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Le rôle des stratégies de régulation des affects (SRA) dans
les changements personnels tels que perçus par des
hommes qui consultent individuellement un professionnel
de la relation d’aide
Thèse
Doctorat en service social Philosophiæ doctor (Ph. D.)
Québec, Canada
© Steve Audet, 2017
Le rôle des stratégies de régulation des affects (SRA) dans
les changements personnels tels que perçus par des
hommes qui consultent individuellement un professionnel
de la relation d’aide
Thèse
Steve Audet
Sous la direction de :
Gilles Tremblay, directeur de recherche
iii
RÉSUMÉ
L’objectif de cette thèse est de mieux comprendre le rôle des stratégies de régulation des affects
(SRA) dans les changements personnels tels qu’ils sont perçus par des hommes qui consultent
individuellement un professionnel de la relation d’aide. Le changement est défini comme un
processus dynamique en référence à la théorie générale des systèmes. Les changements sont étudiés
sous trois formes, soit les changements dans la situation-problème, dans les affects associés à celle-ci
ainsi que dans les SRA utilisées. Une situation-problème comprend l’ensemble des difficultés vécues
par un individu. Les affects regroupent notamment les émotions, les contre-émotions et les pseudo-
émotions qui sont vues à la fois comme un état et un processus. La régulation des affects (RA) est
conçue comme un processus continu visant la modulation des affects et l’adaptation. Les SRA sont
les moyens utilisés pour moduler les affects vécus en lien avec une situation-problème. L’accent mis
sur les hommes qui consultent est motivé par une socialisation différenciée selon le sexe qui
influence la perception que les hommes ont des affects et la façon de les réguler.
Trois cadres théoriques sont retenus pour alimenter l’interprétation des données. Le principal cadre
théorique est celui de Linehan, Bohus, et Lynch (2007) qui traite de la régulation des émotions (RÉ)
et du rôle des stratégies de régulation des émotions (SRÉ) dans le processus de changement selon
une perspective clinique. Le second cadre fait référence à la théorie des émotions de Larivey (2002)
qui présente une théorie originale des émotions ainsi qu’un processus émotionnel lié à l’adaptation.
Le troisième cadre correspond au modèle transthéorique ou MTT (Prochaska et DiClemente, 1983),
lequel propose une vision du processus d’adaptation à une situation-problème. Dans les trois cas, les
auteurs identifient des SRÉ qui aident ou nuisent à l’adaptation. Ils proposent également des
interventions pour favoriser l’utilisation de SRÉ aidantes.
Les données de cette thèse sont issues des témoignages recueillis auprès de 13 hommes ayant
consulté un professionnel de la relation d’aide dans les six derniers mois. Ces hommes ont été
rencontrés à deux reprises pour la réalisation d’entrevues semi-structurées. Puis, un résumé écrit de
leur témoignage leur a été remis après les deux entrevues en vue de valider la compréhension du
chercheur et de rectifier certaines perceptions au besoin. En tout, 13 études de cas ont ainsi pu être
réalisées. Les témoignages ont été enregistrés sur bande audio et transcrits. L’ensemble de ce
contenu a été codifié à l’aide du logiciel MAXQDA. L’analyse qualitative des données a été réalisée
iv
selon les indications de Stake (2006) ainsi que Paillé et Mucchielli (2012). Le consentement écrit à
participer à cette étude a été obtenu.
Les résultats exposent, premièrement, les changements perçus par les participants concernant leur
situation-problème, leurs affects et leur utilisation des SRA. La plupart des participants rapportent
des changements significatifs sur ces trois variables. Selon leur point de vue, à certaines périodes, ces
changements ont été négatifs alors qu’à d’autres périodes, ils ont été positifs. Finalement, la plupart
des participants évaluent positivement leur évolution sur ces trois variables. En comparant les
trajectoires suivies par les participants et le vécu qu’ils y associent, cette analyse a mis en lumière
deux processus différents, soit le processus de la situation-problème et le processus affectif. Chaque
processus est composé de phases qui représentent le vécu, plus ou moins positif ou négatif, des
participants en lien avec leur situation-problème ou leurs affects. La trajectoire des changements
qu’ils ont vécus est, selon leurs propos, non linéaire et discontinue en regard de la situation-
problème et de l’état affectif.
Deuxièmement, une analyse plus approfondie des résultats visait à comprendre comment ont été
réalisés les changements perçus par les participants dans leur situation-problème et leur état affectif.
Selon leurs témoignages, c’est la modification de leur utilisation des SRA qui est la clef pour
comprendre ces changements. En effet, leurs témoignages indiquent qu’en phase régressive, les
participants ont surtout utilisé des SRA non aidantes (répression des émotions, évitement,
rumination, etc.) alors qu’en phase progressive, ils ont surtout employé des SRA aidantes
(acceptation des émotions, expression positive des émotions, réinterprétation, etc.). Selon les
participants interrogés, ce sont la consultation et le soutien social qui ont été les deux éléments les
plus aidants dans la transformation positive de leur utilisation des SRA.
v
ABSTRACT
Emotion regulation strategies (ERS) are used to modulate emotions and emotional processes in
different ways and for different purposes. Some ERS focus on the situation that can trigger
emotions while others target the emotions themselves once they have emerged (Gross, 2015). In
some circumstances, the difficulty to cope with the situation generates negative emotions which, if
not adequately regulate, accentuate the adaptation problem. In clinical perspective, emotional
vulnerability is characterized by a high sensitivity to emotional stimuli, an intense response to
emotional stimuli and a slow return to emotional baseline. People with high emotional vulnerability
have difficulty to keep emotion in optimal zone that can be manageable. These people have a limited
access to coping strategies (Linehan et al., 2007). Considering these elements, what role do ERS play
in the process of change in relation to the situation and emotions?
To explore these questions, we conducted 13 deep case studies in qualitative setting. The
participants were 13 men who had consulted a psychotherapist or a social worker at least five times
in the past year and signed a confidentiality agreement with the researcher. Inspired by Stake’s (2006)
case study method, we had three sharing sessions (two interviews and a writing feedback) with each
participant to reconstruct their own process of change retrospectively. The qualitative data were
analyzed with MAXQDA-11 and interpreted on the basis of the ERS model of Linehan et al. (2007)
and following the method of thematic analysis (Paillé et Mucchielli, 2012).
The process of change described by participants indicates a significant improvement in their
emotional state and the situation with which they initially struggled to adapt. To explain theses
change, the participants believed that psychotherapy helped them to identify maladaptive ERS
(rumination, suppression, alcohol, etc.) and progressively replaced these by adaptive ERS
(reappraisal, problem-solving, etc.): “I prefer to talk to someone than to ruminate. I prefer to take a time out
than to stay inactive” (Francesco). Furthermore, participants said they had learned to make a conscious
choice to stop maladaptive ERS and took the risk to use new adaptive ERS (positive expression of
emotion, acceptance, meeting their needs, etc.): “When I realized the benefits of evacuating frustration,
sadness and negative emotions, I felt wow! I felt good when expressing my emotions, I felt better than when keeping
them inside me” (Martial). From the perspective of the participants, psychotherapy helps to reduce
emotional vulnerability, which facilitates emotional regulation and adjustment to the situation: “My
vi
psychotherapist is part of my team to be able to create strengths, to give me the tools to be able to face different types of
individuals in different contexts with better strategies” (Paul).
The results of this qualitative study support the idea of Linehan et al. (2007) that psychotherapy, by
promoting the adoption of adapted ERS, reduces the emotional vulnerability and promotes
adjustment. More specifically, this study shows that the ERS used affect the trajectory of the change
process. Thus, the almost exclusive and frequent use of maladaptive ERS corresponds to regression
cycles (left wheel) whereas the regular use of adaptive ERS coincides with cycles of progression
(right wheel). Moreover, as Linehan (1993) suggests, different interventions would favor the
adoption of adapted ERS. The present study agrees in the same direction by associating these
interventions with the process of change. Finally, this study explains how ERS facilitates adaptation
by acting on both emotions and the situation that generates them. The proposed explanatory model
differs from that of Gross (2015) and of Linehan et al. (2007) emphasizing the role of ERS in the
process of change as seen by men who have consulted a psychotherapist.
However, this model remains to be validated more widely because it was developed from a small
number of male participants who perceived a positive role for emotions during their
psychotherapeutic process. It would be interesting to interview women or men who believe more or
less important the role of emotions in their process of change in order to see their specific way of
using the ERS.
vii
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ........................................................................................................................................................... iii
ABSTRACT ........................................................................................................................................................ v
TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................................................. vii
LISTE DES TABLEAUX .............................................................................................................................. xi
LISTE DES FIGURES .................................................................................................................................. xii
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES .................................................................................. xiii
ÉPIGRAPHE .................................................................................................................................................. xiv
REMERCIEMENTS ...................................................................................................................................... xv
INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 1
CHAPITRE 1 : CADRE CONCEPTUEL et PROBLÉMATIQUE ....................................................... 4
1.1 Changements personnels ............................................................................................................... 4
1.1.1 Le changement : entre état et processus ................................................................................ 4
1.1.2 Catégories du changement propres à la consultation d’un professionnel de la relation
d’aide ................................................................................................................................................... 5
1.2 Changements et consultation ........................................................................................................ 9
1.3 Situation-problème ....................................................................................................................... 11
1.3.1 Situations et problèmes ......................................................................................................... 11
1.3.2 Situation-problème et processus de changement : le modèle transthéorique (MTT) ... 12
1.4 Affects et émotions ........................................................................................................................ 16
1.4.1 Les théories des émotions ..................................................................................................... 17
1.4.2 La théorie des émotions de Larivey (2002) ......................................................................... 18
1.4.3 Critiques de la théorie des émotions de Larivey (2002) .................................................... 22
1.5 Régulation des émotions (RÉ) ..................................................................................................... 24
1.6 Hommes, masculinités et socialisation ...................................................................................... 32
1.7 Hommes, émotions et SRÉ ........................................................................................................... 36
1.7.1 Socialisation, hommes, émotions et SRÉ ............................................................................. 36
1.7.2 Recension des écrits sur l’utilisation des stratégies de régulation des émotions (SRÉ)38
1.8 RÉ, changements et consultation ................................................................................................ 59
1.8.1 RÉ, santé, bien-être et fonctionnement social ..................................................................... 59
1.8.2 Quatre modèles d’intervention ............................................................................................ 60
1.8.3 Études cliniques sur le rôle de la RÉ dans le processus de changement ........................ 61
viii
1.8.4 Hommes, consultation, changement et RÉ ......................................................................... 67
1.9 Conclusion du premier chapitre ................................................................................................. 69
CHAPITRE 2 : LE CADRE THÉORIQUE et LES QUESTIONS DE RECHERCHE ................. 71
2.1 Théorie : définition et utilité ........................................................................................................ 71
2.2 Cadres théoriques alimentant la thèse ....................................................................................... 72
2.2.1 Synthèse des repères théoriques .......................................................................................... 72
2.2.2 Le modèle de la RÉ de Linehan, Bohus et Lynch (2007) ................................................... 73
2.2.3 Liens entre le modèle de la RÉ de Linehan et al. (2007) et les hommes .......................... 80
2.3 Objets à l’étude et questions de la recherche ............................................................................ 83
CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ............................................................... 85
3.1 Type d’étude : l’étude de cas multiples ..................................................................................... 85
3.2 Échantillonnage par contraste-approfondissement ................................................................. 86
3.3 Recrutement des participants ...................................................................................................... 87
3.4 Profil des participants ................................................................................................................... 88
3.5 Stratégie de collecte des données ................................................................................................ 90
3.6 Protocole de collecte des données ............................................................................................... 92
3.7 Traitement des données ............................................................................................................... 93
3.8 Analyse des données .................................................................................................................... 93
3.8.1 Première phase de l’analyse : les études de cas ................................................................. 94
3.8.2 Deuxième phase de l’analyse : l’ensemble des données ................................................... 98
3.8.3 Éléments pour une interprétation et une théorisation de qualité ................................. 101
3.9 Limites de la recherche ............................................................................................................... 102
3.10 Éthique de la recherche ........................................................................................................... 103
CHAPITRE 4 : RÉSULTATS, INTERPRÉTATIONS ET DISCUSSIONS ................................... 106
4.1 Situations-problèmes : résultats ................................................................................................ 106
4.1.1 Problèmes avant la consultation ........................................................................................ 106
4.1.2 Problèmes après un certain temps en consultation ......................................................... 107
4.1.3 Processus de changement des situations-problèmes ...................................................... 108
4.2 Situations-problèmes : interprétation des résultats ................................................................ 110
4.2.1 Situations-problèmes avant et après un certain temps en consultation ....................... 110
4.2.2 Processus de changement des situations-problèmes ...................................................... 111
ix
4.3 Situations-problèmes : discussion............................................................................................. 119
4.3.1 Discussion des résultats sur le processus des situations-problèmes ............................ 119
4.3.2 Résultats sur le processus des situations-problèmes comparés au modèle de
Prochaska et DiClemente (1983) .................................................................................................. 120
4.4 Affects : résultats ......................................................................................................................... 121
4.4.1 Distinctions entre les états affectifs .................................................................................... 122
4.4.2 Valence des affects ............................................................................................................... 123
4.4.3 États affectifs : regroupements ........................................................................................... 124
4.4.4 Affects avant la consultation .............................................................................................. 124
4.4.5 Affects après un certain temps en consultation ............................................................... 126
4.4.6 Processus affectif .................................................................................................................. 128
4.5 Affects : interprétation des résultats ......................................................................................... 131
4.5.1 Affects avant et après un certain temps en consultation ................................................ 131
4.5.2 Processus affectif .................................................................................................................. 132
4.6 Affects : discussion ...................................................................................................................... 140
4.6.1 Résultats sur le processus affectif comparés au modèle de Linehan et al. (2007) ....... 140
4.6.2 Résultats sur le processus affectif comparés au processus émotionnel de Garneau et
Larivey (1979) ................................................................................................................................. 141
4.6.3 Résultats sur le processus affectif en regard des études sur les hommes .................... 142
4.7 SRA : résultats .............................................................................................................................. 144
4.7.1 SRA aidantes et SRA non aidantes .................................................................................... 144
4.7.2 SRA utilisées avant la consultation.................................................................................... 147
4.7.3 SRA utilisées après un certain temps en consultation .................................................... 148
4.7.4 L’utilisation des SRA non aidantes et ses effets ............................................................... 150
4.7.5 L’utilisation des SRA aidantes et ses effets ....................................................................... 156
4.7.6 L’évaluation des SRA .......................................................................................................... 165
4.8 SRA : interprétation et discussion des résultats ..................................................................... 166
4.8.1 SRA aidantes et SRA non aidantes .................................................................................... 167
4.8.2 L’utilisation des SRA avant et après un certain temps en consultation ....................... 174
4.8.3 L’utilisation des SRA non aidantes et ses effets ............................................................... 176
4.8.4 L’utilisation des SRA aidantes et ses effets ....................................................................... 180
4.8.5 L’évaluation des SRA .......................................................................................................... 187
x
4.8.6 SRA et genre.......................................................................................................................... 188
4.9 Processus de changement et rôle des SRA .............................................................................. 189
4.9.1 Liens entre le processus des situations-problèmes et le processus affectif .................. 190
4.9.2 Correspondances entre les situations-problèmes et les affects ...................................... 193
4.9.3 Utilisation des SRA selon les phases du processus des situations-problèmes et du
processus affectif ............................................................................................................................ 194
4.9.4 Interactions entre les SRA et processus de changement ................................................. 196
4.9.5 Rôle des SRA dans le processus de changement ............................................................. 203
4.9.6 Hypothèses concernant le rôle des SRA dans la trajectoire empruntée par les
participants ..................................................................................................................................... 215
4.10 Processus de changement : discussion ................................................................................... 216
4.10.1 Le rôle des SRA dans le processus de changement ....................................................... 216
4.10.2 Hommes, SRÉ et processus de changement ................................................................... 218
CONCLUSION ............................................................................................................................................ 221
Résumé des résultats ..................................................................................................................... 221
Principales limites .......................................................................................................................... 222
Pertinence des repères théoriques ............................................................................................... 222
Apports de cette thèse aux connaissances .................................................................................. 224
Implications pour l’intervention .................................................................................................. 226
Implications pour le service social personnel ............................................................................ 229
Implications pour la recherche ..................................................................................................... 229
RÉFÉRENCES............................................................................................................................................. 232
ANNEXES .................................................................................................................................................... 248
Annexe 1 : Fiche publicitaire de recrutement ................................................................................ 249
Annexe 2 : Guide pour la première entrevue semi-structurée .................................................... 250
Annexe 3 : Guide pour la deuxième entrevue semi-structurée ................................................... 252
xi
LISTE DES TABLEAUX
TABLEAU 1 : TYPOLOGIE DU CHANGEMENT .................................................................................................................. 8 TABLEAU 2 : LE PROCESSUS DE CHANGEMENT SELON LE MTT (TIRÉ DE CSILLIK, 2009, P. 357) ................................. 14 TABLEAU 3 : TAXONOMIE DES ÉMOTIONS DE LARIVEY (2002) ................................................................................... 20 TABLEAU 4 : SYNTHÈSE DES DIFFÉRENCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES DANS L’UTILISATION DES SRÉ ....... 54 TABLEAU 5 : SYNTHÈSE DES ÉTUDES CONCERNANT LES SRÉ, LA CONSULTATION ET LES CHANGEMENTS ................. 63 TABLEAU 6 : ÉLÉMENTS DU PROCESSUS DE RÉ ET SRÉ SELON LE MODÈLE COGNITIVO-COMPORTEMENTAL
DIALECTIQUE (LINEHAN ET AL., 2007, P. 588, TRADUCTION LIBRE) ................................................................... 76 TABLEAU 7 : PARTICIPANTS ET PHASES DU PROCESSUS DES SITUATIONS-PROBLÈMES ............................................. 117 TABLEAU 8 : CLASSEMENT DES AFFECTS SELON LA PERCEPTION DE LEUR VALENCE PAR LES PARTICIPANTS ........... 124 TABLEAU 9 : LE PROCESSUS AFFECTIF DES PARTICIPANTS ........................................................................................ 138 TABLEAU 10 : LISTE DES SRA NON AIDANTES ET AIDANTES ..................................................................................... 145 TABLEAU 11 : COMPARAISON DES SRA NON AIDANTES ET AIDANTES SELON DIFFÉRENTS MODÈLES ..................... 169 TABLEAU 12 : COMPARAISON DES SRÉ DU MODÈLE DE LINEHAN ET AL. (2007) AVEC LES SRA ISSUES DES
RÉSULTATS DE CETTE THÈSE ............................................................................................................................. 171 TABLEAU 13 : COMPARAISON DES ÉTAPES DE LA RÉSOLUTION DE PROBLÈME SELON DEUX MODÈLES .................... 185 TABLEAU 14 : ANALYSE DES RESSEMBLANCES ET DES DIFFÉRENCES ENTRE LE PROCESSUS DES SITUATIONS-
PROBLÈMES ET LE PROCESSUS AFFECTIF ........................................................................................................... 191 TABLEAU 15 : CORRESPONDANCES ENTRE LES AFFECTS ET LA TRAJECTOIRE DES SITUATIONS-PROBLÈMES SELON LE
POINT DE VUE DES PARTICIPANTS .................................................................................................................... 194 TABLEAU 16 : SRA UTILISÉES SELON LES PHASES DU PROCESSUS DES SITUATIONS-PROBLÈMES ET DU PROCESSUS
AFFECTIF ........................................................................................................................................................... 195 TABLEAU 17 : REGROUPEMENT DES SRA EN SIX CLASSES SELON LEUR RÔLE DANS LE PROCESSUS DES SITUATIONS-
PROBLÈMES ET DANS LE PROCESSUS AFFECTIF ................................................................................................. 204 TABLEAU 18 : PRINCIPAUX RÔLES DES SRA : AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DES SRA ....................................... 211
xii
LISTE DES FIGURES
FIGURE 1. ADAPTATION D'UN SCHÉMA TIRÉ DE GROSS & BARRETT (2011) .............................................................. 17 FIGURE 2. REPRÉSENTATION DE QUATRE CONCEPTIONS DU PROCESSUS GÉNÉRANT ET RÉGULANT LES ÉMOTIONS,
TIRÉE DE J. J. GROSS ET BARRETT (2011, P. 12) .................................................................................................. 27 FIGURE 3. MODÈLE DU PROCESSUS GÉNÉRANT ET RÉGULANT LES ÉMOTIONS (LINEHAN ET AL., 2007, P. 583,
TRADUCTION LIBRE) .......................................................................................................................................... 74 FIGURE 4. SCHÉMATISATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE ................................................................................... 84 FIGURE 5. PROCESSUS DE CHANGEMENT DES SITUATIONS-PROBLÈMES .................................................................. 118 FIGURE 6. ÉVOLUTION DES AFFECTS DES PARTICIPANTS DURANT LA PÉRIODE DE CONSULTATION SELON LEURS
PERCEPTIONS.................................................................................................................................................... 127 FIGURE 7. TRAJECTOIRE DU PROCESSUS AFFECTIF .................................................................................................... 140 FIGURE 8. PERCEPTIONS DE L’ENSEMBLE DES PARTICIPANTS QUANT À LA FRÉQUENCE D’UTILISATION DES SRA
AIDANTES ET NON AIDANTES ENTRE LA PÉRIODE QUI PRÉCÈDE ET CELLE QUI SUIT LA CONSULTATION ...... 149 FIGURE 9. TRAJECTOIRE DU PROCESSUS DE CHANGEMENT ...................................................................................... 214 FIGURE 10. L'EFFET DE LA DYNAMIQUE DES SRA SUR LA DIRECTION DU CHANGEMENT ....................................... 214
xiii
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES
AT : Alliance de travail
RA : Régulation des affects
RÉ : Régulation des émotions
SRA : Stratégies de régulation des affects
SRÉ : Stratégies de régulation des émotions
CBT : Cognitivo-Behavioral Therapy (thérapie cognitivo-comportementale)
DBT : Dialectical Behavioral Therapy (thérapie comportementale dialectique)
EFT : Emotional Focus Therapy (thérapie centrée sur les émotions)
MTT : Modèle transthéorique
xiv
ÉPIGRAPHE
« J’ai longtemps porté le deuil, errant comme un fou dans la steppe. Comment me taire ? Comment
rester muet ? Mon ami Enkidu est redevenu argile. Et moi ? Est-ce que je devrais comme lui me
coucher un jour pour ne plus jamais me relever ? Jamais ? Alors je me suis dit : je vais partir et j’irai
trouver Utanapishtî-le-lointain. J’ai donc marché, marché, marché encore. J’ai franchi les montagnes
les plus inaccessibles et traversé toutes les mers. Et c’est vrai, mon visage n’a plus connu de
sommeil paisible. À force de veiller, je me suis épuisé, et tous mes muscles sont rompus... Et qu’est-
ce que j’y ai gagné ? Avant même d’arriver jusqu’à la taverne de Siduri, mes vêtements en peau de
bêtes étaient complètement usés ! J’ai tué ours, hyènes, lions, panthères, tigres, daims, grosses et
petites bêtes sauvages pour manger leur viande et me vêtir de leur peau. Ah ! Si l’on pouvait fermer
la porte à mon angoisse, si l’on pouvait l’obturer au bitume et à l’asphalte ! Mais le destin ne m’a
pas laissé de répit, il m’a brisé, malheureux que je suis ! (…) » (Bottéro).
Sidouri dit à Gilgamesh : « Où vas-tu Gilgamesh ? La vie que tu cherches tu ne la trouveras pas.
Lorsque les grands dieux créèrent les hommes, c'est la mort qu'ils leur destinèrent et ils ont gardé
pour eux la vie éternelle. Mais toi Gilgamesh, que sans cesse ton ventre soit repu, sois joyeux nuit et
jour, danse et joue, fais chaque jour de ta vie une fête de joie et de plaisirs, que tes vêtements soient
propres et somptueux, lave ta tête et baigne-toi, flatte l'enfant qui te tient par la main, réjouis
l'épouse qui est dans tes bras. Voilà les seuls droits que possèdent les hommes » (Azrié).
(extraits de l’Épopée de Gilgamesh, récit du XVIIIe-XVIIe siècle avant J-C, traduit par Abed Azrié,
1979 et Jean Bottéro, 1992)
xv
REMERCIEMENTS
La réalisation de ce projet de doctorat a été grandement facilitée par la contribution de nombreuses
personnes. Au premier chef, Gilles Tremblay qui, en tant que directeur de thèse, a été d’un soutien
inconditionnel et d’une très grande générosité. J’ai énormément apprécié son soutien personnel et les
échanges que nous avons eus durant toutes ces années de même que les défis qu’il n’a eu de cesse de
me lancer. Le professeur Tremblay a su habilement me guider dans le parcours du doctorant pour
me permettre d’en éviter les pièges et d’en surmonter les embûches.
Daniel Turcotte, qui est maintenant professeur retraité et associé à l’Université Laval, a pris part dès
le début à ce projet en tant que membre du comité de thèse. Ses conseils avisés ont permis de
préciser le projet de recherche et de le mener à bien.
Jocelyn Lindsay, également professeur retraité de l’Université Laval, a assumé le rôle de prélecteur,
ce qui l’a amené à lire plusieurs fois la thèse au cours de la dernière année. J’ai fortement apprécié la
lecture attentive qu’il en a faite, ses commentaires avisés et nombreux qui m’ont été très utiles.
Jean-Martin Deslauriers, professeur à l’Université d’Ottawa, a accepté d’agir comme évaluateur
externe. Il a lu et commenté rigoureusement la thèse. Plusieurs de ses commentaires ont permis
d’enrichir cette thèse et d’en assurer la valeur scientifique.
Je souligne aussi la contribution de Richard Cloutier, professeur retraité du département de
psychologie de l’Université Laval. M. Cloutier a été membre du comité de thèse durant les cinq
premières années, mais a dû se retirer pour des raisons de santé.
Enfin, Richard Côté, également professeur retraité de l’Université Laval, a agi comme mentor pour
certaines questions notamment celles en lien avec la régulation des affects et le processus de
changement dont il est un expert.
Je remercie la professeure Joane Martel d’avoir présidé au bon déroulement de la soutenance et à la
finalisation du processus d’évaluation selon les plus hautes normes.
xvi
Au plan personnel, je tiens à souligner les encouragements nombreux et soutenus que j’ai reçus
durant toutes ces années. Que ce soit de mes parents, d’autres membres de la famille, d’amis, de
collègues, tous vos encouragements m’ont fait du bien. Je vous aime tous et toutes. Une mention
spéciale à Denise Rondeau-Robitaille qui m’a fortement encouragé à entreprendre ce doctorat.
Je remercie les hommes qui ont accepté de participer à cette recherche et qui m’ont parlé de leur
vécu très généreusement. Me mettre à leur écoute dans la posture du chercheur m’a permis
d’apprendre bien des choses que je n’avais pas vues en tant qu’intervenant.
Enfin, je souligne le soutien de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Rimouski. Plus
particulièrement, je remercie l’École de service social et la Faculté des sciences sociales de
l’Université Laval. Ce soutien institutionnel est précieux et j’oserais dire indispensable pour le bon
déroulement d’un projet de doctorat.
En somme, on pourrait dire que s’il faut un village pour élever un enfant au rang d’adulte, il faut
certainement une ville pour en faire un docteur! J’aimerais ainsi célébrer ce succès avec tous ceux et
celles qui y ont contribué de près ou de loin.
1
INTRODUCTION
Cette thèse est née d’un questionnement à propos du processus de changement vécu par les
personnes qui consultent un professionnel de la relation d’aide. Comme travailleur social et
psychothérapeute œuvrant depuis une quinzaine d’années, j’ai souvent du mal à expliquer comment
ces hommes et ces femmes que je rencontre en consultation contribuent à l’aggravation ou à
l’amélioration des situations qu’ils ou elles vivent. Qui plus est, en les interrogeant sur ce point, j’ai
eu régulièrement droit à des réponses qui m’ont étonné, telles que : « Je l’ignore... », « Ce que tu as dit la
dernière fois… » ou « Cette réflexion que j’ai eue un certain soir… ». Au lieu de m’éclairer, ces réponses ne
me rendaient que plus confus, ce qui a alimenté cette autre question : comment puis-je aider les
personnes qui me consultent si je ne comprends pas comment elles réussissent ou ne réussissent pas
à s’adapter aux situations qu’elles vivent ? Il m’est ainsi apparu nécessaire de mieux comprendre
comment les personnes qui consultent parviennent à s’adapter ou non aux situations qu’elles vivent,
pour être en mesure de savoir comment les aider efficacement. C’est dans le but de résoudre ce
mystère que j’ai entrepris des études de doctorat en service social.
Au fil de mes lectures, il est apparu que le processus de changement est un domaine de recherche
qui compte des centaines de théories, mais très peu ayant obtenu une validation scientifique
(Prochaska et Norcross, 2013). En outre, lorsque des éléments prometteurs sont repérés pour mieux
comprendre le processus de changement, leur importance reste modeste. Malgré que le processus de
changement chez les personnes qui consultent fasse l’objet de recherches scientifiques depuis plus
d’un siècle, nos connaissances demeurent très limitées sur les façons optimales de les aider.
Si la pertinence de ce domaine de recherche ne fait pas de doute, la façon de générer des savoirs
pouvant alimenter significativement les connaissances mérite également d’être interrogée. En effet,
comment espérer faire avancer les connaissances sans tenter d’y poser un regard neuf ? Dans cet
esprit, il est apparu essentiel que cette thèse propose une réflexion originale capable de générer des
connaissances et d’alimenter le raisonnement scientifique au sujet du processus de changement. Ce
cadre est posé au début du premier chapitre. Il permet de distinguer différents sens attribués au mot
« changement », en déterminant des catégories de changements et en précisant les liens entre ces
catégories. Ce cadre est utilisé par la suite pour critiquer les connaissances actuelles sur le processus
de changement et guider le choix des variables à l’étude. Au terme de cette réflexion, il a été décidé
2
de s’intéresser au rôle des stratégies de régulation des affects (SRA) dans le processus de
changement. Plus spécifiquement, les changements dans trois variables sont étudiés, soit les
changements dans les situations-problèmes, les affects et les SRA. D’abord étudiés séparément, les
changements dans ces trois variables sont ensuite analysés de manière à comprendre les rapports
qu’elles entretiennent. Le processus de changement est étudié dans le contexte d’une relation d’aide
en s’appuyant sur le point de vue du client. L’accent mis sur les hommes qui consultent est motivé
par une socialisation différenciée selon le sexe qui influence la perception que les hommes ont des
affects et de la façon de les réguler. L’objectif de cette thèse est ainsi de mieux comprendre le rôle
des SRA au regard des changements dans la situation-problème et les affects tels qu’ils sont perçus
par des hommes qui consultent individuellement un professionnel1 de la relation d’aide.
Pour bien saisir la portée de ce projet, le premier chapitre définit les principaux concepts à l’étude,
recense les écrits scientifiques qui y sont liés et précise ce que la présente thèse veut ajouter aux
connaissances sur ce sujet. Le changement est défini comme un processus dynamique en référence à
la théorie générale des systèmes. Les changements personnels sont étudiés sous deux formes, soit les
changements dans la situation-problème vécue et les affects associés à celle-ci. Initialement, il avait
été prévu d’axer cette étude principalement sur les émotions et les SRÉ. Or, le corpus empirique a
servi d’incitation à élargir l’étude aux affects et, par conséquent, aux stratégies de régulation des
affects (SRA). Le cadre théorique, qui repose sur une certaine vision des émotions et de la RÉ,
demeure valide étant donné la proximité et l’interconnexion entre les différents états affectifs
comme l’expose Larivey (2002) dans sa théorie des émotions présentée au premier chapitre. Il existe,
en effet, une difficulté certaine à bien distinguer les affects étant donné l’état actuel des
connaissances. Dans cet esprit, l’examen de la littérature montre l’existence de façons fort variées
d’étudier les affects et les SRA, ce qui rend difficilement comparables les études entre elles. Pour
circonscrire la recension des écrits dans ce vaste champ de recherche, l’accent a été mis sur les écrits
qui abordent les liens entre les émotions et les SRÉ chez les hommes qui consultent. Les principales
conceptions des masculinités utilisées dans les études recensées sont exposées. La conclusion de ce
premier chapitre résume les connaissances actuelles et ses limites pour ouvrir sur ce que veut
apporter cette thèse.
1 Le masculin inclut le féminin pouvant désigner un ou une professionnel-le de la relation d’aide.
3
Le deuxième chapitre explique l’utilisation qui sera fait des cadres théoriques de référence à cette
thèse. Le principal cadre de référence y est décrit, soit le modèle de la régulation des émotions de
Linehan et al. (2007), de même que sa pertinence pour l’étude du processus de changement des
hommes qui consultent. Ce chapitre se clôt sur la présentation des questions de recherche.
Le troisième chapitre présente la méthodologie de recherche retenue, les critères de scientificité, le
profil des participants, les limites de l’étude et les questions éthiques. Il s’agit d’études de cas
effectuées avec 13 hommes ayant consulté un professionnel de la relation d’aide dans les six derniers
mois. Ces derniers ont été rencontrés à deux reprises afin de réaliser des entrevues semi-structurées.
Puis, un résumé écrit de leur témoignage leur a été remis afin qu’ils valident la compréhension du
chercheur et rectifient certaines perceptions au besoin. En tout, 13 études de cas ont ainsi pu être
réalisées. Les témoignages ont été enregistrés sur bande audio et transcrits. L’ensemble de ce
contenu a été codifié à l’aide du logiciel MAXQDA. L’analyse qualitative des données a été réalisée
selon les indications de Stake (2006) ainsi que Paillé et Mucchielli (2012). Le consentement écrit à
participer à cette étude a été obtenu.
Le quatrième chapitre expose les résultats ainsi que leur interprétation. Ce chapitre est divisé en
quatre parties : la première partie aborde les changements à propos des situations-problèmes; la
seconde partie décrit les changements au sujet des affects; la troisième partie traite des changements
dans l’utilisation des SRA; la quatrième partie explore la dynamique des SRA en lien avec le
processus de changement des participants. À la fin de chaque partie, les résultats sont analysés à la
lumière d’études réalisées sur ces thèmes.
Enfin, le cinquième chapitre résume l’ensemble de la thèse en y relevant les résultats les plus
importants, les principales limites, la pertinence des cadres théoriques choisis ainsi que les
implications pour l’intervention, le service social et de futures recherches. Les principaux apports de
cette thèse comprennent la modélisation du processus de changement de la situation-problème, la
modélisation du processus affectif, une nouvelle typologie des SRA, la description du rôle d’une
vingtaine de SRA dans le processus de changement, la modélisation de la dynamique des SRA et ses
liens avec le processus de changement.
4
CHAPITRE 1 : CADRE CONCEPTUEL ET PROBLÉMATIQUE
1.1 Changements personnels
En service social, le changement personnel est défini comme la modification de facteurs individuels
(cognitions, affects et comportements, par exemple) et sociaux (conditions de vie, valeurs, droits,
etc.) ayant pour but l’amélioration des transactions entre l’individu et son environnement (Bilodeau,
2005; Bourgon et Gusew, 2000; Gambrill, 2006; Thibault, 2011). La présente thèse s’attarde à
certains facteurs individuels, plus spécifiquement aux affects et à l’utilisation des SRA, pour tenter de
comprendre comment la consultation influence la trajectoire du changement. Cette section examine
d’abord la signification du terme « changement ». La théorie systémique (Bateson, 1999; Bertalanffy,
1973; Elkaïm, 1989; Le Moigne, 1994) sert de référence à cette réflexion. Pour démêler les
principaux concepts associés au changement chez l’humain, une typologie est proposée. Les
différentes variables à l’étude dans cette thèse sont situées à la lumière de cette typologie.
1.1.1 Le changement : entre état et processus
Le terme « changement » désigne deux idées indissociables : soit l’état d’une chose (le quoi ou sa
structure) et son processus (les étapes et les activités). Un état correspond aux manifestations par
lesquelles on détecte la présence d’un phénomène à un moment donné (Ladrière, 2015). Un
processus implique un « ensemble ordonné de changements affectant la position dans le temps, dans l’espace, dans
leur forme, d’une famille au moins d’objets identifiés » (Le Moigne, 1994, p. 91). Pris isolément, un
changement correspond au « passage d'un état x, défini à un temps t, vers un état x1 à un temps t1, où x et x
peuvent représenter un être humain ou un milieu social qui, après "changement", devient à la fois autre chose et la
même » (Rhéaume, 2002, p. 65). Bref, si un changement d’état est constaté, c’est qu’il y a eu un
processus de transformation qui s’est étalé dans le temps, l’un n’allant pas sans l’autre.
Un changement implique aussi la présence de phénomènes à l’œuvre qui s’activent dans différentes
circonstances (Bhaskar, 1975, 2008). Dans la perspective systémique, les changements humains
peuvent être attribués à deux phénomènes : le premier concerne les activités internes d’un système et
le second les interactions entre un système et son environnement. Dès qu’un changement survient
dans l’un, il est présumé que cela affecte l’autre. Les activités internes concernent les facteurs
biologiques, les affects, les cognitions et les comportements ; les interactions entre un système et son
environnement réfèrent aux échanges d’informations, aux actions dirigées vers l’un ou l’autre, aux
5
transactions physiques (air, eau, aliments, etc.), etc. Ces phénomènes peuvent entrainer un
changement d’état, c’est-à-dire de la structure interne du système. Il est également possible
d’observer des changements dans les activités du système, les transactions, leurs résultats et les
impacts (Bertalanffy, 1973; Le Moigne, 1994).
La systémique conçoit l’humain comme un système ouvert, c’est-à-dire comme un système ayant des
échanges constants avec son environnement. Ces échanges ont pour fonction d’assurer la survie des
individus ainsi que leur développement (Bateson, 1999; Elkaïm, 1989). L’humain est actif dans ces
échanges et poursuit un but. Il peut ainsi modifier son environnement pour atteindre un but ou
modifier un but en fonction des possibilités de son environnement. L’intérêt est alors de savoir non
pas ce que l’objet est (par exemple, l’humain), mais ce qu’il fait, subit et devient. Sinon, on risque de
se représenter le changement par des états de l’objet tels que perçus à différents moments (comme
des photos) en ignorant ses activités (que s’est-il passé entre les photos pour expliquer les
changements observés ?). Or, dans une perspective systémique, toute chose est un système en
interaction et donc en mouvement continu. L’objet et ses processus sont alors inférés à partir des
comportements observés dans un environnement donné. Ainsi, c’est l’observation de ces
comportements qui permettent d’en inférer le projet (ou le but) et la trajectoire (Bertalanffy, 1973;
Le Moigne, 1994).
En somme, selon la perspective systémique, l’étude du changement nécessite de tenir compte de
cinq éléments : 1) la possibilité d’observer l’état de l’objet visé ; 2) de l’observer plus d’une fois ; 3)
d’observer ses activités ; 4) ainsi que ses interactions avec son environnement ; 5) et, enfin, les
résultats et les impacts des phénomènes à l’œuvre.
1.1.2 Catégories du changement propres à la consultation d’un professionnel de la relation
d’aide
Dans les écrits scientifiques, lorsqu’il est question du changement chez un individu qui consulte un
professionnel de la relation d’aide, il importe de savoir qu’on ne parle pas toujours de la même
chose. En effet, le changement peut prendre plusieurs formes : les changements peuvent porter sur
les symptômes, les indicateurs de santé, de bien-être et de fonctionnement social; être en lien avec
les changements dans la situation-problème et les besoins initiaux; ils peuvent aussi porter sur les
changements dans les comportements, les perceptions, les attitudes, les interactions avec
6
l’environnement et le contexte (les événements personnels et environnementaux). Les écrits parlent
également de mécanismes de changement qui sont inférés à partir d’une interprétation des différents
changements observés. Selon le mécanisme inféré, différents modèles et théories ont été développés
comme la triade cognitive de Beck (1991) et le triangle dramatique de Karpman (1968). Sur un autre
plan, la dynamique entre les mécanismes de changement2 influence la trajectoire du changement.
Enfin, le processus de changement permet d’en situer le parcours temporel.
Pour s’y retrouver dans ce vocabulaire du changement, une classification sera maintenant proposée
par l’auteur de ces lignes. Cette classification puise à deux sources : le réalisme critique (Bhaskar,
1975, 2008) et la deuxième cybernétique (Elkaïm, 1989; von Foerster, 1974, 1981). Le réalisme
critique de Bhaskar distingue les mécanismes du changement inféré, leur activation dans la réalité et
ce qui en est perçu. La deuxième cybernétique envisage des relations circulaires entre les éléments
impliqués dans le changement. On cherche ainsi à comprendre comment les interactions entre ces
éléments favorisent la stabilité et la transformation du système. Le système-client est un individu
dans cette thèse, mais peut être un couple, une famille, une communauté, une société ou tout
ensemble d’éléments en interactions (Bateson, 1999). Le modèle proposé compte six catégories.
Chaque catégorie est d’abord présentée suivie des liens entre ces dernières.
Les catégories du changement : La première catégorie correspond aux changements dans les
indicateurs de santé et de bien-être. Ils sont les conséquences affectives, physiques, cognitives,
comportementales, relationnelles, économiques, légales et matérielles de la situation vécue. Ces
indicateurs donnent des indices sur l’état de santé des personnes, leur fonctionnement social et la
qualité des transactions avec leur environnement (Gambrill, 2006). La deuxième catégorie
correspond aux changements dans les situations vécues, les problèmes, les besoins et les buts. Il
s’agit de situations vécues au quotidien par les individus dans leurs rapports avec leur environnement
ou avec eux-mêmes. Ces situations peuvent se transformer en problèmes, amener des difficultés
dans la satisfaction des besoins et compliquer l’atteinte des buts (Bilodeau, 2005; Gambrill, 2006;
Reid, 1985). La troisième catégorie correspond aux changements dans les actions, les transactions,
les cognitions, les attitudes et les événements. L’individu a un plus grand pouvoir sur les premiers
alors que son pouvoir est plutôt faible sur les événements de la vie (décès, rupture amoureuse,
2 Le Moigne (1994) les nomme « processeurs » en les distinguant des « processés » qui, par rétroaction, deviennent tour à tour processeurs et processés.
7
naissance d’un premier enfant, nouvel emploi, etc.) qui affectent le système et le processus de
changement (Diclemente, 2005). La quatrième catégorie correspond aux mécanismes du
changement. Ce sont les forces dont l’activation module la nature, la direction et la vitesse du
processus de changement. Rappelons que, dans la vision systémique, les forces de changement
(morphogénèse) sont distinguées des forces de stabilité (morphostase), les deux concourant à
l’adaptation (Bateson, 1999; Bertalanffy, 1973; Elkaïm, 1989; Le Moigne, 1994). La cinquième
catégorie correspond à la dynamique du changement. À ce stade, le but est de comprendre le
changement à partir de la dynamique entre les forces de changement et de stabilité. Cette dynamique
facilite ou complique l’exploitation des ressources adaptatives. Ces dernières concordent avec les
ressources personnelles et environnementales auxquelles l’individu a accès pour répondre à ses
besoins, résoudre ses problèmes et se développer (Bohart et Tallmann, 2010). La sixième catégorie
correspond au processus de changement. Il permet de situer dans le temps les actions accomplies et
leur influence sur la trajectoire du changement (Diclemente, 2005; Norcross, Krebs, et Prochaska,
2011).
Les interactions entre les catégories du changement : Dans la perspective systémique, les
relations entre les différentes catégories de changement sont circulaires. Quelques-unes de ces
relations sont ici précisées afin d’illustrer cette idée. Les deux premières catégories regroupent les
indicateurs du changement. Il est postulé qu’un changement dans les indicateurs implique une
modification dans au moins un médiateur du changement. La troisième catégorie de changement est
celle des médiateurs. Cela implique l’activation de mécanismes de changement par des actions, des
transactions, des événements, des cognitions ou des attitudes. L’étude des trois premières catégories
nécessite la présence de phénomènes observables et mesurables. Toutefois, plusieurs de ces
phénomènes ne peuvent être mesurés qu’à partir des perceptions des acteurs impliqués. Par
exemple, si certains indicateurs de santé peuvent être mesurés objectivement (pouls, pression
sanguine, taux de cholestérol, etc.), d’autres indicateurs résultent des perceptions des acteurs (bien-
être, émotions, pensées, etc.). La quatrième catégorie regroupe les mécanismes du changement. On
ne peut les observer, mais seulement en déduire l’existence à partir des médiateurs de changements
(troisième catégorie). La plupart des approches d’intervention infèrent l’existence de tels mécanismes
et les ciblent pour influer sur le processus de changement. Les cinquième et sixième catégories sont
situées à un niveau d’abstraction plus élevé. L’analyse de la dynamique du changement infère
l’existence de mécanismes de changements eux-mêmes inférés à partir des médiateurs du
8
changement. En effet, l’observation des médiateurs du changement et de leurs effets sur les
indicateurs du changement permet d’émettre des hypothèses à propos des interactions entre les
mécanismes du changement impliqués. En analysant les interactions entre les mécanismes du
changement, il devient alors possible de modéliser la dynamique du changement. Enfin, le processus
de changement se concentre sur l’analyse temporelle des indicateurs, des médiateurs et des
mécanismes du changement. L’analyse du processus permet de détecter la présence de temps forts
(ou phases) et de cycles dans le processus de changement.
Cette thèse s’appuie sur cette typologie du changement de la manière suivante (voir Tableau 1). Les
changements dans la situation-problème du participant sont abordés sous l’angle des
situations/problèmes/besoins/buts, les changements dans les affects sous l’angle des indicateurs de
santé et de bien-être, les changements dans les SRA sous l’angle des actions/transactions/cognitions.
La régulation des affects constitue le mécanisme de changement étudié dans cette thèse. La
dynamique entre les SRA et le processus de changement sont également analysés. Au final, cette
recherche devrait permettre de mieux comprendre la dynamique du changement à partir de l’examen
des interactions entre les situations-problèmes, les affects et les SRA.
Tableau 1 : Typologie du changement
Processus de
changement
Mécanismes de
changement
Médiateurs de
changement
Indicateurs de
changement
PROCESSUS DE
CHANGEMENT
(6)
(4) Mécanismes de
changement
RÉGULATION
DES AFFECTS
(3)
Actions/Transactions
Événements
Cognitions/Attitudes
STRATÉGIES DE
RÉGULATION
DES AFFECTS
(1) Indicateurs de santé et
de bien-être/Symptômes
AFFECTS
(5) DYNAMIQUE
DU
CHANGEMENT
(2) SITUATIONS-
PROBLÈMES
Besoins/Buts
9
1.2 Changements et consultation
La consultation d’un professionnel de la relation d’aide est sollicitée pour diverses raisons : rupture
amoureuse, décès d’un proche, conflits conjugaux, difficultés parentales, etc. Cette section précise ce
qu’est la consultation d’un professionnel de la relation d’aide et comment elle procède pour favoriser
les changements souhaités par le client. Il s’agit d’un bref tour d’horizon, car, bien que les
participants rencontrés dans cette recherche aient tous consulté, cette thèse se concentre surtout à
décrire et comprendre le processus de changement qu’ils ont effectué et à situer le rôle des SRA dans
ce processus.
Consultation et processus de changement. Consulter, c’est demander conseil à quelqu’un (Robert,
Rey-Debove, et Rey, 1993). Dans cette thèse, il s’agit d’un client qui demande des conseils à un
professionnel de la relation d’aide. La relation d’aide désigne deux éléments, soit la relation de
confiance entre l’aidé et l’aidant de même que l’entente sur le problème et les objectifs de travail
(Bohart et Tallmann, 2010; P. Turcotte, 2011). La consultation d’un professionnel de la relation
d’aide (travailleur social, psychologue, etc.) est un processus structuré, mais souple, visant la
production d’un changement (Bourgon et Gusew, 2000). Il est structuré en ce sens qu’il suit une
méthodologie. Il est souple en ce qu’il peut s’ajuster selon l’évolution des perceptions, des besoins et
des situations (Thibault, 2011). La consultation implique une vision rationnelle ainsi qu’une vision
subjective du changement (Gambrill, 2006). L’intervention personnelle est rationnelle, car elle suit
un processus rigoureux qui se décline en une série d’étapes telles : la prise de contact, la collecte et
l’évaluation des données, la planification de l’intervention, l’exécution du plan d’intervention et la fin
du processus (D. Turcotte et Deslauriers, 2011). Du point de vue rationnel, le changement résulte
« d'un plan, d'une volonté et d'une intention d'en arriver à un nouvel état souhaité, individuel, groupal ou
organisationnel » (Rhéaume, 2002, p. 66). L’individu a un pouvoir dans la production du changement
(Rhéaume, 2002). Cependant, ce pouvoir n’est pas absolu. Chez l’être humain, le changement
poursuit une route sinueuse dont le parcours et le résultat sont difficilement prévisibles. Le
changement attendu n’est pas toujours celui avéré. Le chemin prévu pour y arriver doit souvent être
modifié selon les nouveaux éléments qui apparaissent en cours de route (Thurin et Thurin, 2007).
Enfin, il faut bien admettre que des situations imprévues (une prise de conscience, un événement,
une maladie, etc.) influencent aussi le changement (Elliott et al., 2009). Conséquemment, la
planification du changement en consultation se doit d’être souple, car elle a constamment à être
ajustée en fonction des nouveaux éléments qui surviennent (Bourgon et Gusew, 2000). Du point de
10
vue subjectif, le changement dépend, par exemple, de la motivation du client et de son sentiment de
compétence (Ryan, Lynch, Vansteenkiste, et Deci, 2010), de sa capacité à faire confiance en
l’intervenant et en son approche d’intervention (Horvath, Del Re, Flückiger, et Symonds, 2011) et de
ses aptitudes à réguler ses émotions (J. C. Watson, McMullen, Prosser, et Bedard, 2011). Ces
sentiments influencent la définition des problèmes, des changements visés, des solutions envisagées
et la force avec laquelle le client les réalise (Gambrill, 2006).
Consultation et coconstruction du changement. Le changement est produit par les relations
complexes qu’entretient le client avec son environnement au sein duquel l’intervenant s’inscrit.
L’influence réciproque entre l’individu et son environnement (parents, amis, travailleur social, etc.)
implique que le processus de changement est une coconstruction (Elkaïm, 1989). Toutefois, le client
demeure le moteur premier du changement (Bohart et Tallmann, 2010). Cela signifie que ce ne sont
pas l’intervenant ou d’autres personnes qui décident ou réalisent le changement, mais que c’est le
client. De cette façon, le travailleur social reconnait au client la capacité à s’autodéterminer (OPTSQ,
1993), c’est-à-dire l’aptitude à faire ses propres choix et à réaliser lui-même des changements dans sa
vie (Deci et Ryan, 1985).
De l’avis de certains auteurs, le rôle du client dans le processus de changement a été négligé par les
scientifiques alors que celui-ci est l’agent au cœur du processus de changement (Levitt, Pomerville, et
Surace, 2016; Stiles, 2013; Wampold et Brown, 2005). Cette thèse s’attarde précisément au rôle du
client dans le processus de changement par l’entremise des SRA qu’il emploie.
La vision systémique du changement en consultation. Plus récemment, Gelo et Salvatore (2016)
ont présenté une façon de voir et d’étudier les liens entre la systémique et la consultation. Selon eux,
la théorie systémique permet de concevoir le changement de manière dynamique. Cela signifie que le
changement peut prendre plusieurs directions (progression ou régression), être de différentes natures
(symptômes, émotions, comportements, etc.) et aller à des vitesses très variables (très lent à très
rapide). Ils notent également que le changement est discontinu, c’est-à-dire qu’un individu peut vivre
des changements de direction, de nature et de vitesse durant son processus de transformation. Dans
cette optique, lorsqu’une déstabilisation suit un événement stressant, cela signifie que le système
oscille entre l’ancien et le nouveau modèle d’adaptation cherchant ainsi à évoluer vers une nouvelle
structure mieux ajustée à la situation présente tout en conservant certains acquis. Toutefois, pour
11
que la déstabilisation porte ses fruits, elle doit être suivie d’une réinterprétation positive des
événements et d’une réénergisation du système (Gelo et Salvatore, 2016; Hayes, Laurenceau,
Feldman, Strauss, et Cardaciotto, 2007).
La pensée systémique est retenue dans cette thèse pour l’étude du processus de changement lequel
est compris comme un processus dynamique, interactif et continu. Elle sera utilisée pour l’analyse
des liens entre les différentes catégories de changement qui, dans cette thèse correspondent à la
situation-problème, aux affects, aux SRA, à la régulation des affects, à la dynamique des SRA et au
processus de changement.
1.3 Situation-problème
Cette section vise à définir la signification de l’expression « situation-problème » ainsi qu’à décrire le
processus de changement des situations-problèmes dans la perspective du MTT (Norcross et al.,
2011; Prochaska et DiClemente, 1983).
1.3.1 Situations et problèmes
La vie humaine amène son lot de situations quotidiennes qui sont la plupart du temps gérées de
façon routinière, voire automatique. Dans la perspective du service social, la gestion de ces situations
est facilitée par les transactions entre l’individu et son environnement. Au cœur de ce système, les
transactions permettent d’échanger des ressources ou d’en optimiser le potentiel. Ce fonctionnement
permet la satisfaction de la majorité des besoins favorisant ainsi le développement et le bien-être.
Lorsque la gestion d’une situation entraine une insatisfaction, soit un écart entre les attentes et la
réalité, la situation devient alors un problème. En conséquence, certains besoins ne sont plus ou sont
moins bien satisfaits et des ressources sont mobilisées pour tenter de résoudre le problème. Un
malaise, voire une détresse, peut accompagner cet état d’insatisfaction en lien avec le problème vécu
(Bilodeau, 2005; Gambrill, 2006). Plus le problème perdure, plus les conséquences sur le
développement et le bien-être risquent de s’élever (Bronfenbrenner, 1979, 1996).
Rondeau-Robitaille (2004) distingue les problèmes, la situation-problème et le problème reformulé.
Les problèmes sont les difficultés vécues par le client qui peuvent être rassemblées en différentes
catégories. Par exemple, la typologie de Reid (1985) énumère six catégories de problèmes, soit : un
conflit interpersonnel, une insatisfaction dans les relations sociales ou la relation avec soi-même, un
12
problème avec un organisme officiel (école, cours de justice, etc.), une difficulté à exécuter un rôle
social (rôle parental, rôle conjugal, etc.), une difficulté à s’adapter à une transition sociale (rupture
amoureuse, décès, etc.), des problèmes d’anxiété réactionnelle ou encore des ressources inadéquates
(financières, matérielles, etc.). Un même problème peut se retrouver dans plusieurs catégories et
plusieurs problèmes peuvent être vécus en même temps. Une situation-problème regroupe
l’ensemble des difficultés vécues par le client ainsi que leur historique, leurs impacts, les solutions
essayées ou envisagées et les attentes. Dans la vision de Rondeau-Robitaille, un problème se
développe en situation-problème dans le temps en fonction des événements qui surviennent, des
échecs dans les tentatives de solution, des attentes et des buts parfois irréalistes ainsi que des impacts
émotionnels de la situation-problème. En effet, la perduration du problème peut être liée à de
nouveaux événements perçus négativement, à la répétition de solutions infructueuses, au fait de ne
pas renoncer à des buts irréalistes ou trop élevés, à une réaction émotionnelle intense mal gérée, etc.
Le problème reformulé, quant à lui, reflète la difficulté du client à résoudre la situation-problème.
Cela signifie, selon la vision de Rondeau-Robitaille, que ce n’est pas nécessairement le problème à
l’origine de la situation-problème qui est à résoudre. Parfois, il s’agit davantage de mieux gérer
certaines émotions, de modifier sa perception du problème, ses attentes ou ses buts, ou encore de
cesser l’utilisation de moyens qui accentuent ou alimentent la situation-problème. Le problème
reformulé est donc associé à des apprentissages à faire, à des habiletés à développer et des
changements à opérer dans sa façon de composer avec une situation-problème.
Bref, ces distinctions entre situation, problème et situation-problème sont retenues dans ce texte.
Soulignons que cette thèse s’attardant spécifiquement aux situations-problèmes, cette expression
sera à présent utilisée pour désigner l’ensemble des difficultés qui ont amené les participants à
consulter.
1.3.2 Situation-problème et processus de changement : le modèle transthéorique (MTT)
Le MTT s’intéresse au changement dans la vie de tous les jours comme au changement induit par
une consultation. Il repose sur l’idée que les individus peuvent décider et effectuer des changements
dans leur vie. Le processus de changement réfère à un ensemble d’activités, plus ou moins
organisées, qui s’étalent dans le temps et qui génèrent un changement par rapport à une situation-
problème identifiée. Cinq concepts sont considérés comme des éléments importants du changement
par le MTT, soit : a) les stades de changement, b) les stratégies de changement, c) la balance
13
décisionnelle, d) le sentiment d’efficacité personnelle et e) les niveaux de changement (Prochaska et
DiClemente, 1983). Seuls les deux premiers éléments du MTT seront abordés dans cette thèse étant
donné qu’ils sont davantage liés aux variables à l’étude.
Les stades de changement sont définis comme : « …une période de temps combinée à un ensemble d’activités
requises pour accéder au stade suivant » (Norcross et al., 2011, p. 143, traduction libre). Le temps passé à
un stade est variable. La progression s’effectue en spirale, c’est-à-dire que les individus font plusieurs
aller-retour entre les stades sans nécessairement reprendre du début le processus ni refaire chaque
étape dans l’ordre. Cependant, selon ce modèle, le passage à un stade supérieur nécessite la
réalisation des tâches des étapes antérieures. Le MTT suggère l’existence de cinq stades de
changement. Ces stades ont été identifiés à l’aide d’études longitudinales portant sur le processus
d’arrêt du tabagisme, de consommation d’alcool et de toxicomanie pour ensuite être appliquées à
l’intervention en général (Norcross et al., 2011). Voici une brève description de chaque stade réalisée
par Rondeau, Lindsay, Brochu, et Brodeur (2006) :
Au premier stade, appelé Précontemplation, les personnes n’ont pas l’intention de changer : ils nient avoir un
problème ou en diminuent l’ampleur et les conséquences. Au second stade, appelé Contemplation, les personnes
reconnaissent avoir un problème, mais sont profondément ambivalentes face au changement. Elles ne sont
conséquemment pas prêtes à passer à l’action. Au troisième stade, appelé Préparation, les individus ont
pratiquement résolu l’ambivalence qui les paralysait et sont prêts à prendre des engagements en vue de modifier
leur comportement. Ils planifient leur action future et commencent à poser des gestes concrets sans toutefois être
en mesure d’éliminer leur comportement problématique. Au quatrième stade, appelé Action, les individus
travaillent activement à modifier leurs comportements, à réviser leurs cognitions, attitudes et croyances et à
contrôler leur environnement en vue de résoudre leur problème. Ils cessent d’avoir recours à leur comportement
habituel et en adoptent de nouveaux, le changement devenant ainsi plus facilement observable par les
personnes de leur entourage. Au dernier stade, appelé Maintien, les individus s’efforcent de continuer à
pratiquer les comportements qu’ils ont acquis et tentent d’éviter les rechutes (p. 3).
Norcross et al. (2011) estiment qu’au début de la consultation, 40% des clients sont au stade de
précontemplation, 40% de contemplation et seulement 20% au stade d’action. Selon eux, l’efficacité
de l’intervention étant reliée à sa correspondance avec le stade de changement, il importe d’utiliser
une approche et des techniques d’intervention qui conviennent au stade concerné. Les objectifs
d’intervention doivent donc être ajustés selon le stade de changement pour ces auteurs. Aux trois
14
premiers stades, des objectifs d’ordre réflexif et de soulagement émotionnel conviennent mieux que
des objectifs de changement plus pertinents aux deux derniers stades. En conséquence, le rôle de
l’intervenant est différent à chacun des stades. Au stade de précontemplation, l’intervenant a un rôle
d’accueil et de soutien empathique. Au stade de contemplation, un rôle socratique, c’est-à-dire de
favoriser des prises de conscience. Il est un conseiller au stade d’action qui aide à la planifier et à
l’évaluer. Aux deux derniers stades, l’intervenant est un consultant qui conseille et supporte le client
dans ses tentatives de changement. Il encourage le client à être autonome en développant sa capacité
d’autoréflexion et la maitrise des habiletés reliées au processus de changement. Il importe ici
d’encourager le client lorsqu’il a l’impression d’échouer ou de régresser (Norcross et al., 2011).
Les individus progressent d’une étape à l’autre en recourant à une dizaine de stratégies de
changement (voir Tableau 2 tiré de Csillik, 2009). Ces stratégies condensent les processus de
changement abordés par 24 approches d’intervention différentes. Les auteurs ont d’abord procédé à
une analyse théorique de ces approches pour ensuite opérationnaliser les stratégies de changement
identifiées. Le tableau ci-dessous présente une définition de chacune des dix stratégies de
changement. L’utilisation d’une stratégie est fonction du stade de changement. Des techniques
d’intervention sont aussi recommandées pour stimuler la mise en œuvre de chaque stratégie
(Prochaska et DiClemente, 1983).
Tableau 2 : Le processus de changement selon le MTT (tiré de Csillik, 2009, p. 357)
15
Selon Prochaska et Norcross (2013), la quantité de stratégies de changement utilisées s’accroît
progressivement entre la précontemplation et l’action et décline au stade de maintien. Les auteurs
indiquent par ailleurs que certaines stratégies sont plus utiles à certains stades qu’à d’autres. Comme
le résume Rondeau et al. (2006) :
L’emploi des stratégies expérientielles, qui permettent à l’individu de prendre conscience du problème, de vivre
des émotions intenses en rapport à celui-ci, de réévaluer l’impact de son comportement sur son entourage et de
réexaminer ses valeurs, aide tout particulièrement au développement de la motivation au changement et à la
prise de décision. Elles sont utilisées principalement au début du processus de changement pour faciliter le
passage de la précontemplation à la contemplation, puis à la préparation.
Les stratégies comportementales, qui incluent la prise d’engagements, la restructuration de l’environnement, la
substitution de nouvelles conduites aux anciennes et le renforcement des nouvelles habitudes, sont pour, leur
part, plus utiles pour travailler à la modification effective du comportement et au maintien ultérieur des
acquis. Elles sont donc employées davantage dans les deux derniers stades de changement (p. 4)
Certaines études tendent à appuyer l’idée de stades de changement. Dans une récente méta-analyse
regroupant 39 études et 8238 personnes, les résultats montrent un lien significatif entre le stade de
changement et le résultat de l’intervention (d = .46). Lorsqu’un client débute une consultation au
stade de précontemplation, les probabilités d’un résultat positif sont faibles (autour de 20%) alors
que celui au stade d’action jouit de meilleures chances de succès (autour de 75%). Les femmes
profitent davantage de la consultation ce qui laisse croire que les hommes sont plus nombreux à être
précontemplateurs lorsqu’ils débutent une consultation (Norcross et al., 2011).
Critiques au MTT : Les auteurs du MTT soulignent que la plupart des études sur les liens entre les
stades de changement et l’efficacité des interventions ont porté sur des problèmes de santé physique
(alimentation, santé cardiaque, etc.) et de dépendance (tabac, alcool, etc.) (Norcross et al., 2011). On
trouve très peu d’études qui abordent les liens entre des problèmes de l’Axe I du DSM-V
(dépression, anxiété, trouble d’adaptation, etc.) et le MTT (Emmerling et Whelton, 2009; Levesque et
al., 2011). Quelques études abordent plus particulièrement des problèmes sociaux comme la violence
conjugale (Levesque, Driskell, Prochaska, et Prochaska, 2008; Rondeau et al., 2006).
16
D’autres auteurs apportent des critiques plus fondamentales. Les stades de changement du MTT ont
subi de nombreuses reformulations. Plusieurs outils pour les mesurer ont été développés, et ce, pour
différents comportements (la consommation d’alcool, le tabac, l’alimentation, l’exercice physique, la
violence, la dépression, etc.). Il y a donc un problème de cohérence, si bien que, d’une étude à
l’autre, on ne mesure pas la même chose (Csillik, 2009; Diclemente, 2005; R. West, 2005).
Les frontières entre les stades sont arbitraires, si bien qu’on peut douter de la pertinence de parler de
stades de changement (West, 2005). Dans les faits, il y a un discours paradoxal. Pourquoi vouloir
délimiter très précisément les stades tout en reconnaissant que les stratégies de changement peuvent
chevaucher plusieurs stades (Csillik, 2009)? DiClemente (2005) précise que les stades de
changements ne doivent pas être vus de manière statique. Les stades sont des repères dans le
processus de changement. Il faut porter attention aux stratégies de changement utilisées ainsi qu’aux
mécanismes qui freinent le changement.
Enfin, le lien entre les stades de changement et les stratégies de changement n’a pu être que très
partiellement validé. La seule donnée solide est que les personnes au stade de précontemplation sont
celles qui utilisent le moins de stratégies de changement alors que les individus au stade d’action sont
ceux qui en utilisent le plus (Brodeur, 2006). Il apparaît donc pertinent de s’intéresser aux conditions
qui favorisent la mise en place de stratégies de changement (Pandya, 2001).
Malgré les critiques, le MTT a le mérite de présenter une vision du changement des situations-
problèmes qui normalise la rechute et permet de la voir comme une phase d’apprentissage. Il
propose une vision en spirale plutôt que linéaire du changement, ce qui permet de comprendre les
rechutes comme une façon de cheminer. Il alimente la recherche et les discussions inspirant de
nouvelles conceptions du changement (Csillik, 2009). Ses principales faiblesses demeurent son
incapacité à prédire le changement à partir des stades identifiés (Ryan et al., 2010) et, selon nous, à
comprendre le processus affectif sous-jacent au changement auquel il porte peu d’intérêt.
1.4 Affects et émotions
Les SRA étant au cœur de cette thèse, il importe de distinguer, en premier lieu, les principaux
courants théoriques à propos des affects. En second lieu, la théorie des émotions retenue pour cette
thèse, soit celle de Larivey (2002), est présentée ainsi que la taxonomie élaborée par l’auteure.
17
Garneau et Larivey (1979) décrivent également leur vision du processus émotionnel et son rôle dans
l’adaptation. Enfin, les forces et les limites de cette théorie sont exposées.
1.4.1 Les théories des émotions
Il existe un nombre impressionnant de théories au sujet des affects et des émotions, et donc, tout
autant de façons de les définir. J. J. Gross et Barrett (2011) en proposent une classification sur un
continuum formé des quatre principaux courants théoriques (voir Figure 1). Ainsi, dans le paradigme
biologique, les émotions résultent d’un mécanisme biologique lié à la survie. Il existerait, selon cette
perspective, des émotions de base dont la forme, la fonction et la cause seraient universelles. Dans le
paradigme cognitif, les émotions sont causées par des schémas cognitifs plus ou moins stables, selon
la théorie. À une extrémité, selon les théories biocognitives (plus proches des modèles biologiques),
des cognitions déclencheraient des émotions de base; à l’autre extrémité, les théories
psychocognitives (plus près des modèles psychologiques) estiment que le sens accordé aux situations
peut provoquer une variété d’émotions qui ne sont pas automatiques ni prévisibles. Dans le
paradigme psychologique, les émotions seraient construites par un ensemble de processus
psychologiques liés aux expériences de chaque individu et à la situation présente. Enfin, dans le
paradigme social, les émotions seraient des construits sociaux. Leur contenu, la façon de les vivre, de
les réguler et de les exprimer seraient socialement construits (J. J. Gross et Barrett, 2011). Barrett
(2014) estime que les émotions résultent des interactions entre ces mécanismes et ne peuvent se
réduire à un seul d’entre eux. Par exemple, selon son point de vue, on ne peut réduire les émotions à
des réactions physiologiques : la façon dont l’individu interprète ces réactions physiologiques
importe tout autant et varie selon la signification qu’il perçoit du contexte.
Émotions simples ou de base
Émotions mixtes
Émotions personnelles
Émotions collectives
Biologiques Cognitives Psychologiques Sociales
Figure 1. Adaptation d'un schéma tiré de Gross & Barrett (2011)
18
1.4.2 La théorie des émotions de Larivey (2002)
Pour cette thèse, la théorie des émotions de Larivey (2002) a été retenue. Cette théorie s’inscrit à mi-
chemin entre le paradigme psychologique et le paradigme social. Il s’agit d’une théorie des émotions
élaborées par des cliniciens à partir de leur pratique professionnelle et de leurs connaissances
théoriques. Larivey a ainsi développé cette théorie à partir de données qualitatives (témoignages,
observations cliniques, etc.) qui ont été discutées avec d’autres praticiens. Le but était d’élaborer une
théorie des émotions qui représente l’expérience des individus qui consultent un professionnel de la
relation d’aide. Pour cette thèse qui explore également les émotions d’un point de vue subjectif, plus
particulièrement du point de vue d’hommes ayant consulté individuellement un professionnel de la
relation d’aide, la théorie des émotions de Larivey offre une herméneutique à même d’alimenter le
chercheur dans son analyse des données qualitatives. Comme l’explique Larivey, nombre de théories
sur les émotions ont été développées à partir d’expériences en laboratoire sur des animaux ou des
humains. Les résultats de ces travaux sont souvent incompatibles avec des observations cliniques ou
difficilement utilisables dans le contexte d’une consultation. Pour ces raisons, outre Garneau et
Larivey (1979), plusieurs auteurs ont également proposé des théories des émotions inspirées de leur
expérience clinique (Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993). La théorie des émotions de
Larivey est complétée par une taxonomie, fort riche, qui définit plus de deux cents types d’affects.
Cette taxonomie sera d’abord présentée afin de définir les différents états affectifs, ce qui permettra
ensuite de mieux comprendre la théorie des émotions de Larivey.
Dans sa taxonomie des émotions, Larivey (2002) propose une supercatégorie qui regroupe
l’ensemble des états affectifs. D’autres auteurs (Gross, 1998b ; Scherer, 1984) nomment d’ailleurs
« affects » cette supercatégorie définie comme des états physiologiques produisant une attraction ou
une répulsion (Scherer, 1984). Pour cette raison et pour éviter une confusion entre émotions et
émotions simples tel que décrit par Larivey, l’appellation « affects » est ici retenue. À l’intérieur de
cette supercatégorie des affects, Larivey distingue quatre catégories : les émotions simples, les
émotions mixtes, les contre-émotions et les pseudo-émotions.
Les émotions simples apparaissent, selon cette auteure, lorsque des besoins sont satisfaits ou non
satisfaits, ou encore, lorsque des obstacles nuisent à la satisfaction des besoins. Les obstacles
19
anticipés peuvent également susciter des émotions simples. Pour Larivey, les émotions simples se
caractérisent par leur intensité et s’accompagnent de réactions physiques de courte durée. L’auteure
les divise également en deux classes, soit les émotions positives et les émotions négatives. Les
premières s’activeraient, selon Larivey, lorsqu’un besoin est satisfait alors que les secondes indiquent
plutôt qu’un besoin n’est pas comblé. Pour Larivey, les émotions simples signalent le degré de
satisfaction des besoins psychologiques comme l’appartenance, la sécurité, l’estime de soi, etc.
Les émotions mixtes sont constituées d’un « amalgame d’émotions et de subterfuges que nous utilisons pour
nous voiler ce que nous éprouvons réellement » (Larivey, 2002, p. 31). Les cognitions et les mécanismes de
défense déformeraient la perception des émotions, des besoins et de la situation. En masquant ainsi
les besoins, les émotions mixtes engendreraient, selon Larivey, un état de stagnation, car certains
besoins ne sont plus perçus et donc plus difficiles à combler.
Les contre-émotions sont des émotions simples qui, après avoir été longtemps refoulées ou non
exprimées, se manifestent à la fois sous forme de tensions corporelles (mal de tête, fatigue, stress,
etc.) et de malaises émotionnels (angoisse, panique, etc.). Selon Larivey (2002), si ces tensions
physiques peuvent ainsi révéler la présence d’émotions simples enfouies, elle dénote également la
capacité de contenir ces dernières par des contractions musculaires (serrer des dents, bloquer une
partie de son diaphragme, etc.) jusqu’au point de rupture (crise de panique, par exemple). À défaut
de libérer les émotions emprisonnées, les contre-émotions peuvent s’accentuer et se multiplier
engendrant ainsi un état de stagnation, voire d’autres problèmes.
Enfin, toujours selon Larivey (2002), les pseudo-émotions sont plutôt des états de fait (être seul), des
attitudes (curieux, ouvert, etc.), des images (se sentir étouffé) ou des états d’âme (être d’humeur
joyeuse). Pour les fins de cette thèse, ce sont les états d’âme qu’il est pertinent de retenir. Larivey
associe les états d’âme aux humeurs et aux sentiments qu’elle décrit comme plus stables, moins
intenses et plus durables que les émotions. Selon cette auteure, les états d’âme cachent des besoins
qui n’ont pas été satisfaits depuis longtemps, voire jamais.
Le Tableau 3 donne une idée de la taxonomie de Larivey (2002) qui contient plus de 200 expressions
correspondant à autant d’états affectifs. Chaque affect mentionné dans ce tableau correspond à une
sous-catégorie à l’intérieur de laquelle l’auteure inclut des affects semblables, mais d’intensité
20
différente. Par exemple, la colère, à une intensité plus faible, serait de l’irritation ou du
mécontentement, alors qu’à une intensité plus forte, elle deviendrait de l’exaspération ou de la
fureur. Les deux premières colonnes exposent toutes les sous-catégories d’émotions simples et
d’émotions mixtes décrites par Larivey. Les colonnes trois et quatre en exposent une partie
seulement, car l’auteure estime que les contre-émotions et les pseudo-émotions sont fort variées et
qu’il apparait difficile de les présenter exhaustivement.
Tableau 3 : Taxonomie des émotions de Larivey (2002)
Émotions simples Émotions mixtes Contre-émotions Pseudo-émotions
Attendrissement Amertume Agitation Découragement
Colère Amour Angoisse Être déprimé
Contentement Culpabilité Anxiété Désespoir
Désir Dégoût Bégaiement Estime de soi
Ennui Écœurement Boule dans la gorge Frustration
Haine Fierté Céphalée Impuissance
Impatience Honte Fatigue Indifférence
Nostalgie Jalousie Malaise Inquiétude
Peur Jalousie amoureuse Nausée Reconnaissance
Plaisir Mépris Nervosité Regret
Tristesse Pitié Panique Rejet
Rage Stress Solitude
Rancune Tension Timidité
Révolte Tremblement Violence
La théorie des émotions de Larivey (2002) se fonde sur une idée fondamentale : les émotions
simples informent des besoins non comblés et les satisfaire permet à l’individu de s’adapter ainsi que
de croître. Inversement, les émotions mixtes, les contre-émotions et les pseudo-émotions dénotent
l’incapacité de l’individu à reprendre contact avec des émotions simples, à en identifier le sens et à
satisfaire les besoins qu’elles indiquent. Pour Garneau et Larivey (1979), tout individu est confronté
à des situations résolubles (certains conflits, des problèmes financiers, des gestes de violence, etc.) ou
21
insolubles (la mort, la solitude, la finitude, etc.) qui modifient ses besoins ou la façon de les satisfaire
et nécessitent, par conséquent, une adaptation. Larivey estime que les émotions jouent un rôle
central dans l’adaptation au point qu’elles vont se manifester et augmenter en intensité, voire se
transformer en émotions mixtes, en contre-émotions ou en pseudo-émotions, jusqu’à ce que le
besoin à la source soit identifié et comblé. Pour l’auteure, les émotions constituent un mécanisme
naturel qui indique à l’individu les besoins à combler pour assurer sa survie et sa croissance. Or,
identifier les émotions et les besoins qui y sont liés n’est pas toujours facile. Selon Garneau et
Larivey, dès l’enfance, les individus apprennent à inhiber certains aspects du processus émotionnel.
