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Histoire du Système éducatif français de 1960 à 2000(Denis BARROERO)
1 - L’aube des années 1960 : l’apogée des Maîtres d’école
1 - 1 - L’enseignement : une affaire d’Etat depuis l’avènement de la République - L’effacement de l’Eglise catholique - Le triomphe des Hussards noirs de la République 1 – 2 – Les 2 Ecoles de Jules Ferry : un système d’ORDRES (distincts)- Le schéma républicain de 1880 : Structure du système éducatif - Les concepts pédagogiques : positivisme et pédagogie coercitive - Les strates de l’Ecole primaire : de l’Ancien Régime à la Troisième République1 – 3 – Le cas de l’enseignement technique à caractère professionnel
2 – 1960- 2000 : Le temps des bouleversements
2 - 1 - L’explosion scolaire- Les données essentielles- Les raisons du phénomène- La perte de la « notabilité » des enseignants2 - 2 – Les réformes : pour ou contre l’Education Nouvelle- La référence implicite : le plan Langevin-Wallon- La réforme des structures : un système à DEGRES - L’influence de l’Education Nouvelle : de Rousseau à la « Deuxième Gauche » : Une
pédagogie de l’épanouissement 2 – 3 – Le renouveau de l’enseignement privéLe recul général de la laïcité La nouvelle nature du privéChoisir son école ou fuir la promiscuité
3 - L’école d’aujourd’hui : réalités et phantasmes
3 - 1 - Explosion des savoirs enseignés et « Baisse de niveau »3 - 2 – La question de la démocratisation du système Les apparences de la démocratisation La réalité de Reproduction des élites3 - 3 - L’ambiguïté de l’enseignement prioritaire : retards scolaires et violencesLes ZEP : une politique de « gauche de gouvernement »Les ZEP : un bilan encore peu convaincant 3 - 4 – Le renouvellement du Corps enseignantDes besoins considérables pour l’avenirUn corps pas si unique et une formation atomisée 3 - 5 – La « marchandisation » de l’école : un bien comme un autre ?Le marché des fournitures scolaires Vers un « marché des savoirs » ?
Conclusion
ANNEXE 1 : Quelques repères historiques
ANNEXE 2 : Histoire des mouvements pédagogiques
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Histoire du Système éducatif français de 1960 à 2000
Contrairement à une idée largement répandue, ce n’est pas le terme de la Seconde Guerremondiale en 1945 qui constitue un tournant dans l’histoire économique et sociale du XX° siècle despays développés.
La véritable charnière du siècle, c’est les années 1960, les « sixties ». L’entrée dans lasociété de consommation des classes populaires, l’accélération finale de l’exode rural, le renoncementau rêve colonial au profit de la construction européenne, le choix parallèle de l’industrialisation et del’urbanisation qui distingue plus nettement les « 2 Frances » de part et d’autre d’une ligne Le Havre-Fos, la reconnaissance « à regret » du second rôle international du pays font alors de la France unpays sensiblement nouveau.
La mondialisation ou plutôt l’uniformisation des modes de production et d’échanges, lalibéralisation des mœurs, la vision nouvelle de la femme ne pouvaient pas être indifférentes à unsystème scolaire hérité du siècle précédent.
C’est pourquoi le cadre mis en place au début de la Troisième République (années 1880),devait-il subir les contrecoups de la révolution sociale qui s’opérait.
1 - L’aube des années 1960 : l’apogée des Maîtres d’école
1 - 1 - L’enseignement : une affaire d’Etat depuis l’avènement de la République
Depuis 1880, le schéma général du système d’éducation français n’avait guère été modifié.Dans cette quasi immobilité et en dépit de quelques velléités de réforme, trois ou quatre générationssuccessives avaient connu les mêmes réalités pédagogiques.
Cela se caractérisait d’abord et surtout dans le concept triomphant d’une Ecole de laRépublique par l’effacement de l’Eglise catholique au profit d’un quasi monopole étatique. L’imageriepopulaire « des Hussards noirs de la République », les Instituteurs publics, véritables militants enfaveur du savoir laïque, accompagnait une quasi « sacralisation » de l’Ecole publique.
En fait, ce système résultait avant tout d’une lutte qui avait opposé au XVIII ème et surtout auXIX ème siècles l’Eglise catholique de France aux Républicains laïques.
L’Eglise catholiqueTout au long du XIXème siècle, l’Eglise a tenté de retrouver son monopole d’enseignement
que la Révolution d’abord, le Premier Empire ensuite en instaurant le système de l’Université luiavaient ôté.
Pour cela, elle mena une triple action :1 - En affirmant sa présence dans l’enseignement public. Quand la loi Guizot de 1833 quiinstituait l’obligation aux communes de plus de 500 habitants d’ouvrir et entretenir une école publiqueélémentaire (non gratuite) et aux départements de créer une Ecole normale d’instituteurs, il fallut leplus souvent avoir recours aux religieux pour assurer cet enseignement. Les Frères de la Doctrinechrétienne dans le primaire, les Oratoriens dans le secondaire s’y montrèrent les plus présents.2 - En créant son propre réseau d’écoles libres, l ‘église sut utiliser à son profit l’esprit de la Chartede 1815 qui reconnaissait le principe révolutionnaire de « liberté » pour rouvrir se propres écoles. Celafut définitivement confirmé par la loi Falloux de 1850, qui reconnaissait « deux espèces d’écoles (lesécoles publiques de l’Etat, des départements ou des communes), et celles des particuliers et desassociations (les écoles privées). Principe toujours en valeur aujourd’hui.3 -En contrôlant strictement les instituteurs publics (suspectés de diffuser des idéesrévolutionnaires) . Ceux-ci étaient soumis au double contrôle du maire (nommé par le pouvoir) et ducuré et à l’obligation de l’instruction morale et religieuse.
C’est cette attitude de l’Eglise à vouloir rétablir sa vision du monde et une vérité révéléeconsidérant les hiérarchies sociales intangibles, qui explique souvent la violence de l’anticléricalismedu XIXème siècle
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Les républicains laïques Gagnée par l’esprit voltairien, la bourgeoisie s’est peu à peu détachée du cléricalisme. Outre la suspicion d’obscurantisme qu’elle attribuait à l’Eglise, deux phénomènes expliquent la
prise de distance des nouvelles élites du XIXème siècle.Gagnées peu à peu par l’Encyclopédisme de Diderot, elles réclament d’abord un
enseignement plus près des réalités, scientifique et technique, en complément des humanités gréco-latines auxquelles elles demeurent toutefois attachées.
Par ailleurs, sous l’influence du catholicisme libéral puis social, et notamment de Frédéric LePlay et de ses disciples, la bourgeoisie modifie sa représentation des classes populaires réputéesdangereuses pour l’ordre social. L’éducation et l’instruction du peuple, à condition d’être limitées,pourraient au contraire garantir cette paix sociale si difficile à établir. D’où les tentatives du MinistèreDuruy sous le Second Empire (1863-1867) pour développer l’instruction populaire.
Mais c’est l’effondrement du Régime impérial et la victoire des Républicains entre 1870 et1880 qui devaient accélérer le mouvement en instaurant une école publique républicaine.
1881 et 1882 : lois Ferry sur la gratuité puis sur l’obligation et la laïcité1885 : loi Goblet sur la laïcisation des personnels qui nécessite la généralisation des Ecoles
normales de garçons et de filles.Parallèlement, l’enseignement secondaire féminin est encouragé.Les déchirements provoqués par l’affaire Dreyfus dans les années 1890, devaient consacrer
l’effacement de l’Eglise. La loi de 1901 sur les Associations permettait d’abord d’interdire lesCongrégations les plus puissantes dans l’enseignement ; celle de 1905 ensuite consacrait laséparation des Eglises et de l’Etat.
Pour autant, il s’en faut de beaucoup, que cette école républicaine ait tout renié du passé.
1 – 2 – Les 2 Ecoles de Jules Ferry : un système d’ORDRES distincts
- Structure du système éducatif
L’école républicaine reprend d’abord et surtout la distinction entre 2 ordres complets d’enseignement - le primaire gratuit (et sans latin) - le secondaire payant et latiniste.
Bien évidemment, cela génère une distinction des publics. Les enfants des classes populaires, àl’exemple du petit Marcel Pagnol, ne pouvant regagner la voie secondaire que par le difficile concoursdes Bourses.
- Les concepts pédagogiques : positivisme et pédagogie coercitive
L’Ecole primaire s’est constituée par strates successives. Elle conserve de l’ANCIEN REGIMEl’enseignement (et quelquefois les méthodes) des fondamentaux, lire (méthode syllabique), écrire,compter (application aux besoins ruraux) ; du 2° EMPIRE les rudiments scientifiques appliqués à lavie pratique. En revanche, elle supprime l’éducation religieuse au profit d’une morale positiviste : idéalnational, affirmation des bienfaits de la science et du progrès ( hygiène, colonisation…), laïcitéopposée à l’obscurantisme religieux…Dans le même temps, les principes pédagogiques qui demeureront dominants jusqu’à l’aube desannées 1960, se réfèrent à un jacobinisme strict qui laisse peu de place à l’initiative originale. Lescorps d’inspection ont mission de vérifier la stricte mise en application des programmes et desméthodes pédagogiques préconisées dans les Instructions officielles. Le Code soleil constammentréactualisé constitue l’ouvrage de référence incontournable du « bon maître d’école ».
1 – 3 – L’enseignement technique à caractère professionnel
Tandis que les structures de l’enseignement secondaire désormais laïcisé sont complétéespar l’adjonction d’un enseignement moderne (sans latin), l’enseignement technique à caractèreprofessionnel qu’il faut distinguer de l’enseignement ménager à seule vocation féminine, bénéficie del’attention des nouvelles élites. C’est pourquoi se refusant à être ni vraiment Primaire, ni vraimentSecondaire, il tente de s’ériger en ordre distinct suivant sa propre logique dite du « verticalisme ».
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Cet enseignement avait connu , il est vrai, une situation de délabrement tout au long du XIXème
siècle. Cela résultait d’abord d’une crise de l’apprentissage, qui n’avait pas réussi à se reconstituerdepuis la loi Le Chapelier de 1791 portant interdiction de l’ancien système des Corporationsprofessionnelles au profit du libéralisme économique.
Cela résultait aussi de l’évolution du travail industriel lui-même porteur de déqualificationprofessionnelle.
Pourtant un réseau d’établissements techniques recoupant les différents niveaux de qualification étaiten place au début du XXème siècle. Il comprenait :1 - Un réseau supérieur relativement complet créé par l’Etat, les Chambres de Commerce(libéralisme commercial après 1860) ou encore les industriels pour répondre aux besoins croissantsen cadres techniques de l’Armée (génie, artillerie…) puis civils : Polytechnique, Mines, Ponts etChaussées, HEC, Ecoles d’ingénieurs…2 - Un réseau moyen mis en place au cours du XIX° siècle était destiné à fournir les cadresintermédiaires : Il comptait quelques rares Ecoles nationales d’Arts et Métiers (degré supérieur de l’enseignementprimaire), des EPSP (Ecoles primaires supérieures et Professionnelles) créées à partir de la loi de1880 sur les écoles manuelles d’apprentissage, des EPCI (Ecoles Pratiques de Commerce etd’Industrie) ouvertes depuis 1893 à l’initiative du Ministère du Commerce et de l’Industrie.Les Garçons : y apprenaient surtout le travail du bois et du fer ; les filles, la couture, le secrétariat et lavente.La carte géographique de ces écoles (peu nombreuses) recoupait celle de la France industrielle duXIX° siècle (au Nord Est de la Ligne Le Havre-Marseille). Ces établissements étaient rares dans lamoitié Sud-Ouest du pays demeuré plus rural.
