Lorie Guilbault Collection PRISE 1 UN TABLEAU NOIR ET DES ... · Merci à Robert «Bobby»...

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Cynthia Durand

UN TABLEAU NOIR ET DES BOUTS DE CRAIE

Lorie Guilbault

TERRAIN MINÉ

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Lorie Guilbault

TERRAIN MINÉ

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Lorie Guilbault

Terrain miné

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Terrain miné est le soixante-quatrième recueil de textes publié dans lacollection Prise I. Cette collection a été créée afi n de permettre à des jeunes auteurs du cégep du Vieux Montréal de publier une première œuvre.

© Tous droits réservés Lorie Guilbault et le CANIF,Centre d’animation de français du cégep du Vieux Montréal. Juin 2005.

Renseignements : 982-3437, poste 2164

Dépôt légal : juin 2005Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Infographie et impression : Communications du CVM et Centre de reprographie du CVM (23138)

Cégep du Vieux Montréal255, rue Ontario EstMontréal (Québec)H2X 1X6

Image de couverture : Jonathan Cabot, Construction

Conception graphique de la couverture : Dominic Prévost

Merci à moi.

Merci à mon dinosaure, cet ordinateur qui a su ne pas me lâcher pendant ce long trajet.

Merci aux imprimantes du cégep, celles-là même qui sont toujours en panne.Merci aux arbres coupés pour que je puisse transmettre ces messages sur la

protection de l’environnement.Merci à mes lecteurs assidus qui ont démoli mon moral avec gaieté de leurs

remarques trop pertinentes. Merci à Robert «Bobby» Chartrand, Edith Paré-Roy, mes plus fi dèles

correcteurs que j’adore gros comme ça.Merci à Anne-Marie Cousineau qui a eu le don de me donner une petite tape

réconfortante sur l’épaule.Et fi nalement,

Ne l’oublions pas…Merci à toute ma famille, mon père, ma mère, mes sœurs et tous ceux qui

m’ont épaulée ou non dans ce travail ardu, mais ô combien génial.

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À la mémoire d’un jeune hommeque ce monde n’a pas su retenir,

à Simon Pierre.

Je ne t’oublierai jamais.

Également, à ceux qui luiont survécu…

Martin, Manuel et sa famille.

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je m’engage sur un terrain miné de poncifsle pied en armure

les ailes en dernier recours

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Il y a 32 040 292 habitants au Canada et l’une des principales causes de mortalité est le suicide.

je m’interne derrière les jupes de ma mèrej’ai peur dans ce monde si étroit

j’ai la trouille de rencontrer un autre « je »qui aurait l’audace de courir en armes de destruction massiveà ma suite et à ma poursuite

la trouille de fi xer la paixet de n’y voir qu’une illusion une forêt boréale des temps modernes

la trouille de me réveiller un matinet de réaliser que le monde m’attend au détouravec une brique et un fanal en ego armé

la trouille de me coucher le soiret d’écrire mon regard sous l’ambition d’un autred’imaginer l’avenir collectif qui se sauve de moide m’abreuver uniquement à la source de mes intérêts

la trouille de passer devant un miroiret de n’aimer que moi

j’ai la trouille de vivre aujourd’hui

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Ceux qui font profession de mépriser la vaine gloire se glorifi ent souvent de ce mépris

avec encore plus de vanité. Chevalier de Méré

je suis un orgasme prématuré et muetje n’ai pas eu de petites tapes sur les fessesle médecin ne m’a pas désobstruée

je me suis grillagée du reste du monde

dans mon esprit, les axones nagent trop creux et voilà que je suis une baise mal foutuel’érotisme s’est perdutoutes les voix m’écorchent de leur joie cristalline je suis prisonnièrede mes sensqui devinentla prochaineattaquedu mondeextérieurje suispourtantisolationnistede nature, maisje ne fais pas lepoids contre touscontre la société quim’entoure, m’enveloppe, m’avaleet me digère des ses mains grinçantesje ne suis défi nitivement pas une super-puissance individuelle alors je me contentedes ravages de l’infl uence du milieu sur les côtésles grandes marées et l’érosion à perpétuité, jusqu’àce que toute la viande ait quitté l’os où elle se nichait

je suis un orgasme raté

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mes refuges se sont cassés entre des mâchoires élues à domicileon a trop souvent mâchouillé l’altéritéon a rasé les lèvres attentives

elles gambadent maintenantà nutrop timides pour s’entrouvrir

dans tout cet étalagemes enceintes se sont écrouléessont devenues le mur attendu aux allures d’épidermeaux accents de moi et de rien aux profusions de vide égotique

un silence chiffonnéun rire moisiune trace d’existenceaux échos de migraine

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il y a un désert de riresdes cernes plein les mainsdes engelures plein la têtedes rides plein la bouche

tout ce qui se séparetout ce qui vieillittout ce qui fermente

entre la sueur des bâtimentset l’inaliénable forêt de notre enfanceune forêtsaignée à blanc pour le confort de notre maison

abusés par leur rythme de sécuritéprotégés par des lunettes sans vertnous sommes tous partisans des précieuses métaphores

celles de notre emprisonnement volontairechœur de notre luxe

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à travers les gris

se cache le rouge de tous les ansil a parcouru les idéauxcomme autant de cadavres glacés