Ce faisant, certaines émotions ne sont plus reconnues et les besoins qui leur sont liés ne sont plus
comblés. Le déséquilibre qui en résulte freine, voire bloque, le processus de croissance. À l’inverse,
les individus peuvent favoriser le processus émotionnel et reprendre leur processus de croissance en
adoptant des stratégies qui vont faciliter l’expression des émotions et la satisfaction des besoins.
Garneau et Larivey associent à l’inhibition du processus de croissance des stratégies comme la
répression des émotions et des besoins, l’évitement, la distraction, la suractivation, la consommation,
l’intellectualisation, l’anticipation d’événements négatifs et l’expression négative des émotions; quant
à la facilitation du processus de croissance, ces auteurs mentionnent des stratégies comme la
centration, la conscience, l’acceptation et l’expression des émotions, la réinterprétation et le soutien
social.
Garneau et Larivey (1979) décrivent un processus de croissance basé sur les émotions qui comporte
cinq phases : l’émergence, l’immersion, le développement, la prise de signification et l’action
unifiante. Pour ces auteurs, une phase ou une étape se caractérise par des expériences et des activités
spécifiques. La modification de ces expériences et de ces activités signale la fin d’une phase et le
début d’une autre. Ainsi, l’émergence est le moment pendant lequel apparait l’émotion ou ses
premiers signes, souvent des sensations physiques qui y sont associées. Selon les auteurs, cette phase
est complétée lorsque l’émotion est identifiée avec précision. L’immersion est le moment pendant
lequel l’individu plonge dans l’émotion pour la ressentir pleinement. Ce n’est qu’en acceptant de
l’éprouver complètement, c’est-à-dire dans toute son intensité, que l’émotion propulse vers la phase
suivante. Il s’agit alors du développement que Garneau et Larivey décrivent comme la diversification
de l’expérience émotionnelle. Selon ces derniers, l’immersion dans la première émotion ayant émergé
peut faire apparaitre d’autres émotions, des sensations et des besoins qui y sont liés, mais dont le
sens reste méconnu. La prise de signification, qui est l’étape suivante, débute lorsque l’ensemble de
22
cet éprouvé prend un sens. Il ne s’agit pas d’un sens qui découle d’un raisonnement, mais d’un sens
qui émerge spontanément. Selon ces auteurs, c’est la présence attentive aux émotions et aux besoins
ainsi que l’ouverture à leur expansion qui permet à l’individu de les relier intuitivement. L’action
unifiante, qui est la dernière phase, est réalisée lorsque le vécu est exprimé de façon complète et
directement à la personne concernée ou, à défaut, à quelqu’un qui la représente symboliquement. Les
auteurs estiment que l’action unifiante a encore plus de force lorsqu’elle est exprimée à la personne
concernée et devant témoin, car elle engendrerait alors une meilleure consolidation de cet
apprentissage. L’expression doit refléter l’entièreté du vécu, c’est-à-dire les émotions et les besoins
qui ont émergé dans les phases précédentes. Selon Garneau et Larivey, le besoin non comblé en est
souvent un d’expression de soi. Incidemment, l’action unifiante permet alors de mettre au jour une
partie de soi, de la faire exister, et, conséquemment, lui permettre de croître et de contribuer à la
croissance de l’individu.
1.4.3 Critiques de la théorie des émotions de Larivey (2002)
Les forces et les limites de la théorie des émotions de Larivey seront à présent examinées. Il faut
rappeler que cette théorie a été développée à partir d’observations cliniques discutées entre
intervenants et qu’elle représente un point de vue subjectif du rôle des affects dans le processus
d’adaptation. Malheureusement, aucune étude scientifique à propos de cette théorie n’a été repérée.
Au sens de van der Maren (1996), il s’agit d’une théorie spéculative qui peut découler de l’analyse
critique d’une théorie (en occurrence, la théorie des émotions de Gendlin, 1992). Pour ce dernier,
l’absence de validation empirique n’implique pas le rejet d’une théorie, mais seulement d’en user avec
précaution, c’est-à-dire comme une vision qui présente des hypothèses à valider. Ce type de théorie
des émotions, fondée sur les expériences cliniques de l’auteur et des connaissances théoriques, est
assez fréquent dans le domaine de la relation d’aide. C’est le cas, notamment, de la théorie des
émotions de Kelley (2004) ainsi que celle de Greenberg (2004). À l’instar de Larivey, ces auteurs
infèrent l’existence de différentes catégories d’affects et la nécessité d’exprimer pleinement les
émotions simples pour s’adapter.
En regard des SRA, Garneau et Larivey (1979) identifient plusieurs stratégies qui visent
principalement la régulation des affects. Ces derniers accordent peu d’importance à une stratégie
comme la résolution de problème. Pour eux, la situation-problème est d’importance moindre, car le
problème est plutôt dans l’inhibition de l’expression des émotions et des besoins. En d’autres
23
termes, selon ces auteurs, le problème se situe dans la capacité des individus à réguler efficacement
leurs émotions dans une situation donnée sans égard à l’évolution de cette situation.
En comparant la théorie des émotions de Larivey (2002) avec d’autres théories, on y constate des
éléments pertinents en regard de la science. À cet égard, on retrouve dans la littérature scientifique
des distinctions semblables entre émotions et sentiments (J. J. Gross, 1998b), entre émotions
positives et négatives (Coppin et Sander, 2010; J. J. Gross, 2015a, 2015b), entre émotions simples
(ou de base) et émotions mixtes (reconstruction cognitive) (Scarantino, 2012), entre facilitation et
inhibition du processus émotionnel (J. J. Gross et al., 2007). On peut également repérer des théories
qui infèrent un lien entre les émotions et les besoins (Greenberg, 2004; J. J. Gross et Barrett, 2011).
Quant à la taxonomie des émotions de Lavirey (2002), elle s’avère tout aussi discutable que d’autres
propositions puisqu’aucune n’a pu être validée scientifiquement. Par exemple, lorsqu’on considère
seulement les émotions simples, certains auteurs en repèrent que quatre alors que d’autres en
identifient une douzaine (Ekman et Cordaro, 2011). Cette difficulté à proposer une taxonomie
consensuelle des émotions peut s’expliquer par l’importance de la subjectivité dans la perception des
émotions. En effet, lorsqu’on mesure les indicateurs biologiques des émotions et les perceptions qui
y sont associées, il apparait que ces indicateurs et ces perceptions ne sont ni automatiques ni
universels, car elles dépendent du dialogue entre les émotions et leurs interprétations (Phaf, Mohr,
Rotteveel, et Wicherts, 2014), lesquelles s’inspirent des expériences et des apports culturels
(Greenberg, 2004; Lazarus, 1991, 1993). Comme le soulignent Mauss et Robinson (2009), aucune
théorie sur les émotions ne fait l’unanimité dans la communauté scientifique invitant ainsi à la
prudence dans leur utilisation. Ces derniers estiment que les théories expérientielles des émotions
apportent un éclairage différent des théories biologiques et de celles comportementales qui ont
chacune leur valeur.
Bref, Larivey (2002) propose une théorie des émotions et du processus émotionnel (Garneau et
Larivey, 1979) qui s’inscrit dans un champ de recherche très éclectique. Cette théorie avance
plusieurs idées qu’on retrouve dans d’autres théories des émotions en se centrant toutefois sur le
point de vue expérientiel qui se situe entre le paradigme psychologique et le paradigme social. Qui
plus est, Larivey présente une taxonomie des émotions très complète qui facilite leur identification et
24
leur classement. Tant cette taxonomie que la théorie des émotions de Garneau et Larivey serviront
de référence dans cette thèse.
1.5 Régulation des émotions (RÉ)
Si cette thèse aborde la RA et, plus précisément le rôle des SRA dans le processus de changement, le
cadre théorique à laquelle elle réfère est celui de la RÉ et des SRÉ. Cette section présente le champ
de recherche développé autour de la RÉ depuis le début des années 1990. La RÉ y est définie ainsi
que ses liens avec les émotions selon quatre paradigmes distincts. Les difficultés à distinguer les SRÉ
entre elles sont examinées. De même, les frontières entre les SRÉ et les stratégies d’adaptation
présentent un flou qui, comme dans le cas des distinctions entre les affects, montre leur proximité et
leurs interconnexions. Enfin, les liens entre la RÉ et l’adaptation sont brièvement explorés.
La RÉ comme champ de recherche. L’objet principal de ce champ de recherche est la manière
dont les individus ressentent, influencent et expriment leurs émotions (J. J. Gross et Thompson,
2007). J. J. Gross (1998b) distingue six domaines d’études de la RÉ : biologique, cognitif,
développemental, clinique, social et en lien avec la personnalité. Cette thèse s’inscrit dans les
domaines clinique et social. L’étude de la RÉ dans le domaine clinique explore les liens entre la RÉ,
la santé mentale (anxiété, dépression, etc.) et l’intervention (J. J. Gross, 1998b). Dans cette thèse, les
changements perçus par les clients peuvent se rapporter aux émotions, à des éléments de santé
mentale ou à des situations-problèmes tels que définis par le client lui-même. Sur le plan social,
l’étude de la RÉ consiste à comprendre les interactions entre la RÉ et le contexte social. Deux
aspects du contexte social sont pris en considération dans cette thèse. D’abord, l’objet à l’étude
s’inscrit dans le contexte d’une consultation à l’intérieur de laquelle prennent place des interactions
entre le client et l’intervenant, lesquelles affectent la RÉ (J. C. Watson, Goldman, et Greenberg,
2007; J. C. Watson et al., 2011). De plus, les relations avec le réseau social influencent également la
RÉ (Haga et al., 2012; Kelly, Zuroff, Leybman, et Gilbert, 2012; Marroquin, 2011). La RÉ s’inscrit
donc dans un processus dynamique d’échanges entre l’individu et son environnement. Enfin, cette
thèse s’inscrit dans la perspective du service social, mais dans un domaine d’étude, la RÉ, largement
dominé par la psychologie et les neurosciences. Or, comme on peut estimer que les personnes qui
consultent des travailleurs sociaux sont également aux prises avec des difficultés sur le plan de la RÉ
et que l’aspect social de la RÉ a jusqu’ici été négligé (Hofmann, 2014; Rimé, 2009), il est pertinent s’y
intéresser afin de mieux comprendre comment favoriser la RÉ lors d’une intervention psychosociale.
25
Qu’est-ce que réguler une émotion ? La RÉ est un processus qui consiste, pour l’humain, à agir de
manière consciente ou non de façon à maintenir ou modifier l’état émotionnel. Pour parvenir à
moduler l’état émotionnel, la RÉ doit modifier au moins un aspect de la dynamique émotionnelle,
soit la latence (temps de réaction), le temps d’élévation, la magnitude (ou l’intensité de la réaction), la
durée, l’expérience subjective (type d’émotions), les sensations physiques et les comportements
associés (J. J. Gross, 2015a, 2015b; J. J. Gross et Thompson, 2007). Cette définition amène quatre
précisions. La première concerne le concept de régulation. Il s’agit d’une traduction littérale de
l’expression anglophone emotion regulation. Dans cette langue, regulation a le sens de monitoring ou, en
français, de modulation ou d’ajustement. Il ne faut pas confondre régulation avec régulariser ou
normaliser. La régulation ne vise pas à normaliser les émotions, mais à les moduler dans le sens et
selon l’intensité désirée. Les trois autres précisions sont amenées par J. J. Gross et Thompson
(2007). La deuxième est qu’autant les émotions négatives que les émotions positives peuvent être
régulées, soit en diminuant, en augmentant ou en maintenant leur intensité. Il est aussi possible d’en
modifier la nature. Cela signifie que la finalité de la RÉ n’est pas de neutraliser les émotions, mais de
les moduler de façon à ce que l’état émotionnel favorise l’atteinte des buts. La troisième précision est
que la conscience et la non-conscience des SRÉ se situent sur un continuum. On peut donc être non
conscient, moyennement conscient ou très conscient des gestes qu’on pose pour réguler une
émotion. La quatrième précision est qu’une stratégie de régulation des émotions n’est ni adaptée ni
inadaptée en soi, mais doit être évaluée en fonction du but poursuivi. Dans certains contextes,
contenir sa colère est une réponse adaptée alors que l’exprimer ouvertement peut être adapté dans
d’autres contextes (J. J. Gross, 2015a, 2015b; J. J. Gross et Thompson, 2007)3.
La RÉ est ainsi conçue conformément au modèle des processus composants des émotions (Scherer,
2005, 2009, 2013). L’intérêt n’est pas tant de cerner comment moduler les différentes émotions, mais
plutôt de voir comment moduler l’état émotionnel et dans quel but (Koole, 2009). Dans l’extension
qu’il propose à son modèle original, J. J. Gross (2015a, 2015b) conçoit que la RÉ dépasse la simple
régulation de l’état émotionnel pour l’étendre à la régulation des processus émotionnels. Cela signifie
que la RÉ vise autant le processus qui génère les émotions que les émotions elles-mêmes. D’autres
3 Le modèle de Westen et Blagov (2007) intègre les deux derniers éléments en distinguant les SRÉ adaptées/inadaptées et conscientes/inconscientes.
26
auteurs militent également en ce sens (Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993; Linehan et al.,
2007; Scherer, 2005, 2009, 2013)4.
Émotions et RÉ : quels liens ? Si on reprend les paradigmes présentés plus haut, quels liens y a-t-il
entre les émotions et la RÉ ? Selon J. J. Gross et Barrett (2011), dans le modèle biologique, la RÉ et
la production d’émotions empruntent des circuits neuronaux distincts. Les émotions sont produites
par le système limbique et la RÉ est orchestrée par les lobes préfrontaux et corticaux. Ces derniers
agissent sur le système limbique. Pour le modèle biocognitif, les lobes préfrontaux et corticaux
interagissent avec le système limbique en fonction de schèmes de pensées. Le modèle psychocognitif
ajoute un traitement élaboré, réflexif et non automatique de l’information. Selon ce modèle, une
relation circulaire s’installe ainsi entre le système limbique et les lobes préfrontaux et corticaux
faisant en sorte de brouiller les frontières entre la production et la régulation des émotions. Dans le
modèle psychologique, il est quasi impossible de distinguer le processus de production émotionnelle
de la régulation étant donné que les émotions sont constamment construites. Il importe de
comprendre les mécanismes psychologiques par lesquels les émotions sont construites et régulées.
L’approche est phénoménologique en ce sens que c’est l’expérience émotionnelle telle que la
personne la raconte qui fait l’objet de théories. Dans le modèle social, les émotions sont produites et
régulées par les interactions sociales. Ainsi, les émotions et leur régulation servent davantage à des
buts sociaux que personnels. Selon ce modèle, puisque les émotions résultent des interactions entre
les individus, ce sont ces interactions qui doivent être régulées, non les émotions. La Figure 2 illustre
les liens entre les émotions et la RÉ selon chaque modèle5.
4 Le concept de processus émotionnel a été le fondement de la psychanalyse, d’approches psychocorporelles et d’approches humanistes. 5 Notez que pour les scènes A et B, le rouge désigne la zone du cerveau générant les émotions alors que le bleu indique les zones impliquées dans la RÉ. Pour la scène C, les couleurs signifient que plusieurs parties du cerveau interagissent pour générer et réguler les émotions. Enfin, la flèche montre le sens dans lequel circule l’information.
27
Figure 2. Représentation de quatre conceptions du processus générant et régulant les émotions, tirée
de J. J. Gross et Barrett (2011, p. 12)
J. J. Gross et Thompson (2007) privilégient un modèle biopsychosocial pour comprendre la RÉ.
Cela implique que la façon de réguler les émotions dépend tant de facteurs biologiques (seuil
d’activation, intensité de la réaction, etc.), cognitifs (perception, attention, interprétation, etc.),
psychologiques (expériences antérieures, traits de personnalité, etc.) que sociaux (contexte social,
normes culturelles, etc.). Les SRÉ prennent sens dans leur contexte immédiat, ce qui implique de
tenir compte des aspects culturels et psychologiques pour comprendre leur valeur adaptative. Dans
cette thèse, le paradigme social est particulièrement important, car l’objet d’étude (les SRÉ chez les
hommes) s’inscrit dans le contexte de la consultation d’un professionnel de la relation d’aide et tient
compte de l’influence possible de la socialisation dans les SRÉ adoptées. Comme le soulignent
certains auteurs (Campos, Walle, Dahl, et Main, 2011; Garneau et Larivey, 1979; Hofmann, 2014;
Thompson, 1994), la RÉ n’est pas seulement un processus intrapersonnel, mais aussi un processus
interpersonnel. Cela signifie que les émotions peuvent être produites et régulées tant par les
processus intrapsychiques que par les interactions sociales.
Quelques problèmes conceptuels et de mesure à propos des SRÉ. Les SRÉ sont les moyens
concrets utilisés pour moduler les émotions, lesquels sont regroupés en catégories (Koole, 2009). Par
exemple, l’évitement d’une situation peut se faire de mille façons : tenter d’éviter les chicanes en ne
parlant plus, en prenant une distance physique, en évitant certains gestes, etc. Lorsque le but d’un
certain nombre de comportements est clairement d’éviter une situation, on peut alors
raisonnablement dire que cet individu a fait de l’évitement dans cette situation précise.
28
L’utilisation de catégories simplifie l’étude de la RÉ en permettant l’utilisation de questionnaires et
de grilles d’observations relativement simples. Cependant, cela n’est pas sans difficulté. L’absence de
consensus dans la communauté scientifique sur le nombre de SRÉ et leur définition rend difficile la
comparaison entre les études. J. J. Gross (1998b) a repéré des études qui en mentionnent plus de 200
(exercices physiques, consommation d’alcool, soutien social, etc.). Tamres, Janicki, et Helgeson
(2002) font trois critiques majeures des catégories de SRÉ. Leur première critique est que les
comportements associés à une SRÉ varient d’une étude à l’autre. On ne parle donc pas exactement
de la même chose, ce qui complique les comparaisons entre les études. De plus, les comportements
retenus ne sont pas nécessairement représentatifs de la réalité de tous. Par exemple, les
comportements retenus pour décrire une SRÉ peuvent mieux convenir à un sexe et ainsi masquer ou
moduler déraisonnablement les différences entre les sexes. L’influence du contexte (situation,
contexte culturel, etc.) n’est pas prise en considération non plus. La deuxième critique de Tamres et
al. soulève le fait qu’une même catégorie ne recoupe pas toujours exactement les mêmes éléments.
Ils donnent l’exemple de l’acceptation dont ils citent deux définitions différentes : une conception de
l’acceptation dont le but est de composer avec la situation et une conception qui consiste à se
résigner et à rester passif. Des questionnaires construits à partir de ces différentes typologies peuvent
également donner des résultats de recherches contradictoires. Du coup, les méta-analyses qui
incluent différentes conceptions des mêmes SRÉ doivent être interprétées avec prudence. Tamrès et
al. soulèvent un troisième problème : une même SRÉ peut être nommée de différentes manières. Ils
donnent l’exemple du comportement de désengagement, de la distraction et de l’évitement, trois
thèmes pouvant désigner l’évitement d’un problème par l’engagement dans d’autres activités. Il faut
donc examiner attentivement la définition de chaque catégorie dans le questionnaire utilisé par une
étude.
Ces problèmes de cohérence entre les études sont symptomatiques de l’état des connaissances
actuelles. Les chercheurs explorent diverses avenues parce qu’il n’existe pas de consensus quant à la
manière de définir les SRÉ. Cependant, certains éléments font consensus, soit : l’importance de
comparer les mêmes choses et de tenir compte de la situation ainsi que des valeurs culturelles
auxquelles adhère un individu. En d’autres termes, on ne saurait comprendre les SRÉ en tenant
compte uniquement des aspects psychologiques ou biologiques. Le contexte social est déterminant
dans le choix et l’efficacité des SRÉ (Nolen-Hoeksema, 2012).
29
La sélection des SRÉ. Pourquoi les individus recourent-ils à une SRÉ en particulier dans une
situation précise à un moment précis ? Il semble que la raison principale est que l’individu cherche à
moduler les émotions de façon à faciliter l’atteinte d’un but (J. J. Gross, 2015a, 2015b). Attention, le
but désiré peut être lui-même problématique : espérer que son conjoint change d’idée quant à la
rupture amoureuse, qu’on retrouve rapidement un nouvel emploi, ou encore viser une performance
jamais atteinte, etc. Les émotions sont alors considérées comme un état à atteindre ou un moyen
pour atteindre un objectif (relationnel, professionnel, sportif, etc.)6. Comme l’a fait remarquer
Elkaïm (1989), le système peut alors fonctionner en déséquilibre pour une certaine période, mais
non sans peine.
Pour expliquer ce phénomène, J. J. Gross (2015a, 2015b) propose un ajout à son modèle original (J.
J. Gross, 1998b). Cet ajout implique deux systèmes qui se superposent. Le premier système concerne
l’activation émotionnelle. Les émotions constituent un système qui évalue constamment la valence
des situations, c’est-à-dire leur caractère bon ou mauvais pour l’individu, en fonction de l’écart entre
ce qui est désiré et ce qui se produit. Lorsque cet écart est significatif pour l’individu, un signal
émotionnel est émis. Le second système a trait à la RÉ. Ce système a pour fonction de déterminer à
partir de quand une émotion doit être régulée (étape d’identification), par quelles stratégies (étape de
sélection) et de mettre en pratique la tactique retenue (étape d’implantation). Différents problèmes
peuvent alors survenir. À l’étape d’identification, sont problématiques l’alexithymie, soit l’incapacité
de reconnaitre, d’identifier et de verbaliser ses émotions (Sifneos, 1972)7, une mauvaise évaluation de
la valence émotionnelle, le maintien d’un comportement malgré ses effets émotionnels néfastes ou
encore certaines croyances à propos des émotions. Au stade de sélection, font problème une
mauvaise évaluation des variables contextuelles et le fait d’entrevoir peu de stratégies, voire de se
croire incapable de les appliquer efficacement. À l’étape d’implantation, sont problématiques le
manque de certaines habiletés nécessaires à l’exécution de SRÉ de même que l’inefficacité de
certaines SRÉ. Au final, l’état émotionnel se stabiliserait grâce à la mise en œuvre de SRÉ efficaces,
et ce, même si la situation-problème perdure. Cependant, la déstabilisation de l’état émotionnel
pourrait signifier que les stratégies mises en place ne sont plus efficaces ou adaptées à la situation-
6 Soulignons que cette idée n’est pas nouvelle (Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993), mais que J. J. Gross (2015a) a le mérite de l’intégrer dans un modèle cognitivo-comportemental de la RÉ. 7 Sifneos (1972) retient quatre caractéristiques à l’alexithymie : l'incapacité à reconnaitre, identifier et exprimer verbalement ses propres émotions; la limitation de la vie imaginaire, notamment de l'aptitude à la rêverie diurne; la tendance à recourir à l'action pour éviter ou résoudre les conflits; la description détaillée des faits, événements ou symptômes physiques.
30
problème. Il faut alors réévaluer quelles SRÉ sont susceptibles de permettre le retour à un état
émotionnel satisfaisant. Le fonctionnement de chaque système est décrit à l’aide du modèle médian,
soit un modèle cognitivo-comportemental de la RÉ. Son fonctionnement est vu de manière spirale
de façon à tenir compte du temps et du processus cognitif (J. J. Gross, 1998b, 2015a).
SRÉ et stratégies de coping. Le coping est défini comme « l’utilisation de stratégies cognitives et
comportementales pour gérer une situation stressante que la personne vit dans ses relations avec son environnement »
(traduction libre de Folkman & Lazarus, 1985, p. 152). Les auteurs distinguent le coping centré sur le
problème du coping centré sur les émotions. Le premier consiste à composer avec un problème de
façon à diminuer, voire éliminer le stress ressenti. Le second vise à modifier l’état émotionnel en
identifiant, exprimant et interprétant ses émotions. Dans cette vision, ces deux types de coping
contribuent à l’adaptation : la régulation des émotions favorise le déploiement des habiletés de
résolution de problème et l’atténuation du problème facilite la RÉ. Cette conception du coping est
encore utilisée de nos jours comme en témoignent des méta-analyses récentes (Dempster, Howell, et
McCorry, 2015; Kato, 2015; Shin et al., 2014). Dans son modèle médian portant sur la RÉ, J. J.
Gross (1998b, 2015a) distingue les SRÉ se rapportant à la situation (sélection de la situation,
modification de la situation, déploiement de l’attention, évaluation de la situation) des SRÉ qui
visent directement à modifier les émotions éprouvées (expression des émotions, par exemple). Ainsi,
la RÉ ne vise pas seulement les émotions, mais également les situations dans lesquelles elles
surviennent. L’individu peut intervenir sur la situation pour moduler son état émotionnel, accepter
un déséquilibre émotionnel temporaire pour atteindre un but, ou encore, agir directement sur
l’émotion sans tenir compte de la situation (J. J. Gross, 2015a, 2015b).
En analysant les stratégies de coping et les SRÉ, force est de constater qu’il s’agit des mêmes
stratégies. Certaines méta-analyses les incluent d’ailleurs indistinctement (Aldao, Nolen-Hoeksema,
et Schweizer, 2010; Webb, Miles, et Sheeran, 2012). Qu’est-ce qui différentie alors le coping de la RÉ?
La réponse semble relativement simple : le coping s’intéresse à la façon de gérer le stress éprouvé dans
une situation tandis que la RÉ s’attarde aux stratégies utilisées pour moduler les émotions éprouvées
dans la même situation (John et Gross, 2007). Là où ça se complique, c’est que le stress et les
émotions sont des états affectifs qui ont beaucoup en commun (J. J. Gross et Thompson, 2007;
Lazarus, 1991, 1993). Par exemple, dans l’étude de Folkman et Lazarus (1985), le stress est mesuré à
partir de l’évaluation subjective d’une quinzaine d’émotions. Certains auteurs estiment que le stress
31
n’est qu’une contre-émotion, soit une réaction physique à un ensemble d’émotions mal gérées
(Larivey, 2002) ou encore la résultante d’un ensemble d’émotions (Lazarus, 1991, 1993). Bref, le
stress et les émotions s’interinfluencent et participent tant à la production qu’à la régulation de l’une
et de l’autre. Plus largement, le coping et la RÉ prennent part à la régulation des affects (J. J. Gross et
Thompson, 2007; Koole, 2009).
RÉ et processus d’adaptation. L’adaptation est un processus qui consiste à moduler ses émotions,
ses cognitions et ses comportements de façon à obtenir des échanges satisfaisants avec son
environnement. L’adaptation est réciproque, c’est-à-dire que l’individu et l’environnement s’adaptent
l’un à l’autre (Simonet, 2010). Dans la seconde cybernétique, l’adaptation n’est possible qu’entre
systèmes ouverts en interactions. Leurs échanges peuvent favoriser la croissance ou la décroissance
de l’un ou des deux. De ce point de vue, l’adaptation est un processus continu ayant pour but
l’optimisation des échanges entre les éléments d’un système afin d’assurer la croissance mutuelle (Le
Moigne, 1994). Le rôle des émotions dans l’adaptation n’est pas négligeable (J. J. Gross et al., 2007).
À la différence des réflexes ou des pulsions, les émotions offrent une plus grande souplesse dans la
réponse aux situations stressantes. L’émotion génère un signal, mobilise des ressources, mais permet
une réévaluation de la situation stressante avant d’agir. L’adaptation, en lien avec les émotions, est
alors conçue comme une tentative d’ajustement des ressources déployées à la perception de ce que la
situation exige. La réévaluation et les ajustements étant continus, la mobilisation des ressources est
ajustée en conséquence. Ainsi vue, l’adaptation implique une représentation de la situation qui est en
continuelle construction. Les émotions jouent un rôle dans cette construction en indiquant en
continu le caractère agréable ou désagréable de la situation (Lazarus, 1993). Bref, l’adaptation et la
RÉ sont deux processus qui interagissent et influencent leur trajectoire respective. On imagine mal
un individu adapté envahi d’émotions négatives intenses et durables. De la sorte, en agissant sur les
situations et les émotions, la RÉ influe sur le processus d’adaptation. Comme le souligne J. J. Gross
(2015a), l’objectif de la RÉ n’est pas uniquement de moduler les émotions, mais bien souvent de le
faire dans un but comme atteindre la ligne d’arrivée du marathon, déposer une demande de
subvention dans les délais, compléter un examen, ou encore, composer avec les changements en lien
avec le décès d’un proche.
Conception retenue des liens entre les émotions et la RÉ. Les principaux modèles de référence
de cette thèse sont les modèles cognitifs, psychologiques et sociaux. De façon générale, en ce qui a
32
trait à la distinction entre les émotions et leur régulation, on conviendra ici que les émotions réfèrent
à un état et un processus alors que la RÉ correspond aux actions (ou stratégies) visant à maintenir ou
moduler l’état ou le processus émotionnel (J. J. Gross et Thompson, 2007; Koole, 2009). Ces
distinctions entre les émotions et la RÉ ne doivent pas faire perdre de vue que les deux sont
intrinsèquement liés dans le modèle modal : là où il y a des émotions, il y a leur régulation. Les
émotions et leur régulation interagissent constamment ainsi qu’à toutes les phases du processus qui
les génère et les régule (Campos et al., 2011; J. J. Gross, 2015a, 2015b). Cette relation indissociable
entre les émotions et leur régulation sera désignée à présent sous l’expression de processus
émotionnel ou affectif. Dans cette optique, les émotions sont à la fois un état et un processus. On
peut reconnaitre un état émotionnel par ses caractéristiques (physiques, comportementales et
subjectives) qui prennent sens dans un contexte, une culture, une époque, et ce, pour un individu
donné. Pour comprendre ce qui produit et module cet état, il faut comprendre les mécanismes
impliqués dans la production et la modulation des émotions dans une situation donnée. Cette
conception des liens entre la RÉ et les émotions servira, dans cette thèse, de cadre de référence à
l’étude des liens entre la RA et les affects.
1.6 Hommes, masculinités et socialisation
Il faut aborder les liens entre la socialisation et la RÉ pour deux raisons. Première raison, la
socialisation influence la façon dont les hommes régulent leurs émotions (Nolen-Hoeksema, 2012).
En effet, l’éducation, le contexte social et les rétroactions de l’environnement social influencent la
RÉ (J. J. Gross, 1998b). Deuxième raison, l’intervention a avantage à tenir compte de l’impact de la
socialisation des hommes sur leur façon de réguler les émotions (Dulac, 1997, 1999; E. G. Good et
Brooks, 2005). Dans cette section, les concepts de genre et de socialisation sont abordés.
Genre et masculinité. Dans cette thèse, trois conceptions du genre et des masculinités retiennent
l’attention, soit la première qui s’inscrit dans le paradigme normatif (Pleck, 1981, 1995), la seconde
qui fait partie du paradigme structurel et poststructuraliste (Connell, 1987, 2009; Connell et
Messerschmidt, 2005) et la troisième qui adhère également à la vision poststructuraliste (Anderson,
2005, 2009). La vision normative du genre est dominante dans les études quantitatives recensées en
lien avec les hommes et les émotions alors que la vision structurelle est surtout présente dans les
études qualitatives.
33
La vision normative associe le genre à des rôles socialement construits (Pleck, 1981, 1995). Pour
Pleck (1995), le genre est une idée socialement construite de la façon dont les individus doivent se
comporter selon leur sexe. Le genre varie d’une culture à l’autre et d’une époque à l’autre. L’idéologie
de la masculinité réfère à l’importance accordée au fait d’adhérer aux normes de genre
prédominantes à une époque donnée. Les individus adhèrent à différents degrés aux normes de
genre. Dans l’ensemble, selon l’auteur, une forte proportion d’individus les transgresse. Pleck (1995)
estime que la transgression des normes amène une condamnation sociale et des effets
psychologiques négatifs. Selon lui, les normes associées au genre masculin ont des conséquences
négatives plus importantes pour les hommes étant donné qu’elles sont plus rigides et que la
réprobation est plus prononcée en cas de transgression. À la différence, les normes associées au
genre féminin sont plus souples si bien que leur transgression a des conséquences moindres pour les
femmes selon Pleck (1995). Ces tensions suscitées par l’exercice du rôle de genre ont été
opérationnalisées par O'Neil (2008) dans ce qu’il nomme le « conflit de rôle de genre » (CRG). Il
s’agit d’une tension interne créée par la répression, la dévaluation ou la transgression d’une partie de
soi ou d’autrui perçue comme en contradiction avec le modèle de masculinité préconisé dans une
société donnée. La suppression de l’expression émotionnelle dans certaines situations sociales,
notamment de la peur et de la tristesse chez les hommes occidentaux caucasiens, en est un exemple
(O’Neil, 2008). Cette théorie a donné lieu à de nombreuses études démontrant les effets néfastes des
normes associées au genre masculin (Addis, Mansfield, et Syzdek, 2010; O'Neil, 2008).
Le modèle de Connell (1987, 2009; Connell & Messerschmidt, 2005) se situe à cheval entre le
paradigme structurel et le paradigme poststructuraliste. Cela s’explique par le désir de Connell de
concilier à la fois la mouvance des pratiques de genre (poststructuralisme) et leur relative stabilité
(structuralisme). Comme d’autres auteurs (Archer, 1995, 2000; C. West et Zimmerman, 1987), elle
veut éviter l’essentialisme, mais sans perdre de vue la réalité des corps de même que celle des
structures sociales et de leurs impacts sur les individus. Aux fins de cette thèse, la perspective
poststructuraliste est ici retenue pour sa vision flexible du genre qui se concentre sur des pratiques
en situation.
Selon le paradigme poststructurel, les individus n’ont pas une identité de genre, mais des pratiques
de genre. Le genre est défini comme un ensemble de pratiques en mouvance. Ces pratiques puisent
dans le répertoire des pratiques de genre relatif à la culture d’appartenance et à une époque donnée.
34
Ce sont les pratiques de genre qui le font exister, en ce sens que le genre n’existe pas en soi, mais
résulte des pratiques. En conséquence, le genre peut constamment être redéfini par les pratiques et
n’a pas de caractéristiques immuables, ces pratiques étant même parfois contradictoires. Cependant,
la récurrence de certaines pratiques donne au genre une certaine stabilité. Cette récurrence serait
motivée par les avantages que ces pratiques procurent. Les pratiques peuvent aussi être contestées et
d’autres se développer et construire un autre modèle de genre, voire renverser celui qui domine
(Connell, 1987; Connell et Messerschmidt, 2005). Ainsi, selon Connell (2005), le genre est une
configuration de pratiques ayant pour but d’édifier une organisation sociale autour d’une conception
donnée des différences entre les hommes et les femmes ainsi que celles des hommes entre eux. Dans
cette optique « les masculinités sont une position dans les relations de genre, les pratiques par lesquelles les hommes
et les femmes s’engagent dans cette position ainsi que les effets de ces pratiques sur les corps, la personnalité et la
culture » (Connell, 2005, p. 71, traduction libre). Connell (2009) estime que le genre étant une pratique
contextuelle, c’est-à-dire qui surgit et prend sens dans un certain contexte ; il doit être étudié dans ce
contexte précis. Il est, selon elle, impossible de déterminer un genre fixe parce que ce dernier peut
changer, se contredire d’une situation à l’autre. Le changement dans le genre est vu comme un
processus à l’œuvre, tant sur le plan social que sur le plan personnel, caractérisé par des périodes de
crise, de changement accéléré, et des périodes de relative stabilité. Étudier les masculinités revient ici
à s’intéresser à la façon dont les pratiques structurent le genre et le transforment.
Allant dans le même sens que Connell, P. Y. Martin (2003, 2006) distingue le répertoire de pratiques
de genre des pratiques effectives de genre. Le répertoire des pratiques de genre correspond aux
actions (au sens large, ce qui inclut le discours verbal et les expressions non-verbales) disponibles
dans une société pour exercer le genre. Ce répertoire indique comment et quand utiliser le genre. Les
pratiques effectives de genre sont les actions réalisées dans un contexte de genre. Une pratique
concrète de genre n’existe que dans un contexte qui le permet, souvent une institution dont les
normes et les pratiques sont genrées. Selon son point de vue, le genre n’est pas présent dans tous les
comportements : il faut donc cerner quand et comment il se manifeste. Ces pratiques effectives
apparaissent souvent spontanément, sont brèves et imprévisibles. Ce sont ces pratiques concrètes
qui assurent le maintien et le changement dans le répertoire des pratiques du genre.
Dans cette thèse, la conception du genre adoptée réfère aux travaux de Pleck et de Connell. La
typologie proposée par Anderson (2005) est également employée. Cette typologie adhère à une
35
vision poststructuraliste qui estime que le genre est construit par des pratiques diverses. En ce sens,
l’étude d’Anderson (2005) repère deux types de masculinité construits dans un groupe de 68
hommes et femmes pratiquant le cheerleading. Le premier correspond à la masculinité dite
« orthodoxe ». Elle se caractérise par la construction d’une masculinité dominante qui dévalue les
femmes et les hommes homosexuels. Elle survalorise l’hétérosexualité et l’expression de l’agressivité.
Elle correspond à ce que Connell et Messerschmidt (2005) appellent la masculinité hégémonique.
Cependant, Anderson considère que, à l’époque actuelle, celle-ci n’assume plus une position
hégémonique, cependant le contenu qui y est rattaché est sensiblement le même. Le deuxième type
de masculinité dite « inclusive » concorde avec une vision égalitaire des genres, des sexes et des
orientations sexuelles. Dans ce groupe, la discrimination basée sur le genre, le sexe ou l’orientation
sexuelle est désapprouvée. Selon Anderson, dans la pratique du cheerleading, les manœuvres ne sont
pas perçues comme féminines ou masculines. D’autres études qualitatives sont arrivées depuis à des
constats semblables (Anderson, Adams, et Rivers, 2012; McCormack, 2011). Dans le même sens,
certaines études indiquent un effritement du modèle de masculinité orthodoxe chez les jeunes
adultes notamment par rapport au rôle de pourvoyeur, de père et de conjoint (J. Roy, Tremblay,
Guilmette, Bizot, et Dupéré, 2014).
Socialisation. Dans la perspective socioconstructiviste (Vygotsky, 1978), la socialisation est un
processus bidirectionnel : autant les adultes tentent de faire adhérer leurs enfants à certaines normes,
autant les enfants, en résistant à certaines normes ou en développant d’autres normes, influencent les
adultes dans leur construction des normes. Les enfants ne reçoivent pas passivement les idées des
adultes au sujet des normes sociales : ils élaborent leurs propres perceptions à propos de ces normes,
font leurs propres essais, sont plus ou moins réceptifs selon la norme proposée, etc. On peut ainsi
définir la socialisation comme un processus interactif par lequel les individus coconstruisent les
normes sociales à propos des façons de sentir, de penser et d’agir (Grusec, 2011). Considérant
l’individu et la société comme un système ouvert, cette construction est continue modifiant sans
cesse son fonctionnement, ou sa structure, pour l’adapter aux situations (Watzlawick, Weakland, et
Fisch, 1975). La socialisation, en regard des émotions et de la RÉ, constitue un jeu d’influence
réciproque ayant pour but de moduler les émotions en soi, chez autrui et dans les relations. Ce jeu
d’influence s’effectue selon des normes sociales dont certaines ont trait à la culture et au genre
(Grusec, 2011). La socialisation est aussi le cadre d’apprentissage de SRÉ dans lequel la famille et les
36
pairs jouent un rôle primordial (Thompson et Meyer, 2007). Soulignons enfin que la socialisation
concerne tous les humains en interactions, peu importe leur âge.
1.7 Hommes, émotions et SRÉ
Cette section propose une synthèse critique des études portant sur les liens entre les hommes, les
émotions et les SRÉ. La première partie traite brièvement du rôle de la socialisation dans l’utilisation
des SRÉ. On y découvre que la socialisation des garçons et des filles peut être très différente ou
semblable selon le genre qui sert de référence. La socialisation des garçons réfère toutefois davantage
au modèle de masculinité dite orthodoxe (Anderson, 2005) ou hégémonique (Connell et
Messerschmidt, 2005). La seconde partie explore les différences de sexes et de genres dans
l’utilisation de différentes SRÉ. Pour ce faire, une vingtaine de SRÉ sont identifiées et définies à
partir d’un examen attentif des écrits bien que les dénominations et les définitions des SRÉ dans la
littérature scientifique ne sont pas univoques (Tamres et al., 2002). Celles retenues sont en lien avec
le modèle de Linehan et al. (2007) qui sera abordé au chapitre suivant. À la fin de cette partie, une
synthèse des études est présentée de façon à faire ressortir les différences entre les hommes et les
femmes ainsi que celles entre les hommes adhérant plus fortement aux normes masculines
orthodoxes ou hégémoniques de ceux y adhérant plus faiblement.
1.7.1 Socialisation, hommes, émotions et SRÉ
La socialisation selon le genre s’effectue essentiellement par la catégorisation du monde en deux
univers, l’un masculin, l’autre féminin. Certains comportements, lieux, privilèges, rôles sociaux,
tâches, etc., sont étiquetés comme masculins, féminins ou neutres (Bereni, Jaunait, Chauvin, et
Revillard, 2012). En ce qui a trait aux émotions, la socialisation selon le modèle de masculinité dite
traditionnelle (Pleck, 1995), hégémonique (Connell, 1987) ou orthodoxe (Anderson, 2005), implique
pour les hommes de culture occidentale de masquer celles perçues comme un signe de faiblesse ou
féminines (peur, tristesse, honte), et de montrer celles (rage, colère) qui renforcent l’idée que les
hommes sont forts, dominants et en contrôle de la situation (Pollack, 2001; P. Turcotte, 2002; Wong
et Rochlen, 2005). La socialisation incite également les hommes à recourir à certaines SRÉ
(consommation d’alcool, sport, travail, suppression de l’expression des émotions, etc.) et les
décourage d’utiliser d’autres SRÉ (acceptation des émotions, verbalisation des émotions, etc.)
(Levant, Cuthbert, et al., 2003; McLean et Anderson, 2009). Cela pourrait expliquer, par exemple,
pourquoi les hommes déprimés ont davantage de comportements à risque, d’agression et d’abus de
37
substance que les femmes déprimées (L. A. Martin, Neighbors, et Griffith, 2013; Simon, 2014). Par
ailleurs, la socialisation n’est pas univoque : elle peut favoriser l’acquisition de SRÉ non conformes
aux normes de la masculinité orthodoxe. Cela dépend, entre autres, des normes négociées avec
l’entourage (père, mère, fratrie et amis), du style parental et de la façon dont les parents eux-mêmes
régulent leurs émotions (Brody et Hall, 2010; Saarni, Campos, Camras, et Witherington, 2008;
Thompson et Meyer, 2007). Ainsi apprend-on que les garçons de 16-18 ans les plus populaires
auprès de leurs pairs sont ceux ayant de bonnes habiletés pour soutenir émotionnellement les autres
et pour socialiser, montrant donc une masculinité dite inclusive non homophobe ni antiféminine
(McCormack, 2011). On a aussi trouvé que plus les hommes sont capables d’exprimer leurs
émotions, moins le conflit de rôle de genre est élevé. Cependant, lorsque les femmes ont le même
niveau de GRC, elles obtiennent des scores semblables aux hommes (Eicken, 2004).
Cette socialisation différenciée selon le sexe tend à moduler les émotions et leur régulation très tôt
dans la vie. À leur naissance, les garçons sont émotionnellement plus réactifs et expressifs que les
filles. Toutefois, dès l’âge de deux ans, les garçons sont moins expressifs que les filles sur le plan
émotionnel (Levant, Cuthbert, et al., 2003). Une méta-analyse a montré que ces différences restent
minimes pendant la petite enfance et s’accentuent par la suite (Chaplin, 2015; Chaplin et Aldao,
2013). Entre l’âge de 4 et 6 ans, les filles expriment davantage de tristesse et d’anxiété que les
garçons. Pendant cette période, l’expression émotionnelle des garçons décroit à l’égard de ces
mêmes émotions (Chaplin, Cole, et Zahn-Waxler, 2005). À l’adolescence, la rumination est plus
utilisée par les filles dès l’âge de 12 ans et ces dernières souffrent davantage de dépression et de
stress dès l’âge de 13 ans. Le degré de rumination augmente fortement chez les filles entre l’âge de
12-15 ans alors qu’il augmente légèrement chez les garçons entre 15-17 ans (Jose et Brown, 2008). À
l’âge adulte, les femmes rapportent davantage de tristesse, d’anxiété et de colère que les hommes. À
la différence, ces derniers sont plus souvent joyeux, excités et calmes que les femmes (Simon, 2014).
Certains auteurs pensent que le fait que l’anxiété et la peur soient associées à la féminité dans la
culture occidentale explique en partie pourquoi les femmes les ressentent davantage (McLean et
Anderson, 2009). En tenant compte de l’origine ethnique, seules les femmes de type caucasien
perçoivent un peu plus de honte et de culpabilité que les hommes, les deux sexes étant semblables
par rapport à l’embarras et la fierté. Les différences de sexe dans les émotions rapportées sont plus
marquées dans certains contextes ce qui serait lié à la perception des attentes sociales (Else-Quest,
Higgins, Allison, et Morton, 2012). D’autres auteurs observent que ces différences de sexes semblent
38
reliées au désir des participants de répondre en fonction de leurs perceptions des normes sociales et
des attentes des chercheurs. Lorsque la désirabilité sociale est contrôlée, les différences entre les
hommes et les femmes s’estompent (Lench, Flores, et Bench, 2011; Wester, Vogel, Pressly, et
Heesacker, 2002).
Par ailleurs, les hommes sont plus nombreux à souffrir d’alexithymie, soit de l’incapacité de
reconnaitre, d’identifier et de verbaliser ses émotions. Une explication possible à la surreprésentation
masculine dans l’alexithymie est que les hommes sont davantage encouragés à réprimer leurs
émotions (Levant, Cuthbert, et al., 2003; O'Neil, 2008). Dans l’ensemble, lorsqu’on considère tant les
émotions négatives que celles positives, les hommes et les femmes rapportent vivre autant
d’émotions (Simon, 2014). Dans le même sens, lorsque la socialisation est similaire pour les deux
sexes, les processus émotionnels déployés par les garçons et les filles sont semblables. C’est le cas,
notamment, lorsque les garçons et les filles ont été exposés à la même éducation maternelle à l’égard
des émotions et de la RÉ (Meyer, Raikes, Virmani, Waters, et Thompson, 2014) ou particulièrement
lorsque le père enseigne la régulation de la colère (Bowie et al., 2013). Une étude a également observé
que, de manière générale, la nouvelle génération d’hommes adultes est plus encline à exprimer ses
émotions que la génération plus âgée (J. Roy et al., 2014).
L’influence de l’environnement social sur les pratiques de genre est donc bien réelle de même que
ses effets. Il ne faut cependant pas voir la socialisation comme un déterminisme absolu, mais plutôt
comme un facteur contextuel. La socialisation influence, mais ne permet pas de prédire l’émotivité et
la RÉ des hommes et des femmes (Brody et Hall, 2010; McLean et Anderson, 2009; Simon, 2014;
Wester, Heesacker, et Snowden, 2016). Les études sur la RÉ chez les adultes militent également en
ce sens et seront à présent abordées plus en détail.
1.7.2 Recension des écrits sur l’utilisation des stratégies de régulation des émotions (SRÉ)
La recension des écrits portant sur les SRÉ est divisée en deux parties : la première partie décrit les
SRÉ reconnues pour leurs effets négatifs sur la santé, le bien-être et le fonctionnement social; la
seconde partie présente les SRÉ plutôt reconnues pour leurs effets positifs sur ces mêmes variables
(Aldao et al., 2010; Kato, 2015; Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Dans cette thèse, les
premières sont aussi nommées SRÉ non aidantes ou régressives et les secondes SRÉ aidantes ou
progressives. Les définitions retenues s’inscrivent dans une perspective clinique et tentent de
39
circonscrire le rôle des SRÉ dans le processus de changement à l’instar de Linehan et al. (2007). Ce
dernier point sera traité plus loin. Enfin, chaque définition est suivie d’une brève recension à propos
des différences entre les hommes et les femmes dans l’utilisation des SRÉ. L’objectif de cette
recension est de déterminer s’il existe des différences notables de sexe et de genre en regard de
l’utilisation des SRÉ.
1.7.2.1 Les SRÉ non aidantes
Alexithymie. Sifneos (1972) retient quatre caractéristiques à l’alexithymie : l'incapacité de
reconnaitre, d’identifier et d’exprimer verbalement ses propres émotions; la limitation de la vie
imaginaire, notamment de l'aptitude à la rêverie diurne; la tendance à recourir à l'action pour éviter
ou résoudre les conflits; la description détaillée des faits, des événements ou des symptômes
physiques. Quelques auteurs ont repris cette définition pour l’élaboration de questionnaires (Bagby,
Parker, et Taylor, 1994; Levant et al., 2006; O'Neil, 2008). L’alexithymie est le résultat d’un long
processus de répression des émotions. Elle constitue un frein à la régulation des émotions, car elle
prive l’individu d’informations sur son état intérieur en rapport avec la satisfaction de ses besoins, la
poursuite de ses buts, l’accomplissement de ses rôles et ses relations avec autrui. Ces informations,
lorsque disponibles, peuvent être prises en compte et permettent un choix plus adapté de SRÉ.
L’absence de telles informations nuit à la satisfaction des besoins, ce qui se traduit par des
frustrations, une irritabilité et différents problèmes de santé et de fonctionnement social selon la
théorie de Garneau et Larivey (1979). La plupart des études indiquent que l’alexithymie est
davantage présente chez les hommes que chez les femmes et particulièrement chez ceux qui
adhèrent à une vision orthodoxe de la masculinité (Levant, Cuthbert, et al., 2003; Levant et al., 2006;
O'Neil, 2008). Une étude a toutefois trouvé que lorsque les femmes présentent davantage de
symptômes dépressifs et anxieux, elles ont plus de difficulté à identifier leurs émotions et ont un
niveau d’alexithymie plus élevé (Bonnet, Brejard, Pasquier, et Pedinielli, 2012). Pour expliquer ces
résultats divergents, d’autres auteurs avancent que l’alexithymie vécue par les hommes serait
différente de celle vécue par les femmes : la première se caractériserait par un effet moins délétère et
favoriserait même le blocage des pensées négatives (rumination) par l’inhibition de l’intensité
émotionnelle; la seconde impliquerait la présence d’émotions sans cognition associée ce qui
augmenterait l’intensité des émotions négatives, car mésinterprétées (Hauwel-Fantini et Pedinielli,
2008). Dans cette thèse, l’inhibition de l’intensité émotionnelle correspond à la SRÉ répression des
40
émotions alors que l’alexithymie en est le résultat. Les SRÉ sont des actions, comme la répression
des émotions, alors que l’alexithymie est un état.
Répression des émotions. Réprimer une émotion consiste à mettre une distance entre soi et
l’émotion ressentie de façon à en atténuer l’intensité. Cette mise à distance viserait à contenir les
émotions et serait une façon de protéger l’ego en évitant qu’il soit débordé par des émotions tant
négatives que positives (Mendolia, 2002). La répression des émotions serait pour certains hommes
une façon de rester en contrôle de soi, d’éviter une souffrance émotionnelle et de préserver une
cohérence avec leur adhésion à un certain type de masculinité (Genest‐Dufault, 2013; Wong, Pituch,
et Rochlen, 2006).
Suppression de l’expression émotionnelle. Lorsqu’une émotion est ressentie et que son expression
est contenue ou inhibée, on parle de suppression (Christophe, Antoine, Leroy, et Delelis, 2009; J. J.
Gross, 1998a; J. J. Gross et John, 2003) ou de restriction de l’expression émotionnelle (O'Neil,
2008). Cette SRÉ est efficace pour contenir l’expression comportementale des émotions (expression
faciale, gestes, etc.), mais inefficace pour réduire les émotions ressenties (J. J. Gross et John, 2003;
O'Neil, 2008). De façon générale, les hommes utiliseraient davantage cette SRÉ que les femmes
(Christophe et al., 2009; Flynn, Schipper, Roach, et Segerstrom, 2009; O'Neil, 2008; Simon, 2014;
Zimmermann et Iwanski, 2014) ce qui serait toutefois relatif à l’émotion et au stresseur (J. J. Gross et
John, 2003; Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). En effet, les hommes seraient davantage
portés à supprimer l’expression de la peur et de la surprise alors que les femmes supprimeraient
plutôt la colère, l’hostilité et le dégoût (Brody et Hall, 2010). J. J. Gross et John (2003) ont également
trouvé que les hommes suppriment davantage la tristesse et moins la colère. Certains auteurs
estiment que cette fermeture émotionnelle pourrait être une stratégie de survie alors que les hommes
se sentiraient vulnérables compte tenu de leur situation (Nguyen, Liu, Hernandez, et Stinson, 2012).
Consommation. Dans cette thèse, la consommation est vue sous l’angle de la RÉ et non de la
dépendance. Parmi l’ensemble des SRÉ repérées dans la littérature scientifique, la consommation
d’alcool est l’une des seules SRÉ utilisées davantage par les hommes par rapport aux femmes. Cette
différence peut s’expliquer par le fait que les hommes percevraient davantage de bénéfices à utiliser
l’alcool pour gérer leurs émotions (L. A. Martin et al., 2013; Nolen-Hoeksema, 2012; J. Roy et al.,
41
2014). Ainsi, l’alcool peut être utilisé comme une forme d’ « automédication » visant à apaiser les
symptômes chez des individus ayant un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique (Wallach,
2015) ou pour gérer les émotions chez des individus présentant un niveau élevé d’alexithymie
(Bonnet, Bejaoui, Bréjard, et Pedinielli, 2011). Cependant, le recours chronique à l’alcool entraine un
problème de dépendance à cette substance ainsi qu’une difficulté à réguler les émotions d’après ces
études. Par ailleurs, les travaux de Stappenbeck et Fromme (2014) ont montré que les individus des
deux sexes sous l’effet de l’alcool ont plus de difficulté à réguler leurs émotions et sont davantage
portés à recourir à la violence verbale ou physique. Les auteurs observent que l’alcool réduit la
capacité de réinterpréter la situation.
Expression négative des émotions. L’expression négative des émotions est généralement associée à
des gestes impulsifs pouvant être violents. Il peut s’agir tant de gestes d’autodestruction (se mutiler,
tenter de s’enlever la vie, etc.) que d’actes de violence envers autrui, des animaux ou des objets. Ces
gestes destructeurs viseraient à soulager une souffrance intenable, ce qui est éphémère, car assez
rapidement l’état de tension réapparait (Gratz et Roemer, 2004; Linehan, 1993; P. Turcotte, 2002).
Selon ces mêmes auteurs, les individus qui recourent à l’expression négative des émotions agissent
impulsivement et ont de faibles habiletés à réguler leurs émotions. Linehan et al. (2007) soulignent
qu’ils présentent une forte vulnérabilité émotionnelle8. Certains auteurs pensent que la violence
envers autrui serait une façon de masquer des émotions perçues comme étant non masculines telle la
honte (Keefler et Rondeau, 2002). D’autres auteurs abondent dans le même sens en montrant que
les garçons délinquants sont plus déprimés que les filles délinquantes comme si le fait de se dévoiler
comme étant déprimé serait en contradiction avec les normes de la masculinité orthodoxe (De
Coster et Cornell Zito, 2010). Chez les garçons, la difficulté de réguler les émotions est associée à
des troubles de comportement telle l’agression (Mullin et Hinshaw, 2007; Simon, 2014). Fait à noter,
les garçons qui possèdent de bonnes aptitudes à résoudre les problèmes seraient moins portés à
adopter des comportements délinquants (Moon, Morash, McCluskey, et Hwang, 2009). Enfin, les
hommes se sentant déprimés seraient plus susceptibles d’adopter des comportements violents (L. A.
Martin et al., 2013). On peut ainsi faire l’hypothèse que l’agir violent serait une façon inadaptée de
réguler les émotions davantage utilisées par les hommes déprimés qui ont alors l’impression de
préserver un certain contrôle de la situation (Shorey, Febres, Brasfield, et Stuart, 2012).
8 Le concept de « vulnérabilité émotionnelle » est défini au chapitre deux.
42
Suractivation. La suractivation dans la réalisation d’activités agréables est ici considérée comme une
SRÉ non aidante. Elle consiste à se maintenir constamment en action pour éviter de sentir des
émotions douloureuses, de penser ou d’avoir à affronter la situation qui suscite ces émotions. Elle
peut prendre la forme d’un investissement excessif dans le travail, l’entrainement physique, les tâches
manuelles, les jeux vidéos, la sexualité, etc. Ce phénomène de suractivation a été observé dans deux
études qualitatives réalisées auprès d’hommes vivant une rupture amoureuse (Genest‐Dufault, 2013)
et une détresse psychologique en lien avec leur travail (P. Roy, 2014). Dans le premier cas, la
suractivation serait vue comme une façon de ventiler et de garder le contrôle sur ses émotions, ce
qui, dans cette thèse, est plutôt associé à la réalisation d’activités agréables qui peut connaitre des
périodes plus intenses. En prolongeant de façon inappropriée cette suractivation, l’état émotionnel et
la situation-problème se détériorent comme le constate P. Roy (2014).
Rumination. Ruminer amène à se centrer plutôt involontairement sur les pensées et les émotions
en lien avec un événement négatif. Les mêmes pensées sont remâchées sans cesse ce qui alimente les
émotions ressenties. Ce cycle répétitif est difficile à arrêter, car il fonctionne de façon automatique
s’activant sans effort volontaire (Garnefski, Teerds, Kraaij, Legerstee, et van den Kommer, 2004;
Lyubomirsky, Layous, Chancellor, et Nelson, 2015; Nolen-Hoeksema, Wisco, et Lyubomirsky,
2008). Certains auteurs distinguent la rumination de l’inquiétude (Nolen-Hoeksema et al., 2008), du
blâme personnel et des scénarios catastrophes (Garnefski et al., 2004). D’autres sont portés à les
assimiler sous l’item rumination qui prend alors un sens plus large (Skinner, Edge, Altman, et
Sherwood, 2003; Zimmermann et Iwanski, 2014). La rumination est positivement associée à la
suppression des émotions et négativement reliée à leur acceptation (Liverant, Kamholz, Sloan, et
Brown, 2010) ainsi qu’à la résolution de problème (Lyubomirsky et al., 2015). Les études montrent
que les femmes rumineraient plus fréquemment que les hommes et que, pour les deux sexes, la
rumination serait associée à la dépression, à l’anxiété, à la consommation abusive d’alcool et de
drogues ainsi qu’aux problèmes alimentaires (Garnefski et Kraaij, 2006a; Garnefski et al., 2004;
Johnson et Whisman, 2013; Jose et Brown, 2008; Lyubomirsky et al., 2015; R. C. Martin et Dahlen,
2005; Nolen-Hoeksema et Aldao, 2011; Tamres et al., 2002; Zimmermann et Iwanski, 2014; Zlomke
et Hahn, 2010). Toutefois, certaines études associent davantage la rumination à la dépression chez
les femmes (Jose et Brown, 2008; Lyubomirsky et al., 2015) alors que d’autres évaluent ce lien plus
43
fort chez les hommes (Öngen, 2010; Wicker, 2011). Öngen (2010) a recueilli les données de son
étude en Turquie où elle estime que la rumination est perçue positivement chez les femmes et
négativement chez les hommes.
Évitement. Éviter consiste à tenter, par des actions ou des pensées, d’esquiver les situations et les
idées stressantes (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Ce faisant, l’évitement permet de
réduire l’exposition aux situations et aux idées qui suscitent des émotions négatives. Par contre, cette
stratégie ne permet pas d’apprendre à faire face à ces situations et à ces idées. L’évitement de
certaines situations (danger, impasse, émotions incontrôlables, etc.) est reconnu comme favorable à
l’adaptation. C’est plutôt le recours chronique à l’évitement qui est associé à une difficulté
d’adaptation et à différents problèmes de santé mentale (Aldao, Jazaieri, Goldin, et Gross, 2014;
Aldao et al., 2010; Dempster et al., 2015; Nolen-Hoeksema, 2012; Phaf et al., 2014). Les hommes
semblent recourir davantage à l’évitement que les femmes (Zimmermann et Iwanski, 2014).
Toutefois, lorsque les femmes évaluent plus négativement le stresseur, elles utiliseraient tout autant,
voire davantage l’évitement (Nolen-Hoeksema, 2012).
Isolement. L’isolement est le fait d’éviter les activités sociales, les personnes en général ou, à défaut,
de parler de ses problèmes (Tamres et al., 2002). Le but de cette SRÉ est de réduire le risque d’être
confronté à des situations sociales pouvant susciter des émotions négatives. Par exemple, rencontrer
ses proches seul après une rupture amoureuse risque de soulever des questions qu’on peut vouloir
éviter. L’isolement peut être choisi ou imposé et, selon le cas, n’a pas les mêmes conséquences
(Genest‐Dufault, 2013). Les hommes seraient davantage isolés que les femmes en général (Caron et
Guay, 2005; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron, et Lapointe-Goupil, 2005). Lorsqu’ils ont des
problèmes, ils seraient moins portés à en parler à leur entourage ou à consulter un professionnel de
la santé (J. Roy et al., 2014; Tremblay et Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017; Vogel et Heath, 2016;
Vogel, Wester, Hammer, et Downing-Matibag, 2014). Des études indiquent que l’isolement serait
une stratégie souvent utilisée par les hommes plus marqués par la masculinité orthodoxe ou
hégémonique lorsqu’ils vivent des difficultés. Loin de les aider, cette stratégie les rendrait plus à
risque de détresse et de tentatives de suicide (Genest‐Dufault, 2013; Houle, Mishara, et Chagnon,
2005; Oliffe, Ogrodniczuk, Bottorff, Johnson, et Hoyak, 2010; P. Roy, 2014).
44
1.7.2.2 Les SRÉ aidantes
Conscience des émotions. La conscience des émotions est définie comme l’habileté à reconnaitre et
catégoriser les stimuli émotionnels (Lane et al., 1996; Lane, Quinlan, Schwartz, Walker, et Zeitlin,
1990). Il importe de la distinguer de la centration sur les émotions qui consiste à fixer son attention
sur les stimuli émotionnels associés à une situation (J. J. Gross et Thompson, 2007). Si la conscience
des émotions implique un certain degré d’attention aux stimuli émotionnels, l’inverse est moins vrai :
se centrer sur les stimuli émotionnels ne permet pas automatiquement de les distinguer et de les
catégoriser. Sur le plan empirique, on sait que la conscience des émotions favorise la RÉ et la santé
mentale (Gratz et Tull, 2010; J. C. Watson et al., 2011) alors que la faible conscience des émotions
procure l’effet inverse (Barchard, Bajgar, Leaf, et Lane, 2010; Lumley et al., 2011; Wicker, 2011).
Quant à la centration sur les émotions, elle aurait des effets négatifs sur la RÉ et la santé mentale. La
distraction serait en ce cas une meilleure avenue pour réguler les émotions (Webb et al., 2012). Ces
auteurs expliquent que la centration fait accroitre l’expérience émotionnelle, car les individus tendent
alors à revivre cette expérience sans savoir comment la gérer. On peut estimer que la centration sur
les émotions partage avec la rumination une répétition sans issue de l’expérience émotionnelle. À la
différence, la conscience des émotions serait bénéfique lorsqu’elle offre une issue à l’expérience
émotionnelle en permettant de la nommer et de la canaliser grâce à d’autres SRÉ (Berking et al.,
2008; J. C. Watson et al., 2011). En ce cas, la conscience et l’acceptation des émotions pourraient
constituer une première étape dans le processus de RÉ (Garneau et Larivey, 1979; Greenberg, 2004).
Or, il ne semble pas que cette étape soit obligatoire, car les enfants expriment et régulent des
émotions sans en avoir conscience ni être en mesure de les nommer (Izard, 2009), ce qui est aussi
vrai pour les adultes (Bargh et Williams, 2007; Gyurak, Gross, et Etkin, 2011; Hopp, Troy, et Mauss,
2011). De façon générale, les femmes seraient davantage conscientes de leurs émotions que les
hommes en raison d’une socialisation distincte (Nolen-Hoeksema, 2012). Les hommes moins
marqués ou se distanciant de la masculinité orthodoxe auraient également plus de facilité à
reconnaitre et nommer leurs émotions que ceux qui s’y rattachent davantage (Cohn, Jakupcak,
Seibert, Hildebrandt, et Zeichner, 2010; O'Neil, 2008).
Acceptation des émotions. La littérature scientifique distingue l’acceptation des émotions de
l’acceptation de la situation. La première concerne l’accueil de l’expérience émotionnelle sans
jugement (Greenberg, 2004; Linehan et al., 2007) alors que la seconde a trait au fait d’accepter une
45
situation telle qu’elle s’est produite (Garnefski et Kraaij, 2006b). Dans les deux cas, il ne s’agit pas
d’une résignation passive, mais d’une acceptation de la réalité et de l’obligation de composer avec
celle-ci. Selon certaines théories (Garnefski et Kraaij, 2006a; Greenberg, 2004; Linehan et al., 2007),
l’acceptation favorise la RÉ et l’adaptation aux situations. Or, les études sur cette question incitent à
plus de nuances. L’acceptation seule a un effet positif, mais faible (Aldao et al., 2010) ou moyen
(Liverant et al., 2010) sur la santé mentale. La méta-analyse de Shin et al. (2014) montre plutôt un lien
positif entre l’acceptation et le burnout. Ces auteurs expliquent que ces résultats qui varient selon les
études sont liés à l’utilisation de différents questionnaires qui ne conçoivent pas de la même façon
l’acceptation. L’étude de (R. C. Martin et Dahlen, 2005) suggère que l’acceptation aiderait à réguler la
colère, mais pas la déprime ni le stress. Inversement, la non acceptation des émotions est associée à
une plus forte occurrence de dépression chez les deux sexes (Flynn et al., 2009). L’acceptation a un
effet plus positif lorsqu’elle conduit à la réinterprétation (J. C. Watson et al., 2011; Wolgast, Lundh, et
Viborg, 2011), à la modification consciente des émotions négatives (Berking et al., 2008; J. C. Watson
et al., 2011) ou lorsqu’elle est accompagnée de la réévaluation positive9 (Zlomke et Hahn, 2010). On
peut penser que ces résultats reflètent l’idée selon laquelle l’acceptation passive a un effet quasi nul
sur la RÉ alors que l’acceptation suivie d’actions visant à ventiler les émotions et à résoudre les
situations est bénéfique (Greenberg, 2004). Les femmes accepteraient davantage leurs émotions et la
situation vécue (Garnefski et Kraaij, 2006b; Nolen-Hoeksema, 2012; Zlomke et Hahn, 2010) alors
que les hommes les réprimeraient davantage (J. J. Gross et John, 2003), particulièrement les hommes
qui ont un conflit de rôle de genre élevé (O'Neil, 2008).
Expression positive des émotions. L’expression positive des émotions est ici définie comme
l’utilisation de comportements (expression faciale et corporelle, expression verbale, écriture, etc.)
ayant pour but de ventiler des émotions de façon à s’en libérer. Bien que plusieurs approches
cliniques prônent l’expression des émotions, les études sur cette question présentent des résultats
contradictoires. La conceptualisation de l’expression émotionnelle est ici en cause, car celle-ci peut
être très différente d’une étude à l’autre (Stanton, Kirk, Cameron, et Danoff-Burg, 2000). Par
exemple, il a été montré que l’expression des émotions par l’écriture favorise une meilleure santé
mentale (Smyth, 1998). L’expression verbale des émotions dans un contexte social favorable (parler
à un confident qui manifeste de l’empathie, par exemple) favorise l’adaptation autant pour les deux
9 Cette stratégie est incluse dans la SRÉ « centration sur le positif ».
46
sexes. Par contre, le fait de surutiliser la verbalisation des émotions ne procure pas de bénéfices, car
cela s’apparente alors à la rumination (Stanton et al., 2000). Il faut aussi voir que l’expression
émotionnelle doit être adaptée à la situation (J. J. Gross et Thompson, 2007). Pour sa part, J. C.
Watson (2011) estime que l’expression des émotions est bénéfique à certaines conditions telles d’y
être connectées, de les vivre dans le présent, de ne pas les bloquer, de les assumer pleinement, etc. À
ces conditions, l’expression positive des émotions favoriserait le processus émotionnel et
l’adaptation selon cette auteure.
Les différences entre les garçons et les filles dans l’expression des émotions sont modestes si on se
fie à la méta-analyse de Chaplin et Aldao (2013). Les auteures remarquent tout de même que les filles
contiennent davantage leurs émotions négatives en contexte social ce qui favorisait le maintien d’un
climat relationnel, mais favoriserait la suppression expressive des émotions. Cela pourrait expliquer
la plus grande présence de symptômes dépressifs et anxieux chez celles-ci. Inversement, le fait que
les garçons exprimeraient davantage la colère en situation sociale aurait un effet protecteur par
rapport à la dépression et l’anxiété (développent une meilleure confiance en soi), mais les rendrait
plus à risque de troubles comportementaux.
Besoins (s’occuper de ses…). Selon Linehan et al. (2007), le degré de satisfaction des besoins
influence la vulnérabilité émotionnelle. Cela signifie que moins les besoins sont satisfaits, plus
l’individu est émotionnellement sensible (seuil d’activation bas), réactif (intensité élevée) et l’état
émotionnel tend alors à se prolonger. Pour réduire cette vulnérabilité, ces auteurs conseillent d’opter
pour une bonne hygiène de vie (une saine alimentation, un bon sommeil, de l’exercice physique,
etc.). Cela implique la capacité de ressentir, comprendre et agir pour satisfaire les besoins émergeant.
Or, il appert que les individus ressentent souvent un conflit entre la satisfaction de leurs besoins et
l’atteinte de leurs buts. Lorsque l’atteinte des buts est privilégiée, les besoins sont négligés. Les
personnes émotivement bouleversées tendent aussi à négliger leurs besoins (Koole, 2009).
Temps d’arrêt. Le temps d’arrêt est une SRÉ qui consiste à se retirer d’une situation qui suscite des
émotions négatives intenses afin de prévenir une réaction qui pourrait faire dégénérer la situation ou
l’état émotionnel. En se retirant, l’objectif est de diminuer l’exposition au stimulus qui contribue à
l’augmentation de l’intensité émotionnelle. Le temps d’arrêt est habituellement complété par des
activités agréables, l’expression positive des émotions, la réinterprétation et la résolution de
47
problème. Les deux premières SRÉ visent à ventiler les émotions pour faire baisser la tension interne
alors que les deux dernières cherchent une solution à la situation qui a suscité cette réaction
émotionnelle. Une étude qualitative menée auprès d’hommes ayant des comportements conjugaux
violents expose comment le temps d’arrêt est une stratégie proactive qui facilite la prévention et
l’arrêt de ces comportements. Au cours de leur processus de changement, ces hommes en viennent à
préférer prendre un temps d’arrêt plutôt que de s’exprimer sur le coup d’une émotion forte. Ils ont
alors plus de temps pour comprendre les émotions qu’ils ressentent et les gérer (P. Turcotte, 2002).
Activités agréables. La réalisation d’activités agréables (sport, loisirs, passe-temps, etc.), seule ou
accompagnée, vise à générer des émotions positives malgré la présence d’une situation-problème. Il
s’agit d’une façon de prendre un recul et de se ressourcer. Pour Linehan et al. (2007), il importe
d’augmenter les activités agréables et de réduire celles pouvant être désagréables afin de diminuer la
vulnérabilité émotionnelle. Cela rend la personne moins réactive en situation potentiellement
émotionnelle, capable de mieux absorber un choc et de mieux y réagir. Une étude clinique (Levesque
et al., 2011) a montré que la pratique régulière d’activités agréables contribue à la diminution des
symptômes dépressifs ainsi qu’à la progression du processus de changement mesuré en fonction du
MTT de Prochaska et DiClemente (1983). Dans la même veine, une autre étude révèle qu’il est
possible et bénéfique de modifier positivement l’évaluation des activités quotidiennes chez les
personnes déprimées par une intervention cognitive brève. En d’autres mots, ce qui est considéré
comme une activité agréable dépend aussi de l’évaluation qui en est faite (Geschwind, Peeters,
Drukker, van Os, et Wichers, 2011). Par ailleurs, les hommes semblent préférer un soutien social
informel qui s’inscrit dans des activités sociales axées sur le loisir et le sport à un soutien émotionnel
passant par la verbalisation des émotions. Les activités agréables sont ainsi un cadre favorable au
soutien social chez les hommes (Nolen-Hoeksema, 2012).
Distraction. La distraction est une stratégie qui consiste à déplacer l’attention vers un aspect de la
situation ou une autre situation afin de diminuer l’intensité des émotions négatives voir de susciter
un état émotionnel neutre ou positif (J. J. Gross et Thompson, 2007). Certaines études montrent
qu’il s’agit d’une stratégie qui aide à réguler les émotions (Webb et al., 2012). Plus précisément, la
distraction aide à bloquer la rumination notamment lorsque le stresseur est intense (Hilt et Pollak,
2012; Sheppes et Gross, 2011). Les femmes recourraient davantage à la distraction que les hommes
(Nolen-Hoeksema, 2012).
48
Centration sur le positif. Se centrer sur le positif est une stratégie cognitive qui consiste à penser à
des expériences positives plutôt qu’au problème ou encore à mettre l’accent sur les aspects positifs
de la situation (réévaluation positive). Même si Garnefski et Kraaij (2006b) mesurent ces deux SRÉ
séparément, nous les avons ici regroupés étant donné leur proximité de sens. Les études montrent
que le fait de se centrer sur le positif est associé à moins de symptômes dépressifs et anxieux (Aldao
et al., 2010; Wicker, 2011). Les femmes utiliseraient un peu plus que les hommes la réévaluation
positive (Garnefski et Kraaij, 2006a; Garnefski et al., 2004; R. C. Martin et Dahlen, 2005), ce qui
serait toutefois relatif à l’évaluation du stresseur (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002).
Réinterprétation. La réinterprétation est une stratégie cognitive consistant à modifier la
signification d’une situation stressante de façon à ce qu’elle soit moins néfaste émotionnellement
(Tobin, Holroyd, Reynolds, et Wigal, 1989). La réinterprétation peut prendre place avant ou après le
climax émotionnel. Certains questionnaires évaluent la réinterprétation qui précède la montée de
l’intensité émotionnelle (J. J. Gross et John, 2003) alors que d’autres mesurent indistinctement les
deux (Tobin et al., 1989). Dans ce dernier cas, la réinterprétation implique de prendre un recul par
rapport à l’émotion pour comprendre la situation et sa réaction à celle-ci (Linehan, 1993). Les études
ayant utilisé ces deux types de questionnaires montrent que la réinterprétation favorise la régulation
des émotions et la santé mentale (Aldao et al., 2010; Kato, 2015; Shin et al., 2014). Elle apparait être
une stratégie plus efficace à réguler la colère que l’acceptation ou la suppression expressive (Szasz,
Szentagotai, et Hofmann, 2011). Certains auteurs pensent que la réinterprétation est un précurseur
de la résolution de problème et serait donc à même d’activer le processus de rétablissement de l’état
dépressif (Arditte et Joormann, 2011). L’étude clinique de (Gordon, 2007) abonde dans le même
sens et montre que la réinterprétation favorise le progrès chez les personnes qui consultent. À la
différence, la métasynthèse effectuée par Silverman (2013) conclut que les interventions sur les
cognitions sont peu efficaces lorsque les ressources cognitives sont surchargées d’émotions. En ce
cas, une baisse de l’intensité émotionnelle serait préalable à l’augmentation de la capacité de
réinterpréter un vécu. Il semble aussi que l’utilisation de la réinterprétation doit être régulière pour
engendrer des bénéfices sur le plan de la santé mentale (Hopp et al., 2011). Les femmes seraient un
peu plus portées à employer la réinterprétation que les hommes (Nolen-Hoeksema et Aldao, 2011;
Zlomke et Hahn, 2010), ce qui les mènerait davantage vers la résolution de problème et le soutien
49
social (Delelis, Christophe, Berjot, et Desombre, 2011). Chez les hommes, la situation serait vécue
plus stressante s’ils ont l’impression de ne pas avoir les ressources pour y faire face alors que chez les
femmes c’est plutôt le fait de percevoir une menace qui génèrerait ce stress (S. B. Watson, Goh, et
Sawang, 2011). Les auteurs estiment que les hommes ont besoin de se sentir en contrôle de la
situation, ce qui dépend de leur interprétation de celle-ci.
