Post on 24-Aug-2020
Faire voir l’absence
Mémoire
Janik Bouchard
Maitrise en arts visuels
Maitre ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Janik Bouchard, 2015
iii
Résumé
Ce mémoire traite du processus créatif et de l’avènement de l’image dans l’œuvre, par la lumière. Comment
remonter le temps en sculptant la lumière par des signes secrets afin de représenter la survivance de la
brûlure? Comment représenter l’image qui, témoin de ma vulnérabilité, brûle encore?
La base onirique de cette recherche représente l’intervalle du temps dans la mémoire, où se révèle l’émotion
latente, montrant un passé proche et/ou éloigné, d’images réduites en cendres.
La lumière est le matériau de base; c’est elle qui (re) construit l’image dans l’espace-temps, qui fixe un contact
visuel avec une forme, un geste, un moment. Elle est un vecteur de création qui épouse la forme en plus de
révéler et de dramatiser le lieu physique de manière inattendue. Son interaction évidente avec le vide et la
transparence s’accompagne d’un questionnement théorique suscité par l’éveil d’un geste animé par les
concepts d’imagination, d’émotion, de mémoire et de temps multiples.
Chaque signe annonce sa disparition; c’est la conjuration d’une chose absente et des traces qui ont survécu à
la perte. Vivre, c’est assumer lucidement la tension entre les absolus.
v
Table des matières
Résumé .......................................................................................................................... iii
Table des matières .......................................................................................................... v
Liste des Figures ............................................................................................................ vii
Remerciements .............................................................................................................. ix
Avant-propos ................................................................................................................. xi
Introduction .................................................................................................................... 1
Chapitre 1 Genèse de mon travail.................................................................................... 3 1.1 Cheminement théorique ........................................................................................ 4
1.1.1 Problématique ........................................................................................................ 6 1.1.2 Signes et symboles .............................................................................................. 7
1.1.2.1 La représentation du corps humain .......................................................................................... 8 1.1.2.2 La métaphore .......................................................................................................................... 10
1.1.2.2.1 Le cri ................................................................................................................................... 11 1.1.2.3 Vide et Plein – Présence et Absence ....................................................................................... 12 1.1.2.4 Lumière et Transparence......................................................................................................... 13
1.1.4 Ambiguïté/Dualisme ........................................................................................ 19
Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du dualisme dans mes œuvres .................. 23 2.0 Matériaux et Techniques ...................................................................................... 23 2.1 Les œuvres de transition ...................................................................................... 27
L’œil qui pleure ............................................................................................................. 28 La vie après… ................................................................................................................. 30
2.2 Les œuvres de la maîtrise ..................................................................................... 32 Réflexion ........................................................................................................................ 35 Passage .......................................................................................................................... 37 Transcendance .............................................................................................................. 39 Évolution ....................................................................................................................... 41 Trace lumineuse ............................................................................................................ 43
Conclusion ..................................................................................................................... 47
Bibliographie ................................................................................................................. 49
Webographie................................................................................................................. 51
Annexe 1 ....................................................................................................................... 53
vii
Liste des Figures
Figure 1 L’œil qui pleure (2009) Sculpture en plâtre et fibre de verre 20 po x30 .............................................. 28
Figure 2 La vie après. (2010) Montage photo ................................................................................................... 30
Figure 3 Réflexion (2013) vidéo 1 min. ............................................................................................................. 35
Figure 4 Passage (2014) Tableau-montage : masonite 4' x8' et procédé électrique ........................................ 37
Figure 5 Transcendance (2014) Tableau-montage : masonite 4' x 6', peinture, procédé électrique ................. 39
Figure 6 Évolution (2015) Tableau-montage : masonite 4' x8', peinture, carton, procédé électrique .............. 41
Figure 7 Trace lumineuse (2015) Image de synthèse ....................................................................................... 43
ix
Remerciements
Mes plus sincères remerciements s’adressent en tout premier lieu, à mon directeur de recherche à la maîtrise,
monsieur Marcel Jean. Son dévouement, sa confiance à mon égard, sa compréhension, sa rigueur et ses
judicieux conseils m’ont guidée tout au l de l’élaboration de ce projet. Ce fut un honneur pour moi de travailler
à ses côtés tant dans l’élaboration de ce mémoire, dans mon travail en atelier que dans son atelier de
recherche en création, à l’Université Laval.
xi
Avant-propos
Ce mémoire de maîtrise doit non pas redire ce que le monde artistique pense, mais exprimer ce que je sous-
entends dans mes œuvres, ce qui est présent dans le non-dit.
Quel portrait conceptuel pourrais-je obtenir en cristallisant ces fantômes qui me hantent et en construisant
mon esthétique entre l’espace et la lumière?
1
Introduction
« L’idée du passé ne prend un sens et ne constitue une valeur
que pour l’homme qui se trouve en soi-même une passion de
l’avenir »1 Valéry
Au cours de ces deux dernières années ma recherche création s’est articulée autour du rôle de l’inconscient
dans le développement de l’indice métaphorique pour faire voir l’absence dans mes œuvres.
Écrire sur le « faire voir » de la présence de l’absence est mettre en mots ce sur quoi je travaillais depuis
longtemps sans le savoir, que ce soit en poésie, en musique ou en arts visuels. Cependant, le fait de
questionner ma pratique m’a fait réaliser la présence, toujours constante, de la blessure inscrite dans ma
chair. Ce qui m’a aussi obligée à réaliser que mes émotions portaient toujours les stigmates de la perte et les
traces de la douleur.
Mon projet de création propose des réflexions issues de lectures théoriques et d’expérimentations pratiques.
Mes créations sont composées de : sculptures, photographies, vidéos et poésie, accompagnées d’une mise
en espace dans un environnement lumineux.
Dans ce mémoire, le premier chapitre, que je nomme Genèse de mon travail, représente les concepts et les
notions théoriques qui m’ont aidée à clarifier ma problématique de recherche. J’établis et définis les différentes
stratégies et moyens utilisés, concernant ma production jusqu’à ce jour.
Le deuxième chapitre : Réflexion sur ma pratique, présente l’évolution de mon travail artistique autour des
notions d’image, d’ambiguïté et de dualisme, de sublime, de transparence, d’espace-temps, de lumière et de
mise en espace. J’ai trouvé des textes d’auteurs, de philosophes et d’artistes, chez qui j’ai recueilli certains
points de vue afin d’établir des parallèles avec ma recherche. Certaines notions comme la transparence, le
vide et la lumière ont commencé à émerger jusqu’à devenir primordiales. J’ai travaillé davantage sur le rôle de
la perception de l’image ainsi que sur la notion du temps de son avènement. C’est aussi l’étape où mes idées
se sont concrétisées.
Cette recherche m’a offert un temps de réflexion bénéfique, par le biais de nombreuses et enrichissantes
expérimentations.
1 Valéry, Paul, Site Web : http://qqcitations.com/citation/118560
3
Chapitre 1 Genèse de mon travail
« L’intuition est la faculté de visualiser plusieurs images
incompatibles occupant le même point dans l’espace »2
Ehrenzweig
Je pense la création comme un mode « d’écoute intuitive flottante, » 3 suivi par des enchaînements qui
s’articulent tout d’abord dans la conscience autour de la perception et des souvenirs.
C. Petitmengin nous dit que pour Jung l’intuition « s’appuie sur un processus inconscient, de sorte que les
résultats sont représentés sous forme d’images symboliques. » 4
L’intuition et l’inconscient guident ma recherche créatrice dans un processus qui est rendu possible par le biais
de l’attention caractérisée par : l’inattendu et l’imprévisible. Le hasard travaille au profit de l’imagination qui
introduit l’accidentel, le fortuit et l’imprévu. Le processus d’introspection est progressif et présente une rupture
dans mes habitudes de vie, forçant le lâcher-prise pour permettre de déplacer mon attention vers l’acte de se
souvenir, caractérisé par l’éveil des percepts et des émotions. Lorsque les pensées « prémonitoires »5
émergent et qu’une prise de conscience s’impose, mon travail de création, de validation et de transformation
entre en jeu. On dit que l’intuition peut parler différents langages, mais pour ma part, l’imagerie mentale se met
à jouer un grand rôle dans le développement des signes. Un état imaginaire anime le déroulement de la
mémoire, caractérisé par la discontinuité d’une logique associative, qui offre une possibilité de régression
illimitée des souvenirs inscrits les uns dans les autres et pose la question du rapport entre le rêve et la réalité.
Dans le mouvement incessant du souvenir et du temps qui passe, je cherche le lien indissoluble entre l’idée et
sa matérialité afin que matériau et forme s’unissent pour obtenir un effet de transformation de l’image en
devenir. Cela demande d’être présent à la succession des découvertes intuitives. Cela demande beaucoup.
Créer est une aventure inquiétante, ambigüe. Je dis ambigu parce que ce processus fait appel aux parties
consciente et inconsciente de mon être, pour faire en sorte que les formes occupent l’espace qualitativement.
À tout moment, le sens peut glisser, l’idée se perdre. Cette prise de conscience comporte beaucoup
d’imprévisibilité et de rupture de continuité.
2 Anton Ehrenzweig, L'ordre caché de l'art, Paris : Gallimard, 1982, p. 173 3 Petitmengin, Claire, L’expérience intuitive, Paris : L’Harmattan, 2001, p.187 4 Ibid, p. 69 5 Ibid, p. 298
4
Je suis au centre de cette production artistique bien que je sois absente. Afin de mieux comprendre mon
évolution artistique et d’élucider le fil conducteur de mon processus créatif, j’ai suivi la piste de la mémoire
consciente et inconsciente où reposent des thèmes affectifs qui peuvent facilement mettre en déséquilibre
mon identité. C’est dans cette perspective que j’ai examiné les agrégats de mes souvenirs par le biais
d’analogies, qui m’ont permis de découvrir le paysage inconscient de ma mémoire et l’âme secrète des
choses.
Dans la contemplation du passé et du presque dépassé, il y a toujours une certaine nostalgie de l’enfance. Le
temps a passé, mes boucles ont été coupées et ce que j’ai gagné en connaissance je l’ai perdu en gaieté.
Mes œuvres, alimentées par les images-souvenirs, forment un pont solidaire entre l’avant et l’après, vers un
temps indivisible et indéterminé. Je défais l’écheveau de mes souvenirs tels que je me les remémore. Selon
W. Benjamin, « le souvenir devient la trame et l’oubli la chaine, car un évènement vécu est fini tandis qu’un
évènement remémoré est sans limites. » 6 Les évènements surgissent et l’image altérée apparaît.
Ainsi, l’unité du texte deviendra l’acte de remémoration, l’envers du miroir, à la recherche d’un bonheur
imaginé. Ce bonheur imaginaire repose dans l’entrecroisement des temps multiples où réside ma mémoire
involontaire abritant des fantômes de demi-mort de n’avoir pu changer certaines conditions de vie
destructrices. Il s’agira de cartographier les connexions souterraines qui serviront de fil conducteur au sens, en
écho au miroir de l’âme.
C’est à partir d’une réflexion de Kundera dans son livre L’insoutenable légèreté de l’être — la légèreté et
pesanteur de l’être-là et du non-être,7 que mon questionnement du faire voir de l’absence par l’indice est
abordé. Le défi est de tisser un pont entre le corps et l’esprit.