stratégies et tactiques d’interventionvoiles hypocrites sur des personnes coulées dans le béton poreuxdes idées foulées par l’asphaltede l’encre séchée au fer rouge du conformisme

une neige trop blanchecouvre cette oasis de cendres

vaste étendue consumée démocratiquement

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et l’attachement là-dedans ?orgasme moqueur de Bataille

et la communicationfrisson condescendant de l’Internet

et les célébrations familiales cliquetis joyeux de la caisse enregistreuse du Wal-Mart

et les voyages froncement de sourcils des travailleurs trop stresséssoupir de confort des bourgeois du Club Med

et le besoin des autres bâillement satisfait de la télévision

et, tout simplement, la communauté sourire froid d’un enfant qui ne partage pas ses jouets

et l’existence ?ricanement sarcastique de Sartre

12

encore

dans les ruesdes visagestous tatoués « time is money »courent après leur sang d’encre rémunéré

dans les ruesdes souriresfanés« Z’auriez pas un peu de monnaie ? »crachent pour diluer l’écho de leur estomacdans le mondedes échines s’affaissent au combat

à la luttele bonheur est un poids plume

13

L’économie,c’est la science du sordide,

non de la pureté.Alfred Sauvy

l’économie roule protectrice assidue de notre nation marchande de cadavres sous-entendus entre deux lignes entre la défensive et l’offensive entre la douille et l’être

partout, dans les médiason dit que c’est elle ô glorieuse salvatrice de la race humaineque c’est elle qui fabrique le maquillage d’aisance que l’on saupoudre sur notre réalitéque c’est elle qui fournit les pansements que l’on pose à la surface de la terre

les diachylons ne suffi sent paslaissons donc le fard aux demoiselles

14

Combien faut-il abattre d’arbres pour fabriquer le papier

de la campagne électorale du parti écologique ? Patrick Sébastien

la terre aura beau essayerde cacher ses varices

avec un fond de teint touristiqueil n’en reste pas moins

que ses cuisses d’océan se ramollissentque ses seins de conifères s’atrophient

et que son vagin d’humanité est sec

mais, il ne faut pas avoir peurles Nations Unies l’ont dit

normalc’est seulement la ménopause…

15

trop de foisla terre a perdu le fi l

à cause de nous

trop de foison le lui a arraché des mains

pour satisfaire notre supériorité écrasante

trop de foison le lui a coupé machinalement

pour qu’elle se conforme à notre réalité

tout est une question de standards

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icidésormais

il ne s’agit plus de vivremais bien de

s’affairer à la vie

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J’ai reçu la vie comme une blessureet j’ai défendu au suicide de

guérir la cicatrice.Lautréamont

s’affairer dans cet accident à la bouche béante

se mêler à la plus grande cicatriceque la terre ait connue

être ces points de suturequi fondent à la lumière des canons

une plaie qui ne se lasse pas de sourire

18

Son nez ne lui plaisait pas: il l’a remis aux soins de la chirurgie esthétique.

Son âme ne lui plaisait pas: il l’a remise aux soins de la psychanalyse.

Jean Baudrillard

il y a des yeux qui ne voient que

du farddu fond de teintdu rouge à lèvresun soutien-gorge pigeonnéune gaine amincissante anti-cellulite

il y a des yeux qui ne supportent que

les implants mammairesla liposuccionla chirurgiele siliconele botox

la beauté du monde…

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Beaucoup de suicides ne sont dusqu’à une seule minute de lucidité.

Marcel Jouhandeau

et alorssi ce n’est qu’un capricenous faut-il un requiem pour l’entendre

nous avons marché sur les autresen riant de nos tracesen regardant nos pas courircriant à la lâchetéles oreilles prudentes

de quoi nous enorgueillirnous sommes fortscompletsépanouisindifférentslaissons l’avenir s’occuper de lui-mêmeaprès toutla gravité n’est qu’une théorie

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et voilàles partitions

incinérées par des bras croisésune oraison funèbre en guise de seul regret

21

L’ être humain a deux fois de la chance :il naît et il meurt.

Proverbe russe

et après ces symphoniesil n’y a plus de larmes pour rigolerque des yeux secs qui se plissentau fait

au fait que le monde a une date de péremptionet qu’il s’y forme déjà des grumeaux

mais ça, le monde s’en fi cheil est déjà périméet n’a plus rien à offrir

la terre et son humanité ont tournéet ce qui est caillé ne s’embellit jamaisil n’y a pas de seconde chance

22

En 2000, 3941 personnes se sont enlevé la vie, dont 3093 hommes.116 927 années de vie ont été perdues.

pendant ce tempsdans un coin douillet du monde

l’alcool, le sexe et la droguedes méridiens à barreaux

des commodités crasseusesdans un coin achalandé du monde

entre deux lignesil y a toutes ces secondes

coupées aux couteauxtrimées à l’argent

pour une corde de chanvreon a tout oublié

les ponts seront toujours là

23

je ne dis rien de nouveaula masturbation rend-elle aveugle aussi

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icila vie est à tout casser

si bien qu’elleen oublie les dégâts

Cynthia Durand

UN TABLEAU NOIR ET DES BOUTS DE CRAIE

Lorie Guilbault

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Lorie Guilbault

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