Post on 12-Mar-2016
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Pour des milliers de migrant.e.s sans papiers
vivant au Canada, des villes comme Montréal, To-
ronto et Vancouver sont de véritables ateliers de
misère. Les migrant.e.s et les réfugié.e.s occupent les em-
plois les plus précaires et les plus dangereux. L’économie
canadienne ne peut survivre sans cette main-d’œuvre ai-
sément exploitable et hyper-vulnérable en raison du statut
permanent dont ces personnes sont privées et en raison de
la menace de déportation qui pèsent sur elles.
Pour que le capital profite de leur travail, les migrant.e.s
sans papiers sont maintenu.e.s de force dans un état
d’extrême vulnérabilité et privé.e.s de l’accès aux services
essentiels et aux droits socio-économiques fondamentaux.
Ce véritable système d’apartheid se maintient en place à
coups de lois et de réglementations, mais aussi à force de
crainte d’être découvert.e.s et déporté.e.s.
Tout le monde devrait avoir accès aux soins de santé, à
l’éducation, au logement social, aux banques alimentaires,
à l’aide financière aux chômeurs et chômeuses et à toute
forme de protection sociale, peu importe son statut migra-
toire. Les normes du travail et les droits humains devraient
être accessibles à toutes et tous sans exception.
Alors que les capitaux et les grandes entreprises franchis-
sent les frontières plus facilement que jamais, ces mêmes
frontières deviennent de plus en plus meurtrières pour des
milliards d’êtres humains à travers le monde. « “Cité sans
frontières” est le nom de notre résistance à cette réalité et
le nom du projet visant à faire de nos milieux de vie non plus
des lieux de discrimination et d’exploitation à caractère rac-
iste mais des espaces d’entraide, de soutien et de solidarité.
Bâtir une Cité sans frontières, c’est aussi bâtir une ville qui
rejette un système qui engendre la pauvreté et l’angoisse,
pas seulement pour les immigrant.e.s et les réfugié.e.s, mais
aussi pour des milliers d’autres Montréalais et Montréal-
aises qui font face à ces réalités.
On nous propose la peur, la précarité et la division. Nous
répliquons par la solidarité, l’entraide mutuelle et l’action
directe.
Nous demaNdoNs que:
• Toute personne qui vit ici devrait avoir le droit aux soins
de santé gratuits, dans les cliniques, CLSC, hôpitaux et
autres. Les hôpitaux et les cliniques ne devraient jamais
exiger de renseignements sur le statut d’immigration. Ils
devraient plutôt travailler à prodiguer des soins appropriés
et respectueux à tous les usagers. Nous voulons des soins de
santé accessibles à toutes et à tous, et soutenons les efforts
pour défendre le système public.
• Toute personne qui vit ici devrait pouvoir aller à l’école
gratuitement, peu importe son statut d’immigration ou ce-
lui de ses parents. Nous sommes en faveur de la gratuité
scolaire pour toutes et tous, de la maternelle à l’université,
et défendons une éducation accessible à tous les niveaux et
pour toutes et tous.
• L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne
devrait pas avoir le droit d’entrer et d’arrêter des migrant.e.s
dans les hôpitaux, cliniques, refuges, écoles ou autres en-
droits qui fournissent des services essentiels. Ultimement,
nous rejetons la présence des agents frontaliers dans nos
communautés
• Toute personne qui vit ici devrait avoir accès aux loge-
ments sociaux, banques alimentaires, prestations de chô-
mages et autres mesures sociales de base, peu importe son
statut d’immigration.
La campagne«“Cité sans frontières” se veut une tentative
de généraliser et d’élargir certains des principes de base qui
ont guidé les luttes immigrantes à Montréal:
• briser l’isolement et la peur ; créer un réseau et s’unir
autour de revendications communes, claires et con-
crètes (c’est-à-dire un statut pour toutes et tous, ainsi
que l’opposition aux déportations et aux détentions);
• la pratique quotidienne de l’entraide mutuelle et de la
solidarité (le travail de soutien), ce qui contraste avec
l’approche de charité ou de «services«;
• organiser des campagnes issues des réalités du terrain;
• bâtir à long terme la capacité de nos réseaux de soutien
et d’entraide mutuelle;
• tenir les décideurs politiques responsables de leurs
faits et gestes;
• utiliser l’action directe pour obtenir justice.
par Solidarité sans Frontières
Le financement de ce projet a été rendu possible grâce aux dons de: Le groupe de recherche d’intérêt public du Québec (GRIP) à Concordia, Le groupe de recherche d’intérêt public du Québec (GRIP) à McGill, the Syndicats des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ-UQAM), the Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de nombreux individus allié.e.s.
Solidarité Sans Frontières est un réseau impliqué dans les luttes immigrantes, actif à Montréal depuis 2003. Nous sommes des immigrant.e.s et des allié.e.s et ensemble nous appuyons des individus et des familles qui font face au système injuste d’immigration et de détermination du statut de réfugié.e.
Nos revendications principales sont: la fin des détentions et des déportations et l’opposition à la double peine. Nous demandons un Statut pour Toutes et Tous et nous débutons une campagne pour la création d’une « Cité Sans Frontières ».
Nous sommes engagé.e.s dans des activités d’éducation populaire et de travail de soutien. Nous organisons des mobilisations politiques prenant la forme de manifestations, lignes piquetage et actions directes.
Nous pouvons toutes et tous participer à faire de Montréal une Cité sans frontières ! Veuillez nous contacter pour en savoir davantage.
Qu'est-ce Qu'une cité sans Frontièères?
(suite page 3)
Contenus1&3 - qu’est-ce qu’ uNe cité saNs FroNtières? par Solidarité sans Frontières
4 - educatioN Pour tou.te.s! par la Collectif Education sans Frontières (CESF)
6 - BouFFe Pour tou.te.s! statut Pour tou.te.s! par la Comité Bouffe pour Tou.te.s
7 - mises à jour sur les luttes PuBliques
8 - Pourquoi mexicaNxs uNidxs Por la regularisatioN? par Romina Hernandez, de Mexican.e.s Uni.e.s pour la Regularisation (MUR)
9 - uN réFuge Pour t par Betty de Action LGBTQ avec Immigrant.e.s et Réfugie.e.s (AGIR)
10 - qu’est-ce que la douBle PeiNe? par Cera Yiu de Personne n’est Illégal- Montréal
12 - la VioleNce Fait aux Femmes et le staut d’immigratioN Précaire
par le Centre Communautaire des Femmes Sud-Asiatique (CCFSA)
14 - traVail du sexe, migratioN et lutte au traFic d’êtres humaiNs : uNe eNtreVue aVec NaNdita sharma
par Robyn Maynard de Personne n’est Illégal - Montréal
16 - lutte coNtre la dePortatioN de Paola ortiz: FragmeNt d’uNe histoire collectiVe
par Daniel Veron
18 - le magicieN de Poz: le dur chemiN de retour Vers les terres du meNsoNge
par Edson Emilio de AGIR
Accés au soins de santé
20 - s’oPPoser aux couPures au PFsi et lutter Pour l’accès aux soiNs de saNté Pour tou.te.s par la Collectif Justice Santé (CJS)
22 - Femmes aVec statut Précaire et l’accés au saNté materNelle
par Médecins du Monde
23 - oBstacles à la PrestatioN des soiNs de saNté Pour tou.te.s! par Shireen Soofi de Solidarité sans Frontières
Travail migrant
24 - l’exPaNsioN de l’état-coloNie: l’exclusioN racialisée et le Programme des traVailleurs étraNgers temPoraires
par Gwen Muir de Solidarité sans Frontières
26 - immigratioN et austérité: le mur iNVisiBle de la maiN iNVisiBle
par Mostafa Henaway du Centre des travailleurs.euses immigrant.e.s (CTI)
28 - des traVailleurs immigraNts déNoNceNt les coNditioNs de traVail daNs les eNtrePôts de dollarama
extraits de la transmission radio “Migrant Voices”du Centre des travailleurs.euses immigrant.e.s (CTI)
Détention des migrant.e.s
29 - déteNtioN des migraNt.e.s: uN “triste couchemare” une entrevue avec un mère réfugiée sur son expérience en détention à Laval
30 - l’exterNilisatioN de racisme la loi c-31, l’exPaNsioN des PrisoNs et la déteNtioN des migraNt.e.s par Amy Darwish & Graham Latham de la Commission Populaire
32 - temoiNage d’uNe PersoNNe reFusé
une lettre par Manuel Sanchez
Merci! à tou.te.s les contributeurs.trices ainsi que tou.te.s les traducteurs.trices incroyables:
Anne-Marie Gallant, Marie-Eve Sauvé, Phillip Morin, Jessyka Boulanger, Miriam Heap-Lalonde, Yan Lap, Ellen Warkentin,
Alexandra Blair, Jess Blair, Emmanuel Madan, Genviève Thibodeau, Aaron Lakoff, Adrien Jouan, Stéphanie McConnel-Enright.
Et un grand merci à l’équipe d’édition: Gwen Muir, Anne-Marie Gallant, Leah Freedman.
eNsossez la déclaratioN Pour uNe cité saNs FroNtières
Afin de rendre concrète cette résistance, nous demandons aux organisations et aux centres communautaires, aux syndicats et aux organismes de défense de droits, aux écoles et aux institutions d’enseignement, aux centres de services sociaux et de soins de santé, aux banques alimentaires, aux centres d’hébergement et autres refuges, aux coopératives d’habitation et aux organismes de logement social, enfin à toute organisation et à toute personne de s’engager à fournir des services à tou.te.s, sans égard au statut d’immigration. En signant la présente déclaration, nous faisons un pre-mier geste visant à manifester symboliquement et publiquement cet engagement.
De plus, en endossant cette déclaration collective, nous appuyons publiquement la campagne Un statut pour tou.te.s qui revendique la fin des dépor-tations et des détentions des migrant.e.s, ainsi qu’un programme continu et complet de régularisation pour tous les sans-papiers vivant au Canada.
Les organismes fournissant des services s’engagent
• à ne jamais demander d’information à propos du statut d’immigration ;
• à traiter de façon strictement confidentielle les informations concernant les statuts d’immigration qu’ils posséderaient déjà et à ne les partager d’aucune manière avec les autorités et les agences gouvernementales ;
• à ne pas exiger de frais sur la base du statut d’immigration ;
• à mettre en œuvre une politique de non-coopération avec l’Agence des services frontaliers, notamment en refusant leur présence dans leurs lieux ;
• à s’assurer que toute personne travaillant chez eux et dans leur communauté ait accès aux normes de travail et aux autres droits humains, peu importe son statut migratoire.
À la peur, à l’isolement, à la division et à la précarité, nous répondons par l’entraide, le soutien, la solidarité et l’action directe.