1.1 Cheminement théorique
Je ne peux parler du temps, de l’avant et de l’après, sans introduire la notion de mémoire et d’inconscient. À
partir de recherches intuitives basées sur mes souvenirs, j’examine comment je peux déconstruire,
reconstruire et reproduire autrement une nouvelle image, fragment de mon identité, l’envers de mon décor.
L’art doit inclure la dimension du temps-mémoire pour faire voir l’être-là. Ainsi, cette introspection me permet
6 Benjamin, W., Œuvres II, Gandillac, Maurice de; Rochlitz, Rainer; Rusch, Pierre (Trad.); Rochlitz, Rainer (Présentation), Paris : Gallimard, 2000, p. 36 7 Kundera, Milan, L’Insoutenable légèreté de l’être, Paris : Gallimard, 1984, 476 p.bh
5
d’apercevoir des vestiges incrustés dans la mémoire-temps par le biais de la synchronicité de l’indice au
moyen du lent dévoilement de mon ombre à la découverte de mes paysages intérieurs.
Comme le fait remarquer Jung, « la synchronicité est la coïncidence simultanée d’au moins deux évènements
qui ne présentent pas de liens de causalité, mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les
perçoit. »8 Est-ce une intuition ou un rapport de synchronicité qui me fait représenter un corps fantôme
« entre » l’ombre et la lumière?
« J’ai réinventé le passé pour voir la beauté de l’avenir » 9
Aragon
Mon parcours, à la croisée de l’image-montage et du tableau-montage, s’articule à partir d’un processus de
déconstruction et de construction qui rassemble les questions de mémoire, d’image et de montage de
temporalités multiples, de l’ici et de l’ailleurs. Le vide, la ligne, la forme et les rapports à l’espace en sont les
composantes. Le cadrage et les angles de vue orientent le regard et la perception du spectateur. J’analyse
comment le phénomène lumineux intervient dans la conception et le rendu de l’œuvre afin d’augmenter le
dialogue avec le spectateur pour représenter la vulnérabilité de l’homme. Afin de signifier le cri, la dualité est
utilisée par des jeux de tensions et d’oppositions entre lumière/ombre, vide/transparence.
G.-A. Bornheim présente les traits essentiels de la position philosophique d’Heidegger sur le faire voir de
l’être-là « […. ] compris en tant qu’être au monde — celui qui définit sa réalité et qui trouve son sens dans la
temporalité. »10 Par ailleurs, Jung propose une distinction entre : i) l’inconscient personnel (matériaux refoulés,
éléments qui appartiennent à la vie du sujet, mais qui sont passés provisoirement en dessous du seuil de la
conscience) et ii) l’inconscient collectif, commun à l’ensemble des hommes.11
La double origine de l’œuvre entamant l’oubli, m’a permis d’aborder la création comme une prémisse au lever
du voile de ma psyché, dans l’attente de ce qui est à venir, pour faciliter mon ouverture à l’autre. Ainsi, mes
œuvres deviennent des métaphores identitaires, sédimentées dans le temps de l’œuvre.
8 Jung, C.G., L’homme et ses symboles, Paris : Laffont, 1964, p. 211 9 Aragon, L., Le fou d’Elsa, Paris : Gallimard, 1963, p. 196 10 Bornheim, G-A, Heidegger - L’Être et le Temps. Paris : Hatier - Coll. « Sophos », p.21 11 Jung, C. J. Dialectique du moi et de l’inconscient, Paris : Gallimard, 1964, p. 50-53
6
1.1.1 Problématique
« Toute conscience est conscience perceptive » 12
Merleau-Ponty
Les questions que je me pose sont : i) comment mes intuitions inconscientes interviennent dans le processus
créatif de l’image-symptôme? ii) comment réconcilier le conscient et l’inconscient pour vaincre l’angoisse du
vide? iii) comment faire voir la blessure dans sa relation de survivance, et iv) comment se fait la relation de
l’intuition à la mémoire et à l’indice? Pour Deleuze, le but de l’art « […] c’est d’arracher le percept aux
perceptions d’objet et […] d’arracher l’affect aux affections comme passage d’un état à un autre. »13 Dans
L’objet du siècle, Gérard Wajcman souligne que « les œuvres de l’art ne sont pas faites pour se souvenir,
mais pour rendre présent. »14
Dans le processus du « faire voir l’absence », la libre association et la synchronicité (quel fait aime se produire
avec tel autre) ont été privilégiées pour me permettre de pénétrer dans les relations entre la psyché et la
matière afin de libérer les affects — à la frontière entre inconscient/conscient — afin de rendre présent et de
faire voir ma blessure, ma solitude et ma vision de l’homme.
Comme l’a fait remarquer Nietzsche, lorsque notre fierté est en cause, la mémoire préfère souvent céder. Et
c’est pourquoi, selon Jung, beaucoup de souvenirs restent à l’état subliminal parce que désagréables. De ce
fait, mon objectif a été d’analyser certaines perceptions, de les morceler, de les faire éclater en images afin de
les rendre visibles autrement. Le « Je » a été questionné pour comprendre l’intervalle de l’œuvre dans le
processus créatif, entre passé et futur.
Ce travail devient le lieu d’une confrontation dichotomique pour et contre l’oubli, par la juxtaposition de
différentes temporalités dans la réalisation de l’unicité de l’œuvre. La dualité amour-haine génère des formes
ambivalentes qui augmentent l’ambiguïté et renvoient à un lieu au-delà de la représentation. Les souvenirs se
confondent peu à peu et s’entassent, tels des agrégats de cendres. La présence de l’absence suinte dans
l’œuvre, dans un mouvement de glissement l’une dans l’autre. On n’oublie pas, on continue.
Ainsi, le faire voir se réalise par la transformation de l’indice en métaphore, à travers les temps de l’œuvre, le
durable et l’éphémère (blessure intangible), qui s’active en présence du spectateur. Les différents rythmes
12 Merleau-Ponty, Maurice. Site Web : http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/23406/apc.html 13 Deleuze, G., & Guttari, F., Qu’est-ce que la philosophie ? Paris: Les Éditions de Minuit - Coll. Critique, 1991-2006, p. 154 - 166 14 Wajcman, Gérard, L’Objet du siècle, Paris : Lagrasse : Verdier, 1998, p. 24
7
temporels sont explorés dans l’encodage métaphorique ainsi que dans l’intériorité de l’œuvre par le tressage
de l’interdisciplinarité qui concrétise un rapport symbiotique entre l’espace-temps et les différents médias. La
liaison entre les contrastes et paradoxes est assurée par la continuité temporelle dans l’espace, animée par la
lumière, la transparence et le vide. Je préfère laisser des vides comme espaces de réflexion pour exprimer la
perte et la solitude au sein d’œuvres conçues comme des espaces-temps particuliers.
1.1.2 Signes et symboles
L’homme est un signe, qui pense par signes et la pensée se manifeste par des signes. Je ne pouvais écrire
sur le signe sans me référer à Pierce, car, selon lui : « La sémiotique est la théorie des signes linguistiques et
des signes non linguistiques. » 15 Elle fournit les outils nécessaires pour véhiculer et décoder les signes de
l’art en ce qui nous concerne. L’homme utilise le mot parlé ou écrit pour transmettre ce qu’il a à l’esprit. Son
langage est rempli de symboles, mais il emploie aussi des signes ou des images.
Jung dit que ce que nous appelons signe ou symbole est un terme pour désigner un nom ou une image qui,
même s’ils nous sont familiers, possèdent des implications inconscientes. La raison en est que « beaucoup de
choses se situent au-delà des limites humaines, ce qui explique que nous utilisons des symboles pour
représenter les concepts que nous ne pouvons définir. » 16 Un principe de dualité s’installe entre ce qui est
conscient et inconscient (intuition); « ce qui est plein ou vide de vie, ce côté blanc et plage de l’existence. »17
Ainsi, lorsque j’aborde le rôle de mes rêves, la libre association et les signes, je ne perçois que le reliquat des
évènements, car la qualité de mes sens limite ma perception de la réalité qui comporte des aspects
inconscients. Le symptôme éclaire les strates de sens déposées au fil du temps.
C’est dans cet état de conscience élargie que le signe métaphorique est utilisé comme glissement analogique
du faire voir. L’intention subversive est importante. À partir de l’inconscient, je m’attache aux combinaisons à
la recherche d’un souvenir démystifié, en utilisant des logiques multiples et le montage — pour reconstruire et
rendre visible les rapports de temps complexes engageant la mémoire. Il ne s’agit pas de trouver un sens
extérieur à l’image, car l’œuvre ouvre de multiples chemins à celui qui la regarde. « L’image doit être
regardée, interrogée dans le présent pour que l’histoire et la mémoire soient entendues. »18 Le spectateur doit
voir l’œuvre en toute liberté, pour une rencontre poétique.
15 Peirce, C., Gérard Deledalle, Écrits sur le signe, Paris : du Seuil - Ordre philosophique, 1978, p. 212 16 Jung, C.G., L’Homme et ses symboles, Paris : Robert Laffont, 1964, p.62 17 Bouvier, Nicolas, Le vide et le plein – Carnets du Japon. Paris : Hoëbeke, 2004, p. 30 18 Didi-Huberman, G., Phalènes, Paris : Éditions de Minuit, 2013, p. 352
8
Je ne veux et ne peux pas recréer le passé, mais j’essaie d’entamer l’oubli, de comprendre, d’expliquer ce qui
est sous-entendu et présent dans ce passé que j’exprime. J’examine les aspects inconscients par les
enchaînements qui me permettent de découvrir certaines constantes dans le déroulement des évènements.
De quel monde viennent-ils? Dans quel monde me mènent-ils? Quel est le portrait conceptuel ou intuitif que je
pourrai esquisser qui peut produire une justification de ma démarche artistique? Mes œuvres sont construites
à partir de signes qui évoquent et convoquent par la suggestion et l’ambiguïté.
1.1.2.1 La représentation du corps humain
« Le corps intervient dans sa relation à l’esprit »19
Bergson
La représentation du corps humain est omniprésente dans l’art de toutes les époques. Les artistes, désireux
de comprendre l’être dans toute sa temporalité, se sont questionnés sur le phénomène du « faire voir » par le
biais du corps humain comme axe principal de représentation. Ces artistes ont travaillé ardemment afin de
légitimer leurs visions du corps, entier ou morcelé, afin d’aborder sous différents angles les questions
d’identité, de conditions et de rapports humains. Bien que les tendances artistiques du XXe siècle aient
presque nié la représentation du corps humain, ces œuvres nous ont obligés à revoir le faire voir par le corps
et à nous questionner sur la place qui lui revient sur la scène artistique, sous quelle forme elle se présente et
dans quel espace?