En revanche , l’absence d’un réseau de base abandonnait ce niveau à l’action charitableCela relevait d’une vieille tradition. Les Frères de la Doctrine chrétienne s’y étaient souvent investismais au XIX° siècle l’urbanisation soudaine liée à l’industrialisation sauvage provoquait un affluxcroissant de pauvres dans les banlieues périphériques. D’où la soudaine accélération de l’actioncharitable à vocation professionnelle au travers des :
- orphelinats : on y apprenait les petits métiers artisanaux, - ouvroirs : travail des filles (trousseau) + Œuvres de relèvement des « filles tombées »(prostitution)- placements à la campagne : ouvriers agricoles dans le but avoué d’y faire souche- colonies pénitentiaires pour les jeunes « délinquants » : Vaucluse, Porquerolles (Fort deRepentance), Ile du Levant…
En fait, la formation de base des travailleurs était délaissée. La dérive ascensionnelle desEPCI et des EPSP fournissait d’avantage de cadres moyens que d’ouvriers et d’employés qualifiés.D’où l’indispensable appel à l’immigration, européenne d’abord (Italie, Pologne…), magrébhine puisafricaine ensuite.
Si après 1890, la laïcisation provoqua même un recul de la charité, la multiplication desCours du soir (de l’alphabétisation à la spécialisation : comptabilité, dessin, mécanique…) démontraitla nécessité d’un enseignement professionnel de base.
Ce fut l’objet de la loi Astier de 1919 qui en institua l’obligation en dépit d’une réelle hostilitéd’un patronat peu enclin à libérer les apprentis sur le temps de durée légale du travail (48 heureshebdomadaires)
Devant le constat d’une impossibilité de scolarisation de masse qui eut été trop coûteusepour l’Etat, la loi créa la première forme d’association « Entreprises ( formation pratique) + Ecole(théorie) = cours du soir » . Les cours étaient censés être obligatoires pour tous les apprentis entre 14et 17 ans après leur fin de scolarité obligatoire afin de les préparer au CAP (Certificat d’AptitudeProfessionnelle).
Très rapidement, les problèmes d’assiduité se manifestèrent, notamment dans les petitesagglomérations et en dépit d’un financement assuré par la collecte de la Taxe d’apprentissageinstituée dès 1925, les Cours professionnels furent constamment caractérisés par une extrême
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érosion des effectifs, soit que les patrons « oublient » de déclarer leurs apprentis, soit que ceux-cisoient découragés par des CAP trop sélectifs sans assurance d’un meilleur salaire.
Cet échec global de la première tentative d’association « Ecole –Entreprise » engendra unedéfiance réciproque de plusieurs décennies que ne parvint pas à effacer en 1949 la Création desCentres d’apprentissage, véritable scolarisation de l’apprentissage prise en charge par l’Etat dontsont issus directement nos actuels Lycées professionnels.
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2 – 1960- 2000 : Le temps des bouleversements
Dans les années 1960, la France comme la plupart des pays d’Europe occidentale accède àla société de consommation : le système politique de la Vème République, l’industrialisation,l’urbanisation croissante, le choix de la construction européenne au détriment du rêve colonial parexemple, font de la France de De Gaulle à l’ère des « Trente Glorieuses » un pays profondémentdifférent de celui de Jules Ferry .
C’est pourquoi son système scolaire devait être réformé.
L’explosion scolaire d’une part, l’influence pédagogique des courants de l’EducationNouvelle d’autre part devaient transformer radicalement le système antérieur.
2 - 1 - L’explosion scolaire : cf : Louis Cros, L’explosion scolaire, 1961
A - Les données essentielles
1950 1965 Rentrée 2000
Maternelle 390 000 1 M 2,4 M Scolarisation à 2 ans,tassement depuis 1990
Primaire 2 M 4 M 3, 9 M tassement depuis 1990,ralentissement démo
Secondaire 770 000 2,4 M 5,5 M
(dont 3, 2 en CLG)
Prolongements descolarité
Stable depuis 1997
Apprentissage(CFA) et autres
? ? 400 000
Supérieur 129 000 310 000 2, 1 M Croissance entréesdepuis1970 etprolongement d’études
Total 3,3 M 7, 7 M 14, 3 M 90, 5 % des 2 / 22 ans
B - Les raisons du phénomène
Des faits mécaniques directs- la hausse démographique due au « baby-boom » d’après guerre provoqua desaccroissements d’effectifs dès les années 1950 puis deux vagues de report progressivementatténuées 25 et 50 ans plus tard (enfants et petits enfants des « baby-boomers ») ; - l’extension de l’âge de l’obligation à 16 ans par l’Ordonnance du 6 01 1959 (applicable àpartir de 1967 pour accorder un délai suffisant de construction des établissements, notamment lesCES préfabriqués dits Pailleron) accrut les effectifs de deux classes d’âge soit environ + 1, 5 Mélèves, - la scolarisation de l’apprentissage dans les Centres d’apprentissage des années 1950,puis la création des bacs professionnels dans les années 1980 allongea la scolarité des élèves del’enseignement professionnel
Des phénomènes indirects - la généralisation de la mixité eut tendance manifestement à prolonger la scolarisation desfilles dans le secondaire et le supérieur,
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- la spirale de la « dérive ascensionnelle des diplômes » pousse l’élève puis l’étudiant àvouloir acquérir un BTS ou un DUT en lieu et place d’un CAP sous le fait de la demande conjointe desentreprise et des familles, - l’Ecole devient peu à peu un bien consommable comme un autre : on réclame donc ledroit à toujours plus d’école pour se conformer au modèle « jeune » : certains fréquentent donc pluslongtemps l’école (ou l’Université) sans chercher réellement une qualification supérieure.
C - Les Conséquences : des effets de masse
Cela se traduit par un coût sans cesse accru pour la Nation . Dès lors qu’il s’agit du 1° budgetde l’Etat, les politiques et les économistes s’intéressent désormais davantage à « l’économie del’Education » et au coût de la formation des jeunes. Le cap symbolique des 100 Milliards d’euros a étéatteint en 1999. Cela représente 7, 2 % de la richesse nationale, la France se situant seulement dansla moyenne des pays comparables.
La dépense moyenne par élève et par an en euros / aux prix est estimée comme suit :
1° degré 2° degré Supérieur Tous niveaux1975 2160 4400 6400 33002000 4040 7400 7990 5900
Dans le même temps, le corps enseignant s’est considérablement accru grâce notammentaux recrutements massifs d’auxiliaires. On atteint aujourd’hui le chiffre d’environ 756 000 enseignantsauxquels il convient d’adjoindre 300 000 autres personnels (administration, ATOSS…). Cetaccroissement s’est souvent accompagné d’une perte d’unité militante et d’un certain sentiment depaupérisation (fin de la notabilité).
2 - 2 – Les réformes : pour ou contre l’Education Nouvelle
Le plan Langevin-Wallon proposé par la Commission du même nom qui étudia un projet deréforme entre 1944 et 1947 (même s’il ne fut jamais appliqué directement du fait de l’instabilitépolitique de la IV ème République) en fut la référence implicite.
Ce plan envisageait à la fois une réforme des structures et de la pédagogie
Chronologie des Réformes : l’essentiel des modifications du système scolaire se produit enmoins de 2 décennies, entre 1959 et 1975. par la suite, les aménagements successifs ne devaientplus remettre en cause l’architecture générale du nouveau système.
La réforme des structures qui en résulta progressivement fut l’adoption d’un système àDEGRES en lieu et place de l’ancienne distinction d’ordres (primaire et secondaire). Désormais leSecondaire (à partir de la classe de sixième) s’élève au-dessus du Primaire qui constitue la base de lapyramide unique.
La mise en place d’une « Ecole Unique » en lieu et place des 2 ordres précédents provoquaun changement de nature de l’enseignement primaire, la définition du Collège comme Premier degréde l’enseignement secondaire (CES puis Collège Unique), l’intégration du Technique et la créationdu Supérieur court avec les STS (Sections de Techniciens Supérieurs) et IUT (InstitutsUniversitaires de Technologie)
La pensée des pédagogies de l’Education Nouvelle (lien avec : cf ANNEXE II) ) qui allaitchercher son inspiration dans « l’Emile » de J.J. Rousseau (1762) et qui influença considérablement la« Deuxième Gauche, celle d’inspiration chrétienne, marqua l’esprit des Réformes scolaires enproposant une pédagogie de l’épanouissement et de la diversité.
C’est ainsi qu’on prôna davantage la pédagogie de projet. A partir de 1985, ladécentralisation et l’autonomie des EPLE (Etablissements Publics Locaux d’Enseignement), lamultiplication des projets qu’il soient d’école, d’établissement, personnel d’orientation, Classes àPAC… accéléra un processus entamé à l’aube des années 1970 (10 %, PACTE, PAE…)
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Les théories de l’Education abandonnaient les Instructions officielles du modèle transmissif au profitdu Constructivisme et du Socio Constructivisme.
3 – 3 – Le renouveau de l’enseignement privé
C’est un paradoxe de constater que les réforme de l’enseignement public ont surtout servi les intérêtsdu privé. 3 éléments y ont concouru.
1 – Le recul progressif de la Laïcité
Une tendance générale au repli de la laïcité se dessinait depuis les années 1950. Les lois Marie et Barangé d’abord étendant les Bourses et les Allocations familiales aux
familles des enfants fréquentant les écoles privées, la Loi Debré de 1959 proposant des contratsd’association dans lequel l’Etat prenait en charge le traitement des enseignants et une partie des fraisde fonctionnement, avaient favorisé un renouveau de l’enseignement privé catholique traditionnelexsangue depuis 1905 et qui se confondait avec les familles pratiquantes, notamment dans quelquesreliquats régionaux de l’Ouest, de l’Est ou du Centre.
Brusquement dans les années 1980, deux révélateurs ont clairement manifesté ce recul- Le premier fut la manifestation gigantesque de Versailles en juillet 1984 pour
s’opposer au projet d’intégration de l’Ecole privée dans un système unique et public (projet Savaryconforme aux propositions du candidat Mitterrand élu en 1981 Président de la République qui futretiré),
- Le deuxième de nature très différente, « l’affaire des foulards islamiques en 1989 »,démontrait l’apparition d’une revendication : celle des minorités d’affirmer leurs appartenancesreligieuses (ou politiques) au sein de l’Ecole publique, véritable intrusion dans le vide idéologiquelaissé vacant.
