
clédanslaserrure.Elledonnal’impressiondenepasremarquersaprésenceàsoncôté,pasmêmelorsqu’ilfranchit
leseuilderrièreelle.C’estluiquirefermalaporteettiraleverrou.L’obscuritélesenveloppa.Jackcraquauneallumette.Uneflammeblanchejaillit.Ilallumalebougeoirquisetrouvaitsurlatableréservéeaucourrier.Ilsedemandasielleavaitdéjàfaitsonchangementd’adresse.Ousi,dèsdemainmatin,elleretourneraitchezsonmari,quiacceptaitdelareprendre.Jack,avecdesgesteslentsetprécis,ôtasonchapeauetsonmanteauetlesaccrochaàlapatèrede
cuivreprèsdelaporte.
Quandilseretourna,Roseétaitlà,pâlemaistranquille.Elleposalegodemichésurlatable,puislui donna son chapeau et sa cape pour qu’il les accroche également à la patère. Lemanteau et lechapeaudeJackétaientgris;lacapeetlechapeaudeRoseétaientnoirs.Lemanquedecouleursdansleursviessereflétaitdansleursgarde-robes.
—Ya-t-ilducharbondanslacheminée?demanda-t-ilenrécupérantlegodemiché.C’étaitleprintemps,maislesjournéesétaientfraîchesetlesnuitsdavantageencore.Ellerangeasonsacdansletiroirdelatable.—Oui.J’ainettoyélescendrescematinetj’aimisducharbon.Iln’yaplusqu’àl’allumer…Ç’auraitétélatâchedumajordome.Maisaucunmajordomedignedecenomnevoulaittravailler
pourunefemmeperduederéputation.Jack récupéra le godemiché et, bougeoir dans unemain, godemiché dans l’autre, il s’engagea
dans le couloir. Il était nerveux. Les talons de Rose Clarring sur le parquet faisaient un bruitinsupportable.
Danslesalon,ilallumauneàuneleslampesàgaz.Roselesuivaitdesyeux.Aprèsavoirposélegodemichéparterreàcôtédelui,ils’occupadufeu.Lecharbondansl’âtre
semitpeuàpeuàrougeoyer.LorsqueJackouvritlatrappepouravoirplusdetirage,l’échoduchocmétalliqueserépercutajusqu’autoitparleconduitdelacheminée.
Ilse redressa,époussetasesdoigts,posa laboîted’allumettessur lemanteaude lacheminéeetramassalegodemiché.
Puisilseretourna.Depuisqu’ilavaitposélepieddanslamaison,ilsavaitcequiallaitsepasser.Maisilnesavaitpas
comment.RoseClarringcommençaàdéboutonnersoncorsage.Jacklaregardafairesanspouvoirrespirer.
Lecorsagetomba.Ellerelevalesyeux.—Quandvousmeregarderez,j’espèrequec’estmoiquevousverrez…etpasquelqu’und’autre.— C’est vous que je vois, madame Clarring, n’ayez crainte, dit Jack tranquillement. Vous, et
personned’autre.Il lisait de la douleur dans ses yeux mauves, plus fixes qu’à l’ordinaire. De la douleur et du
désir…Ilcompritàquelpointelleétaitseule.Latêtebaissée,elledénoualaceinturedesajupe.—J’étaisnaïve,commelaplupartdesjeunesfilles,quandjemesuismariée.Sajupetombasilencieusement.JackregardaitleslongscilsdeRoseClarring,quiprojetaientleursombressursesjoues.—Jecroyaisquel’amoursuffisaitàfairelesbébés,ajouta-t-elle.Unbruitsourd:c’étaitsatournurequiatterrissaitsurleparquet.—Enfin, pas littéralement, corrigea-t-elle. J’étais naïve, d’accord,mais quandmême pas à ce
point-là!Unsourired’autodérisioneffaçaprovisoirementsatristesse.Unlégerfroufroutementsefitentendrepar-dessuslepétillementdesbraises:c’étaitlejuponde
soiequisuivaitlefaux-cul…—Maisjecroyaissincèrementquelorsqu’unhommeéjaculaitdansunefemme,c’étaituncadeau
qu’illuifaisait,safaçondeprouverqu’ill’aimait.Etj’étaisheureuse.Leslueurstremblantesdeslampesàgazavaientl’airdeparticiperàl’émotiondumoment.
—Jonathannem’ajamaisfaitjouir,maisj’aimaislesentirentremescuisses,poursuivit-elleencommençantàdélacersoncorset.J’aimaisquandnosdeuxcorpssemblaientnefairequ’un.J’aimaissentirsasemencejaillirenmoi.
Toutenparlant,ellecontinuaitdedélacersoncorset.—UnsoirdeNoël,alorsquenousétionscouchéscôteàcôte,jeluiaidemandépourquoiilne
m’aimaitplus.Ilm’aréponduqu’ilnepouvaitplusaccomplirledevoirconjugal–iln’auraitjamaisemployé le mot « baiser » ! – parce qu’il avait désormais l’impression de commettre un acteimmoral.Unhommes’unitàsonépousepourluifairedesenfants,sinon,c’estpresqueunviol–c’estdumoinscommeçaqu’ilvoyaitleschoses…Nepouvantpasmefaired’enfant,iln’avaitplusrienàm’offrir.Ilm’aprisedanssesbrasetilapleuré.Nousnoussommesendormisdanscetteposition…et,lelendemainmatin,lorsquejemesuisréveillée,iln’étaitpluslà.
Jacksesouvintdesesgrognementsd’hommesatisfait,descrisdejouissancedeCynthiaWhitcox.Deleursbaisersetdeleursrires.
Aprèsunaprès-mididevoluptéspartagées,elleluiavaitditaurevoir.Commed’habitude.Etilnel’avaitplusjamaisrevue.Nivivante.Nimorte.Rosefitpassersachemisepar-dessussatête.Lecotonmurmuraenglissantsurlapeausoyeuse,
cherchaàsereteniràlapoitrinegonflée,s’accrochantaupassageàuneépingleàcheveux.Elle avait des seins plutôt petits, élégants et fermes comme l’arrondi d’un verre à cognac. Ses
aréolesrosefoncéétaientduresetsedressaient,commeavaitétéduretdressélemembredeJacklaveilleausoir.
Elle ne portait plus que ses pantalons de dentelle, ses bas et ses souliers. Il n’éprouva aucunsentimentdetriompheàlavoiraussivulnérable.
—J’aisentibougerlebébédemabelle-sœuretj’aieubesoindevousvoir.—Pourquoi?Lesparolesrebondissaientsurlesmurs,quisemblaientrevêtusd’ombre.—Parcequevousaimezuneautrefemme,répondit-elleensetenantbiendroite.Etmoi,j’aime
unautrehomme.Ilssontmortspournous,l’uncommel’autre.Àpartvous,jen’aipersonneavecquipartagermonchagrin…
Il était député auParlement et, pasplus tardquecet après-midi, il l’avait trahie, d’unecertainefaçon.
Elleétaitunefaiblefemmequis’exposaittotalement.Ilauraitdûpartirmaintenant,maisc’étaitau-dessusdesesforces.—Ôteztousvosvêtements,madameClarring,dit-ild’unevoixâpre.Cesoir,vousetmoi,nous
avonsdesdécouvertesàfaire.
11
LorsqueRoses’apprêtaàs’asseoirpourôterseschaussuresetsesbas,elletremblaitenpensantquedansquelquessecondeselleseraitentièrementnue.
Jackseretourna,commepourménagersapudeur.Il entendit le coussin du fauteuil pousser un soupir quand elle s’assit, puis le choc sourd d’un
souliertombantsurleparquet.Ilregardaautourdelui lesalonpauvrementdécoré,pastrèsgrand, typiquedecesmaisonsqui
surgissaientdeterrequotidiennementpourabriterlanouvelleclassemoyenne.Unautrechocsourd:lesecondsouliervenaitdetomber.Lamaison de JonathanClarring, se dit Jack – essayant de penser à autre chose qu’à ce qui se
passaitdanssondos–,étaitsituéedanslesquartierschics.MaisRose,séparéedesonmari,n’auraitpluslesmoyensdes’offrirleluxeauquelelleétaithabituée.
Lecoussindufauteuilpoussaunautresoupirlorsqu’ellesereleva.EnentendantlelégermurmuredespantalonsdesoieglissantsurlescuissesdeRose,Jacksentit
sehérisserlespetitscheveuxsursanuque.Legodemichésoussonbrasdonnaitl’impressiondelebrûleràtraverssachemiseetsaveste.Ilseretourna.Ilvitunefemmeàlapeaublanche,entièrementnue,entraindes’asseoirsurlecanapédevelours
bleu.Jackeutchaudauxjoues,etsonsexetressaillitdanssoncaleçon.Toutdoucement,elles’allongeasurlecanapé.Sesjolispetitsseinspointaient.Elleposaunejambesurledossierducanapé,laissantpendrel’autre.Untriangledepoilsblondfoncémoussaitentresescuisses.La respiration de Jack devint haletante. Big Ben sonna, le bruit du carillon assourdi par la
distance.RoseClarringexhibaitsonsexecommeJackLodounavaitexhibélesien.Safentedessinaituntraitplussombreentrelesreplisdesespetiteslèvres,d’unroseluisant.ElleplantadanslesyeuxdeJackunregardquin’avaitriend’innocent.Lesperlesàsesoreillesjetaientdesflammèchesargentées.Uncadeaudesonmari.Oudesonpère,quisait?Lesperleslespluspurespourunevirginaleépouse.Déchirant lepapierd’emballage, Jack tint legodemichédans samaingauche, tandisquede sa
maindroiteildébouchaitleflacond’huiledeMargot.
Prudemment, il fit couler un filet d’huile sur le bulbe du godemiché et posa le flacon sur unetable.
Puisils’approchadeRoseet,segardantdelatoucher,illuitenditlegodemiché.Elleleregardapendantdelonguessecondes.Unegouttedelubrifiant,brillanteetdorée,coulale
longdelahampe…commesileglanddecuirétaitvivantetpleuraitdedésir.Lentement,Rosetenditlamainverslegodemiché.Danssesyeuxécarquillés,Jacklutdel’appréhension.—J’aitoujoursrêvéqueceseraitJonathanquiferaitmonéducation,qu’ilm’initieraitauxdélices
de l’amour, dit-elle avec une moue amère. Mais vous avez raison, maître Lodoun. Comment lesfemmes peuvent-elles attendre qu’un homme les rende heureuses alors qu’elles ne savent pas cequ’ellesveulent?Alorsqu’ellesnesaventmêmepassiellessontcapablesdeprendreduplaisir?
UnelarmeroulasurlajouedeRose.—Peut-êtrequ’unefemmen’abesoinderiend’autrequeça,reprit-elleenétreignantlephallus
decuirjusqu’àcequesesphalangesdeviennentblanches.Unbongrosgodemichébiendocile!Peut-êtrequelapassionn’ajamaisexistéailleursquedansl’imaginationdesfemmesprivéesd’amour.
Peut-être…Oupeut-êtrepas…Ilsétaientlàtouslesdeuxpouressayerdetrouveruneréponse.Lesyeuxmi-clos,Roseplaçal’engindecuirentresescuisses.Le cylindre se fraya un passage parmi ses fins poils blonds… fut aspiré par les petites lèvres
rosées…Jack,àreculons,allas’asseoirdansunfauteuil.Ilétait idéalementplacépourvoir legland, luisantd’huile,en traindesefaufilerdans l’étroite
fente–intouchéependantdouzeans!Ducuirmarronentaillaitdelachairrose.Legland.Lacouronne.Ilentrait,centimètreparcentimètre.LesexedeRosesedilataitpourluilivrerpassage…jusqu’àcequ’ilsoitimpossibled’allerplus
loin.Jacks’agrippaauxaccoudoirsdesonfauteuil.Ilnepouvaitplusvoirgrand-chose.LamainetlepoignetdeRoseluicachaientl’essentiel.Maisilimaginaitleclitoristoutdur.Ilimaginaitl’étroitpertuisenvahiparuncylindredecuiretnonparlesexedesonmari,l’homme
qu’elleaimait.Elles’avançaitseuleversl’inconnu.LesexedeJackdevenaitpluslongetpluslourdàchaqueseconde.Ilpensaqu’elledevaitavoirunpeumal,aprèsunesilongueabstinence.Lecylindredecuirressortitcommeilétaitentré,lentement,centimètreparcentimètre.Peuàpeu,leschairsdeRosesedétendirent.Enfin,leglandreparut.Cettefois,cen’étaitpasseulementlelubrifiantquilefaisaitbriller.Rosecommençaàfairealleretvenirlegodemichéselonlerythmequiluiconvenait.Despetitscoupspeuprofonds…Desplongées…Desmouvementsdouxetd’autresplusvifs…Davantagequeleplaisircharnel,ilyavaitleplaisirdeladécouverte.
Elle posa sa main libre sur son ventre, comme si elle cherchait à sentir le va-et-vient dugodemichéàtraverssaparoiabdominale.
Jackattrapasonsexeàtraverssonpantalonetcommençaàlepétrir.Ils se mirent à haleter tous les deux au même rythme, comme s’ils n’avaient plus qu’un seul
souffle.Rosepoussaungémissement.Jackécarquillalesyeux.LevisagedeRose était crispé, partagé entre la douleur et le plaisir – unplaisir si intenseque
c’étaitpresquedeladouleur.Elleavaitlesjouesrougesetlacouleurcommençaitàserépandresursonmentonetsagorge.
JonathanClarringn’avaitpasétéàsescôtésparlepassélorsqu’elleavaiteubesoindelui.Jackespéraqu’ilétaitlàmaintenant.Ilespéraquec’étaitJonathanClarringqueRoseaccueillaitenelle.Ilespéraquec’étaitlesexedeJonathanClarringquiluidonnaitduplaisir.
Ilvoulaitqu’elleatteignel’orgasmequesonmarineluiavaitjamaisdonné.Ilvoulaitqu’ellecrielenomdeJonathanClarringquandellejouirait.
Elle avaitditqu’ellepenserait à Jack.Mais,pourpenser àquelqu’un, il fautde lamatière,unehistoirecommune.Etellen’avaitaucunsouveniraveclui!
Ilnevoulaitpasqu’ellesoitseule–pasdanscemomentdebascule.Ellepoussauncri.Sarespirationlaborieuserecouvraittouslesautresbruits.Jackattendit,lecœurbattant,sonsexevibrantaumêmerythme.RoserouvritlesyeuxetvitJack.Ilserenditcomptequ’iln’étaitpascontentdelui.Iln’avaitpasobtenucequ’ilvoulait.EtRoseClarringnonplus.Elleavait lamainmollementposéesursonmontdeVénus.Legodemichéétait toujoursplanté
danssonsexe.Unegouttedeliquidetombasurlecanapé.Jackselevaetpartitverslaporte,prêtàs’enaller.— Pourquoim’avez-vous répondu ? demanda-t-elle de la voix de quelqu’un qui se retient de
sangloter.Ils’arrêtanet.—Quand?—Lorsque jevousaidemandé lenomdevotremaîtresse, l’autre jour.Pourquoim’avez-vous
répondu,alorsqueriennevousyobligeait?—Parce quemoi aussi, répliqua Jack, j’ai quelquefois besoin de quelqu’un avec qui partager
monchagrin…
12
Rose,àgenouxdevantl’âtre,s’activait.Avecunepetitepelle,ellerepoussaitlescendresdanslatrappeduvidoir.
Elleavaitmalàtouslesmuscles.Sonpoignetdroit.Sonbrasdroit.Etàl’intérieurdesonsexe,oùelles’étaitenfoncéungodemiché.Ou plus exactement : où elle s’était masturbée avec un godemiché pendant que Jack Lodoun
regardait.Lescendresrefroidiesdégageaientuneodeurâcrequiluipiquaitlesnarines.Lebruitduheurtoirdelaportesefitentendre.Elleavaitdelavisite.Elleespéraquec’étaitl’agencedeplacementquiluienvoyaituncandidatunpeumoinsdifficile
quelesautres.Ellerabattitlecouvercledelatrappe–unnuagedepoussièregrisemontadanslacheminée–et
accrochalapelleàcôtédestisonniers.Sesmainsétaientnoiresdesuie.Ainsiquesarobe.Elles’essuyalesmainssursajupeetouvritlaporte.Soncœurcessadebattre.Puisilseremitenmarcheàcoupsredoublés.L’hommesurleseuilétaitaussigrandetcarréqueJackLodoun,maiscen’étaitpasJackLodoun.Cen’étaitpasnonplusuncandidataupostedemajordome.C’étaitsonfrèreDerek,sanglédansunbeaumanteaubleumarine.—Tuasdunoirsurlafigure.Instinctivement,Rosesepassalamainsurlajoue.Unelueurmalicieuses’allumadanslesyeuxde
Derek.—Tun’asfaitqu’aggraverleschoses.Rosesedépêchaderabaissersamain.—Derek,quellesurprise!Ilcessabrusquementdesourire.—Mercid’avoirraccompagnéLucy.—Danssonétat,ellen’auraitjamaisdûvenir,ditRose.Son frère lui ressemblait beaucoup. Même teint, même cheveux blonds. La seule différence,
c’étaitqu’ilavaitlesyeuxdorésdeleurmère,alorsqu’elleavaitlesyeuxmauvesdeleurpère.—Toinonplus,tun’auraispasdûvenir,ajouta-t-elle.Ilserembrunit.—Jenetecomprendspas,Rose.Tuastoujoursétésiheureuse…
—Qu’ensais-tu?rétorqua-t-elle.Lescendresqu’elleavaitavaléeslafirenttoussoter.—Undivorce,cen’estpasfacileàobtenir,ditDerek.Etçacoûteunefortune.—J’aimadot.Jonathanluiavaitouvertuncompteàsonnomlelendemaindeleurmariage;ilyavaitdéposéle
montantdeladotetlasommeétaitrestéeinentamée.—Tudevraispeut-êtreenparleràmonavocat,suggéraDerek.«Afinqu’ilessayedemedissuader»,complétaRose.—J’aidéjàunavocat,dit-elle.IlvadéposerunerequêteauParlement.Derekdevintdeplusenplussombre.—Jevois.—Jet’inviteraisbienàentrerprendreunetassedethé,repritpolimentRose,maisjen’aipasce
qu’ilfaut.—D’aprèsLucy,tun’asmêmepasdedomestiques.« À cause de ta conduite », avait-il l’air de dire. Qui voudrait travailler pour une femme
déshonorée?MaisJonathanClarringétaitprêtàluipardonnersesfautes.Pourquoi s’entêtait-elle dans son projet de divorce, au lieu de retourner vivre avec un mari
indulgentetmanifestementamoureuxd’elle?—Àcesujet,j’attendsunevisite,précisa-t-elle.C’était vrai. D’un instant à l’autre, un homme allait se présenter de la part de l’agence de
placement.Derekluitenditunjournal.—Jesuisvenupourt’apporterça.Il baissait les yeux, passant d’unpied sur l’autre.C’était le genre d’hommeà l’aise partout.Et
avecelle,sapetitesœur,ilavaitl’airgêné!Rosenefitpaslegestedeprendrelejournal.—J’aiassezludechosessurleprocès,Derek.Ilouvritlejournalàlapagedumilieu.—Ilfautàtoutprixquetulisesça.—Derek…Sepenchant,ill’embrassasurlajoue.Roseperditcontenance.Quandétait-ce,ladernièrefoisqueDerekluiavaittémoignédel’affection?Elleremarquaàpeinequ’ilétaitentraindeluimettrelejournaldanslamain.—Lisça,Rose…Ilsortitdesapocheunmouchoirblancetentrepritdeladébarbouiller.Docilement,Roseinclina
la têted’uncôtépuisde l’autrepour lui faciliter la tâche.Lemouchoirde lin était rêche,mais lesdoigtsétaientdoux.
—Lis-le,répéta-t-il.S’ilteplaît.Aprèsquoi,ils’enalla,sestalonsclaquantsurletrottoir,sachevelureblondebrillantcommede
l’orausoleil.Roselevitdisparaîtredansunfiacre.Ellerentra.L’intérieurdelamaisonluiparutsombre,aprèslalumièredumatinprintanier.Elles’assitsurlecanapébleu.Ellesesouvintducylindredecuirfroidetdur.
EllesesouvintdecequeJackavaitdit:Parcequemoiaussi,j’aiquelquefoisbesoindequelqu’unavecquipartagermonchagrin…Àtraversseslarmes,Roseremarquaundéfautdansleveloursducanapé.Son cœur se serra lorsqu’elle se rendit compteque cen’était pasundéfaut,mais une tachede
lubrifiant.Legodemichéquiétaitresponsabledelatacheavaitcoûtéquatreshillingsetsixpence.Enpartant,
JackLodounavaitlaissélamonnaie–unshillingetsixpence–surlatabledel’entrée.Rassemblant son courage, Rose regarda le journal queDerek lui avaitmis dans lamain. Elle
survolalesgrostitres.LeParlementréviselaloisurlesgrains.Westminsterpréparelejubilédelareine.Unjurésoupçonnédecorruption.Soudain,lenomdeJackLodounluisautaauvisage.L’article–uncourttexteintituléRequêterejetée–occupaituncoindelapage,enbasàdroite.Roseeutunmauvaispressentiment.Ellelut:
LarequêteendivorceprésentéeparMmeHarrietMariaGreffenaétérejetéeparleParlement.MmeGreffendemandaitladissolutiondesonunionetledroitdeseremarier.Danssarequête,elle
faisait valoir que son mari, M. Justin Dwight Greffen, buvait, avait une conduite désordonnée,l’insultait et labattait, etque ledésaccordentre lesépouxétait trop importantpourenvisageruneréconciliation.Leconseilde la reineayant requis le rejet,une immensemajoritédedéputés,parmilesquelsleconservateurJackLodoun,avotécontre.Lodounexpliqua:«Toutbonnementparcequeladiterequêteestcontraireàlaloi.»
Rosen’encroyaitpassesyeux.Ellerelutl’article,ensoupesachaquemot.Soncœurbattaitsifortqu’ellen’entenditpastoutdesuitequequelqu’unfrappaitàsaporte.
13
Le bruit que fit la porte en se refermant informa Jack qu’il n’était plus seul dans son bureau.Dorsey,sonsecrétaire,venaitd’entrer.
—InstallezM.Waldendanslasalledeconférences.Dites-luiquejelerejoinsdanscinqminutes.—Cen’estpasM.Waldenquivientd’arriver, répondit le secrétaire. Il a télégraphiépourdire
qu’ilseraitenretard.C’estM.Stromwellquidemandeàvousvoir.Blair Stromwell, le président du groupe conservateur auParlement, l’hommequi lui avait fait
miroiterunpostedejugeàlaCoursuprême.Jackrestaimpassible.—Queveut-il?—Jenesaispas,monsieur.Iln’ariendit.Lesoleil tombaitdans lapiècepar lescroiséeset faisaitbriller lescheveuxchâtainsdeDorsey
commedubronze.Derrièrelui,laportedechênesemblaitpailletéed’or.—Voulez-vousquejediseàM.Stromwellquevousêtesoccupé?proposalesecrétaire.Jack pensa à Rose Clarring, seule dans sa maison, sans domestiques. Blair Stromwell l’avait
traitéedeputain.—Non.Faites-leentrer.—J’apportelecognac,monsieur?JonathanClarrings’était-ilsaouléàmorthiersoirpendantquesafemmesemasturbaitavecun
godemiché?—Oui, fit Jack en refermant le livre de jurisprudence sur lequel il travaillait.Ce brave vieux
Stromwelln’ajamaiscrachésurunboncognac.Lesecrétaireluitenditunpaquetd’enveloppes.—J’aitriélecourrier,dit-il.CelledudessusestdeMeSeaton.MeSeatonétaitl’avocatquiluiavaitrecommandélefilsdeFrancesHart.—Jesupposequ’iln’estpasprèsdem’envoyerunnouveauclient,commentaJack.—Au contraire, répondit le secrétaire. Il vous demande de plaider une affaire devant la petite
courdejustice.Unprocèssansjury.Lejugedansl’affaireHartavaitétéconservateur.Sansjury,Jackauraitgagné.—Quelgenredecas?—M.JustinGreffenveutobtenirunedécisiondejusticepourcontraindresafemmeàaccomplir
denouveauledevoirconjugal.Lemaride la femmeàqui Jacketdeuxcentdix-neufautresdéputésavaient refusé lebénéfice
d’undivorce.Jackregardasonsecrétaire.IlavaitembauchéNathanDorseytroisansplustôt.Dorsey donnait l’impression de n’avoir jamais entendu parler de Cynthia Whitcox. Il n’avait
jamaisfaitlemoindrecommentaireàproposdesprocèsqueJackavaitperduscontreJamesWhitcox.Mais,lejourdelamortdeCynthiaWhitcox,ilavaitannulétouslesrendez-vousdeJackavantmêmequecelui-cinesoitaucourantdelanouvelle.
Etmaintenant,JackétaitattiréparRoseClarring–encoreunefoislafemmed’unautrehomme.Lesecrétairetenaitlesenveloppesd’unemainferme.NathanDorseytravaillaitcommeilvivait:avecdignitéetdiscrétion.—Si vous étiezmon client,monsieurDorsey, fit Jack, je dirais que le fait que votremain ne
tremblepasprouvequevousêtesunhonnêtehomme.Lesecrétairenetiraaucunorgueildecejugement.—Si jeplaidaiscontrevous,continuaJack, jediraisque le faitquevotremainne tremblepas
prouvequevousêtesunfieffécoquin.Lesecrétairenesevexapasdavantagequ’ilnes’étaitenorgueilli.— Dites-moi, monsieur Dorsey, comment plaideriez-vous la cause d’un client qui serait un
menteur,univrogne,undébauchéquibatsafemme?JustinGreffen.—Jen’ensaisrien,monsieur,réponditfranchementlesecrétaire.C’estpourçaquejenesuispas
avocat.Pourtant,NathanDorsey–quiétaitinscritaubarreau–connaissaitlaloimieuxquelaplupartdes
avocats.C’estpourquoiJackl’avaitembauché.—Etcommentplaideriez-vousuncas,enchaînaJack,danslequel leseul tortdumariestdene
paspouvoirfaired’enfantàsafemme?DorseycompritquesonpatronparlaitdeJonathanClarring.IlavaittravaillésurledossierduclubdesMessieursetdesDames,ilavaitassistéàl’auditionde
RoseClarring.—Une femmepeut obtenir l’annulationdumariage si lemari est impuissant depuis aumoins
troisans.Auxyeuxde la loi, lastérilitéet l’impuissanceétaientsouventconsidéréescommeuneseuleet
mêmechose.—Elleneveutenaucuncasdénigrersonmari,précisaJack.—Est-cequ’aumoinsilaccomplitledevoirconjugal?demandaDorsey.JacképrouvadelagêneàévoquerlasexualitédeRoseClarringavecunautrehomme.—Non.—Cepourraitêtreunmotifdeséparation,suggéralesecrétaire.—Jenecroispas,réponditJack.L’abandondudomicileconjugal,oui.L’abandondulitconjugal,
non.—Unjugepourraitpeut-êtreselaisserconvaincreducontraire,déclaraDorseyaveccalme,s’il
estamenéàcroirequelafemmenedemanderaitpasmieuxqued’avoirdesenfantsetquelemaril’enprivedélibérément.
—Auxdernièresnouvelles,elleaquittéledomicileconjugal,ditJack.Or, la loi exigeait qu’une femmequi requiert une séparation réside sous lemême toit que son
mari.
—Çapourrait encore s’arranger si ellehabitaitdansunemaison louéepar sonmari, répliquaDorsey.
Jackhochalatête.L’idéeméritaitd’êtrecreusée.—Peut-être,murmura-t-ilenprenantenfinlecourrierqueluitendaitsonsecrétaire.Maintenant,
faitesentrerStromwell.L’instantd’après,legroshommefitsonapparition.Sescheveuxétaientdeplusenplusgrisetde
plus en plus rares. Sans son col dur pour le retenir, nul ne sait jusqu’où son triplementon auraitdégouliné.
Dorseys’enalla,leslaissantseuls.—Lodoun,vieux frère ! s’exclamaBlairStromwell enposantdeux journaux sur lebureaude
Jack,déjàpassablementencombré.Ilselaissachoirdansunfauteuiletsortitdesapocheuncigare.—Vousenvoulezun?Jackréussitàdissimulersondégoût.—Nonmerci.Stromwellcraquauneallumette.L’instantd’après,sonvisagedisparutderrièreunnuagedefumée.—Si j’aibiencompté,dit-il,cela fait lecinquièmeprocèsen troisansquevousperdezcontre
JamesWhitcox,n’est-cepas?BlairStromwellavaitbiencompté.—Et,sauferreurdemapart,poursuivit-il,cesontlesseulsprocèsquevousavezperdus?Jackn’étaitpascensérépondre,etilneréponditdoncpas.Stromwelléteignitsonallumetteensoufflantdessusetsepenchapourlajeterdanslecendrieren
cristalquisetrouvaitsurlebureau.—Çavousfaitquandmêmeunjolipalmarès,reprit-il.Vouspouvezêtrefier.Jackcommençaitàavoirlamigraine.—Êtes-vous venume consoler demes échecs,monsieur le président, oume féliciter demes
succès?demanda-t-il.—Vousn’êtespas commeWhitcox,vieux frère, ditStromwell en rejetantde la fuméepar ses
deux énormesnarines. Il est avocat, vous êtespoliticien.Lesgens commeWhitcox semoquent dubiencommun…
Jackl’interrompit.—Qu’aviez-vousàmediredetellementurgent?Sous-entendu:«Tellementurgentqueçanepouvaitpasattendrelaséancedecetaprès-midiau
Parlement?»LeregarddeBlairStromwelldevintdur,presquehostile.Ilyeutunlégercoupcontrelaporte.JacketStromwellcontinuèrentdesetoiser.Laportes’ouvrit.Dorseyentraetavecluiuncourantd’airfrais.—J’apportelecognac.Lesecrétairelaissalacarafeetlesdeuxverressurlebureaupuisseretira.Jackfitleservice.—Vousn’êtespasrevenuenséancehiersoir,ditStromwellenhumantleverrequeJackvenaitde
luidonner.Sinon,vousauriezentendulediscoursduPremierministreàproposdecertainesvieillesexcitées qui, à l’instar desFrançaises de laSociété duSuffragedes femmes, réclament le droit devote.Untexteàcesujetvavenircesoirensecondelecture.Entantqueprésidentdegroupe,ilestde
mondevoirdem’assurerquetouslesmembresduparticonservateurserontlàpourfairebarrageàcettefolie.Nousnesommespaspourlevotedesfemmes,n’est-cepas?
Jackdorlotasonverreàcognac,quiluifitpenserauxseinsdeRoseClarring…—Ai-jejamaistrahileparti?Stromwellsavouralentementsoncognacetreposasonverre.—Nousnesommespassansaccorderunpeude libertéauxmembresduparti, tantqu’ilssont
discrets,déclara-t-ilenagitantlamaindevantsonvisagepourdisperserl’âcrefuméedesoncigarequicommençaitàluipiquerlesyeux.Vousserezd’accordavecmoisi jedisquecertainesfemmesmariéesnedemandentqueça…
LamigrainedeJacks’aggravabrusquement.—Mais,repritStromwellenscrutantsaréactionàtraversunvoiledefuméegrise,voussavezce
qu’on dit : « Vilain oiseau, celui qui salit son nid. » L’essence de ce pays, c’est le patriarcat.L’institutiondumariageestsacrée,elleaétéinstituéeparDieu.Qu’ilsoitricheoupauvre,unhommeadroitàunefemmeetdesenfantsàlui.C’estlafamillequicimentelasociété,etc’estlepèrequiestlegarantdelafamille.
StromwellpoussaunjournalversJack.—Celuiquicontestelepouvoirdupèredefamille,c’esttoutl’édificedelasociétéqu’ilmeten
péril. Où irions-nous si les femmes avaient les mêmes droits que les hommes ? Avant peu, ellesexigeraientdesiégerauParlement.Quelleabsurdité!Ellesnesontpascommenous,monvieux.Auxhommes,laraison;auxfemmes,lessentiments.
Jacksecontentadesemasserlestempes,sansfairedecommentaire.— Ça ne veut pas dire que les femmes n’ont pas droit à la justice, reprit Stromwell. C’est
simplementqu’onnepeutpassefieràellespouragirraisonnablement.Or,c’estlaraisonquiinspireles lois.C’estpourquoi,poursuivit-ilenbrandissant laPallMallGazette, voilà ceque j’attendsdevousàl’avenir.Etcertainementpasça,conclut-ilenbrandissantleStandard.
LereporterdelaPallMallGazetteavaitreproduitlaréponsedeJackàproposdelarequêtedeMmeGreffen,selonlaquelleilavaitvotécontreparcequeladiterequêteétaitcontraireàlaloi.D’unautrecôté,lereporterduStandardlaissaitentendrequ’ilexistaitdesmotifsautresqueprofessionnelsàlarivalitéentreJackLodounetJamesWhitcox.
Jacks’étaitfaitdesamisauParlement,maisaussidesennemis.Siunjournalistedécidaitdecreuser,ilrisquaitdedéterrerdessecrets.—Vousvoyezcequejeveuxdire,Lodoun?Dans ses yeux se lisait une sévère mise en garde. Le parti conservateur ne tolérerait plus le
moindreécart.Nisaleaffaire.Nicontroverse.Nidéfaite.Jackregardatouràtourlesdeuxjournauxetacquiesçad’unhochementdetête.Samigrainepassacommeparenchantement.Ilvoyaitparfaitementcequ’illuirestaitàfaire.
14
Lamaisonsentaitlesavonnoiretlacired’abeille.—MadameClarring,jevaism’enallermaintenant.L’agence de placement avait envoyé cette fois-ci une gouvernante, à la place des impossibles
majordomes.ElleetRoseavaientnettoyéjusqu’àcequ’iln’yaitplusriendesale.—Trèsbien,madameDobkins,réponditRoseenfinissantdeborderlelit.Àdemain.Del’autrecôtédelafenêtredelachambre,desmoineauxsechamaillaient.Roses’assitsuruncoindulit.Lecouinementdusommiernel’empêchapasd’entendredespasdansl’escalier.Despaslourds.Cen’étaitpasMmeDobkinsquiremontait.Rose ferma les yeux, car la lumière rebondissait sur les murs nus de la chambre en éclairs
éblouissants.Uncraquement:ladernièremarchedel’escalier.Puisdesclaquementsdetalonssurleparquetdupetitcouloir.Roserouvritlesyeux.JackLodounsetenaitdansl’encadrementdelaportedelachambre.Commeellerestaitsansvoix,ilparla.— JackWhitcox n’a jamais perdu un procès, dit-il sans préambule. Et, jusqu’à ce que je me
retrouve face à lui,moi non plus je n’avais jamais perdu un procès. C’est pourquoi j’ai voulu leconnaîtremieux…encommençantparsafemme.
RosenesavaitriendeCynthiaWhitcox…pasmêmeàquoielleavaitressemblé.—Nousfréquentionslemêmemilieu,celuideslégislateursetdesjuristes,poursuivitJack.Bref,
ceuxquivotaientlaloietceuxquienvivaient.Jel’avaissouventaperçuedansdessoirées.Rosefermadenouveaulesyeuxetessayadeselareprésenter.—Longtemps,nousn’avonsfaitquenouscroiser,enchaînaJack.Etpuis, j’aisuqu’elledevait
assisteràunecérémonieàlacour.J’aiobtenuuneinvitation.Jemesouviensqu’elleportaitunerobedesoierouge.
Derrière ses paupières baissées, Rose vit passer une robe rouge…mais toujours pas CynthiaWhitcox.
—Ellenevoulaitpasdemoiaudébutmaisjem’enmoquais,continuaJacksansaucunetracederegretouderemordsdanslavoix.Jel’avaisvue,jelavoulais, jeluiaicouruaprèsetj’aifiniparl’avoir.ToutcommeJonathanClarringvousacouruaprèsetafiniparvousavoir.
Roserouvritlesyeux.Lacomparaisonnetenaitpas–elleétaitcélibataire.EtJonathanavaitvouludavantagequesoncorps.
—Finalement,jen’aipaseutropdemal…
Rosetressaillit,commesielleavaitétépiquéeparuneaiguille.Certainesvéritéspiquentcommedesaiguilles.
—Whitcoxnel’aimaitpas.Leurmariageétaitunmariagearrangé.Vousavezeuplusdechancequ’elle, en un sens. Vous n’avez pas été obligée d’offrir votre virginité à un homme que vousn’aimiezpas…
Roseavait suffisammentdeproblèmesavec sonpropremariagepournepas sepréoccuperdeceluidesautres.
—Ellen’avaitpascouchéavecsonmaridepuisunedouzained’années,commevous…Jeluiaiappristoutcequesonmarineluiavaitpasappris…Enuncertainsens,elleétaitmafemmebienplusqu’ellen’avaitjamaisétélasienne,mêmesielleluiavaitdonnédeuxenfants…etmêmesi,deparlaloianglaise,lemari,c’étaitlui…Whitcoxl’aépousée…Whitcoxl’aenterrée…Etjenelareverraiplusjamais.
Jackrestauninstantpensif.Despenséestristes,sansdoute.Mais,commeilsetenaitàcontre-jourdansl’embrasuredelaporte,Rosenepouvaitpasdistinguerlesexpressionsdesonvisage.
—Vousm’avezdemandésiCynthiaWhitcoxm’aimait,rappela-t-il.Ehbien,jecroisqueoui.Rose ne pouvait peut-être pas distinguer les expressions de son visage, mais elle entendit la
douleurdanssavoix.—Cependant,jenesauraijamaissic’étaitseulementparcequejelafaisaisjouir.Jacks’avançadanslecônedelumièrequitombaitdelafenêtre,etRoselevitmieux.—DemêmequevousnesaurezjamaissiJonathanClarringvousaépouséeparcequevousétiez
unebellejeunefille,ouparcequ’ilyavaitdeschancesquevoussoyezaussifécondequevotremère.Danslarue,lessabotsd’unseulchevalclaquèrentsurlespavés.Legrincementdesrouessuivait.Ilsétaientsoudésl’unàl’autre.Lechevalaufiacre.Lefiacreaucheval.Jusqu’àcequ’ilssoientautermedeleurvoyage…Rosesetaisaittoujours.Jacklaregardaitavecsesyeuxvertscommedesémeraudes,aussidursetfroidsquelespierres
précieuses.—Hiersoir,dit-il,vousn’avezpasposélabonnequestion.LespetitscheveuxsurlanuquedeRosesehérissèrentensigned’alarme.—Vousm’avez demandé si j’avais déjà présenté une requête en divorce devant le Parlement,
poursuivitJack.Ilauraitmieuxvalumedemandercequej’auraisfaitsiCynthiaWhitcoxavaitvouludivorceretsisonmariavaitrefusé.
Rosen’avaitpasbesoindeposerlaquestion.LaréponseétaitinscritesurlestraitsdeJack:sesyeuxplissés,seslèvrespincées.
—Rien,dit-ilensoulignant lemot.Jen’auraisstrictementrienfait.La loiestsanséquivoque :unefemmenepeutdivorcerquesisonmariestbigame,ous’ils’estrenducoupabled’uninceste,ous’ilaabandonnéledomicileconjugal.Whitcoxn’avaitriencommisdetel.Nivotremari.
Jack était immobile dans son cône de lumière tandis qu’un essaimde fines poussières voletaitautourdelui.
— En revanche, reprit-il, pour une séparation de corps, on n’a pas besoin de l’accord duParlement.Celapeuts’obtenirdevantlapetitecourdejustice.
—Vousn’avezpasobtenudeséparationdecorpspourMmeWhitcox,commentaRose.—Jen’aipasproposédeluienobtenirune,répondit-ilcarrément.Etmaintenant,ilproposaitd’enobtenirunepourRose.
—Jenepourraipasmeremarier,dit-elle.EtJonathannonplus.Dèslors,quelestl’intérêtd’uneséparationdecorps?