« L’objet qui présente pour nous la plus grande importance
pulsionnelle est bien sûr, un autre être humain, dès lors
l’humanisme dans l’art ne cesse d’exalter l’importance de
l’apparence humaine »20
Ehrenzweig
Le thème du corps est omniprésent dans mes œuvres. Victime ou bourreau, il est le centre de mes
préoccupations, comme élément essentiel pour un retour sur moi et sur l’autre. C’est une interrogation sur les
modalités et les possibilités du voir et du regard, sur leurs différences et leurs implications esthétiques. « C’est
19 Bergson, Henri, Matière et mémoire, Paris : PUF, chapitre 1, 1939, 280 p. 20 Ehrenzweig, Anton, L'ordre caché de l'art, Paris : Gallimard, 1982, p. 17
9
l’être que l’absence d’être rend présent. »21 Par des jeux de découpage, montage et effets miroir, j’explore les
liens éphémères entre le monde onirique et le monde visuel, en utilisant l’omniprésence de l’être là dans
l’espace-temps. Il devient une interface dans l’axe du temps-mémoire dans sa relation au spectateur, par le
biais de traces multiples (photographiques, textuelles, vidéographiques.
Jean Starobinski rapproche « la conscience et le corps grâce à l’œil; c’est le regard qui assure à notre
conscience une issue hors du lieu qu’occupe notre corps. »22 À l’aide de la métaphore, le corps transformé
devient un des enjeux de déplacement des perceptions, en rappelant que le corps est aussi mémoire physique
et émotionnelle, consignant à fleur de peau les traces du passé entre douleur et étreinte. Il se pense et se
donne à voir comme présence et solitude.
« Le corps se pense dans le temps »23
Nadeau
L’être-là est présenté aux limites de la représentation — de part en part dans son rapport au monde, où se
jouent l’illusion et la matérialité de processus créatif ambivalent. Combiné à la transparence et au vide, il
contribue à l’émergence de rapports divers qui s’établissent entre formes et objets, démontrant les différences
entre les éléments, par des contrastes, oppositions, juxtapositions : spatiotemporel, virtuel/actuel,
opaque/transparent, créant l’ambiguïté.
« Le corps est rapport au monde accompagné de ses champs
perceptifs »24 Merleau-Ponty
Ce qui n’est pas moi est autre. L’identité ne serait qu’une frontière bornée par mon corps. Comme être
humain, je reproduis la trace de l’autre dans moi qui devient l’évocation de ma présence éphémère au monde
et le reflet de mon regard porté sur le corps de l’Autre, afin de conjurer l’angoisse de l’absence et de tenter
une relation impossible à l’autre. C’est le dualisme de la présence de l’absence par le vide, la lumière, les
temps multiples comme matériaux.
21 Blanchot, M., L’espace littéraire, Paris : Gallimard, p. 265 22 Starobinski, Jean, L’œil vivant, Paris : Gallimard, 1999, 400 p. 23 Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Paris : Du Seuil, 1945-1970, 188 p. 24 Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1945-1976. p.350-355
10
Donnez-moi donc un corps : c’est la formule de renversement philosophique. Le corps n’est plus l’obstacle qui sépare la pensée d’elle-même, ce qu’elle doit surmonter pour arriver à penser. C’est au contraire ce dans quoi elle plonge ou doit plonger, pour atteindre à l’impensé, c’est-à-dire la vie. Non pas que le corps pense, mais, obstiné, têtu, il force à penser, et force à penser ce qui se dérobe à la pensée, la vie.25
Deleuze
Les souvenirs les plus douloureux sont chargés de possibilités. Comme dit N. Bouvier « les fruits et les
visages meurtris ont plus à offrir que les autres. »26 Je lutte contre l’oubli en cherchant à comprendre comment
le corps exerce son être là, comme trace intangible, imaginaire.
« Et le corps qui est-ce qui est, le voici qu’il ne peut plus se
contenir dans l‘étendue! / Où se mettre? / Où devenir? / Cet
Un veut jouer à Tout »27 Valéry
1.1.2.2 La métaphore
La métaphore est une création de la pensée ou du langage qui s’articule autour de la mémoire, de
l’inconscient et des souvenirs pour devenir phénomène esthétique et glissement analogique. J’utilise la
métaphore comme stratégie indicielle appelant la dualité réelle/virtuelle, appelant à l’imagination du
spectateur.
Au fil des années, j’ai réalisé que mes rêves sont mon meilleur champ d’exploration pour la technique de la
libre association. Par exemple, les Chinois sont très attentifs à la théorie des coïncidences significatives; ils ne
se demandent pas quelle était la cause, mais quel fait aime à se produire avec tel autre? Influencé par les
Chinois, Jung parle plus spécifiquement du concept de synchronicité qui nous permet de pénétrer plus
profondément dans les relations entre la psyché et la matière.
Comment m’orienter dans toutes ces théories? Ces deux théories m’ont fait réfléchir et ont réveillé en moi de
vieux souvenirs logés dans l’inconscient, un peu comme lors de mon grave accident de voiture. Cet
25 Deleuze, Gilles, Cinéma 2, L’image temps, coll. Critique, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 246 26 Bouvier, Nicolas, Le vide et le plein – Carnets du Japon, Paris : Hoëbeke - Collection Étonnants voyageurs, 2004, p. 30 27Pickering, Robert, Paul Valéry : « Regards » sur l’histoire, Clermont-Ferrand : PUBP, 2008, , p. 333
11
évènement a échappé à ma mémoire consciente, mais il est resté dans l’inconscient. Ainsi, à chaque fois que
je me retrouve dans une condition similaire, je ne peux m’empêcher de repenser et revivre mes craintes et
peurs vécues lors de l’accident.
L’inconscient est composé d’une multitude de symptômes, impressions et survivances qui continuent à
m’influencer, telle de la braise facile à réactiver. Ces symboles de l’affect et des percepts m’informent des
aspects peu connus de ma personnalité — l’ombre – pour m’aider à me dépasser.
La métaphore devient ainsi un signe dans le processus de transcendance et le vide devient une expression de
l’ouverture à l’être là. C’est aussi un mal du vide que je cherche à dissimuler. Cette ambiguïté annonce le
message, qui doit à la fois cacher et révéler l’idée et confirme que l’opacité en art n’est conçue que comme
transparence obscurcie, ce qui fait de l’objet métaphorique, un mode d’expression indirect et voilé.
Il semble que l’on puisse découvrir l’ombre de l’artiste à travers l’âme secrète des objets projetés. Ce qui peut
provoquer le sentiment que l’objet est plus que l’œil ne peut saisir, et que l’absence de sens peut être
transformée en vide métaphorique. Ainsi, l’expression symbolique de présence de l’absence permet de sortir
du vide pour vaincre l’attente par la réconciliation des contraires.
Si je regarde mon cursus sous l’angle des paradoxes, mon art a un aspect double. Dans un sens, chaque
image représente une portion manquante, un symptôme, un signe secret, un reliquat de ce qui a survécu,
comme a dit Man Ray « les cendres intactes d’un objet consumé par les flammes »28 ; elle est aussi
l’expression de l’ombre de mon esprit, en négatif. Par le biais de l’image morcelée, je travaille à faire voir
l’être-là, dans ses rapports engageant la mémoire et l’histoire.
1.1.2.2.1 Le cri
Pour E. Souriau, l’œuvre « se transcende par le sublime ce qui manifeste pour un être, une intention plus
haute, qui le métamorphoserait. »29 L’œuvre devient donc plus grande qu’elle même grâce à la transcendance
et elle répond à des aspirations profondes de l’homme. Le sublime peut venir d’un rêve, d’une vision, d’une
impression. Il contient toutes les dimensions du monde, l’espace et le temps, l’esprit, la réalité de l’homme.
Ainsi, le spectateur à l’instar de l’artiste et par sa médiation, accède aux plus hauts sentiments spirituels dont il
28Ray, Man. Site Web : http://lapetitemelancolie.com/2012/07/26/man-ray-4-planches-pour-illustrer-larticle-lage-de-la-lumiere-publie-dans-la-revue-minotaure-1933-man-ray-trust/ 29 Souriau Etienne, La Correspondance des Arts, Paris : Flammarion, 1969, p. 88
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soit capable. Dans un entretien avec David Sylvester, F. Bacon30 explique qu’au début il avait commencé à
peindre l’horreur, mais que c’était trop dramatique; alors il enchaine en disant que « ce qui compte c’est de
peindre le cri. » Si l’on se rappelle, chez Bacon les visages d’horreur sont pleins de visions, de peurs et de
cris silencieux projetés vers le spectateur. On sent un cri étouffé, intériorisé. Les corps se définissent aussi
bien par les affects projetés que par leurs interactions avec la vision. Deleuze souligne que chez la plupart des
gens, Bacon suscite un choc parce qu’il présente des figures de souffrance et d’angoisse, afin de présenter
les forces agissantes derrière les choses. L’émotion ne dit pas « je » elle n’est pas de l’ordre du moi, mais de
l’évènement. « Il faudrait plutôt recourir à il souffre plutôt qu’à je souffre. » 31
Si le sublime est plus qu’un sentiment ou l’émotion du sujet, je suis avide d’explorer de nouveaux territoires et
de provoquer des accidents de parcours sur des sentiers inconnus vers un « art où je peux représenter les
forces agissantes derrière mes œuvres, »32 c’est-à-dire le cri transcendé de la chair, au moyen d’œuvres où
chacun des éléments (lignes, formes, vide, transparence et absence de couleur) reflète le « trou de
brûlure. »33
1.1.2.3 Vide et Plein – Présence et Absence
« Importance du vide comme ouverture au rythme, à la
poésie, à la lumière, à la forme, à la profondeur et au son »34
Cheng
Selon Pierre Fédida, le vide peut « symboliser un gisement de sens; il unit ce qui gît dessous, ce qui ci-gît et
ce qui gît devant. » 35 Ce sentiment de vide que l’on ressent si souvent, est l’expérience d’attente de sens
après une perte, une séparation ou bien en référence à cet utérus resté vacant. Mais, il n’est pas simple de
reconstruire le manque ou la perte. La structure physique du vide est une répétition qui change l’aspect du
temps. Son utilisation permet de donner « […] un rôle entre — entre un regard et le visage qui se tait, entre soi
et l’autre qui n’est pas là »36. Le vide comme élément de base est ancré dans plusieurs traditions artistiques,
que ce soit en musique, en poésie ou arts plastiques. Par exemple dans l’interprétation de formes musicales le
vide est traduit par certains rythmes syncopés précédés de silence créant un espace pour « permettre aux
30 Bacon, Francis, L'art de l'impossible - Entretiens avec David Sylvester, Genève : Skira, 1976, rééd. 1995, p. 45 31 Deleuze, Gilles, Deux régimes de fous et autres textes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2003, p. 167-172 32 Lyotard, J-F., Leçons sur l’analytique du sublime, Paris : Galilée, 2007, ch. 23-29, 304 p. 33 Didi-Huberman, G., Phalèlnes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2013, p. 360 34 Cheng, F., Vide et plein – Le langage pictural chinois, Paris : Du Seuil, 1979, p. 50 35 Fédida, Pierre, L’absence, Paris : Gallimard, 2005, p. 304 36 Ibid, p. 308
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sons de se dépasser et d’accéder à une résonance au-delà des résonances. »37 De même en poésie, on
supprime volontairement certains mots syntaxiques, appelés mots vides, pour créer soit un parallélisme soit
une antithèse ou autre. Par la discontinuité générée, ces procédés révèlent le désir de l’artiste de transformer
le temps réel en espace réel et métaphorique.
