LE ROMAN DU PARFUM

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LEROMANDUPARFUM

DUMÊMEAUTEUR

Àlafolie,roman,éditionsFrance-Empire,2012.Situsavais,roman,éditionsFrance-Empire,2010.Ilyalongtemps,roman,éditionsLabruyère,2008;rééditionsBéatriceOrtega,2012.LeprincedeParis,nouvelle,éditionsFrédéricSerre,2001;réédition2011.Ludmilla,roman,éditionsOmriEzrati,1995;réédition2012.

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sarriette.Pour rassembler cet élixir de bonheur, je me suis rendue

chez un herboriste. Personne ne peut soupçonner le coup depoingolfactifquej’aiencaissélorsdemapremièrevisiteenceslieuxremplisdeplantes,deracinesetdefleursséchées.J’étaisfracassée, cabossée, j’en suis ressortie ressuscitée, comblée etlégère.

Depuis ce cocktailmoyenâgeux légèrement poivré, j’arrosetousmesplats.Aujourd’hui,jesuisheureuse,libre.Monappétitde vivre et de m’imposer s’en ressent dans mes propos, monattitudemême.Est-cevraimentceremèdeantédiluvienquiamuéma timidité en communicante effrénée ? Que s’estil vraimentpassé ? Aucune réponse logique n’a abouti. J’en ai concluqu’Hildegarde éloignait mes tourments et que mes fréquentesvisiteschezl’herboristecontribuaientàmeressaisir.

Chaquejour,unequestionrécurrentetordaitmonestomac:comment, avec un ego sous-dimensionné, étais-je arrivée àretenir l’attention ?L’expliquer était simple et impossible à lafois ; cela donnait : « Un incident multiplié par d’autresconcours de circonstances ajoutés à des situationsinenvisageables m’a conduit à Grasse, la ville considéréecapitalemondialeduparfum,l’axecentraldel’industriedeluxeà la française.» Ilyavaituneautreexplicationque je refusaisd’accepter: dans le dos, vers l’inaccessible, unemain invisiblemepoussait,m’ouvraitunchenal.

Un article sur les roses de Grasse dans un magazine télédéclenchamondépart.Unmatinsansciel,j’aidéposéunelettreàl’attentiondemamère,etjesuispartieàlagarepourprendreun aller simple pour Grasse. Sans me retourner, j’ai quitté lepassé.

Dansle trainquim’enlevait,unefemmeâgéem’aoffertunemploi de saisonnier, et de surcroît, le gîte, le couvert et

l’amitié.Commeparlavolontéd’undieucaché,lelendemainjecueillaisdes fleursdansdesalléesprécieuseset interminables.J’équeutais les tigescommej’avais rayonné : la têtevide,maiscette fois-ci, de plaisir et le nez bouillonnant. De caissièremuetteàdessacsderosesàrempliràunrythmed’enfer,iln’yeutqu’unpasinspiréparlehasard.Avecunedifférencedetaillenonnégligeable:uneabsencedecodes-barressurlespétales.

Dans cet océan de roses demai, je goûtais les pétales, lesreniflaisàlesflétrir.Selonlessemaines,leurgoûtsemodifiait,leurarômesetransformait,leurbeautés’offraitousecachait.Enfonction de l’intensité du soleil ou de l’heure, du légèrementcitronné habituel, des touches de framboise, de litchi ou devanille se découvraient. Cela m’avait intriguée. Je prisconscience que ces mutations olfactives correspondaient auxcycles lunaires. À croire que les liquides internes des rosesmontaient,descendaientselonlavolontédeceprochesatellite,que l’activité végétative fût en apogée en fonction del’éloignementoulaproximitédelaterre.

Uneaubedelunedécroissante,jemesuispromenéedansleschampsde fleurs. Jem’ysuisévanouie.Moncorpsgisaitdansunlitdepétales.Lescouleursetlesentêtanteshalenéesavaientatteintmon âme. Le lendemain,mon nez saignait, coula touteune journéeun jusde roseodorant.Lorsd’uneauroreen lunecroissante, les fleurs taisaient leur éclat, libéraient une odeurfaibleetembarrassée.Enjourd’éclipsesoudegrandesmarées,je supposais des parfums exposant une facette troublée, unstress assurément. Sans passer pour une illuminée, commentexpliquer ce phénomène ? Sans en avoir la science, commentaffirmer que les fleurs ne doivent pas être cueillies n’importequand?

Surceconstat, jen’ai jamais riendit,maisdésormais,mescompositionsfuturesprendraientenconsidérationceparamètre

empirique : la rose avait un chemin olfactif secret. Pour luiaccorder une longue durée, un fluide tenace, de l’élégance, uncontrasteaccompliet frais, lecueilleurdevaitattendre,dans lerespectducyclelunaire,sonheure.Maispourdonnerdesleçonsauxmaîtresparfumeurs,quiétais-je?Uneombreapprendàtairesesintuitions.

ÀmonretoursurBiarritz,toutauréolée,depoisonpourmonentourage, j’étais devenue porte-bonheur. J’étais mince, lisse,sexy avec un eye-liner et un fard orange qui soulignaientmesnuances de grain de peau.Même si je m’étais transformée enfemmesophistiquée, j’avaisgagnéenassuranceetcomprisquela beauté était un jeu, que j’avais le droit d’y participer. Ducoup, je me suis mise à parler sans cesse telle une pie. Mesparentsbuvaientmesmots,jemarchaissurl’eaudeparfumetlemonde d’avant plongeait dansmes odeurs. Avec des ailes auxtalons,jemerévélais.

En trois mois, sans rien calculer, au rang de « nez », jem’étaishissée,etÉtienneGaillard,leprésidentd’unesociétéetcréateurdefragrancesreconnues,veillaitsurmonodoratcommeon protège un trésor national. Avec une trajectoire fulguranteaussi irrationnelleque lamienne, commentnepas croire en laprovidence.

L’avionaglisséversl’arrièreets’estpositionnésurlapiste.Monvoisinétaitcrispéauxaccoudoirs,etsemblaitseviderdesadernièregouttedevie.Iln’étaitplusqu’unevaguepâleur.Sesmains tremblaient, samâchoire s’était crispée, son front s’étaitrecouvertdesueur.

J’ai détournémon regard et collé des yeuxd’enfant sur cehublothorsdeprix.L’oiseaud’aciers’estsoulevé.Monpremierdécollage.Oui,maviedécollait,etj’étaisterrifiée.Serais-jeàlahauteur des espoirs que l’on déposait entre mes mains ? J’endoutais.Lorsquel’onaétéuneombre,onnepeutques’effacer,

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Répétiteurbénévole

LeslaboratoiresGivaudan,Firmenich&Cie,Takasago,Symrise,IFF,Mane,Robertet,LMR,

PayanBertrand…

Chiffred’affairesannuelestiméà17,2milliardsd’eurosen2010.

–J’aiadorécettelégendeindienne.Pourrais-tumecédertonlivre?

–Sivousmelerendez,jevaisvouslireunpassageédifiantpourvousdécourageràl’acquérir.Merci.Jeretiensmonsouffle,c’est parti: « La coumarine est une substance naturelleorganique aromatique connue dans la nomenclatureinternationale comme 2H-1-benzopyrane-2-one qui peut êtreconsidérée en première approximation comme une lactone del’acide 2-hydroxy-Z-cinnamique. Ces composés possèdent deshydroxyles phénoliques qui peuvent être méthylés ou êtreengagésdansdesliaisonshétérosides.»Vousenredemandez?

– Par pitié, stop ! Vu sous cet angle, on comprend quel’approchepoétiquesoitindispensableauprofane.

–Jevaisdevoiravalercediscoursdurantquelquesannées.Tiens !Àmon tour, j’ai une devinette difficile, et je vous faisgrâce du pari. Savez-vous en quelle année Guerlain a mis aupointsonShalimar?

–Es-tusûrdenepasvouloirparier?–Absolumentcertaine.– Dommage ! Il a été a créé l’année de ma naissance, en

1925.Noussommesàégalité.J’aivraimentadoréparcourirtonexcellentbouquinsurleparfum.Tonprixseralemien.

–Vousêtestenace.–Jeterappellequelaténacitén’estpassurlalistedessept

péchéscapitaux.–J’auraiaimévousfaireplaisiretvousledédicacer,maisje

dois savoir, sur le bout du nez, les principaux axes de cetouvrage de référence. J’ai promis à Étienne d’apprendre parcœurlapartiehistoriqueavantlarentréedesclasses.

–Quiestcemonsieuràquituprometslalune?–Unhommeaussijeunequevous.– Et si j’étais, l’espace de notre voyage, ton répétiteur

bénévole ? Avec les scenarii avalés durant soixante ans decarrière,jesuiscertaind’êtrebonprofesseur.Qu’enpensestu?

–Génial!Toutsimplement…génial!– J’ai apprisdeschoses intéressantesdans ton livre. Jadis,

les humains utilisaient les parfums pour obtenir la protectiondes dieux, pour plaire aux rois et obtenir leur bienveillance.Tiens,unexemple:lorsquelareinedeSabaserendàJérusalem,elle apporte dans ses malles une quantité considérabled’aromatespourcharmerleroiSalomon.Lesparfumsavaientunrôle de séduction et ont maintenu leur position ensorcelantejusqu’ànosjours.Amazing!

– Rien n’a changé sauf que tout le monde a accès à cesfragrances,choseimpossiblepourl’ouvrièreilyamoinsdecentans.Aujourd’hui,lesgrandsnomsdelamoderéalisentlamoitiéde leurs ventes grâce aux accessoires comme les ceintures, leschaussures,leslunetteset,évidemment,leparfumqu’onéventedans des spots publicitaires qui se ressemblent tous.Que celasoit dit : le parfum est utilisé par les couturiers pour diffuserleurimage.Commentferaient-ilsautrement?

– Moi, j’offre un parfum pour dire : je t’aime. Pourquoi

aucunparfumnes’appelle-t-ilcommecela?N’est-cepaslaplusbelledesdéclarations?

–Jet’aimeaétélancéparDesfillesàlavanilleetIloveyouestsortichezMolyneux.Jecroisquetouslesmotsdelaplanèteont été déposés en toutes les langues. Rien n’échappe auxmachinesdeguerredumarketinget lecoûtd’unecampagnedepub se chiffre en centaines de millions de dollars, alors pasquestiondeseplantersurlacible.Àboursedéliée,lesmagnatsduparfumengagentlesplusgrandsmetteursenscènepournousparlerd’amour,de luxe,d’élégance,de sport,de littérature,demythologie…decequimèneaudésir.MartinScorsese,RomanPolanski, David Lynch et bien d’autres ont tous répondu àl’appelpourexécuterdesclipstéléviséstrèsélaborés.

– Si George Clooney a trouvé sa tasse de café, pourquoiBradPittneserait-ilpasl’ambassadeurducélébrissimeN°5?