—Vousygagneriezdeneplusêtresousl’autoritédevotreépoux.— De sorte que Jonathan n’aurait plus la possibilité de requérir mon placement en asile
psychiatrique,complétaRose.Commevotreclientquiaessayédefaireenfermersamère…Jackn’avaitpasl’airderegrettersonrôledansceprocès.— Et vous n’auriez plus à craindre non plus qu’il ne réclame le rétablissement de ses droits
maritaux,précisa-t-il.Rosehaussauneépaule.— Jonathan n’aurait aucun intérêt à demander le rétablissement de ses droitsmaritaux…pour
l’usagequ’ilenfaisait.—Maisilauraitledroitdevousforceràvivresouslemêmetoitquelui,ripostaJackLodoun.Untoitsouslequeln’avaitjamaisrésonnélemoindrerired’enfant!Dieuquelaréalitéétaitamère!—SiJonathans’adressaitàvous,vouspourriezluiobtenirledivorce?—Oui.— Parce que dans tout Londres, je passe pour une épouse adultère ? suggéra-t-elle en se
redressant.—Oui.—Mais,moi,jenepourraisjamaisobtenirledivorcepourlemêmemotif?—Non.—Donc,àmoinsqueJonathannedemandeledivorce,jesuiscondamnéeàresterseule?Enserrantlespoings,ellesecontraignitàajouter:—Saufsijeprendsunamant?Iln’yavaitaucunecompassiondanslesyeuxdeJack,rienquel’implacableduretédelaloi.—Saufsivousprenezunamant,confirma-t-il.—Unmaripeutattaquerenjusticel’amantdesafemme?Cen’étaitpasunequestion,mêmesiletonétaitinterrogatif.—Sij’étaisséparéedecorpsetsijeprenaisunamant,continua-t-elle,Jonathanpourraitletraîner
enjustice?Jackéteignitd’unseulmotlafaiblelueurd’espoirqu’elleavaitencore.—Oui.Rosesesentitplusseulequejamais.—Quelhommevoudraitdemoiensachantleprixqu’ilrisqueraitdepayer?—Moi,ditbrusquementJack.Moi,jevousveux.LecœurdeRosesedilatadanssapoitrine.— Vous voulez bien de moi, vous, monsieur Lodoun ? s’exclama-t-elle tandis que ses joues
s’empourpraient.—Oui,répondit-il.Et,s’ilvousplaît,appelez-moiJack.—Vousvoulezbiendemoiparcequevousm’avezvuememasturber?—Vousm’avezregardéenfaireautant,répliqua-t-il.Pendantuninstant,lesmêmesimagesleurpassèrentdevantlesyeux.—Vousaviezenviedemevoir,Rose,reprit-il,etj’avaisenviedememontreràvous.Jesuisun
homme, vous êtes belle, j’ai envie de vous…Mais je n’oublie pas que je suis député et que vousn’obtiendrezjamaisledivorce.
Illeluiavaitditd’emblée,devantOldBailey.Maisellen’avaitpasvoululecroire.—LeParlement ne va pas rompre des liens que vous n’avez pas le courage de rompre vous-
même,ditJacksansménagement.Sivousvoulezdelapassion,ilfautquevoussoyezprêteàenpayerleprix.
Roseauraitvouluprotester:ellenetrouvarienàdire.EllevoulaiteffectivementqueleParlementlalibèrepournepasavoiràchoisirentrelafidélitéet
lapassion.LeregarddeJackdisait:«Vousvoulezl’impossible.»Toutcequejefaisadesrépercussionssurmacarrière,avait-ildit.—Quesepasserait-il,demandaRose,sivousétieztraînéenjusticepouravoircouchéavecune
femmemariée?—JeperdraismonsiègeauParlement.LaquestionsuivantefusasansqueRoseaitbesoinderéfléchir.—Pourquoiprendreuntelrisque,alors?—Jeneveuxpasvouslaisserjouirseule.—Cependant,vousnem’aimezpas,fitRoseavecunenaïvetéqueJacktrouvacharmante.—Etvousnem’aimezpasnonplus,répliqua-t-il.Dehors,çagazouillait.Ilyavaitdel’amourdansl’air.Unmoineauenpoursuivaitunautre,quin’avaitpasenviedeselaisserrattraper.Soudain,unchocsourd.Puisdesplumesquis’envolent.Unoiseaun’avaitpasvulavitretropproprequibarraitl’espace.—Sivouspouviezremonterletemps,lançabrusquementRose,est-cequevousséduiriezquand
mêmeMmeWhitcox,sachantlessouffrancesquienrésulteraient?—Etvous? rétorquaJackdu tacau tac.Sivouspouviez remonter le temps,sachantquevotre
mariattraperaitlesoreillons,est-cequevousl’épouseriezquandmême?DessouvenirsremontèrentàlamémoiredeRose.LatendressedeJonathan.Lachaleurdesesbaisers.Ladouceurdesescaresses.Sonrireclairet
joyeux…Elleavaiteudroitàdeuxmoisd’amourparfait,avantquelamaladieneseglisseentreelleetson
mari.—Oui,dit-ellefinalement.Jel’épouseraisquandmême.LesyeuxvertsdeJacksemblaientdirelamêmechose.Luinonplusnechangeraitrien.Maisétait-elleprêteàpayerleprixdelapassion?Auloin,BigBensonnaquatrefois.LaséanceduParlementallaitcommencer.Jackpivotasursestalonsetsortitdelapièce.Ellel’entenditdescendrel’escalier.C’étaitàellededécider.Carelleseraitlapremièreàsupporterlesconséquencesdesonchoix.Lapremière,maispaslaseule.Jonathanaussi.EtJackLodoun.
15
Latourdel’horlogebrillaitdanslesoleilcouchant.Lesaiguillesnoiresavançaientdeleurpassaccadé.Rosecomptaitmentalementlessecondesavantquelagrandeaiguillen’atteignelepointoùelle
déclencheraitleconcertdesclochesdebronze.LamaindeJacksursonavant-brasluiapportaitchaleuretréconfort.Elle le regardadans lesyeux– ses insondablesyeuxverts– et ydécelade la souffrance etdu
remords.Leprixdelapassion.—Moiaussi,j’aienviedevous,ditRose.Jack portait un chapeaumelon dont le bord projetait son ombre sur son front.La lumière des
lampadaireséclairaitcrûmentseslèvresetsonmenton,lalèvreinférieurepluspleinequel’autre,lementonsoulignécommesurundessinaufusainparungrostraitd’ombre.
—J’aienviedevous,répétaRose,etjesuisprêteàenpayerleprix.Lecarillonfittremblerl’air.Au premier coup, le cœur deRose cessa de battre.Au deuxième, Jack lui caressa la joue.Au
troisièmecoup,levisagedeJackserapprocha.Auquatrièmecoup,ill’embrassa.Ilavaitdeslèvresdoucescommedespétalesdefleur.Roseravalasonsouffle.Ilyavaitsilongtemps!L’odeurd’unhomme.Lescaressesd’unhomme.Lasaveurd’unhomme.—J’essaieraidenepasvousfairedemal,ditJacksurlederniercoupducarillondeBigBen.Roserouvritbrusquementlesyeux…desyeuxhumidesetétincelants.—JenesuispasCynthiaWhitcox.Celavoulaitdirequ’ellen’avaitpasbesoindepromessespourêtreàlui.LeregarddeJacks’assombrit.—EtjenesuispasJonathanClarring,répliqua-t-ilenluicaressantlajoueduboutdudoigt.Celavoulaitdirequ’iln’étaitpasunbravehomme.—J’ensuisbienaise,assuraRose.Jacklapritparlebras.—Allonsdîner,dit-ilenl’entraînantverslarue.Jeconnaisunrestaurantqui…—J’aimeraismieux,coupaRose,quenousallionschezmoi.Jackposasurelleunregardsombreetmystérieux,etdéclarad’untonsourd:
—Hier,enrentrantchezmoiaprèsvousavoirvuefairecequevousavezfait,jen’aipaspumeretenirdememasturber…
Cesquelquesmotsfirentnaîtredansl’espritdeRosedesimagestrèsnettesetémouvantes.—Quandvousavezjoui,demanda-t-elled’unevoixentrecoupée,vousavezpenséàqui?—Àvous,RoseClarring.Àvous.Rosebattitdespaupières,carellecommençaitàvoirflouàcausedeslarmes.—J’ai achetédespréservatifs, dit-elle.Ah, l’apothicaire était plusgênéquemoi ! ajouta-t-elle
d’untonfaussementjovial.Jacklaissaretombersamain.—Jeparlaissérieusement,précisa-t-elle.Jeneveuxpasd’enfant.Ilsn’avaientpasd’avenirensemble.—Moiaussi,jeparlaissérieusement,rétorquaJackenluireprenantlebras.Depuisquejesuisen
âge de fréquenter les femmes, des préservatifs, j’en ai toujours surmoi.Dans une petite boîte enargentprévueàceteffet.
Roseesquissaunpâlesourire.—Jen’attendspasquevousmefassiezuneribambelledemarmots,poursuivitJackLodoun.Tout
cequej’attendsdevous,c’estleplaisirquevotrejolipetitcorpspeutprocurer.Lemot«plaisir»fitfrissonnerRose.Jacklaissapasserunfiacreauxrouesvoilées,tiréparunvieuxchevalefflanqué,etfitsigneàun
autre,enmeilleurétatetdontlechevalsemblaitfringant.IlaidaRoseàmonteretlarejoignitdansl’habitacleobscur.—Devez-vousretournerauParlementcesoir?questionna-t-elle.IlregardafixementleslèvresdeRose,commes’ils’apprêtaitàl’embrasserdenouveau.—Non.—Est-cequetouslesdéputésvontdîneràcetteheure-ci?Jackbaissalesyeux,cherchaàdevinerlesseinsdeRosesoussoncorsage,lescaressaduregard.—Oui,pourquoi?—Parcequejen’aipasvubeaucoupdegensdanslarue.— Tout le monde ne quitte pas le bâtiment, expliqua Jack. Il y a une salle de restaurant à
l’intérieur.EtilyaaussiunsouterrainquiconduitauclubSt.Stephen,pourceuxquipréfèrentdînerlà-bas. Quant aux autres, ajouta-t-il en haussant les épaules, eh bien, ils sortent par des portesdérobées.
Rose n’était jamais entrée dans le Parlement. Elle préférait ne pas penser à cet endroit où deshommesdécidaientdusortdesfemmes.
Le fiacre roulait en vibrant sur les pavés. La lumière des lampadaires semblait embraser lescheveuxdeJack.
Roseétaitsilencieuseetpensive.Cequ’elles’apprêtaitàfaireauraitforcémentdesrépercussions.Ellenesavaitpassicethommeluiferaitdumal,endépitdecequ’ilavaitpromis.
Toutcequ’ellesavait,c’estqu’elleétaitprêteàpayerleprixduplaisir.—Vousavezditquevousaimiezfairel’amour?rappela-t-elle.—Jeconfirme.Rose essayadepenser à autre chosequ’au contact de leurs hanches et de leurs cuissesdans la
pénombre.—Qu’est-cequevouspréférez,dansl’amour?—Caresser,répondit-ilenluiprenantlamain.
Rose fut surprise et bouleversée par cette réponse. Malgré son air froid et indifférent, quiintimidaitdeprimeabord,JackLodounavaitbesoindechaleurphysique.
—Allez-vouspasserlanuitavecmoi?—Oui.Rosefaillitéclaterensanglots.—J’aiembauchéunegouvernanteaujourd’hui,dit-ellepourparlerd’autrechosequededésir.—Jesais,c’estellequim’alaisséentrertoutàl’heure,réponditJack.Elleseralàcesoir?Rose se souvint du cri que la jouissance lui avait arraché la veille. Si Jack Lodoun imaginait
difficilementfairel’amouravecelle tandisquequelqu’und’autresetrouveraitdanslamaison,elleaussi.
—Elleaunefamille,expliquaRose.C’estpourquoielleneviendraquedanslajournée.Elleaditquedemainelleviendraitavecunecuisinièreetunebonne.
—A-t-elledesréférences?Celasemblaitridiculedediscuterdesqualitésdelagouvernante,étantdonnélescirconstances.—Desréférencessatisfaisantes.Satisfaisantes,pasparfaites.MaisRosenesesentaitpasendroitderechercherlaperfection.—Lacuisinièreetlabonneseront-elleslogées?Décidément,JackLodounétaitdugenreàs’inquiéterdesoreillesindiscrètes!—Non,ditRoseenesquissantdenouveauunsourire.Ellesaussiontdesfamilles.Lefiacretournasèchementaucoind’unerue.Rosesecramponnaàlapoignée.Elleseretrouva
coincéeentrelacuissedeJacketlaportière.Illuitenaittoujoursfermementlamain.—Voulez-vousquejevousobtienneuneséparationdecorps?Rosesecrispa.Uneséparationdecorpsn’étaitpasundivorce,maisc’étaitmieuxquerien.Dans
sasituation,elleseraitsansdouteobligéedes’encontenter.—Oui,répondit-elleens’agrippantàlamaindeJackcommeàuneplanchedesalut.Puiselleposalaquestionquiluibrûlaitleslèvres.—Pourquoin’avez-vouspasproposélamêmechoseàMmeWhitcox?Lefiacres’arrêta.Ilsétaientarrivésàdestination.Jackdemeuraimmobile.Ilregardaitdevantlui,oùiln’yavaitqu’obscurité.Rosecrutqu’ilnerépondraitjamais.Puisilfinitparrépondre–maisseulementaprèss’êtretournéverselleetavoirplacésonvisage
danslefaisceaudelumièrequitombaitd’unréverbère.—Pourlamêmeraisonquejen’aijamaisdemandéàJamesWhitcoxs’ilétaitprêtàdivorcer.JackLodounsouhaitaitvisiblementqueRoseliselerestesursestraits.
16
—VousaimiezleParlementdavantagequevousn’aimiezMmeWhitcox.VoilàcequeRoseavaitcompris.—Lepouvoir,rectifiaJackd’unevoixérailléeparl’émotion.PasleParlement.Leursdeuxvisagessereflétaientdanslavitre.RoseClarring.JackLodoun.Unefemmeinfidèleà
sonmari.Unhommeinfidèleausouvenirdesamaîtresse.—J’aichoisilepouvoir,conclut-il.Jackétaitdésormaiscondamnéàvivreaveclesconséquencesdeseschoix.CommeRoseserait
bientôtcondamnéeàvivreaveclesconséquencesdessiens.Ilseleva,sonparapluieetsasacochedanslamaindroite,etouvritlaportièredufiacre.Ilsortit
unflorindelapochedesavesteetlejetaenl’air.Lecocherl’attrapaauvol.Jackpivotaettenditsamaingauche.Lecocherl’observaitd’unœilindifférent.IlavaitvuRoseClarring.Ilconnaissaitmaintenantsonadresse.Certainsjournalistesseraientprêtsàdonnerunesommerondelettepourdetellesinformations.LesdoigtsblancsdeRoseémergèrentdel’obscuritéetsaisirentlamaindeJack.LecœurdeJackseserra.LesmainsdeRoseétaientsipetites.Elleseleva,sesyeuxbrillantdanslafaiblelueurdelalunequipeinaitàpercerlesnuages.Elledescendit.Illasuivit.Soulagédesonpoids,lefiacreoscillaencouinant.Lesmaisonsbleuesparaissaientnoires,aveclanuit.La tête penchée, ses cheveux blonds s’écoulant de son bonnet de laine noire comme de l’or
liquide,Roseouvritlaporte.Jackentradanslapénombreettiraleverroud’ungestedécidé.Elle craqua une allumette et alluma la lampe à gaz du vestibule. Lemiroir avec son cadre de
bronzeetlatableenboisderosesurgirentdel’obscurité.Jackposasasacochesurunechaiseetaccrochasonparapluieàlapatère.Puisilôtasonmanteau,
qu’ilaccrochaàlamêmetêtequesonparapluie.IldébarrassaRosedesonmanteauetlerangeaàcôtédusien.IlplaçaaussilebonnetdeRoseau
sommetdelapatère,prèsdesonmelon.Ilsmontèrentensembleverslachambre,Roseéclairantlecheminàlalueurd’unebougie.—Jen’aipasd’alcoolsforts,dit-elle.Nicognacniwhisky.Maisj’aiduvin,siçavouschante…Ellelaissasaphraseensuspens.
—Nonmerci,répondit-il,pasdevin.Iln’avaitpasenviedevin.Ilavaitenviequ’elleletouche.Roseallumaunelampeàlatêtedulit,puisellefitdémarrerlefeudansl’âtre.Tandisqu’elleétait
à genoux, sa robe moulait sa taille fine et ses fesses rondes. Des filets d’or brillaient dans sescheveux.Jackl’admiraensilence.Ils’étaittrompéenpensantqu’elleétaitjolie.
Elleétaitbelle.Aprèsavoirallumélefeu,elleouvritlelit.Ilattenditqu’elleseretourneversluipourcommenceràsedéshabiller.Lecérémonialfutlemêmequelorsqu’elleluiavaitdemandédesemettrecomplètementnupour
semasturber.Ilprocédaavecdesgestesprécis,nilentsniaguicheurs.Roseleregardafixement,neperdantrienduspectacle.Avantdejeterauloinsongilet,ilpritdansunepochelafameuseboîteenargentquicontenaitses
préservatifs.Rosetenditlamain.—Vouspermettez?Une fois dans la main de Rose, la boîte parut plus grande. La lumière qui se reflétait sur le
couvercledonnaitl’impressiondeluicaresserlesseinsetdeplongerdanssondécolleté.Roseouvritlaboîte.Elleétaitdiviséeensixcompartimentsdontchacuncontenaitunpréservatif.Elleenchoisitun.—Vousn’avezvraimentjamaisvoulud’enfant?demanda-t-elletimidement.Jackluipritdesmainslapetiteboîteetlarefermad’ungestebrusque.—Non.C’étaitcatégorique.—Pourquoi?Jackrepensaàsesparents,samèreépuiséeetdéforméeparlesgrossesses,sonpèrerégnantsur
lafamillecommeuncoqsursabasse-cour.Esquissantunsourireamer,iljetalaboîtesurlelit.—Jen’aijamaiseuenviedefournirdenouveauxserviteursàDieuouàlaCouronne.LesexedeJack,biendressé,semblaitfierdesoninutilitéàengendrer!—Avez-vousaumoinsdesfrèrespourperpétuerlenom?questionnaRose.Ducoup,JacksedemandasiparhasardJonathanClarringn’étaitpasledernierdesalignée.—Oui,répondit-il.Tranquillisez-vous.L’avenirdesLodounestassuré.Roses’approcha,s’emparadesonsexeetcommençaàlemanipuler.Avecl’ongledesonindex,
ellesuivitletrajetd’unepetiteveinebleue.—Dansl’arrière-boutiquedelalibrairie,vousm’avezregardéetoucherlesgodemichés…Etmaintenant,illaregardaittouchersonsexe.Ellelesoupesait.Elleenmesuraitletour.Ellel’appréciait–commeunamateurapprécieunobjetd’art.—Voussentezmamain,Jack?—Oh,oui!Chaquefrôlement,chaquecaresse.—Votrepeauesttellementdouce,là,dit-elleenfrôlantlacouronnedugland.Jack projeta son bassin en avant pour qu’elle puisse le caresser à loisir. Il se souvint de
l’expressiondesolitudesurlevisagedeRoselorsqu’elles’étaitmasturbéeaveclegodemiché,dela
détresse dans son regard. Aurait-elle le même visage, les mêmes yeux, quand il enfoncerait sonmembreenelle?
Toutcequ’ilespérait,c’étaitqueleplaisirdecettenuitcompenseraitlessouffrancesdedemain.—Hé!s’exclama-t-ilsuruntonquisevoulaitplaisant.Jenesuispasungodemiché.Seulementunpoliticiensansconscience.— Je n’ai pas beaucoup d’expérience, répondit-elle. Mais je ne suis pas non plus une vierge
effarouchée.Jesaiscequejeveux.Tête baissée, concentrée, elle enfila le préservatif sur le membre de Jack, qui tressaillait en
rythmeaveclesbattementsdesoncœur.Lepréservatifsemitàluicomprimerlegland.—Etcequejeveux,c’estvous,reprit-elle.Vous,commeça.Aveccebeaugrosmembretoutdur
ettenduversmoi.Savait-elledequoielleparlaitlorsqu’elleprétendaitêtreprêteàpayerleprixduplaisir?—Jenesuispasungodemiché,répéta-t-ilenluipassantlamaindanslescheveux.Quandvous
accepterezlaprésencedemonsexeenvous,vousperdrezdumêmecouptousvosdroits.—Dequelsdroitsparlez-vous,aujuste?rétorquaRosed’unairsarcastique.Dudroitdedormir
seule?—Lorsqu’une femmeestconvaincued’adultère, expliqua Jackde sonplusbeau tonde juriste,
ellen’aplusaucundroitsursesenfants,etsonmarin’aplusaucundevoirenverselle,mêmeceluidelanourrir.
Le préservatif étaitmaintenant en place, enserrant le sexe de Jack depuis le sommet jusqu’à labase.
—Jen’aipasd’enfant,réponditRoseavecbonsens.Etjen’aipasbesoindel’argentdemonmaripourmangeràmafaim.
Elle lâchasonmembreetsemità luigriffer légèrement lesmamelons–legeste trahissaitsonexcitation.
—Jesaisquivousêtes,Jack,dit-elle.Riennemeferaplusreculer.Quiilétait?Jack,àunecertaineépoque,avaitcrulesavoir.Etils’étaittrompé.IlpritRoseparlescheveuxetlaforçaàreleverlatête.Ilglissasonregarddans l’ouverturedesoncorsage, leplus loinpossiblevers lavalléedeses
seins.—Etquisuis-jedonc,Rose?Sajoliebouchenesouriaitpas.—Vousêtesmonamant,répondit-elle.Vousêtesmalheureuxetjemeproposedevousconsoler.LestesticulesdeJacklesuppliaientd’acceptersonoffre.—Etsivousdeviezvousapercevoirquemonsexen’estpastrèsdifférentd’ungodemiché?
17
—Danspeudetemps,jeseraifixée,répliquaRosesuruntonquisevoulaitlégeretquinel’étaitpasdutout.
Jack ignoraitcequi risquaitd’être leplusdouloureuxpourelle : faire l’amoursansplaisir,ouprendreduplaisirdanslesbrasd’unhommequ’ellen’aimaitpas.
—Etsiparmalheurc’étaitlecas?demanda-t-il.Vousiriezretrouvervotremari?Rose restapensiveun instant. Jack attendit sa réponse, lesnerfs à fleurdepeau, tressaillant au
moindrepétillementd’unebraisedansl’âtre.Elleétaitplusbellequejamais,avecl’ovaleparfaitdesonvisagequiémergeaitseuldesombres
environnantes.—Non,réponditRoseenfin,d’untondéterminé.Quoiqu’ilarrive,jeneretourneraijamaisavec
Jonathan.Jacksesouvintdusilencemortelquis’abattaitsursamaisonchaquefoisqueCynthialequittait
pourallerrejoindresonmari.MaisRosen’étaitpasCynthia.Sepenchant,ill’embrassa.Pourcommencer,ilnefitquel’effleurer.Puisilglissalalangueentreseslèvres.JackavaittoutapprisàCynthiaWhitcox.Àembrasser.Àcaresser.Àfairel’amour.Roseouvritlabouche,acceptantl’intrusion.Lesyeuxfermés,larespirationhaletante,ilcommençaàl’explorer.L’émaildesdents,duretlisse.Lalangue,douceetmoelleuse.Roseravalasonsouffle.Ellen’avaitpasl’habituded’êtreembrasséedecettefaçon.Jacksedemandas’ilavaitvraimentenviedefairel’éducationd’uneautrefemme.DélicieuseRose.FragileRose.Délicieuseetfragilecommelafleurdontelleportaitlenom.Etparfumée!Ilaspiralalanguedelajeunefemmedanssabouchepourmieuxlasavourer.Etpourqu’ellel’explorecommeill’avaitexplorée.Cequ’ellefit.Enhésitantunpeu.Enmêmetemps,elleluitouchalapoitrine.LemembredeJack,tenduverselle,tressaillit.—Jack,murmura-t-elle,sansdécollerseslèvresdessiennes,ouàpeine.Ilrouvritlesyeux.
—Oui?—Lorsquevousêtesseuldansvotrelit,dit-elleenluidonnantàrespirersonhaleinechaudeet
humide,est-cequeçavousarrived’avoirenviequ’onvoustouche?Illuiembrassaleboutdunez.—Oui.—Etalors,continua-t-elleenluipinçantdoucementunmamelon,çavousarrivedevoustoucher
là?Ilprituneprofondeinspiration.—Jevousavoueraisquenon.Çanem’estjamaisvenuàl’idée.—Jevousdemandeçaparcequemoi,oui.Jackfermalesyeuxdenouveau.L’imagedeRoseentraindesecaresserlesseinsseformasur
sespaupièrescommesurlesplaquesdeverred’unelanternemagique.— Je fais rouler mes mamelons comme ça, poursuivit-elle en triturant celui de Jack entre le
pouceetl’index,etj’essaiedemepersuaderquec’estunebouche.Toutenl’écoutant,illuicouvraitlevisagedepetitsbaisers.Surlespaupièresfrémissantes.Surle
front.Danslecreuxdelatempe,sivulnérable.—Maiscesdoigtsnesontpaslabouched’unhomme,Jack…LasolitudedeRoseétaitpalpable.—Lesdoigtsn’embrassentpas,chuchota-t-elle. Ilsn’apprécientpas lessaveurs. Ilsnesontpas
amoureux…Ellesepenchaenavant–malgrélesmainsdeJackdanssescheveux–etluicaressaletétonavec
leslèvres.LecœurdeJackseserra.Illapritparlanuque.—Dansl’arrière-boutiquedelalibrairie,j’aisentilescaressesdevotreregard,murmura-t-elle.
Etdanslesalon,l’autrejour,lorsquevousvousêtesmistoutnu,j’aivraimenteul’impressionquecen’étaientpasvosmainsmaislesmiennesquivoustouchaient.
Pendantcetemps-là,ilavaitpenséàuneautre!—Jesaisquevousnem’aimezpas,enchaînaRose,sonsouffle tièdefaisant frémir le tétonde
Jack.Maisjesuisprêteàperdretoutcequej’aiplutôtqued’endurerencoreunenuitdesolitude.JackrouvritlesyeuxetregardalesfinssourcilsetleboutdunezdeRose–toutcequ’ilpouvait
voirdesonvisage.Iléprouvapourelleunformidableélandetendresse–l’enviedeluidonnerenuneseulefoistout
l’amourqu’ellen’avaitpasconnuendouzeansavecsonmari.—Quandjesuisseuldansmonlit,dit-il,cequejetouche,c’estmonsexe.—Hiersoir,chezvous,avez-vouspenséàmoicommej’aipenséàvouslorsque…Pourtouteréponse, ilcommençaà ladéshabiller.Lechemisiervoladansl’airetatterritsurun
fauteuil,bientôtrejointparlajupe,latournure,laculottefendue…Tout,ilôtatout,nelaissantquelesbas. Elle crut que c’était un oubli, ou parce qu’il était pressé de jouir – trop innocente pourcomprendre que ces fourreaux de soie noire gainant ses jambes jusqu’au-dessus des genoux lafaisaientparaîtreencoreplusnue!
Devantlui,danscettetenueinsolitepourelle,Rosen’eutaucuneréactiondefaussepudeur–ellenecherchapasàcachersesappas :sesmagnifiquespetitsseins,sonventredélicatementbombé, letrianglededuvetdoréentresescuisses…
Jacklapritparlesfessesetlasouleva–leplusdélicatementpossiblecar,avecsapeausiblancheetsidouce,unriendevaitsuffireàluifaireunbleu.
Ellepoussauncridesurpriseets’agrippaàlui.Une fois qu’il l’eut assise sur le bordde la commode, le sexedeRose se retrouva à lamême
hauteurquelesien,exactementcommeill’avaitespéré.Rosehaletait.Sursonvisage,l’étonnementcédalaplaceaudésirlorsqueJacks’installaentreses
jambes.Ilappuyalebulbedesonsexecontresafente.— J’ai pensé à vous hier soir, oui, répondit-il enfin. Mais je n’avais pas envie que vous me
touchiez. J’avais envie que vous écartiez vos cuisses pour moi comme vous l’aviez fait pour legodemiché.
Roseenfonçasesonglesdanssesépaulessanss’enrendrecompte.Sesyeuxmauvesétincelaient.—Votresexeestdelamêmecouleurquevoslèvres,dit-ilpourl’exciter.Quandvousvousêtes
masturbéeaveclegodemiché,ilfallaitvoircommeils’ouvraitgoulûmentpourabsorberlecuir.Unejolienuancederoseavalantcetteatrocechosemarron!…Hiersoir,dansmesfantasmes,c’étaitmonsexequevotresexefaisaitdisparaître.
Rosepoussaunsoupirinvolontaire,luisoufflantenpleinvisagesonhaleinechaudeetparfuméetelleunebriseprintanière.
Lesexed’unhommecontrelesexed’unefemme,leursrespirationsquisemêlaient–quelbeaumomentd’intimité!
—Voulez-voussavoircequevousfaisiez,Rose,pendantquejevousfaisaisl’amour?Roseluiléchalajoue.—Dites-moidonccequejefaisais.—Ehbien,vousm’avezpriscommevousavezprislegodemiché.Violemment.Profondément.
Jusqu’àlagarde.Jusqu’àcequemonglandtouchelefond.Enluicaressantlesfesses,enlespétrissantdoucementpournepaslesmeurtrir,ildit:—Commeça.Etilcommençaàlapénétrer.Lentement.Ellegardalesyeuxouvertstandisquelephallusdechairremplaçaitlephallusdecuir–desyeux
quisemblaientpluspâles.Presquedélavés.Ilobservasesréactions–d’abord,leremordsdedeveniradultère…etpuislajoiedeprendreun
amant.Apparemment,ellesesentaitmoinscoupabledesafautequefièredesonaudace.QuelquechosedechaudcoulasurlestesticulesdeJack.LamouilluredeRose.Ellepoussaunrâle
de plaisir qui ressemblait à un râle d’agonie. Ses joues étaient devenues pourpres. Elle tâchait dedissimulersesémotionsderrièresespaupières.
—Jack,murmura-t-elleenluienfonçantsesonglesdanslesépaules.Oh,Jack!Roserouvritlesyeuxlorsqu’illafittournerpourpouvoirlapénétrerplusprofondément.Lacommodetanguaitsouseux.Ils’enfonçaenellejusqu’àcequeleurstoisonssemêlent.Latenanttoujoursparlesfesses,ilsemitàalleretvenirenelle.Deplusenplusvite.Deplusenplusfort.LevisagedeRoseprituneexpressiondouloureuse.Mais,enmêmetemps,ellesedilataitautour
desonmembre.
Aumomentdel’orgasme,ellenepoussaaucuncri.Leplaisirilliciteseprenaitensilence.Jack enfouit le visage dans les cheveux de Rose au moment où son sperme fusa dans le
préservatif.Ill’embrassadanslecou.Sousseslèvres,lepoulsdelajeunefemmebattaitfollement.Ilhaletait.
Lasueurluibrûlaitlesyeux.IlglissalamainsouslesfessesdeRoseetlasouleva,empaléesursonsexeduretfrémissant.Ellelaissapendremollementsesjambes.Toujoursuniàelle,illuifittraverserlachambreetladéposasurlelit.Les cheveux dorés de Rose se répandirent sur l’oreiller blanc. Des perles de sueur faisaient
brillersonfrontetsestempes.Ungenousurlematelas,ilseretira.RosenerouvritpaslesyeuxquandJacks’écartaetquelematelasdonnal’impressiondefaireune
ruade.Jack ôta le préservatif qui pendait au bout de son membre et le jeta dans l’âtre. L’odeur de
caoutchoucbrûlédisparutrapidementdanslacheminée.Lorsqu’il se retournaversRose, elle n’avait pas bougé : pantelante, la gorge rougie, les seins
épanouis,lesmamelonspointant.Malgrésesyeuxclos,ellenedormaitpas.Jackimaginaitfacilementcequ’elleressentait.Lecorpsrassasié,etl’espritcoupable.Unmélange
d’euphorieetderemords.Ilressentaitexactementlamêmechose.Il se tintdeboutaupieddu lit, contemplant sapeaublanchesur fondde linblanc.Malgrécette
accumulation de blancheur, elle ne serait plus jamais innocente : elle avait pris du plaisir avec unhommequin’étaitpassonmari.
Avecsonsexequipendait,imprégnédesperme,ilsesentaitvaguementridicule.Soudain,ellerelevalespaupières.Toutà l’heure,quandil l’avaitpénétrée,sesyeuxavaientparupresqueincolores.Àprésent, ils
avaientrecouvréleurbellenuancemauve.—Voussavez,Jack,jenesuispasunepetitefille,dit-elletoutdego.Ilsongeaauxhommesdesavie–père,frères,mari–quiavaientcrubondelamettreengarde
contrelaconvoitisedelagentmasculine.—Jesais.—Vouspensezpeut-êtrequejesuisuneputain?suggéra-t-elled’unevoixégale.—Ohnon!—Quepensez-vousdemoi,alors?—Quevousêtesunefemmemalheureuse.Lesyeuxmauvessevoilèrent.—Vouscroyezpouvoiratténuermonmalheur?Lemensongen’avaitpascoursavecRose.—Non.Auloin,BigBensonnadixfois.Dixheures.LeParlementsiégeaittoujours.Roseécartalesjambes.Letriangledepoilsblonds,maintenantqu’ilétaitmouillé,étaitplussombre.Lescuissesblanchescontrastantaveclesbasnoirsétaientbouleversantes.Lafentesemblaitl’appeler.
Elleavaitencoreenviedelui–toutensachantquelprixellerisquaitdepayer.Jack s’installa entre ses jambes,matelas et sommier ployant sous son poids, et la prit par les
hanches.Ilvoyaitleclitorisrougesoussoncapuchonrose.Ilensentaitl’odeur,mélangedeparfumfloral
etd’âcredésir.Vousnem’aimezpas,avait-elledit.Certes,ilnel’aimaitpascommeilavaitaiméCynthiaWhitcox.Maisilnepouvaitpasignorerles
sentimentsqu’elleéveillaitenlui.IlsepenchapourembrasserlesexedeRose.Elle lui caressa les cheveux.Elle n’était peut-être pas une petite fille,mais elle avait de petites
mains.Illéchalafente,debasenhaut.Puisilaspiradanssaboucheleclitoris,aussicramoisiqueson
gland.Elles’agrippaàsescheveux.Jackcontinuadelalécherjusqu’àcequ’ellepoussedescrisaigusetdiscordants.EllecrialenomdeJackensanglotant.Ilglissalalangueentrelespetiteslèvres,leplusloinpossible,savourant,humant.Elleécartadavantagelescuisses,prenantinnocemmenttoutleplaisirqu’ilavaitàdonner.Innocemment…Oui,mêmesilesloisanglaisesétaientd’unautreavis.Cessantdelalécher,ilsecouchasurelle.ElleseretrouvaaveclemembredeJackposésursonventre.—J’aiencorelegoûtdevotresexesurleslèvres,dit-il.Voulez-vousleconnaître?Ellehésita…maislacuriositéfutlaplusforte:elleselaissaembrassersurlabouche.C’étaitun
peusalé.— Et maintenant, qu’allons-nous faire ? murmura-t-elle d’une voix sans timbre, comme si le
bonheurdumomentetlacraintedel’avenirseneutralisaientenelle.Lafemmequ’elleétaitaimaitunautrehomme.L’hommequ’ilétaitaimaituneautrefemme.—Cequenousallonsfaire?répéta-t-ild’untonenjoué.Vous, jenesaispas,maismoi jevais
voussucerlesseinsjusqu’àcequevousn’enpuissiezplus.LesyeuxdeRosel’implorèrentdepasseràl’acte.—Ensuite,reprit-il,jevousferail’amourjusqu’àcequenousnefassionsplusqu’un…Elleesquissaunsourire.Tristesse?Scepticisme?—Oui,insistaJack,jevaisvousfairel’amourjusqu’àcequenousnesachionsplusoùl’unfinit
etoùl’autrecommence.Etjenem’arrêteraiquelorsquevouspleurerezdeplaisir.D’unemaintremblante,elleluicaressalajoue.—Etquandj’auraipleurédeplaisir,queferez-vous?Unefoisencore,toutmensongeétaitinterdit.—Ça,jen’ensaisrien.Non,iln’ensavaitrien.Ilpensaitàlafemmequ’ilavaitaiméeetquigisaitàprésentaufondd’unetombe,incapabledele
rappeleràelle.
18
Rosefutréveilléeparlepépiementdesoiseauxdansleschênesetlesplatanesdel’avenue.Sapoitrineétaitbrûlante.Etsonventre.Etsescuisses.Desimagesluirevinrentenmémoire.Descheveuxbruns,noirsdesueur.Desyeuxémeraude,noirsdedésir.Unlointaincoupdeclocheinterrompitlecoursdesespensées.Roseouvritlesyeux.Lanuitétaitfinie.L’aubeétaitentrainderepeindreleplafondenorange.Ilyavaitdansl’atmosphèreuneodeurmusquée–uneodeurdemâle.Elle caressa l’amant endormi près d’elle, ses cheveux doux comme de la soie, ses favoris
broussailleux,sesjouesrêchesdebarbe.JackLodounpoussaunsoupir.Sonhaleinechaudes’engouffradans lesillonentre lesseinsde
Rose.Ilsepelotonnacontreelle.Roseeneutleslarmesauxyeux.Désormais,elleétaitunefemmeadultère.Ellecommençaàrepousserlescouvertures.Jackluipassaunbrasautourdelataille,commes’ilcherchaitàlaretenir.Elle sedégageadoucement et se leva– les ressortsdu sommier sedétendirent sansbruit. Jack
dormaittoujours.Ellepartitsurlapointedespiedsverslasalledebains.Elle craqua une allumette et alluma une lampe à huile.Elle ne se trouva pas très belle dans le
mauvaismiroirpiquédetachesnoires,levisagedéformé,unseinplusbasquel’autre.Ellesedébarbouillaetsebrossalesdents.ElleavaitpresquefinisatoilettelorsqueJack,arrivant
derrièreelle,posaunemainsursahanche.—C’estlebruitdurobinetquivousaréveillé?demandaRose.Jacksecoualatête.—Pardonnez-moi,ajouta-t-ellesuruntond’excusecommes’ilsétaientdeuxétrangers,habillés
depiedencap,quiserencontraientdansunlieupublic.— Vous n’y êtes pour rien. Les oiseaux sont particulièrement bruyants dans votre quartier,
madameClarring.LesyeuxdeJackbrillaient.Ilsepenchapourl’embrassersurlajoue.—Desregrets?demanda-t-il.—Non,répondit-elleenseretournantpourleregarderdanslesyeux.Paslemoindre.—Vouspermettez?dit-ilenluiprenantdesmainslabrosseàdents.—Jevousenprie.
Elleluiavaitprêtésoncorps,ellepouvaitbienluiprêtersabrosseàdents.Jackmitunpeudepoudredentifricedanslecreuxdesamain,larécupéraaveclabrossehumide
etcommençaàsebrosservigoureusementlesdents,sonsexesebalançantenrythmeaveclescoupsdebrosse.
Ilavaitdebellesdents,trèsblanches,régulières,sauflescanineslégèrementpluslonguesquelesautres.
Roseéprouvaunpincementaucœur.Ellen’avait jamaisvuJonathanen trainde sebrosser lesdents.
Detelsmomentsd’intimiténesepartageaientpasentreépoux.Detelsmomentsd’intimiténesepartageaientqu’entreamants.Jacksepenchasurlelavabo,serinçalaboucheetfermalerobinet.Puisilouvrituntiroir.—Jechercheunpeigne,expliqua-t-il.Dansletiroir,iln’yavaitpasdepeignemaisleflacond’huiledeMargotet,sousunlinge,une
formeaisémentreconnaissable:legodemiché.—J’aiadmirévotresang-froidl’autrejourdansl’arrière-boutiquedelalibrairie,dit-il.Tousces
hommesquivousreluquaient,etpasunn’aréussiàvousfairebaisserlesyeux.Rosepoussaunprofondsoupir.— Tandis que vous soupesiez le godemiché de cuir, dit-il encore, on lisait le désir sur votre
visage.C’étaittentantdevousimaginerentrainde…—Jack!murmura-t-ellepourl’empêcherdefinirsaphrase.—Mais il n’y avait pas quedudésir dansvosyeux, poursuivit-ilmalgré tout. Il y avait aussi,
commentdirais-je?delanostalgie…—Cequevousappelez«nostalgie»n’étaitpeut-êtrequedesremords,répliquaRose.—Ça,jenesaispas.Entoutcas,vousaviezl’airtellementvulnérable!— Il y avait si longtemps que je me reprochais de faire le malheur de mon mari, vous
comprenez?Ilnem’aimaitpascommej’avaisenvied’êtreaiméeetmoi,jemefiguraisqueçadevaitêtredemafaute.