Mais c’est en arts visuels que le vide est le plus manifesté, alors que le spectateur réalise que le vide
représenté semble relier le monde sensible et invisible. Le vide causé par la brûlure s’installe et devient
l’intervalle de germination de l’œuvre. Le rapport à la mémoire et à l’omniprésence du corps-signe représente
les relations entre la psyché et la matière. Le vide métaphorique doit être perçu « comme un dévoilement à
l’être-présent. »38
C’est ici que le texte de Didi-Huberman dans Phalènes39 sera utile pour comprendre le sens de la notion
d’image. Le vide « le trou de la brûlure »40 devient un intervalle atemporel où l’absence se transcende par la
réconciliation des contraires. Les formes spatiales du vide deviennent un concept de représentation répondant
au besoin d’exprimer l’absence et la solitude.
Le véritable désir d’un ailleurs va me pousser à expérimenter l’utilisation du vide combiné à la transparence et,
par-dessus tout à la lumière. Le vide est-il l’absence? Le vide serait-il l’ouverture vers le plein de la création?
La création serait-elle ce lieu de l’espace-temps propre à accueillir le vide… d’un corps, d’une vie? Il appert
que la création serait pour moi, le double mouvement du déliement des fils de mes deuils et du tissage de
l’œuvre.
1.1.2.4 Lumière et Transparence
La lumière génère l’image au moyen du vide et de la transparence. Loin de me diriger vers une image
simpliste, je préfère travailler sur un symptôme venant des temps multiples de ma mémoire, telle que
représentée dans mes tableaux-montages, par le biais de la lumière indicielle qui sculpte les corps.
Comment la faire résonner cette matière lumineuse? La lumière joue un rôle important dans ma démarche :
c’est elle qui (re) construit l’image et qui capte l’instant d’un contact visuel avec une forme. Elle transforme la
représentation du corps et est une interaction importante avec l’être-là, car sans elle, il n’y a plus cette magie
de la vie. La lumière devient une substance organique, vivante a travers mes œuvres. Elle est un point de
37 Cheng, p. 55 38 Fédida, Pierre, L’absence, Paris : Gallimard, 2005, p.310 39 Didi-Huberman, G., Phalènes, Les Éditions de Minuit, 2013, p. 360 40 Ibid, p. 360
14
convergence du corps-esprit. Je l’utilise comme phénomène, comme matériau pour la matérialisation de la
présence/absence afin d’obtenir un aspect fantomatique, quasi immatériel des formes pour augmenter
l’expérience du spectateur. L’interaction du vide et de la lumière crée des tensions et des mouvements
tectoniques. Quelle forme et quelle intensité donner à cette lumière qui devient l’intervalle du vide? Comment
certains matériaux plus ou moins transparents remettent-ils en question la capacité du spectateur à déceler le
sens? Pour obtenir l’effet escompté, j’utilise le vide, la transparence, la juxtaposition temporelle et le rythme
soit par la superposition d’éléments soit par l’utilisation de la trame.
La lumière n’est pas qu’une simple assistance technique qui vient compléter le projet en cours, mais bien un
vecteur de création qui va épouser la forme de l’œuvre, le corps fantôme, révéler et dramatiser le lieu
physique de manière inattendue. Je déconstruis/reconstruis l’espace avec des structures trouées afin de
sculpter la lumière et l’intégrer au lieu.
« Les œuvres d’art parlent d’elles-mêmes » voilà la déclaration de Mathieu Beauséjour qu’on peut lire sur une
de ses aquarelles, réalisée en 2007. Elle le fait en recourant à la lumière, qui sollicite activement la perception
visuelle du spectateur, et qui implique aussi que l’œuvre intègre son propre éclairage en tant que dispositif
lumineux. La lumière définit la présence de l’absence et ouvre à l’intermédialité des formes qui lie et rythme
l’ensemble des éléments de l’œuvre. L’homme est métaphore, mais tout entier dans l’œuvre.
« La transparence est matière sous un voile de lumière »41
Buydens
Présente dans toutes mes œuvres la lumière s’inscrit comme le principe qui anime le vide de l’œuvre par le
jeu des contrastes : ombre/lumière, très souvent en complémentarité avec le multimédia. Ce rapport délimite
l’espace-temps. Le vide préfigure le rien et fait sentir les pulsations de la métaphore. L’œuvre devient la
représentation de mon monde intérieur. La lumière modèle les surfaces. L’image devinée devient l’imaginaire
du spectateur. Les œuvres évidées alternent les sensations de vide et de plein, d’images de mémoire et
d’existence imaginaire. De ces formes suggérées, le spectateur peut projeter ses images personnelles que la
lumière aidera à matérialiser le temps d’un instant. L’expérience spatiale devient une expérience visuelle. La
confrontation entre le transparent et l’opaque provoque une tension et une densité de l’espace qui vient abolir
les repères du spectateur.
41 Buydens, M., Sahara l’esthétique de G. Deleuze, Paris : Vrin, 2005, p. 100-198
15
Michel Guérin propose comme thèse que « […. ] la transparence est un fait tragique, non une idéologie. Il est
important d’opposer le tragique de la transparence effective au semblant d’idéal de transparence. » 42 Ce
paradigme a partie liée avec le désir de traverser l’apparence. Ainsi, j’utilise des dispositifs optiques qui
privilégient l’indirect. Je combine sculpture, photographies, vidéos, poésie — avec différents matériaux, soit :
le fer, le bois, le plexiglas, le tissu, et l’écriture afin que ces différents aspects se rejoignent par le biais de
cadrages, de dispositifs de vision, parsemés de jeux d’ombre/lumière modulés, pour confirmer l’importance du
point de vue. Ainsi, le dispositif sur la voix du corps devient un jeu de miroirs, qui révèle quelque chose des
situations ou des corps-signes.
1.1. 3 Mémoire et Temps
La mémoire-durée sert de fil d’Ariane au passé « comme coexistence virtuelle. »43 Elle contient des aspects
conscients et inconscients. Ainsi, selon Jung,44 l’ombre de l’inconscient arrive souvent au moment où il faut
ajuster une attitude déviante. La conscience devient un témoin virtuel qui permet une prise de conscience
nécessaire au dépassement des blocages. L’expérience intuitive devient essentielle à la conscience pour
accéder à l’émotion créatrice. C. Petitmangin45 nous dit que l’émotion est génératrice d’idées et que, si elle est
combinée à l’intuition, elle est un mode de pensée qui nous permet d’entrer en contact avec l’être.
C’est d’abord l’affectivité qui suppose que le corps soit autre chose qu’un point mathématique et lui donne un volume dans l’espace. Ensuite, ce sont les souvenirs de la mémoire, qui relient les instants les uns aux autres et intercalent le passé dans le présent. Enfin, c’est encore la mémoire, sous forme d’une contraction de la matière qui fait surgir la qualité.46
Deleuze
Prendre le temps d’habiter l’image — en faire l’expérience — qui doit être comprise tour à tour comme
document ou objet de rêve, voici ce que signifie la notion de durée. Didi-Huberman compare l’image à un
papillon qui apparaît et disparaît – de sa phase de gestation à sa phase d’envol (émotion) :
42 Guérin, Michel (dir.), Pascal Krajewski; Pierre Huygue; Gilles Suzanne; Collectif, La transparence comme paradigme, Provence : PUP, 2008, 332 p. 43 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p. 56 44 Jung, C. G., L’homme et ses symboles, Paris : Robert Laffont, 1964, p. 172 45 Petitmengin, C., L’expérience intuitive, Paris : L’Harmattan, 2001, p 69 46 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p.16
16
C’est la flamme qu’elle désire… […] d’un coup elle
s’enflamme – émotion profonde […] il y a sur la table un
minuscule flocon de cendre. Les images comme les mots
sont des trésors et des tombeaux de la mémoire.47
Didi-Huberman
Le temps-mémoire est questionné pour un voyage de moi à l’autre par une remise en question des
symptômes, du récit et de l’actuel de la création. La faculté d’archivage du temps passé et des cendres qu’il
en reste joue également sur la portée de l’image.
Dans ce processus, l’imagination et le montage sont des étapes importantes pour rendre visible les temps
complexes générés d’images hétérogènes, faites d’intervalles et de trous de brûlure :
« […] la vérité […] n’apparaît pas dans le dévoilement, mais bien
plutôt dans un processus que l’on pourrait désigner
analogiquement comme l’embrasement du voile […], un incendie
de l’œuvre, ou de la forme, atteint son plus haut degré de
lumière » 48
Benjamin
Certains souvenirs sont associés à l’apprentissage infantile, alors que d’autres se rattachent à une sensation
différente de l’espace et expérimentent la durée. Jacquard49 soumet l’idée que ce qui crée le sentiment d’une
durée est lié à notre capacité de nous souvenir et d’évoquer. La durée, fait place à l’instant. La recherche de
mes souvenirs s’est faite à partir de la perception que j’ai des évènements — de simultanéité, d’antériorité et
de postériorité.
47 Didi-Huberman, G. Phalènes, Paris : Les Éditions de Minuit, 2013, p. 344 48 Benjamin, W., Origine du drame baroque allemand, Paris : Flammarion, 1985, p. 28 49 Jacquard Albert, Voici le temps du monde fini, Du Seuil. 1991, p. 21
17
Bergson considère la mémoire comme un phénomène identique à la durée : la durée comme mémoire, conscience, liberté. La mémoire y est présentée comme un moyen de conservation et d’accumulation du passé dans le présent. À vrai dire, la durée est essentiellement une continuation de ce qui n’est plus dans ce qui est. La mémoire les relie l’un à l’autre. Il explique que le corps intervient dans sa relation à l’esprit, car percevoir consciemment signifie la liberté de choisir.50
Deleuze
Cette définition de la mémoire met en cause l’idée du présent qui n’est pas, mais est devenir et l’idée du passé
qui ne cesse pas d’être. De ce mixte du temps, le souvenir passe de virtuel à actuel et de là naît l’image
métaphorique comme réalité psychologique qui m’amène de l’autre côté du miroir.
Selon Bergson, le présent passe, l’éphémère conserve et se conserve et l’avenir se dessine dans le présent,
reste l’intervalle.51 L’intervalle devient l’articulation du temps dans l’espace-temps. Freud en parlant des
œuvres de Léonard de Vinci a expliqué le fonctionnement de « l’impression de l’absence comme d’un
environnement suggéré par le jeu ambigu des images dont le signe renvoie toujours à un lieu où il n’y a rien à
voir. »52 Le temps est une préoccupation constante, car en essayant de spatialiser le temps, de saisir
l’insaisissable, je tente de l’abolir.
Le temps se définit comme la sédimentation de l’inconscient et du conscient. La temporalité de l’œuvre est
représentée en terme d’image-symptôme dans l’espace lumineux. La cadence devient répétition. L’élément
qui se répète le plus est le corps humain évidé, fantomatique, qui se module en vertu des souvenirs. Ainsi,
comme disait le Chapelier dans Alice aux pays des merveilles « […] il faut que je batte le temps – le temps est
un être vivant. »53 La conscience spatiale s’évalue en termes de perception du corps de l’autre. Entre
matérialiser la durée ou spatialiser le symptôme, mes expériences tentent de mettre en relief le corps pour
véhiculer une temporalité.
