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L'ENRICHISSEMENT DU VOCABULAIRE ET LES DICTIONNAIRES;
ÉVOLUTION ET EXEMPLES
Par
Alain L. Bouvette
Thèse écrite sous la direction du professeur Rostislav Kocourek,
du Département de fiançais, et présentée devant la Faculté des études supérieures comme exigence
partielle pour l'obtention du grade de la Maîtrise ès Arts de l'Université Dalhousie
Submitted in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts
Dalhousie University Halifax, Nova Scotia
May, 1997
O Copyright by Alain L. Bouvette, 1 997
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L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.
A ma mère
Table des matières
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . v
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résumé vi
Abstract . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . vii
... Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . wu
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Chapitre premier: Le X W siècle: la langue de la Pléiade . . . . . . . . . . . . 5
Chapitre II: Le XW' siècle: le siècle des dictionnaires et du purisme . 31
Chapitre III: Le XVIII' siècle: les mots et les choses . . . . . . . . . . . . . . 49
. . . . . . . . . . . . . . . Chapitre IV: Le XIX' siècle: vers un savoir infini 70
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre V: L'ère moderne 85
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Résumé
Les grandes lignes de l'e~chissement du vocabulaire fiançais depuis la
Renaissance sont la visée de ce projet. Cette thèse compte surtout à établir les
tendances Linguistiques prédominantes de cet enrichissement durant les quatre
derniers siècles en observant quelques dictionnaires et les mots qu'ils embrassent.
Au moyen de débitions et d'exemples, cette thèse vise principalement a:
étudier les principes fondamentaux qui sous-tendent l'enrichissement du fiançais, à
identifier les ressources nécessaires pour le faire, à examiner quelques tendances
de l'e~chissement de chaque siècle, et à relever les contributions de quelques
grands lexicologues et lexicographes de la langue française.
De ceci, nous poumons dégager quelques principes fondamentaux de
I'épanouissement du lexique, de même que certains procédés primordiaux par
lesquels le fiançais s'est développé et s'est transformé depuis le grand manifeste du
XVI' siècle: L a Deflence et illustration de la langue francoyse.
L'enrichissement d'une langue est loin d'être un procédé aisé et immédiat.
Les éléments linguistiques se trouvent continuellement en conflit avec plusieurs
agents: la pensée humaine, la société, la culture, la technologie et les moeurs, pour
n'en nommer que quelques-uns. Cependant, la langue est en évolution constante,
et seul le passage du temps, est certain.
Abstract
The main themes of the enrichment of the French vocabulary since the
Renaissance is the objective of this proposal. The purpose of the thesis is to
establish the predominant linguistic tendencies by which the French vocabulary
has been augmented during the last four centuries by observing several major
dictionaries and the words that they include.
Through definition and example, this work aims principally to shidy the
fundamental principles behind the enrichment of French, to i d e n e the necessary
means to e ~ c h it, to examine some trends of the enrichment of each cenhiry, and
to note the contributions of a number of great lexicologists and lexicographers of
the French language.
From this, we will extract a few fùndarnentai principles of vocabulary
expansion as well as several essential processes by which French has developed
and changed since du Bellay's famous manifesto of the sixteenth-century: La
Deflence et illustration de la langue fruncoyse.
Language e ~ c h m n t is more than a simple and immediate process.
Linguistic components are continuously in conflict with several factors: human
thought, society, culture, technology, and mords, to name ody a few.
Nevertheless, language is in constant evolution, and only the passage of time is
certain.
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Remerciements
Je tiens a exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont apporté leurs
suggestions et conseils tout au long de la rédaction de ce mémoire, notamment le
docteur Rostislav Kocowek, qui, dès mes premières participations a ses séminaires
de linguistique, m'a donné le goût d'apprendre.
Je veux aussi signaler et remercier les docteurs James Brown et Roland
Mopoho pour leurs apports et recommandations indispensables lors des derniers
stages du manuscrit.
A Yvonne Landry et NataLie Wood, un gros merci! Votre amitié et votre
assistance sont dignes des plus grands éloges.
J'exprime également ma reconnaissance au Département de français, à mes
collègues, à mes amis et surtout, à ma famille.
Introduction
Etudier les mots d'une langue, c'est revivre l'histoire. A travers la naissance,
la croissance, et la mort des mots, nous pouvons lire les idées et les pensées d'une
personne ou d'une civilisation. Ephémeres ou immortels, les mots sont les
commentaires de la Me.
Les mots puisent leur source dans l'imagination de l'homme; d'où le besoin
et le désir de s'exprimer qui ont toujours nécessité la m o ~ c a t i o n et
l'agrandissement du vocabulaire. Cette étude vise à examiner quelques projets
lexicographiques et lexicologiques fiançais ainsi que certaines tendances de la
langue vis-à-vis des unités Lexicales depuis le grand manifeste de la langue
fiançaise du XVI' siècle intitulé la Deffence et illustrafion de la langue francoyse
par Joachim du Bellay.
Le développement du fiançais et son besoin d'autonomie ont eu beaucoup
de répercussions telles que la nécessité d'une grammaire fiançaise et de son
développement, la distinction entre le bon et le mauvais usage, la formation d'un
nouvel alphabet phonétique, une orthographe rectifiée, I'évolution constante du
vocabulaire, et l'établissement de véritables dictionnaires. C'est sur ces deux
derniers aspects, virtuellement inséparables l'un de I'autre, que nous nous
appuierons le plus. Le vocabulaire détermine I'évolution de la langue, et les
lexicographes tentent de la préserver dans des recueils.
1
2
L'insistance sur l'étude des dictionnaires, de leurs nomenclatures, de leurs
approches, et de leurs intentions, nous permettra de façon plus aisée (par rapport
aux études de milliers de textes de tout genre) de voir sur quels chemins se
promène la langue et ses usagers depuis ces quatre derniers siècles.
Nous devrions d'abord proposer quelques définitions préliminaires afin de
clarifier ce que nous avons l'intention de présenter. Ces deux paires de définitions
seront les suivantes: lexiqtïe/vocabulaire et lexicologie/îexicographie. Pour
certains, ces définitions sont redondantes ou bien superflues; pour nous elles
démontrent le rapprochement et l'ambiguïté de la langue, de même que sa
créativité et sa spécincité.
Selon R. L. Wagner, le lexique désigne l'ensemble des mots1 au moyen
desquels les membres d'une communauté linguistique communiquent entre eux>
(Wagner d'après GLLF, Arî. "lexique":3012) et lorsque nous parlons de
vocabulaire, ce terne <désigne conventio~ellement un domaine du lexique qui se
prête à un inventaire et à une description> (:3012). Rey ajoute:
Dès lors, il est préférable de parler de lexique lorsqu'il s'agit de la langue et de la communauté qui l'emploie, et de vocabulaire quand il s'agit des formes observées en discours2 par exemple dans un texte, ou encore d'une partie de lexique actualisée dans un groupe particulier. (1 97Oa:76)
'Kocourek a une définition plus large: c e lexique est l'ensemble des unités lexicales, c'est- a-dire des mots et des syntagmes lexicaux> (1991:91).
*La praole chez Saussure.
Donc, I'idée d'un lexique engendre celle d'une immensité tandis que celle d'un
vocabulaire impose certaines Limites.
Georges Matoré définit la lexicohgie3 comme une science qui <étudie les
mots en groupe, ou plutôt les notions qui sont exprimées par des associations de
mot9 (1968:20) et la lexicographie comme étant
la discipline qui, isolant le mot pour des raisons de commodité, va définir celui-ci sans tenir compte (sauf actuellement dans les dictionnaires andogiques) des rapports que noue ce mot avec les mots voisins . . . (ibid. )
Matoré continue en disant que la lexicographie se spécialise parfois: on peut aussi
bien faire i'étude d'un mot, de plusieurs mots d'une langue, des mots de métiers,
des mots d'une région (géographique), d'une époque, etc., et que le tout est
rassemblé dans des répertoires que nous appelons les dictionnaires.
Une tentative de distinguer entre le dictionnaire et l'encyclopédie nous
amène à introduire une distinction simpliste: <le dictionnaire explique des mots et
l'encyclopédie décrit des choses>' (Matoré 1968:22).
Bien qu'il existe plusieurs moyens d ' e ~ c h i r une langue, if est quelquefois
difncile de regrouper lesdits moyens car, comme nous le verrons, il y a possibilité
d'amalgamer deux moyens pour en créer d'autres (des sous-catégories ou
3 Kocourek ( 199 <L'étude non grammaticale de la formation et de la sémantique des unités lexicales, c'est la lexicologie>.
Tout de suite nous rencontrons des problèmes: le travail de Pierre Larousse qui porte le nom de Dictionnaire, est plus précisément une encyclopédie qui eut comme inspiration I'Encyclpédze de Denis Diderot écrite un siècle plus tôt.
4
"catégories de transition"). Dans ce travail, nous ne critiquerons pas le choix des
catégories mais étudierons plutôt leur contenu en espérant de créer le moins de
confusion possible. Ce qui est nécessaire à retenir, c'est que la néologie englobe
tous les procédés de l'enrichissement du lexique.
Chapitre premier
Le XVIe siècle: la langue de la Pléiade
L'époque de la Renaissance est sans égal dans l'histoire de la langue
française. L'atnontement entre le latin et le fiançais, latent depuis longtemps, se
déclenche en un tête-à-tête qui afEmera une fois pour toutes le rapport entre
1"'enfant" et sa "nourrice".
Au X W siècle, le vocabulaire est en transition. L'ancien fonds populaire se
transforme peu à peu et cède la place aux dialectes et aux emprunts. La langue
montre les signes des grands changements qui ont eu lieu dans divers domaines:
Littéraire, artistique et scientinque.
Un des points communs entre ces domaines, que nous aimerions souligner
dès le départ, est qu'ils sont tous liés par la langue et le lexique. Bref, le
développement de la langue fiançaise pendant la Renaissance est quelque chose de
remarquable et qui, à un certain point, reflète tous les changements et toutes les
innovations de cette époque.
Au fiont de ce renouveau se trouve un groupe de sept poètes illustres qui
constituent la nouvelle Pléiade (d'après la consteuation d'étoiles et basée sur un
groupe de poètes de la Grèce antique)*, dont Pierre de Ronsard et Joachim du
Bellay. Poètes en premier lieu, les membres de la Pléiade ont fait beaucoup de
remarques et de suggestions se rapportant à la poésie: des opinions à propos du
style poétique, ses différents genres, la versification, etc.; mais c'est inévitablement
sur la question de la langue que Ronsard et du Bellay portent le plus leurs
réflexions. Ces deux étoiles ramènent encore une fois le conflit entre la langue
latine et la langue fiançaise au fiont de leurs pensées, recommandant tantôt l'une
pour sa dite perfection et tantôt l'autre a h de la développer pour l'élever au même
niveau que la première, voire au-dessus d'elle.
Le problème n'était pas si facile à résoudre. Deux questions pouvaient
permettre de distinguer aisément deux camps. La première: "devrait-on écrire dans
sa langue vulgaire qui ne peut tout exprimer avec autant d'aisance que les langues
classiques et qui, à cette époque, est pauvre et négligée et pleine de lacunes?", et la
deuxième: "devrait-on recourir à une langue qui est tout simpiement morte; qui ne
peut plus s'enrichir et se développer?" Une solution était de faire un compromis:
emprunter et se modeler sur une langue tout en créant une langue distincte; comme
le proclamait Ronsard (1 924:5S 1): <D'une langue morte l'autre prend vie . . . >.
'ces poètes étaient: Pierre de Ronsard (1 52485), Joachim du Beiiay (1 S22-60), Jean- Antoine de Baif(1532-W), Pontus de Tyard (1 521- 16OS), Etienne Jodelle (1 532-73), Rémy Belieau (1 SZ8-77), et Jacques Peletier du Mans (1 5 17-82). Il faudrait noter que cette "Liste" ne fut jamais pareille; nous avons formulé celle-ci d'après les membres présent vers 1555-56 quand Peletier remplace Des Autels, et Belleau, La Pémse.
Dans sa Franciade, Ronsard écrit:
C'est autre chose d'escrire en une langue florissante ... et de composer une langue morte, muette et ensevelie sous le silence de tant d'espaces d'ans, laquelle ne s'apprend plus qu'à l'escole par le fouët et par la lecture des livres ... (Ronsard 1924548)
Il avance que c'est la loi de la Nature qui fait que la chose morte doit céder sa
place à la vivante, l'ancienne a la nouvelle. La langue fiançaise est la langue de
l'avenir,
Nous examinerons des moyens par lesquels le vocabulaire fiançais s'est
agrandi de plusieurs centaines de mots en observant certaines idées soulignées
dans quelques oeuvres de la Pléiade, notamment les préfaces de la Franczade et
lilbbregé de k r t poelique françoys de Ronsard, et surtout dans le premier grand
manifeste de la littérature fiançaise, à savoir La Deffence et Ihstration de la
langue francoyse. Cette oeuvre, signée par Joachim du Bellay, était le résultat
d'un effort de collaboration de la Pléiade et, de tous les écrits de cette nouvelle
école, elle demeure la plus connue et la plus souvent citée (Marty-Laveaux
1968: 72). La Deflence devint essentiellement le programme de cette école et reprit
plusieurs notions dejà exprimées par ses maîtres vis-à-vis du lexique, tout en
présentant au monde une nouvelle poésie.
En 1549, du Bellay pose les bases de son travail en stipulant premièrement
que toute langue a comme source d'origme l'imagination de l'homme et que, par
par conséquent, aucune langue ne peut être considérée supérieure à une autre. Il
8
proclame dès le début de sa Deffence et Illustration que la langue fiançaise ne peut
être qualinée de barbare, même si (pour le moment) elle n'est pas cultivée: toute
langue est capable d'amélioration. Il rappelle au lecteur que les Romains,
anciennement considérés comme barbares aux yeux des Grecs, avaient une
multitude d'écrivains qui ont su développer et propager leur langue et leur culture.
Selon du Bellay, rien ne peut être plus clair: après plusieurs siècles d'évolution et
de rafnnement, la langue latine a incontestablement surpassé la grecque. Au X W
siècle, il n'y a aucune raison que le fiançais ne puisse se développer et réaliser ce
que le latin avait fait par rapport au grec et ce que I'italien a fait par rapport au
latin, surtout avec tous ces outils disponibles pour cultiver la langue dont
seulement une fiaction avait été mentionnée dans Lo Deffence.
En France, au début du X W siècle, la langue latine est encore la langue de
la culture et de l'écrit. Quant à la langue fiançaise, elle sert plutôt à la
communication orale; c'est la langue populaire ou "vulgaire". La résistance de
deux institutions - llEglise et l'école - ralentit et supprime le développement du
fhnçais. A cette époque, la vulgarisation et la traduction des textes sacrés comme
la Bible sont interdites et, au niveau scolaire, le fiançais est seulement permis
pendant les premières années et est absolument banni au collège. Comme nous
venons de l'indiquer, seul le latin est toléré par l'école et le clergé. Malgré cette
opposition, le fiançais gagne du terrain petit à petit. En 1539, l'entrée en vigueur
de l'ordonnance de Villers-Cotterêts par François 1" permet et prône même l'usage
du fiançais dans tous les domaines juridiques et administratifs6 et stipule que:
. . . d'ores en avant que tout arrests, ensembles toutes autres procédures, . . . soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langaige maternel fiançois et non autrement.
(cité par Wartburg 1934: 133)
Comme nous allons le voir, cette introduction du fiançais dans de nouveaux
domaines a exigé un agrandissement considérable du vocabulaire.
Dans sa préface du Dictionnaire de la Iartgue française du seizième siècle,
Edmond Huguet explique justement ce qui s'est passé dans le lexique à cette
époque:
Les mots qu'on trouvera dans ce dictionnaire sont d'abord ceux qui, employés au XVI' siècle, ont cessé de l'être depuis. Ils sont très nombreux. Les uns appartenaient à notre vieux fonds français, soit venus réguiierement du latin populaire, soit empruntés de très bonne heure au latin ou à d'autres langues, et complètement amalgamés à notre vocabulaire le plus ancien. D'autres étaient entrés plus récemment dans notre langue, par un emprunt au latin, au grec, ou à diverses langues modernes. Ils étaient reconnaissables, souvent mal accueillis et repoussés comme des intrus. D'autres étaient nouveaux venus aussi, mais fomes d'éléments fiançais, de radicaux familiers, associés à des préfixes et à des sufnxes usuels. Faciles à créer, faciles à comprendre, ils naissent en fouie, avec surabondance, et souvent deux, trois ou davantage servaient à exprimer une même idée. ( 192567:vi)
Bien que ce dictionnaire date de l'ère modeme et ne reflète pas précisément I'état
de la langue au XM' siècle mais plutôt des états de langue, son analyse
diachronique nous pexmet de voir jusqu'à quel point et comment la langue a
Tette ordonnance rendait obligatoire ce qui était déji la pratique habituelle.
évolué.
Que ce soit des emprunts a d'autres langues, des mots dérivés, des
néologismes, des archaismes, des mots dialectaux ou autres, Huguet a entrepris
l'énorme tâche de regrouper dans son dictionnaire les mots éphémères avec les
mots un peu plus durables afin de montrer cette quantité et diversité du lexique au
XVI" siécle.
La Deffence et Illustration de [a langue francoyse a bien dû, même avec ses
quelques lacunes7, sen& d'ébauche à un écrivain voulant e ~ c h i r la langue à son
tour. C'est ce que les membres de la Pléiade voulaient et c'est justement une des
raisons pour lesquelles la Defence a été écrites. Du Bellay m e que: <Le
principal but ou je vise, c'est la deffence de notre Langue, l'ornement &
amplification d'icelle . . . > (du Bellay 196 1: 182). Cela dit, nous regarderons
7 A notre avis, les moyens par lesquels nous pouvons enrichir la langue ne sont pas tous mentionnés dans ce manifeste; d'autres se trouvent dans les divers écrits de la Pléiade.
'Henri Chamard, dans l'Histoire de la PIéiQde7 est un auteur parmi plusieurs qui indique que la Defsettce de du Bellay est une riposte à l'Art Poëtipe Frm~çois (1548) de Thomas Sebillet. Celui-ci proposait aux poètes fùhirs de faire la <parfaitte congnoissance dés langues Gréque et Latine: car elles sont lés deux forges d'où nous tirons lés piéces meilleures de notre hamoi9 (Chamard 1939-40, 1 : 162). Ronsard et du Beiiay étaient beaucoup plus exigeants; la révérence aux anciens n'était pas sufisante et ils encourageaient I'innovation et l'emploi de la langue vulgaire.
11
maintenant quelques procédés proposés par la Pléiade pour enrichir la langueg.
Tout d'abord, nous examinerons des moyens qui permettent de puiser
directement dans le fiançais: les archufsrnes, les formes et les fermes
de métiers.
Les archafsmes
Les archafsmes sont des mots vieillis ou retrouvés. Leurs identités ne sont
normalement consewées que dans les dictionnaires historiques, les dictionnaires
contemporains ne recensant que les mots en usage. Ces mots sont parfois
réintroduits dans le lexique pour traduire un phénomène nouveau, ou bien ils
conservent leur sens de jadis avec ou sans modincation(s). A ce propos, du Bellay
incite le lecteur à
voir tous ces vieux romans & poëtes Francoys, ou [il] trouvema[] un ajourner pour fazre jour (que les praticiens se sont fait propre), anuyter pour faire nuyt, assener pourfrapper ou on visoit, &
'Il ne faut pas oublier que du Bellay, Ronsard, Peletier, Baïfet autres sont poètes; dors quand ils proposent d'enrichir la langue, ils parlent surtout de la langue poétique. La prose, par exemple, ne s'était pas privée d'employer les mots que la poésie dédaignait d'utiliser. Malgré cette distinction entre la langue "générale" et la langue poétique, les conséquences d'une doctrine orientée surtout vers la poésie accéléra l'enrichissement et le développement de la langue fiançaise dans tous les domaines.
''Chose étonnante, du Bellay n'examine point les formes âidectaies dans son manifeste, mais nous savons fort bien qu'à cette époque eiles sont monnaie courante et sont recommandées par la Pléiade pour I'enrichissement de la langue.
proprement d'un coup de main, zsnel pour leger", & mil' autres bons motz, que nous avons perduz par notre negligence.
(du Beiiay 1961: 143)
Ronsard revient sur cette idée dans son Abbregé de l'art poetzque françoys quand
il écrit: a u ne dois rejeter les motz de noz vieux Romans, ains les choisir
avecques meure et prudente election> (Ronsard 1923:474) et ajoute quelques
pages plus loin: q u ne desdaigneras les vieux mots François, d'autant que je les
estime tousjours en vigueur, quoy qu'on die . . . > (Ronsard 1923 :489).
Tiré de L'Histoire de la langue franpise de Ferdinand Bnmot, voici un
échantillon de quelques mots que la Pléiade a tenté de conserver au X W siècle:
afonder bienveigner coué eschever esme erre iré meschance orendroit rairn rancoeur etc.
aller au fond accueillir avec bienveillance qui a une queue esquiver estimation course, équipage, conduite, propos inité méchanceté, infortune présentement rameau rancune
Nous pouvons ajouter au lexique des mots qui semblent être vivants mais très peu
utilisés. Ils apparaissent et disparaissent dans les textes des écrivains à diverses
époques:
"De ces quatre exemples, seulement deux (ajourner et assener) sont attestés dans le Petil robe^ (1993).
alenter endementiers gailées isnel mire plaier antan desor se dodouser
retarder, alentir (Ronsard) cependant (du Bellay) galères (du Bellay) léger (du Bellay) médecin (Ronsard) blesser (Ronsard) (Baif) désormais (Baif) se désoler (Baïf)
(Brunot 1966-72, 2: 185-86)
Chamard (1939-40, 4:60) remarque que les mesures prises par la Pléiade
pour préserver les vieux mots n'ont pas toujours réussi. Il explique que des dix-
sept mots de du Bellay, Peletier, et Ronsard qu'il vient de citer", seulement
assener, bouger, et héberger ont survécu, tandis que ajourner et anuiter existent
encore mais dans un sens différent13.
