L'INOPPORTUNITÉ DE LA SANCTION PÉNALE : LE RAPPEL À LA LOI

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R.F.C. 428 Janvier 2010

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L’éducation au droit pénal commencetôt par des formules définitivescomme « qui vole un œuf vole un bœuf » qui interdit de contesterl'existence d'une infraction au motifde sa faible ampleur. Rien ne seraitinsignifiant. Mais faut-il pour autanttout punir ?

La logique répressive

La petite délinquance est tout à fait insup-portable et il apparaît tout à fait inopportunde ne pas la réprimer. C'est d'ailleurs biencette logique qui prévaut dans les pro-grammes dits de “tolérance 0” remis à lamode à la fin des années 80 par le procu-reur de New York Rudolph Giulani. Le prin-cipe est ancien puisque déjà Beccaria faisaitremarquer que ce n'était pas par la rigueurdes peines que l'on prévenait le crime maispar « la certitude de la punition » (1). L'objectifévident du droit pénal est de permettre lacohésion du corps social en prévenant lescandidats à la transgression qu'ils n'échap-peront pas à la sanction.

Montesquieu avait déjà mis en exergue ledanger de l'absence de poursuites : « Qu’onexamine la cause de tous les relâchements,on verra qu'elle vient de l'impunité descrimes, et non pas de la modération despeines » (2). En inversant les termes del'équation, l’on pourrait d’ailleurs penserque l’application, pour effrayer, de peinestrès fortes indiquerait que beaucoup dedélinquants échappent à la sanction.

L'égalité des citoyens implique aussi quetoute infraction soit poursuivie et de nom-breux systèmes européens ont érigé ceprincipe de légalité des poursuites qui nelaisse pas de marge au procureur qui doitdéférer tous les délinquants à la juridictionpour qu'ils soient jugés (3). Le système fran-çais au contraire lui laisse totale apprécia-tion dont il n'a pas à rendre compte.

L'opportunitédes poursuites

L'idée initiale instaurée à l'article 40 ducode de procédure pénale : « Le procureurde la République reçoit les plaintes et lesdénonciations et apprécie la suite à leurdonner » était de ne pas obliger un pro-cureur à plaider contre sa conviction.

Cette disposition leur a néanmoins donnétoute latitude de ne pas poursuivre les

infractions qu’ils estimaient pourtantconstituées et ce pour des motifs variésqui peuvent aller de la simple mansuétu-de à l'appréciation que l'infraction n'avaitpas troublé suffisamment l'ordre publicpour que la collectivité ait à assumer lecoût de sa répression.

Et cette liberté ayant été utilisée, la loi asuivi l'usage et se modifia en conséquen-ce pour que, même si une infraction estconstatée (4), elle puisse ne pas être pour-suivie, soit pour laisser place à une procé-dure alternative, par exemple régularisa-tion de la situation, composition pénaleou médiation, soit pour qu'il soit pronon-cé un simple rappel à la loi.

Cette mesure est la plus étonnante car leParquet, de sa propre initiative, renonce àl'exercice des poursuites à l'encontre d'undélinquant ou contrevenant sans exigerde lui aucune contrepartie ni même unacquiescement à la réalité des faits infrac-tionnels.

Une non-sanction solennellement prononcée

Le rappel à la loi (5) consiste, dans le cadred'un entretien solennel, à rappeler à l'au-teur du délit ou de la contravention, larègle de droit, la peine prévue et lesrisques de sanctions encourues en cas deréitération des faits.

Il s'agit d'une sorte d'admonestation qui nefigurera pas au casier judiciaire car, le procu-reur n'étant pas un juge, il n'y a pas là juge-ment, comme l'a dit récemment, après lachambre sociale de la Cour de cassation (6),la 2e chambre civile de la Cour de cassa-tion : « attendu que le rappel à la loi auquelprocède le procureur de la République enapplication de l'article 41 -1, 1°, du code deprocédure pénale, qui n'est pas un acte juridic-tionnel, n'a pas autorité de la chose jugée » (7).

Ce qui a pour conséquence que les vic-times ne peuvent pas se servir de la procé-dure pénale inaboutie, qui ne peut doncleur servir de preuve, pour faire valoir leursdroits à indemnisation bien que ce rappelà la loi ne puisse être envisagé qu'à la suited'une infraction constatée. Dans le rappelà la loi, la personne concernée n'a pas,comme dans la composition pénale pré-vue par l'article 41 -2 du Code de procédu-re pénal, à reconnaître les faits et accepterla réparation à effectuer au titre de la com-position pénale. Au surplus, la décisionprise dans le cadre d’une compositionpénale donne lieu à une inscription au bul-letin numéro un du casier judiciaire (8).Judiciairement, elle est exempte.

Ce qui est tout aussi étonnant, surtout enreprenant la comparaison avec la composi-tion pénale qui ne s'applique que dans cer-taines limites, certes larges, c'est qu’il n'estpas prévu de cadre spécifique pour le rappelà la loi qui permet donc de faire échappern'importe quel délinquant à la répression !

Une politique pénale arbitraire

Dans l'histoire de la procédure pénale, l'ar-bitraire a d'abord été la liberté des juges desortir du carcan des peines automatiquespour ajuster les décisions à la personnalitédes délinquants. Ce fut la naissance dudroit pénal moderne, humaniste, contrelequel régulièrement des volontésessayent, et quelquefois arrivent, à imposerdes peines minimales pour suivre l’exempledes “sentencing guidelines” américaines.

Cette liberté, qu'il faut chérir lorsque c'estcelle des juges, est plus complexe àapprécier lorsque c'est un procureur quien dispose, surtout dans un pays où il n'aà répondre qu'à sa hiérarchie, c'est-à-direfinalement, comme l'a rappelé récem-ment un Garde des Sceaux, au pouvoirpolitique. Mais justement le vrai change-ment ne va-t-il pas être qu’immanquable-ment le Parquet va devoir se justifierdevant l’opinion publique de sa mansué-tude pour celui-ci, comme de sa rigueur àl’encontre de celui-là.

Finalement cela reviendrait, comme enSuisse, à le faire élire.

g Me Maxime DELHOMME Avocat à la Cour

Conseiller de l’Ordre des Experts Comptables

L'INOPPORTUNITÉ DE LA SANCTION PÉNALE : LE RAPPEL À LA LOI

Droit pénal

1. Traité des délits et des peines, XXVII.

2. De l'esprit des lois, livre VI, chapitre XII.

3. Allemagne, Espagne, Italie par exemple.

4. Art. 40-1 CPP.

5. Art. 41-1 CPP.

6. Cass. Soc. 21 mai 2008.

7. Arrêt du 7 mai 2009.

8. Celui accessible aux seules autorités judiciaireset policières.