Jackavançalamainetluicaressalescheveux,commepourlaconsoler.—C’estpourçaquej’aiadhéréauclubdesMessieursetdesDames,reprit-elle,lagorgeserrée.
Dans l’espoir d’apprendre des choses quime permettraient deme rapprocher de Jonathan.Ou aumoinsdetrouverdesraisonsd’accepterlasituation.Etpuis,unjour,MmeHartainterrompul’unedenos réunions pour prendre la parole. Elle a dit que s’il y avait beaucoup de maris qui étaientincapablesdesecontenterdecequeleurfemmeleurapportait,ilyavaitaussiselonellebeaucoupdefemmesquidésiraientdavantagequecequeleurmariétaitcapabledeleurdonner.Quec’étaitlavieetquepersonnen’étaitcoupable.
Jackluicaressaittoujourslescheveux.Pluselleparlait,moinsellesemblaittriste.—Biensûr,c’estd’abordd’elle-mêmequeMmeHartparlait.Maisjemesuissentieconcernée.
C’est ce jour-là que j’ai compris que je n’avais aucune obligation de rester plus longtemps avecJonathan…entoutcas,aucuneobligationmorale…Etlorsquej’aireçuvotreconvocation,jemesuisdit:j’irai,jerépondraiàtouteslesquestions,etaudiablelesconséquences…
Elle était entièrement nue devant Jack – ayant perdu ses bas dans le lit pendant leur dernièreétreinte.
Ilpritsontempspourl’admirer.Elleenoublialescrisdesmoineaux.Lessouvenirsdelanuitaccouraient.
Jack lui avait fait l’amour jusqu’à ce que les cris de plaisir recouvrent tous les autres bruits.Jusqu’à ce que leurs deux corps soient si brûlants qu’ils se soudent. Jusqu’à ce que le lit soitcomplètementdéfait.Jusqu’àcequ’ellelesuppliedecontinuer.Jusqu’àcequ’ellepsalmodiedes«Ohoui,ohoui!».Jusqu’àcequ’ellecrie«Jack!»enjouissant–Jack,etaucunautrenom.
—Quandvousm’avezsucélesseins,dit-elled’unevoixétranglée,est-cequevousavezsentilesbattementsdemoncœur?
— Et vous, demanda-t-il au lieu de répondre, lorsque nous faisions l’amour, avez-vous eul’impressionquenousnefaisionsqu’un?
Ellenonplusnepouvaitpasluimentir.—Non.Ilcessabrusquementderespirer.—J’ai surtout senti lepréservatif, expliqua-t-elleavecunepointededépit.Ducaoutchouc trop
épaispourqu’onsentegrand-chosed’autre!Jackdevintgrave.—Vousauriezenviequejevousprennesanspréservatif?—Oh,oui!réponditRosesanshésiter.Etj’aimeraisvoussentiréjaculerenmoi.Il ferma lesyeux.Elle luicaressa lebras.Pourcequ’elleavaitàdemander, iln’yavaitpasde
façondélicate.Alors,elledécidad’yallercrûment.—Est-cequevousaccepteriezdemesodomiser?Ilrouvritlesyeux–desyeuxbrillantsquidisaientoui.—Maisjerisquedevousfaireunpeumal.—Tantpis.C’étaitleprixdelapassion.Soudain, la salle de bains donna l’impression de rétrécir. Jack l’emplissait tout entière par sa
seuleprésence.Son désir se traduisait par un fait simple et indéniable : son sexe était en train de se dresser,
lentement,inexorablement.Illapritparleshanches,latournaverslelavabo,seplaçaderrièreelleetfrottasonsexecontre
sesfesses.Illadépassaitdelatêteetdesépaules.Ellel’observaitdanslemiroir.Malgrélasolennitédel’instant, iln’avaitpasperdusonsang-froidaupointd’oublier leflacon
d’huiledeMargotdansletiroirrestéentrouvert.Ill’attrapaetledéboucha.Elletournalatêtepourregardercequ’ilfaisait…etsesouvintdesa
nuit de noces. Allongée dans la pénombre, le cœur battant. Elle avait ressenti le même genred’appréhensionqu’encemoment.
L’huile s’écoulaenchantant. Il s’enenduisit lesmainset le sexe.Lorsqu’il reposa le flacon, leverrerésonnasurlemarbredelatabledetoilette.
Ilposasamaingauchesursonventre.Ilglissasonindexdroitentresesfesses.D’instinct,ellesepenchaenavant.Danslemauvaismiroir,ellevoyaitlatêtedeJackquisebalançaitau-dessusdelasienne.Iltrouvalepetitorifice,quis’ouvritlégèrementlorsqu’ilencaressalepourtour.Illuisoufflaitsonhaleinebrûlantesurlanuque.Elles’agrippaaureborddulavabo.Ilglissaunephalangeenelle.Uneseule.
Roseavalaunegrandegouléed’air.Çanefaisaitpasmal.—Quandjesuisenvouscommeça,Rose,ditJack,jevousaime.Unetrahisondeplusenverslafemmequ’ilétaitcenséaimer.Ilretiralentementsondoigt,l’enfonçadenouveau,unpeuplusloin.Ledoigtglissaitlibrement.Bientôt,ilfaufilaundeuxièmedoigtàcôtédupremier.Çanefaisaittoujourspasmal.Aprèsquelquesmouvementscirculaires,latrouvantsuffisammentdilatée,ilôtalesdeuxdoigts.Ellesentitqu’ilpassaitsonglandentresesfessesetlepositionnaitfaceaupetitorifice.Ellecreusalesreins,offrantsacroupe.Leglandlisseetsoupleentrasansheurt.Cen’étaitpasungodemichédecuir.Iln’yavaitpasnonplusdebarrièredecaoutchoucentreeux,cettefois.C’étaitJack,lachairde
Jack.Ils’enfonçaenelle,doucement,toutdoucement…maisjusqu’àlagarde,jusqu’àcequ’ellesente
lespoilsdesesboursesluichatouillerlesfesses.Celafitunpeumal…Elleeneutlesoufflecoupé.Maisladouleurpassavite.Etilnerestaplusqu’unesensationdepurevolupté.Cettefois,elleeutvraimentl’impressionqu’ilsneformaientqu’unseulêtre.Ilsemitàalleret
venir. Elle découvrit un plaisir extraordinaire, un plaisir qui augmentait à chaque poussée et quiirradiaitjusquedanssonvagin.
—Quandvousêtesenmoicommeça,murmura-t-elle,jemesensaimée.Unetrahisondeplusenversl’hommequ’elleétaitcenséeaimer.C’estalorsqueJackfermalesyeuxetpoussaungrognementanimal.Ellel’avaitardemmentsouhaité:lespermedeJackserépandantenelle!Ellefutsecouéeducreuxdesreinsjusqu’àlanuqueàchaquegiclée.Cinqentout.
19
JackregardaitRose,quidormaitpaisiblement.Ilavaitfaitsatoilette,s’étaitrhabillé,prêtàpartir.Lorsqu’elleseréveillerait,elles’apercevraitqu’elleétaitseuledanslelit.Lesoiseauxpépiaientdeplusbelledanslesarbresdel’avenue.Leurscrisavaientquelquechose
demoqueur.LesjouesdeRoseétaientcoloréesparlesoleilmatinal.Par-dessusledrap–undrapfroissé,qui
sentaitlasueuretl’amour–unmamelonpointait.Jackfuttentédelecaresser…aurisquedelaréveiller.Déjà,ilavançaitlamain.Uncoupfrappéàlaported’entréel’arrêtadanssongeste.Ilsortitdelachambresurlapointedespiedsetrefermalaportederrièrelui,afinquelanuditéde
Rosenesoitpasexposée.Sespasrésonnèrentdanslepetitcouloir.Desvolutesdevapeursortaientdelasalledebains.Lapremièremarchedel’escaliercouina.Uneautremarcheverslemilieu,aussi.Undeuxièmecoupretentitcontrelaporte.Jackl’ouvritjusteàtempspourempêcherletroisième.Unefemmed’âgemoyen,detaillemoyenne,auxcheveuxgrisonnants,restafigée,lepoinglevé.Jackreconnutlafemmequil’avaitlaisséentrerlaveille.Ellen’eutpasl’airsurprisedeletrouverlà.Derrière elle se trouvaient deux autres femmes, unegrandemaigre et unepetite grosse, qui le
regardaientavecdesyeuxrondsdestupeur.Ellesl’avaientsansdoutereconnu.Et,d’aprèssescheveuxmouillésetsesjouesmalrasées,ellescomprenaientqu’ilavaitpasséla
nuitici.—MadameDobkins,fitJackens’écartantpourleslaisserentrer.Mesdames.—MonsieurLodoun,répondirent-elles.Preuvequ’ellesl’avaientbeletbienreconnu.—Vousêtessansdoutelacuisinière,dit-ilens’adressantàlapetitegrosse.—Non,monsieur,intervintlagrandemaigre.C’estmoi,lacuisinière.—Etvousvousappelez?—MmeFinley.—Etmoi,ditlapetitegrosse,jesuisMmeBrown,labonneàtoutfaire.
Les trois femmesétaientpropres,mais leursvêtementsétaientusés.Elles avaientbesoindecetemploi.
Jackn’avaitpasdetempsàperdreensubtilités.—Voussavezquijesuis?Ancienprocureurgénéral.Avocat.MembreduParlement.—Oui,monsieur.—EtvoussavezquiestMmeClarring?Àvoirleurstêtes,ellesavaientlulesjournaux.—Oui,monsieur,répliquèrentd’uneseulevoixlacuisinièreetlabonne.—Etnoussavonsquinoussommes,monsieurLodoun,ajoutahardimentlagouvernante.Jacksetournaverselle.—Plusprécisément,madameDobkins?—Noussommestroisfemmescontentesdepouvoirtravailler.Jackpromenasurlestroisfemmesunregarddirectetfranc.—Parconséquent,voussavezdéjàcequisepasseraitsilarumeurdevaitserépandrequej’aimes
habitudesdanscettemaison.—Silarumeurserépand,répliqualagouvernanteenleregardanttoutaussifranchement,nous
n’yseronspourrien.Jackenacceptal’augure.—MmeClarringdortencore,dit-il.Maisjesupposequ’elleaurafaimàsonréveil.—Lesplacardssontvides,réponditlagouvernante.Etellen’amêmepasdevaisselle.Vrai.Rosen’avaitrien,àpartlecontenud’unepetitemalle.Jacksortitsonportefeuille.—Vous achèterez ce qu’il faut pour lui préparer un bon petit déjeuner, dit-il en tendant à la
gouvernanteunbilletdevingtlivres.Quantàlavaisselleetlereste,elles’enoccuperaelle-même.—Oui,monsieur,acquiesçaMmeDobkinsenregardantJackavecrespect.Ceserafait.—J’ycomptebien,conclut-il.Lacuisinièreetlabonnesuivirentlagouvernante,leurspasclaquantsurleparquet.Unesériedecoupsdeclocheaccompagnaleurretraite:c’étaitBigBensonnanthuitheures.Jackrappelalagouvernante.—MadameDobkins?Savoixrésonnadansl’étroitcouloir.Lestroisfemmesseretournèrentd’unmêmemouvement,leursyeuxcachésderrièrelebordde
leursbonnetsnoirs.Roseavaitditqu’ellesn’habiteraientpasici.— Je ne veux pas que Mme Clarring reste seule dans la journée. Veillez à ne laisser entrer
personnesansprendresonavis.LemajordomedeFrancesHart avait commis l’erreur de laisser entrer lesmédecins de l’asile
d’aliénés.Ilsavaientfaillil’emmener!—ToutcequeMmeClarringneconnaîtpas,çarestedehors,ajoutaJack.C’estbienclair?—Claircommedel’eauderoche,réponditlagouvernanteavecautorité.Tantquenousseronslà,
personnen’emmèneraMmeClarring.Elles ne pourraient pas empêcher l’exécution d’un jugement – et Jack non plus. Mais elles
pourraienttoujoursleretarder.Lestroisfemmespivotèrent.Jackrappelaunefoisdepluslagouvernante.
—Ah,madameDobkins?Lagouvernantesefigea.—Oui?Jack s’était lavé avec le savon de Rose et il embaumait comme une boutique de fleuriste.
S’avançantàsarencontre,ilglissaunautrebilletdanslamaindelabraveMmeDobkins.—Vousachèterezaussiunsavond’Alep…—Bien,monsieur.Elleajoutanarquoisement:—Ceseratout?—Non,tantquevousyêtes,prévoyezaussiunebrosseàdents…ettoutcequ’ilfautpoursefaire
labarbe:rasoircoupe-chou,raquetteetpâteàaffûter,blaireau,savonàraserTruefitt&Hill…Comme la gouvernante restait sur place à le regarder d’un air interrogatif, il conclut avec un
sourire:—Cettefois,jecroisbienquec’esttout.
Lescrisd’ungroupedemoineauxréveillèrentRose.Lachambreétaitvide.Elleportalamainàsapoitrine,commepourralentirlesbattementsdesoncœur.Sonmamelon
durcitlorsqu’elleletoucha.Unarômedepainfraisvintsemêleràl’odeurâcrequiimprégnaitlesdraps.Elleeuttôtfaitdecomprendre.Jackavaitouvertlaporteàlagouvernante,puisilétaitparti.Sonabsenceétaitpalpable.Unlointaincarillonsonnalademie…Maislademiedequelleheure?Roserepoussarésolumentlescouverturesets’assit.Quelqu’unfrappaàlaportedelachambre.—MadameClarring?Lavoixdelagouvernanteétouffadansl’œufleridiculeespoirquec’étaitJackquirevenait.Roseagrippaledrap.—Oui,madameDobkins?—M.Lodounapenséquevousaimeriezunbonpetitdéjeuner.Ilserabientôtprêt.D’aprèsletondesavoix,onauraitpucroirequ’elletrouvaittoutnatureld’obéirauxordresde
l’amantdesapatronne.—Jevouslesersaulit?ajouta-t-elleàtraverslaporte.Rosesesouvinttoutàcoupduflacond’huiledeMargot,danslasalledebains.Lagouvernantel’avait-ellevu?—Jepréfèredescendre.—Trèsbien,madame.Rosesedépêchad’enfilerlecorsageetlajupequ’elleportaitlaveille.Sanslejupon,lajupelui
chatouillaitlescuisses,etsanslatournure,elleétaittroplongueetluifaisaitunetraîne.Elleserenditdanslasalledebains.Iln’yavaitriensurlemarbredelatabledetoilette.Elleouvritletiroirduhaut.Leflacons’ytrouvait.—Avez-vousbesoindemonaide,madameClarring?Ravalantsonsouffle,Rosesedépêchaderefermerletiroir.
—Nonmerci,madameDobkins.Elle se redressa et aperçut son reflet dans lemauvaismiroir. Elle était échevelée – comme il
convientaprèsunenuitd’amour.Ellefuttentéedeserecoifferaveclamainetseretint.—Avez-vousamenélacuisinièreetlabonneàtoutfairedontnousavionsparlé?—Oui,madame.Lagouvernantecraquauneallumette.—Lacuisinièrefinitdepréparervotrepetitdéjeuner,dit-elleentendantlebraspourallumerla
lampeau-dessusdulavabo.Etlabonneestentraindenettoyerlesplinthes.Lalumièredelalampefitbrillerlemarbredestablettesetlenickeldesrobinets.C’est alors que Rose se rendit compte que Mme Dobkins portait un bonnet d’une blancheur
immaculée.—Quelleheureest-il?demanda-t-elle.—Onvasurdixheures.La gouvernante se redressa – elle était à peu près aussi grande que Rose – et souffla sur
l’allumettepourl’éteindre.—Voulez-vousquejevousfassecoulerl’eaudeladouche?Rosesongeaqu’elleétaitmoiteetqu’ellesentaitlasueur–lasienneetcelledesonamant.—Nonmerci,répondit-elle.Jem’enoccuperaimoi-même.—Commevousvoudrez,madame.Lacuisinièreva tenirvotrepetitdéjeunerauchaudpendant
quevousvousdouchez.Rosetiraleverrouderrièrelagouvernante.Ellesedéshabillaetentradansladouche.Elleouvrit
lesrobinets.L’eausursapeauluisemblaencoreplusrêchequelalainedesajupe.Elleessayadesesouvenirdecequ’elleavaitressentiaulendemaindesesnoces.Samémoirene
luifournitaucunrenseignement.Unechoseétaitsûre:ellen’avaitpasconnuavecJonathanlemêmedegréd’intimitéqu’avecJack.Elles’essuyavigoureusementpuis,sansserhabiller,courutdanslachambre.MmeDobkinsavait
ouvertlesrideauxetlesfenêtres.Lapièceétaitpleinedelumière.Danslamalle,Rosen’avaitquedesvêtementsnoirs.Durant lespremiers tempsdesonmariage,elleavaitportédescouleursgaies.Àquelleépoque
avait-ellechangé?Quand Jonathan s’était mis à boire ? Ou quand elle s’était rendu compte qu’il ne buvait que
lorsqu’ilétaitàlamaison,seulavecelle?Rose s’habilla. Ellemit ses boucles d’oreilles – de simples perles, les seuls bijoux qu’elle ait
apportésavecelle.S’estimantprésentable,elledescendit.Une petite grosse apparut au bas de l’escalier. Elle aussi était surmontée d’un bonnet blanc,
soigneusementrepasséetamidonné.—B’jourm’dame,dit-elle.Voulez-vousvotrepetitdéjeunermaintenant?—Trèsvolontiers,fitRose.JesupposequevousêtesMmeBrown?—Oui,m’dame,pourvousservir,réponditlabonneenrougissant.Dedeuxchosesl’une:oubienellerougissaitparcequ’elleétaittimide,oubienparcequ’elleétait
aucourantdesamoursillégitimesdesapatronne.—Jevaischerchervotrepetitdéjeuner,ajouta-t-elle.—Vousdirezàlacuisinièrequej’aimeraislavoir,précisaRoseavantdelalaisserpartir.Elles’installadanslesalon,quiétaitfroidetsombre.
Les trois domestiques revinrent bientôt. La gouvernante réclama l’aide de la bonne pour faireglisser un coffre jusqu’au milieu de la pièce afin qu’il serve de table. La troisième femme – lacuisinière–apportaitunplateau.
—MadameFinley,mettezleplateauici,ordonnalagouvernante.ElleapprochalevieuxfauteuildeveloursetditàRose:—MadameClarring,sivousvoulezbienvousdonnerlapeine…Roses’assitsurlefauteuiltropmouetregardaleplateau.—L’assietteetlescouvertssontneufs?remarqua-t-elle.—Oui,m’dame,réponditlacuisinière.Jelesaiachetéscematinaveclereste.—Jevois,ditRoseengoûtantlesœufsbrouillés,quiluisemblèrentdélicieux.C’esttrèsdélicat
devotrepart.JesupposequevousêtesmadameFinley?—Oui,m’dame,pourvousservir.Roseseversaunetassedethé–lathéièreetlatasseaussiétaientneuves.Dansuncoinduplateau,
ilyavaitunpetitpotdecrème,unsucrieretunesoucouperempliedetranchesdecitron.—Cepetitdéjeunerest toutàfaitdélicieux,madameFinley,murmuraRoseensucrantsonthé.
Vousmedirezcombienjevousdois.—C’estM.Lodounquiapayé,m’dame.Roses’immobilisa.—M.Lodoun?répéta-t-elleenposantdélicatementsacuillerdanssasoucoupe.—Oui, confirma lagouvernante. Il nous adonnévingt livrespour acheter tout cequ’il fallait
pour vous préparer un petit déjeuner. Et puis, il nous a recommandé de veiller sur vous et de nelaisserentrerpersonnedanslamaison.
CommesiJonathanpouvaitmevouloirdumal!pensa-t-elle.Mais,aprèstout,pourquoipas?Avecl’aidedequelqueshommesdeloi!—Ilnousadonnéunautrebilletdevingt,repritlagouvernante.Pouracheterlenécessairepour
sa toilette. Rasoir, savon à barbe, etc. Et puis, un savon… Il a bien précisé : un savon d’Alep. Jesupposequec’estparcequ’ilssontsansodeur…
—Oui,intervintlabonne.Cematin,c’estpaspourdiremaisilsentaitunpeulacocotte…Roseéclataderire.—Eneffet,cen’estguèreconvenablepourunhonorablemembreduParlement!dit-elle.Ettoutàcoup,sansraison,soncœurluidonnal’impressiondesedilaterdanssapoitrine.Unmomentdebonheurinattendu!Unbonheuràcouperlesouffle.Serais-tuamoureuse?sedemanda-t-elle.
20
—Jen’enpeuxplus,docteurBurns.Éleverdesenfants,jenefaisqueçadepuisquej’aiquinzeans.Jen’auraisjamaislaforced’enéleverundeplus.
Deslarmescoulaientsurlesjouesdelafemme,ensuivantunchemintracéd’avanceparlesrides–elleavaittrente-troisansetenparaissaitdixouquinzedeplus.
Un magnifique soleil glissait ses rayons entre les lamelles des stores mais, dans le cabinet,c’étaienttoujourslesmêmeshistoiresdesouffranceetdemisère.
—Onvavousépargnerça,madameWilkins,assuraSarahBurns.Par-dessus la petite table qui lui servait de bureau, elle prit les mains rouges et calleuses de
MmeWilkinsentrelessiennesetrépéta:—Onvavousépargnerça.En signe de gratitude, la femme lui étreignit les mains, si fort que Sarah faillit grimacer de
douleur.—J’aimemesenfants,voussavez,docteurBurns.Sarah savait depuis longtemps qu’on peut aimer les enfants et ne pas souhaiter en avoir une
ribambelle.—Jesuiscontentequ’ilssoientlà,ajoutaMmeWilkins,mais…—Jen’endoutepas,ditSarah.—Mais,répétaMmeWilkinsd’unevoixmurmurante,j’enaineuf.Jen’enpeuxplus…Denouvelleslarmesroulèrentdesesyeuxrougis.Sarahsesentitobligéedeposerlaquestion:—Enavez-vousparléàvotremari?—Ilnecomprendraitpas.Peud’hommescomprenaientceschoses.—Alors,onnevapasluidemanderplusqu’ilnepeutdonner,ditSarah.—Maisjenevaispaspouvoirvouspayertoutdesuite…LepetitbureaudeSarah,avecsesmurscraquelés,sesboiseriesébréchées,sesmeublespauvreset
écornés,prouvaitquesespatientsétaientnombreuxànepaspouvoir«payertoutdesuite».—Nevousinquiétezpaspourça,madameWilkins,répliquaSarah.Ontrouveraunesolution.Elleétaitcontentequecettepauvrefemmesesoitadresséeàelle,plutôtqu’àuneavorteusequi
l’auraitestropiéeoupeut-êtremêmetuée.—Mais,pourvotrebien,ilvafalloiragirvite,reprit-elle.LestraitsdeMmeWilkinssedétendirent.—Lundi?suggéra-t-elle.
—Lundi,confirmaSarahenluilâchantlesmains.MmeWilkinssortitdupetitbureaud’unpasraideetrefermalaportederrièreelle.Sarah n’était pas sûre qu’elle reviendrait. Parfois, les femmes faisaient leur propre choix : la
mort-aux-rats, laTamise…Toutcequ’ellepouvaitespérer,c’estque lamalheureuseMmeWilkinsn’enarriveraitpaslà.
Ellerangealedossierdansuncasier.Quelqu’unfrappaunefoisetentrouvritlaportesansattendrederéponse.—MademoiselleDay,ditSarahtoutenfouillantdanslespapiersquiencombraientsonbureau,
savez-vouscequej’aifaitdel’ordonnancedeMmeMaloney?Maiscenefutpassasecrétairequirépondit.—Pardonnez-moidevousdéranger,docteurBurns.MlleDaym’aditquejepouvaisentrer.Sarahseredressabrusquement.—Hé,bonjour,madameClarring!DevantlajolieMmeClarring,Sarahs’étaittoujourssentielaide:tropgrande,tropmaigre,trop
empruntée.Embarrassée,elleajouta:—Quevenez-vousfaireici?Sansselaisserdécouragerpar larudessedecetaccueil,Roserefermalaporteets’avança.Les
plumes blanches perchées sur son chapeau noir dansèrent. Son délicat parfum boisé se mêla auxodeursd’étherquiflottaientdanslapièce.
—Jevoulaisjustevousdiretoutlebienquej’aipensédevotretémoignageautribunal,répliqua-t-elle.Jecroissincèrementquelejuryauraitrenduunautreverdictsivousn’aviezpasétélà.
Sarahn’avaitpasl’habitudedescompliments.Unefemmeenrécoltaitpeu,dansunmétierdominéparleshommes.Toutcequ’elletrouvaàrépondre,cefut:
—Jen’aipaseul’impressiondefairequelquechosed’extraordinaire.Rosedevintgrave.—Avez-vousperdubeaucoupdepatientsàcauseduprocès?Toutes deux pensèrent à Esther Palmer et à Thomas Pierce, également membres du club des
MessieursetdesDames.Les journaux avaient rapporté que l’institutrice et le banquier avaient été l’un comme l’autre
chassésdeleuremploiàcausedel’affaire.Ilsn’avaientriencachéàleursemployeurs,ettelleavaitétélarécompensedeleurfranchise.
— Non, répondit Sarah d’un ton bougon. Mes patients n’ont pas les moyens d’acheter lesjournaux,etdetoutefaçonilsn’auraientpasletempsdeleslire.
Sarahsavaitquecen’étaitpaslecasdesmembresdelabonnebourgeoisieàlaquelleappartenaitRoseClarring.
Elleavaitquelquefoisjalousélajoliepetiteblonde,maiscen’étaitpluslecas.—Asseyez-vousdonc,madameClarring,ditSarah.Ellefitmentalementl’inventairedesgensquipatientaientdanslasalled’attente:aucuncasgrave.
Ils ne lui reprocheraient sûrement pas d’avoir pris cinqminutes pour se rapprocher d’une femmeavecquielleregrettaitdenepasavoirsympathiséplustôt.
—Voulez-vousduthé?—Non,merci.Detoutefaçon,jenevaispasvousretarderlongtemps.Sarahneputs’empêcherdecomparerRoseClarringaveclafemmequivenaitdesortirdeson
cabinet.Ellesavaientàpeuprèslemêmeâge,maisiln’yavaitaucunlienpossible:RoseClarring
n’avaitjamaiseud’enfantetsonteintresplendissaitdejeunesseetdebonnesanté.Cependant,lafringantebourgeoiseétait-elletellementplusheureusequelaprolétaireuséeparles
grossesses?—Quepuis-jefairepourvous?demandaSarah.Rose ne répondit pas. Au lieu de cela, elle s’assit avec une grâce dont Sarah – gauche,
disproportionnée,osseuse–s’étaittoujoursestiméeincapable.—Aufait,avez-vousdesnouvellesdeM.Addimore?demandaRose.Sarahdevint toute rougeau souvenirdecette séanceoùelleavaitditqu’ellene s’aimaitpaset
qu’elleauraitpréféréêtreune joliepetite femmevulnérable–etoùGeorgeAddimoreavaitavouésonincapacitéàmainteniruneérection.
EllesedoutaitqueRoseClarrings’ensouvenaitaussi.Elledécidadedirelavérité.Ellesavaienttraversétropd’épreuvesensemblepoursementir.—Si j’aidesesnouvelles? répéta-t-elle.Maisnousnous fréquentons…Aussi improbableque
celaparaisse,ajouta-t-elleuntonplusbas.—Toutvabien?—Dececôté-là,oui…Maisilaperdusonemploi.Àcauseduprocès,celaallaitsansdire.L’entreprisedanslaquelleiltravaillaitn’avaitpasvoulu
risquerdedéplaireàsarespectableclientèleengardantparmisonpersonnelundépravéquiavaitfaitpartiedu«clubdesNoirsDélices»,commeleTimesavaitsurnomméleclubdesMessieursetdesDames.
—Jesuisdésolée,docteur,ditRose.Cesregrets,visiblementsincères,allèrentdroitaucœurdeSarah.Enéchange,ellefuttentéededemanderàRosesisonmaril’avaitpunie–maislesmembresdu
clubayanttoujourseupourprincipedeprotégerleurvieprivée,ellen’osapas.—Ilaouvertsonproprecabinetd’expertise,dit-elle.Jesuissûrequ’ils’ensortira.Iln’yavaitquetroisjoursquecemauditprocèsavaiteulieu.Sansréfléchir,elledemanda:—Etvous,madameClarring,avez-vouseudesnouvellesdesunsoudesautres?—Non,réponditRosesuruntonderegret.Sarahrepensaàlavasteetluxueusesalledeconférencesdumuséeoùilsavaienteul’habitudede
seretrouver.—Pensez-vousquenousnousréunironsdenouveauunjour?—Jen’ensaisrien,répliquaRose.J’aimeraisbien.Maisnousnesommespluslesmêmes.Tous
ces événements nous ont changés. Je ne suis pas certaine que nous aurions encore des choses àéchanger.
Del’amitié,pensaSarah.Maislesmembresduclub,quis’étaientprésentésgroupésauprocès,étaientrepartisencouples!SaufRoseClarring,quiétaitarrivéeseuleetquiétaitrepartieseule.SarahBurnsetGeorgeAddimoreavaientétéparmilesderniersàtémoigner.Soudain,Saraheut
envied’ensavoirplussurlestémoignagesdesautres.—Avez-vousentenducequ’aditMlleHoppleworth?Ilparaîtqueçavalaitsonpesantd’or.—Oui,confirmaRoseavecuneadmirationmêléed’amusement.Elleaditqu’elleavaittoujours
préféréêtreélèvequeprofesseurparcequ’elleadoraitapprendre.QuandM.Lodounluiademandésielleavaitbeaucoupapprisauclub,ellearépondu:«Poursûr!»Etelleaajouté:«Toutcommejesuisprésentementen traind’apprendredeschoses sur le fonctionnementde la justicedanscebeaupays.»
Sarahimaginalasympathiquesecrétaireentraindetenir ladragéehauteaucélèbreavocat,sesyeuxpétillantdemalicederrièresesbésicles.
—Et,poursuivitRose, lorsqueM.Lodounluiademandépourquoielleavaitvotéenfaveurdel’adhésiondeMmeHart,ellearépondu:«Àcausedesonhonnêteté.»Illuiaditqu’ilenavaitfiniavecelle,maiselleainsisté:«Vous,peut-être,maispasmoi.»Elleallaitajouterquelquechosemaisle jugeest intervenupourdéclarerquesaréponseavaitsatisfaitM.Lodounetque,parconséquent,elle avait satisfait le tribunal. « Considérez ceci comme ma contribution à vos études de droit,mademoiselleHoppleworth»,luia-t-ildit.
Sarahneputs’empêcherdesourire.—Jesuissûrequevotretémoignagen’apasmanquéd’intérêtnonplus,madameClarring.Roses’assombritaussitôt.—Jenesaispas,docteurBurns.Maisunechoseestcertaine,c’estqu’àcetteoccasionnousavons
tousdécouvertqu’ilvautmieuxnejamaisavoirsonnomimprimédanslesjournaux.LeDailyHerald l’avaitaccuséed’avoiremployédesmoyensd’éviter laconceptionetétaitallé
jusqu’àlatraiterd’infanticide!SaraheutenviederéconforterRoseClarring.Elleparlaaveccrudité.—JackLodounestunfieffésalaudd’avoirsuggérétoutesceschoses.Cesparolesn’eurentpasl’effetescompté.—ÇanesertàriendereprocheràJackLodouncequ’ilapudireàl’audience,répliquaRoseen
baissant la tête, sonchapeaucachant sonexpression.Commechacund’entrenous, il a fait cequ’ilavaitàfaire.
Sarahnefutpasconvaincue.—Et si, pour finir,MmeHart avait été enfermée ?Diriez-vous toujours qu’il n’y a rien à lui
reprocher?Tout ce que Sarah voyait de Rose Clarring, c’était son chapeau de feutre noir et l’aigrette de
plumesblanches.PuisRoserelevalatête,etSarahseretrouvatoutàcoupconfrontéeàunregardvifetpénétrant.Rosenepouvaitpasluirévélerquec’étaitenréalitéJackLodounquiavaitsauvéMmeHart–tout
bonnementennerévélantpasquecelle-cietMeWhitcoxétaientamants.Alors,elleréponditàcôtédelaquestion.—À quelque chosemalheur est bon. Sans ce procès, vous seriez-vous rapprochée deGeorge
Addimore?Sansceprocès,GeorgeAddimoreneluiauraitjamaisoffertsonbras,etellen’auraitjamaiseu
l’aplombdesepromenerdansLondresavecunhommepluspetitqu’elled’unebonnedouzainedecentimètres.
—Sans doute pas, reconnut Sarah à contrecœur.Maintenant, ajouta-t-elle sur un ton agacé, jesupposequevousnevousêtespasaventuréedanscequartierabandonnédesdieuxàseulefindemecongratuler?Alors,jevousleredemande:quevenez-vousfaireici?
Roseneselaissapasdémonterparcebrutalchangementd’humeur.—Vousêtesunexcellentmédecin,docteurBurns.Jesuisvenuevousdemanderconseilàpropos
desdiversmoyensdediminuerlaprobabilitédetomberenceinte,voiremêmedel’éviter.End’autrestermes,MmeClarringavaitunamant!Saraheutenviedelamettreengarde–elle
n’était pas veuve comme Mme Hart. Le pouvoir de rétorsion d’un mari était infiniment plusredoutablequeceluid’unfils.
Ellesecontentadedire:
— Oui, bien sûr, il y a des dispositifs qui conviendraient, par exemple le diaphragme deMensinga.Celas’insèredansl’utérusetenprincipe…
—Vouspourriezm’enposerun?l’interrompitRose.—Ahnon,réponditSarah.Jen’aipaslematérielqu’ilfaut.Mais,nevousinquiétezpas,jevais
vousindiquerl’adressed’ungynécologuecompétent.Compétent…etdiscret.Elleprituneprofondeinspirationetajouta,suruntonmoinsdocte,defemmeàfemme:—Jevaisaussivousdonnerquelquespilulesàprendre,pourlecasoùvousauriezduretard.
21
LedouzièmecoupdeclochedeBigBensemêlaautintamarredelarue.Jack regarda machinalement par la fenêtre de son bureau et ne vit rien que la façade de
l’immeubled’enface.Laportedubureaus’ouvrit.—Dites-moi,monsieurDorsey,combienya-t-ild’habitantsdansnotregrandetbeaupays?C’étaitunequestiondepureforme.Jackconnaissaitlaréponseaussibienquesonsecrétaire.—Au dernier recensement,monsieur, vingt-cinqmillions neuf cent soixante-treizemille cinq
centtrente-neuf.—Et,parmieux,combiendefemmes?demandaJack.Àcettequestion-là,parcontre,ilneconnaissaitpaslaréponse.—Treizemillionstroiscenttrente-quatremillecinqcentdix-sept,réponditcalmementDorsey.—Plusdelamoitié,calculaJack.—Prèsdecinquante-quatrepourcent,monsieur.Unemajorité–maiscen’étaitpaslamajoritéquicommandait.Àlalimitedesonchampdevision,unmouvementattirasonattention.Àl’aidedepoulies,desouvriersétaiententraindehisserlanacelled’unlaveurdevitressurla
façadedel’immeubled’enface.Dans l’éditionde laveilleduDailyHerald,on racontaitqu’un laveurdevitrescommecelui-ci
étaittombéd’uncinquièmeétageets’étaitécrasésurletrottoir.—Quepensez-vousdesfemmesquirevendiquentlesmêmesdroitsqueleshommes?demanda
Jack.—Mafoi,jen’ensaisrien,monsieur.Beaucoupdegens,hommesoufemmes,politiciensousimplescitoyens,hésitaientcommelui.—Aufait,repritJack,Seatonestpassétoutàl’heure,pendantquevousétiezsorti…—Et?Dehors,lapouliesebloqua,lanacelletangua,lelaveurdecarreauxs’agrippaàunecorde.—IlestrevenuàlachargeàproposdeJustinGreffen,ditJack.Maisj’airefusédem’enoccuper.—J’envoieunelettrepourluidireàquelpointnoussommesdésolés?suggéraDorsey.—Naturellement.—EtM.Olsen?Est-ilvenuàsonrendez-vousdeonzeheures?— Oui, répondit Jack en se balançant sur son fauteuil. Il m’a offert quinze cents livres si
j’obtenaisunpostedehautfonctionnaireprestigieuxetbienpayépoursonincapabledegendre…Est-cequeJonathanClarringaentaméuneprocédurepourlarestitutiondesesdroitsconjugaux?
Le jeune secrétaire ne manifesta pas la moindre surprise en apprenant qu’on avait tenté decorrompresonpatron,etneselaissapasnonplusdérouterparlebrusquechangementdesujet.
—Auxdernièresnouvelles,non.Jacknefutpaspourautantsoulagé.—Quelestlejugelemieuxdisposéenverslesfemmesdanscegenred’affaires?—L’honorableArthurBellington,réponditDorseysanshésiter.Jackavaitdéjàentenducenom,maisilneleconnaissaitpaspersonnellement.—Ilaaccordédavantagedeséparationsdecorpsquelesautresjuges?—Indubitablement.—A-t-ildesenfants?—Oui,cinqousix…maisiln’estpaspourautanthostileaudivorce.Jackcompritquec’étaituneallusionàl’ancienPremierministre,quiavaitunenichéed’enfantset
quiétaitl’unplusfarouchesopposantsaudivorce–lesdeuxfaitsétantliésdansl’espritdupublic.—Est-ilsusceptibled’accepterdespots-de-vin,votrejuge?—C’estpeuvraisemblable,monsieur.Touslesgreffiersàquij’enaiparlésontd’accordsurce
point:l’honorableArthurBellingtonestvraimenthonorable.—A-t-il déjà accordé une séparation de corps à une femme qui avait abandonné le domicile
conjugal?LaréponsedeDorseyfutcatégorique:—Non.JackétaitdéterminéàenobtenirunepourRose.Restaitàsavoircomment.—Avez-vousvuFrowt?demanda-t-il.JohnFrowtétaitundétectiveprivéaveclequelilavaitl’habitudedetravailler.—Oui,monsieur.Iladitqu’ilvousenverraitsouspeusonrapportsurM.Clarring.Dorseyavaitfaittoutcequiétaitdesacompétence;lereste,c’étaitàJackdes’enoccuper.—Vouspouvezrentrerchezvous,monsieurDorsey,dit-il.—EtlalettreàM.Seaton?—Çapeutattendrelundi.Dorseydemeuraimpassible–onnepouvaitliresursonvisagenisoulagementnidépit.—Trèsbien,monsieur.Restéseul,Jackrangeasasacochedansuntiroirdesonbureau,qu’ilfermaàclé,puisse leva.
DesdouleursdanslescuissesetlesreinsluirappelèrentRose.Elle avait dit qu’elle n’avait pas le moindre regret.Mais elle avait été nue dans ses bras. Les
regrets,pensa-t-il,viendraientplustard,lorsqu’elledevraitaffronterJonathanClarringautribunal.Ilrécupérasonmanteauetsonchapeauàlapatère,etsortitdanslecouloir.Ilappelal’ascenseur.Lacabinearrivadansunferraillementdecâblesetd’engrenages.Laportes’ouvrit,dévoilantun
liftierenuniformebleumarineornédegalonsdorés.—Bonjour,monsieurLodoun.Bellejournée,n’est-cepas?Jackentradanslapénombredelacabine.—Trèsbellejournée,eneffet,monsieurApplebaum.Pendantladescente,Jackserenditcomptequ’ilneconnaissaitpasl’hommequ’aimaitRose.La porte de la cabine se rouvrit ; Jack sortit dans un hall abondamment éclairé. Il poussa une
lourde porte et se retrouvadans la rue.Le soleil demidi lui chauffa les joues tandis qu’unebrisetaquinefaillitluiôtersonchapeau.