Les membres de la Pléiade n'étaient pas les seuls à employer et à
encourager l'usage des vieux mots mais ils ont néanmoins su propager l'idée du
rajeunissement de ceux-ci plus que quiconque à cette époque.
Comme il l'a toujours fait, l'usage a régenté ce qui resterait et ce qui
partirait. Ce siècle de bouleversements et d'imprévisibilités a forcé certains
écrivains à réécrire leurs travaux de peur qu'ils ne soient pas compris. Chamard
"Du Bellay: ajourner, m i t e r , assener, i d (voir ci-haut), gailées, endemenriers, carrolarzt, cewe; Peletier du Mans: actherdke pour adhérer, heberger pour loger, ost pour armée; Ronsard: dougé, temë, empour, dome, bauger, bouger ...
'%us avons noté (voir note I l ) que anuiter n'est pas attesté dans le Petit Robert (1993) alors que Chamard indique que ce mot existe (malgre son changement de sens); ce qui suggère que ce mot est très rare aujourd'hui.
(1939-40) indique beaucoup de changements et de révisions dans les éditions
ultérieures de la Pléiade, comme le démontre le passage suivant des Amours de
Ronsard (1553):
Un torrent d'eau' s'écoule de mon chef : Et tout confus de soupirs je me pâme, Perdant le feu, dont la drillante fl ame Seule guidoit de mes pensers la nef. (4:62)
où ddante, déjà rare à cette époque, a été remplacé simplement par divine dans
l'édition de 1567 (:62). Comme nous dons le voir, ce phénomène ne faisait que
commencer. Il atteindra sa pleine maturite au XW' siècle.
Il est vrai que la Pléiade a employé beaucoup de mots archaïques mais le
fait de relever ceux-ci pour une étude serait plutôt hstrant. L'exemple du mot
anuiter mentionné un peu plus haut démontre bien ce dilemme. Pour Chamard, ce
mot existe encore dans le dictionnaire; pour nous, non". Ce changement date du
XX' siècle. Alors comment recenser les mots qui étaient vivants puis qui
mourraient du jour au lendemain, quatre siècles plus tôt? Il y a des mots courants
du début du X W siècle qui ont cessé de l'être après quelques décennies ou bien
qui ont sunrécu jusqu'au XWc pour enfin s'éteindre. Ce que nous devons retenir
de tout ceci est que les mots qui sont archaïques pour nous ne l'étaient pas pour
l4Ce mot existe cependant dans le W, le G U , et même le Dictionnaire de I'ticadémie (Y édition de 1992); tous indiquent que ce terme est "vieilli". Sa disparition ou omission du corpus du Petit Robert (1993) est peut-être due à plusieurs raisons, notamment le remplacement de ce terme vieilli par un néologisme plus courant.
eux.
En plus de conserver les mots qui vieillissaient et de ranimer ceux tombés
en désuétude, les membres de la Pléiade ont ni recourir a une méthode que
Ronsard a appelé provzgnernenr. L'idée, fort simple, fut une par laquelle une
multitude de nouveaux mots naquirent. Dans I'A bbregé de ['art poerique françoys,
Ronsard explique ce principe qui est effectivement la dérivation propre
d'aujourd'hui:
De tous vocables quels qu'ils soyent, en usage ou hors d'usage, s'il reste encores quelque partie d'eux soit en nom, verbe, adverbe, ou participe, tu le pourras par bonne et certaine Analogie faire croistre et multiplier, d'autant que nostre langue est encores pauvre, et qu'il faut mettre peine, quoy que murmure le peuple, avec toute modestie, de l'enrichir et cultiver. (Ronsard 1923:489)
Pour reprendre deux exemples de Ronsard, le nom verve pourra donc donner
naissance au verbe verver puis à l'adverbe vervement; de même, lobe (mot ancien
qui signifiait moquerie et raillerie) pourra donner lobber (sisnifiant moquer)
(Charnard 1939-40,4:65-66). Poussé encore plus loin, le provignement s'étendait
jusqu'h la juxtaposition des mots pour former des composés. Le provignement
était donc très ingénieux pour la croissance du lexique, pourvu que la racine soit
un mot encore en usage.
La différence principale entre la dérivation moderne et le provignement
d'antan est que ce denier moyen puisait ses mots dans une source différente;
c'était surtout des mots en voie d'extinction. La dérivation, généralement, se sert
des mots courants, ou au moins, bel et bien vivants. LfafExation ne peut être
hctueuse autrement. C'était le cas du nom essoine (pour encore se seMr d'un
exemple de Ronsard) qui donna essoiner et essoinement. Ce mot était déjà mort
au X W siècle et malheureusement ses dérivés n'ont jamais pu voir le jour.
Les dialectes
Les formes dialectales, voire les provincialismes, ne sont pas mentionnés
dans la Deffence comme moyen d'enrichir la langue mais une chose est certaine:
on ne se gênait pas du tout pour s'en servir; les membres de la Pléiade
encourageaient leur emploi.
Le parler de la région de Paris exemplifiait l'usage courant et accepté de la
langue vulgaire. Mais en partant du principe que tous les dialectes (en France)
sont fiançais, la subjectivité de ce qui était plus fiançais ou qui l'était moins était
décidée selon l'usage. Chaque auteur aimait gamir ses écrits de mots de la région.
Les bornes géographiques dispanirent et les utilisateurs de la langue montrèrent
jusqu'ou leur patriotisme pouvait s'étendre: jusqu'aux parlers de leur temtoire. Le
grand grammairien Henri Estienne n'était pas le seul à remarquer que le fkmçais
avait l'avantage sur l'italien a cet égard quand il écrivait:
Car ainsi que les poetes grecs s'aidoyent au besoin de mots peculiers a certains pays de la Grece, ainsi nos poetes françois peuvent faire leur proufit de plusieurs vocables qui toutesfois ne sont en usage qu'en certains endroits de la France. (cité dans Nyrop 1979:45)
Ronsard et sa Pléiade le savaient aussi. Rempli de dialectes, le français était nanti
d'une richesse inestimable en mots, en proverbes et en tournures de phrases qui ne
pouvaient se trouver ailleurs. Peletiers du Mans, dans l'Art poétique, ofEe
quelques exemples à ce sujet:
Je trouverais encore bon que les mots paysans ... se mettent aux poèmes, comme amocher, mot manceau, qui signine viser à quelque chose d'une pime ou d'un bâton; comme arrocher des noix ou des pommes; item, ancrucher, qui signifie engager quelque chose entre les branches d'un arbre; termes tous deux pastoreaux, dont ils ont bon nombre en notre pays du Maine et en Anjou; item, avier pour ailumer; uces pour sourcils, mots poitevins; vz@lant pour aubépin, Lyonnais; et ceux des autres pays fiançais. Même (nous) prendrons les mots provençaux et gascons, et leur donnerons notre marque.
(cité dans François 1959, 1 : 173)
Cet exemple de Peletier n'eut rien de bien d'intimidant pour les lecteurs car les
auteurs n'écrivaient pas tous leurs travaux en patois. Si cela avait été le cas, très
peu de gens, sauf ceux de la même région, ne les auraient compris. Ecrire presque
exclusivement en dialecte aurait été trop brusque, trop hasardé. Il faut choisir les
<vocables [les] plus signincatifs des dialectes>, peu importe leur origine Cpourveu
qu'ils soyent bons, et que proprement ils expriment ce que tu veux dire . .. >
(Ronsard 1923:474). Les dialectes pris en modération sont plus faciles à digérer.
Archaïsmes vs dialectes
Mêlés aux patois sont les archaïsmes. Celui ou celle qui veut établir une
banque de mots et leur étymdogie doit constater de peine et de misère qu'il peut y
18
avoir plus h e source d'origine d'un mot Tantôt on indique que le mot est un
provincialisme, et tantôt que c'est un archaïsme. Brunot indique que les écrivains
cherchaient les mots archaïques en même temps que les mots dialectaux car les
dialectes <conservent tous, à toutes les époques, des mots disparus du fiançais
propre> (1966-72,2: 178).
Ce que nous pouvons ajouter est le fait que beaucoup de formes dialectales
sont influencées par la prononciation. Du Bellay préfêre ne pas trop s'étendre sur
ce sujet < ... veu que les evenementz du tens, la circunstance des lieux, la
condition des personnes & la diversité des occasions sont innumerables . .. > (du
Bellay 196 1 :33), mais comme nous l'avons déjà dit, les dialectes représentent une
diversité et une richesse inépuisable de mots. Ce sont des mots qui existent mais
dont l'usage est circonscrit; souvent, les mots sont connus seulement de ceux
habitant une région parhculière. Du point de Mie du vocabulaire, l'importance des
mots dialectaux est souvent sous-estimée en grande partie justement parce qu'ils
varient d'une région à une autre. Cette variété des dialectes est vue par certains
comme caractère problématique pour i'enrichissement de la langue nationale.
Langue technique et termes de métiers
Les rennes de métiers sont une source de terminologies abondantes et
spécialisées. Avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts, on devait à tout prix se servir
du fkmçais. La langue technique de la justice et de l'administration était en
position plus que favorable pour être francisée en premier lieu. Elle devait se tenir
debout sans l'aide du latin dont elle dépendait tant.
Ann d'enrichir ses connaissances et son vocabulaire, du Bellay propose:
de hanter quelquesfois, non seulement les scavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriers & gens mecaniques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs & autres, scavoir leurs inventions, les noms des matieres, des outilz, & les termes usitez en leurs ars et metiers ... 15
(du Bellay 196 1 : 172)
et la Pléiade ajoutera bar la plume de Ronsard):
. . . et de la tirer maintes belles et vives comparaisons, avecques les noms propres des outils, pour e ~ c h i r ton oeuvre et le rendre plus aggreable . . . (Ronsard 1923 1474)
Avec toutes les découvertes, les inventions et tous les différents métiers, il n'est
pas surprenant de constater le volume de mots auquel on pouvait avoir accès.
Nous pouvons dire que les ouvriers et les savants ont ajouté leur grain de sel au
lexique. Brunot l'a bien signalé:
Les savants eux-mêmes se réclament dans leurs innovations ... des droits qui leur créent les matières spéciales dont ils traitent. Les lettrés proprement dits leur reconnaissent aussi une liberté exceptionnelle dans le barbarisme. A vrai dire, la distinction fondamentale qui existe entre la langue technique et la langue courante avait donc commence à être aperçue dès cette époque.
1 5 ( t ~ ~ q u e u ici signifie .artisanal, ouvrier»; m h i e r s remplace le substantif marins qui était peu utilisé (synonymes: nautoniers, matelots); engraveurs prend le sens de graveurs.
L'une n'en devait pas moins pénétrer l'autre. l6 ( 1966-72, 2: 166)
Du Bellay et la Pléiade constatèrent que les
ouvriers.. . jusques aux laboureurs mesmes, & toutes sortes de gens mecaniques, ne pouroint conserver leurs metiers s'ilz dusoint de motz a eux usitez & à nous incongneuz. (du Bellay 196 1 : 13 8- 139)
Pour nous donner une petite idée, voici quelques exemples tirés du domaine de la
marine: nautique, naviguer, navigation, navigable et navigateur; <Nef disparaît
peu à peu au profit de navire>; un Qateau de pescheur> est un batelet, esquzf(fh
XVc), naufrager; vaisseau pour bateau (au lieu de récipient); ramer, galériens
(condamnés a bord des galères), le comzte (un officier portant un fouet), argousins
(des surveillants), hespdzer (le premier rameur du banc), coursie (un passage enEe
les bancs), etc.. . (Matoré 1988:3 12-3 13)
La traduction
Plusieurs chapitres de la Deffence sont consacrés à la traduction. Pour
'T'est grâce aux gens comme Ambroise Paré (1 5 1 7- 1 590), le "fondateur de la chinirgie moderne", que le fhçais a pu infiltrer les sciences. Paré, ne cornaissant pas le latin, écrivait tous ses iivres de médecine en fiançais (Wartburg 1934: 137).
améliorer la langue, du Bellay propose l'imitation des oeuvres étrangères". Il
souligne que les Romains imitèrent les Grecs; dors il serait préférable et profitable
que les Français fassent pareillement en plus d'imiter les Romains (Ies Latins). il
explique que
. . . [si les traducteurs] rencontrent quelquefois des motz qui ne peuvent estre receuz en la famille Francoyse: veu que les Latins ne se sont point eforcez de traduyre tous les vocables Grecz . . .18
(du Bellay 1961:59),
ils devraient toutefois les incorporer au fiançais. Les gens hésitant à adopter les
mots étrangers pourront recourir aux périphrases de ceux-ci, lesquelles senriront
de truchements.
Ce phénomène qui s'appelle l'emprunt, Were de celui nommé héritage.
Les unités lexicales d'emprunt peuvent être vues comme < ... les unités lexicales
issues d'une autre langue . . . > (Kocourek 199 1: 153) mais nous pouvons parler
aussi de l'emprunt G 1I'intérieu.r de la même langue> (: 152), c'est-à-dire l'emprunt
aux différents dialectes géographiques et sociaux, de même qu'aux différents
"Sans reculer jusqu'aux anciens travaux grecs et latins, l'idée de Pimitation est une de celles que du Bellay ne s'est jamais gêné diitiliser. Plusieurs travaux comme celui de Chamard (Histoire de la Pléiade) citent des idées, des paragraphes, et même des chapitres entiers traduits directement de l'oeuvre de l'Italien Sperone Speroni qui est intitulé Dialogo delle Lingue ( 1 542). A cette époque l'imitation et la traduction étaient encouragées et le terne plagaire @lagere 1 584; kt. plagurus acelui qui vole les esclaves d'autniiu, du grec plagios .oblique, fourbe)) ne semblait avoir aucune connotation péjorative (pour les écrivains en tout cas).
'% Bellay cite <rheton'pe, musique, ananthmetique, geoméhie, [et] phyIosophie> (1 96 1 : 59) comme exemples.
métiers et domaines (emprunts terminologiques) (: 152). Pour l'héritage, c'est
l'écoulement du temps et I'évolution qui le caractérisent:
Les mots les plus courants du fiançais sont en grand nombre hérités du latin, c'est-à-dire représentent l'aboutissement modeme de mots latins phoniquement altérés au cours des siècles .. . 19
(GLLF, Art. "L'empnint" : 1579)
Pour reprendre cette idée, le traducteur pouvait se semir de certaines
démarches pour rendre les concepts exprimés par les mots grecs ou latins. La
démarche la plus simple consistait a laisser le mot en question comme tel sans
aucune altération, aucun changement. Un moyen plus subtil était de remplacer le
mot indigène par un mot déjà fiançais auquel on attachait un sens différent. Ces
deux procédés, le premier ayant un résultat assez choquant et bizarre (de voir des
mots écrits en grec dans un texte fiançais, par exemple), le deuxième nécessitant
une imagination fort vive et un esprit assez ouvert pour accepter une dénotation
autre que celle à laquelle on était habitué, ont cédé la place au moyen le plus
commode qu'est la légère modification de ces mots malcommodes par l'ajout de
terminaisons françaises.
L'emprunt et l'héritage
Les anciens Romains avaient emprunté à la langue grecque si bien que
''Le G r d Lurousse de fa Imgue j*ançaise donne comme exemple le mot roi, anciennement prononcé Irege, puis *reyye, puis "rei. C'est la forme française prise par le latin.
cdesormais [les nouveaux mots] n'apparaissent plus adoptifk, mais nature@ (du
Bellay 1961:25). Du Bellay suggère d'<emprunter d'une Langue etrangere les
sentences & les motz, & les approprier i la sienne> (:46-47)" comme jadis
l'avaient fait les Rom& qui ~avoint emprunté tout ce qu[e les Grecs] avoint de
bon, au moins quand aux Sciences et illustration de leur Langue (:2 1).
Il sufst de feuilleter n'importe quel dictionnaire étymologique pour voir a
que1 degré les langues grecque et latine ont été utilisées; néanmoins les emprunts
aux langues vivantes ofFrent aussi une source considérable de nouveaux mots pour
le fiançais. La langue préférée des auteurs fiançais au XVI' siècle est l'italien. A
l'époque de la Deffence, l'italien surpasse le fiançais, les humanistes italiens faisant
beaucoup d'efforts pour écrire dans leur langue vernaculaire. Du Bellay reconnaît
l'italien comme étant une source importante de mots et d'inspiration pour le
fiançais. Il dit que <mesmes [les] Italiens, qui ont beaucoup plus grande raison
d'adorer la Langue Latine que nous n'avons> (du Bellay 196 1 : 189) ont souvent
2"Edmond Huguet (1 925-67:xi) remarque que Beaucoup [de mots] n'étaient que des doublets et n'ajoutaient rien au sens du mot primitE on voyait côte à côte pelerin et peregrin, sauveur et salvateur, vengeur et vindicuteur, étincelle et scintille, cmuuté et crudelié, vergogne et verecundie, coi et quiet, tiede et tepide, raisonner et ratratrociner.
Aujourd'hui nous retrouvons p è i e ~ @degrinus))' mais pérégrination (peregrimo), sauveur et sdvateu r (sulvator), vengeur (vendicaor) mais vindicatif(4ve) (vindicare), étincelle mais scintiller(-ment, etc.) (scintilla), cmant6 (crude1ita.s) mais non cmddité, vergogne (verenrnda) mais non verecundie, coi et quiet (quietus), tiède (tepidus), raisonner (rationare) et ratiociner (ratiociinmi'). ' Le latin est entre parenthèses et en italiques. (Le Petit Robert, 1993)
opté d'écrire dans leur langue vulgaire. Les Français se doivent de le faire aussi.
Malgré le développement exemplaire de la langue italienne, l'emprunt excessif a
cette langue est à éviter par la Pléiade. A cette époque tout ce qui est italien est à
la mode, y compris la cour, l'art, et les vêtements. De l'italien, plus de 300 mots
ont été empruntés. Voici une liste brève des termes militaires empruntés à l'italien
qui existent encore de nos jours:
alerte ou a llierte, à l'&el afl'erîa,(sur la hauteur); arquebuse/ archzbuso attaquer/ altaccure; bastion/ baslime; bataillon/ battaglione; brigade/ brigata; brigand/ brigante; canon/ cannone; cantine/ cantina; capord caporaie; cartonchel carîoccio; cavailerid cavallerta; citadelle/ citadella; coloneV colonneilo; embuscade/ imboscuta; escadron/ squadrone; escrilade/ scalata; escarmouche/ scurmuccia; escorte/ scorta; espion/ spione; parapet/ parapetto; révoltel rivolta; sentinelle/ sentinella; soldat/ soldato; vedette/ vederta.
(Nyrop 1979:60)
Il y a aussi eu I'italianisation de certains mots comme chiennaifle qui est
devenu canailie sous i'infîuence de canugiia, ggarlande devenu ghirlande
(guirlande) sous celle de ghirlmdù, trernontane devenu tramontane de
tramontuna (Huchon 1988:74), ainsi que l'emprunt des sufExes comme -ade
(ambassade, estrade), -esque (arabesque, barbaresque), et -issime (richissime,
rarissime) qui ont tous contribué à l'enrichissement du lexique fiançais. ~'italienl'
est de loin la langue dont le fiançais a emprunte le plus souvent au XVI' siècle,
comme le démontre le tableau suivant:
21Quelques exemples d'italianismes de du Bellay dans la "Vieille Courtisane" des Jeux rustiques: b d e l (prévôt de police), fantesque (soubrette), chambre locnnde (de location), quatrin (une pièce de monnaie), caparelie (cache-sein). (Sauinier 1968: 154)
me .... 79 XVIIlt .... 101 X W ... 320 mots italiens XDCt ...... 67 m .. 188 XXe ....... 10
(GLLF, Art. "L'emprunt" : 1588)
Si grande fut son influence que la langue italienne était impossible à ignorer. Mais
parmi les centaines de mots italiens entrés dans le lexique fiançais au XVI' siècle,
seulement un petit nombre avait été employés par la Pléiade, la raison probabie
étant d'ordre extra-linguistique: la jalousie. L'emprunt à une langue vivante (une
langue prêteuse) impliquait d'une certaine façon que la langue receveuse était
inférieure à ceiie ou on empruntait. Négligeable peut-être, cette jalousie ne peut
... être pratique car < un pays ne peut jamais estre si parfait en touf qu'il ne puisse
encores quelque-fois emprunter je ne sçay quoy de son voisin> (Ronsard
1923:475). Un peu plus bas Ronsard proclame qu'il ne faut ignorer les langues
étrangères; au contraire, il recommande qu'on les sache parfaitement car sa théorie,
appuyée par d'autres membres de la Pléiade, est qu'<il est fort malaisé de bien
escrire en langue vulgaire si on n'est parfaictement, à tout le moins mediocrement
instruit en celles des plus honorables et fameux estrangers, (Ronsard 1923:477).