Ma curiosité, qui comme Alice cherche à comprendre son rêve, me pousse à explorer mes souvenirs
d’enfance, le rôle de ma mère, ma déception de ne pas être un garçon, et toutes les émotions vécues dans le
monde adulte en me limitant à deux aspects de ma mémoire la : i) subjectivité-souvenir (virtuel) et ii)
subjectivité-contraction (actuel devenir). Les signes métaphoriques de l’objet imaginé apparaissent ou
disparaissent selon mon désir dans un emboitement de souvenirs dont le thème central est la perte.
50 Deleuze, Gilles, Le Bergsonisme, Paris : PUF, 1966, p. 59-61 51 Ibid, p. 43-44 52 Fédida, Pierre, L'absence, Paris : Gallimard, 2005, p. 369 53 Carroll, Lewis, Alice aux pays des merveilles, Aran : Macmillan and Co, 1869, p. 113
18
J’observe le déroulement de la séquence des éléments, caractérisée par la discontinuité, qui fait se succéder
les évènements par association d’images ou d’idées, analysées selon une logique des contraires : i)
conscient/inconscient, et ii) temps passé/virtuel/actuel. Corps aimé, corps-souffrance — tantôt représenté sous
forme d’images ou partie d’images provenant de repères perceptuels et affectifs afin d’exprimer le vide de
l’absence. Les moyens utilisés pour représenter le temps imaginaire sont : l’ambiguïté des traces
intertextuelles, la transparence, le vide et les temps multiples, juxtaposés et superposés aux images ou
éléments. Le vide devient un ferment bouillonnant de particules virtuelles, vibrant d’énergie et de vitalité.54
« La mémoire intervient comme un lieu structuré de recherche
tourné vers le futur; le temps passé intervient comme une
structure du temps […] temps perdu, temps retrouvé dans le
temps absolu de l’œuvre d’art où s’unissent toutes les autres
dimensions » 55 Deleuze
Par exemple, Deleuze postule que « tomber amoureux c’est individualiser quelqu’un par les signes qu’il porte
et qu’il émet. Selon lui, les signes amoureux sont des signes mensongers qui génèrent la souffrance. »56 Mais
en final, tous les signes convergent vers l’art.
Les êtres que j’ai aimés m’ont fait souffrir, chacun à leur tour, mais la fracture temporelle des fragments de
souvenirs fait que les images remémorées restituent aléatoirement dans le présent les réminiscences du
passé. Mes œuvres portent l’empreinte de ces réalités absentes.
Quelle meilleure façon de représenter l’ambivalence que par le glissement du caché dans la métaphore?
Comment représenter ce glissement de l’une à l’autre? Le langage est un outil qui peut être imparfait, mais la
métaphore peut produire un effet de sens plus filtré.
Cette acceptation des notions de la mémoire et du temps, je me propose de rechercher quelles places elles
occupent dans mon corpus d’œuvres. J’espère que ce processus de réflexion apportera un sens aux
évènements passés et une ouverture à l’enfant intérieur.
54 Luminet, J-P., M. Lachièze-Rey, La physique et l’infini, Paris : Flammarion, 1957-1994, p. 92-93 55 Ibid, p. 27 56 Deleuze, Gilles, Proust et les signes, Paris : PUF, 1970, p. 27
19
1.1.4 Ambiguïté/Dualisme
« On ne peut pas exprimer par des mots ce qu’on a dans l’œil
et dans la main. Les paroles faussent les pensées, faussent
les paroles : on ne se reconnait plus »57
Giacometti
Selon E. Durkheim :
[…] l’homme est, à la fois, « ange et bête » sans être exclusivement ni l’un ni l’autre. Il en résulte que nous ne sommes jamais complètement d’accord avec nous-mêmes, car nous ne pouvons suivre une de nos deux natures sans que l’autre en pâtisse. Nos joies ne peuvent jamais être pures; toujours, il s’y mêle quelques douleurs puisque nous ne saurions satisfaire simultanément les deux êtres qui sont en nous. C’est ce désaccord, cette perpétuelle division contre nous — même qui fait, à la fois, notre grandeur et notre misère : notre misère, puisque nous sommes ainsi condamnés à vivre dans la souffrance; notre grandeur aussi, car c’est par là que nous nous singularisons entre tous les êtres. Ainsi, un désir d’immortalité se voile dans le concept du double, car l’ombre continue son existence après la décomposition du corps physique. 58
Le dualisme est défini dans le dictionnaire de la langue française comme « un système manichéen construit sur
l’opposition entre deux notions, entre deux principes irréductibles. »59 De son côté, Bergson propose une
conception dualiste de l’être, selon laquelle l’esprit existe par lui-même et n’est pas un produit de l’activité
biologique du cerveau.60
Nietzsche écrivait que nous ne connaissons rien d’autre que le monde de nos sentiments et de nos
représentations. Ainsi, je donne la priorité au corps vécu, car ma conception de l’être est une analogie de mes
percepts et affects et un reflet de ma vie.
L’art est devenu, un moyen de lutte contre l’oubli en unissant et superposant différentes temporalités. La
dualité temps-mémoire est questionnée en espérant que le sens de l’œuvre apparaisse à la conscience, à
57 Giacometti, Alberto. Site Web : www.gelonchviladegut.com/wp-content/uploads/.../200-CITATIONS.pdf. 58 Durkheim, Emile. Site Web : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/sc_soc_et_action/texte_4_15/dualisme_nature_hum.htmln Consulté le 30 mai 2015. 59 Dictionnaire de la langue française. Site Web : http://www.le-dictionnaire.com 60 Bergson, H. Site Web : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Bergson
20
l’insu de la raison. Je m’interroge sur la relation fragile que j’entretiens avec le monde sensible et imaginaire.
Le corps est un très bon exemple de dualité et devient un des axes référentiels de ma recherche, pour signifier
la présence de l’absence, tel que vécu comme sensation.
La dualité est explorée sous plusieurs points de vue : spatio/temporel, virtuel/actuel, opaque/transparent,
présence-absence, vide/plein, lisible/codée. Une même chose révèle son contraire. L’union des contraires est
recherchée, mais n’est pas toujours possible. Je trouve nécessaire d’explorer les deux extrêmes afin de
trouver les liens dynamiques qui peuvent unifier le tout pour représenter l’âme secrète des éléments qui
génèrent le vide de l’absence.
« On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver
pleinement. » 61 Proust
À l’origine, les surréalistes m’ont influencé beaucoup. À partir de là, j’ai commencé à chercher à atteindre la
substance du temps perdu à la recherche d’une réalité enfouie dans l’inconscient afin d’exprimer la solitude.
Admiratrice de Marcel Proust pour son œuvre de remémoration et de tissage de souvenirs dans
« A la recherche du temps perdu — Le temps retrouvé », ma recherche est devenue une quête de
remémoration de certains souvenirs, qui ont joué un rôle primordial dans mon cheminement et qui ont fait
surgir un monde de symboles devenus les signes de ma création. Ce vocabulaire est devenu l’essence d’une
réalité inconsciente sous le voilage du processus créatif.
« L’art est la rencontre de l’esprit et de la matière » 62
Russ
Alors j’ai tourné en rond, revivant mes souvenirs en boucle, dans l’illusion que le bonheur passé finirait par
déteindre sur le présent pour me redonner un avenir. Le cycle pensée, émotion, création s’est décliné en une
série d’œuvres fragmentées relatives au vide de l’absence.
Il est difficile pour moi d’expliquer mon processus créatif, car tout se passe à partir de l’intuition, comme dans
un rêve où le temps, l’espace et la présence constante du souvenir s’installent en métaphore. J’ai compris que
61 Proust, Marcel. Site Web : http://www.maphilo.net/citations.php?cit=2051 62 Russ, Jacqueline, Les chemins de la pensée, Paris : Bordas, nouvelle édition : 1999, p.276
21
c’est en moi-même que je peux trouver cet ailleurs pour révéler « l’entre » du temps-mémoire, et le
transformer en aura lumineuse.
Dans ce premier chapitre, j’ai présenté quelques notions qui ont accompagné mon projet de création : la
métaphore, le corps et sa représentation, mon histoire personnelle liée à la représentation de l’absence, la
mémoire et le temps et la volonté d’explorer la lumière, la transparence et la mise en espace pour exprimer
l’ambiguïté et le dualisme. On pourra voir, au chapitre qui suit, comment se sont articulés dans l’œuvre les
éléments de la recherche liés à cette problématique.
23
Chapitre 2. Manifestation de l’ambiguïté et du
dualisme dans mes œuvres
2.0 Matériaux et Techniques
« L’idée comme forme échappe au sens, mais peut être
atteinte par la vue. L’art et la science font corps par le corps.
L’alliance est duelle »63 Nadeau
Le dualisme fait de l’œuvre le lieu d’une énigmatique juxtaposition forme/fond où le réel doit être caché pour
apparaître, un peu à la manière d’un corps sous des voiles symboliques. La forme et le fond ne sont que deux
aspects d’une même réalité, où la structure délivre le sens recherché, généré par la transparence de la forme-
signe, qui doit à la fois cacher et révéler l’idée.
« Un désir d’immortalité se voile dans le concept du double,
car l’ombre continue son existence après la décomposition du
corps physique »64
Schnabel
Pour moi, l’ambiguïté se définit comme une proposition dichotomique pour sauvegarder la signification.
Utilisant l’intermédialité entre sculpture, peinture, vidéo et poésie, j’explore les reliquats de souvenirs au
moyen d’introspection et de réinterprétation d’évènements passés, dont le lieu de l’œuvre est l’endroit de
convergence de l’espace-temps et du spectateur pour faire une expérience esthétique.
Par leur co-présence, les divers éléments symboliques s’opacifient mutuellement, créant un espace dans
l’espace qui est reconnu par le sujet en tant qu’œuvre. « En sens inverse, les œuvres impliquent le regardeur
non seulement comme amateur d’art, mais aussi comme sujet voyant impliqué dans ce qu’il voit. » 65
63 Nadeau, Maurice, Histoire du surréalisme, Paris : Du Seuil, 1945-970, 188 p. 64 Schnabel, William. Site Web : https://fr.wikipedia.org/wiki/Double_(dualité) 65 Wajcman, G., L’objet du siècle, Paris : Lagrasse : Verdier, 1998, p. 36-40
24
« L’œil de l’artiste doit être toujours tourné vers sa vie
intérieure »66 Kandinsky
Je travaille selon une logique progressive de composition, à partir d’un processus qui procède par stades
successifs, où chacune des strates introduit un autre élément, procédure ou technique différente. La structure
est basée sur le rythme, l’harmonie et la forme. Mais chaque stade apporte sa part d’impondérables. J’utilise
mes expériences de la vie pour faire évoluer ma création qui est passée de l’utilisation de : l’écriture et la
photographie, à la sculpture et la vidéo – au moyen soit d’image-montage, de matériaux mixtes, ou de tableau-
montage.
Selon Didi-Huberman dans L’image brûle :
L’image, puisqu’elle est reliée à la mémoire, opère un mélange de diverses expériences passées, produisant un composé anachronique et hétérogène. Elle est formée d’une multitude d’éléments avec lesquels le regard doit composer. Le temps fait monter à la surface l’ordre caché de la forme et de l’image.67 Didi-Huberman
Avant d’aller plus loin, je veux préciser le sens du mot image dans mon travail. En effet, ce terme peut
prendre plus d’un sens selon le contexte d’utilisation. Pourtant, je retiendrai uniquement la définition donnée
par Didi-Huberman dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, « […] l’image est l’objet du voir et du
regard; tout élément regardé est en fait une image. »68 Ainsi, les divers éléments, accompagnés de portions
de corps fragmenté et fantomatique, sont des images survivantes exprimant l’éclatement du souvenir. Mais
est-ce une portion d’image, réelle ou imaginaire?