2 – Les frayeurs provoquées par la réforme scolaire : exception « franco-française » en Europe
Proposée sinon imposée par des courants de pensée minoritaires (la « Deuxième Gauche »),elle ne recueillait l’assentiment :
- ni des professeurs du secondaire exprimée par la vive hostilité du SNES opposé à l’idéedu tutorat et, à un moindre degré, à l’hétérogénéité des classes,
- ni des Instituteurs peu préparés à la méthode globale de lecture, aux maths modernes, àl’histoire diachronique et aux matières dites d’éveil et encore moins au Tiers tempspédagogique
- ni des parents qui ne reconnaissaient plus l’école d’antan et ses fondamentaux : LIRE,ECRIRE, COMPTER
Il s’ensuivit des détournements rapides de l’esprit de la réforme surtout au Collège où l’oncontourna l’hétérogénéité par le jeu des options et les évictions déguisées dans les classes ditesd’insertion dont la modification continuelle des appellations, depuis les « classes de transition »jusqu’aux récents « ARES : Ateliers de Ressources Socio éducatives)en passant par les « CPA :Classes Préparatoires à l’Apprentissage » et autres « CPPN : Classes Pré-professionnelles deNiveau » ,dissimule mal les difficultés permanentes d’intégration qu‘elles révèlent.
3 – Le refuge du privé
Beaucoup plus disparate que par le passé avec toute une gamme d’établissements depuis lesexcellentes institutions traditionnelles des Jésuites jusqu’aux écoles « misérabilistes » pour les exclusdu Public animées notamment par les militants de la JOC issus du catholicisme social, véritablesécoles de la 2° Chance, en passant par les établissements non confessionnels, et surtout beaucoupmoins prosélyte par l’accueil d’enfants musulmans, l’enseignement privé fit figure à partir des années1970 de valeur refuge .
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Si certains parents affirmaient vouloir ainsi choisir leur école, son projet au nom des valeurstraditionnelles mieux véhiculées, pour beaucoup il ne s’agissait en fait que de fuir la promiscuité duPublic au prétexte d’un meilleur encadrement.
L’inévitable hiérarchisation des établissements qui en découlait constituait une brèche ouvertedans le principe de la Carte scolaire et de l’unicité du système d’enseignement.
Désormais, s’ouvrait une nouvelle phase de l’histoire de l’école marquée par la fin de son« intouchabilité »
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3 - L’école d’aujourd’hui : réalités et phantasmes
Profondément transformée par le train des Réformes et des adaptations, l’Ecole des 2dernières décennies a dû faire face à un certain nombre d’interrogations voire de remises en cause.
3 -1- La question du « niveau »
Indépendamment de l’explosion manifeste des savoirs enseignés et d’une « élévation duniveau de formation initiale », l’idée répandue dans le grand public est d’abord celle d’une impressiongénérale de « Baisse de niveau »
La polémique fut active à partir du début années 1980 , relayée par la presse populaire dedroite, (Madame Figaro) mais aussi par l’Académie française. Plusieurs ouvrages à sensation (Milner :De l’école, Le poisson rouge dans le Perrier, Maurice Maschino , Vos enfants ne m’intéressentplus….), ont affirmé la thèse de la baisse de niveau.
Pour contrer ce courant, dès 1988, les sociologues Baudelot et Establet, Le niveau monte,Le Seuil, avaient tenté de développer les arguments techniques de la Direction de l’Evaluation et de laProspective (DEP) du ministère de l’Education Nationale pour prouver le contraire.
Aujourd’hui encore, les publications annuelles du Ministère (L’état de l’Ecole) tendent àdémontrer que le niveau scolaire de la population s’est accru au cours des dernières décennies.
- Ainsi en 1998 on comptait 286 000 sortants diplômés de l’enseignement supérieur contre 128 000 en1978. A l’opposé, 96 000 sortaient sans diplôme de niveau V (BEP-CAP) contre 200 000 en 1978,- L’ élévation générale du niveau des conscrits (garçons) contrôlés aux épreuves des « 3 jours »jusqu’en 1999 fut constante,- L’allongement de la durée des études : environ 19 ans aujourd’hui de la maternelle au débutUniversité est un fait incontestable- 67 % d’une génération atteint le niveau du BAC et 62 % sont bacheliers- l’ajustement des programmes notamment langues vivantes et dans les disciplines sciences s’esttoujours fait à la hausse - la formation continue même si elle profite surtout aux niveaux supérieurs s’est considérablementétendue…
Pourtant, l’impression que « le niveau baisse » persiste.
Sans doute la difficulté pédagogiques des professeurs certifiés dans les Collèges àpartir des années 1980 à traiter les élèves des anciennes filières 2 et 3 dans les classes hétérogènesn’y est pas étrangère dans la mesure où ils furent les premiers à véhiculer cette impression de« baisse du niveau ».
Mais il faut reconnaître que les résultats des évaluation nationales à l’entrée en 6°demeurent alarmants.
En Lecture, 10 % des élèves ne déchiffrent pas ou mal, 35 % manifestent de réellesdifficultés : 45% sont de « mauvais lecteurs ».
Quant au Calcul : 65 % éprouvent des difficultés en multiplication et la division estgénéralement non acquise.
Il est vrai que sur ce terrain de comparaison des niveaux, rien ne peut être probant : que desélèves d’un village breton réussissent mieux une dictée en 1987 qu’en 1873, (1989 : INRP : LADICTEE, comparaison 1873-1987) ou que des élèves de 4° d’aujourd’hui obtiennent des scores moinsélevés (dictée : 2 fois plus de fautes, calcul : 2 fois moins de réponses justes ) sur un test de copiesdu Certificat d’études primaires de 1920 ne prouve rien.
Faut-il aller vers un distinguo subtil entre le niveau du jeune français moyen dont le niveau amanifestement augmenté du fait de la démocratisation de l’école et du prolongement de durée
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d’études et le niveau de l’élève moyen dont la qualité actuelle à niveau de scolarité égal est moinssûre, rien n’est évident .
En fait, c’est la qualité de l’enseignement primaire (et du Collège) qui se retrouve miseen cause.
Et puisque ni la massification déjà réelle à l’école primaire avant 1960, ni les effectifs parclasse qui ont baissé ne peuvent être retenus comme arguments, les difficultés, selon certains,pourraient provenir avant tout de la dilution du principe d’autorité des maîtres. D’où la remise en causedes contenus scolaires moins centrés sur les fondamentaux (au profit des matières dites d’éveil)et des méthodes d’enseignement plus libérales dont on dit qu’elles seraient fatales aux enfants desclasses populaires.
3 - 2 – La question de la démocratisation du système ( et de l’égalité des chances)
Depuis l’aube des années 1960, le système scolaire a multiplié les effets d’unedémocratisation accrue. La généralisation de la gratuité et les aides financières accordées auxfamilles notamment par l’intermédiaire des fonds sociaux, la considérable réduction des disparitésacadémiques depuis 20 ans visible au travers de l’évolution du taux d’accès au Bac et àl’enseignement supérieur ou encore la suppression des procédures sélectives d’orientation(concours d’accès…) sauf pour les filières professionnelles où le nombre de places demeure limité,sont autant d’indicateurs de la volonté de démocratiser l’accès aux études.
Cette véritable spirale de la démocratisation est particulièrement visible au Collège ou l’accèsen classe de 6° a connu successivement : - une démocratisation de la sélection par l’institution du concours d’entrée entre 1930 et
1960, - une démocratisation de l’accès par la suppression de ce concours d’entrée mais
l’existence de 3 filières entre1963 et 1975- une démocratisation de la réussite par la suppression des filières et la volonté de
conduire « 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » (Chevènement 1984)
D’où l’augmentation considérable du nombre d’élèves accédant en fin de 3° (presquel’ensemble d’une génération), croissance qui a profité surtout aux enfants d’ouvriers dont l’accès à ceniveau d’études a été triplé en 30 ans.
A cela s’ajoute, - l’atténuation progressive de la différences garçons – filles : celles-ci traditionnellement
majoritaires dans les filières moins recherchées (tertiaires et littéraires) prennent placedans les voies scientifiques
- une politique délibérée de participation accrue par la multiplication des instancesreprésentatives pour les élèves et les apprentis (Conseil de classe, des délégués,d’administration, Conseil Régional des Jeunes…)
Néanmoins une certaine réalité de « Reproduction » des élites subsiste. Même si elle n’estplus exactement de même nature que celle dénoncée dans les ouvrages des sociologues Bourdieu etPasseron, au cours des années 1960 (Les Héritiers, La reproduction) de fortes inégalités socialesdemeurent quant à l’accès aux études.
C’est ainsi que les CPGE (Classes préparatoires aux Grandes Etudes) reflètent une sur-représentation fils de cadres tandis que les STS sont majoritairement fournies par des enfants demilieux plus modestes (ouvriers, employés). A la rentrée 2000, 5 à 6% seulement des enfantsd’ouvriers sont entrés à l’Université : exactement comme en 1970 !!! Et l’enseignement professionnel,en dépit des innombrables velléités de « revalorisation » demeure le parent pauvre du système, lelieu de toutes les relégations.
La diversification des baccalauréats conçue pour faciliter l’accès à ce niveau d’études, s’estsouvent accompagnée d’une « filiarisation » sociale repérable dans la composition des classes deBacs professionnels, Bacs technologiques, Bac général.
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Par ailleurs et indépendamment de la « fuite vers le privé », la reconstitution de lieuxd’excellence s’est opérée par le choix de l’établissement, de la classe, de la filière, voire de l’option
Quant aux résultats des évaluations nationales effectuées en CE2 et 6°, (globalementmeilleurs pour les enfants de cadres et à l’âge « dit normal »), ils démontrent que l’école primaire loinde pouvoir corriger les premières inégalités, ne fait que les accentuer.
Enfin, les processus d’Orientation au Collège ont encore tendance à appuyer les désordresd’origine sociale (M. Duru-Belat : études années 1980-1990, Académie de Dijon), les démarches desConseils de classe ne corrigeant pas suffisamment les défauts d’ambition scolaire des familles lesplus modestes.
Si la reproduction sociale par l’école n’est plus aussi systématique qu’avant 1960, force est deconstater que la volonté de démocratisation n’a pas encore atteint le niveau espéré.
3 - 3 - L’ambiguïté de l’enseignement prioritaire : retards scolaires et violences
Les ZEP (Zones d’Education Prioritaire) : une politique de la gauche « de gouvernement »socialiste et communiste.
Trois étapes successives ont échelonné la mise en place des ZEP. Elles correspondentchaque fois au passage de la gauche politique au pouvoir. La droite ayant plutôt tendance à leslaisser en sommeil.
1982 : création des ZEP par le ministère Savary : pour la première fois était avancée l’idéeque l’école doit s’adapter à ses publics
1988 : le ministère Jospin effectue une première relance complétée immédiatement par laPolitique de la Ville et la Loi d’orientation
1998 : une deuxième relance est voulue par le ministère Allègre qui procède à une extensionpar révision de la carte et prise en compte des seuls critères socio-économiques. Par ailleurs, unerelance dynamique s’opère par la création des REP (Réseaux d’enseignement prioritaire) dotés dequelques moyens supplémentaires dont un budget de Projet de REP, pour associer dans une mêmedémarche pédagogique Ecoles, Collèges et Lycées d’un même secteur.
Le postulat pédagogique d’origine demeure inchangé : il s’agit d’opérer une « discriminationpositive des moyens » en « donnant plus à ceux qui ont moins » afin de corriger les inégalités. Miseen place d’animateurs et de responsables, de REP, réduction des effectifs dans les classes : (enmoyenne 2 élèves de moins), incitations par primes et bonifications pour fidéliser les enseignants,renforts en personnels d’Education et ATOSS, tels sont les principaux éléments de cette politiquerelativement coûteuse. D’autant qu’aujourd’hui, 18% des élèves du primaire, 21 % des Collégiens,(proportion moindre chez les Lycéens) fréquentent un établissement classé en ZEP.