La néo/ogie
La création ou formation de mots nouveaux, appelée néologie, est un autre
processus par lequel le lexique d'une langue est enrichi. Quand Ronsard fièrement
26
écrit: <Plus nous aurons de mots en nome langue, plus elle sera parfaitte> (Brunot
1966-72, 2: 168), i l laisse la porte grande ouverte, pour ainsi dire, à tous ceux
voulant apporter du nouveau à la langue. Cette liberté est devenue pour certains
comme un mur sur lequel on peut s'accouder < . .. pour masquer le vide et la
banalité de la pensée (Brunot 1966-72, 2: 168). Presque tout un chapitre (46) de
la Deffence est consacré aux néologismes et est convenablement intitulé:
4Yinventer des rnotz, & quelques autres choses que doit observer le poëte
Francoyy (du Bellay 196 1 : 137). Peletier du Mans fait autant dans son Art
Poëtzque de 1555 quand il écrit: <Quant et de I'innovacion des rnoz, faudra aviser
si notre langue an aura faute: e an tel cas, ne se faut feindre d'an former des
nouveaus> (Charnard l939-40,4:52) de même que Ronsard qui ajoute: <tu
composeras hardiment des mots à I'imitation des Grecs et L a w (Ronsard
1923 :488). Dans la préface de la Franczade (1 Ronsard encourage i'invention
mais signale vivement que le tout doit suivre un patron cdesja receu du peuple
(Ronsard 1924547). On inclut aussi dans les néologismes les mots déjà en usage
auxquels on donne des sens nouveaux. Donc, il peut y avoir, comme le mentionne
Maurice Grevisse, des <néologismes de mots et des néologismes de s e n 9
(1969:20). A ce propos, du Bellay m e :
. . . celuy qui entreprendra un grand oeuvre.. . ne craigne point d'inventer, adopter & composer à I'immitation des Grecz quelques motz Francoys, comme Ciceron se vante d'avoir fait en sa Langue. (du Bellay 1961: 137)
C'est la spontanéité de la langue qui exige cette innovation. A cet égard,
Ferdinand Brunot a choisi probablement le meilleur candidat pour a m e r ce point
au XVIc siècle: le grand médecin/écrivain François Rabelais:
. . . Rabelais entassa la plus extraordinaire collection de mots nouveaux qu'homme ait jamais jetée dans un h e . Latin, grec, hébreu même, langues étrangères, argot, patois, il emprunte partouf à toutes mains; et en même temps il forge noms et mots, dérive, compose, pour plaisanter ou sérieusement; tous les procédés, populaires ou savants, lui sont bons. (1966-72, 2 : 169)
Du Bellay souligne que les choses inventées doivent avoir des mots inventés <dont
I'usaige n'est point encores commun & vulgaire> (du Bellay 196 1: 138) pour les
désigner. Cela exigerait l'emprunt de beaucoup de termes étrangers au langage
f d e r (les métiers spécialisés nécessitent un vocabulaire spécialise).
La dérivation impropre
La Deffence fait d'autres recommandations pour enrichir le vocabulaire. Un
procédé qu'il évoque, et que l'on appelle aujourd'hui la dérivation impropre,
consiste a faire passer un mot d'une catégorie grammaticale (ou classe lexicale) a
une autre. C'est un moyen qui, pouvons-nous le dire, donne a un mot une valeur
autre que celle qui lui a déjà été attribuée. Pour clariner, certains textes placent la
dérivation impropre dans La catégorie du style, le style étant le résultat des
interactions entre les mots, leurs différentes combinaisons. Parmi ses exemples,
du Bellay suggère d'utiliser chardiment de l'infinitif pour le nom comme Z'aller>
2 8
(comme dans les exemples modernes: "l'der a éte plus facile que le retour" ou
bien un "aller retourt1), d e chanter>, 4 e vivre> pour "la vie", ou bien "les vivres"
(qui signine "la nourriture", "les provisions"), <le mourir>, etc. Il propose aussi
d'employer l'adjectif pour le nom (l'adjectif substantivé), comme d e liquide des
eaux, le wzde de l'air, le fraiz des umbres. l'epes [épais] des forestz, l'enroué des
cimballes> du moment que cela ajoute un certain caractère au discours et non
simplement des mots superflus comme dans les exemples d e chauit dufeu, le
froid de la glace, le dur du fer, et leurs semblable* (du Bellay 196 1: 160). Il
recommande aussi i'usage des verbes et participes, <qui de leur nature n'ont point
d'infini& apres eux, avecques des innnitifz, comme tremblant de mourir &
volant d'y aller, pour craignant de mourir et se hatant d y aller> (: 160-6 1) et le
remplacement des noms par des adverbes, comme eilz combattent obstinez, pour
obstinéement, il vole leger, pour legerernen~ (: 16 1) etc.
La rhétorique et le détournement de sens
Dans La Deffence et Illusirution, la dérivation impropre suit de près la vertu
de l'élocution, d'ou du Bellay nomme les
. . . methaphores, alegoties, comparaisons, similitudes, energiesP & tant d'autres figures & ornemens, sans les quelz tout oraison & poëme sont nudz, manques et debiles .. . (:35-36)
%ur du Bellay, "energie" signifie <grandeur de style, rnagnincence de motz, gravité de sentences, audace & varieté de figures, & mil' autres lumieres de poësie .. . > (140).
29
Lorsqu'on transpose un mot d'une catégorie grammaticale à une autre, on y ajoute
quelque nuance(s) quant a son sens. Justement, ce ne sont plus les mots eux-
mêmes mais leur interaction, leur changement de sens et le détournement de leur
usage habituel que les futurs poètes (et tous les autres utilisateurs de la langue)
doivent être capables de bien manier. Des métaphores telles que: 4uflamrne
devorante, les souciz mordans, [(a gehinnunte sollicitude> (: 162) en sont des
exemples. L'emploi de l'<antonomasie> (antonomase) qui <designe le nom de
quelque chose par ce qui luy est propre ... > (: 161) est aussi fortement
recommandé. Il offre les exemples <le Pere foudroyant, pour Jupiter: le Dieu
deux fois né, pour Bacchus: la Vierge chasseresse, pour Dyane> (: 16 1).
Du Bellay osa dire que la majorité des gens littéraires fiançais de son siècle
méprisent et dévalorisent leur langue maternelle. Il conclut que les Français sont
<moins scavans en toutes Sciences ... > (:65) que les Anciens parce qu'ils passent
leur temps a apprendre les langues étrangères au lieu des arts et des sciences. Son
plaidoyer supplie les écrivains fiançais d'écrire en leur langue au lieu de recourir
au latin car ce n'est qu'en utilisant la langue qu'elle pourra se développer,
s'améliorer et être digne d'une grande nation qui la parle.
La Deffence et Ihstration en elle-même peut être considérée comme étant
un exercice linguistique qui a pennis à du Bellay de regrouper sous un même toit
des moyens disponibles qu'il estimait nécessaires et pertinents à son époque pour
l'enrichissement de sa langue. La nécessité d'une réforme de la poésie et de la
30
langue en général n'avait jamais vraiment été ressentie auparavant avec une telle
passion et un tel patriotisme. La Deffence et Illustration de la langue francoye
n'est pas seulement un manifeste du XVI' siècle parmi plusieurs; c'est entre autres,
un rêve utopique d'un poète devenu (pour le moment) linguiste.
Pour conclure, la Pléiade ne fit pas la seule à s'intéresser au vocabulaire,
Ioin de là. Faute de temps, une étude plus approfondie n'aurait sans doute pas
oublié un travail comme la Précellence du langagefrançais de Henri Estienne qui
présente davantage les moyens d'enrichir le lexique tels les mots de métier, les
mots nouveaux, les archaïsmes, les mots dialectaux, etc. dont nous avons déjà
discuté.
En somme, le XW siècle a jeté les bases du développement de la langue de
même que de l'établissement d'une attitude nationaliste envers cette dernière.
Oeuvrant pour l'identité du fiançais, la Pléiade, tout en empruntant lourdement aux
langues étrangères (celles provenant d'une autre nation de même que des couches
peu connues du français Des ternes techniques et les dialectes, par exemple]) pour
enrichir le français littéraire, a aussi voulu éviter sa contamination par celies-ci.
Cette idée, moindre qu'elle ne paraisse pour le moment, mène néanmoins a un
grand concept qui envahira les années à venir.
Chapitre II
Le XVIIc siècle: le siècle des dictiomaires et du purisme
Le grand projet d'épuration, nous pouvons le dire, a eu ses véritables débuts
avec Malherbe (1555- 1628). Cet écrivain tente d'effacer ce que le collectif de la
Pléiade a réussi à faire. Il décide qu'un vocabulaire considérable est un
vocabulaire instable et peu attrayant. Le coeur de sa doctrine: que la langue doive
rester pure et que personne (y compris le roi) ne puisse la changer.
S'attaquant d'abord aux mots d'origine étrangère, Malherbe nie ensuite Les
formes dialectales, les dérivés de tout genre (propre et impropre), et enfin les
termes techniques et les néologismes, voire <toutes les expressions qui ne peuvent
être comprises de tout le monde (Gégou 1962:21) (et tout ce que prêchait la
Pléiade), jusqu'à rendre la langue dangereusement proche de la stérilité absolue.
Comme l'indique Brunot,
Ainsi toute la doctrine de Malherbe sur le vocabulaire est essentiellement restrictive ... ce ne sont pas des additions [comme le désirait la Pléiade] ce sont des retranchements qu'il s'agit d'y faire.
(1966-72, 3 :6)
En plus d'abolir le vocabulaire qui n'était pas courant, Malherbe a aussi voulu
bannir la langue populaire (Gégou 1962:21). Donc, grand contraste avec la
doctrine de la Pléiade; et encore la division en deux camps.
A partir d'ici le lexique est mis en rapport avec l'usage. Vaugelas (1595-
32
1650) d é f i t ce en quoi consiste le "bon usage" dans sa Préface (Caput 1972-75,
1:2 17-2 19). n divise l'usage, ce cmaistre des langue^, en bon et en mauvais, ce
demïer étant celui du peuple, de la majorité, mais considéré comme bas car il
s'agit, entre autres, du langage des <noumice~ et des domestique^. Le bon
usage, quant à lui, est <composé non pas de la pluralité, mais de I'élite des voix>,
c'est-à-dire de l'usage de la Cour. Il est complimenté par l'usage qu'on retrouve
chez les <bons Autheurv et, avec un peu dliésitation, par celui des <sçauantY
(savants). Vaugelas explique que le lexique de ces derniers est <moins necessaire,
parce qu'il se présente beaucoup de doutes et de Wcu l t eq que la Cour n'est pas
capable de resoudre>. Ce critère, comme nous le verrons, sera d'une importance
capitale dans l'établissement du dictionnaire d'Antoine Furetière par rapport au
dictionnaire de l'Académie fiançaise.
Pour Malherbe et ses contemporains, les vieux mots disparus sont mis au
même pied que ceux qui sont en voie de disparaître, des mots tout à fait légitimes
mais peu usités. Même si l'Académie fiançaise revient sur sa décision d'inclure les
vieux mots dans son projet du Dictionnaire, Vaugelas a toujours une certaine
tendresse
pour tous ces beaux mots ... opprimez par la tyrannie de Wsage, qui ne nous en donne point d'autres en leur place, qui ayent la mesme signification et la mesme force. (Brunot 1966-72, 3 :99- 100)
Les mots dialectaux, eux non plus ne sont pas à la mode. Le siècle
précédant les avait acceptés avec réticence mais a cette époque, ils étaient
33
méprisés. L'influence de Paris et de la Cour s'est assuré de puriner le ftançais en
la dégmconisant, c'est-à-dire, en éliminant les mots dialectaux et provinciaux et
les expressions qui ne figuraient pas dans le parler de la Cour.
Le même sort est jeté aux mots techniques et de métiers. On regroupe le
tout en une classe de mots vieux, bas, déshonnêtes que Malherbe et ses pairs
renient. Les emprunts a d'autres langues, tout comme les emprunts aux
communautés linguistiques géographiques (aux dialectes du français), sont aussi
repoussés. Donc, des mots tels pume, charogne, cadavre, vomir, etc., sont trop
désagréables; face, <parce qu'un mauvais plaisant avait eu un jour l'idée d'appeler
telle partie du corps la face du grand Turc> (Wartburg 1934: 168) et poitrine,
qu'on remplace par estomac, sont tous bannis. Pour compliquer le problème, la
précision des idées, sans aucune grande surprise, est rendue floue. Le terne crier
doit s f i e là où Ronsard <avait spécifié entre pépier, augler, craqueter, fringoter,
etc.> (: 168). Encore une chance que, comme l'indique Wartburg, beaucoup de
mots ont pu résister à cette persécution. Nous avons toujours angoisse, ardu,
bénin, condoléance, immense, et tant d'autres au XX' siècle.
Le sentiment général envers les néologismes semblait indiquer le refus ou
plus précisément la futiLité de la création vu que la langue était déjà sursaturée de
mots peu usités. A quoi bon inventer un mot si l'on en rejette deux anciens à sa
place? Les néologismes et les archaïsmes n'étant pas d'usage uniforme à travers la
langue (et c'est ici la clé), sont automatiquement interdits. Wartburg (1934: 168)
dit du néologisme que celui-ci d o i t donc faire d'abord un long stage dans la
langue de la conversation> avant d'être approuvé comme véritable entité du
lexique. La dérivation impropre, par contre, est plus subtile dans son approche.
Les mots existent d'avance, et on ne fait que les employer différemment. II en
résulte une nouvelle façon de parler @ m o t 1966-72, 3:225). La communauté
linguistique, dans ce sens, n'est pas exposée à une nouvelle forme (un nouveau
mot) de même qu'une nouvelle fonction (la polysémie), mais seulement de cette
dernière. Il va de même de la dérivation propre, d'où les termes accrus de préfies
et/ou de suffixes sont plus attrayants que les termes allogènes (y compris les
dialectes). Ces deux différents moyens d'enrichissement, de même qu'un troisième
(non morphologique), à savoir le détournement de sens, ont eu plus de succès que
les autres types à cette époque.
Le X W e siècle est aussi le siècle des dictionnaires. Les premiers
dictionnaires véritablement en fiançais naissent à cette époque, soit d'abord le
Thresor de ia langue frunçoise (1606) de Jean Nicof puis le Dictionrzuzre
Universel de Furetière et le Dictionnaire de /'AcadémieP. Ces deux derniers
valent la peine d'être examinés un peu plus profondément car étant très distincts
par leur approche, ils proposèrent chacun un idéalisme différent de la langue.
23N'étant pas un travail sur I'histonque des dictionnaires, i'omission ou l'insertion d'une réfërence à un dictionnaire en particulier (le premier venant à l'esprit étant celui de Richelet) n'est pas ce qui compte. Ce qui nous intéresse pour le moment sont ces deux derniers.
L'Académie fiançaise est fondée en 1635: elie naît de l'idée de Jean
Chapelain appuyé par Richelieu. Ce dernier espére que cette nouvelle institution
devienne <le juge du langage et des productions Littéraire9 (Brunot 1966-72,
3:33). Elle s'inspire de l'académie florentine de L a Cmca en Italie.
Réimprimés dans La lunguejPançaise (histoire d'une institution) de Jean-
Pol Caput sont les statuts de l'Académie fiançaise dans lesquels nous retrouvons
trois buts que l'Académie désirait atteid-e et qui sont pertinents pour ce travail:
24. La principale fonction de l'Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possible a donner des règles certaines à notre langue et a la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences.
25. Les meilleurs auteurs de la langue fiançoise seront distribués aux Académiciens pour observer tant les dictions que les phrases qui peuvent servir de règles générales et en faire rapport à la Compagnie qui jugera de leur travail et s'en servira aux occasions.
26. Il sera composé un Dictionnaire, une Grammaire, une Rhétorique et une poétique sur les observations de l'Académie.
(1972-75, 11206)
Au début du XWe siècle les lexiques étaient des pots-poumis de tous les
termes, l'absence de certains étant la conséquence de l'oubli ou d'une simple
négligence. Malherbe, avec sa langue du bon usage, établit un lexique plus
raniné, moins bas, que ses précurseurs. Ce lexique appauvri sera celui du
Dictionnaire de I'Académie (Gégou l962:2 1-22).
Dictionnaire de /'Académie
L'esquisse d'un nouveau dictionnaire fut dressé par Chapelain en 1634 (un
an avant la formation de l'Académie). Ce devait être le <trésor et le magasin des
termes simples et des phrases reçues...#> (Gégou 1962:23) de la langue fiançaise.
En exploitant les mots puisés des textes des meilleurs auteurs dits consciencieux
de vouloir présemer la pureté de la langue, le dictionnaire visait à cataloguer
alphabétiquement les termes simples. Ces ternes seraient suivis de leurs
composés, de leurs dérivés, et de leurs diminutifk en plus des <phrases qui en
dépendent avec les autorités> (Gégou 1962:24). On avait aussi suggéré une
traduction latine a laquelle les débutantdapprenants de la langue pouvaient
recourir. En plus de marquer le genre et le nombre de chaque entrée, la distinction
de ce qui était poétique ou prosaïque et surtout de ce qui était du langage "élevé"
ou "bas" était sur le tableau. En demier lieu, mais aussi important, le tout serait
écrit 4i l'orthographe reçue pour ne pas troubler la lecture commune ... > (Gégou
1962:23-24).
Le deuxième échelon de ce projet grandiose était d'organiser tous les
ternes. simples et complexes, en ordre alphabétique avec seulement un renvoi à la
page ou le terme en question figurait dans le <Grand Dictionnaire> (Gégou
1962:24). Et ce serait ici-même où les termes hors d'usage, c'est à dire les
archaïsmes, seraient répertoriés afin de permettre l'étude et la lecture des textes
anciens. Exclus du volume sont les noms propres de même que
tous les termes propresU qui n'entrent point dans le commerce commun et ne sont inventes que pour la nécessité des arts et des professions, laissant à qui voudraient, la liberté de faire des dictionnaires particuliers pour l'utilité de ceux qui s'adonnent a des co~oissances spéciales. (Gégou l962:M)
Nous verrem que ces <termes proprev se retrouveront dans un dictionnaire
<particulier> qui à fait fkeur même et surtout avant sa parution.
Celui qui engendrera ce dictionnaire, de même que toute une controverse, se
nommait Antoine Furetière, et il s'attaquera à cette énorme lacune (et bien d'autres)
laissée par les Académiciens et les autres lexicographes en ofEant au peuple un
dictionnaire vraiment "universel".
La Préface du Dictionnaire de i'rlcadémie (1694) définit bien la position de
celle-ci en ce qui concerne le choix des mots et leur classement. L'ébauche de
Chapelain dressée auparavant et résumée ci-haut n'avait pas été embrassée par la
Compagnie. Plutôt, les membres de cette dernière se sont vus a la fois maîtres et
serviteurs de "l'usage". Après quasiment soixante ans de peine et de misere,
1'Académie fiançaise s'est débarrassée de son fardeau pour enfin le rendre au
peuple. Regardons plus attentivement ce qui avait été écrit dans ce travail
impatiemment attendu.
Tout d'abord il est écrit que le dictionnaire sera autant pour le peuple
*'Ternes propres veut dire "qui est propre à ou appartient à un domaine" (d'art, de science, de métier), voire "terme spécialisé", et n'est pas synonyme de nom propre.
38
fiançais que pour les étrangers qui veulent apprendre la signification des mots ou
<qui n'en cornoissent pas le bel usage [Académie 1974:Mil. Tous les mots
considérés comme bas ou ceux qui cblaissent la Pudeur> [:XI sont exclus. Dejà, le
lecteur peut s'attendre à un vocabulaire choisi et censuré.
En ce qui concerne la source des matériaux, l'Académie jugeait utile de ne
pas inclure les mots vieillis et centierement hors d'usage> [:viii] (ternes
archaïques), ainsi que ceux des Arts et des Sciences <qui entrent rarement dans le
Discours> [:viii]. Elle opta pour la langue commune, mais non basse, utilisée par
la Cour, les meilleurs orateurs et les poètes les plus distingues de Ifépoque. A ses
débuts, le contenu du Dictionnaire de l'Académie consistait en des mots qu'on
avait dépouillés des textes des meilleurs écrivains mais s'est rapidement vu réduit à
cause de la longueur des citations et de la méticulosité de cette entreprise.
L'Académie s'était vue dans la même position que Cicéron à son époque.
Ce dernier, après avoir fait tant de réflexions relatives à la langue latine, constata
que celle-ci cestoit b é e à un degré d'excellence ou l'on ne pouvoit rien
adjouter> [:vüi]. C'est pour cela que l'Académie ne reconnaissait pas les
archaïsmes. Recourir aux vieux mots aurait constitué un pas en d e .
Un peu plus loin dans sa Préface, l'Académie reprend sa position vis-à-vis
des mots archaïques en indiquant qu'elle ne les a pas tous éliminés; ceux d'entre-
eux ayant Qncore quelque usage> [:XI ont été épargnés.
Grosso-modo, l'Académie a donné <la Definition de tous les mots communs
de la Langue dont les Idées sont fort simples> [:viü]. Elle considère cette tâche
beaucoup plus nécessaire et astreignante que de définir les mots des Arts et des
Sciences justement parce que ces demiers sont formulés d'après ces premières
définitions. Afin de mieux comprendre ce qui vient d'être écrit, prenons ce court
exemple que nous donne l'Académie:
. . . il est bien plus aisé . . . de definir le mot de Telescope, qui est une Lunette à voir de Ioin, que de de& le mot de voir ... [:viii]
Les mots sont rangés par racine? peu importe leur origine, <soient
d'origine purement Française, soit qu'ils viennent du Latin ou de quelqu'autre
Langue> [:ix], et ils sont suivis de leurs dérivés et composés. Furetière, comme
nous le verrons, reproche à l'Académie cette structure en disant que cela n'est pas
commode pour les langues vivantes comme le fiançais qui puisent leurs mots de
plusieurs sources. Il ajoute que les anciennes langues prenaient leurs dérivés et
leurs composés d'un même fonds tandis que les langues vivantes peuvent les
prendre et les emprunter à d'autres langues. Les critiques à travers les siècles ont
souvent mis de côté les raisons de l'Académie pour cette maladresse en disant que
les académiciens, ayant déjà basé leur dictionnaire sur ce modèle, voulaient en
finir avec le tout et halement imprimer leur travail difficile. Quand il s'agit de
doublets, c'est à dire des mots <qui sortant d'une mesme souche Latine, ont fait des
25Cet arrangement était fort malcommode. Ggou (1 962:3 1) nous donne l'exemple suivant: dtencanuiZler, on doit se rapporter à canaille, de canafcanafIZe à chien, et à chien on ne trouve pas trace d'enccmaillr.