Plusieursfiacresattendaient.Jacksautadanslepremierdelafile.—Oùquec’estqu’onva,chef?s’enquitlecocher.Àl’endroitoùJackespéraittrouverlesréponsesauxquestionsqu’ilseposait.—ÀlaBourse.L’intérieur du fiacre étaitmal aéré.Une odeur suave emplit le petit habitacle. Le sexe de Jack
tressaillitlorsqu’ilserenditcomptequec’étaitl’odeurdeRose:sapeau,sasueur…IlsedemandasiJonathanClarringallaitreconnaîtrel’odeurdesafemme.LaBourseoccupaitunvastetrianglenonloind’OldBailey.Lesalentoursétaientembarrasséspar
un grand nombre de voitures et de chevaux. Les trottoirs étaient noirs demonde, des hommes enchapeaumelonetdesfemmesenbonnet.Ilsavançaienttousdumêmepasirrévocable.
Jackjetaunflorinaucocher.Àl’intérieurdubâtiment,desflotsdelumièresedéversaientparledôme.Aucentreduhallsetrouvaituneénormecolonnerectangulaire.Indifférentauxconséquencesdesonacte–lui,unhommedontledestindépendaitentièrementde
l’opinionpublique–Jacksedirigeaverslesascenseurs.Ilappuyasurunbouton.Aprèsbeaucoupdebruitsmétalliques,unecabinearriva.—Àquelétage,monsieur?demandaunliftier.Sanglédansununiformegrenatàbrandebourgsjaunes,ilavaitl’aird’undompteur.Ilnel’avait
pasreconnu.Normal,pensaJack.Ici,cen’étaitpaslemondedelapolitique,maisceluidelafinance.Ilmontadanslacabine.Sonrefletdanslemiroirdufondsemblaveniràsarencontre.—Àl’étageoùsetrouvelebureaudeJonathanClarring.—Alorsceseralecinquième,monsieur.Aucinquième,leparquetducouloirétaitcouvertdeluxueuxtapisrougesombre.Deslampesaux
mursprojetaientunelumièredouce,destinéeàentreteniruneatmosphèrefeutrée.—C’estparici,monsieur,luiditleliftierentendantlebras.Jackpartitdansladirectionindiquée.Surlatroisièmeporte,ilyavaituneplaquedecuivreavecunnom.Ensilence,iltournaunepoignéedeporcelaineblanche.Ensilence,laportes’ouvrit.Une jeune femmeauxcheveuxnoirscoiffésenchignonétaitpenchéesurunemachineàécrire
flambantneuve.Lorsqu’elles’aperçutenfindesaprésence,ellesursauta.—Qu’ya-t-ilpourvotreservice?Jacklaregardapendantdelonguessecondes.Elleétaitenceinteet,àenjugerd’aprèslagrosseur
desonventre,procheduterme.—JeviensvoirJonathanClarring,annonçaJackd’unevoixneutre.Iln’auraitsudiresic’étaitparcequ’ilcachaitbiensesémotionsouparcequ’iln’enavaitaucuneà
montrer.Lajeunefemmeledévisagea.Ellenelereconnaissaitpasnonplus.Àcroirequejesuisunparfait
inconnudansletempledel’argent,pensaJack.—Jesuisdésolée,maisM.Clarringn’attendpersonneaujourd’hui,monsieur…monsieur…Jackn’allaitpastomberdanscepiège.—C’estBlairStromwellquim’envoie,dit-il.Blair Stromwell, le tout-puissant président du groupe conservateur au Parlement. Personne en
Angleterren’ignoraitsonnom.Lajeunefemmeécarquillalesyeux.
—Bienentendu,murmura-t-elleenselevantdesachaise.JevaisvoirsiM.Clarringpeuttrouveruninstantpourvousrecevoir.Jevousenprie,asseyez-vous,ajouta-t-elleenluimontrantunfauteuil.
—Oui,merci,réponditJack.Maisilrestadebout.En rougissant, la jeune femme contourna son bureau. Son ample robe bleu marine tournoya
autourdesesjambes,révélantdefineschevilles.Elleallatoqueràunelourdeporteenacajou,qu’elleouvritsansattendrederéponse.
Elleentradanslebureau.Parl’entrebâillement,Jackentenditmurmurer,maisnecompritpascequisedisait.
Laportes’ouvritengrandetlajeunefemmerevint.—Sivousvoulezbienvousdonnerlapeined’entrer,dit-elleensecollantcontrelechambranle.Jackentra.Lapièceétaitéclairéeparplusieursgrandesfenêtres.Lalumièredusoleiltrouvaitàseréfléchir
sur beaucoup de bronze et beaucoup de cristal. Elle saupoudrait d’argent les cheveux châtains deJonathanClarring,assisderrièreunimmensebureau.
JonathanClarringn’eutbesoinqued’unefractiondesecondepourreconnaîtreJackLodoun.—Fermezlaporte,madameJacobson,dit-ilàlasecrétaire.Danssonregardbleu,fixeetfroid,lespupillesétaientminuscules.LaporteserefermaderrièreJackavecunbruitmat.—Êtes-vousvenum’apporterunecitationàcomparaître,maîtreLodoun?Jackleconsidérauninstant,essayantdevoir«lemeilleuragentdechangedelavilleetpeut-être
dupays»dontavaitparléStromwell.Ilneréussitqu’àvoirunhommequiavaitéjaculémoultfoisdansRoseClarring.
—Jeviensdelapartdevotrefemme,dit-il.Elleveutdivorcer.Ellem’apriscommeavocat.Les traits de Jonathan Clarring se crispèrent immédiatement, et il se laissa glisser contre le
dossierdesonfauteuil.Jacks’imaginaJonathanClarringentraindedemanderRoseenmariage.Ils’imaginaJonathan
ClarringentraindedéflorerRose–tousdeuxjeuneset inexpérimentés–ausoirdeleursnoces.Ils’imagina JonathanClarring, un certain soir deNoël, lui expliquant qu’il ne lui ferait plus jamaisl’amourparceque,sesachantstérile,ilauraitl’impressiondecommettreunacteimmoral…
Stérile,vraiment?Jackpensaàlajeunefemmequitapaitàlamachinedansl’antichambre.— Votre secrétaire, c’est vous qui l’avez mise enceinte ? demanda-t-il avec une brutalité
délibérée.JonathanClarringouvritdesyeuxronds.—Puisquevousêtes àprésent l’avocatdema femme,vousêtesbienplacépour savoirquece
n’estpaspossible.Jacksegardadetrahirsadéception.—Detoutefaçon,enchaînaClarring,jen’aijamaistouchéàMmeJacobson.Jacksegardadetrahirsonscepticisme.— Pourriez-vous en dire autant, vous concernant, au sujet de ma femme ? ajouta Jonathan
Clarringavecaigreur.Ici,Jackn’eutquelechoixdementiroubiendetrahirunsecretquin’étaitpaslesien.Ilchoisitle
mensonge.—Oui,monsieur.
JonathanClarringrestacalmeenapparence,mêmesisesprunellessedilatèrent.Ilsouffrait.—Jenevouscroispas,dit-il.Jackhaussalesépaules.—Pourquoi pas, après tout ? insista JonathanClarring.Vous l’avez traînée plus bas que terre
devant le tribunal et elle vous a quand même pris comme avocat… Alors, pourquoi pas commeamant?
Jacksetutdenouveau.Iln’avaitjamaisfournid’explicationsàpersonnesurcequ’ilfaisaitdanslesprétoires.
Quantàcequ’il faisaitdanssachambreàcoucher,cen’étaitpasaumaridesamaîtressequ’ilallaitlerévéler!
Unpesant silence s’installa. Jack enprofitapour examinerClarring.À trente-trois ans, il avaitencore l’air juvénile, avec ses joues sans barbe, son nez petit et retroussé, ses yeux clairs, samoustachetransparente.Maisl’amertumeavaitcreusédesridesauxcoinsdesabouche.TelétaitdonclevisagequeRosesereprésentaitlorsqu’ellepensaitàsonmari!
—Autant que vous le sachiez tout de suite, déclara enfin Jonathan Clarring, je ne divorceraijamais.
—Pourquoi?Clarringserralesdents.—Jevousaidittoutcequevousaviezbesoindesavoir.Entantqu’avocat,peut-être,songeaJack.Maispasentantqu’amant.—Votreménageestencharpie,commenta-t-il.JonathanClarringselaissadenouveauglissercontreledossierdesonfauteuil.—Pourquoirefusez-vousdedivorcer?insistaJack.—Toutbonnementparcequej’aimemafemme,réponditClarringd’unevoixsourde.Jackétaitcontent.JonathanClarringavaitfendul’armure.Maintenant,ilavaitdevantluil’homme
àquilamaladieavaitôtétoutejoiedevivre.L’amourqu’ilmeporteletue,avaitditRose.Jackenavaitlapreuvesouslesyeux.—Jel’aime,répétaJonathanClarring.—Vousl’avezforcéeàvivreseulependantdouzeans,Clarring.Vousavezunedrôledefaçonde
manifestervotreamour.—Cequisepasseentreunmarietunefemmeneregardepersonne,répliquaJonathanClarring.
Vousêtesjuriste.Vousdevriezlesavoir.JackneconnaissaitpasJonathanClarring,maisilétaitsûrd’unechose:l’hommequ’ilavaiten
facedeluin’avaitrienàvoiravecl’adolescentdontRoseétaittombéeamoureuse.—Qu’est-cequivousempêchederendresalibertéàvotreépouse?—Voyez-vous,réponditClarringd’untonraffermi,j’aitoujourssuqu’unjourmafemmeaurait
envied’allervoirailleurs…Maisjeprendslepariqu’ellefiniraparmerevenir.Etc’estprécisémentpourquoi,chermaître,conclut-ilnarquoisement,jeneluiaccorderaijamaisledivorce.
22
—Préférez-vousqu’onvousenvoielafacturechezvous,madameClarring?demandalafemme.La lumièredes lampesàgaz faisaitparaître rouxsescheveux,quidevaientêtreen réalitéd’un
brunterne.Roseseretintdesourireensesouvenantdesrefletssurlecrânechauvedugynécologue.Troishommes,àprésent,connaissaientsespartiesintimes.Roseprituneprofondeinspiration.—Jevaispayermaintenant.—Alors,çavafaire…jenesaispassic’estun3ouun8!Lafemmeplissalesyeuxenessayantdedéchiffrerlesgribouillisdugynécologue.—Voyez-vous,reprit-elleavecunpetitrire,jen’arrêtepasdelemenacerdelerenvoyeràl’école
pourqu’ilapprenneàécrireconvenablement.Onvadirequec’estun3.Çavousferaquatreshillingsettroispennies.
Rosedemandaàvoirlafacture.— J’ai plutôt l’impression que c’est un 8, dit-elle en sortant des pièces de son petit sac et les
alignantsurlebureau.Lafemmeramassalesquatreshillingsetleshuitpennies.—Jevousremerciedem’avoirreçue,murmuraRose.Elleétaitarrivéeaumomentoùlemédecins’occupaitdesadernièrepatientedelamatinée.—Ne vous en faites pas, répondit la femme.Monmari adore son métier. Nous avons prévu
d’emmenerlesenfantsauzoocetaprès-midi,maisriennepresse.Cequiestintéressant,c’estlerepasdesfauvesetilsnelesnourrissentpasavantquatreheures.
EnserrantlamaindeRose,elleajouta:—Jesuissûrequevousapprécierezdeneplusavoiràcraindredegrossessesnondésirées,votre
marietvous.Maiscen’étaitpaspourunmari.C’étaitpourunamant!Ici,ilétaitquestiond’amourstoutàfaitillégitimes.Rose eut la curieuse impression que cette femme, qui paraissait déborder d’amour pour son
gynécologuedemari,auraitétécapabledecomprendrecequilapoussaitversJack.Ellerangealafacturedanssonsac.—Merci,madameReynold.Lorsqu’elleeutreferméderrièreellelaportedemerisier,elleseretrouvadanslecouloirbaigné
desoleil.
Ellesentaitdistinctementlecapuchondecaoutchoucquiappuyaitcontrelecoldesonutérusetlepetitressortquiletenaitenplace.
Ducoup,ellerépugnaàprendrel’escalierqu’elleavaitempruntépourmonter.Elleappuyasurleboutondel’ascenseur.Unvacarmedecâbless’enroulantautourdepouliesmétalliquessefitaussitôtentendre.Lacabinearriva.Laportes’ouvrit.Unliftierapparut,enuniformerouge.—Oùallons-nous,milady?C’étaitungamind’unequinzained’années,trèsbeau.—Aurez-de-chaussée,réponditRose.Ellemontaprécautionneusementdanslacabine.—Ilfaitchauddehors,hein?ditleliftierenrefermantlaporte.—Trèschaud,confirmaRose.—C’estmonpremierjour,avoualeliftier.L’ascenseuramorçaunedescenteunpeubrusque.Roses’agrippaàlaporte.—Vousvousdébrouillezbien,dit-ellesansenpenserunmot.—J’aieudelachancequepersonnenevoulaitdeceboulot.Sinon,cen’estpasforcémentàmoi
qu’ilsl’auraientdonné.Lacabine s’arrêtaaussibrusquementqu’elleavaitdémarré.Le liftierouvrit laporte.Lorsqu’il
découvritRoseenpleinelumière,ilrestabouchebéed’admiration.—C’estbientôtl’heuredemapause,dit-il.Jevousoffreunverre?Àcesmots,Roseressentitunejoieextraordinaire.Ilyavaitsilongtempsqu’onneluiavaitpas
faitlacour!Surtoutquelqu’und’aussijeune!—Uneautrefois,peut-être,répondit-elleavecunsourire.Ellesepréparaità s’enaller,mais legamin la retinten luiposant familièrementsur lebrassa
maingantéedeblanc.Quelqu’und’autrequeRoseseseraitpeut-êtreformalisé,maispaselle.—Ouais!s’exclamatriomphalementlejeuneliftier.Vousavezunedecesfaçonsdedirenonqui
esttellementgentillequ’ondiraitunoui.Monpaternelm’amisengardecontrelesfemmescommevous. « Les jolies sont toujours déjà prises, qu’ilm’a dit, ou alors tu leur donnes ton cœur, ellesl’emportentet ellesne te laissentqu’un trouaumilieude lapoitrine,un trougrandcommeçaquipisselesang…»
Roseéclataderire.D’abord,ellen’auraitsudirelacausedesajoie.Etpuis,soudain,elleserenditcomptequecelle-
cin’avaitaucunecauseparticulière.Commetoutàl’heure,quandelleavaitriavecsesdomestiques.Elleavaitjustelecœurenfête.Elleregardaledonjuanenherbe,quiluitenaittoujourslebras.—Undecesjours,monsieur,assura-t-elle,unejoliejeunefillevas’éprendredevouset…—Ellenepourrapasêtreplusjoliequevous,l’interrompit-il.Illuipressalégèrementlebrasavantdelalâcher.—Vousêtesunvilflatteur!s’exclama-t-elleenfouillantdanssonsacàlarecherched’unegrosse
pièce.Maisplutôtcharmant,dansvotregenre.Profitezbiendevotrepause…Elleluiglissalapiècedanslamain.—Riennevousobligeàfaireça,madame,dit-ilenempochantlapièce.Maismerciquandmême.
Revenezsivousvoulez.Jequitteàcinqheures…
Rose se souvint de ses fiançailles, lorsque tout semblait simple. Elle regarda ce beau gamin,presqueunhomme…
—Jevousavoueraisquejesuistentée…Lejeuneliftierdevinttoutrouge.—Vraiment?Roseenfilasesgantsdecuirnoir,lesassujettitenentrecroisantlesdoigtsetsourit.—Vraiment,confirma-t-elle.—Hé?crialeliftieralorsqu’elles’éloignait.Àcinqheures,jeserailà…Jem’appelle…LemouvementdelaporteàtambourempêchaRosed’entendrelasuite.Maisleliftierlasuivitdes
yeux–desyeuxbrûlantd’admiration!–jusqu’àcequ’elledisparaisse.Auboutdelapetiterue,Rosedébouchadansuneavenuetrèsanimée.Aussitôt,ellefutavaléepar
lafouledespassants.Àchaquepas,elledevaitprendregardeauxcoupsd’épaulesdeshommesetauxcoupsd’ombrellesdesfemmes.
C’étaitlecœurdeLondres,lequartierdesaffaires.Pourcurieuxquecelaparaisse,Roseconnutunmomentd’euphorieaumilieudecettecohue.Ces
inconnusn’avaiententêtequed’allerd’unpointàunautreàtoutprix.Ilsnes’intéressaientpasàelle–nielleàeux.
Ellearriva toutessouffléedevant l’immeublede laBourse,qui lui fitpenseràun îlot rocheuxentouréparunemeragitéeetbruyante.
Elleentra. Instinctivement,ellese raiditunpeu.Ses talonsclaquèrentsurundallagedemarbrenoiretblancquefaisaitbrilleruneabondantelumière.Curieuse,ellelevalesyeux.Ilyavaittoutlà-hautundômedeverre.
Aumilieu du vaste hall s’élevait une colonne carrée autour de laquelle circulait une foule demessieursenmanteaunoiretchapeaumelon:desagentsdechangeetleursclients.
Rosesedirigead’unpasdécidéverslesascenseurs.Unhommevintàsarencontre.Roseralentit,sadémarchedevinthésitante,soncœurseserra.Sous sa longue redingote anthracite, déboutonnée, qui flottait autour de lui et lui battait les
mollets,l’hommeétaittoutdenoirvêtu.Ilavaitchangédecostumedepuiscematin,pensa-t-elle.Etpuis,soudain,ellenepensaplus.JackLodounseplantadevantRoseClarring,lasurplombant.Àcettedistance,elleremarquaqu’ils’étaitnonseulementchangédepiedencapmaisrasé.Elle
sentit son odeur, unmélange de laine neuve, de savon et d’épices – ah, ça, il ne sentait plus « lacocotte»,commeavaitditMmeBrown!
Au-dessous de ces odeurs, il y avait le parfum de son corps, inimitable et, pour elle,reconnaissableentretous.
—Quefaites-vousici?demanda-t-elle.—Etvous?rétorqua-t-il.—Jeviensvoirmonmari.—Moiaussi.Jesorsdesonbureau.La gorge deRose s’assécha. Elle essaya d’avaler sa salive…mais elle n’avait pas de salive à
avaler!—Queluiavez-vousdit?—Quevousm’aviezchargédevosintérêts.
—Qu’a-t-ilrépondu?—Qu’ilnevousaccorderaitjamaisledivorce.—Pourquoi?—Primo, parce que, à l’entendre, il vous aime. Secundo, parce qu’il prend le pari que vous
finirezparrentreraubercail.Roseserenditcomptequeleshommeslaregardaient.—Ilestpersuadéquejesuisvotreamant,ajoutaJack.Ellepartitd’unpetitriresansjoie.—Quelledrôled’idée!s’exclama-t-elleaveccausticité.Onsedemandeoùilestallépêcherça!—Oui,n’est-cepas?murmuraJacksurlemêmeton.Rose éprouva des picotements dans le bas-ventre. Elle n’arrivait pas à oublier la présence du
diaphragme…maiselleauraitsansdoutebesoind’unpeudetempspours’yfaire.— En tout cas, reprit Jack, votre mari ne vous croit plus innocente. Il a l’air de s’en
accommoder…etilestprêtàvousreprendrequandmême.Le chapeau de Jack projetait une ombre sur le haut de son visage. Mais il avait la mâchoire
crispée.Rosepensaqu’ildevaityavoirdeladouleurdanssesyeux.Entoutcas,ilyenavaitdanssavoixlorsqu’ildit:
—Nemontezpaslevoir.Restezavecmoi.—Jevousrappellequec’estmonmari.—Jevousrappellequejesuisvotreamant.—Jevousrappellequevousêtesaussimonavocatetquemonintérêtestd’allerlevoir.L’argumentnemanquaitpasdeforce.C’estsansdoutepourquoi,lorsqu’ellelecontourna,Jackla
laissapassersanschercheràlaretenir.L’unedescabinesd’ascenseurétaitouverte.Elles’yrenditàpascomptés,sonsacsebalançantauboutdesachaîne,sestalonsclaquantsurle
marbre.—Bonjour,madame,ditleliftierd’untonchaleureux.Quelétage?Rosen’ensavaitrien.Ellen’avaitjamaiseul’idéededemanderàJonathanàquelétagesetrouvait
sonbureau.Etiln’avaitjamaisprisl’initiativedeleluidire.—JeviensvoirJonathanClarring.Leliftier,aussivieuxetridéquel’autreavaitétéjeuneetmignon,ricana.—Bah,ilesttrèsdemandéaujourd’hui,cebonJojo,marmonna-t-ilcommes’ilseparlaitàlui-
même.Alors,onvaaucinquième.Roserestapantoise:ellen’aurait jamaiscruqu’onpuisseaffublersonmarid’unsurnomaussi
familier.Commandéparunliftierexpérimenté,l’ascenseurdémarrasansà-coupets’arrêtademême.Mais
laportefittoujoursautantdebruitens’ouvrant.—Troisièmeporteàdroite,madame.Ledécor opulent ne ressemblait pas à Jonathanqui,malgré sa réussite, avait toujours été sans
prétention.Les lampes de cristal faisaient suinter une douce lumière dans le couloir. Les poignées de
porcelaineblanchebrillaientcommedesescarboucles.LenomdeJonathanétaitgravésuruneplaquedecuivre.Uncliquetispassaitàtraverslaported’acajou.Lecœurbattant,lesmainsmoitesdanssesgantsdecuir,Rosetournalapoignée.
Unefemmeétaitoccupéeàtapersurlestouchesnickeléesd’unegrossemachineàécrire.Elleneserenditpascomptequequelqu’unvenaitd’entrer.
Roseeutleslarmesauxyeux.Elle était jeune et jolie, la femme qui tapait le courrier de Jonathan. Jeune, jolie et très, très
enceinte.Sonvisagerayonnait.Roseluidonnaunevingtained’années.Sielleétaittombéeenceintependantleurlunedemiel,elleauraitpuavoirungrosventrecomme
çaàpeuprèsaumêmeâge.Soudain,lecliquetiss’arrêta.LajeunesecrétaireposasurRoselacaressedesonregardmordoré.—Bonjour,madame.Quepuis-jefairepourvous?Lasecrétairenelareconnaissaitpas.Rosesesouvintque,danslebureaudesonpère,ilyavaiteudesphotosdesamèrepartout.Jonathannedevaitrienavoirnullepartquirappellesafemme.Roseagrippasonsac.—J’aimeraisvoirM.Clarring,s’ilvousplaît.—JesuisdésoléemaisM.Clarringestoccupé,ditlajeunefemme.Voulez-vousprendrerendez-
vous?Jeneveuxpasprendrerendez-vous.Jeveuxvoirmonmari.Lapathétiquedemandedemeuracoincéedanssagorge.Cédantàuneimpulsion,Rosesedirigeaversuneporte–massiveetsolennelle,legenredeporte
quinepeutconduirequ’aubureaudupatron.Elle l’ouvrit juste à temps pour apercevoir Jonathan, en train de sortir par une porte située
derrièreunimmenseetmagnifiquebureau.—Mademoiselle ?…Madame ? Vous n’avez pas le droit d’entrer ici comme ça ! lui cria la
secrétaire.Rose n’en tint aucun compte – à peine l’entendit-elle –, tout son être tourné vers l’hommequi
refusaitdeluiparlerenface,aubureaucommeàlamaison.—Jonathan!Ledéchirantappelpassaparl’entrebâillementdelaporte.Rosefutsûrequ’ill’avaitentendue,maisilnemarquapaslepluspetittempsd’arrêt.Aulieudecela,ilrefermalaportederrièreluiavecunclaquementdéterminé.Rosenepouvaitpaslelaissers’éclipserainsi.Elletraversalebureau,sespiedss’enfonçantdansl’épaistapis,etrouvritlaporteparlaquelleil
avaitdisparu.Ellevitdistinctementsasilhouettequis’éloignaitdansuncouloirsombre.—Jonathan,s’ilteplaît,nemetournepasledos.Jet’enprie,j’aiàteparler.Il arriva au bout du couloir. Une porte s’ouvrit, révélant une source de lumière. Jonathan y
plongea.Laportesereferma.Lecouloirseretrouvadenouveaudanslapénombre.L’humbledemandedeRosefutabsorbéeparlesboiseries.Retardéeparsongrosventre,lasecrétairefinitparlarejoindre.—Madame,vousnepouvezpasallerparlà.Çaconduitàlasalledesmarchés.Rose se rendit compte qu’elle s’était figée dans une attitude suppliante, le bras tendu vers
l’hommequil’avaitrejetée.
Fermantlepoing,ellelaissaretombersonbrasetseretourna.La secrétaire était beaucoup plus grande que Rose. Sa poitrine, lourde de lait, montait et
descendaitsoussoncorsage.Ellesemblaitdésemparée.Roselevalesyeux.Lajeunefemmeétaitsipâlequedesveinesbleutéestransparaissaientsoussesyeux.Ellenecomprenaitrienàcequisepassait.— Tout va bien, marmonna Rose. Je voulais voirM. Clarring pour… pour réorganiser mon
portefeuilled’actions.Iln’yapasdeproblème.Nevousaffolezpas.Jem’envais.Lajeunefemmeneparutpasconvaincue.—Voulez-vousquej’appellequelqu’un…?Rosepartitd’unrirenerveux.—J’ail’airpatraque?demanda-t-elle.Ceseraitplutôtàmoidevousposercettequestion,non?
Je vous ai causé des émotions qui ne sont pas recommandées, dans votre état. Veuillez mepardonner…
Lesjouesdelasecrétaire,detroppâles,devinrenttropcolorées.—Jevaistrèsbien,madame,rassurez-vous.Roseselaissaraccompagnerjusqu’àl’antichambre.Lasecrétaireserassitderrièresonbureau–
dontlamachineàécrireoccupaitplusdelamoitié–etattrapaunesortederegistreàlacouverturedecuirnoir.
—Jevaisvousdonnerunrendez-vous…—Paslapeine,ditRose.Jetéléphonerai.Lajeunefemmelaregardacurieusement.—Êtes-voussûrequetoutvabien?s’enquitRose.—Oui, oui,madame, repartit l’autre avec une pointe d’impatience dans la voix. La grossesse
n’estpasunemaladie.Rosesortitàpaslents.Àpaslents,ellelongealecouloir.Ellen’eutpasàappelerl’ascenseur.Lacabineétaitdéjàlà,porteouverte,ayantl’airdel’attendre.Danslapénombre,cen’étaitpaslevieuxliftieravecsonuniformerouge.C’étaitJackLodoun!—Simadameveutbiensedonnerlapeine,dit-ild’unevoixchantonnante.Maisiln’yavaitaucuneironiedanssesyeuxvertémeraude.—Voussavezfairemarchercettechose?s’étonnaRose.—Oui.—Qu’avez-vousfaitduliftier?—Rassurez-vous,jenel’aipasassommé.—Ils’estlaisségraisserlapatte?demandaRoseenpénétrantdanslacabine.Jackacquiesçad’unmouvementdetête.Ilrefermalaporte.Lacabinetanguaunpeu,puisamorçadoucementsadescente.—Avez-vousdéjàfaitl’amourdansunascenseur?questionnanégligemmentRose.LesyeuxdeJacks’assombrirent.—Mafoi,non.Rosetenditlebrasavecgrâceetappuyasurunbouton.Lacabines’immobilisaentredeuxétages.—Ehbien,réparonscela.
23
—Jen’aipasdepréservatif,fitJack.—Paslapeine.—Vous avez dit que vous ne vouliez pas d’enfant, ni de votremari ni d’aucun autre homme,
rappela-t-il.Vousavezchangéd’avis?Roseprit uneprofonde inspiration.Ledécor, avec ses éléments de bronze et sesmiroirs, était
oppressant.—Non,jen’aipaschangéd’avis.C’estjustequejen’aiplusbesoindefaireattention.Ils entendirent des câbles grincer dans la cage d’ascenseur voisine. Les gens continuaient de
monteretdedescendre, ignorantl’existencedecethommeetdecettefemmeseulsdansunecabinearrêtéeentredeuxétages.
—Fairel’amour?répétaJack.C’esttoutcequevousattendezdemoi?—Çanevoussuffiraitpas?Ilsegardaderépondre.— Je suis jolie et vous n’êtes pas amoureux demoi, reprit Rose. Faire l’amour devrait vous
suffire…—Jen’aipasdepréservatif,répéta-t-il.Oùlesavait-iloubliés?Ellenelesavaitpasvusdanslachambre.Etsilabonnetrouvaitlaboîteenrangeant!— Je viens de vous dire que je n’avais plus besoin de faire attention. Je suis allée voir un
gynécologuecematin.JemesuisfaitposerundiaphragmedeMensinga.Ilnedemandapasd’explication.Ilavaitl’airdeconnaître–leshommesàfemmesconnaissentces
choses.Illuiécartasonmanteauettouchasajupe.—Retroussez-moitoutça,commanda-t-ilavecungesteéloquent.Desoncôté,ilcommençaàdéboutonnersabraguette.Rosesoulevasajupeetsesjupons…jusqu’àlataille.Elles’adossaaumiroiretprojetasonventre
enavant,commeelleavaitvulesprostituéeslefairesurdesphotos.—Commeça?Pourtouteréponse,Jackserapprochad’elle–songlanddilatésurgissantdesabraguette.Le souffle coupé, elle le regarda, de bas en haut, comme elle l’avait regardé dans la salle du
tribunal.Saufqu’àl’époqueillaharcelaitdequestionsetquemaintenantilfourrageaitsoussesjupes.Unevagued’émotionsl’envahit.
—Jack!murmura-t-elle.Elleétaitcoincéeentrelemiroiretl’homme–aussidursl’unquel’autre.Les doigts de Jack lui meurtrissaient les cuisses. Les baleines métalliques de sa tournure lui
rentraientdanslesfesses.Çafaisaitmal.Soudain,lamainsoussacuissegauchedisparut.Rosevacilla.L’espace d’une seconde, elle crut qu’un câble avait rompu. Terrifiée, elle s’agrippa au cou de
Jack,sesdoigtss’enfonçantdansplusieursépaisseursdelaine.Pendantcetemps,Jackavaittrouvécequ’ilcherchait:parmilesdentelles,l’entrebâillementdesa
culottefendue.Ilyglissalamainet,ayantlocalisél’entrejambehumide,empoignantsonsexe,ilsemitàsefrottercontresafente.
Ellese raisonna.Non, l’ascenseurn’étaitpasen trainde tomber.Maissa tournure lui labouraittoujourslesfesses.
Elleglissacontrelemiroirquireflétaitleurétreinte.Enfait,ellen’étaitpashumidededésir,maisàcausedulubrifiantquelegynécologueavaitutilisé
pourl’examiner.Elles’empalasurleglanddeJack–quiluiparuténorme.Centimètreparcentimètre,illapénétra
jusqu’àlagarde.Leursvisagesseretrouvèrentaumêmeniveau.Ilsavaientlesyeuxgrandsouverts.—Quevoulez-vous,Rose?demanda-t-ild’unevoixrauque.—Jevousl’aidit.C’estçaquejeveux.Ça!Laseuleformed’amourqu’ilspourraientjamaispartager.Coincée entre la paroi de la cabine et le ventre de Jack, Rose avait de plus en plus demal à
respirer.Il la prit par les fesses et la souleva légèrement. Elle hoqueta. Il immisça sa langue dans sa
bouche.—C’esttoutcequevousattendezdemoi?dit-ild’untonâpre.Duplaisir…etriend’autre?Elleavalaunegouléed’airtièdeetmoite:l’haleinedeJack.—Etmoi?reprit-ilens’enfonçantenelleavecbrutalité.Etmoi,çavousintéressedesavoirce
quejeveux?Ildonnaunnouveaucoupdeboutoir,encoreplusviolent.Ellerejetalatêteenarrière,etcequ’ellevitluiarrachauncridestupeur:ilyavaitunmiroirau
plafond.—Oh,monDieu!Souscetangle,ilavaitl’aircouchésurelle.Illasoulevapourmieuxlalaisserretombersurson
sexe–unsexepluslong,plusgrosetplusdurquejamais.—Cequejeveux?maugréa-t-il.Jeveuxquevousayezenviedemoipourautrechosequeça!Roseétaitdeplusenplusmouillée–mais,cettefois,celan’avaitrienàvoiraveclelubrifiantdu
gynécologueettoutàvoiravecledésirqueluiinspiraitsonamant.Lecoupdeboutoirsuivantluifitrabattrelatête.LevisagedeJackétaitrésolu.Ilallaitetvenaitsanspouvoirs’arrêter.—Jeveuxquevousayezenviedemoiplusquevousn’avezjamaiseuenviedevotremari,rugit-
ilentresesdentsserrées.Roselepritparlecou.Leplaisirgrandissait…grandissait.
Elle laissaéchapperuncriaigu.Enmêmetemps,ellesentitdes frémissementsdanssonsexe–l’éjaculationdeJack.
Jack poussa une exclamation. Il s’enfonça en elle jusqu’à ce que leurs toisons pubiennes seconfondentenunseulbuisson.
—Rose…Rose…Jonathanavait-iljamaispsalmodiésonnomcommeça?Non.Etmaintenant,ilétaittroptardpour
quecelaarriveunjour.LesjetsdespermedeJackétaientbrusquesetbrûlants.—Oh,Jack,Jack…dit-elleàsontourenblottissantlevisagedanslecreuxdesoncou.Le sexe de Jack, enmollissant, glissa hors du sien. Il lui embrassa les paupières – ses lèvres
n’étaientpasmoinsdoucesetchaudesqu’unrayondesoleildeprintemps.Enmêmetemps,ilcaressalachairdélicatedesesfessesavantdelareposer.
Les talonsdeRoseclaquèrentsur lesolde lacabine.Sa jupeetses lourds juponsretombèrent.Unegoutted’unliquidechaudetgluantluicoulasurlacuisse.
Elleremarquaque,malgrélachaleurétouffanteetl’airraréfié,Jacknetranspiraitpasetn’étaitmêmepasessoufflé.
—Jenesuispasprèsderegretterlesvingtlivresquej’aidonnéesàcevieuxgredindeliftier,dit-ilenserajustant.
En regardant disparaître son membre dans le caleçon – le gland tout rose et le prépuce toutmouillé–Rosefutémueauxlarmes.
—Moiaussi,j’aidonnélapièceàunliftieraujourd’hui,dit-elle.Jackplissalesyeux.—Pourquoi?—Ilm’aditquej’étaisjolie…etilm’amêmeinvitéeàallerboireunverreaveclui.—Queltoupet!s’exclamaJack,outréet,malgrélui,unpeujaloux.Les yeux fermés, Rose tourna son visage vers lui, réclamant un baiser. Il l’exauça volontiers,
l’embrassantsurleslèvresaussidélicieusementqu’ill’avaitembrasséesurlespaupières.—L’enfantest-ildelui?questionna-t-ellesoudain.Jacknedemandapasdeprécisions.Roseparlaitévidemmentdelasecrétairedesonmari,jeune,
jolie…etenceintejusqu’auxyeux.— Je lui ai posé la question, figurez-vous. Il m’a répondu que non, que d’ailleurs c’était
impossibleetquejedevaissavoirpourquoi.Rosen’auraitsudiresielleétaitsoulagéeoudéçue.EllesemitàtriturerlecoldelaredingotedeJack.Elleavaitenviedecaressersapeau,maiselle
enétaitempêchéepartroisouquatreépaisseursdetissu.—Iln’apasvoulumevoir.Jackserembrunit.—Quevoulez-vousdire?— Il y a une porte au fond de son bureau, quimène directement au… comment ça s’appelle,
déjà ? la salle desmarchés. Il a sans doute entenduma voix.Aussitôt que je suis entrée dans sonbureauparuneporte,ilestsortiparl’autre.
Jacksepenchapourl’embrassersurlefront,leurschapeauxsetouchant.—Ilfaudrabienqu’ilvousaffronteauprocès.—Quandj’aiépouséJonathan,dit-elledansunfiletdevoix, toutsemblaitsisimple.Jepensais
naïvementquelorsqu’unhommeetunefemmes’aimaient,c’étaitcommedanslescontesdefées:ils
seraienttoujoursheureuxetauraientbeaucoupd’enfants.Del’autrecôtédelacloison,unecabinepassadansungrandfracasdemachinerie.—Jecroyaisquel’amour,c’étaittoutcequicomptait,poursuivit-elle.Aujourd’hui,jesaisquece
n’estpassisimple.J’avoueque jesuisdésemparée.Mais ilyaunechoseque jesaissans l’ombred’undoute.
Elle s’interrompit, pour prendre une profonde inspiration avant de révéler une vérité qui luiparaissaitextraordinaire.
Jackattendit.Enleregardantdroitdanslesyeux,elledit:—Vouspouvezêtretranquille,j’aienviedevousplusquejen’aijamaiseuenviedemonmari.TouslestraitsdeJacksecrispèrentetsespommettesdevinrentrouges.—Mais,repritRose,ilfautquejeparleàJonathan.—Pourquoi?demanda-t-ild’untonrude.Pourlemeilleuretpourlepire,elleavaitétémariéedouzeansavecJonathanClarring.—Pourluidireadieu.Jackladévisageaunlongmoment,avantdebaisserlatêteetdeseretrancherderrièrelebordde
sonchapeau.—Jevousl’aidit:ilestpersuadéquevousfinirezparretournerverslui.C’était tellement absurde queRose ne pritmêmepas la peine de répliquer.Elle se contenta de
secouer la têteavec ladernièreénergie.Puis,sans luidemander lapermission,elles’emparadesacravateetrefitlenœud.
—Voilàunbiencharmantgested’épouse!observa-t-il.Rosetressaillitets’empourpra.—Jen’aijamaisaiméqu’unefemmedansmavie,repritJack.Jen’aijamaispenséenaimerune
autre.Lesyeuxembuésdelarmes,Rosemurmura:—Jesais.—Maisj’aienviedevous,acheva-t-il.Dansunsouffle,ellerépéta:—Jesais.—Ohnon,Rose, vous n’en savez rien ! s’exclama Jack. Je ne veuxpas quevous soyez seule
jusqu’à la fin de vos jours. Ma décision est prise : j’ai l’intention de rester près de vous aussilongtempsquevousaurezbesoindemoi.
Rosefermalesyeuxpourretenirseslarmes,quimenaçaientdecouleràflots.Àcausedubonheurprésentouàcausedeschagrinspassés?Ellen’auraitsuledire.Sansdouteyavait-ilunpeudesdeux.
Unequestionluibrûlaitleslèvres–M’aimerez-vous?Maisellen’osapaslaposer.Aulieudecela,elledemanda:—Aurez-vousencoreenviedemoi,Jack,si,malgrétoutesmesprécautions,jetombeenceinte?—Oui,répondit-il.Ilembrassasesdoucesjouestrempéesdelarmes.—Vousavezmurmurémonnomtoutàl’heurependantquenouslefaisions,rappela-t-elle.LesparoisdelapetitecabineavaientrépercutélalitaniedesRose…Rose…—ÇavousestarrivédepleurerpourCynthiaWhitcox?questionna-t-elletoutàtrac.Jonathan avait pleuré lorsqu’il avait compris qu’il n’aurait jamais d’enfant. Les hommes
pleuraient-ilslaperted’unefemme?
—Oui,unefois,acquiesçaJackd’unevoixsourde.Àsamort.Unmensonge.Ilavaitpleuréchaquefoisqu’ilavaitjouienelle.
24
— Voilà, madame Clarring, dit la modiste en posant délicatement le chapeau cloche sur sescheveuxdorés.C’esttrèschic,non?
Roseinclinalatête.Unrayondesoleilcaressasajoue,faisantbrillerlaperlequiornaitlelobedesonoreille.
—Commentappelle-t-oncettenuancedeviolet?demandaRose.—Héliotrope,madame.Celas’assortitàmerveilleavecvosyeux.Lamodistearrangealenœuddurubanetdonnaduvolumeàl’aigretteblanche.—C’est très à lamode, les rubans, poursuivit-elle. Et les plumes d’autruche vont étirer votre
silhouette…Etpuis,ilfautreleverlebord…commececi…parcequevousêtesunetrèsjoliefemmeetqu’ilfautmontrervotrevisage.