Résolution de problème. La résolution de problème est une stratégie qui consiste à composer avec
une situation de façon à moduler l’état émotionnel dans le sens désiré. Cette SRÉ n’implique pas
nécessairement de résoudre un problème dont certains sont de toute façon impossibles à résoudre
(décès d’un proche, maladie chronique, rupture amoureuse, etc.). Dans ces cas-là, il s’agit plutôt de
composer avec les conséquences des pertes (T. L. Martin et Doka, 2000). Parmi les problèmes qu’il
est possible de résoudre, plusieurs ne peuvent se régler dans l’immédiat et demandent du temps ainsi
que des efforts soutenus (Gambrill, 2006). De plus, il n’est pas nécessaire de régler un problème
pour mieux se sentir. Il suffit parfois de modifier un aspect de la situation seulement (J. J. Gross,
2015a, 2015b). Enfin, les tentatives de résolution du problème peuvent être efficaces, mais aussi
inefficaces et aggraver la situation-problème (Linehan, 1993). Bref, à condition d’employer des
moyens efficaces, certains problèmes peuvent être résolus (le problème n’existe plus) alors que
d’autres ne peuvent qu’être en partie modifiés ou uniquement gérés (ils n’affectent alors plus ou
significativement moins la personne).
Quant à savoir quel(s) élément(s) de la situation doit(vent) être modifié(s) pour que l’état émotionnel
s’améliore, la réponse pourrait bien être unique à chacun. En ce qui concerne les actions devant être
posées pour modifier une situation et l’état émotionnel, la réponse est la même si bien que la
solution est souvent trouvée à la suite d’essais et d’erreurs. Dans cette perspective, la résolution de
problème est conçue comme un processus visant à trouver les actions permettant de modifier une
situation dans le sens souhaité ou à s’y adapter. Ce processus se décline en différentes étapes :
comprendre le problème, identifier des solutions, décider d’un plan d’action, expérimenter le plan
d’action, évaluer les résultats et réessayer en ajustant (Gambrill, 2006; Linehan, 1993).
Lorsque la résolution de problème est mesurée en lien avec un problème qui peut être résolu, les
résultats montrent une efficacité moyenne de cette SRÉ à réduire les symptômes dépressifs et
anxieux (Aldao et al., 2010). L’amélioration des habiletés de résolution de problème consécutive à
50
une consultation est associée à une réduction des symptômes dépressifs et anxieux (Bell et D'Zurilla,
2009; Cuijpers, van Straten, et Warmerdam, 2007; Fehlinger, Stumpenhorst, Stenzel, et Rief, 2013;
Malouff, Thorsteinsson, et Schutte, 2007). Les femmes utiliseraient davantage cette SRÉ, ce qui
serait surtout vrai lorsqu’elles évaluent plus stressante la situation (Nolen-Hoeksema, 2012; Nolen-
Hoeksema et Aldao, 2011).
Chez les hommes, la planification serait associée à un faible niveau d’anxiété, de stress et
d’inquiétude. Les auteurs estiment que la résolution de problème, dans laquelle est incluse la
planification, est particulièrement efficace chez les hommes pour réguler les émotions (Zlomke et
Hahn, 2010). La résolution de problème est négativement reliée à la détresse psychologique, mais ce
lien serait modulé par le genre. Dans leur étude menée auprès de 126 hommes itinérants, Nguyen et
al. (2012) ont trouvé que plus le conflit de rôle de genre est élevé, moins les stratégies de résolution
de problème sont efficaces et plus l’attitude envers la demande d’aide est négative. Les auteurs
estiment que ces hommes préfèrent se débrouiller seuls, comme si c’était là le seul moyen qu’il leur
reste pour se valoriser comme homme (ou préserver un minimum de fierté) après la perte de leur
emploi, de leurs biens, de leur famille ou leurs amis. L’étude qualitative d’Oliffe et al. (2010) donne
du crédit à cette thèse. Les 38 hommes qu’ils ont interviewés souffraient de dépression. Ceux qui ont
amélioré leur état de santé n’ont pas hésité à recourir à la résolution de problème, car ils ne la
percevaient pas en contradiction avec leurs croyances à propos de ce qu’un homme doit faire. Sur
une note discordante, l’étude de G. E. Good, Heppner, DeBord, et Fischer (2004) a plutôt trouvé
que la perception négative de la capacité à résoudre les problèmes est liée à la détresse
psychologique, mais pas au conflit de rôle de genre. Les auteurs de cette étude croient que la
restriction émotionnelle peut être vécue de façon positive chez certains hommes ayant le sentiment
de préserver ainsi le contrôle de soi et de la situation. Il faut voir aussi que leur échantillon composé
d’étudiants peut expliquer que leurs résultats ne concordent pas avec ceux des autres études
abordées dans ce paragraphe sur les liens entre le conflit de rôle de genre et la détresse
psychologique.
Soutien social. Selon les synthèses effectuées par Beauregard et Dumont (1996) ainsi que par Caron
et Guay (2005), le soutien social réfère à trois éléments dans les écrits scientifiques, soit au réseau
social, à l’aide reçu et à l’appréciation subjective du soutien. Qui plus est, différentes formes de
soutien social sont distinguées tels le soutien émotionnel, le soutien instrumental (ou concret), le
51
soutien informationnel (donner des conseils) et l’accompagnement social (activités et loisirs). Le
soutien social constitue un des prédicteurs les plus puissants de la détresse psychologique et du bien-
être (Caron et Guay, 2005). Des études montrent que les femmes utiliseraient davantage le soutien
social que les hommes et que cela leur serait bénéfique (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002;
Zimmermann et Iwanski, 2014). Lorsqu’on examine plus en profondeur les résultats, le soutien
social émotionnel serait davantage utilisé par les femmes alors que les hommes emploieraient
davantage un soutien social informel (ou accompagnement social) qui s’inscrit dans des activités
sociales axées sur le loisir et le sport (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Cependant, les
femmes qui recourent à la suppression de l’expression émotionnelle auraient tendance à éviter leurs
problèmes et le soutien social instrumental (Delelis et al., 2011). Lorsqu’on compare les hommes
entre eux, ceux qui recourent ou perçoivent un soutien disponible dans leur entourage auraient
l’impression de mieux s’en sortir en situation de deuil amoureux (Genest‐Dufault, 2013) ou de
détresse psychologique (G. E. Good et al., 2004; P. Roy, 2014). Ce dernier auteur note un paradoxe :
certains témoignages soulignent une réserve à demander de l’aide ce qui, dans les faits, est contredit
par différentes activités de soutien social. On peut penser que ces hommes ne sont pas à l’aise à
dévoiler le fait qu’ils ont besoin des autres, ou encore qu’ils ne perçoivent pas ces activités comme
une forme de soutien social.
1.7.2.3 Synthèse des SRÉ utilisées par les hommes et les femmes
Considérant l’ensemble des études recensées qui comparent les hommes et les femmes à propos des
SRÉ (voir Tableau 4), quatre constats émergent. Premier constat, l’utilisation de SRÉ inadaptées
(rumination, consommation d’alcool, suppression expressive, etc.) accentue les problèmes de santé
(dépression, anxiété, etc.) peu importe le sexe ou l’âge. À l’inverse, l’utilisation de SRÉ adaptées
(réinterprétation, résolution de problème, soutien social, etc.) favorise la santé mentale et le bien-être
sans égard au sexe et à l’âge (Aldao et al., 2010; Kato, 2015; Nolen-Hoeksema, 2012; Nolen-
Hoeksema et Aldao, 2011; Shin et al., 2014; Tamres et al., 2002).
Deuxième constat, lorsqu’on considère la fréquence d’utilisation des SRÉ, de manière générale, les
hommes et les femmes se ressemblent davantage qu’ils ne diffèrent. De plus, lorsque des différences
sont trouvées, elles sont généralement minimes (r inférieur à .15) et parfois modérées (r = .15 à .35),
même lorsqu’on tient compte du stresseur et de son évaluation subjective (R. C. Martin et Dahlen,
2005; Nolen-Hoeksema et Aldao, 2011; Tamres et al., 2002; Zlomke et Hahn, 2010). Ce constat va
52
dans le même sens que les études qui explorent les différentes entre les hommes et les femmes en
général (Hyde, 2014).
Troisième constat, considérant le Tableau 4, de manière générale, les femmes utilisent davantage
l’acceptation, la réinterprétation, la rumination, la centration sur le positif et le soutien social alors
que les hommes recourent en plus grand nombre à la consommation d’alcool, l’expression négative
des émotions, l’isolement et la suppression expressive des émotions. Les résultats divergent en ce qui
concerne l’utilisation de l’évitement, de l’expression positive des émotions et de la résolution de
problème. De plus, certaines nuances doivent être apportées par rapport à l’utilisation du soutien
social et de la suppression expressive des émotions. Les données sur la résolution de problème sont
contradictoires quant à l’efficacité (Zlomke et Hahn, 2010) et à la fréquence d’utilisation de cette
stratégie ce qui suppose une évaluation différente du stresseur et du contexte social selon le sexe
(Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Le soutien social émotionnel serait, de manière
générale, davantage utilisé par les femmes alors que les hommes préfèreraient généralement un
soutien social informel qui s’inscrit dans des activités sociales axées sur le loisir et le sport (Nolen-
Hoeksema, 2012). Quant à la suppression expressive des émotions, certaines études ont trouvé que
les hommes recourent davantage à la suppression de la tristesse, mais moins de la colère (J. J. Gross
et John, 2003) ou encore de la peur et de la surprise (Brody et Hall, 2010). Toutefois, la synthèse de
Nolen-Hoeksema (2012) n’observe pas de différence significative entre les sexes à propos de la
suppression expressive des émotions. Cette dernière auteure, ainsi que d’autres (Brody et Hall, 2010;
Chaplin et Aldao, 2013), considèrent que la désirabilité sociale contamine les réponses dans les
questionnaires auto-administrés, les individus répondant en fonction des attentes sociales propres à
leur sexe. Lorsqu’on recourt à des observateurs-participants plutôt qu’à des questionnaires auto-
administrés, on obtient des résultats montrant que, de manière générale, les hommes et les femmes
se ressemblent dans leur façon de réguler leurs émotions (Chaplin et Aldao, 2013). Le type de
stresseur jouerait également un rôle. Les hommes recourraient davantage que les femmes à
l’expression émotionnelle lorsque le stresseur est relationnel ou lié à un but (ex. : objectif de
carrière). L’expression d’émotions serait plus utilisée par les femmes lorsqu’elles vivent un problème
de santé ou que celui-ci est vécu par un proche (ex. : enfant malade) (Tamres et al., 2002). La
méthodologie de recherche est aussi en cause. Par exemple, le contexte et le type de matériel utilisé
pour susciter des émotions en laboratoire montrent que les hommes et les femmes tendent à y
répondre en fonction des attentes sociales de genre qu’ils ou qu’elles perçoivent (Lench et al., 2011).
53
Quatrième constat, les différences trouvées sont sensibles au contexte culturel de deux façons.
Première façon, la socialisation selon le sexe influence l’évaluation du stresseur, l’apprentissage des
SRÉ et l’activation des SRÉ selon la situation (contexte social ou privé, le type d’activité, etc.)
(Nolen-Hoeksema, 2012; S. B. Watson et al., 2011). Deuxième façon, d’une culture à l’autre, les SRÉ
utilisées par un sexe et leur efficacité peuvent diverger considérablement (Jose et Brown, 2008;
Levant, Cuthbert, et al., 2003; Öngen, 2010; Wanless et al., 2013). L’âge est également un facteur à
tenir compte (Jose et Brown, 2008; Nolen-Hoeksema et Aldao, 2011; Zimmermann et Iwanski,
2014).
La théorie de la socialisation différenciée selon le genre (Eckes et Trautner, 2000; Fagot, Rodgers, et
Leinbach, 2000, cité dans Addis & Cohane, 2005) reçoit un appui partiel. Cette théorie affirme que
les hommes et les femmes sont socialisés à réguler leurs émotions différemment (Brody et Hall,
2010). Cependant, les différences trouvées étant peu nombreuses, relatives à certains contextes et
souvent modestes, cela implique que, malgré que les hommes et les femmes apprennent et sont
incités toute leur vie à adopter des comportements selon leurs rôles de genre, plusieurs individus ne
se conformeraient pas à ces attentes (Pleck, 1995; Pollack, 2005). Ils transgresseraient fréquemment
les normes de genre faisant en sorte que bon nombre d’hommes et de femmes se ressembleraient
dans leur façon de réguler leurs émotions. Cette façon de réguler les émotions rejoint ainsi l’idée de
Connell et Messerschmidt (2005) voulant que le genre soit une pratique variable selon les situations
que les individus ne reproduisent pas toujours de façon automatique. Le genre pourrait être pratiqué
de façon stratégique dans le but d’obtenir des avantages dans certaines situations (Connell, 1987).
D’autres auteurs ayant examiné les différences entre les hommes et les femmes dans la façon de
ressentir et d’exprimer les émotions arrivent à des conclusions semblables (Brody et Hall, 2010;
McLean et Anderson, 2009; Simon, 2014; Wester et al., 2016), tout comme les études qui portent sur
les différences de sexe en général (Hyde, 2014).
Les études examinées ont plusieurs limites similaires. Généralement, les femmes sont souvent
surreprésentées dans les échantillons. Ces derniers sont régulièrement composés d’étudiants
universitaires et sont donc peu représentatifs de la population générale. Les études sont presque
toutes effectuées par des questionnaires, ce qui ne fournit que le point de vue du répondant. Elles
sont pour la sont transversales, ce qui ne permet pas de comparer les individus par rapport à eux-
54
mêmes. Les auteurs indiquent souvent la nécessité d’effectuer des études longitudinales pour vérifier
quelles sont les stratégies de régulation des émotions utilisées selon l’âge des individus et leur
évolution dans le temps (Webb et al., 2012). Une autre limite est que la plupart des recherches
portent sur des stratégies cognitives et peu sur des stratégies comportementales. Les stratégies
inconscientes sont très peu étudiées peut-être parce qu’elles exigent des moyens plus sophistiqués
(études en laboratoire, observations sur le terrain, etc.) que les questionnaires auto-administrés
(Bargh et Williams, 2007). Enfin, les études sur les émotions et leur régulation ne considèrent pas, à
notre connaissance, des facteurs comme le revenu, le degré de scolarité, le statut marital, le statut
d’emploi, etc.
Tableau 4 : Synthèse des différences entre les hommes et les femmes dans l’utilisation des SRÉ
SRÉ Hommes Femmes Études
Acceptation des
émotions
+ utilisée Nolen-Hoeksema et Aldao
(2011)
+ utilisée Garnefski et Kraaij
(2006)
Alexithymie + élevée Levant et al. (2003,
2006)
O’Neil (2008)
+ élevée Bonnet et al. (2012)
Alexithymie de type I : la
fonction serait
d’empêcher les
cognitions via une
inhibition de l’intensité
émotionnelle
Alexithymie de type
II : l’interprétation
erronée des sensations
somatiques et ainsi à
une expérience des
émotions négatives
plus importante
Hauwel-Fantini et
Pedinielli (2008)
Centration sur le
positif
+ utilisée si contexte
perçu plus stressant
Nolen-Hoeksema (2011)
+ utilisée Tamres et al. (2002)
+ utilisée Garnefski et al. (2004)
55
SRÉ Hommes Femmes Études
Conduit + à
dépression si peu
utilisée
Wicker (2011)
+ utilisée Martin et Dahlen (2005)
Conscience des
émotions
- habiles à nommer les
émotions si déprimés
Wicker (2011)
Consommation
d’alcool et autres
substances
+ utilisée Nolen-Hoeksema (2011)
+ utilisé par les hommes
déprimés
Martin et al. (2013)
Distraction + utilisée Nolen-Hoeksema (2011)
Évitement + utilisée si contexte
perçu plus stressant
Nolen-Hoeksema (2011)
+ utilisé Zimmerman et Iwanski
(2014)
Expression négative
des émotions
+ blâmer les autres Zlomke et Hahn (2010)
Martin et Dahlen (2005)
Sous l’effet de l’alcool,
diminution de la capacité
à réinterpréter et
supprimer l’expression
émotionnelle
Sous l’effet de l’alcool,
diminution de la
capacité à réinterpréter
et supprimer
l’expression
émotionnelle
Stappenbeck et Fromme
(2014)
+ utilisé par les hommes
déprimés
Martin, Neighbors, et
Griffith (2013)
+ de comportements
délinquants si déprimés
Coster et Cornell-Zito
(2010)
Moon et al. (2009)
Comportements Cohn et al. (2010)
56
SRÉ Hommes Femmes Études
d’agression associés à la
non acceptation des
émotions, l’incapacité à
les tolérer et la
suppression expressive
Expression positive
des émotions
+ utilisée Simon (2014)
différences minimes différences minimes Chaplin (2015)
Chaplin et Aldao (2013)
Inaction + utilisée Zimmerman et Iwanski
(2014)
Isolement social Davantage isolés et
demandent moins d’aide
Caron et Guay (2005)
Tremblay et al. (2005;
2017)
Vogel et Heath (2016)
Réinterprétation + utilisée Nolen-Hoeksema et Aldao
(2011)
Mène + à résolution de
problème et soutien
social
Delelis et al. (2011)
+ utilisée (mise en
perspective)
Zlomke et Hahn (2010)
Plus stressant si
perception de ne pas
avoir les ressources pour
composer avec la
situation
Plus stressant si la
situation est perçue
comme menaçante
Watson et al. (2011)
Répression de
l’émotion
+ utilisée
(consommation d’alcool)
Nolen-Hoeksema (2011)
Résolution de + utilisée de façon + utilisée si contexte Nolen-Hoeksema (2011)
57
SRÉ Hommes Femmes Études
problème inconsciente perçu plus stressant
+ utilisée Nolen-Hoeksema et Aldao
(2011)
+ efficace (planification) Zlomke et Hahn (2010)
Rumination + utilisée Nolen-Hoeksema (2011)
+ utilisée Nolen-Hoeksema et Aldao
(2011)
Zimmerman et Iwanski
(2014)
+ utilisée Tamres et al. (2002)
+ utilisée Zlomke et Hahn (2010)
+ utilisée Garnefski et al. (2004)
+ utilisée Garnefski et Kraaij
(2006)
+ utilisée
Conduit + à
dépression
Jose et Brown (2008)
Lyubomirsky et al. (2015)
+ utilisée Martin et Dahlen (2005)
+ utilisée Johnson et Whisman
(2013)
Conduit + à dépression + utilisée Öngen (2010)
Conduit + à dépression Wicker (2011)
Soutien social Soutien social informel + utilisée
Soutien social
émotionnel
Nolen-Hoeksema (2011)
+ utilisée Tamres et al. (2002)
Zimmerman et Iwanski
(2014)
+ utilisée Simon (2014)
Suppression de + suppresseur Christophe et al. (2009)
58
SRÉ Hommes Femmes Études
l’expression
émotionnelle
Flynn et al. (2010)
Zimmerman et Iwanski
(2014)
+ suppresseur Simon (2014)
+ suppresseur de la peur
et de la surprise
+ suppresseur de la
colère, de l’hostilité et
du dégoût
Brody et Hall (2010)
+ suppresseur de la
tristesse, - de la colère
J. J. Gross et John (2003)
Mène à évitement du
problème
Delelis et al. (2011)
1.7.2.4 Synthèse des SRÉ utilisées selon le genre
Selon les études recensées, les hommes présentant un conflit de rôle de genre prononcé ou ceux qui
adhèrent fortement aux normes masculines orthodoxes se distinguent dans leur façon de réguler
leurs émotions par rapport aux hommes y adhérant faiblement. En somme, comparativement à ces
derniers, les premiers ont plus de difficulté à ressentir et nommer leurs émotions (Cohn et al., 2010;
Levant, Richmond, et al., 2003; O'Neil, 2008), tentent davantage de les contrôler (Milovchevich,
Howells, Drew, et Day, 2001), les perçoivent plus négativement et les expriment moins (Nguyen et
al., 2012; O'Neil, 2008; Wong et al., 2006), ils recourent davantage à l’évitement, à des stratégies
inefficaces de résolution de problème (Nguyen et al., 2012; O'Neil, 2008; Oliffe et al., 2010), à
l’isolement (Desgagnés, 2016; Houle et Guillou-Ouellette, 2012; Oliffe et al., 2010; P. Roy, 2014), à la
suppression expressive (O'Neil, 2008) et possiblement à l’alcool (Desgagnés, 2016; Genest‐Dufault,
2013; Oliffe et al., 2010). Les études indiquent donc un lien clair entre le CRG et la RÉ : plus le CRG
est élevé, plus ces hommes risquent d’éprouver des difficultés à réguler leurs émotions. Par contre,
ce lien demeure modéré, ce qui implique que certains hommes éprouvant un CRG élevé arrivent
tout de même à réguler efficacement leurs émotions. En d’autres mots, si la restriction de
l’expression émotionnelle augmente le risque de vivre une dépression ou un épisode de détresse,
plusieurs hommes ne vivent pas pour autant ces symptômes, le lien entre les deux n’étant pas causal
59
(O'Neil, 2008). Qui plus est, des résultats divergents suggèrent que la restriction émotionnelle
procure des bénéfices dans certains contextes dont les contours restent flous (G. E. Good et al.,
2004). Une hypothèse serait que ces hommes parviennent à trouver un compromis entre leurs
stratégies d’adaptation et le type de masculinité auquel ils cherchent à correspondre. Ils seraient
capables d’utiliser efficacement des SRÉ telles l’acceptation des émotions, la rationalisation, l’action,
la résolution de problème bien qu’ils les expriment peu et demandent peu d’aide (Genest‐Dufault,
2013; Oliffe et al., 2010; P. Roy, 2014). Certains de ces hommes adhérant davantage aux normes de la
masculinité orthodoxe (Anderson, 2005) arrivent également à générer des émotions positives en
s’occupant mieux de leurs besoins et en réalisant des activités agréables (Desgagnés, 2016; Genest‐
Dufault, 2013). Ainsi, malgré leurs différences, autant les hommes ayant des pratiques de genre dites
orthodoxes que ceux ayant celles les moins orthodoxes peuvent réguler plus ou moins efficacement
leurs émotions bien que ces derniers aient un avantage lié à l’accès à une plus grande diversité de
SRÉ.
1.8 RÉ, changements et consultation
Cette section examine le rôle de la RÉ et de différentes SRÉ dans le processus de changement et par
rapport à différents indicateurs de santé et de bien-être. Elle situe ensuite les paradigmes de la RÉ
par rapport à différentes modalités ou approches d’intervention. Les résultats de quelques études
établissant des liens entre la RÉ, la consultation et le changement sont présentés. Pour clore, les liens
entre les hommes, la consultation et les SRÉ sont abordés.
1.8.1 RÉ, santé, bien-être et fonctionnement social
Les études examinant les liens entre la RÉ et le changement ont majoritairement été réalisées dans
les perspectives cognitive et psychologique, le contexte social faisant la plupart du temps défaut
(Campos et al., 2011; Hoffmann et Spence, 2010). Du point de vue cognitif et psychologique, on
apprend que la RÉ facilite le changement lorsqu’elle est utilisée efficacement et nuit au changement
lorsqu’elle est employée inefficacement (J. J. Gross et al., 2007). On sait, par exemple, que la
rumination accentue les symptômes dépressifs et anxieux chez les deux sexes (Öngen, 2010; Wicker,
2011). De même, la restriction de l’expression émotionnelle chez les hommes est associée à la
dépression et à la détresse (O'Neil, 2008; Tremblay, Morin, Desbiens, et Bouchard, 2007). De façon
générale, la RÉ efficace est associée à une bonne santé mentale (Gratz et Tull, 2010; J. J. Gross et al.,
2007; Whelton, 2004) et physique (Dempster et al., 2015; J. J. Gross, 1998a). Plusieurs problèmes de
60
santé mentale tels la dépression (Wicker, 2011), l’anxiété (Christophe et al., 2009), le syndrome de
stress post-traumatique (Cloitre, Stovall-McClough, Miranda, et Chemtob, 2004; Reber et al., 2012;
Wallach, 2015), et divers troubles de personnalité (Kramer, Pascual-Leone, Rohde, et Sachse, 2016;
Linehan et al., 2007) sont associés à un déficit dans la capacité à réguler efficacement les émotions.
Deux méta-analyses (Aldao et al., 2010; Kato, 2015) confirment ces études en montrant des relations
de différentes intensités (faibles à fortes) entre certaines SRÉ (la rumination, l’évitement, la
résolution de problème, la suppression de l’expression émotionnelle, la réinterprétation et
l’acceptation) et certains problèmes de santé (dépression, anxiété, trouble alimentaire ou dépendance
à une substance). À l’inverse, l’apprentissage de SRÉ efficaces favorise le changement, en
l’occurrence le rétablissement des personnes souffrant d’un problème de santé mentale (ces études
sont abordées au point suivant). D’un autre point de vue, la possibilité de réguler les émotions par
des interactions avec d’autres personnes peut, à certaines conditions, être bénéfique. À ce titre, la
consultation d’un professionnel de la relation d’aide ou l’aide des proches facilitent la RÉ lorsqu’une
relation de confiance est créée et entretenue (Grecucci, Theuninck, Frederickson, et Job, 2015).
1.8.2 Quatre modèles d’intervention
Les modèles au sujet des émotions et de la RÉ envisagent de manière différente les moyens par
lesquels faciliter la RÉ. Dans le premier modèle, biologique, les moyens privilégiés pour réguler les
émotions visent des composantes physiologiques (certaines parties du cerveau, hormones, etc.) par
le biais d’une médication, une stimulation électrique, une chirurgie, etc. (J. J. Gross et al., 2007).
Dans le second modèle, cognitif, la RÉ s’effectue par la reprogrammation des schémas cognitifs
(pour le modèle biocognitif) ou par l’apprentissage d’un traitement de l’information plus élaboré
(pour le modèle psychocognitif) (Linehan et al., 2007). Pour le modèle psychologique, la RÉ passe
par la restructuration de l’organisation psychique (à l’aide d’une psychanalyse, par exemple)
(Greenberg, 2004). Enfin, pour le modèle social, la RÉ se développe par la modification des
relations avec autrui et des normes concernant la RÉ (Lively et Weed, 2014).
Il importe de noter que l’individu a un pouvoir variable sur la RÉ selon le modèle de référence. Dans
le modèle biologique, les émotions constituent un système d’autorégulation sur lequel l’individu a
peu de pouvoir. Pour le modèle psychocognitif, l’information est à double sens, les émotions
influençant les cognitions et vice versa. L’individu peut donc influencer ses émotions. Dans le
modèle psychologique, l’individu construit les mécanismes psychiques générant les émotions. En
61
prenant conscience de ses constructions, il peut les réaménager de façon à modifier l’état émotionnel
dans le sens désiré. Enfin, le modèle social ne s’intéresse pas à l’influence directe que l’individu a sur
ses émotions, mais à l’influence indirecte par l’intermédiaire des interactions sociales. Le pouvoir de
réguler les émotions appartient ainsi aux individus en interactions suivant, pour ce faire, plus ou
moins les normes sociales concernant la RÉ.
1.8.3 Études cliniques sur le rôle de la RÉ dans le processus de changement
Cette partie résume les résultats de 18 études cliniques (voir Tableau 5), de trois méta-analyses (Bell
et D'Zurilla, 2009; Cuijpers et al., 2007; Malouff et al., 2007) et une synthèse de quatre études
cliniques (Gratz et Tull, 2010). Parmi les 18 études cliniques repérées, cinq d’entre elles (Cloitre et al.,
2004; Reber et al., 2012; P. Turcotte, 2002; J. C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011) se
situent à mi-chemin entre le modèle psychologique et le modèle social, quatre autres (Fehlinger et al.,
2013; Gordon, 2007; Missirlian, 2012; Neacsiu, Rizvi, et Linehan, 2010) correspondent au modèle
psychologique alors que huit études (Aldao et al., 2014; Berking, Ebert, Cuijpers, et Hofmann, 2013;
Berking et al., 2011; Berking et al., 2008; Geschwind et al., 2011; Goldin et al., 2014; Wallach, 2015;
Watkins et al., 2011; Watkins et al., 2012) sont issues du modèle psychocognitif. Sur le plan
méthodologique, le Tableau 5 fait ressortir que, parmi les 18 études trouvées, neuf utilisent un
groupe de comparaison, dix ont un devis quantitatif, cinq un devis mixte et deux un devis qualitatif.
La majorité des participants à ces études sont des femmes, sauf pour quatre d’entre elles (Aldao et al.,
2014; Berking et al., 2011; Reber et al., 2012; P. Turcotte, 2002). L’anxiété, la dépression et le
syndrome de stress post-traumatique sont les trois principaux problèmes évalués. L’approche
cognitivo-behaviorale (CBT10+DBT11) est utilisée dans neuf études, l’EFT12 dans trois études et
différentes approches dans six études. Une synthèse de ces études sera à présent exposée.
De ces études ayant examiné les liens entre les SRÉ, la consultation et divers symptômes, trois
éléments émergent. Le premier élément est l’interaction entre la régulation des émotions et l’alliance
de travail. Ces deux variables sont interreliées, l’une pouvant faciliter ou nuire à l’autre ainsi qu’au
processus de changement (Cloitre et al., 2004; P. Turcotte, 2002; J. C. Watson et al., 2007; J. C.
Watson et al., 2011). Le deuxième élément indique que la consultation permet d’améliorer certaines
habiletés de RÉ, ce qui augmente l’efficacité de l’intervention à produire un changement. Plus 10 CBT = Cognitive Behavior Therapy 11 DBT = Dialectical Behavior Therapy 12 EFT = Emotional Focus Therapy
62
spécifiquement, la consultation favorise la conscience des émotions et leur acceptation (Berking et
al., 2013; Berking et al., 2008; Gratz et Tull, 2010; Missirlian, 2012; P. Turcotte, 2002; Wallach, 2015;
J. C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011), la tolérance aux émotions négatives (Berking et al.,
2013; Berking et al., 2011; Berking et al., 2008; P. Turcotte, 2002), leur expression positive (P.
Turcotte, 2002; J. C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011), la réinterprétation (Goldin et al.,
2014; Gordon, 2007; Missirlian, 2012; Reber et al., 2012; P. Turcotte, 2002; J. C. Watson et al., 2011),
la perception positive d’activités agréables (Geschwind et al., 2011) et la résolution de problème (Bell
et D'Zurilla, 2009; Cuijpers, van Straten, Andersson, et van Oppen, 2008; Malouff et al., 2007). La
consultation permet également de réduire l’évitement (Aldao et al., 2014), la rumination (Watkins et
al., 2011; Watkins et al., 2012), l’expression négative (P. Turcotte, 2002) et la suppression expressive
(Goldin et al., 2014; Gordon, 2007; Missirlian, 2012; Reber et al., 2012; J. C. Watson et al., 2011).
Enfin, le troisième élément a trait au rôle de la RÉ dans l’efficacité d’une consultation. Dans
l’ensemble, les études examinées montrent que l’aptitude à réguler efficacement les émotions
favorise la réduction des symptômes dépressifs, anxieux et ceux liés au syndrome de stress post-
traumatique. Elles donnent également un certain appui au modèle de J. J. Gross (2015a) qui estime
qu’une RÉ efficace dépend de la capacité à identifier les émotions (phase d’identification), à
sélectionner des SRÉ favorisant l’atteinte des buts (phase de sélection) et à les utiliser de manière
efficace (phase d’implantation).
Ces études ont certaines limites dont leur petit nombre, l’absence de groupe de comparaison pour
huit études, la sous-représentation des hommes et l’absence d’analyse des différences de sexe et de
genre. Seul Turcotte (2002) propose une réflexion sur le genre masculin et la façon de réguler les
émotions. Diverses critiques sont également formulées quant à l’efficacité de certaines SRÉ. Par
exemple, Silverman (2013) et Grecucci et al. (2015) estiment que les interventions sur les cognitions
sont peu efficaces lorsque les ressources cognitives sont surchargées d’émotions. En ce cas, une
baisse de l’intensité émotionnelle augmenterait la capacité de réinterpréter un vécu. Ainsi, la
réinterprétation serait efficace seulement lorsque l’intensité émotionnelle est faible (Grecucci et al.,
2015; Sheppes et Gross, 2011) ou qu’elle n’est pas contrée pas d’autres SRÉ comme l’évitement
(Aldao et al., 2014) ou la rumination (R. C. Martin et Dahlen, 2005; Watkins et al., 2011; Watkins et
al., 2012). D’un autre point de vue, la réinterprétation est un précurseur de la résolution de problème
et serait donc à même d’activer le processus de rétablissement de l’état dépressif (Arditte et
Joormann, 2011). Son efficacité dépendrait donc des autres SRÉ qui l’accompagnent. Qui plus est,
63
l’efficacité d’une SRÉ est fonction du contexte de son utilisation. En conséquence, l’utilisation
appropriée des SRÉ selon les situations est associée à moins de détresse (Bonanno, Papa, Lalande,
Westphal, et Coifman, 2004; Westen et Blagov, 2007). Tout compte fait, le rôle des SRÉ dans le
processus de changement reste méconnu. Si le rôle de certaines SRÉ parait de plus en plus clair
(comme l’effet négatif de la rumination), leurs interactions avec les autres SRÉ restent méconnues
ainsi que les impacts de ces interactions sur le processus de changement. On peut donc penser que le
fait de connaitre davantage les interactions entre les SRÉ permettra de mieux comprendre la
contribution des SRÉ au processus de changement.
Tableau 5 : Synthèse des études concernant les SRÉ, la consultation et les changements
Études Devis n = gr.
int.13
n = gr.
témoin
Sexes
Approches Diagnostic
ou
Problème
SRÉ
Aldao et
al., 2014
Qtt14 n = 71 n = ? H =
52%
CBT15
Liste d’attente
Anx.16 Évitement
Réinterprétation
Acceptation
Berking et
al., 2013
Qtt n = 237 n = 195 H =
18%
CBT
CBT+emotion
regulation
training
Dép. Acceptation et
modification des
émotions
négatives
Berking et
al., 2011
Qtt n =
116
s/o H =
84%
CBT Dépendance
à l’alcool
Anx.
Tolérance de
l’intensité des
émotions
négatives
Acceptation
13 Gr. int. = groupe d’intervention 14 Qtt = quantitatif; Qlt = qualitatif 15 CBT = Cognitivo-Behavioral Therapy; DBT = Dialectical Behavioral Therapy; EFT = Emotional Focus Therapy 16 Anx. = anxiété
64
Études Devis n = gr.
int.13
n = gr.
témoin
Sexes
Approches Diagnostic
ou
Problème
SRÉ
Berking et
al., 2008
Qtt n =
289
n =
246
H =
23%
CBT + ER
Éducation
Dép.17 50%
Trouble
d’adaptation
22%
Divers
Acceptation
Tolérance de
l’intensité des
émotions
Modification
consciente des
émotions
négatives
Conscience des
émotions et des
sensations
Cloitre et
al., 2004
Qtt n = 34 s/o F =
100%
CBT + ER
éduc.
SSPT18 Évaluation de la
perception de sa
capacité à
réguler les
émotions
négatives
Fehlinger
et al., 2013
Mixte n =
124
s/o H =
33%
Multidisci-
plinaire
Dép. Identification
Acceptation
Expression
Actions visant
l’atteinte des
buts
Geschwind
et al., 2011
Qtt n = 64 n = 66 H =
27%
Cognitive
Liste d’attente
Dép. Émotions + et –
Activités + et –
Perception + et
17 Dép. = dépression 18 SSPT = Syndrome de Stress Post-Traumatique
65
Études Devis n = gr.
int.13
n = gr.
témoin
Sexes
Approches Diagnostic
ou
Problème
SRÉ
– des activités
Goldin et
al. (2014)
Qtt n = 32 n = 32 s/o CBT
Liste d’attente
Anx. Réinterprétation
Suppression
expressive
Gordon
(2007)
Mixte n = 66 n = ? H =
33%
Cognitive
Expérientielle
Dép. Réinterprétation
Suppression
expressive
Missirlian
(2011)
Mixte n = 29 n = 28 H =
25%
CBT
EFT
Dép. Conscience des
émotions
Réinterprétation
Neacsiu et
al., 2010
Qtt n = 52 n = 56 F =
100%
DBT
4 différentes
approches
pour le groupe
de
comparaison
Tentatives
de suicide
Dép.
Présence
attentive
RÉ
Tolérance à la
détresse
Habiletés
interpersonnelles
Reber et
al. (2013)
Qtt n = 50 s/o H =
98%
CBT et autres SSPT Conscience
Acceptation
Réinterprétation
Suppression
expressive
Turcotte
(2002)
Qlt n = 40 s/o H =
100%
Non spécifiée Comport.
violents
Conscience
Acceptation
66
Études Devis n = gr.
int.13
n = gr.
témoin
Sexes
Approches Diagnostic
ou
Problème
SRÉ
envers la
conjointe
Expression
Réinterprétation
Wallach
(2015)
Mixte n = 80 s/o s/o CBT SSPT
Dépendance
à l’alcool
Conscience
Acceptation
Résolution de
problème
Watkins et
al. (2011a)
Qtt n = 21 n = 21 H =
43%
CBT Dép. Rumination
Watkins et
al. (2011b)
Qtt n =
121 (n
= 39 et
n = 40)
n = 42 H =
36%
Exercices de
relaxation
Exercices
guidés ciblant
les cognitions
Suivi médical
+ médication
Dép. Rumination
Watson et
al., 2007
Qlt n = 6 s/o s/o EFT Dép.
Évaluation du
processus et de
la qualité de la
RÉ
Watson et
al., 2010
Mixte n = 33 n = 33 H =
33%
EFT
CBT (gr.
témoin)
Dép.
Évaluation du
processus et de
la qualité de la
RÉ
67
1.8.4 Hommes, consultation, changement et RÉ
Les liens entre les hommes, la consultation et les SRÉ ont été abordés dans quelques études. Ces
études indiquent que les SRÉ jouent un rôle déterminant dans la dynamique de changement des
hommes qui consultent (Bizot, 2011; Dulac, 1997, 1999; Nahon et Lander, 2010; Ogrodniczuk,
Piper, Joyce, et McCallum, 2001; P. Turcotte, 2002). Selon ces auteurs, les hommes perçoivent
comme aidante la découverte et l’expression de leurs émotions. De plus, ils estiment que cela leur
permet de se libérer d’émotions négatives et des tensions associées. La diminution des émotions
négatives favoriserait leur adaptation, selon leurs témoignages (Bêty, 2012; Bizot, 2011; Genest‐
Dufault, 2013; Lindsay, Turcotte, Montminy, et Roy, 2006; P. Roy, 2014; P. Turcotte, 2002).
Par ailleurs, l’émergence des émotions serait possible dans un contexte où les hommes se sentent
respectés, en sécurité et soutenus (J. Roy et al., 2014). Le soutien émotionnel favorise le lien de
confiance des hommes qui consultent (Brooks, 2005; Cochran, 2006; Dulac, 1997, 1999; P. Turcotte,
2002). D’autres auteurs insistent sur l’importance de contrer la honte et d’accueillir le sentiment de
vulnérabilité. Le fait d’être vu et entendu dans leur vulnérabilité fortifierait l’alliance de travail et
encouragerait le client à explorer et à exprimer ses émotions (Keefler et Rondeau, 2002; Tremblay et
L'Heureux, 2010; P. Turcotte, 2002). Pour P. Turcotte (2002), cela amorce un processus de
« réhumanisation ». Selon cet auteur, même si la socialisation traditionnelle dans les pays occidentaux
n’encourage pas les hommes à sentir ni à exprimer leurs émotions, il est possible à tout moment de
reprendre contact avec cette partie de soi et de l’intégrer. Cochran (2006) encourage particulièrement
l’exploration de la tristesse avec les hommes pour les reconnecter avec leur expérience intérieure. Ce
dernier estime que la masculinité orthodoxe apprend aux hommes à se couper de la tristesse ce qui
bloque le processus d’adaptation aux pertes. En ce cas, la reconnexion avec la tristesse et sa
libération seraient salvatrices (Rabinowitz et Cochran, 2002). Si l’accent sur les émotions peut
déclencher un processus de transformation de certains aspects de l’identité masculine (Bizot, 2011;
P. Turcotte, 2002), cela ne semble pas requis pour que l’intervention soit efficace (Nahon et Lander,
2010). Les approches centrées sur les émotions pourraient donc mieux convenir aux hommes peu
familiers avec l’univers émotionnel (Bizot, 2011; Ogrodniczuk et al., 2001; Tremblay et L'Heureux,
2002; P. Turcotte, 2002). D’autres auteurs indiquent, au contraire, que bon nombre d’hommes
préfèrent des interventions mettant l’accent sur les solutions plutôt que sur l’expression des
émotions et des difficultés personnelles (Mishara et Houle, 2003; J. Roy et al., 2014). Or,
constamment réprimer ses émotions et tenter de régler seul ses problèmes limitent le soutien social
68
disponible (Houle, 2005) et la possibilité de diminuer les tensions internes (Greenberg, 2004; Kelley,
2004), ce qui peut conduire à des comportements violents et impulsifs (P. Turcotte, 2002), voire
suicidaires (Houle, 2005). Pour Brooks (2005), l’expression de la souffrance psychique et sa
reconnaissance par l’intervenant sont nécessaires au rétablissement du processus de croissance des
hommes ayant l’habitude de supprimer l’expression de leurs émotions, de les éviter ou de
consommer de l’alcool pour ne pas les sentir. Enfin, d’autres insistent sur l’importance du travail sur
les émotions avec les hommes marqués par la masculinité orthodoxe ou hégémonique, mais que la
manière pour le faire diffère d’avec les femmes (Brooks, 1998, 2005 ; Tremblay & L’Heureux, 2002,
2010), notamment en ce qui a trait à leur besoin d’obtenir des améliorations concrètes de leur
situation-problème (Roy et al., 2014).
Par ailleurs, Heesacker et al. (1999) ont observé que les intervenants tendent à reproduire en
consultation les préjugés sociaux à l’égard de la façon de vivre et de réguler les émotions selon le
sexe. En réponse, Wester et al. (2002) recommandent d’explorer avec les clients comment ils
éprouvent et régulent leurs émotions sans présumer qu’ils correspondent à un modèle prédéterminé.
Il faut, selon eux, tenir compte que chaque individu est unique et assimile à sa façon les normes
sociales quant à la façon de vivre et réguler les émotions. À cet égard, ces auteurs suggèrent aux
intervenants d’identifier leurs préconceptions à propos de la façon de vivre et de réguler les
émotions selon le sexe afin d’en diminuer les biais. Par exemple, en se basant sur le modèle intuitif-
instrumental de T. L. Martin et Doka (2000), Genest‐Dufault (2013) a fait ressortir des témoignages
de jeunes hommes ayant vécu une rupture amoureuse des styles différents d’adaptation. Certains de
ces jeunes hommes ont eu davantage recourt à des SRÉ intuitives (comme l’expression positive des
émotions) pour s’adapter alors que d’autres ont davantage utilisé des SRÉ instrumentales (comme
réaliser des activités agréables) ou encore de façon égale des deux types de SRÉ. Dans cette optique,
certains écrits proposent des façons d’ajuster l’intervention auprès des hommes en tenant compte de
leur style adaptatif (Audet, 2008, 2009) ainsi que de leur façon de vivre et de gérer leurs émotions
(Tremblay et L'Heureux, 2010).
Malgré ces apports de la consultation, les hommes consultent moins que les femmes, ce qui demeure
un obstacle au processus de changement. Cette réticence à demander de l’aide serait liée à leur
évaluation de leur besoin, leur croyance de devoir attendre la crise pour consulter et leur désir de
s’en sortir seul. Pour franchir cet obstacle, le soutien de la conjointe est souvent mentionné de même
69
que l’adaptation des services en offrant, par exemple, une première rencontre rapprochée (Groulx et
Deslauriers, 2015; J. Roy et al., 2014; Tremblay et al., 2016; Vogel et Heath, 2016).
Tout compte fait, ces données incitent à s’intéresser plus attentivement au rôle des SRÉ dans les
changements personnels réalisés par les hommes qui consultent. Il importe de mieux comprendre
comment la consultation favorise une RÉ efficace et le changement chez les hommes qui consultent.
C’est en ce sens que sera formulé le projet de thèse.
1.9 Conclusion du premier chapitre
Ce premier chapitre a défini les principaux concepts à l’étude et examiné les écrits scientifiques sur le
sujet. Il a d’abord été souligné que le changement est un processus dynamique dont la trajectoire est
imprévisible et discontinue. Ce faisant, comprendre le changement revient à examiner sa trajectoire
et ce qui en influence le cours. Ensuite, la situation-problème a été définie comme l’ensemble des
difficultés vécues en lien avec une situation. Le MTT (Prochaska, 1999; Prochaska et DiClemente,
1983) a permis d’illustrer une vision du processus de changement d’une situation-problème. Les
frontières entre les différents affects ont été délimitées à l’aide de la théorie des émotions de Larivey
(2002). Les émotions simples ont été distinguées des émotions mixtes, des contre-émotions et des
pseudo-émotions. Le processus émotionnel de Garneau et Larivey (1979) a également été exposé,
lequel insiste sur l’expression des émotions et des besoins pour faciliter l’adaptation. La RÉ a été
définie selon le modèle modal de Gross (1998a, 2015a, 2015b) pour qui la modulation des émotions
s’effectue pour divers motifs. Enfin, le genre et les masculinités ont été regardés en fonction des
distinctions effectuées par Pleck (1995), Connell et Messerschmidt (2005) ainsi qu’Anderson (2009).
Ces nuances effectuées, la recension des écrits s’est attardée plus particulièrement sur les émotions,
la RÉ et les SRÉ. Cette recension a mis en évidence des différences mineures entre les hommes et
les femmes quant à la nature, la fréquence d’utilisation et l’impact des SRÉ. Les différences semblent
plus prononcées entre les hommes adhérant à une vison orthodoxe de la masculinité et ceux qui s’en
détachent; cependant les études sur le sujet demeurent très limitées. L’hypothèse de la socialisation
selon le genre est retenue pour expliquer ces différences. Ainsi, lorsqu’un contexte est perçu comme
genré, les différences dans l’utilisation des SRÉ tendent alors à s’accentuer entre les hommes et les
femmes ainsi qu’entre les hommes ayant des pratiques de genre se rapprochant plus ou moins la
masculinité orthodoxe ou hégémonique.
70
La recension des écrits a aussi révélé que le fait de diminuer l’utilisation des SRÉ non aidantes
(rumination, évitement, expression négative et suppression expressive des émotions) et d’augmenter
l’utilisation des SRÉ aidantes (conscience, acceptation, tolérance et expression des émotions,
réinterprétation, résolution de problème et activités agréables) favorise l’adaptation. À ce titre, les
études montrent que la consultation d’un professionnel de la relation d’aide permet de réduire
l’emploi de SRÉ non aidantes et d’augmenter le recours aux SRÉ aidantes. La consultation joue donc
un rôle certain dans le processus d’adaptation en agissant directement sur les SRÉ. Les études
examinées ont toutefois la limite de s’intéresser au rôle de quelques SRÉ à la fois, ce qui ne permet
pas de saisir leur dynamique d’ensemble. On ignore ainsi comment la rumination, par exemple,
affecte les autres SRÉ et est affectée par ces dernières. Il s’avère donc pertinent d’explorer plus à
fond les SRÉ dans le but de décrire leurs dynamiques entre elles et leur rôle dans le processus de
changement, en particulier chez les hommes dont on connait très peu sur le processus émotionnel et
de régulation des émotions en relation d’aide.
71
CHAPITRE 2 : LE CADRE THÉORIQUE ET LES QUESTIONS DE RECHERCHE
Ce chapitre présente les cadres théoriques qui sont utilisés dans cette thèse pour étudier le rôle des
SRA dans les changements personnels tels que perçus par des hommes qui consultent. L’utilisation
de la théorie dans cette recherche est brièvement précisée pour ensuite s’attarder aux cadres
théoriques utilisés dans cette thèse. Le modèle de la RÉ de Linehan et al. (2007) est exposé de même
que ses liens avec les études traitant des SRÉ utilisées par les hommes. Enfin, les questions de
recherche sont posées à la lumière de ce modèle compréhensif de la RÉ qui est employé, dans cette
thèse, pour étudier le rôle des SRA dans le processus de changement.
2.1 Théorie : définition et utilité
Une théorie est « un ensemble, qui peut être plus ou moins articulé, d’énoncés implicites ou explicites à propos d’un
aspect du monde phénoménal » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 117). Il existe plusieurs conceptions des
liens entre la théorie (modélisation d’énoncés) et les données empiriques (matériau brut issu du
monde phénoménal). On peut voir de façon linéaire ou circulaire les liens entre la théorie et
l’empirique. La perspective linéaire va dans un seul sens alors que dans la perspective circulaire, l’une
alimente sans cesse l’autre, non seulement d’une recherche à l’autre, mais au sein d’une même étude
(Kazdin, 2007; Paillé et Mucchielli, 2012; van der Maren, 1996; Yin, 2009). Il ne peut y avoir, en
recherche qualitative, de position de départ absolu (Paillé et Mucchielli, 2012). Ces derniers auteurs
prônent une utilisation circonstanciée des référents théoriques, c’est-à-dire que ces derniers servent
d’outils qui affûtent la sensibilité du chercheur sans pour autant l’enfermer. Ces outils orientent le
chercheur vers des aspects du réel qu’il souhaite investiguer et « attire son attention sur certains grands
principes incontournables ainsi que sur des interprétations potentielles auxquelles il devra être sensible » (Paillé et
Mucchielli, 2012, p. 133). Selon ces auteurs, ces outils lui permettent de capter certaines données, de
s’en faire certaines représentations, mais ne peuvent être utilisés de façon automatique. Les référents
théoriques doivent, au final, permettre de faire émerger du sens, ce qui implique parfois de mettre de
côté certaines théories pour aller de l’avant. Ainsi, pour cette thèse, ils constituent un outil de travail
flexible qui a guidé toutes les étapes de la recherche.
72
2.2 Cadres théoriques alimentant la thèse
2.2.1 Synthèse des repères théoriques
La présente thèse étudie les interactions entre plusieurs variables, soit les situations-problèmes, les
affects, les SRA, la RA et le genre. Pour définir ces variables, le cadre conceptuel présenté dans la
section précédente puise à plusieurs sources théoriques. Ainsi, le changement a été conceptualisé à la
lumière de la théorie générale des systèmes (Bertalanffy, 1973; Le Moigne, 1994). La façon d’en tenir
compte en consultation se réfère aux écrits d’Elkaïm (1989) et de Gelo et Salvatore (2016). La
situation-problème a été définie selon la vision de Rondeau-Robitaille (2004). Quant au processus de
changement d’une situation-problème, le MTT (Prochaska et DiClemente, 1983) a été choisi pour le
décrire et préciser une manière d’en tenir compte en consultation. La théorie des émotions de
Larivey (2002) a permis de présenter une vision du rôle des affects dans le processus d’adaptation
ainsi qu’une taxonomie. La RÉ a été décrite à partir du modèle J. J. Gross (1998b, 2015a, 2015b),
lequel est repris par Linehan et al. (2007) dans une perspective davantage centrée sur le processus de
changement en consultation. Ce modèle est présenté au point suivant. Ensuite, les principales SRA
abordées dans cette thèse ont été définies à partir d’une recension critique des écrits. Enfin, étant
donné que cette thèse aborde le vécu d’hommes en consultation et que le genre est conceptualisé de
différentes façons dans les études, les conceptions du genre de Pleck (1995), de Connell et
Messerschmidt (2005) ainsi que d’Anderson (2009) ont été présentées.
Le recours à ces nombreux référents théoriques a été nécessaire afin de circonscrire l’objet à l’étude
et alimenter l’interprétation des données. Selon Paillé et Mucchielli (2012), il n’est pas rare en
recherche qualitative de recourir à différentes théories pour alimenter la réflexion du chercheur sur
des sujets complexes qui ont été peu étudiés et pour lesquels aucune théorie ne permet d’interpréter
l’ensemble des données obtenues. Toutefois, le modèle de Linehan et al. (2007) est considéré comme
la principale théorie de référence dans cette thèse, car il est centré explicitement sur la RÉ et le rôle
des SRÉ dans le processus de changement. Qui plus est, les SRÉ identifiées par ces auteurs visent
tant la situation-problème que les affects. Cependant, ce modèle ne permet ni de comprendre le
processus de changement des situations-problèmes en termes de phases comme proposé dans le
MTT (Norcross et al., 2011; Prochaska, 1999; Prochaska et DiClemente, 1983) ni le processus
affectif en termes de phases tel qu’avancé par Garneau et Larivey (1979). Linehan et al. ne
présentent pas non plus une taxonomie des émotions comme Larivey (2002). Ainsi, le MTT et la
73
théorie des émotions de Larivey viennent compléter le modèle de RÉ de Linehan et al. Ces trois
modèles seront utilisés pour interpréter les données de la présente étude.
2.2.2 Le modèle de la RÉ de Linehan, Bohus et Lynch (2007)
Dans cette thèse, le principal cadre théorique utilisé est celui proposé par Linehan et al. (2007). À
l’origine, il s’agit d’un modèle cognitivo-comportemental et systémique (Dialectical Behavior Therapy ou
DBT) visant à comprendre et à traiter les problèmes de RÉ. La conception des émotions et de la RÉ
que propose ce modèle sera d’abord présentée puis suivront les SRÉ que les auteurs intègrent dans
leur modèle d’intervention.
Linehan et al. (2007) adhèrent à une conception biopsychosociale des émotions. Cette conception
reconnait les bases biologiques des émotions en les situant en interactions avec les cognitions, les
comportements et le contexte social. Sur le plan biologique, les auteurs estiment que tous n’ont pas
la même vulnérabilité émotionnelle. Ils distinguent la sensibilité émotionnelle, la réactivité
émotionnelle et la durée de l’activation émotionnelle. La sensibilité émotionnelle implique que le
seuil minimal à franchir pour obtenir une réaction émotionnelle est plus bas chez certaines
personnes et plus élevé chez d’autres. La réactivité émotionnelle correspond à l’intensité des
émotions ressenties, certaines personnes les ressentant plus fortement que d’autres. Enfin, la durée
des émotions éprouvées est le troisième élément lié à des prédispositions biologiques. Pour certaines
personnes, la durée de l’émotion est plus longue alors que, pour d’autres, elle est plus courte. La
vision circulaire du modèle DBT implique que les expériences émotives d’une personne influencent
la sensibilité émotionnelle, la réactivité émotionnelle ainsi que la durée des émotions qu’elle éprouve.
Sur le plan psychologique, Linehan et al. (2007) incluent les processus cognitifs (attention,
interprétation, anticipation, acceptation ou suppression des émotions) et comportementaux
(modifier la sensibilité biologique, le contexte, la situation, RÉ ciblant les symptômes physiques, RÉ
par des comportements opposés) qui s’interinfluencent dans le processus de RÉ.
Sur le plan social, les échanges entre les personnes influencent la façon dont les émotions sont
vécues et régulées. Linehan et al. (2007) réfèrent à Mesquita et Albert (2007) qui exposent leur point
de vue socioconstructiviste des émotions. Ces derniers insistent sur l’influence des interactions entre
les individus et les normes culturelles dans le processus de régulation des émotions. Selon ce point
74
de vue, les personnes sont constamment en train de réguler leurs émotions en interagissant avec
autrui. Au sens de Linehan et al., le processus est circulaire, car d’une interaction interpersonnelle à
l’autre, les émotions peuvent varier avec plus ou moins d’intensité. Dans leur modèle d’intervention,
les auteurs insistent également sur le développement des habiletés interpersonnelles comme
représentant une stratégie efficace de RÉ. À la différence de Mesquita et Albert qui affirment que les
émotions sont relatives au contexte social (les émotions sont un langage qui suit des normes
sociales), Linehan et al. estiment que les émotions sont un mécanisme adaptatif construit par
l’évolution, lequel interagit avec le contexte social.
Pour comprendre les interactions entre les aspects biologiques, psychologiques et sociaux des
émotions, Linehan et al. (2007) proposent un modèle qui décrit le processus de RÉ lequel inclut cinq
sous-systèmes, soit : 1) la vulnérabilité aux déclencheurs émotionnels; 2) les événements internes ou
externes qui déclenchent l’émotion (déclencheurs émotionnels); 3) les réactions émotionnelles de
faible intensité; 4) les réactions émotionnelles de forte intensité; et enfin, 5) les séquelles
émotionnelles (voir Figure 3). Ce modèle s’inspire de celui de (J. J. Gross, 1998b)19 en l’enrichissant
de deux éléments : la sensibilité aux déclencheurs émotionnels et les séquelles émotionnelles (sur les
pensées, la sensibilité, etc.). Le modèle adhère à une vision systémique qui implique que des
interactions continues ont lieu entre les différents sous-systèmes. Une modification dans un élément
du système modifie l’ensemble du système. Il est ainsi possible de réguler les émotions en ciblant les
éléments propres à chaque sous-système. Regardons plus attentivement chaque sous-système.
19 J. J. Gross et Thompson (2007) réexposent ce modèle en y apportant quelques précisions sans aucune modification majeure.
(2) Déclencheurs
émotionnels (3) Réactions
émotionnelles de faible intensité
(4) Réaction émotionnelle de forte intensité
(5) Séquelles émotionnelles
(1) Vulnérabilité aux déclencheurs
émotionnels
Figure 3. Modèle du processus générant et régulant les émotions (Linehan et al., 2007, p. 583, traduction libre)
75
La vulnérabilité aux déclencheurs émotionnels implique une forte sensibilité et une réaction intense
aux déclencheurs émotionnels. Pour diminuer cette vulnérabilité, il importe, selon Linehan et al.
(2007), d’augmenter les activités agréables et de diminuer les activités potentiellement désagréables.
Quant aux déclencheurs émotionnels, il est possible de les contrer soit en les évitant, soit en
résolvant le problème, ou encore en déplaçant l’attention vers des aspects plus agréables de la
situation ou sinon en l’interprétant d’une façon plus positive. La réaction émotionnelle de faible
intensité est associée aux réactions précoces alors que l’émotion n’a pas encore atteint sa pleine
puissance. À ce point, il est possible de reconditionner la réaction émotionnelle inadaptée (par
exemple, l’anticipation de conséquences négatives qui déclenche une forte réaction émotionnelle) en
une réponse mieux adaptée (par exemple, une analyse des coûts et des bénéfices qui diminue la
réaction émotionnelle). La réaction émotionnelle de forte intensité est associée au climax
émotionnel : l’émotion prend alors toute sa puissance. Les SRÉ ne visent alors plus à prévenir ce
climax émotionnel, mais à gérer l’émotion elle-même. Ces SRÉ sont, par exemple, l’expression
physique et verbale des émotions, la réalisation d’une activité physique intense, le fait de prendre une
douche froide, etc. Enfin, le dernier sous-système, les séquelles émotionnelles, implique, selon les
auteurs, une augmentation de la probabilité de revivre des émotions semblables. Pour contrer ce
cycle, Linehan et al. insistent sur l’importance de développer des habiletés pour accroitre la
conscience des émotions, les nommer, les accepter, comprendre le contexte dans lequel elles
émergent et les réguler efficacement.
À chacun des sous-systèmes du modèle de RÉ de Linehan et al. (2007) correspondent des
opportunités de RÉ. Les auteurs distinguent certaines SRÉ spécifiques à chaque sous-système et une
autre qui se déploie dans l’ensemble du processus de RÉ, soit la présence attentive. Les auteurs
reprennent les stratégies de J. J. Gross (1998b) et de J. J. Gross et Thompson (2007) en y ajoutant
cinq autres soit : la modification de la sensibilité physique, le changement de contexte, l’anticipation
des conséquences à changer de comportement, la transformation des émotions par des
comportements opposés et la modulation de la réactivité émotionnelle. Le Tableau 6 situe chaque
stratégie de RÉ (troisième colonne) en rapport au processus de RÉ (deuxième colonne) et aux sous-
systèmes (première colonne). Considérons plus attentivement chaque stratégie de RÉ retenue dans le
modèle de Linehan et al.
76
Tableau 6 : Éléments du processus de RÉ et SRÉ selon le modèle cognitivo-comportemental dialectique (Linehan et
al., 2007, p. 588, traduction libre)
Sous-systèmes Processus de RÉ SRÉ
(1) Vulnérabilité
émotionnelle
Modification de la sensibilité
physique
Modifier la sensibilité physique
Modification du contexte Accumulation d’expériences
positives
Accroitre le sentiment de
compétence
(2) Déclencheurs émotionnels Sélection et modification de la
situation (J. J. Gross, 1998b)
Résolution de problème
Habiletés interpersonnelles
Se préparer à gérer des
émotions
Déploiement de l’attention (J. J.
Gross, 1998b)
Distraction
Habiletés de survie
Modification de l’interprétation
(J. J. Gross, 1998b)
Vérifier les faits (contrer la
rumination)
(3) Réactions émotionnelles
de faible intensité
Anticipation des conséquences Anticiper les bénéfices/coûts
Évaluation de l’expérience
émotionnelle (J. J. Gross, 1998)
Acceptation des émotions
(contre leur répression)
(4) Réactions émotionnelles
de forte intensité
Modifier l’état physique (J. J.
Gross, 1998b)
Stratégies ciblant les
symptômes physiques
Modifier les émotions par des
comportements
Actions opposées
(5) Séquelles émotionnelles Modifier la réactivité
émotionnelle
Identifier et nommer les
émotions
Présence attentive Attitude générale envers les
émotions et leur régulation
Adopter une attitude positive
face aux émotions et à sa façon
d’y réagir
77
Au premier sous-système, la vulnérabilité émotionnelle, trois SRÉ sont identifiées par les auteurs. La
première consiste à modifier la sensibilité physique par une bonne hygiène de vie (une saine
alimentation, un bon sommeil, de l’exercice physique, etc.). Selon Linehan et al. (2007), la sensibilité
émotionnelle varie d’un individu à l’autre selon divers facteurs (génétiques, contextuels, etc.). Les
auteurs affirment qu’il est possible de moduler la sensibilité émotionnelle par une saine hygiène de
vie (sport, sommeil, alimentation, etc.). La seconde stratégie de RÉ concerne l’accumulation
d’expériences émotionnelles positives. Pour Linehan et al., l’addition d’expériences positives protège
la personne d’une réaction émotionnelle de forte intensité et favorise la résilience lors d’événements
négatifs. Dans le même sens, la troisième stratégie de RÉ consiste à construire un sentiment de
compétence. Selon ces auteurs, le sentiment de compétence favorise un sentiment de contrôle sur sa
vie et diminue le risque de réaction émotionnelle de forte intensité.
Au second sous-système, le déclencheur émotionnel, six SRÉ sont identifiées. La résolution de
problème est vue comme l’habileté à « éliminer, réduire ou éviter les situations émotionnelles
problématiques » (traduction libre, Linehan et al., 2007, p. 590). Les habiletés interpersonnelles
permettent d’exprimer ce qui est désiré ou non désiré tout en maintenant le respect de soi et
d’autrui. Ce faisant, plusieurs émotions (colère, tristesse, etc.) résultant d’interactions
interpersonnelles insatisfaisantes sont évitées ou remplacées par d’autres émotions (joie, amour, etc.).
Une autre stratégie consiste à se préparer à gérer des émotions qu’une situation anticipée pourrait
susciter. Cela permet d’éviter de se sentir pris au dépourvu et d’avoir un plan de match au cas où des
émotions apparaitraient. Le déploiement de l’attention est la capacité de déplacer son attention de
l’émotion à la situation et aux cognitions pour diminuer l’intensité émotionnelle. La personne est
alors observatrice de ses émotions, de ses cognitions ainsi que de la situation. Si, malgré tout,
l’intensité émotionnelle demeure élevée, la distraction est une autre option, car elle permet de
détourner complètement l’attention vers un autre objet. Les habiletés de RÉ en cas de crise comme
la tolérance des affects, la résolution de problème, etc., sont particulièrement utiles, selon Linehan
(1993), lorsqu’il y a une réaction émotionnelle de forte intensité qui peut entrainer des gestes
destructeurs ou autodestructeurs. Une autre stratégie de RÉ consiste à vérifier les faits pour
confronter les pensées négatives et les modifier en développant une vision plus objective de la
réalité. Cette stratégie est efficace, selon Linehan et al., pour contrer la rumination, les interprétations
sans fondement et les inquiétudes.
78
Au troisième sous-système, soit les réactions émotionnelles de faible intensité, deux SRÉ sont
décrites. La première consiste à anticiper autant les bénéfices que les coûts à maintenir un
comportement qui génère des émotions négatives. Les bénéfices encouragent le maintien des
comportements contribuant à l’apparition et à la prolongation d’émotions négatives. Ainsi,
l’identification des coûts et des bénéfices des comportements actuels et des comportements
envisagés permet de faire un choix dans lequel les coûts émotionnels sont moins élevés. La seconde
stratégie est l’acceptation des émotions qui est vue comme la porte pour accéder aux sensations et à
leur compréhension. Accepter les émotions ressenties plutôt que de tenter de les réprimer favorise la
RÉ selon Linehan et al. (2007).
Au quatrième sous-système, c’est-à-dire les réactions émotionnelles de forte intensité, deux SRÉ sont
nommées. La première consiste à recourir à des stratégies ciblant les symptômes physiques associés
aux émotions. Il s’agit, par exemple, de prendre une douche froide, de faire une activité physique
intense ou une activité relaxante. Modifier les émotions par des comportements opposés est une
autre SRÉ identifiée. Cette technique consiste à adopter des comportements contraires aux premiers
(par exemple, rire au lieu de pleurer) afin de modifier les émotions.
Au cinquième sous-système, soit les séquelles émotionnelles, une seule stratégie de RÉ est cernée. Il
s’agit de modifier la réactivité émotionnelle en prévenant la résurgence de la même émotion dans
une situation semblable. La prévention se fait en apprenant à nommer l’émotion et le contexte dans
lequel elle est apparue (révision du processus qui génère l’émotion non souhaitée). Pour Linehan et
al. (2007), la conscience des émotions et leur compréhension sont nécessaires à leur régulation dans
un contexte de forte réactivité émotionnelle.
Enfin, les auteurs décrivent une stratégie transversale à toutes les autres SRÉ, soit la présence
attentive. Il s’agit « d’observer, de décrire et d’accepter les émotions sans les juger ni les inhiber, les bloquer ou
détourner l’attention d’elles » (traduction libre, Linehan et al., 2007, p. 595). Les auteurs estiment que la
présence attentive permet de devenir observateur de ses émotions, ses pensées, ses comportements
et ses réactions. Pour eux, cela implique de tolérer l’inconfort ressenti en présence d’émotions et de
les voir comme des sources d’information plutôt qu’un danger.
79
Au plan clinique, l’approche de la DBT développée par Linehan (1993) se concentre sur deux axes :
les affects et les situations-problèmes. En ce qui concerne le premier axe, Linehan estime que la
consultation doit favoriser la conscience, l’acceptation, la tolérance, l’expression positive et la
compréhension des affects. L’auteure note cependant que ces objectifs sont difficiles à atteindre
lorsque les individus ont l’habitude d’inhiber leurs affects ou de les vivre très intensément. Un
apprivoisement progressif des affects et de leur intensité est nécessaire. La diminution de la
vulnérabilité émotionnelle contribue, selon Linehan, à réduire l’intensité de la réaction émotionnelle
ce qui en facilite l’apprivoisement. Le second axe d’intervention de la DBT vise la situation-
problème principalement avec la réinterprétation et la résolution de problème. L’auteure décrit un
processus de résolution de problème qui s’apparente à celui de Gambrill (2006). L’objectif est
d’accroitre les capacités de la personne à résoudre ou à atténuer des situations-problèmes qui
génèrent des stress qui alimentent la vulnérabilité émotionnelle. Ainsi, pour Linehan, la relation entre
la situation-problème et les affects est circulaire en ce sens qu’ils s’interinfluencent sans cesse.
La validation scientifique du modèle de RÉ
Le modèle de Linehan et al. (2007) est encore récent, si bien que le recul manque pour se prononcer
sur sa validité. On sait tout de même que la difficulté à éprouver des émotions tout comme les
réactions émotionnelles de forte intensité sont associées à divers problèmes. Dans le cas de
l’alexithymie, par exemple, l’incapacité à éprouver des émotions réduit, voire empêche, l’activation
émotionnelle (van der Velde et al., 2013). À l’opposé, l’hypervigilance est associée au syndrome de
stress post-traumatique, à l’anxiété ou à des phobies spécifiques qui se caractérisent par une
suractivation des émotions (Etkin et Wager, 2007). Cela donne un certain appui à la proposition de
Linehan et al. concernant l’importance de ramener l’émotion à un seuil modéré qui la rend gérable.
Dans la même veine, Linehan (1993) observe que les femmes ayant reçu un diagnostic de trouble de
personnalité limite se disent souvent coincées entre de sentiment de devoir inhiber leurs émotions
pour ne pas en perdre le contrôle et la perte de contrôle totale de leur expression (tentatives de
suicide, violence envers autrui, par exemple). Sur ce point, plusieurs études20 tendent à confirmer que
les stratégies d’inhibition (répression des émotions, suppression expressive, consommation, etc.) ne
favorisent pas la régulation des émotions tout comme les stratégies d’expression incontrôlée telles la
rumination et l’expression négative des émotions.
20 Pour une revue de ces études sur les SRÉ, nous référons le lecteur aux points 1.7 et 1.8.
80
Par ailleurs, certains éléments du modèle de J. J. Gross (1998a), dont se sont inspirés Linehan et al.
(2007), ont reçu une certaine validation. Une méta-analyse (Webb et al., 2012) incluant 190 études a
examiné la validité des trois dernières phases (attention, interprétation et modulation de la réponse)
du modèle de (J. J. Gross, 1998b). Les résultats confirment la pertinence de la phase d’interprétation
(d+ = 0.36) et de la phase de modulation de la réponse émotionnelle (d+ = 0.16). L’attention ne
semble pas représenter une variable significative, mais certaines SRÉ reliées à l’attention (distraction
0.27 et concentration -0.26) joueraient un rôle dans le processus de RÉ. Plus spécifiquement, cette
étude montre que certaines SRÉ liées à la phase d’interprétation, soit la réévaluation de la réponse
émotionnelle (0.23), de la situation (0.36) ou la mise en perspective (0.45), joueraient un rôle
significatif dans le processus de RÉ. En ce qui concerne la phase de modulation de la réponse
émotionnelle, la suppression de l’expression des émotions (0.32) a un effet positif sur le processus de
RÉ contrairement à la suppression des pensées (-0.04) et des émotions (-0.12). Pour leur part,
Ochsner, Silvers, et Buhle (2012) ont analysé la validité du modèle de Gross en examinant 43 études
utilisant l’imagerie fonctionnelle pour observer l’activité cérébrale liée à la RÉ. Leur étude confirme
et précise le modèle de Gross en spécifiant certaines stratégies cognitives de RÉ (représentation de
l’émotion, valeur sémantique, etc.) et leur rôle dans le processus de RÉ. Sans faire l’unanimité, le
modèle de Gross suscite un intérêt certain de la part de la communauté scientifique (cité environ
6800 fois selon Google Scholar en date du 12 avril 2017), mais nécessite encore d’être mieux validé et
précisé. À cet égard, le modèle de Linehan et al. offre une avenue intéressante, car il a été élaboré à
partir du modèle de Gross, mais dans un souci davantage lié à la consultation d’un professionnel de
la relation d’aide.
2.2.3 Liens entre le modèle de la RÉ de Linehan et al. (2007) et les hommes
Le modèle de Linehan et al. (2007) n’a jamais été appliqué auprès d’un échantillon d’hommes à notre
connaissance. Les auteurs expliquent que leur modèle a originalement été développé pour
comprendre et aider les femmes ayant un diagnostic de trouble de personnalité limite. De même, les
études empiriques s’appuyant sur ce modèle ont surtout porté sur des échantillons de personnes
vivant avec ce trouble (Linehan et al., 2007).
Ce modèle apparait pertinent pour analyser l’utilisation des SRÉ par les hommes qui consultent pour
plusieurs raisons. Une première raison est que le modèle tient compte de la vulnérabilité
émotionnelle. Concernant la sensibilité émotionnelle, on sait que certains hommes ont de saines
81
habitudes de vie alors que d’autres en ont plutôt de mauvaises (Tremblay et Déry, 2010). En ce cas,
on peut s’interroger sur la façon dont la consultation parvient à renforcer les saines habitudes de vie
qui contribuent à diminuer la vulnérabilité émotionnelle.
Une deuxième raison est que le modèle aborde le problème de l’accumulation d’expériences
négatives comme un élément de contexte qui rend les personnes plus vulnérables aux déclencheurs
émotionnels. Or, on sait que la masculinité orthodoxe ou hégémonique valorise chez les hommes le
fait d’endurer, au besoin, des expériences négatives pour atteindre un but et de persister malgré les
signes de défaillances (Brooks, 1998). Elle amènerait également que les hommes apprennent à
supporter une charge émotionnelle importante qui, selon le modèle de Linehan et al. (2007), les
rendrait émotionnellement plus vulnérables. Sur une note plus positive, il est possible que les
hommes qui consultent apprennent à réaliser davantage d’activités agréables. Ces activités
permettraient alors l’accumulation d’expériences positives pouvant contrer l’effet des expériences
négatives selon ce modèle théorique.
Une troisième raison a trait aux habiletés interpersonnelles considérées comme une stratégie de RÉ
efficace (Linehan et al., 2007). Plusieurs auteurs ont mis en évidence que certains hommes sont peu
habiles à identifier et à exprimer leurs émotions (Levant et al., 2006; Levant, Richmond, et al., 2003;
O'Neil, 2008; Pleck, 1995). On peut se demander comment la consultation favorise l’apprentissage
d’habiletés interpersonnelles chez ces hommes et si cela facilite la RÉ.
Une quatrième raison a trait aux coûts et bénéfices : les hommes auraient-ils tendance à minimiser
les coûts à atteindre un but et à exagérer les bénéfices potentiels (Pollack, 2005) ou à faire preuve
d’un biais optimiste (Tremblay et al., 2005)? Le modèle de Linehan et al. (2007) insiste sur
l’importance de reconnaitre pleinement les coûts et les bénéfices. Cela permet, selon eux, de choisir
les buts qui offrent davantage de bénéfices que de coûts.