4 0
branches assez Merentes en François pour estre m i s chacun à pam [:ix] et des
mots d'origine latine qui n'ont formé que des dérivés et des composés sans mots
primitifs fiançais26, on fait exception a cette démarche.
Pour chaque entrée, les synonymes sont indiqués de même que les
~Epithetes qui conviennent le mieux au Nom substantiP [:ix] en plus des phrases
les <plus receuës, & qui marquent le plus nettement 1'Employ du mot dont il
s'agit> [ : ix] .
Pour terminer l'entrée, 1'Académie a fait 1'eEorP7, paraît-il, de recueillir les
proverbes et les maximes même si elle en considérait plusieurs comme étant
méprisables: 4 y en a qui se sont avilis dans la bouche du menu Peuple> [xi].
Néanmoins, ils font partie de la langue courante et ne peuvent être ignores.
Le Dictionnaire Universel
Le Dictionnaire Universel (1690)'' de Furetière présenre la richesse
lexicale de i'époque. En travaillant, paraît-il, jusqu'à seize heures par jour pendant
plus de quarante ans, Antoine Furetière a achevé cette oeuvre remarquable en la
26L'Acadérnie nous donne les exemples de <collStrtlrire & destmire qui viennent du mot Latin smtere, qui n'a point passé en Françoie [1974:ix].
"Nous disons ef/ot? justement parce que ceci semble être un contraste assez significatif dans la doctrine de l'Académie et son insistance sur le bon usage. Pour les proverbes en tout cas, ils sont plus tolérants.
2gDictionaire universel contenant generulement tous les mots Frunçois tant vieux que modernes, & les Termes de tmites les Sciences et des Arts.
moitié du temps de son concurrent devenu véritable ennemi: la Compagnie
(l'Académie fiançaise). Malheureusement, Antoine Furetière meurt avant la
parution de son dictionnaire.
Dans la préface du dictionnaire, Pierre Bayle écrit que Furetière avait eu la
chance de voir les bonnes et mauvaises qualités des dictionnaires qui précédèrent
le sien et par la suite, put rafnner et perfectionner son travail. Un siècle plus tôt,
les anciens dictionnaires, étant les premiers, n'avaient aucun modèle.
De manière assez discrète, Bayle reprend le conflit entre Furetière et
l'Académie fiançaise en stipulant que lorsqufon censure le travail d'autrui, on doit
être assez certain de son coup. Mi. Furetière, continue Bayle, a fait cela <selon Ia
plus scmpuleuse precision> [1690:ii] en rédigeant son chef-d'oeuvre. Bayle cite
clairement la position de l'Académie fiançaise et de ses partisans envers la langue
et qui est certainement ce qui distingue cette oeuvre de celle de Furetière. D'un
ton sec, qui rappelle un Antoine Furetière venimeux, la préface pose la question
ampoulée: <Quel est son caractere essentiel?> [:Mi] à propos du rôle de
I' Académie :
C'est de fixer les beaux esprits . .. de les fixer, lors qu'ils ne savent pas bien si un mot est du bel usage, s'il est assez noble dans une telle circonstance, ou si une certaine expression n'a rien de defectueux.
[ :vii]
Le rôle de l'Académie selon Bayle est d'enseigner aux gens comment bien écrire et
c'est aussi à l'Académie d'apprendre tous les termes de difEérents métiers et de
matières afin de pouvoir écrire correctement sur un sujet Si nous ignorons les
termes essentiels à une profession, nous ne poux~ons écrire justement et clairement
sur celle-ci. Voilà la différence entre le dictionnaire de l'Académie et celui de
Furetière.
Moderne (et logique) pour son époque, le dictionnaire de Furetière range
les mots par ordre alphabétique. Les archaïsmes cohabitent avec les néologismes,
tous les deux types de mots étant indiqués comme tels, avec des étymologies. Le
plus évident critère de ce travail est l'abondance de mots modernes; ceux qui sont
plus éloignés du vocabulaire fondamentcd du peuple que les autres. Les temes de
métiers y abondent, de même que les dialectes, les emprunts, et les néologismes.
Dans le premier de ses trois Factum, Furetière défend sa position envers
l'acceptation des mots spécialisés:
. . . il est certain qu'un Architecte parle aussi bon François, en parlant de plintes et de stilobates, et un homme de guerre, en parlant de casemates, de merlons et de sarrasines, qu'un Courtisan en parlant d'alcoves, d'estrades et de lustres ... Cette ignorance de la plupart des mots de la Langue est ce qui a donne une grande étandue au mot chose dont on se sert pour expliquer tout ce dont on ignore le nom . .. Ainsi quand un Bourgeois veut parler de ces grosses séparations de pierre qui se voient dans les vieux bâtiments, s'il ne sçait pas le nom de manteaux que les Architectes leur donnent, il âira grossièrement: les choses de pierre . . . (Gégou L962:4 1)
Pierre Bayle ajoute dans sa préface du dictionnaire que <Quiconque voudra
profiter de ses travaux, pourra desormais representer chaque sujet par ses
ventables canicteres, & selon les termes des plus experts en chaque professiorr>
[1690:v] (notre italique).
Dans la préface de son premier Fuctum, Furetière se vante d'avoir écrit <un
Dictionaire universel plus ample & plus instructif qu'aucun autre qui ait paru
jusques à present en quelque langue que ce soi^ (1694:4). Il a raison. Disant
qu'un dictionnaire bien fourni est toujours mieux que n'importe quel autre, il
marchande son Dictionnaire Universel en dévalorisant celui de l'Académie
fiançaise, toujours inachevé.
Il est vrai, comme nous i'avons indiqué plus haut, que ce siècle est celui des
dictionnaires, et on en publie beaucoup. Pour Furetière, cette compétition est
idéale car il constate qu'on ne pourrait avoir trop de dicti~maires~~; ce qu'il faut
faire est d'ajouter aux nouveaux dictionnaires les mots supprimés par hasard ou
intentionnellement auparavant.
Le premier Factum s'empresse de noter que les deux dictionnaires (celui de
l'Académie et le Dictionnaire Universel) ne se ressemblent pas <quoy qu'ils
employent les mêmes temes> (1694:20) et que ceux qui ont travaillé sur le
dictionnaire de l'Académie <pillent tous les autres Auteurs, & ne peuvent être
pillez; parce qu'ils n'ont rien que de trivial, rien qu'on puisse prendre; ni qui mérite
d'être pr ie (:2 1).
Furetière dresse une liste de points communs entre les dictionnaires
- -. -. . -
?Diderot sera du même avis au W siècle (Encyclpedrexaiv).
4 4
contemporains, y compris le Beau tenebreux> (:21) de l'Académie7 pour établir la
supériorité de son travail sur les autres. Selon Furetière, tous les dictionnaires
comprennent
1. La definition des mots. 2. Leurs Epithetes. 3. Les Phrases propres & figurées. 4. Les Proverbes (:21-22),
mais leurs approches diffèrent de celles du Dictionnaire Universel. Pour le
premier critère, celui de la définition, Furtiere ne reconnaît aucune origuialité de la
part de la Compagnie; elle fait souvent du "mot-pour-mot", dépouillant les
dictionnaires antérieurs, et leurs définitions sont vides, <grammaticaleu (:22)
tandis que les siennes sont ~hilosofiques & tirées des Auteurs qui ont traite à
fond les matieree (:22). Les épithètes sont nulles dans ce dernier mais copieux
dans celui de l'Académie. Pour les phrases propres et figurées, Furetière ne dit
rien a propos de l'Académie mais lui ne s'en est s e m i <que pour introduire, lier &
accompagner les scientifiques, & pour leur donner de I'éclaircissement~ (:22). Les
proverbes, si chers a l'Académie, appartiennent au peuple et a la langue, et
Furetière n'en a cités <qu'à regret> et cles ay mis à la queuë de chaque mot ... >
(:23). Il reconnaît dans les proverbes les anciennes façons de parler et leur utilité
pour préserver la langue en @autres siecles & en d'autres lieux> (:23). Il s'est
aussi détaché des anciennes méthodes de régurgitation pour examiner les
proverbes d'un autre angle: pour certains il s'est mis à la recherche de leur origine,
ou bien des <histoires curieuses qui y sont appliquées, & par la conference avec
45
les proverbes des autres Nations ... > (:23).
Outre Ifampleur et la disposition des deux dictionnaires (les huit mille mots
en un seul et unique volume pour l'Académie versus les quarante d e mots
répandus dans quatre grands volumes in-folio chez Furetière), ce qui convient de
retenir pour ce travail sur l'enrichissement du fiançais sont les positions des deux
parties tels que décrit par un Furetière intensément partial dans son premier
factum. II accuse l'Académie d'avoir rejeté <tous les mots anciens qu'elle tient
barbares ... > (:25) et ne reconnaissant que les mots ayant pénétré l'usage de la
haute société (< ... les Poëmes, les Opera & les belles conversation^) (:25). Son
dictionnaire, par contre est <necessaire pour consewer la Langue toute entiere à la
postérité ... > (:25).
Pour donner du poids à tout ce qui vient d'être dit dans ce chapitre, en plus
de mettre en perspective les deux positions prédominantes vis-à-vis
l'enrichissement du lexique au XW' siècle, regardons les entrées-mêmes de ces
deux dictionnaires. Tirées du premier F w m de Furetière (1694: 17 1- 176) et
réimprimées ci-dessous comme dans Gégod0 (1 962: 84-85), les entrées glande et
glandule de l'Académie sont mises côte-a-côte avec celle du Dictionnaire
Universel glande ou glandde:
'Ta reproduction de Gégou contient plusieurs fautes typographiques. Cependant7 nous avons choisi celle-ci au Lieu de l'original à cause de sa lisibilité.
(Dictionnaire académique)
Glande, s.f. -Tumeur qui vient dans l'aine, ou autre partie du corps. Il lui est venu une grosse glande en tel endroit; ces glandes ressemblent fort a des écroüelles.
GlanduIe, s.f. -Amygdale, petite glande qui se trouve naturellement en diverses parties de I'animaI, comme sous le menton, dans les mamelles: quand les glandules viennent à s'enfier, dors on les appelle glandes.
(Dictionnaire Universel)
GIande ou Glandule, s.f. -Teme de Medecine: C'est une chair molle, spongieuse et grasse qui sert à conserver et à affermir la séparation des vaisseaux, à boire les humeurs supdues et à en humecter d'autres; ainsi une tumeur dans l'aine, dans la gorge, est une maladie ou altération d'une glande qui est d é e . Il y a une idhité de glanddes dans le coqs, et partout où il y a des divisions ou départemens de rameaux il y a des glandules pour senrir comme d'un coussin mouet; Thomas Warton, Anglois, a le premier découvert que les glandes sont composées de veines, de nerfs, d'arteres et de vaisseaux lymphatiques, et nous a apris qu'elles ont une correspondance avec les nerfs, au service desquels elles sont particulièrement employées; au lieu que les Anciens ont crû qu'elles ne servaient que comme d'un coussinet pour appuyer les parties voisines, ou d'éponge pour en attirer les humeurs superfiiies. Voyez le traité qu'il a fait de l'usage des glandes qu'il intitule adénographie. Le pancreas est une grosse glande qui est à la division de la veine porte, le t . s OU sagoüe en la séparation de la veine cave. Hipocrate met les rognons au rang des glandules. Dans le détroit du gosier qu'on appelle isthmos il y a deux glandules qu'on appelle amygdales; au col de la vessie il y en a qu'on nomme prostate; au dessous des oreilles il y en a qu'on nomme parotides, et parce qu'elles servent aussi à boire la pituite et serosité des humeurs supedües on les appelle émonctoires. La glande pinéale, où M. Descartes met le principal siège de l'âme, est une glande qui est dans le cerveau, faite en forme de pomme de pin, c'est pourquoy on la nomme conus, conozdes et conarium. Ce mot vient de g h parce qu'elle a quelque ressemblance avec le gland.
D'abord, Gégou a choisi I'exemple de glande parce que ce mot faisait partie
de la langue vulgaire (1962:84). Par contre, son lieu de naissance est un domaine
scientifique spécialisé: la médecine. Furetière le note à la toute première ligne de
l'entrée. Cet exemple est pertinent pour ce travail car déjà le mot glande nous
permet de distinguer deux usages différents: l'usage courant et l'usage spécialisé; et
plus subtilement, il oppose l'Académie et ses retranchements à Furetière et ses
éclaircissements.
Sans prendre en considération tous les reproches qu'a faits Furetière au sujet
de l'exactitude des entrées dans le Dictionnaire de l'Académie3', ce qui nous fiappe
c'est surtout la franchise avec laquelle il présente la langue fiançaise. Les
quelques termes en italique en sont la preuve car ils ne se présentent pas tous dans
le dictionnaire académique mais cependant, ils existent. Nous avons noté que de
cette liste choisie, seuls amygdale et émonctoires sont présents dans la première
édition du Dictionnaire de l'Académie.
Parmi les détails époustoufiants que présente l'entrée ci-haut, les termes
scientifiques sont bel et bien vivants. L'Académie veut les écarter parce qu'ils sont
"Furetière a seulement pu examiner < ... un cahier du G, contenant huit pages depuis la 433. jusqu'a la 440> (Furetière 1694:42) du Dictionnmre cIe I'tlcadérnie. Ce cahier n'était pas un essai ou une esquisse mais bel et bien une pame de L'ouvrage alors en impression. Néanmoins, de e s huits pages, il en a extrait soixante-treize fautes (les fautes de sens; il est un peu douteux en ce qui concerne les &tes d'orthographe, très imprévisible à cette époque).
Notre examen de quelques entrées des deux dictionnaires ci-haut, quoi que bref, nous a mis sous les yeux un exemple des lacunes dans le Dictionluljre de l'Académie: la recherche du terme zsthmos (ou semblable) nous a mené à l'entrée "i": < ... la neuviesme lettre de l'Alphabet François, & la troisiesme voyelle . . . > (Académie 1974: 578); la seule entrée du "i" !
48
trop difficiles à saisir. Furetière, lui, croit qu'en les exposant on enrichira la langue
de même que les connaissances du peuple qui la parle, créant une envie
d'apprendre. Par conséquent, cette envie entraînera l'infiltration d'autres termes
dans la langue courante. L'Académie apprendra aux Français <à parler
correctement la Langue, tandis qu'elle sera en un même état ... > (Furetière
1694:25) mais cet état est illusoire. La langue est vivante et continuera à évoluer.
Le Dictionnaire Universe( en fait preuve. En s'attaquant à tous les mots des arts et
des sciences, Antoine Furetiere (1690:ii-iü) -voit entrepris 1'Encyclopedie de la
langue Française> et son influence sera ressentie pendant des siècles a venir.
Chapitre III
Le XMIIe siècle: les mots et les choses
A l'aube du XVIII' siècle, les événements se déroulent comme ils se sont
déroulés deux siècles plus tôt. D'abord Villers-Cotterêts avec son transfert de
pouvoir du latin au fiançais en France en 1539, puis maintenant le traité de
Rastat? (17 14) qui donne a la langue française le titre de langue "diplomatique" a
l'étranger (François 1959, 2:3). Le statut du &français exige une
renaissance du fiançais facilitée par un rafnnement philosophique et par une
structuration grammaticale. C'est surtout aux grammairiens que sera imposé le
travail de comger la langue proprement dite, tandis que les philosophes auront la
responsabilité d'établir la logique, le raisonnement, et les connaissances pour la
propager.
En France, on lit, on écrit, et on apprend les langues étrangères; ce qui par
la suite enrichit la langue maternelle de nouveaux termes, d'emprunts:
'Wous Lisons Rczsfadt chez Caput ( 1 972-75, 1 :305).
33Seguin ( 1 972: 10) citant Brunot (1966-72,8:vü): Si répandu qu'ait été jadis le latin, que soit aujourd'hui l'anglais, qu'aspire à devenir i'espéranto, il nl a jamais eu, il n'y aura jamais de langue universelle, à proprement dire. Tout au plus peut-on parler de langue "générale" ou "commune".
C'est l'italien pour la littérature, les arts, l'histoire, l'anglais pour les mathématiques, la physique et le commerce (la législation devait s'y ajouter par la suite), enfin I'demand pour le droit la médecine, l'histoire naturelle, en particulier la métallurgie.
(Beauzée, d'après François 1 959,2:6)
L'exposition aux différentes langues apportera non seulement les emprunts
proprement dits (cf. Kocourek 199 1 : 152- 153) au vocabulaire fiançais, mais aussi
les emprunts aux domaines spécialisés facultatifs pour l'enrichissement d'une
langue.
L'influence de la cour et de la capitale sur la langue se développe en
divergeant: vers l'extérieur, et vers les provinces. Louis XIV et son entourage sont
remplacés par les salons, les cafés, et les clubs des villes. Les dialectes
anciennement favorisés et récemment déplorés sont de nouveau en vogue. La lutte
des gasconnismes est derechef en course. Selon François (1959, 2 7 ) cette dispute
entre les patois et le fiançais de Paris a mis au jour l'importance et surtout la pureté
des provincialismes vis-à-vis de la langue. Ceux-ci ont pour caractéristique
primordiale d'être des langues pariées plutôt qu'écrites et ils représentent mieux le
cours naturel de la langue, étant vides de tout artifice. Quelques-uns des meilleurs
auteurs du X W siècle (Diderot, Rousseau, etc.). même s'ils visaient à se
débarrasser de leurs propres idiomes, heureusement n'ont pas oublié leurs racines
et ont écrit dans un style qui reflétait leurs provincialismes maternels (François
1959,217).
Et les règles de la langue, nous ne pouvons
est aussi le siècle de la grammaire. Diderot et son
vieilles notions avec une perspective très pertinente pour ce siécie. Les sciences,
51
les oublier, car le XWIIc siècle
Encyclopédze ranimeront les
.. . -
la philosophie, la logique, se manifestent d'une façon ou d'une autre dans la langue
et ce en quoi elle consiste:
Tous ces termes que les enfans sont si long-tems à apprendre, ont coûté sans doute encore plus de tems à trouver. Enfin réduisant l'usage des mots en préceptes, on a fonné la Grammaire, que l'on peut regarder comme une des branches de la Logique. Eclairée par une Métaphysique fine & déliée, elle démêle les nuances des idées, apprend à distinguer ces nuances par des signes différens, donne des regles pour faire de ces signes l'usage le plus avantageux, découvre souvent par cet esprit philosophique qui remonte a la source de tout, les raisons du choix bisane en apparence, qui fait préférer un signe à un autre, & ne laisse enfin à ce caprice national qu'on appelle usage, que ce qu'elle ne peut absolument lui ôter. (Diderot 1966:~)
La langue, héritage des siècles précédents, est au milieu d'une controverse:
-=on rêve simultanément, voire commement , de fixer la langue et de la
maintenir perfectible> (François 1959, 2:9). Deux siècles d'amour et de haine
pour la langue fiançaise ont pour résultat son apogée, aux yeux de certains. Le
siècle des lumières veut la préserver a tout pnX.
La tâche de l'Académie terminée après soixante ans de dure labeur, cette
institution n'a plus qu'a réviser son dictionnaire et aspire maintenant à remanier les
oeuvres des meilleurs écrivains de la langue fiançaise. Mais il y a plus encore.
Voltaire, dans ce que François (1959, 2: 19) nomme le <née-purisme classique>,
32
veut fixer la langue telie qu'elle est afin de préserver sa rnagnifcence. Ce qu'il
craint, c'est l'abandon de l'héritage: <le siècle présent n'entendrait plus le siècle
pas* (Voltaire cité par François 1959,2:19). Selon Voltaire, la langue est fixée
dès que nous pouvons y retrouver plusieurs auteurs distingués qui l'écrivent
(François 2: 19). C'est ce que l'on a dit à propos de la langue du XW' siècle.
La fixité de la langue ramène encore I'usage et les moeurs au premier plan.
Se modeler sur autre chose que les classiques, c'est être décadent. Voulant établir
une langue d'après des textes qui n'embrassaient qu'une fraction minime du lexique
limiterait d'autant plus le choix des nouveaux auteurs et utilisateurs du fiançais.
La crise survient quand de plus en plus de gens, les lettrés de même que les demi-
lettrés, veulent mettre leur grain de sel à leur héritage (François 1959, 2:20). Selon
Seguin (1972) le fiançais au XVIIIC est pris entre des <facteurs d'unification et des
facteurs d'immobilisation> (:23). Ces deux groupes de facteurs s'expliquent
respectivement par l'importance du fiançais en Europe et l'idée d'une langue
parfhite et intouchable d'un siècle passé. La langue, arbitraire et toujours
changeante, est imposée au peuple qui la parle au lieu d'en être le produit. On
tente de mettre de l'ordre dans le désordre de la langue vivante et on retarde sa
croissance. Seguin donne trois traits principaux au fiançais de cette époque. Le
premier est celui dont nous avons déjà discuté: c'est une langue artincielle. Le
simple fait que l'Académie fiançaise se soit chargée de manier les textes du dernier
siècle et de se modeler sur eux démontre l'importance des travaux des auteurs
53
classiques sur la langue écrite. Cette vision de pureté et de perfection pousse la
langue parlée à imiter la langue écrite, renversant tout ordre d'évolution naturelle.
Le deuxième trait, celui du fiançais comme langue littéraire, suit de près le premier
caractère. La langue du X W est basée sur celle des écrits du siècle précédent.
Si elle ne l'est point, la nouvelle génération d'auteurs dicte la langue au peuple. La
demiere marque est celle du fkançais en tant que langue commune. Avec la
nouvelle importance accordée à la langue, l'infiuence des classes sociales n'est pas
unilatérale (:24). L'aristocratie est au même plan que la bourgeoisie. Tous les
gens manient la langue et les barrières linguistiques s'effondrent: les dialectes
passent inaperçus dans la langue courante. Pour la première fois la langue
fiançaise est en passe de devenir celle d'un peuple et non de l'élite.