Jusqu’à maintenant, les gestes qui ont été posés sur la matière découlent de ma mémoire involontaire et des
choix volontaires que j’ai faits. Les éléments se stratifiant s’étalent sur l’ensemble des temporalités de l’œuvre.
Mes œuvres deviennent des métaphores du temps qui passe en utilisant plusieurs langages et référant à
66 Kandinsky Wassily, Point et ligne sur plan, Paris : Gallimard, 1926-1991, p. :111 67 Didi-Huberman, Georges, L'image brûle, In Penser par les images, Paris : Éditions Cécile Defaut, 2006, p.51 68 Didi-Huberman, G., Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, p.192.
25
différentes formes d’expression. J’ai dû inventer mes propres outils pour faire voir ce qui est sans traces
visibles.
« Ce qui fait les choses, c’est leur pouvoir de transformation »
Proverbe oriental
Pour innover, j’ai utilisé les qualités de la transparence pour voiler le signifié, et celle de l’opacité pour retenir
et concentrer la perception sur l’objet signifiant. J’ai procédé de différentes façons : i) en combinant un média
ancien aux nouvelles technologies, ii) en procédant par soustraction ou déconstruction et reconstruction, iii) en
combinant vide et transparence à la lumière, iv) en utilisant le trompe-l’œil, pour donner un effet
tridimensionnel par des jeux d’ombre et de lumière, et v) en utilisant le contraste clair-obscur — le noir
(émotion — mort) et la lumière (la vie) — pour exprimer la douleur et la perte. Le noir utilisé en avant-plan
contraste avec la lumière diffuse et mystérieuse qui se dégage de l’arrière-plan – car le noir est nécessaire
pour faire rayonner la lumière.
La cohérence de la mise en espace a été retravaillée en variant différentes stratégies et moyens pour
représenter la dualité présence-absence dont : i) le rapport forme/fond, ii) le virtuel/actuel, iii) les temps
juxtaposés/la durée de « l’entre » de l’œuvre (un des éléments de base pour me dévoiler), iv) la
décontextualisation du spectateur par l’abolition des repères visuels, et vi) l’intermédialité. C’est grâce à ces
moyens plastiques et des interventions subtiles, que le corps-signe devient un témoin actif de la présence de
l’absence, de l’ici/ailleurs.
Dans beaucoup de mes œuvres, le noir est associé à son contraire, la lumière. Ce qui symbolise l’alternance
du désespoir et de l’espoir, du chagrin et de la joie. La métaphore lumineuse est présente pour désigner
l’ouverture à la nature intangible et immatérielle des choses. Le noir est lié à la mort et la lumière à la vie et au
spirituel.
L’innovation se situe aussi dans la prise de conscience du langage spécifique de chaque matériau. Elle est
aussi dans la capacité de combiner les technologies nouvelles à la mixité entre sculpture, photo, écriture,
vidéo et procédé électrique, afin de cristalliser de nouveaux moyens de création, en les détournant de leurs
fonctions initiales.
26
Évidemment, les matériaux que j’utilise influencent l’aspect esthétique et formel de l’œuvre, plus
particulièrement le/la : bois, fer, tissu, plexiglas, image numérique, poésie et lumière. C’est généralement par
ces choix, lors de la prise de décision, que la forme se finalise. L’aspect de ces matériaux me parle et je me
laisse inspirer et guider par leurs apparences physiques et le fini du rendu.
Pour avoir fait de la poterie pendant des années, je comprends qu’il faut composer et comprendre la matière
afin d’entrer en contact avec elle, je dirais même entrer en symbiose avec elle. Maurice Fréchuret explique —
au sujet des formes nouvelles qui émergent dans l’art au XXe siècle : « [...] la relation de l’artiste d’aujourd’hui
avec la matière : le geste de l’artiste consiste à laisser parler les matériaux et les forces qui interagissent
naturellement. » 69
Les liens physiques qu’entretiennent les matériaux entre eux m’amènent sur des sentiers inédits. Chaque
élément doit être relié à l’ensemble dans l’espace-temps, alors qu’apparaissent de nouvelles formes
d’explorations technologiques pas toujours faciles ou possibles à gérer ou à réaliser. La cohérence de
l’ensemble découle essentiellement de l’unification des différents éléments de l’œuvre. Chaque transformation
ouvre à un nombre illimité de possibilités, les unes fructueuses, les autres aboutissant à des impasses.
Dépassant l’objet physique réalisé à partir de matériaux divers, l’effet d’immatérialité, créé par le vide, la
transparence et la lumière, transcende l’œuvre.
Quand l’œuvre commence à s’exprimer physiquement, la période de doutes apparaît. Mon inquiétude et mon
angoisse sont le fruit de mes décisions intermédiaires qui ont un impact sur le résultat final. Il arrive que je
m’aperçoive que le résultat provisoire nécessite certains ajustements structurels dus à l’ambivalence des
éléments plastiques. Selon Anton Ehrenzweig, la majorité des problèmes d’art sont des problèmes de forme,
de perception ou de création de formes. 70
En recourant à la lumière, je sollicite activement la perception visuelle du spectateur, ce qui implique soit que
l’œuvre reçoive la lumière provenant de la vidéo, soit que l’œuvre intègre son propre éclairage en tant que
dispositif lumineux. Lorsque l’œuvre est terminée, elle prend son autonomie. Je la redécouvre surprise comme
si elle ne venait pas de moi ou c’est une partie de moi que je découvre. C’est comme si je sortais d’une
gestation ou d’un rêve. L’œuvre demande à être regardée autrement, comme un enfant qui devient adulte.
69 Fréchuret, M., Espaces de l'art, le mou et ses formes, essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle, Paris : École nationale supérieure des Beaux-Arts - Coll. "Espaces de l'art", 1993, p. 134. 70 Ehrenzweig, Anton, L'ordre caché de l'art, Paris: Gallimard, 1982, p. 142-143
27
2.1 Les œuvres de transition
C’est ainsi que mes œuvres sont apparues comme un moyen d’expression essentiel, alors que chaque
élément de l’œuvre s’assemblait pour former un tout, un bloc d’émotions, composées à la fois de percepts et
d’affects. C’est la composition faite par l’association des forces internes de l’œuvre dans l’espace, qui permet
l’ouverture à l’être là. Tiré des profondeurs de l’oubli, le symptôme se combine à la machine du temps pour
m’emmener vers le passé.
C’est dans cet esprit, sous l’influence des surréalistes et en éloge à l’imagination, que j’ai réalisé : L’œil qui
pleure et La vie après. Ces deux œuvres autobiographiques portent l’empreinte de la survivance. Elles ont une
fonction initiatique dans mon travail de maîtrise, où l’on y retrouve le corps-signe, miroir des souvenirs.
Conçues dans le désarroi, elles doivent être comprises comme document et objet imaginaire, comme
tombeaux de la mémoire, comme a si bien dit Didi-Huberman.
Mais pourquoi y a-t-il toujours la présence du corps déformé, défiguré dans mes œuvres? Est-ce dû à toutes
les souffrances qu’il m’a fait subir?
La représentation de l’affect, dans les deux œuvres, appartient à la figuration et aux crédos surréalistes, mais
diffère dans les moyens utilisés pour véhiculer le deuil.
28
L’œil qui pleure
Figure 1 L’œil qui pleure (2009) Sculpture en plâtre et fibre de verre 20 po x30
29
« Peindre le cri plutôt que l’horreur, le cri de la chair »71
Bacon
Selon Deleuze :
Bacon s’attache impitoyablement à la représentation picturale du corps humain. Dépassant
la figuration, Bacon se tourne vers la sensation, comme Cézanne, même si, en apparence, il
n’y a que des différences entre les deux peintres. La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui
est peint dans le tableau c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet,
mais en tant qu’il est vécu comme éprouvant telle sensation. 72
À l’origine instinctivement je me suis dirigée vers la sculpture, moyen le plus apte a exprimer la réalité de la
vie. La présence du corps est un symbole de ma conscience de la fragilité et de la vulnérabilité de l’homme.
L’œil qui pleure est une sculpture métaphorique, représentant un corps morcelé, plaidoyer de l’émotion et de
la trace de la souffrance. Il a été construit à la façon d’un mannequin, de plâtre moulé directement sur le corps,
au moyen de bandelettes préplâtrées. Les multiples couches de sels minéraux ajoutés aux fibres de verre
ajoutent, par leurs nuances, à l’illusion de la réalité de la blessure.
On peut réaliser que je suis consciente de la pensée de Freud qui nous dit que l’inconscient et la libido ont un
rôle fondamental à jouer dans la création, entre rêve et réalité. C’est, à la fois, la représentation de la blessure
— le cancer du sein — qui a affecté ma mère et ma sœur, et le « cri » de l’horreur, entre conscience et
inconscience.
La réalité de l’homme est faite de contraires : bien/mal, vie/mort et dans mon travail la trace de cette dualité
est omniprésente : présence/absence, bonheur/souffrance, plein/vide pour exprimer l’émotion, la perte et la
solitude. La blessure n’est plus apparente, mais le stigmate reste imprégné dans la mémoire de toutes les
femmes.
Le remplacement du sein par l’ajout d’un œil qui pleure donne à la sculpture un tout unitaire métaphorique et
souligne la détresse de toutes les femmes atteintes de cette maladie.
71 Deleuze, Gilles, Francis Bacon logique de la sensation, Paris : Du Seuil, 2002, p. 41 72 Ibid, p. 28-31
30
La vie après…
Figure 2 La vie après. (2010) Montage photo
31
La vie après… est la troisième partie d’un triptyque référant au long parcours pour passer à travers un
divorce. Le visage est un organe de communication non verbale. Il parle. Il dévoile sa vulnérabilité. Il est
une supplication. Au-delà des traumatismes qui ne sont pas cachés, l’information que ce visage transmet, à
travers les traits et les expressions faciales, livre un déchirant plaidoyer sur la fragilité humaine et véhicule
une charge émotive ayant une incidence sur la réaction du spectateur. L’image-souffrance s’étale, prenant
largement possession de l’espace comme représentation de la blessure, suintant comme trace indélébile de
la tristesse. Cette image hétérogène, faite d’intervalles et de lacunes, connote la brûlure et les bouts de
survivance.
Il y a un moment d’émotion, capté dans cette image-montage, qui s’articule autour de l’accumulation de
souvenirs juxtaposés sur les temps de l’œuvre. Il y a une image de rêve réduite à un rôle de signifiance.
« L’image visuelle, et même toute représentation, écrit Pontalis, tendrait, sans jamais l’obtenir, vers la
possession de la même chose, telle une scène figée pour l’éternité. »73
Ma principale intervention fut d’utiliser les logiciels d’image de synthèse pour faciliter l’œuvre construite par
accumulation qui se juxtapose à une ambivalence affective amour-haine. L’aplatissement de l’image
contraste avec l’illusion de tridimensionnalité obtenue par la transparence. Appel à la femme blessée ou à la
mère qui n’a pu être?
