Comme le fleuve qui coule - ia801800.us.archive.org
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PauloCOELHO
Commelefleuvequicoule
Récits1998-2005
Flammarion
www.paulocoelho.comTitreoriginal:Sercomoorioqueflui©PauloCoelho,2006Cetteéditionestpubliéeavecl'accorddeSantJordiAsociados,Barcelone,Espagne.Pourlatraductionfrançaise:©Flammarion,2006©PauloCoelho,2006
Dépôtlégal:juin2006ISBNEpub:9782081338784
ISBNPDFWeb:9782081338791
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782080690173
OuvragecomposéetconvertiparMeta-systems(59100Roubaix)
Présentationdel'éditeurCommelefleuvequicouleestunrecueilde101textescourtspubliésparPauloCoelho entre 1998 et 2005.Au fil des pages, il nous ouvre les portes de sonuniversd’écrivain,faitdepetitsmorceauxdequotidienetderécitsimaginairesqui acquièrent sous sa plume une dimension de contes philosophiques etpédagogiques à l’usage de tous ceux et de toutes celles qui désirent vivre enharmonieaveclemondequilesentoure.« Ces pages contiennent les récits de certains moments que j’ai vécus, deshistoires que l’onm’a racontées, des réflexionsque jeme suis faites pendantque je parcourais une certaine étape du fleuve dema vie. Ces textes ont étépubliés dansdivers journauxdumonde, et j’ai décidéde les réviser et de lescompilerdanscerecueil.Ilsfontpartiedemonexistenceetjevouslesoffre,àvous,meslecteurs.»PauloCoelho
Paulo Coelho est né en 1947 à Rio de Janeiro. Adolescent rebelle dans unefamille conservatrice et étudiant contestataire plusieurs fois emprisonné, ildevint parolier d’unedes plus grandes stars du rockdes années 70 auBrésil.L’Alchimiste,paruen1988,s’imposecommeunbest-sellermondial.
Seslivres,traduitsdans59langues,sesontvendusà60millionsd’exemplairesdans150pays.Après l’immensesuccèsduZahir,Comme le fleuvequicouleest son dixième ouvrage publié en France. Paulo Coelho a été reçu àl’Académiebrésiliennedeslettresen2002.
Dumêmeauteur
L’Alchimiste,ÉditionsAnneCarrière,1994Sur lebordde larivièrePiedra jemesuisassiseet j’aipleuré,ÉditionsAnneCarrière,1995LePèlerindeCompostelle,ÉditionsAnneCarrière,1996LaCinquièmeMontagne,ÉditionsAnneCarrière,1998Manuelduguerrierdelalumière,ÉditionsAnneCarrière,1998ConversationsavecPaoloCoelho,ÉditionsAnneCarrière,1999LeDémonetMademoisellePrym,ÉditionsAnneCarrière,2001OnzeMinutes,ÉditionsAnneCarrière,2003Maktub,ÉditionsAnneCarrière,2004LeZahir,Flammarion,2005Commelefleuvequicoule,Flammarion,2006LaSorcièredePortobello,Flammarion,2007LaSolitudeduvainqueur,Flammarion,2009Brida,Flammarion,2010Aleph,Flammarion,2011LeManuscritretrouvé,Flammarion,2013
Commelefleuvequicoule
Récits1998-2005
SoiscommelefleuvequicouleSilencieuxdanslanuit.Neredoutepaslesténèbresdelanuit.S'ilyadesétoilesdansleciel,réfléchis-les.Etsilescieuxs'encombrentdenuages,Commelefleuve,lesnuagessontfaitsd'eau;Réfléchis-lesaussisanstristesseDanslesprofondeurstranquilles.
ManuelBandeira
PRÉFACE
Àquinzeans,j'aiditàmamère:«J'aidécouvertmavocation.Jeveuxêtreécrivain.— Mon fils, m'a-t-elle répondu attristée, ton père est ingénieur. C'est un
hommelogique,raisonnable,quiaunevisionprécisedumonde.Sais-tucequ'estunécrivain?—Quelqu'unquiécritdeslivres.—TononcleHaroldo,quiestmédecin,écritaussides livres,et ilenadéjà
publié quelques-uns. Fais la faculté d'ingénierie, et tu auras le temps d'écriredanstesmomentsdeliberté.—Non,maman. Je ne veux être qu'écrivain.Pas un ingénieur qui écrit des
livres.—Maisas-tudéjàrencontréunécrivain?As-tuvuunefoisunécrivain?—Jamais.Seulementsurdesphotographies.— Alors quoi ? Tu veux être écrivain, et tu ne sais pas très bien ce que
c'est?»Pour pouvoir répondre àmamère, j'ai décidé de faire une recherche et j'ai
trouvé.Voilàcequ'étaitêtreunécrivain,audébutdesannées1960:A) Un écrivain porte toujours des lunettes, et il est mal coiffé. Il passe la
moitiédesontempsenragécontretout,etl'autremoitiédéprimé.Ilvitdanslesbars,discutantavecd'autresécrivainsquiportentdeslunettesetsontdécoiffés.Ilparledechosesdifficiles.Ilatoujoursdesidéesfantastiquespoursonprochainroman,etildétesteceluiqu'ilvientdepublier.B) Un écrivain a le devoir et l'obligation de n'être pas compris par sa
génération, ou bien il ne sera jamais considéré comme un génie, car il estconvaincuqu'ilestnéàuneépoquedominéeparlamédiocrité.Unécrivainfaittoujoursplusieurscorrectionsetmodificationsdanschaquephrasequ'ilécrit.Levocabulaire d'un homme ordinaire se compose de trois mille mots ; un vrai
écrivain ne les utilise jamais, puisqu'il en existe cent quatre-vingt-neuf milleautresdansledictionnaire,etqu'iln'estpasunhommeordinaire.C)Seulsd'autresécrivainscomprennentcequ'unécrivainveutdire.Pourtant
ildétesteensecretlesautresécrivains–vuqu'ilsbriguentlesmêmesplacesquel'histoiredelalittératureréserveaulongdessiècles.Alors,l'écrivainetsespairssedisputentletrophéedulivrelepluscompliqué:celuiquiauraréussiàêtreleplusdifficileseraconsidérélemeilleur.D)Un écrivain s'y entend sur des sujets aux noms effrayants : sémiotique,
épistémologie,néo-concrétisme.Quandildésirechoquer,il tientdesproposdugenre:«Einsteinestidiot»ou«Tolstoïestlebouffondelabourgeoisie.»Ilssonttousscandalisés,maisilssemettentàrépéterauxautresquelathéoriedelarelativitéestfausse,etqueTolstoïdéfendaitlesaristocratesrusses.E)Unécrivain,pourséduireunefemme,dit:«Jesuisécrivain»,etilécritun
poèmesurlaserviette.Celamarchetoujours.F) Grâce à sa vaste culture, un écrivain trouve toujours un emploi comme
critiquelittéraire.C'estàcemoment-làqu'ilmontresagénérosité,enécrivantsurleslivresdesesamis.Lamoitiédelacritiqueestcomposéedecitationsd'auteursétrangers ; l'autremoitié, ce sontces fameusesanalysesdephrases,employanttoujours des termes du genre « la coupure épistémologique » ou « la visionintégrée surunaxecorrespondant».Celuiqui lit la critiquecommente : «Cetypeest vraiment cultivé. »Et il n'achètepas le livre, parcequ'il ne saurapascommentpoursuivresalecturequandlacoupureépistémologiqueseprésentera.G)Quandilestinvitéàs'exprimersurcequ'ilestentraindelire,unécrivain
citetoujoursunlivredontpersonnen'aentenduparler.H) Ilexisteunseul livrequiéveille l'admirationunanimede l'écrivainetde
sespairs :Ulysse,deJamesJoyce.L'écrivainnedit jamaisdemaldece livre,mais, quand quelqu'un lui demande de quoi il s'agit, il ne parvient pas àl'expliquer,cequi faitdouterqu'il l'aitvraiment lu. Ilestabsurdequ'Ulyssenesoitjamaisréédité,puisquetouslesécrivainslecitentcommeunchef-d'œuvre;peut-être est-ce dû à la stupidité des éditeurs, qui laissent passer l'occasion degagnerbeaucoupd'argentavecunlivrequetoutlemondealuetaimé.Muni de toutes ces informations, je suis retourné voirmamère et je lui ai
expliquéexactementcequ'étaitunécrivain.Elleaétéunpeusurprise.«Ilestplusfaciled'être ingénieur,a-t-elledit.Enoutre, tuneportespasde
lunettes.»Maisj'étaisdéjàdécoiffé,monpaquetdeGauloisesdanslapoche,unepièce
de théâtre sous lebras (Limitesde la résistance, que, pourmagrande joie, uncritique adéfinie comme« le spectacle leplusdinguequ'[il ait] jamaisvu»),étudiant Hegel, et décidé à lire Ulysse de toute façon. Jusqu'au jour où un
chanteurderocks'estprésenté,m'ademandédefairelestextesdeseschansons,m'a éloigné de la quête de l'immortalité et m'a remis sur le chemin des gensordinaires.Celam'apermisdebeaucoupvoyageretdechangerplussouventdepaysque
dechaussures,commeledisaitBertoltBrecht.Lespagesquisuiventcontiennentlesrécitsdecertainsmomentsquej'aivécus,deshistoiresquel'onm'aracontées,desréflexionsquejemesuisfaitespendantquejeparcouraisunecertaineétapedufleuvedemavie.Ces textes ont déjà été publiés dans divers journaux du monde, et ils font
l'objetd'unenouvellecompilationàlademandedeslecteurs.
L'auteur
UNEJOURNÉEAUMOULIN
Ma vie, en cemoment, est une symphonie composée de trois mouvementsdistincts:«beaucoupdemonde»,«quelques-uns»,«personneoupresque».Chacundureapproximativementquatremoisparan,ilssemêlentfréquemmentaucoursd'unmêmemois,maisneseconfondentpas.«Beaucoupdemonde», ce sont lesmoments où je suis en contact avec le
public, les éditeurs, les journalistes. «Quelques-uns » c'est lorsque je vais auBrésil, retrouve mes vieux amis, me promène sur la plage de Copacabana,prendspartàquelquesmondanités,maisengénéralrestechezmoi.Aujourd'hui,cependant, j'ai l'intentiondedivaguerunpeusur lemouvement
«personneoupresque».EncemomentdanslesPyrénées,lanuitesttombéesurce village de deux cents âmes où j'ai acheté voilà quelque temps un ancienmoulintransforméenmaison.Jemeréveilletouslesmatinsauchantducoq,jeprendsmoncaféetjesorsmepromeneraumilieudesvaches,desagneaux,desplantationsdemaïsetdefoin.Jecontemplelesmontagneset,contrairementàcequi se passe dans lemouvement « beaucoupdemonde», je ne cherchepas àpenseràcequejesuis.Jenemeposepasdequestions,jen'aipasderéponses,jevis entièrementdans l'instantprésent, comprenantque l'année aquatre saisons(cela peut paraître évident, mais nous l'oublions parfois), et je me transformecommelepaysagealentour.Àcemoment-là,jenem'intéressepasbeaucoupàcequisepasseenIrakou
enAfghanistan : comme pour toute autre personne qui vit à la campagne, lesnouvelleslesplusimportantessontcellesquiconcernentlamétéorologie.Tousleshabitantsdelapetitevillesavents'ilvapleuvoir,fairefroid,venterfort,carcela influe directement sur leur vie, leurs projets, leurs récoltes. Je vois un
fermierquisoignesonchamp,nousnoussouhaitonslebonjour,nousparlonsdutempsqu'ilvafaire,etnousreprenonsnosactivités,luisursacharrue,moidansmalonguepromenade.Jerentre,jeregardelaboîteauxlettres,j'ytrouvelejournalrégional:ilyaun
bal au village voisin, une conférence dans un bar deTarbes – la grande ville,avecsesquarantemillehabitants–,lespompiersontétéappelésaucoursdelanuitparcequ'unepoubelleavaitprisfeu.Lesujetquimobiliselarégionestunebande accusée de couper les platanes bordant une route de campagne, parcequ'ilsont causé lamortd'unmotocycliste ; cette informationoccupeunepageentièreetplusieursjoursdereportagesausujetdu«commandosecret»quiveutvengerlamortdugarçonendétruisantlesarbres.Jemecoucheprèsduruisseauquitraversemonmoulin.Jeregardelescieux
sans nuages dans cet été terrible, qui a fait cinq mille morts, seulement enFrance. Jeme lève et je vais pratiquer le kyudo, laméditation avec l'arc et laflèche,quimeprendplusd'uneheureparjour.C'estdéjàl'heurededéjeuner:jefais un repas léger et soudain je remarque dans une des dépendances del'ancienne construction un objet étrange, muni d'un écran et d'un clavier,connecté–merveilledesmerveilles– àune ligne à trèshautdébit, égalementappeléeADSL.Aumoment où j'appuierai sur un bouton de cettemachine, jesaisquelemondeviendraàmarencontre.Je résisteautantque je lepeux,mais lemomentarrive,mondoigt touche la
commande«allumer»etmevoilàdenouveauconnectéaumonde,auxcolonnesdes journaux brésiliens, aux livres, aux interviews qu'il faut donner, auxnouvellesd'Iraketd'Afghanistan,auxrequêtes,àl'avisannonçantquemonbilletd'avionarrivedemain,auxdécisionsàajourner,auxdécisionsàprendre.Jetravailleplusieursheuresparcequejel'aichoisi,parcequec'estmalégende
personnelle, parce qu'un guerrier de la lumière sait qu'il a des devoirs et desresponsabilités.Maisdanslemouvement«personneoupresque»toutcequisetrouvesurl'écrandel'ordinateuresttrèslointain,demêmequelemoulinparaîtun rêve quand je suis dans les mouvements « beaucoup de monde » ou«quelques-uns».Le soleil commence à se cacher, l'ordinateur est éteint, le monde redevient
simplement lacampagne, leparfumdesherbes, lemugissementdesvaches, lavoixdubergerquireconduitsesbrebisàl'étableàcôtédumoulin.Je me demande comment je peux me promener en une seule journée dans
deuxmondestellementdifférents: jen'aipasderéponse,maisjesaisquecelamedonnebeaucoupdeplaisir,etjesuiscontenttandisquej'écrisceslignes.
L'HOMMEQUISUIVAITSESRÊVES
Je suis né à la maison de santé Saint-Joseph, à Rio de Janeiro. Commel'accouchementavaitétéassezcompliqué,mamèrem'aconsacréàce saint, lepriantdem'aideràvivre.Josephestdevenupourmoiuneréférencedanslavieet, depuis 1987, l'année qui suivit mon pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle,jedonnele19marsunefêteensonhonneur.J'invitedesamis,desgens travailleursethonnêtes, et avant ledîner,nousprionspour tousceuxquis'efforcentdedemeurerdignesdanscequ'ilsfont.Nousprionsaussipourceuxquisontauchômage,sansaucuneperspective.Danslapetiteintroductionquejefaisavantlaprière,j'aicoutumederappeler
que si le mot « rêve » apparaît cinq fois dans le Nouveau Testament, quatreoccurrences font référence à Joseph, le charpentier. Dans tous ces cas, il estconvaincuparunangedefaireexactementlecontrairedecequ'ilavaitprojeté.L'ange exige qu'il n'abandonne pas sa femme,même si elle est enceinte. Il
pourrait dire des choses du genre : «Que vont penser les voisins ? »Mais ilrentrechezlui,etilcroitenlaparolerévélée.L'angel'envoieenÉgypte.Ilpourraitrépondre:«Maisjesuisdéjàétabliici
comme charpentier, j'ai ma clientèle, je ne peux pas tout laisser tombermaintenant!»Pourtant,ilrangesesaffaires,etilpartversl'inconnu.L'ange lui demande de revenir d'Égypte. Alors Joseph pourrait penser :
«Maintenantquej'airéussiàstabiliserdenouveaumavieetquej'aiunefamilleànourrir?»Contrairementàcequeveutlesenscommun,Josephsuitsesrêves.Ilsaitqu'il
a un destin à accomplir, le destin de tous les hommes ou presque sur cetteplanète : protéger et nourrir sa famille. Comme des millions de Joseph
anonymes,ilchercheàs'acquitterdesatâche,mêmes'ildoitfairedeschosesquidépassentsacompréhension.Plustard,safemmeainsiquel'undesesfilsdeviennentlesgrandesréférences
duchristianisme.Letroisièmepilierdelafamille,l'ouvrier,onnepenseàluiquedanslescrèchesdefind'année,ousil'onapourluiunedévotionparticulière,cequi est mon cas, comme c'est le cas de Leonardo Boff, pour qui j'ai écrit lapréfaced'unlivresurlecharpentier.Je reproduis une partie d'un texte de l'écrivainCarlosHeitorCony (j'espère
qu'ilestvraimentdelui,carjel'aidécouvertsurInternet!):« On s'étonne fréquemment que, me déclarant agnostique, n'acceptant pas
l'idéed'unDieuphilosophique,moraloureligieux,jevénèrequelquessaintsdenotre calendrier traditionnel. Dieu est un concept ou une entité trop lointainepour mes moyens et même pour mes besoins. Les saints, parce qu'ils furentterrestres,faitsdelamêmeargilequemoi,méritentplusquemonadmiration.Ilsméritentmadévotion.«SaintJosephestl'und'eux.LesÉvangilesnementionnentpasunseulmotde
lui,seulementdesgestes,etuneréférenceexplicite:virjustus.Unhommejuste.Commeils'agissaitd'uncharpentieretnond'un juge,onendéduitqueJosephétaitpar-dessus toutunbon.Boncharpentier,bonépoux,bonpèred'ungaminquiallaitdiviserl'histoiredumonde.»BellesparolesdeCony.Etmoi,trèssouvent,jelisdesaberrationsdugenre:
«JésusestalléenIndeapprendreaveclesmaîtresdel'Himalaya.»Pourmoi, tout hommepeut transformer enunemission sacrée celleque lui
donnelavie,etJésusapprit tandisqueJoseph, l'hommejuste, luienseignait lafabricationdestables,deschaises,deslits.JemeplaisàimaginerquelatablesurlaquelleleChristconsacralepainetle
vin avait été fabriquée par Joseph – il y avait là la main d'un charpentieranonyme, qui gagnait sa vie à la sueur de son front et, justement pour cetteraison,permettaitquelesmiraclessemanifestent.
LEMALVEUTQUELEBIENSOITFAIT
LepoètepersanRûmîracontequeMuâwiya,premiercalifedeladynastiedesOmeyyades,dormaitunjourdanssonpalaisquandilfutréveilléparunhommeétrange.«Quies-tu?demanda-t-il.—JesuisLucifer,réponditl'autre.—Etquedésires-tuici?—C'estdéjàl'heuredetaprière,ettucontinuesàdormir.»Muâwiyafutimpressionné.Commentleprincedesténèbres,celuiquidésire
toujoursl'âmedeshommesdepeudefoi,voulait-ill'aideràaccomplirundevoirreligieux?MaisLuciferexpliqua:«Rappelle-toiquej'aiétécréécommeunangedelumière.Malgrétoutcequi
m'estarrivédansl'existence,jenepeuxpasoubliermonorigine.UnhommepeutalleràRomeouàJérusalem, ilporte toujoursdanssoncœur lesvaleursdesapatrie:c'estlamêmechosepourmoi.J'aimetoujoursleCréateur,quim'anourriquandj'étaisjeuneetm'aapprisàfairelebien.QuandjemesuisrévoltécontreLui, ce n'est pas parce que je ne L'aimais pas, bien au contraire, je L'aimaistellementque j'aiété jalouxquandIlacrééAdam.Àcemoment-là, j'aivouludéfier le Seigneur, et cela a causé ma ruine ; pourtant, je me rappelle lesbénédictions quim'ont été données un jour, et peut-être qu'en agissant bien jepourraisretournerauParadis.»Muâwiyarépondit:«Jenepeuxcroirecequetumedis.Tuesresponsablede ladestructionde
beaucoupdegenssurlafacedelaTerre.
—Crois-le, insistaLucifer.SeulDieupeutconstruireetdétruire,parcequ'ilestleTout-Puissant.C'estLui,encréantl'homme,quiamisdanslesattributsdelavieledésir,lavengeance,lacompassionetlapeur.Parconséquent,quandtuvois lemal autourde toi, nem'accusepas, car je suis seulement lemiroir desmalheursquiarrivent.»Convaincuquequelquechoseclochait,Muâwiyasemitàprierdésespérément
afinqueDieul'éclairât.IlpassatoutelanuitàdiscuteravecLucifer,et,malgrélesargumentsbrillantsqu'ilentendit,ilneselaissapasconvaincre.Alorsquelejourselevait,Lucifercédaenfin,expliquant:«C'estbien,tuasraison.Quand,cetaprès-midi,jesuisvenuteréveillerpour
que tu ne manques pas l'heure de la prière, mon intention n'était pas de terapprocherdelaLumièredivine.« Je savais que si tu n'accomplissais pas tes obligations, tu ressentirais une
profonde tristesse, et que les jours suivants tu prierais avecune foi redoublée,demandantpardonpouravoiroubliélerituelcorrect.AuxyeuxdeDieu,chacunedecesprièresfaiteavecamouretrepentiréquivaudraitàdeuxcentsprièresfaitesde façonbanale et automatique.Tu serais finalement plus pur et inspiré,Dieut'aimeraitdavantage,etjeseraisplusloindetonâme.»Luciferdisparut,etunangedelumièreentrapeuaprès:«N'oubliejamaislaleçond'aujourd'hui,dit-ilàMuâwiya.Lemalsedéguise
parfoisenémissairedubien,maissonintentionsecrèteestdeprovoquerplusdedestruction.»Ce jour-là, et les jours suivants, Muâwiya pria plein de repentir, de
compassionetdefoi.Dieuentenditmillefoissesprières.
PRÊTPOURLECOMBAT,MAISAVECDESDOUTES
Je suis vêtu d'un étrange uniforme vert, plein de fermetures à glissière, faitd'un tissu grossier.Mesmains portent des gants, pour éviter les blessures. Jetiensuneespècedelance,presqueaussihautequemoi:sonextrémitéenmétalpossèdeuntridentd'uncôtéetunepointeaiguiséedel'autre.Etdevantmesyeux,cequivaêtreattaquédansuneminute:monjardin.Avecl'objetquej'aienmain, jecommenceàarracherlamauvaiseherbequi
s'estmêléeaugazon.Jefaiscelaunbonmoment,sachantquelaplanteretiréedusolvamourirdanslesdeuxjours.Soudain,jemedemande:est-cequejefaisbien?Cequej'appelle«mauvaiseherbe»estenréalitélatentativedesurvied'une
espècedéterminée,que lanatureamisdesmillionsd'annéesàfairenaîtreetàdévelopper.Lafleuraétéfertiliséegrâceautravaild'innombrablesinsectes,elleest devenuegraine, le vent l'a répanduedans tous les champs environnants, etainsi–plantéenonpasenunseulpoint,maisendenombreuxendroits–elleabeaucoup plus de chances d'arriver jusqu'au prochain printemps. Si elle étaitconcentréedansunlieuunique,elleseraitmenacéeparlesanimauxherbivores,uneinondation,unincendie,ouunesécheresse.Maistoutceteffortdesurvieseheurtemaintenantàlapointed'unelance,qui
l'arrachedusolsanslamoindrepitié.Pourquoifais-jecela?Quelqu'unacréé le jardin. Jene saispasqui,quand j'ai acheté lamaison il
étaitdéjàlà,enharmonieaveclesmontagnesetlesarbresquil'entourent.Maisson créateur a dû réfléchir longuement à ce qu'il allait faire, planter avecbeaucoup de soin et de préparation (il y a une rangée d'arbustes qui cache la
cabane dans laquelle nous rangeons le bois), et s'en occuper au coursd'innombrableshiversetprintemps.Quandilm'aremislevieuxmoulin–oùjepassequelquesmoisparan–lapelouseétaitimpeccable.Àprésentc'estàmoide donner une continuité à son travail, bien que la question philosophiquedemeure:dois-jerespecterletravailducréateur,dujardinier,oudois-jeaccepterl'instinct de survie dont la nature a doté cette plante, aujourd'hui appelée«mauvaiseherbe»?Jecontinueàarracherlesplantesindésirables,etàenfaireunepilequibientôt
serabrûlée.Ilsepeutquejeréfléchissetropsurdesthèmesquin'appellentpasdes réflexions,mais des actions.Cependant, chaque geste de l'être humain estsacréetpleindeconséquences,etcelameforceàréfléchirdavantageàcequejefais.D'uncôté,cesplantesontledroitdeserépandreentoussens.D'unautrecôté,
si jene lesdétruispasmaintenant,elles finirontparétouffer legazon.Dans leNouveauTestament,Jésusparled'arracherl'ivraie,afinqu'ellenesoitpasmêléeaubongrain.Mais–avecousanslesoutiendelaBible–jesuisdevantleproblèmeconcret
auquel l'humanité est sans cesse confrontée : jusqu'à quel point est-il possibled'intervenir dans la nature ? Cette intervention est-elle toujours négative, oupeut-elleêtreparfoispositive?Je laisse de côté l'arme – connue également sous le nom de houe. Chaque
coupsignifielafind'unevie,lanon-existenced'unefleurquiseseraitépanouieauprintemps,l'arrogancedel'êtrehumainquiveutmodelerlepaysageautourdelui.Jedoisréfléchirdavantage,carj'exerceencemomentunpouvoirdevieetdemort.Legazon sembledire :«Protège-moi, ellevamedétruire.»L'herbeaussimeparle:«Jesuisvenuedesiloinpourarriverdanstonjardin,pourquoiveux-tumetuer?»Àlafin,cequivientàmonsecours,c'estletexteindiendelaBhagavad-Gita.
Jemesouviensde la réponsedeKrishnaauguerrierArjuna,quandcedernier,découragéavantunebatailledécisive,jettesesarmesàterre,etditqu'iln'estpasjustedeprendrepartàuncombatquifinirapartuersonfrère.Krishnarépondàpeuprèsceci:«Crois-tuquetupeuxtuerquelqu'un?TamainestMamain,ettoutcequetufaisétaitdéjàécrit.Personnenetue,etpersonnenemeurt.»Encouragéparcesouvenirsoudain,j'empoignedenouveaulalance,j'attaque
les herbes qui n'ont pas été invitées à pousser dansmon jardin, et je garde laseuleleçondecettematinée:quandquelquechosed'indésirablepousseradansmonâme,jeprieDieuqu'ilmedonnepareillementlecouragedel'arrachersansaucunepitié.
LECHEMINDUTIRÀL'ARC
Ilestimportantderépéter:uneactionestunepenséequisemanifeste.Un petit geste nous dénonce, de sorte que nous devons tout perfectionner,
penser aux détails, apprendre la technique de telle manière qu'elle devienneintuitive.L'intuitionn'arienàvoiraveclaroutine,ellerelèved'unétatd'espritquiestau-delàdelatechnique.Ainsi, après avoir beaucoup pratiqué, nous ne pensons plus à tous les
mouvementsnécessaires:ilsfontdésormaispartiedenotreexistence.Maispourcela,ilfautnousentraîner,répéter.Etcommesicelanesuffisaitpas,ilfautrépéteretnousentraîner.Observezunbonforgeronquitravaillelefer.Pourl'œilmalentraîné,ilrépète
lesmêmescoupsdemarteau.Mais celui qui connaît l'importance de l'entraînement sait que, chaque fois
qu'ilsoulèvelemarteauetlefaitredescendre,l'intensitéducoupestdifférente.La main répète le même geste, mais à mesure qu'elle s'approche du fer, ellecomprendsielledoitletoucherplusdurementouplusdélicatement.Observez le moulin. Pour qui regarde ses ailes une seule fois, il semble
tourneràlamêmevitesse,répétanttoujourslemêmemouvement.Maisceluiquiconnaîtlesmoulinssaitqu'ilssontsoumisauventetchangent
dedirectionchaquefoisquec'estnécessaire.Lamainduforgeronaétééduquéeaprèsqu'ilaeurépétédesmilliersdefois
legestedemarteler.Lesailesdumoulinpeuventsemouvoirtrèsviteaprèsqueleventabeaucoupsouffléetquesesengrenagesontétépolis.L'archeradmetquebeaucoupdeflèchespassentloindesonobjectif,carilsait
qu'iln'apprendra l'importancede l'arc,de laposition,de lacordeetde lacible
que lorsqu'il aura répété ses gestes des milliers de fois, sans craindre de setromper.Etpuisvientlemomentoùiln'aplusbesoindepenseràcequ'ilestentrainde
faire.Dèslors,l'archerdevientsonarc,saflècheetsacible.Commentobserverlevoldelaflèche:laflècheestl'intentionquiseprojette
dansl'espace.Une fois qu'elle a été lancée, l'archer ne peut plus rien faire, si ce n'est
accompagner son parcours vers la cible. À partir de ce moment, la tensionnécessaireautirn'aplusderaisond'exister.Alors,l'archergardelesyeuxfixéssurlevoldelaflèche,maissoncœurest
enpaixetilsourit.Àcemoment, ils'estsuffisammententraîné, ilestparvenuàdévelopperson
instinct, ilagardésonéléganceetsaconcentrationdurant tout leprocessusdutir,ilvasentirlaprésencedel'universetvoirquesonactionétaitjusteetdigne.Grâce à la technique, ses deuxmains sont prêtes, sa respirationprécise, ses
yeuxpeuventfixerlacible.Grâceàl'instinct,lemomentdetirerseraparfait.Celui qui passerait près de là et verrait l'archer les bras écartés, ses yeux
suivantlaflèche,penseraitqu'ilestparalysé.Maislesalliéssaventquel'espritdeceluiquiatiréestdansuneautredimension,qu'ilestmaintenantencontactavectoutl'univers: ilcontinueàtravailler,apprenanttoutcequecetiraapportédepositif, corrigeant les erreurs éventuelles, acceptant ses qualités, attendant devoircommentlacibleréagitquandelleestatteinte.Lorsque l'archer tend la corde, il peut voir le monde entier dans son arc.
Lorsqu'ilaccompagnelevoldelaflèche,cemondes'approchedelui,lecaresse,etilalasensationparfaitedudevoiraccompli.Aussitôt qu'il accomplit son devoir et transforme son intention en geste, un
guerrierdelalumièren'aplusrienàredouter:ilafaitcequ'ilavaitàfaire.Ilnes'estpaslaisséparalyserparlapeur–mêmesilaflèchen'apasatteintlacible,ilaurauneautreoccasion,carilnes'estpasmontrélâche.Le petit garçon regardait son grand-père écrire une lettre. À un certain
moment,ildemanda:«Tuécrisunehistoirequinousestarrivée?Est-ceparhasardunehistoiresur
moi?»Legrand-pèrecessad'écrire,sourit,etdéclaraàsonpetit-fils:«J'écrissurtoi,c'estvrai.Maisplusimportantquelesmotsestlecrayonque
j'utilise.J'aimeraisquetusoiscommeluiquandtuserasgrand.»Intrigué,legaminregardalecrayon,etilnevitriendeparticulier.«Maisilestpareilàtouslescrayonsquej'aivusdansmavie!
—Tout dépend de la façon dont tu regardes les choses. Il y a en lui cinqqualitésquiferontdetoi,situparviensàlesgarder,unepersonneenpaixaveclemonde.«Premièrequalité : tupeuxfairedegrandeschoses,mais tunedois jamais
oublierqu'ilexisteuneMainquiguidetespas.Cettemain,nousl'appelonsDieu,etIldoittoujoursteconduireversSavolonté.«Deuxièmequalité:detempsàautrejedoiscesserd'écrireetutiliserletaille-
crayon. Le crayon souffre un peu, mais à la fin il est mieux aiguisé. Parconséquent, sache supporter certaines douleurs, car elles feront de toi unemeilleurepersonne.« Troisième qualité : le crayon nous permet toujours d'utiliser une gomme
poureffacernoserreurs.Comprendsquecorrigerunechosequenousavonsfaiten'estpasnécessairementunmal,maisquec'est importantpournousmaintenirsurlechemindelajustice.«Quatrièmequalité :cequicomptevraimentdans lecrayon,cen'estpas le
bois ou sa forme extérieure, mais le graphite qui se trouve à l'intérieur. Parconséquent,prendstoujourssoindecequisepasseentoi.«Enfin, la cinquième qualité du crayon : il laisse toujours unemarque.De
même,sachequetoutcequetuferasdanslavielaisseradestraces,etefforce-toid'êtreconscientdetoustesactes.»
MANUELPOURGRAVIRLESMONTAGNES
A)Choisissezlamontagnequevousdésirezgravir.Nevouslaissezpasguiderpar les commentaires des autres, qui vous disent « celle-ci est plus belle » ou« celle-là est plus facile », vous dépenseriez beaucoup d'énergie et beaucoupd'enthousiasme pour atteindre votre objectif. Vous êtes le seul responsable etdevezêtresûrdecequevousfaites.B)Sachezcommentarriverdevantelle.Trèssouvent,onvoitlamontagnede
loin – belle, intéressante, pleine de défis –, mais quand on essaie de s'enapprocher,que sepasse-t-il ?Les routes la contournent, il y ades forêts entrevous et votre objectif, ce qui paraît clair sur la carte est difficile dans la vieréelle. Par conséquent, essayez tous les chemins, les sentiers, et puis un jourvousvoustrouverezfaceausommetquevoussouhaitezatteindre.C)Apprenez de quelqu'un qui est déjà passé par là. Vous avez beau vous
jugerunique,ilyatoujoursquelqu'unquiafaitavantvouslemêmerêve,etafinalement laissédesmarquesquipeuventvous faciliter lamarche.C'estvotrebout de chemin, votre responsabilité également, mais n'oubliez pas quel'expérienced'autruiestd'ungrandsecours.D) Vus de près, les dangers sont contrôlables. Quand vous commencez à
gravirlamontagne,soyezattentifàcequ'ilyaautour.Desprécipices,biensûr.Des crevasses presque imperceptibles. Des pierres tellement polies par lestempêtes qu'elles sont glissantes comme la glace.Mais si vous savez où vousposezchaquepied,vousremarquerezlespiègesetvoussaurezlescontourner.E)Lepaysagechange,doncprofitez-en.Ilestclairqu'ilfautavoirunobjectif
entête–arriverausommet.Maisàmesurequel'onmonte,onvoitdavantagedechoses,etcelanecoûteriendes'arrêterdetempsentempsetdejouirunpeudu
panoramaenvironnant.Àchaquemètreconquis,vouspouvezvoirunpeuplusloin ; profitez-en alors pour découvrir des choses que vous n'avez pas encoredistinguées.F)Respectezvotrecorps.Seul celuiqui accordeà soncorps l'attentionqu'il
mérite réussit àgravirunemontagne.Vousavez tout le tempsque lavievousdonne, doncmarchez sans exiger cequ'elle nepeut donner.Si vous allez tropvite, vous serez fatigué et vous renoncerez à mi-chemin. Si vous allez troplentement,lanuitpeuttomberetvousserezperdu.Profitezdupaysage,jouissezdel'eaufraîchedessourcesetdesfruitsquelanaturevousoffregénéreusement,maiscontinuezàmarcher.G) Respectez votre âme.Ne répétez pas tout le temps : « Je vais réussir. »
Votre âme le sait déjà, cedont elle abesoin, c'est de se servirde cette longueroutepourgrandir,s'étendreàl'horizon,atteindreleciel.Uneobsessionn'aideenrien à la recherche de votre objectif et finit par vous priver du plaisir del'escalade.Maisattention:nerépétezpasnonplus«c'estplusdifficilequejenelepensais»,carcelavousferaitperdrevotreforceintérieure.H) Préparez-vous à marcher un kilomètre de plus. Le parcours jusqu'au
sommetde lamontagneest toujoursplus longquevousne lepensez.Nevousmentez pas, lemoment arrivera où ce qui paraissait près est encore très loin.Mais comme vous êtes disposé à aller au-delà, ce n'est pas vraiment unproblème.I)Réjouissez-vousquandvousatteignezlesommet.Pleurez,battezdesmains,
criezauxquatrecoinsquevousavezréussi,laissezleventlà-haut(parcequelà-haut ilvente toujours)purifiervotreâme,rafraîchissezvospiedsfatiguésetensueur,ouvrezlesyeux,ôtezlapoussièredevotrecœur.C'estmerveilleux,cequiauparavantn'étaitqu'unrêve,unevisionlointaine,faitmaintenantpartiedevotrevie,vousavezréussi.J) Faites une promesse. Vous avez découvert une force que vous ne vous
connaissiezmêmepas,profitez-enetdites-vousquedésormaisvous l'utiliserezpour le restant de vos jours. De préférence, promettez aussi de découvrir uneautremontagneetdepartirversunenouvelleaventure.L) Racontez votre histoire. Oui, racontez votre histoire. Donnez-vous en
exemple.Ditesàtoutlemondequec'estpossible,etalorsd'autrespersonnessesentirontlecouraged'affronterleurspropresmontagnes.
DEL'IMPORTANCEDUDIPLÔME
Monvieuxmoulin,danslepetitvillagedesPyrénées,estséparédelafermevoisine par une rangée d'arbres. L'autre jour, mon voisin, un homme d'unesoixantained'années,estvenumevoir.Jelevoyaisfréquemmenttravaillerauxchampsavecsafemme,etjepensaisqu'ilétaittempspoureuxdesereposer.Levoisin,audemeurant trèssympathique,m'aditque lesfeuillesmortesde
mesarbrestombaientsursatoitureetquejedevaislescouper.J'enaiététrèschoqué:commentquelqu'unquiapassétoutesavieencontact
avec la nature veut-il que je détruise quelque chose qui a eu tant de mal àpousser,simplementparceque,endixans,celarisqued'abîmerlestuiles?Jel'inviteàprendreuncafé.Jeluidisquejemesensresponsable,quesiun
jourcesfeuillesmortes(quiserontbalayéesparleventetparl'été)provoquaientlemoindredommage,jemechargeraisdeluifaireconstruireunnouveautoit.Levoisindéclarequecelanel'intéressepas:ilveutquejecoupelesarbres.Unpeuagacé,jedisquejepréfèreachetersaferme.«Materren'estpasàvendre»,répond-il.«Maisaveccetargent,vouspourriezacheterunemaisonsuperbeenville,y
vivrelerestantdevosjoursavecvotrefemme,n'ayantplusàaffronterdeshiversrigoureuxetdesrécoltesperdues.—Lafermen'estpasàvendre.Jesuisné,j'aigrandiici,etjesuistropvieux
pourdéménager.»Il suggère qu'un expert vienne de la ville, fasse une évaluation, et décide –
ainsi,aucundenousn'abesoindesemettreencolère.Enfindecompte,noussommesvoisins.
Après son départ,ma première réaction est de l'accuser d'insensibilité et deméprisenverslaTerreMère.Puisjesuisintrigué:Pourquoin'a-t-ilpasacceptédevendresaterre?Etavantlafindelajournée,jecomprendsquemonvoisinn'aconnudanslaviequ'unehistoire,etqu'ilneveutpasenchanger.Alleràlavillesignifieaussis'enfoncerdansunmondeinconnuayantd'autresvaleurs,qu'ilsejugepeut-êtretropvieuxpouracquérir.Celaarrive-t-ilseulementàmonvoisin?Non.Jepensequecelaarriveàtout
lemonde–noussommesparfoistellementattachésànotremanièredevivrequenousrefusonsunegrandeoccasionfautedesavoircommentl'utiliser.Danssoncas,safermeetsonvillagesontlesseulslieuxqu'ilconnaisse,etcelanevautpasla peine de prendre un risque.Quant aux gens qui habitent la ville, ils ont laconvictionqu'ilfautavoirundiplômeuniversitaire,semarier,avoirdesenfants,faireensortequeleursenfantsaientaussiundiplôme,etainsidesuite.Personnenesedemande:«Sepourrait-ilquejefasseautrechose?»Jemesouviensquemonbarbiertravaillaitjouretnuitpourquesafillepuisse
allerjusqu'auboutdesesétudesdesociologie.Ellearéussiàterminerlafacultéet,aprèsavoirfrappéàbeaucoupdeportes,atrouvéunemploidesecrétairedansuneentreprisedeproductiondeciment.Pourtant,monbarbierdisaitfièrement:«Mafilleaundiplôme.»La plupart demes amis, et des enfants demes amis, ont aussi un diplôme.