Une cinquième raison est l’insistance du modèle sur l’acceptation des émotions. Or, on l’a vu,
plusieurs hommes tendent davantage à réprimer leurs émotions que les femmes (J. J. Gross et John,
2003), particulièrement les hommes qui ont un conflit de rôle de genre élevé (O'Neil, 2008).
L’acceptation des émotions qui émergent permet, selon le modèle de Linehan et al. (2007), de les
82
reconnaitre plus tôt dans le processus, de mieux les comprendre et d’agir plus efficacement pour les
réguler.
Une sixième raison est que le modèle propose de réguler les émotions en ciblant les symptômes
physiques. Cette stratégie est cohérente avec la masculinité orthodoxe qui valorise la gestion des
émotions dans l’action (Pollack, 2001; Wong et Rochlen, 2005). À quel point les hommes qui
consultent utilisent-ils cette SRÉ et comment la consultation peut-elle en augmenter l’efficacité ?
Une septième raison a trait à la présence attentive, soit à l’habileté à identifier, nommer et donner un
sens aux émotions (Linehan et al., 2007). Or, deux problèmes se posent ici pour les hommes plus
marqués par la masculinité orthodoxe. D’abord, la socialisation enseigne aux hommes à se couper de
leurs émotions si bien que, selon divers auteurs, plusieurs d’entre eux ont un niveau élevé
d’alexithymie et sont incapables de reconnaitre, d’identifier et de verbaliser leurs émotions (Levant,
Richmond, et al., 2003; O'Neil, 2008). Linehan et al. estiment que le développement de la sensibilité
émotionnelle est un élément important pour réguler efficacement les émotions. De plus, plusieurs
hommes éprouvent de la difficulté à verbaliser ce qu’ils ressentent soit parce qu’ils ignorent quels
mots associer à ce qu’ils ressentent, soit parce qu’ils estiment le contexte social non approprié à
l’expression de certaines émotions (Wong et Rochlen, 2005). Dans l’optique de Linehan et al., la
question est de savoir comment la consultation permet de développer la sensibilité émotionnelle, la
capacité de les nommer et de leur donner un sens. D’autres auteurs soulignent l’importance de
contrer la honte que certains hommes ressentent à exprimer des émotions perçues comme un signe
de faiblesse ou de vulnérabilité (Dulac, 1997, 1999; Tremblay et L'Heureux, 2010; P. Turcotte, 2002).
Une dernière raison, transversale à toutes les SRÉ, est que le modèle reconnait l’influence du
contexte social. Le contexte social inclut l’influence de la socialisation et des interactions (Mesquita
et Albert, 2007). Plusieurs auteurs estiment que les hommes sont socialisés selon le modèle de
masculinité orthodoxe (Bereni et al., 2012; Pleck, 1995). Selon l’étude de Wong et al. (2006), ce code
influence leur vision des émotions ainsi que leur façon de les réguler. Qui plus est, les rétroactions de
l’environnement social influencent le processus de RÉ (Mesquita et Albert, 2007). Des études
qualitatives (Bizot, 2011; Dulac, 1997, 1999; P. Turcotte, 2002) ont observé que l’émergence et le
partage des émotions sont possibles dans un contexte où les hommes se sentent respectés, en
83
sécurité et soutenus. Considérant ces faits, on peut se demander comment la consultation tient
compte de la socialisation masculine pour favoriser la RÉ chez les hommes.
Pour toutes ces raisons, le modèle de Linehan et al. (2007) offre un cadre d’analyse prometteur pour
l’interprétation des données. L’intention ici n’est pas de valider ce modèle, mais de l’utiliser comme
outil d’interprétation de façon à faire émerger le sens des données sans non plus ignorer que d’autres
significations peuvent émerger (Paillé et Mucchielli, 2012).
2.3 Objets à l’étude et questions de la recherche
Initialement, il avait été prévu que cette étude porterait sur les émotions et les SRÉ. Or, le corpus
empirique amène à élargir aux affects ainsi qu’aux stratégies de régulation des affects (SRA). Cet
élargissement s’avère nécessaire pour bien comprendre les témoignages des participants et répondre
adéquatement aux questions de la recherche. Le cadre théorique demeure valide étant donné la
proximité et l’interconnexion entre les différents états affectifs comme exposé dans la recension des
écrits. Cette vision de la RÉ et du rôle des SRÉ est reprise dans cette thèse pour étudier la RA ainsi
que le rôle des SRA dans le processus de changement. En conséquence, en lien avec les catégories de
changement, la régulation des affects (RA) est conçue, dans cette thèse, comme un mécanisme de
changement alors que les SRA sont vues comme des actions visant à moduler les affects. En
modulant les affects, les SRA utilisées peuvent faciliter ou nuire à l’atteinte des objectifs de
changement formulés en rapport avec la situation-problème. La RA résulte de la dynamique entre les
différentes SRA, laquelle varie dans le temps et selon les situations. La transformation de la
dynamique entre les SRA est un processus qui s’effectue en parallèle aux changements dans l’état
affectif et la situation-problème. Le processus de changement réfère au temps et aux actions
nécessaires à la réalisation des changements. Ces actions diffèrent selon les phases qui se répètent en
des cycles suivant une trajectoire discontinue (Gelo et Salvatore, 2016) et spirale (Diclemente, 2005).
Selon ce modèle, le fait de réduire les affects négatifs et d’augmenter les affects positifs donne accès
à davantage de ressources adaptatives facilitant la réalisation des changements visés (Linehan, 1993;
Thompson, 1994).
Objectif de la recherche : L’objectif de cette thèse est de mieux comprendre le rôle des SRA dans
les changements personnels (situations-problèmes et affects) tels que perçus rétrospectivement par
84
des hommes qui consultent individuellement un professionnel de la relation d’aide. Dans la suite du
texte, les termes clients ou participants désignent les hommes ayant pris part à l’étude. Les questions
de la recherche réfèrent aux perceptions des participants.
Question générale de la recherche : Quel rôle ont joué les SRA dans le processus de changement
des situations-problèmes et des affects selon le point de vue d’hommes qui ont consulté
individuellement un professionnel de la relation d’aide ? La question générale est éclairée par les
réponses aux sous-questions suivantes :
1. Le client perçoit-il des changements dans la situation-problème entre la période précédant la
consultation et celle qui se situe après un certain temps de consultation ?
2. Quels affects le client reconnait-il avoir éprouvés par rapport à la situation-problème durant la
période précédant la consultation et celle qui survient après un certain temps de consultation ?
3. Quelles stratégies le client pense-t-il avoir utilisées pour réguler ses affects en lien avec la
situation-problème pendant la période précédant la consultation et celle qui recoupe la période
de consultation ?
4. Parmi les SRA qu’il a utilisées, le client en perçoit-il certaines comme aidantes et d’autres
faisant obstacle au processus de changement ?
La Figure 4 schématise les questions de l’étude en y intégrant les variables clefs. La question générale
(QG) et les sous-questions (Q1, Q2, Q3 et Q4) y sont incluses. Les trois premières sous-questions
visent à décrire les perceptions des participants à propos des changements entre la période qui
précède et celle qui suit la consultation. La quatrième sous-question et la question générale ciblent le
processus de changement qui sera décrit et modélisé à partir des témoignages recueillis. Le but de
cette thèse est de décrire les perceptions des participants à propos des changements vécus et de
comprendre le rôle des SRA dans ces changements.
Avant la consultation Situation-problème
Affects SRA
Processus de changement : situation-problème, affects et SRA
À la suite de la consultation
Situation-problème Affects
SRA
Consultation
QG, Q4 Q1, Q2, Q3
Figure 4. Schématisation des questions de recherche
85
CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
Ce chapitre aborde la méthodologie de recherche. Il s’agit d’une étude de cas multiples. Ce type
d’étude est d’abord défini et son choix motivé. Ensuite, la procédure d’échantillonnage est exposée
ainsi que le profil des participants à la recherche. Enfin, la méthode d’analyse qualitative utilisée est
expliquée. Puisque la collecte des données a porté sur les émotions et les SRÉ, ces termes sont
préservés dans cette partie de ce chapitre. Toutefois, les questions de la recherche et l’analyse portant
plus largement sur les affects et les SRA, ces termes sont employés dans les autres parties du présent
chapitre.
3.1 Type d’étude : l’étude de cas multiples
L’étude de cas est un examen en profondeur d’un phénomène actuel ou d’un passé proche qui tient
à la fois compte du phénomène et de son contexte. Selon les objectifs visés par le chercheur, il est
possible d’effectuer une ou plusieurs études de cas. L’étude de cas multiples consiste à étudier un
même phénomène (ce qui réfère aux questions de la recherche) à partir de plusieurs points de vue
(par exemple, les personnes ayant assisté au vol d’une banque) ou les mêmes questions à partir de
différents cas (par exemple, les SRA utilisées par les personnes vivant une rupture amoureuse)
(Creswell, 2007; Stake, 2006; Yin, 2009). Pour la présente recherche, c’est ce deuxième cas qui
s’applique. L’étude de cas multiples est ici retenue afin de comprendre en profondeur le rôle joué par
les SRA dans le processus de changement. Le fait d’étudier plusieurs cas et de les comparer entre eux
donne une meilleure validité à l’interprétation des données (Yin, 2009), les cas permettant des
interprétations semblables, complémentaires ou contrastées du phénomène à l’étude (Stake, 2006).
Précisons que les cas ne sont pas comparés dans un but de généralisation. La comparaison des cas
vise plutôt une meilleure compréhension du phénomène étudié ou des questions de la recherche par
les nuances qu’amène chaque cas (Merriam, 1998; Pires, 1997; Stake, 2006). Ultimement, l’étude de
cas multiples vise à alimenter la réflexion théorique sur les questions à l’étude (Creswell, 2007; Stake,
2006; Yin, 2009) soit, dans ce cas-ci, le rôle des SRA dans le processus de changement. Kazdin
(2007) estime que ce type d’étude manque dans le domaine de la consultation et s’avère pertinent
pour générer de nouvelles théories capables de faire progresser les connaissances dans ce domaine.
86
3.2 Échantillonnage par contraste-approfondissement
Par échantillonnage, on entend « le résultat de n’importe qu’elle opération visant à constituer le corpus empirique
d’une recherche » (Pirès, 1997, p. 113). L’échantillon par contraste-approfondissement s’applique aux
études de cas multiples et est ici retenu. Dans ce type d’échantillonnage, le but est triple, soit : 1) de
recruter des participants pouvant fournir des informations abondantes et diversifiées à propos des
questions de la recherche; 2) d’obtenir un portrait assez approfondi de chaque cas pour permettre
d’éclairer les questions à l’étude; 3) et d’avoir un nombre suffisant de cas pour contraster les
informations fournies par chacun. Ces trois objectifs de l’échantillonnage seront maintenant
brièvement examinés.
Premièrement, dans une étude de cas multiples, il est essentiel de recruter des sujets capables de
fournir une description riche et détaillée de leur vécu en lien avec les questions de la recherche. Ce
sont ces informateurs qui fournissent le matériel de base qui alimente la réflexion du chercheur sur
les questions à l’étude (Pires, 1997; Stake, 2006). Dans la présente recherche, les participants étant
l’unique source d’informations, leur sélection est d’autant plus importante. Dans cet esprit, des
critères très précis ont été établis pour le recrutement. Deuxièmement, comme il ne s’agit pas de tout
connaitre d’un cas, la collecte des données prend fin pour chaque cas lorsque le chercheur estime
avoir assez de matériel en main pour le comprendre et répondre aux questions de la recherche. Pour
ce faire, il peut recourir à divers moyens de collectes de données (entrevues, observations, grille
d’auto-observation, etc.), réaliser plus ou moins d’observations et les étaler dans le temps (Yin,
2009). Troisièmement, le chercheur doit décider de combien de cas il a besoin pour éclairer, par le
contraste, les réponses aux questions de la recherche (Pires, 1997). Ce nombre doit être choisi en
fonction des objectifs de l’étude et ajusté au besoin. Même si les auteurs considèrent que le nombre
idéal tourne souvent autour de cinq à six cas, le nombre définitif doit être fonction de la richesse des
données générées par la méthode d’enquête (Creswell, 2007; Pires, 1997; Yin, 2009). Dans le
domaine de la consultation d’un professionnel de la relation d’aide, une méta-analyse portant sur 109
études qualitatives note que le nombre moyen de participants est de 13 (Levitt et al., 2016). Bref,
l’échantillon par contraste-approfondissement implique de trouver un équilibre entre la profondeur,
soit la richesse des informations recueillies à propos d’un cas, et le contraste, soit la variété des
expériences. À défaut de trouver cet équilibre, soit les données seront trop pauvres pour éclairer les
questions de la recherche, soit elles seront trop abondantes pour que le chercheur puisse y trouver
un sens. Il importe donc que le nombre de cas soit relativement réduit et que le corpus des données
87
colligées soit d’une taille suffisante pour alimenter les réflexions du chercheur sans courir le risque de
le noyer dans une surabondance d’informations (Creswell, 2007; Pires, 1997; Stake, 2006; Yin, 2009).
Pour la présente étude, 13 participants se sont avérés suffisants pour établir un corpus empirique
répondant à ces critères. La stratégie d’échantillonnage sera maintenant décrite en détail.
3.3 Recrutement des participants
Critères de sélection. L’objectif du recrutement était de rejoindre des personnes capables de fournir
des informations pertinentes et détaillées en lien avec les questions à l’étude. Pour ce faire, les
critères de sélection suivants ont été retenus : être un homme adulte (18 ans et plus), avoir eu au
moins cinq rencontres individuelles avec un professionnel de la relation d’aide (travailleur social,
psychologue, etc.) lors des six derniers mois, avoir consulté pour une situation-problème qui a
suscité des émotions d’une certaine intensité, être capable de prendre un certain recul par rapport à
cette situation-problème et d’en parler. Les hommes étant toujours en processus de consultation
étaient considérés pour le recrutement dans la mesure que ces derniers estimaient avoir réalisé des
progrès dans leur situation-problème et leur état affectif. Le choix de s’intéresser spécifiquement au
vécu d’hommes se justifie par le rapport particulier que plusieurs hommes entretiennent avec les
émotions et par leur façon de les gérer. Le professionnel de la relation d’aide consulté doit être
membre d’un ordre professionnel (travailleur social, psychologue, psychoéducateur, conseiller en
orientation, etc.) et avoir au moins cinq ans d’expérience afin d’assurer la qualité de l’intervention
réalisée (Thurin et Thurin, 2007). Les motifs de consultations peuvent être variés (rupture
amoureuse, stress au travail, problèmes relationnels, etc.) pourvu que la situation-problème ait
suscité des émotions et le recours à des SRÉ. Les participants ne répondant pas à ces critères ou
présentant un trouble mental grave ou des déficits cognitifs importants n’étaient pas retenus.
Stratégies de recrutement. Pour le recrutement des participants, plusieurs moyens ont été utilisés
en tenant compte des suggestions de Deslauriers et Deslauriers (2010) concernant les recherches
avec des hommes : le bouche-à-oreille, l’installation d’affiches dans des cliniques de consultation,
l’envoi de courriels à des membres d’ordres professionnels et au grand public. L’affiche publicitaire
utilisée est jointe à la première annexe. Cette affiche informait les participants du titre de la
recherche, des buts, des critères de sélection, de la méthode de collecte des données et des personnes
responsables. Le numéro de l’approbation reçue par le Comité d’éthique de la recherche de
l’Université Laval figure également sur cette affiche. Ces moyens publicitaires visaient à rejoindre
88
directement les personnes susceptibles de correspondre aux critères de sélection et d’inviter certains
clients, par l’intermédiaire de l’intervenant qu’ils consultent, à participer à cette recherche. La
stratégie de recrutement avait pour objectif de créer un bassin d’une vingtaine de candidats duquel il
pouvait être possible de sélectionner les participants à la recherche suivant la méthode suggérée par
Yin (2009).
Sélection des participants. En tout, une vingtaine de personnes ont manifesté un intérêt à
participer à cette étude. Parmi eux, cinq se sont désistés après un échange d’informations par
courriel et un autre s’est retiré après l’entretien téléphonique. Un candidat n’a pas été admis dans
l’étude, car il ne correspondait pas aux critères de sélection. Au final, treize candidats correspondant
aux critères de sélection ont accepté de prendre part à la recherche. Ces participants ont été invités à
participer à la recherche après un entretien téléphonique d’une vingtaine de minutes. Durant cet
entretien, le chercheur les informait des objectifs de la recherche, des thèmes abordés lors des
entrevues, des avantages et des inconvénients à participer à la recherche, des principales règles
éthiques (confidentialité, traitement des données, etc.), des coordonnées de la personne responsable
de cette recherche et du nom du directeur de thèse supervisant le tout. L’entretien téléphonique
permettait également de compléter le profil sociodémographique et de consultation du participant.
C’est sur la base de ce profil que les candidats étaient invités ou non à participer à la recherche.
3.4 Profil des participants
Le profil des participants à la recherche sera maintenant présenté, d’abord le profil
sociodémographique suivi du profil de consultation. Rappelons qu’il s’agit de données rapportées
par les participants. Enfin, l’équilibre entre l’homogénéité et l’hétérogénéité du profil des participants
est brièvement considéré.
Il s’agit de 13 hommes âgés entre 24 et 69 ans (moyenne 44,1 ans). De ce nombre, huit sont
célibataires ou séparés alors que cinq sont mariés ou conjoints de fait. Parmi eux, sept sont pères
d’un ou de plusieurs enfants. Le revenu annuel est inférieur à 20,000$ pour trois des participants, se
situe entre 20,000$ et 59,999$ pour neuf d’entre eux et est supérieur à 80,000$ pour un seul. Le
niveau de scolarité est secondaire ou technique pour six participants et universitaire pour sept
d’entre eux.
89
En ce qui concerne la consultation individuelle, selon les informations fournis par les participants,
neuf d’entre eux ont fait appel aux services d’un psychologue21 et deux d’un travailleur social. Les
autres professionnels consultés sont un psychoéducateur, un conseiller en orientation et un
conseiller en ressources humaines. Certains participants ont consulté plus d’un professionnel. Les
professionnels consultés ont, selon les participants, plus de 10 ans d’expérience sauf pour l’un
d’entre eux qui compte cinq ans d’expérience. Les approches d’intervention sont, principalement
cognitivo-comportementale, humaniste, systémique et analytique. Ces informations sur les
approches d’intervention n’ont toutefois pu être validées auprès des intervenants par souci de
préserver la confidentialité des participants. La plupart des participants n’ont consulté qu’un seul
intervenant alors que quelques-uns en ont vu deux, voire trois intervenants différents. Le nombre de
rencontres réalisées varie entre sept et plusieurs centaines. Toutefois, la majorité des participants,
soit une dizaine, ont réalisé entre sept et 20 rencontres. Ces rencontres se sont étalées sur une
période de moins de 12 mois pour six participants, entre 12 et 24 mois pour un seul d’entre eux et
sur plus de 24 mois pour les six autres. En croisant ces informations, on peut estimer que la moitié
des participants ont réalisé une consultation à court terme alors que quatre d’entre eux ont plutôt
effectué une consultation à moyen terme et trois à long terme. Enfin, soulignons qu’en plus de la
consultation individuelle, sept des participants ont rejoint un groupe de soutien animé par un
professionnel. Dans tous les cas, il s’agissait d’une démarche d’aide volontaire.
Les participants présentent un profil à la fois homogène et hétérogène. Il est homogène en ce sens
que ce sont tous des hommes adultes qui ont eu au moins sept rencontres individuelles avec un
professionnel de la relation d’aide dans les douze mois précédant les entrevues de la présente étude.
La plupart poursuivaient toujours cette consultation sauf pour l’un d’entre eux qui y avait mis fin
deux mois auparavant. À l’exception d’un participant, les professionnels consultés comptent tous
plus de dix ans d’expérience. Le profil est hétérogène en ce qui a trait à l’âge, au revenu, au niveau de
scolarité, à l’état civil et au nombre d’enfants. Le profil est également hétérogène lorsqu’on considère
l’appartenance à un ordre professionnel bien que les professionnels de la psychologie soient
surreprésentés. Outre des rencontres individuelles, plusieurs ont participé à un groupe d’aide. On
verra plus loin que les situations-problèmes vécues par les participants sont variées et uniques
lorsqu’on tient compte de leur historique, des personnes impliquées, etc.
21 À propos des intervenants, le masculin inclut le féminin. Le sexe de l’intervenant n’a pas été identifié formellement lors de la collecte des données.
90
Ainsi, pour cette recherche, l’équilibre hétérogénéité/homogénéité (Stake, 2006) est jugé satisfaisant.
Les participants partagent des expériences communes (être homme, avoir consulté au cours de la
dernière année, etc.) tout en ayant suffisamment de caractéristiques qui les distinguent (âge, revenus,
état civil, etc.) et les rendent uniques. Cette diversité permet d’enrichir les données recueillies à partir
d’une compréhension en profondeur de chaque cas. Chacun, à sa manière, fournit un éclairage
supplémentaire et permet de construire une vision d’ensemble plus riche et plus complète des
questions de la recherche (Pires, 1997; Stake, 2006).
3.5 Stratégie de collecte des données
L’entrevue semi-structurée. La stratégie de collecte des données vise à susciter des témoignages
riches et détaillés capables d’éclairer les questions de recherche et de faire avancer les connaissances
(Pires, 1997; Yin, 2009). Pour cette recherche, le principal moyen retenu pour générer ces
informations est l’entrevue semi-structurée. Il s’agit d’une méthode qui permet de recueillir des
informations par des entretiens oraux qui abordent principalement des thèmes reliés aux questions à
l’étude. L’entretien est un dialogue entre le participant et le chercheur qui porte sur leurs
représentations et leurs interprétations du vécu du participant (Imbert, 2010; Poupart, 2012; van der
Maren, 1996; J. C. Watson et McMullen, 2016). Si l’accent est bien sur le vécu du participant, le sens
qui en ressort, lui, est une coconstruction issue de ce dialogue. Comme le souligne Poupart et al.
(1997), l’objectif de l’entrevue semi-structurée « est de saisir le sens d’un phénomène complexe tel qu’il est
perçu par les participants et le chercheur dans une dynamique de coconstruction du sens » (Imbert, 2010, p. 25). La
subjectivité du chercheur et celle du participant sont vues comme une source d’enrichissement des
données générées. Cette subjectivité n’est pas un problème :
…puisque l’accès à leur subjectivité ouvre notre réflexion, aux phénomènes, soit, mais surtout à leur
résonnance chez ceux qui les vivent. Et c’est l’étude de ces liens, qui permet, dans un deuxième temps
d’identifier l’essence (Giorgi, 1997), c’est à dire, les invariants qui permettront de monter en généralité et de
proposer un idéal-type » (O. Gross et Gagnayre, 2013, p. 160).
Bref, l’entrevue semi-structurée favorise un dialogue ouvert sur les représentations et le sens du vécu
du participant. Ce dialogue permet de réfléchir en profondeur au sens du vécu, d’explorer différentes
pistes d’interprétation et d’identifier celles qui sont les plus pertinentes aux yeux du participant tout
en restant liées aux questions de la recherche. En effet, il est espéré que l’interprétation du vécu, bien
91
que coconstruite, reflète davantage la perception du participant que celle du chercheur. Pour s’en
assurer, il est recommandé d’ancrer les interprétations sur le vécu du participant et de les valider tout
au long de la collecte des données (Fontana et Frey, 2008; Paillé et Mucchielli, 2012; Stake, 2006).
Techniquement, l’entrevue semi-structurée se situe à mi-chemin entre l’entrevue directive (toutes les
questions sont préparées et posées dans l’ordre préalablement déterminé) et l’entrevue non-directive
(aucune question préparée, seulement un thème). Des questions ou des thèmes sont préparés, mais
l’entrevue laisse place à l’émergence de nouveaux thèmes et de nouvelles questions. Le but des
nouvelles questions est d’inciter le participant à explorer plus en profondeur les thèmes pertinents
pour la recherche (De Ketele et Roegiers, 1996).
Plusieurs règles sont à suivre pour mener à bien une entrevue semi-structurée. Il faut en premier
établir et maintenir une relation de confiance qui favorise l’expression authentique du participant.
Pour se faire, il importe d’établir clairement le cadre et le but de l’entrevue et de réguler l’échange
tout le long de l’entrevue. Puisque l’entrevue qualitative n’est pas toute planifiée, l’intervieweur doit
savoir écouter afin de pouvoir relancer sur ce qui est important pour le participant et la recherche.
Ainsi, l’intervieweur doit favoriser l’auto-exploration tout en sachant, quand il le faut, mettre l’accent
sur une dimension pour inciter le participant à l’explorer plus en profondeur. À cette fin, il importe
de centrer l’entrevue sur l’expérience du participant en l’invitant, par exemple, à en parler au « je ».
Dans ce type d’entrevue, l’intervieweur doit combiner non-directivité, semi-directivité et directivité.
Cela implique de parfois laisser libre cours à l’auto-exploration, d’autres fois d’inciter le participant à
parler davantage d’un thème (Poupart, 2012). Avec les hommes, il est conseillé que l’intervieweur
manifeste de l’empathie et laisse un certain contrôle afin de favoriser l’exploration de soi (Deslauriers
et Deslauriers, 2010). Enfin, il reste à concilier entre les dimensions à fouiller et les limites de temps
(Poupart, 2012). À ce propos, le but de la collecte des données n’est pas de tout connaitre d’un cas,
mais d’avoir en main les principaux éléments pour bien comprendre le cas et répondre aux questions
de la recherche (Pires, 1997). La collecte des données peut donc s’arrêter lorsque le chercheur estime
avoir suffisamment d’informations en main.
Un des inconvénients des entrevues semi-structurées est l’abondance de biais possibles liés à l’oubli
de certains éléments, à la reconstruction de certains souvenirs, au désir de plaire des participants, etc.
(Elliott, 2010; van der Maren, 1996). Dans la présente étude, ces problèmes sont de moindre
92
importance puisque la reconstitution des faits importe moins que leur perception actuelle. Ce qui
importe, c’est que le participant soit en mesure d’élaborer une histoire restituant le sens de son vécu
(Paillé et Mucchielli, 2012). Ceci est cohérent avec le but de la consultation qui vise à constituer une
perception fonctionnelle du réel autorisant la réalisation des changements visés (Elkaïm, 1989).
3.6 Protocole de collecte des données
La collecte des données s’est effectuée sur deux rencontres entre le participant et le chercheur suivies
d’une rétroaction écrite résumant chaque cas. Les entrevues ont eu lieu dans un bureau insonorisé et
un endroit neutre afin d’assurer la confidentialité. Chaque entrevue durait entre 60 et 90 minutes.
La première rencontre a permis d’aborder quatre éléments. D’abord, le formulaire de consentement
à participer à cette recherche a été lu, expliqué et conjointement signé. Après, le profil des
participants complété lors de l’entrevue téléphonique a été revérifié. Enfin, la première entrevue
semi-structurée a été réalisée (voir annexe 2). Les principaux thèmes abordés lors de cette entrevue
sont : la situation-problème qui a incité le participant à faire la dernière démarche de consultation; les
objectifs du participant dans cette démarche de consultation et les changements perçus; l’expérience
personnelle en lien avec le processus de changement; les émotions éprouvées et les SRÉ que le
participant estime avoir utilisées en lien avec la situation-problème pour laquelle il a consulté; enfin,
son appréciation générale de sa dernière démarche de consultation. Cette entrevue était enregistrée
puis transcrite et codifiée à l’aide du logiciel MAXQDA. En relisant la transcription codifiée, le
chercheur notait au passage les faits saillants, les points à clarifier ou à explorer davantage.
La deuxième entrevue semi-structurée (voir annexe 3) a eu lieu entre deux et quatre semaines après
la première. Le but de cette deuxième entrevue était de compléter le portrait du vécu du participant,
d’en approfondir la compréhension et de valider certaines interprétations du chercheur.
Concrètement, en se basant sur la transcription codifiée et annotée de la première entrevue, le
chercheur résumait verbalement sa compréhension du vécu. Le participant était alors invité à faire
part spontanément de son accord ou de son désaccord, à apporter des corrections, des précisions ou
de nouveaux éléments. Les principaux thèmes abordés lors de la première entrevue et en lien avec
les questions à l’étude étaient à nouveau discutés. Par la suite, cette deuxième entrevue était à son
tour transcrite et codifiée.
93
Un résumé de trois à cinq pages a été rédigé à partir des deux entrevues codifiées. Dans ce résumé,
le chercheur y décrit les représentations et le sens construit autour du vécu de chaque participant à la
lumière des questions à l’étude. Ce document a été acheminé par courriel à chaque participant qui
était invité à le lire et le valider. Le but était de s’assurer que la compréhension du chercheur soit la
plus représentative possible de celle que les participants ont de leur propre vécu. Dans les faits, 11
des 13 participants ont répondu à cette invitation. Ils ont tous confirmé la justesse du résumé de leur
vécu apportant parfois quelques corrections mineures sur leur perception des faits.
Validation du protocole de collecte des données. Pour valider les deux premières étapes de la
collecte des données, les entrevues un et deux ont été réalisées avec deux participants. Le chercheur
a ainsi pu mettre à l’épreuve le canevas d’entrevue et tester la pertinence d’effectuer une seconde
entrevue de la façon proposée. Dans l’ensemble, les données générées par ce protocole sont très
pertinentes et suffisamment détaillées pour comprendre chaque cas en profondeur et éclairer les
questions à l’étude. Le canevas de la première entrevue a été abrégé pour ne retenir que les questions
essentielles et en faciliter le déroulement. La seconde entrevue a été préservée telle quelle, compte
tenue de la pertinence de celle-ci dans l’approfondissement du vécu des participants. Les 11 autres
participants ont suivi ce protocole d’enquête légèrement ajusté.
3.7 Traitement des données
Les entrevues semi-structurées ont été enregistrées et transcrites intégralement. Des notes prises par
l’interviewer pendant ou après l’entrevue ont été ajoutées en marge des transcriptions. Ces notes
fournissent des informations non captées par l’enregistrement sonore (langage non verbal du
participant, affects manifestés, pensées de l’interviewer) et qui aident à mieux saisir le sens de
certains propos (Yin, 2009). Les informations ayant trait au profil des participants ont été compilées
dans un fichier Excel selon les normes propres à chaque mesure. Ces données constituent le corpus
empirique sur lequel l’analyse a porté.
3.8 Analyse des données
Une analyse qualitative a été effectuée pour faire émerger le sens de l’ensemble des données et
répondre aux questions de la recherche. L’analyse qualitative est « une démarche discursive de
reformulation, d’explicitation ou de théorisation de témoignages, d’expériences ou de phénomènes […]. Son résultat
n’est, dans son essence, ni une proportion ni une quantité, c’est une qualité, une dimension, une extension, une
94
conceptualisation de l’objet » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 11). Pour cette recherche, l’analyse des
données a été réalisée en deux phases. La première phase a consisté à analyser chaque cas
séparément en s’inspirant de la méthode proposée par Creswell (2007). Elle a abouti à la production
d’un résumé pour chaque cas, résumé validé par 11 des 13 participants. Ces résumés ne sont pas
publiés dans cette thèse afin de préserver la confidentialité et l’anonymat des participants à l’étude.
La deuxième phase s’est attardée à dégager le sens émergent de l’ensemble des cas en adaptant la
méthode développée par Stake (2006). Les analyses issues de cette seconde phase sont présentées
dans le prochain chapitre. Chaque phase de l’analyse sera maintenant décrite plus en détail.
3.8.1 Première phase de l’analyse : les études de cas
La première phase consiste à analyser chaque cas et à en produire un résumé. Elle s’est déroulée en
trois étapes : la codification, la rédaction du résumé de cas et la rétroaction du participant à ce
résumé. Elles sont présentées ci-dessous.
La codification thématique. Pour mener à bien une analyse qualitative, il faut pouvoir réduire
progressivement les données en unités de sens, en catégories puis en thèmes à partir desquels peut
être rédigée une synthèse et examinées les questions de la recherche (Creswell, 2007). « Le but du
codage est de repérer, de classer, d’ordonner, de condenser », pour ensuite analyser et interpréter (van der
Maren, 1996, p. 432). La codification est donc la première étape de l’analyse qui sert autant à la
rédaction des résumés de chaque cas qu’à l’examen des questions de la recherche. Pour une étude de
cas multiples, il est recommandé de procéder à une codification par thèmes (Creswell, 2007; Stake,
2006). Un thème représente un ensemble de faits ou une idée présente dans une phrase ou en
ensemble de phrases. Le thème dépasse la simple désignation des faits (un geste, un mot, une
sensation, etc.) et vise plutôt à représenter un ensemble signifiant (ou une unité de sens) de gestes,
de mots ou de sensations dans un contexte donné. L’analyse thématique, quant à elle, consiste à
effectuer le repérage systématique des thèmes présents dans le corpus pour ensuite les classer et les
regrouper en un tout signifiant (Paillé et Mucchielli, 2012).
Pour identifier les thèmes, tel que recommandé par Paillé et Mucchielli (2012), le chercheur s’est
d’abord familiarisé avec les données en effectuant lui-même les entrevues et les transcriptions. Il a
ensuite relu la problématique ainsi que les questions de la recherche pour les avoir en tête lors de la
codification. La codification s’est centrée sur le repérage des thèmes susceptibles d’éclairer les
95
questions de la recherche tout en restant ouverte à l’apport d’éléments nouveaux. Progressivement,
les premiers codes se sont transformés en thèmes de mieux en mieux définis. Puis, les thèmes ont
été peu à peu regroupés ou scindés en sous-thèmes. L’arbre thématique ainsi obtenu s’est stabilisé
autour de la septième étude de cas de sorte que les thèmes créés suffisaient presque entièrement à
coder le nouveau matériel.
Logiciel d’analyse qualitative. La codification des transcriptions a été effectuée à l’aide du logiciel
MAXQDA22. Il s’agit d’un logiciel de traitement des données qualitatives qui permet aussi de joindre
des données quantitatives. D’utilisation simple, il permet un codage et une analyse poussée des
données (par mot, par code, par participant, pour tous les participants, etc.). Il offre des outils faciles
d’utilisation pour la théorisation (schémas, graphiques, etc.) permettant de préserver un lien direct
entre les données, les codes, les thèmes et les mémos (ou notes en marge du chercheur), facilitant le
lien entre la généralisation théorique et la reconstitution du sens dans un cas particulier comme dans
l’ensemble des cas. Une version PLUS offre la possibilité de créer des dictionnaires (pour les codes,
notamment) et de faire des analyses de vocabulaire. La onzième version complète a été utilisée pour
la codification.
Ce type de logiciel est un outil, le codage et l’analyse étant effectués par le chercheur. Les avantages
du logiciel sont de faciliter le traitement systématique des données et d’effectuer plusieurs niveaux
d’analyse tout en restant ancré dans les données (Creswell, 2007; Yin, 2009).
La validation des thèmes. Un thème valide représente une idée qui ne chevauche pas celle d’un
autre thème et il est pertinent en regard des questions de la recherche. La récurrence de thèmes
pertinents ajoute à leur validité. Il devient alors possible de classer les thèmes en préservant leurs
distinctions et leurs liens avec les questions de la recherche. Une telle thématisation n’est possible
que si les données sont suffisamment riches, compréhensibles et reliées aux questions à l’étude
(Paillé et Mucchielli, 2012).
Dans la présente recherche, la validation des thèmes s’est effectuée suivant les recommandations de
Paillé et Mucchielli (2012). La construction des thèmes s’est faite progressivement en codifiant les
22 http://www.maxqda.com/products/maxqda/history
96
unités de sens à l’aide d’inférences faibles ou moyennes, ce qui permet de préserver un rapport
plutôt étroit entre les thèmes et les indices qui les décrivent. Les thèmes se sont précisés au fur et à
mesure que des indices apparentés ou distincts apparaissaient. Certains thèmes ont été fusionnés et
d’autres scindés. Le début de l’analyse thématique a été inductif partant des données pour aller vers
les thèmes. Le deuxième mouvement a été davantage déductif allant des thèmes vers les données. En
effet, une fois les thèmes identifiés et définis, la codification a consisté à repérer les indices de la
présence d’un thème tout en restant ouvert à l’apparition de nouveaux thèmes ou à l’ajout de
nuances dans les thèmes identifiés. Un troisième mouvement a consisté à comparer les thèmes et
leur définition à ceux existant dans les écrits scientifiques de façon à alimenter les réflexions du
chercheur sur la désignation et la définition des thèmes. En effet, il serait peu productif d’appeler
rumination ce qui est habituellement désigné par distraction. Ce troisième mouvement a concerné
les thèmes associés aux affects, aux SRA et aux besoins en consultation. Le quatrième et dernier
mouvement a impliqué un aller-retour constant entre les données, les thèmes et leur conception
dans les écrits scientifiques dans le but d’assurer une cohérence d’ensemble et un ancrage dans les
données, ce qui n’exclut pas l’apparition de thèmes inédits.
Plus précisément, lors de la codification des entrevues, la taxonomie de Larivey (2002) a été utilisée
pour discriminer les différents états affectifs rapportés par les participants. La codification des SRA a
été délimitée en fonction des définitions retenues pour chaque SRÉ dans la recension des écrits. La
codification des situations-problèmes s’est opérée autour de thèmes émergeant. Enfin, la
codification des propos liés à la consultation s’est référée au manuel de Gambrill (2006).
L’analyse thématique a été effectuée par le chercheur qui a ainsi donné sa perception des propos des
participants. Un autre chercheur ayant d’autres sensibilités ou d’autres référents théoriques arriverait
possiblement à un résultat comprenant certaines différences. Qu’importe, ces deux analyses n’en
seraient pas moins valables pourvu qu’on puisse retracer la démarche suivie par le chercheur et en
comprendre la logique interne. Au final, ce qui assure la validité des thèmes, c’est leur ancrage dans
les données et la possibilité d’en extirper le sens par une analyse minutieuse (Paillé et Mucchielli,
2012; Stake, 2006).
Les résumés de cas. Le résumé de cas vise à articuler les informations au sujet d’un participant en
un tout cohérent. Ultérieurement, lors de l’interprétation de l’ensemble des données, il permet de
97
situer un cas par rapport aux autres cas sans perdre de vue les particularités de chacun (Miles et
Huberman, 2003; Yin, 2009). À partir des transcriptions codifiées et annotées, chaque cas a été
résumé en rédigeant un récit descriptif ainsi qu’un récit interprétatif. Le récit descriptif présente le
cas dans sa globalité, dépassant le cadre strict des questions de recherche. L’objectif est de décrire le
cas et son contexte. Le récit interprétatif vise à interpréter les données dans le but de répondre aux
questions de la recherche. Il s’agit ici de faire ressortir la manière dont chaque cas, individuellement,
répond aux questions de la recherche (Creswell, 2007). Les résumés de cas produits alternent
description et interprétation. Les aspects abordés sont, dans l’ordre, le profil sociodémographique et
de consultation du participant, les situations-problèmes qui ont incité à consulter un professionnel,
les affects éprouvés en lien avec ces situations-problèmes ainsi que les SRA utilisées. Les situations-
problèmes, les affects et les SRA sont décrits en deux temps : le premier temps est celui prévalant
avant la consultation et le second temps est celui qui prévalait au moment de l’entrevue. Dans les
faits, la coupure n’a pas été aussi nette lors des entrevues, les participants décrivant ces aspects de
leur vécu suivant une trame historique qui leur est propre. C’est lors de l’analyse que cette coupure a
servi de repère comparatif. Le résumé de ces éléments décrits selon deux temps différents visait à
déterminer la présence ou l’absence de changement, la nature du changement (le quoi) et sa direction
(régression, stagnation, progression). Puis, deux questions davantage interprétatives ont été
abordées, soit le rôle des SRA dans le processus de changement et l’apport de la consultation à ces
changements. Au final, chaque résumé de cas compte entre trois à cinq pages.
À ce stade, trois transcriptions codées accompagnées de leur résumé ont été relues par des experts
dans le domaine de la recherche qualitative ainsi que sur les thèmes de la recherche. Cette relecture a
permis de confirmer la pertinence de la méthode d’enquête et d’analyse des données. Ces derniers
ont souligné la spécificité de la démarche et la richesse des données produites. Comme le soulignent
Paillé et Mucchielli (2012), bien que difficile à reproduire, une telle démarche d’enquête et d’analyse
n’en fournit pas moins des données valides et capables d’éclairer les questions à l’étude.
Ultérieurement, elles pourront être testées par d’autres types d’études (van der Maren, 1996).
La rétroaction du participant au résumé du cas. Le résumé de cas a été envoyé par courriel à
chaque participant. La plupart (11 sur 13) y ont répondu et ont confirmé tant la justesse de la
description que la pertinence des interprétations proposées. Certains participants ont apporté
quelques corrections sur des faits, sans plus. Au terme de ce processus d’enquête et d’analyse, il est
98
acquis que les résumés de cas reflètent bien la coconstruction de sens autour du vécu des
participants.
3.8.2 Deuxième phase de l’analyse : l’ensemble des données
La deuxième phase d’analyse porte sur le même corpus empirique, mais reflète davantage le point de
vue du chercheur qui s’efforce, à cette étape, de dégager le sens de l’ensemble des données. Cela
implique un travail d’interprétation minutieux et méthodique afin de préserver un ancrage solide
dans les données collectées (Paillé et Mucchielli, 2012). La partie qui suit décrit comment le travail
d’interprétation et de théorisation a été effectué.
L’interprétation des données. Interpréter, c’est « faire surgir le sens en mettant en relation des événements et
des contextes » (Paillé et Mucchielli, 2012, p. 349). Dans cette recherche, une première interprétation
des données a permis de rédiger un résumé de cas pour chaque participant. Toutefois, un résumé de
cas constitue une analyse verticale ayant sa logique propre, laquelle ne peut s’appliquer intégralement
à un autre cas. À cette nouvelle étape, le travail d’interprétation a consisté à rechercher une logique
dans l’ensemble des données. Pour y parvenir, une analyse horizontale des données a permis de
comparer les cas entre eux de façon à identifier les ressemblances et les différences ainsi qu’à
dégager les tendances (Stake, 2006). Suivant les questions de la recherche, cette analyse horizontale
doit permettre de cerner le quoi et le comment. Dans un premier temps, l’analyse comparative des
cas vise à identifier les ressemblances et les différences dans la nature (le quoi), la direction (progrès,
régression ou stagnation) et l’ampleur des changements réalisés. Cette première étape implique une
réorganisation des données de façon à les rendre comparables entre elles. Pour ce faire, un codage
ordinal a été réalisé afin de traduire en chiffres les perceptions des participants à propos de leur vécu
selon la procédure suggérée par van der Maren (1996). Pour les situations-problèmes, lorsqu’un
participant estimait qu’un problème n’avait pas évolué, la cote « aucun progrès » ou zéro lui était
attribuée. Lorsqu’un progrès était perçu, une cote d’un à trois était attribuée suivant la perception de
l’ampleur de ce progrès (modeste, moyen ou important) par les participants et le chercheur. Pour les
affects, cette traduction s’est attardée à leur intensité, à leur fréquence et à leur durée. Lorsqu’un
affect était absent, la cote de 0 était attribuée. Lorsqu’il était parfois présent et de faible intensité, la
cote de 1 était attribuée. Si un affect était ressenti fréquemment et avec une intensité moyenne, la
cote de 2 était accordée. La cote 3 était réservée aux affects presque constants et d’intensité élevée.
Quant aux SRA, elles ont été classées selon leur fréquence d’utilisation (0 = Jamais, 1 = Parfois, 2 =
99
Régulièrement, 3 = Souvent). L’ensemble de ces cotes ont été organisées dans des fiches analytiques
tel que recommandé (Stake, 2006; van der Maren, 1996). Ces cotes ont été attribuées par le
chercheur en comparant les perceptions des participants à propos de la situation-problème, des
affects et des SRA entre deux périodes : la première période correspond à celle qui précède la
consultation et la deuxième période réfère au moment de la collecte des données qui est survenu
après un certain nombre de rencontres avec un professionnel de la relation d’aide (au moins sept
rencontres et jusqu’à plus d’une centaine). Durant les entrevues, les participants étaient amenés à
faire eux-mêmes ces comparaisons pour préciser au chercheur la nature, l’ampleur et la direction des
changements perçus en regard de la situation-problème, des affects et des SRA.
Ces cotes ont une valeur heuristique et non statistique. Elles visent à représenter de façon simplifiée
et comparable des caractéristiques associées aux variables étudiées comme la nature (le quoi), la
direction (progrès, régression ou stagnation) et l’ampleur des changements réalisés (Michell, 2011).
Cette traduction de données qualitatives en données quantitatives a ses limites. Les cotes ne rendent
pas compte de la complexité du vécu tel que perçu par les participants. Comme le souligne van der
Maren (1996), il y a toujours une certaine perte de sens dans l’opération de quantifier des données
qualitatives, que cette quantification soit effectuée par le chercheur (en complétant des grilles
d’observation, par exemple) ou le participant (comme en complétant un questionnaire autoévaluatif).
Qui plus est, les participants n’ont pas été invités à se prononcer sur la justesse de ces cotes. Elles
reflètent les perceptions du chercheur à propos des perceptions des participants. Ces derniers ont
par contre validé le résumé de cas qui a examiné en profondeur leur vécu et servi de repère pour
l’attribution des cotes. Malgré leurs limites, ces fiches ont comme avantage de rendre intelligible une
masse de données complexes en facilitant leur comparaison sans nier l’unicité de chaque vécu qui, en
bout de piste, sert de validation. En effet, en retournant vers les résumés de cas, ces fiches doivent
en être une représentation sensée pour avoir leur pertinence. Il est ainsi possible de dégager une
vision d’ensemble qui demeure ancrée dans les données propres à chaque participant (Stake, 2006;
van der Maren, 1996).
L’analyse de ce qui s’est passé entre la période qui précède et celle qui suit la consultation est plus
complexe. Cette analyse est essentielle, car elle permet de mettre en lumière le processus de
transformation des situations-problèmes, des affects et des SRA. Pour ce faire, le processus de
chaque participant a d’abord été décrit dans les résumés de cas. En les comparant entre eux, les
100
éléments essentiels en ont été extirpés puis ordonnés suivant le vécu des participants. Il en ressort un
processus de transformation spécifique à l’évolution des situations-problèmes, des affects et des
SRA. Un autre type de fiches a facilité ce travail de comparaison. Pour chaque variable à l’étude
(situations-problèmes, affects et SRA), les codes ont été relus de façon horizontale. Cela a permis de
dresser un portrait d’ensemble de chaque thème. Puis, les relations entre les thèmes ont été
examinées à la lumière de l’analyse horizontale (synthèse de chaque thème) et de l’analyse verticale
(résumés de cas). Cette analyse croisée visait à assurer une analyse méticuleuse bien ancrée, la
cohérence d’ensemble (entre le particulier et le général), la richesse et la pertinence des
interprétations.
La théorisation. L’étape suivante est la théorisation. Théoriser, c’est modéliser le sens qui se dégage
de l’ensemble des données. La modélisation prend souvent la forme d’un tableau ou d’un schéma.
Elle comporte un degré d’inférence élevé en ce sens qu’elle met en lien des concepts qui se
détachent de la désignation des faits pour s’attarder au sens des phénomènes qui les relient. La
modélisation est en partie un acte de création qui amalgame les données de la recherche, les
connaissances du chercheur ainsi que ses sensibilités. Dans cet esprit, défendre une thèse, c’est
proposer une articulation précise des phénomènes étudiés susceptible de faire avancer les
connaissances. Il peut s’agir d’un modèle original ou d’un modèle existant qui est repris et ajusté au
besoin (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette vision rejoint celle d’une étude de cas multiples dont le but
est de développer des théories (Pires, 1997; van der Maren, 1996; Yin, 2009). Le modèle peut ensuite
être testé de façon déductive en analysant les cas à la lumière du modèle en question. Si le modèle ne
parvient pas à décrire ou qu’il n’aide pas à comprendre un seul cas, il est alors nécessaire de cerner
dans quelles conditions il s’applique ou d’ajuster le modèle (Paillé et Mucchielli, 2012).
Pour la présente recherche, la réflexion théorique a procédé de manière inductive puis déductive les
deux s’entremêlant par la suite comme le proposent Paillé et Mucchielli (2012) de même que Stake
(2006). Elle a abouti à la modélisation des processus de transformation des situations-problèmes, des
affects et des SRA. Les liens entre ces variables ont aussi été modélisés. La modélisation s’est
traduite en phases, en tableaux et en schémas. Pour valider ces modèles, l’évolution de chaque
participant y a été relue permettant de voir si ces modèles en donnent une juste compréhension et y
jettent un nouvel éclairage. Au besoin, les modèles en question étaient ajustés jusqu’à l’obtention
d’une valeur heuristique optimale.
101
Dans les chapitres qui suivent, pour chaque question à l’étude, une synthèse des données est
présentée (section résultats) suivi de leur interprétation, leur théorisation (section interprétation des
résultats) et de la comparaison avec d’autres écrits scientifiques (section discussion). À la fin, une
interprétation et une théorisation pour l’ensemble des données sont exposées afin de répondre à la
question générale de la recherche.
3.8.3 Éléments pour une interprétation et une théorisation de qualité
En recherche qualitative, la qualité d’une théorie s’apprécie lorsqu’elle peut être lue dans les deux
sens. Le premier sens implique de commencer par lire, pour un cas, les transcriptions intégrales des
entrevues, les codes, le résumé puis les interprétations et la théorisation. Le deuxième sens consiste à
effectuer le parcours inverse, mais avec un autre cas. Si la théorie est de bonne qualité, le lecteur
estime qu’elle met en évidence l’essence des données du premier cas, qu’elle les rend intelligibles tout
en les réduisant à quelques idées et, pour les cas suivants, qu’elle en facilite la compréhension (Paillé
et Mucchielli, 2012). Pour parvenir à une telle construction théorique, suivant les recommandations
de Yin (2009) le chercheur s’est assuré de bien connaitre chaque cas (en effectuant les interviews,
l’écoute des bandes audio, les transcriptions, etc.) et de les comprendre à la lumière des questions de
recherche (résumés de cas). Par la suite, des explications possibles des phénomènes observés (par
exemple, régression de la situation-problème) ont été explorées. Enfin, des interprétations rivales ont
été examinées en s’inspirant, notamment, d’autres études.
Une dernière précaution consiste à s’assurer que la théorie produise des énoncés falsifiables. Un
énoncé est falsifiable s’il décrit un événement logiquement possible, observable et que l’énoncé
contraire est concevable. Les énoncés falsifiables prennent la forme d’hypothèses qu’il est possible
de vérifier empiriquement (Popper, 1959, 1990). Dans la présente étude, la théorisation s’est ancrée
dans les perceptions des participants qui peuvent être observées directement (les comportements et
les situations-problèmes) ou indirectement (les cognitions et les affects).
Critères de scientificité de l’analyse qualitative. Les critères de scientificité correspondent aux
moyens pris par le chercheur pour assurer la valeur scientifique de son étude. Or, en recherche
qualitative, il n’y a pas de critères de scientificité pouvant s’appliquer de façon uniforme. Le
chercheur doit choisir, parmi un ensemble de critères, ceux qui sont applicables et susceptibles
102
d’assurer la scientificité de son étude. Whittemore, Chase, et Mandle (2001) proposent une dizaine
de critères dont quatre leur apparaissent incontournables, soit l’authenticité, la crédibilité, la
réflexivité et l’intégrité. Selon ces auteurs, les autres critères enrichissent la scientificité; il s’agit de la
transparence, la vivacité, la créativité, la profondeur, la congruence et la sensibilité. La mise en œuvre
de ces critères a exigé du chercheur de réfléchir tout au long du projet à ces critères et à mettre en
place différents moyens pour y répondre, notamment une collecte prolongée des données, la prise
en considération de sa propre influence sur les témoignages des participants, le chevauchement de la
collecte des données et de l’analyse, le retour vers les participants pour valider l’analyse des données,
la prise de notes à propos des procédures d’investigation, et enfin, de demander l’avis d’autres
chercheurs (Lietz et Zayas, 2010). Par exemple, Whittemore et al. (2001) définissent la crédibilité
comme les moyens pris par le chercheur pour s’assurer que son interprétation des données reflète
bien le sens que les participants attribuent à leur vécu. Dans cette thèse, il y a eu plusieurs allers-
retours entre le chercheur et les participants pour s’assurer de bien comprendre leurs perceptions à
propos de leur vécu. La deuxième entrevue et le résumé de cas ont été effectués dans ce but. Trois
entrevues ont aussi été relues par des experts du domaine pour valider d’une autre manière les
interprétations du chercheur.
3.9 Limites de la recherche
Cette recherche comporte plusieurs limites dont certaines sont inhérentes à la recherche qualitative,
aux études de cas multiples et à l’analyse thématique. Si la principale force de cette recherche est un
ancrage solide de la théorisation dans le vécu des participants, et plus exactement dans la
coconstruction de sens autour de ce vécu, la principale faiblesse est que la généralisation du modèle
émergeant et des hypothèses induites reste à vérifier. Cette validation pourrait venir lors d’une
deuxième phase durant laquelle la théorie émergeant de la présente recherche serait testée sur une
grande échelle (van der Maren, 1996). Une deuxième limite est que cette coconstruction de sens est
redevable aux interactions entre les participants et le chercheur. Ce dernier cumule, notamment, une
quinzaine d’années d’expérience en intervention auprès des hommes. Un autre chercheur aurait
certes mené un peu différemment les entrevues, codifié avec quelques nuances et rédigé des résumés
de cas reflétant sa perception du sens du vécu des participants. Néanmoins, cette subjectivité
assumée fait aussi la richesse de ce type d’étude dont le but est d’explorer la richesse du vécu et une
variété de sens possibles. Si d’autres interprétations sont possibles, celui émergeant de l’actuelle
démarche n’en est pas moins valide même s’il est pratiquement impossible de le reproduire tel quel
103
(Paillé et Mucchielli, 2012). Dans la même veine, une troisième limite provient du fait que les
participants à cette recherche étaient généralement satisfaits de la consultation qui les a amenés
précisément à examiner en profondeur leur vécu affectif ainsi que les SRA qu’ils utilisent. On peut y
percevoir un biais positif des participants envers les affects et les SRA de même qu’envers leur rôle
dans le processus de changement. Leurs témoignages n’ont pu être contrastés avec ceux d’hommes
qui consultent et pour qui les affects n’ont pas joué un rôle significatif. En quatrième lieu, la présente
étude a été réalisée avec un faible nombre de participants, ce qui restreint la généralisation et la
prétention à inventorier la diversité des cas de figure possibles. En effet, il est probable que certains
cas ne puissent être décrits par la théorie émergeant de cette thèse et pourraient ultérieurement
l’enrichir. Dans cet esprit, cette théorie demeure ouverte (Paillé et Mucchielli, 2012; van der Maren,
1996). Une cinquième limite est liée aux critères de sélection. Par exemple, les participants ont été
sélectionnés en fonction de leur capacité de reconnaitre leurs émotions ainsi que les changements
dans leur situation-problème et après avoir consulté un professionnel de la relation d’aide. Il serait
intéressant de savoir comment des individus ayant un niveau élevé d’alexithymie peuvent réaliser des
changements et s’adapter sans nécessairement vivre la phase de libération émotionnelle. On peut
aussi se demander comment des individus qui ne consultent pas parviennent à s’adapter à des
expériences qui sont semblables à celles vécues par les participants rencontrés. Ajoutons que les
participants ont consulté plus longtemps que la moyenne des hommes qui consultent souvent à très
court terme (Dulac, 1997, 1999). Une sixième limite concerne le sexe et le genre des participants. Les
participants rencontrés sont des hommes et on ignore si la théorisation qui en découle peut
s’appliquer aux femmes. Le genre n’ayant pas été contrôlé dans cette étude, il n’est pas possible de
savoir quel rôle il peut jouer dans le processus de changement. Une septième limite a trait aux autres
caractéristiques des participants (âge, ethnie, langue maternelle, etc.) qui ne représentent pas la
diversité de la population. Ces limites sont fréquentes dans des études de cas multiples qui visent à
comprendre en profondeur et qui, pour ce faire, doit perdent en représentativité de la diversité
(Pires, 1997). Des études quantitatives pourront ultérieurement effectuer cet examen de la valeur de
la théorisation en tenant compte de la diversité de la population.
3.10 Éthique de la recherche
L’éthique en recherche se fonde sur le respect d’un certain nombre de principes moraux (respect de
la dignité humaine, consentement libre et éclairé, etc.) et de l’admissibilité des moyens pris pour les
respecter (Instituts de recherche en santé du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et
104
en génie du Canada, et Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, 2005). La présente
section résume les moyens pris pour résoudre les principaux enjeux éthiques de cette étude.
Cette recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique et de la recherche avec des êtres humains
de l’Université Laval (CÉRUL numéro d’approbation 2015-009/10-03-2015). Notons que 30$ ont
été remis aux participants, et ce, après chaque entrevue. Tel qu’indiqué sur le formulaire de
consentement, ce montant était non remboursable s’il y avait eu désistement de leur part en cours de
route. Le protocole de recherche précisait la façon de gérer la liste d’attente et de possibles refus à
participer à l’étude. Durant la recherche, l’ensemble des éléments éthiques convenus avec le CERUL
ont été respectés. En complément aux éléments éthiques abordés plus haut dans ce chapitre (voir
recrutement, sélection des candidats, protocole de collecte des données, etc.), soulignons que les
règles entourant la confidentialité et le droit de retrait ont été abordées à plusieurs reprises avec les
candidats ou les participants (fiche publicitaire, premier contact téléphonique, première entrevue,
deuxième entrevue). Le but était de s’assurer du consentement continu à leur participation à cette
recherche même après la signature du formulaire de consentement. Avant même de consentir à
participer à cette recherche, les candidats ont eu accès à toutes les informations et aux explications
demandées. Ils ont également eu le temps d’y réfléchir avant de donner leur approbation sans avoir à
subir de pression. Lors de la collecte des données, le chercheur a porté une attention particulière à ce
que l’entrevue ne déstabilise pas émotionnellement le participant. Pour ce faire, le chercheur a
adopté l’attitude d’un enquêteur avisé et empathique (Paillé et Mucchielli, 2012). L’attitude
empathique et le non jugement sont conseillés pour assurer aux participants une sécurité
émotionnelle (Fontana et Frey, 2008). Au moment de la conclusion de chaque entrevue, les
participants ont été invités à donner spontanément leurs impressions, ce qui permettait de vérifier
leur état émotionnel. À la fin, les participants ont estimé bénéfiques leur expérience et se sentir bien.
La plupart (11 sur 13) étant toujours en démarche de consultation avaient également l’occasion d’en
reparler avec leur intervenant. Lors du traitement des données, les informations ont été modifiées
afin d’assurer l’anonymat des participants sur les transcriptions en utilisant, par exemple, des noms
fictifs. Seuls le chercheur et le directeur de thèse ont eu accès au dossier nominal. Qui plus est,
lorsque certains enjeux éthiques sont apparus au cours de la recherche, ils ont été discutés avec le
directeur de thèse ou un membre du comité de thèse. Il a été ainsi convenu de ne pas publier
l’intégralité des résumés de cas afin de préserver l’anonymat des participants à l’étude. Dans
105
l’ensemble, le suivi rigoureux des règles éthiques et la réflexion constante menée autour de celles-ci
ont permis de surmonter les défis éthiques que représente un tel projet.
106
CHAPITRE 4 : RÉSULTATS, INTERPRÉTATIONS ET DISCUSSIONS
4.1 Situations-problèmes : résultats
La première question de recherche vise à décrire la nature des changements réalisés par rapport à la
situation-problème, à spécifier la direction de ces changements (régression, stagnation ou
progression) et leur importance (nulle, modeste, moyenne, importante) ainsi qu’à en caractériser les
différentes phases. Dans un premier temps, les problèmes23 qui prévalaient avant la consultation
sont nommés et leur ampleur décrite. Dans un second temps, les changements dans ces problèmes
tel que perçus au moment de la collecte des données sont précisés. Au troisième temps, les phases
du processus de changement entre ces deux temps sont dépeintes. Au quatrième temps, ces résultats
sont interprétés de façon à modéliser le sens du vécu des participants en regard des situations-
problèmes. Enfin, au cinquième temps, les résultats sont analysés à la lumière du cadre théorique
ainsi que d’autres études.
4.1.1 Problèmes avant la consultation
Les principaux problèmes abordés en consultation par les participants sont liés au couple (difficultés
relationnelles, rupture amoureuse), à la famille (rôle parental, relations avec les parents) et au travail
(surmenage, remise en question de la carrière). Tous les participants ont été confrontés à au moins
une de ces difficultés et jusqu’à quatre d’entre elles. D’autres difficultés ont pu s’ajouter durant la
démarche de consultation tels un deuil, la perte de capacités physiques, de sens à la vie, des
problèmes financiers, etc. Les participants rapportent que, au moment de la collecte des données,
ces difficultés duraient depuis au moins cinq ans pour neuf d’entre eux et entre une à trois années
pour les quatre autres. Selon eux, ces problèmes ont eu des impacts négatifs24 dans leur vie pendant
une bonne partie de cette période. Il s’agit de problèmes importants pour eux. Pour en donner un
exemple, voici une brève présentation de la situation-problème de Merla. Il s’agit d’un homme de 55
ans qui a eu une fille avec une femme dont il s’est séparé il y a quinze ans. À la suite de cette
séparation, il a eu plusieurs conflits avec son ex-conjointe à propos des frais associés au divorce ou
pour des besoins particuliers de sa fille (orthodontiste, déménagement, études, etc.). Ces conflits ont
duré près de quatorze ans. Qui plus est, sa fille lui a fait des reproches. Ils ont eu quelques conflits à
23 Pour la distinction entre problème et situation-problème, le lecteur doit se référer au premier chapitre, section « situation-problème ». 24 Les impacts sont abordés dans la section qui présente les résultats à propos des affects.
107
son adolescence et elle a décidé de ne plus parler à son père pendant trois ou quatre ans. Cette
situation-problème a eu, selon lui, des répercussions sur la relation avec sa nouvelle conjointe, car
Merla était souvent maussade et bougonneur. Il estime cependant que la relation avec sa fille et son
ex-conjointe s’est améliorée depuis deux ans.
4.1.2 Problèmes après un certain temps en consultation
La plupart des participants estiment que, pendant la consultation, la situation-problème vécue a
évolué positivement, mais à différents degrés. Ainsi, trois participants indiquent avoir réalisé des
progrès modestes (Henry, Komi, Éric), trois autres les évaluent moyens (Willy, Navan, Paul) alors
que six les considèrent importants (Octavian, Merla, Francesco, Sam, Martial, Marc) par rapport à la
situation-problème initiale. Bref, pour 12 des 13 participants, la situation-problème a progressé. La
situation-problème de Luca est restée stagnante selon lui.
Les participants ont évalué de trois manières différentes les changements réalisés durant la
consultation en regard de la situation-problème qu’ils ont vécue. La première façon dénote une
évolution positive de la situation-problème, signifiant par là qu’elle est soit réglée ou soit gérée de
façon à ce qu’elle ne dérange plus. Par exemple, Sam dit : « Je considère que l'équilibre que nous avons
atteint sur le plan familial est optimal dans le contexte. J'ai une bonne relation avec ma fille, je parle avec sa mère, on
échange là-dessus, et ensemble, on est spontané. C'est à peu près le maximum que je peux espérer ». La seconde
façon va dans le même sens, mais insiste sur la perception d’une certaine fragilité des progrès
réalisés. Cette fragilité est souvent associée à une certaine récence des progrès constatés et dont la
maitrise leur parait incertaine comme en témoigne Henry qui, malgré une certaine adaptation à un
divorce, se dit encore fragile : « Il en reste encore, je me sens fragile, il en reste ». La troisième évaluation
révèle une impression de stagnation. En ce cas, le participant croit que la situation-problème n’a pas
évolué. Seul Luca évalue sa situation-problème stagnante. Cependant, tous les participants
mentionnent avoir vécu au moins une période de stagnation plus ou moins longue au cours de leur
processus de changement. Comme l’explique Francesco en lien avec sa situation-problème : « Gérer
un enfant, j'ai eu beaucoup d'anxiété, mais je l'ai fait. Dans le passé, j'arrêtais comme je t'ai dit, il y a de quoi qui
arrivait pis je barrais ».
Notons enfin qu’aucun participant n’a estimé la situation-problème vécue en régression au moment
de l’entrevue. Au contraire, en tenant compte des difficultés qu’ils ont vécues, ils croient avoir réalisé
108
des progrès significatifs quoique récents pour la plupart. Qui plus est, plusieurs poursuivent leur
démarche de consultation afin de maintenir et d’approfondir les progrès réalisés. Seul Luca n’est pas
décidé à faire en sorte de changer sa situation-problème et ignore s’il continuera la consultation qui
lui a « permis d'avoir une réflexion approfondie. D'opérer des changements, ça va peut-être venir, mais actuellement
c’est plus d'avoir une réflexion pis approfondir, le mot j'pense est bon ». En ce qui concerne Martial, il a arrêté la
consultation il y a trois mois, car il est satisfait des changements réalisés, lesquels se maintiennent
selon lui.
4.1.3 Processus de changement des situations-problèmes
Du point de vue des participants, la situation-problème s’est améliorée pour la plupart d’entre eux en
la comparant à ce qu’elle était avant la consultation et après un certain cheminement (entre 10 et 20
rencontres pour la majorité) avec un professionnel de la relation d’aide. Les propos des participants
laissent entendre qu’entre ces deux moments, la situation-problème a suivi un parcours sinueux. Cela
signifie que la situation-problème s’est atténuée progressivement, au fil des mois, voire des années,
tout en connaissant des rechutes. Les faits saillants de ce processus de changement seront
maintenant présentés.
Les participants racontent que, au début, ils étaient portés à penser que la situation-problème allait
s’arranger avec le temps et certains efforts. Puis, ils ont perçu que les choses sont plus compliquées
qu’elles ne le semblent : les tentatives de solutions ne fonctionnent pas, la situation-problème
s’accentue et des affects négatifs apparaissent de plus en plus souvent.
En 2010, je vivais une situation professionnelle stressante. Je faisais beaucoup, beaucoup d'insomnie […] La
première raison, c'était vraiment ça parce que c'était totalement handicapant. J'enlignais beaucoup de nuits de
deux heures avec des attaques de panique. J'avais besoin qu'il se passe autre chose (Marc).
À un moment donné, la dégradation de la situation-problème atteint un point de rupture selon les
participants : une crise éclate et les entraine dans un tourbillon. Pour certains, la crise implique de
mettre fin à des relations avec des proches ou de prendre une distance : « Oui, en 2011, j'ai perdu mon
ancien emploi. Mon couple a fini en janvier 2013 pis avec un préalable » (Marc). Pour d’autres, c’est plutôt en
lien avec le milieu de travail que s’effectue cette prise de distance.
Je me promenais en permanence avec des bouchons dans les oreilles sauf quand je travaillais parce que je
n'étais plus capable de tolérer aucun bruit, absolument rien. Et pis là, ça fait trois mois que je suis arrêté de
109
travailler et pis ça va beaucoup mieux. Et là, je suis capable d'affronter des environnements, de parler avec
des femmes, des enfants [voix aiguës]. Je pense que j'étais en train de virer fou (Paul).
Selon les propos des participants, après la crise, deux voies sont possibles : soit que le participant
tombe dans une période de mésadaptation qui aggrave sa situation-problème (notamment par
l’utilisation de SRA non aidantes), soit qu’il fait un pas en avant en prenant un recul par l’utilisation
de SRA aidantes. Dans le premier cas, il s’agit d’une désorganisation après la crise. Les participants
ont alors tendance à éviter la situation-problème et, pour certains, à se désorganiser dans d’autres
sphères de leur vie.
Interviewer : Après ta tentative de suicide, tu décides de partir sur le party pendant quelques années ?
Paul : Sur le party pas à peu près... jusqu'en 2012! En fait, septembre 2011 parce que je suis devenu sobre
en septembre 2011.
Certains participants notent que la mésadaptation permet d’absorber le choc, mais qu’elle peut les
entraîner dans d’autres problèmes comme la dépendance à l’alcool.
L'alcool m'a aidé un peu pis à cause que là j'ai bu pendant 10-11 jours consécutifs, je me suis dit que ça
marche pas là. J'ai 21 jours de vacances, ça fait la moitié que je bois, ça marche pas là. Je ferai pas un
autre... j'ai dit : « WOW là, ça marche pas là! Faut que j'appelle ». J'ai allumé là. J'ai dit : « Non non,
hey » (Henry).
Dans le second cas, le recul pris permet à la fois d’absorber le choc, de refaire des énergies et de
remettre un peu d’ordre dans ses affaires : « Ben mettre de l'ordre dans ma paperasse, les RÉER, les papiers,
les travaux de la maison tout seul, je suis en arrière. Il y a un robinet que ça fait 18 mois » (Henry). Les
participants estiment qu’il est alors plus facile de réévaluer la situation-problème et de réfléchir à de
nouvelles pistes de solutions : « Un moment donné, j'ai réalisé que je ne l’étais plus [exclu], car ma fille comptait
sur moi pis elle gardait le contact » (Sam).
Après ce recul, les participants croient que leur parcours évolue vers de nouvelles tentatives de
solutions dont les premiers succès suscitent des espoirs.
J'ai souvent voulu, étant jeune, parce que je ne voulais pas déplaire à ma mère, je ne nommais pas
nécessairement mes besoins pis j'étais sage. Faque ça m'a amené, j'ai encore de la difficulté, mais je nomme
davantage mes besoins. Le fait de vouloir tout le temps être sage m'a amené à comprendre pourquoi j'avais de
110
la difficulté à être moi-même avec les filles pis avec les gars aussi. J'étais tout le temps sur la surface, j'avais de
la difficulté à être moi-même. Là, j'apprends à... (Éric).
Par ailleurs, les échecs peuvent être mal vécus ou d’autres embûches peuvent survenir et replonger le
participant dans une impasse voire une crise.
J'avais l'impression que je ne dormais pas bien, que je n'étais pas capable. Tous les petits trucs que j'avais, ça
faisait son bout de chemin pis un moment donné, il arrivait une affaire, un événement qui m'ébranlait un peu
pis paf, pis j'étais tombé à terre, pis j'avais de la misère à me relever (Octavian).
Certains participants craignent alors de ne pas arriver à surmonter ces épreuves : « Oui, il y a quelque
chose de différent, mais c'est comme une cure, il reste toujours un fond qui va probablement... » (Willy).
Lorsque la situation-problème est maitrisée et les embûches surmontées, les participants estiment
alors la situation-problème résorbée, voire résolue : « Oui, oui, pis aussi que j'ai retrouvé un sens à ma vie.
J'ai retrouvé un objectif de dire, wow, dans un an et demi, j'aurai terminé ma maitrise et je vais commencer une
nouvelle profession, une nouvelle carrière » (Martial). À partie de ce moment, la situation-problème n’est
plus un tracas, ils n’y pensent presque plus et ils sont plutôt tournés vers l’avenir.
4.2 Situations-problèmes : interprétation des résultats
4.2.1 Situations-problèmes avant et après un certain temps en consultation
Si on considère d’abord les différences et les ressemblances entre les situations-problèmes avant la
consultation et au moment de la collecte des données, il ressort des témoignages que des progrès ont
été accomplis par presque tous les participants, mais que le niveau de ces progrès se situe pour la
plupart entre modeste et moyen. En effet, la majorité des problèmes n’ont pas été entièrement
réglés, du point de vue des participants, ou ces derniers ne s’y sont pas totalement adaptés. Certains
participants constatent des progrès récents et s’interrogent sur leur capacité à les maintenir.
La fille avec qui je vais être, je me dis qu'elle devra m'accepter comme je suis. Pis dernièrement, j'ai rencontré
cette fille-là et j'ai vraiment senti qu'elle m'acceptait pis j'ai trouvé ça dur. Malheureusement, ma faille a fait
en sorte que j'ai trouvé quelque chose au niveau physique qui me tannait pis que je n'étais pas... pis d'autres
choses. J'ai été capable de rencontrer une fille qui semblait m'aimer pour ce que je suis pis j'étais vraiment
moi-même. Ça m'a un peu shaké (Éric).
111
Soulignons qu’un progrès est une amélioration par rapport à une situation-problème antérieure telle
que perçue par le participant. Cela ne signifie donc pas que tout est réglé, mais qu’une amélioration
est perçue. Les témoignages des participants militent en ce sens. Ce constat au sujet des progrès
réalisés peut s’expliquer par l’accumulation de plusieurs problèmes ainsi que leur durée, leur
complexité et leur lourdeur. On peut aussi penser que les progrès réalisés sont assez récents et qu’il
faut davantage de temps pour les consolider comme le suggère Willy :
Oui, il y a encore un bon bout à faire, mais la vie est plus belle aujourd'hui qu'il y a un temps. J'ai encore des
périodes de blues […] Par rapport à il y a un an, je suis pas mal mieux dans ma peau que je ne l'étais. Pas
mal mieux dans ma peau.
En somme, les participants ont été en mesure, dans un premier temps, d’arrêter la régression de
leurs situations-problèmes puis, dans un deuxième temps, de sortir d’un état de stagnation et de
progresser. Même si ces avancées, selon leurs propos, demeurent modestes, le fait de percevoir que
la roue tourne vers l’avant suscite des affects positifs et la motivation à poursuivre leurs efforts en ce
sens.
Le seul truc est qu'avant, il y avait tellement de problèmes que ce qui peut paraitre pour une petite évolution
de l'extérieur, de l'intérieur, de la manière que je le vis, je change beaucoup de choses. Donc, j'ai l'impression
qu'il y a beaucoup de choses qui ont changé. Mais effectivement, je continue de boire de l'alcool, je continue à
travailler pas encore optimalement, je continue à négliger tout autour de ma vie qui n'est pas du travail
scolaire (Komi).
Ce renversement de la direction du changement (régression vers progression) témoigne d’une
transformation significative et positive de la dynamique du changement. Renverser cette tangente
demande un grand effort et constitue un progrès énorme aux yeux des participants.
4.2.2 Processus de changement des situations-problèmes
Les phases du processus des situations-problèmes. Selon Garneau et Larivey (1979), un
changement se décompose en phases plus ou moins étalées dans le temps. Une phase se caractérise
par des expériences affectives, sensorielles et cognitives ainsi que des activités spécifiques. La
modification de ces expériences et de ces activités signale la fin d’une phase et le début d’une autre.
Dans la présente étude, les phases de la situation-problème correspondent à certaines perceptions
des participants la décrivant comme un problème ayant une ampleur plus ou moins grande pour eux,
112
des impacts plus ou moins importants et un sentiment de contrôler la situation plus ou moins fort.
En fonction de ces critères, les témoignages recueillis ont permis l’identification de huit perceptions
ou phases différentes en regard de la situation-problème.
La première perception décrit l’apparition d’une situation. Au cours d’une vie, il est normal d’être
confronté à différentes situations. La plupart vont se résorber d’elles-mêmes être résolues ou l’objet
d’adaptation : la situation évolue favorablement. Les participants ont alors l’impression que la vie est
faite « de haut et de bas », mais rien qui ne les empêche de fonctionner.