Dans lemiroir, Rose croisa le regard de Jack. Il était en train de penser aux souffrances queJonathanClarring luiavait infligéesen tantquemari, etque lui-même lui infligerait fatalemententantqu’amant…
—Ilvousplaît,cechapeau?lança-t-elle.—Jecroyaisquec’étaientdesaffairesstrictementféminines, répondit-ilensouriant,etque les
hommesn’avaientpasvoixauchapitre…—Mais,enadmettantqu’onvousdemandequandmêmevotreavis?—Alors,jediraisquec’estunfortjolichapeaujolimentposésurunetrèsjolietête.Roserositdeplaisir.—Alors,jeleprends.— Parfait ! s’exclama la modiste, une jolie femme svelte et pleine d’énergie. Maintenant, un
chapeaupourlespromenades,oui?Roseayantconsenti,lamodisteremplaçalechapeauclochehéliotropeparunecapelinedepaille.— Les larges bords vous permettront d’affronter le soleil sans risquer de gâter votre teint
diaphane,ditlamodisteenplongeantlamaindansungrandpanier,d’oùellesortitunrubandesoiebleuclair.Regardezcommecelacontrastebienavecledorédelapaille!
SetournantversJack,ellecontinua,d’untonlégèrementmoinschaleureux:—Monsieur,auriez-vousl’obligeancedemepasserlesfleurs?Jacksetournaverslamodiste.Elleleregardaitavecdesyeuxpleinsdereproche.Ellesavaitqui
ilétait,etlemalqu’ilavaitfait.Elledevaitavoirlulescomptesrendusduprocèsaucoursduquelilavaitdétruitlesviesdesixfemmesetcinqhommes.Maissonanimosité,visiblement,nes’appliquaitpasàRose.
ElledésignalatablederrièreJack.
Diverses fleurs de soie y étaient posées : des pivoines, des iris, des primevères, des rosesblanchesourouges…
Jackchoisitdesbleuets.Sansréfléchir,ilyajoutaunrameaudefleursd’oranger.Lamodistebattitdespaupières.—Trèsbien,monsieur.Choixjudicieux…—Ceseratrèsbeau,fitRoseens’adressantaurefletdeJackdanslemiroirdevantelle.—Pouvez-vouspatienteruninstant,pendantquejeprépareça?demandalamodiste.Ellepritlechapeaudepaille,lesfleursetleruban,etdisparutdansl’arrière-boutique.Parlaporteentrouverte,RoseetJackentendirentdesmurmures.—Ellevousareconnu,dittoutbasRose.—Oui,indubitablement,réponditJack.L’idéenesemblaitpasletroubler.Lamodisteeuttôtfaitdereveniraveclacapelinedepailledésormaisornéed’unjolirubanbleu
etdefaussesfleurs.— Voilà, madame ! s’exclama-t-elle joyeusement. Voulez-vous que je vous montre d’autres
chapeaux?J’aijustementeuunarrivage…—Nonmerci,l’interrompitRose.Cesdeux-làsuffirontpouraujourd’hui.Uncartonàchapeausousunbras,Jackouvritlaporte.Au-dessusdesatête,uneclochettetinta.Au
mêmemoment,lagrosseclochedeBigBensonnalademied’onnesaitquelleheure.—Regardez,maman!s’écriaunevoixacidulée.C’estMmeClarring!Jacktoisalesdeuxfemmesquivenaientverseux.Ellesdétournèrentlesyeux.Rose–portantledeuxièmecartonàchapeau–franchitleseuildelaboutique.Elleavaitentenduprononcersonnom.— Eh, bonjour madame Whitherspoon, bonjour mademoiselle Whitherspoon, dit-elle
courtoisement.Lesdeux femmes–unematroneetune jeune fille–passèrentdevant elle sans lui accorderun
regard.JackpivotaversRose.Elleavaitpâli. Ilauraitvoulu luidireque leschosesallaients’arranger.
Maisilneputs’yrésoudre.Parcequecen’étaitpasvrai.Illapritparlebras.—Oùallons-nousmaintenant,madameClarring?Roserestasilencieuseetimmobiledurantdelonguessecondes.Puiselleseredressarésolument.—Macouturièresetrouvetoutprèsd’ici,aubasdecetterue.Ilspartirentd’unmêmepas.—Vousn’êtespasobligédefaireça,Jack,ditRose.Jackinclinalatêteversellepourmieuxl’entendreaumilieudubrouhahadelarue.—Fairequoi?—Jesaiscequelesgensdisent.Vousn’êtespasobligédemeprotéger.Jacksavaitqu’ilnepourraitpasarrêterlescommérages.—Jenesuispasicipourvousprotéger.Roses’immobilisaetlevalevisageverslui.—Alors,pourquoiêtes-vousici?Les pattes-d’oie aux coins de ses yeux étaient fines et peu profondes – elle n’avait pas dû rire
souventpendantcesdouzedernièresannées.
Ilsarrivaientdevantlaboutiquedelacouturière.Jackpoussalaporte.Unerumeur–faitedevoixdefemmes,defroufroutementsd’étoffeetdefroissementsdepapier–sedéversadanslarue.
—Jesuisicipourleplaisird’êtreavecvous,déclara-t-il.Roseréponditparunsourire–unpâlesourire.PourJack,c’étaitmieuxquerien.Ilsavaitqu’ilne
pourrait jamais la rendre aussi heureusequ’elle l’avait été audébut de sonmariage avec JonathanClarring.Mais,pourautant,iln’étaitpasprêtàlacondamneràuneviedesolitude.
Roseentradanslaboutique.Aussitôt,commeparenchantement,lesconversationscessèrentetlesilencesefit.— Madame Clarring ! s’exclama une voix féminine qui manquait singulièrement de chaleur.
Quellebonnesurprise!Lamodisten’avaitpasjugéRose.Lacouturière,oui.— Bonjour, madame Cambray, répliqua Rose tout uniment. Pardonnez-moi de venir sans
prévenir.Est-cequeMmeThrockenberryestlibre?—Oui,biensûr,réponditMmeCambray.C’était une femme d’une cinquantaine d’années, grande, élégamment vêtue, blonde aux yeux
bleus, dont les cheveux commençaient à grisonner. Elle avait reconnu Jack. Elle posa sur lui unregardglacialetdésapprobateur.
—Parici,dit-elleenleurfaisantsignedelasuivre.Jackcompritcequecelavoulaitdire:«Àl’écartdemaclientèlerespectable.»Ellelesconduisitjusqu’àunepiècesansfenêtre,plutôtpetite,encombréedemeubles–unsofade
velours violet, un fauteuil à rayures roses et blanches, une table ronde surmontée de dentelles, defaussesfleursetderubans,uneautretable,rectangulaire–etdontlesmursétaientgarnisd’étagèrescouvertesd’échantillonsdetissu.
Roses’assitsurlesofa.Jackselaissachoirtoutprèsd’elle,cuissecontrecuisse,hanchecontrehanche,épaulecontreépaule.
—Monsieur,énonçaMmeCambray,peut-êtresouhaitez-vousboirequelquechose?—Volontiers,répliqua-t-ild’unevoixneutre.Uncognac.MmeCambraysetournaversRoseenfaisantlamoue.Ellerépugnaitàs’adresseràunefemme
quetoutlemondeaccusaitd’adultère.—Etpourvous,madameClarring?Jack posa son carton à chapeau par terre. Rose posa le sien sur la table rectangulaire qui se
trouvaitjusteenfaced’elle,ôtalentementsesgantsetréponditenfin.—Lamêmechose,s’ilvousplaît.—C’estnoté,fitMmeCambray.JevousenvoieMmeThrockenberry.MmeCambrayplaçadevantRoseunénormecatalogue,puiss’enalla.JacksetournaversRose.—Vousaimezlecognac?—Çadonneuncoupdefouet.Danslaboutique,del’autrecôtédelaporterefermée,lesconversationsavaientrepris.Ilyavait
grosàparierquelesragotsallaientbontrain.Rose prit l’énorme catalogue laissé par Mme Cambray et commença à le feuilleter. Sur des
gravuresennoiretblanc,desfemmesauxlèvrespulpeusesetauxpoitrinesdéveloppéesprésentaientdesrobesàladernièremode.
— Je me comporte mal, dit Rose en relevant brusquement les yeux. Je n’aurais jamais dûcommanderuncognac.
—Alors,pourquoil’avez-vousfait?— Je suis un peu déroutée, je l’avoue.C’est la première fois que je fais du shopping avec un
monsieur.—Ehbien,moi,reconnutJack,c’estlapremièrefoisquejefaisdushoppingavecunedame.Quelqu’un frappa à la porte et entra sans attendre de réponse.C’était une jeune fille brune.Le
temps que la porte demeura entrouverte, ils entendirent distinctement des «Quelle impudence ! »,«Commentose-t-elle?»et«CepauvreM.Clarring,iln’apasméritéça!».
Jackserralesdents.VoilàlegenredecomméragesqueRosedevaitseprépareràendurertoutesavie.
Les joues tellement rouges qu’elle faisait peine à voir, la jeune fille leur présenta un plateaud’argentavecdeuxverresdanslesquelsbrillaitunliquideambré.
Roseenpritun,Jackpritl’autre,etlajeunefilles’enalla.Rosetenaitsonverreballonparlepied,commesic’étaitunverreàvin.Jackluimontracommentfaire.—Commeça,entrevospaumes.Réchauffez-lejusqu’àcequ’ilsoitàlamêmetempératureque
votrecorps.Lespaupièresàdemibaissées,Roseobéit.—Àvousentendre,ladégustationducognacestquelquechosedetrèssensuel.Il eut l’impression qu’elle s’assombrissait. Pensait-elle à ses innombrables nuits de solitude,
mariéeàunhommequicherchaitl’oublidanslaboisson?—Çapeutl’être,confirma-t-ilavecunentrainforcé.Maintenant,levezleverre,approchez-lede
votrenez,commeça…ethumez.Roseobtempéra.—Lepremierparfumqu’onsents’appellelemontant,expliqua-t-il.Maintenant,faitescommeça,
toutdoucement…Ilfittournoyerlecognacdanssonverre.Denouveau,ellel’imita.—Cequ’onhume ensuite, continua Jack, cela s’appelle le bouquet.Chaquegrand cognac a le
sien.On y retrouve des odeurs de fleurs ou de fruits : tilleul, fleur de vigne, sarment sec, raisin,violette,vanille…
Rosehuma…ettoussota.—Çapique,dit-elle.C’esttoutcequejesens.—Moiaussi,admitJackenreposantsonverresansyavoirtrempéleslèvres.C’estparcequece
n’estpasunboncognac.Rosefitdemême.Brusquement,unsourireilluminasonvisage.Avantdes’éteindre.—Cequiestfaitestfait,soupiraJack.Jenepeuxrienychanger.Jevousdemandepardon.Roseleregardad’unairinterloqué.—Quevoulez-vousdire?
25
—J’aifaitdevousunefemmeadultère,Rose,expliqua-t-ild’unevoixsourde.Ceseracommeçachaque jour…Chaque jour, on vous jugera ; chaque jour, il y aura desmédisances et des proposdésobligeantssurvotrepassage…
Ilsesouvintdumomentoùelleavaitpleurédansl’ascenseurtandisquelescâblesetlespouliesgémissaientsouslacharge.Ill’avaitembrassée;ilavaitpourainsidirebuseslarmessursesjoues.
—Mais,chaquejouraussi,jeserailàpourvousconsoler…Roseprituneprofondeinspiration.—Aussilongtempsquevousaurezbesoindeconsolation,précisaJack.Leclic!delaserrurelesavertitd’uneprochaineintrusion.—Bonjour,madameClarring!Rosesetournaverslanouvellevenueetluiadressaunsouriresincère.—Bonjour,madameThrockenberry.C’étaitunerousse,grande,maigreetmalbâtie,entredeuxâges.—Jesuisdésoléedevousavoirfaitattendre,dit-elle.Jevousdébarrassedevosmanteaux?—Non,vousêtesgentillemaiscen’estpaslapeine,assuraRose.MmeThrockenberrys’assitsurlefauteuilrayé.ApercevantlecartonàchapeauqueRoseavaitposésurlatable,ellesepenchaetsoulevaunpeu
lecouvercle.—Vouspermettez?—Maiscertainement,réponditRose.—Commeilest joli!s’exclamaMmeThrockenberryendécouvrant lebibihéliotrope.Jevois
déjàlarobequiiraavec…Elletournaquelquespagesdugroscatalogueets’arrêtasurunerobeetuneétoleassortie.—Larobeestfaitedansunsatindesoied’unefinesseextraordinaire,expliqualacouturière.Le
satindesoie,çanepardonneaucundéfaut…maisvousn’enavezaucunàvousfairepardonner.Etregardezlacouleur!Cevioletoutremerferamerveilleavecvotreteintetvotrechevelure.
Brusquement, elle devint de lamême couleur que la robe dont elle était en train de vanter lesmérites.
— Euh… il faut que je vous dise une chose, madame Clarring, bredouilla-t-elle. Vous aveztoujoursététrèsgentilleavecmoiet,euh…jeregretteprofondémentl’accueilqu’onvousaréservéaujourd’hui.
Jackladévisagea,pourvoirsielleétaitsincère.Àpremièrevue,ellel’était.—Merci,madameThrockenberry,ditRose.
Elleesquissaunsourireindulgent,puis:— Vous avez raison, reprit-elle, cette robe est vraiment magnifique. Je pourrai l’avoir dans
combiendetemps,d’aprèsvous?Lacouturièren’étaitpasjolie,maissonsourirelatransfigura.—Dansunesemaine…Laissanterrersonregard,elleaperçutlecartonposéauxpiedsdeJack.—C’estunautrechapeau?Puis-jelevoir,monsieur?JackréponditcommeRose.—Maiscertainement…Avecdesgestesdélicats,MmeThrockenberrysortitlacapelinedepaille.—MonDieu,quec’est joli ! s’exclama-t-elle. Ilvous iraà ravir !Sivousvoulezbien tourner
cettepage…Roseexaminalesgravuresdemode.JackexaminaitRose.—Cetterobed’après-midi,murmura-t-elle,avecsespetitsvolants,c’esttoutàfaitravissant…et
leslongspansdelaceinture…Elles’animaitcommeiln’avaitjamaisvuunefemmes’animer.Ilserenditcomptequec’étaitexactementl’imagedelaféminitéqueleParlementdéfendait.Une
femmesatisfaited’unbonheursimple.Unfoyer.Desenfants.Desjoliesrobes.Desfanfreluches.Commesi,souslasoieetlesdentelles,iln’yavaitpasunêtreenmald’amour!—Jevaismemettreautravailimmédiatement,déclaraMmeThrockenberry.— J’ai une nouvelle adresse, annonçaRose en sortant de son sac unbristol.Notez-la.C’est là
désormaisqu’ilfaudram’envoyerlesfactures.—Biensûr.Sur ce, Mme Throckenberry disparut, dans l’agitation de ses lourdes boucles rousses et les
froissementsdesarobe.Ellerevintbientôt.Autantelleavaitétéroseetsouriante,autantelleétaitpâleetdéfaite.
—Excusez-moi,madameClarring,dit-elled’unevoixblanche,ilyaunpetitproblème…—Lequel?—Ehbien,MmeCambrayrefused’envoyervotrefactureàcettenouvelleadresse.Roseécarquillalesyeux.—Elle a dit, expliquaMmeThrockenberry, qu’elle ne voyait pas d’inconvénient à envoyer la
facturechezvotremari.Oualors,sivouspréférez,vousn’avezqu’àpayermaintenant.Rosehésitaentrelacolèreetlechagrin.Sielledevaitendurercelatoutesavie,autantapprendreà
réagir.Etleplustôtseraitlemieux.— Ayez la gentillesse, madame Throckenberry, d’aller dire à Mme Cambray, le plus
courtoisementquevouspourrez,quejeveuxlavoir.—Bien,madame.Lacouturières’enallasur-le-champ.Laporterestaentrouverte.RosesetournaversJack.—Vousn’avezjamaisproposéàMmeWhitcoxdedivorcer,n’est-cepas?—Non.—Ehbien,maintenant,jecomprendspourquoi.Lasociétél’auraittraitéeenparia.—Vousaviezpeurqu’ellenevousaimepasassezpouraccepter?—C’estunemoitiédelaréponse,concédaJack.
—L’autremoitié,enchaînaRose,c’estque,enadmettantqu’elleaccepte,vousaviezpeurquesonamournesurvivepasauscandale.
—Oui,reconnutJack.Lapatronnearrivadansunnuagedeparfumetungrandtournoiementd’étoffe.—Ilyaunproblème,madameClarring?—Toutaucontraire,madameCambray,réponditsuavementRose.Jevoulaisjustevousexprimer
mesfélicitations.—Ah?fitlapatronne,interloquée.Ehbien,merci.—Votrecommercedoitêtreprospère?continuaRose.—Eneffet,lesaffairesvontplutôtbien,repartitMmeCambrayavecunepointedefiertédansla
voix.—Lesaffairesvont-ellessuffisammentbienpourquevouspuissiezperdred’unseulcoupsept
clientessansmêmevousenapercevoir?MmeCambrayparuttoutàcoupmoinsfaraude.—Vousvousdoutezcertainement,poursuivitRose,quesivousrefusezmaclientèle,vousrefusez
dumêmecoupcelledemamèreetcelledemescinqbelles-sœurs?—Jesuisdésolée,madameClarring,réponditMmeCambrayd’untonsec,si jevousaidonné
l’impressionquejen’appréciaispasàsajustevaleurlaconfiancequevousmefaitesenvenantvoushabillerchezmoi.
LevisagedeRosen’exprimaitaucune rancœur ; juste la tranquilledéterminationd’une femmequirefused’êtrejugée.
—Dans ce cas, vous ne verrez pas d’inconvénient à envoyer ma facture à l’adresse que j’aifournieàMmeThrockenberry.
—Bienentendu.Parlaporteentrouverte,onentendaitmurmurer–sansdoutedevilainsragots.—JevaistoutdesuiteledireàMmeThrockenberry,repritlapatronne.Elleauramalinterprété
mespropos.—Merci, madame Cambray, fit Rose. C’est d’ailleurs ce que je pensais : un malentendu, un
simplemalentendu,riendeplus.VousdirezàMmeThrockenberryd’ajouteràmacommandetouslesaccessoiresdontellepenseraqu’ilspeuventtrouverleurplacedansmagarde-robe.J’aientièrementconfiance en son jugement.Vous avez de la chance de l’avoir. Si d’aventure ce n’était plus le cas,ajouta-t-ellepourprévenir d’éventuelles représailles contre la couturière, je pensequenous irionsailleurs…
—N’ayezcrainte,madameClarring, jeconnais lesqualitésdeMmeThrockenberry.Demêmeque je considère comme un honneur de vous avoir comme clientes, vous et les dames de votrefamille.Surce,jevoussouhaitelebonjour.
Roseavaitparié.Etelleavaitgagné.Pourcettefois.—Qu’auriez-vousfaitsiellevousavaitdit«Bonvent»?demandaJackenselevant.Rosepritlamainqu’illuitendaitetselevaàsontour.—Ehbien,j’auraisregrettélaperted’unexcellentfournisseur.—Etcroyez-vousqu’elleauraitperdusixautresclientesdumêmecoup?LeregarddeRoses’assombrit.—Nousn’ensauronsjamaisrien,n’est-cepas?répondit-elle.EnprenantJackparlebras,elleajouta:
—Onyva?Dehors,lesoleilsemblaitvouloircélébrerlapremièrevictoiredeRose.Ilsfirentsigneaupremierfiacrequivintàpasser.—ChezPantechnicor,MotcombeStreet,ordonnaRoseaucocher.Lefiacres’ébranla.—Pantechnicor,qu’est-cequec’estqueça?s’étonnaJack.—J’aiunegrandemaisonetelleestvide,répliquaRose.Ilmefautdesmeubles.Blottisl’uncontrel’autre,ilsrestèrentuninstantsilencieux,bercésparleroulisdufiacre.Soudain,Roseselaissaglissersurleplancher,seretrouvaàgenouxentrelesjambesdeJacket
murmura:—Vousvousêtestrompé,toutàl’heure.Vousn’avezpasfaitdemoiunefemmeadultère…—Vousm’endireztant!fitJackenlevantlessourcils.—Ehoui,monbonmonsieur,confirmaRose.Vousavezfaitdemoiuneamante.Elleluiécartasaredingoteetdébouclasaceinture.—Êtes-voussûredecequevousfaites?—Sûreetcertaine,réponditcalmementRose.Ellecommençaàluidéboutonnersabraguette.— Faites attention, dit-il sur le ton de la plaisanterie. Vous risqueriez de coincer des choses
précieusesdanslesboutonnières.Ellevintàboutdelabraguetteenuntournemain,commesielleenavaitl’habitude.Maisn’avait-
ellepaseudespetitsfrères?Àtraverslasoieducaleçon,ellesentitsonmembre,quiétaitdéjàgrosetdur.Lorsqu’ellel’eut
sortidesonrefuge,ellelecaressa.—Qu’ilestbeau,murmura-t-elle.Dommagequ’iln’yaitpasdavantagedelumière.Elleenengloutitsansdélailamoitiédanslabouche.Puisellepritletempsdesefamiliariseraveclessensationsétrangesquecelaprovoqua.Desoncôté,àparttrouverl’hommageflatteur,Jackneressentitpasgrand-chose.Avecseslèvres
posées sur lagainedepeau, àmi-hauteurducylindre, ellene luiprocurait aucunplaisir–elle luifaisaitmêmeunpeumalenluicomprimantleglandentresesdentsetsonpalais.
Ellen’étaitpasexperte.Maiselleymettaitdelabonnevolonté.—Attendez,dit-il.—Quoi?Vousn’aimezpasqu’onvousfasseça?—Si,mais…—Jenem’yprendspasbien?—Si.Maisçapourraitêtremieux.—Ah?—Manifestement,vousn’avezpasbeaucoupd’expérience.Ellebaissalatête,vaguementhonteuse.—Jen’aimêmepasd’expériencedutout,admit-elle.Jackfuttouchéparcetaveu.—Alors,cen’estpasseulementunefaveurquevousmefaites,c’estunhonneur…Rose passa en une seconde de la honte à la fierté. Elle releva la tête et lui montra un visage
rayonnant.—Dites-moicommentvoussatisfaire,jenedemandequeça.
Quoiqu’elleenpense,ellenerisquaitpasdeledécevoir.RoseClarringn’avaitbesoind’êtreuneexpertepourfairelebonheurd’unhomme.
—Vousêtestrop…commentdire?gourmande,ditJack.Necherchezpasàlemettretoutentierdansvotrebouche.Çanesertàrienquevoslèvresavancentplusloinquelà,ajouta-t-ilenmontrantlacouronnedugland.Pourlereste,allez-y,mordillez,suçoteztantquevousvoudrez.Etmanipulezlatigeenmêmetemps.Masturbez-moicommevousm’avezvufaire.Vousvoussouvenezque j’aieusoindemêlerunpeudevissageausecouage?Faitespareil,çan’enseraquemeilleur.
Elleobéit, allant etvenant le longde lahampeavecdegracieuxmouvementsde lamainetdupoignet,frôlantlacouronneduglandavecseslèvres,massantleresteaveclalangue.
Jackluiôtasonchapeau,quil’empêchaitdelaregarderfaire.Dieu, que c’était beau, que c’était bon, cettepetite bouche raffinée tétant son énormegland ! Il
n’avait pas encoreperdu son sang-froid et savourait en fingourmet, en faisant attentiondenepashaletertropfortpournepasêtreentenduparlecocher.
—Gravonnez-moi,dit-ilaprèsquelquesminutesdecetraitement.Elle s’interrompit et le regarda.Comme elle était émouvante avec ses grands yeux étonnés, sa
boucheentrouverteetseslèvresgonfléesquiluisaientdesalive!—Qu’est-cequeçaveutdire?—Servez-vousdevotremainlibrepourmecaresserlesbourses,voilàcequeçaveutdire.Ilbaissasonpantalonàmi-cuissespourluifaciliterlatâche.Ellefitcommeildisait.Ilrenversala
têteenarrière.Sespaupièrescloses,lacrispationdesestraits,sarespirationlaborieusetrahissaientsonplaisir.
Detempsentemps,àcaused’unsoubresautdufiacresurlepavageinégal,ilsentaitlesdentsdeRose contre son gland. Mais, au milieu de tels délices, qu’était-ce qu’une fraction de seconded’inconfort?
Rosejouissaitdelesentiràsamerci.Elleressentitunfourmillementsurseslèvres,quicheminapardes canauxmystérieux jusqu’à ses seins, et de ses seins à son entrejambe,qui se retrouva toutmouillé.Elleauraitvoulusecaressermaisellen’avaitplusdemain libre–alors,ellese frotta lescuisses l’unecontre l’autre.Elledutsortir leglanddesabouche, le tempsdepousserunsoupirdevolupté.Etpuis,vite,elleseremità lesuçoter,à lemasseravecsa langue.Ses lèvresglissaientenl’effleuranttoutjuste.Àforcedebalancerlatête,elleétaittoutétourdie.Soudain,leglanddurcitetlavergevibra. Jack lâchaquelques giclées d’une laitance âcre queRosebut sans rien laisser perdre,commesic’étaitleplusprécieuxdesnectars.
C’estlemomentquechoisitlecocherpours’écrier:—Onestarrivés,m’sieurdame!Sontongouailleur,malgréleseffortsdeJackpournepasfairedebruit,prouvaitqu’ilsedoutait
dequelquechose.
26
Jonathan Clarring était seul dans son bureau. Le soleil allait bientôt disparaître derrièrel’immeuble d’en face et la pénombre s’installer lentement autour de lui. Mais, pour l’heure, lesrayonsquientraientdebiaisparlesfenêtreséclaboussaientlestapisetfaisaienttoutbriller.
Roseétaitpartie,etladouleurlerongeait.Àpeineentendait-ill’incessantvacarmedelarue:marchandsambulantsquicriaient,rouesdes
voituresquicouinaient,sabotsferrésclaquantsurlespavés…Lasecrétaireentrouvritlaporteetpassaleboutdesonnezàl’intérieur.—MonsieurClarring?—MadameJacobson?Vousn’êtespasencorepartie?—Jesuisrestéepourfinirdetaperleslettresquevousm’avezdictéescematin.Voulez-vousles
signermaintenant,ouest-cequeçapeutattendrejusqu’àlundi?Lesyeuxdelajeunefemmeexprimaientunetellevitalité,unetellejoiedevivre,quelecœurde
Jonathanseserra.—Entrez donc,madame Jacobson, dit-il d’une voix faible en détournant les yeux. Je vais les
signermaintenant.Lasecrétaireouvritlaporteengrandets’avança.Chaque fois qu’elle passait devant l’une des fenêtres, la lumière se reflétait sur ses cheveux
auburncommesuruncasquedecuivre.Elleavaitl’airembarrasséeparsongrosventre.Jonathanlatrouvabelle.
D’unedémarchechaloupée,ellecontournalebureauets’arrêtajusteàcôtédelui.Jonathanpritleparapheuretl’ouvrit.Ilaimaitlanettetéducourriertapéàlamachine.—Pourquoinevousasseyez-vouspas,madameJacobson?—Merci,monsieurClarring,maisjesuistrèsbiencommeça,jevousassure.Jonathanessayad’imaginerRoseavecungrosventre.Sonvisageresplendirait-ilcommeceluide
lasecrétaire?Lebonheurd’êtreenceinteferait-ilbrillersesyeux?Ilattrapauneplume.— Mon mari et moi, nous vous sommes très reconnaissants, monsieur Clarring, dit avec
enthousiasmelajeunesecrétaire.Jenesaispascequenousserionsdevenussivousm’aviezmiseencongé.
Une femme était censée ne plus semontrer, une fois enceinte. Comme si le fait d’attendre unenfantavaitquelquechosed’indécent.
— Au contraire, c’est moi qui vous remercie d’être restée à votre poste, madame Jacobson,répliqua Jonathan. Où aurais-je trouvé quelqu’un pour vous remplacer ? Personne ne tape à la
machineaussibienquevous.—Merci,monsieurClarring.Celamefaitplaisird’entendreça.Jonathantrempasaplumedansl’encrieretsignalapremièrelettre.— Avez-vous pris le monsieur qui venait de la part de M. Stromwell ? demanda soudain la
secrétaire.Enseconcentrant,Jonathansignalasecondelettre.—Non.—Tantmieux.Ilm’amisemalàl’aise,cethomme-là.Àcausedesesyeux.D’undrôledevert.
Commel’eaudelamer,certainsjours…Jonathann’avaitpasremarquélacouleurdesyeuxdeJackLodoun.Unhommequ’ilsoupçonnaitd’êtrel’amantdesafemme–malgrésesdénégations.Àl’aveuglette,ilsignalatroisièmelettre.—Unedameestvenuejusteaprèssondépart.Ellem’aparutrèsjolie.Oui,unebelleblonde.Pas
unegéante…maistrèsgracieuse.Elleaditqu’elleétaitunecliente,maisjenel’avaisencorejamaisvue.
Jonathan se souvint d’un temps où Rose était aussi innocente et pleine de vie que sa jeunesecrétaire.Lapremière fois qu’il l’avait vue, dans sa robe envoile blanc avecdes volants de finedentelle retenus par des guirlandes de rubans, il avait pensé que c’était la plus jolie femme de laCréation.
Illepensaittoujours.—Comments’appelait-elle?demanda-t-ilpourlaforme,latêtepenchéesursatâche.—Elle n’a pas dit son nom, répondit la secrétaire en ramassant les lettres signées, son geste
propageant son parfum.À sa façon, elle était presque aussi inquiétante que lemonsieur aux yeuxverts.Jeluiaiditquevousn’étiezpaslibreetelleestentréedansvotrebureau,commeça,d’autorité.Vousdeviezdéjàêtredescendudanslasalledesmarchés.Jel’aientenduevousappeler.Vousl’avezpeut-êtreentendueaussi?
—Non,mentitJonathan.Danssatête,résonnaientencoresesimplorations.Jonathan…jet’enprie…—Elleaussi,elleavaitdesyeuxétranges,continualasecrétaire,quinepouvaitpassavoirqu’elle
parlaitdel’épousedesonpatron.D’unbleupasbanal.Commedespervenchesfraîchementcoupées…Celavousdit-ilquelquechose?
—Non.—Faudra-t-ilquej’appellel’agentdesécurité,siellerevient?Jonathann’étaitcertainderien–saufd’unechose.—Ellenereviendrapas,dit-il.Mêmesicen’étaitpasinterditd’espérer.MmeJacobsonportalamainàsonventreengrimaçant.—C’estlebébé?demandaJonathan.—Oui,ilesttrèsremuantaujourd’hui,expliqua-t-elleenfrottantsonventre.Monmariditquece
ne sera sans doute pas la peine d’appeler la sage-femme, qu’un de ces jours il va nous faire lasurprisedesortirtoutseul…
—Çafaitmal?—Quandildonnedescoupscommeça,oui,réponditMmeJacobsonenriant.Vousdevriezsentir
ça…
Soudain,ellesetut.Jonathanlevalesyeux.Surlevisagedelajeunefemme,lerosedelabonnesantéavaitcédélaplaceaurougedelahonte.
—Jesuisdésolée,dit-ellemachinalement.—Iln’yavraimentpasdequoi,assuraJonathan.Cequivousarriveesttoutàfaitnaturel…ElleregardalonguementJonathan,quiétaitsilencieuxetpensif.—Vousn’avezpasd’enfant,n’est-cepas,monsieur?—Non, répondit Jonathanense raidissantcontre ladouleur.Mafemmeetmoin’avonspaseu
cettechance.—Vousauriezenviedesentirlebébé?demanda-t-elletimidement.Jonathanfuttentédedireoui.—Jenevoudraispasabuser.—Aucontraire,monsieurClarring,jevousenprie.Vousaveztoujoursétésibonavecmoi.Elles’enharditjusqu’àluiprendrelamainetlaposersurlesrondeursdesonventre.—Lesbébéssontunetellejoie,murmura-t-elle.Enfin,c’estmonavis…Sous le lainage de la robe, Jonathan perçut la chaleur de la peau. Et, sous la peau, un
frémissement…uneagitation…uncoupdepied.Ilauraitôtésamainsilajeunefemmenel’avaitretenuefermement.—Voilà,fitEdnaJacobson,émerveillée.Jonathansesentitsurlepointdepleurer.Àcausedelui,Rosen’avaitjamaiséprouvélemiracle
delavieenelle.Ilavaittoujourssuqu’elleprendraitunjourunamant–unamantquiluiferaitpeut-êtreconnaîtrelesjoiesdelamaternité.
Enuncertainsens,illeluisouhaitait.— C’est un chenapan, hein ? dit fièrement la future maman. Vous l’avez senti, n’est-ce pas,
monsieurClarring?Un nouveau coup fut frappé contre la paume de Jonathan – cette fois, impossible de ne pas
reconnaîtrelaformed’unpetitpied.—Oui, répondit-il, sans plus pouvoir retenir quelques larmes. Je l’ai très bien senti,madame
Jacobson.—Ilremuetellementqueçam’arrivedenepasfermerl’œildelanuit.Elleluitenaittoujourslamain.—J’ensensunautrequis’annonce…ajouta-t-elle.Levoilà!Vousl’avezsenti?UnedoucechaleurenvahitJonathan,unepaixdel’âmecommeiln’enavaitjamaisconnu.Encoreunfrémissement.Etpuis,unautrecoup.Jonathanappuyasamaincontreleventrerond.Soussapaume,ilyavaitl’avenir.
27
Rosesomnolait.Ellesesentitobservée.S’arrachantàsonrêve,ellerouvritlesyeux.Jackétaitdeboutprèsdulit.Nu.Unemècheluibarraitlefront.Unebarbenaissante jetait uneombre sur ses joues.Unduvet ornait sa poitrine.Unbuissonde
bouclettesservaitdenidàsonsexe.—Ilpleut,dit-il.Alorsseulement,Roseserenditcomptedubruitdelapluie.ElleavaitdormidanslesbrasdeJack.L’aubeselevaitsurundimanchemaussade.Ellerepoussalescouvertures.—Ehbien,revenezvouscoucher.LematelasployasouslepoidsdeJack.Roseroulaetseretrouvadenouveaudanssesbras.Elle
luicaressaleventre,puisdeplusenplusbas,ensuivantletrajetindiquéparlespoils.LesexedeJack–douxettiède–tressaillitensignedebienvenue.—Jecroisqu’ilm’aimebien,murmuraRosed’unevoixalanguie.Illapritparlanuqueetl’embrassasurlatempe.—Jecroisquec’estréciproque.Douzeansplustôt,ellen’avaitpascompriscommentlesoreillonspouvaientrendreunhomme
stérile. Maintenant, elle connaissait mieux les mécanismes de la reproduction, mais elle necomprenaittoujourspascommentlastérilitépouvaitdétruireunmariage.
Elleluisaisittoutdoucementlesbourses.Souslapeau,lesdeuxboulesdonnèrentl’impressiondesedérober.
—Ellesn’ontpasfroid?—Pasquandvouslestenez.Lapluiefrappaitlesvitres.LecœurdeJacktambourinait.—Avez-vousfaim?s’enquit-il.—Oui.Etvous?Lematelaspenchadansl’autresens.Jackselevait.—Moi?J’aiunefaimdeloup,madameClarring.Roseleregardad’unairsurpris.—Nemeditespasquevousallezpréparerlepetitdéjeuner?Ilrabattitlescouverturessurelle,carilfaisaitfrisquetdanslachambre.—Vousnemecroyezpascapabledevousnourrir?Ellerepoussalescouverturesetselevaàsontour.
— Je vous crois tout à fait capable de me rassasier, répondit-elle en cherchant des yeux sesvêtements.
—Paslapeinedevoushabiller,dit-ilenlaprenantparlamain.Sesentantcommeunegaminequifaitl’écolebuissonnière–unegaminetrèspeuhabillée!–elle
selaissaentraînerdanslecouloir.— La cuisine est au rez-de-chaussée. Je m’en remets à vous pour ne pas vous perdre. Moi,
pendantcetemps-là,jevaisfaireunbrindetoilette.Aussitôt dans la salle de bains, elle prit une serviette propre et essuya ses cuisses et son
entrejambe.Puisellesefrictionnasurtoutlecorps–commeunepoulichequ’onétrille,pensa-t-elle.Celafait,ellecourutrejoindreJack.De la lumièredébordait dans le couloir, signeque Jack avait bel et bien trouvé son chemin. Il
avaitalluméleslampes.Lorsqu’ellearrivadevantlaportegrandeouverte,ilétaitpenchésurlaglacière.Unebouilloirecommençaitàchantersurunbrûleur.Roseeutleslarmesauxyeux.Jamais – pendant les douze ans qu’elle avait dormi seule, alors qu’elle se demandait à quoi
pourraitbienressemblerlavieavecunhomme–jamaisellen’avaitimaginécegenred’intimité.Cédantàuneimpulsion,elles’avançasurlecarrelageglacéetluicaressaunefesse.Soussapeau
douceettiède,lemuscleétaitferme.Jackse redressa,unpanierd’œufsdansunemain,unpichetde laitdans l’autre. Il laconsidéra
d’unœilapprobateur.Surleseingauche,ellearboraitunsuçon.—Attrapezlebeurreetlefromage,jevaisnousfaireuneomelette.Ellen’avaitpaspleuréaucombledumalheur;ellen’allaitpaspleurerdebonheurmaintenant!Aprèsavoirprislefromageetunemottedebeurre,ellerefermalaglacière.—Oùavez-vousapprisàcuisiner?—Lorsquejemesuisinstallé,ilyavaitdavantaged’avocatsquederamoneursdansLondres.Au
début,lesaffairesn’allaientpasfort.J’aieulechoixentreapprendreàcuisinersurunréchaudàgazoumourirdefaim.
Lesyeuxpleinsdelarmes,Rosesemitàrâperlefromage.—Votrepèrenevousapasaidé?Jackcassalesœufsdansunbol,versaunpeudelaitpar-dessusetsemitàbattreletoutavecune
fourchette.Delamaingauche.—J’ai troisfrèresetcinqsœurs,expliqua-t-il.Monpèreavaitdéjàpayémesétudes.Mêmes’il
avaitététentédem’entretenirindéfiniment,iln’enauraitpaseulesmoyens.Rosetoussota.Laforteodeurducheddarluipiquaitlenez.—Vousnevousentendezpasbienavecvotrepère?—C’estplutôtmonpèrequines’entendpasbienavecmoi.Lafourchetteclaquaitcontrelesbordsdubol.—Monpèreestpersuadéquelesgaucherssontdestarés,repritJack.Demoncôté,j’aitendanceà
penserqu’unhommequines’accoupleavecsafemmequepourluifaireunenfantnevapasbiennonplus.
Roserinçalecouteauquiluiavaitserviàrâperlecheddar.L’eaudurobinetmêlasonbruitàceluidelapluie.
—Cependant,dit-elle,voussiégezauParlementparmideshommesquipartagentlesconvictionsdevotrepère.
Jackversalesœufsdanslapoêleaufonddelaquellelebeurrecommençaitàgrésiller.—Jen’aijamaisditquemonpèresetrompaitsurmoncompte,répondit-ilsuruntonpince-sans-
rire.Rosefermalerobinetets’approchaavecleboldefromagerâpé.Undesesseinsvintfrôler lebrasdeJack.Il laregardaetsourit– leregardet lesourireaussi
tendresl’unquel’autre.—Voussaviezquel’undevostesticulesdescendunpeuplusquel’autre?questionnaRose.UnelueurmalicieusepassadanslesyeuxdeJack.—Monpèrediraitsansdoutequec’estunepreuvesupplémentairedemesinsuffisances.—Sansdoute,acquiesça-t-elled’unairempreintdesolennité.Ilsepencha,l’embrassa,luipritleboletsaupoudralefromagesurl’omeletteentraindecuire.Roseouvritunplacardetensortitdeuxassiettes,deuxtassesetdeuxsoucoupes.—Lacuisinièreaachetédequoimettrelatable,expliqua-t-elle.Suruntonfacétieux,elleajouta:—Onmangeaulit,quitteàsalirlesdraps?Ilarrivaderrièreelle,luipétritunefesseetl’embrassadanslecou.—Nousavonsdéjàsalilesdraps.Roseposalavaissellesurladesserteetseretourna.Elleseretrouvaconfrontéeaulargepoitrail
deJacketaufriselisdepoilsquilecouvrait.—Jenesavaispasqueçapouvaitêtrecommeçaentreunhommeetunefemme,Jack.Ill’embrassasurlefront,surlesjoues,surlabouche.Seslèvresétaientbrûlantes.—Moinonplus,Rose.Lesifflementdelabouilloirevints’ajouteraugrésillementdubeurreetautambourinagedela
pluie.RosepritJackparleshanchesetsavouratouslesbaisersqu’ilvoulutbienluidonner.Unpaquetd’eau,projetéparlevent,vintclaquercontrel’unedesfenêtresdelacuisine.Cela ressemblait à unemise en garde, ce bruit intempestif.Un jour, il faudrait payer pour ces
momentsdebonheur.Unjour,peut-être,pensaRose.Maispasaujourd’hui.