–Pourcréer lebuzz,Chaneln’hésitepasàembaucherdesacteurs de premier plan juste pour faire craquer toutes lesréticences.J’imaginebienBradenplay-boyaventurier,endormi,nu surune îledéserte.Sonbateaua faitnaufrage, iln’a sauvéquesonN°5.Aulieudeselamenter,iloseunegouttedeparfumderrièrel’oreilleetsouritàsesmilliardsdefansderrièrel’écran.Fin du clip et jackpot pour les frères Wertheimer, lespropriétairesde lamarque.Le lendemain, la foule endélire serueverslesparfumeriesdequartierencroyantseglissersouslelobe de la star businessman. Tôt ou tard, toutes les vedettesrépondront à l’appel des dollars, que ce soit dans le vin, leparfum, la cuisine, le thé ou le café. N’avez-vous jamais étésollicitépourcegenredepub,Tony?

–Biensûrquesi.Surl’étiquetted’unebouteilledevin,onaperçoit mon visage de trente ans. J’ai accepté parce que jesavaisquecetargent iraitdirectementaubénéficedeschevauxdeShilohranch.

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cents, de quoi se rendre au centre deManhattan et s’installerdans un meublé où les rats avaient leurs habitudes. Dès lelendemain, Helen frottait chez les nantis. Elle briquait àBudapest et, à peine arrivé au pays du cinéma, elle astiquaitencore, sauf qu’elle ne comprenait pas la langue de ce pays àconquérir.Sonseulplaisirétaitdevolerquelquesgouttesd’eaude parfum à ses patrons. Elle était bien décidée à cesser cettespiralede corvées etdemalchancecollante commede lapoix.La semaine suivante, elle se rendit au bal annuel donnépar lacommunauté hongroise. Il lui fallait un homme riche, beau etpleindebravoure,unmariaimantpourlavieetprêtàselaisserdominerpar une femme.Unhommemystérieux, basané et auxcheveuxgominés à l’huile d’amandesdouces, l’invita à danseren lui tendant une main aux ongles irréprochables. Avantd’accepter,Helenexaminal’audacieux.Sonprétendantsentaitlesavon à la fleur d’oranger, sa finemoustache était taillée avecgrand soin, une épingle d’or retenait sa cravate de soie et sesguêtres étaient impeccables. Elle se leva et les corps ne sequittèrentplusde lasoirée.Cebeauspécimenferasonaffaire.HelenetManuelSchwartz semarièrent àNewYork le22mai1924.Le 3 juin 1925,Helen donna naissance àBernard.À lamaternité,sonmari luioffritunefolie :unflacondeShalimarsigné Jacques Guerlain, un composé de baumes, d’iris et devanille.Parfumqu’elleporterachaquesamedisoir.

Elle apprendra plus tard que papa était excentrique, volage,instable, artiste et, plus grave encore pour maman, sansambitionetmalchanceux.

Chaque enfant veut croire qu’il n’y a pas demeilleur pèreque le sien. C’est à ce héros, déglingué par l’infortune, queBernard, son jeune fils, vouait une adoration. Le petit Bernie

étaitcraintif,tourmenté,neparlaitpasencoreàtroisans,nesesentait sécurisé que blottit tout contre la plantureuse poitrineparfuméeàlavanilledesamèreetnequittaitjamaissondoudouparfuméauShalimar.Lesevragedu laitmaternelvers l’âgedetreizemoisavaitétépourluiunenfer.Ilnerespiraitquederrièrelajupedecettemamanaimantequi,chaquesoir,luichantaituneberceusemagyare.Sonmoded’expressionpassaitparledessin.Cequil’entouraitétaitesquisséaucrayondansuncarnetsecretquinequittaitjamaissamain.Sesparentscontinuèrentàparlerhongroistouteleurvie.Bernieappritcettelangueétrangèredanslarueetsonparlerslaveroulantlesvoyelless’ancrasolidementdans les sonorités hongroises aux doubles accents aigus. Dèscinq ans et grâce à son habileté dans le jeté de billes, il pritconfianceen luietpressentit l’intérêtdesemontrer.Labeautédecetenfantauxcheveuxdejaisetàlapeaucaramelétaitunecaressepourlesyeux.LecoupleSchwartzéchouaavecsesdeuxfils entre la73eRue et la 2eAvenue.À l’angle, il y avait uneboutique de fripes d’un polonais. Toute la journée, des gensentraientetsortaient.Descharrettesàbrascirculaient,cahotantdans les rues crottées de purin, remontant et descendant,encombrant le passage. La famille habitait à l’arrière de laboutique donnant sur une courette débordant de déchetsalimentaires. Les parents dormaient dans un angle, Bernie etJulius dans l’autre. Un troisième angle était occupé par lestoilettes, etdans lequatrième,Helens’affairaitdans lacuisineen maudissant sa mauvaise étoile. Tel était le logement de lafamilleSchwartz,sansaucuneintimité,subissantlaputréfactiond’une cour habitée par une horde de rats insolents. Son frèreJuliustraînaitderrièreBerniecommeunboulet,maislejourdegrande parade de la Légion américaine, il ne voulait pass’encombrer de ce frère trop jeune pour le suivre dans ses

histoiresdegrand. Il le rabroua.Sonfrèrepartitenpleuranteten oubliant sa casquette sur le rebord de la fenêtre. Juliusdisparutàjamais.

Ce vendredi de septembre 1938 est mon unique cauchemar.Comme un scénariste, j’ai réécrit cent fois ce qu’il seraitadvenu si je ne l’avais pas rejeté. Et chaque nuit, jeme senscoupabledecetégoïsmequiatuémonfrère.

Uncamionfou le luienlevaà jamais.Lorsqu’il rentrasansJulius, samère s’affola de ne pas voir rentrer son fils adoré àune heure si tardive. On commença les recherches dans lequartier. Les yeux baissés, un voisin l’informa que son gosseavaitétérenversésurla1reAvenueparunchauffeurdecamioncomplètement ivre. Aux remords, ses parents ajoutèrent lacruauté. Ce fut à Bernie d’aller reconnaître le corps. Samèrel’exigea, sonpèreabdiqua.Bernie l’identifia. Ilne le reconnutqu’àunedentcasséetantlatêteétaitgonflée.Ildemeuraàsonchevetdelonguesheuresetluijura,enlarmes,qu’ilvivraitpourdeux. Ce jour-là, il perdit l’insouciance de l’enfance dans leregardmaternelquil’accusait.

Dansmespetitesboîtes,j’aiconservéreligieusement,leslivresetlacasquettelaisséesurleborddelafenêtreparJulius.

Après le décès de Julius, des maux de tête à répétitionemmenèrentHelenauborddelafolie.Pourcompenserunevieirrespirable, Helen empoisonnait son couple et battait ce filscoupable au moindre écart de conduite et, chaque jour, elles’enfermaitunpeuplusdanssaraideur.L’optimismedesonfilsluiétaitodieuxdanscemondede laideurqui l’oppressait.Sesmots étaient des coups de cravache et la famille vivait dans la

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–Pour leplatprincipal, ladoradeauxfinesherbesestunemerveille,surenchéritlanaviganteinopportune.

–Trèsbien.Pasdedessert.Unverred’eausuffira.–Votrechoix,mademoiselle?demandal’hôtesse.– Tout pareil, sauf qu’à la place du foie très gras, je

souhaiterais une simple salade. Pourriez-vous demander aucommandantdeborddemerecevoir?J’aimeraisleremercierdevivevoixpoursagentillesse.

–S’ilestd’accord,jeviendraisvouschercher.L’hôtesses’éloignaavecsacommande.– Pourrais-tu terminer l’histoire savoureuse sur ce

mystérieux pays de Pount, Sabrina ? Pour dire vrai, j’en suistoutexcité.

–Clac,ontourne!Moteur.J’enétaisauserpentauxcolliersd’oretdediamantsquidemandaitàShalimariscequ’il l’avaitamené ici.Le rescapé raconta samésaventure enbafouillant eten croyant que sa dernière heure avait sonné. Le reptile lerassura en lui disant que si Dieu avait épargné sa vie, il nepouvaitlaluiretirersansprovoquerlesfoudresdecettedivinité.Avec l’aide de la bête au sang froid, Shalimaris repartit en luipromettantdereveniravecunecargaisondetouslesântisdesonpayspourleremercier.Leserpentéclataderireetluiavouaquecela était inutilepuisqu’il était lemaîtrede l’ânti, le nectar leplusabondantsursonîleoùlesarbrespleuraientdessenteurs.Depuis,chaquefoisqu’unnavireaccostaitsurl’île,lesaurienleremplissait de parfums, de défenses d’éléphants ou d’animauxrares.

–Extraordinaire!–Leségyptologuesmodernesn’ontjamaisretrouvétracede

l’îledePount.Encequi concernecet ânti, certains supposentqu’il s’agissaitd’unegomme-résineodorantecomme lamyrrheproduite par les arbres. Pour d’autres, il s’agirait de l’encens

issudel’oliban,unarbreàl’odeurd’essencedetérébinthe.Ilestà noter que la querelle des archéologues sur l’emplacement decette île de Pount n’est pas près de s’éteindre parce que lesrecherches, sur ce point géographiquevariable, continuent.OnsaitquesouslerègnedeSahouré1,roidelaVedynastie,quatre-vingtmillemesuresd’ântisontétérapportéesdePount.D’autresdynasties se rendront sur cette île, mais rien n’a filtré sur lalocalisation précise de Pount. Je vous lis la seule indicationinscrite sur les murs du laboratoire du temple d’Edfou etformuléeparlepharaonPtoléméeVI2àHorus3 :«Vois,Pountest ici, dans la chapelle, le pays du dieu est dans tonsanctuaire.»Lefloutotalpournosarchéologues.

L’hôtesseservitsesdeuxpassagerstrèsbavards.– Le mystère s’épaissit Sabrina. Que sait-on sur la

confectiondeleursparfums?– Le laboratoire du temple de Dendérah a fourni de

précieuses indications sur les ingrédients utilisés. Lesopérations de broyage, de tamisage, de filtrage, de cuisson ysont décrites avec soins. Ce qui est moins évident, c’est latraductiondeces épices etplantes. J’ai lu aussique l’onguentHekenouétaitunmélangedesucres,d’aromatespilésmouillésdevin,chauffésàplusieursreprisesavecdesântisetdustyrax,letoutmacérépendantunan.

–Cesontlàdesparfums?–Celaservaitàoindrelesmembresd’undieu,unesortede

baume parfumé qui mettait le corps en fête. Mais c’est enfumigation qu’excellent les Égyptiens avec le Kyphi. On yretrouvelesouchet,unesortedegrosrhizomeodorant,desbaiesde genièvre, des raisins secs, du roseau, du vin, du miel, lamyrrhe, la menthe, le henné, le safran, la cannelle et lecinnamome.

