Post on 25-Mar-2016
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Frontière de l’estime par Nathalie Riéra
La poésie attire toujours plus l’inimitié que l’unanimité. Mais le plus déplorable encore est cette marchandisation pathétique et insultante qui fait passer pour poésie ce qui n’en est pas, et nous la fait admirer comme objet poétique insolite. Reste que l’engagement du poète n’est pas à mener à renforts d’éclats médiatiques : la dissidence n’est pas autre part que sur le papier.
Poésie de l’estime, Lambert Savigneux ne cesse de le prouver, mais poésie du désaccord aussi. Car chez lui demeure l’essentialité de la rupture pour ne pas s’empiéger dans des tiraillements inféconds. Son souci : partager le charivari de l’homme du Grand Fleuve.
Que ses lecteurs puissent voir en sa poésie sans frontière comme une offrande.
Dans Le Grand Fleuve, le cœur du poète est une terre de voyelles et de consonnes bousculées. Inlassable terre de nerfs où le bleu trop clément et le clair trop raisonnable ne s’interpellent pas, refusent la noce, afin de combler le désir du poète, et qui est : que la terre soit chant.
Chant libre d’une voix qui se consume de sa plénitude et de sa détonation jamais interrompue.
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Des éclairs de vert et de vermeil dans la mélopée pour au mieux dire l’homme : ses utopies quand elles lui sont bienveillantes, ses rages quand elles sont de le porter vers ce qu’il a en lui de plus effondré et de plus éminent, et ses empathies les plus fraternelles.
… que la terre soit chant, ainsi que les feuilles le sont des arbres, de leurs corps noués, de leurs ombres et leurs effluves qui mendient un peu de ces miettes de lueurs : des éclaircies qui font le tremblement.
JE de terre, de poussière, d’échauffement, JE prurit : JEUX du poète Lambert Savigneux. La poésie est son jeu le plus profond, le plus ludique, et le plus proche de ce qui est enfoui sous la roche, le plus pudique de ce qui palpite sous les paupières, et de ce qui peine à se dire et qui se dit avec entrain et regain, et que le lecteur récolte comme on recueille l’écume ou ramasse un fruit rouge. JE amoureux. JE aux altitudes orageuses. JE aux envolées qui n’ont rien de lyriques, aux sueurs de fleurs et de fièvres seulement. Rien d’extatique non plus. Seulement des brouilleries de tempos et d’aubades sauvages, et qui résonnent comme les fissures d’un peuple arraché à sa patrie, à la « Reine Terre » victime des pires morcellements.
L’homme du Grand Fleuve s’anime dès les premiers mots du poème en transit, avec son délire de voyelles et de consonnes.
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Tous ces soubresauts de lettres pour au mieux dire l’homme et la terre, c’est toujours pour le poète une manière de garder le lien, mais c’est surtout l’occasion pour lui de s’arranger avec lui-même, et au lecteur de lire entre les branches des arbres ces bouffées d’air qui allègent les ombres. Par moment, trouver que nos matins n’ont rien perdu de la transparence de l’eau, de son ouverture et de son désordre liquide exposés aux vents du jour, lui évitant toute emphase, toute immobilité, ou toute oxydation.
Dans les jours et les nuits de Lambert Savigneux, il y a une poésie comme un battement d’effluves et de fleuve qui nous soulève, une éphémère déflagration de bonheur. Et si ce n’est pas le bonheur, du moins en pressentir l’inclination ou la légitime attirance. Bonheur qui ne provient nullement du confort, mais procuré par ce qui ne peut être que fragile et transitoire.
Disons alors, à la manière d’un Philippe Jaccottet : plutôt une « sorte de bonheur ».
Ou les déraisonnables euphonies d’un poète.
Nathalie Riera - Le 8 avril 2008
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Le grand fleuve
« Ma propre obscurité nourrit des dessins à l'ocre de peau, à la blancheur de l'esprit dans la fermeture pesante de la roche qui m'habite, m'encercle et me laisse libre, par inadvertance. La terre a un chant qui m'interroge et me replace au cœur du mystère »
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JE
me retrouve fier du grand fleuve
la terre sur l'air accroche à la peau
jE la bête indomptée sauvage hurlante
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les strates pierre à pierre ma langue rive à mon exil
la fourmilière ronge à la tâche et nomade la terre de partout et d'ailleurs
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que tu même
puisque mon peuple le beau souffle d'une flute
puisque je
la parole forte du sang bat aux tempes
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JE le roc irrigué de mon eau
parce que poussent les fouletitudes d'être gigues de vie que je ne cesse d'être
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parce que non la peur, parce que non la laideur et le confort inutile
parce que JE
par ce que poisson dans les flots du grand fleuve
le long de l'eau en ramage les rives talus en ramure.
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Il y avait la danse au feu du chant les deux mots tronc
peintre si simple
si libre si plein
libre
car fidèle à son étranglement
et qu'il creuse, creuse
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et la force, l'accent de la terre l'empoignade des roches la giclée l'entaille le sang raille le son sourd la résonance il s'en tient à ripaille saillant refus de renoncer
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semonce
s’instille sang
hématite fer au rouille en bâton qui tape la terre au corps se sait
noueux cordier cade coude soude
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et rompt en avant
de là rebrousse et tonne s'élance
en flèche deux pieds rieurs
tiennent à cet aimant
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quand je m'endoute
ma déroute route broutent les uns brament là ni vérité les autres tannent mon cuir à tordre
leçon comme pique
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le chant magnétise de a en b en r en h en t en haut plané pour chant circonvole et plane se repère la tête au nombril le dit le chant
les pieds au corps se défroque l'art souille du roc à l'arbre griffent les feuilles à l'étoile
large
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le chant danse se tait se sait
qui tranquillisé d'être
merci Grand Jean merci la chaleur du geste merci la mort amusée en encre vite zébrée vibrée en_esse
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ne jamais plus sans cesse de parler
en étoile en branche en neige en roc en fil en lin en joie
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siempre s'encre homme art homme tambour homme plume homme chant
orteil grasseux et poils Tibia verrouillée en peau
rasseux
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Ris ban belle
essaime de froid ta hutte de paille en rime de feu même argile m'aime ton corps
craquelé
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sème la poussière d'ambre fille au désert ma serine ma voix belle sirène de fil en fil mon goût cerise
iris
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la magie au corps souple vase et large en crin le dos bas
mon vert s'empoussière les carreaux de ta grève
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ma peau en dessous s'ébroue le rose s'effrite et je tousse je shoote toi qui me venin qui m'ardente en mouvement en avant en écharpe en devant
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pierraille sable crabe je m'écartèle en j'avancement je recule je m'enterre en ventelle je me relève en bourrasque je réitère je tournoie aux cimes du grain je dort sable d'argent eau qui ruisselle
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eau
ma bave filandreuse eau cille
et je dune de ride en dune la soif aux talons les côtes en archer et je tire les pans de ma rame j'arme le bras en pagaie rive en appui
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Le vent d'est en ouest se frotte aux vagues
hOmme Mage l'œil en sourire oblique roches éruptées en sang l'affirmation singulière
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le grand vent de langue insuffle l'opposition défie l'encravaté im-monde
il répond en braille
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le sel la ligne océane marée mauve les fleurs de lichen les pierres roulent aux rousses douces
ici la mélodie foudroie au chant elle tournoie et mire en rond
et danse
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s’emboîtent les deux barrières montagne et mer à grande plaine osseuse Les mots couleurs au temps qui braille
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sifflement câlin le schisme en désaccord rugueux l'accent surgit en taille et raille le parler l’arrière irrigue un fond ancien creuse une ripaille
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balafre genêts de gouaille faille où roucoule le grand fleuve Outre vagues la langue se retrouve en tempête
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car ici et là le pays se retrouve comme en ses sources fausse rage et talus des crocs la rive se fend en air le charme hôte de l'âge s'entrefend le mot
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caillasse au pied de bois
feuilleté d'écorces les trachées ocre s'anglent superposées en taillis des rocs
pierres sèches les anfractuosités vides et la poussière qui s'en mêle fine
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le pollen pigmente les vents cyans essaime aux grains des troncs
migrations des éléments nervures réfractaires
éblouissement sournois
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le bois morcelé réouvre la poussée
se creuse des vies aux ombres
ténèbres fastes du pourrissement
pérégrinations de ce qui se devine en larves
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tailles des feuilles brunes les filaments se pendent aux verticalités souples filandreuse atomisation en blancs entassés comme une ville grouillante
d'Afrique
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molles les mousses s'humectent des verts à jamais les mêmes variation à l'infini de la tendresse et la conquête
Taj Mahal
creux dormance recreux éruptif et rupture des lichens en rang de branchages lunaires
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épinèdes
arrachement brusque à la fécondité écrasé en mares infimes de sang accrochage virulent des règnes
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parterre d'aiguilles tapis comme une prière muette une fois à terre rives cimes en déroute stratifiées un passage pour l'éternité s'apprête à se dissoudre en humus
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fine pluie en gouttelettes épiques
l'air se gonfle et s'éructe
la mélopée triste s'insinue au vertige du vivant
obstination dérisoire
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hors de contexte inexplicablement
file de nerfs boisés le long de ces graviers
grave
en souffle asséché
livré à la gronde douce
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à l'intersection
anguleux
le vert le dispute au rugueux
l'appel impitoyable de la faim
boire au filet d'eau
sous la touffe émergence
du gouffre
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une fois frappée en aigu surpris endigué jaune d'un son jamais interrompu ces pointes encrassées duel dressé aux béances vives
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Table
Frontière de l’estime, Préface de Nathalie Riéra page 4
Le grand fleuve page 7
L’empoignade (à Jean Capdeville) page 28
Ris ban belle (à Louve en guise de suite) page 47
HoMMage (Manciet in mémoriam) page 62
Caillasses aux pieds de bois page 73
Flute peule ( sur un solo d’Ali Wagué) page 84