Cela ne signifie pas qu'ils ont trouvé le travail qu'ils désiraient – bien aucontraire, ils sont entrésdansuneuniversité et en sont sortis parceque, à uneépoqueoùlesuniversitésétaientimportantes,onleuravaitditquepours'éleverdans la vie, il fallait avoir un diplôme.Et ainsi lemonde a perdu d'excellentsjardiniers,boulangers,antiquaires,sculpteurs,écrivains.Peut-être est-il temps de revoir un peu cela : médecins, ingénieurs,
scientifiques,avocats,doiventfairedesétudessupérieures.Maisest-cequetoutlemondeenabesoin?JelaisselesversdeRobertFrostdonnerlaréponse:
«DevantmoiilyavaitdeuxroutesJ'aichoisilaroutelamoinsfréquentéeEtcelaafaittouteladifférence.»
P.-S.Pourterminerl'histoireduvoisin:l'expertestvenuet,àmasurprise,ilnous amontré une loi française selon laquelle tout arbre doit se trouver à unminimumdetroismètresdelapropriétéd'autrui.Lesmienssetrouvantàdeuxmètres,jedevrailescouper.
DANSUNBARDETOKYO
Lejournalistejaponaisposelaquestionhabituelle:«Etquelssontvosécrivainsfavoris?»Jedonnelaréponsehabituelle:«JorgeAmado,JorgeLuisBorges,WilliamBlakeetHenryMiller.»Latraductricemeregardeavecétonnement:«HenryMiller?»Mais elle se rend compte aussitôt que son rôle n'est pas de poser des
questions, et elle continue son travail. À la fin de l'interview, je veux savoirpourquoimaréponsel'atellementsurprise.Jedisqu'HenryMillern'estpeut-êtrepasunécrivain«politiquementcorrect»,maisc'estquelqu'unquim'aouvertunmonde gigantesque – ses livres ont une énergie vitale que l'on rencontrerarementdanslalittératurecontemporaine.«JenecritiquepasHenryMiller,j'ensuisfan,moiaussi,répond-elle.Saviez-
vousqu'ilaétémariéavecuneJaponaise?»Oui,biensûr:jen'aipashonted'êtrefanatiquedequelqu'un,etjeveuxtout
savoirdesavie.JesuisalléàunefoiredulivreseulementpourconnaîtreJorgeAmado, j'ai fait48heuresd'autocarpour rencontrerBorges (une rencontrequin'apaseulieuparmafaute:quandjel'aivu,jesuisrestéparalysé,etjen'airiendit),j'aisonnéàlaportedeJohnLennonàNewYork(leportierm'ademandédelaisserunelettreexpliquantlepourquoidemavisite,iladitqu'éventuellementLennon téléphonerait, cequine s'est jamaisproduit). Jeprojetaisd'aller àBigSurvoirHenryMiller,maisilestmortavantquejenetrouvel'argentduvoyage.«LaJaponaises'appelleHoki,jerépondsfièrement.Jesaisaussiqu'àTokyoil
yaunmuséeconsacréauxaquarellesdeMiller.
—Désirez-vouslarencontrercesoir?»Maisquellequestion!Biensûrquejedésireêtreprèsdequelqu'unquiavécu
avec l'une demes idoles. J'imagine qu'elle doit recevoir des visites dumondeentier, des demandes d'interviews ; finalement, ils sont restés près de dix ansensemble.Nesera-t-ilpas trèsdifficilede luidemanderdegaspillerson tempsavecunsimplefan?Maissilatraductriceditquec'estpossible,mieuxvautluifaireconfiance–lesJaponaistiennenttoujoursparole.J'attendsanxieusementlerestantdelajournée,nousmontonsdansuntaxi,et
toutcommenceàparaîtreétrange.Nousnousarrêtonsdansunerueoùlesoleilnedoit jamaisentrer,carunviaducpasseau-dessus.La traductrice indiqueunbardesecondezoneaudeuxièmeétaged'unimmeublequitombeenruine.Nousmontonslesescaliers,nousentronsdanslebarcomplètementvide,etlà
setrouveHokiMiller.Pourcacherma surprise, j'essaied'exagérermonenthousiasmepour sonex-
mari. Ellem'emmène dans une salle du fond, où elle a créé un petitmusée – quelques photos, deux ou trois aquarelles signées, un livre dédicacé, et riend'autre. Elle me raconte qu'elle l'a connu quand elle faisait sa maîtrise à LosAngeleset,pourgagnersavie,jouaitdupianodansunrestaurantetchantaitdeschansonsfrançaises(enjaponais).Millerestvenuydîner,ilaadoréleschansons(ilavaitpasséàParisunegrandepartiedesavie), ilssontsortisdeuxoutroisfoisensembleetill'ademandéeenmariage.Je vois que dans le bar où je me trouve il y a un piano – comme si elle
retournaitaupassé,aujouroùilssesontrencontrés.Ellemeracontedeschosesdélicieuses sur leur vie commune, les problèmes dus à leur différence d'âge(Milleravaitplusdecinquanteans,Hokienavaitàpeinevingt),letempsqu'ilsontpasséensemble.Elleexpliquequeleshéritiersdesautresmariagesonttoutgardé,ycomprislesdroitsd'auteurdeslivres–maiscelan'apasd'importance,cequ'elleavécuestau-delàdelacompensationfinancière.Je lui demande de jouer la musique qui a attiré l'attention de Miller, des
annéesauparavant.Leslarmesauxyeux,ellejoueetchanteLesFeuillesmortes.Latraductriceetmoi,noussommesaussiémus.Lebar,lepiano,lavoixdela
Japonaiserésonnantcontrelesmursvides,sansqu'ellesepréoccupedelagloiredesex-femmes,desflotsd'argentqueleslivresdeMillerdoiventengendrer,delarenomméemondialedontellepourraitjouirmaintenant.«Celanevalaitpaslapeinedemebattrepourl'héritage:l'amourm'asuffi»,
dit-elleà lafin,comprenantcequenousressentions.Oui,àsonabsence totaled'amertumeouderancœur,jecomprendsquel'amourluiasuffi.
DEL'IMPORTANCEDUREGARD
Audébut,TheoWieremaétaitseulementuntypeinsistant.Pendantcinqans,il a envoyé religieusement une invitation à mon bureau de Barcelone, meconviantàunecauserieàHaia,enHollande.Pendantcinqans,monbureaurépondaitinvariablementquemonagendaétait
complet. En réalité, mon agenda n'est pas toujours complet ; cependant, unécrivainn'estpasnécessairementquelqu'unquiparlebienenpublic.Enoutre,toutcequej'aiàdiresetrouvedansleslivresetlescolonnesquej'écris–c'estpourquoij'essaietoujoursd'éviterlesconférences.Theo découvrit que j'allais enregistrer une émission pour une chaîne de
télévisionenHollande.Quandjesuisdescendupour le tournage, ilm'attendaitdanslehalldel'hôtel.Ils'estprésentéetm'aproposédem'accompagner,disant:« Je ne suis pas quelqu'un qui ne peut pas entendre un refus. Je crois
seulementquejem'yprendsmalpouratteindremonbut.»Ilfautlutterpoursesrêves,maisilfautsavoirégalementquequandcertains
cheminsse révèlent impossibles,mieuxvautgardersonénergiepourparcourird'autresroutes.J'auraispusimplementdire«non»(j'aidéjàprononcéetentenducemottrèssouvent),maisj'aidécidédechercherunmoyenplusdiplomatique:mettredesconditionsimpossiblesàsatisfaire.J'aiditquejedonneraislaconférencegratuitement,maisquelebilletd'entrée
nedépasseraitpasdeuxeurosetquelasalledevraitconteniraumaximumdeuxcentspersonnes.Theoaaccepté.«Vousallezdépenserplusquevousnegagnerez,l'ai-jealerté.Pourcequime
concerne, rien que le billet d'avion et l'hôtel coûtent le triple de ce que vous
recevrez si vous parvenez à remplir la salle. De plus, il y a les coûts depromotion,lalocationdulocal...»Theo m'a interrompu, disant que rien de tout cela n'avait d'importance : il
faisaitcelaàcausedecequ'ilvoyaitdanssaprofession.« J'organise des événements parce que j'ai besoin de continuer à croire que
l'êtrehumainestenquêted'unmondemeilleur.Jedoisapportermacontributionpourquecesoitpossible.»Quelleétaitsaprofession?«Jevendsdeséglises.»Etilapoursuivi,àmongrandétonnement:«Jesuischargépar leVaticandesélectionnerdesacheteurs,vuqu'ilyaen
Hollandeplusd'églisesquedefidèles.Etcommenousavonseudanslepassédetrèsmauvaisesexpériences–nousavonsvudes lieuxsacrésse transformerenboîtes de nuit, en immeubles en copropriété, en boutiques et même en sex-shops – le système de vente a changé. Le projet doit être approuvé par lacommunauté,etl'acheteurdoitannoncercequ'ilferadel'immeuble:engénéralnousacceptonsseulementlespropositionsquicomportentuncentreculturel,uneinstitutioncharitable,ouunmusée.« Quel rapport cela a-t-il avec votre conférence, et les autres que j'essaie
d'organiser?Lesgensneserencontrentplus.Quandilsneserencontrentpas,ilsnepeuventpassedévelopper.»Meregardantfixement,ilaconclu:« Des rencontres. Mon erreur avec vous, ce fut justement cela. Au lieu
d'envoyeruncourrierélectronique, j'auraisdûmontrer toutdesuitequejesuisfait de chair et d'os.Un jour où je neparvenais pas à obtenir de réponsed'uncertainpoliticien, je suisallé frapperà saporte,et ilm'adit :“Sivousvoulezquelquechose, il fautd'abordmontrervosyeux.”Depuis lors, je l'ai fait, et jen'ai recueilli que de bons résultats. Nous pouvons avoir tous les moyens decommunicationdumonde,maisrien,absolumentrien,neremplaceleregarddel'êtrehumain.»Évidemmentj'aifiniparaccepterlaproposition.P.-S.Quand je suis allé àHaia pour la conférence, sachant quema femme,
artisteplasticienne, a toujoursdésiré créeruncentre culturel, j'ai souhaitévoirquelques-unes des églises à vendre. J'ai demandé le prix d'une église quinormalement abritait cinq cents paroissiens le dimanche : elle coûtait un euro,quoiquelesdépensesd'entretienpussentatteindredesniveauxprohibitifs.
GENGISKHANETSONFAUCON
Lors d'une récente visite auKazakhstan, enAsie centrale, j'ai eu l'occasiond'accompagnerdeschasseursquiseserventdufauconcommed'unearme.Jeneveuxpasentrericidansundébatconcernantlemot«partiedechasse»;jediraisimplementque,danscecas,c'estlanatureaccomplissantsoncycle.Jen'avaispasd'interprète,etcequiauraitpuêtreunproblèmes'estrévéléune
bénédiction.Empêché de bavarder avec les chasseurs, j'étais plus attentif à cequ'ilsfaisaient:j'aivunotrepetitcortèges'arrêter,l'hommequiportaitlefauconsurlebrass'éloignerunpeu,etretirerlaminusculevisièreenargentdelatêtedel'oiseau.Jenesaispourquoi, ilavaitdécidédes'arrêterlà,et jenepouvaispasposerdequestion.L'oiseauaprissonvol, tracéquelquescerclesdansl'air,puisilestdescendu
enpiquédans la directiondu ravin et n'a plus bougé.Nous avonsvu ennousapprochant qu'un renard était prisonnier dans ses serres. Lamême scène s'estproduiteuneautrefoisaucoursdelamatinée.Deretourauvillage,j'airetrouvélespersonnesquim'attendaient,etjeleurai
demandécommentonparvenaitàdomestiquerlefauconpourluifairefairetoutcequej'avaisvu–ycomprisresterdocilementsurlebrasdesonmaître(etsurlemienégalement;onm'avaitmisdescourroiesencuiretj'aipuvoirdeprèssesserresacérées).Questioninutile.Personnenesaitexpliquer:onditquecetartsetransmetde
génération en génération, le père l'enseigne à son fils, et ainsi de suite.Maisresterontgravésàtoutjamaisdansmesrétineslesmontagnesenneigéesaufond,lasilhouetteduchevaletlecavalier,lefauconquittantsonbrasetdescendantenflèche.
Resteraaussiunelégendequel'onm'aracontéependantquenousdéjeunions.Unmatin, le guerriermongolGengisKhan et sa cour partirent à la chasse.
Tandisquesescompagnonsemportaientarcsetflèches,GengisKhanportaitsurlebrassonfauconfavori–quiétaitmeilleuretplusprécisquen'importequelleflèche,parcequ'ilpouvaits'éleverdanslescieuxetvoirtoutcequel'êtrehumainnevoitpas.Cependant, malgré tout leur enthousiasme, ils ne trouvèrent rien. Déçu,
Gengis Khan regagna son campement, mais pour ne pas se décharger de safrustration sur ses compagnons, il se sépara du cortège et décida de cheminerseul.Ilsétaientrestésdanslaforêtpluslongtempsqueprévu,etKhanmouraitde
fatigueetdesoif.Àcausedelachaleurdel'été,lesruisseauxétaientàsec,ilnetrouvait rien à boire, et puis –miracle ! – il vit devant lui un filet d'eau quidescendaitd'unrocher.Immédiatement,ildétachalefaucondesonbras,pritlapetitecoupeenargent
qu'il portait toujours avec lui,mit un longmoment à la remplir, et, alors qu'ilétaitsurlepointdelaporteràseslèvres,lefauconpritsonvoletluiarrachalacoupedesmains,lajetantauloin.GengisKhanétaitfurieux,maisc'étaitsonanimalfavori,peut-êtreavait-ilsoif
lui aussi. Il saisit la coupe, nettoya la poussière et la remplit de nouveau. Leverreàdemiplein,lefauconl'attaquadenouveau,renversantleliquide.Gengis Khan adorait son animal, mais il savait qu'il ne pouvait tolérer en
aucunecirconstancequ'onluimanquâtderespect;quelqu'unpouvaitassisterdeloinàlascène,etplustardraconteràsesguerriersquelegrandconquérantétaitincapablededompterneserait-cequ'unoiseau.Cettefois,iltirasonépéedesaceinture,s'emparadelacoupe,recommençaà
laremplir–gardantunœilsurlasourceetl'autresurlefaucon.Dèsqu'ilvitqu'ilyavaitassezd'eau,ilsepréparaàboire,alorslefauconpritdenouveausonvoletsedirigeaverslui.Khan,d'uncoupprécis,luitransperçalecœur.Maislefiletd'eauavaitséché.Décidéàboired'unemanièreoud'uneautre,il
grimpasurlerocherpourtrouverlasource.Àsasurprise,ilyavaitvraimentunenapped'eauet,aumilieu,mort,l'undesserpentslesplusvenimeuxdelarégion.S'ilavaitbul'eau,ilauraitquittélemondedesvivants.Khanrevintaucampementaveclefauconmortdanslesbras.Ilfitfabriquer
unereproductionenordel'oiseau,etilgravasuruneaile:«Mêmequandunamifaitquelquechosequineteplaîtpas,ilrestetonami.»Surl'autreaile,ilfitécrire:«Touteactionmotivéeparlafureurestuneactionvouéeàl'échec.»
ENREGARDANTLEJARDINDEL'AUTRE
«Donne à l'idiotmille intelligences, et c'est la tienne qu'il voudra », dit leproverbearabe.Nouscommençonsàplanterlejardindenotrevieet,regardantàcôté,nousvoyonsquelevoisinestlà,àépier.Ilestincapabledefairequoiquece soit,mais il se plaît à semêler de la façon dont nous semons nos actions,plantonsnospensées,arrosonsnosconquêtes.Sinousprêtonsattentionàcequ'ilraconte,nousfinissonspartravaillerpour
lui,etlejardindenotrevieserauneidéeduvoisin.Nousenoublieronslaterrecultivéeavec tantdesueur, fertiliséepar tantdebénédictions.Nousoublieronsque chaque centimètre de terre a sesmystères, que seule lamain patiente dujardinierpeutdéchiffrer.Nouscesseronsd'êtreattentifsausoleil,àlapluieetauxsaisons – pour nous concentrer uniquement sur cette tête qui nous épie par-dessuslaclôture.L'idiotquiadoresemêlerdenotrejardinnesoignejamaissespropresplantes.
LABOÎTEDEPANDORE
Le même matin, trois signes venant de continents différents : un courrierélectroniquedujournalisteLauroJardim,medemandantdeconfirmercertainesdonnéessurunenotemeconcernantetmentionnantlasituationdanslaRocinha,àRiodeJaneiro.Unappeltéléphoniquedemafemme,quivientdedébarquerenFrance:elleétaitpartieavecuncoupled'amisfrançaispourleurmontrernotrepays,etilssonttouslesdeuxrevenuseffrayésetdéçus.Enfin,lejournalistequivientm'interviewerpourunetélévisionrusse:«Est-ilvraiquedansvotrepaysplus d'un demi-million de personnes sont mortes assassinées, entre 1980 et2000?—Cen'estpasvrai,biensûr»,jeréponds.Mais si : il me montre les données d'un « institut brésilien » (en réalité,
l'InstitutoBrasileirodeGeografiaeEstatística).Je reste sans voix. La violence dans mon pays traverse les océans, les
montagnes,etvientjusqu'ici,enAsiecentrale.Quedire?Dire ne suffit pas, car les mots qui ne se transforment pas en action
« apportent la peste », comme le disaitWilliam Blake. J'ai tenté de fairemapart:j'aicréémoninstitut,avecdeuxpersonneshéroïques,IsabellaetYolandaMaltarolli ;nousessayonsdedonneréducation,affectionetamourà troiscentsoixanteenfantsdelafaveladePavão-Pavãozinho.Jesaisqu'encemomentilya desmilliers deBrésiliens qui font beaucoup plus, qui travaillent en silence,sansaideofficielle,sansappuiprivé,seulementpournepasse laisserdominerparlepiredesennemis:ledésespoir.À un certain moment, j'ai pensé que si chacun faisait sa part, les choses
changeraient.Mais ce soir, tandis que je contemple lesmontagnes gelées à la
frontièrechinoise,j'aidesdoutes.Peut-êtreque,mêmesichacunfaitsapart,ledicton que j'ai appris enfant reste vrai : « Contre la force, il n'y a pasd'argument.»Je regarde de nouveau les montagnes, éclairées par la lune. Est-ce que
vraimentcontrelaforce,iln'yapasd'argument?CommetouslesBrésiliens,j'aiessayé, j'ai lutté, je me suis efforcé de croire que la situation de mon payss'améliorerait un jour,mais chaque année qui passe, les choses semblent pluscompliquées, indépendamment de celui qui gouverne, du parti, des planséconomiquesoudeleurabsence.J'aivulaviolenceauxquatrecoinsdumonde.Jemesouviensqu'unefois,au
Liban,peuaprèslaguerrequil'avaitdévasté,jemepromenaisdanslesruinesdeBeyrouthavecuneamie,SöulaSaad.Ellem'expliquaitquesavilleavaitdéjàétédétruite sept fois. Je luiaidemandé, sur le tonde laplaisanterie,pourquoi seshabitants ne renonçaient pas à reconstruire, et ne s'en allaient pas ailleurs.« Parce que c'est notre ville », a-t-elle répondu. « Parce que l'homme quin'honorepaslaterreoùsontenterréssesancêtresseramauditàtoutjamais.»L'êtrehumainquinerendpashonneuràsaterresedéshonore.Dansl'undes
mythesgrecsclassiquesdelacréation,l'undesdieux,furieuxqueProméthéeaitvolé le feuetdonnéainsi l'indépendanceà l'homme,envoiePandoresemarieravecsonfrère,Épiméthée.Pandoreporteuneboîte,qu'illuiestinterditd'ouvrir.Cependant,commeilarriveàÈvedanslemythechrétien,sacuriositéestlaplusforte : elle soulève le couvercle pour voir ce que la boîte contient, et, à cemoment,touslesmauxdumondeensurgissentetserépandentsurlaTerre.Seulresteàl'intérieurl'Espoir.Alors,mêmesitoutditlecontraireetqu'encemomentjesuisquasiconvaincu
que rien ne va s'arranger, malgré toute ma tristesse et ma sensationd'impuissance, je ne peux pas perdre la seule chose quimemaintient en vie :l'espoir – cemot qui a toujours suscité l'ironie des pseudo-intellectuels, qui leconsidèrentcommesynonymede«tromperie».Cemottellementmanipuléparles gouvernements, qui font des promesses en sachant qu'ils ne vont pas lesaccomplir,etdéchirentencorepluslescœurs.Trèssouventcemotestavecnouslematin,ilestblesséaucoursdelajournée,meurtàlatombéedelanuitmaisressusciteavecl'aurore.Oui,ilexisteleproverbe:«Contrelaforce,iln'yapasd'argument.»Maisilexisteaussicetautre:«Tantqu'ilyadelavie,ilyadel'espoir.»Et
jelegarde,tandisquejeregardelesmontagnesenneigéesàlafrontièrechinoise.
COMMENTLETOUTPEUTSETROUVERDANSUNMORCEAU
RéunionchezunpeintrepaulistequivitàNewYork.Nousparlonsdesangeset de l'alchimie. À un certain moment, je tente d'expliquer à d'autres invitésl'idée,venantdel'alchimie,quechacundenouscontientenluil'Universentier,etqu'ilenestresponsable.Auxprisesaveclesmots, jenetrouvepasunebonneimage; lepeintre,qui
écouteensilence,invitetoutlemondeàregarderparlafenêtredesonatelier.«Quevoyez-vous?—UnerueduVillage,répondquelqu'un.»Lepeintrecolleunpapiersurlavitredesortequ'onnevoiepluslarueet,à
l'aided'uncanif,ilfaitunpetitcarrédanslepapier.«Etsil'onregardeparlà,quevoit-on?—Lamêmerue,ditunautreinvité.»Lepeintredécoupedanslepapierplusieurscarrés.«Demêmequechaquepetittroudanscepapiercontientlamêmerue,chacun
denouscontientlemêmeUnivers,dit-il.»Ettouslesassistantsapplaudissentàcettebelleimage.
LAMUSIQUEQUIVENAITDELACHAPELLE
Le jour de mon anniversaire, l'Univers m'a fait un cadeau que j'aimeraispartageravecmeslecteurs.Aumilieud'uneforêt,prèsdelapetitevilled'Azereix,danslesud-ouestdela
France,setrouveunepetitecollinecouverted'arbres.Latempératureapprochantles40 °C,un été où la chaleur fit presque cinqmillemorts dans les hôpitaux,regardant les champs de maïs complètement détruits par la sécheresse, nousn'avonspastrèsenviedemarcher.Pourtant,jedisàmafemme:«Un jour,après t'avoir laisséeà l'aéroport, j'aidécidédemepromenerdans
cetteforêt.J'aitrouvélechemintrèsbeau,neveux-tupasleconnaître?»Christinaregardeune tacheblancheaumilieudesarbresetdemandeceque
c'est.«Unepetitechapelle.»Jedisquelecheminpasseparlà,maisquelaseulefoisoùj'ysuisallé,elle
était fermée.Habitués commenous le sommes auxmontagnes et aux champs,nous savons que Dieu est partout, qu'il n'est pas nécessaire d'entrer dans uneconstructionfaiteparl'hommepourLerencontrer.Trèssouvent,aucoursdenoslongues promenades, nous prions en silence, écoutant la voix de la nature, etcomprenantquelemondeinvisiblesemanifestetoujoursdanslemondevisible.Aprèsunedemi-heured'ascension,lachapelleapparaîtaumilieudubois,etlesquestionshabituellessurgissent:Quil'aconstruite?Pourquoi?Àquelsaintousainteest-elleconsacrée?Etàmesurequenousapprochons,nousentendonsunemusiqueetunevoix
quiparaissentemplirdejoiel'airautourdenous.«L'autrefoisoùjesuisvenu
ici,iln'yavaitpasceshaut-parleurs»,medis-je,trouvantétrangequequelqu'unmettedelamusiquepourattirerdesvisiteursdansunsentierrarementfréquenté.Maiscontrairementàcequ'ils'estpassélorsdemapromenadeprécédente,la
porte est ouverte. Nous entrons, et c'est comme si nous étions dans un autremonde:lachapelleéclairéeparlalumièredumatin,uneimagedel'ImmaculéeConception sur l'autel, trois rangées de bancs, et dans un coin, dans une sorted'extase,unejeunefilled'unevingtained'annéesjouantdelaguitareetchantantlesyeuxfixéssurl'imagedevantelle.J'allumetroisciergescommejelefaistoujoursquandj'entrepourlapremière
foisdansuneéglise(pourmoi,pourmesamisetlecteurs,etpourmontravail).Ensuitejeregardederrièremoi:lafilleanoténotreprésence,sourietcontinuéàjouer.La sensation du Paradis semble alors descendre des cieux. Comme si elle
comprenait ce qu'il se passe dansmon cœur, ellemêlemusique et silence, detempsàautrefaituneprière.Etj'aiconscienced'êtreentraindevivreunmomentinoubliabledemavie–
cette conscience que très souvent nous ne pouvons avoir qu'après que lemomentmagiqueaprisfin.Jesuisentièrementlà,sanspassé,sansfutur,vivantuniquementcematin,cettemusique,cettedouceur, laprière inattendue.J'entredansunesorted'adoration,d'extase,reconnaissantd'êtreenvie.Aprèsbeaucoupde larmes et ce qui me semble une éternité, la jeune fille fait une pause, mafemmeetmoinousnouslevons,nouslaremercions,etjedisquej'aimeraisluienvoyeruncadeaupourlapaixdontelleaemplimonâme.Elleditqu'ellevientdanscetendroit tous lesmatins, etquec'est samanièredeprier. J'insisteavecl'histoireducadeau,ellehésitemaisfinitpardonnerl'adressed'uncouvent.Lelendemainjeluienvoieundemeslivres,etpeuaprèsjereçoissaréponse;
elle explique qu'elle est sortie de cet endroit ce jour-là l'âme inondée de joie,parcequelecouplequiétaitentrés'étaitassociéàl'adorationetaumiracledelavie.Dans la simplicité de cettemodeste chapelle, dans la voix de la jeune fille,
dans la lumièredumatinqui inondait tout, j'ai comprisencoreune foisque lagrandeurdeDieusemontretoujoursàtraversdeschosessimples.Siundemeslecteurspasseunjourparlapetitevilled'Azereixetvoitunechapelleaumilieudelaforêt,qu'ilmarchejusque-là.Sic'estlematin,unefilleseuleseralà,louantlaCréationparsamusique.
LAPISCINEDUDIABLE
Je regarde une belle piscine naturelle près du hameau de Babinda, enAustralie.UnjeuneIndiens'approche.«Attentiondenepasglisser»,dit-il.Lepetit lacestentouréde rochers,mais ils sontapparemment sûrs, et il est
possibledes'ypromener.«Cetendroits'appellelaPiscineduDiable,poursuitlegarçon.Voilàbiendes
années, Oolona, une belle Indienne mariée à un guerrier de Babinda, tombaamoureused'unautrehomme. Ils s'enfuirentdanscesmontagnes,mais lemariréussità les retrouver.L'amants'échappa, tandisqu'Oolonaétaitassassinée ici,dansceseaux.«Depuis lors, Oolona confond tous les hommes qui s'approchent avec son
amourperdu,etellelestuedanssesbrasd'eau.»Plustard,j'interrogelepatrondupetithôtelausujetdelaPiscineduDiable.« C'est peut-être une superstition, commente-t-il. Mais le fait est que onze
touristessontmortslàcesdixdernièresannées,ettousétaientdeshommes.»
LEMORTQUIPORTAITUNPYJAMA
Jelissurunsited'informationssurInternet:«Le10juin2004,onatrouvédanslavilledeTokyounmortvêtud'unpyjama.»Jusque-là,trèsbien;jepensequelamajoritédesgensquimeurentenpyjama,
oubienA)sontmortsdansleursommeil,cequiestunebénédiction,oubienB)setrouvaientavecleursproches,oudansunlitd'hôpital–lamortn'estpas
venuebrutalement, tousont eu le tempsde s'habituer à « l'indésirable», ainsiquel'appelaitlepoètebrésilienManuelBandeira.L'information continue : « Quand il est décédé, il se trouvait dans sa
chambre. »Donc, éliminée l'hypothèse de l'hôpital, il nous reste la possibilitéqu'ilsoitmortdanssonsommeil,sanssouffrir,sansmêmeserendrecomptequ'ilneverraitpaslalumièredujoursuivant.Maisilresteunepossibilité:agressionsuiviedemort.CeuxquiconnaissentTokyosaventquecettevillegigantesqueestenmême
tempsl'undeslieuxlesplussûrsdumonde.Jemesouviensdem'êtreunefoisarrêté pour dîner avec mes éditeurs avant de poursuivre notre voyage versl'intérieurduJapon–toutesnosvalisesétaientenvue,surlesiègearrièredelavoiture.J'aidit immédiatementquec'était trèsdangereux,àcoupsûrquelqu'unallaitpasser,lesvoir,etdisparaîtreavecnosvêtements,nosdocuments,etc.Monéditeur a souri et m'a dit que je ne devais pas m'inquiéter – il n'avait jamaisconnuuncassemblabledetoutesalonguevie(effectivement,iln'estrienarrivéànosbagages,bienquejesoisrestétenduduranttoutledîner).Mais revenonsànotremortenpyjama : iln'yavaitaucunsignede lutte,de
violenceouquoiquecesoitdecegenre.Unofficierdelapolicemétropolitaine,
danssoninterviewaujournal,affirmaitqu'ilétaitquasicertainquel'hommeétaitmort brutalement d'une crise cardiaque. Par conséquent, écartons égalementl'hypothèsed'unhomicide.Le cadavre avait été découvert par les employés d'une entreprise de
construction,audeuxièmeétaged'un immeuble,dansunblocd'habitationsquiétait sur le point d'être démoli. Tout nous incite à penser que notre mort enpyjama,dansl'impossibilitédetrouverunendroitpourvivredansl'unedesvillesles plus peuplées et les plus chères du monde, avait simplement décidé des'installerquelquepartoùiln'auraitpasàpayerdeloyer.Alorsarrivelapartietragiquedel'histoire:notremortn'étaitqu'unsquelette
habilléd'unpyjama.Àcôtédelui,ilyavaitunjournalouvert,datédu20février1984.Surunetableàproximité,lecalendriermarquaitlemêmejour.C'est-à-direqu'ilétaitlàdepuisvingtans.Etpersonnen'avaitsignalésonabsence.L'hommefutidentifié,unex-fonctionnairedelacompagniequiavaitconstruit
leblocd'habitations,oùils'étaitinstalléaudébutdesannées1980,àlasuitedesondivorce.Ilavaitunpeuplusdecinquanteanslejouroù,entraindelirelejournal,ilavaitbrusquementquittécemonde.Son ex-femme ne s'enquit jamais de lui. On alla jusqu'à l'entreprise où il
travaillait,ondécouvritqu'elleavaitétémiseenfaillitepeuaprèsl'achèvementdestravaux,caraucunappartementn'étaitvendu;aussilefaitquel'hommeneseprésentât pas pour ses activités quotidiennes n'avait-il surpris personne. Oncherchasesamis,quiattribuèrentsadisparitionaufaitqu'ilsluiavaientréclaméunpeud'argentqu'ilsluiavaientprêtéetqu'iln'avaitpasdequoirembourser.L'informationditenfinquelesrestesontétéremisàl'ex-épouse.J'aiterminé
ma lecture de l'article, et j'ai réfléchi à cette phrase finale : l'ex-épouse étaitencorevivante,etpourtant,pendantvingtans,ellen'avaitjamaisrecherchésonmari.Qu'a-t-ilpuluipasserparlatête?Qu'ilnel'aimaitplus,qu'ilavaitdécidéde l'éloigner pour toujours de savie.Qu'il avait rencontréune autre femmeetdisparusanslaisserdetraces.Quelavieestainsi,unefoisachevéelaprocédurede divorce, cela n'a aucun sens de poursuivre une relation qui est légalementterminée.J'imaginecequ'elleadûressentirenapprenant ledestinde l'hommeavecquielleavaitpartagéunegrandepartiedesavie.Ensuite, j'ai pensé aumort en pyjama, dans sa solitude totale, abyssale, au
point que personne dans ce monde, pendant vingt longues années, ne s'étaitrenducomptequ'ilavaitsimplementdisparusanslaisserdetraces.Etj'arriveàlaconclusionqueplusque la faim, la soif, lechômage, la souffranced'amour, ledésespoir de la défaite, le pire de tout, c'est de sentir que personne, maisabsolumentpersonneencemonde,nes'intéresseànous.
Encemoment,faisonsuneprièresilencieusepourcethomme,etremercions-ledenousavoirfaitréfléchiràl'importancedenosamis.
LABRAISESOLITAIRE
Juan se rendait toujours au service dominical de sa congrégation. Maistrouvantpeu àpeuque lepasteur répétait toujours lamêmechose, il cessadefréquenterl'église.Auboutdedeuxmois,parunefroidenuitd'hiver,lepasteurluirenditvisite.«Ilestsansdoutevenuessayerdemeconvaincrederevenir»,pensaJuanen
son for intérieur. Il imagina qu'il ne pouvait pas avouer la vraie raison : lessermonsrépétitifs.Illuifallaittrouveruneexcuse,ettandisqu'ilréfléchissait,ilinstalladeuxchaisesdevantlacheminéeetsemitàparlerdutemps.Lepasteurneditrien.Aprèsavoirtentéinutilementd'animerlaconversation
unmoment, Juan se tut à son tour. Ilsdemeurèrent tous lesdeux silencieux, àcontemplerlefeu,pasloind'unedemi-heure.C'est alors que le pasteur se leva, et à l'aide d'une branche qui n'avait pas
encorebrûlé,écartaunebraisepourl'éloignerdufeu.Comme elle n'avait plus assez de chaleur pour continuer à brûler, la braise
commençaàs'éteindre.Juanlafitrevenirvivementaucentredelacheminée.«Bonnenuit,ditlepasteur,quiselevaitpoursortir.—Bonnenuit,etmercibeaucoup,réponditJuan.— Loin du feu, la braise, aussi brillante soit-elle, finit par s'éteindre
rapidement.— Loin de ses semblables, l'homme, aussi intelligent soit-il, ne peut pas
conserversachaleuretsaflamme.Jeretourneraiàl'églisedimancheprochain.»
MANUELESTUNHOMMEIMPORTANTETNÉCESSAIRE
Manueldoitêtreoccupé.Sinon,ilpensequesavien'apasdesens,qu'ilperdson temps, que la société n'a pas besoin de lui, que personne ne l'aime, quepersonneneveutdelui.Parconséquent,àpeineréveillé,ilaunesériedetâchesàaccomplir:regarder
lesnouvellesàlatélévision(ilapusepasserquelquechosependantlanuit),lirele journal (ilapusepasserquelquechose laveille),priersa femmedenepaslaisserlesenfantssemettreenretardpourl'école,prendreunevoiture,untaxi,un autobus, unmétro,mais toujours concentré, regardant le vide, regardant samontre, si possible donnant quelques coups de téléphone sur sonmobile – etfaisanten sorteque tout lemondevoiequ'il estunhomme important,utileaumonde.Manuel arrive au travail, se penche sur la paperasse qui l'attend. S'il est
fonctionnaire,ilfaitsonpossiblepourquelechefvoiequ'ilestarrivéàl'heure.S'ilestpatron,ilmettoutlemondeautravailimmédiatement;s'iln'yapasdetâchesimportantesenperspective,Manuelvalesdévelopper,lescréer,préparerunnouveauprojet,établirdenouvelleslignesd'action.Manuelvadéjeuner,maisjamaisseul.S'ilestpatron,ils'assiedavecsesamis,
discutedesnouvellesstratégies,ditdumaldesconcurrents,gardetoujoursunecarte dans la manche, se plaint (avec une certaine fierté) de la surcharge detravail.SiManuelestfonctionnaire,ils'assiedaussiavecsesamis,seplaintduchef,ditqu'ilfaitbeaucoupd'heuressupplémentaires,affirmeavecdésespoir(etunegrandefierté)quebeaucoupdechosesdansl'établissementdépendentdelui.Manuel–patronouemployé–travailletoutl'après-midi.Detempsàautreil
regardesamontre, ilestbientôt l'heurederentrerà lamaison,mais il resteun
détailàrésoudrepar-ci,undocumentàsignerpar-là.C'estunhommehonnête,ildoit faire de sonmieux pour justifier son salaire et répondre aux attentes desautres, aux rêves de ses parents, qui ont fait tant d'efforts pour lui donnerl'éducationnécessaire.Enfinilrentrechezlui.Ilprendunbain,metunvêtementplusconfortableet
vadîneravecsafamille.Ils'enquiertdesdevoirsdesenfants,desactivitésdesafemme. De temps en temps il parle de son travail, uniquement pour servird'exemple – il n'a pas l'habitude d'apporter des soucis à la maison. Le dînerterminé, les enfants – qui semoquent bien des exemples, des devoirs, ou deschosesdecegenre–sortentde tableaussitôtets'installentdevant l'ordinateur.Manuel,àsontour,vas'asseoirdevantcevieilappareildesonenfance,appelétélévision. Il regarde de nouveau les informations (il a pu se passer quelquechosel'après-midi).Ilvatoujourssecoucheravecunlivretechniquesurlatabledenuit–qu'ilsoit
patronouemployé,ilsaitquelaconcurrenceestrudeetqueceluiquinesemetpasàjourcourtlerisquedeperdresonemploietdedevoiraffronterlapiredesmalédictions:resterinoccupé.Ilcauseunpeuavecsafemme–aprèstout,c'estunhommegentil,travailleur,
affectueux, prenant soin de sa famille et prêt à la défendre en toutescirconstances.Le sommeil vient tout de suite,Manuel s'endort, sachant que lelendemainilseratrèsoccupéetqu'ildoitrecouvrersonénergie.Cettenuit-là,Manuelfaitunrêve.Unangeluidemande:«Pourquoifais-tu
cela?»Ilrépondqu'ilestunhommeresponsable.L'ange continue : « Serais-tu capable, au moins quinze minutes dans ta
journée, de t'arrêter un peu, regarder le monde, te regarder toi-même, etsimplement ne rien faire ? » Manuel dit qu'il adorerait, mais qu'il n'a pas letemps.«Tutemoquesdemoi,affirmel'ange.Toutlemondealetemps,cequimanque,c'estlecourage.Travaillerestunebénédictionquandcelanousaideàpenser à ce que nous sommes en train de faire. Mais cela devient unemalédictionquandcelan'ad'autreutilitéquedenouséviterdepenserausensdenotrevie.»Manuelseréveilleenpleinenuit,iladessueursfroides.Courage?Comment
cela, un homme qui se sacrifie pour les siens n'a pas le courage de s'arrêterquinzeminutes?Il vautmieuxqu'il se rendorme, tout cela n'est qu'un rêve, ces questions ne
mènentàrien,etdemainilseratrès,trèsoccupé.