C’est un mouvement vers ce qui n’est pas là, reflétant les temps multiples stratifiés qui s’ajoutent à l’être
affecté et procurent un visage transformé par la douleur. C’est un long cri qui semble jaillir de l’intérieur de
l’être, où pointe l’émotion en rapport avec le drame de l’existence.
Les outils utilisés pour représenter le cri sont : l’utilisation de la transparence, et le contraste par le
clair/obscur pour faire ressurgir la perception optique et permettre de mieux regarder, peut-être de mieux
voir et de faire voir. Ici, la photographie a quitté le champ des apparences pour investir celui des illusions,
de la manipulation et de la fiction. On y perçoit la dualité intérieure dans l’image et dans l’œuvre
par l’association des contraires : i) transparence/opacité, ii) présence/absence, et iii) le trompe-l’œil par
l’utilisation de l’ombre et de la lumière, et par des associations de couleurs sombres à l’arrière-plan en
contraste avec des tons lumineux pour créer une atmosphère d’angoisse à laquelle on ne peut échapper.
C’est un désir de retour vers le passé afin de le rendre vivant, par le biais de la mémoire involontaire, seule
capable d’abolir les limites imposées par le temps.
73 Pontalis, Bertrand. Site Web : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1993_num_90_2_2636
32
Dans cet autoportrait, où se lit la souffrance dans la modification de la figure, je voulais représenter l’affect.
L’être qui souffre perçoit la solitude et l’isolement comme un vide existentiel. Ce n’est pas seulement le visiteur
qui crée le sens de l’œuvre, mais l’œuvre aussi qui se transcende par la lumière et la transparence.
« Toute construction est un jeu d’équilibre entre vide et plein,
parole et silence, repos et mouvement »74 Cauquelin
L’image me regarde et se détache. Elle devient un élément d’interrogation sur les possibles du faire voir; c’est
ce qui a donné lieu pour réviser ma façon d’utiliser de nouveaux procédés d’intermédiation. Comme le
mentionne Louise Paillé, « [...] L’essentiel est que l’œuvre se faisant soit révélée comme système de
relations. »75
Après la réalisation d’œuvres autobiographiques, j’ai travaillé sur les thèmes du vide et de la transparence
accompagnés de vidéos. J’ai exposé une œuvre appelée « le vide » et par la suite j’ai exploré le vide et la
transparence combinés à la vidéo en associant sculpture, texte, photographie, et installation, dans différentes
œuvres. Simultanément, l’objet visé multipliait ses aspects par ses ombres, empreintes et traces. L’objectif
étant de développer l’essence d’un vocabulaire identitaire au moyen de l’objet chargé de sens.
2.2 Les œuvres de la maîtrise
« Le seul vrai voyage de découverte ne consiste pas à
découvrir de nouveaux endroits, mais à regarder avec de
nouveaux yeux »76 Proust
Je me suis posé la question sur la portion à donner a voir — de la coupure d’un corps provoquée par les bords
de l’image. La plupart des corps n’apparaissent que partiellement, se réduisant à quelques fragments, ce qui
engendre des effets mystérieux chez le spectateur. J’ai essayé, par différents procédés, d’établir un mode de
74 Cauquelin, Anne, Fréquenter les incorporels, Paris : PUF, 2006, p.43 75 Paillé, Louise, La démarche de création, Trois-Rivières : Le Sabord, 2004, p. 15 76 Proust, Marcel. Site Web : http://www.maphilo.net/citations.php?cit=2051
33
communication avec le visiteur en tentant de créer une expérience visuelle qui l’implique dans une relation
sensorielle à l’œuvre.
En maîtrise, j’ai poursuivi mon expérimentation sur la disparition du corps-image, en présentant les traces
survivantes dans la mémoire, comme stigmates, afin de créer des effets optiques qui induisent une illusion de
mouvement. À un univers plongé dans le noir s’oppose un univers lumineux. La lumière comme matériau,
donne à voir et à penser.
L’ambiguïté perceptuelle devient une valeur importante, utilisant le temps, la transparence et la lumière
comme supports. Le temps perd son emprise sur le présent pour devenir métaphore de la mémoire et des
rêves. Le temps-durée devient mémoire et histoire.
L’exploration des propriétés matérielles, physiques et spatiales de la lumière a suscité l’utilisation de nouvelles
stratégies et de nouveaux moyens pour exprimer l’ambiguïté. Ainsi, les jeux d’ombre et de lumière, et le clair-
obscur occupent une place centrale. L’utilisation des nouvelles technologies me permet de créer des situations
dans lesquelles fiction et réalité fusionnent en une œuvre qui va au-delà du réel et de la simple technologie,
créant de nouveaux chemins et manières d’appréhender le monde. La grande échelle et la verticalité ajoutent
a ce langage plastique et dynamisent l’ensemble.
La trame singulière d’espace et de temps transforme en lumière rythmée l’apparition — proche ou lointaine —
de la trace. Le vide devient lumineux. Les cendres encore brûlantes de l’image provoquent des trous
lumineux, comme de la braise. La lumière est un vecteur de création dessinant la forme du corps qui révèle et
dramatise le lieu physique de manière inattendue.
Mes œuvres sont reliées les unes aux autres par un fil conducteur métaphorique qui crée l’ambiguïté de
l’image. Elles empruntent à l’espace de la peinture, elles ont une profondeur objective d’où la couleur absente
est remplacée par la lumière. La présence du corps y est fantomatique comme dans un moment
d’éloignement et de disparition. L’intérêt de ces œuvres est autant dans la portion limitée qui s’offre à l’œil que
dans la mémoire de ce qui est passé, et l’attente du devenir. L’important est invisible pour les yeux. Cet
invisible prend plus précisément la forme d’images de destruction, de lueur, et de mouvement.
Réflexion, Passage, Transcendance, Évolution et Trace lumineuse ont un lien de parenté évident, marqué par
l’empreinte lumineuse de la survivance, conséquences de la brûlure. La matérialité du vide devient le signe
intermédiaire. Je dissous l’image pour la faire ressurgir en traces lumineuses à partir de la spatialisation du
vide.
34
En me penchant sur l’éphémère de l’image-empreinte, peu à peu se dessinent les rapports entre mémoire et
image. Petit à petit se créent les liens entre le regard et l’œuvre.
Quels que soient les supports choisis (visuels ou matériels), j’ai misé sur la juxtaposition, l’intermédiation et la
mise en relation des objets pour exhorter le sens voilé à se manifester. Pour Didi-Huberman, « Faire image »,
s’apparente à l’art de rendre tangibles et sensibles les limites de chaque œuvre.
Comme le souligne Wajcman, les œuvres d’art sont faites pour faire voir. L’art de ce temps convie à ouvrir
l’œil et à regarder le siècle.
Les œuvres qui jalonnent le parcours de l’exposition (figures : 3, 4, 5, 6, 7) sont des tableaux-montage où le
spectateur est invité à regarder et voir. L’image-empreinte s’avère fuyante, proche de se dissiper dans l’instant
de sa perception, de son apparition à la disparition. Les petits trous des trames ressemblent à des alvéoles. Le
vide devient présent. Le vide de l’œuvre devient fluide par la lumière circulant librement à travers la trame des
œuvres que l’on pourrait appeler tableaux-montages. Les trous prolifèrent et esquissent un corps fantôme.
J’évoque davantage que je représente.
Qu’est-ce que voir au-delà de ce qui est visible? Voilà un des défis de cette exposition : accéder à ce qui ne se
donne pas d’emblée à voir, en suivant le chemin d’une certaine déconstruction de l’acte de « voir ». Dans
cette récurrence de la blessure et du fugace, le vu, le non vu, l’à peine entrevu occasionnent la perte imprévue
des souvenirs.
35
Réflexion
Figure 3 Réflexion (2013) vidéo 7 min.
36
Réflexion est une recherche sur la perception. Une installation composée de trois éléments : une photo noir et
blanc (4' x 12'), une sculpture en métal évidée recouverte de plâtre (2' x 8') et une vidéo projetant des signes-
écritures codés — d’un de mes poèmes — fabriqués et montés comme image de synthèse par un procédé
vidéo appelé « stop-motion ».
L’œuvre s’est construite par addition d’éléments qui, par le biais de l’intermédialité, suggèrent la forme, lie et
rythme l’ensemble de l’œuvre. L’image fantôme survivante est animée par la vibration de la lumière sur le
plâtre. C’est un procédé qui fonctionne par association plutôt que par logique linéaire. Le jeu d’assemblages
des éléments et l’ajout du clair-obscur produisent plusieurs effets de présence : d’apparition-disparition, et
effet de théâtralisation de l’espace.
Une quête d’immatérialité se fait à partir de la lumière, qui rend l’espace plus immersif pour le spectateur, par
des sous-expositions et contrastes créant des jeux d’ombre et lumière. La lumière travaille la structure
dissimulée comme un symptôme. L’intérieur de l’œuvre nous est dévoilé dans tout son éclat. L’obscurité de
l’œuvre s’est métamorphosée en luminosité perceptuelle en utilisant l’aura de l’indice-signe pour dialoguer
avec le spectateur.
C’est une recherche sur la mise en forme de la lumière par la dématérialisation du corps-signe. L’empreinte
évidée est un signe de fragilité de l’homme portant une blessure secrète, métaphore de l’ici/ailleurs. L’homme
debout dans sa réalité existentielle. Qui peut dire où commence et finit l’œuvre? Ici, le dualisme se réfère à
une vision duelle de la relation corps-esprit.
Cette œuvre est un hommage à l’œuvre de Viola par l’utilisation de la lumière comme matériau, la mise en
espace, l’abolition des repères du spectateur et l’immatérialité qui se dégage de l’effet d’ensemble.
37
Passage
Figure 4 Passage (2014) Tableau-montage : masonite 4' x8' et procédé électrique
Passage est un tableau-montage, qui porte la marque de chacune des perforations que j’ai faites pour
représenter l’image-trace de la destruction. La mort doit survenir pour que le cycle de la vie revienne. La
lumière c’est la vie, qui transforme la trame des trous de brûlures, en traces visuelles résiduelles. « Le réel a
pour ainsi dire brûlé un trou dans l’image. »77 La transformation des choses est en cours, deux personnages
passent; alors qu’un troisième démontre une commune appartenance au monde sensible et invisible. Que
faut-il comprendre de cette ambiguïté?
Ce n’est plus l’image d’une représentation. Car suite aux altérations se dégage l’idée de formes intangibles.
L’altération physique du masonite (déjà troué), ponctué de gros trous, engendre une nouvelle matrice où
viennent s’incarner les corps-indices activés par la lumière, telle une apparition-disparition, image matérielle et
immatérielle, visible et invisible. Image-fantôme, image-symptôme, funeste et vibrante. Quelle meilleure
manière pour métaphoriser la capacité d’apparition et de survivance de l’image, qu’en utilisant la lumière
voilée. La couleur a disparu. L’espace est à la limite de l’abstraction, où se lit une image de corps qui flottent,
dérivent, et se maintiennent à la limite de l’évanescence.