–Queveux-tudirepar«oindrelesmembresd’undieu»?– Les membres des statues de pierre à l’image des dieux

étaientquotidiennementimprégnésdeparfum.–Duparfumsurdelapierre?Commec’estétrange!N’astu

pas oublié un passage surprenant sur le voyage de la femmepharaonàl’îledePount?

– Vous parlez de la fameuse Hatshepsout4, la seule reined’Égypteàavoirrégnédurantvingt-deuxanssansmari.Grâceàsonintelligenceetàsoncourage,cettepoliticiennehorspairetau destin peu ordinaire va accéder pleinement au pouvoirsuprêmetraditionnellementréservéauxhommes.Elleétaitbelle,sa silhouetteélancée, son fronthaut, se rasait la têteetportaitl’attributde lafaussebarbeexposantainsiaumonde lapreuvede son contact direct avec le surnaturel. Une sorte de femmetravestie en homme qui évitait de donner prise aux jalousiesmasculines.

Hatshepsoutestsansaucundoutel’unedespersonnalitéslesplusfascinantesdelaXVIIIedynastie.

Jevaisvousraconteràmafaçoncetteexpéditionsurl’îledelégende qui s’est déroulée aux alentours de l’anVIII ou IX deson règne. Imaginez le spectacle d’une incroyable flottillecomposée de cinq navires qui s’ébranlent devant le temple deKarnak.Lesvoiles démesurées gonflées par le vent dunord etcouronnées par l’éclat des olifants résonnent dans un ciel detraîne. Imaginez l’admirationet l’étonnementdupeupleduNillorsque l’armada vint à voguer dans des régions inconnues ettous les périls que cela impliquait. La traversée dura dessemaines. Un matin, la vigie hurla : terre, terre ! Le chef del’expédition aperçut d’étrangesmaisons sur pilotis et des âneshennissant pour donner l’alerte. Deux terres se rencontraient.L’accueil fut à la mesure de la légende. Accompagné de ses

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maispersonnenemeconnaît.C’estdésespérant.– Professeur est un grandmot.On s’embrasse souvent sur

les plateaux et, tout naturellement, on prolonge dans lescoulissescedifficileexerciceabsentdesformationsd’Universal.Alors, je me suis dévoué pour réparer cette impardonnableméprise.

– J’ai toujours penséque je n’étais personne…et la seulefaçon pour moi de devenir quelqu’un… et bien c’était d’êtrequelqu’und’autre.

–Quefaites-vouscesoir,chérie«quelqu’und’autre»?–Commed’habitude,daddy:jevaisprierpouravoirunvrai

rôle.Enattendantlegrandjour,jeparsm’acheterdumaquillageetduparfumaudrugstoreSchwab.

– Je t’accompagne, chérie. J’enprofiteraipourprendredesrevuessurlecinéma.Aufait,quelparfumachètes-tu?

–Mais…N°5deChanel,biensûr!C’estcequejeportelanuit.

ElleaprisplacedanslaChevydécapotableautoitdéchiréetà lacouleurvertbouteilledélavé.Marilynneremarquapascesdétails, elle semblait absente. Dans la rue ou le magasin, sonallure sensationnelle n’échappait à aucun regard. Les hommeslouchaientsursoncorsageetlesfemmeslaregardaientenbiais.

D’un claquement de doigts, la belle gueule de Tonys’effaçait aux côtés de cet astéroïde. Du haut de son mètresoixante,ellen’étaitqu’unejeunefilleordinaireavecunvisageémouvant et extraordinaire, mais ce qui aurait dû être unebénédiction semblait se transformer en malédiction dans sonregardd’ombreetdelumière.

Tonysefitentreprenant:–HowardDuffm’aprêtésamaisonàMalibuceweek-end

pourquejem’occupedesonmatou.Quedirais-tudepasserlajournéededemainàlaplage?

–Ohdaddy!N’est-cepasl’acteurquiajouéSamBassdansLafilledesprairies?

–Ouietjecroisquesacarrièrevaex-plo-ser.La fille accepta l’invitation. Le lendemainmatin, il vint la

chercheravecquelquescoursesdanslecoffre.L’été s’envolait. Le temps tournait à l’orage. Les palmiers

ployaient sous le vent. Sur la route, le ciel s’encra d’un grisciment.D’uncoup,lacapotepercéesedéchira.

Sous l’auvent de lamaison sur la plage, Tony chercha lescléspuisalluma.Leursvêtementstrempésfumaient,leurspiedsbaignaientdansunemare.Unéclairblanctraversalapièceetlafoudre tomba sur lamaison. Les plombs sautèrent. Noir total.Tonynetrouvapaslecompteur,maisdesbougies.Dansceclair-obscur,elleressemblaitàuneicônedeBotticellidécoifféeaprèsune nuit d’amour. Chacun de ses gestes portait la marque del’éléganceetdelasensualitéàfleurdepeau.Elleavaitencorelaséductionmaladroitedel’adolescente.

Tony l’embrassa. Ce ne fut pas un baiser de cinéma.Lorsqu’ilabandonnaseslèvres,elleavaitgardélesyeuxfermés.Elleposasesmainsencroixsursapoitrineettrembla.Tonyluiproposadesechangerdans lachambre le tempsdepréparer lacuisineetd’allumerunfeu.

Ilsebrûlalamain.Ellerevintenpeignoirrose,etlesoigna.Tonyparlaitsanscessepourneriendire.

Elle le regardait s’activer devant le fourneau à bois. Ilcalcinalessteaks,vinaigraexcessivementlasalade,lespommesdeterren’étaientpascuitesetilreversalabouteilledevinrougesursonpantalonblanc.Lechatserégalaetlecouplesecontentadupotdeglacevanilleenpouffantpourunrien.

Lafureurducielnedurapas.Leventtomba,lesnuagessedispersèrent, des étoiles allumèrent la nuit et un vent tropicalsouffladanslespersiennes.

Tonyluipritlamain.Lescheveuxblondsdansaientauventetbrillaientdansl’obscuritécommeunsoleil.Ilssepromenèrentsurlaplagedéserteenjouantaveclesvagues.

Commentnepasprofiterdelagentillessedecettefilleauxyeuxcouleurdepluie ?Sur le sable, ils s’aimèrent et révèrentleursprojetsencomptantlesétoilesfilantes.

Pourchaquetraînéelumineuse,unvœu.–Est-cequelaviemedonneratoutcequejedésire,Tony?

Être une ratée àHollywood, c’est commemourir de faimà unbanquet. Je ne serai jamais une grande artiste, mais, entravaillant,jepeuxencoreespérerendevenirune.

–Etgagnerpleindedollars,plaisantaTony.–L’argent nem’intéresse pas, daddy.Tout ce que je veux,

c’estêtremerveilleuse.Monproblème,c’estque jenesaispasjouer.Toutcequejepossède,c’estuneanatomieappréciéeparles hommes, dit-elle en promenant sur le ciel ses paupièresappesantiesetenbâillant.

–Tupourrasaussiavoir tous lesbeauxgossesà tespieds,chérie.

–Maispourquoilesgenssont-ilstellementobsédésparlesquestions de sexe ? Ces questions me paraissent à moi aussiintéressantes que d’étaler du cirage sur une chaussure. C’estl’humeur et l’état d’esprit d’une femme qu’un homme doitstimulerpourquelesexeaitunintérêt.L’amant,levrai,estceluiquivousfaitfondrerienqu’envoustouchantlatêteouenvoussouriantdroitdanslesyeux.

–Quelesttonjourd’anniversaire,chérie?–Le1erjuin1926.Ettoi,daddy?–Le 3 juin,moins une année…Et lemonde appartiendra

auxsignesdesgémeaux,déclamaTonyenroulantdanslesableavecelle.

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exploiterontsansvergognecerendez-vous.–Quepenses-tudecetteutilisation?–C’estunehonte!Heureusementqu’ilnousrestedesSerge

Lutensqui jamaisnesevautrentdanscegenredevulgarité,demédiocrité facilitée par les gourous dumarketing. Pour lui, leparfumestcommeuneœuvred’artsecrète.

– Je commence à comprendre tes ressentiments envers lesmarchants du temple, sœur Sabrina. Au fait, j’ai omis de tedemander ce que tu allais faire à Los Angeles ? Tourisme ouparfum?

– Enmission pour le compte d’Étienne. Jeme rends chezFred Raucasse pour tenter d’élaborer une gamme de parfumsdédiéeàMichaelJackson.Voyez-vous,bienmalgrémoi,jesuisaussiàlabottedesaffairistes.

– J’ai été présenté à ce monsieur Raucasse, un faiseurd’argent du genre qui insiste pour coller une étiquette à votrenom sur un de ses flacons. Son parfum,Louvre, est une belletrouvaille,maislepersonnagenem’apas…disons,enchanté.Jepeux me tromper, mais je te recommande la plus grandeprudence.

–Mercipourl’avertissement.Jeresteraisurmesgardesetnecéderaipasàsesdollars.

–Avec l’âge,oncomprendquemêmesansargent, lesêtreshumains continueraient de vouloir peindre des tableaux,raconterdeshistoires,danserjusqu’àl’aube,chanter,composer,jouerde la flûte,neserait-cequ’aucoind’une rue.L’appâtdugainn’aplusd’intérêtàmesyeux.Seulsconcevoir,transformeretcomprendremerendentheureux.

– Pourquoi n’ajouteriez-vous pas, juste pour le plaisir, lacréationdeparfumsàvotrepalette?

–Jen’yavaisjamaispensé.Tutentesmoninstinctcréatifetmonimmensecuriosité.

–Monsieur le futurparfumeurenherbe,encoreunconseilpratique pour ne pas se planter lorsque vous composerez dansvotrecoin:neverserqu’unegoutteàlafoislorsdevosessais.Sentez, une autre goutte, sentez… et ainsi de suite jusqu’aurésultatsouhaité.À l’issuede lapériodedematuration,nepasl’appliquer survotre cou,mais faireun test sur le pli devotrepoignetousurunemouillette.

–Jesuiscurieuxdesavoircequ’uneparfumeusecommetoiportehabituellement.

–Jenem’habillequedecequejedécouvreparmoi-même.C’est ma seule forme de snobisme, voire de religion. Enrevanche, je sens tout cequi seprésente sousmonnez.Puisjelibérermoninventionsousvotrenezetvousdemanderdelâcherlesmotsquivousviendraientspontanément?

–Ceseraitungrandhonneur!Ellesortitdesapocheunminusculeflaconcouleurhavane,

envaporisaune longue tigedepapier froisséequ’elle recourbalégèrement sur sa pointe puis, dans un geste précis, la secouavivement.