MANUELESTUNHOMMELIBRE
Pendant trenteans,Manuel travaillesansarrêt, ilélèvesesenfants,donnelebonexemple,consacretoutsontempsautravailetnesedemandejamais:«Est-cequecequejesuisentraindefaireaunsens?»Sonseulsouci,c'estl'idéequeplusilseraoccupé,plusilseraimportantauxyeuxdelasociété.Sesenfantsgrandissentetquittentlamaison,ilaunepromotion,unjouronlui
offre une montre ou un stylo pour le récompenser de toutes ces années dedévouement,sesamisversentquelqueslarmes,etarrivelemomenttantattendu:levoilàretraité,libredefairecequ'ilveut.Lespremiersmois, ilserendde tempsàautreàsonancienbureau,bavarde
avecsesvieuxamis,ets'accordeunplaisirdontilatoujoursrêvé:seleverplustard. Il sepromènesur laplageoudans laville, il aunemaisondecampagnequ'ils'estachetéeàlasueurdesonfront,iladécouvertlejardinageetilpénètrepeuàpeulemystèredesplantesetdesfleurs.Manueladutemps,toutletempsdumonde. Ilvoyagegrâceàunepartiede l'argentqu'ilapumettredecôté. Ilvisitedesmusées, apprendendeuxheuresceque lespeintres et sculpteursdedifférentes époques ont mis des siècles à développer, mais du moins a-t-il lasensationd'accroîtresaculture.Ilfaitdescentaines,desmilliersdephotos,etlesenvoieàsesamis–aprèstout,ilsdoiventsavoirqu'ilestheureux!D'autresmoispassent.Manuelapprendque le jardinne suitpasexactement
lesmêmesrèglesquel'homme–cequ'ilaplantévapousserlentement,etriennesert d'aller voir si le rosier est déjà en boutons.Dans unmoment de réflexionsincère, il découvre qu'il n'a vu au cours de ses voyages qu'un paysage àl'extérieurde l'autocarde tourisme,desmonumentsquisontmaintenantrangéssur des photos 6 x 9, mais qu'il n'a, en réalité, ressenti aucune émotion
particulière–ils'inquiétaitdavantagederacontersonaventureàsesamisquedevivrel'expériencemagiquedesetrouverdansunpaysétranger.Ilcontinueàregardertouslesjournauxtélévisés,illitdavantagelapresse(car
il a plus de temps), il se considère comme une personne extrêmement bieninformée, capable de discuter de choses qu'autrefois il n'avait pas le tempsd'étudier.Il cherche quelqu'un avec qui partager ses opinions – mais ils sont tous
plongés dans le fleuve de la vie, travaillant, faisant quelque chose, enviantManuelpour sa liberté, et enmême tempscontentsd'êtreutiles à la sociétéet«occupés»àuneactivitéimportante.Manuel cherche du réconfort auprès de ses enfants. Ces derniers le traitent
toujourstrèsgentiment–ilaétéunexcellentpère,unexempled'honnêtetéetdedévouement–maiseuxaussiontd'autressoucis,mêmes'ilssefontundevoirdeprendrepartaudéjeunerdominical.Manuel est un homme libre, dans une situation financière raisonnable, bien
informé,ilaunpasséimpeccable,maismaintenant?Quefairedecettelibertésidurementconquise?Toutlemondelefélicite,faitsonéloge,maispersonnen'adetempspour lui.Peuàpeu,Manuelsesent triste, inutile–malgré toutescesannéesauservicedumondeetdesafamille.Unenuit, un ange apparaît dans son rêve : «Qu'as-tu fait de ta vie ?As-tu
cherchéàlavivreenaccordavectesrêves?»Manuel se réveille avec des sueurs froides. Quels rêves ? Son rêve, c'était
cela : avoir un diplôme, se marier, avoir des enfants, les élever, prendre saretraite,voyager.Pourquoil'angepose-t-ilencoredesquestionsquin'ontpasdesens?Unenouvelleetlonguejournéecommence.Lesjournaux.Lesinformationsà
latélévision.Lejardin.Ledéjeuner.Dormirunpeu.Fairecedontilaenvie–etàcemoment-là,ildécouvrequ'iln'aenviederien.Manuelestunhommelibreettriste,auborddeladépression,parcequ'ilétaittropoccupépourpenserausensdesavie,tandisquelesannéescoulaientsouslepont.Ilserappellelesversd'unpoète:«Ilatraversélavie/ilnel'apasvécue.»Maiscommeilesttroptardpouracceptercela,mieuxvautchangerdesujet.
Laliberté,sidurementacquise,n'estautrequ'unexildéguisé.
MANUELVAAUPARADIS
Etpuis,notrecher,honnêteetdévouéManuelfinitparmourirunjour–cequiarrivera à tous lesManuel, Paulo,Maria,Monica de la vie. Et là, je laisse laparoleàHenryDrummond,danssonlivrebrillantLeDonsuprême,pourdécrirecequisepasseensuite.Nousnoussommestousposé,àuncertainmoment,laquestionquetoutesles
générationssesontposée:Quelleestlachoselaplusimportantedenotreexistence?Nousvoulonsemployernosjournéeslemieuxpossible,carpersonned'autre
ne peut vivre pour nous.Alors il nous faut savoir où nous devons diriger nosefforts,quelestl'objectifsuprêmeàatteindre.Nous sommeshabitués à entendreque le trésor leplus important dumonde
spirituelestlaFoi.Surcesimplemots'appuientdessièclesdereligion.Considérons-nous laFoicomme lachose laplus importantedumonde?Eh
bien,nousavonstotalementtort.DanssonépîtreauxCorinthiens,chapitreXIII,(saint)Paulnousconduitaux
premiers tempsduchristianisme.Et ildità lafin :«ces trois-làdemeurent, lafoi,l'espéranceetl'amour,maisl'amourestleplusgrand».Il ne s'agit pas d'une opinion superficielle de (saint) Paul, auteur de ces
phrases.Enfindecompte,ilparlaitdeFoiunpeuplushaut,danslamêmelettre.Ildisait:«Quandj'aurailafoilaplustotale,cellequitransportelesmontagnes,s'ilmemanquel'amour,jeneserairien.»Pauln'apasesquivélesujet;aucontraire,ilacomparélaFoietl'Amour.Etil
aconclu:
«(...)l'amourestleplusgrand.»MatthieunousdonneunedescriptionclassiqueduJugementdernier:«LeFils
del'homme[...]siègerasursontrônedegloire[...]etilsépareraleshommeslesunsdesautres,commelebergerséparelesbrebisdeschèvres.»Àcemoment,lagrandequestiondel'êtrehumainneserapas:«Commentai-
jevécu?»Ellesera:«Commentai-jeaimé?»L'épreuve finale de toute quête du Salut sera l'Amour. Il ne sera pas tenu
comptedecequenousavonsfait,denoscroyances,denosréussites.Onnenousferarienpayerde toutcela.Onnousferapayer lamanièredont
nousavonsaiménotreprochain.Leserreursquenousavonscommisesserontoubliées.Nousseronsjugéspour
lebienquenousn'avonspasfait.Cargarderl'Amourenferméensoi,c'estalleràl'encontredel'espritdeDieu,c'estlapreuvequenousneL'avonsjamaisconnu,qu'Ilnousaaimésenvain,quesonFilsestmortinutilement.Danscettehistoire,notreManuelestsauvéaumomentdesamortparceque,
bienqu'iln'aitjamaisdonnéunsensàsavie,ilaétécapabled'aimer,deprendresoindesafamille,etdefairecequ'ilfaisaitavecdignité.Cependant,mêmesilafinestheureuse,sesjourssurlaTerreontététrèscompliqués.Celareprendunephraseque j'aientenduShimonPeresprononcerauForum
économiquedeDavos:«L'optimistecommelepessimistefinissentparmourir.Mais ils ont tous les deux profité de la vie d'une manière complètementdifférente.»
UNECONFÉRENCEÀMELBOURNE
Ceseramaplus importanteparticipationauFestivaldesécrivains. Ilestdixheuresdumatin,lepublicaprisplace.Jeseraiinterviewéparunécrivainlocal,JohnFelton.Jemarchesur l'estradeavec l'appréhensionhabituelle.Feltonmeprésenteet
commence à me poser des questions. Avant que je puisse terminer unraisonnement,ilm'interromptetposeunenouvellequestion.Quandjeréponds,ilfaituncommentairedugenre«Cetteréponsen'étaitpastrèsclaire.»Auboutdecinqminutes,onnoteunmalaisedans lepublic– tout lemondecomprendqu'ilyaquelquechosequinevapas.JemerappelleConfuciusetjefaislaseulechosepossible:«Vousn'aimezpascequej'écris?jedemande.— Ce n'est pas le problème, répond-il. C'est moi qui vous interroge, non
l'inverse.—Si,c'estleproblème.Vousnemelaissezpasconclureuneidée.Confucius
adit:«Chaquefoisquec'estpossible,soisclair.»Nousallonssuivrececonseiletmettreleschosesauclair:aimez-vouscequej'écris?—Non.Jen'ailuquedeuxlivres,etj'aidétesté.—O.K.,alorsnouspouvonscontinuer.»Les camps sont maintenant définis. Le public se détend, l'atmosphère se
charge d'électricité, l'interview devient un vrai débat, et tous – y comprisFelton–sontsatisfaitsdurésultat.
LEPIANISTEAUCENTRECOMMERCIAL
Jemepromène,distrait,dansuncentrecommercial,accompagnéd'uneamievioloniste. Ursula, née en Hongrie, est actuellement en vedette dans deuxorchestresphilharmoniquesinternationaux.Brusquement,ellemeprendlebras:«Écoute!»J'écoute. J'entends des voix d'adultes, des cris d'enfants, des sons de
téléviseurs allumés dans des magasins d'électroménager, des talons frappantcontrelecarrelage,etcettefameusemusique,omniprésentedanstouslescentrescommerciauxdumonde.«Alors,n'est-cepasmerveilleux?»Jerépondsquejen'airienentendudemerveilleuxnid'inhabituel.«Lepiano!dit-elle,meregardantd'unairdéçu.Lepianisteestmerveilleux!—Cedoitêtreunenregistrement.—Nedispasdebêtise!»Si l'on écoute plus attentivement, il est évident que c'est de la musique en
direct.LepianistejoueencemomentunesonatedeChopin,etmaintenantquejeparviens à me concentrer, les notes semblent recouvrir tout le bruit qui nousentoure. Nous marchons dans les couloirs pleins de visiteurs, de boutiques,d'offres,dechosesque,selonlapublicité,toutlemondepossède–saufvousoumoi.Nousarrivonsdanslecoinréservéàlarestauration:desgensquimangent,conversent, discutent, lisent des journaux ; et l'une de ces attractions que toutcentrecommercials'efforced'offriràsesclients.Cettefois,unpianoetunpianiste.Il joue encore deux sonates deChopin, puis Schubert,Mozart. Il doit avoir
unetrentained'années;uneplaqueplacéeprèsdelapetiteestradeexpliquequ'il
estunmusiciencélèbreenGéorgie,l'unedesex-républiquessoviétiques.Iladûchercherdutravail,lesportesétaientfermées,ilaperduespoir,s'estrésigné,etmaintenantilestlà.Mais jene suispas certainqu'il soit vraiment là : sesyeux fixent lemonde
magiqueoùcesmorceauxontétécomposés;desesmains,ilpartageavectousson amour, son âme, son enthousiasme, le meilleur de lui-même, ses annéesd'étude,deconcentration,dediscipline.La seule chose qu'il semble n'avoir pas comprise : personne, absolument
personnen'estvenulàpourl'écouter; ilssontvenusacheter,manger,s'amuser,regarder les vitrines, rencontrer des amis. Un couple s'arrête à côté de nous,causantàvoixhaute,ets'éloigneaussitôt.Lepianisten'arienvu–ilestencoreenconversationavec lesangesdeMozart. Iln'apasvunonplusqu'ilavaitunpublicdedeuxpersonnes, et que l'uned'elles, violoniste talentueuse, l'écoutaitleslarmesauxyeux.Jemesouviensd'unechapelleoùjesuisentréunjourparhasardetoùj'aivu
unejeunefillequijouaitpourDieu;maisj'étaisdansunechapelle,celaavaitunsens.Ici,personnen'écoute,peut-êtrepasmêmeDieu.Mensonge.Dieuécoute.Dieuestdansl'âmeetdanslesmainsdecethomme,
parce qu'il donne le meilleur de lui-même, indépendamment de toutereconnaissance, ou de l'argent qu'il a reçu. Il joue comme s'il se trouvait à laScaladeMilan,ouàl'OpéradeParis.Iljoueparcequec'estsondestin,sajoie,saraisondevivre.Je suis saisi d'une sensation de profonde révérence. De respect pour un
hommequi,àcemoment,merappelleuneleçontrèsimportante:vousavezunelégende personnelle à accomplir, point final. Peu importe si les autressoutiennent,critiquent,ignorent,tolèrent–vousfaitescelaparcequec'estvotredestinsurcetteTerre,etlasourcedetoutejoie.Le pianiste termine une autre pièce de Mozart, et pour la première fois
remarquenotreprésence.Ilnoussalued'unsignedetêtepolietdiscret,nousdemême.Maistrèsvite,ilretourneàsonparadis,etilvautmieuxlelaisserlà,plusriennele touchantdanscemonde,mêmepasnostimidesapplaudissements.Ilest un exemple pour nous tous. Quand nous croirons que personne ne prêteattentionàcequenousfaisons,pensonsàcepianiste:ilconversaitavecDieuàtraverssontravail,etleresten'avaitpaslamoindreimportance.
ENROUTEVERSLAFOIREDULIVREDECHICAGO
J'allais de New York à Chicago, pour me rendre à la Foire du livre del'AmericanBooksellersAssociation.Soudain,ungarçons'estlevédanslecouloirdel'avion:« J'aibesoindedouzevolontaires, a-t-ildit.Chacunporteraune rosequand
nousatterrirons.»Plusieurspersonnesontlevélamain.Jel'ailevéemoiaussi,maisjen'aipas
étéchoisi.Cependant,j'aidécidéd'accompagnerlegroupe.Noussommesdescendus,le
garçonaindiquéunejeunefilledanslasalled'attentedel'aéroportd'O'Hare.Unàun,lespassagerssontallésluioffrirleurrose.Àlafin,legarçonl'ademandéeenmariagedevanttoutlemonde–etelleaaccepté.Uncommissairedebordm'adéclaré:«Depuisqueje travailledanscetaéroport,c'est lachoselaplusromantique
quisoitarrivée.»
DESBÂTONSETDESRÈGLES
Àl'automne2003,mepromenantunenuitdanslecentredeStockholm,j'aivuune femme qui marchait avec des bâtons de ski. Ma première réaction a étéd'attribuercelaàune lésionqu'elleaurait subie,mais j'ainotéqu'ellemarchaitvite,avecdesmouvementsrythmés,commesiellesetrouvaitenpleineneige–seulementiln'yavaitautourdenousquel'asphaltedesrues.Laconclusionétaitévidente : «Cette femmeest folle, commentpeut-elle faire semblantd'être entraindeskierdansuneville?»Deretourà l'hôtel, j'ai raconté l'histoireàmonéditeur. Ilm'aditque lefou,
c'étaitmoi : ce que j'avais vu était une sorte d'exercice connu sous le nomde«marche nordique » (nordic walking). D'après lui, outre lesmouvements desjambes, on utilise les bras, les épaules, lesmuscles du dos, ce qui permet unexercicebeaucouppluscomplet.Mon intention lorsque jemarche (ce qui est, avec le tir à l'arc,mon passe-
temps favori), c'est de pouvoir réfléchir, penser, regarder les merveilles quim'entourent, parler avec ma femme pendant nos promenades. J'ai trouvéintéressantlecommentairedemonéditeur,maisjen'aipasprêtéplusd'attentionàl'affaire.Unjour,metrouvantdansunmagasindesportpouracheterdumatérielpour
les flèches, j'ai remarqué de nouveaux bâtons utilisés par les amateurs demontagne – légers, en aluminium, ils s'ouvrent ou se ferment, à l'aide d'unsystèmetélescopiquesemblableautrépiedd'unappareilphotographique.Jemesuisrappelécette«marchenordique»:pourquoinepasessayer?J'enaiachetédeux paires, pourmoi et pourma femme.Nous avons réglé les bâtons à unehauteurconfortable,etlelendemainnousavonsdécidédenousenservir.
Ce fut unedécouverte fantastique !Nousgravissionsunemontagne et nousdescendions, sentantquevraiment toutnotrecorpsétait enmouvement,mieuxéquilibréetsefatiguantmoins.Nousavonsparcouruledoubledeladistancequenouscouvrionsd'habitudeenuneheure. Jeme suis souvenuqu'un jour j'avaisessayéd'explorerunruisseauàsec,mais lespierresdeson litmecausaientdetelles difficultés que j'avais renoncé. J'ai pensé qu'avec les bâtons ç'aurait étébeaucoupplusfacile;etc'étaitvrai.Ma femme est allée voir sur Internet et elle a découvert que cette activité
permettaitdebrûler46%decaloriesdeplusqu'unemarchenormale.Elleaétéenthousiasmée, et la « marche nordique » a désormais fait partie de notrequotidien.Unaprès-midi,pourmedistraire,j'aidécidémoiaussid'allervoirsurInternet
cequ'ilyavaitsurlesujet.C'étaiteffrayant:despagesetencoredespages,desfédérations,desgroupes,desdiscussions,desmodèles,et...desrègles.Jenesaispascequim'apousséàouvrirunepagesurlesrègles.Àmesureque
je lisais, j'étais horrifié : je faisais tout de travers !Mes bâtons devaient êtreréglés plus haut, ils devaient obéir à un rythme déterminé, à un angle d'appuidéterminé, le mouvement de l'épaule était compliqué, il existait une manièredifférente d'utiliser le coude, ce n'étaient que principes rigides, techniques,précis.J'aiimprimétouteslespages.Lelendemain–etlesjourssuivants–j'aitenté
defaireexactementcequelesspécialistesordonnaient.Lamarcheacommencéàperdresonintérêt,jenevoyaispluslesmerveillesautourdemoi,jeparlaispeuavecmafemme, jeneparvenaisàpenserà riend'autrequ'auxrègles.Auboutd'unesemaine,jemesuisposéunequestion:pourquoiest-cequej'apprendstoutcela?Mon objectif n'est pas de faire de la gymnastique. Je ne crois pas que les
personnes qui faisaient leur «marche nordique » au début aient pensé à autrechosequ'auplaisirdemarcher,d'améliorerleuréquilibreetdebougertoutleurcorps. Intuitivement nous savions quelle était la hauteur idéale des bâtons, demêmequ'intuitivementnouspouvionsdéduirequeplusilsétaientprèsducorps,meilleuretplusfacileétaitlemouvement.Maismaintenant,àcausedesrègles,j'avaiscessédemeconcentrersurleschosesquej'aime,etj'étaispluspréoccupédeperdredescalories,debougermesmuscles,d'utiliserunecertainepartiedemacolonnevertébrale.J'aidécidéd'oubliertoutcequej'avaisappris.Àprésentnousmarchonsavec
nos deux bâtons, profitant dumonde qui nous entoure, sentant la joie de voirnotre corps sollicité, déplacé, équilibré. Et si je veux faire de la gymnastiqueplutôt qu'une « méditation en mouvement », je chercherai une école. Pour le
moment,jesuissatisfaitdema«marchenordique»détendue,instinctive,mêmesijeneperdspeut-êtrepas46%decaloriesenplus.Je ne sais pas pourquoi l'être humain a cettemanie demettre des règles en
tout.
LEPAINQUIESTTOMBÉDUMAUVAISCÔTÉ
Nousavonstendanceàtoujourscroireàlafameuse«loideMurphy»:toutcequenousfaisonstendtoujoursàallerdanslemauvaissens.Jean-ClaudeCarrièreraconteàcesujetunehistoireintéressante.Un homme prenait tranquillement son petit déjeuner. Soudain, le pain qu'il
venaitdebeurrertombaàterre.Quellenefutpassasurprisequand,baissantlesyeux,ilvitquelapartiequ'il
avaitbeurréeétaittournéeversledessus!L'hommepensaqu'ilavaitassistéàunmiracle.Toutexcité,ilallaraconteràsesamiscequis'étaitpassé; tousfurentsurpris, car quand le pain tombe sur le sol, la partie beurrée est toujours endessous,salissanttout.«Tuespeut-êtreunsaint,ditl'un.EttureçoisunsignedeDieu.»L'histoirefitbientôtletourdupetitvillage,ettoutlemondesemitàdiscuter
avecentraindel'événement:comment,contrairementàtoutcequisedisait,lepaindecethommeétait-iltombéàterredecettemanière?Commepersonnenetrouvait de réponse adéquate, ils allèrent voir unMaître qui résidait dans lesenvironsetluiracontèrentl'histoire.LeMaîtredemandaunenuitpourprier,réfléchir,chercherl'inspirationdivine.
Lelendemain,tousretournèrentlevoir,anxieuxdesaréponse.«Lasolutionesttrèssimple,ditlemaître.Enréalité,lepainesttombésurle
sol exactement comme il devait tomber ; c'est le beurre qui avait été étalé dumauvaiscôté.»
DESLIVRESETDESBIBLIOTHÈQUES
En réalité, je n'ai pas beaucoup de livres : il y a quelques années, j'ai faitcertainschoixdanslavie,guidéparl'idéederechercherunmaximumdequalitéavec le minimum de choses. Je ne veux pas dire que j'ai opté pour une viemonastique–bienaucontraire,quandnousnesommespasobligésdeposséderuneinfinitéd'objets,nousavonsunelibertéimmense.Certainsdemesamis(etamies)seplaignentdeperdredesheuresdeleurvieàtenterdechoisircequ'ilsvontporterparcequ'ilsonttropdevêtements.Commemagarde-robeserésumeàun«noirbasique»,jen'aipasbesoind'affronterceproblème.Cependantjenesuispasicipourparlerdemode,maisdelivres.Pourrevenir
à l'essentiel, j'ai décidé de ne conserver que quatre cents livres dans mabibliothèque, certains pour des raisons sentimentales, d'autres parce que je lesrelis toujours. Cette décision a été prise pour des motifs divers, l'un étant latristessedevoircommentdesbibliothèquesaccumuléessoigneusementaucoursd'une vie étaient ensuite vendues au poids sans aucun respect. Autre raison :pourquoigardertouscesvolumesàlamaison?Pourmontreràmesamisquejesuis cultivé ?Pourorner lemur ?Les livresque j'ai achetés seront infinimentplusutilesdansunebibliothèquepubliquequechezmoi.Autrefois,j'auraispudire:j'enaibesoinparcequejevaislesconsulter.Mais
aujourd'hui,quanduneinformationm'estnécessaire,j'allumel'ordinateur,jetapeunmot-clé,etdevantmoiapparaît toutcedontj'aibesoin.IlyalàInternet, laplusgrandebibliothèquedelaplanète.Bien entendu je continue à acheter des livres – il n'existe pas de moyen
électroniquequipuisselesremplacer.Maisdèsquej'enaiterminéun,jelelaissevoyager, je le donne àquelqu'un, ou je le remets à unebibliothèquepublique.
Mon intention n'est pas de sauver des forêts ou d'être généreux : je croisseulement qu'un livre a un parcours propre et ne peut être condamné à resterimmobilesuruneétagère.Étantécrivainetvivantdedroitsd'auteur,peut-êtresuis-jeentraindeplaider
contremaproprecause–finalement,plusonachèteradelivres,plusjegagneraid'argent.Mais ce serait injuste envers le lecteur, surtout dansdespaysoùunegrandepartiedesprogrammesgouvernementauxd'achatspourlesbibliothèquesne tientpascompteducritère fondamentald'unchoixsérieux : leplaisirde lalectureetlaqualitédutexte.Laissonsdoncnoslivresvoyager,d'autresmainslestoucheretd'autresyeux
en jouir. Au moment où j'écris ce texte, je me souviens vaguement d'unpoème de Jorge Luis Borges qui parle des livres qui ne seront plus jamaisouverts.Oùsuis-jemaintenant?DansunepetitevilledesPyrénées,enFrance,assis
dans un café, profitant de l'air conditionné car dehors la température estinsupportable.Lehasardfaitquej'ailacollectioncomplètedeBorgeschezmoi,à quelques kilomètres du lieu où j'écris – c'est un écrivain que je relisconstamment.Maispourquoinepasfaireletest?Je traverse la rue. Je marche cinq minutes jusqu'à un autre café, équipé
d'ordinateurs (ce type d'établissement connu sous le nom sympathique etcontradictoiredecybercafé).Jesaluelepatron,jecommandeuneeauminéralebienglacée, j'ouvrelapaged'unmoteurderecherche,et je tapequelquesmotsdu seul vers dont je me souvienne, avec le nom de l'auteur. Moins de deuxminutesplustard,j'aidevantmoilepoèmecomplet:IlyaunversdeVerlainedontjenemesouviendraiplusjamais.Ilyaunmiroirquim'avupourladernièrefois.Ilyauneporteferméejusqu'àlafindestemps.ParmileslivresdemabibliothèqueIlyenaunquejen'ouvriraiplus.
Enréalité,j'ail'impressionqu'ilyabeaucoupdelivresquej'aidonnésqueje
n'aurais plus jamais ouverts – on publie sans cesse des ouvrages nouveaux,intéressants, et j'adore lire. Je trouve formidable que les gens aient desbibliothèques;engénérallepremiercontactquelesenfantsontavecleslivresnaîtdeleurcuriositépourquelquesvolumesreliés,avecdespersonnagesetdeslettres.Mais je trouve cela formidable aussi de rencontrer, dans une soirée designatures, des lecteurs tenant des exemplaires très usés qui ont été prêtés desdizainesdefois:celasignifiequecelivreavoyagécommel'espritdesonauteurvoyageaittandisqu'ill'écrivait.
PRAGUE,1981
Unjour,aucoursdel'hiverde1981,jemepromenaisavecmafemmedanslesruesdePrague,quandnousavonsvuungarçonquidessinaitlesimmeublesquil'entouraient.Bienque j'aie véritablement horreur d'emporter des choses quand je voyage
(etilyavaitencoreunlongvoyagedevantnous),l'undesdessinsm'apluetj'aidécidédel'acheter.Quandj'aitendul'argentaugarçon,j'aiconstatéqu'ilneportaitpasdegants,
malgrélefroidde–5°C.«Pourquoineportez-vouspasdegants?ai-jedemandé.—Pourpouvoirtenirlecrayon.»Et il a commencé àme raconter qu'il adorait Prague en hiver, que c'était la
meilleure saison pour dessiner la ville. Il était tellement content d'avoir vendusondessinqu'iladécidédefaireunportraitdemafemme,gratuitement.Tandis que j'attendais que le portrait fût prêt, jeme suis rendu compte qu'il
s'était passé quelque chose de très étrange : nous avions parlé presque cinqminutes, aucundenousdeuxneparlant la languede l'autre.Nousnousétionscompris simplement par des gestes, des rires, des expressions du visage, etl'enviedepartagerquelquechose.La simple envie de partager quelque chose nous avait fait entrer dans le
mondedu langage sansparoles, où tout est toujours clair, et où il n'y apas lemoindrerisqued'êtremalinterprété.
POURUNEFEMMEQUIESTTOUTESLESFEMMES
UnesemaineaprèslafindelaFoiredulivredeFrancfort,en2003,jereçoisunappeltéléphoniquedemonéditeurenNorvège:lesorganisateursduconcertquiauralieupourleprixNobeldelapaix,l'IranienneShirineEbadi,souhaitentquej'écriveuntextepourl'événement.C'estunhonneurquejenedoispasrefuser,carShirineEbadiestunmythe:
unefemmequimesure1,50mètre,maisquiaunestaturesuffisantepour faireentendre sa voix aux quatre coins du monde quand elle défend les droits del'homme. Enmême temps, c'est une responsabilité que j'appréhende un peu –l'événementseraretransmisdanscentdixpays,etjenedisposeraiquededeuxminutespourparlerdequelqu'unquiaconsacrétoutesavieàsonprochain.JemarchedanslesforêtsprèsdumoulinoùjevisquandjesuisenEurope,jepenseplusieurs fois téléphoner pour dire que je suis sans inspiration. Mais le plusintéressant dans la vie, ce sont les défis auxquels nous sommes confrontés, etfinalementj'acceptel'invitation.Je pars pour Oslo le 9 décembre, et le lendemain – une belle journée de
soleil– jesuisdans lasalleoùsedéroule lacérémoniederemiseduprix.Leslarges fenêtresde l'hôtel devillepermettentdevoir leport oùvingt et un ansplustôt,plusoumoinsàlamêmeépoque,j'étaisassisavecmafemme,regardantla mer gelée, mangeant des crevettes qui venaient d'être débarquées par lesbateauxdepêche.Jepenseaulongparcoursquim'aconduitdeceportàcettesalle,maismes souvenirs sont interrompus par les trompettes qui retentissent,l'entréedelareineetdelafamilleroyale.Lecomitéd'organisationremetleprix,ShirineEbadiprononceunvéhémentdiscoursdénonçantlerecoursàlaterreurcommeunejustificationpourlacréationd'unÉtatpolicierdanslemonde.
Lesoir,auconcertenhommageà la lauréate,CatherineZetaJonesannoncemontexte.Àcemoment, j'appuiesurunboutondemonportable, le téléphonesonnedanslevieuxmoulin(toutétaitarrangéàl'avance),etmafemmesetrouvelàavecmoi,écoutantlavoixdeMichaelDouglasquilitmespropos.Voici le texte que j'ai écrit – dont je pense qu'il s'applique à tous ceux qui
luttentpourunmondemeilleur:LepoèteRûmîadit :«Laviec'estcommesiunroienvoyaitunepersonne
dans un pays pour réaliser une mission déterminée. Elle s'y rend et fait unecentaine de choses – mais si elle n'a pas fait ce qui lui a été demandé, c'estcommesiellen'avaitabsolumentrienfait.»Pourlafemmequiacomprissamission.Pourlafemmequiaregardélaroutedevantsesyeux,etcomprisquesalonguecourseserait
trèsdifficile.Pourlafemmequi n'a pas cherché à minimiser ces difficultés : au contraire, elle les a
dénoncéesetafaitensortequ'ellessoientvisibles.Pourlafemmequiarendumoinssolitairesceuxquisontseuls,quianourriceuxquiavaient
faim et soif de justice, qui a fait que l'oppresseur se sente aussi mal quel'opprimé.Pourlafemmequi garde toujours ses portes ouvertes, ses mains au travail, ses pieds en
mouvement.Pourlafemmequipersonnifielesversd'unautrepoètepersan,Hâfiz,quand
il dit : « Même sept mille ans de joie ne peuvent justifier sept jours derépression.»Pourlafemmequiesticicesoir:qu'ellesoitchacundenous,quesonexemplesemultipliequ'elleaitencoredevantellebeaucoupdejoursdifficiles,afinqu'ellepuisse
achever son travail. Ainsi, les prochaines générations ne trouveront plus lasignificationd'injusticequedanslesdéfinitionsdesdictionnaires,etjamaisdanslavied'êtreshumains.Quesacoursesoitlente,carsonrythmeestlerythmeduchangement.Etlechangement,levraichangement,esttoujourstrèslongàs'accomplir.
QUELQU'UNARRIVEDUMAROC
Quelqu'un arrive duMaroc etme raconte une curieuse histoire sur la façondontcertainestribusdudésertvoientlepéchéoriginel.Èvesepromenaitdanslejardind'Éden,quandleserpents'approcha.«Mangecettepomme»,ditleserpent.Ève,trèsbieninstruiteparDieu,refusa.«Mangecettepomme, insista leserpent, tudois te faireplusbellepour ton
homme.—Cen'estpaslapeine,réponditÈve.Iln'apasd'autrefemmequemoi.»Leserpentrit:«Maissi,biensûr.»EtcommeÈvenelecroyaitpas,ill'emmenajusqu'enhautd'unecolline,oùse
trouvaitunpuits.«Elleestdanscettecaverne.Adaml'yacachée.»Ève se pencha et vit, reflétée dans l'eau du puits, une belle femme. Sur-le-
champ,ellemangealapommequeleserpentluioffrait.Selonlamêmetribumarocaine,celuiquisereconnaîtdanslerefletdupuitset
n'apluspeurdelui-mêmeretourneauParadis.
MESFUNÉRAILLES
Le journaliste duMail onSunday se présente à l'hôtel à Londres, avec unesimple question : si je mourais aujourd'hui, comment se passeraient mesfunérailles?Enréalité,l'idéedelamortm'accompagnetouslesjoursdepuisque,en1986,
j'aifaitlechemindeSaint-Jacques.Jusque-là,l'idéequetoutpuissefinirunjourm'effrayait – mais dans une étape du pèlerinage, j'ai fait un exercice quiconsistait à expérimenter la sensation d'être enterré vivant. L'exercice a été siintensequej'enaiperdutotalementlapeuretquejemesuismisàenvisagerlamortcommeunegrandecompagnedevoyage,quiesttoujoursassiseàcôtédemoi,disant :«Je tefrapperai,et tunesaispasquand,alorsnemanquepasdevivreleplusintensémentpossible.»Ainsi, jene remets jamaisàdemainceque jepeuxvivreaujourd'hui–cela
comporte les joies, lesobligationsenversmon travail, lesdemandesdepardonquand je sens que j'ai blessé quelqu'un, la contemplation du moment présentcommes'ilétaitledernier.Jemerappellequej'aisentiplusieursfoisleparfumde la mort. Le jour lointain de 1974, sur le remblai de Flamengo (à Rio deJaneiro),oùletaxidanslequeljemetrouvaisaétébloquéparuneautrevoiture,etqu'ungroupedeparamilitairesontbondilesarmesàlamainetm'ontmisuncapuchonsurlatête;mêmes'ilsm'assuraientqu'ilnem'arriveraitrien,j'aieulacertitudequej'allaisêtreundisparudeplusdurégimemilitaire.Ouquand, en août 1989, jeme suis perdu au cours d'une escalade dans les
Pyrénées : j'ai regardé les pics sans neige et sans végétation, j'ai pensé que jen'aurais plus de forces pour retourner, et j'ai conclu que l'on retrouveraitmon
corps seulement au printemps suivant. Finalement, après des heures d'errance,j'aidécouvertunsentierquim'aconduitjusqu'àunvillageperdu.LejournalisteduMailonSunday insiste :maiscommentsepasseraientmes
funérailles ? Eh bien, d'après le testament que j'ai fait, il n'y aura pas defunérailles:j'aidécidéquejeseraisincinéré,etmafemmerépandramescendresdansunendroitappeléleCebreiro,enEspagne–oùj'aitrouvémonépée.Mesmanuscrits inédits ne pourront pas être publiés (je suis effrayé par le nombred'«œuvresposthumes»oude«mallesde textes»quedeshéritiersd'artistes,sans aucun scrupule, décident de publier pour gagner un peu d'argent ; si lesauteursnel'ontpasfaitdeleurvivant,pourquoinepasrespectercetteintimité?).L'épée que j'ai trouvée sur le chemin de Saint-Jacques sera jetée à la mer etretournera d'où elle vient. Et mon argent ainsi que les droits d'auteur quicontinueront d'être perçus durant les cinquante prochaines années serontentièrementdestinésàlafondationquej'aicréée.« Et votre épitaphe ? » insiste le journaliste. Certes, si je suis incinéré, je
n'auraipascettefameusepierreavecuneinscription,vuquemescendresserontemportéesparlevent.Maissijedevaischoisirunephrase,jedemanderaisqu'ily soit gravé : « Il est mort tandis qu'il était en vie. » Cela peut paraître uncontresens,maisjeconnaisbeaucoupdegensquiontdéjàcessédevivre,mêmes'ils continuent à travailler, à manger et à mener leurs activités socialeshabituelles. Ils font tout comme des automates, sans comprendre le momentmagiquequechaquejourporteenlui,sanss'arrêterpourpenseraumiracledelavie,sanscomprendrequelaminutesuivantepeutêtreleurderniermomentsurlafacedecetteplanète.Le journaliste prend congé, je m'assieds devant l'ordinateur et je décide
d'écrire ce texte. Je sais que personne n'aime penser à ce thème,mais j'ai undevoir envers mes lecteurs : les faire réfléchir sur les choses importantes del'existence.Et lamortestpeut-être laplus importante :nousmarchonsdanssadirection,nousnesavonsjamaisquandellevanousfrapper,doncnousavonsledevoirderegarderautourdenous,delaremercierpourchaqueminute,maisdela remercier aussi parce qu'elle nous fait réfléchir à l'importance de chaqueattitudequenousprenonsouneprenonspas.Etdèslors,nousdevonsrenonceràcequifaitdenousdes«mortsvivants»et
tout parier, tout risquer, pour les choses que nous avons toujours rêvéd'accomplir.Quenouslevoulionsounon,l'angedelamortnousattend.
RESTAURERLATOILE
ÀNewYork,jevaisprendrelethéenfind'après-midiavecuneartistehorsducommun.ElletravailledansunebanqueàWallStreet,maisunjourelleafaitunrêve:elledevaitserendredansdouzeendroitsdumonde,etdanschacundeceslieux,faireunouvragedepeintureetdesculptureàmêmelanature.Jusqu'àprésent,ellearéussiàréaliserquatredecesouvrages.Ellememontre
les photos de l'un d'eux : un Indien sculpté dans une caverne en Californie.Tandisqu'elleattendlessignesàtraverssesrêves,ellecontinueàtravailleràlabanque–elletrouveainsidel'argentpourvoyageretpoursuivresatâche.Jeluidemandepourquoiellefaitcela.«Pourmaintenir lemonde en équilibre, répond-elle.Cela peut paraître une
sottise,maisilexisteunechoseténue,quinousunit tous,etquenouspouvonsaméliorer ou abîmer à mesure que nous agissons. Nous pouvons sauver oudétruire beaucoup de choses d'un simple geste qui parfois semble absolumentinutile.«Ilsepeutmêmequemesrêvessoientdessottises,maisjeneveuxpascourir
le risque de ne pas les suivre : pour moi, les relations entre les hommesressemblentàuneimmenseetfragiletoiled'araignée.Parmontravail,jetentederaccommoderunepartiedecettetoile.»
APRÈSTOUT,CESONTMESAMIS
«Ce roi est puissant parcequ'il a fait unpacte avec ledémon», disait unedévotedanslarue.Legarçonfutintrigué.Quelquetempsplustard,tandisqu'ilserendaitdansuneautreville,legarçon
entenditunhommeàcôtédeluicommenter:«Touteslesterresappartiennentaumêmepropriétaire.C'estdiabolique!»Àlafind'unaprès-midid'été,unebellefemmepassaprèsdugarçon.«CettefilleestauservicedeSatan!s'écriaunprêcheur,indigné.»Alors,legarçondécidad'allertrouverledémon.«Onprétendquevousrendezlesgenspuissants,richesetbeaux»,déclara-t-
il,dèsqu'ill'eutrencontré.«Pastoutàfait,réponditledémon.Tun'asécoutéquel'opiniondeceuxqui
veulentmefairedelapublicité.»
COMMENTAVONS-NOUSSURVÉCU?