77 Benjamin, W., Sur le concept d’histoire - Œuvres III, Paris : Gallimard, trad. M. de Gandillac revue par P. Rusch, 2000, p. 360
38
On peut penser à la puissance rayonnante du vide à partir du fond noir, d’où émergent les tensions. Le noir se
lit comme vide et comme absence. Mais l’absence n’est pas le vide. La lumière de l’arrière-plan augmente la
théâtralité de la mise en espace, qui saisit le visiteur tout entier en contemplant l’œuvre.
L’apparaître suppose le disparaître, le chavirement du visible dans l’invisible, ce qui n’empêche pas pour
autant une trace de s’imprimer, un sillage de se dessiner entre l’apparition et la disparition. Le régime de
l’image est toujours double : apparaissant et disparaissant, transparent et opaque, réel et fantomatique.
Travail en négatif et d’aplatissement des corps niant tout effet de profondeur, l’empreinte est en deçà de la
représentation.
Par un processus de déconstruction et de reconstruction, le vide de la trame devient l’endroit où se
confrontent la mémoire et le temps, dans l’axe de représentation de la présence de l’absence. Je reproduis
l’entre il y a et il n’y pas, mais aussi – ce qui est plus important – ma vision, qui est la condition même de
« l’entre ». Cet « entre » qui est au cœur de la pensée chinoise est la manifestation du tandem « souffle-
résonance. » Ces trouées du vide sont des témoins du temps du rêve-réalité.
Le tableau-montage évolue à la limite de la clarté et de l’obscurité, de l’éphémère et du concret, comme
métaphore de la perte, de la vie/mort, reflétant la dimension intemporelle de l’œuvre, en deçà de la forme.
C’est une recherche sur l’entrée en présence dans l’ouvert. Il s’agit d’établir un parallèle entre d’une part, la
liberté de la lumière sur l’ensemble de l’œuvre et l’entrave subie sur la partie droite par un personnage
« entre » négatif et positif, et d’autre part, le dilemme vécu par ma volonté de retour au passé vs les obstacles
qui se sont présentés entre le passé, le présent et l’intervalle de l’œuvre.
39
Transcendance
Figure 5 Transcendance (2014) Tableau-montage : masonite 4' x 6', peinture et procédé électrique
40
Transcendance est un tableau-montage animé par : l’horizontalité et la verticalité de la trame lumineuse, sur
lesquelles se superpose un corps morcelé, qui apparaît carrément soufflé, flottant dans l’espace figuré de la
présence virtuelle, créant une spatialité de l’objet. Mais pourquoi tous ces lambeaux?
Au cœur de cette œuvre, sur l’apparition et la disparition, on trouve en fait une analogie entre l’image et le réel
réduit en poussière, pulvérisé. Dans ce contexte, qu’est-ce qui est à l’œuvre dans cet éclatement? Est-ce une
image-lueur ou une image rémanente dans laquelle l’objet lui-même s’est évanoui? Qu’importe, au fond, le
sentiment procuré par l’image, car ne compte en définitive que la part d’ombre qui a procédé à son
avènement. L’image est brisée, elle exhibe sa cicatrice.
La lumière traverse le corps et l’œuvre et révèle la trace par des jeux d’ombre et de lumière qui en font
ressortir les degrés de valeur. C’est aussi une volonté de donner à voir l’impalpable, et surtout, ce qui n’est
pas fait pour être vu, la dimension du sublime.
Les ouvertures deviennent des vecteurs qui amènent l’arrière-plan vers l’avant tout en augmentant la lumière.
L’empreinte mémorielle a des contours flous, subjectifs qui nourrissent le rêve et l’imagination du spectateur.
La métaphore joue par rapport à la forme de l’Autre dans un mouvement de glissement l’une dans l’autre. Que
peut-il se passer entre le visiteur et ces lambeaux de corps rejetés sur toute la surface du tableau?
41
Évolution
Figure 6 Évolution (2015) Tableau-montage : masonite 4' x8', peinture, carton et procédé électrique
42
Évolution est un tableau-montage où l’image-lueur cherche la lumière comme le papillon cherche la flamme.
La lumière, tel un miroitement du soleil sur l’eau, crée l’image, l’active, la transforme et génère l’ambiguïté par
une perception de mouvement optique. La trace engendrée ressemble à une constellation d’étoiles flottant sur
fond noir d’éternité — passage du microscopique au macroscopique vers l’infini de l’espace. L’être
fantomatique apparaît dans sa survivance de grisaille et de deuil, il avance vers la vie. C’est la métamorphose
du corps qui va vers une transformation nécessaire pour renaitre à d’autres choses.
Ce qui me rappelle Henri Focillon qui a défini la forme plastique comme « une construction de l’espace et de la
matière, c’est-à-dire l’alliance du lieu et du matériau qu’il enserre. » 78
Le mouvement, dynamise l’œuvre, par une volonté de ne pas arrêter les formes courbes, de les garder au
plus près de leur surgissement, afin de multiplier les angles visuels. Une volute de trous lumineux dessine et
anime le contour de l’image-désir. J’ai obstrué partiellement les trous, pour créer un mouvement optique qui
dynamise l’œuvre.
L’optimisation de l’expérience visuelle est recherchée a l’intérieur d’un système de contrastes qui suggère des
impressions en accentuant les différences. Il s’agit d’une quête du sentiment d’exister après le chaos.
Le spectateur est invité à une expérience qui dépasse la représentation pour le situer dans l’instant de la
perception réelle.
78 Focillon, H., Vie des formes, Paris : PUF, 1943, p.3
43
Trace lumineuse
Figure 7 Trace lumineuse (2015) Image de synthèse
44
« L’espace est aussi une notion temporelle. De l’interaction
espace-temps naît l’éphémérité comme valeur esthétique »79
Alberganti
Depuis longtemps, je recherchais un procédé qui oscille entre le défini et l’indéfini. Cette œuvre est une
recherche sur l’indéfini et l’éphémère au cœur de mes préoccupations concernant l’art de la lumière. Ce qui
importe c’est la lumière, l’empreinte immatérielle évanescente, qui nourrit les actions futures. Comment
montrer l’éphémère?
Trace lumineuse est une image de synthèse d’un corps fantomatique, métaphore de la renaissance. De
multiples points lumineux ont fait place aux trous noirs des œuvres précédentes. Ces points dessinent l’image-
désir. Ce changement qualitatif a été provoqué par la réconciliation des temps et des images hétérogènes.
C’est la trace sculptée par des points lumineux dans l’espace-temps. Le paradoxe de l’éphémérité anime
l’œuvre : apparition/disparition, devenir-présent/devenir-absent qui ouvre la voie à l’évanescence.
« J’ai fini par acquérir durablement le sentiment de
l’éphémère » 80 Rostand
La lumière devient un sujet et un matériau impalpable qui se diffuse jusqu’à modifier le rapport à l’espace et le
redessiner selon notre vision. L’image brûle d’apparaître et de disparaître pour appréhender autant le passé
que le présent, voire le futur. L’image offre donc le déchirement du voile du réel pour montrer ce qui se cache
derrière.
79 Alberganti, A., De l’art de l’installation, Paris : Édition de l’Harmattan, 2013, p. 304 80 Rostand, J. Site web : http://qqcitations.com/citation/162730
45
Céline Aubertin dans Sculpter l’éphémère nous explique :
Qu’est éphémère tout évènement qui annonce sa disparition, mais dans son apparition même. Ce n’est pas une durée, mais la qualité d’un moment, un présent d’autant plus intense qu’il comporte son propre futur [...] il explique moins le caractère passager de la vie que le mouvement même de l’apparaître. 81
Ici, j’ai cherché à augmenter la légèreté et la flexibilité de l’œuvre en effaçant les repères du spectateur et en
me détachant du cadre et du mur, pour élargir les possibilités optiques du corps fantôme afin qu’il devienne
libre de toutes contraintes.
Un peu comme Aristote82 je pense que l’œuvre devient la manifestation de la pensée à travers l’écoulement
de l’instant. L’espace-temps ouvre à la juxtaposition des dualités : le passé et le présent dépassé et celui de
l’œuvre « entre » l’intervalle du devenir.
81 Aubertin, Céline. Site Web : http://www.fabula.org/actualites/l-art-de-l-ephemere-figures-de-l-art-ndeg12_12877.php 82 Aristote, Physique IV, Paris : Edition Les Belles Lettres, 1990, p. 149
47
Conclusion
« Ce que j’essaie de vous traduire est plus mystérieux,
s’enchevêtre aux racines même de l’être, à la source
impalpable des sensations »83
Cézanne
Ce qui précède peut donner des pistes de réponses aux questions que je me posais sur le lien entre l’intuition,
la synchronicité et la représentation de la blessure et de la perte. S’agit-il d’image-lueur, d’image-symptôme,
d’image-survivante ou de ce qu’il y a de commun dans les trois modes de manifestation?
Ma recherche était une réflexion sur la dualité de l’existence — légèreté et pesanteur d’être là. Mon but était
d’exprimer ma vision intérieure de l’homme et du monde, par la réconciliation des contraires afin de vaincre
l’angoisse du vide. Les thèmes de vulnérabilité humaine (déchéance et mort) ont émergé comme des témoins
de l’inconscient. L’ambiguïté du discours vient de la dualité créée par les paradoxes : mémoire consciente et
inconsciente, espace-temps virtuel/actuel, corps présence/absence, interagissant pour dévoiler l’âme derrière
les choses et faire voir que, malgré la souffrance et la solitude, la vie prédomine sur la mort.
C’est une quête pour démaquiller le réel, par la matérialisation de la trace où s’entremêlent passé et présent,
dans l’instant de l’acte créatif. L’image-symptôme de l’absence renvoie constamment le regard vers un lieu où
il n’y a rien à voir, là où il y a peut-être un incendie à venir. L’important est de laisser les traces, atteindre
l’esprit de la matière dans l’œuvre, pour susciter un évènement au-delà de l’image afin de signifier « le cri ».
Ce que j’appelle mon présent est l’horizon de l’avenir qui se tisse dans l’instant de mon regard.
En utilisant le paradoxe comme outil de création, je me pose certaines questions à travers un cursus composé
de quelques éléments simples, mais qui s’enrichissent constamment de nouvelles nuances, dans un jeu de
variations où s’unissent rêve et réflexion, art et poésie, histoire personnelle impliquant celles des autres. La
mort elle-même a ici un visage double : celui d’une douce tristesse onirique et celui d’une psyché entachée
noire. Car ce cursus est aussi une méditation sur la mort : la mienne et celle des autres.
83 Robinet, A., Merleau-Ponty : sa vie, son œuvre. Paris : P.U.F. 1963, p. 3
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Annexe 1
Pièce annexée :
DVD intitulé : Réflexion
https://www.youtube.com/watch?v=20BGyljFKI8
Synopsis :
Recherche sur la transparence et l’intermédialité : sculpture, photo, vidéo et écriture poétique codée.
Création : décembre 2013
Montage vidéo dans les studios de l’École des arts visuels, Université Laval, Québec, 2013.
Durée : 7 min 59 s
Réalisation et montage : Janik Bouchard.
Trame sonore : Trois Gymnopédies d’Érik Satie — Première Gymnopédie : interprétée par Daniel Versano
Remerciements à Nicolas et Maxime, techniciens du secteur vidéo.