– Fermez les yeux ! Maintenant, je vais approcher unetouche sous vos narines.Attention !Tout se jouedans les dixpremièressecondes.Soyez trèsattentif,contrôlezvosémotionset libérez dans un grand vent votre intuition, votre enfance etvotreexpériencedesodeurs.Surtout,nepasréfléchiretsefaireconfiance.

–J’ysuis.Çavientdoucement.Noussommestrèséloignésdu capiteux, de la friandise à la vanille ou du citron. Celaressembleàuneétabledébordantde foin fraîchementcoupéetde fleurs séchées, à la fenaison aussi, avec un rien de crin decheval apporté par un souffle saturé de sable chaud. Cela meramèneà la forcede l’adolescence, àun tournageoù jedevaismonterun cheval founommé Jackie et qui s’agitait commeun

diabledanssonenclosà l’approched’unepouliche.ÀJilletànotreranch.Noussommesloindufruit,plusprèsd’unfauteuilencuirfatiguéquiseréchauffedevantunfeudecheminée.Celam’évoquelasueurféminineetlapuissancedel’homme.Cequifaitdecettecompositionunparfumunisexe.Attendez!Quelquechosed’autrearriveaupetittrot.Commeuneodeurdeforêt.Dupin?Ouuneessenceenrapportaveclessous-bois.J’avouequec’est lapremière foisque l’onmesollicitepourunedéfinitionolfactive. J’ai l’impression de dire n’importe quoi et j’en suisdésolé, mais c’est ce que je ressens pour ce parfum aisémentidentifiableentretous.J’aimebeaucoup,nonvraiment,j’adore!Puis-jeconnaîtrelesessencesquetuyasincorporées?

–Vousm’impressionnez,monsieur!Belledéfinition!Vouscomprendrezqu’ils’agitd’unecompositionquejecouvedepuisdelongsmoisetquejenepuissevousenparlerouvertement.Undétailtoutdemême:vousêteslapremièrepersonneavecquijepartageceparfumetvousmettezenpleindanslemille.J’avaistant besoin d’un avis neutre et loin du sérail des spécialistes.Votreréponseestbienplusimportantequevousnel’imaginez.Merci Tony, et chapeau bas pour votre approche toute enfinesse!

–Commentl’as-tuappelé?–J’hésiteencoreparcequ’ilmemanqueunélémentcapital

en note de cœur. J’aimerais un nom français ou un verbearchiconnuetintraduisibleàl’étrangerafinqu’ilserépandeparsatraduction,ouquelquechosedepuissantcommeExister.Lescompositeurs de musiques, les peintres, les poètes ou lesécrivainschoisissentletitredeleurœuvre.Lesparfumeursn’ontpas cette fortune et accouchent sous x dans la clinique dumarketing. Sans vous consulter, on s’empare de cetteresponsabilitéàvotreplaceetvousvoilàdépossédé.Ilyadelasouffrance, de la joie à enfanter, et le plus beau cadeau d’une

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Grecsraffolentdeplatsépicés,lepoivredevientincontournableetondépensedessommesfollesàchaquerepas.LesecretdesvoiesesttoujoursentrelesmainsdesArabesetilsmonnayentàprix d’or leur exportation. À Rome, le philosophe Plines’inquiète des comptes de l’Empire et faire des économiestrouveun écho auSénat.En37 après J.-C., le jeune capitaineHippalusestàlarecherchedelaroutedesépicesparlamer.Ildécouvre l’alternancedesventsdemoussonet atteint lescôtesindiennes en quarante jours. À partir de ce jour, les navirescoupentparlahautemeretRomeobtientsesépicesaumeilleurcoût.C’estaussiàcausedesesexcèsqueRome tomberacinqsiècles plus tard. Avec les guerres d’invasion, le commercedémesuré des épices, les sciences, les arts et les lois serontfreinésdurantquatresiècles.Ilfaudraattendredixsièclespourretrouverdestempsfavorablesauxéchanges.

– J’aurais adoré vivre à cette époque. J’aimême tourné lerôled’unesclavedansSpartacus.

– Une fois de plus, je n’ai pas vu ce film,mais commentpouvez-vousdirequecesiècleétaitplaisant?Entantqu’athlèteou roi peut-être ! Comment faire abstraction de la détresse deces peuples vidés de leur culture et réduits à l’esclavage ?L’humanitémeurtdanslamisèrelapluscrianteetl’avantagevaau fortuné qui invente la salle de bain dans la maison pourmieuxsepomponnerlemuseau.

–Peude choseont changé fondamentalementvingt sièclesplus tard. J’ai lu avec surprise qu’aucune loi n’obligeait à laséparationdessexesdanslesbainspublics.Quellebellelibertédes corps !Hommes et femmes dans un bain commun et sanspudeur.

–C’était une triste réalité.Siune femmeenvisageaitde selaver, elle devait prendre le risque de se faire violer par lepremier salaud venu. Il aura fallu attendre un siècle et des

millionsdeplaintespourqu’Hadrienimposelaséparationentrehommes et femmes dans ces bains de malheur. Ce fut uneépoque de sang, de sexe et de parfum.Avez-vous lu que pourenduirelecorpsdesdieuxdel’Olympe,onn’utilisaitpasmoinsd’un kilo de safran séché par sportif ? À vue de nez, celareprésentait quatre mille fleurs et des milliers d’esclavescueilleurs.C’est phénoménal… et scandaleux !C’est le siècledu pillage de la nature et de l’égocentrisme. Un exemple :lorsquePoppée1décède,Néron2l’incendiairefitbrûlerlestockannuel de cannelle importée de Ceylan juste pour noyer sonchagrindanscetarôme.

–Finalement,onconsommaitplusqu’aujourd’hui.–Laterredecetteépoqueétaitpeupléedequelquesmillions

d’habitants et seule une poignée de nantis avait accès auxdélices.Nousatteindronslesseptmilliardsetcombiendefoyersontaumoinsunflacondemarquebêtementposésurl’étagèredeleursalledebain…

–Pourquoidites-vous«bêtement»?–Parcequeleparfumdoitêtreprotégédelalumière!Ilest

certainquesileparfumdesynthèsen’avaitpasprislerelaisdelanature,nousn’aurionspaspusubveniràlademandedenotresiècle.Maislàn’estpasleproblème.Cequimerévulse,c’estlegâchis.ÀGrasse, j’ai été cueilleuse, et je sais le labeur d’unejournéedetravailsurcesparcellespeucalcaires.Ilfautungesterapide, habitué et précis. Chaque pétale glissé dans votre sacblancenbandoulièrecompte.Ilrempliraensuitelatoiledejutemarron qui sera déversée dans la salle dédiée au séchage. Lescueilleuses soumisesàun rendement journalier se fanent aussisouslesoleil.Leparfumetlesépicessontprécieuxàplusd’untitre et savoir lemanque de respect pour la souffrance de cesesclavesàlatâche,justepourlebonplaisirdesmégalomanesde

l’Antiquité,meheurte.– Vue sous cet angle, cette période n’a plus le parfum de

saintetéque je luiprêtais.Tusemblesnerveuse,Sabrina.Estceque je me trompe ? Nous pouvons arrêter à tout instant cetterévisiondel’histoiresitulesouhaites.

– Il s’estpasséunévénement incroyabledans lacabineducommandantet jem’excuseduchangementd’humeurquevoussubissez.

–Quelqu’unt’amanquéderespect?– Bien au contraire. Je suis juste tombée amoureuse du

commandantdebord.D’un coup, raidedingue alorsque jenel’avaisjamaisvu.

–Jeconnaisbiencessymptômes:toncœurfaitdecurieuxbondsdanstapoitrine,tesyeuxsesontilluminésetembués,tuaseulacertituded’avoirtrouvéceluiquicombleraittesvidesettuasenviedepleurerpourunrien.Nechercheplus,c’estbiencequ’onappellelecoupdefoudre.

– J’en suis toute déboussolée. Cela me donne un cafardépouvantable.

–Celadevraitêtre lecontraire.Est-ilplaisantceséducteurailé?

–IlestbeaucommeunAlexandreleGrandsanslafoliedesgrandeursetj’adoresonparfumsursapeau.

–A-t-il eu l’heureuse audace de te remettre un numéro detéléphone?

–Non,mais son désir de séduction était affiché puisqu’ils’étaitparfuméavantnotrerencontretelunathlèteavantlesjeuxOlympiques. Jeme suis enfuie. Il a dû y voir de la réticence.C’estfichu!

–Est-cequetoncœurestlibredetoutengagement?–Hélas,oui.–Alorspourquoicettehumeurdechien,nomd’uncheval?

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n’avoir jamaisvuundemes films,alorspourquoipasceuxdeMissHepburn?

–Vousdevriezréparerceslacunes,mademoiselle,parcequele parfum pourrait aussi se raconter à travers le cinéma et lesstars.

– Jen’y avais jamais songé, et je vous remerciepour cettepiste.Mais ne pensez-vous pas que le parfum est son histoirecommeleditChristianDior?

–Jevousl’accorde:unmondesansparfumseraitunmondesanshistoire !Toutefois,onpeutaussiaffirmerque leparfum,tel que nous le connaissons aujourd’hui, naît en même tempsque le cinéma. N’est-il pas vrai que ces deux industries ontinventédetoutespièceslafemmeobjet?Etpuis,lecinémasansune odeur de parfum ne serait pas si extraordinaire. Tiens !Connaissez-vous le nom du parfum que portait AudreyHepburn?

–Aucuneidée!Jedonnemalangueauchat.–Pourelle,monsieurGivenchyacréél’Interdit.– Vous semblez en savoir un rayon sur le cinéma et le

parfumdesstars,Pascal.– J’ai un ami qui a rassemblé tous les potins sur ce sujet

dansunblog.Demémoire, jevouscitemesclassiquesdans ledésordre : Meryl Streep est une fan d’Annick GoutalFragrances etShalimar.Barbara Streisand est unemordue deVol de nuit et deDelicious. Brigitte Bardot est chez Jicky ouVentvertdeBalmain.CatherineZetaJonesestCocodeChanelou Arden Beauty, Céline Dion ne chante jamais sans Eaud’HadrienouN°5deChanel.PourMadonna,çasecompliqueparcequ’ellesauted’unefragranceàl’autrecommeIF,Fracas,Hypnotic Poison, Folavril, Youth Dew, Fleurissimo, PerfectVeil,DirtbyDemeter,Mat,Folavril,NanadaberryPink,Child,GrandAmour,Nocturnes,Narcissenoir,Nahema.

–Jen’enrevienspas!Voussaveztoutçaparcœur!Etpourleshommes?

– C’est plus facile :Habit rouge et Jicky pour Sir SeanConnery, Sir Roger Moore et Robert Redford. Frank SinatraadoraitBois du Portugal, Tribu, Zizanie. Clint Eastwood estDirtdeDemeterouGreenIrish.BradPitt s’enivredeLorenzoVilloresiMusc.EtTomCruiseestGendarme.JecroisqueBruceWillisaunfaiblepourChristianLacroixfragranceetAmen.