Jereçoisparlapostetroislitresdeproduitsquiremplacentlelait;unesociéténorvégienne veut savoir si celam'intéresse d'investir dans la production de cenouveau type d'aliment, vu que, de l'avis du spécialisteDavidRietz, «TOUT(les majuscules sont de lui) lait de vache contient cinquante-neuf hormonesactives, beaucoupdegraisse, du cholestérol, desdioxines, desbactéries et desvirus».Jepenseaucalciumdontmamère,quandj'étaispetit,medisaitqu'ilétaitbon
pour les os, mais le spécialiste est allé plus vite que moi : « Le calcium ?Comment est-ce que les vaches peuvent acquérir assez de calcium pour leurvolumineusestructureosseuse?Parlesplantes!»Biensûr,lenouveauproduitest fait à base de plantes, et le lait est condamné dans d'innombrables étudesfaitesdanslesinstitutslesplusdiversrépandusdanslemonde.Etlesprotéines?DavidRietzestimplacable:«Jesaisquel'onappellelelait
viande liquide [je n'ai jamais entendu cette expression, mais il doit savoir cequ'ildit] à causede lahautedosedeprotéinesqu'il contient.Mais ce sont lesprotéinesquifontquelecalciumnepeutêtreabsorbéparl'organisme.Lespaysquiontunrégimericheenprotéinesontégalementunindiceélevéd'ostéoporose(absencedecalciumdanslesos).»Lemêmeaprès-midi,jereçoisdemafemmeuntextetrouvésurInternet:«Lespersonnesquiontaujourd'huientrequaranteetsoixanteansmontaient
dans des voitures qui n'avaient pas de ceinture de sécurité, d'appui-tête oud'airbag.Lesenfantsétaientenlibertésurlesiègearrière,chahutantets'amusantàfairedesbonds.
« Les berceaux étaient peints avec des peintures “douteuses”, puisqu'ellespouvaientcontenirduplombouunautreélémentdangereux.»Moi par exemple, je fais partie d'une génération qui pratiquait les fameux
carrinhos de rolimão (je ne sais pas comment expliquer cela à la générationactuelle–disonsquec'étaientdesboulesdemétalattachéesentredeuxcerclesde fer) et nous descendions les pentes de Botafogo, en freinant avec noschaussures,tombant,nousblessant,maisfiersdecetteaventureàgrandevitesse.Letextecontinue:«Iln'yavaitpasdetéléphonemobile,nosparentsn'avaientaucunmoyende
savoiroùnousétions:commentétait-cepossible?Lesenfantsn'avaientjamaisraison, ilsétaient toujourspunis,et ilsn'avaientpaspourautantdesproblèmespsychologiquesderejetoudemanqued'amour.Àl'école, ilyavait lesbonsetlesmauvaisélèves : lespremierspassaientà l'étapesuivante, lesautresétaientrecalés.Onn'allait pas chercherunpsychothérapeutepour étudier leur cas, onexigeaitsimplementqu'ilsredoublent.»Et pourtant nous avons survécu avec des genoux écorchés et quelques
traumatismes. Non seulement nous avons survécu, mais nous nous rappelons,avec nostalgie, le temps où le lait n'était pas un poison, où l'enfant devaitrésoudresesproblèmessansaide,sebattrequandc'étaitnécessaire,etpasserunegrandepartiedelajournéesansjeuxélectroniques,àinventerdesjeuxavecsesamis.Maisrevenonsànotrethèmeinitial:j'aidécidéd'expérimenterlenouveauet
miraculeuxproduitquiremplaceralelaitassassin.Jen'aipaspuallerau-delàdelapremièregorgée.J'aidemandéàmafemmeetàmabonned'essayer,sansleurexpliquerceque
c'était:ellesm'ontdittouteslesdeuxqu'ellesn'avaientjamaisriengoûtéd'aussimauvaisdeleurvie.Je suispréoccupépour lesenfantsdedemain,avec leurs jeuxélectroniques,
leurs parents et leurs mobiles, les psychothérapeutes qui les aident à chaquedéfaite, et – surtout – l'obligation de boire cette « potion magique » qui lesprotégeraducholestérol,del'ostéoporose,descinquante-neufhormonesactives,destoxines.Ilsvivrontenexcellentesanté,trèséquilibrés,et,quandilsserontgrands,ils
découvrirontlelait(àcemoment-là,peut-êtreuneboissonhorslaloi).Peut-êtreen2050unscientifiquesechargera-t-ilderacheterunproduitquiestconsommédepuislecommencementdestemps.Oubienobtiendra-t-onseulementlelaitgrâceàdestrafiquantsdedrogues?
RENDEZ-VOUSAVECLAMORT
J'auraispeut-êtredûmourirà22h30le22août2004,moinsdequarante-huitheuresavantmonanniversaire.Pourquesoitpossiblelemontageduscénariodemaquasi-mort,unesériedefacteurssontentrésenaction:A)L'acteurWillSmith,danslesinterviewspourlapromotiondesonnouveau
film,parlaittoujoursdemonlivreL'Alchimiste.B)Lefilmétaitbasésurunlivrequej'avaisludesannéesplustôtetbeaucoup
aimé : Moi, Robot, d'Isaac Asimov. J'ai décidé que j'irais voir ce film, enhommageàSmithetAsimov.C) Le film passait dans une petite ville du sud-ouest de la France dès la
premièresemained'août,maisunesériedechosessansimportancem'aempêchédemerendreaucinéma–jusqu'àcedimanche.J'ai dîné tôt, partagé une demi-bouteille de vin avec ma femme, invité ma
bonneàveniravecnous(ellearésisté,maisafinalementaccepté),noussommesarrivésàtemps,nousavonsachetédupop-corn,nousavonsvulefilmetl'avonsaimé.J'ai pris la voiture pour un trajet de dixminutes jusqu'àmon vieuxmoulin
transformé enmaison. J'aimis undisquedemusiquebrésilienne et j'ai décidéd'aller assez lentement pour que, pendant ces dix minutes, nous puissionsentendreaumoinstroischansons.Surlarouteàdeuxvoies,traversantdesvillagesendormis,jevois–surgissant
du néant – deux phares dans mon rétroviseur extérieur. Devant nous, uncroisement,dûmentsignalépardespoteaux.Je tented'appuyersur le frein,sachantquecettevoitureneparviendrapasà
sesfins,lespoteauxinterdisanttotalementtoutepossibilitédedépassement.Tout
celadureunefractiondeseconde–jemesouviensquej'aipensé«cetypeestfou!»–,maisjen'aipaseuletempsdefairedecommentaire.Lechauffeurdela voiture (l'image qui est restée gravée dansmamémoire est uneMercedes,mais je n'en suis pas certain) voit les poteaux, accélère,me fait une queue depoissonet,alorsqu'ilessaiedecorrigersadirection,seretrouveentraversdelaroute.Dèslors,toutparaîtsedéroulerauralenti:ilfaitunpremier,undeuxième,un
troisième tonneau sur le côté. Ensuite, la voiture est jetée sur le bas-côté etcontinuesestonneaux–faisantcettefoisdegrandssauts,lespare-chocsavantetarrièrefrappantlesol.Mes phares éclairent tout, et je ne peux pas freiner brusquement –
j'accompagne lavoiturequi faitdesculbutesàcôtédemoi.Cela ressembleàunescènedufilmquejeviensdevoir–saufque,monDieu,toutàl'heurec'étaitunefiction,etmaintenantc'estlavieréelle!Lavoitureregagnelarouteets'arrêteenfin,renverséesurleflancgauche.Je
peuxvoirlachemiseduchauffeur.Jemegareàcôtédelui,etuneseuleidéemepasseparlatête:jedoissortir,l'aider.Àcemoment-là,jesenslesonglesdemafemmeseplanterprofondémentdansmonbras:ellemesupplie,pourl'amourdeDieu,decontinuer,demegarerplusloin,lavoitureaccidentéerisqued'exploser,deprendrefeu.Je faiscentmètresdeplus,et jemegare.Ledisquedemusiquebrésilienne
continue de passer, comme si rien n'était arrivé. Tout semble surréel, trèslointain. Ma femme et Isabelle, ma bonne, se précipitent vers le lieu del'accident. Une autre voiture, venant en sens inverse, freine. Une femme enbondit, nerveuse : ses phares ont aussi éclairé cette scène dantesque. Elleme demande si j'ai un téléphone mobile, je dis oui. « Alors appelez lessecours!»Quelestlenumérodessecours?Ellemeregarde:«Toutlemondelesait!
112!»Leportableestéteint–avantlefilm,onnousrappelletoujoursquenousdevonslefaire.J'entrelecoded'accès,noustéléphononsauxsecours–112.Jesaisexactementoùl'événements'estproduit:entrelesvillagesdeLaloubèreetHorgues.Ma femme et la bonne reviennent : le garçon a des égratignures, mais
apparemmentriendegrave.Aprèstoutcequej'aivu,aprèssixtonneaux,riendegrave ! Il est sorti de la voiture àmoitié abasourdi, d'autres automobilistes sesontarrêtés,lespompiersarriventdanscinqminutes,toutvabien.Toutvabien.Àunefractiondesecondeprès,ilm'auraitrattrapé,m'auraitjeté
danslefossé,toutiraittrèsmalpourl'unetpourl'autre.Trèstrèsmal.
Deretourchezmoi,jeregardelesétoiles.Parfoiscertaineschosessetrouventsur notre chemin, mais parce que notre heure n'est pas arrivée, elles nouseffleurent en passant, sans nous toucher – bien qu'elles soient suffisammentclairespourquenouspuissions lesvoir. Je remercieDieudem'avoirdonné laconscience de comprendre que, comme le dit l'un demes amis, ce qui devaitarriverestarrivé,etrienn'estarrivé.
LEMOMENTDEL'AURORE
PendantleForuméconomiquedeDavos,ShimonPeres,prixNobeldelapaix,aracontél'histoirequisuit.Unrabbinréunitsesélèvesetdemanda:«Comment savons-nous lemoment précis où la nuit s'achève et où le jour
commence?—Quand,deloin,nouspouvonsdistinguerunebrebisd'unchien,ditunjeune
garçon.— En réalité, dit un autre élève, nous savons qu'il fait jour quand nous
pouvonsdistinguer,deloin,unolivierd'unfiguier.—Cen'estpasunebonnedéfinition.—Quelleestlaréponse,alors?»demandèrentlesgamins.Etlerabbindit:«Quandunétranger s'approche,nous le confondonsavecnotre frère, et les
conflits disparaissent – voilà le moment où la nuit prend fin et où le jourcommence.»
UNJOURQUELCONQUEDEJANVIER2005
Aujourd'huiilpleutbeaucoup,etlatempératureestprochede3°C.J'aidécidédemarcher–jepensequesijenemarchepastouslesjours,jenetravaillepasbien–maisleventestfortaussi,etjesuisretournéàlavoitureauboutdedixminutes.J'aiprislejournaldanslaboîteauxlettres,riend'important–exceptéles choses dont les journalistes ont décidé que nous devions les connaître, lessuivre,prendrepositionàleursujet.Jevaisliresurl'ordinateurlesmessagesélectroniques.Rien de nouveau, quelques décisions à prendre, mais tout est rapidement
résolu.J'essaie un peu l'arc et la flèche, mais le vent continue de souffler, c'est
impossible. J'ai déjà écrit mon livre bisannuel, Le Zahir, et il reste encorequelquessemainesavantsapublication.J'airédigélescolonnesquejepubliesurInternet.J'aifaitmonbulletinsurmapageWeb.Jemesuisfaitfaireuncheck-updel'estomac,heureusementonn'adétectéaucuneanomalie(onm'avaitinquiétéaveccettehistoiredetubequientreparlabouche,maiscen'estriendeterrible).Je suis allé chez ledentiste.Lesbillets pour le prochainvoyage en avion, quitardaient, sont arrivés par courrier exprès. Il y a des choses que je dois fairedemain,etdeschosesquej'aifinidefairehier,maisaujourd'hui...Aujourd'huijen'aiabsolumentriensurquoiconcentrermonattention.Je suis effrayé : ne devrais-je pas faire quelque chose ? Bon, si je veux
m'inventer du travail, ce n'est pas difficile – on a toujours des projets àdévelopper,deslampesàremplacer,desfeuillesmortesàbalayer,lerangementdeslivres,l'organisationdesarchivesdel'ordinateur,etc.Maispourquoinepasenvisagerlevidetotal?
Jemets unbonnet, unvêtement chaud, unmanteau imperméable – ainsi, jeparviendraiàrésisteraufroidlesquatreoucinqheuresàvenir–etjesorsdanslejardin.Jem'assiedssurl'herbemouillée,etjecommenceàfairementalementlalistedecequimepasseparlatête:A)Jesuisinutile.Toutlemondeencemomentestoccupé,travaillantdur.Réponse : moi aussi je travaille dur, parfois douze heures par jour.
Aujourd'hui,parhasard,jen'airienàfaire.B) Je n'ai pas d'amis. Moi qui suis l'un des écrivains les plus célèbres du
monde,jesuisseulici,etletéléphonenesonnepas.Réponse : bien sûr, j'ai des amis. Mais ils savent respecter mon besoin
d'isolementquandjesuisdansmonvieuxmoulinàSaint-Martin,enFrance.C)Jedoissortirpouracheterdelacolle.Oui, jeviensdemerappelerqu'hierilmanquaitdelacolle,pourquoinepas
prendrelavoitureetallerjusqu'àlavillelaplusproche?Etsurcettepensée,jem'arrête.Pourquoiest-ilsidifficilederestercommejesuismaintenant,ànerienfaire?Unesériedepenséesmetraverse l'esprit.Desamisquis'inquiètentpourdes
choses qui ne sont pas encore arrivées, des connaissances qui savent remplirchaque minute de leur vie avec des tâches qui me paraissent absurdes, desconversations qui n'ont pas de sens, de longs coups de téléphonepour ne riendired'important.Deschefsqui invententdu travailpour justifier leurfonction,des fonctionnairesquiontpeurparcequ'onne leur a riendonnéd'important àfairecejour-làetquecelapeutsignifierqu'ilsnesontdéjàplusutiles,desmèresqui se torturentparceque les enfants sont sortis,desétudiantsqui se torturentpourleursétudes,leursépreuves,leursexamens.Jemèneunlongetdifficilecombatcontremoi-mêmepournepasmeleveret
aller jusqu'à la papeterie acheter la colle quimanque.L'angoisse est immense,maisjesuisdécidéàresterici,sansrienfaire,aumoinsquelquesheures.Peuàpeu, l'anxiétécède laplaceà lacontemplation,et jecommenceàécoutermonâme.Elle avait une envie folle de causer avecmoi,mais je suis tout le tempsoccupé.Leventcontinuedesoufflertrèsfort,jesaisqu'ilfaitfroid,qu'ilpleut,etque
demainjedevraipeut-êtreacheterdelacolle.Jenefaisrien,etjefaislachoselaplus importante dans la vie d'un homme : j'écoute ce que j'avais besoind'entendredemoi-même.
UNHOMMEALLONGÉSURLESOL
Le 1er juillet 1997, à 13 heures 5 minutes, il y avait un homme d'unecinquantained'annéesallongésurlelargetrottoirdeCopacabana.Jesuispasséprèsdelui, j'ai jetéuncoupd'œilrapideet j'aipoursuivimoncheminversunebuvetteoùjevaistoujoursboireuneeaudecoco.CommetouslesCariocas,j'aicroisédescentaines(desmilliers?)defoisdes
hommes,des femmesoudesenfantsallongéspar terre.Habituéàvoyager, j'aivulamêmescènepratiquementdanstouslespaysoùjemesuisrendu–delaricheSuisseàlamisérableRoumanie.J'aivudesgensallongésparterreàtouteslessaisonsdel'année:dansl'hiverglacédeMadrid,deNewYorkoudeParis,où ils restentprèsde l'airchaudqui sortdesbouchesdemétro ; sous le soleilbrûlantduLiban,entrelesédificesdétruitspardesannéesdeguerre.Desgenscouchésparterre,ivres,sansabri,fatigués,cen'estpasnouveau.J'aibumoneaudecoco.Jedevaisrentrerrapidement,carj'avaisrendez-vous
avecJuanArias,dujournalespagnolElPaís.Surlecheminduretour,j'aivuquel'homme était toujours là, en plein soleil, et tous ceux qui passaient faisaientexactementcommemoi:ilsregardaientetpassaientleurchemin.Ilse trouveque,mêmesi jenelesavaispas,monâmeétait lassed'avoirvu
tantdefoiscettemêmescène.Quandjesuisrepasséprèsdecethomme,quelquechosedeplusfortquemoim'apousséàm'agenouillerpourtenterdelerelever.Ilneréagissaitpas.J'aiinclinésatêteetj'aivuqu'ilyavaitdusangprèsdesa
tempe.S'agissait-ild'uneblessuresérieuse?J'ainettoyésapeauavecmontee-shirt:apparemmentcen'étaitpasgrave.Àcemoment-là,l'hommeacommencéàmurmurerquelquesmotsdugenre:
« Demandez-leur de ne pas me frapper. » Il était donc vivant, maintenant je
devaislemettreàl'abridusoleiletappelerlapolice.J'ai arrêté le premier passant et je lui ai demandé de m'aider à traîner cet
homme à l'ombre, entre le trottoir et le sable. Il portait un costume, un porte-documentsetdespaquets, il a tout laisséet il estvenum'aider.Luiaussi sansdoute,sonâmeétaitlassed'assisteràcegenredescène.Unefoisl'hommeàl'ombre,jemesuisdirigéverschezmoi.Jesavaisqu'ily
avaitunpostede laPolicemilitaireetque jepourraisydemanderdusecours.Maisavantd'yarriver,j'aicroisédeuxpoliciers.«Ilyaunhommeblessé,devantlenumérotant,leurai-jedit.Jel'aimissurle
sable.Ilseraitbond'appeleruneambulance.»Les agents m'ont dit qu'ils allaient prendre les mesures nécessaires. Bien,
j'avais accompli mon devoir. Un bon scout donne toujours l'alerte. La bonneactiondelajournée!Leproblèmeétaitdésormaisentreleursmains,àeuxdesemontrer responsables. Et le journaliste espagnol allait arriver chez moi dansquelquesminutes.Àpeineavais-jefaitdixpasqu'unétrangerm'a interpellé,dansunportugais
douteux:«J'avaisdéjàsignaléàlapolicel'hommesurletrottoir.Ilsm'ontditque,du
momentquecen'estpasunvoleur,cen'estpasleurproblème.»Jen'aipaslaissél'hommeterminer.Jesuisretournévoirlesagents,convaincu
qu'ils savaient qui j'étais, que j'écrivais dans des journaux, que je passais à latélévision. J'avais l'impression fausse que la notoriété, à certains moments,permetderésoudrebeaucoupdechoses.«Vous êtes quelqu'un d'influent ? »m'a demandé l'un d'eux, voyant que je
réclamaisdel'aideavecinsistance.Ilsnesavaientabsolumentpasquij'étais.«Non,ai-jerépondu.Maisnousallonsrésoudreceproblèmetoutdesuite.»J'étaismalhabillé,avecmontee-shirttachédesang,monbermudacoupédans
unvieuxjean,ensueur.J'étaisunhommeordinaire,anonyme,sansautreautoritéquemalassitudedevoirdesgensallongésparterredepuisdesdizainesd'annéesetden'avoirjamaisrienfait.Et cela a tout changé. Il y a un moment où vous vous trouvez au-delà de
l'interditoudelapeur,oùvotreregardestdifférentetoùlesgenscomprennentque vous parlez sérieusement.Les agentsm'ont accompagné, et ils ont appelél'ambulance.Enretournantchezmoi,j'aitirédecettepromenadetroisleçons:A)Nouspouvonstousmettrefinàuneactionquandlapassionnousanime.B) Il y a toujours quelqu'un pour vous dire : « Maintenant que tu as
commencé,vajusqu'aubout.»Etenfin:
C)Nous sommes tous quelqu'un d'influent quand nous sommes absolumentconvaincusdecequenousfaisons.
LECARREAUQUIMANQUAIT
Aucoursd'unvoyage,jereçusunfaxdemasecrétaire.«Ilmanqueuncarreaudeverrepourlarénovationdelacuisine,disait-elle.Je
vous envoie le projet original, et la solution que trouvera le maçon pourcompensercemanque.»D'un côté, il y avait le dessin que ma femme avait fait : des rangées
harmonieuses,avecuneouverturepour laventilation.De l'autrecôté, leprojetquirésolvaitleproblèmedel'absenceducarreau:unvéritablecasse-tête,oùlescarreauxdeverresemêlaientsansaucuneesthétique.«Qu'onachètelecarreauquimanque»,écrivitmafemme.Ainsifutfait,etle
dessinoriginalfutmaintenu.L'après-midi, j'ai pensé très longtemps à cet événement ; il nous arrive très
souvent,dufaitdel'absenced'unsimplecarreau,dedénaturercomplètementleprojetinitialdenotrevie.
RAJMERACONTEUNEHISTOIRE
DansunvillagepauvreduBengale,uneveuven'avaitpasd'argentpourpayerl'autocarpoursonfils,sibienquelegamin,quandilfutinscritaucollège,allaitdevoirtraversertoutseuluneforêt.Pourletranquilliser,elleluidit:« N'aie pas peur de la forêt, mon fils. Demande à ton dieu Krishna de
t'accompagner.Ilécouterataprière.»Legaminfitcequ'avaitditsamère,Krishnaapparut,etill'emmenatousles
joursàl'école.Quandvintlejourdel'anniversaireduprofesseur,l'enfantdemandaàsamère
unpeud'argentpourapporteruncadeau.« Nous n'avons pas d'argent, mon fils. Demande à ton frère Krishna de te
trouveruncadeau.»Lelendemain,l'enfantconfiasonproblèmeàKrishna.Celui-ciluidonnaune
jarrerempliedelait.Tout excité, le petit offrit la jarre au professeur. Mais les autres cadeaux
étaientplusbeaux,etlemaîtren'yprêtapaslamoindreattention.«Emportecettejarreàlacuisine»,ditleprofesseuràunassistant.L'assistants'exécuta.Maisquandilessayadeviderlajarre,ilconstataqu'elle
seremplissaittouteseule.Ilallaimmédiatementenrendrecompteauprofesseurqui,stupéfait,demandaàl'enfant:«Oùas-tutrouvécettejarre,etquelleestl'astucequilagardepleine?—C'estKrishna,ledieudelaForêt,quimel'adonnée.»Lemaître,lesélèves,l'aide,toussemirentàrire.«Iln'yapasdedieuxdanslaforêt,c'estunesuperstition!ditlemaître.S'il
existe,sortonslevoir!»
Toute la bande sortit. L'enfant commença à appeler Krishna, mais celui-cin'apparutpas.Désespéré,ilfituneultimetentative:«FrèreKrishna,monmaîtreveutvousvoir.Jevousenprie,montrez-vous!»Àcemoment,onentenditvenirdelaforêtunevoix,quirésonnadanstousles
coins:«Commentcela,ildésiremevoir,monenfant?Ilnecroitmêmepasàmon
existence!»
L'AUTRECÔTÉDELATOURDEBABEL
J'aipassétoutelamatinéeàexpliquerquejenem'intéressaispasprécisémentauxmuséesetauxéglises,maisauxhabitantsdupays,etqu'ainsiilvaudraitbienmieuxquenousallionsjusqu'aumarché.Cependant,ilsinsistent;c'estjourférié,lemarchéestfermé.«Oùallons-nous?—Dansuneéglise.»Jelesavais.«Aujourd'huioncélèbreunsainttrèsspécialpournous,ettrèscertainement
pourvousaussi.Nousallonsvisiterletombeaudecesaint.Maisneposezpasdequestions, et acceptezqu'il nous arriveparfoisde réserverdebonnes surprisesauxécrivains.—Combiendetempsdureletrajet?—Vingtminutes.»Vingtminutes,c'estlaréponsetoutefaite:jesaisévidemmentqu'ilvadurer
beaucoup plus longtemps. Mais jusqu'à présent ils ont respecté toutes mesdemandes,mieuxvautcédercettefois.Je suis àErevan, enArménie, cedimanchematin. Jemonte résignédans la
voiture,jevoisauloinlemontAraratcouvertdeneige,jecontemplelepaysageautour de moi. Si seulement je pouvais me promener par là, au lieu d'êtreenfermédans cette boîte en fer-blanc.Mes amphitryons essaient d'être gentils,maisjesuisdistrait,acceptantstoïquementle«programmetouristiquespécial».Ilsfinissentparlaissers'éteindrelaconversation,etnouscontinuonsensilence.Cinquanteminutesplustard(jelesavais!)nousarrivonsdansunepetiteville
etnousnousdirigeonsversl'églisebondée.Jevoisqu'ilssonttousencostumeet
cravate,l'événementesttrèsformeletjemesensridiculecarjeportesimplementun tee-shirtetun jean. Je sorsde lavoiture,desgensde l'Uniondesécrivainsm'attendent,m'offrentunefleur,meconduisentaumilieudelafoulequiassisteàlamesse,nousdescendonsunescalierderrièrel'autel,etjemetrouvedevantuntombeau.Jecomprendsquelesaintdoitêtreenterrélà,maisavantdedéposerlafleur,jeveuxsavoirprécisémentàquijerendshommage.«Lesaintpatrondestraducteurs»,merépond-on.Le saint patron des traducteurs ! Sur-le-champmes yeux se remplissent de
larmes.Noussommesle9octobre2004,lavilles'appelleOshakan,etl'Arménieest,à
maconnaissance,leseullieuaumondequidéclarefêtenationaleetcélèbreengrand style le jour du saint patrondes traducteurs, saintMesrob.Outrequ'il ainventél'alphabetarménien(lalangueexistaitdéjà,maisseulementsousformeorale), il aconsacré savieà transcriredans sa languematernelle les textes lesplus importants de son époque – qui étaient écrits en grec, en persan, ou encyrillique. Lui et ses disciples se sont consacrés à la tâche gigantesque detraduirelaBibleetlesprincipauxclassiquesdelalittératuredesontemps.Dèslors,laculturedupaysaacquissonidentitépropre,quis'estmaintenuejusqu'ànosjours.Le saint patron des traducteurs. La fleur à la main, je pense à toutes les
personnes que je n'ai jamais rencontrées et que je n'aurai peut-être jamaisl'occasiondeconnaître,maisquiencemomentontmeslivresenmain,essayantde donner le meilleur d'elles-mêmes pour rendre fidèlement ce que j'ai voulupartager avecmes lecteurs.Mais jepense surtout àmonbeau-père,ChristianoMonteiroOiticica,profession:traducteur.Aujourd'hui,encompagniedesangesetdesaintMesrob,ilassisteàcettescène.Jemesouviensdeluicolléàsavieillemachineàécrire,seplaignanttrèssouventquesontravailfûtmalpayé(cequiestmalheureusementencorevraidenosjours).Aussitôtaprès,ilexpliquaitquelavraieraisonpourlaquelleilpoursuivaitcettetâcheétaitsonenthousiasmedepartager un savoir qui, sans les traducteurs, n'arriverait jamais jusqu'à sonpeuple.Je fais une prière silencieuse pour lui, pour tous ceux qui ont traduit mes
livres, etpour ceuxquim'ontpermisde liredesœuvresauxquelles jen'auraisjamais eu accès, m'aidant ainsi – anonymement – à former ma vie et moncaractère. En sortant de l'église, je vois des enfants dessinant l'alphabet, dessucreriesenformedelettres,desfleurs,etencoredesfleurs.Quandl'hommeamontrésonarrogance,DieuadétruitlatourdeBabelettous
sesontmisàparlerdeslanguesdifférentes.MaisdansSoninfiniebienveillance,Ilacrééégalementunesortedegensquiallaitreconstruirecesponts,permettre
ledialogueet ladiffusionde lapenséehumaine.Cethomme(oucettefemme)dont nous nous donnons rarement la peine de connaître le nom quand nousouvronsunlivreétranger:letraducteur.
AVANTUNECONFÉRENCE
Uneécrivaine chinoise etmoinouspréparions àprendre laparoledansunerencontre de libraires américains. La Chinoise, extrêmement nerveuse, medisait:« Parler en public est déjà difficile, alors être obligée d'expliquer son livre
dansuneautrelangue,vousimaginez!»Jel'aipriéedecesser,oubienj'allaismoiaussidevenirnerveux,carj'avaisle
mêmeproblème.Soudain,elles'estretournée,asouri,etm'adittoutbas:«Toutvabiensepasser,nevousinquiétezpas.Nousnesommespasseuls:
regardezlenomdelalibrairiedelafemmeassisederrièremoi.»Surlecartondelafemme,ilétaitécrit:«LibrairiedesAngesréunis».Nous
avons réussi l'unet l'autreà faireuneexcellenteprésentationdenosouvrages,parcequelesangesnousavaientdonnélesignalquenousattendions.
SURL'ÉLÉGANCE
Jeme surprends parfois àme tenir le dos courbé ; et chaque fois que celam'arrive,jesuiscertainquequelquechosenevapasbien.Àcemoment-là,avantmêmedecherchercequim'incommode, j'essaiedechangerdeposture–de larendreplusélégante.Quandjemeredresse, jemerendscomptequecesimplegestem'aaidéàreprendreconfiancedanscequejesuisentraindefaire.On confond généralement élégance avec superficialité, mode, manque de
profondeur.C'estunegraveerreur : l'êtrehumainabesoind'élégancedanssesactes et dans sa posture, car ce mot est synonyme de bon goût, amabilité,équilibreetharmonie.Il fautde la sérénitéetde l'élégancepour faire lespas importantsde lavie.
Biensûr,nousn'allonspasdélirer,nousinquiétersanscessedelamanièredontnousbougeons lesmains, nous asseyons, sourions, regardons autourdenous ;maisilestbondesavoirquenotrecorpsparleunlangage,etquel'autre–mêmeinconsciemment–comprendcequenousdisonsau-delàdesmots.Lasérénitévientducœur.Bienquesouventtorturéparlemanqued'assurance,
il sait que, grâce à une posture correcte, il peut retrouver son équilibre.L'élégancephysique,àlaquellejemeréfèreici,vientducorps,cen'estpasunechosesuperficielle,maislemoyenqu'atrouvél'hommepourhonorerlamanièredont il pose ses deux pieds sur la terre.Aussi, quand parfois vous sentez quevotre posture vous incommode, ne pensez pas qu'elle est trompeuse ouartificielle:elleestsincèreparcequec'estdifficile.C'estparellequelecheminsesenthonoréparladignitédupèlerin.Etpuis,jevousenprie,n'allezpaslaconfondreavecarroganceousnobisme.
L'éléganceestlaposturelaplusadéquatepourquevotregestesoitparfait,que
votrepassoitfermeetquevotreprochainsoitrespecté.L'éléganceestatteintequandl'êtrehumains'estdébarrassédetoutlesuperflu
etdécouvrelasimplicitéetlaconcentration:pluslapostureestsimpleetsobre,plusbelleellesera.La neige est belle parce qu'elle n'a qu'une couleur, la mer est belle parce
qu'elleressembleàunesurfaceplane–maislameretlaneigesontprofondesetconnaissentleursqualités.Marchez le pas ferme et joyeux, sans craindre de trébucher. Vos alliés
accompagnent tous vos mouvements, et ils vous aideront si nécessaire. Maisn'oubliezpasque l'adversaire aussi vousobserve, et qu'il connaît la différenceentre une main ferme et une main tremblante : par conséquent, si vous êtestendu,respirezprofondément,soyezconvaincuquevousêtestranquille–etparun de ces miracles que l'on ne sait pas expliquer, la tranquillité s'installeraaussitôt.Aumomentoùvousprenezunedécisionetlamettezenapplication,efforcez-
vous de revoirmentalement toutes les étapes qui vous ont conduit à préparervotrepas.Maisfaites-leenétantdétendu,carilestimpossibled'avoirtouteslesrèglesen tête :et l'esprit libre,àmesurequevous reverrezchaqueétape,vousreconnaîtrez les moments les plus difficiles, et la façon dont vous les avezsurmontés.Celaserefléteradansvotrecorps,alorsfaitesattention!Onpeutfaireuneanalogieavecletiràl'arc:beaucoupd'archersseplaignent
que,bienqu'ilsaientpratiquédesannéesl'artdutir,illeurarriveencoredesentirleurcœuréclaterd'anxiétéetleurmaintrembler,etdemalviser.L'artdutirrendnoserreursplusévidentes.Le jour où vous ne sentirez pas d'amour pour la vie, votre tir sera confus,
compliqué.Vous verrez que vous n'avez pas la force suffisante pour tendre lacordeaumaximum,quevousn'arrivezpasàfairesecourberl'arccommevousledevez.Etvoyantcematin-làquevotre tirestconfus,vous tenterezdedécouvrirce
qui a provoqué une telle imprécision : ainsi vous affronterez un problème quivousincommode,maisquijusqu'alorssetrouvaitocculté.Vous avez découvert ce problème parce que votre corps était usé, moins
élégant.Changezdeposture,nefroncezpaslesourcil,redressezledos,affrontezlemondeavecuncœurfrancetsincère.Quandvouspensezàvotrecorps,vouspensezaussiàvotreâme,etl'unaideral'autre.
NHáCHICADEBAEPENDI
Qu'est-cequ'unmiracle?Ilexistetoutessortesdedéfinitions:quelquechosequivaàl'encontredeslois
delanature,desintercessionsdansdesmomentsdecriseprofonde,deschosesscientifiquementimpossibles,etc.J'aimapropredéfinition:unmiracle,c'estcequiemplitnotrecœurdepaix.Il
se manifeste parfois sous la forme d'une guérison, d'un désir satisfait, peuimporte–lerésultat,c'estque,quandlemiracleseproduit,nousressentonsuneprofonderévérencepourlagrâcequeDieunousaaccordée.Ilyaunetrentained'années,alorsquejevivaismapériodehippie,masœur
m'invita à être le parrain de sa première fille. J'étais ravi de cette proposition,contentqu'ellenem'aitpasdemandédemecouperlescheveux(àcetteépoque,ilsm'arrivaientàlataille),etqu'ellen'aitpasexigéuncadeauonéreuxpourmafilleule(jen'auraispaseudequoil'acheter).Lafillenaquit,lapremièreannéepassa,etlebaptêmen'arrivaitpas.Pensant
quemasœuravaitchangéd'avis,j'allailuidemandercequis'étaitpassé,etellemerépondit :«Turestesparrain.Ilse trouvequej'aifaitunepromesseàNháChica, et je veux baptiser la petite à Baependi, parce qu'ellem'a accordé unegrâce.»JenesavaispasoùétaitBaependi,etjen'avaisjamaisentenduparlerdeNhá
Chica. La période hippie passa, je devins cadre d'unemaison de disques, masœureutuneautrefille,etpasdebaptême.Finalement,en1978,ladécisionfutprise, et les deux familles – la sienne et celle de son ex-mari – se rendirent àBaependi.Là, jedécouvrisquecetteNháChica,quin'avaitmêmepasd'argent
pour sa propre subsistance, avait passé trente ans à construire une église et àaiderlespauvres.Jesortaisd'unepériodetrèsturbulentedemavieetjenecroyaisplusenDieu.
Ou plus exactement, je n'accordais pas grande importance à la recherche dumonde spirituel. Ce qui comptait, c'étaient les choses de ce monde, et lesrésultatsquejepourraisobtenir.J'avaisabandonnélesrêvesfousdemajeunesse–entreautres,celuidedevenirécrivain–etjen'avaispasl'intentiond'avoirdenouveaudesillusions.J'étaislàdanscetteégliseuniquementpouraccomplirundevoirsocial ;attendant l'heuredubaptême, je fisun tourdans lesenvironsetj'entraifinalementdansl'humblemaisondeNháChica,àcôtédel'église.Deuxcommodesetunpetitautel,avecquelquesimagesdesaintsetunvasecontenantdeuxrosesrougesetuneblanche.Impulsivement, contrairement à tout ce que je pensais à l'époque, je fis un
vœu:Siunjourjeparviensàdevenirl'écrivainquejevoulaisêtreetquejeneveuxplusêtre,jereviendraiiciquandj'auraicinquanteans,etj'apporteraideuxrosesrougesetuneblanche.Ensouvenirdubaptême,j'achetaiunportraitdeNháChica.LorsduretouràRio,ledésastre:unautocars'arrêtesubitementdevantmoi,
j'écartelavoitureenunefractiondeseconde,monbeau-frèreparvientluiaussiàécarter la sienne, la voiture qui vient entre en collision avec le car, il y a uneexplosion,plusieursmorts.Nousnousgaronsauborddelaroute,nesachantquefaire. Je cherche dans ma poche une cigarette, et j'en sors le portrait de NháChica.Silencieuxdanssonmessagedeprotection.Mon voyage de retour vers les rêves, la quête spirituelle, la littérature,
commençaitlà,etunjourjemesuisvudenouveaudansleBonCombat,celuique l'onmène lecœuremplidepaix,car il résulted'unmiracle. Jen'ai jamaisoubliélestroisroses.Enfin,mescinquanteans–quiàcetteépoquesemblaientsiloin–sontarrivés.Et ils seront bientôt passés. Pendant la Coupe du Monde, je suis allé à
Baependim'acquitterdemonvœu.Quelqu'unm'avuarriveràCaxambú(oùjepassaislanuit),etunjournalisteestvenum'interviewer.Quandjeluiairacontécequejefaisaislà,ilm'adit:«ParlezdeNháChica.Soncorpsaétéexhumécettesemaineetlaprocédure
debéatificationestauVatican.Lesgensdoiventtémoigner.—Non,ai-jerépondu.C'estunehistoiretrèsintime.Jeneparleraisquesije
recevaisunsigne.»Et j'ai pensé en moi-même : « Qu'est-ce qui serait un signe ? Seulement
quelqu'unquiparleraitensonnom!»
Lelendemain,j'aiprislavoiture,lesfleurs,etjesuisalléàBaependi.Jemesuisarrêtéàunecertainedistancedel'église,merappelantlecadredelamaisonde disques qui était venu là si longtemps auparavant, et toutes les raisons quim'avaientconduitàrevenir.Alorsquej'entraisdanslamaison,unejeunefemmeestsortied'uneboutiquedevêtements:«J'aivuquevotrelivreMaktubétaitdédiéàNháChica,a-t-elledit.Jevous
assurequ'elleétaitcontente.»Elle ne m'a rien demandé. Mais c'était le signe que j'attendais. Et voilà la
dépositionpubliquequejedevaisfaire.
RECONSTRUIRELAMAISON
Unedemesconnaissances,incapabled'associerlerêveetlaréalisation,finitparconnaîtredegravesproblèmesfinanciers.Pireencore : il impliquad'autrespersonnes,causantdutortàdesgensqu'ilnevoulaitpasblesser.Ne pouvant payer les dettes qui s'accumulaient, il en arriva à penser au
suicide.Ilmarchaitdansunerueunaprès-midi,quandilvitunemaisonenruine.«Cet immeuble, c'estmoi»,pensa-t-il.Àcemoment, il éprouvaun immensedésirdereconstruirecettemaison.Il trouva le propriétaire, s'offrit pour faire des travaux – et le propriétaire
accepta,bienqu'ilnecomprîtpascequemonamiallaitygagner.Ensemble,ilsallèrentchercherdesbriques,dubois,duciment.Monamitravaillaavecamour,sans savoir pour quoi ni pour qui, mais sentant que sa vie personnelles'amélioraitàmesurequelestravauxavançaient.Auboutd'unan,lamaisonétaitprête.Etsesproblèmespersonnelsrésolus.
LAPRIÈREQUEJ'AIOUBLIÉE
MarchantdanslesruesdeSãoPauloilyatroissemaines,j'aireçud'unami,Edinho,unebrochureappelée«Instantsacré».Impriméeenquadrichromie,surun excellent papier, elle n'était associée à aucune église ou culte, elle portaitseulementauversouneprière.Quelle ne fut pas ma surprise en voyant que celui qui signait cette prière,
c'étaitMOI!Elleavaitétépubliéeaudébutdesannées1980,surlajaquetted'unlivre de poésie. Je n'avais pas pensé qu'elle résisterait au temps, ni qu'ellepourraitmerevenirdanslesmainsd'unemanièreaussimystérieuse.Maisquandjel'airelue,jen'aipaseuhontedecequej'avaisécrit.Puisqu'elleétaitdanscettebrochure,etpuisquejecroisauxsignes,j'aitrouvé
opportundelareproduireici.J'espèreainsiencouragerchaquelecteuràécriresapropreprière,ensedemandantetendemandantauxautrescequ'iljugeleplusimportant. De cette manière, nous mettons dans notre cœur une vibrationpositive,quidoitsecommuniqueràtoutcequinousentoure.Voicilaprière:Seigneur,protégeznosdoutes,carleDouteestunemanièredeprier.C'estlui
quinousfaitgrandir,carilnousobligeàregardersanscraintelesnombreusesréponsesàunemêmequestion.Etpourquecesoitpossible,Seigneur, protégez nos décisions, car la Décision est unemanière de prier.