Cent ans de purification, de retranchements, avaient sapé le lexique. C'était
comme si on revivait les débuts du X W siècle. Et comme au siècle précédent, <la
nécessité, l'euphonie, l'analogie> (François 1959,245) sont les règles de
préférence pour une augmentation du lexique (surtout en ce qui concerne les
néologismes "de fome"). De nouveau on se doit de recourir aux différents
moyens pour enrichir le vocabulaire, mais cette fois-ci, on se méfie un peu plus
des régionalismes (François 1959,2:42).
La vague d'enrichissement est menée par la néologie. L'institution qui
l'avait bannie des pages de son dictionnaire la ressuscite, l'embrasse à bras ouverts.
En 1762, l'Académie définit la néologie comme <l'art de faire, d'employer de
5 4
nouveaux mots> (François 1959, 2:44, citant l'Académie), et distingue ce terme de
néologisme qui n'est pas un art nais <un abu* (:44).
Avant de créer quoi que ce soit, il faut suivre quelques conseils. Tout
d'abord, il ne faut pas créer de nouveaux mots pour des choses (abstraites ou
concrètes) préexistantes et déjà nommées. De même, les néologismes a la mode
(et souvent éphémères) ne sont pas du tout désirables. Ceux qui méritent notre
attention sont ceux qui remplissent les lacunes (Caput 1972-75,2:33). Cette idée
est conforme à la première règle de la nécessité indiquée ci-haut. C'est la règle
primordiale de l'enrichissement vis-à-vis des néologismes, de même que pour tous
les autres processus (les archaïsmes, dérivation, etc.). Selon Caput (1975:34), les
néologismes ont été établis par trois procédés fondamentaux au XVI[I' siècle. Le
premier est celui qui s'appuie sur le principe de lafiliation. L'augmentation des
termes dans les f d e s de mots est accélérée par l'emprunt des <techniques de
foxmation des mot9 (197534) aux langues étrangères. Cet enchaînement de mots
peut se faire aussi bien par leurs rapprochements étymologiques que par leurs sens.
La démarche suivante, fort controversée aux yeux de Voltaire, est l'e~chissement
par voie de l'analogie. Ce n'était pas la méthode que Voltaire contestait, mais
justement où elle pouvait mener. Le but de l'analogie est de mettre un peu d'ordre
et de logique dans la jungle des mots. Caput cite les exemples de hasard qui est
remplacé par fortuité selon la série fortuit, fortuitement et puérilement par
enfanrinement de Restif de la Bretonne (1972-75, 2:34). L'excès dont se plaint
Voltaire, est représenté par la <systématisation, surtout dans le langage des
sciences> (1975:34). Des préfixes tels amphi-, ana-, apité-, antz-, etc. et des
suffixes comme -fuge, -cide, -!orne, -logie, etc., contribuent à l'énorme volume
de termes qui sortent à cette époque. Selon Voltaire, cette diversité du vocabulaire
fkançais n'était pas heureuse parce qu'elle n'était pas naturelle: l'évolution de la
langue était assurée artinciellement (Caput 1972-75, 2:34). Brunot ( 1966-72,6,
lère partie, fascicule 2597) ajoute a ce point de vue en citant un passage de
L'article "Anatomie" de llEncycIopédie: <Une science ou un art, déclarera le
médecin Tarin, ne commence à être science ou art que quand les connaissances
acquises donnent lieu de lui faire une hgue>. La qualité artincieue d'un
vocabulaire spécialisé est pertinente, voire impérative, pour l'avancement de la
matière en question. Sans un vocabulaire précis, un art ou une science ne peut
réussir; de même, un vocabulaire spécialisé n'existe pas sans domaine spécialisé.
Le moyen préféré de création de nouveaux mots était celui dans lequel le
sens était d'abord la visée, et non la forme. Dès le XW' siècle <on distingue déjà
sens propre et sens figuré, et tous les emplois qui en décodent> (Caput 1972.75,
2:34). Nous disons ici "préféré" pour indiquer que l'euphonie est un critère de
l'e~chissement souvent sous-estimé. Tout changement brusque est un
changement malaisé. On redoute les "réformes" de tout genre, qu'elles soient
extralinguistiques ou intralinguistiques. introduire des changements plus subtils,
qui attirent peu d'attention, est souvent plus efficace. Cela a permis aux mots
synonymiques de s'installer dans la langue et il y en a eu beaucoup.
Les néologismes, si intimement Liés aux mots techniques et scientifiques,
aux arts et aux métiers furent catalogués entre autres par Richelet et Furetière vers
la fin du siècle précédent. Leurs dictionnaires se remanient et s'amplifient de
nouveaux termes. Le Dictionnaire Universel est remanié et ampliné par les
Jésuites de Trévoux et celui de I'Académie fiançaise comptera quatre éditions
publiées avant la fin de ce siècle!
L'Académie demeure toujours fidèle à ses principes de purisme. Chaque
édition tente de boucher Ies trous du lexique. La deuxième (17 18) consent a
l'alphabétisation de ses entrées, tant voulue par les utilisateurs. La troisième
(1 740), sous l'influence de l'abbé d'Olivet, s'occupe de réformer l'orthographe.
L'édition de 1762 est probablement la plus importante en ce qui concerne l'usage.
Rappelons que la première édition s'appuyait sur le "bon usage" de la Cour.
Maintenant les auteurs du dictionnaire académique ne se font plus des illusions au
sujet de l'usage de la Cour et préferent se baser sur la langue écrite classique.
Décidément, l'avènement de l'Encyclopédie avait accéléré cette notion. Ce n'est
qu'a la cinquième édition de 1798 que l'Académie renonce aux néologismes. En
1787 l'abbé Féraud estime que plus de deux mille mots nouveaux ont été introduits
dans la langue depuis les vingts dernières années. Les lexicologues d'aujourd'hui
disent que cette estimation était plutôt modeste (François 1959,2:46).
Même avec toutes les modifications apportées aux dictionnaires, ni le
dictionnaire de Furetière ni celui de l'Académie ne pouvait tenir bon face à
I'Encyclopédze ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de
Diderot, une oeuvre colossale de vingt-huit volumes publiée entre 175 1 et 1772.
L 'Encyclopédie
Le siècle classique avait donné naissance à deux dictionnaires très
differents. Le Dzctzonnazre Universel était en fin de compte un dictionnaire
philosophique; il visait à cataloguer tous les mots anciens ou nouveaux, de
n'importe quelle source, afin de propager les connaissances. Celui de I'Académie
française était un dictionnaire de la langue, voire grammatical qui, en imposant des
restrictions sur le vocabulaire, tentait de le ber, de le régler, et de l'épurer.
L'Encyclopédie était un dictionnaire de mots et de choses, dont le but principal
était de rassembler les connaissances de l'homme de façon organisée. Ce travail
occupe une très grande place dans l'enrichissement du fiançais, pour les intéressés
depuis déjà plus de deux siècles de même que pour ses auteurs. Comme Antoine
Furetière le proclamait de son chef-d'oeuvre, D'Alembert et Diderot attestent que
aucun Ouvrage connu ne sera ni aussi riche, ni aussi instructif que le nôtre sur les regles & les usages de la Langue Fraqoise, & même sur la nature, l'origine & le philosofique des Langues en général.
(1966:xx~wiG)
Les auteurs se sont rendu compte du besoin de nouveaux vocabulaires. Les gens
du XW' siècle n'étaient pas ignorants ni indifférents envers tout se rapportant aux
arts et aux métiers. Bien sûr que non! La différence capitale était que les
anciennes générations méprisaient 4'Ecole, le Palais, [et] les métier9 (François
1959,246). L'instauration de nouvelles valeurs était une des tâches des
philosophes du XVIIic. En Angleterre, Chambers avait déjà publié un tel travail,
intitulé Cyclopedia or Universal dictionary of arts and sciences (1 728).
Pareillement, les dictionnaires spécialisés existaient depuis longtemps. il s a t de
se souvenir du grand projet de dictionnaire de l'Académie fiançaise dans lequel
Thomas Corneille reçut la consigne de faire un recueil de vocabulaires techniques.
Les mots dont il se servait étaient exclus des pages du Dictionnaire académique.
Cet appendice s'intitulait Dictionnaire des arts et des sciences (1694) (Mornet
I 94 1 : 66-67). Et pour l'originalité, 1'Encyclopédie devait utiliser toutes les
recherches et les comaissances les plus à date, une grande partie étant déjà
recueillie dans les dictionnaires contemporains. Néanmoins, l'Encyclopédie a fait
beaucoup pour l'avancement du vocabulaire car elle y a ajouté et non supprimé des
centaines de mots.
Dans leur Discours préliminaire (la préface), Diderot et D'Alembert
établissent une distinction à l'interieur de leur ouvrage. Les premières pages de la
préface visent à expliquer le titre à double face d'Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, dont le premier s'occupe de
4'ordre & l'enchaînement des conoissances humaine* (:i) et le deuxième de
chaque Science & sur chaque Art, soit libéral, soit méchanique, les
principes généraux qui en sont la base, & les détails les plus essentiels, qui en sont le corps & la substance. (:i)
Pour unir le dictionnaire à l'encyclopédie, Diderot et D'Alembert se sont
basés sur trois critéres: Qe Système figuré qui est a la tête de l'ouvrage, la Science
à laquelle chaque article se rapporte, & la maniere dont l'article est traité> (:xviii).
Les entrées sont mises en ordre alphabétique; chacune suivie du domaine
scientifique dont elle fait partie (géographie, physique, mathématique, etc.)''. S'il
y a renvois, ils servent non à introduire un autre article (entrée) mais plutôt à
démontrer les liens entre les sciences (:xviii).
Diderot a aussi résumé comment la langue de son époque s'est développée
depuis les <Emdits> (:m) et les <Gens de Lettre9 (:ni) pour ainsi tomber sous
l'influence des philosophes. Selon lui, il est important, quasiment impératif, de
retourner aux Anciens afui de tirer d'autres expériences et d'idées, qui sont
inépuisables (:xxx). En plus, Diderot a reconnu l'importance des ternes des arts et
des sciences dans la langue vulgaire, que ces deux domaines étaient éloignés de la
langue commune (:xxxvii), et il a voulu les rapprocher. Si fort était son désir que,
pour écrire les articles sur les arts mécaniques, il n'a pas recouru qu'aux livres de
machinerie mais s'est adressé aux ouvriers dans leurs ateliers. Selon lui, <l'homme
''chaque science avait sa position relative à son importance dans un "arbre encyclopédique". C'était une structure hiérarchique. Diderot doit cette systématisation au chancelier François Bacon (:xxv).
60
de Lettres qui fait le plus sa Langue, ne comoît pas la vingtieme partie des mots>
( ) Avec toute I'information obtenue directement de sa source il a pu dresser
un inventaire de mots spécialisés en plus de dessins techniques. Et c'est cela que
nous considérons comme la force de l'oeuvre: les emprunts aux domaines
spécialises.
A l'intérieur de l'encyclopédie, c'est-à-dire dans les articles-mêmes
(encyclopédie & dictionnaire) nous pouvons voir plus en détail les idées des
auteurs sur la langue.
Parlant de vocabulaire, un <vocabulaire universel est un ouvrage dans
lequel on se propose de fixer la signincation des ternes d'une langue ... > (Art.
"Encyclopédie":635). Ce qui amène Diderot à dire un peu plus loin que cette
fixité du vocabulaire exige que tout inventaire d'une langue vivante 4 o i t être
commencée, continuée, & h i e dans un certain intervalle de terne (:636) sinon le
dictionnaire sera <celui d'un siecle passé> (:636). La langue est constamment
changeante et les remaniements et refomulations continuels ne font qu'appauvrir
un travail déjà démodé. C'est ce que le dictionnaire de l'Académie avait éprouvé
durant sa longue et tumultueuse carrière.
Comme le note François (1959,2:48) d'après Diderot sur l'évolution de la
langue, les
expressions propres à ces sciences sont déjà très-communes, & le deviendront nécessairement davantage ... la plûpart de ces mots techniques, que nous employons aujourd'hui, ont été originairement
du néologisme; c'eft l'usage & le tems qui leur ont ôté ce vernis équivoque. U s étaient clairs, énergiques, et nécessaires. piderot, Art. "Encyclopédie":636 verso)
Et le vocabulaire reflète les progrès d'un peuple:
Chaque science a son nom; chaque notion dans la science a le sien: tout ce qui est connu dans la Nature est désigné, ainsi que tout ce qu'on a inventé dans les arts, & les phenomenes, & les manoeuvres, & les instnimens. (:637 verso)
Et quel progrès! Dans son Evoiution et structure de la langue française,
Wartburg résume en une dizaine de pages quelques domaines où la langue et la
pensée se sont complétées pour augmenter le lexique (: 184 et suiv.). Le lexique de
la vie mondaine est enrichie de mots qui, jadis bannis, se rapportent à la parure, la
toilette, les vêtements. Ces choses changent avec la mode et les mots destinés a
les décrire subissent le même soa. Le luxe et l'élégance sont identifiés aux
meubles: <l'otromane, le divan, le sofa> (: 186), de même qu'aux moyens de
transports: <les cabriolets, les dormeuses, les phaérom, les sabots, les gondoles,
les berlines, les carabas, les dolentes, et tant d'autres véhicules différent@ (: 186).
Quand on voyage, on ne reste plus a l'auberge mais à l'h8tel. Avec le transport et
l'agrandissment du système routier, Paris devient de plus en plus centralisé,
géographiquement, de même que linguistiquement. La communication et la
technologie font fureur dans la langue. Seuls les patois et les parlers régionaux
sont en danger de disparaître grâce a ces même avancements . L'esprit nationaliste
de la Révolution exacerbera ce problème. Avant, on pouvait parler la langue de la
62
région avec aise. Maintenant, il faut parler la langue de la paîrie, langue commune
et comprise de tous les Français et Françaises: <Depuis cette époque, les patois
sont combattus sciemment. Tous les gouvernements fiançais ont une politique
linguistique qui tend a la suppression des p a t o i ~ (Wartburg 1934:206). Même le
domaine de l'agriculture, I'une des plus vielles activités humaines, n'est pas
négligé. En fait, c'est le <plus varié de ces vocabulaires ... auquel tout le peuple
fiançais presque devait collaborer> (: 186). Les barrières entre les temtoires, les
classes sociales, les occupations et les langues tombent l'une après l'autre.
Les emprunts aux langues &angères auxquels nous avons fait allusion au
début de ce chapitre sont aussi repris par Wartburg (: 190-192). Rappelons que les
trois langues les plus prêteuses au XVIII' sont l'anglais, l'italien, et l'allemand.
Pour la première, elle est incontestée dans son influence, surtout au XX' siècle.
Au XVIII' les anglophiles sont nombreux, surtout dans la haute-société.
L'infiltration se fait (comme elle se fait toujours d'abord) par les mots et les idées
venant directement de l'Angleterre. C'est la politique qui souvent mène la vague:
<budget, club, congrès, franc-maçon, loge, jury, parlement (au sens moderne),
session, voter> (: 19 1) et beaucoup d'autres. Après nous pouvons noter les jockey,
la boxe, la nouvelle mode de la redingote, puis la cuisine: le bifteck, le grog, le
punch, le pudding, voire tous les mots destinés à l'usage populaire et qui reflètent
la cdture, de même que le mode de vie angiais.
La science allemande a son fort par exemple dans la minéralogie et la
géologie. Les termes que nous connaissons aujourd'hui de quartz, gneiss,
feldspath et de cobalt ainsi que bocard, bocambre, gangue, rustine, et d'autres,
ont été empruntés à Pdemand3'. Des ternes militaires, tels que bivuc, bivouac
(dl. biwache), cible (all. sch(e)ibe) et képi (d. k w i ) de même que choucroute
(all. s a u e r h t ) et le kirsch sont parmi les ternes les plus communs de la langue
encore aujourd'hui.
L'Italie, occupant un rang moins élevé qu'au X W siècle, est néanmoins
prêteuse pour les arts, la musique : ariette, arpège, cantate, cantatrice, contralto,
contrapontiste, piano, aquarelle, pittoresque, etc. (Wartburg 1934: 192) ne sont
que quelques exemples.
La période révolutionnaire a laisse une profonde empreinte sur la langue.
Wartburg note qu'une analyse grammaticale démontre l 'e ta t d'âme> (:207) dans
lequel beaucoup de ces mots sonts nés. Les dérivés portant les suffixes -isme et
-iste sont particulièrement formateurs: robespierrisme, robespierriste, dantoniîrne,
propagandisme, etc. Les préfixes indiquant <l'opposition, le refus, le contraste>
(207) ainsi que les termes <forts, exagérés> (:207) sont très communs. En voici
une douzaine: antzdémocratique, antirévolutionnaire, antipatriotique, ultra-
"Pour ce qui est de cette dernière série de mots, bocmd (aii. pockwerk) date d'environ 174 1 et est un broyeur de minerais. Il dérive de bocambre (ail. pochhammer), qui ne figure pas dans le Petit Robert (1 993); gangue (di. erzgang) date déjà de 1552 tandis que rustine (al. nickstein) n'est pas du tout le même mot (rondelle de caoutchouc qui sert à réparer une chambre à air de bicyclette, 19 10).
64
patriote, antirépublicain, imbrogeable, dénationaliser, contre-révolution, non-
patriote, non-votant, ex-prê tre, archi-ministériel, ultra-royalis te, etc. Ce qui est
surprenant dans tous ces nouveaux mots sont les emprunts aux langues latine et
grecque. Les dérivés en -icide (républicides, liberticides, etc., qui sont les
ennemis de la république, de la patrie) et les mots formés sur Ièse-majesté (lèse-
nation, Ièse-révolutionnaire) rappellent la république romaine de l'antiquité. Plus
important encore pour nous, ce phénomène démontre la tendance traditionnelle du
français à emprunter aux langues savantes. Moins important est la vie brève de la
majorité de ces néologismes. ils disparurent, en partie, après la Révolution.
Le XVIII' siècle n'a pas seulement créé de nouveaux mots; il en a aussi
éliminé. La substitution d%i système dirigeant (la monarchie est remplacée par la
république) a vu simultanément la naissance et la mort des mots. Des mots comme
bureaucratie, législature, etc. pénètrent dans la langue tandis que les mots
désignant de multiples formes d'impôts comme lefinage, le droit du fortage, etc.,
disparaissent. Et pour les curieux, la restructuration du domaine du commerce
nous donne, dès 1793, <tout le système métrique avec sa terminologie: mètre,
kilomètre, litre, gramme, etc.> (Wartburg 193 4:2 10).
Bien que l'Encyclopédie f i t pubiée longtemps avant la Révolution
française, les transformations du vocabulaire, avant et après ce bouleversement,
n'étaient pas inattendues. C'était justement le contraire. La raisoq l'enseignement,
les valeurs, tous voulaient le changement. Diderot avait envisagé ces changements
65
révolutiomaires dans la langue et dans la pensée. Dans son Encyclopédie il avait
fait quelques remarques sur l'évolution de la langue qui concernait un peu moins le
monde extérieur: la nature et la composition des mots eux-mêmes.
Un moyen d'enrichissement dont Diderot s'était rendu compte quand il
classait ses entrées, était la diversité des mots dinérenciés simplement par
I'aiExation. Il ne se sentait pas obligé de distinguer, tout comme l'Académie
fiançaise au XW' siècle, les termes redondants de forme et de sens. Donc, les
mots précipitable, précipiter, précipitant, etc. (Diderot, Art. "Encyclopédie" : 640
verso) sont tous rangés dans un seul article. Mais quand il est venu à examiner le
vocabulaire de plus près, il a vu la possibilité de remplir les lacunes là oii il y en
avait. Dans sa mention de la série accusateur, accuser, accusation, accusant,
accusé il a noté que accusable n'existait pas et qu'on pouvait s'inspirer du modèle
d'inexcusable (ou bien excusable) qui était en usage pour créer un nouveau mot
(540 verso). Cette variété de termes oEait un autre aspect de la situation de la
langue. La synonymie et l'analogie étaient à considérer sérieusement comme
moyen d'enrichir. Ces deux moyens ensemble étaient indispensables à
l'organisation et à l'expansion des familles de mots si chers à Diderot. Selon
G o b (1970) <[g]rouper ensemble les mots d'une même famille permettrait, entre
autres choses, de reconnaître les besoins de la langue> (: 129). Etablir les
différents sens et nuances des mots démontre plus précisément ce qui manque dans
le vocabulaire.
66
L'article dictionnaire nous ofne probablement le plus didonnations sur la
nature des mots qui peuvent et doivent entrer dans un dictionnaire. Selon Diderot,
les noms propres de même que <tous les temes de sciences qui ne sont point d'un
usage ordinaire & familier> (:961) ne doivent y paraître. Curieusement il voit
nécessaire d'inclure le vocabulaire scientifique, mécanique, et celui des arts qu'on
entend prononcer, ou que l'on trouve dans les livres ordinaires (:961); ce qui nous
donne une idée absolument vague de ce qui devrait figurer dans cette "Liste". Tous
les autres mots sont bons, encore que Diderot croit nécessaire de distinguer entre
les mots parlés et écrits, ceux de la paésie et de la prose, les mots communs et
familiers versus ceux qui sont plus distingués et <honnête9 et, plus important
pour nous, les mots qui <commencent à vieillir, d'avec ceux qui commencent a
s'introduire> (:961) etc. Des néologismes, il dit: <Un auteur de dictionnaire ne
doit sans doute jamais créer de mots nouveaux, parce qu'il est l'historien, & non le
réformateur de la langue (:961), mais ajoute que le monde extralinguistique est
toujours en pleine croissance et la création de nouveaux mots doit suivre.
La dérivation impropre est aussi abordée mais d'une manière intéressante
pour le lexicographe. Son intérêt réside plutôt dans i'identincation et non dans les
conséquences d'un glissement de classe lexicale (:961). Son aperçu sur
I'orthographe mène à l'étymologie et a l'importance de connaître les autres langues.
