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La Gazette n° 273 - Du 31 mai au 4 juillet 2012

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choués à quai. À leurs “Au secours” , leur proprepays reste sourd. Détresse sans fusées. À borddes trois ferries marocains de l’ex-ligne Sète-Tanger, 210 marins se font ballotter depuis cinqmois, sur le Biladi et le Marrakech, depuis sixmois sur le Bni Nsar , immobilisés dans le port de Sète. Tanguant de rumeur en promesse, d’an-goisse en espoir. Jusqu’au mal de mer, au nau-frage. À l’heure où nous bouclons cette Gazette,ils se battent pour une ultime fierté, une ultime

 bouée: se faire licencier par leur entreprise, laComarit-Comanav. Alors que, lundi 28 mai, lestrajets Sète-Tanger démarrent sur le Majesticitalien , les marins manifestent dans le port, pourla troisième fois en une semaine. Rompant avecleur discrétion, pas avec leur hallucinante tena-cité. Malgré l’injonction du commandant duport, ils refusent de déplacer leurs navires - blo-quant l’accostement “normal” des bateaux deGrandi Navi Veloci (GNV, v oir p. précédente) à

la gare maritime Orsetti. C’est leur seul moyende pression pour obtenir des “bons de débar-quement” de la part des autorités marocaines.En effet, ce sésame leur permettra de rentrer -enfin - dans leurs familles, sans que leur rapa-triement au Maroc soit considéré comme unedémission ou une désertion. La tête haute, di-gnement. Et en préservant un minimum dedroits sociaux.

Payes incertainesCertes, le 14 mai, le Port de Sète a décidé de re-noncer à ses propres créances de 130000 ,pour laisser la priorité au règlement des salairesdes marins, en échange du fait qu’ils déplacent les bateaux pour libérer les bassins du port.Geste exemplaire, sauf que le pouvoir du Port s’arrête là. Avec le soutien du syndicat des ou-

 vriers du transport ITF (International Transport Worker’s Federation) représenté par LilianTorres (FO), les marins ont bien obtenu une “sai-

sie conservatoire” de leurs navires pour salairesimpayés. Mais ces six à dix mois d’arriérés - soit plus d’un million d’euros - ne leur seront délivrésque si les créanciers (dont eux) décident auprèsdu tribunal de commerce de Montpellier de ven-dre effectivement les vieux navires, et qu’ilssoient effectivement rachetés, assez cher pourpouvoir payer les créances. Soit un délai de deuxans, évalue le syndicaliste Lilian Torres.Reste les licenciements, ces “congés congelés” que redoutait avec humour Mohammed, le maî-tre d’équipage du Bni Nsar . Et qui doivent “re-

 venir cher”, après parfois 35 ans au service dela compagnie, comme Abderrhaïm, le maître-graisseur. Alors Youssef Abdelmoula, le députéet armateur de la Comarit-Comanav, y rechigne,et brille par l’opacité de ses silences. Et par lapingrerie de ses livraisons de vivres et de gasoil,au compte-gouttes depuis le début des saisies.Cumulant pour ses équipages précarité profes-

sionnelle et précarité du quotidien, fait de lampesde poche, de pisse en sacs plastique, et de mai-gres sandwichs au thon. Si bien que, face à l’in-décence et l’insécurité des conditions de vie, lecommandant du Bni Nsar  Jacques Casabiancaa, un temps, début mai, envisagé de le déclarerinhabitable et d’en organiser l’évacuation.

 Abandonnés par leur paysLe gouvernement marocain, lui, met le feu auxpoudres en tentant de calmer le jeu. Samedi19mai, Aziz Rabbah, ministre de l’Équipement et du Transport, et Abdeloualhed, ministre del’Emploi, s’acquittent d’une visite éclair à Sète.Avec un message: le gouvernement marocaintient à garder la ligne sous pavillon marocain -la GNV ne l’ayant en “location” que pour un an.Le Maroc se débat en effet depuis des mois dansdes négociations visant à créer une nouvellecompagnie marocaine de navigation maritime.Là, banques et créanciers transformeraient leurs

Sans salaire sur le port de Sète depuis six mois, les 200 marins marocainsdésespérés de l’ex-ligne Sète-Tanger tentent de faire pression sur le Marocpour obtenir dignité et droits sociaux. Récit d’un naufrage social.

Marins marocains:menés en bateau

 À bout, les marinsdes ferries marocainsmanifestent sur le

 port pour obtenir des bons dedébarquement (ici,

 jeudi 24 mai).Ballotés pendant cinq mois par les

rumeurs, sans aucunsalaire, hommes et  femmes espèrent désormais unlicenciement pour un retour dignedansleur famille,au Maroc.

report age

dettes en parts de capital, avec en sus la partici-pation de nouveaux investisseurs, laissant laComarit se retrancher, elle, dans 30 à 40 % desparts. Mais Abdelmoula se refuse à être minori-taire, à lâcher le pouvoir. Celui d’un monopoleen or, qui drainait une grande part des Marocainsrésidant à l’étranger, deuxième manne financièrepour le Maroc. De l’or dissout dans les dépensessomptuaires de son siège social tangerois, dansdes trafics de billetterie, à en croire le quotidienmarocain L’Économiste,dans un manque d’en-tretien patent sur les navires, en rade de person-nel de ménage comme de pièces détachées.Privatisés et déchus, les navires de l’anciennecompagnie nationale, la Comanav, où naviguait le roi du Maroc, ont perdu leur superbe.Les marins, eux, semblent passer par pertes et profits. Face à ce traitement par le mépris, faceà “un désastre social”, “un gâchis économique”,“une négation de l’humain” , le conseiller général

François Liberti écrit le 25 mai au nouveau pré-sident de la République, François Hollande.“Voilà le vrai visage de la déréglementation socialedans le transport maritime. La responsabilité del’armateur et du gouvernement marocain est to-tale: elle est d’une gravité extrême envers ses pro- pres ressortissants. L’État français ne peut rester inactif devant cette situation. Je vous demande desaisir, au nom de la France, les autorités maro-caines pour que cesse dans un port français cetteatteinte aux droits de l’homme, pour que les marinsmarocains soient payés et munis d’un bon de dé-barquement.”Quand le calvaire des marins ma-rocains cessera-t-il? Dans un jour, une semaine,un mois? Pour ceux qui n’ont pas vu leur familledepuis six mois, pour ceux qui n’ont pas vu leur

 bébé naître, qui n’ont pas pu empêcher la ventedes biens, le divorce de leur femme, ou l’arrêt des études des enfants, chaque heure à Sète fait couler un peu plus le moral. Trouver les cléspour sortir ces naufragés du cauchemar. Vite.

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Reportage réalisé par Raquel Hadida /

Photo Janie Léger/

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