–EtMichaelJackson?ai-jetenté.–Tout lemonde sait qu’il était envoûté parParfumVI de

Creed. Sigmund Freud portait aussi Creed en Verte Sélectionmaisn’yvoyezlàqu’unepurecoïncidence.

Tonysurenchérit:–Maispersonnenesesouvientqu’ErrolFlynnportaitCuir

deRussie,unparfumcréé toutspécialementpour luietencoremoins que Cary Grant avait été nommé « conseiller créatif »chezRayette-Fabergé.Etpuis,toutlemondeparledeMarilynetdesonN°5.ElleportaitaussiJoydePatouetbiend’autres.CefutsurtoutunechancepourChanel.

–C’estvrai,Tony,ditPascal.Etentantqu’élumembreduconseild’administrationdeFabergé,CaryGrantbénéficiaitd’unappartement de luxe à New York, ses frais de voyage étaientillimités et il pouvait utiliser à loisir leur flotte privéed’hélicoptèresetd’avions.Cequimesurprend,c’estqu’iln’aitjamaisapprouvédesproduitsspécifiquesouqu’ilnesoitapparudansdespublicitéspourFabergé,etqu’ilaittoujoursétéfidèleàGendarmedeCreed.

L’hôtesses’approchadePascaletluimurmuradansl’oreillequ’il devait rejoindre sa place pour ne pas gêner le repos despassagers.

–Surcette réflexionhautementparfumée, jevous remerciede ce charmant interlude et vous souhaite à tous deux un

excellent voyage dans l’histoire. À bientôt, Tony, et mon bonsouveniràJill.

Lesouriantquadrarepartit.–Pascalaouvertunebrècheinattenduedanstonsavoir,my

sweet.– Il est vrai que l’industrie du luxe à travers le cinéma a

déterminé l’image de la femme. Ce que je ne comprends pas,c’est que plus les femmes sont autonomes et indépendantesfinancièrement,plusleursdépensesenchirurgieplastiqueetencosmétique explosent. À croire qu’elles sont coincées dans leregarddeshommes.

–C’est lebusinessde l’apparenceoùseulesdeuxversionssontvisuellementacceptables:lamannequinouladévergondée.La belle représentation de la maman rondelette entouréed’enfantssembles’effacerauprofitdudiscoursdelamodeetdelabeautédesmaigres.

–Tony,etsinousrevenionsàmaleçon?Quevoulez-voussavoirsurleparfumauMoyenÂge?

– Absolument tout ! Et je précise: dans les détails. Votrenoteendépendra,mademoiselle.

–Qu’est-ce que vous êtes dur avecmoi !Mais je vaismebattre comme une tigresse pour vous arracher une mentionhonorable. On y retourne. Je vous rappelle que cette périodes’étalesurprèsdemilleansetquec’estd’uncompliquéàvoustourner en bourrique. D’ailleurs, les historiens ne sont jamaisd’accordentreeux,voiresecontredisent.

–Pourrais-tumeresituerdansletemps?– À la louche, disons de l’an 500 à 1500 ou du dernier

empereurromainàladécouvertedesAmériques.D’uncôté,ilya l’Occident qui recouvre l’Europe catholique et de l’autre,l’Orientmontrédudoigtparlechristianismecommeuneterredepaïens et de débauche. C’est aussi l’emprise de la petite

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Ungrandsouffleculturel

Leparfum,c’estunrêveenbouteille.

Viktor&Rolf.

–Vosdentssontsplendides,ellesvousvontàraviretnousenétionsàlaRenaissance,périodequej’attendsavecuncertainbouillonnement,jel’avoue.

–J’enétaiscertaine!Vousêtesunimpatientquirongesonfrein en permanence. Alors, veuillez excuser cette pausehygiénique,maisindispensable.Etpuisj’aimevotreimpatience.Donc, Renaissance s’apparente à résurrection parce qu’avantcettepériode, toutsemblaitclouéet immobilecommeleChristsur la croix. Après l’ennui, la régénérescence. D’après mesnotes,laRenaissancenaîtenItalieet,dèssesbalbutiements,cenouveau souffle de créativité bouleverse uneEurope en piteuxétat artistiquequi s’étonneet sepâme faceàcet artdevivreàl’italienne.Rappelez-vousquelesartslibérauxontétélaminés,quemille ans se sont écoulés depuis l’effondrement du grandEmpireromainetquelavisionbyzantinebatdel’aile.Aucœurde la richissime Florence, la peinture, l’éloquence,l’architecture,lamusiqueetlagrammaireprennentdescouleurséclatantes. Avec le XVIe siècle, c’est le premier âge d’or quiannonce déjà l’avènement du siècle des Lumières du XVIIIe.Partout,onsepassionnepourlesmathématiques,l’éducation,labeauté, les beaux-arts et le parfum se diffuse dans toutes lescouchesde labellesociété.Aveccecoupdeprojecteursur lesarts, la Renaissance se fait plurielle, et ses idées atteignent la

France,laPologne,lesPays-Basetl’Allemagne.– N’est-ce pas avant tout la naissance de la méthode

scientifique?–Curieusement, lesavancéesdelasciencesemblentpasser

inaperçuesauxyeuxdupeupleparcequ’onneclignotequepourla création artistique. Les problèmes commencent parcequ’aucun débat sur la connaissance ne peut avoir lieu sansremettreenquestionlereligieux.Cedangereuxsoufflenouveaupour l’ordre établi va libérer la pensée. L’expérimentations’érige en pilier des sciencesmodernes, et avec l’invention del’imprimerie, Gutenberg initie la diffusion et le partage dessavoirs.Encentcinquanteans,entrelafinduXVeetledébutduXVIIe siècle, Léonard de Vinci, Copernic, Galilée, Stevin,Descartes et Kepler révolutionnent les mathématiques, laphysique, l’optique et la mécanique. Désormais, on consolidesonesprit critique,on remet enquestion la scienced’Aristote,on respire en s’enroulant dans les effluves de parfum pourconvaincreetséduiredubien-fondédesesarguments.LeSuisseParacelseaoséunethèsedevenuerègled’orenpharmacopéeetparfumerie:«Toutesleschosessontpoison,etrienn’estsanspoison;seuleladosefaitqu’unechosen’estpaspoison.»

– Votre Renaissance ressemble à une fabrique du progrèspour forcené. Je suis du petit peuple qui a besoin de jeux etd’images. Et puis comment ne pas vibrer sur le sfumato deVinci, le volume de Michel-Ange, l’équilibre de Raphaël, lalumière de Bellini, le dessin de Botticelli… Il y a aussi cetteDéposition du Christ peinte par Pontormo pour une chapelleflorentine.Cettescèneestd’uneincroyableaudace,lechoixdescouleurs est étonnant, et la construction, déstabilisante. Sij’avaisétéenfantdecesiècle,j’auraispeintàlamodemaniéristepour leplaisirdedistordre lescorps,de lesembelliretdonner

l’illusion que l’image s’aperçoit dans unmiroir.De nos jours,on dirait un écran. À bien y regarder, les peintres furent lespremierscinéastes.IlyaduFellinidanscePontormo.

– Il me faudra une seconde vie pour approfondir cesconnaissances. Je vais me contenter de survoler pour ne pasm’éparpiller.Aufait!Vousnem’avezpasracontévostableaux.Figuratifouabstrait?

–Lesdeux.Jediraisréalisteavecunetouchedefantaisie.Legenrequisepeintdirectementavecletubesurlatoileavecuneappétence pour la naturemorte, tout en épaisseur, en couleursviveset jamaisd’esquissepréalable.Dusansfilet.Jesuisdanslasensationdumotif,dansl’instantet levertigeduhasarddesmélanges.

– En parfumerie, l’aléatoire existe, mais rien ne vaut uncarnet et un crayon pour saisir la surprise olfactive qui vousattend. C’est comme une gourmandise régressive totalementpropice à l’addiction, donnant un sentiment d’impertinence àvouscouperlesouffle.Unparfumpourdieuxvivantssetravailleaumillimètre près, en prise directe avec le temps, du bout dudoigtcommeunehistoireàlaMichel-Ange.Unefaussenote,etc’estbonjourlacorbeille.

–IlyaduVermeerdanslaméticulositédevotreapproche.Mais que faites-vous de l’invisible, de la magie del’improvisation,ducoupdegénie?

–Onn’improvisepeudansmonmétier.Cheznous,legéniese nomme obstination, isolement et ténacité. On pèse, oncalcule, on sent, on recommence jusqu’à s’étourdir avant lasentence.

–Composerestunesouffrance,jetel’accorde.Pourreveniràvotrepanieràoubli,certainsdemestableauxdevraientpasseràlatrappe.Hélas,onnejettepascequiaétéapprécié,cédéauplusoffrantilyadixans.Dis-moi,commentseporteleparfum

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ondevinaitunehorlogedémesuréepaysagéeavec,ensoncentre,deuxaiguillesdemétalaffichantonzeheuresvingt.

Surleperron,tièdement,deuxhommesm’accueillirent.Lesgentlemenn’avaientpaseuladélicatessedevenirprendremonbagage.L’égalitédessexes,sansdoute.

– Bienvenue à Neverland, mademoiselle ! N’est-ce pas làune merveille architecturale ? Au fait, avez-vous fait bonvoyage ? Je l’espère parce que nous avons du travail sur laplanche.JesuisFredRaucasseetvoiciJeanLoripo,laborantinparfumeur. Bon ! Assez perdu de temps. Par quoi allez-vouscommencer?Ahoui!Lejardin.

J’allais lui répondre par une bonne douche suivie d’unegrassematinéeàpasd’heure,maisjemesuisravisée.Faceàcethomme fait de questions-réponses, j’ai baissé les yeux.Piégéecommeunerate,j’étais.MerciÉtienne.

–MonsieurGaillardnousabeaucoupparlédevotretalentetnousavonsacceptédedonnerunavantageàGrasse.Rappelez-moivotreprénom…Ahoui!Sabrina.

Son regard mielleux s’attarda sur ma poitrine, mes lèvres,mesfesseset,accessoirement,mesyeux.

–Lematérielserasousl’autoritéexclusivedeM.Loripo.Letempspresse.Nousattendonsdevotrepartuneanalyseparfaitedes plus belles essences des mille quatre cents hectares de lapropriétépuisquenotrevœuestde rassembler,dansun flacon,lesplusbellesodeurs.Votrepatronn’acessédeportervotrenezaux nues alors nous attendons énormément de votreparticipation. En selle !Nous n’avons que deux jours et deuxnuitspouryparvenir.Voiciunsécateuretunsacplastiquepourrecueillirvoséchantillons.Àvousdejouer.Allez,allez!