28
Finalement,ilsdéjeunèrentdanslachambre.Jackemportal’omelette;Roseemportalethé.Sansbruit–commesiellecraignaitde rompre lecharme–elleposa la théièresur la tablede
chevet.PuiselletintleplattandisqueJackbrassaitlesoreillersetlesinstallaitdeboutcontrelatêtedelitenferforgé.
Ilss’assirentcôteàcôteetsavourèrentlethédélicatementcitronné,l’omelettecuiteàpoint…etleurbonheur.
Detempsàautre,lesgrondementsdutonnerrevenaientsemêlerauxcrépitementsdelapluie.Ayant déjeuné, Rose se sentit d’humeur câline. Exactement comme dans le fiacre, elle prit
l’initiativeenselaissantdescendrelelongducorpsdeJack.Unefoislà,elleappliquatoutessesleçonsenfaisantsavammentdurerleplaisir.Ilselaissafaire
–voluptueusement.—Hier,danslefiacre,vouspouvezvousvanterdem’avoirsurpris,dit-il.—Excusez-moisij’aiétéunpeumaladroite,monsieurLodoun,murmuraRoseenbadinant.—Vousêtestoutexcusée,madameClarring,répondit-ilsurlemêmeton.—Vousêtestropbon.—Commentsaviez-vousqueçapouvaitsefaire?— Sur des photos, j’ai vu des femmes qui suçaient le sexe d’un homme et qui semblaient y
prendreplaisir.Et,toutàcoup,j’aieuenviedevouslefaire.— Des photos ? Des photos du genre de celle que vous aviez rangée dans les Sonnets de
Shakespeare?rappelafacétieusementJack.—Oui.C’estcommeçaquej’aisucequefaisaientlesgens…deschosesquejen’auraisjamais
imaginées…Roseaffichaunemouedégoûtée,etJackn’endemandapasdavantage.Aulieudecela,ilenfouit
son visage entre ses seins. Ses joues, rêches de barbe, crissaient. Les seins, petits, ronds, fermes,avaientl’airdequémanderdesbaisers.
—L’expérienceestunechosequis’acquiertviteenamour,n’est-cepas?dit-il.Ilsemitàluipétrirlesfesses;lecontrasteentreladouceurdelapeauetlafermetédumuscle
étaitunrégal.Elleravalasonsoufflelorsqu’ilaspiraunmamelondanssaboucheetlesuçota.Ilsecouchasurelle,toutensachantqu’ilétaitpeut-êtretroplourdmaisincapablederésisteràla
tentation,etglissaunemainentre leursventresà la recherchede la toisonduveteuse.Lafenteétaittièdeetmouillée.
Àson tour, elle lui saisit le sexe, enroula sesdoigtsbrûlants autourde lahampe,qui frémit etgonfla.Ilglissaundoigtdanssafenteetsemitàalleretvenir.Ellepritlemêmerythmequelui.Mais,
bientôt,lescaressesneleursuffirentplus.RoseguidalemembredeJackjusqu’àsonsillon.Ilôtasondoigtetellefrottaleglandcontreses
nymphes,quis’écartèrentcommelespétalesd’unefleurauxpremièreslueursdujour.Alors,ilentraenelle,d’unepoussée lenteet régulière.Ellen’étaitdéjàplus si étroitequ’ildoivecraindrede luifairemal.
Lorsqu’il fut planté en elle jusqu’à la garde, il se redressa un peu pour la regarder. Elle avaitfermélesyeux.Unsourireangéliqueflottaitsurseslèvres.Pourcommencer,Jackfitalleretvenirsonmembreàpetitscoups.Puisdeplusenplusvite.Bientôt,Rosen’eutplusconsciencequedesonplaisir.Jackl’avaitprisedeuxfoiscettenuit.Etvoilàqu’ilrecommençait.Ilsemblaitinfatigable.Ellesongeaqu’ilallaitluifairel’amourjusqu’àlafindestemps.Mais,finalement,illapritparlesfesses,lasoulevaunpeuet semitàalleretvenircommeunfoufurieux.Le faitqu’ilperde toutcontrôlel’emplitdejoie.Elleonduladubassin,rendantcouppourcoup.
Ellerouvritlesyeux:levisagedeJackétaitau-dessusdusien.Sespaupièresétaientrabattuessursesyeux.Ilserraitlesmâchoires.
Ellecompritqu’ilallaitjouir,carilsecabra.Laviolencedujetlessurprittouslesdeux.Ilpoussaunesortederâle.Lespermefouettalesentraillesdelajeunefemme,mettantlecombleàsavolupté.
Aprèsunetelleenvolée,illeurfallutdelonguesminutespourrevenirsurterre.QuandJackcherchaàembrasserRose,ilserenditcomptequ’ellepleurait.—Qu’ya-t-il,monamie?murmura-t-il,vaguementinquiet.«Monamie»!Rosesedemandacommentilavaitréussiàinsufflerautantdetendressedansce
simplemot.—Ilya,expliqua-t-elle,quec’estmillefoisplusbeauquetoutcequej’avaisimaginé.—Vousvoussentezaimée?—Ohoui!Lapluiecontinuaitdebattrecontrelafenêtre.Lalumièredéclinaitlentementdanslapièce.—Oui, répétaRose. Je vous le dis du fond du cœur, Jack : jamais je neme suis sentie autant
aimée.
Lejours’étaitlevé.Jackdevaits’enaller,maisilnelepouvaitpas.Rose,alanguiecontresonépaule,unejambeentrelessiennes,leretenait.Lesdrapsétaientmoites
de sueur. Il lui caressa la joue.Elle bougea, lui embrassa la paumede lamain lorsqu’elle passa àportéedeseslèvres.
—C’estdéjàlundi?murmura-t-elle.—Oui.—Vousallezpartir?—J’aimeraispouvoirrester…Maisjesuisdéjàenretard.Ellelerecoiffagrossièrementavecsesdoigts.Lapluiecrépitaitcontrelesvitres.—Vousn’avezpasvotreparapluie,dit-elle.—Non.Jel’ailaisséaubureau.Jem’attendaisàcequ’ilfassebeau.Dehors,lavoixrauqueetcolériquedutonnerreretentit.—Vousallezvousfairesaucer.—Labelleaffaire!Aurez-de-chaussée,uneporteclaqua.Ilsn’étaientplusseuls.
—Viendrez-vousm’attendreàlasortieduParlementcesoir?Rose acquiesça d’un signe de tête. Jack pensa aux journalistes, toujours avides de scandales. Il
pensaaupostequiallaitbientôtselibéreràlaCoursuprême.—Voulez-vousquej’apporteàsouper?demandaRose.—Excellenteidée.—Qu’est-cequivousferaitenvie?—Vous,Rose.Ellerougitsubitementetbaissalespaupières.—J’aitoujourslasaveurdevotrespermesurlalangue.Enentendantcetaveu,Jacképrouvaautantdejoiequedefierté.—Ilfautvraimentquejem’enaille,dit-ilàregret.Rosefitunepetitemoue.—Ne soyezpas trop triste, reprit-il.Nousnousverronsce soir et, comme jeneveuxpasque
voussoyezmouillée,jevousenverraiunfiacre.Enattendant,rendormez-vous.Ilselevaetsedépêchades’habiller,carilfaisaitfroiddanslapièce.Iln’avaitqueletempsdese
brosserlesdentsetdeseraser.Danslasalledebains,ilouvritletiroirduhaut.Ilfutémuendécouvrantquesabrosseàdentset
sonrasoirsetrouvaientparmilesaffairesdeRose.Lalamedurasoir,neuve,étaitmalaiguisée.Unefoissatoiletteachevée,ildescendit.Ladernièremarchedel’escaliercouinaittoujours.Lagouvernanteétaitdanslecouloirdelacuisine.—Bonjour,madameDobkins.Ellen’eutpasl’airsurprisedelevoir.—Bonjour,monsieurLodoun.Ellen’avaitpasl’airinquiètenonplus.Pourtant,elleauraitdû.—Hé!lança-t-ilavantdes’enaller.Vousnelaissezentrerpersonnesansl’avaldeMmeClarring,
noussommesd’accord?—Oui,monsieur.Jen’aipasoublié.Dehors,ilpleuvaitàverse.Leborddesonchapeaus’affaissaetl’eauluidégoulinadanslecou.
Bravant lemauvais temps, une foule immense vaquait à ses affaires. La cloche d’unmarchand depetitspainsfitvibrerl’air.
Iln’yavaitpasdefiacre.Unomnibustirépardeuxchevauxnoirss’arrêtalelongdutrottoir.Lesrênesdecuir,trempées,
rendaientundrôledebruit.Àcausedelapluie,iln’yavaitpersonnesurl’impériale.Jackymonta.L’air sentait le chien mouillé. Les vitres étaient couvertes de buée. À chaque arrêt, des gens
montaientpar-devantetd’autresdescendaientpar-derrière.Jackdescenditàl’arrêtleplusprochedesesbureaux.Ensefaufilantentrelesparapluies,ilarrivabientôtdanslehalldel’immeuble.—Bonjour,monsieurLodoun,luiditleliftierenuniformebleumarine.Vousavezoubliévotre
parapluiechezvous,ondirait?Jacklesalua,maisneréponditrien.—Bonjour,monsieurLodoun,l’accueillitNathanDorseylorsqu’ilfitsonentréedanslevestibule
desoncabinet.Avez-vouspasséunagréabledimanche?
Pour décrire les heures passées avecRose, lemot « agréable » était faible.Tantôt, elle l’avaitrendufoudeplaisir;tantôt,ellel’avaitémuauxlarmes.
—Pasmal,monsieurDorsey,répondit-il,savourantensecret l’ironiedesaréponse.Jesuisenretardmaisiln’yavaitplusunfiacredelibre.J’aidûmecontenterd’unomnibus.
Jackgagnasonbureau.—L’ordredujourduParlementestarrivé,ditlesecrétaireenlesuivant.M.Thaddensvaessayer
defairevoterdesfondssupplémentairespouraméliorerlesservicespublics.Jackaccrochasaredingotetrempéeàlapatère,prèsdelaporte.—Ilpeutdéjàcomptersurmavoix.Ilpritunedoucheenvitesse.Quandilenressortit,ilétaitdixheuresmoinslequartetuneodeur
âcreflottaitdansl’air.Jacksecrispa.—Monsieurleprésident?Blair Stromwell était assis dans le fauteuil de Jack – il n’aurait pas pu trouver mieux pour
affirmersonpouvoir.Iltiraitsurunénormecigareenfaisantbeaucoupdefumée.Soncrânechauve–d’avoirétésouslapluie–brillait.
—Bonjour,mongarçon.Votresecrétaireaeulabontédem’offrirducafé.Vousenvoulez?Jackneréponditpas.Soudain,Stromwellchangeadefigure.Sonsourires’effaçaetsonregardse
durcit.—C’estplusfortquevous,hein,Lodoun?Ilfautquevouscouchiezavecdesfemmesmariées.Quelqu’unavaitvendulamèche–sansdoutecettepetitegouapedeSayreville.—Vousêtesdansmonfauteuil,répliquaJackd’untonsec.Etvousvousmêlezdechosesquine
vousregardentpas.Le président du groupe conservateur au Parlement tira sur son cigare, et sa tête se retrouva
enveloppéedansunnuagedefuméegrise.—Erreur!riposta-t-ilenpointantl’indexenl’air.Quandvouscouchezavecdesgrues,c’estvos
affaires.Maisquandvouscouchezavecl’épouselégitimed’unautrehommeetquevousvousexhibezenvilleavecelle,jesuisdésoléd’avoiràvouslerappeler,maisçanousregarde.
Stromwellétaitfurieux.—Jevoteavecleparti,ditJackd’unevoixsanstimbre.Jenesuispasmariéaveclui.—Ilyadixansquenousvousdorlotons,monpetitvieux.Nousnevouspermettronsjamaisde
compromettrenosprojetssimplementparcequevousnepouvezpasvousempêcherdedébaucherlesfemmesdesautres.
Jackconnaissaitlepouvoirduprésidentduparticonservateur.Parlepassé,ilenavaitprofité.— Notre position sur l’institution du mariage est claire, ajouta Stromwell. Alors, vous allez
mettreun termeàcette liaisoncatastrophique, etplusvitequeça !Sinon, jemechargedevous lefaireregretter.
Unéclair illumina la fenêtrequi se trouvaitderrièreStromwell.Àcontre-jour, legroshommeparutdeuxfoisplusterrible.
Jackallaouvrirlaportedesonbureau.—Sortez!ordonna-t-ilenseretournantversStromwell.Puis, à l’intention de son secrétaire qui se trouvait dans le vestibule, il enchaîna, sur un ton
faussementsuave:—MonsieurDorsey,veuillezraccompagnerM.Stromwellavectousleségardsdusàsonrang.Et
nelelaissezplusjamaisentrerdansmonbureau,àmoinsqu’iln’aitprisrendez-vous.
Enregardantsonsecrétaired’unœilsévère,maisavecunsouriredanslavoix,ilajouta:—Mesuis-jebienfaitcomprendre?
29
—Lepetitdéjeunervousconvient-il?demandalabonneenrougissantjusqu’auxoreilles.ElleavaitvupartirJack,etelleavaitmanifestementdevinélereste.—Sinon,ajouta-t-elled’unevoixhaletante,MmeFinleyprépareraautrechose.Roseauraitdûêtreaussiembarrasséequ’elle,maiscenefutpaslecas.—C’estexcellent,madameBrown,répondit-elleenétalantdelaconfituredefraisessuruntoast
rôti à la perfection. Les gens de Pantechnicor vont livrer des meubles, cet après-midi. Dites àMmeDobkinsque j’aimerais que leménage soit fait avant.Si vousvoyezquelque chosequi vousplaîtdanslevieuxmobilier–vous-mêmeouMmeDobkinsouMmeFinley–servez-vous!Parcequec’estconvenuavecPantechnicorqu’ilsemportentlereste.
—Oh,c’est trèsgentildevotrepart,madameClarring!s’exclamalabonne.Vousfaut-ilautrechose?
—Non,merci.Ledépartdelabonnefutsuiviparungranddéploiementd’activité.Uncoupfrappéàlaported’entréerésonnadanstoutelamaison.Ilyeutdesmurmures,puisdes
éclatsdevoix.Lespasdanslecouloirétaientceuxd’unefemme.Dansl’encadrementdelaporte,Rosevitd’aborduneombre.Puislavisiteuseelle-même.Samère.Soncœurcessadebattre.— Madame Clarring, je, euh, je… balbutia la bonne, essoufflée d’avoir trotté derrière
MmeDavis.—Toutvabien,madameBrown,ditRose.Vouspouvezdisposer.MmeDavistoisasafille.—Tuasunamant.Cen’étaitpasunequestion.—Oui,confirmaRose.Ilyaquelquesjours,lorsqu’onl’enaccusait,cen’étaitpasvrai.Maisaujourd’hui,oui.Immédiatement,lesyeuxdeMmeDaviss’emplirentdelarmes.—Tuavaisl’airsiheureusequandtuesrevenuedetalunedemiel.Tuaimais,tuétaisaimée.Tu
resplendissais.Etpuis,semaineaprèssemaine,tut’esassombrie.J’aiessayédemepersuaderquejeme trompais,mais je neme trompais pas.Tu étais pitoyable. Jeme suis dit que tu retrouverais le
bonheur lorsque tuauraisdesenfants.Mais tun’aspaseud’enfant.Alors jemesuisditque, s’ilyavaitunproblèmequelconque,tum’enparlerais.Maistunem’asriendit.
—Parcequ’iln’yavaitrienàdire,prétenditRose.Ellen’avaitpuserésoudreàadmettrequesonmarinel’avaitépouséequepourlesenfantsqu’elle
pourraitluidonner.—Cethomme,repritMmeDavis,celuiaveclequeltuasuneliaison…tupeuxparleraveclui?—Oui.Enfait,ellen’avaitjamaisparléaussilibrementqu’avecJackLodoun.—C’estJonathanquit’envoie?demanda-t-elle.MmeDavisécarquillalesyeux.—Maisnon,voyons!—Tuaseul’occasiondeparleraveclui?—Non.—IlaparléavecDerek.EtavecJack.Mais tout ce que Jack avait rapporté de la conversation, c’était que Jonathan ne voulait pas
divorceretqu’ilcroyaitque,tôtoutard,elleluireviendrait.—Qu’est-cequeJonathanaditàDerek?Rosebattitdespaupièrespourchasserleslarmesquiluibrouillaientlavue.—Iladitqu’ilmepardonnait.—C’estDerekquitel’adit?—Non,c’estLucy.—Lucyestunebuse.LessanglotsqueRoseserefusaitàversercommençaientàluibrûlerlagorge.—Derekm’a dit qu’il ne comprenait pas que j’aie quitté Jonathan, alors que j’ai toujours été
heureuseaveclui.—Derekaussiestunebuse.Rosen’avaitjamaisentendusamères’exprimeraussifamilièrement.—Aufait,dit-elle,pourquoim’as-tuappelée«Rose»?—Parceque«Susan»étaitdéjàpris,repartitSusanDavis.Roseauraitrisiellen’avaitpaseutoutesceslarmessurlecœur.—Jamaisjen’obtiendrailedivorce,maman.—C’estaussil’avisdenotreavocat.—Papaettoi,vousavezvuunavocat?Àquoibon?—Pourtonpère,tuestoujoursunepetitefille,expliquaSusan.Ilalanostalgiedel’époqueoùil
luisuffisaitdet’embrassersurleboutdunezpourteconsolerden’importequelchagrin.Rosesesouvenaitd’unedouceurinouïedanslesyeuxdesonpèrelorsqu’ilsepenchaitpourfaire
cela.—Iln’arrivepasàcomprendrequetuesunegrandepersonnedésormais,capabledeprendretes
décisions toute seule, poursuivitMmeDavis. Nous avons vu notre avocat à la première heure cematin.
—Papa risque de ne pas être content quand tu lui confirmeras que j’ai, euh…une liaison, ditRose,quicommençaitàcraindred’avoirouvertunefailleentresonpèreetsamère.
—Tuashonte?
Depuis qu’elle était lamaîtresse de Jack, elle avait ressenti beaucoup de choses,mais la honten’enfaisaitpaspartie.
—Non.—Tonpèret’aimeinfiniment,Rose,assuraSusan.Ilnetetournerajamaisledos.Moinonplus.Rose regarda son assiette où s’étalaient les œufs, le bacon et les tomates préparées par la
cuisinière.—C’estfroid,dit-elle.Maislecaféestencorepotable.Tuenveuxunetasse,maman?—Nonmerci,réponditSusanDavis.Cequimeferaitplaisir,c’estquetumemontrestanouvelle
maison.—Certainement.Rosebutunegorgéedecafé,repoussasonassietteets’essuyaleslèvresavecsaserviette.—Commetulevois,reprit-elle,ceciestlesalon.Lapiècen’étaitpasdécorée–maiselleétaitdéjàpleinedesouvenirs!Une pièce après l’autre, Rose montra toute la petite maison : la salle à manger, la cuisine et
l’arrière-cuisine,quelagouvernanteetlabonneétaiententraindenettoyer.Elleneproposapasdemontrerlachambre,danslaquelleerraitlefantômedeJack–etsamèrenedemandapasàlavoirnonplus.
—Tonpersonnelal’aircompétent,commentaMmeDavis.— Elles le sont, confirma Rose en se demandant ce que Giles, qui était tellement vieux jeu,
penseraitdecetriodebonnesfemmes.—Çateferaunebellemaisonquandelleserameubléeetdécorée.Veux-tuvenirfairequelques
coursesavecmoi?—Ma foi, je veuxbien, réponditRose. Ils n’ont pasprévudeme livrermesmeubles avant le
milieudel’après-midi.Jevaisprévenirlesdomestiquesquejesors,etonyva.Les deux femmes s’avancèrent bientôt sur le perron. Les gouttes de pluie qui tombaient
semblaientpointuescommedesaiguilles.Ilyavaitmêmedeséclairs.Parbonheur,MmeDavisavaitgardélefiacreaveclequelelleétaitarrivée.
—Jevaisprofiterdecette escapadepour t’offrirquelques jolies choses,dit-elle. J’ai enviededépenserl’argentdetonpère,çaluiapprendraàbouder!
Roseéclataderire.C’étaittellementétranged’entendresamèreparlerdesonaugustepèrecommesic’étaitunpetit
garçoncapricieux.MmeDavispritsafilleparlebrasetl’embrassasurlajoue.—Çafaitdubiendet’entendrerire,machérie.Ilyalongtempsqueçan’étaitpasarrivé.—Ilyalongtempsquejen’enaipluseul’occasion,répliquaRoseenluirendantsonbaiser.Susantiralabonneconclusion.—Alors,ilterendheureuse?—Oui.L’étreintedeMmeDavisseresserrasurlebrasdesafille,offrantchaleuretsoutien.Enuneseconde,Rosecessad’êtreunefemmeetredevintunepetitefille.—Jet’aime,maman.Jeregrettedevousavoirfaitdelapeine,àpapaetàtoi.MmeDaviséclataderire.—Quellebellepaired’idiotesnousfaisons!s’exclama-t-elle.C’estledéluge,etnoussommeslà
ànousattendriraulieudenousabriterdanslefiacre!Àpeineyfurent-ellesmontéesquelecocherfouettasoncheval.
—C’étaitquoi,ceclubdesMessieursetdesDames?demandaSusanDavisabruptement.Dansl’habitacle,sesrideseffacéesparlapénombre,elleressemblaitàlajeunefillequ’elleavait
été.—Unclubdediscussion.—Etvousdiscutiezdequoi?—Oh,endeuxans,tusais,debeaucoupdechoses…Debeaucoupdechoses,oui.Ils avaient juste oublié d’évoquer la tendre complicité qui unit un homme et une femme qui
viennentdefairel’amour!—Dequoi,parexemple?RosepensaàJohnNickols,infirmedepuisqu’ilavaitenquêtésurdesaffairesdeballetsroseset
deballetsbleus:—Deprostitution.EllepensaàArdelleDennison,l’employéedumuséequidonnaitdesconférencesunpeupartout:—Dedarwinisme.EllepensaàLouisStiles,toujourspenchésursoncarnetoùilfaisaitdesdessinsqu’ilnemontrait
àpersonne:—Ducontrôledesnaissances.—Àpropos,ditMmeDavis,danslespremierstempsdemonmariage,j’avaisàpeineletemps
d’en mettre un au monde que je me retrouvais enceinte du suivant ! Et mes amies, c’était pareil.J’aimetesfrères,iln’yapasdedoutelà-dessus.Mais,commedisaitlareineelle-mêmequienaeuneuf,passéuncertainnombre,onfinitparsedemandersionestunefemmeouunelapine!AprèslanaissancedeJason,tonpèrem’aditqu’ilexistaitdesmoyensd’éviterça.Jeluienaitellementvoulu–denepasmel’avoirditplustôt–quejeneluiaiplusadressélaparolependantunmois.
Rosen’avaitjamaisimaginéquesesparentspuissentavoireurecoursàdesmoyenscontraceptifs.Samèreavaiteusixenfantsenseptansetpuis,toutàcoup,plusrien.—Jenesavaispasquepapaettoi…Roseétaitembarrassée–nonpasàcausedesonignorancepassée,maisparcequ’elleserendait
compte que samère avait aimé faire l’amour et qu’elle avait peut-être éprouvé lesmêmes émoisqu’elle.
—Tonpèreauraiteuuneattaquesijet’avaisparlédeceschoses-là,ditMmeDavisenredevenantsérieuse.Maisdel’eauacoulésouslespontsdeLondres.Lestempsontchangé,Rose.Jenevaispasessayerdetefairecroirequejecomprendstaconduite…niquejel’approuve…maisjenepeuxpasm’empêcherd’admirertaforcedecaractère.Tuastoujoursétélapluscourageusedemesenfants.
Rosesetournaverslafenêtreconstelléedegouttesd’eau.Iln’yavaitrienàvoirautravers.—Tum’appelais«petitemaman»,tutesouviens?—Parcequetuétaisunepetitemamanpourtesfrères.Àforcedelesregarder,lesgouttesd’eausemirentàformerunvisage.Jack.—Jen’auraijamaisd’enfants,maman,dit-elle.Parchoix.—Moi,jen’aipaseulechoix,Rose.Iln’yavaitpasd’amertumedanslavoixdeMmeDavis.—Franchement,reprit-elleaprèsunsoupir,jenesaispascequej’auraisfaitsijel’avaiseu.Jete
faisconfiancepournepastetromper,machérie,carc’esttonbonheurquiestenjeu.LalèvreinférieuredeRosesemitàtrembler.
—Tuneseraispasentraind’essayerdemefairepleurer,maman?demanda-t-elleavecundemi-sourire.
—Absolument pas ! protesta mollementMmeDavis.Mon seul désir, aujourd’hui, c’est de tegâter.
RoseétaitsouventalléefairedescourseschezWhiteley,maisjamaisellen’yavaitprisautantdeplaisirquecejour-là,brasdessusbrasdessousavecsamère.
Il pleuvait toujours lorsqu’elles ressortirent, les mains libres car Whiteley livrerait tout lelendemain,depuislesvasesdeporcelainejusqu’aulinge,enpassantparlesrideaux.
Quandlefiacreeutredémarré,MmeDavisneperditpasunesecondeenbavardage.—Est-cequejeleconnais?Rosefitsemblantdenepascomprendre.—Qui?—Tonamant.—Non.C’étaitlavérité.Sesparentsn’ignoraientsansdoutepassonnom,maisilsnefréquentaientpasle
mêmemilieu.—Tucroisqu’ilmeplairait?—Jen’ensaisrien,réponditRose.Çadépenddesgoûts.MmeDobkinsl’avaittrouvépète-sec,SarahBurnsavaitditquec’étaitunfieffésalaud.—Mais,toi,ilteplaît?Elleavaitbusasemence,elleavaitdormiaveclamainsursonsexe.—Ohoui!s’exclamaRose.Jepeuxmêmedirequ’ilmeplaîtbeaucoup.Etellesecachaderrièresamainpourrire.—Ehbien,jevaisenavoir,deschosesàraconteràtonpère!—Quevas-tuluidire,maman?demandaRoseencherchantàlirelaréponsedanslesyeuxdesa
mère–maisiln’yavaitpasassezdelumière.—Jevaisluidirequetuasrencontréunhommequit’arendutajoiedevivreetquinousarendu
notrefille…Cependant,Rosen’étaitpluscellequiavaitépouséJonathanClarring.Laconversationauraitpuseprolonger,maislefiacreétaitdéjàarrivéàdestination.—Ilfautquejetelaisse,ditàregretSusanDavis.—Oui,réponditRose.J’aiquatremursetuntoitquiattendentquejeleurdonneuneâme.Quand
ceserafait,papaettoi,vousviendrezmevoir?—Sitonpèreafinidebouder,sansdoute,répliquaMmeDavis.Ensouriant,Roseouvritlaportière.—J’aieutort,ditsoudainsamère.Roses’immobilisa.—Àquelsujet?—Tuasbienfaitdetémoigner.Enfindecompte,c’estl’essentiel.Fairecequ’ondoitfaire.Quoi
qu’ilencoûte.Rosedescenditdufiacre,refermalaportièreetdéployasonparapluie.Lefiacreredémarra.BigBensonnaquatreheures.AuParlement,laséanceallaitcommencer.LapluiefrappaitsifortsonparapluiequeRosesedemandasiellen’allaitpascreverlasoie.Unfiacreralentitàsahauteur.Ellen’avaitaucuneraisonparticulièredes’inquiéter.Pourtant,elle
accéléralepas.
—Rose?criaquelqu’undanssondos.Elleseretournalentement.—Jonathan,murmura-t-elle,sidérée.
30
JacksortitduParlementparlehallSt.Stephen.Àtraverslerideaudepluie,ilvitlefiacrequiattendait,lechevalstoïquedanslesintempéries,le
cocherrecroquevillésousunparapluie.Ils’enapprocha,ouvritlaportière…etrestafigésurlemarchepied.Dansl’habitacle,cen’étaitpasRose.Legrandfrontpâle,lesyeuxhagardsétaientceuxdelagouvernante,MmeDobkins.—Qu’est-cequevousfaiteslà?OùestMmeClarring?—Ellen’estpasrentréeàlamaison.Lemarchepiedtangua.Lecocherrappelaàl’ordresoncheval.—Oùest-elleallée?demandaJackd’untonétrangementcalme.—Elleestpartiefairedescoursesavecsamère.—Elleestsortieàquelleheure?—Versonzeheures,d’aprèscequem’aditlacuisinière.Jackavaitétéentraindeplaiderautribunald’OldBailey.—Àquelleheureavait-elleprévuderentrer?—Elleaditqu’ondevaitluilivrerdesmeublescetaprès-midi,etqu’elleseraitrentréeavant.—Àquelleheureleslivreurssont-ilsvenus?—Cinqheuresmoinslequart.Le tintementd’une cloche se fit entendre à travers les crépitementsde lapluie–huit heures et
quart.Roseavaitditquelagouvernanteavaitunefamilleàs’occuper.Elleauraitdûêtrerentréechezelledepuislongtemps.
—Quefaites-vousici,madameDobkins?répétaJack.—Jesuisunefemmedeparole,monsieurLodoun.J’aiditquejenelaisseraispersonneemmener
MmeClarring.—Etalors?—Ilsl’ontemmenée.—Commentlesavez-vous?—Jelesaivus.Dansla lueurd’unéclair,MmeDobkinsparut livide.Jackeutenviedecrier.Oudepleurer.Au
lieudecela,ilsecontentadedemander:—Quil’aemmenée?—Montezdanslefiacre,monsieurLodoun,jevaistoutvousraconter.Unfracassantcoupdetonnerresuivitdeprèsl’éclair.
—Vousneluirendezaucunserviceenrestantsouslapluieaurisqued’attraperlamort,ajoutaMmeDobkins.
Jackfermasonparapluie,grimpadanslefiacreetrefermalaportièreenlafaisantclaquer.—Qu’avez-vousvu,madameDobkins?—Ilyavaittroishommesentout,expliqua-t-elle.D’abord,ilyenaeuunquiestarrivéderrière
elleetquiadûl’appeler,parcequ’elles’estarrêtéeaupiedduperronets’estretournée.JonathanClarring,pensaJack.—Elleestrestéesansbougerpendantquelquessecondes,enchaînaMmeDobkins.C’estalorsque
lesdeuxautressontarrivésetl’ontprisechacunparunbras.Ellenes’estpasdébattue.Ilsl’ontfaitmonterdansunevoiture.Elleaperdusonparapluie.Moi,jenesavaispasquoifaire.Jevousauraisbiencontacté,maisoù?Alors,jemesuisditquej’allaisvousattendre.Etpuis,uncocherafrappéàlaporteetaditqu’ilvenaitchercherMmeClarring.Jeluiairéponduquec’étaitmoi,MmeClarring,et je suis partie à sa place. En espérant que c’était vous qui aviez envoyé le fiacre. Ou quelqu’und’autrequipourraitluiêtredequelquesecours.
Parceque,étantdonnélescirconstances,l’onnepouvaitévidemmentpascomptersurlapolice.—Toutestdemafaute,repritMmeDobkinsenécartantlesmains.MmeBrownetMmeFinleyne
méritent pas d’être renvoyées. Elles travaillent dur. Ce serait catastrophique pour elles si ellesdevaientperdreleuremploi.Siquelqu’undoitêtrechassé,c’estmoi.
—Rassurez-vous,madameDobkins.Àmonavis,vousn’avezrienfaitdemal,aucontraire,ditJackenluiglissantunepièced’unedemi-couronnedanslamain.
Àvoirsapauvrefigure,ellesesentaittoujoursaussicoupable.—Rentrezchezvous, fitJack. Ilest tard.Votrefamilledoits’inquiéter.Gardez lefiacre, jeme
débrouillerai.—EtMmeClarring?marmonnalagouvernante.Qu’est-cequivaluiarriver?—Franchement,jen’ensaisrien.Jackdescenditdu fiacre,ordonnaaucocherde raccompagnerMmeDobkins,payad’avance la
courseetpartitàpiedsouslapluie.Iln’avaitpasfaitcentmètresqu’unautrefiacreralentitenarrivantàsahauteur.
—Jevousconduisquelquepart,chef?lançalecocher.Jackluidonnauneadresse,montaetsecarrasurlabanquette.L’eauquiruisselaitlelongdesvitresressemblaitàdeslarmes.Letempsétaitenharmonieavec
sonhumeur.Jackétait tellementperdudanssespenséesqu’ilmitdu tempsàse rendrecompteque le fiacre
n’avançaitplus.Ilétaitarrivéàdestination.La façade de lamaison était plongée dans le noir. Seule, au deuxième étage, une fenêtre était
éclairée.Unesilhouettesedécoupasurlerectangledelumière.Unesilhouetteféminine.LecœurdeJackfitunbonddanssapoitrine.Ilouvritlaportièredufiacre.—Vousm’attendez,ordonna-t-ilaucocher.—Sûrement pas, répliqua le bonhomme. Sous cette pluie, je n’attendrais pas le bonDieu lui-
même.LebonDieunepayaitpasenmonnaiesonnanteettrébuchante.—Votreprixseralemien,ditJack.Sansattendrel’accordducocher,ilposalepieddansletorrentquidévalaitlarue.
Lafemmeàlafenêtrel’observait.Àtraverslerideaudepluieetlavitreembuée,sonvisageétaitindistinct–unsimpleovaleblanc–maiscelasuffisaitàJackpourlareconnaître.
Chaquemuscledesoncorpsseraidit.Ilnesentaitpluslapluiefroideetcoupante.Une lanterne éclairait faiblement la porte d’entrée. Jack franchit d’un seul bond les quatre
marchesduperronetsemitàtambourinercontrelaporte.Del’eauluicouladanslamanche.Personnenerépondit.—Ouvrezcetteporte!s’écriaJack.IlétaittropprèsdeRosepouraccepterdelaperdre.—BonDieu,Clarring!hurla-t-ilencognantdeplusbellecontre le lourdpanneau.Jesaisque
vousêteslà!Jacknepouvaitpassepermettred’enfoncerlaporte.Etlaloin’interdisaitpasàunmarideséquestrersonépouselégitime.Unegrossemains’abattitsurl’épauledeJack.—Hé!Vousvouscroyezoù?Ici,c’estunquartiertranquilleetrespectable.Onn’apasbesoinde
casse-pieds.Fichezlecamp.DeuxhommesavaientempoignéRose.D’aprèsMmeDobkins,ellenes’étaitpasdéfendue,elle
lesavaitsuivisdocilement.C’estlaprésencedesonmariquiluiavaitcoupébrasetjambes,songeaJack.
Il se retourna.L’hommeportait un longmanteau bleumarine dont lesmanches arboraient desgalons de sergent, et le fameux casque conique des bobbies. Il essaya de repousser samain,maisl’autreétaituncolosse.
—Lâchez-moi,dit-ilentresesdentsserrées.—Jevouslâchesivouspromettezdeneplusfairedescandale,réponditl’agentdepolicesurun
tonimpérieux.Jack prit une profonde inspiration, inhalant du même coup l’humidité et une odeur infecte :
l’haleinechargéedubobby.— Lâchez-moi, répéta-t-il posément. C’est bon, je m’en vais, ajouta-t-il en constatant que le
policierlecramponnaittoujours.—Jenesaispascequimeretientdevousemmenerauposte.Jackluiadressaunregardtelquelegigantesquebobbyperditunpeudesonassurance.—C’estbon,allez-y,grommela-t-ilenlelâchant.Maiscomptezsurmoipourvousteniràl’œil.Jackretournavers lefiacre.Sedoutantqu’àsafenêtreRose lesuivaitdesyeux, iln’osapasse
retourner.Ildonnadeuxcouronnesaucocheretsefitconduiredansunautrequartierdelaville.AussitôtqueJackfutdescendu,lefiacrefilasansdemandersonreste…unfiacredanslequelil
avaitoubliésonparapluie!Jackfrappaàuneporte.Cettefois,quelqu’unvintouvrir.
31
—Tiens!fitJamesWhitcox.Commentavez-vouseumonadresse?Iln’avaitpasl’airému.Lesdeuxhommes se toisèrent. Jack était grand, etWhitcoxnotablement plus grand encore. Ils
auraientaussibienpusetrouverfaceàfacedansunprétoire.Enuncertainsens,c’étaitlecas.Deleurconversationallaitdépendrelalibertéd’unefemmeousaréclusionperpétuelle.—Votreadresse,jelaconnaisdepuisquevousavezachetécettemaison,réponditJackàtravers
lacascadequitombaitdesonchapeau.Monsecrétaireestplusfortpourdécouvrirlessecretsquelevôtrepourlescacher.
—Quevenez-vousfaireiciàpareilleheureetparcetemps?demandaJamesWhitcox.—J’aiunequestionàvousposer.—Jevousécoute.—Commentest-ellemorte?Cynthia.Lafemmequiavaitétél’épousedeJamesWhitcoxetlamaîtressedeJackLodoun.—C’étaitdanslesjournaux.Tous les journaux de Londres avaient publié un article sur l’accident : L’épouse d’un avocat
écraséeparuneberline.Maisaucunn’avaitdonnélesdétailsquiintéressaientJack.—A-t-ellesouffert?demanda-t-iltandisquedel’eauruisselaitsursesjoues.—Nerestezpaslààvousfairetremper,ditWhitcoxenouvrantlaporteengrandetens’écartant.Jackentradanslamaison–unemaisonqueWhitcoxavaitachetéepoursanouvellecompagne.
Unemaisonavectoutleconfortettoutleluxepossibles.Lelustrequiéclairaitlehallétaitélectrique–Jackn’avaitpasçachezlui.
Unefemmeenchemisedenuitsetenaitaupieddel’escalier.Sescheveuxétaientébouriffés;sachemisedenuitétaitfroissée.
—MonsieurLodoun,dit-elleenportantlamainàsagorge.Jackôtasonchapeau.Unlitred’eaudégringolasurlesdallesdemarbre.—MadameHart.JamesWhitcoxsetournaverselle.—Jeterejoinsdanscinqminutes,luidit-ilavecuneinfinietendresse.FrancesHarts’engageadansl’escalier,etJacksuivitWhitcoxjusqu’àunepiècequidevaitêtrele
repairedumaîtredemaison,uneespècede fumoir– saufqu’il n’yavaitpas lamoindreodeurdetabac.Cette pièce ne servait pas.Les fauteuils étaient neufs.Le bois desmeubles brillait. Personnen’avaitjamaisposéunpiedsurlestapisd’Orient.
Descarafesdecristalétaientalignéessurunetableenmarqueterie.Whitcoxattrapadeuxverresetyversaducognac.Lorsqu’ilpenchalatête,Jackremarquadesfils
gris dans sa chevelure.Whitcox allait sur ses cinquante ans. Il portait une chemise blanchedont ilavait fourré lespans à lahâtedans sonpantalon.Despoilsnoirs etdrusdépassaientde l’encoluredéboutonnée.
—Elleestaucourant,ditWhitcoxentendantunverreàJack.Jackouvritdesyeuxronds.—Frances,précisaWhitcox.Ellesait.Pourvousetmafemme…—Connaît-elleaussilenombreastronomiquedemaîtressesquevousavezeuespendantquevous
étiezmariéavecCynthia?répliquaJack.Whitcoxnesecherchapasd’excuse.—PauvreCynthia,murmura-t-il.Jenel’aipasaiméesuffisammentpourluiêtrefidèle…etvous
nel’avezpasaiméesuffisammentpourl’inciteràdivorcer.Jackbutunegorgéedecognac.—Maintenant,dites-moicommentelleestmorte.Whitcoxfronçalessourcils.Avantderépondre,ilportasonverreàseslèvresetlevidad’untrait.—Lesconclusionsducoroner,c’estquelaroueluiabrisélanuque.D’aprèslui,ellen’apaseu
letempsdesouffrir.Celanedisaitriendesesderniersinstants.Avait-elleeupeur?Avait-ellepousséuncri?Avait-ellevuvenirlamort?L’avait-elleaccueillieavecsoulagement,commelemoyend’enfinir
avec tous ces mensonges, toutes ces ruses, tous ces mesquins stratagèmes qui accompagnentnécessairement l’adultère ? Ou, au contraire, avait-elle pensé qu’elle survenait trop vite, sans luilaisserletempsdedireunedernièrefois«Jet’aime»?