Accés au soins de santé
20 - s’oPPoser aux couPures au PFsi et lutter Pour l’accès aux soiNs de saNté Pour tou.te.s par la Collectif Justice Santé (CJS)
22 - Femmes aVec statut Précaire et l’accés au saNté materNelle
par Médecins du Monde
23 - oBstacles à la PrestatioN des soiNs de saNté Pour tou.te.s! par Shireen Soofi de Solidarité sans Frontières
cette déclaratioN est eNdossée et sigNée Par:- Solidarité sans frontières / Solidarity Across Borders
- Personne n’est illégal-Montréal / No One Is Illegal
- Dignidad Migrante
- Mexicains Unis pour la Regularisation / Mexicans United for Regularization (MUR)
- Centre des travailleurs et travailleuses immigrantEs / Immigrant Workers Center (CTI)
- Apatrides anonymes
- Assemblée populaire et autonome de Villeray (APAQ-Villeray)
- Association des Locataires de Villeray
- Association of McGill University Support Employees (AMUSE)
- Café l’Artère
- Centre d’éducation et d’action des femmes (CÉAF)
- Centre des femmes d’ici et d’ailleurs
- Centre des femmes italiennes de Montréal
- Chaotic Insurrection Ensemble
- Coalition des familles homoparentales
- Collectif opposé à la brutalité policière (COBP)
- Comité citoyen de Parc-Extension
- Comité Logement Ahunstic-Cartierville
- Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL)
- Conseil central du Montréal métropolitain-CSN
- Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)
- Coopérative d’habitation Le Peuplier de Pointe-Saint-Charles
- Coopérative d’habitation Port d’attache de Parc-Extension
- La Belle Époque
- Médecins du Monde
- Mouvement Action Justice
- P.O.P.I.R. – Comité Logement
- Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC)
- Quebec Public Interest Research Group (QPIRG) at Concordia
- Quebec Public Interest Research Group (QPIRG) at McGill
- Les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et de Petite Bourgogne
- Southwest Solidarity Network / le Réseau de Solidarité du Sud-Ouest
- Syndicat des auxiliaires de recherche et d’enseignement du Concordia (SAREC/TRAC)
- Tadamon
Nous invitons les organisations et les groupes de la région montréalaise à discuter cette déclaration collective et à la signer. Si votre organisation veut signer cette déclaration, ou a besoin plus de renseignements (incluant une présentation par les membres de Solidarité sans frontières, écrivez-nous: solidaritesansfrontieres@gmail.com
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 3
(suite de la page 1)
éducation pour tou.te.s!
la situatioN des saNs-statut
Les migrant.e.s sans-papiers — dont on estime le nombre à environ 40 000 pour la région montréalaise — comptent, avec les travailleurs et travailleuses temporaires, parmi les plus exploités. Leur existence crée une réalité fondamentalement injuste au sein de nos commu-nautés, où certaines personnes ont accès aux droits et services fon-damentaux — tels que l’éducation, les soins de santé et les normes de travail — et d’autres non. Un individu qui n’a pas de statut, ou qui n’a pas un statut à part entière en tant que résident.e, peut être exploité plus facilement puisqu’il.elle vit dans la peur d’être déporté. Ces personnes vivent souvent dans la peur, l’angoisse et l’isolement, quand elles ne font pas en plus la difficile épreuve de la détention et/ou de la déportation.
Cette réalité humaine et sociale n’est pas une erreur de parcours destinée à disparaître d’elle-même, au contraire. La tendance de nos États est d’accroître considérablement la part de contraintes de leurs politiques d’immigration et d’asile et de réduire l’offre d’opportunités que présentent par ailleurs ces politiques. De plus en plus, des États comme le Canada ferment leurs frontières, soit en ayant recours sans honte à des pratiques et des politiques répressives comme la déportation et la détention de personnes, soit en limitant de manière discriminatoire et hyper-sélective l’accès aux statuts de citoyen.ne.s et de résident.e.s. Cette fermeture a pour effet direct de pousser un nombre de plus en plus grand de migrant.e.s vers sur les chemins périlleux de la migration ou de la résidence non officielles et vers des zones internationales et nationales de non-droits.
Si un certain nombre bénéficient des opportunités qu’il offre, le système actuel d’immigration est devenu, pour nombre d’autres personnes, une véritable machine à fabriquer des situations irré-gulières, des vulnérabilités humaines et sociales et des catégories d’êtres privés des droits les plus élémentaires. Nous sommes con-vaincus que la seule solution à ces situations injustes réside dans la suppression totale de l’absence de statut national, donc dans la régularisation complète et continue de tous les migrant.e.s actuelle-ment sans-papiers.
le NoN-accès à l’éducatioN : uNe discrimiNatioN mécoNNue et scaNdaleuse
Des milliers d’enfants vivant au Québec n’ont pas accès à l’éducation comme les autres. Nés ailleurs et sans statut légal (résident perma-nent, citoyen canadien ou tout autre statut) comme leurs parents,
nés ici mais de parents sans statut ou bien enfants de demandeurs d’asile refusés ou en instance d’expulsion, ces enfants sont privés du droit fondamental d’éducation.
En effet, les parents qui entreprennent des démarches d’inscription dans les écoles font face à de nombreux obstacles qui condamnent souvent leurs enfants à l’exclusion du système éducatif. Par exemple, des familles dans l’impossibilité de fournir les papiers exigés pour l’inscription de leur.s enfant.s (carte d’assurance maladie, certificat de naissance, etc.) se heurtent à un refus de l’institution scolaire. Le climat de suspicion et de répression à l’égard des immigrant.e.s sans statut peut également amener des familles à vivre dans la peur. Craignant la détention et la déportation, ces familles restent isolées et hésitent à inscrire leurs enfants à l’école.
Des écoles acceptent cependant ces enfants à la condition qu’ils pay-ent des frais de scolarité pouvant atteindre 6000 $, excluant de fait les familles à faibles revenus. L’absence de dispositions claires au sujet de l’accès à l’éducation de ces enfants entraîne des situations discriminatoires on ne peut plus scandaleuses soumises au pouvoir discrétionnaire des institutions d’enseignement.
Le non-accès à l’éducation est souvent synonyme d’isolement et d’exclusion sociale pour ces enfants qui ont, pour beaucoup d’entre eux, des parcours compliqués et des conditions d’existence difficiles. Cette mise à l’écart peut aussi avoir des effets déplorables à long terme : chacun.e connait l’importance de l’école dans le développe-ment individuel, la formation et l’intégration sociale et culturelle. La fréquentation tardive de l’école peut aussi marquer durablement des parcours scolaires et personnels en raison du retard des appren-tissages.
Cette discrimination concerne aussi les enfants avant (accès aux ser-vices sociaux tels que les Centre de la petite enfance - CPE) et après l’école obligatoire et s’étend bien au-delà de l’éducation primaire et secondaire. De jeunes adultes sont aussi concernés et l’accès aux formations professionnelles, collégiales ou universitaires pour les personnes sans-statut est aussi semé d’embûches. La non-délivrance de diplôme est, par exemple, un problème important, un Code per-manent du Ministère de l’Éducation du Québec exigé pour la remise d’un diplôme de fin d’études étant soumis à un statut légal. Cette pratique discriminatoire qui concerne le cursus obligatoire ou des formations professionnelles conduit ainsi des personnes sans-statut à abandonner leurs études, faute de diplôme validant leur formation.
Le Collectif éducation sans frontières
Actif depuis l’automne 2011, le Collectif éducation sans frontières réunit des migrant.e.s et leurs allié.e.s — parents, étudiant.e.s, enseignant.e.s, chercheurs.euses, militant.e.s — qui se sentent concernés par le problème du non-accès à l’éducation publique en raison du statut d’immigration. Le collectif est relié à Solidarité sans frontières (SSF), un réseau impliqué dans les luttes immigrantes depuis 2003 et revendiquant la régularisation des sans-papiers et la fin des détentions, des déportations et de la double peine. La formation du collectif est issue de la cam-pagne « Cité sans frontières » (menée par SSF), qui se propose de faire de Montréal une ville où quiconque, peu importe son statut d’immigration, pourrait avoir accès aux services essentiels tels que les soins de santé gratuits (dans les hôpitaux, les cliniques et les CLSC), l’éducation, les logements sociaux, les banques ali-mentaires et les refuges pour personnes victimes de violence.
par le Collectif éducation sans frontières
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 4
Nos reVeNdicatioNs
Nos revendications sont les suivantes : 1. que les migrant.e.s cessent d’être exclus de l’école publique en raison de leur statut d’immigration ;2. plus largement, que toute personne, peu importe son statut migratoire, ait accès gratuitement à l’éducation publique, de la ma-ternelle à l’université. En conséquence, nous appuyons les efforts organisationnels contre les hausses des frais de scolarité et pour une éducation accessible, gratuite et de qualité.
quelques cas
Né dans les Caraïbes, Max a 12 ans. Il est venu rejoindre sa mère qui a immigré au Canada il y a 3 ans. Après plusieurs refus de la part de directions d’école et de commissions scolaires en raison de sa situation de sans-statut, une école accepte de l’inscrire mais demande des droits de scolarité très élevés. Sa mère, qui est femme de ménage, ne peut payer la somme demandée, ce qui contraint Max à rester, souvent seul, à la maison. Obtenant le statut de réfugié 2 ans plus tard, Max peut enfin intégrer l’école mais a de nombreuses difficultés pour rattraper son retard dans les apprentissages.
En 2005, à l’âge de 13 ans, Vlad est arrivé de Russie avec sa famille. Ne pouvant être inscrit à l’école publique, ses parents payent des frais de scolarité élevés dans une école privée. Ne disposant pas du Code permanent du ministère de l’Éducation en raison de sa situation de sans statut, il ne peut pas recevoir son diplôme de fin d’études secondaires. Aujourd’hui résident permanent, Vlad est dans l’impossibilité d’intégrer un cégep, son diplôme de fin d’études du secondaire n’ayant pas été validé.
D’origine mexicaine, Rosa, 14 ans, se voit refuser le statut de réfugiée. Au mois d’août 2009, elle a reçu un avis de déportation qui concerne aussi les autres membres de sa famille. En attendant la déportation prévue pour le mois de janvier, elle voudrait s’inscrire à l’école mais l’inscription pour 4 mois lui est refusée.
l’éducatioN, uNe questioN de droit
L’éducation est l’un des droits universels et inaliénables dont la re-connaissance constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Le droit à l’éducation est consacré dans de nombreux instruments internationaux de protection des droits hu-mains, y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et cul-turels, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention relative au statut des réfugiés et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Les instruments internationaux affirment les principes suivants :- Le droit à l’éducation est reconnu à toute personne sans dis-crimination ;- L’enseignement primaire doit être obligatoire et gratuit ;- L’enseignement secondaire, y compris technique et profes-sionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tou.te.s ;- L’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tou.te.s ;- La jouissance du droit à l’éducation doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur l’origine nationale ou toute autre situation.
Le Canada a ratifié ces instruments et adhère aux principes décou-lant de la Déclaration universelle. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés affirme le droit de tout enfant à l’éducation préscolaire, au primaire et au secondaire, à l’exception de celui du résident temporaire non autorisé à y exercer un emploi ou à y étudi-er. La Loi sur l’instruction publique au Québec reconnaît la gratuité de ces services.
Cependant, les personnes en situation irrégulière font face à des
obstacles pour accéder à l’éducation. Le Canada est tenu de se conformer à ses obligations internationales et d’assurer l’exercice effectif du droit à l’éducation à « toute « personne, quel que soit son statut migratoire.
le droit à l’éducatioN daNs d’autres Pays : meilleure ProtectioN et BoNNes Pratiques
Plusieurs pays ont des lois et des mécanismes qui protègent le droit à l’éducation des personnes en situation irrégulière.Aux États-Unis, les écoles ne peuvent pas refuser l’admission d’un enfant en raison de son statut migratoire. Depuis un arrêt de la Cour suprême de 1982, priver un enfant du droit à l’éducation gratuite constitue une violation de l’« égale protection de la loi « garantie par la Constitution. 12 États dont le Texas, la Californie, New York, Utah et l’Illinois, ont voté des lois qui permettent aux étudiants sans statut d’avoir accès à des programmes d’aides et à des frais scolaires réduits. En Europe, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas recon-naissent explicitement le droit à l’éducation primaire et secondaire aux enfants en situation irrégulière. En Allemagne, l’accès à l’éducation leur est assuré en Bavière et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. En Suède, les enfants des demandeurs d’asile déboutés peuvent con-tinuer à fréquenter l’école jusqu’à ce que l’ordre de renvoi soit mis en œuvre. Les municipalités ont le pouvoir d’admettre les enfants sans-papiers dans les écoles.L’accès à l’éducation des personnes sans statut est encouragé dans certains pays. Au Portugal, les enfants sans-papiers nés dans ce pays peuvent faire régulariser leur situation s’ils suivent une éducation préscolaire, primaire, secondaire ou bien professionnelle.Aucun document n’est requis pour l’inscription à l’école en Bel-gique, en Italie, au Pays-Bas, en Pologne et dans certains Länder allemands.En Espagne, les mineurs sans-papiers peuvent bénéficier des bours-es d’étude ou de l’aide sociale pour couvrir leur frais de scolarité. Les Pays-Bas leur accordent aussi des allocations à cette fin.