Etmachambre?et ledroitdesouffler?,avais-jeenviedehurler.Maisàvingt-troisans,l’uniqueoptionestl’obéissanceetle silence.Pournepas réintégrer trop rapidement lablousede

masupérette,j’étaisvraimentprêteàtout.– Avez-vous un orgue dans votre installation ? ai-je

murmuré.–Celavadesoi,réponditLoripod’unnezcondescendant.–Alors,unsécateurnemeserad’aucuneutilité.Moncarnet

etuncrayonsuffiront.J’ai abandonné mon bagage et suis partie au hasard en

espérantqu’onpenseraitàmenourriravantdemeremettredansunavionavecuncoupdepiedauxfesses.Euxsemblaientsurledépart,verslebar.

À moi, la sale besogne. Sans une goutte d’eau, j’ai errécommeunchienfouqui,souspeinedemort,doitrapporterdugibieràsonmaîtretout-puissant.

Constat : le domaine était un parc d’attractions désertéentretenuparuneescouadedejardiniersinvisibles.

Près d’une statue d’Hermès levant le doigt vers le ciel etmimant son envol dans les airs, mon nez s’est positionné àl’arrêt,ahésitécommeunegirouettesurunclocherpuis,ils’eststabilisé,narinesenavant.

Surmeslèvresasséchées,unventchauddéposauneperledemandarine, un zeste de citron révélé par une bouffée de masueur.Enmeretournant,uneffluvedepinduCanadaenflammama gorge. À ma droite, un fond de jasmin, de lavande et decédrat.J’aimarché.Droitdevant.

Le long d’unmur, un vieil hommede couleur à la tonsurepoivre et sel taillait des pieds de roses. Autour, des lilas enfleurs,unbroussailleuxbosquetdeframboises.

Jenotais.Lorsqu’il m’aperçut, son sourire m’offrit du réconfort. Le

premieraupaysdenullepart.Je me suis présentée. Lorsqu’il a entendu le mot parfum,

d’ungeste,ilm’aentraînédansunbois.

Sonregardposaunequestionmuette.Monnezsepositionna,warningenalerte.–Delavanilleetduboisdesantal.Jenotais.–Et…–Del’aloevera,jecrois.–Jereconnaisunefleurassoiffée.Jem’appelleJoe.Suivez-

moi.À ma demande, l’homme m’a ouvert les toilettes du

personnel. En silence, nous avons bu un thé glacé. Il meregardaitcommeonvoitpasserunelicorne.

–Réglisseetviolette,ai-jedittoutbas.Nous avons poursuivi notre entretien silencieux sous un

immense arbre en fleurs. Son regard malicieux sondait mesnarinesaffolées.

Envaguessuccessifs,l’enfancemevenait.Lesyeuxfermés,je revoyais ma mère, la Peugeot 505 break, le ciel gris desPyrénées,lesoleildanslesfeuilles.J’habitaiscedimanchefestifdécrétéparpapa,leschantsaigusdesrossignols.Toutarrivapartouches légères dans le bruissement de l’air. La délicateharmonies’estànouveauinvitéedansmonnez.J’avaiscinqans.Mon premier orgasme olfactif. Une cascade d’effluves s’estdéversée sur mon front. L’air pétillait. Je buvais cette odeur,m’en gavais jusqu’à l’ébriété. Dans un vent tiède, Neverlands’ouvrit àmoi. Je voyais ce que le roi de la pop avait ressentidanssonjardin.Souslevernisdukitsch,untrésorinestimableétaitenfouidanslescalesd’ungalionperduaufonddesmers.Toutétaitnoté.

–Noussommessousleplusheureuxdestilleuls,Joe.Sansle savoir, vous venez de remonter en surface l’un demes plusjolissouvenirs.

Joe m’observa. J’étais gênée. Il m’a invitée à découvrir lapropriétéàborddesonvéhiculeélectriqueetj’ainoté.

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hommedeMiyake.À Cannes, j’ai attendu une heure le car pour Grasse. À

quatorzeheures,j’aiposémonbagagesurlaplaceauxAires.Le ciel menaçait. Un éclair éclata. Des seaux d’eau se

déversèrentdanslesruespentues.Partout,desaffichesannonçaientlaFêtedelaRose.Promis:

le lendemain, la ville serait aux couleurs de la fleur aux centpétales. Je dégoulinais. Je suis entrée dans un café et j’aitéléphoné.Àlahuitièmesonnerie,ÉtienneGaillarddécrocha.Ilétaitsurlepointdedémarreruncoursauxonzeélèvesdel’écoledeparfum,laGrasseInstituteofPerfumery.Ravidemaprésenceen ville, il m’invitait à y participer afin d’être présentée auPrésident de l’entreprise Payan Bertrand, spécialiste desmatières aromatiques naturelles, la référence incontournabledansleshuilesessentiellesbio.

–Monsieur,jesuisexploséedefatigue,jevoistrouble,monnezestsousperfusion,mesoreillesronronnentencoredanslesmoteurs d’avions et de locomotive, et même si je devaisrencontrer le fantôme du grand Ernest Beaux, je ne pourraisarticuler le moindre mot. Par pitié, un lit, une douche, ausecours,besoindevotreaide.

– Toutes mes excuses, Sabrina. Je vous ai réservé unechambred’hôtesurlesHautesRibes.J’appelledesuiteMartinepour envoyer quelqu’un vous chercher. Rendez-vous devant lecasino.Pourmapart,jeviendraivouscueillirdemainversmidiet je vous invite à déjeuner pour un débriefing. Reposez-vousbien.Unedernièrequestion:avez-vouslepermisdeconduire?

–Oui,mais c’est très récent, et je n’ai pas lesmoyens dem’offrirunevoiture.

Un certain Paul est venu à ma rencontre. Il a pris monbagagefatiguéetnoussommespartisàtraversGrassedanssonbreakenpiteuxétat.

–ÀchaquefêtedelaRose,onadesaversestoutelasemaineavecunquinzedegrésauplusfortde la journée,annonçamonchauffeur.Etcommed’habitude,unefortechaleursuivra.DansmarégionduJura,onassisteaumêmephénomène.

– Ce n’est pas la rose centifolia qui se plaindra de cettepluie.

–Enrevanche,cen’estpasheureuxpourlesexposants,maisexcellentpourletourisme.

–Pourquoi…«excellent»?–Avecunemersanssoleil,lestouristesdelacôten’hésitent

pas à découvrir l’arrière-pays niçois. Les cars sont pleins àcraqueretdonc,c’est«excellent»pourlesaffaires.

La route ressemblait à un lacet jeté au hasard sur unecolline. De discrets portails bordaient les talus, et il étaitimpossible d’apercevoir les villas cossues dissimulées sous lesfutaies. Puis la chaussée se fit chemin. À chaque voiturerencontrée, une négociation invisible s’établissait entrechauffeurs. Celui qui pouvait le mieux reculer se serrait dansuneencoignured’entréeprivéepourlaisserpasser.Àdroite,unedernièremontéeavecunpanonceau:LouNaouc.

Enouvrantlaportière,uneterregorgéed’eaufumasousmessemelles. Une bouffée du sucré seringat, de lavande fine, demimosas et de lys fut dévorée par mes narines. Les aromatesprirentrang,lescerisierss’offrirent, lesolivess’immiscèrentetles pieds de tomates s’avancèrent. Quand les roses seprésentèrent sousmon palier, j’étais en transe. Le paradis desnezexistait.

Deux lions de pierre accueillaient le visiteur. Rienn’évoquait le Relais-Château, tout indiquait le patrimoinefamilial. Entre deux nobles oliviers, un escalier de pierreserpentait.Sousdeuxpalmiers hauts commeunphare, unmasauxvoletsbleusdanslasimplicitéd’antansecachait.

Un garçonnet aux yeux rieurs vint à notre rencontre enimitant le moteur pétaradant d’un tracteur. Sur le seuil, unedameauxcheveuxdeseletdepoivremeregardait.

Sonregardtrahissaitsacuriositéàmonégard.Pourtant,ellerestaprofessionnelle,détachée,courtoise.

– Étienne m’a informée que vous séjourneriez plusieurssemaines, mais sans être très précis. Pour l’instant, vousprendrez l’appartement, mais sachez que vous devrez parfoischanger de lieu de séjour en fonction de nos réservations. Lepetit-déjeunerestdeseptàdixheuresauplustard.Suivez-moi,mademoiselle.

Derrière une porte, une buanderie avec trois lave-linge àl’essorage, une armoire remplie de produitsménagers, un chatsurunemontagnededrapsblancs.Aufonddelapièceàl’odeurprononcéedelavandin,uneporte,puisuneautre.

–C’est plus court enpassant par la buanderie,mais il y aaussi un accès indépendant. Ici, vous pourrez vous reposer. Jecroisquevousenavezgrandementbesoin.Vousavezunetêteàfairepeur.Lacléestsurlaporte.Àdemain.

Lesalonetlacuisineétaientcommefigésdanslepassé.Lecanapé était aussi accablé que moi et la cheminée faisaitdécorum. J’ai gravi l’escalier de bois en traînantma valise. Jesavaisquejedonnaismesdernièresforces.

Il y avait deuxchambres à l’étage.Celle avec le lit doubleétait tapissée de rose. Accrochée au mur, une reproductionpapierdeBreughel-le-Jeune.Unvertigem’emporta. Jemesuisévanouietouthabilléesurlematelas.

Mon œil droit s’est rouvert sur ma montre. Il était septheuresvingtdumatin.J’avaiscomatéquinzeheuresd’affilée.

J’aitirélesrideaux.Ilyavaituneterrasse.Àmespieds,unepiscine, lescoteauxdeGrasse,Cannesauloin,puislesîlesdeLérins posées sur lamer.Une vue de carte postale.Un timide

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double sens. Par miracle, nous n’avons rencontré aucunobstacle.J’étaisensueur.

Lorsque nous sommes arrivés chez Martine, Étienne estrevenusurle«petitservice»àluirendre.

– Comme vous le savez, je suis l’un des présidentsd’honneur du Musée international de la parfumerie. Je doism’acquitter d’une journée de guide-conférencier dimancheprochainpourlafêtedelaRose,maisj’ai,hélas,uneobligationimprévueetincontournablesurParis.Iln’yapersonnepourmeremplacer.Jenepeuxcompterquesurvouspourrecevoiruntelcadeau. Et puis vous verrez, après l’exploit, plus rien n’estcommeavant.

– Vous appelez ça un cadeau ? Mais je n’ai pas lacompétencepourcetexercicedehautevoltige.

– Vous l’avez. Je vous suggère fortement de rencontrerDominique,laconférencièreattitréedumusée.Ellevousmettraauparfum.Tenez,voicilecataloguedumusée.Profitezdevotretemps libre pour visiter lesmaisons FragoGaliMolinard.Celapourrait vous être utile. Je vous laissema voiture. L’assuranceestdéjààvotrenom.Martinemeraccompagnera.