Priorité doit être donnée à la réussite scolaire : les REP se concentrent surl’INSTRUCTION et doivent éviter la « dérive animation » et « l’effet CLSH (Centre de Loisir SansHébergement) » qu’on avait connu auparavant : la maîtrise des langages : oraux, écrits, images… estla priorité. Le partenariat avec les services sociaux (objectif d’insertion sociale), culturels, juridiques,politique de la Ville, Santé est encouragé.
Les REP : un bilan peu convaincant
Les REP manquent encore de lisibilité : les terminologies, « REP, ZEP, établissementssensibles, difficiles » sont peu distinguables hors milieux initiés et génèrent des confusions. De fait, onassimile trop fréquemment l’enseignement prioritaire aux phénomènes de violences ou d’incivilitésquand ce n’est pas pure assimilation « ZEP : Enfants d’immigrés ».
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Ajoutons que les médias qui focalisent trop souvent sur des faits de délinquance au détrimentdes véritables réussites ne font qu’ajouter à la confusion ambiante.
Carences de pilotage pédagogique
En dépit de l’engagement éducatif d’un très grand nombre d’acteurs de terrain, souventmilitants pédagogiques de mouvements associés à l’école, les REP souffrent d’une absence de suivipédagogique (et sans doute de reconnaissance) de la part de l’Institution scolaire.
Trop de jeunes professeurs – et pas forcément des titulaires - y sont encore nommés pour untemps souvent trop limité. Le refus d’un corps de « profs de banlieue », s’il est tout à fait justifié, nesaurait à lui seul faire oublier la spécificité de l’action pédagogique lorsque l’on est confronté à des casextrêmes de difficultés.
La carence de « doctrine pédagogie spécifique », elle aussi justifiée par l’évolution du systèmedepuis les années 1970 et 19980, laisse trop souvent libre cours à des expérimentationspédagogiques parcellisées, manifestement d’inégales valeurs, dont certaines au moins mériteraientd’être mieux connues.
En dépit des moyens investis, les REP n’ont pas réussi à véritablement entamer lereliquat d’un noyau dur d’échec scolaire.
4 à 5 % d’illettrisme y persiste encore tandis que 10 % environ de la population scolaire -proportion bien trop élevée au regard des objectifs affichés - connaissent toujours des sorties sansqualification. Ce qui est le plus inquiétant, c’est qu’il s’agit souvent d’élèves repérés très tôt, issusmajoritairement de milieux très défavorisés et scolarisés en REP et qui n’ont donc pas bénéficié d’unequelconque correction scolaire. Le suivi longitudinal de l’élève au cours de sa scolarité obligatoirereste à mettre en place.
C’est pourquoi on peut estimer que la politique de « discrimination positive des moyens » n’apas suffi jusqu’à présent à corriger suffisamment les difficultés scolaires les plus profondes.
1 - 4 – La formation des maîtres
Face au train continu des Réformes nécessité par l’adaptation aux publics à scolariser,l’Institution scolaire a rencontré des difficultés importantes pour moderniser son système de formationdes maîtres. A partir de 1989, ce dossier longtemps abandonné au vieux système des EcolesNormales d’Instituteurs et d’Institutrices pour le Primaire et aux CPR (Centres PédagogiquesRégionaux) pour le Secondaire, a été profondément remanié dans le cadre unique des IUFM (InstitutsUniversitaires de Formation des Maîtres)
1 - Sans doute faut-il rappeler quelques données de base pour prendre la mesure de ladifficulté de la tâche.
D’abord cette formation des maîtres intéresse des effectifs considérables. A la Rentrée2000, le système éducatif français recensait 954 000 enseignants + 600 000 autres personnels.L’enseignement public à lui seul comptait 750 000 enseignants :
300 000 dans le primaire375 000 dans le second degré public80 000 dans le supérieurCes effectifs se caractérisent aujourd’hui par une forte féminisation (2/3 du corps) qui décline
d’ailleurs avec degré d’enseignement, phénomène probablement encore lié aux à la lourdeur descharges familiales des femmes.
En dépit de quelques adaptations aux départs (CPA : Cessation Progressive d’Activité, CFA :Congé de Fin d’Activité), la durée de vie professionnelle demeure relativement longue (30 à 40
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ans) et uniforme. Bénéficiant de trop peu de perspectives de promotion interne (inspection, direction),la plupart des enseignants terminent leur carrière dans leur emploi du début et donc sans véritablebesoin de formation d’adaptation.
Par ailleurs, le choix institutionnel d’une formation interne, sans doute pour des raisons demoindre coût, entérine le système de formation par ses pairs au détriment d’éventuels apportsextérieurs. D’où une inévitable tendance à la reproduction des méthodes censées avoir fait leurspreuves.
A cela s’ajoutent les carences du passé récent qui font que beaucoup de maîtres enexercice n’ont bénéficié que d’une formation rudimentaire.
Recrutements massifs d’auxiliaires de niveau universitaire moyen et sans formationpédagogique dans les années 60, 70 , 80 pour faire face à l’explosion scolaire, persistance de deuxsystèmes étanches de formation initiale des maîtres (ENI et CPR) jusqu’en 1989, dispense deformation pédagogique pour les agrégés jusqu’en 1989, négligences en matière de formation continuedes maîtres jusqu’en 1984… ont contribué à négliger durablement les questions de formationpédagogique des maîtres.
« Savoir suffisait à transmettre le savoir », postulat d’autant plus clairement affirmé que leniveau d’études s’élevait.
2 - Les interrogations actuelles
Comment recruter et former suffisamment de maîtres de qualité au regard des besoins ? Indépendamment des problèmes quantitatifs posés par le renouvellement d’un corps
atteignant aujourd’hui l’âge de la retraite dans des proportions considérables, la question des critèresde recrutement, encore trop peu affinés au regard de la circulaire de 1997, mérite d’être examinéedes près.
Si l’on veut réussir la Triple mission qui consiste à Instruire, contribuer à l’Education,contribuer à l’Insertion sociale et professionnelle, sur quels profils faut-il recruter lesenseignants ? Les critères de connaissances universitaires sont-ils suffisants ? Dans une société etun monde professionnel de plus en plus libéral, quelles évolutions de carrière leur proposer ?Enseigner de la 6° aux CPGE, est-ce toujours la même chose ?
Sur ces questions, le Ministère et les groupes de pression traditionnels (scientifiques,disciplines universitaires, Syndicats d’enseignants, Fédération de parents d’élèves ) hésitent : quelsenseignants pour demain ? La réponse n’est pas facile et les différents rapports et missionsd’enquête diligentés par les Ministères successifs depuis une vingtaine d’années n’ont pas fourni à cejour de réponse unique à cette question.
Dans ces conditions, les critiques des IUFM (créés en 1989, généralisés en 1991)paraissent un peu précipitées sinon franchement injustes. Ne confond-on pas l’Opérateur (d’ailleursINTERNE) et le maître d’œuvre (le Ministère de l’Education Nationale).
Il est vrai que la juxtaposition de 2 années d’études sans réelle cohérence puisque la premièreconsiste à la préparation d’un Concours jugé souvent trop académique et universitaire suivie d’uneréalité de quelques mois de Formation professionnelle proprement dite, ne sont pas toujourssatisfaisantes au regard des premières affectations dans des établissements plutôt difficiles.
Il est vrai aussi que la formation continue demeure trop souvent laissée à l’appréciation desindividus et relève plus souvent d’une nécessaire mise à jour disciplinaires que d’une connaissancescientifique des pratiques éducatives. En ce sens, l’Education nationale ne semble pas s’être dotéed’une véritable politique d’entreprise
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Cela laisse persister une interrogation légitime quant à la capacité du corps enseignant àgérer les évolutions à venir : dans ce domaine au moins, on est bien loin du positivisme inébranlabledes « Hussards noirs de la République ».
3- 5 – L’école face à la libéralisation
Depuis deux décennies au moins et indépendamment de sa volonté, l’Ecole se trouveconfrontée à des phénomènes de libéralisation accrus que les passages successifs de la gauche auaffaires et l’effondrement des régimes communistes après 1989 n’ont fait qu’accentuer.
1 – C’est d’abord la conséquence d’une libéralisation accrue de l’économie
L’accentuation de la Mondialisation économique, notamment depuis la chute des économiesdites socialistes, semble livrer l’école au domaine de la « marchandisation » : pour certains, elles neserait plus qu’un bien comme un autre, soumis à la loi des marchés, de la concurrence et du moindrecoût. On consommerait donc de l’école comme des autres services, tout résident sur le territoirenational se voyant délivrer de facto un droit quasi illimité à l’accès à la scolarisation de ses enfants.
Le marché induit des fournitures scolaires répond déjà à nombre de ces critères. Manuels,
annales, matériels en tous genres, cartables, mais aussi vêtements, chaussures, moyens de transportindividuels motorisés sont déjà bien au delà du strict nécessaire à la poursuite des études. Soumisaux phénomènes de mode et de marque, ils sont le signe d’appartenance à un mode de vie des« jeunes » dont les supermarchés savent tirer le meilleur profit dès le mois d’août pour « bouster » lesventes d’une saison souvent creuse.
En cela, les primes de rentrée, constamment réévaluées ces dernières années, se situent trèssouvent bien au-delà de l’achat stricto sensu de fournitures scolaires.
Mais au delà, c’est déjà le marché des savoirs proprement dit qui peut aiguiser lesappétits mercantiles. La concurrence accrue des médias et de l’Internet, l’accès facilité aux différentessources du savoir (pour certains milieux au moins) ont confirmé la perte du prétendu monopole dessavoirs qu’aurait détenu l’Ecole en un temps idyllique.
Cette acquisition croissante des savoirs HORS de l’école renforce bien évidemment le rôlediscriminant du milieu familial tenté d’aller quérir ailleurs, les savoirs prétendus nécessaires à laréussite de leurs enfants.
C’est pourquoi l’école, et d’abord l’Ecole publique, doit apporter de plus en plus la preuved’une efficacité qui n’est plus « naturellement indiscutable ».
2 – Mais c’est surtout de la libéralisation de la société dont l’Ecole a subi lescontrecoups
Et ce n’est pas seulement les recrutements massifs de maîtres « post-soixanthuitards »soupçonnés d’avoir introduit dans l’univers scolaire une permissivité accrue qui est en cause.
La multiplication des actes d’incivilités et de violences (que trop souvent on confond) ou plutôtleur forte médiatisation conjointement à l’incapacité pédagogique à bien gérer l’hétérogénéité despublics que l’enseignement secondaire n’a découvert qu’au cours des deux dernières décennies,conduisent aujourd’hui l’Ecole (comme la société civile) à une politique réactive. Celle-ci secaractérise par un besoin plus marqué de préciser les règles et de faire appliquer des codes deSanctions - Punitions au point qu’un
BO Spécial a dû être consacré à ces questions, ne serait-ce que pour mettre les règlementsscolaires en conformité avec les principes essentiels du droit français.
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Mais au delà, l’école peut-elle demeurer un « sanctuaire » quasi monastique à l’abri desturbulences extérieures comme le ministère Bayrou avait, semble-t-il, tenté de le faire à l’aube desannées 1990 ?
Si non, quelles réponses éducatives, faudra-t-il apporter pour que l’école conserve à côté dela nécessaire tâche de diffusion des savoirs, celle d’éducation et d’intégration dans une sociétédémocratique que par nature elle partage depuis toujours avec les familles ?