Vous aPPuyez Nos reVeNdicatioNs ?
1. Prenez contact avec nous (education@solidaritesansfron-tieres.org), que ce soit pour vous impliquer dans nos actions à venir ou rester informé.e.s de celles-ci. 2. Lisez, signez (à titre d’individu ou d’organisation) et faites circuler notre déclaration collective (www.solidaritesansfrontieres.org).
Construisons ensemble une lutte capable de faire plier les institu-tions et d’éliminer un peu plus l’injustice qui touche les migrant.e.s sans statut.
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 5
Bouffe pour tou.te.s! Statut pour tou.te.s!
à l’heure actuelle, il existe plus de 40
000 Montréalais.e.s sans statut ou à statut
précaire, qui sont confronté.e.s à des barrières
leur bloquant l’accès à des services qui sont au-
tant essentiels à leur santé et sécurité qu’à celles
de leur communauté. Un de ces services est l’aide
alimentaire d’urgence.
Alors que la faim en ville est intimement liée à
la pauvreté et que celle-ci est un enjeu majeur à
Montréal, les sans-papiers montréalais sont con-
frontés à des barrières additionnelles pour avoir
accès aux services de dépannage alimentaire ; des
barrières que les autres résident.e.s n’auront pas
à affronter, par exemple être dans l’incapacité
de fournir des documents officiels, des preuves de
revenu, une preuve d’adresse, sans compter les
barrières linguistiques. Les services d’alimentation
d’urgence manquent souvent d’information adé-
quate concernant l’immigration et leurs structures
ne tiennent souvent pas compte des réalités des
sans-papiers.
Parmi les barrières les plus tangibles dans le
secteur de la distribution alimentaire, nous re-
trouvons l’exigence, faite par certaines banques
alimentaires, de fournir des documents officiels
comme condition pour l’accès au service (le type
de document que les sans-papiers et les gens avec
un statut précaire n’ont habituellement pas) et la
peur que leur statut soit révélé et rapporté aux au-
torités. Le peu de temps libre et la mobilité réduite
dû à des conditions de vie précaires sont certaine-
ment aussi des barrières significatives.
Afin de dénoncer ces barrières et de collaborer à
construire une Cité sans frontières, nous travail-
lons à préparer des ateliers d’éducation populaire
pour les organisations œuvrant dans le secteur
de la sécurité alimentaire. Avec ces ateliers, nous
espérons que ces groupes adopteront deux prin-
cipes fondamentaux. (1) Que toute information
concernant le statut d’immigration ne soit jamais
un prérequis pour avoir accès à l’aide alimentaire
et qu’aucune forme de preuve d’identité ne soit
demandée. (2) Implanter une politique empêchant
toute collaboration avec l’Agence des services
frontaliers canadiens (ASFC) afin de rendre ces
espaces sécuritaires et accessibles pour tout le
monde.
De plus, nous travaillons à cartographier les or-
ganismes d’aide alimentaire afin de mieux com-
prendre le réseau à Montréal et de mettre des im-
ages sur l’accessibilité ou l’inaccessibilité à ces
services tout en créant des liens et en nous infor-
mant auprès de ces organismes locaux.
solidaires et NoN charitaBles
Les ateliers d’éducation populaire étant une
première étape, nous travaillons à encourager le
mouvement vers un modèle d’autonomie alimen-
taire solidaire plutôt qu’un modèle charitable.
Nous croyons que l’accès à une alimentation
saine pour tou.te.s requière que nous nous bat-
tions pour des modèles qui permettent à chaque
individu un réel
pouvoir de déci-
sion sur sa vie.
De plus, nous
croyons qu’il
est important
de confronter
les barrières
structurelles
qui empêchent
l’accès, margin-
alisent et dépla-
cent des systèmes
alimentaires
communautaires.
Le modèle
charitable crée
et perpétue la relation dichotomique et dévalori-
sante entre l’usager.e et la personne qui fournit
le service. Afin de contrer ceci, nous encoura-
geons un modèle solidaire basé sur des relations
horizontales plutôt qu’un système vertical ; un
modèle d’aide mutuelle et de support qui donne
du pouvoir aux personnes directement touchées
par l’insécurité alimentaire et le racisme.
Voici quelques exemples solidaires : des cuisines
collectives qui font la promotion de l’autonomie
alimentaire en permettant aux individus de créer
une communauté basée sur le support mutuel et
l’autogestion préférablement à des relations de
dépendance à l’État et aux forces du marché; des
repas communautaires qui réunissent les gens et
lient des groupes afin de créer des espaces collec-
tifs desservant plusieurs besoins et rattachant en-
semble plusieurs luttes; des épiceries collectives
ou des initiatives d’agriculture appuyées par la
communauté qui augmentent l’accessibilité à une
alimentation abordable, etc. Ce sont seulement
quelques modèles déjà amenés par des groupes
montréalais qui cherchent à briser l’isolement et
la peur en renforçant les liens dans nos commu-
nautés.
lier les luttes : l’accès à la Nour-riture et la justice migraNte
La justice migrante et la justice alimentaire ne
s’entrecroisent pas uniquement au sujet des
banques alimentaires. Chaque année, le Canada
admet plus de migrant.e.s sous des visas de tra-
vailleur.euse temporaire avec des conditions ré-
pressives (comme le Programme des travailleurs
étrangers temporaires ou le Programme des tra-
vailleurs agricoles saisonniers) que dans toute au-
tre catégorie d’immigration.
Le système alimentaire canadien même est tenu
en place par les politiques étatiques d’exploitation
des migrant.e.s -- que ce soit par leur travail dans
les champs, les serres, les lignes d’assemblage ali-
mentaires, les entrepôts alimentaires ou l’industrie
de la restauration rapide. Ces migrant.e.s travail-
lent sous des conditions extrêmes d’exploitation
et se voient refusé des droits auxquels n’importe
quel citoyen.ne a accès. Par ailleurs, la cause
même de la migration est enracinée en premier
lieu dans la violence de l’expansion coloniale et la
mondialisation capitaliste néolibérale. Le Canada
exploite la terre et les vies des gens dits du sud «
par ses pratiques minières, l’industrie agricole et
l’occupation militaire.
Une analyse structurelle qui conteste les forces
convergentes du capitalisme, du colonialisme et du
racisme comme fondement même des injustices
qui régissent autant le système alimentaire que
le système d’immigration, doit être la base de nos
demandes pour une alimentation saine pour tou.
te.s.
En travaillant à défier les barrières qui empêchent
l’accès à l’aide alimentaire pour les sans-papiers
montréalais, nous enracinons également d’une fa-
çon plus profonde nos luttes pour l’auto-détermi-
nation et la liberté de se déplacer, en exigeant un
statut pour tou.te.s, et, ultimement, en exigeant la
fin du système d’immigration raciste actuel et de
l’État colonial canadien.
Pendant que notre campagne va de l’avant, nous
vous invitons à imaginer un Montréal dans lequel
la bouffe serait vraiment accessible.
Comment pouvons-nous élargir nos réseaux de solidarité et d’aide mutuelle afin d’assurer une alimentation saine à tou.te.s?
Si cela vous intéresse, contactez-nous !Email: food4allmontreal@gmail.comou solidaritesansfrontieres@gmail.com
Notre mandatNous sommes un comité de Solidarité Sans Frontières, formé en 2011. Nous croyons que l’accès à la nourriture est fondamental pour la dignité et l’autodétermination des migrant.e.s sans-papiers ainsi que toutes les personnes qui sont confrontées à la pauvreté et à la précarité. Nous croyons que la pratique de refuser l’accès à des services à certain.e.s, notamment l’accès aux banques alimentaires, est profondé-ment discriminatoire. Une partie de la lutte que nous menons consiste à briser les frontières à l’intérieur de notre ville afin de s’assurer que tou.te.s ont accès aux services sans aucune crainte. La sécurité alimentaire devrait être accessible à tou.te.s les Montréalais.e.s quelque soit leur statut d’immigration. En mettant sur pied une Cité sans frontières, nous nous opposons à la peur, l’’isolement,la précarité et la division. En plus de travailler à rendre accessible les banques alimentaires à tou.te.s, nous voulons en premier temps dénoncer et confronter les systèmes qui créent les inégalités elles-mêmes et de cette façon, le besoin même d’avoir des banques alimen-taires. Nous demandons l’accès à une alimentation saine pour tou.te.s, quelque soit leur statut d’immigration !
par le comité Bouffe pour Tou.te.s de Solidarité sans frontières
art par Gwen Muir
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 6
Bouffe pour tou.te.s! Statut pour tou.te.s!
mises à jour sur les luttes publiques
• La famille Pavon-Aguila, établie à Sainte-Hyacinthe, menacée dedéportation en janvier 2013, est partie pour le Mexique à la mi-février •La lutte de la famille Pavon-Aguila s’est déroulée dans un contexte d’escalade des attaques visant les migrant.e.s et les réfugié.e.s. Le 15 décembre, le gouvernement canadien a mis en œuvre la loi C-31, qui établit un système d’examen des demandes d’asile à deux vitesses et raciste dont l’objectif est d’accélérer les délais de traitement et de restreindre considérable-ment l’accès à l’asile en distinguant les demandeurs d’asile selon leurs pays d’origine. Il est clair que cette législation va conduire à une augmentation sans précédent du nombre de migrants visés par des mesures de déportations. À ce jour, on estime que 15 000 personnes ont été déportées depuis 2008, avec une moyenne de 7 mexicains par jour.
Letitia Aguila, Esteban Pavon et leurs deux filles, Fernanda et Stephanie, sont arrivés au Canada le 22 janvier 2009. À la suite de nombreux épisodes de menaces, de violences et de rapts des gangs, ils ont décidé de déposer une demande d’asile au Canada – demande qui sera rejetée le 21 décembre 2012. À l’époque, Michel Jodoin, commissaire à la commis-sion de l’immigration et du statut de réfugié, a estimé que le risque pour la famille d’être renvoyée au Mexique ne dépassait pas le risque général que connaissent tous les mexicains, concluant au passage que les membres des gangs qui effrayaient la famille les avaient ou-blié depuis le temps. De leur côté, les Pavon-Aguila doutaient d’avoir été aussi facilement oubliés et craignaient en conséquence pour leur sécurité au Mexique.
En soutien à la famille, des centaines de membres de la communauté de Saint-Hyacinthe se sont mobilisés pour réclamer l’arrêt de la procédure de déportation.
À la mi-février 2013, la famille a pris la décision de partir pour le Mexique, avant d’être contrainte par l’Agence des Services Frontaliers du Canada, avec l’espoir de pouvoir revenir à Saint-Hyacinthe.
La lutte continue.