Seuledansmachambre, jemesuisécrouléesurlelit.Touts’accélérait dansmesneurones épuisés. Puis d’un coup, jemesuislevéepoursentircequeMichelm’avaitoffert.

Était-cecequejepensais?Jel’espérais.J’aidévissélebouchon.L’oudhs’avançaàpaslentsdansmesnarines.J’avaistrouvémonopium,monréparateurdenez.

RetourenGrasse

Cocaïne,café,tabac,Whisky,marijuana,opium,acide,champignonshallucinogènes…

«Jardind’addiction»,sculpturedeverredeBerdaguer&Péjus(MIPGrasse).

Après-demain, l’insipide ex-caissière de Biarritz prendraitl’habitetlebadged’uneconférencièred’unmuséeinternationalqui reçoit chaque année soixante-dix mille visiteurs. C’étaitaussiinsenséquederoulerensensinversesurl’autoroute.Aveclesnarinescolléessurlegoulotdiffusantlamagiedel’oudh,jen’aifermél’œilqu’uneminutesurdeux.

UnenuitblancheàfeuilleterleguideremisparÉtiennedansl’espoir de desserrer l’anneau d’appréhensions qui étranglaitmonestomac.

Avais-je assimilé les cinquante mille objets présentés auxvisiteurs?J’endoutais.

Aurais-jelecouragedeparlerenpublic?C’étaitnon.À dix heures tapantes, j’étais à l’accueil du temple du

parfum, dans ce lieu magique où l’histoire des odeurs avaittrouvérefuge.

Un groupe de touristes belges entourait une femme entailleurgris.Sur lebadge,unprénom :«Dominique–Guide-conférencièreMIP».

Armée d’un petit carnet, je me suis glissée dans cerassemblementdecurieux.

–«…SignéFrédéricJung,leprojetarchitecturalconcilie

l’ancien et le contemporain. Le bâtiment s’articule autour dedifférentes constructions symboliques grassoises : d’un côté,l’anciencouventdesdominicains édifiéauXIVe siècle, l’hôtelparticulier Pontevès du XVIIIe, le pavillon d’entrée del’ancienneparfumerieHugues-Aînéetl’immeublePelissier;del’autre, un apport de métal et de verre rappelant l’usined’antan…»

Aupremierétage,ellea rappeléque lemuséeavait rouvertsesportesen2009aprèsquatreansdetravauxpourdoublersasurfaceetqueleprojetavaitétésoutenuparJean-PierreLeleux,lesénateur-mairedeGrasse.Laréalisationdunouveauconceptavaitnécessitéuninvestissementdeonzemillionsd’eurosetleMIP accueillait désormais des dépôts d’autresmusées, dont leLouvre,lemuséeduquaiBranlyetlechâteaudeVersailles.

D’uneécritureserrée,jenotaisfébrilementsaprésentation.Soudain,derrièremoi,un«bonjour»fusadansmonoreille.

C’était Lionel, le commandant de bord aux bellesmains.Eausauvagel’accompagnait.

–Étiennem’ainformédevotrevisiteetjen’aipasrésisté.Je n’ai pas répondu. Je notais : stupeur et tremblement de

terresousmespieds.–«…Lemusée constitue la première collection publique

aumondeconsacréeàl’industrieduparfum,depuislestempslesplusanciensjusqu’ànosjoursetsurlescinqcontinents»,appuya Dominique. « Avant de nous promener du sacré auprofaneà travers l’histoiredeshommes, je vous inviteàvousdétendre quelques minutes dans la salle du Préambulesensoriel…»

Nousnoussommesengouffrésdansunesalledecinéma.De suite, mes narines ont absorbé l’odeur synthétique de

cèdre et de santal que diffusait cet espace zen soumis à une

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maindesgîtes,unesœurdistante,unamantdepassagequi luilaisseunventrerond,sonrefusdel’avortement.Safille,qu’elleavait élevée à bout de bras, la rejetait, fuyait la bastide encourantsurlatraced’unhommequilarepoussait.L’histoireserépétait.

Pour finir, elle parla de Paul, son héros, le seul lien quil’empêchaitdes’isolerdumonde.

Cesoir-là,nousétionsdeuxmalheurs.Le lendemainmatin, nous avons retourné à deuxmains la

terredesonpotager.Lebonheurrevenait.J’étaisdetouslesrepas.Uneamitiénaissait.Dimanche matin, je me suis présentée auMIP avec trente

minutesd’avancepourinventermavisite.Une hôtesse d’accueil m’a accroché un badge avec mon

prénomsurlereversdemontailleur.C’étaitàmoidejouer.Mes lèvres tremblèrent.Un groupe compact venu d’Alsace

trépignaitd’impatience.Encorecinqminutesdesursis,etlegrandoraldébuterait.Je

suis ressortie dumusée pour haleter et évacuer l’agitation quim’étranglait.

J’ai closmespaupières.Ànouveau, l’imagede lacaissièredeBiarritzestvenuemetourmenter.

Avec sa blouse et sa mèche barrant ce visage, elle meregardait avecdesyeuxmorts.Comme il avait été faciledenepasexister!Commeilétaitimpossibled’existersanss’exposeraumonde.

Unedéchargeélectriquechargéed’adrénalineme fouetta lecorps.Plusjamaisça!Cettefillen’étaitplus,jeluiavaisvolélaplacequ’ellen’avaitpassuconquérir.Dehors!

Enpassantdevantlecomptoirdel’accueil,j’aiattrapédeuxprospectus pour empêcher mes mains de trembler, et j’ai faitfrontausupplice:

– Mesdames, messieurs, je serai votre guide durant cetteheurequi,jel’espère,laisseraenvousunlongetpuissantsillageparfumé. Nous voici devant une architecture signée FrédéricJung qui concilie l’ancien et le contemporain. Le bâtiments’articuleautourde…

J’étais partie.Ma voix portait, je m’emportais, m’envolaisdanslelyrisme,répondaisauxquestionssanslemoindredoute,j’étaispassionnée.

La visite dura deux heures dans un déferlement d’histoire,deconseilsenbeautéetd’artde lacréation.Personneneposade questions pertinentes à part un homme avec des petiteslunettesdeprofesseurTournesol.

–Qu’enest-ilduclassementenzoneSevesodesenvironsdeGrasse?

–Pourquetoutlemondesuivebienlaparticularitédevotreinterrogation, je vous rappelle que le terme « Seveso » faitréférenceàunefuitededioxinedansuneusined’Italieenjuillet1976. Certains villages près de Grasse entrent dans ceclassement,maisen«seuilbas».

–Est-cequec’est taboud’enparler àGrasse? surenchéritl’homme.

–Encequimeconcerne,jenepensepasquelachimiesoitnotreenneminiungrosmot.Jediraismêmequ’ellealibéréleparfumeur des contraintes de la nature en mettant à sadispositionunepalettedeplusdetroismillenouvellescouleurs.Ne sommes-nous pas nous-mêmes des êtres de chimie ? Et lenaturel,n’est-ilpasfaitluiaussidemolécules,doncdechimie?Mais comment dire aux gens que les parfums sont issus de lachimiealorsquetoutnousportesurleproduitnaturel?Croyezqu’unbonparfumassocie lemeilleurduchimiqueaumeilleurdunaturel.

–Nepeut-onfaireautrement?tentaunedame.

–Cequinousintéresse,c’estlerenduolfactiffinal.Sanslerecours à la synthèse, à part quelques nantis, personne ne separfumerait.Comme auMoyenÂge.Àvue de nez, duXIIe audébutduXXesiècle,unflacondeJazzd’YvesSaint-Laurentenessencepureseraithorsdeprix.Àtitred’exemple,30mld’unconcentréduparfumeurbritanniqueCliveChristianestvenduàdeux mille euros, alors qu’en parapharmacie, une fragrancemodernebasiqueestautourd’unevingtained’euros.C’estgrâceà la chimie que nous pouvons nous parfumer par cargaisonentière sans piller les ressources de la planète. Croyez-moi, àGrasse,onrespecteàlalettrelesrigidesdispositionsdel’arrêtéSeveso parce que passer en zone « seuil haut » serait unecatastrophepourtoutelarégion.Surcettedernièreexplication,jevoussouhaiteuneexcellentejournée…parfumée.

Monpublicaapplaudiquinzebellessecondes.J’avais tout donné, j’avais fouillé les moindres recoins de

l’histoire en rebondissant sur les anecdotes qui font le sel duparfumetquicaptiventlepromeneur.

J’étais épuisée, heureuse, gonflée à bloc. En premier decordée, j’avais grimpémonÉverest olfactif. Je crois que TonyCurtis,monprofd’histoired’unenuitblanche,auraitétéfierdemaprestation.

C’est alors que je compris pourquoi ce moment de grâceétait un cadeau. Étienne avait raison : « Après l’exploit, plusrienn’estcommeavant.»

Le groupe ne s’attarda pas en questions. À reculons, il sedétachademoi.Touspartirent,saufunefemme.

Devantmoi,ellesetenaitdroitecommeuni.–Avez-vousunedemandesupplémentairesurunparfumen

particulier ? Non ? Ne vous attardez pas trop, vous pourriezperdrelatracedevotregroupe.

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Tantd’énergiepositivem’émerveilla.C’est à cet instant mal choisi que mon nez a rouvert ses

vannes.Dansun torrentdevitalité, l’humanités’estengouffréedansmes narines. Du sang roula sur mes lèvres, signe que lagaresuaitsonstress.J’aienfoncéunmouchoirdansmanarineettraversécettemaréemontante,latêtehaute.

J’avais au moins dix minutes devant moi pour attraper leTGVde13h49avecunearrivéeà19h26.

J’avais faim, de celle qui vous dévore après trois jours àboiredeslarmessalées.Avais-jeletempsd’acheterunebouteilled’eau et un sandwich ? Au vu de la file d’attente devant lescaisses du bar, non. Mon estomac hurla au scandale. Sanshésiter, je suis montée dans le premier wagon accroché à lalocomotivecôtéquaiLionel.Unjeunecontrôleuràlacasquettegrisem’asouri,unmicrophoneinformad’undépartimminent,laporteseferma,letrains’ébranla.Toutrecommençait.

Surmonbillet,pasdeplaceattribuée.J’aidemandéàl’agentoùjedevaism’installer.

–Vousn’avezpascompostévotrebillet,demoiselle.Voilà,c’estfait.Lorsqu’onachèteunbilletàladernièreminute,onnepeutplusvousattribuerunsiègefixeetvousdevezprendreuneplacevacante.

L’agent à l’accentmarseillaispicota surunécrandepocheavecunministyloretenuparuneficelle.

–Vousavezde lachance!Vousprendrez lenuméro66envoiture18côté fenêtre,dernierwagon.C’est toutceque j’aiàvous proposer, sinon c’est debout durant six heures, belledemoiselle.Allez,jevousl’écrissurvotrebillet.Bonvoyageetn’oubliez pas de composter la prochaine fois, sinon c’estl’amendeassurée.