La deuxième perception est différente de la première, car la situation-problème y est vue comme
une impasse. Les participants constatent l’inefficacité des tentatives de solution et ignorent
comment sortir de cette impasse. Certains persévèrent dans leurs efforts pour résoudre l’impasse
alors que d’autres tentent de s’accommoder de cette situation-problème ou espèrent qu’elle va
s’arranger avec le temps. La situation-problème est aussi de plus en plus lourde et affecte de plus en
plus le fonctionnement. Comme l’explique Octavian : « Moé, j'étais tanné : il y a des choses que je n'étais
plus capable d'endurer. Donc, c'est le background qu'il y avait avec mon ex-copine et qui a mené au fait que ça ne
marchait plus ».
La troisième perception décrit une crise dans la situation-problème. Pour huit participants, la crise
a été relationnelle et s’est exprimée sous la forme d’une rupture relationnelle avec un proche
(conjointe, parent ou enfant). Cette rupture dénoue partiellement l’impasse, car elle crée un autre
problème : la rupture relationnelle qui nécessite à son tour une adaptation importante. Pour six
participants, la crise a été par rapport à un problème au travail qui minait leur capacité de travailler.
En ce cas, la crise a mis en évidence l’impasse, soit l’incapacité de continuer de fonctionner dans cet
environnement de travail. Confrontés à cette crise, certains ont pris un congé de maladie, changé de
carrière ou modifié en profondeur leur façon de travailler. Certains participants, comme Marc, ont
cumulé les deux problèmes : « Oui, en 2011, j'ai perdu mon ancien emploi. Mon couple a fini en janvier 2013
pis avec un préalable ».
La quatrième perception expose une réaction de repli sur soi après la crise. Certains participants
décrivent alors le besoin de prendre une distance par rapport à la situation-problème. Ils tentent
alors de mettre la situation-problème entre parenthèses, question d’attendre de se sentir prêts et
113
capables de l’affronter. Ils ne travaillent donc pas directement à résoudre la situation-problème
préférant l’éviter. Tôt ou tard, la situation-problème revient en avant-scène et ils ignorent toujours
comment s’y adapter. L’impasse prend alors à nouveau place et prépare le terrain pour la crise si rien
n’est fait. Dans la situation-problème de Sam, par exemple, après que sa conjointe ait mis fin à leur
relation, il est parti vivre à l’étranger pendant un an. Il estime que :
Ç’a été mauvais de partir parce que ç’a reporté le problème. Parce que rendu là-bas, je rencontrais une
collection d'autres personnes, plus intéressantes les unes que les autres. J'ai vu des amis, j'avais une vie sociale,
les gens ne me connaissaient pas. Un nouveau projet excitant, à Sparte, la mer! Ça m'a permis en quelque
sorte d'oublier la dépression que j'avais pis, en même temps, ça l'a reportée parce qu’un an plus tard, je
revenais. Ma fille est venue me voir... Je revenais pis je n'avais pas d'appartement. Je suis retourné vivre chez
mon ex-conjointe. Après trois semaines, elle m'a dit de me trouver quelque chose parce qu'elle ne voulait plus
que je vive chez-elle. Ça tombait bien, car je venais de trouver quelque chose. À partir de ce moment-là, je
commençais à vivre ma séparation que j'avais oubliée. Je me suis dit qu'il y avait peut-être moyen de refaire les
ponts.
La cinquième perception est associée à la prise de recul. Le recul pris n’est alors plus perçu
comme un repli sur soi « autodestructeur » ou de l’évitement, mais comme un moment pris pour
s’occuper de ses besoins. Les participants suspendent temporairement leurs efforts pour résoudre la
situation-problème afin de se ressourcer. Ils alternent ainsi entre les deux positions de façon à ce que
la situation-problème cohabite et ne prenne plus toute la place. Ainsi, Navan alterne entre les
activités agréables et le travail : « Je me dis qu'il faut que j'aie du plaisir dans les sports parce qu’après ça j'en ai
plus au travail, ça m'aide ».
La sixième perception implique un changement important dans la vision de la situation-problème :
au lieu d’être perçue négativement, une vision positive de la situation-problème émerge et prend peu
à peu le dessus. Après un temps de ressourcement, le recul pris permet de voir autrement la
situation-problème et facilite l’identification de nouvelles solutions. De cette réflexion émerge de
nouvelles tentatives pour résoudre la situation-problème. Les premiers succès font naitre un nouvel
espoir de s’en sortir comme en témoigne Willy :
Ce que j'ai dit la semaine passée à mon intervenant, maintenant je m'aime plus qu'avant admettons [il est
ému], ce n'est pas encore l'amour fou, mais... oui, la victoire d'avoir arrêté de consommer il y a 8 mois, ç’a été
important.
114
La septième perception indique que ces espoirs sont rapidement ébranlés par les embûches qui
apparaissent. De l’avis des participants, il s’agit soit de nouveaux événements qui exacerbent la
situation-problème ou encore la répétition de solutions infructueuses, comme l’explique Willy :
« Après les rencontres avec la psy, on avait des bons moments jusqu'au dimanche, pis un moment donné ça accrochait
pis on retombait dans nos patterns où elle me reprochait d'être trop fermé, de ne pas parler, de ne pas lui donner
d'espace ». Si les embûches sont surmontées avec succès, l’adaptation se poursuit, sinon la situation-
problème stagne ou régresse. Dans ces derniers cas, la situation-problème se retrouve à nouveau
dans une impasse et une autre crise peut survenir.
La huitième perception consacre la résolution de la situation-problème ou l’adaptation à celle-ci.
Les participants sont alors capables de gérer efficacement cette situation qui ne les déstabilise plus
sur le plan affectif : « Je suis capable de le mettre de côté dans ma tête pis d'avancer dans la vie [...] on dirait que
c'est rendu une force, ça m'aide à faire un bon jugement » (Francesco). Les affects négatifs sont de moins en
moins présentent envers cette situation et les affects positifs reprennent le dessus dans le portrait
général (voir processus affectif pour plus de détails).
En somme, la première perception correspond à une situation banale qui ne pose pas de problème
d’adaptation particulier. Le passage entre la situation et l’adaptation peut alors être direct et rapide.
L’apparition d’une situation peut ainsi être considérée comme la première phase du processus
d’adaptation. La seconde perception ou phase décrit comment la situation devient une impasse. La
troisième perception fait état d’une phase de crise durant laquelle la situation-problème dégénère
brusquement. La quatrième perception ou phase implique que la crise est suivie d’un repli sur soi
défensif qui ne favorise pas l’adaptation, mais le maintien de la situation-problème. Pour cette raison,
cette phase est nommée « mésadaptation ». La cinquième perception ou phase constitue, au
contraire, une prise de recul pendant laquelle des actions positives sont entreprises. Cette phase de
prise de recul facilite le progrès par le ressourcement. La sixième perception ou phase décrit une
remontée de l’espoir grâce aux premiers succès dans les tentatives d’adaptation à la situation-
problème. La septième perception ou phase parle d’embûches, c’est-à-dire des obstacles rencontrés
en tentant de composer avec la situation-problème. La huitième perception ou phase indique que
l’adaptation par rapport à la situation-problème est complétée ou en voie de l’être.
115
La trajectoire du processus des situations-problèmes. En considérant ces perceptions comme des
phases, il devient possible d’établir une articulation du processus de changement des situations-
problèmes. La première phase est neutre et ne présage aucunement de l’évolution de la situation. Les
phases deux et trois sont décrites par les participants comme une période de régression pendant
laquelle la situation se détériore. La phase quatre peut être une période de régression ou de
stagnation selon les SRA utilisées. En effet, à court terme, l’évitement de la situation-problème
permet de diminuer les tensions alors que, à moyen terme, elles refont surface étant donné que
l’adaptation à la situation-problème n’est pas réalisée (voir résultats des SRA). La phase cinq est une
période de stagnation en ce qui concerne la situation-problème mais de progression en ce qui a trait
à l’état affectif (voir phase de libération émotionnelle). La phase six est une période de progression
lors de laquelle les participants notent des améliorations dans la situation-problème. La phase sept
freine la progression et peut même entrainer un recul vers les phases deux, trois ou quatre. La phase
huit implique la poursuite de l’amélioration de la situation-problème ou une adaptation de plus en
plus optimale.
Lorsqu’on considère les changements décrits par les participants dans la situation-problème sur une
trame historique, il en ressort que le parcours de chaque participant à travers les phases repérées est
unique. Ainsi, certains participants décrivent avoir vécu à plusieurs reprises et parfois en alternance
certaines phases (par exemple, l’alternance entre l’impasse et la crise). D’autres estiment que la
situation-problème est resté davantage de temps à certaines phases (celle d’impasse, notamment).
Certains décrivent des périodes durant laquelle la situation-problème alterne entre des phases de
régression et des phases de progression. À la fin, il est clair, selon les participants, que les
changements dans les situations-problèmes rencontrées ont été nombreux, qu’ils ont pris différentes
directions (régressives ou progressives) et que ces changements eu plus ou moins d’ampleur.
Pour illustrer la complexité de la trajectoire des situations-problèmes, le cas de Paul est ici analysé à
la lumière des phases décrites. Paul a monté une entreprise florissante dans le domaine du traitement
de l’eau potable. Il travaille très fort pendant plusieurs années et, un beau jour, il se sent épuisé. Il
n’est plus capable de diriger son entreprise (impasse) qu’il décide de fermer (crise situationnelle). À la
suite de cet échec, il est complètement épuisé (crise émotionnelle) et il fait une tentative de suicide
(crise émotionnelle). Il fuit ses problèmes durant les trois années qui suivent en s’amusant et en
consommant des drogues et de l’alcool au point d’en développer une dépendance (mésadaptation). Il
116
est arrêté par la police pour possession de drogue (crise situationnelle) et décide de participer à des
groupes du mouvement Alcooliques Anonymes (prise de recul). De retour à Québec et redevenu
sobre, il se trouve un emploi qui le valorise au début (espoir), mais dans lequel il se sent mal après
quelques mois (impasse). Le stress vécu affecte sa santé au point de ne plus être capable de faire le
travail pour lequel il a été embauché (crise situationnelle et émotionnelle). Il est en arrêt de travail
depuis quatre mois (prise de recul) pour des raisons de santé. L’hyperacousie (symptôme de crise)
affecte sa qualité de vie, car il est très sensible au bruit. Il ne peut regarder la télé, écouter de la
musique qu’avec le son très faible et mettre des bouchons dans ses oreilles pour atténuer certains
sons (embûches). Ses problèmes de santé s’estompent au fur et à mesure que ses problèmes
diminuent et qu’il trouve des façons de mieux les gérer (espoir). Sa santé demeure fragile et il craint
une rechute (embûches), ce qu’il explique ainsi : « Quand tu augmentes ton niveau de vie à un autre plateau,
je trouve ça vertigineux : l'angoisse me pogne. C'est comme si le vertige me prenait pis j'ai des nausées. Absolument, à
chaque plateau ». Il pense que son hyperacousie vient de là et qu’il pourra l’éliminer et contrôlant cette
peur (espoir). Dans l’histoire de Paul, on observe d’abord plusieurs passages dans les phases du
cercle de gauche (plusieurs impasses, crises et périodes de mésadaptation) puis dans celles du cercle
de droite (Alcooliques Anonymes, retour au travail) pour retourner dans le cercle de gauche
(hyperacousie, stress) et encore dans le cercle de droite (arrêt de travail, consultation, diminution des
symptômes). Au final, l’adaptation de Paul n’est pas encore optimale.
Si on considère l’ensemble des participants, les trajectoires suivies sont toutes aussi complexes que
celle de Paul. En effet, lorsqu’on s’attarde aux témoignages des participants, le parcours de chacun
est unique si on considère la durée de chaque phase, le vécu spécifique (événements, personnes
impliquées, affects, etc.) et la façon de le gérer (voir résultats des SRA). Les ressemblances ont trait
aux phases qui présentent des caractéristiques communes, au fait de vivre des cycles autour des
phases qui correspondent à des périodes de régression, de stagnation ou de progression de la
situation-problème. Ainsi, tous les participants sont d’abord restés à la phase d’impasse, puis ont
vécu une crise, rencontré des embûches et connu une nouvelle impasse. Les participants qui ont
réussi à s’adapter à leur situation-problème ont eu à faire plusieurs cycles pour y arriver. Au moment
de la collecte des données, un seul d’entre eux avait atteint la dernière phase (Martial), six autres s’en
rapprochaient, mais devaient encore composer avec certaines embûches (phase sept). Parmi les six
participants restant, cinq avaient traversé dans le cercle à droite (phases cinq et six). Trois d’entre eux
(Éric, Komi et Henry) connaissaient cependant des périodes au cours desquelles leur situation-
117
problème régressait et revenait dans le cercle à gauche (phases deux, trois ou quatre). Enfin, la
situation-problème d’un participant (Luca) était dans une impasse depuis son apparition (voir
Tableau 7).
Tableau 7 : Participants et phases du processus des situations-problèmes
Phases du processus des
situations-problèmes
Processus d’adaptation Participants
1. Situation Indéterminé
2. Impasse Mésadaptation Luca
3. Crise Mésadaptation Éric
4. Mésadaptation Mésadaptation Komi, Henry
5. Prise de recul Adaptation Éric, Komi
6. Espoir Adaptation Henry, Paul, Willy
7. Embûches Adaptation et
Mésadaptation
Francesco, Marc,
Merla, Navan,
Octavian, Sam
8. Adaptation Adaptation Martial
La Figure 5 illustre les trajectoires possibles entre les phases du processus de changement des
situations-problèmes. À gauche, le cercle comprend les phases impliquées dans la dégradation et le
maintien de la situation-problème alors qu’à droite, le cercle regroupe les phases qui concernent la
progression et l’adaptation à la situation-problème. Entre les deux, il existe des voies de passage qui
illustrent la possibilité qu’une impasse, une crise ou des embûches puissent tantôt conduire à une
mésadaptation, tantôt à une adaptation. Dans cette optique, plusieurs trajectoires peuvent être
suivies. Par exemple, certains participants ont vécu trois ou quatre crises avant de prendre un recul;
pour certains, ces crises répétées sont liées à une mésadaptation, de leur point de vue, alors que pour
d’autres, les crises sont plutôt associées à des embûches.
118
Tout compte fait, décrire les situations-problèmes avant et après un certain temps en consultation
n’est pas suffisant pour rendre compte de leur évolution. En examinant ce qui se passe entre ces
deux moments, du point de vue des participants, les situations-problèmes peuvent se dégrader,
s’améliorer ou stagner à plusieurs reprises. Ce phénomène décrit par les participants a permis
l’identification de huit phases dont les liens sont représentés par la Figure 5. Si ce schéma émerge de
l’analyse des données, il permet, à l’inverse, de relire le parcours des participants par rapport à la
situation-problème vécue en y jetant un nouvel éclairage. On y découvre, notamment, des similitudes
dans le vécu des participants : les phases vécues, la sinuosité des parcours, la tendance à faire
plusieurs fois le tour de la roue gauche (régression) et l’ancrage progressif dans la roue droite
(progression) malgré certaines rechutes. Cette schématisation du processus du changement permet
ainsi de représenter et de lire le parcours des participants dans toute sa complexité et de décrire tant
les périodes de régression que celles de progression ou encore de stagnation. Dans cette optique, la
progression des situations-problèmes n’apparait donc pas linéaire, mais circulaire. Cela implique que
des périodes de régression, de stagnation et de progression se succèdent. On peut penser que de
telles variations dans les situations-problèmes sont fréquentes et normales lorsqu’une personne est
confrontée à des difficultés importantes. Le processus d’adaptation a donc été, selon eux,
l’aboutissement d’un parcours parsemé d’embûches. Ces embûches peuvent prendre du temps avant
d’être surmontées (stagnation) ou faire régresser (impasse, crise ou mésadaptation) la situation-
problème.
Prise de recul Mésadaptation
Impasse
Adaptation Crise Situation-
problème Espoir
Embûches
SRA ─ Affects ─
SRA + Affects +
Figure 5. Processus de changement des situations-problèmes
119
4.3 Situations-problèmes : discussion
4.3.1 Discussion des résultats sur le processus des situations-problèmes
Le présent modèle du processus des situations-problèmes rend compte à la fois de l’adaptation et de
la mésadaptation. La schématisation met en évidence la possibilité de répéter des cycles dans une
roue ainsi que d’effectuer des passages entre la roue de gauche et la roue de droite. Elle reflète non
pas le processus de résolution de problème, mais l’expérience des participants durant le processus de
changement, qu’il soit progressif ou régressif. En mettant cette expérience au premier plan, il en
ressort que le processus de changement est fait d’essais et d’erreurs, de périodes d’impasse, de crises
et de mésadaptations puis, lorsque la situation-problème s’améliore, de prises de recul, d’espoirs,
d’embûches et d’adaptations progressives. Les problèmes sont résolus, ou mieux gérés, un à un, par
essais-erreurs, et rarement à la suite d’un seul coup bien planifié. Dans cet esprit, l’étude de D.
Turcotte, Dulac, Lindsay, Rondeau, et Dufour (2002) a trouvé que la trajectoire des hommes qui
consultent est parsemée d’échecs et de petits succès. Il n’est pas rare que les hommes interrogés
aient consulté à plusieurs reprises pour surmonter leurs difficultés. Cette vision rejoint celle de Gelo
et Salvatore (2016) ainsi que d’Hayes et al. (2007) pour qui le processus de changement est
dynamique, c’est-à-dire qu’il comporte des variations dans la direction, la nature et la vitesse. Ce
faisant, le processus de changement de chaque individu est unique lorsqu’on considère chacun de ces
éléments. Linehan (1993) souligne la nécessité d’être soutenu pour l’individu qui traverse ces
méandres où il a souvent l’impression de reculer.
Cette conception incite à relativiser l’importance de l’approche rationnelle du changement basée sur
la compréhension et la résolution des problèmes25. En effet, aucun participant n’a exprimé avoir
suivi un plan découlant d’une compréhension claire de sa situation-problème. Qui plus est, c’est
seulement avec un certain recul que les participants sont en mesure d’expliquer comment ils sont
parvenus à surmonter la situation-problème. Pendant leur processus, il règne une certaine confusion
et les participants tendent à répéter les comportements qui alimentent la situation-problème même
s’ils en sont conscients. Leur compréhension a certes évolué au fil du temps de même que les actions
pour s’adapter. Toutefois, leur compréhension des liens entre la situation-problème et les
changements de comportements qui en ont permis l’évolution (voir résultats des SRA) reste modeste
pour la plupart d’entre eux. Cela rejoint le point de vue de l’intervention systémique brève pour qui
la compréhension d’un problème n’est ni suffisante ni nécessaire à la réalisation d’un changement.
25 Cette thèse est défendue par certains auteurs comme Rondeau-Robitaille (2004) et Gambrill (2006).
120
Dans cette approche, c’est l’expérimentation de solutions alternatives satisfaisantes (voir SRA
résolution de problème) qui est considérée comme la clef de voute de l’adaptation (Doutrelugne et
Cottencin, 2008).
4.3.2 Résultats sur le processus des situations-problèmes comparés au modèle de
Prochaska et DiClemente (1983)
Lorsqu’on compare les phases du présent modèle avec les stades de changement du MTT,
(Prochaska, 1999; Prochaska et DiClemente, 1983), certaines ressemblances et des différences sont
constatées. Le MTT comporte cinq stades de changement, soit la précontemplation (faible inconfort
avec la situation, faible conscience des comportements qui alimentent les problèmes, faible
motivation à changer ces comportements), la contemplation (reconnaissance d’un problème,
inconfort ressenti pouvant être contenu, ambivalence quant à la décision d’effectuer des
changements), la planification (l’inconfort augmente, des solutions sont identifiées, au moins une
solution est tentée), l’action (les tentatives de solution sont plus nombreuses et certaines portent
fruit, les comportements qui alimentent le problème sont progressivement remplacés par d’autres
qui les atténuent, le problème diminue ainsi que les symptômes associés à l’inconfort ressenti) et le
maintien (le comportement aidant est maintenu, les rechutes sont contrées, le problème est résolu).
Le stade de précontemplation est associé à l’émergence d’une situation qui n’est pas perçue comme
un problème au départ. La précontemplation est aussi considérée par Prochaska (1999) comme un
stade vers lequel retournent les individus après avoir essayé en vain de résoudre leur situation-
problème. Dans le cadre de la présente étude, la phase de mésadaptation, peut être associée au stade
de précontemplation alors que l’individu évite d’affronter la situation-problème. Le stade de
contemplation ressemble à la phase d’impasse, car les deux correspondent à une période pendant
laquelle la situation-problème est reconnue et associée à des tensions de plus en plus fortes. À la
différence, la phase d’impasse implique des tentatives d’adaptation à la situation-problème, tentatives
qui échouent. De ce point de vue, les individus sont actifs plus hâtivement dans le processus
d’adaptation que ne le prédit le modèle transthéorique. Le stade de planification correspond aux
phases de la prise de recul ainsi que d’espoir. Cette période est associée à une prise de recul qui
permet une réflexion sur le problème et les solutions ainsi qu’à de nouvelles tentatives de solutions.
Toutefois, du point de vue des participants, il n’y a pas de planification méthodique du changement.
Le changement viendrait plutôt de décisions prises sur un coup de tête, parfois du hasard ou
consécutivement à l’atténuation des sources de stress au fil du temps (voir SRA résolution de
121
problème). Le stade d’action est lié à la phase des embûches. L’individu met en place diverses
stratégies pour résoudre ses problèmes et surmonter les embûches. Durant cette phase, des rechutes
sont possibles et se traduisent par un retour à un stade antérieur et à une dégradation de la situation-
problème et de l’état affectif. Le fait de nommer « action » ce stade laisse supposer que l’individu
n’affronterait la situation-problème qu’à partir de ce moment-là. En réalité, le MTT estime que les
actions durant les phases précédentes alimentent davantage la situation-problème qu’elle n’aide à
l’atténuer (Prochaska, 1999). Cela va donc dans le même sens que la présente étude qui relève
également que la trajectoire du changement peut être régressive ou progressive selon les SRA
utilisées (voir résultats des SRA). Dans cette optique, appeler « action » la phase pendant laquelle
l’individu fait de nouvelles tentatives pour s’adapter à la situation-problème et affronte des
embûches prête à confusion. Le modèle proposé dans cette étude reflète mieux le point de vue des
participants à ce sujet. Le stade de maintien est comparable à la phase d’adaptation, car les deux
impliquent la maitrise de la situation-problème. La phase de crise ne correspond à aucun stade du
modèle transthéorique.
Dans l’ensemble, les phases décrites dans la présente thèse ressemblent en plusieurs points aux
stades de changement du modèle transthéorique. Toutefois, l’appellation des stades de
contemplation, de planification et d’action porte à confusion par rapport à ce qu’elle désigne. En ce
cas, la dénomination des phases dans la présente étude en restitue mieux le sens. L’ajout de la phase
de crise apparait également pertinent étant donné l’importance que les participants y ont accordée.
Enfin, soulignons que la modélisation des phases (Figure 5) diffère de celle des stades du modèle
transthéorique. Ce dernier conçoit une trajectoire spirale à tendance progressive alors que le présent
modèle reflète un processus circulaire à tendance imprévisible. Cette nuance n’est pas banale, car elle
schématise plus clairement l’idée d’une mésadaptation sur une longue durée accompagnée ou non de
brèves périodes de rémission.
4.4 Affects : résultats
La deuxième question de la recherche porte sur les affects perçus par les participants. En effet, les
propos des participants dépassent largement la catégorie des émotions simples et parlent aussi
d’émotions mixtes, de contre-émotions et de pseudo-émotions, en se référant à la taxonomie de
Larivey (2002). Analyser seulement les émotions simples impliquerait d’ignorer une part importante
122
de leur vécu affectif et limiterait considérablement la compréhension des données. Dans cette
section, les affects nommés par les participants sont premièrement distingués en fonction de la
taxonomie de Larivey (2002). La valence de ces affects est également précisée en fonction du point
de vue des participants. Puis, les affects décrits par les participants sont regroupés en catégories plus
larges afin de faciliter l’analyse des données. Deuxièmement, les affects que les participants
considèrent avoir éprouvés avant la consultation sont identifiés. Il s’agit des affects que les
participants associent aux périodes les plus difficiles qu’ils ont vécues en lien avec les situations-
problèmes qui les ont amenés à consulter. Tant la nature que l’intensité, la fréquence et la direction
de ces affects sont précisées. Troisièmement, ces mêmes aspects sont décrits en considérant leur état
après une période de consultation qui en a facilité l’amélioration pour la plupart des participants.
L’importance des changements dans l’état affectif est aussi qualifiée. Quatrièmement, l’analyse de
l’ensemble des données ayant trait aux affects fait ressortir l’existence d’un processus. Les
perceptions des participants à l’égard de ce processus mettent en évidence des phases, lesquelles sont
décrites ainsi que le parcours des participants à l’intérieur de celles-ci. Cinquièmement, ces résultats
sont interprétés de façon à en faire ressortir le sens pour les participants rencontrés. Sixièmement,
les résultats sont analysés en fonction du cadre théorique et comparés avec ceux d’autres études.
4.4.1 Distinctions entre les états affectifs
La codification des données a relevé 55 états affectifs différents décrits par les participants.
Considérant la taxonomie de Larivey (2002), les participants ont nommé des émotions simples
(satisfaction, joie, bonheur, plaisir, tristesse, peur, colère et irritation), des émotions mixtes
(culpabilité, dégoût, honte, rage et fierté) et des contre-émotions (lourdeur, fatigue, mal-être, anxiété,
stress, confusion). Les participants ont également rapporté d’autres états affectifs comme l’estime de
soi, la déprime, l’insatisfaction, la frustration et la dévalorisation que Larivey considère comme des
pseudo-émotions. Selon elle, il s’agirait davantage d’états de fait ou d’attitudes que d’émotions. On
pourrait ainsi inclure la motivation, l’intérêt, la curiosité, le soulagement, l’apaisement, le sentiment
d’être bouleversé, la détresse et le doute parmi les pseudo-émotions nommées par les participants.
Bref, en se référant à la taxonomie de Larivey, les états affectifs mentionnés par les participants sont
fort variés.
123
4.4.2 Valence des affects
Sans surprise, les participants disent avoir une perception négative des affects comme la tristesse, la
déprime, la colère, la peur, l’anxiété, la honte et le dégoût et une perception positive de la joie, du
plaisir, de la fierté, de la satisfaction et du soulagement. Ces perceptions peuvent se comprendre à la
lumière de leurs expériences affectives. En effet, ils rapportent que les émotions26 négatives qu’ils
ont éprouvées s’accompagnent d’impressions de lourdeur, d’impuissance, de confusion et de
tensions physiques (mal de tête, maux de ventre, tension à la nuque, etc.) alors que les émotions
positives sont associées à un sentiment de légèreté, d’optimisme, d’énergie positive et de sensations
physiques agréables. Par exemple, Marc raconte : « Je sens que la tempête négative est finie. Je me sens au tout
début d'un chemin qui est beaucoup plus positif. C'est pour ça que je ne suis pas encore très focalisé sur le positif, mais
du positif, j'en ai ». Plus largement, les affects négatifs sont liés à une perception négative de leur
situation-problème, que celle-ci se détériore et qu’ils sont incapables de la régler. À l’inverse, les
affects positifs vont avec la perception que leur situation-problème s’améliore ou est sous
contrôle comme l’exprime Martial :
C’est sûr que par rapport à l'attitude, au comportement au quotidien, c'est différent au sens qu'en 2013, mon
travail, je le trouvais lourd alors qu'aujourd'hui, je flotte un peu plus léger alors que c'était plus lourd avant.
On dirait que je trainais beaucoup de choses.
Il faut souligner que la perception négative de certains affects peut se transformer durant la
consultation. En effet, la tristesse, la colère et la peur, par exemple, peuvent être perçus davantage
neutres, comme une source d’information utile pour mieux comprendre une situation-problème,
mieux cerner ses besoins en rapport avec celle-ci.
Oui, ç’a baissé beaucoup ça. C'est sûr que je vais sentir un malaise qui monte, mais vu que je l'ai bien
identifié, bien ressenti d'où ça provenait, bien je me sens plus à l'aise de comprendre tout ça. Si je vois que j'ai
un problème avec l'autorité, rapidement je sais d'où ça vient pis j'accepte le malaise pis je ne vais pas réagir en
réaction avec cette émotion-là (Marc).
L’acceptation des émotions joue ici un rôle fondamental, car elle implique une vision moins négative
et plus neutre des affects : « Bien tsé, j'ai tout le temps la peur que la violence soit dans la maison. Ça ne me
dérange pas de l'avoir cette peur-là parce que ça me donne quelque chose à ne pas faire aussi » (Francesco). Il
26 À partir de ce point, l’emploi du terme « émotions » désigne les émotions simples et les émotions mixtes au sens de Larivey (2002).
124
devient alors possible de gérer cet affect, de le comprendre, de cerner ce qui le génère. Les
participants prennent alors conscience de ce qu’ils font pour alimenter leurs affects négatifs et de ce
qu’ils peuvent faire pour s’en libérer.
4.4.3 États affectifs : regroupements
Parmi les 55 états affectifs repérés, 16 correspondent à une perception positive des affects alors que
39 en présentent plutôt une perception négative. Pour faciliter la suite de l’analyse des données, les
principaux affects positifs nommés par les participants ont été regroupés en cinq catégories tandis
que les principaux affects négatifs ont été regroupés en dix catégories (voir Tableau 8).
Tableau 8 : Classement des affects selon la perception de leur valence par les participants
Affects perçus comme positifs Affects perçus comme négatifs
1. Fierté, estime de soi 1. Tristesse
2. Joie, bonheur, plaisir, énergique 2. Déprime, lourdeur, fatigue, mal-être
3. Motivation, intérêt, curiosité 3. Bouleversé, détresse
4. Satisfaction 4. Colère, irritation, rage
5. Soulagement, apaisement 5. Insatisfaction, frustration
6. Peur
7. Anxiété, stress
8. Honte, culpabilité, dévalorisation
9. Dégoût
10. Confusion, doutes
4.4.4 Affects avant la consultation
Les participants estiment avoir éprouvé, avant la consultation, surtout des affects négatifs en rapport
avec les situations-problèmes qui les préoccupaient. Ils mentionnent principalement les huit
premières catégories d’affects négatifs décrites dans le Tableau 8 (colonne de droite). L’intensité des
affects était généralement élevée, selon eux, et fluctuait en fonction de la perception de l’évolution
des situations-problèmes. La fréquence était également élevée, ces affects étant vécus de façon
continue ou très fréquente lors des périodes les plus difficiles. La plupart des participants (neuf sur
125
13) estiment que, au début de la consultation, ces affects intenses duraient depuis quelques années,
les autres ayant consulté très rapidement après le début de la situation-problème. Dans l’ensemble,
au moment de consulter, leur état affectif était devenu lourd et handicapant. Certains participants
avaient peine à travailler ou n’y parvenaient tout simplement plus. D’autres mentionnent s’être
retrouvés épuisés au point qu’ils n’arrivaient plus à penser, à manger ou à s’occuper de leur hygiène.
Ils estiment qu’ils étaient alors confus et que les relations avec l’entourage étaient aussi affectées par
leur humeur déprimée ou irritable. Le cas de Paul illustre bien jusqu’à quel point l’état affectif
pouvait nuire au fonctionnement des participants. Ce dernier a été obligé de fermer son entreprise il
y a quelques années. Il a vécu cela comme un échec et il n’arrivait plus à fonctionner.
J'ai fait un blackout total là. Du jour au lendemain, tu ne vois plus clair, c'est noir […] Fatigué, plus rien,
plus de son, plus d'image. En deux jours, j'ai fait cinq accidents d'automobile. Je conduisais, mais j'étais
dans les limbes... pouf! Je suis devenu tellement trop fatigué, c'est impossible, non (Paul).
À ce moment-là, il était dans un état de détresse aigu qui l’a conduit à faire une tentative de suicide.
Paul souligne qu’il était tellement épuisé qu’il ne se rendait pas compte à quel point il était en
détresse.
Interviewer: Tu étais dans un état de fatigue...
Paul: Extrême...
I: Avec une détresse qui accompagnait ça...
P: Mais tu ne le sais même pas...
Il ne voyait plus clair et n’arrivait pas à comprendre ce qui lui arrivait : « On devient incontrôlable,
sincèrement, incontrôlable. En situation de crise, on ne voit plus clair ». Il raconte que sa détresse s’est
manifestée par des pleurs qui ont été présents toute une année : « En détresse... J'ai pleuré ça... Dans trois
secondes, je peux pleurer à chaudes larmes. Je sais sur quels boutons peser. J'ai pleuré pendant un an de temps à la
journée longue ». Il précise que son échec financier a affecté son estime de soi très durement, car le
travail avait été sa principale source de valorisation depuis son enfance : « La tristesse, en fait, c'est plutôt
l'orgueil qui est touché. C'est l'orgueil qui fait en sorte, l'estime de soi là, aucun sentiment d'accomplissement, tu ne sers
à rien. Tu n'es pas intelligent, tu n'es rien ».
Quelques années après cet échec entrepreneurial, Paul a occupé un travail qu’il a trouvé très stressant
et frustrant : tant les relations avec la clientèle que celles avec ses supérieures généraient du stress et
126
de l’insatisfaction. Il se rappelle alors être devenu très agressif et enragé au point où il a eu peur de
commettre des actes de violence. C’est ce qui l’a motivé à consulter la première fois. Durant cette
période, il a commencé à ressentir des symptômes d’hyperacousie. Cela faisait en sorte qu’il n’arrivait
plus à entendre le moindre son sans « virer fou ». Au bout d’un temps, il a dû encore arrêter le travail,
car la persistance et la sévérité de l’hyperacousie le rendaient dysfonctionnel et au bord d’exploser,
selon ce qu’il raconte. Il considère s’être rendu à bout, une fois de plus, tant sur le plan des affects
que sur le plan de sa santé.
4.4.5 Affects après un certain temps en consultation
La plupart des participants estiment que leur état affectif s’est amélioré durant la consultation. Plus
précisément, 11 participants évaluent avoir amélioré moyennement ou de façon importante leur état
affectif. En effet, ils perçoivent une diminution importante de l’intensité des affects négatifs
(tristesse, déprime, détresse, colère, insatisfaction, peur, anxiété, culpabilité et dévalorisation). Ils leur
paraissent moins fréquents, plus faciles à contrôler et durer moins longtemps lorsqu’ils resurgissent.
De plus, des affects positifs (joie, plaisir, fierté, satisfaction et soulagement) commencent à émerger,
souvent depuis quelques mois seulement au moment des entrevues avec les participants. Pour la
plupart d’entre eux, ces affects positifs sont encore épisodiques et entrecoupés d’affects négatifs
quoique ces derniers sont moins intenses et moins fréquents. Les participants interprètent cela
comme un signe que leur état affectif et la situation-problème qu’ils vivent s’améliorent.
Pour comparer plus finement les perceptions des participants à propos de leur vécu affectif, un
codage ordinal a été réalisé (van der Maren, 1996). Le résultat de ce codage est exposé dans la Figure
6. Il en ressort, qu’aux yeux des participants, les affects négatifs éprouvés durant la période qui
précède la consultation ont diminué de façon importante à la suite de la consultation alors que les
affects positifs ont augmenté modérément.
127
Figure 6. Évolution des affects des participants durant la période de consultation selon leurs
perceptions
Pour deux participants (Luca et Éric), aucune amélioration significative n’est cependant perçue dans
l’état affectif. Luca nomme quelques affects (colère, tristesse, honte et anxiété), mais il ne les estime
pas très intenses, plutôt brefs et épisodiques. Il estime avoir trouvé un équilibre qui, sans résoudre
ses problèmes, lui permet néanmoins de ne pas en souffrir sur le plan affectif comme il l’explique :
« Effectivement, c'est d'adopter une attitude passive par rapport à une situation qui pourrait être améliorée en utilisant
d'autres stratégies, tsé, mais que je choisis le confort à l'action ». En ce qui concerne Éric, il vit plusieurs
affects intenses qui durent depuis quelques années (tristesse, détresse, peur et anxiété). La
consultation a été pour lui l’occasion d’en évacuer une partie bien qu’il estime que la tristesse ait
augmenté durant cette période de même que la peur et la culpabilité. Il craint notamment de se
laisser aller à des affects positifs comme il l’explique ici :
En même temps, c'est vrai que je peux être fier de mon cheminement, mais on dirait qu'une partie de moi
n'arrive pas à décrocher de me distancer de ma souffrance [...] Je trouve que je ne me permets pas assez de
vivre les émotions positives, c'est vrai. C'est de prendre le temps de... remercier la vie, je ne suis pas là-dedans
(Éric).
05
1015202530
Confusion,doutes
TristesseDéprime,lourdeur,…
Bouleversé,détresse
Colère,irritation, rage
Insatisfaction,fustration
Peur
Anxiété, stressHonte,
culpabilité,…
Dégoût
Joie, plaisir
Fierté, estime desoi
Soulagement
Satisfaction
Motivation
Affects avant laconsultation
Affects à la suite de laconsultation
128
Bref, en regard de l’état affectif, seul Luca et Éric témoignent de peu de progrès alors que les autres
participants font part de progrès moyens ou importants.
4.4.6 Processus affectif
Du point de vue des participants, leur état affectif a changé positivement pour la plupart d’entre eux
en le comparant à ce qu’il était avant la consultation et après un certain cheminement avec un
professionnel de la relation d’aide. Entre ces deux moments, les affects ont suivi une route sinueuse.
Cela signifie que les affects négatifs se sont atténués progressivement, au fil des mois, voire des
années, tout en connaissant des soubresauts. Les affects positifs, quant à eux, ont mis du temps à
faire surface. Lorsqu’ils apparaissent, ils ne sont pas nécessairement reconnus et peuvent inspirer une
certaine méfiance. Dans les deux cas, les participants soulignent des fluctuations nombreuses. La
trajectoire de ces fluctuations sera maintenant tracée.
Selon les participants, il y a d’abord une accumulation d’affects négatifs qui fait augmenter la tension
interne : « Ç’a été beaucoup une accumulation de plein de petits trucs qui ont fait que je n'étais plus capable, plus
bien dans cette relation-là » (Octavian). Après un certain moment, ils se sentent sous pression, au bord
d’exploser ou de s’effondrer. Certains indiquent avoir effectivement explosé ou s’être effondrés
: « Oui, j'accumulais, j'étais sous pression! Quand ça sortait, le presto y r'volait […] Ben de la peine, ben de la
peine... J'avais juste le goût de pleurer » (Merla). Leur fonctionnement social en est affecté ainsi que leur
santé : « Arf, je me sentais mal, pogné, j'ai perdu énormément de poids, je ne mangeais plus, je ne dormais pas bien,
ça ne marchait pas. Le temps des Fêtes, ç’a été vraiment de la marde là. Je n'avais pas le cœur à la fête, mais pas
pantoute » (Octavian). Au pire moment, un participant a vécu une crise suicidaire : « Ouah, c'est mes
parents qui sont venus me chercher dans le garage, j'étais en train de me pendre » (Paul). À ce point, la crise
amène les participants à faire un choix crucial : « J'ai trop accumulé pis quand ç’a pété, c'était ça passe ou ça
casse » (Octavian).
Les participants estiment qu’un virage positif s’est amorcé lorsqu’ils sont parvenus, en consultation,
« à crever l’abcès » et à se libérer du poids insupportable créé par l’accumulation d’émotions négatives :
« Il n'y a pas de mots pour décrire ça parce que c’est tellement être bien pis se sentir libre, après avoir été en prison à
l'intérieur; tsé, c’est une prison en dedans pis un moment donné, la porte s'ouvre » (Merla). Cette purge
émotionnelle est vécue de façon intense et elle dure de quelques semaines à quelques mois : « En
consultation, je pleurais, pleurais, pleurais... pis un moment donné, faut que ça sorte pis ça fait du bien. Mais
129
autrement... c'était plus de l'exprimer, de mettre le doigt dessus pis d'ouvrir, c'était la première fois, c'était
intense » (Éric). À leur expérience, cette purge émotionnelle n’est pas facile à vivre, mais bénéfique au
final. Certains confient avoir hésité quelque temps avant d’y plonger, avoir pensé à y mettre fin, mais
avoir poursuivi tout de même dans cette direction : « C'était d'en parler que je me sentais le mieux. Après
quatre ou cinq rendez-vous, c'était juste du positif par après […] c'était rendu que je rentrais quasiment avec le
sourire. J'étais content de venir. J'allais là pis je sortais une meilleure personne aussi » (Francesco). Après cette
décharge émotionnelle, les participants sentent un poids de moins sur les épaules : « Je l'ai senti dans
mes épaules. J'ai des douleurs dans la nuque de supporter le poids de tout ça. Je l'ai senti qui est parti [ce poids] pis ç’a
vraiment fait du bien » (Marc).
À l’issue de cette libération émotionnelle, certains rapportent un sentiment de vide ou de fragilité qui
a émergé, comme devant un inconnu : qui sont-ils maintenant libérés du « poids » émotionnel qui les
a accompagnés parfois des mois, voire des années durant ? Comment gérer cette fragilité et ce vide ?
Interwiewer: C'était la première fois que tu te permettais de faire ça ?
Éric: Oui, c’est ça, ça avait brassé en calvase!
I: Ça fait du bien ?
É: Après coup, oui, carrément! Le jeu, c'était qu'après cette sensation-là, c'est le vide qui apparait tout d'un
coup. Comme un coup de poignard puis le vide qui apparait d'un coup. Pis d'essayer de revivre ce vide-là.
Quand je me sens tout seul, c'est un peu cette sensation-là pis d'essayer de voir des stratégies pour comment
combler ça.
Ainsi, selon leurs propos, la libération émotionnelle crée progressivement de la place pour
l’émergence d’affects positifs; une lueur d’espoir apparait, car il y a « moins d'idées noires pis un moment
donné les nuages sont moins sombres, il y a une petite embellie, un peu de ciel bleu » (Willy). Ils s’estiment alors
plus positifs et recommencent à apprécier davantage de petites choses simples de la vie : « Comment je
mettrais mon émotion en ce moment, bah je suis plus réfléchi. Je suis capable de faire plus la part des choses, pis j'suis
capable d'apprécier plus des petites choses que ça me rend heureux qu'avant ça je trouvais ordinaires... j'appréciais
moins » (Henry). L’estime de soi remonte également peu à peu ce qui permet de créer un état mental
et affectif positif : « Moralement, je vais beaucoup mieux depuis que j'ai consulté et ç'a pris un peu de temps, mais
moralement je vais beaucoup mieux parce que je me sens moins minable, moins con, moins nul. Ça me permet peut-être
d'avoir plus de motivation pour aller travailler » (Komi). Cet état affectif positif est alors perçu comme
130
nouveau et ayant besoin d’être cultivé : « Définitivement, c'est nouveau, c'est un bien-être frais, mais j'ai besoin
de travailler pour le cultiver ce bien-être-là » (Paul).
Selon eux, la libération émotionnelle n’implique pas pour autant que les affects négatifs
disparaissent. Ils diminuent progressivement et peuvent revenir de temps à autre par la suite. Des
soubresauts peuvent alors replonger le participant dans des affects négatifs qui sont toutefois plus
faciles à contenir.
Je suis moins avalé par cette anxiété-là qui a émergé en 2010. Je ne voyais pas clair. Là, je sais que ça arrive
pis je peux regarder une journée comme hier où il faudrait que j'accomplisse ça, ça pis ça, mais où je n'ai pas
fait telle chose. Je m'en veux un peu, mais là je laisse aller. Je ne me laisse plus envahir par ça. J'ai fait un
gros chemin pour en arriver juste à ça (Marc).
Cela peut expliquer pourquoi les participants disent s’être sentis fragiles pendant cette période et
vulnérables aux rechutes :
Mais c’est sûr que ces temps-ci je trouve ça dur parce qu'au plan amoureux ça ne va pas très bien, c'est moins
pire que c'était, mais ce n'est pas l'optimal que je voudrais. […] Je me sens encore fragile, ça ne prend pas
grand-chose pour que je sois déstabilisé (Octavian).
À force d’accumuler des affects positifs, les participants renforcent leur état affectif qui devient de
plus en plus positif et stable. Ils se sentent alors plus solides et capables de regarder leur état affectif
passé avec un certain détachement.
Toutes les émotions positives comme la joie, le bonheur, on dirait que ça faisait un bout que je ne ressentais
plus ça au travail ou par rapport aux études. Mais là, je le sens et à chaque matin, c'est mon drive. Même si
je suis un peu fatigué, ça me propulse ce qui me donne l'énergie. Ce n'est pas comme avant de faire mon
changement de carrière où c'était l'inertie, des émotions négatives qui étaient lourdes (Martial).
Ils ont également l’impression d’être plus vivants et capables d’apprécier ce qu’ils vivent.
Oui, j'ai l'impression que je suis plus vivant. J'ai l'impression que... je ne vous dirais pas que je me sentais
comme un mort-vivant, mais le fais que je m'exprime plus, que j'accueille plus mes émotions, je me permets
plus de les exprimer, on dirait que vraiment, c'est difficile à décrire, mais je suis plus vivant, j'existe, je suis
plus quelqu’un, je peux me permettre de m'exprimer (Martial).
131
Dans l’ensemble, les témoignages concordent pour décrire une trajectoire sinueuse du processus
affectif dans lequel alternent des périodes de tension et de crise, de libération et de fragilité, d’espoir
et de soubresauts et, au final, de vivification.
4.5 Affects : interprétation des résultats
4.5.1 Affects avant et après un certain temps en consultation
En regard de l’état affectif, la plupart des participants estiment avoir progressé durant la période de
consultation. Cette amélioration ne signifie pas qu’ils ne perçoivent plus d’affects négatifs, mais que
ces derniers ont diminué. Qui plus est, des affects positifs commencent à émerger peu à peu. Les
témoignages indiquent que ces progrès ont été réalisés sur une période de temps relativement longue
(d’un an à plusieurs années). La relative lenteur des progrès peut s’expliquer de différentes manières.
Les participants ont consulté quelques mois, voire quelques années après l’apparition de la situation-
problème. Durant cette période, ils perçoivent une détérioration de leur état affectif et décident de
consulter lorsqu’ils atteignent un seuil intolérable. Une autre explication est l’accumulation de
stresseurs pendant ces années. Ainsi, d’autres événements qui se produisent ajoutent un stress
« jusqu’à ce que ça déborde », comme le dit Merla. Les SRA utilisées pendant ces années peuvent aussi
expliquer la période de détérioration de l’état affectif et la lenteur de l’amélioration (voir processus
de changement et rôle des SRA). Enfin, lorsque les participants commencent la consultation, leur
état affectif ne s’améliore pas d’un coup. Au début, celui-ci peut même se détériorer parce qu’ils sont
en crise ou qu’ils éprouvent intensément l’évacuation des émotions négatives (phase de libération
émotionnelle). La diminution de l’intensité et de la fréquence des affects négatifs prend donc un
certain temps une fois la consultation débutée. Selon les témoignages des participants, il leur a fallu
un minimum d’un an pour voir leurs affects négatifs diminués. Certains participants ont eu besoin de
quelques années. Malgré tout, à leurs yeux, la consultation a été un point tournant dans
l’amélioration de leur état affectif.
Je me disais que là, j'ai fait la première étape qui est souvent difficile. Quand tu as un problème (le plus
difficile), c'est d'en parler […] Pis là, j'avais une route ; je savais que j'étais à la bonne place même si au
début c'était douloureux. C'é comme n'importe quoi aussi. Tu subis une opération... (Francesco).
C’est ce moment décisif qu’il importait aux participants de souligner. Même s’ils ne voient pas la
lumière au bout du tunnel lors des premières rencontres, avec le recul, ils estiment que la
consultation les a aidés à se libérer des affects négatifs et à faire de la place aux affects positifs.
132
4.5.2 Processus affectif
Les phases du processus affectif. Dans cette étude, les phases du processus affectif ont été
distinguées en fonction des propos des participants qui décrivent la nature des affects, lui associent
une valence, une certaine intensité, une fréquence, des impacts ainsi que le sentiment que ces affects
sont plus ou moins contrôlables. En fonction de ces critères, l’analyse des témoignages a permis de
repérer huit perceptions ou phases distinctes en regard des affects.
La première perception décrit l’apparition d’affects négatifs ainsi que leur accumulation. Ce faisant,
les participants notent des tensions internes prenant la forme d’émotions négatives et de contre-
émotions de plus en plus fortes. Ces tensions sont comme un poids qui épuise parce qu’il est lourd à
porter ou, au contraire, comme une énergie débordante qui menace d’exploser. Les participants se
sentent, en effet, sur le bord de s’effondrer ou d’exploser.
Non, vraiment, pis j'avais énormément de colère envers mon ex-copine. Énormément de colère, injustifiée à la
limite juste parce que moi-même je n'étais pas capable de parler de mes émotions. Moi-même j'ai trop
accumulé pis quand ç’a pété, c'était ça passe ou ça casse (Octavian).
La deuxième perception révèle un état de crise. Les affects négatifs tentent de se décharger par
des gestes explosifs (violence verbale ou physique, notamment) ou implosifs (tentative de suicide et
autres symptômes dépressifs, notamment). Le soulagement est généralement bref et la tension
réapparait vite. D’autres affects négatifs (honte, culpabilité, etc.) peuvent s’ajouter à la suite des
gestes commis.
Je n'en avais plus [de la patience], plus rien! Pis j'avais peur, j'ai dit : « ça va être quoi un moment
donné ? ». L'intervenant me la ramène de temps en temps cette autre histoire où j'ai failli tuer un gars avec le
tracteur parce que le gars ne me lâchait pas […]. J'ai réalisé après ce que je venais de faire... Là, je suis allé
voir mon boss. Je lui ai expliqué ; j'ai même fondu en larmes dans le bureau parce que je lui ai dit :
« regarde, ça ne me ressemble pas pantoute, je ne suis pas fier de ce que j'ai fait là. Ce malade-là, il a failli
faire basculer ma vie pour son cristie de trailer ». J'ai dit : « ça dépasse ma pensée » (Merla).
La troisième perception correspond à une expérience de libération émotionnelle. C’est le
moment au cours duquel les participants se déchargent de leurs émotions négatives, mais par des
SRA aidantes (expression positive, activités agréables, etc.). Contrairement à l’implosion ou à
133
l’explosion, ce déchargement les libère du poids émotionnel. Ils se sentent plus légers et de moins en
moins sur le bord d’imploser ou d’exploser. Comme le souligne Octavian, après avoir accumulé, il lui
fallait se libérer : « Bien, oui, accumulé pis après ça j'ai eu un trop-plein et j'ai pleuré, pleuré, pleuré ça pas de bon
sens là ».
La quatrième perception concerne un sentiment de fragilité qui émerge à la suite de cette
libération émotionnelle. Ce sentiment peut résulter du fait que cette libération crée un vide que les
participants ignorent comment combler : « C'est ça qui donne l'impression peut-être du vide. Il faut que tu te
rebâtisses, mais avant de se ressaisir pis de réaliser qu'il faut que tu te rebâtisses, bien ça m'a pris un bout de temps »
(Paul).
La cinquième perception est liée à l’émergence de l’espoir de s’en sortir. Une lumière commence à
pointer au bout du tunnel : des affects positifs réapparaissent, les pensées sont plus positives et
l’estime de soi remonte. Comme l’exprime Henry : « Pis là, j'sens que c'é plus clair dans le tunnel. Un
moment donné, c'était noir noir noir. Mais là je sens que... je ne sais pas si c'est le printemps, mais là le temps a passé
et je sens que ça s'éclaircit ».
La sixième perception peut donner une impression de rechute puisque, au travers des éléments
positifs, des affects négatifs perdurent. Ces derniers sont toutefois de moins en moins intenses,
moins fréquents et moins envahissants. Malgré ces soubresauts, les outils acquis aux phases
précédentes en permettent une régulation plus efficace.
Tandis que là, avec les outils que j'ai, bon bien, c'est mieux. Ça se fait plus rapidement, pis c'est moins
intense aussi. Quand je te disais que je vivais des hauts très très hauts pis des bas très très bas, bien là, au
lieu de faire en dent-de-scie, ça reste un peu plus stable. Pas pour dire que je ne ressens pas ce que je vis, au
contraire, mais c'est moins désagréable (Octavian).
La septième perception implique une stabilisation de l’état affectif. Cette stabilisation est
progressive et s’effectue par une meilleure régulation des affects négatifs et un approvisionnement
régulier en affects positifs. Selon leurs propos, les participants se réénergisent avec des affects
positifs (voir notamment activités agréables dans les résultats des SRA) et ne se laissent plus envahir
par les affects négatifs qu’a suscités la situation-problème.
134
J'ai été une période seul, mais heureusement le travail était là et je me suis mis à faire du canot. Je rencontrais
des gens avec d'autres histoires et on était dans d'autres situations. J'aurais pu me mettre dans le salon pis
déprimer ou me jeter en bas de la fenêtre, mais je ne suis pas du genre à faire cela. On va faire du canot à la
place... (Sam).
La huitième perception confirme la solidité de l’état affectif positif. Les participants décrivent alors
se sentir plus énergiques, comme vivifiés par le processus affectif qu’ils viennent de traverser.
Effectivement, il s’agit bien d’un processus affectif en ce sens que les participants ont passé au
travers de différentes expériences affectives les conduisant vers un mieux-être et à retrouver leur
capacité de croitre : « Oui, ah oui, j'avais rapetissé! Mon univers avait rapetissé... moi-même j'avais rapetissé »
(Willy).
Si on s’attarde maintenant aux liens entre ces perceptions, celles-ci s’apparentent à des phases d’un
processus affectif. En effet, la première perception correspond au début de la réponse émotionnelle
qui, lorsque mal gérée, s’exprime par des tensions internes. Ces tensions relatées par les participants
constituent la première phase de leur processus affectif, comme s’ils commençaient alors à réaliser
qu’une situation en particulier est devenue un problème dans leur vie. La seconde perception parle
d’un état de crise qui rend les affects et les comportements plus difficiles à gérer, voire
incontrôlables. La phase de crise fait éclater la situation-problème au grand jour. La troisième
perception implique la libération émotionnelle. Cette phase permet la libération des émotions
négatives. La quatrième perception est associée à un sentiment de fragilité consécutif à la libération
émotionnelle. Cette phase de fragilité n’implique pas une rechute, mais la peur de celle-ci. La
cinquième perception correspond à l’émergence d’un espoir. La phase d’espoir est soutenue par
l’impression que l’état affectif s’améliore du point de vue des participants. La sixième perception
relate des soubresauts d’affects négatifs. Cette phase de soubresauts menace de faire dérailler le
processus affectif et, parfois, le fait dérailler. La septième perception représente la stabilisation de
l’état affectif alors que la huitième perception marque la domination des affects positifs. Cette
dernière est nommée phase de vivification, car les participants décrivent se sentir plus vivant.
Considérant le vécu des participants, les phases du processus affectif les plus significatives sont la
tension, la crise, la libération, les soubresauts et la stabilisation. En effet, le sentiment de fragilité et
l’espoir ressemblent à des effets de la libération émotionnelle et peuvent être vus comme des sous-
135
étapes de cette phase. De même, la vivification est l’aboutissement de la stabilisation. Il n’en
demeure pas moins que chacune des huit phases implique un état affectif distinct et préserve une
valeur heuristique en se rapportant au vécu des participants. L’importance de chaque phase devra
ultérieurement être vérifiée.
La trajectoire du processus affectif. Ces perceptions, déclinées en phases, seront à présent regarder
en fonction de la direction, progressive ou régressive, qu’elles suggèrent. Tout d’abord, la première
phase voit l’émergence d’émotions. Selon les SRA employées, les émotions vont varier de nature, de
durée et d’intensité (voir processus affectif et rôle des SRA). La transformation des émotions en
tensions internes durables, c’est-à-dire en contre-émotions et en pseudo-émotions, dénote alors
d’une dégradation de l’état affectif. La seconde phase, la crise, est associée à des affects intenses de
courte durée (quelques heures à quelques jours). Durant ces deux premières phases, les participants
estiment que leur état affectif devient négatif et de plus en plus « handicapant ». La troisième phase,
soit la libération émotionnelle, laisse, au début, un sentiment ambigu aux participants. Ils sont
bouleversés par le trop-plein d’émotions qu’ils déversent tout en ressentant un certain soulagement.
Au fur et à mesure que la libération émotionnelle avance, ils observent une diminution importante
des tensions et le sentiment de s’être départi d’un poids lourd. La phase de fragilité qui suit illustre
combien leur capacité à solidifier leur état affectif demeure incertaine à leurs yeux. La cinquième
phase voit la naissance d’un espoir. Les effets positifs de la libération émotionnelle prennent alors le
dessus sur le sentiment de fragilité. Les participants ont alors l’impression qu’ils peuvent s’en sortir.
La sixième phase freine cet espoir par des soubresauts d’affects négatifs. Si ces derniers sont mal
gérés, un retour vers les phases de tension et de crise est possible. Lorsque les soubresauts sont bien
gérés (septième phase), les participants observent alors une stabilisation de leur état affectif : ils se
sentent moins menacés par ces soubresauts et capables de les gérer plus efficacement. La huitième et
dernière phase ajoute à cette stabilisation des affects négatifs le fait de générer de plus en plus
d’affects positifs, ce qui se reflète dans l’augmentation de l’énergie, notamment. Bref, en regard des
perceptions des participants, certaines phases sont davantage associées à une régression (tension et
crise), d’autres à une progression (libération, espoir, stabilisation, vivification) et, enfin, à une
instabilité de l’état affectif (fragilité et soubresauts). Dans ce dernier cas, le processus affectif peut
reculer ou avancer selon les SRA utilisées (voir processus de changement et rôle des SRA).
136
En examinant sur une trame historique les changements dans les affects rapportés par les
participants, il apparait que leur processus affectif a suivi une route sinueuse. En effet, tous les
participants mentionnent avoir alterné entre des périodes plus ou moins difficiles affectivement avec
des tendances parfois vers la régression et parfois vers la progression. Pour illustrer la complexité
des trajectoires qui ont été décrites par les participants, le cas de Marc est présenté.
Marc ressentait souvent de la colère et des frustrations au travail. Il avait alors tendance à ravaler ses
émotions et à ne pas exprimer ses insatisfactions (tensions). Au tournant de 2010, son état de santé
s’est dégradé au point qu’il se sentait tout le temps stressé au travail, qu’il avait du mal à dormir et
qu’il éprouvait fréquemment des attaques de panique (cycles de tensions et de crises). Il s’emportait
également avec certains collègues. Il n’arrivait plus à fonctionner selon ses dires (crise) :
En 2010, je vivais une situation professionnelle stressante. Je faisais beaucoup, beaucoup d'insomnie […]
c'était totalement handicapant. J'enlignais beaucoup de nuits de 2h avec des attaques de panique. J'avais
besoin qu'il se passe autre chose (Marc).
Quelque deux années plus tard, des insatisfactions dans la relation de couple se sont ajoutées. Marc
relatent qu’il vivait beaucoup de frustrations liées au fait qu’il compensait pour beaucoup de choses
que sa conjointe n’arrivait pas à faire. Encore là, il ravalait ses émotions et négligeait ses besoins
(tensions). En janvier 2015, son ancienne conjointe a mis fin à cette relation qui a duré neuf ans et
donné deux enfants. Le deuil du couple et de la vie de famille lui a suscité également beaucoup de
peine (crise).
Pendant la consultation, Marc a d’abord appris à accepter ses émotions. Puis, en parlant de ses
émotions avec l’intervenant ou avec des proches, il s’est progressivement libéré des émotions
négatives : « Ils vont juste reconnaître que c'est difficile sans dire trop de choses superflues, juste qu'on puisse échanger
sur une même base. Faque eux-autres... ils m'ont aidé à me décharger ». Quant à la séparation, celle-ci a généré
chez Marc un sentiment de libération et d’apaisement : « Je sentais que vu que je n'avais plus à gérer mon
ex-conjointe, je me sentais libéré : c'est venu rapidement » (libération émotionnelle).
Après un certain cheminement en consultation, Marc affirme se sentir moins stressé et de mieux
dormir. Il estime que les émotions négatives se sont beaucoup apaisées. Il ressent de plus en plus des
émotions positives telles la joie, le bonheur, le plaisir et le bien-être notamment avec ses enfants et
137
deux de ses amis (espoir) : Je sens que la tempête négative est finie. Je me sens au tout début d'un chemin qui est
beaucoup plus positif. C'est pour ça que je ne suis pas encore très focusé sur le positif, mais du positif j'en ai.
Marc insiste sur le fait que malgré qu’il soit plus conscient de ses émotions et qu’il les gère mieux, il
lui arrive encore parfois d’être envahi par l’anxiété (soubresauts). Il parvient tout de même plus
rapidement à diminuer cette anxiété par la méditation, la modification des pensées et le sport
(stabilisation).
Pis j'ai intégré des activités de méditation dans mon quotidien ce qui me permet de connecter avec ces émotions-
là, de les apprivoiser, de les accompagner pour ne plus être avalé par ces émotions-là même si je le suis
encore (Marc).
Marc a fait le deuil de son ancienne relation de couple, de la famille unie et s’est réorganisé depuis
une vie qu’il apprécie de plus en plus. Il commence à apprécier des moments de solitude tout en
reconnaissant qu’il est difficile pour lui de ne pas pouvoir combler certains besoins affectifs avec une
femme (espoir).
Mais c'est sûr que je me sens vraiment seul, mais à force de mettre de l'énergie à m'occuper de moi pis à
m'aimer plus, j'arrive à des moments où je suis tout seul pis que je me sens bien, ce qui n'était pas le cas
avant (Marc).
Si on regarde l’ensemble des participants, les trajectoires suivies dans le processus affectif sont toutes
aussi complexes que celle de Marc. En effet, lorsqu’on s’attarde aux témoignages des participants, le
parcours de chacun est unique si on considère la durée de chaque phase, le vécu spécifique (nature
des affects, valence, intensité, etc.) et la façon de le gérer (voir résultats des SRA). Les ressemblances
ont trait aux phases qui présentent des caractéristiques communes, au fait de vivre des cycles autour
des phases qui correspondent à des périodes de régression, de stagnation ou de progression de la
situation-problème. Les chevauchements entre les phases sont fréquents, ce qui peut s’expliquer par
le fait que le processus affectif des participants est une activité continue et que l’amorce d’une phase
implique de sortir de la précédente. Toutefois, il apparait que le processus affectif peut être bloqué à
la phase de la tension. En effet, plusieurs participants sont restés bloqués pendant des mois, voire
des années à la phase de tension. Certains ont aussi décrit avoir vécu plusieurs cycles de tension et de
crise ou encore de soubresauts et de libération émotionnelle.
138
Les participants relatent des affects associés aux différentes phases, mais l’ensemble des phases ne
semble pas avoir été traversé par tous les participants. Au moment de la collecte des données, un
seul d’entre eux en est rendu à la dernière phase (Martial), six autres chevauchent les phases cinq et
six (soubresauts et stabilisation) et trois vivent entre l’espoir et les soubresauts (voir Tableau 9).
Komi se positionne entre la fragilité et l’espoir alors qu’Éric se situe entre la libération et la fragilité.
Quant à Luca, il se situe avant la première phase en ce sens que les tensions n’ont pas encore atteint
un point qui les rend incontrôlables ou handicapantes. Il est en fait en pré-tension. Les cas d’Éric et
de Komi seront à présent analysés en fonction du processus affectif théorisé à partir de l’ensemble
des témoignages. Cette analyse vise à mieux comprendre comment se déroule le processus affectif
pour eux.
Tableau 9 : Le processus affectif des participants
Phases du processus affectif Affects Participants
Luca (pré-tension)
1. Tension Accumulation d’émotions négatives
2. Crise Émotions négatives intenses
Explosion ou implosion
3. Libération
émotionnelle
Diminution des affects négatifs
Soulagement
Éric
4. Fragilité Peur d’une rechute Éric
5. Espoir Réapparition d’affects positifs Komi
6. Soubresauts Mélange d’affects négatifs et positifs Henry, Paul, Willy
7. Stabilisation Soubresauts moins fréquents et peu
intenses
Augmentation des affects positifs
Francesco, Marc, Merla,
Navan, Octavian, Sam
8. Vivification Affects positifs qui dominent Martial
Pris tel quel, le processus affectif théorisé ne semble pas permettre de comprendre pourquoi l’état
affectif d’Éric n’a pas progressé, voire a régressé, depuis qu’il consulte. En effet, au moment de le
rencontrer, ce dernier vivait une période d’affects nombreux et intenses, ce qui est normalement
associé à la phase de crise. En associant plutôt ce vécu à la phase de libération émotionnelle, le
139
processus affectif d’Éric prend un tout autre sens. Dans ce cadre, le fait de ressentir et d’exprimer
intensément des émotions n’est pas un signe de régression, mais de progression. Éric traverse une
phase que les autres participants ont vécue. On peut penser que le fait de se centrer sur son vécu
émotionnel et de l’exprimer a pour effet d’augmenter l’intensité des émotions et des affects en
général. Mais cette période est habituellement relativement brève (quelques semaines à quelques
mois) et bénéfique aux yeux des participants. Elle serait donc une phase que plusieurs traversent et
qui permet une libération émotionnelle à condition que les SRA utilisées soient aidantes.
Le cas de Komi est assez particulier puisqu’il est le seul à la phase de l’espoir sans avoir vécu la phase
de la libération émotionnelle. Il se sent un peu insensible et il a l’impression de ressentir plutôt
faiblement les émotions. Peut-être que l’alcool qu’il continue de consommer abusivement environ
deux fois par semaine l’empêche de les ressentir pleinement. Malgré tout, il se culpabilise moins par
rapport à son problème d’alcool et l’accepte mieux. Il se dénigre également moins lorsqu’il a de
mauvaises journées de travail. Cela contribue à diminuer les affects négatifs. Il a l’impression de
mieux gérer son problème d’alcool et d’avoir de meilleures journées de travail. En travaillant mieux,
cela nourrit son estime et sa motivation : c’est un cercle bénéfique. Il se sent reparti sur une voie plus
positive depuis trois ou quatre mois. Il est plus satisfait de lui, car il a l’impression de mieux
travailler, ce qu’il valorise énormément. Il vit moins d’insatisfactions et il est moins négatif dans sa
tête même si ses problèmes ne sont pas réglés.
Le seul truc est qu'avant, il y avait tellement de problèmes que ce qui peut paraitre pour une petite évolution
de l'extérieur, de l'intérieur, de la manière que je le vis, je change beaucoup de choses. Donc, j'ai l'impression
qu'il y a beaucoup de choses qui ont changé. Mais effectivement, je continue de boire de l'alcool, je continue à
travailler pas encore optimalement, je continue à négliger tout autour de ma vie qui n'est pas du travail
scolaire (Komi).
À la lumière des témoignages des participants, le schéma ci-dessous (voir Figure 7) montre les
trajectoires possibles entre les phases du processus affectif, lequel est semblable à celui illustrant la
trajectoire des situations-problèmes (voir Figure 5). De la même façon, le cercle de gauche expose
les phases impliquées dans la persistance des affects négatifs (ainsi que dans le maintien des
situations-problèmes) alors que le cercle de droite illustre le processus menant vers un état affectif
positif (et vers l’adaptation aux situations-problèmes). Entre les deux, il existe des voies de passage
qui permettent de comprendre comment une tension, une crise ou des soubresauts peuvent tantôt
140
être suivi par une détérioration de l’état affectif, tantôt par une amélioration de celui-ci. Le rôle des
SRA dans ces transformations sera abordé aux sections suivantes.
Tout compte fait, décrire l’état affectif avant et après un certain temps en consultation n’est pas
suffisant pour évaluer correctement son évolution. L’état affectif prend sens lorsque mis en contexte
dans le processus affectif. En l’y situant, cela permet de comprendre le processus de transformation
de l’expérience affective de chaque participant. À la lumière de ce processus, on constate que dix des
treize participants ont franchi les quatre premières phases. Cela les a conduits d’un état dans lequel
prédominaient les affects négatifs qui étaient figés, une tension de plus en plus forte se faisant alors
sentir, à un état durant lequel les affects négatifs diminuaient progressivement et ceux positifs
apparaissaient. Les autres participants commencent à peine à traverser dans le cercle de droite (Éric
et Komi) ou n’ont pas encore atteint un degré de tension suffisamment dérangeant pour eux (Luca).
Le processus affectif ainsi décrit aide à mieux comprendre la complexité et la diversité du vécu
affectif des participants.
4.6 Affects : discussion
4.6.1 Résultats sur le processus affectif comparés au modèle de Linehan et al. (2007)
Le modèle de Linehan et al. (2007) ne décrit pas un processus émotionnel en termes de phases. Il
expose plutôt comment les SRÉ utilisées peuvent, d’une part, augmenter la vulnérabilité
émotionnelle et les réactions émotionnelles de forte intensité et, d’autre part, diminuer cette
vulnérabilité et générer des réactions émotionnelles d’intensité plus faible. Le but n’est pas, selon
Libération Situation-problème
Tension
Stabilisation
Vivification
Crise Affects - Espoir
Soubresauts
SRA - SRA +
Figure 7. Trajectoire du processus affectif
141
Linehan (1993), de neutraliser les émotions, mais de les ramener à un seuil qui les rend tolérables,
observables et interprétables. Dans cette optique, en regard des résultats de cette thèse, les phases de
tension et de crise correspondent à une vulnérabilité émotionnelle élevée. Les participants tendraient
alors à réprimer leurs émotions ou à les ruminer, notamment, ce que Linehan associe à l’inhibition
des émotions. Un cercle vicieux se mettrait alors en place et, au sens de Linehan et al., les séquelles
émotionnelles alimenteraient la vulnérabilité émotionnelle, ce qui prédisposerait à de fortes réactions
émotionnelles à l’évocation de la situation-problème. Les phases de libération, de fragilité, d’espoir et
de soubresauts coïncident avec une vulnérabilité émotionnelle qui devient progressivement modérée.
Dans la vision de Linehan, il s’agirait d’une période d’apprivoisement des émotions et des situations-
problèmes qui les suscitent. Enfin, les phases de stabilisation et de vivification concordent avec une
vulnérabilité émotionnelle faible. Cela signifie, en lien avec le modèle de Linehan et al., que les
réactions émotionnelles seraient de plus faible intensité, se déclencheraient moins abruptement et se
résorberaient plus rapidement. La situation-problème ne déséquilibrerait plus émotionnellement
l’individu qui aurait alors plus facilement accès aux ressources pour s’adapter selon Linehan.
En somme, le modèle de Linehan et al. (2007) enrichit la compréhension des données de cette thèse
en lien avec le processus affectif. Plus précisément, il aide à comprendre, à partir du concept de
vulnérabilité émotionnelle, comment les participants ont pu accomplir plusieurs cycles dans la roue
de gauche et que la transition vers la roue de droite fut progressive et ardue. L’apprivoisement des
affects et la réduction de la vulnérabilité émotionnelle nécessitent du temps comme le montrent les
témoignages des participants et l’affirme Linehan (1993).
4.6.2 Résultats sur le processus affectif comparés au processus émotionnel de Garneau et
Larivey (1979)
Le processus affectif exposé dans cette thèse sera maintenant comparé à celui décrit par Garneau et
Larivey (1979). Ces auteurs décrivent une première phase, l’émergence, durant laquelle apparaissent
une émotion ou ses premiers signes. Selon leur conception, les individus peuvent alors faciliter ou
inhiber le processus émotionnel. En regard de la présente étude, lorsque l’émergence d’émotions est
inhibée, cela entrainerait une montée des tensions internes. En considérant la taxonomie de Larivey
(2002), les émotions simples prendraient alors la forme de contre-émotions ou de pseudo-émotions,
ce vers quoi convergent les résultats de cette étude. Ainsi, la phase de tension correspondrait à ce
que Garneau et Larivey décrivent comme l’inhibition lors de l’émergence.
142
L’immersion est le moment pendant lequel l’individu plonge dans l’émotion pour la ressentir
pleinement. Toutefois, Garneau et Larivey (1979) estiment que les stratégies d’inhibition peuvent
entrainer un acting out ou l’expression inadéquate des émotions. En ce cas, la phase d’immersion
jumelée à des stratégies d’inhibition correspondrait à la phase de crise décrite dans cette thèse.
L’individu serait alors conscient des affects qu’il ressent, mais il ignorerait comment les gérer
adéquatement.
Les phases d’émergence et d’immersion peuvent aussi être associées à la phase de libération lorsque
les stratégies employées facilitent le processus émotionnel. Cependant, aux yeux de Garneau et
Larivey (1979), la libération émotionnelle n’est complète qu’après la réalisation de l’action unifiante.
Ainsi, la phase de libération émotionnelle décrite dans cette thèse, à la lumière du processus
émotionnel postulé par Garneau et Larivey, se subdiviserait en plusieurs phases et serait associée à
des SRA aidantes (que Garneau et Larivey nomment choix de facilitation). Cette différence
importante peut s’expliquer par une conception distincte de l’adaptation. Pour Garneau et Larivey,
l’adaptation s’effectuerait essentiellement par l’expression des émotions et la satisfaction des besoins
alors que, dans la présente thèse, l’adaptation se réaliserait tant sur le plan affectif qu’en regard de la
situation-problème comme le suggère également Linehan (1993). Dans cette optique, l’expression
des émotions et la résolution de problème joueraient un rôle tout aussi important alors que du point
de vue de Garneau et Larivey, c’est surtout l’expression des émotions dans l’action unifiante qui
importe.
4.6.3 Résultats sur le processus affectif en regard des études sur les hommes
Enfin, si on compare les résultats de cette thèse avec ceux issus d’études sur les hommes, un portrait
assez cohérent émerge. En effet, lorsqu’on s’attarde à des études qualitatives menées auprès
d’hommes et d’adolescents ayant à composer avec divers problèmes (rupture amoureuse, stress au
travail, mauvais traitements durant l’enfance, etc.), les résultats convergent quant à l’importance du
processus affectif (Bêty, 2012; Bizot, 2011; Genest‐Dufault, 2013; P. Roy, 2014; P. Turcotte, 2002).
Plus spécifiquement, tant les témoignages des participants que les études recensées mentionnent que
les situations-problèmes vécues génèrent des émotions négatives variées et intenses qui peuvent
s’étendre sur une période plus ou moins longue. Avec le temps, si elles ne sont pas gérées
efficacement, ces émotions se transforment en contre-émotions ainsi qu’en pseudo-émotions (phase
143
de tension) et augmentent le risque de crise. C’est dans ce contexte de tensions exacerbées, voire de
crise, que les participants ont décidé de consulter, ce que d’autres études avaient déjà trouvé (Dulac,
1997, 1999; Tremblay et al., 2005; Tremblay et Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017).
Plusieurs hommes témoignent que dans l’année précédant leur entrée dans le Réseau, leur santé physique et
mentale s’était détériorée graduellement, sans qu’ils en prennent réellement conscience. C’est lorsque leur
souffrance est devenue intolérable qu’ils ont réalisé l’ampleur du problème. Certains ont affirmé qu’ils ont eu
des idéations suicidaires et que c’est un des facteurs qui les a incités à rejoindre le RHQ (Bizot, 2011, p.
128).
Dans ce contexte, le discours des participants donne également à penser que l’apprivoisement des
émotions est d’abord passé par l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des contre-émotions.
Plusieurs ont, en ce sens, témoigné être devenus incapables de fonctionner, se sentant sur le bord
d’exploser (irritabilité, idées et gestes de violence) ou d’imploser (idées suicidaires, état dépressifs,
etc.). C’est en consultant qu’ils disent avoir découvert que leurs contre-émotions étaient, dans les
faits, liées à des émotions longtemps réprimées et en lien avec une situation-problème. Il est donc
permis de penser que les contre-émotions sont, pour certains hommes, la porte d’entrée pour
accéder à l’univers émotionnel.