• Sami Sheikh est devenu résident permanent en janvier 2013 •Sami est arrivé à Montréal en 2000, à l’âge de 12 ans, avec ses parents et ses deux sœurs. Fuyant la répression politique au Pakistan, ils ont été acceptés comme réfugiés au Canada. En 2007, la famille a été dénoncée aux services d’immigration Canada par l’ex-conjoint, devenu violent, de l’une des sœurs pour avoir omis un détail dans leur demande d’asile – détail que leur conseiller juridique leur avait suggéré d’omettre à l’époque. Suite à cela, Sabir Mohammed et Seema Sheikh ont été déportés aux États-Unis en 2009, où ils sont actuellement en train d’obtenir le statut de résident permanent.
Au moment de la déportation des parents, le dossier de Sami ainsi que celui de ces sœurs ont été réévalués par les services d’immigration Canada. Plusieurs années ont passé avant que Sami ne soit informé du refus de sa demande d’asile et de la mesure de déportation au Pakistan – pays où il n’a jamais vécu – qui le vise alors.
Faisan face à cette situation, Sami a décidé d’engager une campagne publique, avec l’aide et le soutien des habitants de son quartier, Parx-Extension, de plusieurs membres de Solidarité Sans Frontières et de son avocat. En janvier 2013, la décision a finalement été renversée. Sami a obtenu le statut de résident permanent pour motif d’ordre humanitaire. « Je ne savais ni ce qui allait ar-river ni quand cela allait arriver » explique Sami. « Maintenant je peux à nouveau me projeter dans le futur, ici. ».
À Parc-Extension, un quartier dont le taux de pauvreté et de population immigrante est l’un des plus élevé de la ville, Sami est un parmi tant d’autres individus et familles à lutter quotidiennement contre le système d’immigration actuel.
• La famille Gohtra-Singh a réussi à obtenir une suspension de déportation, dans l’attente d’autres décisions, en janvier 2013 •À la suite d’un bras de fer de plus de 10 ans avec la bureaucratie canadienne de l’immigration et du droit d’asile, la famille Gohtra-Singh a été informée qu’elle serait dépor-tée en Inde en janvier 2013 - pays où ils n’ont aucune attache.
Madame Reetu Gohtra et son mari Monsieur Shimbi Singh vivent dans le quartier montréalais de Parx-Extension avec leurs deux enfants, Kamal et Pardeep, qui sont nés à Montréal et qui y suivent leur scolarité. Kamal, 11 ans, est inscrit dans une école pour enfants nécessitant des soins particuliers.
Le 15 janvier, la famille a réussi à obtenir une suspension de la décision de déportation.
À présent, la famille continue à lutter contre ce système d’immigration tout en donnant la priorité, malgré des conditions de vie extrêmement stressantes, à une vie la plus stable possible pour leurs enfants.
• La famille Reyes-Méndez a été déportée au Mexique en Décembre 2012 •Ces 6 dernières années, la corruption et la violence qui sévissent au Mexique ont provoqué la mort d’au moins 60 000 personnes. Cette situation est encore largement ignorée par le gouvernement canadien, qui continue à déporter en grand nombre les mexicains, à un rythme de 7 personnes par jour.Bien qu’ils risquent d’être capturés, kidnappés et assassinés par des policiers mexicains corrompus, la famille Reyes-Méndez apprend qu’elle est visée par une mesure de déportation au Mexique en janvier 2013.À la suite d’une importante mobilisation de la communauté, initiée par la famille avec le soutien de Mexicains Unis pour la Régularisation (MUR), les Reyes-Méndez ont été déportés le 19 janvier 2013.En refusant de reconnaitre le statut de réfugié à la famille Reyes-Méndez (et à tant d’autres qui viennent, pour des raisons similaires, chercher refuge au Canada), le gouvernement Harper leur fait courir à tous un grand risque. Les cas de personnes assassinées après s’être vu refuser le statut de réfugiés puis déportés au Mexique ne sont pas rares.
Tristes et en colère, nous continuons la lutte.
Ce qui suit est un survol des luttes engagées par quelques familles ou personnes dans l’espace public contre le système d’immigration cette année à Montréal et dans ses alentours.
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 7
Pourquoi Mexicanxs ? Pourquoi Unidxs ? et Pourquoi Pour la Régularisation ?
Pourquoi Mexicanxs?
Parce que l’accord de Libre-Échange (ALENA) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique permet essentielle-
ment à des entreprises transnationales, dans les trois pays, et à leurs élites politiques et économiques, de négocier librement les unes avec les autres et d’éliminer les obstacles au commerce, mais interdit les déplacements hu-mains qui sont les conséquences directes et désastreuses de cet accord.
Parce qu’on observe et on agit aussi contre l’extrême violence, sous toutes ses formes, de l’État mexicain contre ses citoyen.ne.s et son incapacité à leur répondre en matière de sé-curité.
Parce qu’il semblerait illogique de penser que lorsque les stratégies néolibérales se concen-trent sur certaines communautés en provo-quant leur misère et leur exploitation par la violence, elles ne recevraient pas en retour la résistance, l’organisation ou la lutte sociale.
Nous répondons en tant que «communau-té« parce que nous avons été directement attaqué.e.s comme tel d’une façon impitoyable par les États et par ceux.celles qui les gou-vernent. Mais nous réunir et nous organiser en tant que communauté ne signifie d’aucune manière que nous sommes un groupe fermé, au contraire, dans notre parcours de migra-tion nous avons appris que toutes les luttes de résistance sont liées. Le défi commun est de trouver des modes d’organisation différents de ceux utilisés par les structures du capitalisme sauvage : oppression et exploitation utilisant la force et la violence. Nous défendons le droit légitime de nous rassembler entre personnes qui partagent non seulement la même nation-alité mais aussi la même façon de penser.
Nous sommes mexicain.e.s et uni.e.s parce que tout au long de notre chemin nous avons compris l’importance de la lutte aux côtés de tou.te.s les camarades, quelle que soit leur na-tionalité, sans oublier notre identité et d’où nous venons.
Pourquoi uNidxs?
Notre première réaction serait de dire qu’il n’y a pas d’autres moyens de faire, ni de ré-sister ni de lutter contre les politiques injust-es dont nous avons été victimes. Par contre, penser que le partage de la même nationalité ou que l’expérience de migrer nous unit dans la pensée et dans la façon de lutter, serait de tomber dans l’innocence ou la fatalité straté-gique. La communauté mexicaine au Canada, et plus précisément celle de Montréal, a im-migré malheureusement avec tous les vices et toutes les divisions de classes qui existent dans ce pays. MUR est à peine une partie représentative de la communauté mexicaine
de Montréal, une pe-tite portion de la popu-lation mexicaine immi-grante qui a décidé de se rassembler pour tra-verser les frontières de classe, de statut migra-toire, de langue et de nationalité pour parler des plus défavorisé.e.s et des plus vulnérables à l’exploitation hu-maine: ceux.celles qui basculent dans un stat-ut d’immigration entre l’existence et la clan-destinité et qui par-ticipent activement à construire une société plus juste et plus égalitaire, sans distinction.
L’union au MUR n’a pas été facile, car il est, comme dans toute autre lutte pour la justice sociale, très difficile de se mettre d’accord avec les principes et les objectifs. Les modes et les stratégies ont changé au fur et à mesure du temps et des personnes impliquées. La communication, l’organisation, l’éducation populaire et les intérêts communs se confron-tent souvent aux intérêts individuels et sont des défis auxquels nous sommes confrontés en tant que groupe et qui menacent notre union. En plus des inconvénients de notre situation juridique : emplois précaires, sans sécurité, peu de ressources et moins d’énergie pour se rencontrer ne serait-ce que quelques heures pour militer. Parfois, nous avons le sentiment que nos seuls points communs sont la langue espagnole et la conviction que ce n’est qu’en investissant du temps et du capital humain que nous pourrons obtenir un changement profond au niveau individuel et collectif.
Nous avons réussi à renforcer nos principes de base et à définir nos politiques internes et externes afin d’ouvrir notre lutte aux groupes et allié.e.s qui soutiennent la même idéolo-gie et la même politique. Le MUR rejoint les personnes qui soutiennent que la migration est un phénomène naturel et humain et que nous sommes libres de nous déplacer. Ainsi nous nous unissons avec ceux.celles qui sont en colère et fatigué.e.s de la cruauté du sys-tème, pour dénoncer les déportations, la dou-ble peine, les centres de détention. Nous exi-geons des réponses, des noms de coupables, des dates, des ententes et pour être plus précis, des changements réels et profonds dans l’incapacité de la bureaucratie et dans l’inhumanité des lois sur l’immigration.
Pourquoi la régularisatioN?
Parce que nous ne pouvons pas aspirer à une société plus juste et plus égalitaire s’il existe encore des millions de personnes qui n’ont pas accès aux services fondamentaux pour tout
être humain. Des milliers de personnes vivent et travaillent dans les emplois les plus dan-gereux, les plus précaires, avec des horaires difficiles et arrivent à peine au salaire mini-mum, sans assurance emploi, ni vacances, ni chômage, ni congés de maternité et, en cas d’accident ou de maladie, n’ont pas la capac-ité d’aller à l’hôpital car elles vivent toujours dans la peur d’être renvoyées dans leur pays d’origine si elles sont découvertes.
Nous exigeons un programme ouvert et com-plet de régularisation pour toutes les per-sonnes qui vivent au Canada, y compris nous, bien sûr, les Mexicain.e.s. Le Canada a lancé des programmes de régularisation dans le pas-sé pour certaines communautés et il pourrait bien le faire à nouveau s’il en avait la volo-nté. Par contre, il s’agissait de programmes exclusifs et bien connus, encore une fois, pour répondre aux besoins de main-d’œuvre du pays. Ces programmes n’incluaient ni droits ni réparations aux dommages et aux années durant lesquelles les Mexicain.e.s ont été ignoré.e.s.
Un programme de régularisation ouvert et complet pour toute personne vivant dans la clandestinité et pour toutes celles qui vivent dans l’incertitude et l’angoisse du futur. Parce que c’est le paiement minimum de la dette que nous devons aux millions de personnes qui ont travaillé pendant des années et travaillent en-core dans nos champs, qui s’occupent de nos enfants, des nos aîné.e.s, qui confectionnent nos vêtements, qui nous livrent des pizzas à la maison, qui cuisinent pour nous dans les restaurants, qui nous ramènent à la maison dans leurs taxis, qui nettoient nos bureaux« Ces personnes vivent depuis des années dans le secret, sans faire partie de la société et sont privées de la liberté de vivre sans crainte. Des centaines de personnes et de familles sans lesquelles l’économie canadienne ne pourrait jamais fonctionner.
par Romina Hernandez de Mexicanxs Unidxs por la Régularizacion (MUR)
photo par Palomeiro
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 8
Un rEfuge pour tsalut, je m’appelle Betty, je suis transsexuelle et réfugiée du Mex-
ique. Peut-être que cette introduction vous fait penser aux introduc-
tions dans les groupes d’alcooliques
anonymes (AA). Mais non, je ne suis pas
alcoolique (en tout cas, pas à temps plein),
je voulais juste vous présenter mon statut
et partager mon point de vue.
Pour commencer, si vous êtes une per-
sonne cis (le terme utilisé dans certaines
communautés trans pour désigner une
personne non-trans) qui ne sait pas ce
que ça signifie être une personne trans-
sexuelle, lisez attentivement : les per-
sonne trans ont une identité de genre ou
identité sexuelle différente du sexe et/ou
du genre qui leur a été assigné à la nais-
sance. On parle d’identité de genre, et
non d’orientation sexuelle (gai, lesbienne,
bisexuel.le) – c’est notre manière per-
sonnelle de comprendre notre genre. Y’a
probablement beaucoup de gens qui sont
mélangés quant à tout ça – c’est comme
quand on apprend au sujet des personnes
racialisées. L’accès à de l’information
concernant l’identité de genre est limitée.