J’aifouillédansmonsacpouryprendremonindispensablesaufconduit:l’oudhdeMichel.

Avecleflaconcoincédanslanarinedroite,j’aitraverséunemerd’odeursécœurantes,maistoutefoismoinsviciéesquedansl’avion.Aubar, j’aiavalédeuxsandwichescoupsurcoup,unesalade, trois cafés allongés, et acheté un paquet de gâteaux auchocolat. Encore huit wagons à souffrir. J’ai poursuivi mapénitenceenchangeantleflacondenarine.

…34…52,place66.Finducalvaire!MonvoisinestunAfricainavecunebarbichettetachetéede

poils blancs par endroits. Il se lève et développe ses presquedeuxmètrespourmelaisserm’installer.

Son corps exprime l’anxiété et exhale une dérangeantesudationquemonnezrefuseet,étrangement,accepte.

Échinopsgiganteus

Divertissement,afflictionaussiduplusnobledenossens,

larechercheduparfumnesuitpasd’autrevoiequecelledel’obsession.

Colette.

L’hommeauxcheveuxcrépusasoulevémonbagagepourlerangerenhauteur.

Sesmainsontfrôlémonnez.C’estalorsquelaplusdélicieusedesodeursjamaisdéposée

surmesnarinesaescaladévictorieusementmontunnelolfactif.C’était la Prima Donna perdue dans un égout. Cela avait duboisé, du patchouli et du vétiver, mais moins segmentant.Commeuneodeurdesouchehumide.

Lorsque jemesuisassise,monnezétait totalaccroàcettesenteur inédite et rejetait l’oudh pour quémander cettenouveautéentrelesdoigtsdemonvoisin.

Le géant aux longues jambes a sorti un paquet de biscuitssecsdesoncabasenosier.Celaempestaitl’huiledepalmeetlescacahuètespremierprix.

Pour le remercier d’avoir soulevé la valise, j’ai sorti monpaquetdegâteaux.Ilaacceptéd’enprendreuncommesijeluitendaisunlingotd’or.

En échange, il m’a tendu ses atroces biscuits. Je n’ai pasrepoussé l’offre, mais ma bouche a refusé de se laisserempoisonner.

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nousavezpasinformésdunomdecettemerveille?– Echinops giganteus. Et elle ne pousse que sur cette

colline.Michelavaitlesyeuxrêveurs:–Commec’estétrange.Uneodeurquivientausecoursd’un

peuplecondamnéàdisparaître.L’histoireestadmirable.Monépreuvepassaàlatrappe.On ne conversa que de cette découverte et de ses

potentialitésaromatiques.Letéléphoned’Étiennesonna.C’étaitLionel.Ilsouhaitaitmeparler.Avecl’iPhone,jeme

suiséloignéedugroupe.–Commentvas-tu,Sabrina?–J’aienviequetumeprennesdanstesbras.–J’encrèved’envie.– Lionel, est-ce que je peux te demander un « petit

service»?–Jet’écoute.–Peux-tum’accompagner auCameroun ? J’ai rendez-vous

avecunetribudegorilles.

Épilogue

Septembre2012.

Dansunroulementdetambour,lecieltonnait.Sousl’auventdelalibrairie,noussommesrestéslongtemps

àdiscuter,àrire,àévoquerTony.Puis,lapluiecessa.D’ungestedelamainenguised’adieu,

Sabrinaestpartied’unpaspressésansmelaisserunlien.Avantque son récit ne s’évapore, j’ai annoté précieusement lesconfidencesqu’ellem’avaitoffertessousl’orage.

Justeenface,lemuséedelaparfumeriedeGrassemetendaitlesbras.Unevisiteguidéecommençait. Jeme suisglissédansun groupe d’Alsaciens. Parmi eux, un couple se croquait dubout des lèvres, leurs mains discouraient, chaque recoin étaitprétexte à s’embrasser, à s’embraser, à se fondre l’un dansl’autre.

Comme l’eut fait un parfumeur, j’ai sorti un carnet et uncrayon pour inhaler l’ambiance. Mon nez serait ma pageblanche,monstylo,mamouillette.

À la terrasse d’un bistro, dix cafés plus tard, je lisais unpremierjetquitenaitenquelquespages.

À l’annonce de la mort de Tony Curtis, j’ai ressorti cettetentativedemanuscritquihabitaitdansuntiroirdepuispresquedeuxans.Ilyavaitdansceslignesunincroyableméli-mélodecinémaetdeparfumsnedemandantqu’àprendrevie.

Finseptembre2012,j’aicroiséSabrinaàl’aéroportRoissy-CharlesdeGaulle.

Il pleuvait. Comme si l’averse nous réunissait une fois

encore.ElleserendaitauTibet,j’embarquaispourMoscou.Nousn’avionsquequarante-cinqminutespourreprendrela

conversation laissée sous l’auvent. Elle partait aux pieds del’Himalaya pour donner son avis sur un bouquet de saxifragaoppositifoliaodorantesdécouvertà4600mètresd’altitude.

AprèssaformationauGrasseInstitutofPerfumery,elleavaitcheminé partout dans le monde pour dénicher là où elles secachent les merveilles olfactives. L’année dernière, elle avaitaccepté l’offre d’emploi deFilipLissitcharov, ungrandpatrondelalavandebulgare.Lamêmeannée,laFranceperdait50%desa production de lavande suite au ravage de la bactériephytoplasmeStolburdanslesuddelaFrance.Lemoisdernier,elle avait accepté un poste d’évaluateur en parfumerie fineauprès d’un des trois laboratoires français qui se partagent lemarché des parfumeurs et dont je tairais le nom pour ne pasrévélersonidentité.

Dansunmurmure,ellem’aconfiéqu’aprèssavisiteàShilohranch,elleétaitdevenueincollablesurlafilmographiedelastaretqu’elleportaitJickycommeunporte-bonheur.

À l’instant où j’allais lui demander des nouvelles deLionel…

«Votreattentions’ilvousplaît!LepassagerNicolliniestattendu en porte 22 avant fermeture du vol AF 3812.EmbarquementimmédiatpourLhassa…»

Elleadéposéunbaisersurmajoue,ets’estenfuie.

Tony Curtis etMona Di Orio s’en étaient allés, Roger &Gallet commémorait ses 150 ans, L’Heure bleue soufflait ses100bougies, laplanète fêtait le50e anniversairede lamortdeMarylin,EaudynamisantedeClarins,ses25ans, l’ADNd’uncheveu de Michael Jackson avait servi pour composer son

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LeRomandeTolède,BernardBrigouleuxetMichèleGayral.LeRomandel’Italieinsolite,JacquesdeSaint-Victor.LeRomanduFestivaldeCannes,JacquelineMonsignyetEdwardMeeks.

LeRomandesamoursd’Elvis,PatrickMahé.LeRomandelaBourgogne,FrançoisCéséra.LeRomandeRio,AxelGyldén.LeRomandelaPologne,BeatadeRobien.LesFabuleusesHistoiresdestrainsmythiques,Jean-PaulCaracalla.

LesRomansdeVenise,GonzagueSaintBris.LeMystèredesTuileries,BernardSpindler.LeRomandelaVictoire,BertranddeSaint-Vincent.LeRomandeQuébec,DanielVernet.LeRomandeMai68,Jean-LucHees.LeRomand’Israël,MichelGurfinkiel.LeRomandeBruxelles,José-AlainFralon.LeRomandePékin,BernardBrizay.Obama,LeRomandelanouvelleAmérique,AudreyClaire.LeRomandemescheminsbuissonniers,Jean-PierreFleury.LeRomandudésert,PhilippeFrey.LeRomand’unpianiste,MikhaïlRudy.LeRomandeBretagne,GillesMartin-Chauffier.LeRomandeMadrid,PhilippeNourry.LeRomandeCuba,Louis-PhilippeDalembert.LeRomandeMarrakech,Anne-MarieCorre.LeRomanduMexique,BabetteStern.LeRomanduVaticansecret,BaudouinBoallertetBrunoBartoloni.

LeRomandeNice,JeanSiccardi.LeRomandeSaint-Tropez,NicolasCharbonneau.LesAmoursdeHollywood,PierreLunel.

LaGrandeÉpopéedelatraverséedelaManche,AlbéricdePalmaert.

LeRomandelachansonfrançaise,DavidLelait-Helo.LeRomanduJardinduRoy,PhilippeDufay.LeRomandel’âmeslave,VladimirFédorovski.LeRomanduloup,Claude-MarieVadrot.LeRomandel’Indeinsolite,CatherineGolliau.LeRomanducinémafrançais,DominiqueBorde.LeRomandeBelgrade,Jean-ChristopheBuisson,prixdelaFondationKarić2010.

LeRomandeTolstoï,VladimirFédorovski.LeRomandelaRomeinsolite,JacquesdeSaintVictor.LeRomandeSaigon,RaymondReding.LeRomandeNapoléonIII,ChristianEstrosietRaoulMille.LeRomandeBiarritz,SylvieSantini,prixdesTroisCouronnes2010.

LeRomandel’Orientinsolite,BernardSaintBris.LeRomandesmaisonscloses,NicolasCharbonneauetLaurentGuimer.

LeRomandeSissi,ElisabethReynaud.LeRomandesMarins,LaurentMérer.LeRomandesProvences,JeanSiccardi.LeRomandeHemingway,GérarddeCortanze.LeRomandespapes,BernardLecomte.LeRomandesmortssecrètesdel’Histoire,PhilippeCharlier.LesRomansduMontSaint-Michel,PatricedePlunkett.LeRomandelaLouisiane,JacquelineMonsignyetEdwardMeeks.

LeRomandel’espionnage,VladimirFédorovski.LeRomanduJuifuniversel,ElenaBonner,AndréGlucksmann.LeRomandeRaspoutine,VladimirFédorovski,GrandPrixPalatineduromanhistorique2012.

LeRomandesaventuriers,FrançoisCérésa.LeRomanduSièclerouge,AlexandreAdler,VladimirFédorovski.

LeNouveauRomandel’Eĺyseé,Françoisd’Orcival.LeRomandelaSyrie,DidierDestremau,ChristianSambin.LeRomandelagauche,HervéBentégeat.LesRomansdelaCorse,AngèlePaoli,Paul-FrançoisPaoli.LeRomandeLondres,NelsonMonfort.LeRomanduRock,NicolasUngemuth.Mississippi.Leromanfleuvedel’Amérique,BernardBrigouleix,MichèleGayral.

CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan

265/2012

ÉditionsduRocher28,rueduComte-Félix-Gastaldi

98000Monacowww.editionsdurocher.fr

ImpriméenFranceDépôtlégal:décembre2012

N°d’impression: