LES SQUATS À MONTRÉAL Voici la définition du mot « fatal » selon le dictionnaire Larousse...

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LESSQUATSÀMONTRÉAL

MarieDaries

Voici ladéfinitiondumot« fatal » selon ledictionnaireLarousse:«Quidoitnécessairementarriver;l’inévitable.Ce qui est prévu et qui ne manque pas d'arriver. Quientraînedesconséquencesdésastreuses,commelaruine.Cequientraînelamort;signedemort».1Est-ce une coïncidence si un des plus grands squats deMontréalsenomme leFattal? Au-delàde ladifférenced’orthographe,cenomFattalserait-ilporteurdesens,enmarquantcesquatdusceaudel’inévitable?Danslecadred’une enquête sociologique au sein du quartier Saint-Henri à Montréal, j’ai été interpelée par cet endroitsinguliernommé le«Fattal».Cenomm’a intriguée,etm’apousséeàexplorercetancienbâtimentd’armement.En toutepremière impression, j’aidécouvertunendroitsombre,peuaccueillant,avecdescanettesdebièresvidesparterre,desmégotsàcôtédesfenêtresetdesodeurs

fortes.Puis,avecmonco-équipier,nousavonsfaitconnaissancedecertainshabitantsduFattal,etnousavonspuconstaterqu’ilsontdescaractéristiquescommunes:sociables,ouverts, ils répondent aux questions sans aucune pudeur et ne cachent pas cettepersonnalitérevendicatricepropreàcemilieu.Ilspaientunloyer,maisleurmodedeviesembles’apparenter-enpremièreanalysedumoins-àceluid’unsquat.Plus généralement, j’ai pu remarquer, par comparaison avec d’autres villes, que lephénomène de squattage est assez répandu àMontréal. Jeme suis donc intéressée àl’articledeM.Parazelli,M.NengehMensahetA.MColombo,intitulé«Exercerledroitaulogement.Lecasd’unépisodedesquattageàMontréalen20012»,quidépeintlaposition

1http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fatal_fatale_fatals/329652 MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,«Exercerledroitaulogement.Lecasd’unépisodedesquattageàMontréalen2001»,LiensocialetPolitiques,n°63,printemps2010,p.155-168.

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sociale des squats dans la ville. Je l’ai lu avec cette question en tête : le Fattal est-ilréellementunsquat,etenquoiressemble-t-il(ounon)auxautressquatsdeMontréal?VoiciquelquesphotosprisesduFATTAL:

Pourquoisquatter?Lesquattagesecaractériseparl’actiond’appropriationdedomicilesvidesoud’immeublesinoccupés3.Jugéseloncertainscommeunepratiqueillégale,lesquatestassimiléàunactededésobéissancecivileetderevendication.Ainsi,cephénomènes’estamplifiéàMontréallors de la crise de logement en 2001, qui a provoqué plusieurs altercations etrevendicationssociales.M. Parazelli, M. Nengeh Mensah et A.M Colombo reviennent sur un des nombreuxexemplesde ces altercations : celuidu squatde l’îlotOverdale,dont l’objectif étaitdebloquerlaconstructiondecondossuiteàladémolitiondelogementsabordablesen1987-19894.Faceàcettepénuriedelogements,denombreuxindividussesontrassembléspourluttercontrelagentrificationmassiveetlesinégalitéssocialesàMontréal.Unmouvementurbain de revendication est né ainsi en créant des groupes de protestations contre ladestruction des logements, en squattant de plus en plus d’espaces résidentiels et ens’opposant à l’escouade anti-émeute de la Ville de Montréal. Selon les auteurs, cesnouveauxlogementsontpermisàcertaines«victimesdel’embourgeoisement»devivre

3MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,Ibid,p.156.4MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,Ibid,p.156.

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d’une façonalternativeetcommunautaire,enredonnantdoncdupoidsauxpersonnesmarginaliséesetdélaisséesparcettegentrification.Auxyeuxdessquatteurs interrogés,uneréformedudroitdulogementestdevenuenécessairepourmettrecelui-ciàlaportéedetous,etluttercontrecesdiscriminations.Undessquatteursaffirmeainsiquelesquatluiaoffertunecertainestabilitéetunereconnaissancesocialequ’iln’avaitpaseuesdepuislongtemps.Parconséquent,lesauteurssoulignentquecemodedelogementpeutaussireprésenter,d’unecertainefaçon,unrégulateurd’inégalités,pouvantpermettreàcertainsindividusdémunisd’avoirunlogement5.Enfin,certainespratiquesdusquattagevisentplusdirectementàuneréappropriationdel’espaceurbain,afindecréerunevieculturelleetartistique plus créative, et ce dans une perspective d’émancipation face aux valeursd’affaires et de privatisation de l’espace6. Pour préserver son existence, ce moded’occupationinduitalorsdesstratégiestellesquelesaffrontements,lesnégociationsoulamiseenplaced’ententesaveclemilieuurbain.TroistypesdesquatsDecefait,lesauteursdistinguenttroistypesdesquats.-Lesquatcomme«modedeviemarginal»:unpremiertypedesquatrenvoieàunmodedeviealternatifquirassemblelesétudiantsetlesartistes.Cesdernierss’installentdanscertains immeubles inoccupés des beaux quartiers pour y mener une vie marginaletemporaire7.-Lesquatcomme«refugecommunautaire»:undeuxièmetypedesquatsecaractérisepar le communautarisme et l’autogestion. Il s’appuie sur une organisation de vie encommunauté et sur la pratique d’activités culturelles organisées. Ce type de squat estfréquemment accusé de réaliser des pratiques illicites et antisociales. Il s’adressedavantageàdesindividusdépourvusdelogementstablequiadoptentdesstratégiesdesurvieallantàl’encontredesmodesdevieétablisparlasociété.C’estl’exempledusquareViger.-Le«squatpolitique»:lesauteursidentifientenfinuneformedistinctivedesquat,plusdirectementpolitiqueetassociéeauxmouvementssociauxurbains.Parleursactivités,cesmouvementsd’occupationremettentenquestionlesinégalitéssocialesetéconomiques.Lesquatparticipealorsd’uneformederemiseenquestiondusystèmesocial.Danscetypedesquat,nousretrouvonsdenombreuxmilitantsquidéfendentdescausessociales.Cemode de squattage est porteur de revendications politiques actives, et suscite doncdavantagederéticencevis-à-visdesautorités.C’estl’exempledusquattaged’Overdale-Préfontaine.Au final, les auteurs soulignent combien le squat tend à poser problème auxgouvernements, qui mettent en doute les motivations, les loisirs et l’organisation dessquatteurs.Lemanquedetransparencedesactivitésexercéesdanscesmilieuxencouragelesaffrontementsentrecesdeuxinstitutionsetladiffusiondestigmatisations.Deplus,les

5MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,Ibid,p.160.6MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,Ibid,p.157.7MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,Ibid.

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médias sont enclins àmontrer des images dénigrantes de cesmilieux, enmettant del’avantlemodedevieilliciteetpeuconventionneldessquats.C’estdoncunmoyenpourlegouvernementdemontreruneimagedénigrantedessquatsetdeprovoquer,auseinde la société civile, unmécontentement envers ces lieux et donc, en conséquence, defavoriserleurfermeture.ConclusionRevenons-enauFattal,etdoncàmaquestioninitiale:leFattalest-ilunsquat,etsioui,àquel type de squat montréalais correspond-il? Si nous nous basons sur la principalecaractéristiquedessquatsquiseraitcelledeprendrepossessiond’unespacerésidentielsanspayerun loyeràunpropriétaire, leFattalnerentreraitpasdanscettedynamiqueimmobilière…Mais au-delà de l’existence effective d’un loyermodéré, il partage biend’autres caractéristiques du squat, comme le mode de vie des habitants ou leurscomportements vis-à-vis des autorités de la ville de Montréal. A mes yeux, le Fattalappartientdoncbienàlasecondecatégorie,c’est-à-direlesquatcomme«modedeviemarginal».Pourallerplusloin:MichelParazelli,MariaNengehMensahetAnnaMariaColombo,«Exercerledroitaulogement.Lecasd’unépisodedesquattageàMontréalen2001»,LiensocialetPolitiques,n°63,printemps2010,p.155-168.Lienversl’article:http://www.erudit.org/revue/lsp/2010/v/n63/044157ar.htmlPourcitercetarticle:Marie Daries, Les squats à Montréal, Inegalitessociales.com, Chaire de recherche duCanadasurlesinégalitéssocialesetlesparcoursdevie,février2017.Publiédansinegalitessociales.com,Le15février2017©Chairederecherchesurlesinégalitéssocialesetparcoursdevie.