Pour ceux.celles d’entre nous qui sommes
trans, on prend soin l’un.e de l’autre le mieux qu’on peut.
J’imagine que la majorité des immigrant.e.s savent ce que ça signifie être
un.e demandeur.euse d’asile ou un.e réfugié.e accepté.e. Nous savons, au
moins, les différentes raisons qui nous ont motivé.e.s à quitter nos pays.
J’ai encore l’expression “demande non fondée” dans ma tête, ou peut-
être “fausse réfugiée” serait plus à propos? Ben, j’aimerais juste dire aux
personnes qui pensent qu’on soumet des demandes d’asile juste pour le
fun : si ces personnes étaient dans mes souliers, je suis certaine qu’elles
n’oseraient jamais dire ça.
Être réfugié.e, dès le début du processus, c’est être traité comme un.e
criminel.le. C’est loin d’être juste, vivre dans des conditions précaires -
traumatisme, paranoïa, faible estime de soi, douleur émotionnelle ou phy-
sique, quitter ta famille, ton chez-soi, ta ville, tes traditions, ta culture, tes
épargnes ou ce que tu avais avant ton départ, et arriver seulement avec
quelques vêtements (si t’es chanceux.euse) et ton espoir (si tu l’as encore).
Crois- moi«la personne qui pense qu’on est « faux.ausse « ou qu’on fait des
demandes « non-fondées « saurait plus de quoi elle parle si elle comprenait
tout ça.
C’est pas drôle, c’est pas agréable, c’est ni prospère ni stable. Parce que
tu te retrouves nulle part! Être demandeur.euse d’asile – tu n’as pas de
statut, tu dois traverser un processus long et stressant, ce qui augmente
ton expérience traumatique. En attendant, tu dois t’intégrer à la société
canadienne, ou dans mon cas, québécoise. Cela signifie apprendre l’histoire
québécoise et la langue française.
En tout cas, le Mexique est un pays riche en diversité, gouverné par le pa-
triarcat et des hommes majoritairement machos.
Si le taux d’agressions contre les queers est élevé, tu ne peux pas t’imaginer
comment c’est dangereux pour les personnes travesties ou transsexuelles.
Oui, peut-être qu’il y a beaucoup de gens qui demeurent isolés, car on
doit se cacher, s’enfuir, parce qu’on subit plusieurs différentes formes de
violence transphobe. Si tu te retrouves au Mexique – imagine que tu es un
homme qui s’habille comme femme, avec des longs cheveux merveilleux, du
maquillage et des talons-hauts, ou, si tu es une femme, tu portes des pan-
talons, une chemise et des souliers pour hommes, tu coupes tes cheveux, tu
te rases tous les jours et t’essaie de cacher tes seins. Maintenant, imagine
un scénario : tu arrives à l’école, tu marches au centre-ville, ou peut-être
tu cherches un emploi. As-tu déjà vu une personne transsexuelle dans une
université? Ben, peut-être que oui, mais y’en a pas beaucoup. En as-tu vu
qui travaillent comme avocat.e.s, banquier.e.s, comptables ou médecins?
En tout cas, si tu en as déjà vu dans ces contextes, tu as de la chance!
Peut-être que cette personne suit son rêve et a
un mode de vie aisé, peut-être qu’elle est riche!
Malheureusement, j’ai été témoin de personnes
trans travaillant dans les bars, se promenant la
nuit, étant travailleur.euse.s de sexe dans les
pires endroits – étant des cibles fréquentes de
violence, de harcèlement, d’agression sexuelle
et d’abus de leurs clients. Être payé.e 2 dollars
pour sucer une queue? (ça c’est de l’abus clair
et net!). La sécurité c’est le plus gros problème
pour nous, car y’a pas de lois qui protègent nos
diverses identités de genre, on n’a pas de droits
humains qui nous protègent.
En tout cas, j’aimerais vous demander de
prendre une minute pour réfléchir à tout ça,
pour vous demander comment vous réagiriez,
comment vous vous sentiriez, si vous étiez
à notre place? Pas facile, n’est-ce pas? Je ne
cherche pas de la charité ni de la compassion,
je veux juste que vous compreniez comment
c’est difficile en maudit survivre dans les pays
d’Amérique Latine. On a besoin d’argent pour
payer le loyer, les hormones, les chirurgies,
pour se nourrir, se vêtir et pour répondre à nos
besoins de base (ça coûte cher en titi!). Moi, en parlant de moi-même, j’ai
perdu des personnes proches – ma famille et mes ami.e.s.
Maintenant je vis dans les conditions les plus appauvries de ma vie. Je suis
toujours vivante, je suis en bonne santé, je peux marcher dans les rues du-
rant le jour sans crainte ni stress, je peux avoir un objectif professionnel,
je peux travailler et contribuer à ma communauté, je peux aider à solidi-
fier les liens entre les personnes dans la communauté trans à Montréal.
L’expression “demande non-fondée,” en ce qui concerne l’immigration,
signifie cela : je m’en fous si tu es en danger, je ne te veux pas dans mon
pays.
Je connais des femmes trans déclarées “fausses réfugiées”, qui ont été
renvoyées dans leur pays, vivant dans les conditions les plus précaires. Il
y en a parmi celles-ci qui ne vivent pas pour longtemps, car cette décision
négative quant à leur demande d’asile leur a coûté leur vie. Elles ont été
assassinées. La recherche démontre que le Mexique est le deuxième pays
ayant le plus haut taux de meurtres de personnes transsexuelles, après le
Brésil. La plupart de ces crimes ne sont jamais résolus.
Cher.e ami.e : c’est pas des “fausses réfugiées”, c’est des personnes qui
ne sont pas en SÉCURITÉ! J’aimerais rajouter cette information : si tu
traverses actuellement le processus de demande d’asile, que tu as déjà eu
ton procès ou que tu n’as aucune idée de qu’est-ce qui ce passe avec ton
statut – viens aux différents groupes et organismes pour avoir du soutien.
Il existe des groupes de justice sociale qui peuvent t’aider et qui peuvent
t’accompagner durant le processus de demande d’asile. Essaye de trouver
un.e bon.ne avocat.e, il y en a de disponible à travers l’aide juridique qui ne
sont ne coûtent pas trop cher. Implique-toi dans les groupes qui sont par
et pour (c’est-à-dire par et pour la communauté trans, ou la communauté
queer ou immigrante, etc.) Des personnes ayant de l’expérience avec le
processus de demande d’asile peuvent te guider dans ton processus.
Si vous être membres de la communauté LGBTQ et que vous avez besoin
de ressources, contactez-nous à AGIR (info@agirmontreal.org)! On peut en
parler. Merci d’avoir pris le temps de lire cet article.
Avec amour,
Betty
par Betty* de Action LGBTQ avec Immigrant.e.s et Réfugié.e.s (AGIR)
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 9
la douBle PeiNe est une conséquence injuste de mesures appliquées aux personnes n’étant pas ci-toyennes. Elle consiste à déporter ces personnes
après qu’elles aient déjà été punies par le biais du système judiciaire criminel. Parmi les personnes n’étant pas citoy-ennes, on compte les gens ayant la résidence permanente depuis leur enfance, donc des personnes qui n’ont peut-être aucun lien avec leur pays d’origine et qui ont déjà des vies bien établies et de la famille au Canada. Tout comme les citoyen.ne.s (tel que défini par l’État colonial cana-dien), ces personnes doivent passer à travers le système judiciaire criminel et compléter leur peine, mais elles doivent en plus faire face aux conséquences d’être expulsé de manière permanente du Canada, sans égard à ce que cela peut signifier pour leurs familles, leur sécurité, leur habileté à s’intégrer à leur pays d’origine ou à la difficulté émotionnelle que représente le fait de se faire expulser du pays. Pour être clair, les non-citoyen.ne.s qui commettent un crime sont sujets à la “double peine” grâce à la collaboration des lois crimi-nelles et d’immigration qui se veulent punitives. Ces politiques entourant la “double peine” sont racistes parce qu’elles créent un système de justice à deux vitesses dans lequel, s’il.elle.s commettent un crime, les immigrant.e.s font face à des conséquences beaucoup plus désas-treuses que celles vé-cues par des citoyen.ne.s canadien.ne.s.
légalemeNt, de quoi ça a l’air?En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), les non-citoyen.ne.s peuvent perdre leur résidence perma-nente et être déporté.e.s s’il.elle.s sont considéré.e.s comme de « grands criminels. À l’article 36.1 de la LIPR, tant les résident.e.s permanent.e.s que les « étrangers « se voient interdire de territoire pour cause de grande criminalité s’il.elle.s sont déclarés coupables d’une infraction passible d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans, même s’il.elle.s reçoivent une sentence plus clémente ou s’il.elle.s ne sont pas condamné.e.s à l’emprisonnement du tout. Un crime est considéré comme “grand” si la peine imposée est de plus de six mois d’emprisonnement. L’article 36.2 prévoit qu’un.e étranger.e, c’est-à-dire une personne n’étant ni citoyenne ni résidente perma-nent, se voit interdire de territoire si elle reconnue coupable d’un acte criminel ou de deux infractions sommaires à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits.1 Finalement, la section 36.3 spécifie qu’une infraction “hybride”2 est considérée comme relevant d’une mise en accusation même si elle est jugée par voie sommaire.
Telle que définie par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la “grande criminalité” ne fait pas de distinction entre la peine maximale et la peine réellement purgée, ignorant ainsi l’interprétation par le juge de la sévérité de l’infraction. La loi cou-vre aussi un large spectre d’infractions passibles d’une incarcération maximale de dix ans ou plus (par exemple agression, vol de carte de crédit, production de faux documents, etc). De plus, en matière d’immigration, même des infractions mineures peuvent être consi-dérées comme de la “grande criminalité” car la nuance propre aux infractions “hybrides”« est effacée. C’est ainsi que des personnes se faisant interdire de territoire pour cause de « grande criminalité « ne
1 Une infraction punissable par acte criminel est considérée plus grave qu’une infraction sommaire : la peine est donc plus importante. Une infraction sommaire est con-sidérée comme mineure en vertu du Code criminel.2 Des infractions hybrides peuvent être jugées par mise en accusation ou par voie sommaire. Le mode de jugement est à la discrétion de la Couronne.
peuvent faire appel à la Section d’appel de l’immigration si elles reçoivent des condamnations de plus de deux ans. Elles ne peuvent non plus voir leur ordre de déportation invalidée pour des considéra-tions d’ordre humanitaire. En gros, un ordre de déportation est fait sans considérer la nuance de la peine, la possibilité de réhabilitation, depuis combien de temps la personne vit au Canada et les difficultés qu’engendrera sa déportation.
Un élément étant encore plus de mauvais augure est la tentative par le gouvernement conser-vateur fédéral de faire adopter une nouvelle législation intitulée Pro-jet de loi C-43, Loi ac-célérant le renvoi de criminels étrangers. Si ce projet de loi est adop-té tel quel la possibilité d’obtenir une révision de son dossier par la Section d’appel de l’immigration sera restreinte aux per-
sonnes ayant reçu une sentence de moins de six mois. Dans les faits, les résident.e.s permanent.e.s peuvent perdre leur statut pour des infractions mineures comme le vol à l’étalage, avoir causé une nui-sance publique ou la conduite dangereuse. D’autres aspects de la loi oblitèrent la distinction entre des peines avec sursis impliquant une détention à domicile pour des infractions moins graves (des peines qui ont tendance à être plus longues) et des peines d’incarcération, de même que des conséquences exagérément graves pour les personnes qui ont fait des « fausses déclarations « (ce qui peut inclure se tromper dans des dates ou omettre un historique d’emploi). Ce projet de loi est une autre tentative pour expulser facilement des immigrant.e.s du Canada et pour intensifier un climat de xénophobie et d’exclusion raciale au Canada. Cela augmentera aussi la peur et la précarité au sein des communautés migrantes, celles-ci étant déjà ciblées par le profilage racial et les actuelles lois d’immigration racistes.
la douBle PeiNe et le ProFilage racial
La double peine représente une agression ciblée envers les commu-nautés migrantes, spécifiquement envers les communautés racisées qui sont surreprésentées tant dans le système de justice criminelle qu’au sein des cas de double peine. Étiquetés comme des “menaces sécuritaires” et des “dangers publics”«, la nature des groupes vi-sés par la double peine révèle le caractère discriminatoire et rac-iste de ces mesures. Par exemple, une étude de la Section d’appel de l’immigration illustre les pays les plus représentés dans les cas d’appels : la Jamaïque, l’Iran, l’Inde, le Vietnam, la Guyane et Trini-dad. Parmi les 151 personnes ayant fait appel, 35 (23%) venaient de pays anglo-saxons ou d’Europe occidentale. Les autres 116 personnes (77%) venaient de pays qui sont majoritairement composés de non-Blanc.he.s.
L’existence de cas de double peine au sein des communautés non-blanches est directement liée au profilage racial. Une récente étude des rapports de police de Montréal a prouvé que le profilage racial est répandu dans cette ville. Des quartiers comme Montréal-Nord, St-Michel, Parc-Extension et Côte-des-Neiges sont criminalisés et sont
Qu'est-ce que la double peine?par Cera Yiu de Personne n’est illégal - Montréal
“La double peine représente une agression ciblée envers les communautés migrantes,
spécifiquement envers les communautés racisées qui sont surreprésentées tant dans le
système de justice criminelle qu’au sein des cas de double peine.”
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 10
sur-patrouillés à cause de la densité des communautés migrantes et racisées dans ces secteurs. Cela est con-staté grâce à la mise en place d’escouades policières spéciales ayant été créées pour lutter contre les gangs de rue comme AVANCE (2005-2008) et Éclipse (depuis Juin 2008). Les contrôles d’identité sont ainsi beau-coup plus fréquents (une hausse de 60% à Montréal, 125% à Montréal-Nord et 91% à St-Michel). Ces hausses sont attribuées à l’interpellation de personnes noires, représentant 40% des personnes interpellées. Alors que les activités de gangs de rue représentent 1,6% de tous les actes criminels rapportés en 2009, ces activités sont souvent utilisées comme plateforme pour légitimer le harcèlement ciblé et la criminalisation des communau-tés migrantes et racisées.
En résumé, les personnes racisées, spécifiquement les jeunes racisé.e.s et les Noir.e.s, sont ciblées et interpel-lées par la police. En conséquence, elles sont plus susceptibles d’entrer dans le système de justice criminelle en dépit du fait que les taux de criminalité sont plutôt stables entre les personnes de toutes les origi-nes ethniques et raciales. De plus, comme la discrimination raciale imprègne l’ensemble du système de justice criminelle, les personnes racisées reçoivent souvent des peines plus sévères et se voient attribuer de manière disproportionnée des peines d’emprisonnement et des ca-siers judiciaires. Ceux-ci feront donc face à la déportation s’ils n’ont pas la citoyenneté.
Pourquoi Nous résistoNs à la douBle PeiNe
La double peine est un signe très clair de la manière dont le rac-isme est intégré tant dans le système de justice criminelle que dans le système d’immigration et il révèle comment les gens sont traités comme des êtres jetables, indésirables et inférieurs aux Canadien.ne.s blanc.he.s. Premièrement, la double peine cible des personnes raci-sées et les touche en partant du présupposé qu’elles sont intrinsèque-ment des criminel.le.s (spécialement lorsqu’on examine comment les « criminel.le.s « sont défini.e.s non pas tant par ce qu’il.elle.s ont fait mais par la manière dont il.elle.s sont exclu.e.s de la société, com-ment il.elle.s sont dépeints comme “mauvais.e” et comment il.elle.s doivent être expulsé.e.s). De plus, cela renforce le sentiment que les immigrant.e.s sont dignes d’appartenance seulement si ce sont de « “bon.ne.s” immigrant.e.s, s’il.elle.s contribuent à l’économie, s’il.elle.s internalisent les valeurs canadiennes blanches, de classe moy-enne et hétéro-patriarcales, s’il.elle.s ne remettent pas en question et s’il.elle.s ne résistent pas à la manière dont les communautés mi-grantes sont souvent exploitées et exclues de l’État canadien. Parce que les communautés migrantes sont criminalisées et vivent souvent la précarité, les personnes qui font face à la double peine se sentent sou-vent honteuses, isolées et aliénées à cause de l’infamie de recevoir des accusations criminelles. Cela crée aussi un sentiment de peur autour de la mobilisation communautaire et du travail d’appui. Parce qu’il y a beaucoup de personnes faisant face à la double peine qui vivent de manière isolée, nous devons commencer à parler de la double peine et rompre le silence entourant ces enjeux.
Personne n’est illégal-Montréal examine ces enjeux à travers une lu-nette voulant qu’il ne devrait pas y avoir de frontières ni de déporta-tions puisque ces mesures sont mises en place par un État raciste et colonial dont les décisions concernant la citoyenneté sont basées sur le capitalisme, le colonialisme et la suprématie blanche. Nous croyons aussi fermement dans la libre migration des personnes, de même qu’en l’abolition du complexe industriel carcéral, et nous appuyons tou.te.s les prisonnier.e.s. Nous souhaitons néanmoins souligner comment le système de justice criminelle et le système d’immigration cible et pu-nit spécifiquement les non-citoyen.ne.s racialisé.e.s à cause du silence entourant la double peine. Nous reconnaissons aussi la complexité de cet enjeu et le fait que nous n’appuyons pas certaines actions posées par les gens ou que nous considérons ces actions comme mauvaises. Nous ne croyons cependant pas que simplement parce que ce sont des non-citoyennes, ces personnes devraient être déportées et sujettes à un système de justice criminelle à deux vitesses.
La résistance à la double peine reflète un besoin immédiat au sein de nos communautés : briser l’isolement et construire la solidarité, dé-
mystifier la croyance à l’effet qu’il existerait des «“bon.ne.s”« et des «“mauvais.e.s”« immigrant.e.s, et rendre illégitime le racisme d’État qui construit tant nos prisons que nos frontières. Nous souhaitons bris-er l’isolement en prenant une position claire contre la double peine, en changeant le discours l’entourant, en construisant un réseau fort afin de mettre à nu ces injustices et à appuyer les individus qui luttent pour rester avec leur famille, leurs ami.e.s et leur communauté ici à Montréal.
Une liste de cas montréalais publics :
-Victor Morales s’est vu annoncer une déportation vers le Chili après avoir vécu au Canada pendant trente ans.
-Dany Villanueva est menacé de déportation vers le Honduras bien qu’il vive au Canada depuis l’âge de 12 ans; les procédures de renvoi contre Dany ont été lancées après que son jeune frère Fredy ait trouvé la mort lors d’une opération policière dans laquelle Dany est un témoin important.
-Farshad Mohammadi, un réfugié politique iranien, a été tué par la police de Montréal en janvier dernier; au moment de sa mort Far-shad faisait face à la possibilité d’être déporté en Iran à cause d’une condamnation criminelle liée au fait qu’il était itinérant.
-Jacob Niyongabo a été déporté au Burundi en décembre, un pays qu’il a quitté il y a 16 ans.
- Jean-Bernard Devilmé a vécu avec son épouse et ses enfants au Can-ada pendant 25 ans. Il était menacé de renvoi en Haïti en décembre à cause de la double peine.
actioN
Personne n’est illégal a des objectifs modestes concernant l’organisation autour de la double peine à Montréal. Ces objectifs incluent : initier un travail d’éducation populaire, de sensibilisation, d’appui et lancer une campagne plus large à Montréal dans le futur. Notre intention est de créer éventuellement une coalition de personnes engagées à changer le discours autour de la double peine, briser le silence et la honte concernant ces enjeux de même que créer un réseau d’appui pour les personnes faisant face à la double peine. Si vous êtes intéressé.e.s à vous impliquer dans l’organisation autour de la double peine, prière de nous contacter à
nooneisillegal@gmail.com
photo par Palomeiro
Pour une liste complète des ouvrages consulté voir le site-web de Solidarité sans frontières: http://www.solidarityacrossborders.org/fr/
solidarity-city/solidarity-city-journal
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 11
LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES ET LE STATUT D'IMMIGRATION PRéCAIRE
le geNre, la race et la cl asse font par-ti e intégrante de nos expériences de migrati on et d’établissement. Le CCF-
SA est un organisme de service, de souti en et de défense de droits. Bien que nos services s’adressent principalement aux femmes sud-asiati ques, nous appuyons toute personne qui fait appel à nous. Nous avons des locaux, des programmes de liaison communautaire et de nombreux liens avec d’autres organ-ismes communautaires, des regroupements de groupes de femmes et des coaliti ons qui travaillent de diff érentes façons auprès des personnes immigrantes et réfu giées. Notre travail renforce notre pouvoir d’agir et nous ch erch ons à minimiser les dist inct ions et la hiérarch ie qui exist e entre les “cl ientes”« et les “prest ataires de services”. Dès nos tous débuts, en 1981, nous avons invest i diff érents milieux. Nous ne com-parti mentons pas les services, le souti en et la défense de droits. Pour nous, ils sont indissociables. Notre approch e repose sur notre travail et sur nos expériences en tant que personnes immigrantes et réfu giées.
Nous avons toujours été préoccupées par la violence faite aux femmes et nous savons que le st atu t de réfu giée ou d’épouse par-rainée a d’énormes eff ets sur les femmes, surtout celles qui vivent dans la précarité. Afi n de conserver sa résidence permanente, une épouse parrainée (bien des femmes d’origine sud-asiati que arrivent à Montréal par parrainage) doit vivre au Canada avec son parrain durant deux ans. Le parrainage rend ainsi les femmes complètement dépendantes de leur mari et les place dans une relati on de pouvoir inégale. Si une femme parrainée décide de se protéger en quitt ant le foyer ou si le mariage est dissout, elle court le risque de ne pas avoir le droit de rest er au Canada. La peur d’être renvoyée dans son pays d’origine, une éventu alité qu’elle peut ch erch er à éviter pour toutes sortes de raisons, infl uence ses décisions.
Dans la plupart des cas de violence conjugale, peu importe le st atu t d’immigrati on, les femmes ne ch oisissent pas de quitt er leur parte-naire dès le début. Habitu ellement, ce n’est qu’après avoir compris que le comportement du partenaire ne ch angera pas, ou que les en-fants sont en danger, qu’une femme décide de parti r. Ses opti ons sont grandement réduites lorsqu’elle n’est pas “libre” de ch oisir parce que son st atu t repose sur son mariage et sur la cohabitati on avec son mari. D’autres complicati ons surviennent parfois. Dans certains cas, les femmes ne sont pas en mesure de communiquer en français ou en anglais avec les agent.e.s de police qui se présentent à domicile suite à des signalements de violence conjugale. Nous avons été témoins d’un cas où le mari a déformé la réalité en disant qu’il s’agissait d’un malentendu : il a ensuite pris tous les documents de sa femme, ce qui a compliqué sa lutt e pour rest er au pays tout en vivant ailleurs qu’avec son parrain. Bien que le CCFSA off re du souti en prati que et moral, nous ne pouvons éch apper à la réalité de la vulnérabilité des femmes qui arrivent au Canada en tant qu’épouses parrainées.
Nous const atons parfois, lorsque les mariages prennent fi n, que certaines femmes se sentent plus autonomes ici que dans leur pays d’origine. Les femmes qui retournent ch ez leurs parents, dans leur pays d’origine, sont parfois jugées comme étant un « éch ec « par la famille et les voisins. Ici, elles peuvent réinventer leur vie et vivre sans ce st igma. Pour la sécurité et le bien-être des femmes, nous
aimerions que les rest rict ions en mati ère de parrainage soient abo-lies.
À l’heure act uelle, la loi accorde un grand pouvoir discréti onnaire aux agent.e.s d’immigrati on. Par exemple, dans un autre type de situ ati on de parrainage, si une femme arrive au pays en tant que réfu giée, que sa demande est rejetée mais qu’elle tombe amoureuse et se marie entre temps avec une personne qui déti ent la citoyen-neté ou la résidence permanente canadienne, cett e personne peut parrainer la femme pour qu’elle obti enne la résidence permanente. Toutefois, si, après le mariage, la femme est vict ime de violence con-jugale et souhaite quitt er son mari, ce dernier peut reti rer le parrain-age. La femme, dans ce cas, est obligée de retourner dans le pays qu’elle a fu i. Si des enfants naissent du mariage et que la Protect ion de la jeunesse est impliquée pour cause de violence, la mère peut faire appel et demander la permission de rest er pour des raisons d’ordre humanitaire. Une année doit passer avant qu’un nouveau dossier soit ouvert. S’il n’y a pas d’enfants nés en sol canadien, la femme peut tout de même faire une demande pour des raisons d’ordre humanitaire, mais doit att endre un an avant de le faire. Dans de tels cas, les agent.e.s d’immigrati on ont un grand pouvoir sur le déroulement des ch oses. Si une femme est déportée avant la fi n de l’année, son dossier risque d’en souff rir.
Au-delà des situ ati ons de crise, nous soutenons les personnes im-migrantes et réfu giées dans leurs démarch es d’établissement et d’emploi. La rech erch e d’emploi non fruct ueuse a de lourdes con-séquences sur les personnes, comme la perte de dignité et la dépres-sion. Ces conséquences sont parfois plus lourdes encore ch ez les personnes nouvellement arrivées, qui, souvent, n’ont pas de réseau de souti en local. Les personnes immigrantes font souvent face à des obst acl es quand vient le moment de trouver de l’emploi dans leur domaine de travail. Le manque “d’expérience au Canada”, entre au-tres, est un handicap important. Les personnes immigrantes sentent qu’elles doivent accepter tout travail qu’on leur off re. De nombreux.euses employeur.euse.s sans scrupules ti rent profi t de la vulnérabil-ité économique des personnes nouvellement arrivées.
Même les travailleur.euse.s qualifi é.e.s et qui parlent le français se heurtent à des obst acl es. Bien des personnes nouvellement arrivées ont du mal à trouver un emploi si elles ne parlent pas l’anglais. En arrivant, les personnes immigrantes ou réfu giées peinent à join-dre les deux bouts et n’ont souvent pas assez d’argent pour payer des cours de langu e. Depuis plusieurs années, des professeur.e.s bénévoles dévoué.e.s donnent des cours d’anglais au CCFSA. De
par le Centre communautaire des Femmes Sud-Asiati que (CCFSA)
Au début du mois de mars, les travailleuses du CCFSA ont discuté des sujets à aborder dans ce journal. L’arti cl e ci-dessous est le résultat de cett e discussion.
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nombreuses personnes bénéficient de ces cours : comme tous les services offerts au CCFSA, ils sont non seulement gratuits, mais ou-verts aux personnes de toutes origines. Depuis que le Ministère de l’immigration et des Communautés culturelles du Québec a effec-tué des changements à ses programmes, les organismes comme le CCFSA ne sont plus financés pour travailler en employabilité et pour soutenir les personnes dans leurs demandes de statut de réfugié. Bien que ces changements ne nous empêchent pas d’aider les per-sonnes qui font appel à nos services, ils indiquent clairement que les gouvernements ne sont pas en phase avec les réalités des personnes nouvellement arrivées, et que les organismes comme le nôtre, qui offrent un soutien complet, de l’information à la référence, sont grandement sollicités.
Observons le cas d’une femme sud-asiatique venue travailler avec une famille au Canada. La famille l’a fait venir par le programme d’aide familiale résidente. Elle a été isolée dans la maison de son employeur, où elle devait prendre soin d’un parent âgé. Cette femme n’avait aucun contact humain hors de la maison de son employeur et se sentait exploitée. Elle a fini par se trouver dans une situation de désespoir. Elle a finalement réussi à s’échapper, mais a du lutter pour rester au Canada. Nous l’avons aidée à trouver une famille avec qui vivre lorsqu’elle s’est échappée.
Nous travaillons parfois avec des femmes qui attendent la déportation en centre de détention. Nous essayons de les soutenir du mieux que nous le pouvons, mais c’est difficile. Les cas des femmes sont sou-vent compromis dès le départ en raison de faux renseignements ou de mauvais conseils prodigués par des avocat.e.s et des conseiller.e.s en immigration. Si elles avaient communiqué avec nous plus tôt, elles s’en seraient peut-être mieux tirées. Les personnes qui fuient un conflit politique, un génocide et la persécution basée sur le genre partent souvent sans emporter leurs documents. Le processus de négociation pour l’obtention du statut de réfugié.e est très tendu. Nous soutenons les personnes qui le demandent du mieux que nous le pouvons. Notre souci pour le bien-être de nos communautés nous a mené à prendre la parole contre les pratiques et les politiques d’immigration injustes et discriminatoires.
Les femmes avec de jeunes enfants qui doivent apprendre le français peuvent, comme toutes les autres personnes nouvellement arrivées, participer à des cours offerts par le gouvernement du Québec, mais c’est de plus en difficile. Dans le passé, un service de garde à temps plein était offert sur place. Ce n’est plus le cas. Les parents doivent trouver leur propre garderie. Bien que le gouvernement donne aux parents une allocation à cet effet, il n’y a pas suffisamment de places disponibles en garderie. De plus, bien que les programmes de fran-cisation gouvernementaux (à temps plein et à temps partiel) soient ouverts aux personnes détentrices d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ), du statut de réfugié.e, de la résidence permanente ou de la citoyenneté canadienne, les autres, y compris les personnes en attente d’une décision quant à leur statut de réfugié (et qui ne dé-tiennent pas de CSQ), peuvent seulement participer au programme à temps partiel. Ces obstacles s’accumulent et rendent l’auto-suffi-sance de plus en plus difficile à atteindre. De plus, de nombreuses femmes attendent que leurs enfants commencent l’école avant de s’aventurer à apprendre le français et à chercher du travail. Ces dernières sont grandement touchées par l’imposition d’une limite de cinq ans. Dans ce cas, elles n’ont seulement droit qu’aux cours à temps partiel, à moins qu’elles ne bénéficient de l’aide sociale, dans lequel cas elles ont droit aux cours à temps plein offerts par le Ministère même si elles sont au Québec depuis plus de cinq ans.
Les changements récents aux lois d’immigration rendent la réunifi-cation familiale plus difficile qu’auparavant. Une personne réfugiée qui est acceptée comme résidente permanente a encore le droit de parrainer sa famille, mais elle doit maintenant attendre cinq ans. Au cours de cette période, elle n’a pas le droit de voyager dans son pays d’origine pour rendre visite à sa famille. Le parrainage de parents et de frères et sœurs n’est plus permis. Le gouvernement affirme qu’avec la création des “super visas”, il est relativement facile pour les parents de rendre visite à leurs enfants. Mais ces visas sont dif-ficiles à obtenir. Pour les personnes réfugiées, ce changement sig-
nifie qu’il n’est plus possible de porter une décision en appel pour des motifs d’ordre humanitaire avant qu’une année entière ne soit écoulée. Récemment, un demandeur du statut de réfugié a voulu faire venir sa mère et sa sœur au Canada. Elles ont du se soumettre à des tests de moelle osseuse et d’ADN très coûteux dans leur pays d’origine. Même si les tests ont prouvé qu’il s’agissait bel et bien d’une famille, seule la mère a été acceptée. La sœur a été refusée, et la décision ne peut être portée en appel.
Les personnes sans statut n’ont droit à aucun service, même les soins de santé. La seule exception concerne les personnes souffrant de maladie grave et transmissible au reste de la population. Les coupures aux versements d’aide sociale ont des effets négatifs sur nos communautés. Les commissions scolaires ne permettent pas aux enfants de parents sans statut de s’inscrire à l’école, ce qui institu-tionnalise les inégalités.
Les changements apportés aux démarches d’obtention de la citoy-enneté forcent maintenant les personnes qui la demandent de dé-montrer leurs compétences en français ou en anglais. Elles doivent se soumettre à des tests de langue dans des centres approuvés par le gouvernement, moyennant des frais de 250$. Après les tests de langue, les personnes doivent encore passer le test de citoyenneté. De plus, le nouveau livret de préparation à l’examen de citoyenneté est maintenant très difficile. Nous aidons les gens à se préparer à l’examen.
Nous offrons de nombreux services aux personnes nouvellement ar-rivées à Montréal, au Québec et au Canada. Nous aidons les familles et les personnes à obtenir les prestations fiscales pour enfants, les pensions de vieillesse et les allocations familiales. Nous référons également les gens à l’aide juridique et à des avocat.e.s au besoin.
Comme nous travaillons avec d’autres organismes prestataires de services au Québec, nous sensibilisons, dans la mesure du possible, le personnel de ces organismes aux réalités de genre, de race, de classe et d’immigration de nos membres. Nous collaborons également avec plusieurs des ces organismes à des campagnes au sujet d’enjeux tel que les coupures en santé, la hausse de frais de transport et la vio-lence faite aux femmes. Notre contribution se situe sur le plan de la sensibilisation des organismes et permet d’augmenter la solidarité avec les personnes migrantes, réfugiées et sans statut. Nous tra-vaillons aussi avec d’autres organismes de justice migrante qui pro-testent et contestent les injustices des lois concernant les personnes réfugiées, le profilage politique des communautés minoritaires qui sont menacées de déportation et le climat de peur et d’insécurité qui encourage les personnes immigrantes, réfugiées et sans statut à dénoncer des membres de la communauté. Nous renseignons les membres de nos communautés au sujet de leurs droits et du pouvoir du travail solidaire et de la lutte contre l’isolement. Les lois qui créent un climat de peur et d’insécurité doivent être abolies. Ce que nous souhaitons, c’est une politique d’immigration libéralisée, qui permet aux familles d’être réunifiées. Nous souhaitons également l’abolition de la dépendance au parrainage qui met la vie des femmes en danger. Au Québec, encore plus qu’ailleurs, tou.te.s devraient avoir droit à des soins de santé et tous les enfants devraient pouvoir aller à l’école. Notre expérience nous démontre qu’en travaillant ensemble au sein de nos communautés et en solidarité avec les com-munautés et organisations qui partagent nos objectifs, nous sommes assez fortes pour opérer des changements positifs.
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Travail du sexe, migration et
lutte au trafic d'Êêtres humains une entrevue avec Nandita Sharma
Maynard: Comment le gouvernement et les média uti-lisent-ils l’idée de “l’esclavage sexuel” pour créer une panique morale? Quelles sont les conséquences pour les travailleuses du sexe migrantes?