Aussi, selon leurs témoignages, la libération émotionnelle ressort comme un moment fort du
processus affectif et est particulièrement significative dans l’adaptation. Dans le même sens, Hayes et
al. (2007) ont observé que l’accumulation de tensions et leur expression durant la période de crise
servent de catalyseur au changement. Dans une étude utilisant un devis mixte, les mêmes auteurs
(Hayes et Strauss, 1998) avaient également constaté que le fait de vivre des émotions intenses permet
de prédire l’amélioration de l’état dépressif et de l’ajustement global. De son côté, Silverman (2013) a
trouvé que le fait d’éprouver des émotions négatives accentue l’exploration des causes du problème,
ce qui augmente la probabilité de comportements reflétant l’engagement du client vers le
changement désiré. Cependant, la capacité de tolérer l’intensité des émotions négatives s’avère un
atout majeur pour que cette expérience soit profitable (Berking et al., 2011; Berking et al., 2008).
Cette idée, que l’augmentation de la capacité de vivre des émotions intenses favorise la progression
du processus de changement, a été avancée par plusieurs auteurs (Garneau et Larivey, 1979;
Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993; Linehan et al., 2007; J. C. Watson et al., 2007). Dans le
même sens, d’autres auteurs estiment que l’expression des émotions est particulièrement salvatrice
144
chez des hommes qui ont plutôt appris à supprimer l’expression de leurs émotions, à les éviter ou à
consommer de l’alcool pour ne pas les sentir (Brooks, 2005; Cochran, 2005; Oliffe et al., 2010;
Rabinowitz et Cochran, 2002).
Le processus affectif des participants recoupe pour l’essentiel ces éléments. L’apport de cette thèse
est de modéliser l’idée selon laquelle le processus affectif est discontinu, pouvant ainsi changer de
direction (passages entre la roue de gauche et la roue de droite), de nature (émotions, contre-
émotions et pseudo-émotions), d’intensité et de vitesse. Cette modélisation illustre aussi la possibilité
d’alimenter un cercle vicieux d’émotions négatives et paralysantes (roue de gauche) ou bien de
nourrir un cercle bénéfique d’émotions positives et vivifiantes (roue de droite). Le processus affectif
tel que décrit permet ainsi de mieux comprendre comment les participants ont pu tantôt vivre une
période de régression et tantôt reprendre leur croissance.
4.7 SRA : résultats
Cette section vise à présenter les résultats en lien avec les SRA. Pour ce faire, le premier point
distingue les SRA aidantes des SRA non aidantes à partir du point de vue des participants. Dans un
premier temps, les caractéristiques propres aux SRA aidantes et non aidantes sont présentées. Dans
un deuxième temps, les SRA identifiées sont classées dans un tableau (voir Tableau 10) en fonction
des critères énoncés. Le second point présente les SRA utilisées par les participants avant de
consulter ainsi qu’après un certain temps en consultation. Le troisième point décrit les perceptions
des participants à propos de leur utilisation des SRA les plus significatives pour eux et les impacts de
celles-ci. Ce dernier point facilitera l’analyse du rôle des SRA dans le processus de changement des
situations-problèmes et des affects à la section suivante. Enfin, le dernier point aborde l’évaluation et
la sélection des SRA que les participants ont appris à réaliser durant le processus de consultation.
4.7.1 SRA aidantes et SRA non aidantes
La quatrième question de recherche vise à différencier les SRA aidantes de celles non aidantes. En
examinant les perceptions des participants, il appert une distinction nette entre ces deux types de
SRA qui ont été regroupées dans le Tableau 10. Lorsque les participants décrivent les SRA non
aidantes, ils utilisent des expressions comme un « patch », un « handicap », un « mur entre soi et
l’extérieur », une « mauvaise habitude », « pas la bonne façon de faire », « pas une bonne solution », « ne fonctionne
145
pas », « explosif » et « à ne plus refaire ». De plus, ils estiment qu’elles ont pour effets d’amener d’autres
difficultés (conflits relationnels, notamment), de ne pas être constructives, d’augmenter le malaise, de
« rendre malade » et de « ne pas aider à vivre ». À la différence, quand les participants parlent des SRA
aidantes, ils les qualifient de « bonnes habitudes » et de « bonnes méthodes ». Prendre ces bonnes habitudes
est exigeant selon eux, mais combien bénéfique. Ils observent qu’elles font « une grosse différence »,
qu’elles « font du bien », qu’ils se sentent « moins lourds » en les utilisant et qu’elles facilitent leurs
relations. Pour eux, il importe « d’arrêter les mauvais mécanismes », d’affronter les émotions, de les
ressentir, de les évacuer, de s’en occuper, de prendre une distance et de réfléchir pour affronter les
situations-problèmes. À contrario, selon les répondants, les SRA non aidantes font perdre de vue les
émotions dont l’intensité et la fréquence augmentent jusqu’à devenir incontrôlables.
Les émotions non assumées créaient un mur entre moi et l'extérieur : plus j'arrivais à pénétrer, à comprendre
ou à accepter ces émotions-là, plus le mur se défaisait. Pis là, je commençais à voir dans le noir,
tranquillement. Pis plus les émotions deviennent familières, acceptées, comprises et souhaitées, d'une certaine
façon, plus ça devient un atout plus qu'un handicap […] C'était un mur, un obstacle, un handicap et c'est
comme devenu un outil (Willy).
Tableau 10 : Liste des SRA non aidantes et aidantes
SRA non aidantes SRA aidantes
Alexithymie Conscience des émotions
Répression des émotions Acceptation des émotions
Suppression expressive des émotions Expression positive des émotions
Consommation S’occuper de ses besoins
Expression négative des émotions Temps d’arrêt
Suractivation Activités agréables
Rumination (pensées répétitives) Distraction
(Rumination : scénarios catastrophes) Centration sur le positif
Réinterprétation
(Résolution de problème inefficace)
Évitement
Résolution de problème efficace
Isolement Soutien social
146
Malgré ces distinctions très nettes, les participants apportent certaines nuances. Selon eux, les SRA
non aidantes peuvent aider à atténuer le choc émotionnel suscité par une situation imprévue comme
l’annonce d’une rupture amoureuse. Ainsi, abuser de l’alcool ou faire de l’évitement après un tel
événement peut aider. Cet apport est toutefois de courte durée comme le fait remarquer ce
participant :
L'alcool m'a aidé un peu pis à cause que là j'ai bu pendant 10-11 jours consécutifs, je me suis dit que ça
marche pas là. J'ai 21 jours de vacances, ça fait la moitié que je bois, ça marche pas là. Je ferai pas un
autre... j'ai dit : « WOW là, ça marche pas là! Faut que j'appelle ». J'ai allumé là. J'ai dit : « Non non,
hey ! ». Je me dis : « Là là, je me calme. Par rapport à ma situation, là, je me calme. Là, là, je trouve que je
fais dur. Je me calme moi-même, tout seul, je bois tout seul. Personne ne sait les quantités. » J'ai dit : « Non
là… » (Henry).
De même, les SRA aidantes ont leurs limites en ce sens qu’elles ne permettent pas de tout régler. Par
exemple, réaliser des activités agréables permet d’évacuer des émotions négatives et de générer des
émotions positives. Mais, selon les propos des participants, cela ne règle pas le problème ou
n’enseigne pas comment composer avec ce problème lorsqu’on y est confronté. En ce cas, d’autres
SRA sont nécessaires pour compléter les premières. Lorsque les participants demeurent trop
longtemps dans cette pratique d’activités agréables, ils constatent que leur situation stagne et que
cette SRA devient alors une forme de suractivation et d’évitement.
Donc, j'ai essayé de me refaire une vie pour faire le deuil du travail, du milieu social du travail pis tout ça et
j'ai versé dans l'activité physique, l'entrainement, le vélo, le sport, la course à pied. J'ai fait de la compétition.
J'ai été assez loin là-dedans ; j'ai fait des demi-marathons. Je me suis construit une vie basée sur ça. Mais ce
n’était pas suffisant ; ça ne remplissait pas ma vie. Ça compensait certaines choses, un certain isolement, mais
il reste que ce n'était pas constructif, ça ne m'aidait pas à vivre, c'était comme un patch (Willy).
Pour en donner d’autres exemples, mentionnons que la réinterprétation est jugée bénéfique par les
participants lorsqu’elle permet de prendre un recul, de réfléchir et de mieux comprendre une
situation. Par contre, certains rapportent des exemples qui indiquent qu’elle peut devenir une façon
d’éviter de passer à l’action (résolution de problème) lorsque cette réinterprétation se prolonge, ou se
transmute en rumination lorsque la réflexion se fixe sur des aspects négatifs ou devient obsessive :
« Ça se fait tout seul et je ne m'en rends pas compte pis je suranalyse beaucoup de choses » (Marc).
147
En ce qui concerne l’expression des émotions, les propos des répondants suggèrent qu’elle est
aidante lorsqu’elle permet la libération d’émotions devenues lourdes à porter. Elle est libératrice
lorsqu’elle s’effectue sans violence seulement. Sinon, la violence fait émerger d’autres émotions
(notamment la culpabilité et la honte) qui bloquent la libération émotionnelle. Certaines façons de
tenter de libérer des émotions négatives, comme parler constamment de sa situation-problème,
chialer et sacrer, sont en fait de la rumination et ont, dans ce cas, un effet négatif aux yeux des
participants.
4.7.2 SRA utilisées avant la consultation
Avant la consultation, les propos des participants indiquent qu’ils ont utilisé principalement des SRA
non aidantes et très peu de SRA aidantes. Les SRA non aidantes les plus rapportées sont la
rumination, la répression des émotions, la suppression expressive et l’évitement. Bien que moins
employées, quatre autres SRA non aidantes ont été très significatives pour certains participants, soit
la consommation (surtout d’alcool), la suractivation, l’expression négative et l’isolement social.
Du côté des SRA aidantes, seule la conscience des émotions se démarque dans les propos des
répondants bien qu’elle reste modeste. Toutefois, selon eux, cette conscience des émotions suscite
davantage de confusion et de malaise, les participants ne sachant pas comment les gérer. Ils
indiquent que, dans les faits, les SRA non aidantes prennent le dessus sur la conscience des émotions
dans le but de les endiguer. Par ailleurs, les participants rapportent avoir utilisé au moins deux SRA
non aidantes, et ce, de façon simultanée ou intercalée. Une SRA non aidante était donc la plupart du
temps accompagnée ou suivi de près par une autre SRA non aidante. Les combinaisons de SRA les
plus fréquentes sont analysées plus loin (voir section suivante, partie interaction entre les SRA).
L’analyse des propos des répondants indiquent que, généralement, la fréquence d’utilisation des SRA
non aidantes était assez élevée, surtout en ce qui concerne la rumination, la répression, la
suppression et l’évitement et que l’utilisation des SRA non aidantes s’est étendue sur une période
allant de quelques mois à plusieurs années.
Pour illustrer cette façon d’utiliser les SRA non aidantes, voici un extrait du résumé de cas de Willy.
Ce dernier a consommé de l’alcool de façon abusive notamment pendant les quatre ou cinq années
précédant la consultation. Il estime que l’alcool n’a pas aidé, mais au contraire, qu’il a aggravé son
état de déprime et ses problèmes conjugaux : « Si un moment donné on a cru que le fait de consommer de
148
l'alcool, ça changerait quelque chose, bien ça l'a changé des comportements agressifs, mais ça n'a pas changé la
situation, la dynamique est restée ». Aujourd’hui, il est fier d’avoir reconnu ce problème et d’avoir réussi à
contrôler sa consommation d’alcool depuis huit mois. L’isolement social et affectif a longtemps été
pour Willy un moyen de gérer ses émotions. Il se retrouvait ainsi seul avec sa détresse. Qui plus est,
il rapporte qu’il réprimait les émotions qu’il ressentait, se distrayait pour ne pas avoir à y être
confronté. Dans cet extrait, il parle du deuil de ses parents : « Oui, c'est comme si je n'avais jamais voulu
creuser ça. J'avais peur de retomber là-dedans pis que ça fasse mal ». Il dit qu’il ignorait le rôle des émotions et
quoi en faire : « Je crois que j'étais un analphabète des émotions. C’est comme si je n'avais pas de contrôle sur une
partie de moi-même. J'étais balloté par des vents positifs ou négatifs, mais je n'avais pas conscience que je pouvais avoir
une prise là-dessus ».
Cet extrait montre que Willy a longtemps réprimé ses émotions à un tel point que, un demi-siècle
plus tard, il en avait une faible conscience et ignorait comment les réguler. Selon ses propos, quand
la répression et la suractivation, au travail et dans les sports notamment, ont commencé à ne plus
suffire à contenir ses émotions, il a augmenté sa consommation d’alcool de façon à les neutraliser.
Comme il le décrit, ce choix a accentué la dégradation de son état émotionnel jusqu’à ce qu’il se
retrouve devant un mur, celui de la dépression majeure. Il mentionne que, n’arrivant plus à
fonctionner, sentant son couple en péril, il s’est résolu à consulter. Dans l’ensemble, le cas de Willy
illustre bien comment les SRA non aidantes ont été utilisées de façon simultanée ou successive par
les participants.
4.7.3 SRA utilisées après un certain temps en consultation
La plupart (11 sur 13) des participants estiment avoir modifié de façon importante leur façon de
réguler leurs affects pendant la consultation. D’une part, ils croient beaucoup moins utiliser
maintenant des SRA non aidantes. Selon leurs témoignages, c’est la répression et la suppression qui
ont connu la réduction la plus marquée. La rumination, l’évitement, la consommation, l’expression
négative et l’isolement ont également subi des baisses importantes, mais n’ont pas complètement
disparu. En effet, selon leurs dires, ces SRA réapparaissent encore de temps à autre ou n’ont pas été
freinées chez certains participants (notamment l’alcool pour Komi et Henry). D’autre part, ils
rapportent que les SRA aidantes sont beaucoup plus nombreuses à être utilisées et elles le sont
beaucoup plus fréquemment. Les participants ont décrit l’utilisation d’une douzaine de SRA aidantes
dont les plus importantes sont la conscience des émotions, l’acceptation, l’expression positive, la
149
réalisation d’activités agréables, la réinterprétation, centration sur le positif, la résolution de
problème, le soutien social et l’évaluation des SRA. Selon eux, plusieurs de ces SRA aidantes
n’étaient pas ou presque pas utilisées avant la consultation (acceptation, expression positive, activités
agréables, soutien social et évaluation des SRA). La Figure 8 expose la transformation dans
l’utilisation des SRA27. On y voit que la fréquence d’utilisation des SRA non aidantes a beaucoup
diminuée alors que celle des SRA aidantes a significativement augmentée entre la période qui
précède et celle qui suit la consultation.
Figure 8. Perceptions de l’ensemble des participants quant à la fréquence d’utilisation des SRA
aidantes et non aidantes entre la période qui précède et celle qui suit la consultation
27 Cette figure résulte de la méthodologie de codage ordinal exposée dans le chapitre précédent.
0
5
10
15
20
25
30
35
Répression desémotions et…
Consommation
Isolement
Rumination
Expressionnégative
Suractivation
Évitement
Distraction
Acceptation desémotions
Conscience desémotions
Expressionpositive
Time-out
S'occuper de sesbesoins
Réinterprétation
Se centrer sur lepositif
Activitésagréables
Soutien social
Acceptation de lasituation
Résolution deproblèmes
Évaluation desSRA
SRA avant laconsultation
SRA à la suite dela consultation
150
Pour illustrer cette transformation des SRA, le cas de Willy est ici repris. Durant sa période à
tangente négative, Willy a moins utilisé ses SRA aidantes habituelles (activités agréables,
réinterprétation et résolution de problème) et davantage utilisé des SRA non aidantes (abus d’alcool,
rumination, isolement, répression des émotions et suppression). Durant la période à tangente
positive, il y a eu un renversement dans les SRA utilisées. Willy a eu beaucoup moins recours aux
SRA non aidantes et, inversement, il a appris de nouvelles SRA aidantes (acceptation des émotions,
expression des émotions, donner sens à l’émotion) et s’est remis à pratiquer celles qu’il connaissait
(activités agréables, réinterprétation et résolution de problème). Son état affectif ainsi que sa
situation-problème se sont améliorés au fur et à mesure des changements positifs apportés aux SRA
qu’il utilise.
Luca et Komi se démarquent des autres participants par leur absence (Luca) ou plus faible présence
(Komi) de progrès dans les SRA utilisées. Chez Luca, seuls deux SRA non aidantes ont été
identifiées (évitement et sexualité28) et quatre SRA aidantes (s’occuper de ses besoins, centration sur
le positif, réinterprétation et résolution de problème). Il semble que ce mixte de SRA contribue à un
certain équilibre puisque Luca considère qu’il n’est pas en crise sur le plan émotionnel et qu’il arrive
ainsi à gérer les impasses de ses situations-problèmes. Pour Komi, le portrait est plus complexe
puisqu’on dénote l’utilisation de six SRA non aidantes et de sept SRA aidantes. Malgré une certaine
réduction des SRA non aidantes et une augmentation des SRA aidantes, ces dernières n’arrivent pas
encore à prendre le dessus bien que, selon lui, le mouvement prenne actuellement une direction
positive.
4.7.4 L’utilisation des SRA non aidantes et ses effets
Les résultats à propos des SRA non aidantes et aidantes que les participants disent avoir utilisées
sont maintenant abordées. Les transformations perçues dans l’utilisation de ces SRA sont aussi
considérées de même que les impacts rapportés.
Alexithymie. Au moment des entrevues, un seul participant a exprimé ressentir peu d’émotions
ayant de la difficulté à se souvenir d’émotions particulièrement intenses. Toutefois, plusieurs
participants ont souligné qu’avant la consultation, ils ressentaient peu d’émotions et qu’ils s’étaient
coupés de certaines d’entre elles. Par exemple, Francesco avait mis dans « un tiroir dans sa tête » la
28 La sexualité est ici vue comme une façon de consommer pour gérer certains affects et certains besoins.
151
relation traumatique avec son père. Willy rapporte avoir longtemps refoulé la souffrance qu’il a
ressentie lorsqu’il était enfant à la suite du décès de ses parents. Éric mentionne aussi avoir perdu
son père alors qu’il était enfant et mis de côté cette souffrance ne sachant quoi en faire. Pour les
participants, le prix à payer pour avoir mis de côté ces souffrances est de s’être coupés de leurs
émotions, celles positives comme celles négatives. Qui plus est, plusieurs d’entre eux rapportent que,
dans le contexte des situations-problèmes vécues et de la consultation, ces souffrances longtemps
mises de côté resurgissent. Avec le recul, ils mentionnent que cette coupure émotionnelle était
devenue intenable et qu’ils se devaient de les affronter pour évoluer : « Bien, c’est sûr que si tu ne te
donnes pas le droit de vivre une émotion, tu l'enfouis, l'enfouis pis un moment donné, tu n'as plus le choix de la vivre.
Pis tu la vis bizarre » (Francesco). Le cas de Komi est particulier, car malgré qu’il affirme ressentir peu
d’émotions, il en a nommé plusieurs lors des entrevues (peur, honte, culpabilité) ainsi que des
contre-émotions (anxiété, stress, fatigue, tensions physiques, etc.). Ce mal-être a d’ailleurs été pour
lui le déclencheur d’un processus de changement. On peut estimer que Komi n’est pas à un degré
extrême d’alexithymie, car il est en train d’apprivoiser ses affects éprouvant encore des difficultés à
les reconnaitre.
Répression des émotions. La plupart des participants rencontrés ont mentionné avoir appris à
réprimer leurs émotions en les rabrouant ou en tentant d'opérer une coupure entre l'émotion et la
conscience de soi : « On dirait que pour moi, c'était comme des bibittes! Je ressentais de quoi pis c'était comme non,
non, non » (Martial). Ils estiment avoir pris cette habitude durant l’enfance et l’avoir maintenue
jusqu’au moment de consulter. Cependant, ils évaluent que cette stratégie peut fonctionner à court
terme, mais devient handicapante à long terme. En effet, l’accumulation d’émotions les rend de plus
en plus difficiles à contenir et les participants en viennent à se sentir au bord « d’éclater ». Selon leurs
propos, les émotions refoulées finissent tôt ou tard par refaire surface : elles sont alors nombreuses
et intenses, difficiles à gérer, et se manifestent sous forme de symptômes physiques, anxieux et
dépressifs ou de gestes impulsifs et violents.
Je sentais que quelque chose n'allait pas chez moi, mais avec les années, une partie de moi luttait, n'était pas
heureuse ni satisfaite sauf que je n'ouvrais pas la porte à ça, c'était fermé. Je ne me laissais pas la permission
de ressentir et d'exprimer tout ce que je ressentais au travail. Je réprimais beaucoup, beaucoup, beaucoup,
beaucoup ces aspects-là (…) On dirait que l'éponge va éclater, que j'ai tellement essayé de refouler, de mettre
ton éponge dans un pot pis de mettre un couvercle là-dessus pis de dire non, non, non, ça ne marche pas.
J'étouffais beaucoup mes émotions (Martial).
152
Dans l’ensemble, les participants estiment que la répression des émotions permet de moins ressentir
une souffrance ou une détresse émotionnelle. Toutefois, à moyen ou long terme, selon eux, cette
stratégie atteint ses limites : les émotions vont alors déborder et, prenant la forme de contre-
émotions, affecter la personne. Le contrôle des émotions n’est alors plus possible, mais les
alternatives restent méconnues.
Suppression de l’expression émotionnelle. La plupart des participants ont exprimé avoir appris
jeune à « ravaler » leurs émotions, c’est-à-dire à ne pas les exprimer à leur entourage. Ils ne
s’autorisaient pas à exprimer leurs émotions et s’en sentaient incapables. À la longue, une pression
énorme s’accumulait faisant parfois exploser le « presto » comme l’explique Merla : « Faque là j'ai décidé
de prendre tout sur moi, de fermer ma gueule et de prendre mon truck de marde jusqu'à tant que ça déborde ». Cette
explosion peut soulager sur le coup, mais est davantage vue comme néfaste par les participants étant
donné les impacts sur leurs relations (chicanes, distance, risque de séparation, etc.). Pour éviter les
impacts de ces explosions, et ne sachant pas comment exprimer autrement leurs émotions, la
répression des émotions et la suppression de leur expression apparaissaient comme l’une des seules
alternatives. Ils disent s’être sentis ainsi pris au piège : incapables de faire baisser la pression et
utilisant des SRA qui contribuent à son augmentation, ils préparaient la prochaine explosion.
Consommation. Cinq participants ont consommé abusivement de l’alcool à la suite des situations-
problèmes qu’ils ont vécues. Deux participants mentionnent avoir consommé des drogues et trois
autres ont eu recours à la sexualité de manière compulsive. Ils expliquent que la consommation est
une façon de se « soulager de tensions » ou de gérer des affects négatifs (ennui, peur, tristesse et
frustrations). Elle permet, disent-ils, de contrer les affects négatifs envahissants et la
rumination lorsqu’ils n’y sont pas parvenus autrement.
En ce moment, ça ne va pas bien, j'ai fait toute la liste et il faut que j'annule l'émotion. Ça n’arrivait peut-
être une fois par mois ou par deux mois, mais quand ça arrivait, ce n'était pas beau. Je ne m'en rappelle pas,
tu comprends. C'était devenu un pansement temporaire, tsé, tu te coupes, tu mets un plasteur, mais le
plasteur s'en va […] Au lieu de ruminer, l'alcool était là (Francesco).
Ces cinq participants affirment que l’alcool les a aidés à retrouver des sensations positives à travers la
tourmente. Selon eux, l’alcool permet non seulement de contrer les affects négatifs, mais de générer
153
des sensations positives le temps de son effet physiologique : « C'est pour se désennuyer, chercher un peu
des sensations » (Komi). Lorsque cet effet s’estompe, il y a une reprise de contact avec la réalité. Selon
les propos de ces participants, le retour à la réalité semble pire, car la consommation amènerait
d’autres problèmes (fatigue, diminution de la capacité à travailler, isolement, culpabilité, etc.) qui, à
leur tour, servent parfois de justification à la prochaine consommation : « Donc, oui, ça pose des
problèmes dans ma vie sociale et dans ma vie de tous les jours. Les problèmes qui m'ont amené à boire ont fait que ma
manière de boire m'a amené encore plus de problèmes. Ça fait un cercle vicieux » (Komi). Comme le souligne
Willy : « Ça nous éloignait de la solution le fait de consommer de l'alcool ».
En somme, la consommation abusive amène certains bénéfices sur le plan affectif, mais ces derniers
sont éphémères. Assez rapidement, les coûts surpassent les bénéfices et un cercle vieux s’enclenche
entrainant un risque de dépendance.
Expression négative des émotions. L’expression négative des émotions est décrite par les
participants comme un geste impulsif qui survient dans un contexte de crise. Ils ont alors le
sentiment de perdre le contrôle et ce n’est qu’après coup qu’ils voient les dégâts. Certains
participants rapportent avoir eu des comportements violents à l'égard d'autrui (crier, insulter,
critiquer sans cesse, menacer, altercations physiques, etc.) ou d’eux-mêmes (tentatives de suicide,
négligence des besoins, etc.). Selon eux, ces comportements avaient comme but de se soulager
d'affects négatifs et pénibles : « Je pogne les nerfs, je crie un peu dans la maison, je claque une porte, des choses
comme ça » (Navan). Or, après coup, ils évaluent que cette stratégie ne contribue pas à diminuer la
souffrance ressentie ni à résoudre les problèmes qui la génèrent. Ils peuvent alors se sentir honteux
et coupables par rapport aux gestes posés :
Je n'en avais plus [de la patience], plus rien! Pis j'avais peur, j'ai dit : « Ça va être quoi un moment
donné ? ». L'intervenant me la ramène de temps en temps cette autre histoire où j'ai failli tuer un gars avec le
tracteur parce que le gars ne me lâchait pas […]. J'ai réalisé après ce que je venais de faire... Là, je suis allé
voir mon boss, je lui ai expliqué, j'ai même fondu en larmes dans le bureau parce que je lui ai dit : « Regarde,
ça ne me ressemble pas pantoute, je ne suis pas fier de ce que j'ai fait là. Ce malade-là, il a failli faire basculer
ma vie pour son cristie de traileur ». J'ai dit : « Ça dépasse ma pensée »... (Merla).
Cet extrait illustre comment le fait d’accumuler des émotions négatives a contribué à rendre ce
participant au bord d’exploser. Une contrariété banale pouvait alors allumer la mèche et entrainer
154
une explosion de violence. Un autre participant estime avoir été chanceux que ça n’aille pas plus
loin :
De la rage... Je ne sais pas d'où que ça venait, mais j'étais enragé contre le monde […] Bien, je haïssais les
humains, je n'étais plus capable de les voir […] J'ai dit : « Ça n'a pas d'allure, faut que je règle mes
problèmes. Il va m'arriver quelque chose, je vais aller en prison, m'a tuer quelqu’un ». Je te jure, j'étais rendu
là […] Ce n'est pas drôle là. Eyh! J'ai dit : « Là, non ! » Quand t'es rendu là, j'ai dit que c'est peut-être le
temps que tu consultes. Faque là, j'ai commencé à consulter. C'est ça ma première 10 séances de consultation
(Paul).
En fin de compte, selon les propos des répondants, l’expression négative des émotions est reliée à
une accumulation de tensions qu’ils ignoraient comment mieux gérer. Pris sous cette tension, ils
rapportent s’être sentis alors incontrôlables et à la merci des événements.
Suractivation. Quelques participants ont mentionné avoir tendance à surinvestir leur travail, ou
d’autres activités (sport, travaux manuels, etc.), lorsqu’ils vivent une situation qui les perturbe
émotionnellement. Ils constatent essayer de compenser pour un manque d’estime de soi en se
valorisant dans la performance. Or, leurs propos suggèrent que cet objectif de performance devient
en lui-même une source de stress supplémentaire qui, malgré quelques gains à l’estime de soi, les
rend plus vulnérables sur le plan émotionnel. Ils en viennent aussi à se sentir déconnectés de leurs
besoins et à les négliger : « Oui, c’est ça! Exactement! Je faisais juste travailler. Je ne savais même pas qui j'étais,
moi. Je ne savais même pas ce que j'aimais, si j'aimais bleu ou vert ou manger une pomme ou une orange » (Paul).
Certains reconnaissent là une façon peu efficace de gérer des émotions négatives : « Quand j'avais peur
de ça, je me disais non et je vais faire ci, faire ça. Je m'imposais encore des trucs et donc... » (Komi). Aux yeux des
participants, la suractivation est épuisante et ne permet pas de résoudre leurs problèmes.
Rumination. La plupart des participants rapportent avoir été aux prises avec des périodes de
rumination intenses et fréquentes : leurs pensées étaient alors incontrôlables et répétitives, se
déclenchant et s’arrêtant indépendamment de leur volonté : « Même quand je ne voulais pas y penser, j'y
pensais. Je ne voulais pas y penser, mais j'y pensais plus » (Francesco). Certains participants disent avoir eu
l’impression que ces pensées étaient tout le temps présentes même si parfois en arrière-fond : « Oui,
ça tournait tout le temps. Le hamster, je te jure qu'il ne dort pas souvent » (Merla). Ces pensées étaient centrées
sur leurs problèmes qu’ils cherchaient à comprendre en vain. Plusieurs affirment avoir développé des
155
scénarios catastrophes en lien avec la situation-problème. D’autres qu’ils étaient également portés à
se blâmer. Certains rapportent avoir combiné les trois types de ruminations : rumination à propos
des problèmes, scénarios catastrophes et blâmes personnels. Bien qu’ils s’agissent de trois types de
pensées négatives, les participants établissent des liens étroits entre ces trois types de pensées, car ils
s’inscrivent dans un mode négatif, répétitif et involontaire. Les scénarios catastrophes et les blâmes
personnels décrits par les participants sont en lien avec la situation-problème. Dans cet esprit, il est
adéquat de les associer à la rumination.
Parmi les impacts, les participants estiment que la rumination augmente leur malaise. Ils se sentent
alors plus anxieux, tendus, irritables et déprimés : « Je ne comprenais pas, mais plus que j'y pensais, plus je me
sentais mal » (Francesco). Ils ont aussi l’impression de perdre le contrôle et d’ignorer quoi faire pour
le reprendre.
Évitement. Plusieurs participants mentionnent avoir évité leurs problèmes ou encore d’avoir pensé
à le faire. Certains disent le faire encore de temps à autre. Ils estiment que cela permet d’éviter
d’affronter une situation qui les dépasse et qui suscite des émotions négatives. D’autres précisent
qu’ils préfèrent fuir les situations qui font resurgir ces émotions négatives. Comme le souligne un
participant, l’évitement permet de réduire la souffrance ou de réduire le risque qu’elle ne s’embrase :
« Si mon ex-femme me lance une pointe, j'évite, elle me fait moins mal la flèche » (Sam). Cette stratégie permet,
selon eux, de prendre un recul pour « prendre des forces pour aller affronter le lion » (Sam). Par contre, les
participants reconnaissent que l’évitement ne peut être aidant que dans certaines circonstances
(lorsque le lion attaque, par exemple) et ne permet pas d’apprendre à affronter la situation-problème.
Ce faisant, ces problèmes les rattrapent et les frappent à nouveau : « Mais je me disais qu'avec une belle
femme de même, je serais heureux. Je me suis dit oups, mon ex-conjointe est encore là, c'est aussi bien qu'elle retourne
en France, ça règle mon problème » (Sam).
Bref, l’évitement est une stratégie qui, du point de vue des participants, peut être bénéfique dans
certaines circonstances. Toutefois, à plus long terme, cette stratégie ne favorise pas la résolution ni
l’adaptation au problème.
Isolement. La plupart des participants disent avoir appris à s’isoler lorsqu’ils vivent des situations
pénibles. Avant de consulter, ils n’avaient pas l’habitude de parler de leurs problèmes, mais plutôt de
156
s’isoler. Plusieurs soulignent que cette habitude remonte à loin, souvent à l’enfance. Ils étaient
réticents à parler n’en voyant pas l’utilité et croyant cela plutôt nuisible : « Parce que bien entendu je ne
voulais pas vraiment en parler à personne au début parce que je trouvais ça compliqué, que ça ne valait pas la peine,
pis quoi que ce soit » (Octavian). Or, consulter, c’est accepter de se dévoiler, de parler de ses problèmes
et de ses émotions. Selon eux, la consultation a contribué à briser leur isolement affectif. La
participation à un groupe d’entraide et le développement de relations d’amitié où ils expriment leurs
émotions ont aussi contribué à briser cet isolement. Au final, ils estiment que cet isolement affectif
ne les a pas aidés et qu’au contraire le fait de s’ouvrir et de parler a été des plus bénéfiques pour eux.
Ce n’est pas seulement leur situation-problème que cela a aidé à modifier, mais l’ensemble de leurs
relations sociales.
4.7.5 L’utilisation des SRA aidantes et ses effets
Conscience des émotions. Pour les participants, les émotions sont un signal d’alarme qui indique
que quelque chose se passe : « C'est comme la lumière qui s'allume et ça me fait poser des questions » (Marc). Il
importe alors, selon eux, de porter attention aux émotions et aux symptômes physiques
associés. Cela leur a permis d’identifier les émotions et de mieux comprendre ce qui se passe pour
eux. En y restant attentifs, les émotions indiquent un changement à faire et la route à suivre : « Les
petits signaux, c'était pour aller vers le changement » (Martial). Selon leurs propos, c’est en les vivants que les
émotions prennent sens et peuvent être mieux gérées : « Vis là pis tu vas trouver une façon de la gérer selon
la situation » (Francesco). À la lumière de ces témoignages, tant la conscience que la centration sur les
émotions peuvent être bénéfiques à la condition qu’elles entrainent une compréhension nouvelle
(réinterprétation) de la situation-problème et des émotions. La conscience des émotions paverait
ainsi la voie à la réinterprétation. Bref, selon ces témoignages, le fait de prendre conscience de ses
émotions, d’y porter attention et de réfléchir à leur signification facilite le processus émotionnel et
l’adaptation à la situation-problème.
Acceptation des émotions et de la situation. Pour les participants, accepter les émotions revient à
les accueillir, les normaliser et les laisser aller. Le contraire est de les refuser et de les réprimer.
L’acceptation implique d’avoir conscience des émotions et ajoute de leur faire une place et d’en tenir
compte. Comme le souligne Martial, cela imprime un mouvement positif et énergisant : « De dire, non,
oui ça peut être stressant, ça peut faire vivre toutes sortes d'émotions, mais laisse-toi aller, donne ton mieux, arrête de
vouloir bloquer ça. Ça me donnait plus d'adrénaline en changeant ça ». Ainsi, l’énergie mise à réprimer les
157
émotions et leur expression est canalisée par les participants vers un mouvement de croissance
alimenté par l’acceptation.
Selon les participants, accepter la situation conduit à « suivre le courant » et à « faire avec » plutôt que de
« lutter contre » et de les réprimer. Le contraire revient à s’obstiner, à lutter indéfiniment même si cela
ne donne aucun résultat. Il se crée alors une impasse dans le processus d’adaptation à la situation-
problème. Accepter exige de renoncer à obtenir quelque chose, à faire le deuil de certains espoirs et
de certains rêves. C’est encore, selon Paul, s’ouvrir à de nouvelles possibilités : « Faque à ce moment-là,
tu te rends compte que ça [cet emploi] ne marche pas et que t'es aussi bien de te r'virer de bord pis de faire autre
chose ». Ainsi, l’acceptation n’est pas passive, mais entraine un mouvement vers l’avant pour les
participants.
Expression positive des émotions. Pour les participants, exprimer leurs émotions de façon positive
revient à les évacuer, décharger la tension accumulée, à se vider le cœur. Ils racontent l’avoir fait
verbalement ou par écrit, parfois accompagné de pleurs, de gesticulations et d’autres expressions
corporelles. Ils mentionnent surtout deux émotions : la colère et la tristesse. La plupart des
participants affirment qu’ils avaient l’habitude de réprimer et ne pas exprimer leurs émotions. Pour
eux, l’expression positive des émotions apprise lors de la consultation est une découverte. Plusieurs
ont mentionné que c’était la première fois qu’ils se permettaient de partager ainsi leurs émotions. Ils
soulignent que cela leur a fait un bien immense.
Quand j'ai vu que ça me permettait d'évacuer une certaine frustration, quand ça me permettait d'évacuer une
certaine tristesse ou des émotions négatives ou des réactions que je peux ressentir. C'est là que j'ai senti que
wow! En m'exprimant, ça fait du bien! Pis de ne pas toute garder ça en dedans... C’est ça qui fait une
différence (Martial).
D’autres remarquent qu’ils expriment davantage leurs émotions avec leur entourage et qu’ils sont
plus satisfaits de ces relations : « Tout à fait! Maintenant, dans mes relations, je n'ai pas peur de parler de mes
émotions » (Sam).
Les participants estiment que la consultation leur a permis d’apprendre à moduler leurs émotions en
les exprimant. Plusieurs ont insisté pour dire que c’est normal pour un homme de pleurer et
d’exprimer ses émotions et qu’ils regrettent de ne pas l’avoir appris plus tôt.
158
J'aurais dû consulter il y a longtemps, mais je ne l'ai pas fait. Savoir ce que je sais aujourd'hui, je l'aurais
fait à 20 ans, j'aurais consulté au début, aussitôt que j'ai commencé à ne plus vouloir sentir des émotions du
passé qui remontaient en cauchemar, j'aurais dû consulter là. J'étais orgueilleux, j'avais 20 ans, ça ne me
tentait pas. Si je retournais il y a 10 ans, j'aurais consulté (Francesco).
Tout le monde pense qu'un homme ne peut pas avoir d'émotions, ne peut pas... que c’est fort, que c’est grand,
que c’est gros pis... sauf qu'un moment donné, on en a des émotions, on en a des problèmes nous autres aussi,
mais il n'y a pas grand monde pour les écouter (Merla).
En somme, l’expression positive des émotions a été très bénéfique pour les participants. Ils
considèrent avoir appris à le faire dans le cadre d’une relation d’aide, sécurisante, et à choisir les bons
moyens pour évacuer leurs émotions. Plusieurs soulignent qu’ils arrivent maintenant à le faire
également avec leur entourage.
Besoins (se centrer sur ses…). Selon leurs propos, les participants ont eu tendance à négliger leurs
besoins lorsqu’ils étaient éprouvés par la situation-problème qu’ils vivaient. Ils pouvaient alors avoir
de la difficulté à se reposer, à se nourrir, à se tenir en forme physique, etc. Cela affectait leur humeur
qui, disent-ils, devenait alors plus négative et irritable. Ils mentionnent que, inversement, le fait de
mieux s’occuper de leurs besoins les a aidés à se sentir plus stables émotionnellement, plus patients
et plus positifs.
Avec la sobriété, au niveau des étapes... Mon alimentation, je suis allé la chercher avec les légumes. J'ai appris
à apprécier de dormir, apprécier mon lit. Un moment donné, tu en reviens et passes à une autre étape, tu
montes dans la pyramide [des besoins] (Paul).
S’occuper de ses besoins, c’est aussi apprendre à faire des choix qui tiennent compte de ses limites.
Plusieurs participants ont noté avoir laissé aller des travaux qui n’étaient pas urgents, d’avoir ralenti
le rythme au travail comme Navan : « Oui, je n'ai pas le choix en continuant dans ce domaine-là, il faut écouter
son corps beaucoup ». Enfin, les participants soulignent l’importance de s’entourer de « positif » (relations
sociales, activités, etc.) afin d’en faire le plein : « Le travail ne passe plus en premier. Je m'arrange pour avoir
du plaisir. Si je ne m'amuse pas, je débarque pis… » (Navan). En somme, les participants estiment avoir eu
une période pendant laquelle ils ont négligé leurs besoins et que le fait d’y répondre adéquatement a
été bénéfique pour eux.
159
Temps d’arrêt. Plusieurs participants ont mentionné s’être retirés de situations alors qu’ils
éprouvaient des émotions négatives intenses. Ils mentionnent que le fait de se retirer leur permet
d’éviter le pire, soit d’imploser (anxiété, déprime, rumination, etc.) ou d’exploser (perdre le contrôle,
dire des mots durs, utiliser un ton agressif ou commettre des gestes violents). Ils disent
habituellement compléter le temps d’arrêt avec d’autres SRA telles la réalisation d’activités agréables,
la réinterprétation et l’expression positive des émotions : « Bien, oui, des fois, mettons un argument, je ne
peux pas en parler maintenant, je vais aller prendre une marche, je vais y penser pis la situation va être plus idéale
pour parler du sujet aussi » (Francesco). Cette nuance est importante, car elle montre que le temps
d’arrêt n’est pas une fuite, mais une prise de recul pendant laquelle les participants gèrent activement
leurs émotions pour mieux affronter la situation par la suite. Enfin, il faut souligner que, pour se
retirer d’une situation, le participant doit être conscient de son état émotionnel à ce moment-là et
l’accepter. Pour les participants, cela a impliqué l’apprentissage de plusieurs SRA. Ils se disent
soulagés de découvrir cette alternative à l’explosion (violence) ou à l’implosion (anxiété, déprime,
rumination, etc.).
Quand tu le fais pis que tu vois que ça fonctionne, tu te dis que le time-out fonctionne. J'aime mieux le time-
out que de ruminer pis qu'un moment donné tu pètes ta coche. J'aime mieux faire le time-out, je m'en vais
faire du bicycle pis je reviens en grosses sueurs pis là ça va bien pis tu comprends... (Francesco).
Selon eux, c’est après l’avoir essayé avec succès qu’ils adoptent le temps d’arrêt de préférence à
d’autres SRA comme la répression, la suppression ou l’expression négative.
Activités agréables. Pour gérer plus largement leur état affectif, les participants mentionnent l’effet
bénéfique de réaliser des activités tels la lecture, la méditation, les jeux vidéo, le billard, la ballade en
automobile, le sport, le scoutisme, la menuiserie, l’aquarelle, etc. Ils soulignent que la pratique de ces
activités aide à générer des affects positifs et, lorsque certains affects négatifs apparaissent, à atténuer
ces derniers. L’atténuation des affects négatifs s’effectue soit en pensant à une autre chose, plus
positive, soit en évacuant le trop-plein d’émotions. Octavian décrit ainsi ce qu’il fait : « J'écoute
beaucoup de bandes sonores de jeu pis de films. C’est capable de me faire passer par une gamme d'émotions vraiment
intenses pis ça me permettait, pas d'exorciser, mais d'évacuer énormément ». Les participants ont remarqué que
certaines activités leur ont redonné une fierté par le fait d’accomplir quelque chose de positif. Willy
explique cela : « J'ai fait mon petit projet de portes d'armoire au printemps. Après j'ai refait une partie de mon
patio, ça m'a aidé ça. C'est un projet qui m'a aidé beaucoup. Je ne suis pas menuisier, mais j'avais un but, j'avais un
160
résultat ». La nature de l’activité et le temps requis pour en obtenir un effet bénéfique sont assez
variables d’un participant à l’autre et selon la situation-problème. Selon Francesco : « Ça peut prendre
cinq minutes. Des fois, une minute ou juste me dire de faire quelque chose, que je vais au dépanneur, prendre une
marche, jouer sur l'ordi, écouter la TV. Juste le fait de faire une action, on dirait que ça part tout seul. Tu te sens
mieux après aussi ». Selon leurs propos, accomplir ces activités permet de prendre du recul par rapport
à la situation-problème et de voir qu’il existe autre chose en dehors de celle-ci. Octavian fait ce lien
de la façon suivante : « Donc, tout plein de petits projets qui vont me permettre et me permettent de penser à autre
chose, de dire qu'il n'y a pas juste cette situation-là, cette situation-là qui importe. Il y a tout un univers autour, ce
n'est pas juste moi pis mon ex et ma collègue ». La majorité des participants disent avoir augmenté la
pratique de ces activités durant la période au cours de laquelle ils ont eu à affronter différents
problèmes. Certains participants ont mentionné avoir réduit des activités qu’ils jugeaient non
bénéfiques pour leur bien-être : « J'ai complètement arrêté la TV le soir ce qui m'a beaucoup aidé » (Marc).
Bref, de leur point de vue, tant l’augmentation des activités agréables que la diminution de celles
stressantes a eu un impact positif sur leur état affectif.
Distraction. Pour les participants qui y ont eu recours, la distraction a été une stratégie qui semble
avoir favorisé la régulation des affects. Selon leurs propos, elle leur a permis de « penser à autre chose »,
de « se changer les idées ». Au lieu de se centrer sur des affects douloureux, la distraction leur permet
d’alléger l’état affectif et de le rendre positif : « Parler de mes émotions, pas trop, je trouvais des trucs, des
conneries, des drôleries » (Sam). La distraction permet également, selon eux, de prendre du recul et de
voir qu’il y a autre chose en-dehors de la situation-problème vécue : « Je me rends compte qu'en faisant
d'autres choses pour m'occuper que j'y pense moins. Ça fait un effet boule de neige : j'y pense moins, c’est moins lourd,
j'ai plus envie de faire d'autre chose » (Octavian). Comme l’illustre ce dernier témoignage, la distraction
peut aider à contrer la rumination et à interrompre le cercle vicieux de pensées négatives.
Centration sur le positif. La plupart des participants rapportent s’être centrés sur le positif pour
affronter leur situation-problème. Ils disent avoir autant mis l’accent sur le positif en dehors de la
situation-problème que par rapport à celle-ci :
Je suis revenu à la base. Le monde que je côtoyais me faisait un sourire pis je leur faisais un sourire pis ça me
satisfaisait totalement (Paul).
J'ai trouvé des solutions par rapport à certains aspects négatifs que j'ai virés en positif. Je me dis que c'est
comme ça que je dois avancer. Pour moi, c'est la meilleure méthode (Navan).
161
Selon leurs dires, cela les a aidés à réduire les affects négatifs, à augmenter les affects positifs, à
accepter la situation et à mieux composer avec celle-ci. Le fait de se centrer sur le positif leur donne
des forces qui les aident à passer à travers certains moments difficiles : « Là je suis capable de me rappeler
qu'hier j'ai eu une bonne journée. Je suis capable de l'utiliser pour m'aider à passer à travers chaque jour » (Martial).
Certains soulignent toutefois que s’alimenter avec du positif n’est pas une solution miracle, car cela ne
permet pas de régler les problèmes, mais davantage d’en atténuer les effets négatifs.
Réinterprétation. Pour les participants, il est difficile de voir autrement leur situation-problème
lorsqu’ils ont « le nez sur le problème » et qu’ils sont « avalés » par leurs émotions. Il leur faut prendre du
recul pour avoir un point de vue plus large sur leur situation-problème : « Prendre du recul parce qu’avoir
le nez sur le problème, on voit l'arbre, mais pas la forêt. Pis la forêt, il y a de belles feuilles, des papillons, des
ruisseaux... il n'y a pas juste l'écorce de l'arbre » (Sam). Ils se disent alors capables de mettre en perspective,
de relativiser et de dédramatiser leur situation-problème : « J'essaie de porter une autre paire de lunettes, de
ressentir ça autrement, de dire qu'il ne faut pas voir ça comme ou de ressentir ça comme du dégoût comme de rentrer
travailler... J'essaie de relativiser et de voir les choses autrement » (Martial). Cela leur permet de ne
pas « amplifier les problèmes », de les voir « moins gros ». Ils estiment apaiser de cette façon leur état
affectif qui devient moins négatif et plus neutre. Ils parviennent à dégager un espace mental pour
réfléchir calmement à leur situation-problème. Cette réflexion les aide à comprendre l’impasse dans
laquelle ils sont et à voir leur contribution à cette impasse. Pour certains, il y a alors un déclic qui se
fait et qui redonne espoir :
Ça veut dire que là, moi, je n'ai plus besoin de tout faire tout seul. Dans mon entreprise, c'est toute moi qui
faisais, tsé. Pis avec l'université, ils sont en train de me donner des outils pour savoir comment ça marche.
Magnifique! C'est vraiment cool! Il y a une lueur d'espoir! Je ne resterai jamais trois ans à l'université : j'ai
déjà compris et je n'ai plus de temps à perdre (Paul).
Cette réflexion implique un recul, mais ne se fait pas nécessairement détachée de tout affect. Au
contraire, plusieurs participants ont appris à lire leurs affects, ce qui les aide à mieux comprendre ce
qu’ils vivent dans une situation précise. Certains rapportent avoir développé des techniques qui, par
l’écriture, la méditation ou d’autres techniques, permet d’être observateur de leurs affects et de les
décoder : « Je vais arrêter, me demander c'est quoi puis l'écrire. Et mieux identifier ce que je ressens alors qu'avant je
162
pouvais avoir des sensations corporelles et je me disais que c'est peut-être la chose que j'ai mangée qui me donne des
maux de ventre » (Martial).
Résolution de problème. L’analyse des témoignages des participants à propos de la résolution de
problème a révélé un processus qui se décompose en cinq étapes : les solutions envisagées, la prise
de décision, les premières tentatives pour solutionner la situation-problème, l’évaluation des résultats
et la recherche de solutions alternatives.
a) Solutions envisagées : Suivant la première étape, les participants réfléchissent aux actions qui
permettraient de régler ou d’atténuer leur situation-problème. Cette recherche de solution peut aller
dans tous les sens, ce qui semble les aider à relativiser la situation-problème et à être plus réalistes
envers les options qui s’offrent à eux : « Ça me fait chier, mais je me dis de regarder en avant : qu’est-ce que je
peux faire maintenant ? Je ne peux pas rien changer du passé, mais je peux changer du futur » (Sam). Cependant,
la recherche de solution peut s’avérer infructueuse, soit parce que la perturbation affective est trop
forte et paralyse la réflexion, soit parce qu’elle se bute aux mêmes solutions qui ne fonctionnent pas.
Les participants rapportent avoir alors le sentiment de tourner en rond, de se sentir confus et ne plus
savoir quoi faire. Ils ont de la difficulté à évaluer la situation-problème et à comprendre pourquoi
leurs tentatives pour la solutionner ou s’y adapter ne fonctionnent pas. Ne sachant quoi faire pour
s’en sortir, certains disent avoir eu recours à des SRA comme l’évitement, la consommation, la
distraction, etc. alors que d’autres ont continué de répéter les mêmes tentatives vouées à l’échec.
b) Prise de décision : La plupart des participants considèrent que cette deuxième étape a été un
apport majeur à leur processus de changement. Selon eux, leur capacité à prendre des décisions
importantes à des moments clefs leur a permis de faire progresser la situation-problème et
d’améliorer leur état affectif. Par exemple, certains participants rapportent avoir arrêté de
consommer de l’alcool ou avoir considérablement réduit cette consommation qui ne les aidait pas.
D’autres disent avoir décidé de racheter la maison après une rupture amoureuse ou encore de
demander de l’aide lorsque leur état affectif se détériorait et devenait intolérable. Ces décisions
manifestent une reprise en main et les amènent à mieux s’occuper de leurs besoins. Ils expriment
une fierté d’avoir pris ces décisions.
J'ai arrêté le lundi pis j'ai appelé au CLSC pour qu'elle envoie le formulaire pis j'avais une évaluation (au
CRDQ) le vendredi. Ça faque j'ai arrêté juste avant. Mais ça été important cette rencontre-là au centre de la
163
famille parce que j'ai accepté d'aller au CRDQ, j'ai reconnu (mon problème avec l'alcool), j'ai accepté d'aller
voir mon médecin pour des symptômes dépressifs (Willy).
c) Tentatives pour solutionner la situation-problème : La décision est souvent suivie de différentes
tentatives pour solutionner leur problème. Selon les propos des participants, certaines tentatives sont
le fruit d’une réflexion bien murie (nouvelle technique de communication, nouvelle SRA, etc.) alors
que d’autres solutions sont plutôt trouvées à la suite d’événements fortuits :
En lui référant un de mes clients, on est allé le faire, on était avec son épouse pis il a complété les documents.
C'est là que je me suis dit que ce n'était pas la fin du monde de compléter cette paperasse-là, mais qu'il fallait
le faire. Ça m'a débloqué beaucoup (Navan).
Dans la même veine, l’affirmation de soi a permis aux participants de changer leur façon de
composer avec des situations dans lesquelles ils se disent émotionnellement inconfortables. Plutôt
que de réprimer leurs émotions, de ruminer ou d’exploser de rage, ils considèrent avoir appris à dire
non à certaines demandes, à refuser qu’on leur parle d’une manière désobligée, etc.
J'ai dit : « Bon, si je ne suis pas à l'aise avec sa relation de proximité, je vais le dire pis sans faire de
reproche. Après ça, je vais pouvoir avancer ». C'est ce que j'ai fait pis c'est un gain parce qu’avant, je n'étais
pas capable de faire ça, [de] fixer les limites (Marc).
d) Évaluation des résultats : L’évaluation des résultats n’est possible qu’après au moins une tentative
de solutionner un problème. Les participants disent évaluer régulièrement le résultat de leurs actions.
Ils rapportent que, à certaines occasions, le virage est à 180 degrés alors que, dans d’autres cas, les
premières tentatives ne fonctionnent pas. Entre les deux, toutes les options sont possibles y compris
des périodes de progression, de stagnation ou de régression (voir processus affectif et processus des
situations-problèmes). On comprend de leurs propos qu’une seule action règle rarement tout;
généralement, plusieurs petits problèmes sont à résoudre (lesquelles composent la situation-
problème) et impliquent autant de solutions à trouver. Ce faisant, le résultat d’une action doit être
regardé tant en fonction du petit problème à résoudre que de l’ensemble de la situation-problème.
Par exemple, lorsque certains participants rapportent avoir cessé de consommer de l’alcool, ce
problème une fois réglé, il leur reste encore à trouver de meilleurs moyens pour gérer leurs affects et
pour résoudre l’ensemble de la situation-problème. Cependant, leurs propos suggèrent que les
premiers succès suscitent un espoir de s’en sortir et soulagent de certaines tensions liées à
164
l’accumulation d’affects négatifs : « Ça m'aide à mieux me sentir de savoir que j'vas avoir la maison à moé »
(Henry).
e) Recherche de solutions alternatives : Enfin, lorsqu’il s’avère que les tentatives pour solutionner un
problème ne fonctionnent pas, les participants sont alors portés à persévérer et chercher d’autres
solutions. Cette réflexion pour solutionner leurs problèmes est alimentée par les dernières tentatives.
Malheureusement, la plupart des participants rapportent avoir répété les mêmes tentatives avec le
même résultat. La résolution de problème devient alors une SRA non aidante. Pour renverser la
vapeur, les participants racontent avoir été obligés d’aller vers des solutions différentes des
premières. Ce sont ces solutions alternatives qui finissent par porter fruit dans la mesure où les
participants les choisissent et les mettre en pratique.
J'ai aussi appris à quand je sens la soupe chaude ou qu'elle s'en vient vers moi, je la voyais venir et je
m'accumulais un inventaire d'os. C'est une analogie, je prenais un os pis je lui tirais un os pour qu'elle le
ronge, le gruge. Comme ça, elle me laissait tranquille (Paul).
Pour certains participants, leur processus de résolution de problème était bloqué par des attentes et
des buts irréalistes. Il peut s’agir d’attentes et de buts qui coûtent trop et rapportent peu (comme
perdre sa santé pour faire plus d’argent), ou encore dont le résultat ne dépend pas d’eux (telle une
décision de l’ex-conjoint-e). C’est seulement en reconnaissant et en acceptant de modifier leurs buts
ou leurs attentes que les participants disent être parvenus à débloquer leur processus de résolution
de problème.
De vouloir m'en sortir, un moment donné, ça devenait anxiogène parce que je voyais le travail à faire alors
que tout ce que je devais faire, c'était de m'apaiser, de trouver une manière de m'apaiser pis de me donner de
l'espace (Marc).
Certains ont souligné qu’ils avaient modifié leurs valeurs, car elles les amenaient à se donner des buts
irréalistes.
Soutien social. Les personnes soutenantes dans les épreuves vécues par les participants ont été des
membres de la famille (8 participants), des amis (5 participants), des collègues (6 participants),
l’employeur (5 participants) et des groupes d’entraide (7 participants). Les participants soulignent
toutefois l’importance de bien sélectionner les personnes à qui ils parlent de leurs problèmes. Selon
165
eux, ces personnes doivent avoir une bonne écoute, de l’empathie, être capables de donner de bons
conseils et d’encourager. Certains disent avoir fait « un ménage » dans leur réseau social pour miser
sur des relations plus nourrissantes pour eux. Plusieurs soulignent avoir appris à s’ouvrir sur le plan
affectif avec leurs proches et que cela leur a été bénéfique. Ils s’estiment plus portés à le faire
maintenant, même si les problèmes se sont atténués. Leur soutien est jugé très utile par les
participants qui estiment que cela a contribué à leur progression.
Oui, j'ai vraiment de la satisfaction pis un bonheur à connecter avec mes amis proches. J'ai élagué beaucoup
d'amis pis les amis proches, on arrive à avoir un degré de connexion vraiment fort pis ça nourrit autant moi
que l'autre personne. Pis ce type de relation là, je n'étais pas capable de les débloquer avant. C'est là-dessus
que je veux miser (Marc).
Selon leurs propos, le soutien social a favorisé l’émergence de certaines SRA (expression des
émotions, réinterprétation, résolution de problème et activités agréables) et aidé à en contrer d’autres
(répression, suppression, rumination et isolement). Les participants soulignent comment l’écoute
empathique les a encouragés à s’exprimer, ce qu’ils ont beaucoup apprécié, et que les conseils des
proches leur ont permis de voir autrement et de mettre en perspective leur situation-problème
(réinterprétation). De même, certains participants affirment que des membres de leur entourage leur
ont proposé des pistes de solutions (résolution de problème), ce qui a été apprécié. Enfin, les
activités sociales agréables apportaient du positif qui faisait du bien : « Mais eux-autres m'invitaient tout
le temps. Même si on était dans un état pitoyable, ils nous invitaient pis ça nous permettait d'avoir les filles dans un
lieu où elles étaient bien » (Marc).
Bref, le soutien social a un effet positif sur l’ensemble des autres SRA en favorisant l’utilisation de
SRA aidantes et en refrénant le recourt aux SRA non aidantes. Ce faisant, selon les témoignages, le
soutien social facilite l’ensemble du processus d’adaptation.
4.7.6 L’évaluation des SRA
Durant les entrevues, les participants ont démontré une bonne capacité à évaluer leur utilisation des
SRA et ses impacts. En effet, en plus de nommer et de décrire comment ils utilisent les SRA, ils les
comparent entre elles pour expliquer leurs avantages et leurs inconvénients. Ce faisant, ils expliquent
comment certaines SRA ont été nuisibles alors que d’autres les ont aidés à s’en sortir : « Oui, j'aime
166
mieux parler à quelqu’un que ruminer. J'aime mieux faire un time-out29 que faire l'inaction » (Francesco).
Certains participants ont mentionné que même les SRA aidantes ont leurs limites et qu’il faut en ce
cas recourir à d’autres SRA aidantes : « Pis ça me permettait, pas d'exorciser, mais d'évacuer énormément sauf
qu'un moment donné, ça l'a quand même ses limites. C'est là où je me suis dit que j'ai besoin d'autres outils parce que
ça ne sera pas assez » (Octavian).
Ils constatent qu’ils ont appris en consultation à évaluer leurs SRA et que cet apprentissage n’est pas
terminé. En effet, changer des habitudes prises il y a longtemps exige du temps. Ils rapportent qu’il
leur arrive encore d’utiliser des SRA non aidantes, mais qu’ils en sont plus conscients et qu’ils sont
surtout capables de se ressaisir plus rapidement et d’utiliser plutôt des SRA aidantes.
Ça m'a appris à m'ouvrir, à parler, à dire ce que je pense, pas tout le temps de la bonne façon... Là, il me
reste à apprendre à gérer ça. Ce n'est pas facile, pas facile, j'ai de la misère avec ça parce que dès fois quand ça
sort, ça sort raide! C'est là où je veux continuer à travailler : c’est pour ça que je veux continuer à y aller au
groupe (Merla).
Cette capacité à s’autoévaluer dans l’utilisation des SRA a joué un rôle fondamental, selon eux, dans
la progression de leur situation-problème ainsi que dans l’amélioration de leur état affectif. Grâce à
cette capacité à mieux sélectionner les SRA selon leurs buts et à les employer plus efficacement, ils se
sentent plus en contrôle de leur état affectif et plus sûrs de s’en sortir.
4.8 SRA : interprétation et discussion des résultats
Cette section présente les résultats à propos des SRA de façon à voir comment cette étude permet
de répondre aux troisième et quatrième questions de la recherche, lesquelles portent respectivement
sur les SRA utilisées et la perception de leur contribution aux changements. Dans ce but, le premier
point aborde les perceptions des participants à propos des distinctions entre les SRA aidantes et les
SRA non aidantes. Cette discussion est éclairée par les cadres théoriques de référence de cette thèse
(Garneau et Larivey, 1979; Linehan et al., 2007; Prochaska et DiClemente, 1983) ainsi que d’autres
études. Le second point analyse les perceptions des participants au sujet des changements qu’ils
auraient apportés dans leur utilisation des SRA durant le processus de consultation. Le troisième
point traite plus spécifiquement de l’utilisation des principales SRA à partir de ce qu’en racontent les
29 L’expression « time-out » utilisée par les participants a été traduite par « temps d’arrêt ».
167
participants. Le quatrième point aborde l’importance, aux yeux des participants, de développer
l’habileté à évaluer globalement la façon d’utiliser les SRA afin de faciliter l’adaptation. Enfin, le
cinquième point considère les résultats sur l’utilisation des SRA à la lumière d’études traitant des
hommes et des émotions sous l’angle du genre.
4.8.1 SRA aidantes et SRA non aidantes
La quatrième question de recherche vise à distinguer les SRA aidantes des SRA non aidantes. En se
basant sur le point de vue des participants, il existerait une coupure assez nette entre les SRA
aidantes et celles non aidantes. D’une part, les SRA aidantes faciliteraient la modulation des affects.
Elles seraient utiles à freiner ou contrer les SRA non aidantes et favoriseraient l’émergence d’autres
SRA aidantes. Elles aideraient l’individu à progresser dans le processus affectif et le processus des
situations-problèmes. Plus précisément, les SRA aidantes permettraient d’éviter la stagnation dans la
roue de gauche30, favoriseraient le passage vers la roue de droite et le maintien dans cette dernière.
En lien avec le modèle Linehan et al. (2007), les SRA aidantes seraient essentielles à l’adaptation.
Pour cette raison, elles sont également nommées SRA progressives. D’autre part, les SRA non
aidantes se diviseraient en deux catégories, soit les SRA régressives (rumination, expression négative
des émotions et suractivation) et les SRA stagnantes (répression des émotions, suppression de
l’expression des émotions, consommation, évitement, isolement et résolution de problème
inefficace). Les SRA régressives entraineraient une dérégulation des émotions pouvant se traduire
par une quasi-absence d’affect, une forte intensité émotionnelle presque incontrôlable ou de grandes
variations d’humeur. L’utilisation de SRA régressives s’accompagnerait également d’une dégradation
de la situation-problème. Si on se rapporte au processus des situations-problèmes ainsi qu’au
processus affectif, les SRA régressives sont celles qui favoriseraient la répétition du cycle de la roue
de gauche et qui bloqueraient l’accès à la roue de droite. Dans la perspective de Garneau et Larivey
(1979), les SRA régressives entraineraient une décroissance de l’individu lorsque ce dernier est coincé
à la phase de tension ou incapable de compléter le processus émotionnel. Quant aux SRA
stagnantes, elles se situeraient également dans la roue de gauche, mais n’entraineraient pas
immédiatement une dégradation de la situation-problème et de l’état affectif. Dans un premier
temps, elles pourraient servir de tampon pour absorber un choc émotionnel et contribuer à
l’atténuation des émotions négatives. Toutefois, leur utilisation sur une longue période amènerait une
30 La roue de gauche réfère ici aux deux schémas décrivant le processus des situations-problèmes (Figure 5) et le processus affectif (Figure 7), ces deux schémas ayant été présentés dans les sections précédentes des résultats.
168
dégradation : les SRA stagnantes deviendraient alors des SRA régressives. Par exemple, éviter de
retourner au travail après un burnout peut être bénéfique à court ou moyen terme. Mais ne jamais
retourner au travail par peur d’affronter les difficultés éprouvées devient une stratégie d’évitement
régressive.
Les témoignages recueillis incitent à apporter de plus amples clarifications au sujet des frontières
entre les SRA progressives, régressives et stagnantes. Du point de vue des participants, une même
SRA peut être utilisée de façon progressive, régressive ou stagnante. Pour les SRA progressives, en
se basant sur les propos des participants, elles seraient optimales selon le respect de ces quatre
conditions : a) être utilisées dans un contexte approprié (tel que faire un temps d’arrêt avant
l’expression négative des émotions); b) être employées à la fréquence nécessaire, suffisamment
longtemps et pas trop non plus (à vouloir trop comprendre, la réinterprétation devient rumination,
par exemple); c) être complétées par des SRA aidantes ou en compléter d’autres (la conscience des
émotions rend possible leur acceptation et facilite la réinterprétation, par exemple); d) ne pas être
annulée par une SRA non aidantes (comme l’évitement qui annule la résolution de problème). En ce
qui concerne les SRA régressives, elles seraient néfastes dans la plupart des contextes et une variété
d’utilisations. Les SRA stagnantes, même si elles généraient des bénéfices à court ou moyen terme,
elles tendraient, à la longue, à taxer lourdement. Qui plus est, si on se fie aux témoignages des
participants, il apparait que l’utilisation de SRA stagnantes est rarement temporaire. Il en résulterait,
encore là, un effet régressif sur l’état affectif et la situation-problème.
En somme, les SRA progressives et celles stagnantes engendreraient des bénéfices dans des
contextes et selon une utilisation relativement restreinte alors que les SRA régressives produiraient
surtout des coûts, peu importe le contexte et leur utilisation. Ce phénomène a déjà été repéré par des
chercheurs ayant effectué une synthèse (Nolen-Hoeksema, 2012) ou une méta-analyse (Aldao et al.,
2010; Tamres et al., 2002) d’études portant sur cette question. Pour expliquer ce phénomène, ils
avancent également l’hypothèse de la pertinence de la SRA utilisée en fonction du contexte ou
encore la fréquence et la durée de son utilisation (Aldao et al., 2010; Bêty, 2012; Nolen-Hoeksema,
2012; Tamres et al., 2002). La présente thèse ajoute deux conditions à l’efficacité des SRA
progressives et à celle des SRA stagnantes, soit d’être complétées par d’autres SRA aidantes et ne pas
être annulées par une SRA non aidante. Il apparait aussi que les SRA stagnantes doivent être utilisées
169
de façon brève et sporadique. Ces conditions s’inscrivent dans une vision dynamique des SRA et
devront être examinées dans de futures études pour en déterminer la validité.
Comparaison des SRA non aidantes et aidantes selon différents modèles. En comparant les
SRA identifiées dans cette thèse avec ceux décrites dans d’autres modèles (voir Tableau 11),
quelques constats s’imposent. D’abord, le modèle de Linehan et al. (2007) apparait comme le plus
complet et propose une vision qui cible autant les affects que les situations-problèmes. Ensuite, le
modèle de Garneau et Larivey (1979) est davantage centré sur le processus affectif si bien que la
résolution de problème y est absente. Quant au modèle de Prochaska et DiClemente (1983), il est
axé sur le processus des situations-problèmes et accorde une importance moindre au processus
affectif. Ces constats confirment la pertinence du choix du modèle de Linehan et al. pour étudier le
rôle des SRA tant le processus des situations-problèmes que le processus affectif, et ce, malgré
certaines limites de ce modèle qui seront à présent abordées.
Tableau 11 : Comparaison des SRA non aidantes et aidantes selon différents modèles
SRA non aidantes
(thèse)
Garneau &
Larivey (1979)
Linehan et
al. (2007)
Prochaska &
DiClemente
(1983)
SRA aidantes
(thèse)
Alexithymie SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
s/o
SRA +
Conscience des
émotions
Répression des
émotions
SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
s/o
SRA +
Acceptation des
émotions
Suppression expressive
des émotions
SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
s/o
s/o
Expression positive
des émotions
Consommation SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
s/o
s/o
S’occuper de ses
besoins
Expression négative
des émotions
SRA -
s/o
SRA -
SRA +
s/o
s/o
Temps d’arrêt
Suractivation SRA -
SRA +
s/o
SRA +
s/o
s/o
Activités agréables
Rumination (pensées SRA - SRA - s/o Distraction
170
SRA non aidantes
(thèse)
Garneau &
Larivey (1979)
Linehan et
al. (2007)
Prochaska &
DiClemente
(1983)
SRA aidantes
(thèse)
répétitives) SRA - SRA + s/o
(Rumination : scénarios
catastrophes)
SRA -
s/o
SRA -
s/o
s/o
s/o
Centration sur le
positif
(Intellectualisation) SRA -
SRA +
s/o-
SRA +
s/o
SRA +
Réinterprétation
Évitement SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
SRA -
SRA +
Acceptation de la
situation-problème
Résolution de
problème inefficace
s/o
s/o
SRA -
SRA +
s/o
SRA +
Résolution de
problème efficace
Isolement s/o
SRA +
SRA -
SRA +
s/o
SRA +
Soutien social
Comparaison avec le modèle de Linehan et al. (2007). En comparant les SRA identifiées dans
cette étude avec celles définies dans le modèle de Linehan et al. (voir Tableau 12), il en ressort
plusieurs ressemblances, mais aussi des différences. Certaines SRA portent le même nom (résolution
de problème, distraction, acceptation des émotions) ou recoupent les mêmes définitions malgré des
appellations distinctes (les SRA dans le sous-système vulnérabilité émotionnelle en sont un bel
exemple). Cette différence s’explique essentiellement par l’approche clinique de Linehan (1993) qui
est à la base de son modèle. Pour notre part, nous avons opté pour une désignation qui est plus
proche de la littérature scientifique actuelle et qui recoupe les témoignages recueillis. Une autre
différence est la désignation des SRA non aidantes, lesquelles sont peu présentes dans le modèle de
Linehan et al. L’avantage de nommer et de définir ces SRA non aidantes est d’en clarifier la nature, la
fonction et les effets. Il est aussi plus aisé de suivre les transformations dans leur utilisation durant le
processus de changement. Cela permet également de modéliser les interactions entre les SRA
aidantes et non aidantes, ce qui sera abordé un peu plus loin. Le modèle de Linehan et al. se
distingue par l’identification de trois SRA (se préparer à gérer des émotions, habiletés de survie,
actions opposées) qu’il n’a pas été possible de repérer dans les témoignages des participants. Il faut
se rappeler que le modèle de Linehan et al. a été développé en lien avec une approche d’intervention
171
(dialectical cognitive-behavioral therapy) ciblant les femmes ayant un trouble de personnalité limite. Les
idées suicidaires et les tentatives de suicide étant fréquentes chez ces personnes selon les auteurs,
cela explique, par exemple, l’insistance sur le développement d’habiletés de survie. Bien que non
présentes dans les témoignages des participants, les habiletés de survie constituent une SRA à
explorer davantage étant donné que les hommes composent 80% des cas de suicide (Tremblay et
Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017). La distinction suivante concerne la définition de trois SRA
(habiletés interpersonnelles, vérifier les faits, anticiper les coûts et bénéfices) qui ont une portée plus
restreinte dans le modèle de Linehan et al. ou qui ne recoupent pas exactement les mêmes éléments.
C’est le cas notamment des habiletés interpersonnelles qui, bien qu’elles jouent un rôle dans le
soutien social reçu et disponible, n’embrassent pas l’ensemble de ce concept. Tel que vu plus haut, le
soutien social concerne l’aide disponible et reçu auprès du réseau social naturel alors que les
habiletés interpersonnelles réfèrent à la capacité de nouer des relations satisfaisantes. Dans le même
sens, vérifier les faits est un moyen parmi d’autres pouvant servir à réduire les biais cognitifs pour
mieux réinterpréter une situation. Anticiper les coûts et bénéfices peut être vu comme une façon
d’évaluer les avantages et les inconvénients d’une tentative de résolution de problème avant de
passer à l’action. Une autre différence a trait à la résolution de problème qui, dans la présente étude,
peut être aidante ou non aidante selon la façon qu’elle est utilisée. En effet, la répétition de solutions
infructueuses ou qui ont un coût élevé (sur la santé, par exemple) n’est pas aidante à la longue. Une
dernière distinction porte sur la présence attentive qui n’est pas considérée comme une SRA dans la
présente étude. Il s’agit plutôt d’une catégorie qui englobe deux SRA, soit la conscience et
l’acceptation des émotions. Ainsi vues, les données issues de la présente étude permettent d’ajouter
plusieurs éléments pertinents au modèle de Linehan et al. Le portrait du processus de régulation des
affects apparait ainsi plus complet et s’appuie sur une définition rigoureuse des SRA ancrée dans les
témoignages des participants et préservant un lien clair avec la littérature scientifique.
Tableau 12 : Comparaison des SRÉ du modèle de Linehan et al. (2007) avec les SRA issues des résultats de cette
thèse
Sous-
systèmes
Processus de
RÉ selon
Linehan et al.
SRÉ selon
Linehan et al.
SRA non
aidantes selon
cette thèse
SRA aidantes
selon cette thèse
(1) Modification de Modifier la Négliger ses S’occuper de ses
172
Sous-
systèmes
Processus de
RÉ selon
Linehan et al.
SRÉ selon
Linehan et al.
SRA non
aidantes selon
cette thèse
SRA aidantes
selon cette thèse
Vulnérabilité
émotionnelle
la sensibilité
physique
sensibilité physique besoins31
besoins
Modification du
contexte
Accumulation
d’expériences
positives
Accroitre le
sentiment de
compétence
Suractivation Activités agréables
(2)
Déclencheurs
émotionnels
Sélection et
modification de
la situation (J. J.
Gross, 1998b)
Résolution de
problème
Habiletés
interpersonnelles
Se préparer à gérer
des émotions
Résolution de
problème
infructueuse
Évitement
Isolement
Résolution de
problème efficace
Acceptation de la
situation
Soutien social
Déploiement de
l’attention (J. J.
Gross, 1998b)
Distraction
Habiletés de survie
Rumination
(pensées
répétitives)
Distraction
Modification de
l’interprétation
(J. J. Gross,
1998b)
Vérifier les faits
(contrer les
scénarios négatifs)
Rumination
(scénarios
négatifs)
Centration sur le
positif
Réinterprétation
(3) Réactions
émotionnelles de
faible intensité
Anticipation des
conséquences
Anticiper les
bénéfices/coûts
Résolution de
problème
Résolution de
problème
Évaluation de
l’expérience
émotionnelle (J.
Acceptation des
émotions (contre
leur répression)
Répression des
émotions
Acceptation des
émotions
31 Bien que la SRA « négliger ses besoins » ne soit pas formellement identifiée dans les résultats de cette étude, elle est inscrite ici comme une hypothèse à explorer en opposition à la SRA « s’occuper de ses besoins ».
173
Sous-
systèmes
Processus de
RÉ selon
Linehan et al.
SRÉ selon
Linehan et al.
SRA non
aidantes selon
cette thèse
SRA aidantes
selon cette thèse
J. Gross, 1998b)
(4) Réactions
émotionnelles de
forte intensité
Modifier l’état
physique (J. J.
Gross, 1998b)
Stratégies ciblant les
symptômes
physiques
Consommation
Activités agréables
Modifier les
émotions par des
comportements
Actions opposées Expression
négative
Expression
positive des
émotions
Time out
Activités agréables
(5) Séquelles
émotionnelles
Modifier la
réactivité
émotionnelle
Identifier et
nommer les
émotions
Alexithymie
Suppression
expressive
Conscience des
émotions
Acceptation
Expression
positive des
émotions
SRA
transversales
Présence
attentive
Attitude générale
envers les
émotions et leur
régulation
Adopter une
attitude positive
face aux émotions
et à sa façon d’y
réagir
Alexithymie
Répression des
émotions
Suppression
expressive
Conscience des
émotions
Acceptation
Expression
positive des
émotions
Autres éléments critiques sur la définition des SRA. Comme le suggèrent certains auteurs
(Tamres et al., 2002), la définition d’une SRA demeure complexe. Cette difficulté soulève des
questions à propos des définitions retenues pour les SRA identifiées dans cette thèse. Une première
question concerne le niveau de certaines SRA qui impliquent des habiletés en lien avec
l’identification, la sélection et l’implantation d’une SRA. Ainsi, pourrait-on voir, à l’instar de J. J.
Gross (2015a), l’évaluation des SRA comme une habileté transversale. Linehan et al. (2007) propose
174
aussi de voir la présence attentive (ou mindfullness) comme une habileté transversale dans la régulation
des affects. Une deuxième question porte sur la grandeur du regroupement effectué sous certaines
SRA. Par exemple, lorsqu’on analyse la définition de la résolution de problème, on peut se demander
s’il ne s’agit pas en fait d’une supercatégorie qui regroupe plusieurs SRA. En ce cas, il importe de
bien distinguer ces sous-catégories de SRA et d’expliquer comment chacune contribue à la résolution
de la situation-problème. Dans le cas de la rumination, le questionnement est inversé : ne vaut-il pas
mieux distinguer la rumination des scénarios catastrophes et des blâmes personnels? Même si on
peut observer des liens entre ces trois SRA, certains auteurs pensent qu’elles ont avantage à être
mesurées distinctement (Garnefski et al., 2004; Lyubomirsky et al., 2015). Bref, la délimitation de
chaque SRA est un débat qu’il importe de poursuivre afin de mieux comprendre le rôle de chaque
SRA et la dynamique entre celles-ci.
4.8.2 L’utilisation des SRA avant et après un certain temps en consultation
L’analyse des propos des participants laisse croire que ces derniers ont utilisé principalement des
SRA non aidantes durant la période précédant la consultation et pendant laquelle la situation-
problème s’est développée. C’est pendant le processus de consultation que la plupart affirment avoir
modifié profondément la façon de réguler leurs affects, et ce, de trois façons. Première façon, les
participants estiment avoir appris à réduire considérablement l’utilisation les SRA non aidantes.
Deuxième façon, ils disent recourir davantage à des SRA aidantes qu’ils n’utilisaient pas ou peu avant
la consultation dont l’acceptation, l’expression positive, la réalisation d’activités agréables, le soutien
social et l’évaluation des SRA. Troisième façon, ils racontent avoir employé des SRA aidantes pour
contrer des SRA non aidantes. En effet, selon eux, certaines stratégies non aidantes surgissent
comme un réflexe, de façon non volontaire et sont difficiles à arrêter (par exemple, la rumination, la
consommation et la suractivation) alors que d’autres SRA non aidantes sont devenues habituelles
(répression, suppression, etc.). Certaines SRA aidantes (distraction, centration sur le positif, etc.) leur
ont permis, selon eux, de freiner le recours à des SRA non aidantes le temps d’assimiler des SRA leur
permettant de surmonter la situation-problème (comme la résolution de problème).
Bien que ces transformations puissent sembler radicales, cela n’est pas le cas. Selon leur point de
vue, il a fallu des crises, plusieurs impasses, beaucoup d’efforts et de temps pour opérer ces
modifications dans l’utilisation des SRA. Et encore, ces transformations sont récentes et pas
totalement maitrisées à leurs yeux. Dans le contexte où ces hommes, pour la plupart, avaient appris à
175
réprimer leurs émotions, apprendre à les accepter et à les exprimer une fois adulte demande du
temps. Une fois le processus de transformation des SRA enclenché, cela peut aller assez rapidement,
car la plupart des participants notent que ces changements se sont produits dans des temps de
consultation inférieurs à 20 rencontres.
L’analyse des témoignages recueillis révèle aussi que la transition des SRA non aidantes vers des SRA
aidantes semble s’être effectuée en trois temps. Au premier moment, soit avant la consultation, les
SRA non aidantes étaient utilisées presque exclusivement. Elles s’alimentaient entre elles et
neutralisaient le recours aux SRA aidantes. Au deuxième moment, soit lors des premiers mois de la
consultation, les SRA aidantes ont émergé et ont été de plus en plus employées. Qui plus est,
pendant cette période, une forme de lutte semble avoir eu lieu entre les SRA aidantes et non
aidantes, lesquelles ont tour à tour pris le dessus. Au troisième moment, soit après un certain temps
en consultation, les SRA progressives semblent dominer et arriver à contrer les SRA non aidantes la
plupart du temps. Ces dernières n’apparaissent alors plus comme une menace, car maitrisées. Aux
yeux des participants, ces transformations dans l’utilisation des SRA jouent un rôle fondamental
dans la trajectoire du processus de changement. Ils associent le premier temps à une période de
régression alors que les deux autres temps sont liés, dans leur esprit, à une progression.
Les résultats de la présente étude en ce qui a trait aux transformations dans l’utilisation des SRA
rejoignent ceux d’autres recherches sur la question. En effet, des études cliniques ont observé que la
consultation d’un professionnel de la relation d’aide tend à favoriser l’utilisation de SRA aidantes
(Aldao et al., 2014; Bell et D'Zurilla, 2009; Berking et al., 2013; Berking et al., 2011; Berking et al.,
2008; Cloitre et al., 2004; Cuijpers et al., 2007; Fehlinger et al., 2013; Geschwind et al., 2011; Goldin et
al., 2014; Gordon, 2007; Gratz et Tull, 2010; Malouff et al., 2007; Missirlian, 2012; Neacsiu et al.,
2010; Reber et al., 2012; P. Turcotte, 2002; Wallach, 2015; Watkins et al., 2011; Watkins et al., 2012; J.
C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011). La présente recherche propose un inventaire plus
complet des SRA utilisés et est en mesure de pondérer la fréquence d’utilisation de chacune à partir
des perceptions des participants. Même si l’utilisation peut varier d’un participant à l’autre, certaines
SRA non aidantes (rumination, suppression, répression et évitement) et des SRA aidantes
(expression positive des émotions, réinterprétation, résolution de problème et soutien social)
semblent avoir été davantage employées que d’autres dans l’ensemble. On retrouve des données
semblables dans les études qui montrent que certaines SRÉ non aidantes (rumination, suppression et
176
évitement) sont particulièrement associées à une difficulté à réguler les émotions alors que certaines
SRA aidantes (acceptation, réinterprétation, soutien social et résolution de problème) en favorisent
plutôt la régulation (Aldao et al., 2010; Kato, 2015; Tamres et al., 2002)32. Les résultats de cette thèse
incitent à s’intéresser davantage à l’expression positive des émotions chez les hommes ainsi qu’à la
réalisation d’activités agréables, l’acceptation et la centration sur le positif.
4.8.3 L’utilisation des SRA non aidantes et ses effets
Après avoir considéré les distinctions entre les SRA non aidantes et les SRA aidantes ainsi que des
changements apportés dans l’utilisation globale des SRA durant la consultation, il importe
d’examiner plus attentivement les transformations des principales SRA et leur rôle spécifique dans le
processus de changement des situations-problèmes et des affects à partir du point de vue des
participants. Pour ce faire, les SRA non aidantes sont abordées suivant le même ordre que dans les
sections précédentes. De la même façon, les SRA aidantes sont ensuite traitées.
Alexithymie. La plupart des participants présentaient des traits alexithymiques avant la consultation
si on se fie à leurs propos. Dans le même sens, certains auteurs estiment que l’alexithymie est la règle
chez les hommes, et ce, d’autant plus s’ils adhèrent aux normes de la masculinité orthodoxe (Levant
et al., 2006; Levant, Richmond, et al., 2003; O'Neil, 2008). Les participants racontent d’ailleurs que
l’alexithymie était présente depuis plusieurs années, souvent depuis l’enfance. C’est en consultation
qu’ils en ont pris conscience ainsi que des effets négatifs sur leur santé, effets démontrés par
plusieurs études (Consoli, 2010; Levant et al., 2006; Levant, Richmond, et al., 2003; O'Neil, 2008). On
peut ainsi penser que la socialisation a eu un effet sur l’apprentissage des SRA et leur utilisation bien
qu’il soit difficile d’attribuer ce phénomène exclusivement aux normes de la masculinité orthodoxe.
Par exemple, certains participants estiment avoir eu des parents peu habiles à gérer leurs émotions et
à tenir compte de celles des autres. Le manque d’habiletés à réguler les émotions des parents serait
donc à considérer distinctement des rôles de genre.
Répression des émotions. La plupart des participants avaient l’habitude de réprimer leurs émotions
depuis plusieurs années si on se rapporte à leurs témoignages. Cette répression a probablement
contribué à leur niveau élevé d’alexithymie, car, comme l’affirme Mendolia (2002), la répression
32 L’ensemble de ces études ne sera pas ici repris en détail puisqu’un examen attentif en a été fait plus tôt dans la recension.
177
consiste à mettre une distance entre les émotions et l’ego. Les participants ont mentionné certains
avantages à la répression des émotions (diminution de la souffrance émotionnelle, not.), mais
constatent des effets plus néfastes sur le long terme (résurgence de la souffrance accumulée, not.). Ils
estiment que la consultation les a aidés à prendre conscience des limites de la répression
émotionnelle et à chercher des moyens plus positifs et efficaces de réguler leurs émotions. Les
témoignages recueillis ne permettent cependant pas d’appuyer l’hypothèse selon laquelle la
répression des émotions permettrait de contrer la rumination (Hauwel-Fantini et Pedinielli, 2008).
Au contraire, cette répression semble aller de pair avec la rumination, l’augmentation des tensions et
des crises (voir section suivante sur le rôle des SRA dans le processus de changement).
Suppression de l’expression émotionnelle. Les participants estiment qu’ils utilisaient fréquemment
la suppression expressive avant la consultation et beaucoup moins après un certain temps en
consultation. Ils expliquent avoir appris très tôt dans leur vie à supprimer l’expression de leurs
émotions, ce qui rejoint la thèse de la socialisation genrée (Brody et Hall, 2010). La suppression
expressive a eu pour effet, selon leurs témoignages, d’accroitre les tensions intérieures jusqu’à ce
qu’elles deviennent intolérables. Cette SRA a ainsi alimenté le cycle de la roue de gauche (voir Figure
7) jusqu’à la crise. Ces résultats appuient ceux d’O'Neil (2008) qui constate que la restriction
émotionnelle a des liens avec le genre et la détresse éprouvée par certains hommes. On peut penser,
à l’instar de Genest‐Dufault (2013), que la suppression expressive permet de garder le contrôle de
soi ou de le reprendre rapidement et de préserver ainsi l’image de la masculinité projetée. Or,
lorsqu’il n’est plus possible de garder ce contrôle de l’image, la pression interne ou externe (menace
de séparation, notamment) étant trop forte, que les crises se répètent, les participants ont le
sentiment d’être poussés à chercher des alternatives à la répression et à la suppression des émotions.
C’est alors que le genre semble perde de son emprise puisque, dès le début de la consultation, les
participants ont exprimé avoir manifesté une ouverture à explorer des SRA non conformes aux
attentes sociales liées au genre. Certes, certains participants, selon leurs dires, s’y sont ouverts
complètement et rapidement alors que ce fut plus lentement et partiellement pour d’autres. À la
lumière de leurs témoignages, la suppression expressive semble avoir contribué à bloquer leur
processus d’adaptation et à aggraver leur état affectif ainsi que leur situation-problème, ce qui est
cohérent avec ce que d’autres études ont repéré (Genest‐Dufault, 2013; J. J. Gross, 1998a; Nguyen et
al., 2012). À l’opposé, le fait de consulter a alimenté, selon eux, une remise en question de
l’utilisation de la suppression expressive qu’ils auraient alors remplacée par l’acceptation des
178
émotions et leur expression positive. Dans le même sens, d’autres études cliniques ont trouvé que la
réduction de la suppression expressive favorise le processus d’adaptation (Goldin et al., 2014;
Gordon, 2007; Missirlian, 2012; Reber et al., 2012; J. C. Watson et al., 2011).
Consommation. Cinq participants ont estimé avoir utilisé abusivement d’alcool pour contrer les
affects négatifs et la rumination, notamment. Certains notent également que l’alcool procure des
sensations agréables au travers de la tourmente. Cette stratégie fonctionne, selon eux, le temps de
l’effet physiologique de l’alcool, mais crée un risque de dépendance lorsqu’elle devient le seul moyen
de soulager la détresse. Ces résultats convergent avec ceux d’autres études qui exposent les avantages
et les inconvénients pour les hommes à utiliser l’alcool pour gérer leurs émotions ainsi que leur
vision plus positive de cette SRA (L. A. Martin et al., 2013; Nolen-Hoeksema, 2012; J. Roy et al.,
2014). En effet, les participants ont perçu des aspects positifs à utiliser l’alcool pour gérer leurs
affects et discutés des pour et des contres de son utilisation. Comme la rumination, les participants
estiment que la consommation d’alcool est une SRA difficile à freiner qui peut bloquer l’ensemble du
processus affectif, ce qui est un phénomène connu (Bonnet et al., 2011; Stappenbeck et Fromme,
2014; Wallach, 2015). On peut penser, à l’instar de Bonnet et al. (2011), que la consommation
d’alcool est difficile à freiner parce qu’il s’agit d’un moyen davantage utilisé par les individus
présentant un niveau élevé d’alexithymie et qui ont de faibles habiletés pour réguler leurs émotions.
Expression négative des émotions. Cinq participants ont exprimé avoir eu recours à des
comportements violents à l'égard d'autrui ou d’eux-mêmes alors qu’ils vivaient des émotions
intenses. Ils notent qu’ils avaient tendance à accumuler des émotions négatives en utilisant, par
exemple, la répression, la suppression ou la rumination, et que cela les amenait à exploser, c’est-à-
dire à perdre le contrôle de leur comportement. Comme le soulignent divers auteurs, ces gestes
impulsifs et destructeurs ne contribuent pas à soulager la souffrance, mais seulement à faire baisser
momentanément la pression interne (Gratz et Roemer, 2004; Linehan, 1993; P. Turcotte, 2002).
D’autres études ont constaté que les hommes en détresse peuvent recourir à des gestes violents ou
autodestructeurs (Houle, 2005; L. A. Martin et al., 2013; P. Roy, 2014). Durant la consultation,
l’expression négative des émotions a diminué selon leurs témoignages grâce à l’utilisation de SRA
aidantes telles l’acceptation, l’expression positive et la réalisation d’activités agréables.
179
Suractivation. Cinq participants ont parlé de leur tendance à se suractiver lorsqu’ils vivent des
situations difficiles. Ils sont alors portés à travailler davantage, faire plus de sport ou plus de tâches à
la maison. Si l’accomplissement de ces activités peut être valorisant, ils estiment que cela les a épuisés
à la longue d’autant plus que cette SRA ne permet pas de résoudre la situation-problème qu’ils
vivent. D’autres études qualitatives menées auprès d’hommes ont également relevé l’utilisation de la
suractivation et ses effets négatifs sur l’adaptation et l’état affectif (Genest‐Dufault, 2013; P. Roy,
2014). Contrairement à la réalisation d’activités agréables, la suractivation génère un stress, de la
fatigue et ressemble davantage à de l’évitement, ce qui permet de comprendre les effets négatifs
mentionnés par les participants.
Rumination. Les participants ont mentionné avoir vécu trois éléments en lien avec la rumination
reconnus dans la littérature scientifique, soit le mode de pensées répétitives, l’élaboration de
scénarios catastrophes et les blâmes personnels (Garnefski et al., 2004; Nolen-Hoeksema et al., 2008;
Skinner et al., 2003; Zimmermann, Scharf, et Iwanski, 2008). De même, les impacts qu’ils estiment
que la rumination a eus sur eux concordent avec les études précédentes qui montrent comment la
rumination contribue activement à la détérioration de l’état émotionnel, de la santé mentale et du
fonctionnement social (Johnson et Whisman, 2013; Lyubomirsky et al., 2015; Nolen-Hoeksema et al.,
2008). Les participants ont presque tous mentionné avoir utilisé fréquemment la rumination avant et
au début de la consultation, ce qui peut sembler étonnant vu que la rumination est davantage utilisée
par les femmes selon les études recensées (voir le premier chapitre). D’un autre point de vue, ce
phénomène n’est pas si surprenant puisque ces mêmes études établissent des différences de sexes
entre faibles et modérées. En d’autres mots, ces études constatent que les hommes recourent assez
fréquemment à la rumination et subissent aussi des effets négatifs à utiliser cette SRA. Par ailleurs,
même si l’utilisation de la rumination a décliné durant la consultation selon les participants, elle est
l’une des SRA régressives les plus difficiles à bloquer et qui tend à persister le plus longtemps. Par
ailleurs, d’autres études ont observé que la diminution de la rumination a des effets positifs sur le
processus d’adaptation et les symptômes dépressifs (Watkins et al., 2011; Watkins et al., 2012).
Évitement. L’évitement a été utilisé par plusieurs participants, d’après leurs témoignages, pour ne
pas affronter des situations leur suscitant des émotions négatives et face auxquelles ils ignorent
comment s’adapter. Si sur le coup l’évitement leur a permis de moins s’exposer à des situations
éveillant des émotions négatives, à la longue, ils reconnaissent que cette stratégie ne leur a pas permis
180
d’apprendre à affronter ces situations. Comme l’ont déjà remarqué certains auteurs, c’est le recours
chronique à l’évitement qui est associé à des difficultés d’adaptation et à des problèmes de santé
mentale (Aldao et al., 2014; Aldao et al., 2010; Dempster et al., 2015; Nolen-Hoeksema, 2012; Phaf et
al., 2014). Dans une étude qualitative examinant les stratégies d’adaptation d’adolescents en Centre
Jeunesse, Bêty (2012) a également trouvé que l’évitement en situation de violence majeure peut être
une stratégie tout à fait adaptée, mais ne semble pas l’être sur le long terme. L’évitement est donc
aidant dans certaines circonstances et à court terme, mais il doit être complété par des SRA aidantes
pour ne pas interrompre le processus d’adaptation.
Isolement. Les participants ont révélé que, avant de consulter, ils avaient tendance à ne pas parler de
leurs problèmes avec leur entourage et même à s’isoler dans de telles situations. Cette tendance des
hommes à s’isoler lorsqu’ils éprouvent des difficultés et ressentent une souffrance est assez bien
documentée dans la littérature scientifique (Houle et Guillou-Ouellette, 2012; J. Roy et al., 2014;
Tremblay et Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017; Vogel et Heath, 2016). Leurs témoignages sont
donc assez cohérents avec les études antérieures, car les participants qui, selon leurs dires, s’isolaient
avant la consultation avaient aussi tendance à réprimer leurs émotions et en supprimer l’expression,
présentant plusieurs traits alexithymiques. Pour expliquer ce phénomène, l’hypothèse de la
socialisation selon le modèle de la masculinité orthodoxe s’applique encore (voir dans cette section
répression, suppression et alexithymie pour plus de détails).
4.8.4 L’utilisation des SRA aidantes et ses effets
Conscience des émotions. Les participants notent que la consultation a favorisé le développement
de la conscience de leurs émotions. Ils accordent une valeur importante et positive tant à la
conscience qu’à la centration sur les émotions. L’effet bénéfique de la centration peut s’expliquer par
le fait qu’il s’agit d’une exposition aux émotions qui conduit à les nommer et leur donner sens. Cette
centration génère alors un mouvement favorable au processus affectif et à l’adaptation face à la
situation-problème. La conscience des émotions, leur expression et la compréhension de leur
signification sont aussi vues comme essentielles au processus affectif par plusieurs auteurs (Berking
et al., 2008; Garneau et Larivey, 1979; Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan et al., 2007; J. C.
Watson, Schein, et McMullen, 2010). Par exemple, les travaux de Garneau et Larivey (1979), de
Rogers (1963) et de Watson (2011; Watson et al., 2007) suggèrent que le changement viendrait de la
conscience plus aigüe des émotions et de leur signification. Selon ces auteurs, en devenant plus
181
conscients de leurs émotions, les individus reconnaissent mieux leurs besoins et font des choix qui
en tiennent davantage compte. Même si dans d’autres études (Bargh et Williams, 2007; Gyurak et al.,
2011; Hopp et al., 2011), la conscience et l’acceptation des émotions n’apparaissent pas essentielles à
la régulation des affects, les témoignages recueillis affirment le contraire. Ce constat est possiblement
dû au fait que les participants ont consulté, été encouragés à explorer leurs émotions et qu’ils ont
appris à les gérer efficacement avec d’autres SRA.
Acceptation des émotions et de la situation. La plupart des participants ont souligné que la
consultation les a aidés à accepter la situation qu’ils vivaient et les émotions suscitées par cette
dernière. Ils expliquent que l’acceptation leur a permis de rediriger leurs énergies mises à réprimer
leurs émotions ou à ruminer vers des éléments plus positifs (nouvelles opportunités créées par la
situation, expression positive des émotions, etc.). Dans cette optique, contrairement à la résignation,
l’acceptation semble ouvrir la voie à d’autres SRA aidantes et favoriser le processus d’adaptation.
D’autres études ont semblablement noté que l’acceptation a un effet plus positif lorsqu’elle conduit à
la réinterprétation (J. C. Watson et al., 2011; Wolgast et al., 2011), à la modification consciente des
émotions négatives (Berking et al., 2008; J. C. Watson et al., 2011) ou lorsqu’elle est accompagnée de
la réévaluation positive33 (Zlomke et Hahn, 2010).
Expression positive des émotions. Les participants notent une transformation importante dans leur
manière d’exprimer leurs émotions pendant la consultation : ils estiment qu’au lieu de les supprimer
ou de les exprimer par des comportements violents, ils ont appris à les exprimer par des
comportements non violents telles l’écriture, la verbalisation et l’expression corporelle. Ce faisant, ils
ont constaté que ces stratégies non violentes permettaient d’évacuer les émotions et de faire baisser
les tensions ressenties contrairement à la suppression et à l’expression négative. À partir d’un certain
moment, les participants ne sont plus retournés en arrière en ce sens que l’expression positive des
émotions s’est imposée telle une nouvelle habitude. Comme l’affirme J. C. Watson (2011), le fait de
se connecter à ses propres émotions, de les vivre dans le présent, de ne pas les bloquer et de les
assumer pleinement favorise le processus affectif et l’adaptation. L’écriture et l’expression des
émotions sont également vues comme bénéfiques au processus affectif par d’autres auteurs (Stanton
et al., 2000; Wong et al., 2006). Les participants ont souligné avoir appris à exprimer positivement
33 Cette stratégie est incluse dans la SRA « centration sur le positif ».
182
leurs émotions dans le cadre d’une relation d’aide, sécurisante et à choisir des moyens positifs pour
les évacuer. Plusieurs arrivent maintenant à le faire également avec leur entourage en sélectionnant
leurs confidents. Ces résultats vont dans le sens d’autres études ayant montré que le contexte social
peut être plus ou moins favorable à l’expression des émotions (Stanton et al., 2000; Wong et al.,
2006). Ils permettent aussi de préciser les paramètres à l’intérieur desquels l’expression émotionnelle
est bénéfique, notamment lors d’une relation sécurisante, non jugeante, empathique et accueillante.
En donnant droit à l’émotion d’exister, en apprenant à maitriser son côté énergisant plutôt que
destructeur, les émotions deviennent un allié plutôt qu’un adversaire (Garneau et Larivey, 1979;
Greenberg, 2004; Kelley, 2004).
Besoins (se centrer sur ses…). Plusieurs participants ont noté avoir eu tendance à négliger leurs
besoins avant la consultation et avoir appris à mieux s’en occuper durant la consultation. Ils ont
observé des impacts plutôt négatifs à négliger leurs besoins et plutôt positifs à s’en occuper. Ces
témoignages abondent dans le même sens que Linehan et al. (2007; Linehan, 1993) qui estiment que
le fait de s’occuper de leurs besoins aide les individus à réduire leur vulnérabilité émotionnelle,
facilitant du coup la régulation des affects et l’adaptation.
Temps d’arrêt. En tout, six participants estiment avoir appris à utiliser le temps d’arrêt lorsqu’ils
éprouvent des émotions négatives intenses. Ils évitent ainsi d’exprimer négativement leurs émotions
et arrivent à faire baisser la tension interne par des moyens positifs (activités agréables, expression
positive, etc.). Ces témoignages sont similaires à ceux recueillis par P. Turcotte (2002) auprès
d’hommes ayant des comportements conjugaux violents. Au cours de leur processus de changement,
ces hommes en viennent à préférer prendre un temps d’arrêt plutôt que de s’exprimer sur le coup
d’une émotion forte. Ils ont alors plus de temps pour comprendre les émotions qu’ils perçoivent et
les gérer.
Activités agréables. Parmi les participants, sept ont rapporté avoir réalisé régulièrement des
activités agréables pour s’en sortir et que cela leur a procuré divers bénéfices tels l’évacuation des
émotions négatives, la baisse des tensions physiques, la génération de sensations agréables et
l’augmentation de l’estime de soi. Ce faisant, la réalisation d’activités agréables les a aidés à prendre
un recul par rapport à leur situation-problème. Ces témoignages abondent dans le même sens que
Levesque et al. (2011) qui ont montré que la pratique régulière d’activités agréables contribue à la
183
diminution des symptômes dépressifs ainsi qu’à l’adaptation. On peut penser, à l’instar de Linehan et
al. (2007), que la pratique régulière de ces activités diminue la vulnérabilité émotionnelle, ce qui
facilite la régulation des affects. Pour les hommes qui sollicitent peu de soutien émotionnel, il y a un
double bénéfice lorsque ces activités sont pratiquées en groupe, car ils obtiennent au surplus un
soutien social informel (Nolen-Hoeksema, 2012).
Distraction. Seulement trois participants ont parlé de la distraction comme façon de se changer les
idées. Pour ces derniers, c’est un moyen qui permet de contrer la rumination et d’arrêter de penser à
leurs problèmes. Ces témoignages abondent dans le même sens que certains auteurs (J. J. Gross et
Thompson, 2007; Webb et al., 2012) qui estiment que la distraction peut aider à moduler les
émotions négatives, notamment en permettant de bloquer la rumination (Hilt et Pollak, 2012;
Sheppes, Scheibe, Suri, et Gross, 2011).
Centration sur le positif. La majorité des participants ont été capables, selon eux, de se centrer sur
le positif. Si cette SRA les a parfois aidés à diminuer les émotions positives et à augmenter celles
positives, elle semble avoir modestement contribué à leur adaptation. En d’autres mots, se nourrir de
positif ne permet pas de régler les problèmes si on se fie à leurs témoignages. Cela rejoint le constat
de diverses études qui montrent une contribution modeste de la centration sur le positif à la
diminution des symptômes dépressifs et anxieux (Aldao et al., 2010; Tamres et al., 2002), laquelle
reste tout de même préférable à la rumination (Wicker, 2011).
Réinterprétation. À la lumière des témoignages recueillis, la réinterprétation est une stratégie plus
complexe qu’il n’y parait. Elle implique d’abord, selon les participants, de prendre un recul. En effet,
la réinterprétation ne peut se faire, selon eux, alors que des affects intenses sont vécus : il faut
d’abord les apaiser, disent-ils, ce à quoi d’autres SRA peuvent contribuer (activités agréables,
expression positive des émotions, soutien social, notamment). Le recul pris, le nouveau point de vue
permet, selon leurs dires, de voir plus largement la situation-problème, de la mettre en perspective, la
relativiser et la dédramatiser. Ils estiment que les affects peuvent alors être observés et compris plus
facilement en lien avec la situation-problème. L’idée que la réinterprétation n’est possible qu’avec un
certain calme émotionnel n’est pas nouvelle puisque la métasynthèse de Silverman (2013) arrive aux
mêmes conclusions. Ainsi, à son opinion, une intervention axée sur les cognitions avec des individus
anxieux est peu efficace si les ressources cognitives sont mobilisées par la rumination.
184
Au fil de leur réflexion, les participants estiment avoir développé une nouvelle vision de la situation-
problème, moins rigide, plus souple, ouvrant la porte à des solutions. Plus spécifiquement, leurs
témoignages incitent à penser que la réinterprétation est en quelque sorte un processus de
transformation des perceptions se rapportant à une situation-problème. Leur relecture de la
situation-problème favoriserait un état affectif neutre ou positif. Ainsi, la réinterprétation faciliterait
la régulation des affects et le processus d’adaptation, ce qu’avaient théorisé d’autres auteurs (J. J.
Gross, 1998a; J. J. Gross et Thompson, 2007; Linehan, 1993; Tobin et al., 1989).
Par ailleurs, la réinterprétation a surtout été utilisée par les participants après le climax émotionnel
vécu lors de la phase de crise. Cette conception se distingue de celle de Gross et John (2003) pour
qui la réinterprétation a surtout lieu avant l’élévation de l’intensité émotionnelle qu’elle viserait à
moduler. Elle se rapproche de la vision de Tobin et al. (1989) qui adhère à une vision plus large de la
réinterprétation. Il apparait néanmoins important de distinguer ces deux utilisations possibles de la
réinterprétation et d’en tenir compte dans de futures recherches.
Enfin, à la lumière des témoignages, la réinterprétation apparait comme un précurseur de la
résolution de problème en proposant une vision de la situation-problème qui faciliterait la mise en
place de stratégies de résolution de problème aidantes. Arditte et Joormann (2011) ont également
émis cette hypothèse à la suite de leur étude longitudinale portant sur les SRÉ utilisées par des
personnes déprimées. D’une certaine façon, on peut estimer que la réinterprétation a permis aux
participants de dénouer l’impasse mentale alors que la résolution de problème, comme on le verra
plus loin, a permis de dénouer l’impasse concrète liée à la situation-problème. Ainsi vue, la
réinterprétation alimente le processus de résolution de problème tel que modélisé par Gambrill
(2006).
Résolution de problème. Les propos des participants se rapportant à la résolution de problème
concordent généralement bien avec le processus décrit par Gambrill (2006) ainsi que Linehan (1993).
Le Tableau 13 montre la concordance entre les étapes identifiées par ces auteures et celles repérées
dans le discours des participants. Toutefois, quelques nuances s’imposent. D’abord, selon le modèle
de Gambrill ou celui de Linehan, la première étape de la résolution de problème correspond à la
réinterprétation. Celle-ci a cependant été considérée comme une SRA distincte dans cette thèse afin
185
de respecter la tradition scientifique dans ce champ de recherche. Par ailleurs, les participants à la
présente étude ont très peu parlé d’un plan d’action et de son application. Ils disent fonctionner
plutôt dans le désordre sans nécessairement prendre le temps de réfléchir aux solutions ou encore de
les planifier. Ils affirment aussi prendre parfois des décisions importantes sur un coup de tête ou
encore tenter de régler un problème par essais-erreurs avec comme inconvénient de souvent répéter
les mêmes erreurs. En ce cas, on peut penser que l’évaluation des résultats n’est pas réalisée ni
l’identification de solutions alternatives. Cela permet de mieux comprendre comment certains
participants ont pu être pris pendant des années avec une situation-problème. Par ailleurs, les
résultats de cette thèse renforcent l’importance d’évaluer les résultats des actions et de générer des
solutions alternatives. Ce dernier point a aussi été mise en évidence par Gambrill (2006), Linehan
(1993) ainsi que dans l’approche centrée sur la résolution de problème (Bell et D'Zurilla, 2009). Dans
l’ensemble, les résultats de cette thèse appuient les recherches affirmant l’apport positif de la
résolution de problème (Aldao et al., 2010; Bell et D'Zurilla, 2009; Cuijpers et al., 2007; Fehlinger et
al., 2013; Malouff et al., 2007; Neacsiu et al., 2010) de même que l’idée selon laquelle cette SRA peut
bloquer le processus de changement si elle n’est pas maitrisée (Gambrill, 2006; Linehan, 1993).
Tableau 13 : Comparaison des étapes de la résolution de problème selon deux modèles
Gambrill (2006) Linehan (1993) SRA correspondantes selon la
thèse
Comprendre le problème Analyse comportementale du
problème et interprétation
Réinterprétation
Identifier des solutions Générer des solutions RP34 : Solutions envisagées
Décider d’un plan d’action Évaluer les solutions
Choisir une solution à
implanter
RP : Prise de décision
Expérimenter le plan d’action Expérimenter une solution RP : Tentatives de solutionner le
problème
Évaluer les résultats Évaluer la solution RP : Évaluation des résultats
Réessayer en ajustant Ajuster (ou retour à l’étape
un ou deux)
RP : Solutions alternatives
34 RP = Résolution de Problème
186
Soutien social. La plupart des participants notent avoir peu utilisé le soutien social avant de
consulter. Selon eux, le fait d’avoir appris à exprimer leurs émotions en consultation les a encouragés
à le faire avec leurs proches ou un groupe de soutien. Cependant, même après un certain temps en
consultation, certains participants affirment qu’ils limitaient encore l’expression de leurs émotions à
la consultation. Une explication possible de ce phénomène est la persistance d’une pratique de la
masculinité orthodoxe qui demande aux hommes de masquer les émotions perçues comme un signe
de faiblesse (Brooks, 2005). En ce cas, ces hommes feraient une distinction entre l’expression des
émotions en consultation ou durant un groupe de soutien et l’expression des émotions au travail, par
exemple. Même si après avoir consulté ces hommes sont plus à l’aise à ressentir et exprimer des
émotions, ils restreignent l’expression des émotions à la sphère intime et les suppriment dans la
sphère publique. On peut présumer que cela leur permet de trouver un compromis entre leur besoin
d’évacuer des émotions sans pour autant prendre le risque de subir une réprobation sociale ou de
ressentir une honte à montrer des émotions vues comme un signe de faiblesse dans la masculinité
orthodoxe. De la sorte, ces hommes trouvent une façon optimale d’obtenir un soutien social
émotionnel comme l’ont d’ailleurs souligné d’autres auteurs (Genest‐Dufault, 2013; G. E. Good et
al., 2004; P. Roy, 2014). Plusieurs participants ont aussi mentionné avoir eu recours à un soutien
social informel qui s’inscrit dans des activités sociales axées sur le loisir et le sport, ce que d’autres
études ont également trouvé (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Les participants notent
l’apport positif tant du soutien social émotionnel qu’informel, ce qui est reconnu comme un facteur
favorable à la santé mentale (Caron et Guay, 2005). Enfin, les témoignages ont mis en évidence que
le soutien social influence l’utilisation des autres SRA. En effet, les participants estiment que le
soutien social reçu les a aidés à diminuer l’utilisation de certaines SRA régressives (répression,
suppression, rumination et isolement) et à augmenter l’utilisation de SRA progressives (expression
des émotions, réinterprétation, résolution de problème et activités agréables). Cet aspect semble
avoir peu retenu l’attention des chercheurs jusqu’ici, mais mérite qu’on s’y intéresse davantage. En ce
sens, la théorie de régulation relationnelle de Lakey et Orehek (2011), qui ciblent les affects, les
cognitions et les comportements, constitue une nouvelle avenue à explorer.
187
4.8.5 L’évaluation des SRA
Les participants mentionnent avoir appris en consultation à évaluer les avantages et les
inconvénients des SRA et à choisir celles les plus aidantes selon le contexte. Avant la consultation, ils
estiment qu’ils étaient peu conscients des impacts des SRA et des options qu’ils avaient. En
développant la capacité d’évaluer les SRA qu’ils utilisent et à les choisir selon leurs objectifs, les
participants ont l’impression que cela les a aidés à reprendre le contrôle de leur état affectif et de la
situation-problème. Ces témoignages appuient l’idée selon laquelle l’évaluation des SRA permet
d’être plus conscient de sa façon de réguler les affects et d’apprendre à mieux les gérer (Bizot, 2011;
Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993; Linehan et al., 2007). De la sorte, l’évaluation des
SRA jouerait un rôle central dans le processus de transition des SRA non aidantes vers des SRA
aidantes. En effet, en misant sur les capacités autoréflexives des individus, la consultation faciliterait
l’appropriation des solutions (Garneau et Larivey, 1979; J. C. Watson et McMullen, 2016), c’est-à-
dire des SRA adaptatives.
Les témoignages des participants donnent ainsi une crédibilité au modèle proposé par J. J. Gross
(2015a). À la lumière de ce modèle, les participants relatent avoir appris, en consultation, à
surmonter des difficultés à chacune des trois étapes de ce modèle, soit à l’identification des
émotions, à la sélection des SRÉ et à leur implantation. En ce qui concerne la première étape, la
plupart des participants estiment avoir appris à mieux reconnaitre leurs émotions et les SRA qui les
alimentent durant la consultation. En lien avec la deuxième étape, les participants rapportent avoir
augmenté leur répertoire de SRA et choisir plus aisément celles qui favorisent l’amélioration de leur
état émotionnel et de leur situation-problème. Enfin, en lien avec la troisième étape, les participants
estiment moins recourir aux SRA non aidantes et avoir plus de facilité à employer des SRA aidantes
dans leur quotidien. Bref, ce modèle de Gross donne une certaine compréhension du processus qui
conduit à employer une SRA plutôt qu’une autre. Il importe cependant de mieux comprendre
comment la dynamique entre les SRA affecte ce processus.
Dans la même veine, plusieurs approches cliniques soulignent l’importance d’enseigner aux clients à
évaluer les impacts des SRÉ/SRA qu’ils utilisent, à élargir et accroitre leurs aptitudes à réguler leurs
émotions et à faire les choix qui engendrent le meilleur rapport coûts/bénéfices (Greenberg, 2004;
Kelley, 2004; Linehan, 1993; Linehan et al., 2007). Certaines études renforcent cette idée en montrant
l’apport d’une plus grande utilisation de certaines SRÉ (acceptation et conscience des émotions,
188
réinterprétation, etc.) dans le cadre d’une démarche de consultation (Aldao et al., 2014; Berking et al.,
2008; Cloitre et al., 2004; Fehlinger et al., 2013; Geschwind et al., 2011; Gratz et Tull, 2010; Neacsiu et
al., 2010; J. C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011). Miser sur les capacités autoréflexives des
individus favoriserait donc leur processus de changement en les aidant à évaluer leurs options, à
sélectionner les SRA les plus adaptées et à les utiliser efficacement (J. C. Watson et McMullen, 2016).
Bref, en lien avec les témoignages des participants, l’évaluation des SRA ressort comme une habileté
transversale qui favorise le choix et l’utilisation plus efficace des SRA.
4.8.6 SRA et genre
Les données de la présente étude incitent à faire plusieurs nuances en ce qui a trait aux liens entre le
genre et l’utilisation des SRA. Avant la consultation, les participants affirment avoir eu recourt à des
SRA non aidantes qui sont davantage utilisées par les hommes selon les études (voir recension au
chapitre un) telles la suppression expressive, la consommation d’alcool, l’isolement et l’expression
négative des émotions. Cependant, ils ont eu fréquemment recours à la rumination, selon leurs dires,
soit à une SRA qui est davantage utilisée par les femmes, selon ces mêmes études. Après un certain
temps en consultation, plusieurs participants mentionnent avoir employé fréquemment des SRA
davantage utilisées par les femmes, selon les études recensées, tels l’acceptation des émotions, la
réinterprétation, la centration sur le positif et le soutien social émotionnel. Qui plus est, les
participants affirment être plus conscients de leurs émotions, de mieux les comprendre, de les
exprimer davantage de façon positive et de recourir davantage à du soutien social émotionnel. Bref,
avant la consultation, les participants affirment avoir surtout utilisé des SRA qui, dans la littérature,
sont associées à la masculinité orthodoxe ou qui sont davantage employées par les hommes qui
adhèrent à ce type de masculinité. Cependant, après un certain temps en consultation, les
participants dressent un portrait fort différent : ils rapportent utiliser surtout des SRA aidantes et qui
sont non conformes à la masculinité orthodoxe. Ce rapport aux émotions observé après un certain
temps en consultation va à l’encontre de ce qui est davantage associé à la masculinité orthodoxe, soit
l’alexithymie, la suppression expressive, l’isolement, la consommation d’alcool et l’évitement. Pour
expliquer ces changements, deux hypothèses sont avancées. La première hypothèse veut que la
consultation permette de réduire les contraintes liées à la socialisation selon le genre, ce qui
autoriserait l’apprentissage et l’utilisation de SRA non conformes aux attentes sociales liées au genre.
On peut aussi penser que les participants qui se sont adaptés sont parvenus à trouver un compromis
189
entre leurs stratégies d’adaptation et le type de masculinité auquel ils chercheraient à correspondre
(Bizot, 2011; Genest‐Dufault, 2013; Oliffe et al., 2010; P. Roy, 2014). La deuxième hypothèse insiste
plutôt sur le fait que, peu importe le sexe ou le genre, les individus qui éprouvent des difficultés à
s’adapter tendraient à utiliser presque exclusivement des SRA non aidantes et, lorsque leur situation-
problème s’améliore, recourraient à des SRA aidantes semblables. L’utilisation importante de la
rumination, selon les propos des participants, et les faibles écarts de sexe et de genre constatés dans
les études précédentes apportent un certain appui à cette hypothèse. Enfin, il est possible que ces
deux hypothèses combinent leurs effets et fournissent ainsi deux interprétations valident des
changements observés dans l’utilisation des SRA.
En ce qui concerne l’apprentissage de SRA35 aidantes chez les hommes, Bizot (2011) estime que cet
apprentissage est propre à chaque individu, car « chacun doit plutôt trouver ses propres moyens d'exprimer ses
sentiments. Il s'agit avant tout de le faire à sa façon et de la manière la moins restrictive et destructrice possible » (p.
184). Selon les témoignages qu’il a recueillis, ce chercheur analyse que les hommes qu’il a rencontrés
auraient acquis de nouvelles stratégies d’adaptation (conscience et expression des émotions, soutien
social, notamment) durant leur participation à un groupe d’entraide et que cela aurait eu des effets
bénéfiques sur leur santé, leur état affectif et leurs relations sociales. Ainsi, les conclusions de Bizot
rejoignent celles de la présente thèse en soulignant la capacité des hommes à apprendre à mieux
réguler leurs affects, ce qui favorise l’amélioration de leur état affectif et l’atténuation de leur
situation-problème.
4.9 Processus de changement et rôle des SRA
Cette section vise à répondre à la question générale de la recherche qui porte sur le rôle des SRA
dans le processus de changement. Pour répondre à cette question, les résultats des sections
précédentes ont été ici rassemblés et leurs liens analysés. Plus précisément, la première partie analyse
les liens entre le processus des situations-problèmes et le processus affectif. La deuxième partie situe
l’utilisation des SRA selon chaque phase du processus des situations-problèmes et du processus
affectif. La troisième partie expose des interactions les plus significatives entre certaines SRA. La
quatrième partie synthétise et modélise le rôle joué par les SRA à la lumière de l’ensemble du
35 Bizot (2011) parle de stratégies et de changements comportementaux, ce qui a été ici traduit par SRA.
190
processus de changement. La cinquième partie propose quelques hypothèses à propos du rôle des
SRA dans le processus de changement. En bout de piste, la modélisation des données de cette thèse
est regardée à la lumière des études sur la RÉ, de celles sur les hommes et de la théorie générale des
systèmes.
4.9.1 Liens entre le processus des situations-problèmes et le processus affectif
Dans les sections précédentes, l’interprétation des données au sujet des changements perçus par les
participants dans les situations-problèmes et les affects vécus a abouti à la modélisation de deux
processus de changement, soit le processus lié à la situation-problème et le processus affectif. À
présent, la comparaison de ces deux processus va permettre d’identifier les correspondances et les
divergences entre eux. Pour ce faire, les phases de chaque processus ont été comparées entre elles.
Cet examen fait ressortir que les deux processus ont plusieurs correspondances et quelques
divergences. En voici une brève présentation.
1) La situation-problème est posée comme une phase dans le processus des situations-problèmes
alors qu’elle ne l’est pas dans le processus affectif. Cependant, dans les deux cas, elle est le point de
départ d’un processus qui peut conduire ou non à une adaptation. Il convient donc de retenir cette
phase dans le modèle synthèse du processus de changement. 2) La deuxième phase du processus des
situations-problèmes est l’impasse. Elle correspond à la phase de tension dans le processus affectif.
En effet, pour les participants, l’impasse dans la situation-problème suscite des émotions négatives et
crée des contre-émotions de plus en plus fortes. 3) La troisième phase du processus des situations-
problèmes est la crise. Elle porte le même nom dans le processus affectif. Dans les deux cas, il y a un
sentiment de perte de contrôle : les participants ont l’impression qu’ils n’arrivent ni à s’adapter à la
situation-problème, ni à gérer leurs affects. Il en résulte une perception de dégradation marquée et
soudaine de la situation-problème et de l’état affectif, les deux s’alimentant l’un l’autre. 4) La
quatrième phase du processus des situations-problèmes est la mésadaptation. Dans le processus
affectif, il s’agit d’un retour à la phase de tension. Cela s’explique par le fait que les SRA utilisées
contribuent à maintenir l’impasse dans la situation problème, laquelle nourrit les tensions ressenties
sous la forme de contre-émotions. Une autre crise est en préparation. C’est le cercle vicieux de la
roue gauche expliqué dans une section précédente. 5) La cinquième phase du processus des
situations-problèmes est la prise de recul. Elle correspond à la libération et la fragilité dans le
processus affectif. La libération émotionnelle facilite la prise de recul en diminuant le brouillard
191
affectif créé par les tensions et la crise. Il apparait alors plus aisé de réfléchir calmement. À l’inverse,
la prise de recul favorise la libération émotionnelle en prenant une distance par rapport à la situation-
problème. Selon les propos des répondants, le seul fait de prendre une distance par rapport à la
situation-problème peut aider à diminuer les tensions. 6) La sixième phase du processus des
situations-problèmes est l’espoir, ce qui correspond à la cinquième phase du processus affectif. Dans
un cas, l’espoir est suscité par les premiers progrès dans la situation-problème. Dans l’autre cas,
l’espoir vient de changements positifs dans l’état affectif. 7) La septième phase du processus des
situations-problèmes correspond aux embûches. Celle-ci est désignée par les soubresauts dans le
processus affectif. Parfois, ce sont des embûches dans les tentatives d’adaptation qui provoquent des
soubresauts dans l’état affectif. D’autres fois, des soubresauts d’affects freinent l’adaptation à la
situation-problème. Si les embûches ne sont pas surmontées et les soubresauts bien gérés, un retour
aux phases de la roue gauche est possible. 8) La huitième phase du processus des situations-
problèmes est l’adaptation. La stabilisation et la vivification lui correspondent dans le processus
affectif. Si l’adaptation à la situation-problème favorise la stabilisation de l’état affectif, l’inverse est
aussi vrai : un état affectif non contrôlé (crise, par exemple) n’est pas propice à l’adaptation. Le
Tableau 14 résume les liens entre les phases du processus des situations-problèmes et le processus
affectif.
Tableau 14 : Analyse des ressemblances et des différences entre le processus des situations-problèmes et le processus
affectif
Phases du processus
des situations-
problèmes
Phases du processus
affectif
Analyse
1. Situation Situation À ce stade, la situation n’est pas encore un
problème. Elle ne génère pas d’affects
négatifs.
2. Impasse 1. Tension La situation devient un problème.
L’impasse dans la situation-problème
génère des émotions négatives et crée des
tensions de plus en plus fortes prenant la
forme de contre-émotions.
192
Phases du processus
des situations-
problèmes
Phases du processus
affectif
Analyse
3. Crise 2. Crise Une crise dans la situation-problème peut
engendrer une crise affective et vice versa.
Il est parfois difficile de savoir laquelle
vient avant l’autre.
4. Mésadaptation (1. Tension) Après la crise, l’impasse persiste de même
que les tensions ressenties qui ont pu être
temporairement apaisées.
5. Prise de recul 3. Libération
4. Fragilité
La libération émotionnelle facilite la prise
de recul et vice versa. Après la libération
émotionnelle, un sentiment d’être plus léger
et fragile apparait.
6. Espoir 5. Espoir Un réinvestissement dans d’autres activités
génère des affects positifs qui suscitent un
espoir. Il est possible de voir le positif et de
commencer à l’apprécier. Les premiers
succès dans les nouvelles tentatives
d’adaptation alimentent l’espoir.
7. Embûches
(retour possible à la
phase 1)
6. Soubresauts
(retour possible à la
phase 1)
Des embûches dans les tentatives
d’adaptation provoquent des soubresauts
dans l’état affectif. Si les embûches ne sont
pas surmontées et les soubresauts mal
gérés, un retour aux phases de la roue de
gauche est possible.
8. Adaptation 7. Stabilisation
8. Vivification
Lorsque les embûches sont franchies et les
soubresauts maitrisés, cela favorise une
stabilisation de l’état affectif et une
adaptation progressive à la situation-
problème. L’équilibre retrouvé se manifeste
193
Phases du processus
des situations-
problèmes
Phases du processus
affectif
Analyse
notamment par le sentiment d’être plus
vivant.
4.9.2 Correspondances entre les situations-problèmes et les affects
Les témoignages recueillis ont été analysés afin de vérifier si les participants perçoivent des liens
entre les affects (valence, intensité, variabilité et durabilité) qu’ils nomment et la trajectoire
(régressive, stagnante ou progressive) des situations-problèmes vécues. Cet examen a fait ressortir
des convergences significatives dans les témoignages des participants à propos des liens entre les
affects et la trajectoire des situations-problèmes. En tout, trois types de convergence ont été repérés
et sont résumés dans le Tableau 15. Dans le premier type (colonne régression), la présence d’affects
négatifs intenses, et ce, de manière récurrente et durable, correspondrait à une période de
dégradation de la situation-problème et de l’état affectif selon les témoignages recueillis. Les
participants semblent alors coincés dans la roue de gauche où ils répèteraient des cycles. Au second
type de convergences (colonne stagnation), les mêmes affects négatifs se manifesteraient, mais de
manière moins intense. Selon les propos des participants, ces affects négatifs seraient également
présents depuis un certain temps et connaitraient des variations. Avec le recul, les participants
estiment que ces affects négatifs signalaient la présence d’un malaise en lien avec une situation non
résolue. Leur état affectif, même si négatif, demeurait tolérable, mais à risque de connaitre une
dégradation subite lorsque le point de rupture serait atteint. En effet, aux yeux des participants, c’est
l’accumulation de ces tensions qui les aurait entrainés dans une crise. La capacité à tolérer ces
tensions, à stabiliser leur état affectif malgré les situations-problèmes rencontrées, peut ainsi devenir
un piège si poussé trop loin, soit jusqu’à la crise. Enfin, au troisième type de convergence (colonne
progression), la présence d’affects positifs, et ce, de manière récurrente et durable, dénote une
progression tant dans l’adaptation à la situation-problème que dans le processus affectif. La
situation-problème est résolue, ou en voie de l’être, et la personne se sent de mieux en mieux sur le
plan affectif. L’ancrage est désormais dans la roue de droite, ce qui entraine la répétition de cycles
favorisant la progression.
194
En somme, en ce qui concerne les affects négatifs, ils peuvent révéler un état de stagnation ou de
régression de la situation-problème selon leur intensité, leur durée et leur fréquence. Il appert des
propos des répondants que plus ces indicateurs sont élevés, plus cela signale qu’une régression est en
cours. Les affects positifs sont alors difficilement accessibles dans un contexte régressif alors qu’ils
sont plus nombreux et fréquents en période de progression ou lorsque la situation-problème semble
maitrisée.
Tableau 15 : Correspondances entre les affects et la trajectoire des situations-problèmes selon le point de vue des
participants
Situations-
problèmes
Régression (-) Stagnation (=) Progression (+)
Affects Tristesse Tristesse Joie, plaisir
Déprime, lourdeur,
fatigue, mal-être
Déprime, lourdeur,
fatigue, mal-être
Motivation, curiosité
Énergique
Bouleversé, détresse Bouleversé, détresse Bien-être
Colère, irritation, rage Colère, irritation, rage Soulagement
Insatisfaction,
frustration
Insatisfaction,
frustration
Satisfaction
Peur Peur Confiance en soi et en
l’avenir
Anxiété, stress Anxiété, stress Apaisement
Honte, culpabilité Honte, culpabilité Fierté
Dégoût Dégoût Intérêt
Dévalorisation Dévalorisation Estime de soi
4.9.3 Utilisation des SRA selon les phases du processus des situations-problèmes et du
processus affectif
Cette partie vise à illustrer les variations dans l’utilisation des SRA en fonction des phases du
processus des situations-problèmes et du processus affectif. Pour ce faire, chaque phase a été
analysée afin d’identifier les principales SRA utilisées à chacune d’elles selon le point de vue des
participants. Dans cette optique, la section sur les résultats des SRA, laquelle a distingué les SRA
195
aidantes des SRA non aidantes ainsi que les effets des SRA employées sur la situation-problème et
l’état affectif, a servi de base à cette analyse. Le résultat de ce travail apparait dans le Tableau 16. Il
en ressort que les SRA non aidantes sont principalement utilisées aux phases d’impasse (ou de
tension), de crise et de mésadaptation alors que les SRA aidantes sont surtout utilisées aux phases
subséquentes. Il est à noter qu’à la phase des embûches (ou des soubresauts), l’utilisation de SRA
non aidantes est fréquente, ce qui peut amener un retour aux phases d’impasse ou de crise comme
illustré aux figures 5 et 7.
Tableau 16 : SRA utilisées selon les phases du processus des situations-problèmes et du processus affectif
Phases du processus
des situations-
problèmes
Phases du processus
affectif
SRA
1. Situation Situation SRA + ou -
2. Impasse 1. Tension Consommation
Évitement
Isolement
Répression des émotions
Suppression expressive
3. Crise 2. Crise Expression négative des émotions
Rumination
Suractivation
4. Mésadaptation (1. Tension) L’ensemble des SRA -
5. Prise de recul 3. Libération
4. Fragilité
Acceptation
Conscience des émotions
Distraction
Expression positive des émotions
Soutien social
Temps d’arrêt
6. Espoir 5. Espoir Évaluation des SRA
Réinterprétation
Résolution de problème +
196
Phases du processus
des situations-
problèmes
Phases du processus
affectif
SRA
Centration sur le positif
7. Embûches (retour
possible à la phase 1)
6. Soubresauts (retour
possible à la phase 1)
Acceptation
Résolution de problème – ou +
8. Adaptation 7. Stabilisation
8. Vivification
L’ensemble des SRA +
En somme, l’utilisation des SRA non aidantes correspond aux phases de dégradation de la situation-
problème et de l’état affectif alors que l’emploie des SRA aidantes est lié à leur progression. Même à
la phase des embûches (ou des soubresauts), les SRA non aidantes peuvent ramener le processus du
côté régressif. De leur côté, les SRA aidantes permettent de sortir du cercle vicieux de la roue de
gauche et de prévenir les rechutes. Elles favorisent ainsi la sortie de l’impasse ou de la crise par la
prise de recul et la libération émotionnelle pour ultimement faciliter l’adaptation. Ces généralités ne
doivent pas faire oublier que la combinaison des SRA utilisées est unique à chaque participant,
d’autant plus si on considère leur façon de les utiliser en fonction de leur situation-problème
particulière. Par exemple, certains participants ont combiné rumination et répression des émotions
alors que d’autres ont pu y ajouter isolement ou encore consommation abusive d’alcool. Derrière ces
particularités, l’analyse des données a permis de repérer les généralités qui viennent d’être décrites,
mais qui doivent être interprétées en tenant compte que la façon de vivre chaque phase et de
progresser ou de régresser est unique à chacun bien que certains points communs puissent être
cernés.
4.9.4 Interactions entre les SRA et processus de changement
Les SRA ont été examinés séparément jusqu’ici. Or, durant les entrevues, les participants ont insisté
sur l’importance des interactions entre les SRA et leur importance dans le processus de changement.
Certes, toutes les SRA s’interinfluencent. Cependant, certaines SRA entretiennent des relations
particulières entre elles qui ont été abordées par plusieurs participants qui en ont souligné
l’importance. Dans cette optique, les interactions entre six groupes de SRA sont maintenant
exposées de même que leur incidence sur le processus de changement.
197
Rumination, répression, suppression et expression négative : quels liens ? Selon les propos des
participants, la rumination, la répression et la suppression entretiennent des liens circulaires. Ils
expliquent que le fait de ravaler (suppression) et de réprimer leurs émotions crée, à la longue, une
tension énorme. Ne sachant pas comment se libérer de cette tension, ils se sentent coincés entre le
danger d’exploser (expression négative) et celui d’imploser (anxiété, déprime, etc.). Ils cherchent
frénétiquement des solutions en vain, ce qui est épuisant. Ce sentiment d’être pris, coincé, alimente
les pensées négatives et répétitives (rumination), lesquelles contribuent à augmenter les affects
négatifs. Il y a alors davantage d’affects à contenir et le risque d’explosion ou d’implosion s’accroit
de plus en plus. Dans les faits, presque tous les participants ont fini par imploser et plusieurs ont
également explosé. L’extrait suivant fournit un exemple de problème que les participants ne savaient
pas gérer et qui les coinçait. Pour le situer, Merla mentionne avoir évité systématiquement la
confrontation avec son ex-conjointe, mais qu’il accumulait beaucoup de frustrations.
I: Faque tu t'es beaucoup contenu pendant toutes ces années.
Merla: Oui parce que je ne voulais pas faire mal à ma fille. Je me demandais tout le temps si c'était bon ou
pas bon pis au radio, j'ai entendu Mailloux à la radio. Un monsieur lui demande s'il doit se laisser faire ?
Mailloux lui demande s'il a des enfants. Il répond que oui. Mailloux lui demande s'il veut être capable de
regarder ses enfants dans les yeux plus tard ? Il dit : « oui ». « Alors, bien, tenez-vous tranquille parce que si
vous embarquez là-dedans à vouloir détruire la mère, bien eux autres aussi peuvent embarquer là-dedans pis
vous prendre à revers ». Faque là j'ai décidé de prendre tout sur moi, de fermer ma gueule et de prendre mon
truck de marde jusqu'à tant que ça déborde.
I: Je comprends... et si c'était à refaire, referais-tu ça comme ça ?
Merla: (Long soupire) Je ne le sais pas, je ne le sais pas... Peut-être que je le refais juste pour ma fille...
I: T'as appliqué la recette à la lettre et tu ne t'es pas permis de t'affirmer là-dedans, de mettre des limites.
Merla: C’est ça... c’est parce que je me disais que si je rouspète pis que je fais de quoi... Je me connais quand
même un peu, j'avais peur que si je m'affirmais pis qu'une connerie [arrivait], j'aurais pu éclater pis là ça
n'aurait pas été beau. Là, j'aurais peut-être fait un raz de marée.
N’arrivant pas à trouver une position confortable dans cette situation conflictuelle avec son ex-
conjointe et sa fille, ne voulant pas aggraver ce conflit, Merla a décidé de réprimer ses émotions et de
ne pas les exprimer. Ces émotions accumulées ont fini par déborder. Il se sentait déprimé et toujours
en train de ruminer sur ses problèmes. Il avait même peur d’aller prendre son courrier de crainte de
198
recevoir une lettre d’un huissier. Il pouvait être irritable et explosif au travail et avec sa conjointe. Un
jour, il a failli blesser quelqu’un au travail à la suite d’une colère et sa conjointe a commencé à parler
de séparation. Il s’est alors pris en main et a décidé de consulter.
Rumination : comment la contrer ? Les participants ont utilisé tant des SRA aidantes que non
aidantes pour contrer la rumination. Parmi les SRA non aidantes, la consommation a été employée
par certains comme moyen pour contrer la rumination. Cela permet, à court terme, d’arrêter les
pensées négatives et de générer des sensations positives. Par contre, les participants notent que ce
bonus ne durait que le temps que l’alcool fasse effet. Il en va de même pour la suractivation. Se tenir
l’esprit et le corps occupés bloque la rumination. Dès qu’il y a une pause, la rumination tend à
réapparaitre. Parmi les SRA aidantes, la distraction et les activités agréables permettent également de
bloquer la rumination en occupant l’esprit et le corps avec des activités positives. Pour Marc, par
exemple, c’est la méditation qui l’a aidé à contrer la rumination. Sam explique l’importance de faire
quelque chose pour se changer les idées : « Façon de parler, mais oui, après une heure [à ruminer], je faisais
d'autres choses ». À la différence de la suractivation, la distraction et les activités agréables sont
complétées par les participants avec d’autres SRA aidantes telles l’acceptation et l’expression des
émotions. Ces deux dernières SRA s’attaquent aux racines de la rumination, soit la répression et la
suppression. En acceptant l’impasse dans la situation-problème, en acceptant les émotions
ressenties, les participants arrivent à s’autoriser de cheminer vers une autre option. En faisant le deuil
d’un rêve perdu, ils se libèrent d’émotions douloureuses qui les bloquent. A contrario, lorsqu’ils
ruminent, il arrive souvent que les participants cherchent le moyen de préserver une partie de ce rêve
perdu comme pour se prouver qu’ils n’ont pas tout échoué. C’est là que la réinterprétation aide à
relativiser la situation-problème et à en voir les bons côtés. Mais ceci ne semble pas possible avant
que l’acceptation et la libération émotionnelle fassent leur œuvre. L’extrait suivant illustre bien
l’importance de cette libération émotionnelle pour contrer la rumination aux yeux d’un participant.
I: Ç’a diminué quand ça la rumination ?
Merla: Après avoir commencé là-bas [organisme communautaire]. Quand j'ai commencé à consulter.
I: C'é comme si ça t'a donné une soupape, je pense, le fait de pouvoir parler...
Merla: D'aller ventiler, c'é ça qu'on se dit là-bas, souvent on se le dit entre nous autres pis je le dis aux gars
qui sont nouveaux. C'é la place pour faire ça, qu'on vienne ici pour ventiler.
199
Enfin, lorsque, du point de vue des répondants, le problème est résolu, bien géré ou que le deuil est
fait, la rumination n’apparait plus nécessaire, car il ne semble plus y avoir d’impasse sur laquelle
ronger son frein et cogiter indéfiniment. Malgré cela, la rumination est décrite par les participants
comme étant l’une des SRA non aidantes les plus difficiles à freiner, tout comme la consommation
d’alcool. Même lorsque l’adaptation à la situation-problème est presque complétée, certains
participants notent que la rumination revient encore de temps en temps. L’embûche est alors
l’anticipation d’une rechute, un questionnement sur le pourquoi de cette situation ou carrément de la
rumination à propos d’un nouvel événement qui peut être anodin.
Répression et suppression : comment les contrer ? Comme dans le cas de la rumination, les
témoignages relatent l’utilisation de SRA aidantes et non aidantes pour contrer la répression et la
suppression des émotions. Certains participants rapportent avoir utilisé la consommation d’alcool
pour atténuer les affects négatifs. Selon leurs propos, ces affects ne disparaissent cependant pas : ils
sont moins douloureux seulement le temps que l’alcool procure son effet. C’est le même phénomène
qui est décrit par les participants avec la suractivation. L’opposé est encore ici d’accepter les
émotions ressenties et d’apprendre à les évacuer par l’expression positive et des activités agréables.
Au lieu de tenter de contrôler les émotions en les gardant en soi, il s’agit de les laisser sortir de façon
à s’en libérer. Or, les participants ont souvent peur « d’exploser », de devenir « fous » ou « violents ». En
l’expérimentant dans le cadre sécuritaire d’une relation d’aide, ils découvrent tout le contraire et ils
délaissent leur réticence : « Je me sens mieux parce que je peux en parler ailleurs comme dans un groupe
d'hommes pis mon intervenant. Ça sort aux bons endroits, j'apprécie » (Navan). L’acceptation et l’expression
positive des émotions sont alors adoptées de préférence à leur répression et la suppression de leur
expression. À la différence de la rumination qui tend à revenir, à partir du moment que les
participants ont exprimé positivement et accepté leurs émotions, ils ne sont pas portés à les réprimer
ni à les supprimer à nouveau.
Évitement, rumination, acceptation et résolution de problème. D’autres participants estiment
que l’évitement de la situation-problème a aussi servi comme moyen pour atténuer les affects
négatifs. Effectivement, il n’est pas nécessaire de se confronter sans cesse à des situations
affectivement douloureuses. Cependant, il n’est pas possible de toujours éviter ce genre de situation.
À la longue, selon les propos recueillis, l’évitement tend à alimenter une rumination et plonge le
participant dans la peur de ce qui pourrait arriver (scénarios négatifs). Certains en viennent à perdre
200
même confiance en leur capacité de composer avec la situation. À l’inverse, il s’agit d’accepter la
situation et d’entreprendre un processus de résolution de problème. Durant la consultation, par
exemple, Paul a réalisé qu’il avait d’autres options que l’évitement pour composer avec ses
problèmes :
J'avais trois solutions: fuir, me droguer ou me suicider. Pis c'est drôle, je suis en train de prendre conscience
avec toi que lorsque j'ai reçu ma lettre, je n'ai eu aucune de ces trois émotions-là qui est survenue pis je me
suis dit voici comment je vais m'y prendre pour y faire face : les avocats!
L’évitement a aussi pris la forme d’un déni de la situation-problème pour certains. En ce cas,
l’acceptation de la situation-problème et des émotions éprouvées permet de retrouver son chemin :
« Quand on ressent l'émotion, c'est de la voir pis de ne pas l'éviter, mais l'affronter. On la ressent, mais si tu l'évites,
ce n'est pas une bonne façon de gérer la vie émotive. Il y en a qui parle d'intelligence émotive » (Sam).
Au final, lorsque la situation est maitrisée, elle suscite moins de craintes et les participants reprennent
confiance en leurs moyens. Ils rapportent voir plus facilement comment composer avec leurs
problèmes et recourir davantage à la résolution de problème plutôt qu’à l’évitement. En d’autres
mots, lorsque les participants trouvent une façon satisfaisante de s’adapter à une situation,
l’évitement ne s’avère plus nécessaire.
Conscience et acceptation des émotions : quels liens ? Il ressort des propos des participants
l’existence d’un lien circulaire entre la conscience et l’acceptation des émotions. Pour prendre
conscience de ses émotions, il faut accepter de prendre le temps et le risque de les ressentir. En
acceptant cela, l’attention peut alors se porter sur les émotions ce qui en augmente la conscience. Se
centrer sur ses émotions donne souvent l’impression d’en augmenter l’intensité ce qui, dans les faits,
pourrait n’être qu’une augmentation de la conscience d’une intensité « mise dans un tiroir »
(Francesco). Pour rester à l’écoute de cette intensité, il importe encore de l’accepter. La non
acceptation de cette intensité s'accompagne de la répression des émotions. Dans le sens opposé,
l’acceptation-résignation et la centration continue sur les émotions accroissent le risque d'une
explosion incontrôlée. Les participants se sentaient souvent pris entre ces deux options. Durant leur
démarche de consultation, ils découvrent des options médianes (expression positive, activités
agréables, réinterprétation et soutien social) avec lesquelles ils apprennent à utiliser à bon escient les
201
effets de la centration et de l’acceptation. Selon les participants, l’utilisation de ces deux SRA joue un
rôle majeur pour sortir du cercle vicieux de la roue de gauche et s’adapter.
Si, chaque fois que t'es stressé, tu te dis : « non pas le droit, c'est interdit », ou que tu ne sais pas quoi faire
avec, tu l'enfouis pis un moment donné ça explose, pis tu ne te sens pas bien aussi. A c’t’heure tu vis du stress
bien c'é normal, t'es un être humain et t'as le droit de vivre des émotions. Tu te sens triste, mais ça va partir.
Vis là pis tu vas trouver une façon de la gérer selon la situation (Fancesco).
Je les accepte plus, je les ressens, je les comprends... Avant je les mettais plus de côté parce qu'il fallait juste
travailler pis tout ça. Faque depuis que j'ai eu quelques échecs plus difficiles à accepter, je me suis dit que les
émotions pour le travail, c'est correct, c'est une chose ; mais les émotions de l'individu, c'est plus
important (Navan).
D’ailleurs, les participants ayant le moins progressé (Luca, Komi et Éric) sont ceux qui maitrisent
moins bien la conscience et l’acceptation des émotions. Ces derniers optent encore davantage pour
des SRA non aidantes (répression, évitement, etc.) lorsque l’intensité émotionnelle augmente.
Comme l’explique Willy, la conscience et l’acceptation des émotions permettent de voir ces dernières
comme un atout ou une clef qui donne accès à des outils favorisant l’adaptation.
Si on revient à ton thème, les émotions, c'est autant les émotions non assumées créaient un mur entre moi et
l'extérieur ; plus j'arrivais à pénétrer, à comprendre ou à accepter ces émotions-là, plus le mur se défaisait. Pis
là, je commençais à voir dans le noir, tranquillement. Pis plus les émotions deviennent familières, acceptées,
comprises et souhaitées, d'une certaine façon, plus ça devient un atout plus qu'un handicap (Willy).
Ce faisant, la conscience et l’acceptation des émotions sont à la base du processus d’adaptation si on
se fie aux témoignages des participants.
Expression positive et activités agréables : quels liens ? L’expression positive des émotions et la
réalisation d’activités agréables ont eu deux effets bénéfiques aux yeux des participants. Le premier
effet est le soulagement par l’évacuation des tensions, c’est-à-dire du trop-plein d’émotions
négatives.
En consultation, je pleurais, pleurais, pleurais... pis un moment donné, faut que ça sorte pis ça fait du bien.
Mais autrement... c'était plus de l'exprimer, de mettre le doigt dessus pis d'ouvrir, c'était la première fois,
c'était intense (Éric).
202
Je vais jouer du tennis pour compenser, faire sortir le stress. J'ai trouvé cette façon-là comme une
soupape (Navan).
Selon les répondants, le second effet est la remontée du niveau d’énergie. En évacuant, moins
d’énergie est nécessaire pour porter le fardeau des tensions. Il y a aussi davantage d’espace, lequel
peut alors être rempli d’émotions positives : « Je me dis qu'il faut que j'aie du plaisir dans les sports parce
qu’après ça j'en ai plus au travail, ça m'aide » (Navan). Les tensions créent, en effet, une saturation qui
rend difficile l’approvisionnement en expériences positives. Comme le mentionne Marc, le positif
était là, mais il ne « le voyait plus ». Le fait d’évacuer les émotions négatives permet aux participants de
se décharger et de créer un espace pour des émotions positives.
Ça passe, ça fait son temps aussi... je suis en colère, je me sens triste, je m'occupe, j'essaie de faire de quoi qui
va me rendre heureux. J'aime beaucoup ça faire du vélo, souvent quand je suis en tabernacle, je m'en vais faire
du bicycle, je pars en bicycle (Francesco).
Ces deux SRA contribuent donc, selon les témoignages recueillis, à l’évacuation des tensions et au
réapprovisionnement, mais de manières différentes. L’expression positive participe surtout à la
création d’un espace intérieur par l’évacuation des tensions alors que la réalisation d’activités
agréables en plus de permettre l’évacuation favorise le réapprovisionnement.
Distraction, temps d’arrêt et centration sur le positif. On peut déduire des propos des
répondants que la distraction, le time-out et se centrer sur le positif sont trois SRA qui utilisent le
déplacement de l’attention comme moyen pour diminuer l’intensité des affects négatifs et susciter un
état affectif neutre ou positif. La distraction vise à détourner l’attention vers des pensées plus neutres
alors que la centration sur le positif se concentre sur des éléments positifs. Dans le temps d’arrêt, la
stratégie est différente. Le déplacement de l’attention s’effectue par le retrait physique de la situation.
En n’étant plus dans la situation, il est alors plus facile de tourner son attention vers des idées moins
négatives. Ces trois SRA ont donc un ennemi commun : les pensées négatives. Plusieurs participants
ont souligné que ces SRA les ont aidés à contrer la rumination et l’expression négative des émotions.
Par exemple, Navan explique comment la distraction lui permet de contrer la rumination : « Oui, arf
oui, pis des fois quand je viens fatigué, j'ai tendance à ruminer. Mais il faut que je m'adapte, me changer les idées
complètement pis essayer de me concentrer sur le positif » (Navan). Par contre, les propos des répondants
laissent croire que, si la distraction, le temps d’arrêt et la centration sur le positif ne sont pas
203
accompagnés d’autres SRA aidantes, elles sont peu efficaces et deviennent alors de l’évitement : « J'ai
toujours été un peu comme ça, faque c'était la solution facile, de le ruminer 5-10 minutes, d'être fâché tout seul dans
mon coin pis après ça de passer à autre chose. Beaucoup plus simple que d'affronter les problèmes tête première »
(Octavian). On pourrait voir ces SRA comme un disjoncteur qui prévient un court-circuit. Après
coup, il faut remettre le courant pour que le réseau fonctionne. En d’autres mots, il faut affronter la
situation-problème pour y trouver une autre issue que la fuite, l’implosion ou l’explosion.
Synthèse. Cette section a permis d’exposer des interactions entre six groupes de SRA
particulièrement significatives pour les participants. Considérées de la sorte, les SRA n’apparaissent
plus isolées les unes des autres, mais en continuelles interactions. Selon la combinaison de SRA
utilisée, les impacts des unes et des autres en sont modifiés. Certaines SRA s’alimentent entre elles
(rumination et répression, par exemple), d’autres se contrent dans un sens (rumination ou
distraction) ou l’autre (distraction ou rumination). L’analyse de la dynamique des SRA est donc
primordiale pour en comprendre l’issu sur le processus de changement. Dans la section qui suit,
d’autres groupes de SRA seront analysés cette fois-ci à la lumière du processus de changement.
4.9.5 Rôle des SRA dans le processus de changement
Après avoir examiné en détail le rôle de chaque SRA et certaines dynamiques entre les SRA, il
importe maintenant d’en faire ressortir l’essence tout en s’appuyant sur le corpus de données. La
question ici est de modéliser le rôle des SRA dans le processus de changement. Pour ce faire, les
SRA ont été regroupées en six classes selon les fonctions qui les unissent aux différentes phases du
processus de changement. Le Tableau 17 montre les regroupements effectués et les phases
correspondantes du processus de changement. Notez que les deux premières classes se situent dans
la roue de gauche et impliquent une mésadaptation (voir Figure 9) alors que les classes trois à cinq
sont à l’intérieur de la roue de droite et favorisent l’adaptation. La dernière classe, qui est en lien avec
le réseau social, peut participer tant à l’adaptation qu’à la mésadaptation selon l’utilisation qui en est
faite. À la suite de ce tableau, chaque classe de SRA est décrite ainsi que les interconnexions entre les
classes qui sont envisagées de façon circulaire. La synthèse présente d’abord un tableau qui récapitule
les principaux éléments de chaque classe de SRA ainsi que leurs principaux avantages et
inconvénients. Ensuite, une modélisation de l’ensemble du processus de changement est exposée.