Donnez-nousducouragepourque,après ledoute,noussachionschoisirentreuncheminetl'autre.QuenotreOUIsoittoujoursunOUI,etnotreNONtoujoursunNON.Qu'unefoislecheminchoisi,nousneregardionsjamaisenarrière,etquenotreâmenesoitjamaisrongéeparleremords.Etpourquecesoitpossible,
Seigneur,protégeznosactions, car l'Actionestunemanièredeprier.Faitesquenotrepainquotidiensoitlefruitdecequenousportonsennousdemeilleur.Quenouspuissions,par le travailet l'Action,partagerunpeude l'amourquenousrecevons.Etpourquecesoitpossible,Seigneur,protégeznosrêves,carleRêveestunemanièredeprier.Faitesque,
quels que soient notre âge et notre situation, nous sachions garder vive dansnotrecœur la flammesacréede l'espoiretde lapersévérance.Etpourquecesoitpossible,Seigneur, donnez-nous toujours l'enthousiasme, car l'Enthousiasme est une
manièredeprier.C'estluiquinousrelieauxCieuxetàlaTerre,auxhommesetauxenfants,etnousditqueledésirestimportantetméritenosefforts.C'estluiquinousaffirmequetoutestpossible,dumomentquenoussommestotalementengagésdanscequenousfaisons.Etpourquecesoitpossible,Seigneur, protégez-nous, car la Vie est le seul moyen que nous avons de
manifesterVotremiracle.Quelaterrecontinueàtransformerlasemenceenblé,quenouscontinuionsàchangerlebléenpain.Etcen'estpossiblequesinousavonsde l'Amour–parconséquent,nenousabandonnez jamaisà la solitude.Donnez-noustoujoursVotrecompagnie,etlacompagnied'hommesetdefemmesquiontdesdoutes,agissent,rêvent,s'enthousiasmentetviventcommesichaquejourétaittotalementconsacréàVotregloire.Amen.
COPACABANA,RIODEJANEIRO
Nousnoustrouvions,mafemmeetmoi,aucoindelarueConstanteRamos,àCopacabana.Ilyavaitunefemmed'unesoixantained'années,elleétaitsurunechaise roulante, perdue au milieu de la foule. Ma femme s'est offerte pourl'aider : elle a accepté, nous demandant de la transporter jusqu'à la rue SantaClara.Quelquessacsplastiquependaientdelachaiseroulante.Enchemin,ellenous
aracontéquec'étaientlàtoussesbiens;elledormaitsouslesmarquisesetvivaitdelacharitéd'autrui.Nous sommes arrivés à l'endroit indiqué ; d'autresmendiants s'y trouvaient
réunis. La femme a retiré d'un des sacs plastique deux briques de lait longueconservation,etlesatenduesaugroupe.Elleafaitcecommentaire:«Faites-moilacharité,jedoisfairelacharitéaux
autres.»
VIVRESAPROPRELÉGENDE
Jecroisquechaquepagedece livreest lueenàpeuprès troisminutes.Ehbien, d'après les statistiques, dans ce laps de temps trois cents personnes vontmouriretsixcentvingtautresnaîtront.Ilmefautpeut-êtreunedemi-heurepourécrirelapage:jesuisconcentrésur
monordinateur,deslivresàcôtédemoi,desidéesdanslatête,desvoituresquipassentdehors.Toutparaîtabsolumentnormalautourdemoi;cependant,durantces trente minutes, trois mille personnes sont mortes et six mille deux centsviennentdevoir,pourlapremièrefois,lalumièredumonde.Oùsontcesmilliersdefamillesquiontàpeinecommencéàpleurerlaperte
d'unproche,ouàriredel'arrivéed'unenfant,d'unpetit-fils,d'unfrère?Jem'arrêteetjeréfléchisunpeu:nombredecesmortsarriventpeut-êtreau
termed'unelongueetdouloureusemaladie,etcertainespersonnessontsoulagéesquel'Angesoitvenuleschercher.Enoutre,ilestcertainquedescentainesdecesenfants qui viennent de naître seront abandonnés dans la minute suivante etpasserontdanslesstatistiquesdesmortsavantquejeneterminecetexte.Incroyable.Unesimplestatistique,quej'airegardéeparhasard,etsoudainje
sens ces pertes et ces rencontres, ces sourires et ces larmes.Combien quittentcettevieseulsdansleurschambres,sansquepersonneneserendecomptedecequi est en train de se passer ? Combien naîtront en cachette, et serontabandonnésàlaported'unasileoud'uncouvent?Jeréfléchis : j'aidéjàfaitpartiedesstatistiquesdesnaissances,etun jour je
seraiinclusdanslenombredemorts.Heureusement,j'aipleinementconscienceque je vais mourir. Depuis que j'ai fait le chemin de Saint-Jacques, je l'ai
compris, même si la vie continue et que nous sommes tous éternels, cetteexistencefiniraunjour.Lesgenspensenttrèspeuàlamort.Ilspassentleurvieàs'inquiéterdevraies
absurdités,ilsreportentleschoses,ilslaissentdecôtédesmomentsimportants.Ils ne prennent pas de risques, parce qu'ils trouvent cela dangereux. Ils seplaignent beaucoup, mais ils se montrent lâches au moment de prendre desmesures.Ilsveulentquetoutchange,maisilsrefusentdechanger.S'ilspensaientunpeuplusàlamort,ilsnemanqueraientjamaisdedonnerle
coup de téléphone qu'ils n'ont pas donné. Ils seraient un peu plus fous. Ilsn'auraientpaspeurde la findecette incarnation–caronnepeutpas redouterquelquechosequiarriveradetoutefaçon.Les Indiens disent : « Aujourd'hui est un jour aussi bon qu'un autre pour
quittercemonde.»Etunsorcieradéclaréunjour:«Quelamortsoittoujoursassiseàcôtédetoi.Ainsi,quandtudevrasfairedeschosesimportantes,elletedonneralaforceetlecouragenécessaires.»J'espère que vous, lecteur, vous êtes arrivé jusqu'ici. Il serait stupide que le
titrevousaiteffrayé,carnoustous,tôtoutard,nousallonsmourir.Seulceluiquiacceptecelaestprêtpourlavie.
L'IMPORTANCEDUCHATDANSLAMÉDITATION
Lorsquej'aiécritVeronikadécidedemourir,unlivresurlafolie,jemesuisvudansl'obligationdemedemanderquelleétaitlapartdenosactesquinousaétéimposéeparlanécessité,ouparl'absurdité.Pourquoiportons-nousunecravate?Pourquoi lamontre tourne-t-elle dans le « sensdes heures » ?Si nousvivonsdansunsystèmedécimal,pourquoilejoura-t-ilvingt-quatreheuresdesoixanteminutes?Lefaitestquenombrederèglesauxquellesnousobéissonsdenosjoursn'ont
aucun fondement. Pourtant, si nous désirons agir autrement, nous sommesconsidéréscomme«fous»ou«immatures».En attendant, la société crée des systèmes qui, avec le temps, perdent leur
raison d'être mais continuent d'imposer leurs règles. Une intéressante histoirejaponaiseillustrecequejeveuxdire:Un grandmaître bouddhiste zen, responsable dumonastère deMayuKagi,
avaitunchat,quiétaitsavraiepassiondanslavie.Ainsi,pendantlesleçonsdeméditation,gardait-il lechatprèsde lui, afindeprofiter lepluspossiblede sacompagnie.Unmatin, le maître, qui était assez vieux, fut trouvémort. Le disciple qui
avaitlegradeleplusélevépritsaplace.«Qu'allons-nousfaireduchat?»demandèrentlesautresmoines.Ensouvenirdesonancieninstructeur,lenouveaumaîtredécidadepermettre
quelechatcontinuâtdefréquenterlesleçonsdebouddhismezen.Desdisciplesdemonastèresvoisins,quivoyageaientbeaucoupdanslarégion,
découvrirentquedansl'undestempleslesplusfameuxdulieu,unchatprenaitpartauxméditations.L'histoirecommençaàserépandre.
Des annéespassèrent.Le chatmourut,mais les élèvesdumonastère étaienttellement habitués à sa présence qu'ils se débrouillèrent pour trouver un autrechat.Pendantcetemps,lesautrestemplesintroduisaientpeuàpeuleschatsdansleurs méditations : ils croyaient que le chat était le vrai responsable de lacélébritéetde laqualitédel'enseignementdeMayuKagi,etenoubliaientquel'ancienmaîtreétaitunexcellentinstructeur.Une génération passa, et l'on vit apparaître des traités techniques sur
l'importance du chat dans la méditation zen. Un professeur d'universitédéveloppaunethèse–admiseparlacommunautéacadémique–affirmantquelefélin avait la capacité d'augmenter la concentration humaine et d'éliminer lesénergiesnégatives.Ainsi,durantunsiècle,lechatfutconsidérécommeunepartieessentiellede
l'étudedubouddhismezendanscetterégion.Etpuisapparutunmaîtrequiétaitallergiqueauxpoilsd'animaux,etildécida
d'éloignerlechatdesespratiquesquotidiennesaveclesélèves.Ilyeutuneviolenteréactionderefus,maislemaîtreinsista.Commec'étaitun
excellentinstructeur,lerendementscolairedesélèvesdemeuralemême,malgrél'absenceduchat.Peuàpeu, lesmonastères– toujours enquêted'idéesnouvelles et lassésde
devoir nourrir tant de chats – éliminèrent les animauxdes leçons.Aubout devingt ans, apparurent de nouvelles thèses révolutionnaires, portant des titresconvaincantscommeL'Importancede laméditationsans lechat ouÉquilibrerl'universzenparleseulpouvoirdel'esprit,sansl'aided'animaux.Unautresièclepassaetlechatsortittotalementduritueldelaméditationzen
danscetterégion.Maisilfallutdeuxcentsanspourquetoutredevîntnormal–personnenes'étaitdemandé,duranttoutcetemps,pourquoilechatsetrouvaitlà.Combiend'entrenous,danslavie,osentsedemander:pourquoidois-jeagir
delasorte?Jusqu'àquelpoint,dansnosactes,nousservons-nousde«chats»inutiles,quenousn'avonspaslecouraged'éliminer,parcequel'onnousaditqueles«chats»étaientimportantspourquetoutfonctionnebien?Pourquoi, en cette dernière année dumillénaire, ne cherchons-nous pas une
manièred'agirdifférente?
JENEPEUXPASENTRER
Prèsd'Olite,enEspagne,setrouveunchâteauenruine.Jedécidedelevisiter,etalorsquejemetrouvedevant,unhommeàlaportemedéclare:«Vousnepouvezpasentrer.»Mon intuition m'assure qu'il est en train de m'interdire pour le plaisir
d'interdire. Je lui explique que je viens de loin, j'essaie de lui donner unpourboire,d'êtresympathique,jedisquecechâteauestenruine–soudain,ilestdevenutrèsimportantpourmoid'entrerdanscechâteau.«Vousnepouvezpasentrer»,répètel'homme.Il reste une seule solution : continuer, et attendre qu'il m'en empêche
physiquement.Jemedirigeverslaporte.Ilmeregarde,maisilnefaitrien.Alorsquejesors,deuxtouristess'approchentetentrent.Levieuxnetentepas
de les en empêcher. Je sens que, grâce àma résistance, le vieux a décidé decesser de créer des règles absurdes.Lemondenousdemandeparfois de lutterpour des choses que nous ne connaissons pas, pour des raisons que nous nedécouvrironsjamais.
STATUTSDUNOUVEAUMILLÉNAIRE
1)Tousleshommessontdifférents.Et ilsdoiventfaire leurpossiblepour lerester.2)À toutêtrehumainontétéconcédéesdeuxmanièresd'agir : l'actionet la
contemplation.Ellesmènentl'uneetl'autreaumêmeendroit.3)Àtoutêtrehumainontétéconcédéesdeuxqualités:lepouvoiretledon.
Le pouvoir conduit l'homme à la rencontre de son destin ; le don l'oblige àpartageraveclesautrescequ'ilyademeilleurenlui.4)Àtoutêtrehumainaétédonnéeunevertu:lacapacitédechoisir.Celuiqui
n'utilisepascettevertula transformeenmalédictionetd'autreschoisirontpourlui.5)Toutêtrehumainadroitàdeuxbénédictions:lagrâcedeviserjusteetla
grâcedesetromper.Danslesecondcas,ilexistetoujoursunapprentissagequileconduiraaubonchemin.6)Toutêtrehumainaunprofilsexuel,et ildoit l'exercersansculpabilitédu
momentqu'iln'obligepaslesautresàl'exerceraveclui.7)Toutêtrehumainaune légendepersonnelleàaccomplir et celle-ci est sa
raisond'êtredanscemonde.Salégendepersonnellesemanifesteaumoyendel'enthousiasmepoursatâche.Paragraphe unique. On peut abandonner pour un certain temps sa légende
personnelle, à condition qu'on ne l'oublie pas et qu'on y revienne dès quepossible.8) Tout homme a un côté féminin et toute femme un côté masculin. Il est
nécessairede recourirà ladisciplineavec intuitionetd'userde l'intuitionavecobjectivité.
9)Toutêtrehumaindoitconnaîtredeuxlangages:lelangagedelasociétéetlelangagedessignes.L'unsertàlacommunicationaveclesautres,l'autresertàcomprendrelesmessagesdeDieu.10)Toutêtrehumainadroitàlarecherchedelajoie,etl'onentendparjoiece
quilesatisfait–pasnécessairementcequisatisfaitlesautres.11)Toutêtrehumaindoitgarderviveenluilaflammesacréedelafolie.Etil
doitsecomportercommeunepersonnenormale.12)Seulssontconsidéréscommedesfautesgraveslesitemssuivants:nepas
respecterledroitdevotreprochain,vouslaisserparalyserparlapeur,voussentircoupable, croire que vous ne méritez pas le bonheur ou le malheur qui vousarriventdanslavie,etvousmontrerlâche.Paragraphe1.Nousaimeronsnosennemis,maisnousneferonspasd'alliances
aveceux.Ilsontétéplacéssurnotrecheminpourmettreàl'épreuvenotreépée,etilsméritentlerespectdenotrelutte.Paragraphe2.Nouschoisironsnosennemis.13) Toutes les religionsmènent aumêmeDieu, et toutesméritent lemême
respect.Paragrapheunique.Unhommequichoisitunereligionchoisitégalementune
manière collective d'adorer et de partager lesmystères. Cependant, il est seulresponsabledesesactessur lecheminet iln'apas ledroitde faireporterà lareligionlaresponsabilitédesesdécisions.14) Est décrétée la fin dumur qui sépare le sacré du profane : à partir de
maintenant,toutestsacré.15)Toutcequiest faitdans leprésentaffecte l'avenirenconséquence,et le
passéparrédemption.16)Lesdispositionscontrairessontannulées.
DÉTRUIREETRECONSTRUIRE
Jesuis invitéàmerendreàGunkanjima,oùse trouveuntemplebouddhistezen.Enarrivant,jesuissurpris:latrèsbellestructureestsituéeaumilieud'uneimmenseforêt,maisàcôtéungigantesqueterraindemeureenfriche.Jedemandelaraisondeceterrain,etlepréposém'explique:«C'estlelieudelaprochaineconstruction.Touslesvingtans,nousdétruisons
ce temple que vous voyez et nous le reconstruisons à côté. Ainsi, lesmoinescharpentiers, maçons et architectes ont la possibilité de toujours exercer leurscapacités, et de les enseigner par la pratique à leurs apprentis.Nousmontronsaussi que riendans la vie n'est éternel, et quemême les temples sont dansunprocessusdeperfectionnementconstant.»
LEGUERRIERETLAFOI
Henry James compare l'expérience à une immense toile d'araignée, étendueautourdenous,quipeutattrapernonseulementcequiestnécessaire,maisaussilapoussièrequisetrouvedansl'air.Trèssouvent,cequenousappelons«expérience»n'estautrequelasommede
nosdéfaites.Alors,nousregardonsdevantnousaveccrainte,commequelqu'unquiadéjàcommispasmald'erreursdanslavie,etnousn'avonspaslecouragedefairelepassuivant.À cemoment-là, il est bon de se rappeler lesmots de lordSalisbury : «Si
vousfaitestotalementconfianceauxmédecins,vouscroirezquetoutestmauvaispour la santé. Si vous faites totalement confiance aux théologiens, vous allezvous convaincre que tout est péché. Si vous faites totalement confiance auxmilitaires,vousconclurezquelasécuritéabsoluen'existepas.»Il faut accepter les passions et ne pas renoncer à l'enthousiasme des
conquêtes;ellesfontpartiedelavieetréjouissenttousceuxquiyprennentpart.Maisleguerrierdelalumièreneperdjamaisdevueleschosesdurables,etlesliens qui se sont créés solidement avec le temps : il sait distinguer ce qui estpassageretcequiestdéfinitif.Mais il y a unmoment où les passions disparaissent sans prévenir.Malgré
toutesasagesse,ilselaissedominerparledécouragement:d'uneheureàl'autre,lafoin'estpluscequ'elleétait,leschosesnesepassentpascommeill'avaitrêvé,lestragédiessurgissentd'unemanièreinjusteetinattendue,etilsemetàcroirequesesprièresnesontplusentendues.Ilcontinueàprieretàfréquenterlescultesdesareligion,maisilnepeutse
mentir;lecœurnerépondpluscommeavant,etlesmotssemblentn'avoiraucun
sens.Àcemoment, iln'existequ'unevoiepossible :poursuivre lapratique.Faire
lesprièresparobligation,ouparcrainte,oupourquelque raisonquece soit–maiscontinueràprier.Insister,mêmesitoutparaîtinutile.L'angechargéderecueillir lesmotsduguerrier,quiestaussiresponsablede
l'allégressequ'apportelafoi,estalléfaireunepromenade.Maisilserabientôtderetouretilnesauraoùilsetrouveques'ilentenduneprièreouunedemandesurseslèvres.Unelégenderacontequ'aumonastèredePiedra,aprèsuneépuisanteséancede
prièresmatinales, lenovicedemandaà l'abbési lesprières rapprochaientDieudeshommes.«Jevaisterépondreparuneautrequestion,ditl'abbé.Toutescesprièresque
tufaisferont-ellesseleverlesoleildemain?—Évidemmentnon!Lesoleilselèveparcequ'ilobéitàuneloiuniverselle!—Ehbien,celarépondàtaquestion.Dieuestprèsdenous,indépendamment
desprièresquenousfaisons.»Lenoviceenfutrévolté.«Voulez-vousdirequenosprièressontinutiles?—Absolument.Situneteréveillespasdebonneheure,tuneverrasjamaisle
soleilselever.Si tunepriespas,bienqueDieusoit toujoursprèsdetoi, tuneremarquerasjamaisSaprésence.»Prier et observer : ce doit être la devise du guerrier de la lumière. Si vous
observezseulement,vousallezcommenceràvoirdesfantômeslàoùiln'yenapas. Si vous priez seulement, vous n'aurez pas le temps d'exécuter lesœuvresdontlemondeatellementbesoin.Une autre légende raconte, dans le Verba Seniorum cette fois, que l'abbé
Pastor disait souvent que l'abbé Jean avait tant prié qu'il n'avait plus à sepréoccuper–sespassionsavaientétévaincues.Lesproposdel'abbéPastorparvinrentauxoreillesd'unsagedumonastèrede
Sceta.Cedernierappelalesnovicesaprèslesouper.«Vousavezentendudirequel'abbéJeann'avaitplusdetentationsàvaincre,
déclara-t-il.L'absencedelutteaffaiblitl'âme.NousallonsdemanderauSeigneurd'envoyeràl'abbéJeanunetentationbienforte;ets'ilsurmontecettetentation,nous en demanderons une autre et encore une autre. Et quand il luttera denouveaucontrelestentations,nousprieronspourqu'ilnedisejamais“Seigneur,éloigne de moi ce démon.” Nous prierons pour qu'il demande : “Seigneur,donne-moilaforced'affronterlemal.”»
DANSLEPORTDEMIAMI
«Ons'habitueparfoisàcequel'onvoitdanslesfilmsetl'onfinitparoublierla vraie histoire », dit un ami, tandis que nous regardons ensemble le port deMiami.«Tesouviens-tudesDixCommandements?»Biensûr, jem'ensouviens.Moïse–CharltonHeston–àuncertainmoment
lèvesonbâton,leseauxsefendent,etlepeuplehébreutraverselamer.«Dans laBible, c'estdifférent», remarquemonami.«Là,Dieuordonneà
Moïse:“Disauxfilsd'Israëldesemettreenmarche.”Cen'estqu'aprèsqu'ilsontcommencéàmarcherqueMoïselèvesonbâtonetquelamerRouges'écarte.»Seullecouragesurlecheminpermetquelecheminsemanifeste.
AGIRSURUNEIMPULSION
LepèreZeca, de l'Église de laRésurrection, àCopacabana, raconte que, setrouvantdansunautobus,ilentenditsoudainunevoixdisantqu'ildevaitseleveretprêcherlàlaparoleduChrist.Zecacommençaàcauseraveclavoix:«Ilsvontmetrouverridicule,cen'est
pas un endroit pour un sermon», dit-il.Mais quelque chose en lui insistait, ilfallait parler. « Je suis timide, je vous en prie, ne me demandez pas ça »,implora-t-il.L'impulsionintérieurepersistait.Alorsilserappelasapromessedes'abandonneràtouslesdesseinsduChrist.
Il se leva, mourant de honte, et il commença à parler de l'Évangile. Tout lemondeécoutaensilence.Ilregardaitchaquepassager,etraresétaientceuxquidétournaient les yeux. Il dit tout ce qu'il ressentait, termina son sermon et serassit.Ilnesaittoujourspas,aujourd'hui,quelletâcheilaaccomplieàcemoment-là.
Maisilal'absoluecertituded'avoiraccompliunetâche.
DELAGLOIRETRANSITOIRE
SIC TRANSIT GLORIA MUNDI. Saint Paul définit ainsi la conditionhumainedansl'unedesesépîtres:lagloiredumondeesttransitoire.Et,mêmesachantcela,l'hommeesttoujoursenquêtedereconnaissancepoursontravail.Pourquoi?L'undesplusgrandspoètesbrésiliens,ViniciusdeMoraes,ditdansl'unedeseschansons:«EtcependantilfautchanterPlusquejamaisilfautchanter.»Ces phrases de Vinicius de Moraes sont magnifiques. Rappelant Gertrud
Stein,danssonpoème«Uneroseestunerose,c'estunerose»,ilditsimplementqu'ilfautchanter.Ilnedonnepasd'explications,ilnesejustifiepas,iln'usepasdemétaphores. Lorsque j'ai présentéma candidature à l'Académie brésiliennedes lettres, accomplissant le rituel qui consiste à entrer en contact avec sesmembres, j'ai entendu l'académicien JosuéMontellomedirequelque chosedesemblable : « Tout homme a le devoir de suivre la route qui passe par sonvillage.»Pourquoi?Qu'ya-t-ilsurcetteroute?Quelleestcetteforcequinouspousseloinduconfortdecequiestfamilieret
nous fait affronter desdéfis,même si nous savonsque lagloiredumonde esttransitoire?Jecroisquecetteimpulsions'appellelaquêtedusensdelavie.Pendant des années, j'ai cherché dans les livres, dans l'art, dans la science,
dans les chemins périlleux ou confortables que je parcourais, une réponsedéfinitiveàcettequestion. J'enai trouvébeaucoup ;certainesm'ontconvaincupour des années, d'autres n'ont pas résisté à un seul jour d'analyse, aucune
cependantn'aétéassezfortepourque jepuissediremaintenant : lesensde lavie,c'estcela.Aujourd'hui,jesuisconvaincuquecetteréponsenenousserajamaisconfiée
danscetteexistence,quandbienmême,à lafin,aumomentoùnousseronsdenouveaufaceauCréateur,nouscomprendrionstouteslesopportunitésquinousontétéoffertes–etquenousavonsacceptéesourejetées.Dans un sermon de 1890, le pasteur Henry Drummond parle de cette
rencontreavecleCréateur.Ildit:«Àcemoment,lagrandequestiondel'êtrehumainneserapas:“Comment
ai-jevécu?”Ellesera:“Commentai-jeaimé?”L'épreuvefinaledetoutequêteestladimensiondenotreAmour.Ilneserapas
tenucomptedenosactes,denoscroyances,denosréussites.Nousn'auronspasàpayerpourcela,maispournotremanièred'aimernotre
prochain.Leserreursquenousavonscommisesserontoubliées.Nousneseronsjamaisjugéspourlemalquenousavonsfait,maispourlebienquenousn'avonspasfait.Cargarderl'Amourenferméensoi,c'estalleràl'encontredel'espritdeDieu,c'estlapreuvequenousneL'avonsjamaisrencontré,qu'Ilnousaaimésenvain.»Lagloiredumondeesttransitoire,etcen'estpasellequidonnesadimension
ànotrevie,maislechoixquenousfaisonsdesuivrenotrelégendepersonnelle,de croire en nos utopies et de lutter pour elles. Nous sommes tous lesprotagonistesdenotreexistence,ettrèssouventcesontleshérosanonymesquilaissentlesmarqueslesplusdurables.Une légende japonaise raconte qu'unmoine, enthousiasmé par la beauté du
livrechinoisduTao-tö-king,décidade leverdes fondspour traduireetpubliercesversdanslalanguedesapatrie.Ilmitdixansàtrouverlasommesuffisante.Cependant, la peste ravagea son pays, et le moine décida d'utiliser l'argent
poursoulagerlasouffrancedesmalades.Maisdèsquelasituationfutredevenuenormale,ilseremitàéconomiserlasommenécessaireàlapublicationduTao.Dixanspassèrentencoreet,alorsqu'ilsepréparaitàimprimerlelivre,unraz
demaréelaissadescentainesdegenssansabri.Lemoinedépensadenouveaul'argentàlareconstructiondemaisonspourceuxquiavaienttoutperdu.Dixanss'écoulèrentencore,ilseremitàrassemblerl'argent,etenfinlepeuplejaponaisputlireleTao-tö-king.Lessagesdisentque,enréalité,cemoinea fait troiséditionsduTao:deux
invisibles,etuneimprimée.Ilacruensonutopie,ilalivréleboncombat,ilagardélafoiensonobjectif,maisilestrestéattentifàsonsemblable.Qu'ilensoit
ainsi de nous tous : les livres invisibles, nés de la générosité envers notreprochain,sontparfoisaussiimportantsqueceuxquioccupentnosbibliothèques.
DELACHARITÉMENACÉE
Ilyaquelquetemps,àIpanema,mafemmeaaidéuntouristesuisse,quisedisaitvictimedepetitsvoleurs à la tire.Avecunaccentprononcé,parlant trèsmalportugais,ilaffirmaitqu'ilétaitsanspasseport,sansargent,qu'iln'avaitplusoùdormir.Mafemmeluiapayéundéjeuner,luiadonnélasommenécessairepourqu'il
puisse passer une nuit à l'hôtel le temps de contacter son ambassade, et il estparti.Quelques jours plus tard, un journal carioca annonçait que ce « touristesuisse » était en réalité un voyou créatif de plus, qui se donnait un accentimaginaire et abusait de la bonne foi de gens qui aiment Rio et désirentdébarrassernotrevilledel'imagenégativequiestdevenue–àtortouàraison–sacartepostale.Enlisantl'information,mafemmeafaitunseulcommentaire:«Cen'estpas
celaquivam'empêcherd'aiderquiquecesoit.»Soncommentairem'arappelél'histoiredusagequi,unaprès-midi,revintdans
lacitéd'Akbar.Lesgensn'accordèrentpasgrandeimportanceàsaprésence,etses enseignements n'intéressèrent pas vraiment la population. Au bout d'uncertaintemps,ildevintl'objetdesriséesetdel'ironiedeshabitantsdelacité.Un jour, alors qu'il se promenait dans la grande rue d'Akbar, un groupe
d'hommesetdefemmescommencèrentàl'insulter.Plutôtquedefairesemblantd'ignorercequisepassait,lesagesedirigeaverseux,etillesbénit.Unhommedéclara:« Aurions-nous, en plus, affaire à un sourd ? Nous crions des horreurs, et
monsieurnousrépondpardebellesparoles!—Chacundenousnepeutoffrirquecequ'ila»,réponditlesage.
LESSORCIÈRESETLEPARDON
Le 31 octobre 2004, se prévalant d'une loi féodale qui fut abolie le moissuivant, la ville de Prestonpans, en Écosse, accorda le pardon officiel à 81personnes exécutées pour pratique de sorcellerie au cours des XVIe etXVIIesiècles–ainsiqu'àleurschats.D'aprèsleporte-paroleofficieldesbaronsdePrestoungrangeetDolphinstoun,
« on avait condamné la plupart sans aucune preuve concrète – en se fondantuniquement sur les témoins de l'accusation, qui déclaraient sentir la présenced'espritsmalins».Cen'estpas lapeinede rappeler ici tous les excèsde l'Inquisition, avec ses
chambresdetortureetsesbûchersinspirésparlahaineetlavengeance.Maisilyaunfaitquim'intriguedanscetteinformation.La ville et le quatorzième baron de Prestoungrange et Dolphinstoun
«accordentlepardon»àdespersonnesexécutéesbrutalement.NoussommesenpleinXXIe siècle, et les descendants des vrais criminels, ceux qui ont tué desinnocents,sejugentencoreendroitde«pardonner».En attendant, une nouvelle chasse aux sorcières commence à gagner du
terrain.Cette fois, l'armen'estplus le fer rouge,mais l'ironieou la répression.Tousceuxqui,développantundon(généralementdécouvertparhasard),osentparlerdeleurcapacité,sontlaplupartdutempsregardésavecméfiance;oubienleursparents,leursmaris,leursépouses,leurinterdisentdedirequoiquecesoità ce sujet.Pourm'être intéressé très jeuneà ceque l'onappelle les« sciencesoccultes»,j'aifiniparentrerencontactavecbeaucoupdecespersonnes.J'aicrudescharlatans,biensûr.J'aiconsacrémontempsetmonenthousiasme
àdes«maîtres»quiplustardontfaittomberlemasque,montrantlevidetotal
dans lequel ilsse trouvaient.J'aiparticipédemanière irresponsableàcertainessectes, j'aipratiquédes rituelset je l'aipayé trèscher.Toutcelaaunomd'unequêteabsolumentnaturellechez l'homme: trouver laréponseaumystèrede lavie.Maisj'airencontréégalementnombredegensquiétaientréellementcapables
de manier des forces qui dépassaient ma compréhension. J'ai vu le temps semodifier, par exemple. J'ai vu des opérations sans anesthésie, et une fois(justementunjouroùjem'étaisréveilléavecbeaucoupdedoutesconcernantlepouvoirméconnude l'homme) j'aimis ledoigtdansune incisionfaiteavecuncanif rouillé. Croyez-le si vous voulez – ou moquez-vous si c'est la seulemanièredelirecequejesuisentraind'écrire–,j'aivudumétalsetransformer,des couverts se tordre, des lumièresbrillerdans l'air autourdemoi, parcequequelqu'un avait dit que cela allait arriver (et c'est arrivé). Il y avait presquetoujours des témoins, en général peu convaincus.Dans la plupart des cas, cestémoins sont restés incrédules, pensant toujours que tout cela n'était qu'un« truc » bien élaboré. D'autres disaient que c'était « affaire du diable ».Finalement, rares étaient ceux qui croyaient se trouver en présence dephénomènesquidépassaientlacompréhensionhumaine.J'aipuvoirtoutcelaauBrésil,enFrance,enAngleterre,enSuisse,auMaroc,
au Japon.Et qu'arrive-t-il à la plupart des personnes qui réussissent, disons, àinterférer dans les lois « immuables » de la nature ? La société les considèretoujours comme des cas marginaux : si leurs auteurs ne peuvent pas lesexpliquer, alors ces phénomènes n'existent pas. La grande majorité de cespersonnesnecomprennentpasnonpluspourquoiellessontcapablesdefairedeschosessurprenantes.Etredoutantd'êtreaccuséesdecharlatanerie,ellesfinissentétoufféesparleurspropresdons.Aucune d'elles n'est heureuse. Elles attendent toutes le jour où elles seront
prisesausérieux.Ellesespèrent toutesuneréponsescientifiqueà leursproprespouvoirs (et, à mon avis, ce n'est pas la bonne voie). Beaucoup cachent leurpotentiel, et finissent par souffrir – car elles pourraient aider lemonde et n'yparviennentpas.Aufond,jecroisqu'ellesattendentaussile«pardonofficiel»pourleurdifférence.Enséparantlebongraindel'ivraie,ennenouslaissantpasdécouragerparle
fait qu'il existe beaucoup de charlatanerie, je pense que nous devons nousdemanderdenouveau:dequoisommes-nouscapables?Et,sereinement,alleràlarecherchedenotreimmensepotentiel.
AUSUJETDURYTHMEETDUCHEMIN
«Dans votre intervention au sujet du chemindeSaint-Jacques, vous n'avezpasabordéunpointimportant»,meditunefemmequiafaitlepèlerinage.Noussortonsde laMaisonde laGalice, àMadrid,où,quelquesminutesplus tôt, jeviensdedonneruneconférence.Certes, je n'avais pas envisagé tous les points, car mon intention était
simplementdepartagerunpeumonexpérience.Cependant,jel'inviteàprendreuncafé,curieuxdesavoircequ'elleconsidèrecommeuneomissionimportante.EtBegoña–c'estsonnom–medit:«J'ainotéquelaplupartdespèlerins,surlechemindeSaint-Jacquesousur
lescheminsdelavie,cherchenttoujoursàsuivrelerythmedesautres.«Audébutdemonpèlerinage,jevoulaissuivremongroupe.Jemefatiguais,
j'exigeaisdemoncorpsplusqu'ilnepouvaitdonner, j'étais toujours tendue, etj'ai fini par avoir des problèmes dans les tendons du pied gauche. Dansl'impossibilité demarcher pendant deux jours, j'ai compris que je ne pourraisarriveràSaint-Jacquesquesij'obéissaisàmonrythmepersonnel.«J'aimisplusde tempsque lesautres, j'aidûmarcherseuledansbeaucoup
d'étapes du chemin – mais si j'ai réussi à aller jusqu'au bout, c'est seulementparceque j'ai respectémonpropre rythme.Désormais j'appliquecelaà toutcequejedoisfairedanslavie:jerespectemonproprerythme.»
VOYAGEZAUTREMENT
J'ai découvert très jeune que le voyage était pourmoi lameilleuremanièred'apprendre. J'ai gardé cette âme de pèlerin et j'ai décidé de relater dans ceslignes quelques-unes des leçons que j'ai apprises, espérant qu'elles pourraientêtreutilesàd'autrespèlerinscommemoi.1)Évitez lesmusées.Leconseilpeutparaîtreabsurde,mais réfléchissonsun
peu ensemble : si vous vous trouvez dans une ville étrangère, n'est-il pasbeaucoupplus intéressantd'allerà larechercheduprésentquedupassé?Ilsetrouve que les gens se sentent obligés d'aller dans lesmusées parce qu'ils ontappris tout petits que voyager, c'était aller à la rencontre de cette forme deculture.Ilestclairquelesmuséessontimportants,maisilsexigentdutempsetdel'objectivité–vousdevezsavoircequevousdésirezyvoir,oubienvousensortirez avec l'impression que vous avez vu une quantité de chosesfondamentalespourvotrevie,maisdontvousnevoussouvenezdéjàplus.2)Fréquentez les bars. Là, contrairement auxmusées, la vie de la ville se
manifeste.Lesbarsnesontpasdesdiscothèques,maisdeslieuxoùl'onvaboireunverre,penserautemps,toujoursprêtàengageruneconversation.Achetezunjournal, et laissez-vousaller àcontempler lesalléesetvenues.Siquelqu'un selancedansunediscussion,aussibêtequ'ensoitlesujet,accrochez-vous:onnepeutpasjugerlabeautéd'uncheminsil'onneregardequel'entrée.3)Soyezdisponible.Lemeilleurguidetouristiqueestquelqu'unquihabitesur
place, connaît tout, est fier de sa ville,mais ne travaille pas dans une agence.Sortez dans la rue, choisissez la personne avec qui vous désirez parler, etdemandezdesinformations(oùsetrouvetellecathédrale?OùestlaPoste?).Si
vousn'obtenezpassatisfaction,essayezavecquelqu'und'autre–jevousassurequ'àlafindelajournéevousaureztrouvéuneexcellentecompagnie.4)Voyagezseulouavecvotrecompagnonoucompagne.Ceseraplusdifficile,
personneneprendrasoindevous,maisc'estleseulmoyendequittervraimentvotrepays.Lesvoyagesengroupesontunemanièredéguiséedesetrouverdansunpays étranger tout enparlant sa languematernelle, obéissant auxordresduchef du troupeau, plus préoccupé des commérages du groupe que de l'endroitquel'onvisite.5)Ne faites pas de comparaisons. Ne comparez rien – ni les prix, ni la
propreté,nilaqualitédevie,nilesmoyensdetransport,rien!Vousnevoyagezpaspourvousprouverquevousvivezmieuxquelesautres–cequevousvoulezsavoir, en réalité, c'est comment les autres vivent, ce qu'ils peuvent vousenseigner,commentilsaffrontentlaréalitéetcequelaviead'extraordinaire.6)Comprenezquetoutlemondevouscomprend.Mêmesivousneparlezpas
la langue, n'ayezpaspeur : je suis allédansbeaucoupd'endroits où jen'avaisaucunmoyendecommuniquerpardesmots,etfinalementj'aitoujourstrouvédusecours,monchemin,des suggestions importantes,etmêmedespetitesamies.Certainespersonnespensentque,siellesvoyagentseules,ellesvontsortirdanslarueetseperdreàtoutjamais.Ilsuffitd'avoirlacartedel'hôteldanssapocheet,dansunesituationextrême,deprendreuntaxietdelamontrerauchauffeur.7)N'achetez pas trop. Dépensez votre argent pour des souvenirs que vous
n'aurez pas à transporter : de bonnes pièces de théâtre, des restaurants, despromenades.Denos jours,avec lemarchéglobalet Internet,vouspouvez toutavoirsansdevoirpayerunexcédentdepoids.8)N'essayezpasdevoirlemondeenunmois.Mieuxvautresterdansuneville
quatreoucinqjoursquedevisitercinqvillesenunesemaine.Unevilleestunefemmecapricieuse, il lui faut du tempspour se laisser séduire et se découvrircomplètement.9)Unvoyageestuneaventure. Il estbeaucoupplus important,disaitHenry
Miller, de découvrir une église dont personne n'a entendu parler, que d'aller àRome et se sentir obligé de visiter la chapelle Sixtine avec deux cent milletouristes qui vous crient dans les oreilles. Allez à la chapelle Sixtine, maisautorisez-vousàvousperdredanslesrues,àmarcherdanslesruelles,àsentirlaliberté de chercher un objet qui vous est inconnu,mais que très certainementvousalleztrouveretquichangeravotrevie.