—Levisageétait-ilintact?questionnaJackd’unevoixétranglée.Cynthia avait eu honte de ses vergetures, disant qu’elles l’enlaidissaient, qu’avec sa peau
distendueelleavaitcesséd’êtredésirable.—Ellen’étaitpasdéfigurée,sic’estcequivouspréoccupe,réponditWhitcox.—Commentl’avez-voushabilléepourl’enterrer?—Enrouge.Dansson testament,elleavaitdemandéàêtreenterréedanssa robedebal rouge.
Nousavonsrespectésesdernièresvolontés.Jacksedétournapournepasexhiberseslarmes.Ilbutuneautregorgéedecognac.C’étaitunexcellentalcool,rondenbouche,équilibré,avecunbouquetfruitéetd’élégantesnotes
devanille.Rosel’auraitaimé.MaisRoseétaitsousclé.Enferméeparsonmari.Jackavait étéprocureurgénéral. Il savaitdequoi leshommessontcapablesquand ilsestiment
avoirdebonnesraisonsdesevenger.Roseavaitbesoindesonaide.Etilnepouvaitrienpourelle.
32
FrancessomnolaitlorsqueJamesremontadanslachambre.Lepluspetitbruitsuffitàlaréveiller.—Alors?demanda-t-elle.James vint s’asseoir près d’elle sur le matelas et passa un bras autour de son cou. Sans la
survenuedeLodoun,ilsauraientétéentraindefairel’amour.—RoseClarringetJackLodouncouchentensemble,annonça-t-ilfinalement.—Depuiscombiendetemps?questionnaFrancesenseredressant.—Ellel’aabordédanslarueaprèsleprocèspourluidemanderd’intercéderensafaveurauprès
duParlement.—Intercéder?Àquelpropos?—Elleveutdivorcer.Francesignoraittoutdelaprocédureenmatièrededivorce.Lesgensàlacampagnevivaientselonlerythmedessaisonsetdelaterrequ’ilscultivaient.Ilsse
mariaient,faisaientdesenfants,mouraient.Ilsnedivorçaientpas.MaisRoseClarringétaitunefilledelaville.—Ilaaccepté?—Non.—C’étaitprévisible,ditFrances.Maisaussi,pourquois’adresserà luiaprès toutes lesvilaines
chosesqu’illuiaditesauprocès?—Lesavocatsnesontpasobligésdepensercequ’ilsdisent,Dieumerci,réponditJamesenlui
caressantlajoue.Moi-même,j’aifaitpirequed’accuserunefemmed’adultère.Etjelereferais.C’estainsiqueçafonctionne.
Franceseutsoudainlagorgenouée.—L’aime-t-il?L’hommequiavaitaiméCynthia.—Jen’ensaisrien,jenesondepaslescœurs.Maislefaitqu’ilsoitvenuicicesoirautoriseàle
penser.—Qu’est-cequ’ilvoulait?—DesdétailssurlamortdeCynthia,réponditfroidementJames.Francesluicaressaledosdelamain.Lapluiecrépitaitcontrelesvitrescommedelamitraille.—Et,précisaJames,ilm’ademandédel’aideràlibérerMmeClarring.
Francesouvritdesyeuxrondsd’étonnement.—Commentça,«libérer»?—MmeClarringaquittésonmarilejourmêmeduprocès.Cetaprès-midi,ill’afaitenleverdans
larue.ToutcommeFranceselle-mêmeauraitpuêtreenlevéesielles’étaitmoinsbiencachée.Maintenant,RoseClarring–unefemmequiavaittémoignéensafaveuralorsquesonfilsvoulait
lafaireenfermer–étaitlaprisonnièredesonmari.LesyeuxdeFrancess’embuèrentdelarmes.—Tuasditquelorsqu’unefemmeestenferméedansunemaisondefous,iln’yapratiquement
aucunespoirqu’elleensorteunjour.— C’est vrai, confirma James Whitcox. Mais Clarring n’a pas demandé son internement
d’office…enfin,pasencore!Pourl’instant,elleestsouscléchezlui.Ledomicileconjugal.Unroyaumepourlemari.Uneprisonpourlafemme.—Sielleétaitlibredesesmouvements,pourrait-elledivorcer?—Aveclesloisquenousavons,non.—Parcequ’elleestunefemme,murmuraFrances.Ellen’avaitpasoubliélechagrinqu’elleavaitéprouvéendécouvrantquesonfilsavaitexigéson
placementd’officedansunasiled’aliénés.Parcequ’elleétaitunefemme.—Oui.—Mêmetoi,tunepourraispasluiobtenirledivorce?L’hommequin’avaitjamaisperduunprocès.—Mêmemoi,chérie.Il faisait froid dans la chambre. Frances avait James. Rose était seule, sans personne pour la
réconforter.—Jemesouvienstrèsbiendelapremièrefoisoùj’aivuMmeClarring,dit-elle.JamesluiavaitprésentétouslesmembresduclubdesMessieursetdesDames,l’unaprèsl’autre.
Ilsavaienttousététrèsaccueillantsaveccetteveuvedequarante-neufansquin’avaitpratiquementpasétéàl’école.
—Ellem’asouri,ellem’afaitvisiterLondres…Maisquedetristessedanssonsourire!Fais-lalibérer,James.
—Jeteprometsd’essayer,ditWhitcoxd’unevoixsourde.Maisjeneteprometspasderéussir.—Parcequec’estunefemme?—Parcequec’estunefemmemariée,corrigea-t-ilàcontrecœur.Francesavaitrefuséd’épouserJamesprécisémentpourcetteraison:parcequelaloidonnaittrop
depouvoirauxmarissurleursépouses.—Tupeuxquandmêmetenterquelquechose?—Oui.Dèsdemain, jevais laciter àcomparaître.Si leprocureurapprouvemademande, son
mariseraobligédelaprésenterdevantletribunal,etceseraaujugededéciders’ilaledroitdelagarderenfermée.
Franceseutl’impressionqu’ilnecroyaitpasbeaucoupenseschances.—Lajusticeserendenpublic,reprit-il.Lesjugespeuventêtreinfluencésparcertaineschoses.—Commequoi?—S’ilyaunmouvementderévolte,ilséviterontpeut-êtredeprendreàrebrousse-poill’opinion
publique.Francessesentaitpeuàpeugagnéeparlacolère.
—UnefemmeséquestréeenpleinLondres,sicen’estpasrévoltant!—Àconditionquelepublicensoitinformé,oui.—Lapresse,suggéra-t-elle.—Oui,maisilfautfairevite…NouspourrionscréerdudésordredevantlamaisondeClarring,
çaattireraitl’attentiondequelquesjournaux.—Commelesmanifestationsenfaveurdusuffragedesfemmes?—Oui.—Combiendepersonnesfaudrait-ilpourêtresûrsdesefaireremarquer?—Autantqu’onpourraenrassembler.—C’estdecelaquetuasdiscutéavecM.Lodoun?—Entreautreschoses,réponditévasivementWhitcox.Ilneluidiraitjamaistout.Ilétaitavocat.Francess’yétaitrésignée.CeseraitencoreplusdifficilepourRoseClarringavecJackLodoun,quiétaitàlafoisavocatet
parlementaire.— J’ai envie de m’en occuper, proposa-t-elle, soucieuse d’aider une femme qui avait perdu
beaucoupàcaused’elle. Jepeuxcommencerparenparler auxmembresduclub. Ilsne refuserontsûrementpasdedonneruncoupdemain.
WhitcoxembrassaFrancessurlatempe–sonhaleinesentaitlecognac.—Quelques-unsontperduleuremploi,dit-il.Leursviessontsensdessusdessous.Àcaused’elle.—Ils’agitdeMmeClarring,James.—Tunepeuxmêmepasêtrecertainequ’ilsaccepterontdetevoir.—Jepeuxtoujoursessayer.Illuicaressalefrontetrepoussagentimentlamèchequipendaitdevantsesyeux.—Àquoibont’exposeràdesrebuffades?Tunecroispasquetuasassezsouffertcommeça?
demandaJames.—Jepourrai toujourspleurerensuitesur tonépaule, ronronnaFrancesenseblottissantcontre
lui. Tout ce que je vois, c’est que Mme Clarring ne mérite pas d’être enfermée. Et qu’elle n’apersonnepourlaconsoler.
— Qui sait ? fit Whitcox d’un ton songeur. Une manifestation pourrait suffire à convaincreClarringdelalibérer.
Maisiln’avaitpasl’aird’ycroire.—James?—Quoi?—LemarideRoseClarring,ilfautvraimentqu’ilsoitdésespérépourfairecequ’ilfait.Whitcoxesquissaunemoue.—Enattirantl’attentionsurlui,nousrisquonsdelerendreméchant,ajouta-t-elle.—Rienneprouvequ’ilnedeviendrapasméchantsanscela,Frances.Chaquejour,pensa-t-elle,Jamesdevaitchoisirentreagirounepasagir–lalibertéetparfoisla
viemêmedesesclientsendépendaient.—Pourquoifaut-ilquecesoittoiquit’occupesdelaprocédure?s’étonna-t-elletoutàcoup.M.
Lodounpourraits’enchargerlui-même,non?—Ilyatoujoursàcraindrequel’enquêtenerévèlequ’ilestl’amantdeMmeClarring.—Nousétionsamants,objectaFrancesavecbonsens.Çanet’apasempêchédetechargerdema
défense.
—Cen’estpascequej’aifaitdeplussage,machérie,repartitWhitcox.Lodounn’auraiteuqu’àlerévéleràl’audiencepouremporterladécision…ettuteseraisretrouvéesouslatutelledetonfils.
ExactementcommeRoseClarringpourraitêtremaintenuesousl’autoritédesonmari.Prisonnièreàperpétuité.—Parbonheur, reprit James,Lodounestunhommed’honneur…Etc’estprécisémentpourça
quejenerechignepasàl’aideraujourd’hui,quoiqu’ilensoitdureste.—Etsil’ondécouvraitquandmêmequeMmeClarringetM.Lodounsontamants?—Danscecas,ilfaudramettrelesbouchéesdoubles.JamesembrassaencoreFrances,avecunetendressepresquepaternelle.—Rendors-toi,dit-ilenselevant.Moi,j’aiuneaudienceàpréparer.Et,pourunefois,iln’étaitpassûrdegagner.
33
Lemajordomequientrouvritlaporteavaitdûseleverprécipitamment.Ilétaitentraind’enfoncersachemisedenuitdanssonpantalon,etiln’avaitmêmepassongéàôtersonbonnetdenuit.
—Àmoinsquecesoitunequestiondevieoudemort,jene…commença-t-il.ReconnaissantJack,ilchangeadeton.—Monsieuretmadamenesontpasici.Ilavaitlulesjournaux.—S’ilsaimentleurfille,réponditJackenglissantunpieddansl’entrebâillementdelaporte,ilsy
sont.—Revenezdemainmatin,jeleurdemanderais’ilssouhaitentvousrecevoir.BigBenfitentendresavoixdestentor:ilétaitquatreheures.Lejourselevait,maislesoleilétaitencorecachéparlesnuages.— Leur fille a été enlevée, annonça brutalement Jack. S’ils tiennent à elle, ils me recevront
maintenant.Laportes’ouvritengrand.L’airglacials’engouffradanslamaison.—Qu’est-cequ’untypecommevousaàvoiravecMmeClarring?Pouraccéderauxparents,ilfallaitpasserparlemajordome.—Jesuissonavocat.Lemajordome–Jackestimaqu’ildevaitavoirunesoixantained’années,maissonregardétaitvif
etclair–s’écarta.—C’estbon,entrez.Jackfranchitleseuil.—Restezsurlepaillasson,ordonnalemajordome,commesiJackétaitungarnementetnonun
membreduParlement.Jenevaispasvouslaissercochonnermessols.Jack savait qu’il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir du majordome dans une maison. Il
demeuraplantésurlepaillasson.LamaisondanslaquelleRoseavaitgrandiétaitcossue.Lalumièrevacillanted’unelampeàgazéclairaitl’entrée.Raide comme un passe-lacet, le majordome s’engagea dans un escalier et disparut dans
l’obscurité.Jackl’entenditfrapperàuneporte.Puisilperçutdesvoix.Unhommed’une soixantained’années et une femmeunpeuplus jeunedescendirent l’escalier.
Elleportaitunechemisedenuitrose;lui,unerobedechambreenveloursmarron.Ilsétaientpiedsnus.
Roseavaithéritédescheveuxdesamèreetdesyeuxdesonpère,songeaJack.Surlestraitsdupère,l’inquiétudeledisputaitàlacolère.—Qu’est-cequivousprenddevenirfrapperàmaporteaumilieudelanuit?lançaM.Davis.—VousavezditàGilesquenotrefilleavaitétéenlevée,intervintMmeDavis.C’estimpossible,
monsieur.Jel’aidéposéedevantchezellehierversquatreheuresdel’après-midi.Douzeheuresplustôt.—Troishommessesontemparésd’elleavantqu’ellen’aitatteintsaporte,ditJack.—Si vous avez vu des hommes emmener notre fille, pourquoi n’avez-vous rien fait pour les
arrêter?ditsansambagesSusanDavis.—Jenelesaipasvus,réponditJack.Maissagouvernante,oui.—Mafillen’apasdefortune,fitM.Davis.Quipourraitavoirintérêtàl’enlever?Jackregardatouràtourlepèreetlamère.—Sonmari.—Commentlagouvernantesait-ellequec’étaitJonathan?questionnaMmeDavis.Ellenepeut
pasleconnaître.—Cen’estpasellequiledit,c’estmoi,repartitJack.—Commentlesavez-vous?demandalepère.—Elleestchezlui.Jel’aiaperçuetoutàl’heure.—Qu’est-cequ’ilyadebizarreàcequ’ellesetrouvedanslamaisondesonmari?grommela
SamuelDavis.C’estaussisamaison,non?SusanDavisfronçalessourcils.—Oùl’avez-vousvue,monsieurLodoun?—Àunefenêtredudeuxièmeétage.Ellemeregardait.—Etvous en avezdéduit qu’il l’avait enlevée ?ditM.Davis avecunepointed’agressivité.Si
c’esttoutcequevousavezcommepreuve…— Il n’y a rien à déduire,monsieurDavis, rétorqua Jack en l’interrompant. La gouvernante a
assistéàl’enlèvement.Etquandj’aifrappéàlaporte,personnen’estvenuouvrir.—Àquatreheuresdumatin,vousvousattendiezàquoi?—Iln’étaitqueneufheuresdusoir.M.Davispersistadanssonidée.—Roseestl’épousedeJonathan.Pourquoiéprouverait-illebesoindel’enlever?—Parcequ’ilest sonmari, tiens ! répliquaSusanDavis.Etparcequ’ilpeut se lepermettreen
touteimpunité.Illepeut,n’est-cepas,monsieurLodoun?—Oui,réponditJack.Lesfemmesavaientpeudedroits.Lesfemmesmariées,encoremoins.LasouffrancedécoloralesyeuxdeMmeDavis.—Mafillesavait-ellequeçarisquaitd’arriverlorsqu’ellel’aquitté?—Oui.—C’estvous, l’amantdontmafemmem’aparlécetaprès-midi, lebellâtrequiaurait rendusa
joiedevivreànotrefille?Apparemment, Rose avait tout dit à samère, et celle-ci avait tout répété au père. Jack n’avait
aucuneraisondenier.—Bellâtre,jenesaispas,monsieur.Quiluiarendusajoiedevivre,jel’espère.—Vousétiezdéjàsonamantavantleprocès?questionnaMmeDavis.—Non.
—Vousl’avezprisedeforce?Saoulée?—Biensûrquec’estquelquechosecommeça!grondaM.Davis.Sinon,qu’est-cequ’elleserait
alléefaireavecuntypepareil?Jackignoralesattaquesdupèreetseconcentrasurlamère.—Ellem’aabordédevantOldBailey,justeaprèsleprocès.Ellevoulaitdivorcer,etpourcefaire
illuifallaitunavocatainsiqu’unappuiauParlement.Orilsetrouvequejesuisàlafoisavocatetparlementaire;danssonesprit,c’étaitaussisimplequeça.Et,depuislors,nousnousaimons.
—Jevois,murmuraSusanDavisaprèsêtrerestéepensiveuninstant.—Moiaussi,hélas!s’exclamaM.Davisenprenantsafemmeparlesépaules.Nousironslesvoir
cetaprès-midi,s’iln’yaqueçapourterassurer.Jecroisquenousenavonsassezentendu.Viens!Retournonsnouscoucher.
—Non,Sam,patienteencoreunpeu,protestaMmeDavis.ÀJack,elledemanda:—Qu’attendez-vousdenous,monsieurLodoun?—Vousetvotrefille,vousêtesalléesfairedescourses?—ChezWhiteley,confirma-t-elle.Selonlagouvernante,ellesavaientétépartiesdeonzeheuresdumatinàquatreheuresdel’après-
midi.—Vousavezdûparlerdebeaucoupdechoses?—Oui.SusanDavisneprécisapaslesquelles.—Demainmatin, JamesWhitcoxvademanderauprocureuruneordonnanced’habeas corpus.
Pour ce faire, seriez-vous prête, madame Davis, à signer une déclaration selon laquelle vous netrouvezpasvraisemblablequeRoseaitregagnéledomicileconjugaldesonpleingré?
—C’esthorsdequestion!rugitSamuelDavis.Jel’interdisformellement.Qu’est-cequec’estquecettehistoired’habeascorpus ? Il n’y a pas lieude libérer notre fille.Que je sache, elle n’est pasprisonnière!Jonathanestnotregendre.C’estunbravegarçonquineferaitjamaisdemalàRose.
SusansetournaverssonmaripuisversJack,promenantdel’unàl’autreunregarddésemparé.— En êtes-vous sûr, monsieur Davis ? demanda Jack, aggravant délibérément l’inquiétude de
SusanDavis.—Unhommenepeutpasenleversafemme,voyons!répliquaSamuelDavis.Ilsnefontqu’une
seulechairauxyeuxdeDieu.Susan,continua-t-ilensetournantverselle,Jonathanajuréd’aimeretdechérirnotre fille,et ila tenuparole.Jesaisceque tum’asditenrentrant,maiscen’estpascethommequifera lebonheurdeRose.Leshommescommelui, toutcequ’ilssontcapablesdefaire,c’estdedévoyerleshonnêtesfemmes.Cequejecrois,c’estqu’iln’estmêmepasamoureuxdeRose.Pasbesoind’êtreamoureuxpours’intéresseràuneaussijoliefemme!Non,ilestjustejalouxparcequ’elleafinalementchoisiJonathan,unpointc’esttout.
SusanDavisfermalesyeux.—MadameDavis,vousêtesladernièrepersonneàavoirparléàvotrefille…—Susan!s’écriaSamuelDavis.Jet’enconjure,netemêlepasdeça.CequisepasseentreRose
etJonathannenousregardepas.Laissons-lesréglerçaentreeux.—Sinousne libéronspasRose,affirmaJackennes’adressantqu’àMmeDavis,votregendre
peutlafaireenfermerdansunasiled’aliénés,avantmidisiçaluichante,etalorsiln’yauraplusrienàfaire.
SusanDavisrouvritlesyeux.Sursestraitsselisaitladouleurdedevoirtrancher.
—Dites-moicommentils’yestprispourenleverRose,monsieurLodoun.SansletémoignagedeMmeDavis,iln’yavaitpaslemoindreespoird’obteniruneordonnance.Jackdéployatoutesonéloquencepourdécrirecequelagouvernanteluiavaitraconté.Des larmesruisselèrentsur les jouesdeMmeDavis,devenues jaunâtreset froisséescommeun
vieuxparchemin.—Roseadetoutpetitsbras,murmura-t-elle.JackétaitbienplacépoursavoiràquelpointlesbrasdeRoseétaientfins.—Vousavezditqu’elleavaitlaissétombersonparapluie?—Oui.MmeDaviss’efforçaitdeseressaisir,sachantquel’avenirdesafilleendépendait.— Elle avait des projets. Elle allait se faire livrer des meubles. Elle voulait embaucher des
peintrespour refaire lamaison.Elle avait décidéque le salon serait pourpre.Quand j’ai voulu luioffrirquelquechose,elleachoisideuxvasesendisantqu’ilsiraientbiensurlacheminée…Etelleauraitdécidédeplaquertoutçaentrequatreheuresetquatreheuresetuneminute?
34
Rosefutréveilléeensursautparlebruitdelaclédanslaserrure.Unelumièreverdâtrefiltraitàtraverslesrideaux.Laportes’ouvrit.—Jonathan?demanda-t-elle,lagorgeserrée.MaisJonathann’étaitpasseul.Elleseredressadanslelit,s’emmêlalesjambesdanslesdraps.Sonsangseglaça.Ungrandbarbuaccompagnaitsonmari,unesacochenoireàlamain.Unefemmesuivaitdeprès
lebarbu.Elleétaitgrosse,boudinéedansunerobemarron,sescheveuxgrisentassésdansunbonnetblanc.
—N’ayezpaspeur,madameClarring,dit lebarbuenposantsasacochesur la tabledenuit.JesuisleDrWeinberger,etvoiciMmeWilliams.Elleestinfirmière.
SonsourirenerassuraguèreRose.Encoremoinslaminerenfrognéedel’infirmière.SiJonathanpensaitqu’elleétaitmalade,pourquoin’avait-ilpasappelélemédecindefamille?—Jevousassure,docteur,quejevaistrèsbien.—Cen’estpascequeditvotremari,madameClarring.Soudain,iln’yeutplusassezd’oxygènepourquatrepersonnesdanslapetitechambre.—Docteur,vousavezvumonmariouvrirlaporte,déclaraRoseenessayantdeparaîtrecalmeet
raisonnable.Vousavezpuconstaterqu’elleétaitferméeàclé.Jesuisretenueicicontremongré.S’ilvousplaît,aidez-moi.
LeDrWeinbergercontinuadesourire.—C’estbienlaseuleraisondemaprésenceici,madameClarring.Vousaider.Ilouvritsasacocheetensortitunstéthoscope.—Quefaites-vous?demandaRoseencouvrantsagorgedesamain.—N’ayezcrainte,madameClarring,çanefaitpasmal.—Jevousinterdisdemetoucher.—Jeveux justeécoutervotrecœuretvospoumons,dit leDrWeinbergerens’asseyant sur le
borddulit.Ayezl’obligeancededéboutonnervotrechemisedenuit.RosesesouvintqueleDrBurns–unegénéraliste,pasunealiéniste–avaitétéamenéeunefoisà
signerunordred’internementetqu’elleenconservaitunprofondsentimentdehonte.—Jenesuispasfolle,gronda-t-elle.Elleétaitentraindeperdresoncalme.LeDrWeinbergervoulutluitoucherlamain.Elleeutunmouvementderecul.
—Non,vousn’êtespasfolle,madameClarring,celavadesoi.Elleécartadocilementsamain,etilsemitàluidéboutonnersachemisedenuit.—N’ayezpaspeur,insista-t-il.Maiselleavaitpeur.Chaquefoisqu’ilôtaitunnouveaubouton,c’étaitcommeuneoffensesupplémentaire.Elleauraitvoululuiarrachersonstéthoscopeetlejeter.Maisellesavaitqueceseraitconsidéré
commeunsymptômedeplusdesadémence.Lemétalglacéseposasursonsternum.—Respirezfort,madameClarring.Elleprituneprofondeinspiration.—Trèsbien,lafélicitaledocteur.Commesielleétaituneenfant.Ouunefolle.—Maintenant,penchez-vousenavant…Oui,commeça.Ilretroussalachemisedenuitetluiappliqualepavillondustéthoscopeentrelesomoplates.—Respirezfort…Trèsbien,madameClarring.Soudain,Roseseretrouvalibredudocteuretdesoninstrument.Lematelas, soulagé de son poids, se souleva et oscilla un instant sur les ressorts du sommier
avantderetrouversonéquilibre.—Oùpuis-jemelaverlesmains,monsieurClarring?s’enquitleDrWeinberger.—Veuillezmesuivre,réponditJonathan.Jevaisvousmontrerlasalledebains.Rosesedépêchadereboutonnersachemisedenuit.Sesmainstremblaient.L’infirmièreauvisagesévèreouvritlamallettedumédecinetentiraunétuidecuir,qu’elleposa
surlatabledenuit.—Qu’est-cequec’est?demandaRose.L’infirmièreneréponditpas.Jonathanrevintsurcesentrefaites.Ilportaitunevestebleumarinepassablementchiffonnée.Rose
prituneprofondeinspiration,dansl’espoirdesecalmer.—Jonathan,pourquoifais-tuça?L’infirmièreallumaunelampeauphosphore.—MadameClarring,ditleDrWeinbergerenrevenantdanslachambre,votremarisepréoccupe
devotrestérilité.Éberluée,RosesetournaversJonathan,quibaissalesyeux.— Ilm’a demandé de vous examiner, continua le docteur sur un ton affable. Lesminutes qui
viennentvontêtrepéniblespourvous.Jevouspriedem’excuser.Plusvitenousauronscommencé,plusvitenousenauronsterminé.Veuillezretrousservotrechemisedenuit.Jevousprometsdefairetrèsattention.
Ducoindel’œil,elleobservalesfaitsetgestesdudocteur.Ilouvritl’étuiquel’infirmièreavaitplacé sur la table de chevet. Il en sortit un spéculum, qui brilla terriblement dans la lumière duphosphore.
—Ce n’est pas nécessaire, docteurWeinberger, ditRose en serrant les cuisses.Monmari saitpertinemmentpourquoinousn’avonsjamaiseud’enfant.
—Votremariaparléd’oreillons,madameClarring,jesais.Maistousleshommesquionteulesoreillonsnedeviennentpasstériles.
LeDrWeinbergers’approchaet repoussa lescouvertures.L’infirmièreretroussa lachemisedenuitdeRosejusqu’àsonventre.
Rosesedébattitcommeelleseseraitdébattuesiquelqu’unavaitessayéd’abuserd’elle.L’infirmièreluiappuyasurlesépaulespourl’immobiliser.Elleavaitdelapoigne.—Vousn’avezpasbesoind’avoirpeur,madameClarring,luidit-elle.Jesuislà.Lemédecinluiécartalescuisses.Quelquechosedefroidentraenelle.—Nebougezpas,madameClarring,iln’yenaquepourquelquessecondes…Roseregardalecercledelumièreblanchequelalampeàphosphoreprojetaitauplafond.L’odeur
d’antiseptiqueluisoulevaitlecœur.— Bravo, Jonathan, lança-t-elle d’un ton amer. Tu progresses dans la crapulerie. Après
l’enlèvement,leviol…—MonsieurClarring,ditWeinberger,saviez-vousquevotreépouseportaitundiaphragme?—Non,réponditJonathand’unevoixsourde.LeDrWeinbergerretirasansménagementcequeleDrReynoldavaitdélicatementposé.Roseserralesdents.—Vousavezde lachance,madameClarring,déclaraWeinbergerense redressant.Pourautant
que je puisse en juger, vos organes sont intacts. Si vous vous abstenez de renouveler ce genre defacéties,riennevousempêcheradeconnaîtreunjourlesjoiesdelamaternité.
L’infirmièrelâchaRose.—DocteurWeinberger?—Oui,monsieurClarring?—Vouscomprenezquejepuisseenvouloiràmafemme,aprèscequejeviensd’apprendre.Tant
deduplicité!Jetombedesnues!Roseécoutasanscomprendre.L’hommequiparlaitainsiavaitlavoixdeJonathan,maiscen’était
paslui–entoutcas,cen’étaitpasl’honnêtegarçonqu’elleavaitaiméaupointdel’épouser.—Ilfaudradutempsavantquej’aiedenouveauenvied’elle,continuaJonathan.Mais,sijevous
aibiencompris,maintenantquevousavezôtécemachin,riennes’opposeplusàcequ’elle tombeenceinte?
35
JackLodounetNathanDorseyentrèrentdanslebureaudeJamesWhitcox.Un bureauministre en bois précieux trônait aumilieu de la pièce. Il y avait un grand fauteuil
derrière, deux autres devant et deux autres encore tournés vers la cheminée, dans laquelle un feucrépitait.Lemurdufondétaitoccupéparunebibliothèquedontlesétagèresétaientchargéesdelivresdedroitetdejurisprudenceauxreliurespassablementfatiguées–ilsn’étaientpaslàpourfairejoli:JamesWhitcoxs’enservaitbeaucoup.
JacketDorseysaluèrentlesecrétairedeWhitcox,AveryTristan.BigBensonnaneuffois.Jackneperditpasdetempsenpréambules.—Whitcoxestpartidéposerunerequêted’habeascorpus?—Oui,monsieur.—Laloiexigequ’unefemmequirequiertuneséparationrésidesouslemêmetoitquesonmari,
ditJack.Or,c’estdésormaislecasdeMmeClarring.Elleseraitdoncendroitfaireunedemandeencesens?
—Oui,monsieur.Unebûchepétaradadansl’âtreavantdes’ouvrirendeuxetdetomberdanslesbraises.JacksedemandasiRoseavaitfroid.JacksedemandasiRoseétaitmaltraitée.Jacksedemandas’illareverraitjamais.—Moi,ditDorsey,j’avaisd’abordproposéd’insistersurlefaitqueJonathanetRoseClarring
faisaient chambre à part. Un tribunal ne peut certes pas obliger un mari à accomplir le devoirconjugal,mais,danslamesureoùilnecouchaitplusavecsafemme,onauraitpuconsidérerqu’illaprivaitdélibérémentdelapossibilitéd’avoirdesenfants,cequinousauraitpermisdeplaiderqu’elleavait le droit à une séparation de corps – l’abandon du lit conjugal valant abandon du domicileconjugal.Maislesrécentsévénements…
Laissant sa phrase en suspens, Dorsey se tourna vers son patron, comme pour lui donner laparole.
—Mais,auvudesévénementsrécents,enchaînaJack,nouspouvonsplaiderqueJonathantraitesafemmeavecunecruautéinexcusable.Ànous,messieurs,derédigerunedemandequiconvaincralejugequesondevoirestd’accorderl’habeascorpus.C’estvous,monsieurTristan,quiirezlaporterautribunal,delapartdeMeWhitcox.
—Pourquoipasdevotrepart,maîtreLodoun?s’étonnaAveryTristan.— À cause de mes liens personnels avec Mme Clarring, expliqua Jack. M. Dorsey vous
accompagnera.Ilconnaîttoutlemonde,aupalais.
36
—Messieurs,ditJamesWhitcox.Les trois hommes portaient des robes rouges et de longues perruques blanches. C’étaient des
magistrats de la haute cour de justice, et ils avaient rang de chevaliers. Triés sur le volet par lePremierministre.Nommésparlareine.Ilsn’avaientqu’unseulcredo:laloi.Toutelaloi,rienquelaloi;elleleurtenaitlieudeconscience.
—Jevaiscommencerparremercierlacourd’avoiracceptédeconsidérercecasextraordinaire.JerendsgrâceàDieuchaquematindem’avoirfaitnaîtredanslepaysdelaMagnaCartaLibertatum.Ladite Grande Charte des libertés d’Angleterre stipule que personne ne peut être arrêté et détenuillégalement.Cependant,messieurs,c’estcequivientd’arriveràMmeRoseClarring.
Lestroisjugesmarquèrentleurétonnement.—MmeClarring,poursuivitWhitcox,n’habitepluschezM.JonathanClarring,sonmari–pour
desraisonsqu’ilestinutiled’expliquercarellesn’ontrienàvoiravecnotreaffaire.Or,hier,alorsqu’ellerentraitchezelleaprèsvoirfaitdescoursesavecsamère,elleaétéenlevée.Etl’instigateurdececrime,carl’enlèvementestuncrime…
Lestroisjugeshochèrentlatête.—…n’estautrequeJonathanClarring,sonmari,achevaWhitcox.Toutàcoup, les trois jugesparurentsedésintéresserdel’affaire.Lessouffrancesd’unefemme
mariéenepesaientpaslourdenfacedelaloi.Jack,aufonddelasalle,commençaàs’inquiéter.—MmeClarringestminuscule,repritJamesWhitcoxens’adressantplusspécialementaujuge
assisaumilieu,unhommed’unesoixantained’années,pèreetgrand-père.Ellemesuremoinsd’unmètresoixante.Lorsquesamèrel’adéposéedevantchezelle–j’entendsparlà,messieurs,lamaisondeMmeClarring,pascelledesonmari–ilpleuvait.MmeClarringn’apasremarquélefiacrequiattendait,nil’hommequienestdescendu.Quandelleestarrivéeaupieddesonperron,elleaentenduquelqu’un l’appeler.Nousne savonspas cequ’elle a ressenti alors…pour labonne raisonqu’ellen’estpaslàpourledire.Cequenoussavons,c’estqu’elles’estretournée.Or,leravisseurn’étaitpasseul.C’estàcemoment-làquedeuxautreshommesont surgi–deshommesdemainpayéspar lemari…CequisignifiequeJonathanClarrings’étaitarrangépourdétournerl’attentiondesafemmetandisquelesrufiansl’empoignaientchacunparunbras.
JamesWhitcoxtranspiraitsoussaperruque–pluscourtequecelledesjuges.Lasueurprovoquaitdesdémangeaisons,etpasquestiondesegratter!
Cédantàuneimpulsion,illevasonbrasgauche.Lalargemanchedégringolalelongdesonbras.Leretroussisnoirauboutdelamanche,quiledésignaitcommeconseillerdelareine,restacoincéau
niveauducoude.—Puis-jemepermettred’attirervotreattentionsurceci,messieurs?Lestroisjugesregardèrentcequ’illeurmontrait.—LebrasdeMmeClarringest infinimentplus finquemonpoignet. J’en ferais facilement le
touravecmonpouceetmonindex.Sil’onserrelebrassuffisammentfort,onparalysel’avant-bras.Àcemoment-là,Whitcoxs’arrangeapourcroiserleregarddujugeassisàgauche.C’étaitleplus
jeunedestrois,quarante-cinqans,marié,pèredecinqfilles:uneaucollège,deuxàl’écoleetdeuxenbasâge–touteslescinqsusceptiblesdetomberunjoursouslacouped’unmauvaismari.
—Cesdeuxhommes,enchaînaWhitcox,l’ontagrippéesiviolemmentqu’ellealaissétombersonparapluie.Commentaurait-ellepusedéfendre,ellesifrêle,contredeuxhommesdehautetaille?Ilsl’ontsoulevée,l’ontportéejusqu’àleurvoitureetl’yontjetéecommeunsac.Et,pendantcetemps-là,sonmarilesregardaitfaire!Quisouhaiteraituntelsortàsafille?s’exclama-t-ild’unevoixvibranteen fixant comme par hasard le juge assis à droite, un homme de cinquante ans, dont les énormesfavorisblancscontrastaientvilainementavecsonteintbrique,etquivenaitdemariersafilleunique.JonathanClarringaattentéàlalibertédeRoseClarring.Illégalement.C’estpourquoi,messieurs,j’ail’honneurderequériruneordonnanced’habeascorpus.
Danslesilencequisuivit,onentenditlemartèlementdelapluiesurlescarreaux.L’hommeauxgrosfavorisfutlepremieràparler.—Vousrendez-vouscomptedecequevousnousdemandez,maîtreWhitcox?—Jevousdemanded’ordonneràM.JonathanClarringd’amenerMmeRoseClarringdanscette
salle,réponditJamessanssetroubler.— En d’autres termes, vous nous demandez de nous immiscer dans les affaires du ménage
Clarring,ditlevieuxjuge.JamesWhitcoxavaitunerépliquetouteprête.—RoseClarringestpeut-êtreunefemmemariée,maiselleestd’abordunsujetdeSaGracieuse
Majestéet,commetelle,protégéeparlaGrandeChartedeslibertésd’Angleterre.JonathanClarring,avec préméditation et violence, a enlevé Rose Clarring arbitrairement, et depuis lors il la détientarbitrairement.Toutcequ’interditlaGrandeCharte!S’ilavaitvouluresterdanslalégalité,ilauraitdemandé à la police de lui ramener sa femme, il n’aurait pas eu besoin d’engager une paire demalfratspourcefaire.Maisaucuntribunaln’arendudejugementensafaveur,pourlabonneraisonqueM.Clarringn’amêmepasengagédeprocédure.Aulieudecela,ilapréférés’embusquerprèsdechez elle comme un bandit, il a délibérément détourné son attention, le temps que deux voyoussoudoyésparluisejettentsurelle.Jecroisquelaloianglaiseréprouvedetelscomportements.
—Avons-nousdestémoinspourcorroborervotreversiondesfaits,maîtreWhitcox?questionnale plus jeune des juges, le père de cinq filles. Ou bien tout ceci n’est-il que le fruit de votreimagination?
Whitcoxessayadeparaître impassible.Lesmagistratsde lahautecourde justicen’avaientquefairedesémotionsdesunsoudesautres.
—LagouvernantedeMmeClarringaassistéàl’enlèvement,annonça-t-il.J’ailàsadéclarationsousserment.
—Puis-jelavoir?ditlejugedumilieud’untonsarcastique.—Certainement.J’aiaussiunedéclarationsoussermentdelamèredeMmeClarring.Tenez!Unhuissierfitpasserlesdocuments.Lejugelutlapremièrepage.—Lagouvernante,MmeDobkins,prétendqueMmeClarringnes’estpasdébattue.
—Celaauraitétédifficile,monsieurlejuge,alorsquesesbrasétaientparalyséspardeshommesdeuxfoisplusgrandsqu’elle!
—Lagouvernanteneditpasnonplusqu’elleaappeléausecours.Lejugefitpasserlesdeuxpapiersàsonvoisindegauche,sansmêmeprendrelapeinedelirela
déclarationdeMmeDavis.—Lagouvernanteaassistéàl’enlèvementparunefenêtredupremierétage,précisaWhitcox.De
plus,ilpleuvait.SiMmeClarringacrié,ellen’apaspul’entendre.—Vousvenezdedire,maîtreWhitcox,intervintleplusjeunedestroisjuges,queM.Clarringa
appelésafemmepour«délibérémentdétournersonattention».Est-ceàdirequelagouvernantel’aentendul’appeler?
—Non,monsieur le juge.Mais qu’est-ce qui aurait pu faire queMmeClarring s’arrête et seretourne,sinonunappeldanssondos?
—Oualors,elles’attendaitàlevoir,suggéralevieuxjuge.— Dans sa déclaration sous serment, Mme Davis assure que, pendant qu’elles faisaient les
courses,MmeClarringluiaditsansambiguïtéqu’elleneretourneraitjamaisvivreavecsonmari.—MmeClarringestunefemme,répliqualevieuxjuge.Souventfemmevarie,c’estbienconnu.—Sinousdemandonsunmandatd’habeascorpus,c’estseulementafindenousassurerqu’elle
n’estpasséquestrée,repartitJamesWhitcox.S’ils’avèrequeMmeClarringsetrouveavecsonmaridesonpleingré,ehbien,nousenresteronslà.
—VousditesqueMmeClarringn’habitaitpasavecsonmari,intervintlejeunejuge,quiavaitfinidelirelesdéclarationsdelagouvernanteetdelamèredeRose.Aurait-elleobtenuuneséparationdecorps?