204
Tableau 17 : Regroupement des SRA en six classes selon leur rôle dans le processus des situations-problèmes et dans
le processus affectif
Rôles des SRA Principales SRA
utilisées
Processus affectif Processus des
situations-
problèmes
Rester en contrôle Répression, suppression,
évitement, consommation
et isolement
Mésadaptation
Tension
Mésadaptation
Impasse
Perdre le contrôle Rumination, suractivation
et expression négative
Crise
Crise
Se libérer Conscience, acceptation,
expression positive,
distraction et temps
d’arrêt
Libération
(Fragilité)
Prise de recul
S’alimenter Activités agréables,
s’occuper de ses besoins
et pensées positives
Espoir Espoir36
S’adapter Réinterprétation,
résolution de problème et
évaluation des SRA
Soubresauts
Stabilisation
(Vivification)
Embûches
Adaptation
S’appuyer Soutien social Soutien à toutes les
phases
Soutien à toutes les
phases
1. Rester en contrôle : répression, suppression, évitement, consommation et isolement
Phases : impasse, tension
Effet : régressif
36 Dans le processus des situations-problèmes, l’espoir est alimenté par la réinterprétation et les premiers succès des tentatives de résolution de problème. Dans le processus affectif, l’espoir est nourri tant par ces premiers succès que par les activités agréables réalisées, le fait de mieux s’occuper de ses besoins et d’adopter une vision positive de son expérience.
205
Rôles des SRA : À la lumière des témoignages, cet ensemble de SRA se caractérise par des efforts
importants pour rester en contrôle de soi. Le but est d’éviter d’exploser (peur d’avoir des gestes
violents), d’aggraver la situation-problème et d’accentuer les affects négatifs. Les participants
utilisant ces SRA cherchent à atténuer leur souffrance affective soit en esquivant les situations qui les
attisent, soit en évitant de tourner leur attention vers cette souffrance : « Plus j’y pense, plus c’est
souffrant » (Octavian). Ces efforts permettent, effectivement, d’atténuer la souffrance affective et de la
contenir. Ils ont l’impression de garder le contrôle de soi et cette valorisation peut servir de
motivation à tolérer cette souffrance. Cependant, les participants décrivent l’utilisation de ces SRA
comme un « patch » qui ne règle rien et les gruge lentement de l’intérieur. Ils constatent avoir ainsi
accumulé un paquet d’émotions qui sont de plus en plus lourdes à porter et à contenir. Tôt ou tard,
cela finit par les faire imploser (anxiété, dépression, etc.) ou exploser (violence). À ce moment-là, ils
constatent ne pas savoir comment mieux gérer leurs émotions et se perçoivent comme des
« handicapés » de la gestion des émotions. Qui plus est, en parallèle, la situation-problème tend à
suivre la même trajectoire régressive ou stagnante et négative. Après un certain temps en
consultation, les participants notent recourir beaucoup moins à ces SRA leur préférant celles plus
progressives.
2. Perdre le contrôle : rumination, suractivation et expression négative
Phases : crise, mésadaptation
Effet : régressif
Rôles des SRA : L’appellation de cette phase peut sembler curieuse, car il serait étonnant qu’on
puisse utiliser des SRA dans le but de perdre le contrôle. Or, il faut se rappeler que les buts et les
SRA ne sont pas toujours choisis consciemment. De fait, lorsque les participants ruminent, se
suractivent et expriment négativement leurs émotions, ils ne sont plus en contrôle ni de leurs
émotions ni de la situation. Cependant, ils refusent de l’admettre et de baisser les bras. L’enjeu pour
eux est de protéger l’ego d’un échec, d’un rêve brisé et de l’impuissance à réparer les pots cassés :
« La tristesse, en fait c'est plutôt l'orgueil qui est touché. C'est l'orgueil qui fait en sorte, l'estime de soi là, aucun
sentiment d'accomplissement, tu ne sers à rien. Tu n'es pas intelligent, tu n'es rien » (Paul). Tant qu’ils essaient, ils
peuvent espérer ne pas tout perdre et réussir à sauver quelques meubles. Tant qu’ils s’activent, ils ne
s’avouent pas vaincus et préservent un espoir. Paradoxalement, l’utilisation de ces SRA marque une
perte de contrôle général (situations, émotions, pensées et façon de les exprimer). Elle se manifeste
par des tentatives effrénées et inefficaces de reprendre le contrôle. Ces tentatives ont souvent été
206
effectuées jusqu’à épuisement par les participants, ce qui correspond à la phase de crise : « J'ai fait un
blackout total là. Du jour au lendemain, tu ne vois plus clair, c'est noir […] Fatigué, plus rien, plus de son, plus
d'image » (Paul). L’image du capitaine qui coule avec le bateau ou se sauve à la dernière seconde
s’applique ici. Au fil de leur évolution, les participants notent que l’apparition de ces SRA devient un
signal de débordement, qu’ils ont dépassé leurs limites. Ils apprennent à reconnaitre les signaux
avant-coureurs de ces débordements et à agir rapidement pour les prévenir ou, à défaut, contrer la
rumination, la suractivation et l’expression négative. Des crises peuvent encore survenir, mais ils
sont plus conscients des mécanismes qui les provoquent et les accentuent. Ils utilisent leurs
nouveaux « outils » pour prévenir et maitriser ces crises.
3. Se libérer : conscience, acceptation, expression positive, distraction et temps d’arrêt
Phases : libération, prise de recul
Effet : progressif
Rôles des SRA : Le rôle de ces SRA est de provoquer une libération des tensions et de permettre une
prise de recul. Toutefois, la libération des tensions exige souvent de passer au travers d’émotions
pénibles. Les participants décrivent cette période comme très intense et exigeante, mais, au final,
libératrice.
En consultation, je pleurais, pleurais, pleurais... pis un moment donné, faut que ça sorte pis ça fait du bien.
Mais autrement... c'était plus de l'exprimer, de mettre le doigt dessus pis d'ouvrir. C'était la première fois,
c'était intense (Éric).
À la longue, la diminution des émotions négatives rend possible la prise de recul, laquelle est
essentielle à la réinterprétation et à la résolution de problème. Pour les participants, cette phase est
aussi l’occasion d’apprivoiser leurs émotions, ces « bibittes » (Martial), et d’en faire un allié plutôt
qu’une menace. Ce faisant, ils découvrent une partie d’eux-mêmes longtemps ignorée et réprimée,
partie qu’ils apprennent à accepter.
Bien je me sens mieux, forcément! Un être humain plus complet, moins handicapé, parce que c'est un
handicap. Rétrospectivement, je le vois que c'était un handicap, bien évidemment. C'est parfaitement con,
débile! Tous synonymes qui ressemblent à ces qualités-là! Je me revois encore, dans certaines situations,
incapable d'exprimer mes émotions et me mettre à bouder. Mais, c'est-tu particulièrement débile ! Jamais plus
je ne ferai ça (Sam).
207
Parmi les inconvénients de cette phase, il y a la non résolution de la situation-problème, la priorité
étant davantage sur l’apaisement de la souffrance. Cette phase implique aussi la reconnaissance des
pertes, de l’impuissance et des deuils à faire. Si d’un côté, il y a un soulagement émotionnel, de
l’autre, l’avenir incertain peut être une source d’anxiété. En effet, à l’issue de cette phase, il reste
encore beaucoup à faire pour trouver une façon de s’adapter à la situation-problème.
4. S’alimenter : activités agréables, s’occuper de ses besoins et pensées positives
Phase : espoir
Effet : progressif
Rôles des SRA : Avant de repartir, il faut prendre des forces. Se libérer des tensions est épuisant
d’autant plus que les phases précédentes avaient quasi épuisé les énergies restantes. Toutefois, il est
plus aisé de refaire ses énergies avec ce poids en moins à trainer. Il faut ajouter que pendant les
phases précédentes, les participants ont plutôt négligé ces SRA capables de les énergiser. D’un côté,
ils rapportent avoir brûlé beaucoup d’énergie à rester en contrôle, ou à le perdre, alors que de l’autre
côté, bien peu était accompli pour reprendre des forces ou encore cela devenait de plus en plus
difficile (comme bien dormir, bien manger, contrôler l’anxiété, etc.). À ce stade-ci de leur
cheminement, les participants ont utilisé des SRA (réalisation d’activités agréables, s’occuper de ses
besoins et pensées positives) pour remonter leur niveau d’énergie. Cela a eu pour effet d’augmenter
leur résistance et de diminuer leur vulnérabilité aux soubresauts et aux embûches.
Pis si c'est une émotion comme la colère qui est négative, tu dis que ça ne durera pas longtemps, tu respires pis
ça va passer. Mais si tu l'entretiens, pis que tu dis que tu es en colère après quelqu’un pis que tu penses à ça
pendant deux jours, là, bien t'as une énergie qui te détruit alors que dans le positif, c'est l'inverse. Je n'avais
jamais pensé à ça qu'une émotion c'était de l'énergie. Ça rend malade (Willy).
Se réalimenter a donc été essentiel à la poursuite de leur cheminement. Le principal danger lors de
cette phase est la suractivation, ce qui conduit à s’épuiser, même s’il s’agit d’activités agréables.
5. S’adapter : réinterprétation, résolution de problème et évaluation des SRA
Phases : soubresauts/embûches, stabilisation/adaptation
Effet : progressif avec risques de régression
Rôles des SRA : Libérés d’un poids qui les paralysait (se libérer) et ayant repris des forces
(s’alimenter), les participants rendus à ce stade sont prêts à affronter de nouveau la situation-
208
problème. Ils ont aussi été en mesure de prendre un recul, condition préalable à la réinterprétation,
la résolution de problème et l’évaluation des SRA. Le rôle principal de ces trois SRA est d’engager
un processus aboutissant à l’adaptation à la situation-problème et la stabilisation de l’état affectif.
Plus précisément, ces SRA permettent de réévaluer la situation-problème, la stratégie pour y faire
face, d’avoir des objectifs plus réalistes et de choisir des moyens plus efficaces pour les atteindre.
Dans cet extrait, Paul évalue l’évolution de son utilisation des SRA :
Dans mes choix, on dirait que dernièrement j'ai eu des épreuves, ok. Je suis en train de réaliser que lorsque
j'ai reçu ma lettre pour que je retourne travailler le 1er janvier, j'avais trois solutions: fuir, me droguer ou me
suicider. Pis c'est drôle, je suis en train de prendre conscience avec toi que lorsque j'ai reçu ma lettre, je n'ai eu
aucune de ces trois émotions-là qui est survenu pis je me suis dit voici comment je vais m'y prendre pour y faire
face: les avocats! Mais spontanément, immédiatement ou la minute que j'ai une mauvaise épreuve, paf, ce sont
ces trois-là qui pop-up (fuir, alcool ou suicide), mais pas cette fois-là. J'ai un bout de fait (Paul).
La partie n’est cependant pas gagnée d’avance : à ce stade, les participants rapportent ne pas toujours
savoir comment résoudre la situation-problème qu’ils affrontent. Celle-ci ne se gêne d’ailleurs pas
pour leur rappeler en posant des embûches sur leur chemin (comme une nouvelle demande de l’ex-
conjointe, un nouveau conflit avec l’employeur, etc.). Des soubresauts d’émotions négatives ou de
contre-émotions refont encore surface de temps à autre montrant que le processus affectif n’est pas
complété. Toutefois, les outils acquis au cours des phases précédentes en permettent une régulation
plus efficace.
Tandis que là, avec les outils que j'ai, bon bien, c'est mieux. Ça se fait plus rapidement, pis c'est moins
intense aussi. Quand je te disais que je vivais des hauts très très hauts pis des bas très très bas, bien là, au
lieu de faire en dent-de-scie, ça reste un peu plus stable. Pas pour dire que je ne ressens pas ce que je vis, au
contraire, mais c'est moins désagréable (Octavian).
Il appert donc que, pour poursuivre la progression dans le processus de changement, les SRA
aidantes des deux phases précédentes doivent encore être utilisées selon le besoin. Qui plus est, les
participants rapportent qu’ils doivent éviter de répéter les solutions infructueuses qui les ont plongés
dans une impasse puis une crise. Ce n’est pas si facile à faire puisque tous les participants disent être
tombés au moins une fois dans ce piège et la plupart plusieurs fois. La construction d’une alternative
viable est un labeur exigeant et qui demande du temps. Selon leurs propos, le soutien des proches et
la consultation d’un intervenant professionnel sont des atouts précieux pour accomplir ce labeur.
209
6. S’appuyer : soutien social
Phases : SRA transversale
Effet : progressif
Rôle du soutien social : Selon les répondants, le soutien social joue un rôle particulier dans
l’évolution de la dynamique entre les SRA. D’un côté, il refrène l’utilisation de SRA non aidantes, de
l’autre, il suscite le recourt aux SRA aidantes. Pour imager, le soutien social aide à alléger le poids des
stratégies non aidantes et à alourdir celui des stratégies aidantes ce qui, à la longue, fait pencher la
balance du côté de la progression.
Faque eux-autres... ils m'ont aidé à me décharger. Je leur ai dit un moment donné que je leur envoie des
courriels et quand vous voyez "météo" dans l'objet du courriel, sachez que vous n'êtes pas obligé de me
répondre, mais que moi je vis un moment de crise, je fais de l'anxiété totale, de l'insomnie. Faque là, je me
vide pis juste de savoir que je peux contacter des gens, ça m'apaise (Marc).
Comment le soutien social en vient-il à être bénéfique selon les participants rencontrés ? Il doit
d’abord s’inscrire dans une relation de confiance. Du point de vue des répondants, l’aidant apporte
alors écoute, encouragements et conseils favorisant particulièrement l’expression des émotions, la
réinterprétation, l’accent sur le positif et la résolution de problème. Ces moyens de l’aidant
permettent également de contrer la rumination, la répression des émotions et l’isolement. L’aidé doit
par la suite lui-même refréner ses stratégies non aidantes. Au bout d’un certain temps, il se sent de
plus en plus capable de les refréner et de recourir à des SRA aidantes. Les affects négatifs alimentés
par les SRA non aidantes prennent alors moins de place, ce qui en laisse davantage pour des affects
positifs.
Quand on analyse les propos des répondants, on observe que, le plus souvent, c’est l’absence de
soutien social qui coïncide avec une situation-problème et un état affectif régressif ou stagnant.
Rappelons que des difficultés relationnelles sont présentes dans toutes les situations-problèmes des
participants rencontrés et donc que certaines relations sont elles-mêmes la cible des problèmes à
résoudre. Dans d’autres cas, le dialogue prend la forme d’une co-rumination ou d’une rumination à
haute voix, ce qui n’est pas aidant et est agaçant pour les proches.
I: Pis tu n'avais personne à qui en parler à ce moment-là ?
210
Navan: Je ne voulais pas en parler parce que ma femme était écœurée d'entendre parler de ça pis je fermais
ma gueule.
I: Elle entendait juste du chialage ?
Navan: Oui, c'était juste du négatif.
I: La rumination à haute voix.
Navan: Oui, ça fait 28 ans qu'elle entend parler de mon travail. C'é pour ça que j'ai compris certaines
choses parce que je ne voulais pas la perdre.
À la suite de cette prise de conscience, Navan a consulté et participé à un groupe d’entraide afin de
ventiler ses émotions. Selon lui, sa conjointe a pu ainsi demeurer une source d’aide importante, mais
davantage instrumentale qu’émotionnelle.
Synthèse du rôle des SRA
Le Tableau 18 présente une synthèse des principaux rôles joués par les différentes classes de SRA en
soulignant leurs avantages et leurs inconvénients. En considérant l’ensemble de ce tableau, il ressort
que les SRÉ non aidantes sont utilisées par l’individu pour tenter de « se protéger » d’une situation
perçue comme menaçante pour le bien-être personnel. De plus, le contrôle des émotions négatives
vise à en diminuer l’intensité, voire à les neutraliser. Cette stratégie peut être bénéfique à court terme
en permettant d’absorber le choc émotionnel. Par contre, à moyen et à long terme, les SRA non
aidantes contribuent à la dégradation de la situation-problème et de l’état affectif général. Qui plus
est, en se combinant, elles ont un effet plus dévastateur qui tend à freiner, voire à bloquer, l’accès
aux SRA progressives. Inversement, les SRA aidantes impliquent l’ouverture aux émotions et à la
situation-problème. Cette ouverture combinée à l’acceptation facilite la ventilation des émotions par
leur expression positive ou par la réalisation d’activités agréables. L’apaisement de l’état affectif aide
à prendre un recul et à mieux comprendre le vécu (par la réinterprétation, notamment). Il est alors
plus aisé d’identifier des solutions alternatives permettant de s’extirper du cercle vicieux de la
répétition des solutions infructueuses (résolution de problème inefficace). À ce titre, la capacité à
évaluer sa façon de réguler ses affects joue un rôle majeur dans l’effort de réduire les SRA non
aidantes et d’accroitre l’utilisation de SRA aidantes. L’évaluation des SRA favorise la conscience des
avantages et des inconvénients des SRA employées et, au final, aide à faire des choix en fonction des
buts visés. De même, le soutien social peut appuyer de façon importante cet effort tout en étant lui-
même rendu possible grâce à l’ouverture et l’acceptation. Au final, les SRA aidantes, en favorisant la
211
libération des tensions émotionnelles, favorisent l’adaptation : « Vis là pis tu vas trouver une façon de la
gérer selon la situation » (Francesco). Ce faisant, en se combinant, les SRA aidantes facilitent la
progression du processus affectif et du processus de changement de la situation-problème. Pour
imager, on pourrait comparer les SRA non aidantes à une lutte acharner et épuisante contre le
courant alors que les SRA aidantes profitent de la force du courant pour avancer en économisant les
efforts et en se concentrant à diriger le bateau pour contourner les obstacles.
Tableau 18 : Principaux rôles des SRA : avantages et inconvénients des SRA
Rôles des SRA SRA Inconvénients Avantages
1. Rester en contrôle Répression, suppression,
évitement,
consommation et
isolement
Accumulation
d’émotions négatives,
Augmentation des
tensions,
Maintien la situation-
problème dans une
impasse,
Procure un
sentiment de
contrôle de soi,
Atténue
temporairement la
souffrance
émotionnelle,
Évite à court terme
l’aggravation de la
situation-problème,
2. Perdre le contrôle Rumination,
suractivation et
expression négative
Crise émotionnelle et
affective,
Épuisement,
Problèmes liés à la
violence envers soi et
autrui,
Protection de l’ego,
Préservation de
l’espoir,
Être mis au pied du
mur,
3. Se libérer Conscience,
acceptation,
expression positive,
distraction et temps
d’arrêt
Augmentation
temporaire de
l’intensité des
émotions négatives,
Non résolution du
problème,
Libération des
émotions négatives,
Diminution
importante des
tensions,
Capacité de prendre
212
Rôles des SRA SRA Inconvénients Avantages
Prise de conscience
des pertes et des
deuils,
un recul avec la
souffrance,
Acceptation et
redécouverte d’une
partie de soi,
Apprivoiser ses
affects,
4. S’alimenter Activités agréables,
s’occuper de ses
besoins et pensées
positives
Possibilité de
suractivation,
Augmenter son
niveau d’énergie,
Accroitre sa
résistance aux
embûches et aux
soubresauts,
5. S’adapter Réinterprétation,
résolution de
problème et
évaluation des SRA
Risque d’être freiné
ou bloqué par des
embûches et de
retomber dans une
impasse,
Risque de revivre des
tensions voire une
crise si les
soubresauts sont mal
gérés,
S’adapter à la
situation-problème,
Stabiliser
positivement l’état
affectif,
Prévenir les
rechutes,
6. S’appuyer Soutien social L’isolement bloque
l’accès au soutien
social,
L’absence de
confident limite
l’accès au soutien
social,
Contrer l’emprise et
diminuer les effets
négatifs des SRA
non aidantes,
Favoriser le choix
de SRA adaptées,
Faciliter la transition
213
Rôles des SRA SRA Inconvénients Avantages
La co-rumination, les
mauvais conseils et
les réactions
négatives de
l’entourage n’aident
pas.
vers les SRA
aidantes,
Optimiser
l’efficacité des SRA
aidantes.
Schématisation du rôle des SRA dans le processus de changement
À la suite des deux schémas représentant la trajectoire du processus des situations-problèmes (Figure
5) et celui illustrant la trajectoire du processus affectif (Figure 7), un troisième schéma (Figure 9) est
présenté afin de mieux articuler le rôle des SRA en lien avec les deux processus déjà présentés. Dans
le premier schéma, les SRA aidantes et les affects positifs sont situées à l’intérieur du cercle droit
alors que les SRA non aidantes et les affects négatifs sont dans le cercle gauche. Les phases du
processus des situations-problèmes apparaissent autour. On en comprend que les SRA non aidantes
alimentent les affects négatifs et la répétition des cycles dans la roue de gauche ainsi que la rechute
vers celui-ci (lorsque les embûches sont gérées de façon dominante avec des SRA non aidantes). Le
second schéma modélise les liens entre les phases du processus affectif. L’interprétation de ce
schéma est semblable au précédent puisque les phases et leurs liens se ressemblent. La différence
principale est qu’on y suit la trajectoire du vécu affectif. Dans ces deux schémas, la situation à
l’origine de la tourmente est située à l’intérieur du cercle gauche, ce qui peut laisser sous-entendre
que la situation est d’abord nécessairement mal gérée. Il faut se rappeler que ces schémas sont basés
sur l’analyse des témoignages des participants qui ont été invités à raconter les situations qui ont été
des problèmes importants dans leur vie. De ce point de vue, cette schématisation représente bien
leur témoignage. Par contre, elle ne rend pas compte de la possibilité qu’une situation puisse, dès le
départ, être gérée par des SRA aidantes. C’est pourquoi le troisième schéma s’avère pertinent. Ce
dernier situe en haut la situation qui peut être gérée tant par des SRA aidantes que non aidantes.
Selon la dynamique des SRA utilisées, cela va tantôt activer le cercle gauche, tantôt le cercle droit
avec toutes les conséquences maintenant connues sur l’état affectif et la situation-problème. Les
principales phases du processus des situations-problèmes et du processus affectif sont
214
reconnaissables dans chaque cercle et doivent être lues à partir de la synthèse présentée aux tableaux
18 et 19.
Au final, on peut comparer à une balance l’effet de la dynamique des SRA sur le processus de
changement (voir Figure 10). Lorsque les SRA négatives font pencher la balance à gauche, il y a
régression de la situation-problème et de l’état affectif. À l’inverse, lorsque la balance penche à
droite, il y a progression. Si la balance oscille légèrement entre la gauche et la droite, c’est qu’il y a un
équilibre dynamique. Enfin, le soutien social et la consultation pèsent sur l’ensemble de la
dynamique des SRA. Il importe de retenir que ce n’est pas une SRA en particulier qui fait pencher la
balance d’un côté ou de l’autre, mais la dynamique des SRA, laquelle peut être stagnante, régressive
ou progressive à divers degrés. De plus, la dynamique des SRA change au fil du temps ce qui permet
de comprendre les différentes trajectoires empruntées par les participants.
Figure 10. L'effet de la dynamique des SRA sur la direction du changement
SRA ─
Prise de recul
Libération
SRA +
Espoir
Mésadaptation
Impasse
Tension
Crise
SITUATION
Embûches
Soubresauts
Adaptation
Stabilisation
Affects ─ Affects +
Figure 9. Trajectoire du processus de changement
Régression
─
Progression +
215
4.9.6 Hypothèses concernant le rôle des SRA dans la trajectoire empruntée par les
participants
En somme, les participants disent avoir emprunté des trajectoires variées et complexes dans leur
processus de changement (voir sections interprétation pour les situations-problèmes et celle pour les
affects). Cette trajectoire s’est étirée sur quelques mois à plusieurs années, a connu plusieurs cycles
dans la roue gauche avant de transiter lentement vers la roue droite avec, encore là, plusieurs retours
dans la roue de gauche. La schématisation de cette trajectoire a permis de retracer le parcours des
participants et la phase à laquelle ils se situaient au moment des entrevues. Il a été souligné que la
plupart des participants ont progressé, mais que les progrès accomplis sont plus précaires pour
certains et plus solides pour d’autres. Un seul participant est demeuré dans la roue de gauche tant sur
le plan des affects que des situations-problèmes. Aux yeux des participants, il est clair que les SRA
utilisées jouent un rôle majeur tant dans la régression, la stagnation que la progression des
situations-problèmes auxquelles ils sont confrontés et de l’état affectif dans lequel ils se retrouvent.
En d’autres mots, cela signifie que les SRA utilisées ont des relations circulaires avec la situation-
problème et l’état affectif : lorsque les participants utilisent des SRA non aidantes de manière
fréquente et pendant une certaine période de temps37, leur situation-problème et leur état affectif se
détériorent; lorsque les participants utilisent des SRA aidantes et minimisent le recours aux SRA non
aidantes, leur situation-problème et leur état affectif s’améliorent. Il n’existe pas de réel état de
stagnation, c’est-à-dire d’immobilisme, mais plutôt une régression lente ou une progression lente
selon la combinaison des SRA utilisées.
Toutefois, on peut se demander si ce sont les transformations dans la dynamique des SRA qui
modifient la trajectoire du processus de changement ou si ce n’est pas plutôt le contraire. Autrement
dit, n’est-ce pas plutôt la souffrance affective vécue (phases de tension et de crise) qui entraine la
transformation de la dynamique des SRA ? Ou encore, le fait de vivre des situations-problèmes
(phases d’impasse et de crise) qui contribue à l’accentuation de cette souffrance affective et aux
changements dans la dynamique des SRA ? Considérant les relations circulaires entre les situations-
problèmes, les affects et les SRA, on peut émettre, à partir des analyses effectuées, trois hypothèses
37 Si on se fie aux témoignages des participants, cette période serait relativement courte. Dès les premières semaines de l’utilisation des SRA non aidantes, les participants ont rétrospectivement perçu leurs effets négatifs.
216
en lien avec cette question. Une première hypothèse est que la régulation des affects, vue comme un
mécanisme de changement, joue un rôle clef dans la trajectoire de la situation-problème et de l’état
affectif. Cela implique que ce ne sont pas tant les événements ni comment ils affectent
émotionnellement les individus qui impriment une tendance progressive ou régressive.
Fondamentalement, ce sont les SRA employés par les individus qui dictent la direction et le rythme
du changement. Une seconde hypothèse est que les émotions négatives mal gérées compliquent le
recours aux SRA aidantes et, inversement, que leur maitrise facilite l’utilisation de SRA aidantes. Ce
phénomène peut expliquer pourquoi il est difficile et qu’il faille un certain temps pour passer d’une
trajectoire régressive à une trajectoire progressive. Les affects négatifs prennent un certain temps à
s’apaiser et il est plus difficile, à ce moment, de refréner les SRA non aidantes et d’utiliser davantage
celles qui sont aidantes. Pour les participants à cette étude, ce sont la consultation, le soutien des
proches ou d’un groupe d’entraide qui a facilité la transition vers des SRA aidantes. Seuls, selon leurs
propos, ils n’y arrivaient pas ou, du moins, cela aurait été beaucoup plus long. Une troisième
hypothèse s’impose à propos des liens entre les SRA et la situation-problème. Rappelons que
plusieurs SRA (résolution de problème, évitement, réinterprétation, etc.) ne visent pas directement
les affects, mais plutôt la situation qui les génère. Ces stratégies jouent un rôle important dans
l’adaptation qui ne saurait se réduire à la régulation des affects par des actions qui les ciblent elles-
mêmes. De ce point de vue, les stratégies qui permettent de relativiser (réinterprétation), de prendre
un recul (temps d’arrêt, distraction, activités agréables), de réfléchir aux solutions, de prendre des
décisions et de résoudre certains aspects de la situation-problème (résolution de problème)
favorisent tant l’amélioration de la situation-problème que de l’état affectif. En d’autres mots, non
seulement il importe de bien gérer les affects, mais également la situation-problème elle-même.
Ainsi, la régulation des affects doit agir autant sur les affects que sur la situation-problème pour
favoriser la progression ou l’adaptation si l’on considère l’expérience des participants à cette étude.
4.10 Processus de changement : discussion
4.10.1 Le rôle des SRA dans le processus de changement
Cette dernière idée rejoint celle de plusieurs chercheurs qui estiment que les stratégies orientées vers
le problème et celles orientées vers les émotions sont interdépendantes (Bêty, 2012; J. J. Gross,
2015a, 2015b; Lazarus, 1991, 1993; Shin et al., 2014). Par exemple, le modèle de J. J. Gross (1998b,
2015a, 2015b) postule que certaines SRÉ prennent place avant l’activation émotionnelle alors que
d’autres prennent place après. Les premières visent davantage l’adaptation à une situation
217
potentiellement génératrice d’émotions alors que la seconde vise à gérer les émotions déclenchées.
Lorsque les premières SRÉ n’ont pas réussi à gérer la situation-problème et que des émotions
négatives en découlent, les deuxièmes SRÉ s’activent pour réguler les émotions en question. Dès que
les émotions ont retrouvé un seuil optimal, les premières SRÉ peuvent alors se réactiver ou être
utilisées plus efficacement. Les deux types de SRÉ peuvent s’activer successivement ou
simultanément si bien qu’il devient difficile de les distinguer. Ce modèle est circulaire et prévoit que
la modulation des émotions facilite l’adaptation à la situation-problème vécue et vice versa. Ces idées
ont été largement incluses dans le modèle de Linehan et al. (2007) qui, de plus, souligne l’importance
de diminuer la vulnérabilité émotionnelle pour faciliter la régulation des émotions. Dans cette
optique, on peut penser que les participants à la présente étude présentaient une vulnérabilité
émotionnelle élevée au moment de la crise, car ils accumulaient des tensions depuis des mois et
souvent des années. Leur vulnérabilité émotionnelle peut ainsi expliquer pourquoi ils étaient
incapables d’affronter la situation-problème et de gérer les émotions en découlant. À l’inverse, en
diminuant cette vulnérabilité, les participants remarquent avoir utilisé davantage de SRA aidantes.
Pour en donner un exemple, on peut penser, à l’instar de Frederickson (2001), que le fait de
s’alimenter en émotions positives accroit la flexibilité et l’efficacité de la résolution de problème.
Selon cette auteure, les individus qui éprouvent des émotions positives sont portés à mieux exploiter
leurs ressources adaptatives. Cette idée s’accorde avec la théorisation du rôle des SRA proposée dans
cette thèse qui suggère qu’à la suite de la libération émotionnelle, l’individu a besoin de s’alimenter
en émotions positives, notamment, avant de pouvoir affronter et s’adapter à la situation-problème.
Sur le plan clinique, plusieurs études montrent le rôle central des SRÉ dans le processus de
changement (Aldao et al., 2014; Bell et D'Zurilla, 2009; Berking et al., 2013; Berking et al., 2011;
Berking et al., 2008; Cloitre et al., 2004; Cuijpers et al., 2007; Fehlinger et al., 2013; Geschwind et al.,
2011; Goldin et al., 2014; Gordon, 2007; Gratz et Tull, 2010; Malouff et al., 2007; Missirlian, 2012;
Neacsiu et al., 2010; Reber et al., 2012; P. Turcotte, 2002; Wallach, 2015; Watkins et al., 2011; Watkins
et al., 2012; J. C. Watson et al., 2007; J. C. Watson et al., 2011). Ces études indiquent, en effet, que
l’augmentation des habiletés de RÉ favorise l’adaptation. L’amélioration de l’aptitude à réguler les
émotions est vue comme nécessaire à l’adaptation et la diminution des symptômes cliniques. Ces
conclusions abondent dans le même sens que nos deux premières hypothèses sur le rôle des SRA. Il
semble, en effet, que les participants ont pu s’adapter aux situations-problèmes auxquelles ils étaient
confrontés qu’à partir du moment qu’ils ont commencé à gérer efficacement leurs émotions
218
négatives. Par exemple, lorsque les participants employaient fréquemment la rumination, leur état
affectif se dégradait. Dans le même sens, l’étude de R. C. Martin et Dahlen (2005) a montré combien
l’utilisation régulière de la rumination alimente la colère et la violence envers autrui tout en réduisant
la réinterprétation. Sur le plan théorique, cela appuie l’idée voulant que la non maitrise des émotions
court-circuite le processus affectif dont l’intégration est vue comme nécessaire à l’adaptation
(Garneau et Larivey, 1979; Greenberg, 2004; Kelley, 2004).
Par ailleurs, les témoignages des participants suggèrent l’importance de s’attarder à la dynamique des
SRA. Certaines dynamiques comportent que des SRA régressives qui s’alimentent entre elles;
d’autres dynamiques incluent des SRA stagnantes interagissant avec des SRA régressives; les SRA
non aidantes peuvent également interagir de différentes façons avec les SRA aidantes; enfin,
certaines interactions entre les SRA aidantes ont été repérées. Dans cet esprit, l’étude de Heiy (2010)
a trouvé que les individus emploient en moyenne sept SRÉ par événement stressant. Cette étude
indique également que l’utilisation d’une seule SRÉ aidante favorise l’adaptation même si des SRÉ
non aidantes sont utilisées en parallèle. À cet égard, les données de la présente thèse incitent à plus
de nuances en ce sens que certaines SRA régressives, comme la rumination, peuvent également
bloquer ou freiner le recourt aux SRA progressives. L’effet des dynamiques entre les SRA pourrait
aussi fluctuer selon le contexte, l’évaluation du stresseur et les affects éprouvés (Nolen-Hoeksema,
2012).
4.10.2 Hommes, SRÉ et processus de changement
Les treize hommes qui ont participé à cette recherche partageaient, avant la consultation, plusieurs
traits avec la masculinité orthodoxe dans leur façon de réguler leurs émotions. La plupart de ces
hommes étaient peu familiers avec les émotions et peu habiles à les gérer. Certaines recherches
montrent que l’alexithymie est davantage présente chez les hommes en général et particulièrement
chez ceux qui adhèrent à une vision orthodoxe de la masculinité (Levant et al., 2006; Levant,
Richmond, et al., 2003; O'Neil, 2008). Cela peut expliquer d’ailleurs pourquoi la situation-problème
et l’état affectif des participants se sont autant dégradés. En ce sens, des études ont observé que les
hommes qui consultent sont souvent en crise (Dulac, 1997, 1999; Tremblay et al., 2005; Tremblay et
Déry, 2010). Certaines des SRA utilisées par les participants avant la consultation sont typiques de la
masculinité orthodoxe, soit l’isolement (Houle et Guillou-Ouellette, 2012; Oliffe et al., 2010; P. Roy,
2014), la suppression expressive (Christophe et al., 2009; Flynn et al., 2009; O'Neil, 2008;
219
Zimmermann et Iwanski, 2014) et la consommation d’alcool (Nolen-Hoeksema, 2012). Une surprise
est l’importance que prend la rumination dans le portrait global des SRA utilisées par les participants.
Rappelons que la rumination est davantage utilisée par les femmes selon certaines études (Johnson et
Whisman, 2013; Lyubomirsky et al., 2015) ce qui a pu amener à négliger le rôle de cette dernière dans
les difficultés de RÉ et d’adaptation des hommes. Les données de la présente étude incitent à
s’intéresser de plus près à la rumination chez les hommes et à examiner les interactions qu’elle
entretient avec la suppression des émotions et la consommation d’alcool, notamment. Sur une note
plus positive, les participants ont mentionné combien le fait de s’ouvrir aux émotions (acceptation et
conscience) et de les exprimer les a aidés à s’adapter. Pour la plupart, c’est en consultation qu’ils ont
appris à se connecter à leurs émotions et à les exprimer positivement. Dans le même sens, d’autres
études ont trouvé que la consultation favorise chez les hommes la redécouverte des émotions et
l’apprentissage de leur régulation, ce qui influe positivement sur le processus de changement (Bizot,
2011; Dulac, 1997, 1999; Lindsay et al., 2006; Nahon et Lander, 2010; Ogrodniczuk et al., 2001; P.
Turcotte, 2002). Comme le fait remarquer P. Turcotte (2002), la consultation amorce un processus
de « réhumanisation » qui permet de reprendre contact avec cette partie de soi et de l’intégrer.
Enfin, compte tenu de la transformation relativement rapide de la dynamique des SRA, on peut
s’interroger sur l’emprise réelle du genre sur la sélection et l’utilisation des SRA. Une hypothèse pour
expliquer ce phénomène est que la consultation est évaluée comme étant non genrée par la plupart
des participants, ce qui laisse place à l’exploration de SRA non conformes aux attentes sociales par
rapport à la masculinité orthodoxe. Cette exploration, suivie de diverses expérimentations,
permettrait peu à peu de construire une vision de l’utilisation de ces SRA qui n’entrent pas en
contradiction, voire dépasse, le modèle de masculinité orthodoxe tel qu’il est perçu par les
participants. Cette idée n’est pas complètement étrangère à ce que proposent Connell et
Messerschmidt (2005), Genest‐Dufault (2013), Oliffe et al. (2010) ainsi que Wong et al. (2006). Par
exemple, Oliffe et al. (2010) ont interviewé 38 hommes pour tenter de comprendre le rôle du genre
dans leur façon de s’adapter. Selon les témoignages recueillis, les auteurs estiment que les hommes
qui se sont le mieux adaptés sont ceux qui ont été capables de concilier leur vision de la masculinité
avec leur façon de s’adapter alors que ceux qui ne se sont pas adaptés ont été incapables d’effectuer
cette conciliation. Utilisant un devis quantitatif, Wong et al. (2006) ont examiné l’influence du
contexte social sur la façon de réguler les émotions chez les hommes (n = 222). Le résultat le plus
significatif montre que lorsque les hommes perçoivent comme inapproprié d’exprimer une émotion
220
dans un contexte donné, perçu comme non conforme aux normes de genre, ils ne l’expriment pas.
Cela supporte, selon les auteurs, l’hypothèse selon laquelle la restriction émotionnelle chez les
hommes s’explique mieux par leurs attitudes face aux émotions dans un contexte donné que par leur
capacité à sentir, nommer et exprimer les émotions. Bref, si une certaine vision de la masculinité
orthodoxe peut être associée fortement à l’alexithymie ainsi qu’à d’autres SRA non aidantes chez
certains hommes, chez plusieurs autres, ce lien est plutôt faible et circonstanciel. Selon le contexte,
ces derniers n’adopteront pas la même attitude et les mêmes SRA démontrant une flexibilité dans
leur style adaptatif comme l’a également remarqué Genest-Dufault (2013).
221
CONCLUSION
Cette dernière section vise à mettre en lumière les principaux éléments abordés dans cette thèse. La
première partie résume les résultats. La seconde partie rappelle les principales limites de cette étude.
La troisième partie traite de la pertinence des principales théories ayant servi de référence à cette
thèse. La quatrième partie met en évidence les principaux apports de cette thèse aux connaissances
actuelles. La cinquième partie expose certaines implications pour l’intervention. La sixième partie
réfléchit aux implications pour le service social personnel. Enfin, la septième partie explore quelques
retombées pour la recherche.
Résumé des résultats
Dans cette thèse, les résultats dans les changements d’état et leur processus (Le Moigne, 1994) ont
été présentés en trois sections. La première section a décrit les changements dans les situations-
problèmes. La deuxième section a fait état des transformations dans les affects. La troisième section
a abordé les modifications dans l’utilisation des SRA. Par la suite, ces résultats ont été interprétés de
façon à cerner les processus de changement propres à chacun. Trois processus ont été repérés, soit
le processus des situations-problèmes, le processus affectif et le processus de transition des SRA.
Cela a permis d’identifier les phases vécues par certains participants pour en arriver à passer de
situations-problèmes figées à des situations faisant moins problème ou ne faisant plus du tout
problème; d’un état affectif négatif et tendu à un état au sein duquel les affects négatifs diminuent en
fréquence et en intensité, voire deviennent positifs; de l’utilisation exclusive de SRA non aidantes à la
remontée et la domination de SRA aidantes. Les trajectoires suivies par les participants se
ressemblent sur certains points (les phases vécues, la répétition de cycles, les avancées et les reculs)
et se distinguent sur d’autres (la durée de chaque phase, la spécificité des situations-problèmes et du
vécu affectif). La dynamique des SRA comporte aussi plusieurs ressemblances dans ses grands traits
(utilisation de certaines SRA plus marquée lors de certaines phases, par exemple), mais la
combinaison des SRA et la manière de les utiliser est propre à chaque participant.
L’identification des changements et des phases du processus de changement ayant été réalisée, il
restait encore à cerner le mécanisme à l’œuvre dans la production des changements. C’est alors que
la dynamique des SRA est apparue comme un puissant moteur capable de faire avancer ou reculer,
d’accélérer ou de freiner et ainsi de modifier la trajectoire du processus de changement. Certaines
222
dynamiques des SRA ont été identifiées comme étant favorables à la progression des situations-
problèmes et de l’état affectif, alors que d’autres sont liés à leur régression ou à leur stagnation. Cette
thèse a aussi montré que la dynamique des SRA évolue et que, à ce titre, la consultation et le soutien
social peuvent être des apports importants. Ainsi, la consultation a été le point de départ de la
modification de la dynamique des SRA pour douze des treize participants rencontrés.
Principales limites
Ces résultats doivent être interprétés avec prudence et en tenant compte du caractère exploratoire de
la présente recherche. En effet, l’étude a porté sur un petit nombre de participants (13) et utilisé un
devis qualitatif. L’analyse des données a permis de saisir le sens du vécu des participants à la lumière
de leurs témoignages et de la compréhension que le chercheur a pu en avoir. D’autres interprétations
de ce vécu sont possibles en fonction des sensibilités propres à chaque chercheur. Il a été également
souligné que les participants à cette étude devaient répondre à certains critères (voir méthodologie)
et ont été interpelés par la publicité (voir annexe 1). Ce faisant, les participants qui ont manifesté leur
intérêt à participer à cette recherche présentaient peut-être un biais favorable envers les affects, leur
rôle dans le processus de changement et l’apport de la consultation. Les résultats n’ont ainsi pas pu
être contrastés à la lumière des témoignages d’hommes qui n’ont pas perçu la consultation comme
aidante, ou encore, qui n’ont pas discuté de leurs affects en consultation ou qui n’ont pas perçu
l’utilité de l’avoir fait. Enfin, un échantillon plus grand et plus diversifié (sexes, genres, groupes
ethniques, etc.) permettrait de voir si le modèle émergeant de cette thèse peut s’appliquer à des
individus présentant d’autres caractéristiques et, le cas échéant, de préciser ce modèle du processus
de changement.
Pertinence des repères théoriques
Plusieurs théories et modèles ont alimenté la réflexion de cette thèse. D’abord, le modèle de Linehan
et al. (2007) a fourni une base pour l’analyse du rôle des SRA dans le processus de changement. Ce
modèle a dû toutefois être complété (voir Tableau 12) afin de tenir compte des SRA régressives
mentionnées par les participants. Le premier pas en ce sens a été d’élaborer une nouvelle typologie
des SRA à partir de celle de Linehan et al. ainsi qu’à des résultats de la présente étude (voir Tableau
10). Le second pas a été de proposer un modèle différent de la RA qui incorpore dans un tout
cohérent le processus des situations-problèmes, le processus affectif et les SRA (voir figure 9). Dans
ce dernier cas, une distance a été prise par rapport au modèle de Linehan et al. qui décrit davantage
223
comment les SRA utilisées modifient la vulnérabilité émotionnelle et influent sur l’adaptation. Ce
concept a tout de même permis de faire l’hypothèse que la vulnérabilité émotionnelle des
participants était possiblement assez forte lorsqu’ils accomplissaient des cycles dans la roue de
gauche et que cette vulnérabilité se serait progressivement réduite lorsqu’ils avançaient dans la roue
de droite, selon leurs témoignages.
Ensuite, la théorie des émotions de Larivey (2002) a été utilisée pour classifier les affects perçus par
les participants et comprendre leur processus affectif. Cette taxonomie fut éclairante et les
changements perçus par les participants dans le type d’affect éprouvé tendent à appuyer l’idée selon
laquelle la consultation a permis d’apprivoiser les émotions simples. Le processus affectif qui émerge
de la présente étude se distingue de celui décrit par Garneau et Larivey (1979). Essentiellement, les
phases des deux modèles concordent peu, car le modèle de Garneau et Larivey associe des SRA
aidantes et non aidantes à chaque phase alors que celui issu de cette thèse relie certaines SRA non
aidantes à des phases dites régressives et certaines SRA aidantes à des phases dites progressives.
De même, le MTT (Norcross et al., 2011; Prochaska, 1999; Prochaska et DiClemente, 1983) a
alimenté l’interprétation des données en regard du processus des situations-problèmes. À cet égard,
les phases relevées à partir des perceptions des participants ont plusieurs concordances avec le
processus de changement décrit dans le MTT. Seule la phase de crise se distingue et constitue un
apport de cette thèse au MTT. Quelques nuances ont également été apportées, notamment en regard
de la dénomination des phases.
Par ailleurs, la théorie générale des systèmes (Bertalanffy, 1973; Le Moigne, 1994) a fourni une vision
dynamique du changement qui est au cœur de cette thèse. À cet égard, le but dépassait la description
d’un processus pour mettre au jour une dynamique, c’est-à-dire le mécanisme qui provoque les
changements dans une direction ou l’autre. Sur ce point, la théorie générale des systèmes postule
l’existence de forces de changement et de forces de stabilité. Le but de la consultation n’est pas la
stabilisation du système (ou de la balance), mais plutôt son évolution et sa croissance. En ce sens, la
stabilité du système fait plutôt référence à la préservation de certains acquis (Elkaïm, 1989). Le
thème « stabilité » prête ainsi à confusion lorsqu’on tente de définir la dynamique du système.
Comme le suggère Gelo et Salvatore (2016), il faut plutôt parler de stabilité dynamique que de
stabilité tout court. Dans leur adaptation de la systémique à la consultation, ces derniers auteurs
224
conçoivent également la possibilité d’une mésadaptation et d’une régression du client. Bref, ainsi
vue, la théorie générale des systèmes offre un cadre d’analyse qui permet de rendre compte de la
dynamique du processus de changement, lequel est marqué par des discontinuités dans la direction,
la nature, l’intensité et la vitesse. Les résultats de cette thèse appuient cette vision dynamique du
changement en révélant des alternances entre les cycles de la roue gauche et ceux de la roue droite.
Ils permettent également de mieux comprendre comment les interactions entre les SRA affectent
cette dynamique du changement.
Dans l’ensemble, le modèle développé dans cette thèse se démarque en proposant une mise en
relation originale du processus des situations-problèmes avec le processus affectif et les SRA
utilisées. Il se distingue d’autres modèles qui proposent une vision davantage centrée sur le processus
des situations-problèmes (Prochaska et DiClemente, 1983), la résolution de problème (Berg et Kelly,
2001; Gambrill, 2006) ou centrée sur le processus affectif (Garneau et Larivey, 1979; Kelley, 2004). Il
se rapproche davantage des modèles qui intègrent ces deux dimensions, à l’instar du modèle de
Linehan et al. (2007), et celui d’assimilation (Osatuke et Stiles, 2011).
Apports de cette thèse aux connaissances
Cette thèse contribue à l’avancement des connaissances scientifiques de plusieurs façons. Examinons
quelques-unes de ces contributions. La modélisation du processus de changement est basée sur les
perceptions des participants au sujet de leur vécu. Les phases reflètent cette perception du vécu. En
d’autres mots, la modélisation reste proche de cette perception. Cela a l’avantage de préserver un
ancrage solide dans les données avec lesquelles elles prennent tout leur sens. La présente recherche
est dans la même lignée que les travaux de Stiles (2003, 2009) qui, à la différence, a suivi un devis
longitudinal et investigué les changements dans la conception des participants de leurs problèmes à
partir d’une analyse de leur propos lors d’entrevues de consultation. Il faut voir que certains modèles
du processus de changement sont de la spéculation essentiellement théorique38 (le modèle de J. J.
Gross, 2015b, en est un exemple). La modélisation à partir de données quantitatives est également
critiquable sur le plan de l’ancrage dans la réalité. En ce cas, l’ancrage est dans des théories
spéculatives (van der Maren, 1996).
38 Pour van der Maren (1996), la spéculation intellectuelle n’a pas un sens négatif. Elle permet de générer des hypothèses à partir de l’imagination alors que la recherche qualitative ancre ses hypothèses dans l’analyse des perceptions.
225
Par ailleurs, la schématisation du processus de changement montre deux roues interconnectées à
plusieurs endroits (voir les figures 5, 7 et 9). Cette schématisation a été utilisée pour décrire tant le
processus des situations-problèmes que le processus affectif et, à la fin, l’ensemble du processus de
changement en tenant compte du rôle des SRA. Le principal avantage de ces schémas est d’illustrer
simplement comment il est possible à tout moment de passer d’un côté ou de l’autre, mais aussi de
rendre compte de ce qui se produit lorsqu’une personne répète des cycles dans une des roues. Il
n’aurait pas été possible de rendre compte de ces phénomènes avec un schéma en spirale puisque ce
dernier suggère que les avancées sont continues malgré une trajectoire sinueuse. Dans la vision qui
émerge des témoignages des participants, les progrès sont plutôt discontinus et de longues périodes
de recul sont constatées par rapport à la situation-problème et à l’état affectif. Il fallait donc une
schématisation capable d’illustrer la régression, la progression et la relative stagnation sur de longues
périodes ainsi que les possibles modifications de ces trajectoires.
La typologie inédite des SRA est sans doute l’un des éléments les plus prometteurs de cette thèse. En
effet, l’absence d’une telle typologie était à déplorer et manquait à ce champ de recherche. Certains
auteurs soulignent d’ailleurs que la diversité des définitions et des façons de mesurer les SRA rend
difficile la comparaison entre les différentes études (Koole, 2009; Tamres et al., 2002; Webb et al.,
2012). À cette typologie ont été ajoutées les distinctions entre les SRA aidantes et celles non-aidantes
ainsi que les conditions dans lesquelles une SRA a un impact positif ou négatif sur le processus de
changement. Quelques hypothèses ont été précisées à ce sujet. Ces hypothèses s’appuient sur les
témoignages recueillis et vont aussi dans le sens des études recensées sur le sujet. La généralisation
de ces hypothèses reste cependant à vérifier empiriquement.
Le rôle des SRA dans le processus de changement a été peu exploré par les chercheurs jusqu’ici. Les
études sur la question sont peu nombreuses et récentes (Aldao et al., 2014). En s’appuyant sur les
témoignages des participants et la typologie développée, cette thèse propose une analyse
approfondie du rôle de chaque SRA. On y explore comment chaque SRA influence le processus de
changement. Dans la même veine, la modélisation de la dynamique des SRA a permis de préciser
l’impact de différentes dynamiques sur le processus de changement. Cela a servi, entre autres, à
montrer comment, aux yeux des participants, les modifications dans la dynamique des SRA
coïncident avec des changements dans le processus affectif et le processus des situations-problèmes.
Cette analyse a permis la formulation d’hypothèses plus précises à propos du rôle de la dynamique
226
des SRA sur le processus de changement. Cette étude propose ainsi un modèle fondé
empiriquement pour comprendre le rôle des SRA sur le processus de changement. Ce type de
modèle a déjà été proposé par différents auteurs, mais avec des références plus ou moins précises
aux SRA, à un processus affectif et à un processus de changement des situations-problèmes (Berking
et Whitley, 2013; Garneau et Larivey, 1979; Greenberg, 2004; Kelley, 2004; Linehan, 1993; Linehan
et al., 2007; J. C. Watson et al., 2007). Bref, l’un des apports importants de cette thèse est de montrer
la pertinence d’étudier les liens entre le processus des situations-problèmes, le processus affectif et
l’utilisation des SRA pour comprendre la dynamique du changement.
Un dernier apport important de cette thèse est de mettre en relief le rôle de la consultation et du
soutien social dans la transformation de la dynamique des SRA. Cependant, les liens entre la
consultation et le soutien social restent à préciser puisque certains participants ont davantage
souligné l’apport de l’un ou de l’autre. En ce sens, les travaux de Hogan, Linden, et Najarian (2002)
qui ont examiné une centaine d’études sur la question indiquent que l’intervention peut favoriser le
soutien social bien que la façon d’y arriver efficacement demeure nébuleuse. Qui plus est, la méta-
analyse de Park, Cuijpers, van Straten, et Reynolds (2014) montre que l’augmentation du soutien
social dans le cadre d’une consultation n’est pas associée avec une diminution des symptômes
dépressifs. Bref, ces données incitent à investiguer davantage les liens entre le soutien social et la
consultation pour mieux saisir leur rôle dans l’évolution de la dynamique des SRA et le processus de
changement.
Implications pour l’intervention
Les retombées pour l’intervention sont nombreuses. La première implication a trait au processus de
changement. Connaitre ce processus et les trajectoires possibles, c’est un peu comme connaitre les
itinéraires offerts pour arriver à destination. L’intervenant étant le guide, cette connaissance des
itinéraires possibles apparait primordiale pour situer le client sur le parcours et sa direction.
L’intervention peut ensuite s’ajuster en tenant compte de la phase et de la direction du processus de
changement en cours. Le rôle de l’intervenant devient alors de favoriser le déblocage du processus
de changement, le passage vers la roue de droite, de prévenir les retours vers la roue de gauche ou, à
défaut, de faciliter un transfert rapide vers la roue de droite. Ces idées ne sont pas entièrement
nouvelles seulement que les processus identifiés ici sont quelque peu différents. À cet égard, cette
thèse abonde dans le même sens que les recherches menées autour du MTT (Norcross et al., 2011;
227
Prochaska, 1999; Prochaska et DiClemente, 1983) et du modèle d’assimilation (Osatuke et Stiles,
2011; Stiles, 2003, 2009) qui suggèrent aux intervenants de tenir compte que le processus de
changement comporte des phases pendant lesquelles les individus ont un vécu et des besoins
spécifiques. Plusieurs approches d’intervention abondent également dans le même sens comme
l’autodéveloppement (Garneau et Larivey, 1979), la DBT (Linehan, 1993), l’EFT (Greenberg, 2004;
Greenberg, Lewis, et Haviland, 1993) et le Radix (Kelley, 2004).
La deuxième implication pratique concerne les SRA. Il a été avancé que leur rôle est central dans le
processus de changement. Qui plus est, chaque SRA a un rôle particulier, c’est-à-dire qu’elles
influencent différemment le processus de changement. Pour en faciliter la compréhension, elles ont
été regroupées en six grands rôles, soit : rester en contrôle, perdre le contrôle, se libérer, s’alimenter,
s’adapter et s’appuyer. Dans un premier temps, il est conseillé aux intervenants de s’assurer de bien
maitriser ces six grands rôles des SRA et d’être capable de les situer dans le processus de
changement. Dans un deuxième temps, l’étude des rôles spécifiques à chaque SRA permet des
interventions plus ciblées. Par exemple, lorsque la rumination est fréquemment utilisée et a un
impact négatif sur l’état affectif et le processus de changement, elle peut être plus particulièrement la
cible d’interventions. Ces précisions sur le rôle des SRA et leurs dynamiques peuvent également
s’intégrer à d’autres approches d’intervention (Garneau et Larivey, 1979; Greenberg, 2004; Kelley,
2004; Linehan, 1993) ou à d’autres modèles de recherche clinique (J. J. Gross, 2015a, 2015b).
Une troisième implication pour l’intervention concerne les forces et les limites de chaque SRA. Il a
été vu que les SRA progressives et stagnantes peuvent aider à certaines conditions. Dans le cas des
SRA stagnantes, elles tendent à devenir rapidement non aidantes. Pour que leur force ne révèle leur
faiblesse, elles doivent rapidement être remplacées ou complétées par d’autres SRA progressives. En
intervention, il faut donc favoriser la mixité entre les SRA employées par le client en tenant compte,
bien sûr, de son processus de changement et de ses préférences. À l’inverse, il n’est pas recommandé
d’insister sur une SRA ou quelques SRA en particulier, car cela pourrait entrainer un blocage dans le
processus de changement ou, à tout le moins, le freiner. Dans cette optique, il ne s’avère pas
pertinent d’utiliser exclusivement des approches cliniques centrées sur l’expression des émotions, la
réinterprétation ou la résolution de problème. Encore là, la mixité des approches cliniques s’avère
plus pertinente pour maximiser la complémentarité du rôle des SRA si on tient compte des
témoignages recueillis.
228
Une quatrième implication porte sur les SRA non aidantes. Dès que celles-ci sont détectées, il faut
s’interroger sur leur rôle. Elles servent des buts plus ou moins conscients qui peuvent être une
entrave à leur abandon. La modification de ces buts39 est alors nécessaire à leur remplacement par
des SRA aidantes. Confronter le client qui utilise des SRA non aidantes n’est pas une intervention
recommandée. Les témoignages recueillis montrent combien ces SRA sont utilisées depuis
longtemps et ont servi à gérer de grandes souffrances (décès des parents durant l’enfance, violence
parentale, etc.). En les délaissant, les participants ont été amenés à affronter des souffrances
anciennes. Le soutien empathique d’un intervenant ou de proches est crucial à ce moment de leur
processus de changement. À ce stade, le rôle de l’intervenant est d’accueillir, de favoriser l’expression
du vécu et de soutenir le client. Ce faisant, il encourage la libération émotionnelle et la prise de recul
par la conscience, l’acceptation et l’expression positive des émotions. Il faut aussi rappeler que
l’apprentissage de nouvelles SRA aidantes est un processus qui prend plusieurs mois et qui doit se
faire dans un climat sécurisant (Hayes et Strauss, 1998; Levitt et al., 2016).
Une cinquième implication porte sur le soutien social. Comme le suggère Hogan et al. (2002) ainsi
que Caron et Guay (2005), miser sur le soutien social augmente l’efficacité d’une consultation. Il faut
cependant garder à l’esprit, à la lumière de la présente étude, que certains hommes préfèrent un
soutien social concret, voire indirect, qui se traduit par « faire quelque chose avec quelqu’un ». D’autres
hommes peuvent combiner un soutien émotionnel et un soutien instrumental. Bref, le soutien social
offre plusieurs possibilités qui peuvent répondre à différents besoins et s’adapter aux préférences des
individus.
Enfin, une dernière implication concerne l’évaluation des SRA. Le bilan effectué avec les
participants lors des entrevues leur a permis d’identifier plus clairement ce qui avait changé dans leur
vie et ce qui avait contribué à réaliser ces changements. Plus particulièrement, ils ont pu voir
comment en modifiant leurs SRA, ils ont pu mieux gérer leurs affects et s’adapter aux situations-
problèmes qu’ils vivaient. Ils ont pu également préciser le rôle de la consultation et l’apport du
soutien social s’il y a lieu. Les participants ont apprécié réaliser cette réflexion et se sont sentis
encouragés. Ils avaient l’impression de mieux comprendre le pouvoir qu’ils ont dans l’évolution de
39 Dans la typologie développée, la modification des buts est classée dans « solutions alternatives » sous la SRA résolution de problème.
229
leur situation-problème et de leur état affectif. Il apparait donc primordial qu’une démarche de
consultation donne la possibilité aux clients d’effectuer régulièrement un tel bilan, peut-être à toutes
les cinq ou six entrevues. Cela permet de renforcer le pouvoir d’agir du client, son estime de soi, de
favoriser le recourt aux SRA aidantes ainsi que le changement.
Implications pour le service social personnel
Certains auteurs estiment que le service social personnel doit mettre l’accent sur l’analyse des
situations-problèmes et le processus de résolution du problème (Bilodeau, 2005; Gambrill, 2006)
alors que d’autres insistent davantage sur le processus affectif (Lakey et Orehek, 2011; Morrison,
2007) ou un mélange des deux (Bourgon et Gusew, 2000; D. Turcotte et Deslauriers, 2011). Si on se
base sur la présente recherche et certaines études (Fehlinger et al., 2013; Linehan et al., 2006; Neacsiu
et al., 2010), les approches qui ciblent tant les affects que les situations-problèmes sont à préconiser
vu la relation circulaire entre ces deux processus et une certaine efficacité des interventions qui
tiennent compte des deux. En ce qui a trait à la résolution de problème, elle n’est qu’une SRA parmi
en ensemble de SRA en interactions. En effet, les témoignages recueillis mentionnent que la
résolution de problème peut être efficace (mise en place de solutions alternatives) ou inefficace
(répétition des mêmes solutions infructueuses), selon la dynamique des SRA. Les résultats de la
présente étude laissent croire que la résolution de problème, lorsqu’associée à l’expression positive
des émotions et à la réinterprétation, par exemple, a de meilleures chances d’être efficace que si elle
est accompagnée par la rumination et la suppression expressive.
Implications pour la recherche
Les implications pour la recherche sont abordées en deux parties, soit l’une pour la recherche
qualitative et l’autre pour la recherche quantitative. Cette thèse a utilisé une méthodologie qualitative
dont certains contours se sont précisés en cours de route (l’ajustement des entrevues après les deux
premières études de cas, par exemple). Comme souligné par plusieurs auteurs (Creswell, 2007; Paillé
et Mucchielli, 2012; Stake, 2006; Yin, 2009), il s’agit d’une démarche exigeante qui a toutefois
l’avantage de pouvoir s’adapter à son objet de recherche. L’étude du processus du changement a
nécessité cette souplesse qui, au final, a favorisé l’émergence de modèles compréhensifs.
Rappelons que cette thèse a fait le pari d’étudier le processus de changement à partir du point de vue
du client. Dans ce paradigme, il importe de comprendre comment le client parvient à réaliser les
230
changements visés et comment il perçoit le rôle de l’intervenant qui l’accompagne dans son
processus de changement. À cet égard, la méta-analyse de Levitt et al. (2016) indique que l’agentivité
du client ressort comme un thème central dans plus d’une centaine d’études qualitatives. Ces auteurs
soulignent également l’importance de s’intéresser davantage au point de vue du client qui réalise et
bénéficie le premier du processus de changement.
Par ailleurs, Paillé et Mucchielli (2012) soulignent l’importance de la contribution de l’expérience du
chercheur à tout le processus de recherche. Loin d’être une faiblesse, cette expérience est une force à
exploiter. La réplique de cette étude par d’autres chercheurs-cliniciens pourrait ainsi amener un tout
autre point de vue à même d’alimenter les réflexions sur le sujet. Il serait aussi intéressant de
contraster les points de vue de l’intervenant et du client à propos du processus de changement de
façon à voir si, entre autres, leurs divergences s’aplanissent durant la consultation par apprentissage
mutuel.
Une étude semblable pourrait être réalisée avec des femmes et d’autres groupes culturels. Il serait
aussi approprié de contraster les données de la présente étude avec le point de vue d’hommes qui se
sont adaptés à des situations-problèmes sans consulter, ou encore, sans attribuer un rôle central aux
affects dans leur processus d’adaptation. De telles données permettraient d’enrichir le modèle du
processus de changement émergeant de cette thèse en précisant comment l’adaptation peut se faire
sans tenir compte des affects ou en régulant ceux-ci d’une autre manière. Par ailleurs, bien que
l’approche rétrospective soit appropriée, une étude longitudinale permettrait d’observer plus
rigoureusement l’évolution des perceptions des participants à propos des variables à l’étude comme
l’ont montré certains auteurs (Levitt et al., 2016).
Sur le plan de la recherche quantitative, cette thèse propose des modèles et des hypothèses dont la
valeur reste à vérifier. Trois hypothèses sont à considérer plus particulièrement. Une première
hypothèse a trait au processus de changement. Les témoignages recueillis laissent croire que le
processus des situations-problèmes et le processus affectif suivraient une trajectoire semblable. En
effet, les phases identifiées présentent certaines ressemblances qui se font écho. Par exemple, la
phase d’impasse dans la situation-problème semble coïncider avec la phase de tension sur le plan
affectif. Une deuxième hypothèse découlant de cette thèse permet d’entrevoir que certaines SRA
seraient davantage utilisées lors de certaines phases du processus de changement. Par exemple,
231
l’expression négative des émotions, la rumination et la suractivation seraient davantage employées
durant la phase de crise. Une troisième hypothèse concerne la dynamique des SRA qui implique que
l’impact d’une SRA sur le processus de changement dépendrait des autres SRA utilisées en parallèle
pendant la même période et en rapport à une même situation-problème. Découlant de cette
hypothèse, on pourrait prédire, par exemple, que la résolution de problème est peu efficace
lorsqu’utilisée en parallèle à la rumination et à la suppression expressive des émotions. À l’inverse,
on pourrait entrevoir que la résolution de problème est efficace lorsqu’utilisée en parallèle à la
réinterprétation et à l’expressive positive des émotions. Des études avec un devis expérimental
permettraient de vérifier la valeur de ces hypothèses. Bien qu’il existe des questionnaires qui
mesurent certaines SRA abordées dans cette thèse (Garnefski et Kraaij, 2006a; J. J. Gross et John,
2003), ils n’en retiennent pas forcément la même conception et aucun ne tient compte de l’ensemble
des SRA identifiées dans cette étude. Il serait donc utile de développer un tel instrument de mesure.
Quant aux changements dans les situations-problèmes et les affects, plusieurs questionnaires
existants et validés peuvent être utilisés par les chercheurs : pour les situations-problèmes, l’URICA
(University of Rhode Island Change Assessment) de McConnaughy, Prochaska, et Velicer (1983);
pour les affects, l’Indice de détresse psychologique (Ilfeld, 1976) adapté par Préville, Boyer, Potvin,
Perreault, et Légaré (1992) ou encore le PANAS (Positive And Negative Affect Scale) de D. Watson,
Clark, et Tellegen (1988).
Bref, il est à espérer que le modèle du processus du changement développé dans cette thèse se
bonifiera à la lumière d’autres études et que celles-ci pourront en préciser la portée.
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248
ANNEXES
249
Annexe 1 : Fiche publicitaire de recrutement
Buts de la recherche
Cette recherche a pour but de comprendre comment la consultation d’un professionnel de la relation d’aide peut aider des hommes à mieux gérer leurs émotions et à mieux composer avec leurs difficultés. À terme, cette recherche devrait contribuer à la formation des intervenants pour qu’ils puissent venir en aide plus efficacement aux hommes qui les consultent.
Titre du projet de recherche
Le rôle des stratégies de régulation émotionnelle dans les changements personnels tels que perçus par des hommes qui
consultent individuellement un professionnel de la relation d’aide
Qui peut participer à cette recherche ? Pour participer à cette recherche, vous devez être un homme adulte (18 ans et plus) qui consultez ou qui avez consulté individuellement un professionnel de la relation d’aide (travailleur social, psychologue, etc.) lors des six derniers mois. Vous devez avoir eu au moins cinq rencontres avec cet intervenant. Ces critères ainsi que d’autres seront vérifiés lors d’une brève entrevue téléphonique afin de s’assurer que vous êtes admissibles à cette recherche. Ce qu’implique votre participation : Votre participation à cette recherche consiste à prendre part à deux entrevues enregistrées sur bande audio, chacune durant entre 1h et 1h30. Les entrevues sont réalisées par l'étudiant-chercheur qui a élaboré ce projet de recherche. La première entrevue vous demande de donner votre point de vue sur ces thèmes : la situation qui vous a incité à faire la dernière démarche de consultation; vos objectifs et les changements réalisés à la suite de cette consultation; les émotions vécues par rapport à votre situation et les stratégies utilisées pour gérer vos émotions; votre appréciation de l’aide reçue en consultation. Enfin, trois courts questionnaires à choix de réponses complètent cette entrevue. La deuxième entrevue aura lieu environ quatre semaines après la première entrevue. Elle consiste à revenir sur chacune des questions abordées lors de la première entrevue de façon à vérifier la compréhension de l’étudiant-chercheur et vous permettre d’ajouter des éléments aidant à mieux comprendre votre point de vue sur ces questions. Ces entrevues sont confidentielles de même que toute utilisation qui en sera faite par le chercheur. Qui contacter pour plus d’information ? Le responsable de ce projet de recherche est M. Steve Audet, t.s., psychothérapeute et doctorant sous la direction de Gilles Tremblay, Ph.D., professeur titulaire, École de Service social, Université Laval. Coordonnées : steve.audet.1@ulaval.ca ou 418-243-7276 IMPORTANT : Un premier contact téléphonique permettra au responsable de vous expliquer ce qu’implique votre participation à cette étude et de poser toutes les questions qui vous viennent à l’esprit. Vous aurez ensuite le temps qu’il faut pour y réfléchir avant de vous y engager. Notez qu’à tout moment vous pouvez vous retirer de cette recherche sans avoir à fournir de raisons. Une compensation financière de 30$ vous sera remise pour chaque entrevue réalisée, deux entrevues étant prévues. *Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : No d’approbation 2015-009 / 10-03-2015.
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Annexe 2 : Guide pour la première entrevue semi-structurée
Introduction : Bonjour ! Je me présente… Formulaire de consentement du client… Voici comment
je vous propose de fonctionner pour cette entrevue. Je vais vous poser des questions en lien avec
votre dernière démarche de consultation. Il s’agit de questions ouvertes que vous êtes libre de
répondre ou non. Je vous invite à répondre le plus honnêtement possible en fonction de ce que vous
vous souvenez. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Mon objectif est de comprendre
votre vision des choses. Nous aurons aussi une autre entrevue pour préciser et ajouter des éléments
d’information. Cela vous convient-il? Avez-vous des questions? Préférez-vous que je vous tutoie
pendant l’entrevue?
Questions de l’entrevue
Thème A : Situation-problème (situation-problème → changements perçus)
1. J’aimerais, pour commencer, que tu (ou vous) me parles de la situation qui t’a amené à consulter.
(objectif : décrire la situation-problème du participant, soit les problèmes vécus, les besoins et les
symptômes)
2. Quels changements voulais-tu que la consultation t’aide à réaliser dans cette situation?
3. Dans les faits, qu’est-ce qui a changé dans cette situation pendant ta démarche de consultation?
(objectif : faire ressortir les perceptions du participant à l’égard des changements réalisés par rapport
à la situation-problème d’avant la consultation)
Thème B : Émotions
4. Juste avant de consulter, comment te sentais-tu dans la situation que tu vivais? (objectif : que le
participant décrive les émotions qu’il a ressentait alors, soit la nature, l’intensité, la durée et la
fréquence des émotions)
4.1. Est-ce que ton ressenti (ou état émotionnel) en rapport avec ta situation a évolué
depuis que tu consultes?
5. Comment expliques-tu les différences entre la façon que tu te sens aujourd’hui et ce que tu
ressentais avant la consultation?
6. As-tu abordé, en consultation, ce que tu ressentais face à ta situation? Si oui, peux-tu me décrire ce
que tu as exprimé à ce sujet en consultation?
7. (Si oui à la question 7) Comment l’intervenant réagissait-il lorsque tu lui exprimais tes émotions?
Peux-tu me donner un exemple?
7.1. Quels impacts ces réactions de l’intervenant ont-elles eus?
7.2. Comment l’intervenant aurait-il pu réagir pour t’aider davantage?
Thème C : SRÉ
8. Avant cette consultation, qu’est-ce que tu faisais avec tes émotions? Comment les gérais-tu?
8.1. Qu’est-ce que ça donnait?
251
9. Si tu compares entre aujourd’hui et la période précédant la consultation, as-tu l’impression d’avoir
changé quelque chose dans ta façon de gérer tes émotions? Si oui, quoi? (objectif : vérifier les
changements dans les SRÉ : nature, fréquence et façon de les utiliser)
9.1. Qu’est-ce qui t’a motivé à faire ces changements dans ta façon de gérer tes émotions?
10. As-tu abordé, en consultation, les façons de gérer tes émotions? Si oui, peux-tu me décrire ce que
tu as exprimé sur ce point?
11. (Si oui à la question 13) Comment l’intervenant réagissait-il lorsque tu lui parlais de ta façon de
gérer tes émotions? Peux-tu me donner un exemple?
11.1. Quels impacts ces réactions de l’intervenant ont-elles eus?
11.2. Qu’est-ce que l’intervenant aurait pu faire pour mieux t’aider à gérer tes émotions ?
12. Si je reviens sur ta situation avant la consultation, peux-tu me dire si ta façon de gérer tes
émotions t’a aidé ou nui à faire les changements que tu souhaitais? Peux-tu expliquer?
12.1. Peux-tu nommer des façons de gérer les émotions qui t’ont particulièrement aidé à
atteindre tes objectifs? Lesquelles t’ont particulièrement nui?
13. Avant de consulter, comment voyais-tu les émotions?
13.1. Est-ce que tu as changé ta façon de voir les émotions à la suite de cette consultation?
13.2. Si oui, qu’est-ce qui t’a encouragé à le faire?
Questions générales
14. Aimerais-tu ajouter quelque chose sur l’ensemble des sujets abordés dans cette entrevue?
15. Maintenant que l’entrevue est terminée, quelles sont tes impressions sur cette entrevue?
Comment te sens-tu? Comment as-tu trouvé ça?
Conclusion : Je te remercie pour ton témoignage. À partir de maintenant, je vais retranscrire cette
entrevue pour en faire l’analyse. Puis, nous nous reverrons cette fois-ci pour discuter ensemble des
mêmes questions que nous avons abordées aujourd’hui. As-tu des questions avant de terminer?
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Annexe 3 : Guide pour la deuxième entrevue semi-structurée
Introduction : Bonjour ! J’espère que vous allez bien. Tout d’abord, je vous informe que j’ai
retranscrit notre première entrevue et l’ai analysée. De votre côté, vous avez probablement pu vous
remémorer certains détails et réfléchir à certains éléments. Les objectifs de cette deuxième entrevue
sont d’abord de vérifier si j’ai bien compris vos réponses de la première entrevue, d’en approfondir
certains éléments et, s’il y a lieu, de recueillir les nuances, les précisions, voire les nouveaux éléments
que vous souhaitez mentionner. Aussi, je souhaite connaitre votre compréhension des liens entre les
thèmes abordés (situation, changements, émotions, SRÉ).
Voici comment je vous propose de fonctionner pour l’entrevue d’aujourd’hui. Nous allons reprendre
ensemble les principaux thèmes discutés lors de la première entrevue. Pour chaque thème, je vais
résumer vos propos et vous demander les précisions et les nouveaux éléments qui vous viennent à
l’esprit. Ensuite, je vous poserai des questions qui me sont venues après l’analyse de vos réponses à
la première entrevue. Dans tous les cas, vous êtes libres de répondre ou non. Je vous demande de
répondre le plus honnêtement possible en fonction de ce que vous vous rappelez. Il n’y a pas de
bonnes ou de mauvaises réponses. Mon objectif est de comprendre votre vision de ce que vous avez
vécu avant de consulter ainsi que durant cette démarche de consultation. Cela vous convient-il?
Avez-vous des questions?
Déroulement de l’entrevue : Le chercheur résume les propos émis par le participant lors de la
première entrevue pour chaque thème abordé. Le participant apporte les précisions, corrections et
nouveaux éléments qu’il désire. Le chercheur, si besoin, pose des questions qui émergent ou qu’il a
préparées à la suite de son analyse de la première entrevue. Ces questions visent à explorer davantage
les éléments mentionnés par le participant et qui se rapportent aux questions à l’étude. Il s’agit de
questions ouvertes qui invitent le participant à explorer davantage ces éléments et d’en donner le
sens pour lui. Certaines questions traitent d’une variable à l’étude (émotions, par exemple) alors que
d’autres visent à comprendre les liens entre les variables à l’étude (SRÉ et changements, par
exemple).
Conclusion : Je vous remercie pour votre témoignage. À partir de maintenant, je vais retranscrire
cette deuxième entrevue pour en faire l’analyse. Tel que convenu, lorsque les résultats de la
recherche seront disponibles, un résumé vous sera envoyé. Avez-vous des questions sur la suite ?