UNCONTEDEFÉES
MariaEmiliaVoss,quiafaitlepèlerinagedeSaint-Jacques,racontel'histoiresuivante:Vers l'an 250 avant Jésus-Christ, dans la Chine ancienne, un prince de la
régiondeThing-Zdaétaitsurlepointd'êtrecouronnéempereur;maisselonlaloi,ildevaitd'abordsemarier.Comme il s'agissait de choisir la future impératrice, leprincedevait trouver
unejeunefilleàquiilpûtaccorderuneconfianceaveugle.Conseilléparunsage,ildécidadeconvoquertouteslesjeunesfillesdelarégion,pourtrouvercellequienseraitlaplusdigne.Unevieillefemme,servantedupalaisdepuisdesannées,entendantparlerdes
préparatifs en vue de l'audience, éprouva une grande tristesse, car sa fillenourrissaitunamoursecretpourleprince.Rentrant chez elle, elle raconta le fait à la jeune fille ; elle eut la surprise
d'entendrequ'elleavaitl'intentiondeseprésenterelleaussi.Lafemmeétaitdésespérée:«Quevas-tufairelà,mafille?Seulesserontprésenteslesfilleslesplusbelles
etlesplusrichesdelacour.Retire-toicetteidéeinsenséedelatête!Jesaisbienquetusouffres,maisnetransformepaslasouffranceenfolie!»Etlafillerépondit:«Mèrechérie,jenesouffrepasetjesuisencoremoinsdevenuefolle;jesais
que je ne pourrai jamais être choisie, mais c'est l'occasion de me trouverquelquesinstantsaumoinsprèsduprince,celamerenddéjàheureuse–mêmesijesaisquecen'estpasmondestin.»
Lesoir,quandlajeunefillearriva,setrouvaienteffectivementaupalaistouteslesplusbellesfilles,portantlesplusbeauxvêtements,lesplusbeauxbijoux,etprêtesàsebattrepartouslesmoyenspourl'opportunitéquileurétaitofferte.Entourédesacour,leprinceannonçalacompétition:« Je vais donner à chacune de vous une graine. Celle qui, dans six mois,
m'apporteralafleurlaplusbelle,seralafutureimpératricedeChine.»La jeune filleprit sagraine, laplantadansunpot,etcommeellen'étaitpas
trèshabiledansl'artdujardinage,ellesoignalaterreavecbeaucoupdepatienceetdetendresse–carellepensaitquesi labeautédesfleurssedéveloppaitàlamesuredesonamour,ellen'avaitpasàs'inquiéterdurésultat.Troismoispassèrentetriennepoussa.Lajeunefilletentaunpeutout,parla
avecdescultivateursetdespaysansquiluienseignèrentlesméthodesdeculturelesplusdiverses,maisellen'obtintaucun résultat.De jouren jour,elle sentaitsonrêves'éloigner,bienquesonamourdemeurâtaussivif.Finalement,lessixmoisécoulés,rienn'étaitsortidanssonpot.Sachantqu'elle
n'avait rien àmontrer, elle était cependant consciente de ses efforts et de sondévouement durant tout ce temps ; elle annonça donc à sa mère qu'elleretournerait au palais, à la date et à l'heure fixées.Dans son for intérieur, ellesavait que ce serait là sadernière rencontre avec sonbien-aimé, et ellen'avaitl'intentiondelamanquerpourrienaumonde.Lejourdelanouvelleaudiencearriva.Lajeunefilleseprésentaavecsonpot
sansplante,etellevitquetouteslesautresprétendantesavaientobtenudebonsrésultats;leursfleursétaientplusbelleslesunesquelesautres,detoutesformesetdetoutescouleurs.Enfin vint le moment attendu : le prince entra et observa chacune des
prétendantesavecbeaucoupdesoinetd'attention.Aprèsqu'il futpassédevanttoutes, il annonça sa décision – et il désigna la fille de sa servante comme sanouvelleépouse.Tous les assistants se mirent à protester, disant qu'il avait choisi justement
cellequin'avaitréussiàcultiveraucuneplante.C'estalorsque,calmement,leprinceexpliqualaraisondecedéfi:«Elleseuleacultivélafleurquil'arenduedignededevenirimpératrice:la
fleurde l'honnêteté.Toutes lesgrainesque j'avais remisesétaientstérilesetnepouvaientpousserenaucunefaçon.»
AUPLUSGRANDÉCRIVAINBRÉSILIEN
J'avais édité, avecmes propres ressources, un livre appelé Les Archives del'Enfer (j'en suis très fier, et s'il n'est pas actuellement dans les librairies, c'estuniquement parce que je n'ai pas encore osé en faire une révision complète).Noussavonstousàquelpointilestdifficiledepublierunouvrage,maisilyaencorepluscompliqué:faireensortequ'ilsoitplacédansleslibrairies.Toutesles semainesma femme allait visiter les libraires d'un côté de la ville, etmoij'allaisdansuneautrerégionfairelamêmechose.C'est ainsi que, des exemplaires de mon livre sous le bras, elle traversait
l'avenuedeCopacabana,etvoilàqueJorgeAmadoetZeliaGattaisetrouvaientdel'autrecôtédelachaussée!Sansbeaucoupréfléchir,ellelesabordaetleurditquesonmariétaitécrivain.JorgeetZelia(quiprobablementdevaiententendrecelatouslesjours)latraitèrenttrèsgentiment,l'invitèrentàprendreuncafé,luidemandèrent un exemplaire et finalement souhaitèrent que tout se passât bienpourmacarrièrelittéraire.«Tuesfolle»,luidis-jequandellerentraàlamaison.«Nesais-tupasqu'il
estleplusgrandécrivainbrésilien?—Justement,répondit-elle.Quelqu'unquiarrivelàoùilestarrivédoitavoir
lecœurpur.»Lesmots deChristina n'auraient pu être plus justes : le cœur pur.Et Jorge,
l'écrivain brésilien le plus connu à l'étranger, était (et est) la grande référencedansnotrelittérature.Maisunbeaujour,L'Alchimiste,écritparunautreBrésilien,entresurlaliste
desmeilleures ventes en France, et en quelques semaines occupe la premièreplace.
Quelques jours plus tard, je reçois par la poste une coupure portant la liste,accompagnée d'une lettre affectueuse dans laquelle il me présente sescompliments.Jamaisneseraiententrés,dans lecœurpurdeJorgeAmado,dessentimentscommelajalousie.Certains journalistes – brésiliens et étrangers – commencent à le provoquer,
lui posant des questions malicieuses. À aucun moment, Jorge ne se laisseemporter par la facilité d'une critique destructrice, et il devientmondéfenseurdansunmomentdifficilepourmoi,vuquelaplupartdescommentairessurmontravailontététrèsdurs.Je reçois enfin mon premier prix littéraire à l'étranger, en France plus
précisément.Ilsetrouveque,lejourdelaremise,jeseraiàLosAngelesàcaused'engagementsprisantérieurement.AnneCarrière,monéditrice,estdésespérée.Elle parle avec les éditeurs américains, qui refusent de renoncer à mesconférencesdéjàprogrammées.Ladateduprixapproche,etlelauréatnepourrapasvenir;quefaire?Anne,
sans me consulter, appelle Jorge Amado et lui explique la situation.Immédiatement,Jorges'offrepourmereprésenteràlaremiseduprix.Etilnes'arrêtepaslà:iltéléphoneàl'ambassadeurduBrésiletl'invite,ilfait
unjolidiscoursquiémeuttouslesassistants.Le plus curieux de tout cela, c'est que je ne devais connaître JorgeAmado
personnellement qu'un an ou presque après la remise du prix.Mais son âme,j'avaisapprisàl'admirercommej'admireseslivres:unécrivaincélèbrequineméprise jamais les débutants, un Brésilien qui se réjouit du succès de sescompatriotes,unhommetoujoursprêtàapportersonaidequandonluidemandequelquechose.
DELARENCONTREQUIN'APASEULIEU
Je crois que, aumoins une fois par semaine, nous nous trouvons devant unétrangeravecquinousaimerionscausersansenavoirlecourage.Ilyaquelquesjours, j'ai reçu une lettre à ce sujet, envoyée par un lecteur que j'appelleraiAntonio.Jetranscrisiciquelquespassagesdesonrécit:«JemepromenaissurlaGranViaquandj'aiaperçuunefemme,toutepetite,
peauclaire,bienhabillée,quidemandaitl'aumôneàtouslespassants.Dèsquejemesuisapproché,elleaimploréquelquespiècespourunsandwich.CommeauBrésil lesgensquiréclamentportent toujoursdesvêtementsvieuxetsales, j'aidécidédenerienluidonneretj'aipassémonchemin.Maissonregardm'alaisséunesensationétrange.Je suis allé à l'hôtel, et j'ai soudain éprouvé une envie incompréhensible de
retournerluifairel'aumône–j'étaisenvacances,jevenaisdedéjeuner,j'avaisdel'argentdansmapoche,etildevaitêtrepourelletrèshumiliantderesterdanslarue,exposéeauxregardsdetous,àréclamer.Je suis retourné à l'endroit où j'avais vu la femme. Elle n'était plus là, j'ai
marchédans les ruesvoisines, rien.Le lendemain, j'ai reprismapérégrination,maisjenel'aipasretrouvée.Àpartirdecejour,jen'aiplusréussiàdormir.JesuisrentréàFortaleza,j'ai
parléavecuneamie,ellem'aditqu'uneconnexionimportantenes'étaitpasfaite,que jedevaisdemander l'aidedeDieu ; j'ai prié, et d'unecertainemanière j'aientenduunevoixdisantquejedevaisrencontrerdenouveaulamendiante.Jemeréveillaistouteslesnuits,pleurantbeaucoup;j'aidécidéquecelanepouvaitpas
continuer,j'airassemblél'argent,j'aiachetéunnouveaubillet,etjesuisretournéàMadridàlarecherchedelafemme.J'aientreprisunequêtesansfin,jenefaisaisriend'autrequelachercher,mais
le temps passait et l'argent s'épuisait. J'ai dû me rendre dans une agence devoyagespourfairemodifiermonbillet–décidéquej'étaisànerentrerauBrésilquelorsquej'auraispufairel'aumônequejen'avaispasfaite.Alors que je sortais de l'agence, heurtant une marche, j'ai été projeté vers
quelqu'un:lafemmequejecherchais.D'un geste automatique, j'ai mis la main dans ma poche, j'ai retiré ce que
j'avais et je le lui ai tendu ; j'ai ressenti unepaix profonde, j'ai remerciéDieupourcesretrouvaillessansparoles,pourcettesecondechance.Jesuis retournéenEspagneplusieurs fois, je saisque jene la reverraiplus,
maisj'aiaccomplicequedemandaitmoncœur.»
LECOUPLEQUISOURIAIT(LONDRES,1977)
J'étaismariéavecunejeunefemmedunomdeCecilia,et–dansunepériodeoù j'avais décidé de laisser tomber tout ce qui ne me donnait pasd'enthousiasme – nous sommes allés vivre à Londres. Nous habitions audeuxième étage d'un petit appartement dans Palace Street, et nous avionsbeaucoup de mal à nous faire des amis. Tous les soirs, cependant, un jeunecouple,sortantdupubvoisin,passaitdevantnotrefenêtreetnousfaisaitsigneencriantdedescendre.Jem'inquiétaisbeaucoupdelaréactiondesvoisins;jenedescendaisjamais,
feignantden'êtrepas concerné.Mais le couple répétait sans cesse son tapage,mêmequandiln'yavaitpersonneàlafenêtre.Unsoir,jesuisdescenduetjemesuisplaintdubruit.Immédiatement,lerire
desdeuxjeunesgensestdevenutristesse;ilssesontexcusés,etilssontpartis.Alors,cesoir-là,jemesuisrenducompteque,mêmesijevoulaismefairedesamis,j'étaissurtoutinquietde«cequelesvoisinsallaientdire».J'aidécidéquelaprochainefoisjelesinviteraisàmonterboireunverreavec
nous. Je suis resté une semaine entière à la fenêtre, à l'heure où ils passaienthabituellement,mais ilsnesontpasvenus.Jemesuismisàfréquenter lepub,espérantlesvoir,maislepatronnelesconnaissaitpas.J'aimisuneaffichettesurlafenêtre,disant«Appelezdenouveau».Toutce
quej'aiobtenu,c'estqu'unsoir,unebanded'ivrogness'estmiseàhurlertouslesjuronspossibles,etquelavoisine–pourquijem'étaistellementinquiété–afiniparseplaindreauprèsdupropriétaire.Jenelesaiplusjamaisvus.
LASECONDECHANCE
«J'ai toujours été fascinépar l'histoiredes livres sibyllins», expliquais-je àMônica,monamieetagentlittéraire,tandisquenousvoyagionsenvoitureversle Portugal. « Il faut saisir les opportunités, sinon elles sont perdues à toutjamais.»Lessibylles,dessorcièrescapablesdeprévoirl'avenir,vivaientdanslaRome
antique.Un beau jour, l'une d'elles se présenta au palais de l'empereur Tibèreavec neuf livres ; elle lui annonça que l'avenir de l'Empire était dedans etdemandadixtalentsd'orpourlestextes.Tibèretrouvaquec'étaittrèscheretnevoulutpasacheter.Lasibyllesortit,brûlatroislivresetrevintaveclessixrestants.«Celafaitdix
talentsd'or»,dit-elle.Tibèrerit,etillarenvoya;commentosait-ellevendresixlivresaumêmeprixqueneuf?LasibyllebrûlaencoretroislivresetretournavoirTibèreaveclestroisseuls
volumesquirestaient:«Ilscoûtenttoujoursdixtalentsd'or.»Intrigué,Tibèreacheta finalement les trois volumes, et il ne put lire qu'une petite partie del'avenir.Quand j'ai fini de raconter l'histoire, je me suis rendu compte que nous
passions parCiudadRodrigo, à la frontière entre l'Espagne et lePortugal.Là,quatreansauparavant,onm'avaitproposéunlivre,etjenel'avaispasacheté.«Arrêtons-nous.Jecroisquesijemesuissouvenudeslivressibyllins,c'était
unsignepourcorrigeruneerreurpassée.»AucoursdelapremièretournéepourlapromotiondemeslivresenEurope,
j'avais décidé de déjeuner dans cette ville. Ensuite, je suis allé visiter lacathédrale, et j'ai rencontréunprêtre.«Voyezcomme le soleilde l'après-midi
rend tout plus beau à l'intérieur », a-t-il dit. J'ai aimé son commentaire, nousavons causé un peu, et il m'a guidé dans les autels, les cloîtres, les jardinsintérieurs de l'édifice. À la fin, il m'a proposé un livre qu'il avait écrit surl'église;maisjen'aipasvoulul'acheter.Ensortant,jemesuissenticoupable;jesuisécrivain,et j'étaisenEuropepourtenterdevendremontravail–pourquoine pas acheter le livre du prêtre, par solidarité ? Puis, j'ai oublié l'épisode.Jusqu'àcemoment.J'ai arrêté lavoiture ;Mônicaetmoiavonsmarchévers laplaceen facede
l'église,oùunefemmeregardaitleciel.«Bonjour.Jesuisvenuicivoirunprêtrequiaécritunlivresurcetteéglise.—Leprêtre,quis'appelaitStanislau,estmortvoilàunan»,a-t-ellerépondu.J'ai ressenti une immense tristesse. Pourquoi n'avais-je pas donné au père
Stanislau la joie que je ressentais quand je voyais quelqu'un avec un de meslivres?«C'étaitl'undeshommeslesplusbienveillantsquej'aieconnu,apoursuivila
femme. Il venait d'une famille modeste, mais il a pu devenir spécialiste enarchéologie;ilm'aaidéeàobtenirpourmongarçonunebourseaucollège.»Jeluiairacontécequejefaisaislà.«Nevousfaitespasdereprochesinutiles,monfils,a-t-elledit.Allezvisiter
denouveaulacathédrale.»J'aipenséquec'étaitunsigne,etjeluiaiobéi.Ilyavaitseulementunprêtre
dansunconfessionnal,attendantlesfidèlesquinevenaientpas.Jemesuisdirigéverslui;leprêtrem'afaitsignedem'agenouiller,maisjel'aiinterrompu.« Je ne veux pasme confesser. Je suis seulement venu acheter un livre sur
cetteéglise,écritparunhommedunomdeStanislau.»Leregardduprêtres'estilluminé.Ilestsortiduconfessionnaletilestrevenu
quelquesminutesplustardavecunexemplaire.«Quelle joiequevoussoyezvenuseulementpourcela!a-t-ildit.Jesuis le
frèredupèreStanislau,etj'ensuistrèsfier!Ildoitêtreauciel,contentdevoirquesontravailadel'importance!»Il y avait tellement de prêtres ici, et j'avais rencontré justement le frère de
Stanislau.J'aipayélelivre,j'airemercié,ilm'adonnél'accolade.Aumomentoùj'allaissortir,j'aientendusavoix:«Voyezcommelesoleildel'après-midirendtoutplusbeauàl'intérieur!»C'étaientlesmotsquelepèreStanislauavaitprononcésquatreansplustôt.Il
yatoujoursunesecondechancedanslavie.
L'AUSTRALIENETL'ANNONCEDANSLEJOURNAL
JesuisdansleportdeSydney,regardantlebeaupontquirelielesdeuxpartiesdelaville,quands'approcheunAustralienquimedemandedelireuneannoncedanslejournal.«Cesontdeslettrestrèspetites,dit-il.Jeneparvienspasàlesdistinguer.»J'essaie, mais je n'ai pas mes lunettes de lecture. Je demande pardon à
l'homme.«Cen'estpasgrave,dit-il.Voulez-voussavoir?JepensequeDieuLuiaussia
lavuefatiguée.Nonparcequ'Ilestvieux,maisparcequ'Ilafaitcechoix.Ainsi,quandquelqu'unserendcoupabled'unefaute,Ilnevoitpastrèsbien,etIlfinitparpardonner,carIlneveutpascommettreuneinjustice.—Etquantauxbonneschoses?jedemande.— Eh bien, Dieu n'oublie jamais ses lunettes à la maison », plaisante
l'Australien,s'éloignant.
LESPLEURSDUDÉSERT
UndemesamisrevientduMarocavecunebellehistoire.Unmissionnaire, arrivant àMarrakech, décida qu'il irait tous lesmatins se
promener dans le désert qui se trouvait aux limites de la ville. Lors de sapremièrepromenade, il remarquaunhommecouchédans le sable, d'unemaincaressantlesol,l'oreillecolléeàlaterre.«C'estunfou»,sedit-il.Mais la scène se répéta tous les jours et, au bout d'unmois, intriguépar ce
comportementétrange, ildécidades'adresserà l'étranger.Ils'agenouillaàcôtéde lui et, avec une grande difficulté – il ne parlait pas encore l'arabecouramment–,luidemanda:«Quefaites-vous?— Je tiens compagnie au désert, et je le console de sa solitude et de ses
larmes.—Jenesavaispasqueledésertpouvaitpleurer.— Il pleure tous les jours, car il rêvede se rendreutile à l'hommeet de se
transformerenun immense jardin,où l'onpourrait cultiverdes céréales etdesfleurs,etéleverdesmoutons.— Alors, dites au désert qu'il accomplit bien sa mission, déclara le
missionnaire. Chaque fois que je marche par ici, je comprends la vraiedimension de l'être humain, car son espace ouvertme permet de voir commenoussommespetitsdevantDieu.«Quand je regarde ses sables, j'imagine lesmillions de personnes qui sont
néeségales,mêmesilemonden'estpastoujoursjusteavectous.Sesmontagnes
m'aidentàméditer.Quandjevoislesoleilseleveràl'horizon,monâmes'emplitdejoie,etjem'approcheduCréateur.»Lemissionnaire quitta l'homme et retourna à ses occupations quotidiennes.
Quellene futpas sa surprise, le lendemainmatin,quand il le trouvaaumêmeendroit,etdanslamêmeposition.«Avez-vousrapportéaudéserttoutcequejevousavaisdit?»demanda-t-il.L'hommeacquiesçadelatête.«Etcependantilcontinueàpleurer?—J'entendschacundesessanglots.Maintenant ilpleureparcequ'ilapensé
durantdesmilliersd'annéesqu'ilétaittotalementinutile,etqu'ilaperdutoutcetempsàblasphémercontreDieuetsondestin.—Alorsdites-luiquel'êtrehumain,mêmesisavieestbeaucouppluscourte,
passeaussibeaucoupdetempsàpenserqu'ilestinutile.Ildécouvrerarementlaraisonde sondestin, et il croitqueDieuaété injusteenvers lui.Quandarriveenfinlemomentoùunévénementluimontrepourquoiilestné,ilpensequ'ilesttroptardpourchangerdevie,etilcontinueàsouffrir.Etcommeledésert,ilsereprocheletempsperdu.—Jenesaispassiledésertentendra,ditl'homme.Ilesthabituéàladouleur,
etilnepeutpasvoirleschosesautrement.—Alorsnousallonsfairecequejefais toujoursquandjesensquelesgens
ontperdul'espoir.Nousallonsprier.»Tous deux se mirent à genoux et prièrent ; l'un se tourna vers LaMecque
parce qu'il étaitmusulman, l'autre joignit lesmains en prière, parce qu'il étaitcatholique.IlsprièrentchacunsonDieu,quifuttoujourslemêmeDieu,bienquel'onpersisteàluidonnerdesnomsdifférents.Le lendemain,quand lemissionnaire repritsapromenadematinale, l'homme
n'était plus là. À l'endroit où il avait coutume d'embrasser le sable, le solsemblaithumide,carunepetitesourceétaitapparue.Danslesmoisquisuivirent,cettesourcegrandit,etleshabitantsdelavilleconstruisirentunpuitsautour.LesBédouinsappellent l'endroit le«Puitsdes larmesdudésert».Celuiqui
boiradesoneau,disent-ils,saurafairedelacausedesasouffranceunmotifdejoieetfinirapartrouversonvraidestin.
ROME:ISABELLAREVIENTDUNÉPAL
JerencontreIsabelladansunrestaurantoùnousallonssouventparcequ'ilesttoujoursvide,bienquelanourritureysoitexcellente.Ellemeracontequ'elleapassé,durant sonvoyageauNépal,quelques semainesdansunmonastère.Unaprès-midi, alors qu'elle se promenait dans les environs avec un moine, cedernieraouvert le sacqu'ilportaitetest restéun longmomentà regarder soncontenu.Puisiladéclaréàmonamie:« Savez-vous que les bananes peuvent vous enseigner la signification de
l'existence?»Ilaretirédesonsacunebananepourrie,etill'ajetée.«Celle-là,c'estlaviequiestpassée,onn'enapasprofitéaubonmoment,et
maintenantilesttroptard.»Ensuite, ilaprisdans lesacunebananeencoreverte, la luiamontréeet l'a
rangée.« Celle-là, c'est la vie qui n'est pas encore arrivée, il faut attendre le bon
moment.»Enfin,ilasortiunebananemûre,l'aépluchée,etl'apartagéeavecIsabella.« Celle-ci, c'est le moment présent. Sachez la dévorer sans crainte ni
culpabilité.»
DEL'ARTDEL'ÉPÉE
Ilyadessiècles,autempsdessamouraïs,futécritauJaponuntextesurl'artspirituel du maniement de l'épée : La Compréhension impassible – connuégalementcommeLeTraitédeTahlan,dunomdesonauteur(quiétaitenmêmetempsmaîtred'escrimeetmoinezen).J'enaiadaptédansleslignesquisuiventquelquespassages.Gardersoncalme :Celuiquicomprendlesensdelaviesaitquerienn'ade
commencement et que rien n'a de fin, par conséquent il n'est pas angoissé. Illuttepoursesconvictionssansvouloirrienprouveràpersonne,gardantlecalmesilencieuxdeceluiquiaeulecouragedechoisirsondestin.Celavautpourl'amouretpourlaguerre.Laisserparlerlecœur:Celuiquiaconfiancedanssonpouvoirdeséduction,
danssacapacitédedireleschosesaubonmoment,dansl'usagecorrectdesoncorps, restesourdà« lavoixducœur».Nousnepouvonsentendrecettevoixquelorsquenoussommesenparfaiteharmonieaveclemondequinousentoure,jamaisquandnousnousprenonspourlecentredel'univers.Celavautpourl'amouretpourlaguerre.Apprendre à être l'autre : Nous sommes tellement centrés sur ce que nous
croyonsêtrelameilleureattitudequenousoublionsunechosetrèsimportante:pouratteindrenosobjectifs,nousavonsbesoindesautres.Aussiest-ilnécessairenon seulement d'observer le monde, mais de nous imaginer dans la peau desautresetdesavoiraccompagnerleurspensées.Celavautpourl'amouretpourlaguerre.Rencontrer le bon maître : Nous croiserons toujours sur notre chemin
beaucoup de gens qui, par amour ou par orgueil, voudront nous enseigner
quelque chose. Comment distinguer l'ami du manipulateur ? La réponse estsimple:levraimaîtren'estpasceluiquienseigneàsonélèveuncheminidéal,maisceluiquiluimontrelesnombreusesvoiesd'accèsverslaroutequ'ildevraparcourirpourrencontrersondestin.Àpartirdumomentoùiltrouvecetteroute,lemaîtrenepeutplusl'aider,carlesdéfisqu'ildoitreleversontuniques.Celanevautnipourl'amour,nipourlaguerre,maissinousnecomprenons
pascetarticle,nousn'arriveronsnullepart.Échapper aux menaces : Nous pensons très souvent que l'attitude idéale
consiste à donner sa vie pour un rêve.Rien n'est plus faux. Pour atteindre unrêve,nousdevonsnousgarderenvie,ilestdoncobligatoiredesavoirévitercequinousmenace.Plusnospassontprémédités,plusnousavonsdechancesdenous tromper – car nous ne prenons pas en considération les autres, lesenseignements de la vie, la passion et le calme. Plus nous croirons que nousavons le contrôle, plus loin nous serons de contrôler quoi que ce soit. Unemenaceneprévientpas,etuneréactionrapidenepeutêtreprogramméecommeunepromenadeledimancheaprès-midi.Si vousvoulez entrer enharmonie avecvotre amourou avecvotre combat,
apprenez donc à réagir rapidement. Apprenez à observer, ne laissez pas votresupposée expérience de la vie faire de vous une machine : utilisez cetteexpériencepourécoutertoujoursla«voixducœur».Mêmesivousn'êtespasd'accord avec ce que dit cette voix, respectez-la et suivez ses conseils : elleconnaîtlemeilleurmomentd'agir,etlemomentd'éviterl'action.Celaaussivautpourl'amouretpourlaguerre.
DANSLESMONTAGNESBLEUES
Dès le lendemaindemonarrivéeenAustralie,monéditeurm'emmènedansune réservenaturelleprèsde lavilledeSydney.Là se trouvent, aumilieudesforêts qui recouvrent l'endroit connu sous le nom demontagnes Bleues, troisformationsrocheusesenformed'obélisque.«CesontlesTroisSœurs»,expliquemonéditeur,etilmeracontelalégende
suivante:Unsorciersepromenaitavecsestroissœursquands'approchalepluscélèbre
guerrierdel'époque.«Jeveuxépouserl'unedecesbellesfilles,dit-il.—Si l'uned'ellessemarie, lesdeuxautresvontsecroire laides. Jecherche
une tribudans laquelle les guerriers peuvent avoir trois femmes», répondit lesorcier,ens'éloignant.Etpendantdes années, il parcourut le territoire australien,mais il ne trouva
jamaiscettetribu.«Aumoinsl'unedenousauraitpuêtreheureuse»,ditl'unedessœurs,alors
qu'ellesétaientdéjàvieillesetfatiguéesdetantmarcher.«J'aieutort,réponditlesorcier.Maisàprésentilesttroptard.»Etiltransformalestroissœursenblocsdepierre,pourfairecomprendreàqui
passeraitparlàquelebonheurdel'unnesignifiepaslemalheurdesautres.
LEGOÛTDUPROFIT
ArashHejazi,monéditeuriranien,racontel'histoired'unhommequi,enquêtede sainteté,décidademonter surunehautemontagne, emportant seulement levêtementqu'ilavaitsurlui,etd'yresteràméditerlerestantdesavie.Ilcompritbientôtqu'unvêtementnesuffisaitpas,carilsesalissaittrèsvite.Il
descenditdelamontagne,serenditauvillageleplusproche,etdemandad'autreshabits.Commetoutlemondesavaitquel'hommeétaitenquêtedesainteté,onluioffritunnouveaupantalonetunechemise.L'homme remercia et remonta jusqu'à l'ermitage qu'il était en train de
construireausommetdumont.Ilpassaitsesnuitsàéleverlesmurs,lejour,ilselivraitàlaméditation,mangeaitlesfruitsdesarbresetbuvaitl'eaud'unesourcevoisine.Auboutd'unmois,ildécouvritqu'unratrongeaitsanscesselesvêtementsde
rechangequ'illaissaitàsécher.Commeilvoulaitresterconcentrésursondevoirspirituel,ilredescenditjusqu'auhameau,etildemandaqu'onluitrouvâtunchat.Leshabitants,respectantsaquête,accédèrentàsademande.Septjoursplustard,lechatétaitquasimortd'inanition,carilnepouvaitpasse
nourrirde fruits,et iln'yavaitplusde ratdans laplace.L'hommeretournaauvillagechercherdulait;commelespaysanssavaientquecen'étaitpaspourlui–enfindecompte, il résistait sans rienmangerd'autrequeceque lanature luioffrait–,ilsl'aidèrentencoreunefois.Lechatvintrapidementàboutdulait,sibienquel'hommedemandaqu'onlui
prêtâtunevache.Commelavachedonnaitplusdelaitquenécessaire,ilsemitàenboireluiaussi,pournepasgaspiller.Enpeudetemps–respirantl'airdelamontagne,mangeantdesfruits,méditant,buvantdulaitetfaisantdel'exercice–
ildevintd'unebeautéparfaite.Unejeunefille,quiétaitmontéesurlamontagnepourchercherunmouton, tombaamoureusede luiet leconvainquitqu'ilavaitbesoind'uneépousepours'occuperdestâchesménagèrespendantqu'ilméditaitenpaix.Troisansplustard,l'hommeétaitmarié,ilavaitdeuxenfants,troisvaches,un
verger d'arbres fruitiers, et il dirigeait un lieu de méditation ; tous ceux quivoulaient connaître le miraculeux « temple de l'éternelle jeunesse » devaients'inscrire surunegigantesque listed'attente.Quandon luidemandait commenttoutcelaavaitcommencé,ildisait:« Deux semaines après mon arrivée ici, je n'avais que deux pièces de
vêtement.Unratacommencéàenrongerune,et...»Maispersonnenes'intéressaità la finde l'histoire ; tousavaient lacertitude
qu'il était un homme d'affaires rusé, qui essayait d'inventer une légende pourpouvoiraugmenterencoreleprixduséjourautemple.
LACÉRÉMONIEDUTHÉ
AuJapon,j'aiparticipéàlacélèbre«cérémonieduthé».Onentredansunepetitepièce,lethéestservi,etc'esttout.Sicen'estquetoutestfaitavecuntelrituel et un tel protocole qu'une pratique quotidienne devient un moment decommunionavecl'Univers.Lemaîtreduthé,OkakuraKakuzo,expliquecequisepasse:«Lacérémonieduthé,c'estl'adorationdubeauetdusimple.Toutvotreeffort
seconcentresurlatentatived'atteindreleParfaitàtraversdesgestesimparfaitsdelaviequotidienne.Toutesabeautéconsistedanslerespectaveclequelelleestréalisée.»Siunesimplerencontrepourboireduthépeutnoustransporterjusqu'àDieu,
il est bon d'être attentif aux dizaines d'autres opportunités que nous offre uneseulejournée.
LENUAGEETLADUNE
«Toutlemondesaitquelaviedesnuagesesttrèsmouvementée,maisaussitrèscourte»,écritBrunoFerrero.Etvoiciencoreunehistoire:Unjeunenuagenaquitaumilieud'unegrandetempêteenmerMéditerranée.
Maisiln'eutpasletempsd'ygrandir;unventpuissantpoussatouslesnuagesversl'Afrique.À peine avaient-ils gagné le continent que le climat changea : un soleil
généreuxbrillaitdansleciel,etau-dessouss'étendaitlesabledorédudésertduSahara.Leventcontinuade lespousservers les forêtsduSud,vuquedans ledésertilnepleutpas,oupresque.Cependant,cequiarriveauxjeuneshumainsarriveaussiauxjeunesnuages:
ildécidades'éloignerdesesparentsetdesesamisplusâgés,pourconnaîtrelemonde.«Que fais-tu ? protesta le vent. Le désert est lemême partout !Rejoins la
formation,etallonsjusqu'aucentredel'Afrique,oùilyadesmontagnesetdesarbresextraordinaires!»Maislejeunenuage,d'unenaturerebelle,n'obéitpas;peuàpeu,ilperditde
l'altitude, et il réussit à planer sur une brise douce, généreuse, près des sablesdorés.Aprèsunelonguepromenade,ils'aperçutqu'uneduneluisouriait.Il vit qu'elle aussi était jeune, formée récemment par le vent qui venait de
passer.Iltombaamoureuxsur-le-champdesacheveluredorée.«Bonjour,dit-il.Commentestlavieenbas?—J'ailacompagniedesautresdunes,dusoleil,duvent,etdescaravanesqui
de temps en temps passent par ici. Il fait parfois très chaud, mais c'est
supportable.Etcommentestlavielà-haut?— Il y a aussi le vent et le soleil, mais l'avantage, c'est que je peux me
promenerdanslecieletconnaîtrebeaucoupdechoses.—Pourmoilavieestcourte,ditladune.Quandleventreviendradesforêts,
jedisparaîtrai.—Etcelat'attriste?—Celamedonnel'impressiondeneserviràrien.—Jeressenslamêmechose.Dèsquepasseraunventnouveau,j'iraiversle
sudetjemetransformeraienpluie;maisc'estmondestin.»Ladunehésitaunpeu,puisdéclara:«Sais-tuqu'ici,dansledésert,nousappelonslapluieParadis?—Jenesavaispasquejepouvaisdevenirsiimportant,ditfièrementlenuage.— J'ai entendu des légendes racontées par les vieilles dunes. Elles disent
qu'aprèslapluienoussommescouvertesd'herbesetdefleurs.Maisjenesauraijamaiscequec'est,parcequedansledésertilpleuttrèsrarement.»Àsontourlenuagehésita.Maisbienviteunlargesourireluirevint.« Si tu veux, je peux te couvrir de pluie. Je viens d'arriver, mais je suis
amoureuxdetoi,etj'aimeraisrestericipourtoujours.—Quandjet'aivupourlapremièrefoisdansleciel,moiaussijesuistombée
amoureuse, dit la dune. Mais si tu transformes en pluie ta belle chevelureblanche,tuvasenmourir.—L'amournemeurtjamais,répliqualenuage.Ilsetransforme;etjeveuxte
montrerleParadis.»Et il commença à caresser la dunedepetites gouttes ; ainsi ils demeurèrent
ensembletrèslongtemps,jusqu'aumomentoùapparutunarc-en-ciel.Lelendemain,lapetiteduneétaitcouvertedefleurs.D'autresnuagesquisedirigeaientversl'Afrique,croyantquesetrouvaitlàune
partiedelaforêtqu'ilscherchaient,déversèrentleurpluie.Vingtansplustard,laduneétaitdevenueuneoasis,etlesvoyageursserafraîchissaientàl'ombredesesarbres.Toutcelaparcequ'unjourunnuageamoureuxn'avaitpascraintdedonnersa
vieparamour.
NORMAETLESBONNESCHOSES
ÀMadridvitNorma,uneBrésiliennetrèsspéciale.LesEspagnolsl'appellentla « mémé taillée dans le roc » ; elle a plus de soixante ans, travaille dansplusieursendroits enmême temps, etnecessed'organiserdespromotions,desfêtes,desconcerts.Unjour,surlecoupdequatreheuresdumatin,alorsquejen'enpouvaisplus
defatigue,j'aidemandéàNormad'oùelletiraitunetelleénergie.«J'aiuncalendriermagique.Situveux,jepeuxtemontrer.»Lelendemainaprès-midi,jesuisalléchezelle.Elleaprisunvieilalmanach,
toutgriffonné.« Bon, aujourd'hui, c'est la découverte du vaccin contre la polio, a-t-elle
déclaré.Faisonslafête,parcequelavieestbelle.»Norma avait copié, sur chaque jour de l'année, une bonne chose qui s'était
passéeàcettedate.Pourelle,lavieétaittoujoursunmotifdejoie.
21JUIN2003,JORDANIE,MERMORTE
ÀlatablevoisinedelamiennesetrouvaientleroietlareinedeJordanie,lesecrétaire d'État Colin Powell, le représentant de la Ligue arabe, le ministreisraélien desAffaires étrangères, le président de la république d'Allemagne, leprésidentafghanHamidKarzai,etd'autrespersonnalitésengagéesdanslaguerreetdans leprocessusdepaixauxquelsnousassistonsactuellement.Bienque latempérature approchât les 40 °C, une douce brise soufflait sur le désert, unpianistejouaitdessonates,lecielétaitclair,destorchesrépanduesdanslejardinilluminaientl'endroit.Del'autrecôtédelamerMorte,nouspouvionsvoirIsraël,et la lueur des lumières de Jérusalem à l'horizon. Tout paraissait en harmonieetenpaix–etsoudainjemesuisrenducomptequecemoment,loind'êtreuneaberrationdelaréalité,étaitenvéritéunrêvequenousfaisionstous.Bienquemonpessimismeeûtbeaucoupaugmentéaucoursdesderniersmois,silesgensparvenaientencoreàseparler, rienn'étaitperdu.Plus tard la reineRaniaallaitdéclarer que le lieu de la rencontre avait été choisi pour son caractèresymbolique:lamerMorteestlepointleplusbassurlaTerre(enl'occurrence,401mètresau-dessousduniveaude lamer).Pourallerplusprofondencore, ilfaut plonger – mais alors, la salinité de l'eau force le corps à remonter à lasurface.Et il en va ainsi du long et douloureux processus de paix auMoyen-Orient : on ne peut pas aller plus bas que l'état actuel. Si j'avais allumé latélévision ce jour-là, j'aurais appris la mort d'un colon juif et d'un jeunePalestinien.Mais j'étais là,àcedîner,avec l'étrangesensationque lecalmedecettenuitpouvaits'étendreàtoutelarégion,quelesgensseremettraientàparlercomme ils parlaient alors ; l'utopie est possible, les hommes ne peuvent pass'enfoncerdavantage.
Sivousavezunjourl'occasiondevousrendreauMoyen-Orient,nemanquezpasdevisiterlaJordanie(unpaysmerveilleuxetaccueillant),d'allervoirlamerMorte, de regarder Israël sur l'autre rive : vous comprendrez que la paix estnécessaireetpossible.Voici une partie du texte que j'ai écrit et lu au cours de l'événement,
accompagnéparuneimprovisationdugénialviolonistejuifIvryGitlis:PaixneveutpasdirelecontrairedeGuerre.Nouspouvonsavoirlapaixdanslecœurmêmeaumilieudesbatailleslesplus
féroces, parcequenous luttonspournos rêves.Quand tousnosamisontdéjàperdul'espoir,lapaixduBonCombatnousaideàallerdel'avant.Unemère qui peut nourrir son enfant a la paix dans les yeux,même si ses
mainstremblentparcequeladiplomatieaéchoué,quelesbombestombent,quelessoldatsmeurent.Unarcherquiouvresonarcalapaixdansl'esprit,mêmesitoussesmuscles
sonttendusparl'effortphysique.Parconséquent,pour lesguerriersde la lumière,paixn'estpas l'opposéde
guerre–carilssavent:A)Distinguercequiestpassagerdecequiestdurable.Ilspeuventlutterpour
leurs rêves et pour leur survie, mais ils respectent les liens qui se sontdéveloppésavecletemps,lacultureetlareligion.B) Reconnaître que leurs adversaires ne sont pas nécessairement leurs
ennemis.C) Être conscients que leurs actions auront des répercussions sur cinq
générations futures, et que ce seront leurs enfants et leurs petits-enfants quibénéficierontdesconséquences(ouensouffriront).D)SerappelercequeditleYi-king:lapersévéranceestfavorable.Maissans
confondrepersévéranceet insistance– lesbataillesquidurentplusqu'il ne lefautfinissentpardétruirel'enthousiasmenécessaireàlareconstruction.Pourleguerrierdelalumière, iln'yapasd'abstractions;chaqueoccasion
desetransformerestuneoccasiondetransformerlemonde.Pour leguerrierde la lumière, iln'yapasnonplusdepessimisme. Il rame
contrelamaréesic'estnécessaire;quandilseravieuxetfatigué,ilpourradireàsespetits-enfantsqu'ilestvenuaumondepourmieuxcomprendresonvoisin,etnonpourcondamnersonfrère.
DANSLEPORTDESANDIEGO,CALIFORNIE
J'étaisentraindeconverseravecunefemmedelaTraditiondelaLune–unesortedegrouped'initiationfémininetravaillantenharmonieaveclesforcesdelanature.« Voulez-vous toucher une mouette ? » me demanda-t-elle, regardant les
oiseauxsurleparapetdel'embarcadère.— Bien sûr. J'ai tenté quelquefois d'en toucher une, mais dès que je
m'approchais,elles'envolait.—Essayezd'éprouverdel'amourpourelle.Ensuite,faitesjaillircetamourde
votre cœur comme un faisceau de lumière pour qu'il atteigne le cœur de lamouette.Etapprochez-vouscalmement.»J'aiobéi.Àdeuxreprisesjen'aipasréussi,maislatroisièmefois,commesi
j'étaisentréen«transe»,j'aiputoucherlamouette.J'airépétéla«transe»,etj'aiobtenulemêmerésultatpositif.«L'amourcréedesponts làoù ilsparaissent impossibles», aditmonamie
sorcière.Jeraconteicil'expérience,pourquiveutessayer.
L'ARTDURETRAIT
Un guerrier de la lumière qui se fie trop à son intelligence finit par sous-estimerlepouvoirdel'adversaire.Ilnefautpasoublierqu'ilyadesmomentsoùlaforceestplusefficacequela
sagacité.Etquandnoussommesfaceàuncertaintypedeviolence,iln'yapasde lumière, d'argument, d'intelligence ou de charme qui puisse empêcher latragédie.C'estpourquoileguerriernesous-estimejamaislaforcebrute:quandelleest
d'uneagressivitéirrationnelle,ilseretireduchampdebataille–jusqu'àcequel'ennemiaitépuisésonénergie.Cependant, il est bon que ceci soit clair : un guerrier de la lumière ne se
montrejamaislâche.Lafuitepeutêtreunexcellentmoyendedéfense,maisonnepeutpasyrecourirsousl'effetdelapeur.Dans le doute, le guerrier préfère affronter la défaite et ensuite soigner ses
blessures–ilsaitques'ilfuit,ildonneàl'agresseurplusdepouvoirquecelui-cinelemérite.Il peut soigner la souffrance physique, mais sa fragilité spirituelle le
poursuivra éternellement.Devant certainsmoments difficiles et douloureux, leguerrieraffrontelasituationdéfavorableavechéroïsme,résignationetcourage.Pour atteindre l'état d'esprit nécessaire (puisqu'il aborde une lutte à son
désavantage et risque de beaucoup souffrir), le guerrier doit comprendreexactementcequipourraluifairedumal.OkakuraKakuzocommentedanssonlivresurleritueljaponaisduthé:« Nous ne voyons pas la méchanceté chez les autres, parce que nous
connaissons laméchancetéà traversnotrecomportement.Nousnepardonnons
jamaisàceuxquinousportentpréjudice,parcequenouspensonsquenousneserions jamais pardonnés.Nous disons la vérité douloureuse à notre prochain,carnousvoulonsnouslacacherànous-même.Nousmontronsnotreforce,pourquepersonnenepuissevoirnotrefragilité.«Ainsi,chaquefoisquetujugerastonfrère,aieconsciencequec'esttoiquies
autribunal.»Cette conscience permet parfois d'éviter une lutte qui n'apportera que des
désavantages.Maisdanscertainscas,iln'yad'autreissuequelecombatinégal.Nous savons que nous allons perdre, mais l'ennemi, la violence, ne nous a
laisséaucunchoix–sauflalâcheté,etcelanenousintéressepas.Àcemoment-là, il faut accepter le destin, en gardant à l'esprit un texte de la fabuleuseBhagavad-Gita(chapitreII,16-26):«L'hommenenaîtpas,etilnemeurtjamais.Ils'efforced'exister,ilnecessera
jamaisdelefaire,carilestéterneletpermanent.«Demêmequ'unhommesedébarrassedesvêtementsusésetsemetàporter
desvêtementsneufs,l'âmesedébarrasseduvieuxcorpsetassumelecorpsneuf.«Mais elle est indestructible ; les épées ne peuvent la couper, le feu ne la
brûlepas,l'eaunelamouillepas,leventnel'assèchejamais.Elleestau-delàdelapuissancedetousceséléments.«Commel'hommeestindestructible,ilesttoujoursvictorieux(mêmedansses
défaites),etpourcetteraisonnedoitjamaisselamenter.»
ENPLEINEGUERRE
LecinéasteRuiGuerrameracontequ'ilse trouvaitunsoirdansunemaisondans l'intérieur duMozambique, s'entretenant avec des amis. Le pays était enguerre,desortequetoutmanquait–del'essenceàl'éclairage.Pour passer le temps, ils commencèrent à parler de ce qu'ils aimeraient
manger.Chacunannonçasonplatpréféré,puisvintletourdeRui.« J'aimerais manger une pomme », dit-il, sachant qu'il était impossible de
trouverdesfruitsàcausedurationnement.À ce moment précis, on entendit un bruit. Et une belle pomme, brillante,
succulente,entraenroulantdanslasalleets'arrêtadevantlui!Plustard,Ruidécouvritquel'unedesfillesquivivaientdanscettemaisonétait
sortiepourchercherdesfruitsaumarchénoir.Enmontantl'escalieràsonretour,elles'étaitcognéeetétaittombée;lesacdepommesqu'elleavaitachetés'étaitouvert,etl'uned'ellesavaitrouléàl'intérieurdelasalle.Coïncidence ? Eh bien, ce serait un mot très pauvre pour expliquer cette
histoire.
LEMILITAIREDANSLAFORÊT
En grimpant un sentier dans les Pyrénées à la recherche d'un endroit où jepourraispratiquerletiràl'arc,jesuistombésurunpetitcampementdel'arméefrançaise. Les soldats m'ont regardé, j'ai fait semblant de ne rien voir (nousavonstousunpeucettecrainteparanoïaqued'êtreprispourdesespions...)etj'aipoursuivimaroute.J'aitrouvél'endroitidéal,j'aifaitlesexercicespréparatoiresderespiration,et
alorsj'aivus'approcherunvéhiculeblindé.Immédiatementsurladéfensive,j'aipréparétouteslesréponsespossiblesauxquestionsquimeseraientposées:j'aila permission de me servir de l'arc, l'endroit est sûr, il appartient aux gardesforestiersd'affirmerlecontraire,nonàl'armée,etc.Mais voilà qu'un colonel bondit du véhicule, me demande si c'est moi
l'écrivainetmerapportecertainsfaitstrèsintéressantssurlarégion.Etpuis,surmontantsa timiditépresquevisible, ilditque luiaussiaécritun
livre:etilmeracontelacurieusegenèsedesontravail.Lui et sa femme faisaient des dons pour une enfant lépreuse d'origine
indienne,quiavaitétéenvoyéeenFrance.Unbeaujour,curieuxdeconnaîtrelapetite,ilsserendirentaucouventoùlesreligieusesétaientchargéesdeprendresoind'elle.Cefutunbelaprès-midi,etàlafinunesœurluidemandad'apporterson aide à l'éducation spirituelle du groupe d'enfants qui vivait là. Jean-PaulSétau(c'estlenomdumilitaire)ditqu'iln'avaitaucuneexpériencedanslescoursdecatéchisme,maisqu'ilallaitméditeretdemanderàDieucequ'ilpouvaitfaire.Cettenuit-là,aprèssesprières,ilentenditlaréponse:«Aulieudedonnerdes
réponses, essayez de savoir quelles sont les questions que les enfants veulentposer.»
Dès lors, Sétau eut l'idée de visiter plusieurs écoles, et de faire écrire auxenfantstoutcequ'ilsaimeraientsavoirsurlavie.Ildemandaquelesquestionssoientposéesparécrit,afinquelesplustimidesn'aientpaspeurdesemanifester.Lerésultatdesontravailfutrassemblédansunlivre,L'enfantquiposaittoujoursdesquestions(Éd.ALTESS,Paris).Voiciquelques-unesdesquestions:Oùallons-nousaprèslamort?Pourquoiavons-nouspeurdesétrangers?Lesmartiensetlesextraterrestresexistent-ils?Pourquoidesaccidentsarrivent-ils,mêmeàdesgensquicroientenDieu?QuesignifieDieu?Pourquoinaissons-nous,sinousmouronsàlafin?Combiend'étoilesya-t-ildansleciel?Quiainventélaguerreetlebonheur?Le Seigneur écoute-t-il aussi ceux qui ne croient pas au même Dieu
(catholique)?Pourquoiya-t-ildespauvresetdesmalades?PourquoiDieua-t-ilcréélesmoustiquesetlesmouches?Pourquoil'angegardienn'est-ilpasprèsdenousquandnoussommestristes?Pourquoiaimons-nouscertainespersonnes,etendétestons-nousd'autres?Quiadonnéunnomauxcouleurs?SiDieu est dans le ciel et quemamère y est aussi parce qu'elle estmorte,
commentLuipeut-ilêtrevivant?Puissentcertainsprofesseursouparents,lisantceslignes,sesentirencouragés
à faire lamêmechose.Ainsi, au lieude tenterd'imposernotrecompréhensionadulte de l'univers, nous finirons par nous remémorer quelques-unes desquestionsdenotreenfance–auxquellesenréaliténousn'avonsjamaisrépondu.
DANSUNEVILLED'ALLEMAGNE
«Regardecemonumentintéressant»,ditRobert.Le soleil de find'automnecommence à se coucher.Nous sommesdansune
villeenAllemagne.«Jenevoisrien,jeréponds.Seulementuneplacevide.—Lemonumentestsoustespieds»,insisteRobert.Je regarde par terre : le pavement est fait de dalles égales, sans aucune
décorationparticulière. Jeneveuxpasdécevoirmonami,mais jenevois riend'autresurcetteplace.Robertexplique:«Ils'appelleleMonumentinvisible.Lenomd'unlieuoùdesjuifssontmorts
estgravéaubasdechacunedecespierres.Desartistesanonymesontcréécetteplace au cours de la Seconde Guerre mondiale, et ils ajoutaient des dalles àmesurequedenouveauxlieuxd'exterminationétaientdénoncés.«Mêmesipersonnenelevoyait,letémoignagesetrouvaitlà,etplustardon
finiraitpardécouvrirlavéritésurlepassé.»
RENCONTREÀLAGALERIEDENTSU
Troishommes,trèsbienhabillés,sesontprésentésàmonhôtelàTokyo.«Hier,vousavezdonnéuneconférenceàlagalerieDentsu,ditl'und'eux.Je
suisentréparhasard.Àcemoment,vousexpliquiezqu'aucunerencontren'alieufortuitement.Peut-êtreest-celemomentdenousprésenter.»Jen'aipasdemandécommentilsavaientdécouvertl'hôteloùj'étaisdescendu,
je n'ai pas posé de question ; si les gens sont capables de surmonter cesdifficultés, ils méritent le respect. L'un des trois hommes m'a remis quelqueslivresdecalligraphie japonaise.Mon interprèteétait toutexcitée :cemonsieurétait Kazuhito Aida, le fils d'un grand poète japonais dont je n'avais jamaisentenduparler.Etc'est justement lemystèrede lasynchroniedesrencontresquim'apermis
de connaître, de lire et de partager avec les lecteurs de ces pages un peu dumagnifique travail deMitsuoAida (1924-1991), calligraphe et poète, dont lestextesnousrenvoientàl'importancedel'innocence:Parcequ'elleavécuintensémentsavieL'herbesècheattireencorel'attentiondupassant.Lesfleursnefontquefleurir,Etdumieuxqu'ellespeuvent.Lelysblancdanslavallée,quepersonnenevoit,Nedoitd'explicationàpersonne;Ilvitseulementpourlabeauté.Maisleshommesnepeuventpasvivreavecle «seulement».
*
SilestomatesvoulaientêtremelonsEllesseraientridicules.Jem'étonnebeaucoupQuetantdegenssepréoccupentDevouloirêtrecequ'ilsnesontpas;Quelplaisiront-ilsàseridiculiser?
*
Tun'aspasbesoindefairesemblantd'êtrefortTun'aspasàtoujoursprouverquetoutvabien,tunedoispastepréoccuperdecequelesautres pensent.Pleuresic'estnécessaireilestbondepleurerjusqu'àladernièrelarme(alorsseulementtupourrassouriredenouveau)
*
Jeregardequelquefoisàlatélévisionlesinaugurationsdetunnelsetdeponts.Voici ce qui se passe normalement : de nombreuses personnalités et despoliticiens locaux semettent en rang, et au centre se trouve leministre ou legouverneurdulieu.Alors,oncoupeunruban,etquandlesdirecteursdestravauxretournent à leurs bureaux, ils y trouvent diverses lettres exprimantreconnaissanceetadmiration.Ceuxquiontsuéettravaillépourcerésultat,quionttenulapiocheetlapelle,
quisesontépuisésàlatâcheenétéousontrestésàlabelleétoileenhiverpourterminerlestravaux,onnelesvoitjamais;ondiraitquelameilleurepartrevientàceuxquin'ontpasversélasueurdeleurfront.Jeveuxêtretoujourscapabledevoirlesvisagesquel'onnevoitpas–deceux
quinecherchentpaslacélébritéoulagloire,quiaccomplissentensilencelerôlequelavieleurdestine.Je veux en être capable, car les choses les plus importantes de l'existence,
cellesquinousconstruisent,nemontrentjamaisleurvisage.
RÉFLEXIONSSURLE11-SEPTEMBRE2001
Aujourd'huiseulement,quelquesannéesaprèsl'événement, jedécided'écriresur ce sujet. J'ai évité de l'aborder immédiatement, afin que chacun puisseréfléchir,àsamanière,auxconséquencesdesattentats.Il est toujours très difficile d'admettre qu'une tragédie puisse, d'une certaine
manière,produiredesrésultatspositifs.Lorsquenousavonsvu,horrifiés,cequiressemblait à un film de science-fiction – les tours qui s'écroulaient etemportaient dans leur chute des milliers de personnes – nous avons eu deuxsensations immédiates : la première, un sentiment d'impuissance et de terreurdevant ce qui se passait ; la seconde, la certitude que lemonde ne serait plusjamaislemême.Lemondeneseraplusjamaislemême,c'estvrai,maisaprèstoutcetempsde
réflexion, la sensation que tous ces gens sont morts en vain demeure-t-elleencore?Oupeut-ontrouverquelquechosesouslesdécombresduWorldTradeCenter,au-delàdelamort,delapoussière,etdel'aciertordu?Je crois que tout être humain, à un certainmoment, connaîtra une tragédie
danssavie–ladestructiond'uneville,lamortd'unenfant,uneaccusationsanspreuve, une maladie qui se présente sans prévenir et entraîne l'invaliditépermanente. La vie est un risque constant, et celui qui l'oublie ne sera jamaispréparéauxdéfisdudestin.Quandnoussommesdevantl'inévitabledouleurquicroisenotrechemin,noussommesobligésdechercherunsensàcequisepasse,desurmonterlapeuretd'entreprendreleprocessusdereconstruction.Lapremièrechosequenousdevonsfairequandnoussommesconfrontésàla
souffranceetàl'insécurité,c'estdelesacceptercommetelles.Nousnepouvonspaslestraitercommequelquechosequinenousconcernepas,nilestransformer
en une punition qui satisferait notre éternel sentiment de culpabilité.Dans lesdécombresduWorldTradeCenter se trouvaientdesgens commenous, qui sesentaient en sécurité ou malheureux, accomplis ou luttant pour leurdéveloppement,avecunefamillequilesattendaitàlamaison,oudésespérésparla solitude de la grande ville. Ils étaient américains, anglais, allemands,brésiliens, japonais, venant de tous les coins du monde, unis par le destincommun – et mystérieux – de se trouver vers 9 heures du matin au mêmeendroit, qui était beaupour certains, oppressant pour d'autres.Quand les deuxtourssesontécroulées,cenesontpasseulementcesgensquisontmorts:noussommestousmortsunpeu,etlemondeentieraétéamoindri.Quandnoussommesdevantunepertegrave,qu'ellesoitmatérielle,spirituelle
ou psychologique, nous devons nous rappeler la grande leçon des sages : lapatience, la certitude que tout est provisoire dans cette vie. Partant de là,revoyons alors nos valeurs. Puisque pour des années lemonde ne redeviendrajamais un lieu sûr, pourquoi ne pas utiliser ce changement soudain et nousaventurerdansdeschosesquenousavonstoujoursdésiréfaire,sansenavoirlecourage ?Combien de personnes, cematin du 11 septembre, se trouvaient auWorldTradeCentercontreleurvolonté,essayantdepoursuivreunecarrièrequin'étaitpaslaleur,faisantuntravailqu'ellesn'aimaientpas,simplementparcequec'était un lieu sûr, où elles pouvaient mettre de côté assez d'argent pour leurretraiteetleurvieillesse?C'est en cela que lemonde a changé, et ceux qui ont été enterrés sous les
décombresdesdeuxédificesnousfontmaintenantpenserànospropresvaleurs.Quand les tourssont tombées,ellesontemportédes rêvesetdesespoirs,maiselles ont aussi ouvert un espace à l'horizon, et nous ont obligés à réfléchir ausensdenosvies.Etlàjustement,notreattitudeferatouteladifférence.Unevieillehistoireraconteque,peuaprèslesbombardementssurDresde,un
homme traversa un terrain rempli de décombres et vit trois ouvriers quitravaillaient.«Quefaites-vous?»demanda-t-il.Lepremierouvrierseretourna:«Vousnevoyezpas?Jeretirecespierres!—Vousnevoyezpas?Jegagnemonsalaire!déclaraledeuxièmeouvrier.—Vousnevoyezpas?ditletroisième.Jereconstruisunecathédrale!»Bien que les trois personnes fissent la même chose, une seule mesurait
vraimentlesensdesonouvrage.Espéronsque,danslemondequiviendraaprèsle11-Septembre2001,chacundenoussaurasereleverdesespropresdécombresémotionnels, et construire la cathédrale dont nous avons toujours rêvé sansjamaisoserlacréer.
LESSIGNESDEDIEU
Isabelitameracontelalégendesuivante:UnvieilArabeanalphabètepriaitavectantdeferveur,touteslesnuits,quele
richechefd'unegrandecaravanedécidadel'appeler.«Pourquoipries-tuavecunetellefoi?Commentsais-tuqueDieuexiste,alors
quetunesaismêmepaslire?—Si,seigneur,jesaislire.Jelistoutcequ'écritleGrandPèreCéleste.—Commentcela?»L'humbleserviteurs'expliqua:« Quand vous recevez une lettre d'un absent, comment reconnaissez-vous
celuiquil'aécrite?—Parl'écriture.—Quandvousrecevezunbijou,commentsavez-vousquil'afabriqué?—Parlamarquedel'orfèvre.—Quandvousavezentendudespasd'animauxautourdelatente,comment
savez-voussic'étaitunmouton,unchevalouunbœuf?—Parlestraces»,réponditlechef,surprisparcequestionnaire.Levieuxcroyantl'invitaàsortirdelatenteetluimontraleciel.«Seigneur, ces choses écrites là-haut, ce désert ici-bas, cela n'a pas pu être
dessinéouécritpardesmainshumaines.»
SOLITAIRESURLECHEMIN
Lavieest commeunegrandecoursecycliste,dont lebutestd'accomplir saLégende Personnelle – ce qui, d'après les anciens alchimistes, est notre vraiemissionsurTerre.Au début de la course, nous sommes ensemble, partageant camaraderie et
enthousiasme.Mais à mesure que la course se développe, la joie initiale faitplace aux vrais défis : la fatigue, la monotonie, les doutes sur nos capacités.Nousconstatonsquecertainsamisontdéjàabandonnéaufonddeleurcœur.Ilscourentencore,maisseulementparcequ'ilsnepeuventpass'arrêteraumilieudelaroute.Ilsformentungroupedeplusenplusnombreux,ilspédalenttousprèsdelavoituredessecours–qu'onappelleaussiRoutine–oùilscausententreeux,accomplissentleursobligations,maisoublientlesbeautésetlesdéfisdelaroute.Nous finissons par prendre nos distances avec eux ; alors nous sommes
obligés d'affronter la solitude, les surprises dans les virages inconnus, lesproblèmesaveclabicyclette.Etàunmomentdonné,aprèsquelqueschutessanspersonneprèsdenouspournousaider,nousnousdemandonsfinalementsitousceseffortsvalentlapeine.Ehbienoui;ilsuffitdenepasrenoncer.LepèreAlanJonesditquepourque
notreâmepuissesurmontercesobstacles,nousavonsbesoindeQuatreForcesInvisibles:l'amour,lamort,lepouvoiretletemps.Ilestnécessaired'aimer,parcequenoussommesaimésparDieu.Laconsciencedelamortestnécessaire,pourbiencomprendrelavie.Il est nécessaire de lutter pour nous développer – mais sans nous laisser
illusionnerparlepouvoirquivientavecledéveloppement,carnoussavonsqu'ilnevautrien.
Enfin, il faut accepter que notre âme, bien qu'elle soit éternelle, est en cemomentprisonnièredanslatoiledutemps,avecsesopportunitésetseslimites;ainsi, dans notre course cycliste solitaire, nous devons agir comme si nousavionsletemps,fairenotrepossiblepourvaloriserchaqueseconde,nousreposerquandc'estnécessaire,maistoujourscontinuerverslaLumièredivine,sansnouslaisserincommoderparlesmomentsd'angoisse.CesQuatreForcesnepeuventêtretraitéescommedesproblèmesàrésoudre,
car elles sont au-delàde tout contrôle.Nousdevons les accepter, et les laissernousenseignercequ'ilnousfautapprendre.NousvivonsdansunUniversquiestenmêmetempsassezgigantesquepour
nous envelopper et assez petit pour tenir dans notre cœur. Dans l'âme del'hommese trouve l'âmedumonde, lesilencede lasagesse.Pendantquenouspédalonsversnotrebut,ilesttoujoursimportantdenousdemander:«Qu'ya-t-ildebeaudanscette journée?»Le soleilpeutbriller,mais si lapluie tombe,rappelons-nous que cela signifie aussi que les nuages noirs se seront bientôtdissipés.Lesnuagessedissipent,maislesoleildemeure,etilnepassejamais–danslesmomentsdesolitude,ilimportedenousensouvenir.Enfin, quand les choses deviendront très dures, n'oublions pas que tout le
monde est déjà passépar là, indépendamment de sa race, de sa couleur, de sasituationsociale,desescroyances,oudesaculture.UnebelleprièredumaîtresoufiégyptienDhul-Nun(morten861ap.J.-C.)résumebienl'attitudepositivenécessairedanscesmoments:«ÔDieu,quandjeprêteattentionauxvoixdesanimaux,aubruissementdes
arbres,aumurmuredeseaux,auchantdesoiseaux,ausifflementduventouaufracasdu tonnerre, j'y voisun témoignagedeTonunité ; je sensqueTues lepouvoirsuprême,l'omniscience,lasagessesuprême,lajusticesuprême.«ÔDieu,jeTereconnaisdanslesépreuvesquejetraverse.Permets,ôDieu,
queTasatisfactionsoitmasatisfaction.QuejesoisTajoie,cettejoiequ'unPèreressent pour un fils. Et que je me souvienne de Toi avec tranquillité etdétermination,mêmequandilestdifficilededirequejeT'aime.»
CEQUIESTPLAISANTCHEZL'HOMME
UnhommedemandaàmonamiJaimeCohen:«Jeveuxsavoircequiestleplusplaisantchezlesêtreshumains.»Cohendéclara:«Ilspensenttoujoursaucontrairedecequ'ilsont:ilssontpressésdegrandir,
etensuiteilssoupirentaprèsleurenfanceperdue.Ilsperdentlasantépouravoirdel'argent,etaussitôtaprèsperdentleurargentpouravoirlasanté.«Ilspensentavectantd'anxiétéàl'avenirqu'ilsnégligentleprésentetainsine
viventnileprésentnil'avenir.« Ils vivent comme s'ils n'allaient jamaismourir, et ilsmeurent comme s'ils
n'avaientjamaisvécu.»
LERETOURAUMONDEAPRÈSLAMORT
J'ai toujourspenséàcequi sepassait tandisquenous répandionsunpeudenous-même sur laTerre. Jeme suis coupé les cheveuxàTokyo, lesongles enNorvège,j'aivumonsangcoulerd'uneblessureengravissantunemontagneenFrance.Dansmonpremierlivre,LesArchivesdel'Enfer,jespéculaisunpeusurce thème, comme s'il était nécessaire de semer un peu de notre corps dansdiverses parties dumonde, pour que, dans une vie future, quelque chose nousparût familier. J'ai lu, récemmentdans le journal françaisLeFigaro,unarticlesignéparGuyBarret,ausujetd'unfaitréelquiseproduisitenjuin2001,quandquelqu'unportacetteidéeàsesultimesconséquences.Ils'agitdel'AméricaineVeraAnderson,quipassatoutesaviedanslavillede
Medford, Oregon. Déjà âgée, elle fut victime d'un accident cardio-vasculaireaggravé par un emphysème pulmonaire, ce qui l'obligea à passer des annéesentièresdanssachambre,toujoursreliéeàunballond'oxygène.Lefaitensoiestdéjàunsupplice,maisdans lecasdeVera lasituationétaitd'autantplusgravequ'elle avait rêvé de parcourir lemonde et gardé ses économies pour le fairequandelleseraitàlaretraite.Veraobtintd'êtretransféréedansleColorado,afindepasserlerestantdeses
jours en compagnie de son fils,Ross.Là, avant de faire sondernier voyage–celuidontonnerevientjamais–,ellepritunedécision.Puisqu'ellenepourraitmêmepasconnaîtresonpays,alorsellevoyageraitaprèslamort.Rossse renditchez lenotairedu lieuetenregistra le testamentdesamère :
quandellemourrait,ellesouhaitaitêtreincinérée.Jusque-là,riendeplus.Maisletestamentcontinue:sescendresdevaientêtreplacéesdansdeuxcentquaranteetunepetites sacoches,qui seraientenvoyéesauxchefsdes servicespostauxdes
cinquanteÉtats américains, et dans chacundes centquatre-vingt-onzepaysdumonde–desortequ'unepartiedesoncorpsaumoinsvisitâtfinalementleslieuxqu'elleavaittoujoursrêvédevisiter.DèsqueVeras'enalla,Rossaccomplitsesdernièresvolontésavecladignité
quel'onattendd'unfils.Àchaqueenvoi,ilajoutaitunepetitelettredanslaquelleildemandaitquel'ondonnâtàsamèreunesépulturedigne.TousceuxquireçurentlescendresdeVeraAndersontraitèrentavecrespectla
demandedeRoss.AuxquatrecoinsdelaTerresecréaunechaînedesolidaritésilencieuse, dans laquelle des sympathisants inconnus organisèrent descérémoniesetdesritestrèsdivers,tenanttoujourscomptedulieuqueladéfunteauraitaiméconnaître.AinsilescendresdeVerafurent-ellesdisperséesdanslelacTiticaca,ducôté
bolivien, selon les anciennes traditions des Indiens Aymaras, dans le fleuvedevantlepalaisroyaldeStockholm,surleborddelaChaoPhrayaenThaïlande,dans un temple shintoïste au Japon, dans les glaciers de l'Antarctique, dans ledésert du Sahara. Les sœurs de charité d'un orphelinat en Amérique du Sud(l'article ne dit pas dans quel pays) prièrent pendant une semaine avant derépandrelescendresdanslejardin–etdécidèrentplustardqueVeraAndersonseraitconsidéréecommeunesorted'angegardiendulieu.RossAndersonreçutdesphotosdescinqcontinents,montrantdeshommeset
des femmesde toutes les races et de toutes les cultureshonorant les dernièresvolontés de sa mère. Quand nous voyons le monde divisé comme il l'estaujourd'hui, où nous croyons que personne ne se soucie d'autrui, ce derniervoyagedeVeraAndersonnousremplitd'espoir,carnoussavonsqu'ilyaencoredurespect,del'amouretdelagénérositédansl'âmedenotreprochain,aussiloinsoit-il.
QUIVEUTENCORECEBILLET?
CassanSaïdAmerracontel'histoiresuivante.Unconférenciercommençaunséminaireentenantunbilletde20dollarsetendemandant:«Quiveutcebilletde20dollars?»Plusieursmainsselevèrent,maisleconférencierajouta:«Avantdeledonner,jedoisfairequelquechose.»Ill'écrasarageusement,etilinsista:«Quiveutencorecebillet?»Lesmainsselevèrentdenouveau.«Etsijefaiscela?»Ilchiffonnalebillet,lejetacontrelemur,lelaissatomberparterre,lepiétina,
puisillemontraunenouvellefois–àprésenttrèssaleettoutabîmé.Ilrépétasaquestion,etlesmainsselevèrentencore.«N'oubliezjamaiscettescène,commentaleconférencier.Peuimporteceque
jefaisaveccetargent,c'esttoujoursunbilletde20dollars.Trèssouventdanslavienoussommesécrasés,foulésauxpieds,maltraités,insultés;etpourtant,nousavonstoujourslamêmevaleur.»
LESDEUXJOYAUX
DuprêtrecistercienMarcosGarcia,àBurgos,enEspagne:«Ilarriveparfoisque Dieu retire à une personne une bénédiction déterminée, afin que celle-cipuissecomprendrequ'Ilestplusquedesfaveursrépondantàdesrequêtes.Ilsaitjusqu'à quel point Il peut éprouver une âme, et Il ne va jamais au-delà de cepoint.«Danscesmoments-là,nedisons jamais :“Dieum'aabandonné.” Ilne fait
jamaiscela;c'estnousquipouvons,parfois,L'abandonner.SileSeigneurnousimposeunegrandeépreuve,Ilnousaccordeaussitoujourslesgrâcessuffisantes–plusquesuffisantes,dirais-je–pourlasurmonter.»À ce sujet, la lectrice Camila Galvão Piva m'a envoyé une histoire
intéressante,intitulée«Lesdeuxjoyaux».Unrabbintrèsreligieuxvivaitheureuxavecsafamille–uneépouseadmirable
et deux fils chéris. Un jour, pour son travail, il dut s'absenter pour plusieursjours.C'estjustementpendantsonabsencequelesdeuxgarçonsfurenttuésdansungraveaccidentdevoiture.Seule, lamère souffrit en silence.Mais c'étaitune femme forte et, soutenue
parsafoietsaconfianceenDieu,ellesupportalechocavecdignitéetcourage.Cependant,commentannonceràsonépouxlatristenouvelle?Bienqu'ilfûtluiaussi un homme de foi, il avait été hospitalisé autrefois pour des problèmescardiaques,et lafemmecraignaitquelaconnaissancedela tragédien'entraînâtsamort.Ilneluirestaitqu'àprierafinqueDieuluiconseillâtlameilleurefaçond'agir.
Laveilledel'arrivéedesonmari,ellepriabeaucoup,etellereçutlagrâced'une
réponse.Le lendemain, le rabbinregagna le foyer,serra longuementsonépousedans
sesbras, et s'enquitdes enfants.La femme luiditdenepas sepréoccuper,deprendresonbainetdesereposer.Quelquesheuresplus tard, ilss'assirent tous lesdeuxpourdéjeuner.Elle lui
demandadesdétailssursonvoyage,ilracontatoutcequ'ilavaitvécu,parladelamiséricordedeDieu,maiss'inquiétadenouveaudesenfants.L'épouse,unpeuembarrassée,réponditàsonmari:«Laisse les enfants,nousnousenpréoccuperonsplus tard. Jeveuxd'abord
quetum'aidesàrésoudreunproblèmequejecroisgrave.»Déjàinquiet,lemaridemanda:«Ques'est-ilpassé?Jet'aitrouvéeabattue!Dis-moitoutcequetuassurle
cœur,etjesuiscertainquenousrésoudronsensembleleproblèmequelqu'ilsoit,avecl'aidedeDieu.—Pendanttonabsence,undenosamism'arenduvisiteetm'alaisséengarde
deuxjoyauxd'unevaleurinestimable.Cesontdesbijouxtrèsprécieux!Jen'aijamaisrienvud'aussibeau!Ilvientlesrechercheretjenesuispasprêteàlesrendre,carjem'ysuisattachée.Qu'endis-tu?—Allons,femme!Jenecomprendspastoncomportement!Tun'asjamais
cultivélesvanités!—C'estquejen'avaisjamaisvudetelsjoyaux!Jenepeuxpasaccepterl'idée
delesperdrepourtoujours!»Lerabbinréponditavecfermeté:«Personneneperdcequ'iln'apaspossédé.Lesreteniréquivaudraitàunvol!
Nousallons les rendre,et je t'aideraià surmonter leurabsence.Nous le feronsensemble,aujourd'huimême.— Eh bien, mon chéri, que ta volonté soit faite. Le trésor sera rendu. En
vérité, c'estdéjà fait.Lesbijouxprécieuxétaientnos fils.Dieu les a confiés ànotregarde,etpendantquetuétaisenvoyage,ilestvenuleschercher.Ilssontpartis...»Lerabbincompritimmédiatement.Ilserracontreluisonépouse,etensemble
ilsversèrentbiendeslarmes–maisilavaitcomprislemessage,etàpartirdecejour-làilsluttèrentpoursurmonterensembleleurperte.
SEMENTIRÀSOI-MÊME
Cela fait partie de la nature humaine de toujours juger les autres avec unegrande sévérité et, quand levent souffle contrenosdésirs, de toujours trouveruneexcusepour lemalquenousavons fait, oumaudirenotreprochainquandnouséchouons.L'histoirequisuitillustrecequejeveuxdire.Unmessager fut envoyéenmissionurgenteversuneville lointaine. Il sella
son cheval et partit au grand galop. Après qu'ils eurent dépassé plusieursaubergesoùl'onnourrissaittoujourslesbêtes,lechevalpensa:«Onnes'arrêtepluspourmangerdansdesécuries,celasignifiequejenesuis
plus traité comme un cheval, mais comme un être humain. Comme tous leshommes,jecroisquejemangeraidanslaprochainegrandeville.»Mais les grandes villes passaient, l'une après l'autre, et le conducteur
poursuivaitsonvoyage.Alorslechevalcommençaàpenser:«Peut-êtrequejene suis pas devenu un être humain, mais un ange, car les anges n'ont jamaisbesoindenourriture.»Enfin, ilsatteignirent leurdestination,et l'animal futconduità l'étable,où il
dévoraavecunappétitvoracelefoinqu'iltrouva.«Pourquoicroirequeleschoseschangentsiellesnesuiventpasleurrythme
habituel ? sedisait-il. Jene suisnihommeni ange,mais seulementunchevalaffamé.»
L'ARTD'ESSAYER
La phrase suivante est de Pablo Picasso : «Dieu est surtout un artiste. Il ainventélagirafe,l'éléphant,lafourmi.Enréalité,Iln'ajamaischerchéàsuivreunstyle–ilasimplementfaitcequ'ilavaitenviedefaire.»Notre envie de marcher crée notre chemin. Cependant, quand nous
commençons le voyage vers notre rêve, nous avons très peur, comme si nousétions obligés de faire tout parfaitement. Finalement, si nous vivons des viesdifférentes,quiainventélemodèledu«toutparfaitement»?SiDieuafaitlagirafe, l'éléphant et la fourmi, et que nous voulons vivre à Son image et à Saressemblance, pourquoi devons-nous suivre unmodèle ? Lemodèle nous sertquelquefois à éviter de répéter des erreurs stupides que d'autres ont déjàcommises, mais le plus souvent c'est une prison qui nous oblige à toujoursrépétercequetoutlemondefait.Être cohérent, c'est devoir toujours porter la cravate qui va avec les
chaussettes. C'est être obligé de garder demain les mêmes opinionsqu'aujourd'hui.Etlemouvementdumonde,oùest-il?Dumomentquevousnecausezdetortàpersonne,changezd'avisdetempsen
temps,etentrezencontradictionsansenavoirhonte.Vousavezcedroit ;peuimportecequelesautresvontpenser–ilsvontpenserdetoutemanière.Quandnousdécidonsd'agir,certainsexcèsseproduisent.Rappelonslevieux
dictonquidit:«Onnefaitpasd'omelettesanscasserdesœufs.»Ilestnaturelégalementque surgissentdesconflits inattendus. Il estnaturelque surviennentdesblessuresaucoursdecesconflits.Lesblessurespassent:seulesdemeurentlescicatrices.
C'estunebénédiction.Cescicatricesrestentavecnoustoutenotrevie,etellesnousaiderontbeaucoup.Si,àuncertainmoment–parcommoditéoupourtouteautreraison–l'envieestgrandederetourneraupassé,ilsuffiradelesregarder.Les cicatrices vont nousmontrer lamarque desmenottes, nous rappeler les
horreursdelaprison,etnouscontinueronsàallerdel'avant.Alors,détendez-vous.Laissezl'Universtournerautourdevous,etdécouvrez
lajoiedevoussurprendrevous-même.«Dieuachoisilesfoliesdumondepourfairehonteauxsages»,ditsaintPaul.Unguerrierde la lumièrenotequecertainsmoments se répètent ; il sevoit
souventdevantlesmêmesproblèmes,etilaffrontedessituationsqu'ilavaitdéjàaffrontéesauparavant.Alors il estdéprimé. Il commenceàpenserqu'il est incapabledeprogresser
danslavie,puisquedeschosesqu'ilavécuesautrefoissereproduisent.«Jesuisdéjàpasséparlà»,seplaint-ilauprèsdesoncœur.« Effectivement, tu es déjà passé, répond le cœur. Mais tu n'as jamais
dépassé.»Le guerrier prend alors conscience que la répétition des expériences a une
finalité : lui enseigner ce qu'il n'a pas encore appris. Il donne toujours unesolutiondifférenteàchaqueluttequiserépète,etilneconsidèrepasseséchecscommedeserreurs,maiscommedespasverslarencontreaveclui-même.
DESPIÈGESDELAQUÊTE
Quand les gens deviennent plus attentifs aux choses de l'esprit, un autrephénomèneseproduit:l'intoléranceenverslaquêtespirituelledesautres.Tousles jours je reçois des revues, des messages électroniques, des lettres, despamphlets, qui essaient de prouver que tel chemin est meilleur que l'autre etcontiennent une série de règles pour atteindre l'« illumination ». En raison duvolume croissant de ce genre <PROCESS>oasys [tb[dc5]</PROCESS>decorrespondance,j'aidécidéd'écrireunpeusurcequejeconsidèrecommeétantdangereuxdanscettequête.<PROCESS>oasys[dc0][nb</PROCESS>Mythe1:L'espritpeuttoutsoigner.Cen'estpasvrai,etjepréfèreillustrerce
mytheparunehistoire.Ilyaquelquesannées,unedemesamies–profondémentengagéedanslaquêtespirituelle–commençaàavoirdelafièvreetàsesentirtrèsmal, et toute lanuit elle tentade se représentermentalement soncorpsenrecourantàtouteslestechniquesqu'elleconnaissait,afindesesoignerparleseulpouvoirdelapensée.Lelendemain,inquiets,sesenfantsluiconseillèrentd'allervoirunmédecin,maiselles'yrefusa,affirmantqu'elle«purifiait»sonesprit.Cen'est qu'au moment où la situation devint insupportable qu'elle accepta de serendreàl'hôpital,oùl'ondutl'opérerimmédiatement–aprèsavoirdiagnostiquéuneappendicite.Doncattention:ilvautparfoismieuxprierDieuqu'ilguidelesmainsd'unmédecinquedetenterdesesoignertoutseul.Mythe2:Lavianderougeéloignelalumièredivine.Ilestévidentque,sivous
appartenezàunereligiondéterminée,vousdevezrespecterlesrèglesétablies–lesjuifsetlesmusulmans,parexemple,nemangentpasdeviandedeporcet,danscecas,ils'agitd'unepratiquequifaitpartiedelafoi.Cependant,lemondeest inondéparunevaguede«purification»par lanourriture : lesvégétariens
radicaux regardent les gens qui mangent de la viande comme s'ils étaientresponsablesdel'assassinatdesanimaux.Maislesplantesnesont-ellespasaussidesêtresvivants?Lanatureestuncycleconstantdevieetdemortet,unjour,c'estnousquiironsnourrirlaterre,doncsivousn'appartenezpasàunereligionquiprohibeunalimentdéterminé,mangezcequevotreorganismeréclame.Jevoudraisrappelericil'histoiredumaged'originerusseGeorgesGurdjieff:
quandilétaitjeune,ilallarendrevisiteàungrandmaître.Pourimpressionnercedernier,ilnemangeaitquedesvégétaux.Unsoir, lemaîtrevoulutsavoirpourquoiilsuivaitunrégimeaussirigide,et
Gurdjieff répondit : « Pour garder propre mon corps. » Le maître rit et luiconseillaimmédiatementdecessercettepratique;s'ilcontinuaitainsi,ilfiniraitcommeunefleurdansuneserre:trèspuremaisincapablederésisterauxdéfisdesvoyagesetdelavie.CommeledisaitJésus:«Lemaln'estpascequientredanslabouchedel'homme,maiscequiensort.»Mythe 3 : Dieu est sacrifice. Beaucoup de gens cherchent le chemin du
sacrifice et de l'auto-immolation, affirmant que nous devons souffrir dans cemonde pour connaître le bonheur dans le prochain.Mais si cemonde est unebénédictiondeDieu,pourquoinepassavoirprofiteraumaximumdesjoiesquedonnelavie?NoussommeshabituésàuneimageduChristclouésurlacroix,maisnousoublionsquesapassionn'aduréquetroisjours;lerestedutemps,ill'a passé à voyager, rencontrer les gens,manger, boire, porter sonmessage detolérance.Àtelpointquesonpremiermiraclefut«politiquementincorrect»:quand la boissonmanqua aux noces deCana, il transforma l'eau en vin. Il fitcela,àmonavis,pourmontreràtousqu'iln'yaaucunmalàêtreheureux,àseréjouir,à faire la fête,carDieuestbeaucoupplusprésentquandnoussommesavec les autres. Mahomet disait que « si nous sommes malheureux, nousapportonsaussilemalheurànosamis».LeBouddha,aprèsunelonguepérioded'épreuveetderenoncement,étaitsifaiblequ'ilmanquasenoyer;quandilfutsauvéparunberger,ilcompritquel'isolementetlesacrificenouséloignentdumiracledelavie.Mythe4:UnseulcheminmèneàDieu.C'estlàleplusdangereuxdetousles
mythes. Là commencent les explications du Grand Mystère, les guerres dereligion,lejugementdenotreprochain.Nouspouvonschoisirunereligion(moi,parexemple,jesuiscatholique),maisnousdevonscomprendrequesinotrefrèreachoisiunereligiondifférente,ilatteindralemêmepointdelumièrequeceluiquenouscherchonsàtraversnospratiquesspirituelles.Enfin,ilvautlapeinederappeler que nous ne pouvons en aucune manière faire porter au prêtre, aurabbin,àl'imam,laresponsabilitédenosdécisions.C'estnousquiconstruisons,àtraverschacundenosactes,laroutequimèneauParadis.
MONBEAU-PÈRE,CHRISTIANOOITICICA
Peuavantdemourir,monbeau-pèreaappelésafamille:« Je sais que la mort n'est qu'un passage, et je veux pouvoir faire cette
traverséesanstristesse.Pourquevousnesoyezpasinquiets,j'enverraiunsignepourmontrerqu'ilvalaitlapeined'aiderlesautresdanscettevie.»Ilasouhaitéêtre incinéré, et que ses cendres soient dispersées sur la plage de l'Arpoador,tandisqu'unlecteurdecassettesjoueraitsesmorceauxdemusiquepréférés.Ilestdécédédeuxjoursplustard.Unamis'estoccupédelacrémationàSão
Pauloet,deretouràRio,noussommestouspartisversl'Arpoadoraveclaradio,les cassettes, le paquet contenant la petite urne de cendres.Arrivant face à lamer,nousavonsdécouvertquelecouvercleétaitscellépardesvis.Nousavonstentédel'ouvrir,inutilement.Iln'yavaitpersonneàproximité,saufunmendiant,quis'estapprochéetnous
ademandécequenousvoulions.Monbeau-frèrearépondu:«Untournevis,parcequelescendresdemonpère
setrouventlà-dedans.—C'étaitcertainementunhommetrèsbon,parcequejeviensjustedetrouver
cela»,aditlemendiant.Etilnousatenduuntournevis.
MERCI,PRÉSIDENTBUSH
Ce texte a été publié sur un Site Internet anglais le 8 mars 2003, deuxsemainesavant l'invasionde l'Irak–etaucoursdecemois, ce fut l'article leplus diffusé sur la guerre, avec approximativement cinq cents millions delecteurs.Merciàvous,granddirigeant.Merci,GeorgeW.Bush.Mercidemontrerà tous ledangerque représenteSaddamHussein.Nombre
d'entre nous avaient peut-être oublié qu'il avait utilisé des armes chimiquescontresonpeuple,contrelesKurdes,contrelesIraniens.Husseinestundictateursanguinaire,l'unedesexpressionslesplusmanifestesdumalaujourd'hui.Maisj'aid'autresraisonsdevousremercier.Aucoursdesdeuxpremiersmois
de l'année 2003, vous avez su montrer au monde beaucoup de chosesimportantes,etpourcelavousméritezmareconnaissance.Ainsi,merappelantunpoèmequej'aiapprisenfant,jeveuxvousdiremerci.MercidemontreràtousquelepeupleturcetsonParlementnesevendentpas,
mêmepour26milliardsdedollars.Merciderévéleraumondelegigantesqueabîmequiexisteentrelesdécisions
desgouvernantsetlesdésirsdupeuple.DefaireapparaîtreclairementqueJoséMaríaAznaretTonyBlairn'ontaucunrespectpourlesvoixquilesontélusetn'entiennentaucuncompte.Aznarestcapabled'ignorerque90%desEspagnolssont opposés à la guerre, et Blair ne fait aucun cas de la plus grandemanifestationpubliquedecestrentedernièresannéesenAngleterre.Merci, car votre persévérance a forcé Tony Blair à se rendre au Parlement
britanniqueavecundossierrédigéparunétudiantilyadixans,etàleprésenter
comme « des preuves irréfutables recueillies par les services secretsbritanniques».Mercid'avoirfaitensortequeColinPowellprésenteauConseildesécuritéde
l'ONU des preuves et des photos qui, une semaine plus tard, ont étépubliquement contestées par Hans Blix, l'inspecteur responsable dudésarmementdel'Irak.Merci,carvotrepositionavaluauministre françaisdesAffairesétrangères,
DominiquedeVillepin,prononçantsondiscourscontrelaguerre,d'êtreapplaudien séanceplénière– cequi, àma connaissance, n'était arrivéqu'une fois dansl'histoiredesNationsunies,àl'occasiond'undiscoursdeNelsonMandela.Merci,cargrâceàvoseffortsenfaveurdelaguerre,pourlapremièrefois,les
nationsarabes–engénéraldivisées–ontunanimementcondamnéuneinvasion,lorsdelarencontreduCaireladernièresemainedefévrier.Merci,cargrâceàvotrerhétoriqueaffirmantque«l'ONUavaitunechancede
démontrer son importance », même les pays les plus réfractaires ont fini parprendrepositioncontreuneattaquedel'Irak.Mercipourvotrepolitiqueextérieurequiaconduitleministrebritanniquedes
Affairesétrangères,JackStraw,àdéclarerenpleinXXIesièclequ'«uneguerrepeutavoirdesjustificationsmorales»–etàperdreainsitoutesacrédibilité.Merci d'essayer de diviser une Europe qui lutte pour son unification ; cet
avertissementneserapasignoré.Mercid'avoir réussi cequepeudegensont réussi enunsiècle : rassembler
desmillionsdepersonnes,sur tous lescontinents,quisebattentpour lamêmeidée–bienquecetteidéesoitopposéeàlavôtre.Mercidenousfairedenouveausentirquenosparoles,mêmesiellesnesont
pasentendues,sontaumoinsprononcées.Celanousdonneradavantagedeforcedansl'avenir.Mercidenousignorer,demarginalisertousceuxquiontprispositioncontre
votredécision,carl'avenirdelaTerreappartientauxexclus.Merci parce que, sans vous, nous n'aurions pas connu notre capacité de
mobilisation. Peut-être ne servira-t-elle à rien aujourd'hui, mais elle seracertainementutileplustard.À présent que les tambours de la guerre semblent résonner de manière
irréversible,jeveuxfairemienslesmotsqu'unroieuropéenadressaautrefoisàunenvahisseur:«Quepourvouslamatinéesoitbelle,quelesoleilbrillesurlesarmuresdevossoldats–carcetaprès-midijevousmettraiendéroute.»Mercidenouspermettreàtous,arméed'anonymesquinouspromenonsdans
lesruespourtenterd'arrêterunprocessusdésormaisenmarche,dedécouvrircequ'estlasensationd'impuissance,d'apprendreàl'affronteretàlatransformer.
Donc,profitezdevotrematinéeetdecequ'ellepeutencorevousapporterdegloire.Merci,carvousnenousavezpasécoutés,etnenousavezpasprisausérieux.
Sachez bien que nous, nous vous écoutons et que nous n'oublierons pas vospropos.Merci,granddirigeantGeorgeW.Bush.Mercibeaucoup.
LEDOMESTIQUEINTELLIGENT
Àl'époquedansunebaseaérienneenAfrique,l'écrivainSaint-Exupéryfitunecollecteparmi ses amis, carundomestiquemarocainvoulait retournerdans savillenatale.Ilparvintàréunirmillefrancs.L'undespilotestransportaledomestiquejusqu'àCasablanca,etracontaàson
retourcequis'étaitpassé:«Dèssonarrivée,ilestallédînerdanslemeilleurrestaurant,iladistribuéde
généreuxpourboires,payéàboireàtoutlemonde,achetédespoupéespourlesenfantsdesonvillage.Cethommen'avaitpaslemoindresensdel'économie.— Au contraire, répondit Saint-Exupéry. Il savait que le meilleur
investissement au monde, ce sont les gens. En dépensant de la sorte, il a puregagnerlerespectdesescompatriotes,quifinalementluiontoffertunemploi.Enfindecompte,seulungagneurpeutêtreaussigénéreux.»
LATROISIÈMEPASSION
Durant ces quinze dernières années, jeme souviens d'avoir vécu seulementtrois passions asservissantes – de celles qui vous font tout lire à leur sujet, enparlerdefaçoncompulsive,rechercherdesgensquiontlamêmeaffinité,vousendormiretvousréveillerenypensant.Lapremière,c'estquandj'aiachetéunordinateur, abandonnant pour toujours la machine à écrire et découvrant lalibertéqu'ilmeprocurait(j'écrismaintenantdansunepetitevilledeFranceavecune machine qui pèse moins de 1,5 kilo, contient dix ans de ma vieprofessionnelle, etme permet de trouver ce dont j'ai besoin enmoins de cinqsecondes). La deuxième, c'est quand je suis allé pour la première fois surInternet–àcetteépoquedéjàunebibliothèqueplusgrandequelaplusgrandedetouteslesbibliothèques.Maislatroisièmepassionn'arienàvoiraveclesavancéestechnologiques.Il
s'agitde... l'arcetlaflèche.Dansmajeunesse, j'ai luunlivrefascinant,Lezendansl'artchevaleresquedutiràl'arc,deE.Herrigel(Dervy-Livres).L'auteuryracontait son parcours spirituel à travers ce sport. L'idée est restée dans moninconscientjusqu'aujouroù,danslesmontagnesdesPyrénées,j'airencontréunarcher.Audétourd'uneconversation,ilm'aprêtésonmatériel,etdèslorsjen'aipluspuvivresanspratiquerletiràl'arctouslesjoursoupresque.AuBrésil,j'aiinstalléunstanddetirdansmonappartement(deceuxquel'on
peutdémonterencinqminutes,quandlesvisiteursarrivent).Danslesmontagnesfrançaises,jesorstouslesjourspratiquer,etcelam'aconduitdeuxfoisaulit– victime d'hypothermie, pour être resté plus de deux heures exposé à unetempératurede–6°C.J'aiparticipéauForuméconomiquemondialcetteannéeàDavos, soutenu par des analgésiques très puissants ; deux jours auparavant, à
caused'unemauvaisepositiondubras,j'avaiseuunedouloureuseinflammationmusculaire.Enquoitoutcelaest-ilfascinant?Iln'estenrienpratiquedeviserunecible
avec un arc et une flèche, des armes qui remontent à trente mille ans avantleChrist.MaisHerrigel,quiaéveilléchezmoicettepassion, savaitdequoi ilparlait. Voici des passages de Le zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc(quipeuvents'appliqueràdiversesactivitésdelaviequotidienne):«Aumomentdemaintenirlatension,elledoitêtreconcentréeuniquementsur
cequit'estutile;pourlereste,économisetesénergies,apprends(avecl'arc)quepour atteindre une cible, il n'est pas nécessaire de faire un mouvementgigantesque,maisdefixertonobjectif.« Mon maître m'a donné un arc très rigide. J'ai demandé pourquoi il
commençait son enseignement comme si j'étais déjà un professionnel. Il arépondu:“Celuiquicommencepardeschosesfacilesn'estpaspréparépourlesgrands défis. Mieux vaut savoir tout de suite le genre de difficulté que turencontrerasenchemin.”«Pendanttrèslongtempsjetiraissansparveniràbienouvrirl'arc,etpuisun
jour,lemaîtrem'aenseignéunexercicederespiration,ettoutestdevenufacile.J'aidemandépourquoi ilavait tellement tardéàmecorriger. Ila répondu:“Sidèsledébutjet'avaisenseignélesexercicesrespiratoires,tuauraispenséqu'ilsétaientinutiles.Maintenanttucroirascequejetedis,ettupratiquerasensachantquec'estvraimentimportant.Celuiquisaitéduqueragitainsi.”«Lemoment de lâcher la flèche se présente demanière instinctive,mais il
faut d'abordbien connaître l'arc, la flèche et la cible.Le coupparfait dans lescompétitionsdelavierecourtaussiàl'intuition;cependant,onnepeutoublierlatechniquequelorsqu'onlamaîtrisecomplètement.»Auboutdequatreans,j'étaisdéjàcapabledemaîtriserl'arc,etlemaîtrem'a
félicité.J'étaiscontent,etj'aiditquej'étaisarrivéàlamoitiéduchemin.«Non,arépondu lemaître.Pournepas tomberdansdespiègesperfides, ilvautmieuxconsidérer que la moitié du chemin est le point que tu atteins après avoirparcouruquatre-vingt-dixpourcentdelaroute.»ATTENTION ! L'usage de l'arc et de la flèche est dangereux, dans
certains pays (comme la France) il est classé comme arme et ne peut êtrepratiqué qu'après réception d'une carte d'habilitation, et seulement dans deslieuxexpressémentautorisés.
LECATHOLIQUEETLEMUSULMAN
Au cours d'un déjeuner, je conversais avec un prêtre catholique et un jeunemusulman.Quand le garçonpassait avecunplateau, tous se servaient, sauf lemusulman,quirespectaitlejeûneannuelprescritparleCoran.Quandledéjeuners'acheva,lesconvivessortirentetl'und'euxnemanquapas
de lancer cette pique : «Vous voyez comme lesmusulmans sont fanatiques !Heureusementquevousautresn'avezrienencommunaveceux.»«Mais si, dit le prêtre. Ce garçon s'efforce de servir Dieu autant quemoi.
Simplementnoussuivonsdesloisdifférentes.»Etilconclut:«Ilestmalheureuxquelesgensnevoientquelesdifférences
quilesséparent.S'ilsregardaientavecplusd'amour,ilsdiscerneraientsurtoutcequ'ilyadecommunentreeux–et lamoitiédesproblèmesdumondeseraientrésolus.»
LALOIDEJANTE
«Quepensez-vousdelaprincesseMartha-Louise?»Le journaliste norvégien m'interviewait au bord du lac de Genève.
Généralement je refusede répondreàdesquestionsqui sortentducontextedemon travail,mais dans ce cas sa curiosité avait unmotif : sur la robe qu'elleportait pour ses trente ans, la princesse avait fait broder le nom de plusieurspersonnesquiavaientcomptédanssavie,etparmicesnomssetrouvaitlemien(mafemmetrouval'idéesibonnequ'elledécidadefairelamêmechosepoursoncinquantième anniversaire et plaça dans un coin de son vêtement le créditsuivant:«inspiréparlaprincessedeNorvège»).« Je trouve que c'est une personne sensible, délicate, intelligente, ai-je
répondu.J'aieul'occasiondelarencontreràOslo,quandellem'aprésentéàsonmari,écrivaincommemoi.»Jemesuisarrêtéunpeu,maisilmefallaitallerplusloin:«Etilyaunechosequevraimentjenecomprendspas:pourquoilapresse
norvégienne s'est-ellemise à attaquer le travailde sonmari après sonmariageaveclaprincesse?Auparavantlescritiquesluiétaientfavorables.»Ce n'était pas à proprement parler une question, mais une provocation, car
j'imaginaisdéjàlaréponse:lacritiqueachangéparcequelesgenséprouventdel'envie,leplusamerdessentimentshumains.Maislejournalisteaétéplussubtil:«Parcequ'ilatransgressélaloideJante.»Évidemment,jen'enavaisjamaisentenduparler,etilm'aexpliquécedontil
s'agissait.Poursuivantmonvoyage, jemesuis renducomptequedans tous lespaysscandinaves,ilétaitdifficilederencontrerquelqu'unquineconnûtpascette
loi.Bien qu'elle existe depuis le commencement de la civilisation, elle n'a étéénoncéeofficiellementqu'en1933parl'écrivainAkselSandemosedansleromanUnréfugiédépasseseslimites.Tristeconstatation,laloideJanteneselimitepasàlaScandinavie:c'estune
règle appliquée dans tous les pays du monde, même si les Brésiliens disent« cela n'arrive qu'ici », ou que les Français affirment « chez nous,malheureusement,c'estainsi».Commelelecteurdoitdéjàêtreagacéparcequ'ila luplusde lamoitiédu textesanssavoirexactementcequesignifie la loideJante,jevaistenterdelarésumerici,avecmespropresmots:«Tunevauxrien,personnenes'intéresseàcequetupenses,lamédiocritéet
l'anonymatsontlemeilleurchoix.Situagisainsi, tun'aurasjamaisdegrandsproblèmesdanslavie.»LaloideJanteconcerne,danssoncontexte,lesentimentdejalousieetd'envie
quidonneparfoisbeaucoupdemauxdetêteauxgenscommeAriBehn,lemaride la princesse Martha-Louise. C'est l'un de ses aspects négatifs, mais il y abeaucoupplusdangereux.C'estgrâceàellequelemondeaétémanipulédetouteslesmanièrespossibles
pardesgensquin'ontpaspeurdesobservationsdesautresetfinissentparfairetoutlemalqu'ilsdésirent.Nousvenonsd'assisteràuneguerreinutileenIrak,quicontinuedecoûternombredevies;nousvoyonsungrandabîmeentrelespaysriches et les pays pauvres, l'injustice sociale partout, une violence incontrôlée,desgensquisontobligésderenonceràleursrêvesparcequ'ilssontinjustementet lâchementattaqués.Avantdeprovoquer laSecondeGuerremondiale,Hitleravaitdonnédiverssignesdesesintentions,ets'ilapuallerplusloin,c'estqu'ilsavaitquepersonnen'oseraitledéfieràcausedelaloideJante.Lamédiocrité peut être confortable, jusqu'au jour où la tragédie frappe à la
porte,etalorslesgenssedemandent:«Maispourquoipersonnen'a-t-ilriendit,alorsquetoutlemondevoyaitquecelaallaitarriver?»C'estsimple:personnen'arienditparcequ'euxnonplusn'ontriendit.Pouréviterqueleschosesn'empirentencore,peut-êtreest-cedonclemoment
d'écrirel'anti-loideJante:«Tuvauxbienmieuxquetunelepenses.Tontravailettaprésencesurcette
Terresontimportants,mêmesitunelecroispas.Biensûr,enpensantainsi,turisquesd'avoirbeaucoupdeproblèmesparcequetutransgresseslaloideJante;mais ne te laisse pas intimider, continue à vivre sans crainte, et, à la fin, tugagneras.»
LAVIEILLEÀCOPACABANA
Elle était sur le large trottoir de l'avenueAtlântica, avec une guitare, et unécriteauoùétaitinscritàlamain:«Chantonsensemble.»Ellesemitàjouertouteseule.Puisarrivèrentunivrogneetuneautrevieille
femme,et ilssemirentàchanteravecelle.Bientôtunepetite foulechantaitetuneautrepetitefouleservaitdepublic,applaudissantàlafindechaquenuméro.«Pourquoifaites-vouscela?demandai-jeentredeuxchansons.—Pournepasresterseule,dit-elle.J'aiunevietrèssolitaire,commepresque
touslesgensâgés.»Dieuveuillequetoutlemonderésolvesesproblèmesdecettemanière!
RESTONSOUVERTSÀL'AMOUR
Il y a des moments où nous aimerions bien aider ceux que nous aimonsbeaucoup,maisoùnousnepouvonsrienfaire.Oubienlescirconstancesnenouspermettentpasd'approcher lapersonne,oubienelleest ferméeà toutgestedesolidaritéetdesoutien.Alors, seul nous reste l'amour. Dans lesmoments où tout se révèle inutile,
nous pouvons encore aimer, sans attendre des récompenses, des changements,desremerciements.Sinousparvenonsàagirdecettemanière, l'énergiede l'amourcommenceà
transformerl'universautourdenous.Quandcetteénergieapparaît,elleparvienttoujours à opérer. « Le temps ne transforme pas l'homme. Le pouvoir de lavolonté ne transforme pas l'homme. L'amour le transforme », dit HenryDrummond.J'ailudanslejournalqu'uneenfant,àBrasilia,avaitétébrutalementfrappée
par ses parents. Résultat, son corps ne pouvait plus semouvoir et elle restaitmuette.Internéeà l'hôpitaldeBase,elle futsoignéeparune infirmièrequi luidisait
tous les jours : « Je t'aime. » Bien que les médecins assurassent qu'elle nepouvaitpasentendreetque sesefforts étaient inutiles, l'infirmièrecontinuait àrépéter:«Jet'aime,n'oubliepas.»Au bout de trois semaines, l'enfant avait retrouvé ses mouvements. Quatre
semainesplustard,elleseremettaitàparleretàsourire.L'infirmièrenedonnajamaisd'interviews,et le journalnepubliapassonnom–maisc'est inscrit icipourquenousnel'oubliionsjamais:l'amourguérit.
L'amourtransforme,l'amourguérit.Maisparfoisl'amourfabriquedespiègesmortels, et finit par détruire la personne qui a décidé de s'y abandonnertotalement.Quelestcesentimentcomplexe,quiestaufondnotreseuleraisonderesterenvie,delutter,dechercherànousaméliorer?Je serais irresponsable si je tentais de le définir, car, comme tous les êtres
humains,jeneparviensqu'àleressentir.Onaécritdesmilliersdelivres,montédespièces de théâtre, produit des films, créédes poèmes, taillé des sculpturesdansleboisoudanslemarbre,etpourtant,toutcequel'artistepeuttransmettre,c'estl'idéed'unsentiment,paslesentimentensoi.Mais j'ai appris que ce sentiment était présent dans les petites choses et se
manifestaitdanslaplusinsignifiantedenosattitudes.Ilfautdonctoujoursavoirl'amouràl'esprit,quandnousagissonsouquandnousn'agissonspas.Prendrenotre téléphoneetdire lemotde tendressequenousavions remisà
plus tard. Ouvrir la porte et laisser entrer celui qui a besoin de notre aide.Accepter un emploi. Quitter un emploi. Prendre la décision que nous avionsdifférée.Demanderpardonpouruneerreurquenousavonscommiseetquinenouslaissepasenpaix.Exigerundroitquenousavons.Ouvriruncomptechezle fleuriste,quiestplus importantque lebijoutier.Mettre lamusiquebien fortquandlapersonneaiméeestloin,baisserlevolumequandelleestprèsdenous.Savoir dire « oui » et « non » parce que l'amour concerne toutes les énergieshumaines.Découvrirunsportquel'onpeutpratiqueràdeux.Nesuivreaucunerecette, même celles qui sont dans ce paragraphe – car l'amour a besoin decréativité.Etquandriendetoutcelan'estpossible,quandilnerestequelasolitude,alors
rappelons-nousunehistoirequ'unlecteurm'aenvoyéeunjour:Une rose rêvait jour et nuit de la compagnie des abeilles, mais aucune ne
venaitseposersursespétales.Lafleur,cependant,continuaitàrêver.Durantseslonguesnuits,elleimaginait
uncieloùvolaientdenombreusesabeilles,quivenaienttendrementl'embrasser.Ainsi,elleparvenaitàrésisterjusqu'aujoursuivant,oùelles'ouvraitdenouveauàlalumièredusoleil.Unsoir,connaissantlasolitudedelarose,lalunedemanda:«N'es-tupaslasséed'attendre?—Peut-être.Maisjedoiscontinueràlutter.—Pourquoi?—Parcequesijenem'ouvrepas,jemefane.»Dans lesmoments où la solitude semble écraser toute beauté, nous n'avons
d'autremoyenderésisterquederesterouverts.
CROIREÀL'IMPOSSIBLE
WilliamBlakeditdans l'undeses textes :«Toutcequiaujourd'huiestuneréalitéfaisaitauparavantpartied'unrêveimpossible.»C'estainsiqu'aujourd'huinousavonsl'avion,lesvolsspatiaux,l'ordinateursurlequelencemomentj'écrisceslignes,etc.Dans lecélèbrechef-d'œuvredeLewisCarrollÀ travers lemiroir, ilyaun
dialogueentrelepersonnageprincipaletlareine,quivientderaconterquelquechosed'extraordinaire.«Jenepeuxpaslecroire,ditAlice.—Tunepeuxpas?répètelareined'unairtriste.Essaiedenouveau:respire
profondément,fermelesyeux,etcrois.»Alicerit.« Ça ne sert à rien d'essayer. Seuls les idiots pensent que les choses
impossiblespeuventarriver.—Jepensequecequitemanque,c'estunpeudepratique,répliquelareine.
Quand j'avais ton âge, jem'entraînais aumoinsunedemi-heurepar jour, justeaprèslepetitdéjeuner,jefaisaismonpossiblepourimaginercinqousixchosesincroyables qui pourraient croiser mon chemin, et aujourd'hui je vois que laplupart des choses que j'ai imaginées sont devenues réalité. Je suis mêmedevenuereineàcausedecela.»Lavienouscommandeconstamment:«Crois!»Ilestnécessairepournotre
bonheur de croire qu'un miracle peut arriver à tout moment, mais aussi pournotre protection, ou pour justifier notre existence. Dans le monde actuel,beaucoupdegensjugentimpossibledemettrefinàlamisère,d'avoirunesociétéjuste,dediminuerlestensionsreligieusesquisemblentcroîtrechaquejour.
La plupart des gens évitent la lutte sous les prétextes les plus divers :conformisme,maturité,sensduridicule,sensationd'impuissance.Nousvoyonsl'injusticefaiteànotreprochainetnousnoustaisons.«Jenevaispasmemêleràdesbagarresinconsidérément»,voilàl'explication.C'estuneattitudelâche.Celuiquiparcourtuncheminspirituelporteaveclui
uncoded'honneurqu'ildoitrespecter;lavoixquis'élèvecontrecequin'estpascorrectesttoujoursentendueparDieu.Etpourtant,ilnousarriveparfoisd'entendrecetteréflexion:«Jepassemontempsàcroireàdesrêves,trèssouventjechercheàcombattre
l'injustice,maisjefinistoujoursparêtredéçu.»Un guerrier de la lumière sait que certaines batailles impossibles méritent
d'êtremenées,c'estpourquoiiln'apaspeurdesdéceptions–ilconnaîtlepouvoirde sonépéeet la forcede sonamour. Il rejetteavecvéhémenceceuxqui sontincapables de prendre des décisions et cherchent toujours à faire porter auxautreslaresponsabilitédetouslesmalheursdumonde.S'il ne lutte pas contre ce qui n'est pas correct – même si cela semble au-
dessusdesesforces–ilnetrouverajamaislebonchemin.Monéditeuriranienm'aenvoyéunjouruntextequidisait:«Aujourd'huiune fortepluiem'aprisaudépourvupendantque jemarchais
dans la rue... Grâce à Dieu, j'avais mon parapluie et mon manteau, mais ilsétaienttouslesdeuxdanslecoffredemavoiture,garéetrèsloin.Pendantquejecourais pour aller les chercher, je pensais que j'étais en train de recevoir unétrange signe de Dieu : nous avons toujours les ressources nécessaires pouraffronter les tempêtes que la vie nous prépare, mais la plupart du temps cesressourcessontrangéesaufonddenotrecœuretlescherchernousfaitperdreuntemps énorme ; quand nous les trouvons, nous avons déjà été vaincus parl'adversité.»Soyons donc toujours préparés ; sinon nous perdrons notre chance, ou bien
nousperdronslabataille.
LATEMPÊTESERAPPROCHE
Jesaisqu'unetempêtesepréparecarjepeuxregarderauloinetvoircequisepasseàl'horizon.Biensûr,lalumièreaideunpeu–c'estlafindelasoirée,cequirenforcelecontourdesnuages.Jevoisaussilalueurdeséclairs.Aucunbruit.Leventnesouffleniplusfort,niplusfaiblementqu'auparavant.
Mais je sais qu'une tempête se prépare, parce que j'ai l'habitude d'observerl'horizon.Jem'arrêtedansmapromenade–rienn'estplusexcitantoueffrayantquede
regarder une tempête qui s'approche. La première idée quime vient à l'esprit,c'estde chercherunabri–mais celapeut êtredangereux.L'abripeut êtreunesorte de piège – bientôt le vent semettra à souffler, et il est sans doute assezpuissantpourarracherdestoitures,briserdesbranches,détruiredesfilsàhautetension.Je me souviens d'un vieil ami qui, passant son enfance en Normandie, put
assister au débarquement des troupes alliées dans la France occupée par lesnazis.Jen'aipasoubliésesmots:« Je me suis réveillé, et l'horizon était rempli de navires de guerre. Sur la
plageprèsdemamaison, lessoldatsallemandscontemplaient lascènecommemoi.Maiscequimeterrorisaitplusquetout,c'étaitlesilence.Unsilencetotal,quiprécèdeuncombatmeurtrier.»C'estcemêmesilencequim'entoure.Etquipeuàpeuestremplacéparlebruit
– trèsdoux–de labrisedans les champsdemaïs autourdemoi.Lapressionatmosphériquechange.La tempêteestdeplusenplusproche,et au silence sesubstitueledouxbruissementdesfeuilles.
J'aiassistéàdenombreusestempêtesdansmavie.Laplupartdesoragesm'ontprisparsurprise,desortequej'aidûapprendre–ettrèsvite–àvoirplusloinetcomprendrequejenesuispascapabledecontrôlerletemps,àexercerl'artdelapatience et à respecter la fureur de la nature. Les choses ne se passent pastoujourscommejel'auraissouhaité,ilvautmieuxm'yhabituer.Ilyadesannées,j'aicomposéunechansonquidisait:«jen'aipluspeurdela
pluie/carlapluie,revenantverslaterre/apportedesélémentsdel'air».Mieuxvautdominerlapeur.Memontrerdignedecequej'aiécrit,etcomprendreque,aussiterriblequesoitlatornade,dansunmoment,elleserapassée.Lavitesseduventaaugmenté.Jesuisdansunchampouvert,ilyaàl'horizon
des arbres qui, théoriquement du moins, vont attirer la foudre. Ma peau estimperméable,mêmesimesvêtementssonttrempés.Parconséquent,mieuxvautjouirdecettevision,plutôtquedemeprécipiteràlarecherched'unabri.Unedemi-heurepasse.Mongrand-père,ingénieur,aimaitm'enseignerleslois
de la physique tandis que nous nous amusions : «Quand tu auras vu l'éclair,compte les secondes etmultiplie par 340, le son se propageant à la vitesse de340mètresparseconde.Ainsi,tusaurastoujoursàquelledistanceesttombéelafoudre.»Unpeucompliquépourunenfant,maisjemesuishabituéàprocéderdelasorte:encemoment,latempêtesetrouveàdeuxkilomètres.Ilyaencoreassezdeclartépourquejepuissevoirlecontourdesnuagesque
lespilotesd'avionappellentCB–cumulo-nimbus.Enformed'enclume,commesiunforgeronmartelaitlescieux,forgeantdesépéespourdesdieuxenragés,quiencemomentdoiventsetrouverau-dessusdelavilledeTarbes.Jevoislatempêtequiserapproche.Commetouteslestempêtes,elleapporte
ladestruction–maisenmêmetemps,ellearroselacampagne,etlasagesseducieldescendavecsapluie.Commetouteslestempêtes,elledoitpasser.Pluselleseraviolente,pluselleserarapide.GrâceàDieu,j'aiapprisàaffronterlestempêtes.
ETTERMINONSCELIVREPARDESPRIÈRES...
Dhammapada(attribuéauBouddha)
Plutôtquemilleparoles,Qu'iln'yenaitqu'une,maisqu'elleapportelaPaix.Plutôtquemillevers,Qu'iln'yenaitqu'un,maisqu'ilmontreleBeau.Plutôtquemillechansons,Qu'iln'yenaitqu'une,maisqu'ellerépandelaJoie.
MawlânâJalâlAl-DînRûmî,XIIIesiècle
Dehors, au-delà de ce qui est juste et de ce qui est faux, il y a un champimmense.Nousnousrencontreronslà.
LeprophèteMahomet,VIIesiècle
ÔAllah ! Je te consulte parce que tu sais tout, et connaismême ce qui estcaché.Sicequejefaisestbonpourmoietpourmareligion,pourmavieprésenteet
àvenir,alorsquelatâchesoitfacileetbénie.
Siceque je faismaintenantestmauvaispourmoietpourmareligion,pourmavieprésenteetàvenir,garde-moiloindecettetâche.
JésusdeNazareth,Matthieu7;7-8
Demandez,onvousdonnera.Cherchez,voustrouverez.Frappez,onvousouvrira.En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on
ouvrira.
PrièrejuivepourlaPaix
Allonsà lamontagneduSeigneur,oùnouspourronsmarcheravecLui.Quenosépées soient transforméesencharrues,etquenos lances serventà récolterlesfruits.Qu'aucune nation ne lève son épée contre une autre, et que jamais nous
n'apprenionsl'artdelaguerre.Personnenedoitcraindresonvoisin,parcequ'ainsiaditleSeigneur.
Lao-tseu,Chine,VIesiècleavantJ.-C.
Pourqu'ilyaitlapaixdanslemonde,ilfautquelesnationsviventenpaix.Pourqu'ilyaitlapaixentrelesnations,lesvillesnedoiventpassesoulever
l'unecontrel'autre.Pourqu'ilyaitlapaixdanslesvilles,lesvoisinsdoiventsecomprendre.Pourqu'ilyaitlapaixentrelesvoisins,ilfautquel'harmonierègneaufoyer.Pourqu'ilyaitlapaixchezsoi,ilfautlatrouverdanssonproprecœur.
Table
Préface
UnejournéeaumoulinL'hommequisuivaitsesrêvesLemalveutquelebiensoitfaitPrêtpourlecombat,maisavecdesdoutesLechemindutiràl'arcManuelpourgravirlesmontagnesDel'importancedudiplômeDansunbardeTokyoDel'importanceduregardGengiskhanetsonfauconEnregardantlejardindel'autreLaboîtedepandoreCommentletoutpeutsetrouverdansunmorceauLamusiquequivenaitdelachapelleLapiscinedudiableLemortquiportaitunpyjamaLabraisesolitaireManuelestunhommeimportantetnécessaireManuelestunhommelibreManuelvaauparadisUneconférenceàMelbournelepianisteaucentrecommercialEnrouteverslafoiredulivredeChicagoDesbâtonsetdesrèglesLepainquiesttombédumauvaiscôtéDeslivresetdesbibliothèquesPrague,1981
PourunefemmequiesttouteslesfemmesQuelqu'unarriveduMarocMesfunéraillesRestaurerlatoileAprèstout,cesontmesamisCommentavons-noussurvécu?Rendez-vousaveclamortLemomentdel'auroreUnjourquelconquedejanvier2005UnhommeallongésurlesolLecarreauquimanquaitRajmeraconteunehistoireL'autrecôtédelatourdeBabelAvantuneconférenceSurl'éléganceNháchicadeBaependiReconstruirelamaisonLaprièrequej'aioubliéeCopacabana,RiodeJaneiroVivresaproprelégendeL'importanceduchatdanslaméditationJenepeuxpasentrerStatutsdunouveaumillénaireDétruireetreconstruireLeguerrieretlafoiDansleportdemiamiAgirsuruneimpulsionDelagloiretransitoireDelacharitémenacéeLessorcièresetlepardonAusujetdurythmeetducheminVoyagezautrementUncontedeféesAuplusgrandécrivainbrésilienDelarencontrequin'apaseulieuLecouplequisouriait(Londres,1977)LasecondechanceL'australienetl'annoncedanslejournalLespleursdudésert
Rome:IsabellarevientduNépalDel'artdel'épéeDanslesmontagnesbleuesLegoûtduprofitLacérémonieduthéLenuageetladuneNormaetlesbonneschoses21juin2003,Jordanie,MerMorteDansleportdeSanDiego,CalifornieL'artduretraitEnpleineguerreLemilitairedanslaforêtDansunevilled'AllemagneRencontreàlagalerieDentsuRéflexionssurle11-septembre2001LessignesdedieuSolitairesurlecheminCequiestplaisantchezl'hommeLeretouraumondeaprèslamortQuiveutencorecebillet?LesdeuxjoyauxSementiràsoi-mêmeL'artd'essayerDespiègesdelaquêteMonbeau-père,ChristianoOiticicaMerci,présidentBushLedomestiqueintelligentLatroisièmepassionLecatholiqueetlemusulmanLaloidejanteLavieilleàCopacabanaRestonsouvertsàl'amourCroireàl'impossibleLatempêteserapprocheEtterminonscelivrepardesprières...
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