—Non,monsieurlejuge.—Alors,elleesttoujourssouslatutelledesonmari,commentalevieuxjuge.—D’aprèslaloi,M.Clarringpeutdemanderlarestitutiondesesdroitsconjugaux,admitJames
Whitcox.Maisilnepeutpass’emparerd’elleparlaforce,nilaséquestrer.—Y a-t-il jamais eu des plaintes contreM.Clarring ? questionna le troisième juge.A-t-il été
accusédecruauté?—Non,monsieurlejuge.MaisçaneveutpasdirequeMmeClarringnerisquerien.IlsesouvintdesmotsdeFrances:IlfautvraimentqueJonathanClarringsoitdésespérépourfairecequ’ilfait.Etquisaitdequoiétaitcapableundésespéré?—D’abord, quelle preuve avons-nous qu’elle est chez sonmari ? demanda le juge aux gros
favoris.—Onl’avueàunefenêtredudeuxièmeétage.—Qui,«on»?Whitcoxmentitfroidement.—Samère.—A-t-ellefrappéàlaportepourvérifierquesafilleétaitretenuedeforce?s’enquitlejugedu
milieu,toujoursaussisarcastique.—Oui.Etpersonnen’estvenuouvrir.Lui-mêmeétaitalléfrapperàlaportedeJonathanClarringavantl’audience,etonneluiavaitpas
ouvertnonplus,alorsqu’ilavaitentendubougerdanslamaison.—Qu’attendez-vousdenous,exactement?demandaleplusjeunedesjuges,celuiquiavaitcinq
filles.
—Ce que j’attends de vous, messieurs ? répondit JamesWhitcox. Tout simplement que vousaccordiezàMmeClarringlaprotectiondelaloi.
37
Rose, debout devant la fenêtre, regardait dans la rue. Maisons, voitures, passants, tous lescontoursétaientbrouillésparlapluie.
—MadameClarring,vousnepouvezpasrestercommeçasansmanger,ditl’infirmière.Cen’estpasmalindeboudercontresonventre.
Rosenedaignapasrépondre.Uneberlines’arrêtaenfacedelamaison.Encoreunmédecin?sedemanda-t-elleanxieusement.Oualors,c’était Jack.Commedans lesanciens romans remplisd’histoiresdepreuxchevaliers
quiviennentàlarescoussedebellescaptives?Soncœurcessadebattre.La berline redémarra. Tout ce qu’elle pouvait voir, c’était la toile de quatre grands parapluies
noirs.—Avez-vousdesenfants,madameWilliams?—J’enaisix,répliquafièrementl’infirmière.—Desfilles?—Deux.—Vouslesaimez?Rosesavaitquedans,certainesfamilles,lesfillessontmoinsaiméesquelesfils–mêmesi,pour
sapart,ellen’avaitjamaisrienressentidetel.—Bienentenduquejelesaime,mesfilles.Danslarueencontrebas,lesquatreparapluiesfaisaientdusurplace.—Vousleurferiezlamêmechosequ’àmoi?—Quellequestion!Jelesaisoignéesplusd’unefois.—Jeneparlepasdeça,madameWilliams.Jevousdemandecequevousferiezsileurmariles
enfermaitcommejesuisenferméeparlemien?Plutôtquederépondre,l’infirmièrereparlanourriture:—Siçan’estpasmalheureuxdelaisserrefroidircebonpouletetcesbonnespommesdeterre!
s’exclama-t-elleenmontrantl’assiettesurlatabledenuit.—MadameWilliams,insistaRose,siellesétaientenfermées,seriez-vousprêteàmonterlagarde
pourlesempêcherdefuir?Encoreunefois,l’infirmièreéludalaquestion.—Vousavezbeaucoupdechance,madameClarring,dit-elle.
Uneautreberlinefithaltedevant lamaison,etquatrepersonnesendescendirent.Celafitquatreparapluiesdeplus.
—Enquoiai-jedelachance,madameWilliams?—Votremariestriche.—Etçaluidonneledroitdemegardericicontremavolonté?L’infirmièreparutplusrenfrognéequejamais.—J’ailuvotrehistoiredanslesjournaux,madameClarring.Jenesuispasdupe.Vousêtesune
femmeadultère.Laseulechosequ’onpuissedireenvotrefaveur,c’estquevousn’avezpasramenédebâtardà lamaison!Je le trouvebiengénéreux,votremari !Si j’étaisàsaplace,vousn’auriezmêmepasdroitàcettechambre;jevousferaisjeterenprisonaveclesautrestraînéesquisouillentnotreville.
Danslarue,unfiacrearriva,s’arrêta,repartit–etleshuitparapluiesdevinrentdix.—Àvotreavis,madameWilliams,combiend’hommesfaut-ilpourmaîtriserunefemme?—Commentvoulez-vousquejelesache?—Deux,madameWilliams, dit Rose enmontrant les bleus quimaculaient ses bras. Ça suffit
amplement.Rosen’avaitpasappeléausecourslorsquelesdeuxbrutesl’avaientportéejusqu’aufiacre.EllesavaitqueJonathanavaitledroitdelafaireenfermer,maisellen’auraitjamaiscruqu’ille
ferait.Lacolèrel’emportantsoudainsurlamélancolie,ellepivotaetmarchadroitsurMmeWilliams.— J’ai décidé que j’avais faim.Alors, soyez gentille, poussez-vous.Àmoins que vous n’ayez
enviedesavoirsiunepetitefemmepeutenmaîtriserunegrosse.L’infirmièrefutestomaquée.Roseesquissaunsourire.Unquartd’heureplustard,quandellerepritsonposteprèsdelafenêtre,ellevitquelquechose
quiluifitpasserl’enviedesourire.Unevéritablearméedeparapluiesarpentaitlarue.Cen’estpourtantpascelaquiretintsonattention.Un fiacre s’arrêta juste sous sa fenêtre. La première personne qui en descendit avait un grand
parapluienoirquilacachaitentièrement.L’autren’enavaitpas.Roseeutlesoufflecoupé.
38
MarieHoppleworthinclinasonparapluiepourabriterJohnNickols,quivenaitdelarejoindre.Ilavaitprissoindeneheurterpersonneense faufilantparmi lapetite troupeavecsonfauteuil
roulant.—MeWhitcoxa-t-ilréussi?demanda-t-elle.—Nousnedevrionspastarderàlesavoir,réponditgravementNickols.Ellesepenchaavec tendressesur l’héroïque infirmeavec lequelelles’étaitchamailléependant
deuxans,etquiétaitàprésentsonamant.—Tonjournalva-t-ilparlerdel’affaire?— Évidemment ! Adultère, enlèvement… Qui laisserait passer ça ? Le seul ingrédient qui
manque,c’estlemeurtre.J’airepérédanslafouleunreporterduGlobeetunduDailyHerald.Maisildoityenavoird’autres.Sic’estdelapublicitéquerecherchaitWhitcox,ilvaêtreservi.
Soudain,laportedelamaisonClarrings’ouvrit,etunhommes’avançasurleperron.—C’estlui,lemari?s’enquitunevoixféminineprèsdel’oreilledeMarieHoppleworth.MarietournalatêteetvitEstherPalmer,l’enseignantequiavaitperdusonpostedansuncollège
dejeunesfilles.Sonvisageétaitcalme,maiscadenassé.Marieeutenviedeluidemandersielleavaitbesoind’aide–maisilsn’étaientpaslàpourparlerdesconséquencesduprocès.
Oualors,oui.MarieHoppleworthnesavaitpaspourquoiJonathanavaitenlevésafemme.Toutcequ’ellesavait,
c’étaitqu’ilpouvaitlatueretqu’ilseraitvraisemblablementacquitté.—Jenevoisrien,dit-elle.—Moi,jelevois.Celuiquivenaitdeparler,c’étaitLouisStiles,quiculminaitàunmètrequatre-vingt-dix.Ilavaità
lamainsoninséparablecarnetdecroquis.—NousnesavonspasàquoiressemblelemarideMmeClarring,intervintJohnNickols.Même
sic’étaitluidansl’encadrementdelaporte,nousnepourrionspaslesavoir.Unautrefiacres’arrêta,etquatrefemmesendescendirent.La foulegrossissait.La tensionmontait.Onétaitmouillés.Onavait froid.Lesgensbattaient la
semellepourseréchauffer.—Ilvientdes’écarter,annonçaM.Stiles.Unpolicieretuninconnufranchirentleseuil.Laporteserefermaderrièreeux.—Quiestaveclepolicier?questionnaMarieHoppleworth.—Sansdouteunmagistrat,réponditJohnNickols.
—Elleestàlafenêtreetellenousregarde,intervintunevoixd’homme.Vouscroyezqu’ellenousareconnus?
C’étaitThomasPierce, le banquier qui avait perdu son emploi à causede son appartenance auclubdesMessieursetdesDames.
— Comment voulez-vous que je le sache ? réponditMarie. Je n’y vois goutte, avec tous cesparapluies.
—J’aipeurqu’ilneluifassedumal,ditEstherPalmer.PersonnenesavaitdequoiJonathanClarringétaitcapable.—N’oubliezpasquelejuryalibéréMmeHart,fitM.StilespourrassurerEstherPalmer.Maisilnesemblaitpastrèsrassurélui-même.—Oui,renchéritThomasPierce,lepolicierestsûrementlàpourlibérerMmeClarring.— Un mari n’est pas un fils, monsieur Pierce, lança Sarah Burns, qui venait d’arriver avec
GeorgeAddimore.—Noussommesvenusaussivitequenousavonspu,ditM.Addimoreenfrissonnant.Ya-t-ildes
nouvelles?—Non, répondit laconiquement JohnNickols.Mais deux hommes sont entrés dans lamaison.
L’unétaitunpolicierenuniforme.L’autre,uncivil.Nouspensonsquec’étaitunmagistrat.—Ilyalongtempsdeça?demandaGeorgeAddimore.—Àpeinecinqminutes.—Qu’est-cequ’ellepeutbienpenserencemoment?soupiraThomasPierce.Ils levèrent tous lesyeuxvers la femmedont la silhouette sedécoupaitderrièreune fenêtredu
deuxièmeétage.—Quepenseriez-voussivousétiezséquestréeparvotremari?répliquaMarieHoppleworth.—Jenesuispasunefemme,réponditThomasPierce.—Pasbesoind’êtreunefemmepoursouffrird’êtreenfermé,rétorquaMarie.—Toutceque jevoulaisdire,mademoiselleHoppleworth,expliquaposémentThomasPierce,
c’est que jene risquepasdeme trouverun jourdans la situationdeMmeClarring, parceque lesfemmesn’emprisonnentpasleshommes.
—Ilyaplusieurssortesdeprisons,monsieurPierce,commentaunevoixféminine.C’étaitlabelleetfroideArdelleDennisonquivenaitdesejoindreàeux.Elleétaitencompagnie
deJosephManning,lesolideetmoustachufondateurduclubdesMessieursetdesDames.—Jepeuxvousassurerquedesfemmesemprisonnentdeshommestouslesjours,ajouta-t-elle.Suruntonmoqueur,JohnNickolsdemanda:—Siuntelmalheurm’arrivait,mademoiselleDennison,interviendriez-vousenmafaveur?—Interviendriez-vousenmafaveur,monsieurNickols?rétorquaArdelleDennison.—Oui,assura-t-il.—Moiaussi,dit-ellealors.MarieHoppleworthlevadenouveaulesyeux.Iln’yavaitpluspersonneàlafenêtredudeuxième
étage.Àsontour,ThomasPiercelevalesyeux.—PauvreRoseClarring,murmura-t-il.— Si encore elle avait pris un amant, comme les journaux l’en ont accusée, soupira Esther
Palmer,çaluiferaitunpetitlotdeconsolation.—C’estprécisémentcequ’elleafait,déclaraSarahBurns.
Si Rose Clarring avait un amant, Marie Hoppleworth se demanda à quoi il pouvait bienressembler.
—Commentlesavez-vous?lança-t-elleàladoctoresse.C’estMmeHartquivousl’adit?Ils étaient tous là à la demande de FrancesHart, qui leur avait révélé queRoseClarring avait
quitté son mari le jour du procès, qu’elle avait été enlevée cinq jours plus tard et qu’elle étaitdésormais séquestrée. Il n’y avait aucune raison de penser qu’elle en avait dit davantage aux unsqu’auxautres.
—Jel’aivueavecJackLodoundevantlepalaisdejustice,affirmaSarahBurns.—Vousvoustrompezforcément,ditMarie.—Jenecroispas,mademoiselleHoppleworth,rétorquaSarah.C’étaientbieneux.Etilsavaient
l’airderoucoulercommedeuxtourtereaux.Soudain, le reporter duGlobe se mit à courir. Deux hommes le suivirent. Parmi eux, Marie
HoppleworthreconnutlejournalisteduDailyHerald.—Ilfautquej’yaille,décrétaJohnNickols,quin’avaitpasoubliéqu’ilétaitégalementreporter.
Écartez-vous,s’ilvousplaît,jeneveuxblesserpersonne.Ilouvritsonparapluieetlefixaaudossierdesonfauteuilroulant.Puisils’éloigna,l’eaufreinant
sesroues.Auloin,lebronzed’uncarillonrésonna.Uneheureavaitpassé.Ilétaitquatreheures.—Toutestprêt,annonçaMlleFredericks.EllesetenaitderrièreThomasPierce.Elleavaitl’airaussilugubrequeletemps.—Qu’est-cequiestprêt?demandaMarie.—Denouvellesamiesvontarriver.Desfillescourageuses,vousverrez.Nousallonsnousrelayer
toutesleshuitheuresafinqu’ilyaitdesgensicinuitetjour.—Vousavezfaitdubeautravail,mademoiselleFredericks,lafélicitaM.Pierce.—Jemedemandepourquoic’estsilong,maugréaArdelleDennison.Aumêmemoment,laportedelamaisons’ouvritetl’onvitd’abordunparapluie.Lasilhouettequeceparapluiesurmontaitétaitcelled’unhomme.Uncriretentit.—LibérezRose!JaneFredericksyavaitmistoutsoncœur.—LibérezRose!criaàsontourMarieHoppleworth.—LibérezRose ! scandèrent en chœur lesmilitantes pour le droit de vote des femmes et les
membresduclubdesMessieursetdesDames.LibérezRose!LibérezRose!Ils avaient attendu pour voir si le policier allait repartir avec Rose Clarring. Ils avaient leur
réponse.
39
Jackn’avaitpus’empêcherdevenir.Assisaufonddelasalle,ilessayaitdeparaîtreimpassible.C’estlejugeauxgrosfavorisblancsetauxjouesrougesquisechargeadelalecturedujugement.—Cematin,commença-t-il,MeWhitcoxestvenunousdemanderdeciteràcomparaîtredevant
nous Mme Rose Clarring, afin d’établir si son mari, M. Jonathan Clarring, a commis des actesrépréhensiblesqui le rendent indigned’être le tuteur légaldesa femme.Uneordonnanced’habeascorpus est une arme puissante, qu’il ne faut pas utiliser à la légère. Elle doit servir à défendre lalibertéindividuellecontrel’arbitrairedel’État.Ellenedoitpasserviràs’interposerentredesépoux.Les liens du mariage sont sacrés. Le mari fait serment de protéger sa femme et d’empêcher laprofanationdeleurunion.Lestribunauxluigarantissentl’autoritépourcefaire.
»MeWhitcox a prétendu queM. Clarring détenait illégalement sa femme et que nous étionsdevantuncasdeséquestration.ÀlaquestiondesavoirsicetteaccusationestfondéeetsiM.Clarringestcoupablededétentionarbitraire,nousrépondons«non».Selonlesloisanglaises,lemaridominesur sa femmeet la femmeest soumiseaumari– et cela, sans équivoquepossible.C’estpourquoi,tandis que la séquestration d’un sujet par un autre est a priori contraire à la loi, s’il s’agit d’unefemmeenferméeparsonmari,lestribunaux,danstouslescas,ontstipuléqu’iln’yariend’illégalnid’illégitime.Unmari qui contraint sa femme à demeurer au domicile conjugal est dans son droit,pourvuqu’ilnefassepasmontredecruauté,qu’iln’imposeaucunmauvaistraitementetnefassepasun usage immodéré de la force. SiM. Clarring avait fait preuve de violence, nous l’accuserionsd’agression.MaisM.Clarringestrestédansleslimitesdelaloiens’emparantdeMmeClarring.
»LaditeMmeClarringestmembred’unsoi-disantclubdesMessieursetdesDamesquiadéfrayélachroniquerécemment.Cesgens l’ontencouragéeàcommettredesactescontrairesà la foi juréeentre époux, et il y a des raisons de croire que c’est à leur instigationqu’elle a quitté le domicileconjugal.Puisqu’on luiavaitenlevésafemme,M.Clarringavait ledroitde la récupérer,demêmequ’ilaledroitdelasoustraireàl’influencedeceuxquisèmentlazizaniedanssonménage.
»M.Clarringaprissoindesafemme.Ilaembauchéuneinfirmièrediplôméepourveillersurelle. Il l’a fait examiner par unmédecin de renom, lequelmédecin a attesté qu’elle était en bonnesanté. En conséquence, nous ne délivrerons pas un mandat d’habeas corpus, qui ne pourrait queperturber l’équilibre deMme Clarring en l’incitant à penser que la cour s’apprête à faire ce quejustementlacournes’apprêtepasàfaire,àsavoirlasoustraireàl’autoritédesonmari,auseulmotifqu’elleneseplaîtpasaveclui.
»Ainsi,conclutlejuge,MmeClarringsetrouvelàoùlaloiditqu’elledoitsetrouver,etelleyresteraaussilongtempsqu’ilplairaàsonmaridel’ygarder.
Lestroisjugesselevèrent–leursrobesécarlatesparurentrougefoncé,couleurdesang.Delasoienoirebrilladanslalumièredeslampes:JamesWhitcoxvenaitdeseleveràsontour.Jackrestaassis,assomméparlasentence.JamesWhitcoxpivotaverslui.Saperruqueblancheencadraitsonvisage–levisaged’unhomme
quiafaittoutcequ’ilpouvait.«Jesuisavocatauconseildelareine,eut-ill’airdeluidire.C’estvousquisiégezauParlement.»Puisiltournalestalons.
40
Rose,couchéesurlecôté,regardaittomberlapluie.Ellen’entendaitquedesbribesdecequelesgenscriaientdanslarue.Unofficierdepoliceétaitvenu.Elleluiavaitditqu’elleétaitretenuedanscettemaisoncontreson
gré.Ensortant,ilavaitrefermélui-mêmelaporteàclé!Jackl’avaitprévenue:Sivousvoulezdelapassion,ilfautquevoussoyezprêteàenpayerleprix.—CombienJonathanvousdonne-t-ilpourespionnersafemme,madameWilliams?lança-t-elle
d’unevoixmorne.Enplusdugîteetducouvert?—M.Clarringestgénéreux,réponditsimplementl’infirmière.Jonathan,généreux?Rosel’avaitpenséaussi,autrefois.Elleseredressabrusquement.L’infirmière,quiétaitentraindetricoter,s’arrêta.—Quefaites-vous?—Jevaismesoulager,madameWilliams.Çavousintéressederegarder?L’infirmièrebaissalesyeux;lesaiguillesàtricoters’agitèrentdenouveau.Roseallas’enfermerdanslasalledebains.Ellecraquauneallumetteetallumaunelampe.Auloin,lesgrossesclochesdebronzedeBigBensonnèrentcinqfois.Rose ouvrit le tiroir de la table de toilette, où se trouvait ce qu’elle était venue chercher : un
flacondelaudanumquelemédecindefamilleluiavaitprescritpoursoulagerquelquesdouleurs.Elle tira la chasse pour donner le change, se lava les mains et ressortit, le flacon de teinture
d’opiumcachédans lesplisdesa jupe.Elle futaccueillieparunebonneodeurdecuisine.Pendantqu’elleétaitdanslasalledebains,uneservanteavaitapportéledîner.
L’infirmières’assitd’uncôtéde la table ;Rose,enface.L’infirmière,mains jointes, têtebasse,marmonnalebénédicité.Rose,nevoyantaucuneraisonspécialederendregrâceàDieu,s’abstintdel’imiter.
L’infirmièresesaisitdesafourchette.—Jecroyaisquelapropretéallaitdepairaveclapiété,ditRose.MmeWilliamss’immobilisa.Roselaregardadanslesyeux.L’infirmièreavaitl’aird’unenfant
prisenfaute.Roseexpliqua:—Jevousprie,madameWilliams,d’allervouslaverlesmainsavantdemangeràlamêmetable
quemoi.Levisagedel’infirmièresecouvritdepetitspointsrouges.L’espaced’uninstant,Rosecrutqu’ellen’obéiraitjamais.
Enfin, penaude et visiblement à contrecœur,MmeWilliams se leva et disparut dans la salle debains.
Lelaudanumcontenaitdel’alcool.Sasaveurneseraitpaspasséeinaperçuedansunverred’eau.Rosevidadonclepetitflaconsurlemorceaudeviandeetdanslasauce.
Lesbruitsd’eaudanslasalledebainscessèrentbrusquement,etMmeWilliamsrevint.Roseavaitàpeineeuletempsdereboucherleflaconetdelecacher.
L’infirmière s’assit de nouveau, le visage toujours rouge, s’empara de sa fourchette et de soncouteau,ets’attaquaàlaviande.
—Çaaundrôledegoût,dit-elleaprèslapremièrebouchée.—C’estdubœufbourguignon;audébut,çasurprend,commentaRose.—C’estfrançais?s’enquitMmeWilliamsavecunmélangedecuriositéetdedégoût.—Oui.—Iln’yapourtantriendemeilleurquelebœufanglais,décrétal’infirmièreavantd’avalerun
autremorceaudeviande.—Lebœufestanglais,précisacalmementRose.C’estlarecettequiestfrançaise.Elleexpliquacommentl’onpréparaitlebœufbourguignontandisque,unebouchéeaprèsl’autre,
MmeWilliamsvidaitsonassiette,quinecontenaitpourtantriendetrèsinsolite.Saufpeut-êtrelateintured’opium.Uningrédientqu’uneinfirmièreauraitdûconnaître.—Je suis fatiguée,déclaraRose lorsqueMmeWilliamseut finide saucer sonassiette. Jevais
m’allonger.Cinqminutesnes’étaientpasécouléesquel’infirmières’effondraitdanslegrandfauteuil.Aussitôt,Rosevintfouillerdanslapochedesontablier,oùellegardaitsesclés.L’infirmièrerouvritpéniblementlesyeux.—Vousm’avezdroguée,dit-elleavecl’élocutionlenteetlaborieused’univrogne.—Oui,admitRose.—Vousm’aveztuée?Rosecraignitd’avoirunpeuforcéladose.— Franchement, je n’en sais rien, répliqua-t-elle avant d’ouvrir la porte et de sortir dans le
couloir.Auboutducouloir,ilyavaitl’escalier.Cramponnéeàlarampe,ellecommençaàdescendre.Elle
connaissaitlamaisonparcœur,ellesavaitquelatroisièmeetladixièmemarchecraquaient.Detoutefaçon,iln’yavaitpersonnepourl’entendre.Desriresretentissaientdanslacuisine–lesdomestiquesétaiententraindedînerets’endonnaient
àcœurjoie.Unjour,peut-être,ellesouffriraitenconsidérantl’ingratitudedecesgensquin’avaientpaslevé
lepetitdoigtpourl’aider.Maispasmaintenant.Maintenant,elleallaitaffronterl’hommequ’elleauraitdûaffronterdouzeansplustôt.Sansbruit,ellepoussalaportedubureaudeJonathan.Ilétaitlà,assisdansungrandfauteuilàoreilles.Devantlui,surunetable,setrouvaientunecarafe
decognac,unverre,ungroscendrier,unjournal…Etunpistoletd’ungrismat.Calmement,Rosedemanda:—T’apprêtes-tuàmetuer,Jonathan?
Ilrelevalatête.Lasouffranceassombrissaitsesyeuxetdéformaitsestraits.Cethomme,jadis,l’avaitfaitrire,l’avaitmêmerendueheureuse.Àprésent,iln’yavaitplusnibonheurnirire.Aussicalmementqu’elle,ilrépondit:—Noussouffronstrop.Ilvabienfalloirquecelacesse.
41
Lecoupdecloche résonnadans lesonzecentsetquelquespiècesduParlement. Jackavaithuitminutespourentrerdans l’enceintede laChambredes lordsavantque leshuissiersne ferment lesportesàclé.
—Qu’allez-vous faire par là, Lodoun ? lui demandèrentmoqueusement les collègues députésqu’ilcroisaenchemin.LaChambredescommunes,c’estdel’autrecôté.
AuxabordsdelaChambredeslords,deshuissiersencostumed’apparatmontaientlagarde.—Voussavezoùjepeuxtrouverlegrandchancelier?demanda-t-ilaupremierqu’ilvit.—Sivousnelesavezpas,cen’estpasàmoidevousledire,réponditl’huissieravecarrogance.Jacksefaufilaentredesbancsdecuir rouge.LaChambredes lordsétaitaussi fastueuseque la
Chambredescommunesétaitaustère.Ilpassadevantletrôneimmense,surmontéd’undaisdeboisdorérichementouvragé.Enfin, il arriva devant la porte qu’il cherchait.Cette portemarquait la limite entre les simples
mortelsetlahautenoblesse.Jackentra.Deshommessetrouvaientlà,vêtusderougeetemperruqués.Ilsconversaientàmi-voixetriaient
doucementderrièreleurmain.—Monsieur,vousn’avezpasledroitd’entrerici!criaunhuissierenseprécipitantversJack.Jackesquival’huissier,quin’osapasletoucher.—Monsieurlegrandchancelier?L’interpelléseretourna.C’étaitunancienjugeetàprésentavocatgénéralàlaCourdecassation–
autrement dit, le plus puissant magistrat de la plus puissante cour d’Angleterre. Il détestait lesincidents.AyantreconnulenotoireJackLodoun,illeregardaavecdédain.
—Commentosez-vous,monsieur,pénétrerdanscetteenceinte?Jackécartad’unebourradelesdeuxhuissiersquicherchaientàluibarrerlepassageetcontinua
hardimentd’avancer.Lesconversationsetlesrirescessèrent.—J’aiunequestionàvousposer,milord.Jackparlaitd’unevoixincroyablementénergique:l’énergiedudésespoir!—Cen’estnilelieunil’heure,répliquasèchementlegrandchancelier.—Je crois le contraire, affirma Jack.Quelqu’unest endanger, le tempspresse etvous êtes le
seul,milord,àquijepuissedemanderdel’aide.Celapiqualacuriositédulord.—Dequoiparlez-vous,monsieur?
—Troismagistratsde lahautecourde justiceontdécidécematinqu’unAnglaisavait ledroitd’enleveretdeséquestrerunautreAnglais,pourvuquecederniersoitunefemmeetqu’ellesetrouveêtrelalégitimeépousedupremier.Milord,sij’aiindûmentforcélaportedecesanctuaire,c’estafindevousdemanderdetrancherunequestioncrucialepourlestreizemillionstroiscenttrente-quatremillecinqcentdix-septpersonnesdesexefémininquecompteaujourd’huil’Angleterre.
—Jevousécoute.—AupaysdelaGrandeCharte,unmaria-t-ildavantagededroitssursafemmequelareinen’en
asurleplushumbledesessujets?
42
—Jet’aiaiméedèslapremièreseconde,Rose,murmuraJonathan.Tescheveuxbrillaientcommedel’orenfusion.Tuétaissiadorable,simaternelleavectespetitsfrères!J’ai toutdesuitesuquec’étaittoiquejevoulaispourêtrelamèredemesenfants.
Rosesesouvintque le soleilavaitbrillé sur leurbonheur–comme ilpleuvaitaujourd’hui surleurmisère.
—Tuvoulaisdemoipourêtrelamèredetesfils,rectifiaRose.Unedemi-douzainedechenapanscommesespetitsfrères.—J’avaisquatresœurs,ditJonathan.Ça,Roselesavaitdéjà.—Etj’aieucinqfrères.Ça,parcontre,Rosel’avaitignoré.—Tousmort-nés,ajoutaJonathan.Mamèrevenaitd’unefamilledefemmes.Ellen’ajamaisété
fichuedemettreaumondeungarçonvivant.—Sauftoi?fitobserverRose.—Moi?Maisjesuisnéàsixmoisetdemi,toutviolet,toutracorni,plusmortquevif…Sij’ai
survécu,c’estparmiracle.Roseavaitsouffertdenepascomprendre.Maintenantqu’ellecomprenait,c’étaitpire.—Etc’estpour çaque tum’aschoisie,murmura-t-elle.Parceque,dansma famille,on faisait
surtoutdesgarçons.—As-tupleuréquelquefoissurlesenfantsquenousn’avonspaseus?—Sij’aipleuré,c’estparcequetunem’aimaispas.Jonathanpoussaunsoupiretbutunegorgéedecognac.—Ohsi,jet’aimais!Tun’imaginespascequej’aipusouffrir,seuldansmonlit,duranttoutes
cesannées.—Tupouvaismerejoindredanslemien,repartitRose.Pourquoinel’as-tupasfait?Jonathanneréponditrien.Inutile.Elleavaitcompris.—Tum’asdélibérémentprivéedetonamourpourquejeprenneunamant,c’estça?—Oui.—Unamantquimeferaitunenfant?—Oui.—Unenfantquejeramèneraisàlamaisonpourquenousl’élevionsensemble?Unefoisencore,Jonathannecherchapasànier.
—Ettuappellesçadel’amour?s’emportaRose.UnéclairdedouleurpassadanslesyeuxdeJonathan,lesyeuxvitreuxd’unhommeàdemiivre.—Tucroisqueçameplaisaitdet’imaginerdanslesbrasdetonamant?Rosebaissalesyeux.—Pireencore! repritJonathan.Tucroisqueçameplaisaitde t’imaginerdans lesbrasde ton
amantalorsquetunerisquaismêmepasd’êtreenceinte?—Quoi?—Jesavaisquetuportaisundispositifpouréviterça.Roserestabouchebée.Àlaréflexion,iln’avaitpaseul’airétonnéquandleDrWeinbergeravaitretirélediaphragme.—Commentl’as-tusu?demanda-t-ellelorsqu’elleeutrecouvrél’usagedelaparole.—Tuaslaissétropd’argentaumédecin,expliquaJonathan.Ilm’arenvoyéletrop-perçuàmon
bureau,assortidelafacture.Rose revit la scène.Le chiffre gribouillé avait donc bien été un 3 – comme l’avait supposé la
femmedugynécologue–etnonun8.Elleavaitpayéenespècesetn’avaitpaslaisséd’adresse.Mais,dansleGlobe,sesouvint-elle,ilsavaientditqueJonathantravaillaitàlaBourse.—Quandas-tureçucecourrier?—Hiermatin.—Etc’estcequit’adécidéàagir?—Oui.Jen’allaispascontinueràendurerlesaffresdelajalousiedèslorsquejen’avaisaucun
bénéficeàescompter.Ilparlaitbiencommeunagentdechange!—Oùas-tuputeprocurerdeuxhommesdemainensipeudetemps?demandaRose.—Dansleservicedesécuritédelafirme.—Et,lorsquetulesasengagés,tuavaislesentimentdem’aimer?Jonathandétournalatête.—Tulesasregardésm’enlever!—Jeleuravaisditdenepastefairelemoindremal.—J’aidesbleuspleinlesbras,dit-elleenexagérantunpeu.Jonathanattrapalacarafedecognacetseresservit.Généreusement.—J’aibiencruquetuallaismefaireenfermerdansunemaisondefous.—Jeneteferaijamaisça,Rose,voyons!—Tuas faitbienpire.Tum’asconsidéréedès ledébutcommeunmonceaud’organesdont tu
pouvaisespérersortirdesfils!—Tusavaisquejevoulaisdesenfants,Rose.—Jevoulaisjusteêtreaimée.Enfin,iltrouvalecouragedelaregarderdenouveau.Ilavaitl’airaussitorturéqu’elle.—Accorde-moiledivorce,Jonathan.Elleseretintd’ajouter:«Jet’enprie!»Jamais plus elle ne s’abaisserait à supplier cet homme qui l’avait trahie de toutes les façons
possibles et imaginables. Il lui avait fait dire par son frère qu’il lui pardonnait. Elle, elle ne luipardonneraitjamais.
—C’estimpossible,ditJonathand’unevoixlugubre.—Pourquoi?
—Parcequetuvascontinueràprendredesamants,etlesdiaphragmesnesontpassûrs.Unjourou l’autre, tu tomberas enceinte et, tant que tu seras ma femme, tes enfants seront légalement lesmiens.Laloiestclairelà-dessus.Quandunefemmemariéeaccouche,lepère,c’estlemari.
Rosemesural’abîmequilesséparait.—Tun’aurais pas peur que tes collègues semoquent de toi ?Unhommeobligé d’enlever sa
femme?Unefemmeenceinted’unautrehomme,par-dessuslemarché?ajouta-t-elleavecunepointedecruauté.
—Ilssemoquentdéjàdemoi,répliquaJonathand’unevoixterne.Mariédepuisdouzeans,etpasd’enfant!
RosesesouvintdujouroùJackavaitdit:C’estunecurieusemaniedevouloiràtoutprixuneprogéniture.—Vois-tu, Jonathan, certaines nuits j’ai haï la maladie qui t’a rendu stérile…mais, certaines
nuits,c’esttoiquejehaïssais.—Tusaiscequ’ondit?rétorquamollementJonathan.Lahaine,c’estl’enversdel’amour.—Onatort.Lahaine,c’estdelahaine,desdeuxcôtés.Jonathandevintblanccommeunlinge.—Alors, finissons-en, dit-il, au comble de la détresse. Prends ce pistolet, braque-le sur moi,
tiens-lefermementetappuiesurladétente.Pournotrebienàtouslesdeux,fais-le.Ellesesouvintd’uneautrechosequeJackavaitdite:Aucunavocatnevousobtiendrajamaisledivorce.Pourvousdébarrasserdevotremari,jenevois
pasd’autresolutionquedel’assassiner.Maisilavaitplaisanté.Ellerepensaauxmomentsd’intimitépartagésavecJack.EtàJonathan,quinelarejoignaitplus
danssonlitdepuisdouzeans–toutcelaparcequ’aucunefemmenepeuttomberenceinted’unhommestérile!
Jonathanluiavaitinfligédouzeannéesdesolitude,pourdesraisonsquinepouvaientavoirgerméquedansunespritdérangé.
Jonathanl’avaitfaitenleverpardesbrutes.Jonathanl’avaitfaitviolerparlespéculumd’unvieuxmédecin.D’unemainquinetremblaitpas,ellepritlepistolet,empoignasolidementlacrossedécoréede
plaquettesd’ivoireetglissal’indexdanslepontet.—Jenet’accorderaijamaisledivorce,déclaraJonathanavecdétermination.Jetesuivraipartout
oùtuiras.Quandtuserasenceinte, jelesaurai.Jeteferaienleveraumomentoùtut’yattendraslemoins.J’élèveraitonenfantcommesic’étaitlemien.Parcequejet’aime.
—Etlaloitedonneraitencoreunefoisraison?gronda-t-elle.—Oui.C’est pourquoi tu n’as pas trente-six façons d’être libre,Rose,mais une seule.Vise le
cœur,machérie!RosesesouvintdesparolesdesamèredanslefiacreenallantchezWhiteley:L’essentielestdefairecequ’ondoitfaire,quoiqu’ilpuisseencoûter.Etelleappuyasurladétente.
43
Aupremiercoupdefeu,lecœurdeJackcessadebattre.Audeuxième,ilrepoussalemajordomequibouchaitlaporte.Autroisièmecoupdefeu,ilentraencourantdanslamaison.
Auquatrièmecoupdefeu,ilouvritlaportedubureau.Aucinquièmecoupdefeu,ilsefigea.Delafumées’échappaitparlecanond’unpetitpistolet.LepetitpistoletquisetrouvaitdanslamaindeRose.—Lafillequetuasaimée,Jonathan,tul’astuée,ditcalmementRose,commesicen’étaitpaselle
quitenaitlepistolet.JonathanClarringétaitblanccommeunmort.Raidecommeunmort.Maisvivant.—J’auraitoujourslanostalgiedubonheurquenousaurionspuconnaître,repritRose,maissitu
souffres,cen’estpasmafaute.Lesolétaitjonchéd’éclatsdeverre.Jackserenditcomptequ’elleavaittirédanslemiroir,danslavitrinedelabibliothèque,dansla
fenêtre–partoutoùelleavaitvulerefletdesonmari.—Jenetepardonneraijamais,ajouta-t-elleenreposantlepistoletàl’endroitoùellel’avaitpris.
Àpartirdemaintenant,tuesmortpourmoi,Jonathan.Jamaisplustunemeferassouffrir.Jackdoutaquecefûtvrai.Rosesouffrirait toujourspourJonathan,demêmequelui-mêmenecesserait jamaisdesouffrir
pourCynthiaWhitcox.Ils’approcha,pritlajeunefemmedanssesbrasetluiembrassalescheveux.Ilavaitfaillilaperdre.Lesyeuxfermés, ilhumasonparfum–cemélangesubtil,àmoitiésuave,àmoitiépoivré,qui
n’appartenaitqu’àelle.—Ramenez-moi,s’ilvousplaît.Pendantcetemps,surlevisagedeJonathanClarring,sepeignaitlastupeur.Ilprenaitlamesure
du désastre qu’il avait provoqué. Il avait tout perdu.Rose l’avait aimé, l’aimait peut-être encore –maiscen’étaitpasluiqu’ellechoisissait.
—Lejugementdelahautecouraétécassé,annonçaJack,assezfortpourqueJonathanClarringl’entende. Plus aucun homme n’aura le droit d’enfermer sa femme, nimême d’entraver sa libertéd’alleretvenir.
Clarringrestasansréaction.
JackembrassaRosesurlatempe,avantdelalâcher.—Partonsd’ici,dit-elle.Lamainaucreuxdesesreins,Jacklaguidahorsdelapièce.Unefoisdanslecouloir,Roses’arrêta,l’incitantàs’arrêteraussi.—VousvenezdedirequeJonathann’aplus ledroitdemecontraindreàhabiter ici,c’estbien
ça?—C’est bien ça, confirma-t-il en lui caressant la joued’unemainqui tremblait unpeu.La loi
n’estpasunfossile.Elleestvivante.Ellepeutchanger.Etc’estprécisémentcequivientd’arriver.—Grâceàvous,ditRose.—EtàJamesWhitcox,précisaJack.Lemaridesonanciennemaîtresse.—Maissurtoutgrâceàvous,conclut-il.Rosefermalesyeux.—Jevoulaisvraiment le tuer,avoua-t-elleenseblottissantcontre lui. J’ai l’impressionqu’ila
essayédemepousseràboutpourqueje lefasse.Iladitquelesdiaphragmesn’étaientpassûrs,etqu’un jour ou l’autre je finirais bien par tomber enceinte. Il a dit que c’était pour ça qu’il nedivorceraitjamais,pourêtrelégalementlepèredemesenfants.
Jacklaserrafortcontrelui.—Uneséparationdecorpsvousaffranchiradelatutelledevotremari,vous…etlesenfantsque
vouspourriezéventuellementavoir.—MaisleParlementnem’accorderajamaisledivorce?Sanss’enrendrecompte,elleenfonçasesonglesdanslapeaudesoncou.Jackignoraladouleur.—Tôtoutard,jevousobtiendrailedivorce,promit-il.—Quandilsaurontchangélaloi?—Oui.—Et,pourça,ilsattendrontqu’unmarienlèvesafemme,labatte,lamutile,latue…—C’estàcraindre,admitJack.RoseglissalesmainssouslemanteaudeJacketluicaressaledos.—J’aipeut-êtretuél’infirmière,dit-elle.—Comment?—Laudanum.—Oùest-elle?—Dansmachambre.Ausecondétage.Àgaucheaufondducouloir.—Nebougezpasd’ici.À regret, il lâcha Rose et monta l’escalier quatre à quatre. En entrant dans la chambre, il fut
accueilliparuneodeurdecuisine.L’infirmière,reconnaissableàsonbonnetblanc,étaitavachiedansunfauteuil.
Elleronflaitcommeunsonneur.Surmontantsondégoût,Jackluipalpalecou,cherchantlacarotide.Lepoulsétaitnormal.LageôlièredeRosen’étaitpasprèsdemourir.Jackpoussaunsoupirdesoulagementetredescenditl’escalieraussivitequ’ill’avaitgrimpé.Rosen’avaitpasbougédel’endroitoùill’avaitlaissée.Maisellen’étaitplusseule.Autourd’elle,
ilyavaitsonpère,samère,sescinqfrèresetquelques-unesdesesbelles-sœurs.FrancesHartetJamesWhitcoxétaientlàaussi,unpeuàl’écart.Toutcepetitmondeétaitemmitouflédansdesmanteauxsombresetdégoulinantsdepluie.
JacketWhitcoxéchangèrentunregard.Entreeuxpassalefantômed’unefemmeenroberouge.Les parents de Rose s’écartèrent afin que Jack puisse prendre place auprès de la femme qu’il
aimait.