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Conclusion
Ainsi, les difficultés rencontrées par l’école au cours des dernières décennies semblent releveressentiellement d’une crise d’adaptation à son environnement social.
Après près d’un siècle de stabilité qu’on assimile volontiers aujourd’hui à de l’immobilisme(1880-1960), le système éducatif français vient de connaître 40 années de profondes mutationsrendues nécessaires par les transformations de la Société telles qu’elles apparaissent dans le travail,la famille, les institutions comme l’Armée ou l’ Eglise…etc )
A bien des égards et dans cette perspective historique, l’Ecole est donc à réinventer.
- Cela ne peut manifestement être un retour au passé : l’école de Jules Ferry, l‘élitismerépublicain et l’académisme d’antan qui y étaient associés ont produit un systèmedésormais inadapté à la société urbaine d’aujourd’hui. De plus, les enseignants nejouissent plus d’une autorité nécessaire pour reproduire un modèle manifestementdépassé.
- Cela ne saurait devenir non plus cette dérive libérale absolue de ladéréglementation qui tendrait dangereusement à faire de l’école une sorte desupermarché des savoirs car il y a fort à parier que cela ne permette pas de faire accéderl’enfant à un niveau de connaissances supérieur à celui qui était le sien à son entrée àl’école.
Face à la complexité accrue des problématiques, les nouvelles formes scolaires qu’il fautdésormais mettre en chantier nécessitent manifestement et plus que par le passé un travail conjointdes Politiques (les Pouvoirs Publics nationaux, régionaux et locaux) qui sont en charge de l’intérêtgénéral, des Techniciens de l’Ecole (les pédagogues et les administratifs) mais également desutilisateurs (Elèves, familles, partenaires professionnels…)
Références bibliographiques
Prost Antoine, Histoire de l’enseignement en France, Paris, A. Colin, 1968, (rééd, 1977).
Prost Antoine, Une histoire des enseignements en France (1945-1992) Paris, Seuil, 1992.
« Les Batailles de l’école. De Jules Ferry à François Bayrou », L’Histoire, n° 202, p. 28-51, sept.1996.
Louis Cros, L’explosion scolaire, 1961
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ANNEXE 1
QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES
Jusqu'en 1802 L'enseignement est assuré par les congrégations religieuses
1802 Création par Napoléon d'un enseignement secondaire d'état
1833 Création par Guizot d'un enseignement primaire d'état
1882 Création par Jules Ferry d'un enseignement primaire obligatoire,gratuit, laïc. Ferry enlève à l'enseignement privé le droit de délivrer les diplômes
1904 Combes interdit d'enseigner aux congrégations
1905 Séparation de l'Eglise et de l'Etat
1919 La loi Astier crée les cours professionnels, qui deviendront les C.E.T, puis les Lycées d'Enseignement Professionnel (L.E.P.) préparant leC.A.P. et le B.E.P.
1941 Autorisation de financement public pour l'enseignement privéCréation des collèges modernes (ex-Ecoles Primaires Supérieures)ettechniques
1945 Mixité des écoles primairesPlan Langevin-Wallon, expérience des "classes nouvelles"
1959 Enseignement obligatoire jusqu'à 16 ans (réalisé en 1967)
1963 Foucher crée les C.E.S. avec 3 filières T1, T2, T3 (classique-moderne long/moderne court/transitions). Auparavant : classes de find'études / C.E.G./ 6° lycée (jusqu'en 1962)
1975 La loi Haby crée le Collège unique pour l'ensemble de la populationavec de nouveaux programmes et des heures de soutien pour desclasses hétérogènes. Il existe un palier à chaque niveau, et lafin de 5° ouvre sur la 4° générale, le CAP, ou la CPPN.
début des années 80 Savary crée au collège deux cycles, et les 4° et 3° technologiques. Le palier d'orientation de fin de 5° ouvre donc sur la 4° générale, oula 4° technologique, ou le CAP; les CPPN seront progressivementsupprimées
1983 Savary crée les MAFPEN (organisme de formation continue desenseignants) et lance la Rénovation des collèges pour impulser unemobilisation des personnels sur des projets adaptés à la situation dechaque collège
1984 Savary échoue dans son projet d'unification des systèmes public etprivé d'enseignement. Il est remplacé par Chevènement.
1985 Chevènement crée les L.E.G.T. et les L.P, ainsi que les bacsprofessionnels.La fermeture de nombreux CAP entraînera la disparition progressivedu palier d'orientation de fin de 5°
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1989 La loi d'Orientation redéfinit les missions et les grandes lignes del'organisation du système éducatif (Jospin) : cycles, projetd'établissement et d'école, IUFM
1990 Organisation en cycles de l'école primaire
1991 Ouverture des IUFM et recrutement des Professeurs d'Ecole auniveau de la licence
1992 Rénovation des lycées : refonte des filières et créations des modules
1996 Bayrou met en place une nouvelle organisation du collège (troiscycles, études dirigées, souplesse des horaires) et de nouveauxprogrammes
20
ANNEXE 2
HISTORIQUE DES MOUVEMENTS PEDAGOGIQUES
(Extrait de : VALENTIN, Christiane. Formation continue et professionnalité des enseignants. Thèse de doctoratde sciences de l’éducation, Université Lumière-Lyon II, 1997).
Bien que ces mouvements aient chacun une histoire singulière, ils ont cependant une caractéristique
commune : ils remettent en cause l'enseignement traditionnel et recherchent des méthodes
d'enseignement plus actives. De plus, ils situent, de manière plus ou moins explicite, leur réflexion sur
l'école comme corollaire de leur projet de société. Certains existent depuis des dizaines d'années et la
plupart ont joué un rôle indéniable dans la formation des enseignants, d'une part parce qu'ils ont été
les premiers à organiser des stages, mais surtout parce qu'ils font partie des lieux où était menée une
réflexion approfondie sur l'enseignement et la formation.
Les formations que ces mouvements proposent depuis longtemps déjà, ne se donnent donc pas pour
objectif de compléter des connaissances disciplinaires, mais cela ne signifie pas forcément que les
savoirs disciplinaires en aient été exclus. En effet, si, dans les descriptions qui ont pu en être faites, on
retrouve l'idée que l'apport essentiel est "la remise en cause du statut d'enseigné", on peut lire aussi,
dans le compte-rendu d'un participant : "Bien sûr, nous avons reçu une certain nombre de
connaissances et bénéficié aussi d'un important apport matériel. Tous ces apports n'engendraient pas
la passivité, mais la réflexion, la critique et les questions. Apport de connaissances et passivité ne
sont donc pas assimilables." (Cahiers pédagogiques1, n°189). Malgré la richesse des apports des
mouvements, qui avaient déjà une longue expérience de la formation des enseignants, leur
participation effective, lors de la mise en place des M.A.F.P.E.N. par exemple, n'a peut-être pas eu
l'importance qu'on aurait pu attendre, alors qu'elle était souhaitée par le ministre.
Cependant, même s'ils n'ont pas beaucoup participé à la formation en tant que mouvement, ils ont
néanmoins joué un rôle important, par leur existence même et l'ancienneté de leur réflexion dans le
domaine pédagogique. En effet, comme le souligne Jean-Pierre Picard, "le mouvement pédagogique
a sa raison d'être essentielle comme ouverture, comme un lieu sans cesse en recherche, en
questionnement, avec de nouvelles interrogations." (A.P.R.I.E.F., 1994, p.19). C'est cette spécificité
des mouvements qui en a fait une source d'inspiration importante, pour les réformes du début des
années 80, et jusqu'à la loi d'orientation de 1989. Par exemple, dans l'introduction de son rapport sur
les collèges, Louis Legrand, (1982, p.9), énumérant ses sources d'inspiration, écrit que, "en premier
lieu, ce sont les grandes orientations des mouvements d'éducation active, c'est-à-dire l'accent mis sur
le développement harmonieux de l'individu, le respect de sa personne, la recherche de son équilibre
physique, affectif et intellectuel, le développement de sa socialisation." Et il précise : "Ces tendances
fondamentales expliquent le souci de faire prévaloir l'apprentissage sur l'enseignement, la promotion
sur la sélection, l'autonomie sur le conditionnement, la coopération sur la compétition." Si les
mouvements pédagogiques jouent un rôle dans la mise en place de la formation des enseignants du
secondaire, c'est sans doute surtout par l'idéologie qu'ils cherchent à promouvoir depuis de longues
1 Dans ce numéro, on trouve plusieurs compte-rendus de stages, par des participants.
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années, idéologie qui se trouvait en contradiction avec la conception alors dominante de la formation
des enseignants.
Rappelons d'autre part que les réformes du début des années 80 ne se sont pas faites sous la
pression sociale, mais sont le résultat d'une politique volontariste de la gauche nouvellement arrivée
au pouvoir et désireuse de mettre rapidement ses idées en pratique. Parmi les hommes politiques qui
ont mis ces réformes en chantier, beaucoup avaient été militants de mouvements d'éducation
populaire, et l'étaient souvent encore. En ce sens, la politique de l'éducation de cette époque est bien
l'héritière de la tradition de l'éducation populaire, dans laquelle, écrit Geneviève Poujol, "il nous faut
renoncer à voir la moindre trace d'un mouvement populaire qui aurait été porteur d'une quelconque
revendication en matière d'éducation populaire, au sens où l'ont comprise les nouvelles couches de la
bourgeoisie qui l'ont mise en oeuvre." (Poujol, 1981, p.8). A ce propos, il faut préciser que, si
l'expression "Education populaire" est aujourd'hui souvent confondue avec "secteur socio-éducatif
extra-scolaire", nous l'emploierons plutôt dans son sens littéral de "Education du peuple", c'est-à-dire
"éducation pour tous", ce qui y inclut le secteur scolaire.
C'est pour toutes ces raisons qu'il nous semble important de connaître l'origine et la spécificité de
chacun de ces mouvements. Tous n'ont pas participé directement à la formation des enseignants,
mais leur influence sur l'évolution des idées sur l'enseignement est suffisamment importante, pour que
nous nous arrêtions sur l'histoire de chacun d'eux, afin de mieux comprendre leurs spécificités
respectives. Commençons par le plus ancien de ces mouvements.
La Ligue Française de l'Enseignement2
Elle a été fondée en 1866, par l'instituteur et journaliste Jean Macé. Celui-ci, bien que fervent
catholique, est adepte de Fourrier et milite pour l'instruction des classes populaires. Dans la période
"sociale" du second empire, Napoléon III cherche à se concilier la petite bourgeoisie. Deux ans
auparavant, il a légalisé le "droit de coalition", et la Ligue représente la première tentative
d'organisation en faveur de "l'enseignement du peuple". Il faut préciser cependant que, comme l'écrit
Geneviève Poujol, "la Ligue n'est pas née de l'école, et les instituteurs au moment de sa création en
sont totalement absents. Elle est née de la réunion d'éléments de la petite bourgeoisie qui veulent
s'imposer politiquement en promouvant l'instruction pour tous. Promouvoir l'instruction pour tous, c'est
se rallier les suffrages de l'ensemble de la petite bourgeoisie et aussi, mais c'est moins certain, de la
classe ouvrière." (Poujol, 1981; p.55).