Des mots, ainsi que des tournures de phrases peuvent être soit empruntés, soit
traduits dans une langue receveuse. Suivant le plan intra-linguistique, Diderot
discute des racines et des radicaux, les premières étant la source des derniers.
Néanmoins, tous deux ont donné deux autres sources d'enrichissement dont nous
avons déjà parlé: les dérivés et les composés. Diderot distingue entre les deux
catégories:
Il faut distinguer entre dérivés & composés: tout mot composé est dérivé; tout dérivé n'est pas composé. Un composé est fomé de plusieurs racines comme abaissement de à & bas, & c. Un dérivé est formé d'une seule racine avec quelques différences dans la temiinaison, comme fortement de fort, & c. Un mot peut être à la fois dérivé et composé, comme abaissement, dénvé de abaissé, qui est lui-même composé de à & de bas.
(Diderot, Art. "dictionnaire" :964)
De tout cela Diderot remarque que <les mots composés de racines étrangeres sonts
plus fiequens dans notre langue que les mots composés de racines même de la
langue> (:964). II estime la probabilité à cent pour un en faveur des composés
tirés de la langue grecque sur ceux du fiançais. Comme exemple de ces emprunts
grecs, il nous fournit dioptrique, ca~op~riqzie, misanthrope, et ~nthropophage'~
La traduction nécessite, elie aussi, quelque soin. II est très rare de pouvoir
trouver des équivalents exacts dans deux langues différentes; <on n'a souvent que
des à-peu-près> (:966). Ce problème est amplifié lorsque nous tentons de traduire
des tournures de phrases, des dictons, des proverbes, etc.
36Dioptripe du grec dioptrikê; catoptripe de karroptrzkos; msmthrope de rnisurtthrôpos, et anthropophage du grec mthropo@aagus.
68
G o h (1970) dit que Diderot ne distinguait pas Centre l'archaïsme et le
néologisme> (:47). Pour le lexicographe, ils n'avaient aucune grande importance
pourvu que les langues s'enrichissent <par la même voie qui les a tirées de leur
première indigence> (Gohui 1970:47 citant Diderot). Ce qui suit est une courte
liste de néologismes crées par Diderot et choisis au hasard d'après Pinventaire de
Gohin:
abrupt, antisomnzjZre, automatiser, dispendieux, dissembler, empiéger. enchâssement, idéaliste, inadvertant, machiavéIiste, mésinte rprétatz~n~ onduler, ordinateur, pe fectible, trotter, versatilité ( : 47).
Pour les archaïsmes? nous trouvons chez lui:
aduler. allégresse, ungoissé, dessouci, dissembler, dissociation, empzéger. étroitesse, exangue, féru. gésine, harmoniser, inctwiosiré, inélégance, inéEgani, infime, insalubrité. manruétude, rnésavenant, modeleur, omineux, perdurable, quete (=recherche), révérencier (:139).
Diderot avait abordé le sujet des archaïsmes quand il s'était aperçu que la langue
latine s'était appauvrie en <se polissanv (Gohin 1970: 139); il ne voulait pas le
même sort pour sa langue.
Comme nous avons déjà indiqué plus haut, le trait le plus surprenant et
visible dans toute l'Encyclopédie est celui dont s'est chargé Diderot presque seul:
les termes de métiers. Sa méticulosité et ses planches détaillées qui rendent
hommage aux articles lui ont conféré une place importante dans l'emichissement
de la langue. Cette vision d'un monde plus renseigné, qui voulait se renseigner,
69
eut des conséquences plus spéctaculaires qu'on ne pouvait jamais imaginer. La
pensée révolutionnaire entraîna le soulèvement aussi bien d'une nation toute
entière que de sa langue.
Chapitre IV
Le XIX' siècle: vers un savoir infini
Le regard en arrière, le retour au passé. Cet aspect si prédominant dans
l'esprit des érudits et des partisans de la langue, a toujours laissé, qu'on le veuille
ou non, une marque incontestable sur la transformation du lexique.
L'épanouissement et le bouleversement du XV[II' siècle (surtout pendant la
Révolution) avaient tant accéléré les changements du fiançais que personne ne
pouvait dire jusqu'où ils aboutiraient. Encore plus pressant était le dilemme
toujours présent de vouloir préserver la langue d'une époque d'autrefois et de
l'adapter à l'usage de tous les jours.
Une langue littéraire en elle-même ne pose aucun problème. Plusieurs
styles d'écriture peuvent accommoder les goûts et on peut facilement immobiliser
la langue si Pon le désire. Mais même là, il peut y avoir des limites. Le
mouvement romanîzque qui est en plein épanouissement à cette époque en est un
bon exemple. Ici, le sentiment remplace la raison. Le caractère important du
mouvement, l'individualisme, permet de s'exprimer en régionalismes plus que
d'habitude (Wartburg W4:2 17)". Les limites se trouvent dans les imperfections,
les imprécisions de la langue qui passent sous le nez ou sont tolérées. Malgré cela,
nCest un caractère pertinent pour ce travail. Nous ne nous préoccuperons pas des autres.
7 0
les romanciers ont aussi considérablement enrichi le vocabulaire sans l'avoir
augmenté; les métaphores et autres figures de style préscrites jadis par la Pléiade
ont fait grand chemin à cette époque. Les connotations des mots augmentent
rapidement. Mais les Limites, que nous venons d'indiquer, reposent sur
l'imprécision. La langue, son vocabulaire, ses mots, sont tous à la merci des
écrivains et de l'arbitraire du choix dans la langue. Ajoutons au mouvement
romantique celui du réalisme et nous avons un beau mélange. Ce dernier préfêre
la clarté absolue à la tnuislucidité du romantisme. Les partisans du mouvement
réaliste se servent toujours du mot propre là où ils le peuvent (Wartburg
1934218). Ils donnent un peu d'équilibre a la langue face aux romantiques. Ce
sont les réalistes qui ont tant fait pour l'acceptation des termes scientifiques et
techniques à cette époque3$.
Victor Hugo a caractérisé l'état de la langue à son époque lorsqu'en 1827-28
(selon Wartburg 1934) il écrit:
... la langue fiançaise n'est point fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L'esprit humain est toujours en marche, ou si l'on veut, en mouvement, et la langue avec lui ... Le jour ou Des langues] se fixent, c'est qu'elles meurent. (:2 14-2 15)
"Poussant encore plus loin, le "père" de la science-fiction moderne, Jules Verne ( 1828- 1905) alors méprisé pour son genre littéraire (parfois encore aujourd'hui), a use pleinement de la technologie autour de lui pour rendre ses voyages fantastiques tres plausibles. Tous les termes biologiqueq nautiques, géographiques, etc. sur lesquels il pouvait mettre la main remplissaient ses textes pour renseigner ses spectateurs des découvertes récentes ou de celles connues depuis le début du temps. Mais encore, étiqueter Verne comme "réaliste" serait un peu risqué.
Hugo avait bien indiqué dans ce même passage que la langue d'une époque ne peut
appartenir à une autre et toute tentative de la pétrifier est fiitile. Le résultat: les
termes dits bas, généraux, vagues, ou simplement bannis reprennent leur place
dans le lexique: <Maintenant on ose enfin appeler les choses par leur véritable
nom> (Wartburg 1934:215). Parmi les exemples de Wartburg: la cloche et le
canon reprenaient le dessus sur Fairain, char redevenait voiture, un coursier était
un cheval, et une nef redevenait tout simplement un bateau ( :2 15).
Bien que lexicologues, lexicographes, écrivains, grammairiens, et même
des institutions entières se soient promenés sur ce sentier bien battu, l'ancienne
langue, ses archaïsmes du lexique et leurs anciens usages, se présentèrent à un
lexicographe, Emile Littré en particulier, non comme des rejetons nostalgiques
d'une époque lointaine, mais plutôt comme la clé des connaissances des mots
contemporains. Nous examinerons maintenant quelques-unes des idées que nous
lirons dans sa préface au Dictionnaire de Littré, et nous concluerons avec un bref
aperçu du travail d'un autre très grand promoteur de la langue, Pierre Larousse.
Dictionnaire de la langue française
La préface du Dictionnaire de la languefrançaise (1863) par E d e Littré
(1 80 1- 188 1) commence justement par un regard rétrospectif rendant hommage à
un autre dictionnaire publié deux siècles auparavant: celui d'Antoine Furetière.
Cette référence indique le grand volume de travaux de ce genre (travaux
73
lexicographiques) et leur importance pour la langue et le peuple. Nous en avons
déjà parlé. En second lieu est l'allusion au Dictionnaire Universel et à son
originalité pour l'époque. L'Universel o f k i t un plus gand catalogue de mots que
ses adversaires et a eu plus de succès. Dans ce sens, c'était un dictionnaire
révolutionnaire. La nouveauté du Littré se trouve dans l'attitude de l'auteur envers
la langue: ce dictionnaire <embrasse et combine l'usage présent de la langue et
son usage passé, afin de donner a l'usage présent toute la plénitude et la sûreté qu'il
cornporte> (Littré 1863:ii). Le passé se joint au présent.
Matoré classe les entrées du Littré comme suit: premièrement il note <tous
les mots figurant dans l'édition de 1835 (la plus récente alors) du Dictionnaire de
[!Académie> ( 1968: 120). Cette remarque est plutôt évidente: Littré marque les
mots que nous retrouvons dans ce dictionnaire à l'aide d'une croix. Sous une
deuxième mbrique, Matoré note tous les mots que Littré et ses collaborateurs ont
trouvés dans les livres:
a) Termes classiques non admis par l'Académie appartenant à la littérature des XW' et XVIII' siècles.
b) Termes techniques (métiers, arts, sciences) découverts dans des ouvrages spéciaux.
c) Néologismes, assez nombreux, surtout vers la fin de l'ouvrage.
d) Mots de la langue parlée, populaires et dialectaux (appartenant notamment a la région normande). (1968: 12 1)
En faisant ses études sur la vieille langue fiançaise, Littré remarque
7 4
l'importance de celle-ci pour la langue contemporaine. Beaucoup de sens (des
mots) et de locutions <ne s'expliquent que par les sens et les locutions d'autrefoi~
(Littré 1863:ü). L'importance de l'étymologie est portée au premier plan; l'étude
diachronique de la langue sert à expliquer la forme, les sens des mots existauts
dans l'état présent de même que l'usage, qui <restent mal assis s'ils ne reposent sur
leur base antique (:ii). Limé discute de la conduite autant prévisible qu'arbitraire
de la langue en tant que système. écrivant que les changements seront <analogues
à ceux qui, depuis l'origine, ont modifié la langue d'un siècle à l'autre> (5). La
langue du XW' siècle, qui était considérée intouchable, n'était pas <à l'abri des
mutations, et la main du temps ... > (:ii). Le XVIII', qui voulait dans une large
mesure la préserver, a aussi contribué à son altération.
Maintenant, le XTX' siècle continue cette tradition. En regardant la langue
sous differentes perspectives, c'est-à-dire du point de vue diachronique, nous
pouvons voir l'évolution de cette langue "inaltérable". Si bien que Littré remarque
<l'invasion du néologisme soit dans les mots, soit dans les signincations, soit dans
les tomures> (:ü) dans la langue à tout siècle, malgré les efforts de certains pour
la contrôler. C'est grâce au pouvoir d'innover, du néologisme, que la langue ne
peut jamais être fixée. Sans considérer les atérationS>, Les <comptions>, les
malentendus, dues à l'ignorance ou à la négligence du monde (:fi), les néologismes
sont nécessaires pour marquer les changements sociaux: les innovations, les
découvertes, l'entremêlement des peuples. De même, si des métiers particuliers,
7 5
des choses disparaissent, ils entraînent avec eux les mots qui ont seM à les
décrire. Ce n'est pas seulement le monde matériel qui est affecté; les expressions
dont nous nous servons, les t o m e s de phrases, ne sont pas à l'abri: <tout cela
qui fut trouvé par nos devanciers s'use promptement, ou du moins ne peut pas être
répété sans s'user rapidement et fatiguer celui qui redit et celui qui entend> (:ii),
d'où le besoin d'en créer d'autres.
Après un bref aperçu de la néologie, Littré aborde les archaïsmes. J I dit que
ce sont les <contre-poid~ (:iii) de la néologie. L'appel aux archaïsmes reflète
encore une fois l'influence du passé sur le présent et selon Littré <Cette innuence
réelle et considérable ne doit pas rester purement instinctive, et, par conséquent,
capricieuse et fortuite (:iiî). Les mots anciens se sont déjà prouvés utiles dans la
langue et s'en débarrasser si facilement serait commettre une grosse erreur. Le
déracinement au hasard des archaïsmes dans la langue aurait pu être évité bien
avant si les responsables s'étaient servis de leur bon sens: <L'archaïsme, sainement
interprété, est une sanction et une garantie> (:iii). Un peu plus loin dans la
préface, Littré nous ofEe quelques recettes pour enrichir la langue. Des
archaïsmes, il dit:
. .. il n'est pas interdit de choisir quelques épaves qui peuvent être remises dans la circulation, parce que les termes ainsi restitués ne choquent ni I'oreille ni l'analogie, et qu'ils se comprennent d'eux- mêmes. (:viii)
E d e Littré avait bien compris que le chemin le plus tranquille pour l'infiltration
7 6
d'un terme dans le lexique, soit ancien, soit nouvellement créé, était un chemin
discret (voir aussi p.54-55).
Attachés aux vieux mots dans la langue sont les termes des métiers. Bref,
Furetière, Richelet, l'Académie, ont tous ajouté à leurs répertoires de plus en plus
de ces termes, qui à leur tour, se sont bien ancrés dans la langue. Les termes de
métiers conservent de <temps en temps de vieilles formes, de vieux mots ou de
vieux sens, qui perdus partout ailleurs et conservés là, foumissent plus d'une fois
des rapprochements explicatif9 (Littréxiii). Toutefois cette <nomenclahue>,
bien qu'elle ait une bonne fondation, <est mobile et progressive du côté du présent
et de l'avenir; de nouveaux procédés se créent tous les jours et exigent
concurremment de nouveaux termes et de nouvelles locutions> (:viii).
En ce qui concerne les termes scientifiques, que Littré distingue des termes
de métiers, ceux-là reflètent aussi les besoins et les divers aspects du
développement de la société. Ils augmentent au fur et à mesure que se font les
découvertes. La distinction que Littré établit est la suivante:
... tandis que la langue des métiers est toujours populaire, souvent archaïque, et tirée des entrailles même de notre idiome, la langue scientifique est presque toute grecque, artificielle et systématique; là l'étymologie se présente d'elle-même. (:G)
En conséquence, Littré, notant l'extension considérable dans ce domaine, nous
suggère de consulter uniquement des dictionnaires spécialisés dans les ternes
techniques pour en connaitre le plus possible au lieu de nous limiter au sien, dans
lequel il s'est vu faire un choix des ternes de quelque besoin à un homme
cultivé> (:Lx). Pour nous, il est important de souligner (encore une fois) la
dépendance du français (et beaucoup d'autres langues) vis-à-vis des langues
grecque et latine pour la formation de nouveaux mots. Ce phénomène est encore
très répandu de nos jours.
Le thème principal que Littré nous propose de retenir est celui de
Ifimportance du passe pour expliquer le présent. L'histoire et l'étymologie d'un mot
sont indispensables B la clarification de son sens, de son usage, et même aux
nouvelles créations ou altérations de celui-ci. En sachant l'histoire d'un mot, nous
faisons un pas vers la logique et la raison, plutôt que vers l'inconnu et de
I'arbitraire. Littré nous montre ce qu'il veut dire à l'aide de quelques exemples.
Regardons-en un maintenant. Le substantif croissant dans le dictionnaire de
I'Académie nous donne l'acception la plus commune: <la figure de la nouvelle lune
jusqu'a son premier quartier> (xi) mais nous savons aussi bien que croissant est le
participe présent du verbe croître. Littré nous explique cette divergence de sens
par des sources historiques de l'emploi de ce mot. 11 affirme qu'il existe une
acception peu connue <qui se trouve pourtant dans certains auteur9 (:xi) et qui est
la suivante: ~l'accroissement de la lune; par exemple le cinquième jour du
croissant de la l u n e (xi). Ce sens primitif se rattache au participe croissant
comme suit: <comme la lune, étant dans son croissant, a la fome circulaire
échancrée qu'on lui connaît, cette forme a son tour a été dite croissanP (:xi). De
78
là, les rapprochements des objets ayant une forme semblable au croissant (les
outils, les emblèmes, la pâtisserie...). Aujourd'hui, ces diverses acceptions sont
toutes bien connues. Littré nous a expliqué le procédé de la dérivation impropre à
l'aide d'étapes historiques. C'est la logique demère ce procédé qu'il veut nous faire
comprendre lorsque nous voudrions enrichir la langue à notre tour.
Autre moyen d'enrichissement dont discute Littré: les régionalismes. Il dit
qu'il n'y a aucun mal à puiser dans les travaux des a c i e n s poëtes provençaux> et
l'étymologie serait une science plus exacte si l'on suivait cette démarche. Du point
de vue de la richesse des parlers des provinces il dit qu'on <comoîtroit par la
l ' S e diversité de terminaisons et d'altérations de syllabes que soufnent les mots
tirés de la même source ... > ( x i ) , ce qui serait indispensable aux regards en
arrière aussi bien qu'en avant. Dans son Cornphnent de la Préface ou Coup d'oeil
sur /'histoire de la languefrançaise, Littré parle entre autres des dialectes et des
patois.
L'état présent de la langue, les néologismes et les archaïsmes, tombent tous
sous la nibrique de l'usage. Nous en avons discuté surtout chez Vaugelas et chez
Malherbe au XW' siècle. Examinons ce que E d e Littré avait à ajouter.
L'usage contemporain (la façon dont nous parlons et écrivons), que doit
refléter un dictionnaire, est très dif'fïcile a délimiter. Nous nous en apercevons,
remarque Littré, en faisant un tel travail lexicographique: il y a toujours des
lacunes. Et ce sont ces lacunes qui exigent l'instauration des néologismes. En
79
échange, ces créations sont la raison pour laquelle une langue ne peut être h e .
Pour contrebalancer la spontanéité, les autorités de la langue jugent les mots.
Parmi ces derniers, ceux qui échappent à la peine de mort ont le privilege d'exister,
tout au moins jusqu'à ce qu'il y ait un autre procès.
Littré divise l'usage en trois périodes: l'usage contemporain, archaïque, et
néologique (:fi). Comme on aurait pu s'en douter, l'usage contemporain se situe
entre l'époque de Malherbe et celle où écrit Littré. La période archaïque, qui était
jadis contemporaine, <contient l'explication et la clef des choses subséquentes>
( ) Le néologisme, c'est ce qui développe la langue pour le mieux ou pour le
pire. Il sera témoin de ce qu'était la langue, jusqu'a ce qu'il devienne archaïque.
Donc pour Littré, la langue est le rassemblement des usages de différentes
époques. Le passé se mêle au présenf lui servant de guide, et tous deux
conduisent vers l'avenir. Les vieux mots expliquent les significations et les
emplois de leurs progénitures à moins que ces premiers aient complètement
disparu.
Littré était un pionnier, en quelque sorte. Selon lui, il était le premier
lexicologue a consciemment réunir les mots du passé avec ceux du présent, dans
leurs nombreux usages depuis leur début. Au XW siècle, Ntymologie n'est
qu'une science primitive. On s'y plonge surtout par curiosité. Littré dit que son
<enregistrement n'est pas complet> (:iv) car ce serait impossible de lire tous les
livres fiançais disponibles puis de noter les différents usages de chaque mot. En
80
plus, Littré est le premier <qui ait tenté de . . . faire servir [les mots et leurs usages]
d'une façon systématique et générale à l'étude de la langue> (:iv). Ce qu'il ne
faisait pas cependant, ni n'avait l'intention de faire, était d'écrire un dictionnaire
historique de la langue proprement dit; les mots disparus, les usages défunts, etc.,
ne figuraient pas dans son pian. Alain Rey dit du Littré que c'est <un répertoire de
formes expliquées et justifiées par l'histoire .. . > (1970:3 10).
Le Diclionnaire de la langue française empruntait les mots de <l'âge
classique et aux temps qui l'ont précédé> (:v). L'étymologie était donc très
importante. Avec l'aide de celle-ci, les significations et les différentes acceptions
pouvaient être mieux classées.
Cette approche, selon Littré, <montre quels sont les fondements et les
conditions de l'usage présent, et par là permet de le juger, de le rectiner, de
l'assurer> ( 1863 :v). Nous assistons maintenant à un raiso~ement logique basé sur
un fonds déjà établi pour étudier l'enrichissement d'une langue: <L'érudition est ici,
non l'objet, mais l'instrument> (x).
Le Grand dictionnaire
Pierre Larousse ( 1 8 17- 1 875) est un lexicographe connu à travers le monde
entier. Son nom est synonyme de dictionnaire. Il est le visionnaire derrière le
Grand Dictionnaire universel du siècle (1 866- 1876) qui s'adressait plus au
grand public que son rival le Littré. La maison d'édition qui porte son nom est une
des plus grandes et plus respectées depuis sa fondation en 1852.
A son époque, Larousse estime qu'il <existe LOO 000 mots au moins dans la
langue fiançaise> (Rétif 1975: 105), ce qui est loin du 800 000 qu'on estime
aujourd'hui (: 105) et il tentera d'atteindre tout les recoins de la langue:
je vais vous donner de I'argot, du patois, c'est-à-dire du bas langage, du langage populaire, trivial, mêlé, ça et là, de quelques étymologies curieuses . . . (: 168)
Dans son Jardn des racines latines, Larousse en a à dire sur les
étymologies des mots; comme en avait parlé Littré. Mais dans ce passage, son
intérêt se porte surtout sur les étymologies obscures, phénomène assez différent:
<Ici, l'origine ne jette, le plus souvent, aucune lumière sur la signification
actuelle> (: 105). Comme exemples de mots <qui sont en dehors de la loi
commune de mation> (: 105), Larousse nous donne argot, assmszn, bamboche,
breloque, chat-huant, estoc, pjle, haro, et huguenot. Ajoutons à cette courte liste
une autre non moins intéressante pour Larousse aussi bien que pour nous. Elle
consiste en des paires de mots étymologiquement apparentés dont le sens a évolué
trés différemment:
cuisinier donne coquin; chrétien, crétin; fief; fieffé; Flandre, flandrin; herr (seigneur), hère; ross (coursier), rosse; buch (livre), bouquin. Par une fortune contraire, connétable et maréchal, mots sortis des écwies, en sont venus à désigner les premières dignités de nos armées. (: 106)
Pour Pierre Larousse, <l'histoire des mots devient plus intéressante que l'histoire
des homme^ (: 106). En plus des curiosités du lexique ci-haut, Larousse
82
s'intéresse aussi aux transformations des mots soit par leur graphie soit par leur
phonie, ou bien par toutes les deux. L'évolution de la langue à travers les
générations est une de ses passions. Il cite quelques exemples des formes
primitives des mots suivis de leurs contemporains: Auguste est devenu aoùt; le mot
latin aqua s'est transposé en fiançais pour nous donner notre eau; dies pour jour;
otium pour iozsir; #va pour luette; amila pour tante, etc. (: 106). Son dictionnaire
n'est pas simplement une banque de mots rangés par ordre alphabétique: <il donne
la science des mots, comme la grammaire donne la science des règle* (: 106) et
pour faciliter la tâche du lecteur, le <Dictionnaire encyclopédique distribue les
mêmes faits sous certains mots choisis . . . > (Bruneau 196 1,2: 17 1). Bruneau
continue en disant que l'originalité de cet ouvrage est qu ' i l est à la fois un
dictionnaire de mots - il les accepte tous - et un dictionnaire de choses; il
comprend de nombreuses illustrations et des carte9 (196 1,2: 171).
Son rôle de pédagogue eut une influence considérable dans son approche
lexicographique. Selon Matoré (1968) Larousse <adoptait l'idée de Condillac que,
pour penser, il faut disposer d'un vocabulaire abondant et dont les significations
soient bien connues> (: 126). Le dictionnaire devait être un travail "logique" mais
contrairement a Littré qui s'appuyait lourdement sur le passé pour expliquer le
présent, Larousse tenta de «<reproduire la physionomie de la langue au moment
actuel>> (: 126, Larousse d'après Matoré).
Le répertoire du Grand dictionnaire est beaucoup plus vaste que celui du
Littré et les textes sur lesquels il s'appuie3g sont ceux des auteurs plus récents tels
que Hugo, Balzac, Gautier, Vigny, etc., tandis que Littré <ne mentionnait guère de
textes postérieurs à 1830> (Matoré 1968: 126). L'autre avantage du dictionnaire de
Larousse par rapport à celui de Littré est sa clientèle: le travail de Larousse était
moins philologique et donc plus accessible au grand public. Matoré (1968) note
les difficultés que Larousse éprouva lorsqu'il voulut produire un travail <utile au
peuple> (: 127) et en même temps riche en connaissances afin de <travailler plus
efficacement à l'instauration d'une société démocratique et laïque> (: 127). D'après
ce dernier caractère, nous pouvons facilement rapprocher le travail de Larousse de
celui de Diderot.
L'article "dictionnaire" du Grand dictionnaire du XW" siècle définit le mot
dicrionnaive comme suit:
Recueil des mots ou d'une catégorie de mots d'une langue, rangés soit par ordre alphabétique, soit par ordre de matières, soit par analogies, et expliqués dans la même langue ou traduits dans une autre . . .
Plus loin dans l'article, Larousse ajoute qu'un dictionnaire est <un ouvrage ou
beaucoup de mots, souvent tous les mots d'une langue, sont rangés suivant un
'Vne note intéressante à tout ceci est celle de Matoré (1968: 126-127) qui dit:
Les citations de Larousse ne sont maiheureusement accompagnées d'aucune référence . . . on peut se demander, en effet, si l'exemple est cité exactement, s'il appartient bien à l'auteur mentionné et même s'il n'a pas été inventé par un collaborateur peu scrupuleux!
8 4
certain ordre . .. >. Notons cette dernière phrase. Larousse insistait que le public
l'informe des lacunes de son oeuvre afin qu'il puisse les combler autant que
possible. Ce que Larousse voulait, c'était d'instruire le peuple. Un recueil
recensant un vocabulaire aussi riche que possible en était le seul moyen, et pour:
concourir plus puissamment à ce but, on a entrepris un dictionnaire général qui embrassât tous les dictionnaires particuliers et pût en tenir Lieu . . . (Larousse, Art. " dictiomaire")
Ce "grand" dictionnaire contiendra <autant d'idées que de m o t 9 (ibid.) et les
exemples <de bon langage seront puises aux sources pures, et les exemples de
singularités se tireront d'auteurs vraiment originaux> (ibid).
Pierre Larousse crut que l'enrichissement de la langue se faisait par le
moyen du savoir. Plus on apprenait du monde extérieur (extra-linguistique), plus
on apprenait la langue. Pour Larousse, le mot était le point de départ de mène que
le but de la connaissance humaine. Nous avons vu ce caractère chez Furetière,
Diderot, et maintenant Larousse. L'insistance sur l'étude de ces dictionnaires-
encyclopédies nous montre ce lien. Les nouvelles idées créent des mots nouveaux.
Les nouveaux mots inspirent des idées nouvelles.
Chapitre V
L'ère moderne
L'écoulement du temps nous permet de classer en périodes et d'examiner la
langue un peu plus facilement dans ses divers états. Ferdinand de Saussure, en
examinant les principes généraux de la langue, nous indique que
le temps, qui assure la continuité de la langue, a un autre effet [c'est- à-dire autre que l'immutabilité du signe], en apparence contradictoire au premier: celui d'altérer plus ou moins rapidement les signes Linguistiques .. . (1993 : 108).
En effef nous voyons ces altérations à chaque époque.
Toujours attaché au développement social, technologique, spirituel, etc.,
l'enrichissement du vocabulaire s'est toujours fait ressentir dans ces mêmes
domaines. E. Brunet note la croissance de motsm tels: avion, auto. cabine,
camion, chauffeur. cinéma, électricité, gare, photographie, radio, télégramme,
réléphone, train, vitesse, voie, wagon, tandis que d'autres, icônes d'un temps passé,
sont en baisse: cabriolet. calèche, cour, épée, lieue, pemque, pistolet, poupre.
rang, roi, torche, trône (Picoche et Marchello-Nizia 1989:325). Selon Picoche et
Marchello-Nizia, quand une langue doit se renouveler, elle peut recourir à trois
%erre Gilbert a aussi pris en considération L'augmentation ou la baisse dans la fréquence de certains mots dans son Dictionnaire de n t o ~ nmeaux tels que:fracmsmt, percutant, prestige (de), preshshgreux, etc. (1 971:~) de même que dans son Dictionnaire des mots contemporains (1 980:vii).
86
moyens fondamentaux: <créer des mots nouveaux (logiciel, projicieP1, etc.),
réanimer des mots anciens (misunce, maintenance, péage) ou importer un terme
étranger en même temps que son référent Vast-foody (:325). Nous en avons déjà
discuté à maintes reprises dès le départ. Un point que Picoche et Marchello-Nizia
soulignent est la facilite de s'accorder sur un signiné (on a déjà l'idée de ce que
doit représenter le mot), mais lorsqu'il s'agit d'un sigodiant, c'est tout autre chose.
Nous empruntons i'exemple de mire) grève, qu'employaient les ouvriers parisiens.
Avant d'accepter cette locution, nous avons eu la série empruntée à l'imprimerie:
batioter, batioteur, batiotage; des régionalismes: faire une cloque (Sedan), un
tuqueham (Nord), un fric (Lyon); <tandis que les patrons parlaient de coalitions,
confédérations, cabales, et micmacs> (: 3 25).
Les suggestions qu'apporta la Pléiade vis-à-vis de la langue au X W siècle
auraient pu choquer n'importe qui vivant à ce temps-là. Quatre siècles plus tard,
rien n'a changé. Beaucoup de mots que nous retrouvions au X W siècle existent
encore aujourd'hui. Beaucoup n'ont pas survécu. Et a cette époque lointaine,
personne n'aurait cm avoir besoin de tant d'autres. Le fac-similé, l'automobile, le
robot (culinaire), I'internet, le skz nautique, etc., n'avaient pas encore vu le jour.
C'est vrai que nous aurions pu avoir une énorme quantité de mots polysémiques;
nous en avons beaucoup déjà. Nous ainions peut-être pu avoir encore carrosse au
"aujourd'hui progiciel.
87
lieu d'auto, bien que carrosse et ses nombreux dérivés existent toujours; fmer
aurait pu être mis sous imprimer, le fa4' étant lui-même une sorte d'empreinte.
Ce prochain chapitre examinera, de façon générale, l'état de la langue au
XX' siècle (plus précisément depuis la deuxième moitié de ce siècle) a l'aide de
quatre dictionnaires spécialisés qui adoptent une différente perspective du lexique.
Notre m o l portera sur deux dictionnaires de Pierre Gilbert, écrits environ à dix
ans d'intewalle, le Dictionnaire des mots nouveaux (1971) et son successeur le
Dictionnaire des mots contemporains (1980), de même que le Dictionnaire de
termes nouveaux des sciences et des techniques (1983) du CILF et le Nouveau
Petit Robert (1993). Donc, nous étudierons des dictionnaires spécialisés et
condensés publiés, eux aussi, avec un écart d'environ dix ans entre eux.
Le Dictionmire des mots nouveaux
En 197 1, le Dictionnaire des mots nouveaux ( D m de Pierre Gilbert s'est
voulu être un dictionnaire qui <s'efforce de refléter un usage courant qui n'est pas
toujours le *bon usage*> (3) . C'est un dictionnaire de néologismes, comme nous
le suggère le titre, mais qui ne vise pas à cataloguer tous les nouveaux mots (ou
bien tout ce qu'il peut) de l'époque. Ce recueil est plutôt sélectif, restrictif, et
descriptif en ce qui concerne son corpus. Il s'est limité dans ses sources,
42Fm peut désigner soit l'appareil reproduisant la copie (rélécopieur) ou bien la copie elle- même (télécopie).
88
choisissant arbitrairement ou non, des mots et des syntagmes très jeunes mais
assez courants, et il a pu y inclure des <avis de ceux qui les jugent> (:i).
Environ 5 500 mots ont été dépouillés entre 1955 et 1971 pour former le
corpus du travail dont l'étude poumit jeter un peu de lumière sur les <principaux
traits qui caractérisent l'évolution récente du vocabulaire fiançai^ (i). Gilbert
note les -=sources de néologisme* comme étant premièrement des emprunts aux
langues étrangères et deuxièment des néologismes du système fiançais (dérivation,
affixation, composition, etc.), mais pas nécessairement dans cet ordre.
Pour ce qui est des emprunts, largement a l'anglais, Gilbert mentionne
baby-sitter, brain-stoming, brain-trust, gadget, gap, happening, hardware,
management, marketing, sofhuare, qui figurent tous dans le corpus du Petit Robert
1993", de même que des mots étrangers tels ersatz, fiesta, mezzanine, et spoutnik.
Ce qui est intéressant est la remarque de Gilbert selon laquelle ces mots sont
<généralemet suivis d'une mention de leur origine étrangère, ce qui avertit le
lecteur que le mot n'est pas assimilé par le système f i m ç a i ~ (5) et va aussi loin
pour dire, et avec raison, que peut-être même ces mots sont éphémères et
disparaîtront avant longtemps.
Gilbert note aussi que la grande majorité des néologismes dans son
dictionnaire proviennent du fiançais même. Beaucoup de mots ont glissé d'une
?3rainnsfonning économise le tiret (bruimtoming) tandis que les mots comme harhme et somme ont des alternatifs recommandés: matériel et logiciel.
89
catégorie grmaticale à une autre. Et davantage ont été créés par la dérivation
propre. Parmi les préfixes les plus populaires nous retrouvons: anti-, auto-, mzni-,
mu&-, super-, télé-, dé-, ré- (et re-), etc. Pour les sufnxes, les meneurs sont:
-@cation, -[Ber, -zsation, -iser, -phone, -thèque, etc. (:fi). Il note aussi une
croissance récente de mots composés et de syntagmes lexicaux, qui, avant ces
demières décennies, n'avaient jamais été une source bien établie de nouveaux
mots.
Le D M s'est aussi efforcé de documenter les nouveaux sens des mots
préexistants. Parlant surtout des emplois métaphoriques des mots anciens, Gilbert
(:iv) éloigne son dictionnaire des dictionnaires traditionnels du parce que ces
derniers <ne signalent que ... l'emploi traditionnel> des mots (:iv) tandis que le
sien <a essayé de combler plusieurs lacunes en décrivant longuement quelques-uns
de ces emplois figurée (:iv).
Le "rétrécissement" du monde a tellement d'influence sur la langue (non
seulement du point de vue des emprunts) que beaucoup de mots anciennement
relégués à un certain domaine spécialisé deviennent des occurrences communes
grâce a la vulgarisation de la langue. Gilbert (197 1) mentionne des ternes
techniques comme hallucinogène, informatique, nucléaire, ordznateur qui
pénètrent de plus en plus dans la langue de tous les jours, de même les
régionalismes tels que: canisse, raclette, redoux, tomette, etc.
90
Le Dictionnaire des mors contemporains
Environ dix ans plus tard, le Dictionnaire des mots contemporains (DMC)
fut publié. Avec un contenu beaucoup plus ample que son prédecesseur (une
augmentation de 50% du volume: entrées augmentées et mises à jour en plus des
nouveaux mots), ce dictionnaire a pour objet de présenter . . . un échantillonnage
d'unités lexicales> qui caractéfise <tel ou tel aspect de l'état du fiançais
contemporain en cette seconde moitié du XX' siècle> (:i). La nomenclature du
DMC est constituée de mots du D M (deux tiers) et de mots nouveaux. Donc, les
nouveaux mots résultent du dépouillement des textes entre 1960 et 1979, mais
sutout après 1971, soit a l'époque où le D M a été publié.
Sans toujours répéter les mêmes thèmes que nous retrouverons dans le
DMN, concentrons-nous sur quelques aspects intéressants de ce dictionnaire en ce
qui concerne l'enrichissement du vocabulaire, mais qui n'est pas du tout particulier
a lui seul. Un critère important de Vinventaire du DMC est l'évitement des ternes
scientifiques et techniques. Il y en a, bien sûr, mais ils sont moindre. La tradition
de préférer les emplois figurés des termes scientifiques et techniques aux ternes
eux-mêmes, établie par le D m , continue dans ce travail. L'usage des métaphores
(emploi métaphorique des mots préexistants) comme source d'enrichissement n'est
rien de nouveau mais le DMC, étant un dictionnaire spécialisé, s'efforce de noter
beaucoup plus les mots employés au figuré que les dictionnaires généraux.
Quelques exemples donnés par Gilbert: bahut (= camion), bateau (dans un
91
trottoir), canard boireux (= entreprise en difficulté), coeur (d'un réacteur), tissu
(social, urbain), locomotive (qui désigne aujourd'hui tantôt des personnes, tantôt
des choses diverses, concrètes ou abstraites, ayant un rôle d'entraînement), etc.
( : Gilbert note aussi les métonymies dans la langue: aubergzne ( = employée
qui porte un d o r m e de la couleur de ce f i t ) , col blanc (employé de bureau,
supposé porter un col blanc), tennis (= chaussure de tennis), transistor (=
récepteur de radio équipé de transistors), etc., qui sont également très répandues,
mais passent souvent inaperçues. D'autres modincations se font par des moyens
sémantiques que nous ne ferons que mentionner ici: les restrictions ou les
extensions de sens dhn mot ou d'un syntagme (la pilule au lieu de pilule
anticonceptionnelle), la résurgence des mots anciens (archaïsmes) avec soit leur
sens originel soit un sens tout à fait différent va@efu,fiable, maintenance, etc.), et
ce que Gilbert nomme les qhrases codées. (:vii) ou une bonne connaissance de la
langue est nécessaire. Ce sont des phrases ou des syntagmes tels que: potion
magzque (remède miracle), ras-le-bol (en avoir assez), métro-boulot-dodo (un
sommaire banal de l'urbanité), etc. L'utilisateur doit les décoder afin de bien les
comprendre.
Un autre caractère très évident et très répandu dans la langue d'aujourd'hui
est le regroupement de deux ou plusieurs mots en une unité autonome: c'est-à-dire
la lexicalisation des syntagmes (cf. Kocourek: 13 5- 15 1). Gilbert ajoute que la
majorité de ces syntagmes lexicaux sont soit de nature substantif+adjectif
(acharnement thérapeutique, chômage technique, paradis fiscal, etc.) ou
substantif+préposition+substantif (qualité de la vie, table d'écoute, l'exemple
classique de lapomme de terre, etc.) (:v).
Un autre procédé syntaxique intéressant est celui où des <locutions naguère
*figées#> (:v) peuvent servir comme modèles pour d'autres locutions. La locution
substantive empêcheur de h e r en rond a donné naissance aux autres locutions
du type empêcheur de + (infinitrfi + en rond, de même que par personne
interposée où, en remplaçant le substantifpersonne, on peut obtenir par sociétés
intetposées, par exemple.
Le demier exemple de procédé syntaxique suggéré par Gilbert est un peu
plus compliqué à première vue. Il s'agit de la transformation des verbes intransitifs
en verbes transitifs, et vice-versa. Démarrer (se mettre en mouvement) est
maintenant employé comme transitif avec le sens de "commencer quelque chose"
ou bien "entreprendre une tâche" (xi).
Enfin, pour survoler les domaines extra-linguistiques d'ou proviennent ces
nouveaux termes, la préface du DMC organise ces domaines en .centres
d'intérêti.? En voici quelques exemples:
audio-visuel: bme, cassette, électrophone, haute-fidélliré, magnéroscope, microsillon, télédistribution, téléviseur, vidéocusette, etc.
44 Comme la table méthodique du Dictionmire de ternes nouvem des sciences et des techniques et dans la préface du Nouveau Petit Robert &bas.
écoloeje. environnement: dowcldouce, écolo, écologie (et ses dérivés), nuisance, solaire, vertle, etc.
loisirs: aéroglisseur, airbus, qrès-ski, &billard électrique, charler, deltaplane, disco, planche à voiles, surbooking, trimaran, vacancier, etc.
toxicomanie: acide, camé, douce/dure (drogue -), H, joint, junkie, overdose, *. m . .
tabagisme, toxico, trip, voyage, etc. (:wu)
Le Dictionnaire de termes nouveaux des sciences et des techniques
Le Dictionnaire de termes nouveaux des sciences et des techniques (1983)
est la progéniture des linguistes et des scientifiques du Conseil international de la
langue fiançaise (CILF) qui veulent satisfaire la demande des néologismes qui se
fait sentir depuis ces quelques dernières décennies. Les travaux portant sur la
néologie en général étaient réalisés depuis déjà quatre siècles mais <pas sur ce
domaine presque inexploré de la science et de la technique> (C1LF:vi). Alors, les
demandes des pays d'expression fiançaise se sont faits entendre et leu. désir a été
comblé: La Clé des Mots, une revue teminologique, fut publiée entre 1973 et
1979. En sept années, elle releva 9 400 entrées qui étaient inventoriées telles
qu'elles <apparaissai[ent] au travers des principaux périodiques et ouvrages de
recherche (xi).
Ce dictionnaire catalogue les mots paru dans La Clé des Mots de plusieurs
façons. Premièrement nous notons la partie "dict i0~a.k" du volume: dictionnaire
alphabétique avec la définition du mot, son domaine d'origine, de même que ses
équivalents (si possible) en d'autres langues? Un autre chapitre du volume
regroupe ces mêmes mots méthodiquement, c'est-à-dire en classant les mots selon
les domaines dont ils sont issus. La deuxième partie du volume est intitulée
"Répertoire de fomants morphosemantiques" et organise alphabétiquement les
divers morphèmes (racines, préfixes, suffixes) munis de sens et utilises pour la
création de mots nouveaux.
Ce dictionnaire tente de tenir compte des mots, des syntagmes, et de leurs
dérivés, que les dictionnaires généraux ne reconnaissent pas pour une raison ou
une autre. Ce n'est que ce que nous appelons des emplois banalisés des termes
spéciPLisés qui trouvent leur place dans un dictionnaire général. Alors, le
Dictionnaire de termes nouveaux des sciences et des techniques se fait
dictiomaire complémentaire des autres dictionnaires:
aucun des ternes proposés dans le Dictionnaire ne figurait dans les ouvrages suivants à la date ou son emploi a été relevé: Grand Larousse Encyclopédique (1960- 1964) et son Supplément 1 (1969), Dictionnaire de la Langue Française de P. Robert et son Supplément (1969- 1 WO), Petit Robert (1 967), Grand Larousse de la Langue Française ( 197 1- 1978). (:x)
Les emprunts, si souvent mentionnés dans ce travail, n'occupent pas une
place aussi importante que nous le croyons par rapport aux autres moyens
d'enrichissement du vocabulaire. Gabrielle Quemada dit qu'avant de créer de
"Aussi est inclus dans cette première partie du dictionnaire un "index cumulatif des traductions" en anglais, allemand, et espagnol.
95
nouveaux mots, cles terminologies des sciences et des techniques ont toujours
recours aux procédés classiques de la métaphorisation et de la métaphore (:xi)
pour attacher des nouveaux sens aux mots préexistants. C'est le cas de chenille
(véhicule), cheville (agronomie), carotte, couronne (métallurgie), gendarme
(bourse), chapeau de fer (mines), barque, barquette, bergerie, îlot, mur, pont
(commerce), cascade, cavalier, tictac (électronique, informatique), soupe
(biologie), etc.