L'école primaire est alors essentiellement régie par la loi Falloux, qui donne au clergé une part
prédominante dans l'enseignement, et laisse même l'instruction publique aux mains des
congrégations religieuses. La L.F.E. va prendre la tête du combat "laïque"3, contre l'église catholique
et pour l'instruction obligatoire et gratuite du peuple, en lançant d'imposantes campagnes de
signatures ; la première, en 1871-72, recueillera plus de 900 000 signatures. Elle tiendra son premier
congrès en 1881 ; son action pendant cette période préparera le vote des lois Jules Ferry, qui,
2 Les repères historiques sont extraits de GROSSO (1981). 3 Ce terme est introduit pour la première fois en 1872.
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comme on le sait, instaurent, en 1881-82, l'obligation scolaire, la gratuité et la laïcité de
l'enseignement. Ces lois préconisent également la création d'associations laïques, à laquelle la Ligue
va ensuite s'employer, cherchant ainsi à occuper le terrain de l'extra-scolaire, car, à mesure que le
nombre d'instituteurs augmente dans la Ligue, ceux-ci entendent régner en maître sur le terrain de
l'école afin de s'affranchir des notables locaux.
Il faut également comprendre ce qu'étaient, aux origines, les objectifs du combat de la Ligue : elle ne
cache pas son patriotisme revanchard. Dans l'école publique du dix-neuvième siècle, la patrie occupe
la place que tient Dieu dans l'école confessionnelle : on l'adore et on la sert. C'est pourquoi la
formation assurée par les instituteurs de l'époque a une allure délibérément militaire. En 1866, Jean
Macé écrivait : "Pourquoi, puisque l'on parle de remanier notre système militaire, pourquoi, à côté de
l'armée régulière, ne chercherions-nous pas à organiser la landwehr4 de l'enseignement ?" En 1882, il
écrit encore : "Notre propagande aujourd'hui consiste donc à organiser partout où nous le pourrons,
l'instruction militaire de la jeunesse." La couverture des publications de la Ligue porte la devise : "Pour
la Patrie, par le livre et par l'épée." Elle jouera un rôle primordial dans la création d'associations
laïques para-militaires, comme les "bataillons scolaires", puis, plus tard, les "sociétés de tir et de
gymnastique", dont elle favorisera l'éclosion pendant toute la fin du dix-neuvième siècle et le début du
vingtième. Avec le concours des instituteurs, elle sera également la pionnière de l'éducation post-
scolaire, de la promotion professionnelle et culturelle de l'ensemble des classes populaires, en
cherchant à favoriser la création d'amicales d'anciens élèves, de sociétés de lecture, d'universités
populaires, c'est-à-dire de structures destinées à gagner la "guerre scolaire" qui sévira durement
jusqu'en 1914. Depuis sa création, la Ligue aura été à l'origine de vingt-mille sociétés sportives et de
trente-trois-mille associations affiliées, regroupées dans plus de cent Fédérations des Oeuvres
Laïques (Mourre, 1978, p.1590). On voit le rôle primordial que la Ligue a joué en matière d'éducation
populaire, en favorisant l'émergence de l'idée de "formation permanente" des citoyens.
Bien que la guerre de 14 ait décimé les militants laïques, dans l'entre-deux-guerres, le combat de la
Ligue va devenir uniquement anticonfessionnel, voire anticlérical. Elle centrera son activité sur le
regroupement des forces laïques, au sein de multiples associations, qui vont constituer, avec la Franc-
maçonnerie, la Ligue des droits de l'homme et la Libre Pensée, le vivier où la gauche puisera ses
forces. La Ligue sera reconnue d'utilité publique en 1930. Elle va renforcer ses liens avec le S.N.I., le
parti radical-socialiste, le parti socialiste, en les rassemblant au sein du Comité d'Entente et d'Action
Laïque, créé en 1932. Avec lui, elle soutiendra la lutte du Front Populaire contre le fascisme ; puis,
pendant la guerre, nombre de ses militants s'engageront dans la résistance. A la libération, la Ligue
poursuit son combat laïque, avec d'autant plus de force que les gouvernements successifs apportent
un certain soutien à l'école "privée". Plusieurs autres mouvements pédagogiques, comme l'O.C.C.E.,
les Francs et Franches Camarades, les C.E.M.E.A., la Fédération des Auberges de Jeunesse, etc...
sont adhèrents à la Ligue. Dans les années cinquante-soixante, ce sont les activités péri-scolaires qui
représenteront l'essentiel des activités de la Ligue. Elle continuera à défendre la laïcité au sein du
C.N.A.L. (Comité National d'Action Laïque), où elle se trouve aux côtés du S.N.I., de la F.E.N. et de la
F.C.P.E., les partis politiques, syndicats ouvriers, etc..., ayant été invités à se retirer.
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Si on tient compte de cette longue histoire, on ne sera pas surpris de voir la Ligue, en 1955, élaborer
un projet de réforme de l'enseignement, dans lequel apparaît, pour la première fois, l'expression
"Education permanente", terme qui sera repris dans un texte officiel l'année suivante. Depuis 1967, la
L.F.E. est devenue la L.F.E.E.P. (Ligue Française de l'Enseignement et de l'Education Permanente).
Par ses idées sur la laïcité, par son combat plus que séculaire pour l'éducation populaire, par les
multiples associations qu'elle a contribué à créer, mais surtout par son passé en matière d'éducation
permanente, la L.F.E. occupe une place importante dans l'histoire des idées pédagogiques.
Le G.F.E.N.
Ce mouvement a été fondé en 1922, comme Section Française de la L.I.E.N. (Ligue Internationale de
l'Education Nouvelle), par un groupe auquel appartient entre autres le genevois Adolphe Ferrière.
Passionné par l'expérience des premières Ecoles Nouvelles qui s'ouvrent un peu partout en Europe,
au début du siècle, mais ne pouvant enseigner à cause de sa surdité, Ferrière sera le théoricien de
l'Education Nouvelle ; il publiera entre autre L'école active, en 1922, et sera rédacteur de la revue
Pour l'ère nouvelle. Le représentant français le plus connu de ce mouvement est certainement Roger
Cousinet, dont on connaît l'important apport dans le domaine du travail par groupes.
La philosophie des pionniers de l'Education Nouvelle, en particulier de Ferrière, prend sa source dans
les résultats des recherches de la psychologie : il s'agit de concevoir une école plus respectueuse de
la personne de l'enfant. "La force de l'Education Nouvelle est dans sa pédagogie, il n'y aurait sans
doute pas de pédagogie sans elle !" remarque Olivier Reboul, mais il ajoute : "Pourtant, en prônant
"l'école dans la vie", elle oublie que la vie n'est pas une école, mais un dur combat, auquel celle-ci doit
préparer." (Reboul, 1992, p.10). Peut-être est-ce à cause de l'origine sociale, plutôt bourgeoise, de
ses premiers défenseurs, dont l'idéologie s'appuie plutôt sur les apports de la psychologie ou sur des
options philosophiques, que sur des données sociales ou des opinions politiques, comme ce sera le
cas, nous le verrons, pour le mouvement Freinet.
Cependant, à partir de 1932, le mouvement va prendre des options plus politiques, orientées à
gauche, sous l'influence de Paul Langevin, puis de Henri Wallon. Ferrière, quant à lui, restant très
centré sur l'enfant et sa psychologie, n'approuvera pas cette orientation centrée sur le système
scolaire, et il se séparera progressivement du G.F.E.N. C'est dans la mouvance des pratiques et des
recherches du G.F.E.N., et à la suite de ce changement d'orientation, que sera élaboré en 1947, le
plan Langevin-Wallon. Celui-ci, nous l'avons déjà vu, était manifestement très en avance sur son
temps, et portait en germe l'idée même de formation continue pour les enseignants.
Les pratiques de formation du G.F.E.N. s'appuient sur les nombreuses expériences de terrain. Les
plus connues faites, dans les années soixante, par le Groupe Expérimental du vingtième
arrondissement de Paris, (l'école de la rue de Vitruve, etc...), vont battre en brèche l'acceptation
fataliste de l'échec scolaire et remettre en cause les notions de "dons" et de "handicaps
socioculturels". Mais c'est l'expérience de Henri et Odette Bassis, en Ecoles Normales au Tchad, qui
va véritablement permettre l'élaboration de stratégies et pratiques de formation d'adultes, basées sur
la démarche "d'auto-socio-construction du savoir". Dans l'ouvrage qui relate cette expérience, Henri
4 landwehr : armée territoriale.
24
Bassis réclame pour les enseignants, une formation universitaire de haut niveau, mais il pense que ce
haut niveau doit être lié avec le vécu dans les classes. "Le vrai problème", écrit-il, "est de transformer
qualitativement la pratique universitaire elle-même, de telle sorte que l'articulation dialectique théorie-
pratique et pratique-théorie ne soit pas qu'un discours". (Bassis, 1978, p.161). La position du G.F.E.N.
dans le débat, qui reste très actuel, sur l'équilibre entre la théorie et la pratique dans la formation des
enseignants, est déjà clairement définie. On voit donc que les problématiques qui agitent aujourd'hui
les débats sur la formation des enseignants étaient au centre de la réflexion de ce mouvement depuis
bien longtemps.
L'O.C.C.E.5
Outre le courant de l'Education Nouvelle représenté par le G.F.E.N., un autre courant a marqué, de
longue date, la pensée pédagogique : celui de la coopération à l'école. Depuis plus de deux siècles,
les projets coopératifs de société comportent tous un corollaire éducatif. Il s'agit de porter à l'intérieur
du système scolaire public et laïc, les "utopies" communautaires qui s'attachent à sortir les milieux
populaires de leurs conditions de vie désastreuses. Le courant coopératif forme, avec le courant
mutualiste et le courant associatif, ce que l'on appelle aujourd'hui "l'économie sociale". D'abord
organisation économique, la coopération scolaire évolue ensuite vers une pratique pédagogique. A
l'origine de l'O.C.C.E., créé en 1928, deux courants s'opposent. Pour le premier, représenté par Emile
Bugnon, la coopérative est une façon de pallier les insuffisances économiques, en achetant par
exemple du matériel scolaire que les communes ne peuvent pas fournir. L'autre courant est illustré par
Barthélémy Profit. Celui-ci ne rejette pas les coopératives comme remèdes à la pauvreté des
équipements, mais de plus il souhaite leur donner une certaine autonomie et, surtout, une structure
démocratique. Les militants du mouvement coopératif ont su allier ces deux tendances, mais, nous le
verrons, c'est Freinet qui ajoutera une troisième dimension, celle de la transformation de l'école
traditionnelle en une école moderne où les choix pédagogiques prennent toute leur importance, pour
l'avènement d'une nouvelle société. Même si, au cours des années, l'un ou l'autre courant a dominé,
la pédagogie coopérative a toujours voulu prendre en charge un projet coopératif pour l'éducation des
enfants, projet défini ainsi par le congrès de Tours de 1948 : "Les coopératives scolaires sont des
sociétés d'élèves gérées par eux, avec le concours des maîtres, en vue d'activités communes.
Inspirées par un idéal de progrès humain, elles ont pour but l'éducation morale, civique et intellectuelle
des coopérateurs, par la gestion de la société et le travail de ses membres." Puis, en 1968, à cette
orientation pédagogique, s'ajoute la nécessité de faire évoluer l'institution scolaire vers la
responsabilité, la confiance et la promotion humaine. Enfin, la déclaration de 1978 affirme la nécessité
d'élargir la méthode pédagogique jusqu'à une véritable pensée éducative. "La coopération," disait G.
Prévot, "c'est un sentiment profond. C'est une manière de se comporter dans la vie. C'est la
compréhension d'autrui, l'estime de l'autre, le désir et la volonté de s'entendre." C'est cette dimension
que les militants des mouvements coopératifs, comme l'O.C.C.E., tenteront d'apporter dans le
domaine de la formation des enseignants, en proposant des formations capables de permettre aux
enseignants de promouvoir une autre conception des droits et des pouvoirs des jeunes.
5 Les repères historiques sont extraits de : (MAZURIER, 1989, p.9 à 13).
25
L'I.C.E.M.-Freinet
L'histoire du mouvement Freinet est bien connue, nous ne la rappellerons6 que très brièvement. Au
retour de la guerre de 14-18, où il avait été gravement blessé, Freinet recherche comment promouvoir
cette éducation "populaire" qui était déjà, nous l'avons vu, au centre des préoccupations de la Ligue
de l'Enseignement. Mais Freinet récuse l'héritage du "patriotisme revanchard", qui marque encore
fortement le corps des instituteurs. Il fait partie de ces instituteurs d'avant-garde, dont beaucoup sont
communistes, qui conçoivent l'éducation populaire non plus comme une préparation à la guerre, mais
comme une éducation à la paix. Ils considèrent l'éducation comme l'agent essentiel de l'avènement de
la société plus juste et plus égalitaire qu'ils appellent de leurs voeux. Freinet écrit dans la revue
L'Ecole Emancipée, organe de liaison des instituteurs sympathisants de la C.G.T., à une époque où
les fonctionnaires, nous l'avons vu, n'ont pas encore le droit d'être syndiqués. Après la scission d'avec
la C.G.T., il militera à la Fédération Unitaire de l'Enseignement (C.G.T.U.), qui regroupe des
socialistes, des communistes et des anarchistes. Au lendemain de la guerre, les échanges entre
pédagogues européens sont nombreux autour de la revue Ecole Emancipée. Ainsi, outre l'héritage
laïque revu et corrigé, plusieurs autres sources ont alimenté la pédagogie de Freinet :
- la pédagogie libertaire d'avant la guerre de 14, (Paul Robin, Francisco Ferrer, Sébastien Faure, ...),
dont les réalisations ont été souvent pourchassées et réprimées un peu partout en Europe, mais aussi
les écoles expérimentales de Hambourg, qu'il considère d'un oeil relativement critique.
- l'Education Nouvelle, bien sûr, qui, comme nous venons de le voir, s'appuyait à l'époque sur les
données de la psychologie. Freinet appréciait beaucoup les expériences menées par les militants de
ce courant, mais il s'en est assez vite séparé, car les écoles nouvelles existantes étaient des
établissements privés, bénéficiant de conditions de fonctionnement exceptionnelles, extrêmement
éloignées de la situation misérable de l'école publique française des années 20.
- la pédagogie socialiste des bolcheviks (Blonskij, Chatsy, Pistrak,...), pratiquée à l'Ecole du Travail,
jusqu'à son écrasement par le stalinisme, dans les années 30. C'est à eux qu'il empruntera un bon
nombre des idées qui constituent les bases de sa pédagogie : le journal mural, le journal scolaire, le
plan de travail, les échanges interscolaires, l'exploitation des centres d'intérêt issus de la vie
quotidienne, etc...
- le mouvement coopératif, auquel, comme nous venons de le voir, Freinet adhérait. Il situera toujours
son enseignement dans un projet politique de type coopératif, qui est la base même sur laquelle
repose toute sa pédagogie.
Cependant, il cherche à adapter ces idées à la réalité de l'école publique française. Toute sa
pédagogie est basée sur l'organisation de la classe en coopérative. Il y pratique les promenades
scolaires et les textes libres, ce qui l'incite rapidement, on le sait, à introduire l'imprimerie et à
organiser la correspondance scolaire. Peu à peu, les idées de Freinet gagnent du terrain parmi les
enseignants, par l'intermédiaire de la C.E.L. (Coopérative de l'Enseignement Laïque), créée en 1927,
et de sa revue, L'Imprimerie à l'école, devenue en 1932 L'Educateur Prolétarien. Dès 1927, se crée la
Cinémathèque Coopérative, et, en 1932, commence la publication des B.T. Par ailleurs, on connaît les
6 Les repéres historiques sont extraits de la revue Amis de Freinet et de son mouvement, 1987 à 1993.
26
démêlés de Freinet, non seulement avec l'administration, bien sûr, mais aussi avec le P.C.F. dont il a
été membre jusqu'en 1947, et même avec certains sympathisants, qui lui reprochent l'aspect
commercial de la C.E.L. C'est pourquoi, en 1947, se crée, à côté de la C.E.L., un mouvement d'études
et de recherches, l'I.C.E.M.
Or, malgré l'impact qu'avaient alors les idées de Freinet parmi les enseignants, elles ne pénètrent pas
vraiment dans les projets de réforme de l'époque, comme le plan Langevin-Wallon. Le mouvement,
probablement parce que ses idées sont trop dérangeantes, n'a jamais été reconnu par l'institution, qui
ne lui a accordé que très tardivement des postes d'enseignants "mis à disposition".
Pendant les années qui ont précédé la mise en place des M.A.F.P.E.N., les militants ont continué à
mettre en pratique les idées de Freinet, qui écrivait : "Le but essentiel de l'éducateur n'est point de
remplir des têtes, mais de former des caractères. (...) Le mieux est donc de tendre à créer un type
d'école où les élèves se forment organiquement par l'activité, de l'intérieur vers l'extérieur et non
passivement par couches successives de culture livresque ; une école qui serait comme une famille,
une communauté de travail où chaque membre trouverait l'occasion de s'épanouir en participant à une
tâche commune et où l'individu rencontrerait aussi des limitations naturelles à l'expansion exagérée de
sa personnalité, expansion qui ferait de lui un être inutilisable pour la société." (Freinet, 1933). Même
si le mouvement n'a pas vraiment réussi à imposer ses idées massivement, elles ont néanmoins
essaimé et sa contribution à la réflexion sur la pédagogie est essentielle.
Le C.E.P.I.7
La Pédagogie Institutionnelle est née, dans les années 1940-50, de la rencontre du mouvement
Freinet avec un groupe de psychiatres. La filiation avec l'Education Nouvelle est donc évidente, même
si le mouvement s'en démarquera sur certains points. "En 1940, François Tosquelles, élabore avec
d'autres psychiatres, Georges Daumezon, Lucien Bonnafé, Jean Oury, une nouvelle pratique de
soins, traitant d'abord analytiquement le milieu hospitalier, pratique qu'ils appellent la psychothérapie
institutionnelle. En 1950, Fernand Oury, instituteur acquis aux idées de Freinet, se heurte aux classes
surchargées, au gigantisme des écoles, aux règlements absurdes de l'école-caserne. Avec d'autres, il
utilise et retravaille les techniques Freinet dans les classes urbaines. En 1958, c'est de la rencontre de
ces deux courants que naît la Pédagogie Institutionnelle. Jean Oury propose ce terme, au congrès de
l'I.C.E.M.-Freinet." (C.E.P.I., 1993, p.3). Mais assez vite, on assistera à la rupture entre la Pédagogie
Institutionnelle et le mouvement Freinet. "Vers 1966, autour de Fernand Oury (instituteur) et Aïda
Vasquez (psychanalyste), s'élaborent les outils pratiques et théoriques sur lesquels se fondent la P.I.
La monographie devient le mode privilégié de cette élaboration. Des ouvrages sont publiés. Des
stages de formation sont organisés. En 1978, les Equipes de P.I. institutionnalisent leur
fonctionnement dans un Collectif, où les techniques et les concepts de la P.I. sont mis en pratique."
Dans la Pédagogie Institutionnelle, s'articulent trois pôles indissociables : l'organisation matérielle, la
dynamique de l'imaginaire individuel et du groupe, et enfin la prise en compte de l'inconscient. Mais,
l'objectif fondamental de la Pédagogie Institutionnelle en milieu scolaire, reste celui des
27
apprentissages. Elle utilise les techniques inspirées de la pédagogie Freinet, dans un souci de
différenciation de la pédagogie. Par exemple, elle s'appuie sur le "conseil dans la classe", où
s'élaborent les règles de vie du groupe. Ou encore, elle organise la classe en un réseau coopératif,
tentant ainsi de redonner sens aux obligations d'apprentissage. Après une période de relative mise en
sommeil des idées de la pédagogie institutionnelle, il semble qu'aujourd'hui l'accroissement des
comportements anomiques dans l'école oblige à se tourner vers les outils qu'elle propose, ce qui
permet d'éprouver leur pertinence.
Les C.E.M.E.A.
"L'histoire de la naissance des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active", raconte
Gisèle de Failly (Bordat, 1976, p.19), l'une des fondatrices du mouvement, "est aussi l'histoire d'une
époque, celle de 1936, époque de création et de renouvellement." C'est l'instauration des congés
payés par le Front Populaire qui fait éclore de nombreux groupes culturels et sportifs, dans le cadre
desquels la jeunesse prend conscience de sa force, de son dynamisme, mais aussi des obstacles qui
s'opposent à son besoin de liberté et de culture. Mais, dans les fédérations de scoutisme, comme
dans les associations touristiques et culturelles, les auberges de jeunesse, les associations de
camping, les mouvements de jeunesse, les cadres manquent. Ce sont essentiellement des
enseignants, pour la plupart acquis aux idées de l'Education Nouvelle. Mais, à travers les difficultés
rencontrées avec l'administration par ceux qui, comme Freinet par exemple, cherchent à la mettre en
oeuvre, ils se rendent compte de la difficulté de se lancer dans des voies nouvelles à l'intérieur même
du cadre institutionnel. C'est pourquoi ils font plutôt le choix de tenter de mettre en pratique leurs
convictions pédagogiques, par le biais des Centres de Vacances, qui leur apparaissent comme un
terrain plus susceptible de permettre cette éducation populaire qu'ils appellent de leurs voeux.
Gisèle de Failly, ancienne élève de Wallon, alors collaboratrice de l'association "L'hygiène par
l'exemple", se rend rapidement compte du manque de formation des cadres des Centres de Vacances
de son association. C'est de sa rencontre avec André Lefèvre, commissaire national des Eclaireurs de
France, branche laïque du scoutisme, que naît, avec la caution des ministres du Front Populaire Jean
Zay, Léo Lagrange ou Henri Sellier, le projet de stages de formation des personnels d'encadrement
des centres de vacances, dans ce qui s'appelle depuis les Centres d'Entraînement aux Méthodes
d'Education Active. Il faut se souvenir qu'à cette époque, la notion même de "stage", empruntée à
l'industrie, est encore complètement inconnue dans le milieu éducatif, et est donc à mettre à l'actif des
C.E.M.E.A. Cette innovation va provoquer un renversement complet du rapport au savoir des
enseignants, car, comme l'écrit Bernard Veck, "pour un enseignant, ce qui tombe, entre sa profession
et son activité en colonie de vacances ou en stage, c'est la mauvaise conscience d'apparaître, lui
réputé sachant sinon savant, dans la position de celui qui ne sait pas." (Bordat, 1976, p.122).
Très rapidement, l'activité des C.E.M.E.A., toujours "situés pédagogiquement à gauche", dépassera
largement l'encadrement des centres de vacances. "Nous avons essentiellement choisi la voie
indirecte pour peser sur l'école," écrit Denis Bordat, "celle des activités post- et péri-scolaires, mais,
qu'on ne s'y trompe pas, l'école est en cause dans nos préoccupations..." (Bordat, 1976, p.108). En
7 Informations extraites de : Collectif des Equipes de Pédagogie Institutionnelle. Document d'information sur leCEPI-MPI. Quelques repères..., p.3.
28
1943, s'ouvre la première formation d'éducateurs spécialisés. En 1944, les C.E.M.E.A. font partie des
organismes qui créeront les Francs et Franches Camarades, appelés ensuite les Francas,
mouvement dont le but est de donner aux enfants des loisirs attrayants et éducatifs. Après la guerre,
le mouvement prend de l'extension, grâce à sa reconnaissance par l'Education Nationale, qui lui
fournit des maîtres "mis à disposition", c'est-à-dire détachés de leur poste. Il participe alors au projet
des classes nouvelles de Gustave Monod, en créant l'école de Boulogne. La formation des
instructeurs C.E.M.E.A. prend une nouvelle dimension, lorsqu'ils sont amenés, à partir de 1955, à
encadrer les "Rencontres Internationales de Jeunes", créées autour du festival d'Avignon, par Jean
Vilar et Henri Laborde, délégué général du mouvement depuis 1944.
Parmi les instructeurs du mouvement, on compte environ 80 % d'enseignants ; il n'est donc pas
surprenant qu'en 1970, se crée le secteur "enseignement" des C.E.M.E.A. Celui-ci va pouvoir se
développer rapidement, puisque vont peu après être votées les lois sur la formation continue de 1971.
Le mouvement organise donc dès le début des années 70, des stages de formation continue destinés
aux enseignants, et intitulés "Stages d'Entrainement aux Méthodes d'Education Nouvelle". Puisque la
nécessité de la formation des enseignants est maintenant reconnue, on travaillera directement sur la
pratique de la classe, avec des instructeurs toujours animés des mêmes convictions, et qui vont ainsi
contribuer à la pénétration, de manière indirecte, des idées de l'Education Nouvelle dans l'institution. A
cause de leur expérience ancienne, les C.E.M.E.A. ont un rôle à jouer en matière de formation des
enseignants. Francine Best, militante de ce mouvement, a tenté d'insuffler l'esprit C.E.M.E.A. dans la
formation des professeurs d'Ecole Normale, puis en tant que directrice de l'INRP. Elle écrit : "Il faudrait
que l'influence pédagogique des Centres d'Entraînement puisse s'étendre, pour bénéficier au plus
grand nombre d'enseignants, d'éducateurs, donc au plus grand nombre d'enfants." (Bordat, 1976,
p.145).
Les Cahiers Pédagogiques et le C.R.A.P.8
C'est en 1945 que paraît le premier numéro des Dossiers pédagogiques pour l'enseignement du
second degré, qui deviendront, en 1948, les Cahiers Pédagogiques. "Au Ministère de l'Education
Nationale, quelques grands dirigeants, et en particulier le philosophe Gustave Monod, cherchent à
mettre en oeuvre des idées de transformation de l'enseignement mûries pendant la résistance, mais
déjà esquissées par Jean Zay sous le Front Populaire et remontant à l'après-guerre 14-18. La
commission Langevin-Wallon mettra en musique ces idées de démocratisation de l'enseignement. (...)
Monod crée, à la rentrée de 1945, des "classes nouvelles" en sixième, puis progressivement dans tout
le premier cycle." C'est pour accompagner cette expérience des "classes nouvelles" que paraissent
les premiers Dossiers, à l'initiative de François Goblot, professeur de philosophie à Lyon, qui précise :
"Les bulletins de divers mouvements d'éducation nouvelle produisaient sur moi un sentiment
d'agacement, et il y avait parfois, dans leurs propos, une pointe aiguë d'autoritatisme. (...) J'ai voulu
faire une revue qui ne soit pas l'organe d'une chapelle, une revue à laquelle pouvaient collaborer des
adversaires des méthodes dites nouvelles, pour lesquelles nous essayons de faire pour le mieux."
8 Source : GEORGE, 1992, p.50 à 57.
29
Dans le premier numéro, il expose ses idées : "Il convient de changer l'esprit et les méthodes de
l'enseignement et, comme il y faudra des années, il est nécessaire de s'y prendre tout de suite."
L'article traite des méthodes nouvelles dans l'enseignement du second degré : la connaissance des
élèves, le travail en équipe des professeurs, les centres d'intérêt, l'individualisation de l'enseignement,
la nécessité d'un renouvellement perpétuel, l'imagination comme qualité maîtresse d'un éducateur.
Les Dossiers paraissent avec l'aide de l'Etat et sont publiés en même temps que le Bulletin de
l'Association Nationale des Educateurs des Classes Nouvelles de l'Enseignement Secondaire. Après
la disparition des Classes Nouvelles, les Cahiers sont édités par le S.E.V.P.E.N., organisme d'édition
de l'Education Nationale, puis, à partir de 1964, par l'I.P.N., devenu plus tard l'I.N.R.D.P. et ensuite
I.N.R.P. "Cet appui officiel n'empêchera pas les rédacteurs des Cahiers d'analyser sans concession
les réformes ou pseudo-réformes", précise Jacques Georges. C'est à la suite du "Manifeste pour
l'éducation nationale", publié par les Cahiers, en 1963, qu'est fondé le C.R.A.P. (Cercle de Recherche
et d'Action Pédagogique), dont les Cahiers deviennent l'organe, et qui organise chaque été des
Rencontres. "Pour autant," précise Jacques Georges, "s'il devient un nouveau mouvement, le
C.R.A.P. ne se présente pas en rival des autres mouvements ; au contraire, les Cahiers publient, à
partir de 1965, une série de fiches sur ces mouvements et sur quelques associations." Il est vrai que
ce sont souvent les mêmes personnes qui, à la fois, militent dans les mouvements pédagogiques et
participent aux travaux du C.R.A.P. Par exemple, à partir de 1968, l'I.C.E.M. et le C.R.A.P. co-éditent
les B.T.2 et, lorsque, en 1972, lors de "l'affaire des Cahiers", le ministre Guichard fait dénoncer la
convention aux termes de laquelle l'I.N.R.D.P. publiait les Cahiers, c'est l'I.C.E.M. qui se chargera de
la publication : les Cahiers survivront difficilement à ce coup. Ils deviendront leur propre éditeur en
1979, et recevront de nouveau l'aide du ministère à partir de 1981. Depuis 1976, la couverture de la
revue porte en exergue : "Changer la société pour changer l'école, changer l'école pour changer la
société," affichant ainsi clairement les objectifs de l'association.
Les sujets des articles, alliant réflexion de fond et propositions pédagogiques concrètes, situent
explicitement les Cahiers comme un outil de formation privilégié pour les enseignants, mettant ainsi en
évidence le rôle qu'ils ont joué dans la formation des enseignants depuis plusieurs dizaines d'années.
Les Rencontres annuelles ont constitué, et constituent d'ailleurs encore un lieu de formation pour de
nombreux enseignants. Même s'ils ne sont pas militants actifs du mouvement, beaucoup de
formateurs et d'enseignants sont des lecteurs des Cahiers et utilisent des articles extraits de cette
revue. Dans ce sens, et même si le mouvement a été, comme les autres mouvements pédagogiques,
peu représenté en tant que tel, ses idées ont néanmoins pénétré dans le milieu de la formation des
enseignants.
La F.O.E.V.E.N. et les A.R.O.E.V.E.N.
La F.O.E.V.E.N. est une fédération d'Associations Régionales, les A.R.O.E.V.E.N., qui sont surtout
connues du public pour leur intervention dans le secteur des centres de vacances, mais qui opèrent
également dans le secteur spécifiquement scolaire. Un des rares ouvrages écrit dans les années
soixante-dix sur la formation continue des enseignants, relate et analyse trois expériences de
formation continue d'enseignants conduites en France avant 1980, dont l'une dans le cadre de la
30
F.O.E.V.E.N. Dans cet ouvrage, on trouve précisés les objectifs de l'association : "L'association
poursuit des objectifs de changement de la collectivité scolaire : elle souhaite que se créent de
véritables communautés éducatives, maîtresses de leur organisation pédagogique et matérielle,
ouvertes sur la vie économique, sociale et politique, dans laquelle chacun, jeune ou adulte, joue un
rôle actif au niveau de la décision comme à celui de l'exécution, où le travail d'équipe, l'apprentissage
de la vie collective s'harmonisent avec l'autonomie et l'épanouissement individuels." (Honoré, 1981,
p.60)
Nous sommes ici aussi aux antipodes de ce qui se pratiquait, dans les années soixante-dix, lors des
"recyclages". L'objectif des formateurs F.O.E.V.E.N. n'est pas d'apporter un complément de savoirs à
des enseignants qui ne les auraient pas reçus lors de leur formation initiale. C'est bien d'une autre
conception de la formation des enseignants qu'il s'agit, conception qui inscrit clairement la formation
comme vecteur du changement : "L'association estime possible de mener une politique de
changement de l'Education de l'intérieur du "système" officiel, et elle adopte le principe de la formation
par les "pairs", facilité par sa structure "para-administrative". (p.61). Nous retrouverons cette idée de
"formation par les pairs", parmi les propositions qui seront faites lors de la création des M.A.F.P.E.N.,
montrant l'impact de cette conception sur les choix faits en 1982.
Le même ouvrage précise que la F.O.E.V.E.N. a, dans les années soixante-dix, formé un nombre
important d'enseignants. En effet, "des conventions, signées avec le ministère, ont conduit la
F.O.E.V.E.N. à participer au plan de "recyclage" des professeurs de C.E.T. et au perfectionnement
des équipes éducatives de C.E.T. expérimentaux (...). Enfin, des opérations ponctuelles sont menées
auprès des E.N., C.P.R., C.A.F.O.C., I.R.E.M., etc..." (p.59). La F.O.E.V.E.N. fait donc partie des
organismes qui ont proposé des formations "complémentaires" aux enseignants, bien avant la
création des M.A.F.P.E.N. Comme pour les autres mouvements d'éducation populaire, "le
fonctionnement est assuré par un petit nombre de permanents, détachés de l'Enseignement Public."
Voyons comment eux-mêmes se sont formés.
C'est "l'association [qui] prend en charge, au niveau national, la formation psychosociologique de ses
militants, presque tous des enseignants en exercice, appelés à, ou désireux d'encadrer des stages.
Elle collabore, pour ce faire, avec diverses associations de psychosociologues (A.R.I.P.,
A.N.D.S.H.A., I.F.E.P.P.)." (p.60). Il s'agit donc - années soixante-dix obligent ! - d'une formation à
orientation psychosociologique affichée, type de formation alors pratiquement inconnu dans
l'Education Nationale. Cette formation est décrite de manière détaillée, dans l'ouvrage cité plus haut.
Elle s'adresse à toutes les catégories de personnels, qui se trouvent ainsi appelés à travailler
ensemble dans les stages. Il s'agit donc d'un lieu où un nombre important d'enseignants se sont
formés, avant 1982, et parmi ceux-ci beaucoup deviendront ensuite formateurs d'enseignants.
31
Bibliographie
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- GROSSO, René (1981). Histoire de la F.O.L. de Vaucluse. Avignon : F.O.L., éditeur.
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