Une autre caractéristique qui semble envahir la langue technique et
scientifique est l'abondance de syntagmes lexicaux ou phraséologiques que nous
avons mentionnée chez Gilbert et qui évoque souvant des constnictions très
particulières: architecture unzfiée de réseau; chaudière à marche par tout ou rien;
diagramme des quatre quadrants; premier entré, dernier sorti; robinet coup de
poing sondage magnétique d?rfërentie/; p h c h e r alvéolaire; etc. On trouve
également des dérivés <formés sur les modèles les plus courants> (:xi) et des mots
juxtaposés: décideur; bénéluxisation; bilinguisation, bilinguiser; fardelage,
fardeleuse, fardelisution; degré-jour; impression-transfert; tiers-mondiste;
remplisseuse-furmeuse (-doseuse), etc.
Entremêlés avec les créations internationales (cf. Petit Robert) sont les
créations savantes et pseudo-savantes: accidentologie, déprimogène,
ejectodrffuseur, traductologie, tra~~~~ersopr~fiIographe, etc. (xi).
Pour ne pas se perdre dans les nombreux exemples et moyens
d'enrichissement, nous devons signaler que tout morphème muni d'un sens est
capable d'être remodelé en un autre mot:
Cela permet à n'importe quel segment du signe originel de rester porteur, dans une nouvelle construction, de la totalite du semantisme: artobus+bustlabobus, musibus, trambus. La nomenclature en porte Ies traces les plus diverses: DCOmètre, UFOIogue, BENELUXisation, magnétuscrzt, banana (d'après Ba, Na Nb, O,,) ou frundisme (ou d représente Tchad, d'après tchadisme).
(:XÜ)
A preuve, on peut relever l'ajout très pertinent au Dictionnaire de termes nouveau
des sciences et des techniques d'un "Répertoire de formants morphosemantiques".
Il s'agit d'une liste d'éléments par lesquels tous les mots de la nomenclature de ce
dictionnaire ont été construitsJ6. Ces éléments peuvent comprendre les radicaux
(qui subissent les procédés de la dérivation, composition, troncation, et de l'ellipse
aussi bien que de l'emprunt), les confixes ou racines savantes, les afnxes et leurs
désinences, et les sigles et les acronymes ( :5 12-5 13). Tous ces "petits mots" ont
fait leur chemin dans la langue, d'époque en époque, et sont indispensables à la
création d'autres mots. Le cycle est toujours rajeunissant.
Le Petit Robert
La préface du Nouveau Petit Robert (1993) fait état du besoin pour le
dictionnaire de refléter la langue toujours changeante. La modernité du lexique
97
exige un remaniement et une amplification non sedement des mots mais aussi des
signincations, des contextes d'emploi, des locutions, et des allusions (Robert
1993 :ix) qui les accompagnent. Soit accidentellement, soit intentionnellement, le
lexique doit subir des transfomations4', lesquelles, disent les auteurs du Robert,
ont été nombreuses depuis la parution de la première édition de ce dictionnaire
(1967).
Une chose sur laquelle les anciens dictionnaires laissaient souvent passer
sous les yeux était les mots figurant dans I'usage quotidien ou plutôt, les usages
quotidiens de certains mots. Le Petit Robert préffere mettre ces usages côte à côte
avec le <bon usage garanti par les grands auteurs> (:ix); ce qui, d'une façon plus
véritable, d o ~ e une meilleure image de la langue vivante. Cette inclusion de
différents usages a fait ressortir les différents niveaux de langue q n adoptant un
point de vue sociolinguistiqu~ (:ix), ce qui manquait toujours dans les
dictionnaires des derniers siècles.
Ayant une banque de mots indéterminée, la langue ne peut jamais être
limitée aux entrées que nous trouvons dans n'importe quel dictio~maire. D'ailleurs,
aucun dictionnaire, qu'il se vante de l'être ou non, n'est jamais complet. Le Petit
Robert, présenté en un seul volume, a pu amasser <près de 60 000 mots, dont
4 000 ont été ajoutés dans la présente édition> (xi) grâce à l'emploi de petits
* ' ~ a préface note trois mouvements réformateurs importants: ceux s'occupant des anglicismes, de la féminisation des titres, et de la réforme orthographique (:ix).
caractères et aux abréviations. Les ajouts de la présente édition sont des
néologismes <représentatifs de tous les usages de la société> (:xi). En voici
quelques-uns tirés des nombreux exemples de la préface:
mots culturels: allophone, apprenant, ballettumane, coéditeur, diaboliser, eurocrédit, euthanasiet-, griffiter, interethnique, ludothèque, narcotrafiquant, néonmi, recyciubie, vandaliser, voiture-bar, etc.
mots scientifiaues: agrobiologze, krill, liposuccion, déchette rie, fibroscopie. imrnunodéficience, AZT, po&trmfUsé, etc.
mots de la vie auotidienne: amincissant, unticalcaire, Zève-tût, doudoune, essuie- tour, jucuzzi, f i e r , imprimante, reforestation nubuck, pin's, etc.
mots se ra~Dortant aux ~ré~arations ciIlinaires: cheese-cake, cappucino. chachlik, coohe, daïiuiri, feta. forêt-noire, kebab, ouzo, rosti, smorresbrod. strudel. randouri, etc.
Ce qui est intéressant de voir est que, surtout dans un dictionnaire à volume
unique, l'intégration de ces nouveaux mots est accompagnée par la <suppression
des mots les plus rares devenus archaïque9 (:xi). Une étude plus approfondie de
ce sujet poumit avoir des résultats intéressants: avoir à notre disposition un
inventaire de mots "effacés" de cette dernière édition du Nouveau Petit Robert
(1993) mais qui figuraient dans l'édition précédente avec une liste complémentaire
de tous les nouveaux termes et/ou acceptions dans la présente édition, jetterait un
peu de lumière sur l'évolution de la langue et du lexique. Si nous déterminons
qu'un mot est rare et que son usage est minime, comment en être sûr? La réponse
est simple: nous ne pouvons pas être absolument certains. Une nécrologie précoce
99
et l'effacement d'un mot dans l'inventaire d'un dictionnaire ne peuvent assurément
pas aider la cause d'une âme en peine. Les dictionnaires figent la langue et ils ne
seront jamais les vrais témoins de celle-ci. Quelqu'un fiutré de ne pas avoir
trouvé un mot dans un dictionnaire ne peut dire que le dictionnaire à sa disposition
est incomplet ou bien que le mot en question n'existe pas (ou plus) du tout. Le
chercheur doit consulter plusieurs dictionnaires, et même ceux dont l'inventaire est
spécialisé avant de trouver ce qu'il cherche.
Une section de la préface du Nouveau Petit Robert (1993) très pertinente
pour ce travail est celle intitulée "Evolution du lexique" (:xiv), où nous pouvons
trouver plusieurs procédures pour la création de nouveaux mots. Ces procédures
ont été notées lors de la classification et de l'adjonction de nouveaux mots à cette
dernière édition. Comme le mentionnent Josette Rey-Debove et Alain Rey, les
mots nouveaux ne sont pas que des emprunts a l'anglais mais aussi des créations
très originales.
mots composes- Les mots dits "savants" sont d'habitude formés avec des radicaux
latins (octogénaire) ou grecs (stéthoscope). Cependant, on peut retrouver un
mélange des deux dit hybride (monocle). Poussant encore plus loin, les néologues
ont eu un grand succès en combinant ces racines savantes avec les racines
fiançaises (stratosphère, agroalimentaire, écornée, hydrocarbure,
narcotrajiquant, ...). Deux mots fiançais en font un, et sa formation est toujours
100
dite "savante" d a n s la mesure où Fordre des mots est inversé par rapport à la
désignation ordinaire> (Robertxiv), par exemple placoplàtre: plâtre en plaques;
riziculture: culture du riz; filoguzdé: guidé par un fil; etc. De nos jours, ces
moyens sont de plus en plus communs.
troncations- Une autre procédure qui a beaucoup marqué et enrichi le vocabulaire
surtout ces dernières décennies est celle de la troncution. Kocourek (1 99 1 : 159)
d é f i t la troncation comme <la formation d'un mot abrégé ii partir diin seul mot
source dont la forme est réduite à un tronçon syllabique, qui, cependant, dépasse
deux lettre^. Aujourd'hui, tous les registres de la langue en sont aectés. Nous
sommes tellement habitués à aller au cinéma que nous ne pensons pas que ce
terme a déjà VU son centenaire (première attestation environ 1893); il remplaçait
cinématographe et se fait lui-même remplacer davantage par un terme encore plus
court: ciné. Beaucoup de ces abréviations se sont progressivement intégrées dans
la langue et il est parfois difficile de se souvenir du terme entier: auto(mobiie),
ducty[o(graphe), kt/o(grumme), métro(politain), pneu(matique), radio(graphle),
tmz(mètre), tram(way), wa~er(closet), etc. Ce phénomène attaque surtout le
langage familier où beaucoup de nouveautés sont présentes: appurt (appartement),
beaujo (beaujolais), intox (intoxication), irnpec (impeccable), maso (masochiste),
sympa (sympathique), etc. Le raccourcissement de ces lexèmes est convenable
pour les locuteurs, mais cette économie peut parfois causer quelques difficultés
101
pour les apprenants; la coupure parfois spontanée de certains mots tend a favoriser
les ambiguïtés: prof pour professeur, pro pour professionnel; écologiste est abrégé
à écolo, semblable a école ou écolier. Les mots tronqués sont aussi parfois
susceptibles à la sufnxation: celle du "O" si populaire en argot. Des mots tels que
alcooio (alcoolique), apéro (apéritzjj, dico (dictionnaire), dirlo (directeur) etc.
sont très courants*
sides- Un autre type de réduction est la szglaison. Ce moyen d'abrégement porte
sur les syntagmes plutôt que sur des mots isolés. La méthode consiste à
supprimer, à l'exception de la lettre initiale, cles mots forts48 entier du syntagme>
(Kocourek 199 1 : 16 1). D'abord un phénomène surtout réservé aux sociétés,
institutions, et autres organismes, les sigles s'entendent à la représentation des
noms de personnes, voire des noms communs et des adjectifs.
mots étrangers- L'emprunt à d'autres langues est probablement le moyen le plus
COMU et le plus souvent discuté. La langue anglaise est devenue la plus infiuente
de toutes les langues modernes. L'avancement technologique dans tous les
domaines de la communication (idonnatique, médias, télécommunications, etc.),
ULes unités lexicales fortes appartiennent aux classes <nominale, verbale, adjectivale et, en partie, adverbide> (Kocourek 199 1 :93) tandis que les unif& lexicales faibles sont les mots- outils, unités grammaticales, etc., tels que les pronoms, les conjonctions, et les prépositions.
que Josette Rey-Debove et Alain Rey appellent "l'internationalisation de
I'inforrnation", a permis non seulement à la langue anglaise de pénétrer de plus en
plus dans notre langue mais aussi à toute autre langue voulant sa part du gâteau.
Ces mots, fruits du rapprochement des langues mondiales, deviennent des mots
Ajoutant aux emprunts de mots entiers à d'autres langues, I'empnmt de
certaines syllabes ou morphèmes mène à une résurgence du phénomène de
l'acronymie. En voici quelques exemples formés à partir de l'anglais et du fiançais
que nous retrouverons dans ce dictionnaire: contraception (angi. contra- +
conception), navicert (angl. navigation certifcute), bmnch (angl. brea.fmt +
lunch), progiciel @rogrumme + logiciel), velcro (velours + crochet), héliport
(hélicoptère + aéroport), tapuscrit ( t qe r + manuscrit), volucompteur (volume +
compteur), etc. (Robert 1993:xv-xvi).
Un empiétement de deux phénomènes, I'empmt et la dérivation propre, a
pour résultat bien d'autres mots fiançais créés à partir de morphèmes anglais:
après avoir inventé footing, tennisman, etc., nous avons créé relooker, révolvériser, ghoureux, footera,flmhant, débriefir. Camping-car est aussi un produit fiançais inconnu des anglophones
(Robert 1993 :xvi)
Nous savons qu'ils sont étrangers a la langue, mais nous nous en S~IVO~ZS
' t e Petit Robert (1993) nous donne trois exemples: I'apmzt (scandinave: eau-de-vie), Zefugu (japonais: poisson toxique comestible), et I'omerta (italien: loi du silence dans la Mafna) (:xv).
103
quand-même. Nous organisons des comités, des institutions, afin de plaider sans
cesse pour leur déportation ou pour leur intégration. Les mots allogènes sont plus
importants au développement de notre langue que nous le croyons. En plus, la
résistance aux mots allogènes pousse les utilisateurs à créer des mots comparables
mais "plus fiançais" que les intrus. Mais c'est toujours dans un nuage d'incertitude
que nous créons, car la langue *'est Limitée en rien dans le choix de ses rnoyenV
(Saussure 1993: 1 10) mais <l'arbitraire même du signe met la langue à l'abri de
toute tentative visant à la modifier> (: 106).
Pour résumer, nous pouvons voir, sans l'aide de pourcentages, que les
emprunts et les néologismes de tout genre sont tres importants dans l'ensemble du
lexique même s'ils ne sont pas, pour ainsi dire, monnaie courante.
Conclusion
Le vocabulaire est le témoin du développement et du changement de toute
pensée ou réalite qui nous entoure, tandis que la grammaire et la prononciation ne
sont qu'indirectement liées aux changements de la société. Ces changements,
quels qu'ils soient, apparaissent toujours dans les mots dont nous nous servons
pour communiquer. Les mots sont les véhicules de la pensée humaine, et la
grmaire et la phonétique servent à réglementer leur utilisation quotidienne.
Mais pourquoi alors est4 plus facile d'accepter les règles de grammaire, par
exemple, qu'un nouveau mot ou un nouveau sens d'un mot préexistant? Nous
avons déjà touche a la réponse: l'habitude et la tradition.
Chaque siècle a ses propres besoins. De cette réalité nous pouvons tirer
deux lignes de pensée fondamentales: l'idéal classique et la contrainte aussi bien
que l'expansion du savoir et l'enthousiasme pour la nouveauté lexicale. Ces deux
mouvements sont toujours en conflit; surtout quand nous comparons le XVI' et le
XW' siècles. La majorité des travaux linguistiques (dictionnaires, plaidoyers,
oeuvres littéraires, etc.) de ces périodes était fermement divisée en deux camps
opposés: soit pour, soit contre l'augmentation du lexique. En plus, un regard
rétrospectif plus étendu sur les quatre derniers siècles nous a montré que ces
tendances linguistiques ne jouent pas toujours à forces égales et sont toujours en
contact l'une avec l'autre.
La Pléiade voulut encourager les poètes de l'époque a créer de nouveaux
mots ainsi qu'utiliser tous les moyens disponibles pour e ~ c h i r le vocabulaire
fiançais, qui se détachait de plus en plus de la langue latine. Cette nouvelle
indépendance avait un prix particulier: le risque d'inonder le lexique de mots
bizarres, ce qui est toujours le cas quand nous innovons, à n'importe quelle
époque. Mais le X W siècle est un peu plus délicat, car c'est ici que la langue
fiançaise, assez confiante pour se soutenir elle-même, tentait de se libérer des
restrictions imposées par la tradition; un aspect qui a toujours eu, et aura toujours,
une grande innuence sur la langue5*. Ne pouvant ignorer les liens avec le passé et
avec les autres langues qui Pont moulé, le fkmçais s'était mis en marche pour la
recherche de son autonomie. Cela a encouragé les utilisateurs de la langue à
s'aventurer au delà des langues grecque et latine comme source d'inspiration.
Pionniers de I'innovation, les poètes du siècle ont bien répondu à l'appel.
Policiers du XM' siècle, Malherbe et ses collègues ont fouillé dans tous les
recoins de la langue pour prohiber tout ce qu'ils considéraient comme témoins d'un
langage bas ou trop élevé. A qui revient-il d'imposer des limites aux
retranchements ou B effectuer des réfonnes? Peu importe vraiment le "qui"; le
plus important c'est évidemment le "pourquoi". Nous ne pouvons pas créer de
w < ~ tout instant, la solidarité avec le passé met en échec la liberté de choisir. Nous disons homme et chien parce qu'avant nous on a dit homme et chien> (Saussure 1993 : 108).
nouveaux mots à notre guise. Nous avons tendance à voir surtout le côté
pessimiste de cette idée, laquelle dépeint le portrait d'un lexique appauvri et band,
suffoquant dans l'air ae l'antiquité. Les puristes de la langue ont parfois tort: que
deviendrait une langue privée de tout e~chissement? Les nouvelles idées, les
inventions, n'auraient pas de mots pour Les identifier.
Cette restriction de l'innovation a aussi ses bénéfices. Le fait que nous
n'acceptons pas toutes les nouveautés, simples ou complexes, nous donne le temps
de mieux choisir nos mots et de nous familiariser avec eux. Nous pouvons nous
exercer avec eux jusqu'à ce que nous ayons besoin d'autre mots pour expliquer
plus précisément nos pensées. Pareillement, garder un même inventaire de mots
met en marche les procédés sémantiques tels que la polysémie et les figures de
style, qui e~chissent davantage le vocabulaire.
Le XWsiècle avait vu naître une grande quantité de nouveaux mots dont la
majorité n'ont pas survécu. Certaines restrictions ont permis aux mots choisis de
mieux s'établir dans ia langue, avec pour résultat une vie un peu plus prolongée ou
bien très prospère de ces mots.
Les XVIII" et XIXS siècles étaient marqués par une approche philosophique
de la langue: la connaissance humaine devait être la visée de l'être, et un peuple
instruit était l'image d'une grande nation. Les "dictionnaires des choses" (les
dictiomaires encyclopédiques) se sont mis à éclore. De même qu'aujourd'hui, les
nouvelles connaissances et les créations doivent se permettre d'être étiquetées à
l'aide de nouveaux mots, le sens existant dejà
Notre étude a démontré que les mêmes principes d'enrichissement du
vocabulaire sont restés à travers les siècles. Ils sont ou bien appelés différemment
à certaines époques, comme par exemple le provignement de Ronsard que nous
appelons maintenant la dérivarion propre, la dérivation impropre que nous
nommons parfois le style (chez Charnard) ou la néologie passive (CILF 1983 : 5 12),
ou bien ils sont le produit de plusieurs modifications aux procédés déjà existants,
par exemple la dérivation parasynthétique (Kocourek 199 1 : 1 1 1).
Tous les néologismes, surtout les emprunts aux sources étrangères et ceux
de source nationale non standard (les dialectes, les temes de métiers, etc.) ont
parfois eu de la dZficulté à être acceptés du public car souvent les nouveautés
paraissent étranges ou bizarres:
Telle monnoie, soit d'or ou d'argent, semble estrange au commencement: puis l'usage l'adoucit et domestique, la faisant recevoir, luy donnant authonté, cours et credit, et devient aussi commune que nos Testons et nos Escus au Soleil.
(Ronsard 1924: 549)
Ce qu'il ne faut pas oublier c'est qu'il faut hasarder pour enrichir. Toute langue
serait vide et stérile si l'on ne pouvait y ajouter de nouveaux mots tirés d'une autre
langue ou de l'esprit.
La néologie morphologique ou morphosémantique a toujours existé mais
elIe a aussi été repartie différemment à travers les divers procédés de création des
unités lexicales. Aujourd'hui, nous constatons une forte présence des emprunts à
108
l'anglais, au lieu de l'italien, qui, lui, fut à son zénith au X W siècle, en plus de
nombreux moyens de créer des nouveaux mots, qu'on n'avait jamais envisagé
auparavant.
Il est difficile de voir (comme dans chaque état de la langue) où tout cela
nous mènera. A chaque siècle, la langue se complique et se simplifie à son tour.
Le XX' siècle tire a sa £in et ne nous laisse aucun chemin prévisible à suivre vis-a-
vis des tendances créatives: les sigles, les acronymes, et toutes formes
d'abrègement sont mis côte à côte avec les mots composés et les syntagmes
lexicaux. Tantôt on simplifie, tantôt on allonge.
Reprenons ce que du Bellay avait proclamé au début de son manifeste et ce
que nous avons repris au tout début de notre étude: toute langue est capable
d'améliorations. La langue est un produit social et -bit sans cesse l'influence de
t o u ~ (Saussure 1993 : 107). Tout changement dans la langue, pour être mieux reçu
et efficace, doit être modéré. Cependant, toute langue qui ne peut s'enrichir ne
peut survivre:
Il est fort difncile d'escrire bien en nostre langue, si elle n'est emichie autrement qu'eue n'est pour le present, de mots et de diverses manieres de parler. Ceux qui escrivent journellement en elle, sgavent bien à quoy leur en tenir: car c'est une extresme geine de se se& tousjours d'un mot. (Ronsard 1924547)
Au fond de la pensée humaine est un mot.
Bibliographie
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Bellay, Joachim du. La deffence et ihstration de la langue francyse. 1549. Édition critique publiée par Henri Chamard. Paris: Marcel Didier, 196 1.
Bellenger, Yvonne. La Pléiade. Collection Que sais-je? No 1745. Paris: PUF, 1978.
Bruneau, Charles. Petite histoire de la languefrunçc1ise. Tome 1 (Des origines à la Révolution) (3' édition, 1962). Tome 2 (De la Révolution a nos jours) (2' édition, 196 1). 2 tomes. Paris: Librairie Armand Colin, 196 1 et 1962.
Brunot, Ferdinand. Histoire de la langue française. 13 tomes. Paris: Librairie Armand Colin, 1966-72.
Caput, JeamPol, et Jacques Demougin, edd. La langue française: histoire d'une institution. Tome 1 (842- 17 15), tome 2 (1 7 15- 1974). 2 tomes. Collection L. Paris: Larousse, 1972 et 1975.
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