Sharma: Sans aucun doute, la panique morale autour du travail du sexe alimente ceux et celles qui réclament des législations contre le trafic d’humains. La majorité des gens qui pousse pour des lois con-tre le trafic d’humains veut aussi éliminer le travail du sexe comme option pour les femmes. Et ils et elles veulent le faire en criminal-isant davantage les activités reliées au travail du sexe, particulière-ment en criminalisant l’arrivée de femmes migrantes dans l’industrie du sexe.Par exemple, au Canada la migration de femmes pour le travail du sexe est de plus en plus scrutée à la loupe. Non seulement les corps policiers font-ils continuellement des descentes dans les établisse-ments de travail du sexe comme les bars de danseuses et les salons de massage et ce sous prétexte de «protéger la moralité publique« ou la santé publique, mais il y a aussi des agent.e.s d’immigration qui font des descentes dans des établissements de travail du sexe en cherchant de prétendues «victimes du trafic d’humains«. Bien entendu, la vaste majorité des femmes migrantes ne devient pas travailleuse du sexe. Mais pour celles qui le font, une de leurs plus grandes vulnérabilités est leur statut au pays. Le fait que les travail-leuses du sexe migrantes n’aient pas de statut légal ou permanent les rend encore plus vulnérables. Plusieurs femmes immigrantes em-ployées par l’industrie du sexe le sont par le biais de visas de travail temporaires accordés pour l’industrie du divertissement – les visas autrefois accordés aux travailleuses du sexe ayant récemment été abolis par le gouvernement- ou elles sont forcées de travailler il-légalement. Il est impossible d’arriver légalement au Canada en tant que travailleuse du sexe ou d’y entrer en tant que résidante permanente. Vous n’obtenez pas de “points” pour travailler dans l’industrie du sexe, malgré que la demande soit forte. Les lois contre le trafic d’êtres humains sont une autre façon d’attaquer la capacité des femmes de travailler dans l’industrie du sexe et elles le font d’une manière qui légitimise (et se base sur) l’idée qu’aucune femme ne devrait s’engager dans le travail du sexe. Ultimement, la panique morale contre le travail du sexe rend les femmes migrantes plus vul-nérables au sein même de l’industrie du sexe.
Quels sont les problèmes avec la législation contre le trafic d’humains en termes de droits des femmes et de leur liberté d’action? Quelles sont les causes fonda-mentales de ce que l’on appelle le “trafic d’humains”?
La clé est de comprendre pourquoi, dans la dernière décennie, les gouvernements nationaux à travers le monde ont été poussés à adopter des législations contre le trafic d’humains. Il y a une aug-mentation de la migration à travers le monde qui résulte surtout de vagues de dépossessions et de déplacement des populations dans le cadre de crises et de guerres à la fois économiques et politiques. Et pourtant, parallèlement à cette augmentation de la migration, la plupart des états –particulièrement dans le soi-disant “Premier Monde” – a implanté des politiques restrictives qui empêchent de plus en plus de personnes d’entrer légalement dans ces états. Le résultat est que la majorité des gens qui entrent dans ces pays est considérée illégale. Les lois contre le trafic d’humains sont utilisées pour cibler la soi-disant “immigration illégale”. Plutôt que de jeter le blâme de la vulnérabilité des migrant.e.s sur les politiques d’immigration re-strictives qui forcent les gens à vivre dans l’illégalité, elles blâment ceux et celles qui facilitent leurs mouvements à travers les fron-tières. Dans le monde d’aujourd’hui, où il est de plus en plus difficile d’entrer légalement dans les pays du Premier Monde, il est aussi quasi-impossible d’entrer sans l’aide de quelqu’un. C’est impossible de simplement monter dans un avion, un bateau, une voiture ou de marcher pour traverser une frontière sans une forme quelconque de papiers d’identité. C’est aussi très difficile d’obtenir des faux visas ou des faux passeports, et de traverser une frontière sans que per-sonne ne vous y aide. Pour plusieurs migrantes à travers le monde, obtenir de l’aide pour se déplacer à travers les frontières est un be-soin urgent. Les législations contre le trafic d’humains criminalisent ceux et celles qui facilitent l’entrée des migrantes dans les états nationaux. Je crois que c’est là l’agenda caché derrière la législa-tion contre le trafic d’humains. Elle offre une couverture idéologique pour cibler les migrantes et les gens qui les aident à entrer dans un pays. De cette façon, la législation contre le trafic d’humains ren-force la surveillance aux frontières.
Comment pouvons-nous combattre l’exploitation des femmes associée au travail du sexe sans avoir recours à une hystérie anti-féministe et sans catégoriser les travailleuses du sexe comme des victimes de trafic d’humains?
Je pense qu’il faut prendre exemple sur les travailleuses du sexe elles-mêmes. Les organisations de travailleuses du sexe connaissent bien les étapes nécessaires à la création de conditions de travail décentes, sécuritaires et dignes pour les femmes impliquées dans l’industrie du sexe. Et la décriminalisation vient en tête de liste. L’agenda contre le trafic d’humains se dirige exactement dans la direction opposée. Il criminalise encore plus le travail du sexe en ciblant les gens, particulièrement dans le cas des migrantes, qui facilitent l’entrée des femmes dans le travail du sexe. En fait, il y a
Nandita Sharma est une activiste, une académique et l’auteure de Home Economics: Nationalism and the Making of ‘Migrant Workers’ in Canada (University of Toronto Press, 2006), et de “Anti-Trafficking Rhetoric and the Making of a Global Apartheid” (NWSA #17, 2005) disponibles en anglais seulement. Dans cette entrevue, elle aborde les effets de la lute au trafic d’êtres humains sur les travailleuses du sexe migrantes. Elle critique la notion de “trafic” dans le contexte d’une nécessité crois-sante de l’immigration et du resserrement des frontières dans le Nord. Selon Sharma, les restrictions aux frontières, plutôt que le “trafic”, sont la plus grande barrière à l’auto-déterminaiton des femmes migrantes au Canada.
Robyn Maynard a réalisé cette entrevue avec Sharma en février 2010 pour l’émission “ Travail du sexe, migration et lutte au trafic d’humains” de la radio de Personne n’est Illégal. Des extraits édités de cette entrevue ont été publiés dans Upping the Anti #10, et Briarpatch Magazine (briarpatchmagazine.com) et sont repris ici avec permission.
par Robyn Maynard de Personne n’est illégal-Montréal
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un désaccord fondamental entre ceux et celles qui veulent éliminer le travail du sexe et ceux et celles qui veulent rendre le travail du sexe plus sécuritaire pour les femmes. Ce désaccord fondamental est de savoir si les femmes ont le droit de s’engager dans le travail du sexe. La plupart des gens dans le camp des opposant.e.s au trafic d’humains croit qu’une femme ne peut pas s’adonner au travail du sexe sans être exploitée. Je ne suis pas d’accord, tout comme la plu-part des organisations de travailleuses du sexe. La plupart affirment que le travail du sexe peut être rendu plus sécuritaire, plus digne – et la façon de le faire est d’arrêter de démoniser celles qui s’y en-gagent. En plus de décriminaliser le travail du sexe, nous pouvons appuyer la formation de syndicats au sein de l’industrie du sexe. C’est exactement ce que des organisations de travailleurs.euses du sexe ont tenté de faire en Inde, au Bangladesh, à San Fransisco et ailleurs. Nous devons concevoir le travail du sexe comme une des options offertes aux femmes dans une économie capitaliste. Nous avons besoin de travailler, et le travail du sexe est une option viable pour les femmes.Ultimement, si nous voulons mettre un terme à l’exploitation des femmes, nous devons remettre en question le capitalisme qui est à la base de toutes exploitations. Que l’on travaille dans l’industrie du sexe, un restaurant ou une université, nous serons exploité par ceux et celles qui bénéficient de notre travail. Donc, si nous voulons arrêter l’exploitation, nous ne donnons pas le pouvoir à l’état de criminaliser le travail du sexe mais nous donnons le pouvoir aux tra-vailleuses de mettre un terme à leur exploitation. Bien sûr, être un.e professeur.e d’université n’est pas démonisé comme l’est le travail du sexe. Donc nous avons aussi besoin d’un changement d’attitude majeur. Les féministes demandent depuis longtemps la liberté pour les femmes, incluant le contrôle de leurs corps et de leur sexuali-té. Appuyer les femmes dans l’industrie du sexe et les reconnaître comme une part du groupe plus large des travailleurs.euses est une partie de cette lutte.
Celles et ceux d’entre nous qui sommes critiques de la rhétorique contre le trafic d’humains sont souvent accusé.e.s de ne pas se préoccuper des femmes. On nous accuse de ne pas se préoccuper des femmes qui sont kidnappées, de celles qui sont battues, des femmes qui sont gardées en esclavage ou qui ne reçoivent pas de salaire, des femmes qui sont prisonnières parce qu’on leur enlève leur passep-orts ou d’autres documents. En réponse à ces accusations, la chose importante à se rappeler est que tous ces crimes sont déjà punis par le Code Criminel canadien. Il est illégal de kidnapper des gens, de les battre, de les violer, de ne pas les payer, de garder leurs docu-ments légaux sans leur permission, etc. Pourquoi les gens pensent-ils qu’une nouvelle législation anti trafic d’humains rendra les femmes
plus en sécurité alors que la police ne semble pas du tout intéressée à appliquer les mesures déjà prévues par le Code Criminel pour proté-ger les femmes? Plutôt que des lois contre le trafic d’humains, nous devrions demander que les travailleuses de l’industrie du sexe soient protégées par les lois sur la santé et la sécurité au travail, comme tous les travailleurs.euses devraient l’être. Nous devrions demander que les travailleuses illégalisées aient accès aux mêmes droits que tous les autres travailleurs et travailleuses du pays, ce qui bien sûr exigerait que l’on élimine la distinction entre travailleurs.euses lé-gaux.ales et illégaux.ales. Il y a plusieurs choses que nous pouvons faire qui ne s’appuient pas sur une plus grande criminalisation des gens qui traversent les frontières. C’est le défi que nous devons sou-mettre aux gens qui nous disent que la seule manière de protéger les femmes – particulièrement dans l’industrie du sexe – est de crimi-naliser les gens qui facilitent leur entrée dans cette industrie.
Les politiques d’immigration restrictives causent la plus grande partie de l’exploitation des “femmes vic-times de trafic”. Comment peut-on lutter pour la sé-curité des femmes migrantes?
Ultimement, la seule façon de rendre la migration sécuritaire pour tout le monde est de la décriminaliser. Nous devons nous assurer que les gens aient le droit de migrer quand ils et elles décident que c’est ce qui est le mieux pour eux et elles. Si les femmes aujourd’hui pouvaient être sûres que quand elles ont besoin de migrer elles puis-sent le faire librement –sans être criminalisées, sans avoir besoin de faux papiers, sans avoir à être cachées dans le fond d’un bateau ou dans le coffre d’une voiture-, là elles pourraient être beaucoup plus en sécurité.Laisse-moi te donner deux exemples de comment la législa-tion contre le trafic d’humain augmente en fait la vulnérabilité et l’exploitation des femmes migrantes. Premièrement, la loi contre le trafic d’humains cible les gens qui aident les femmes à traverser les frontières. Ceci augmente le coût de la traversée des frontières et pousse donc les femmes à s’endetter encore plus pour le faire. Deuxièmement, en imposant ces énormes pénalités –qui, au Canada, peuvent inclure une peine de prison à vie et aux États-unis la peine de mort- ceux qui aident les migrant.e.s à passer les font utiliser des routes moins sécuritaires. Les gens sont forcés de traverser les fron-tières dans des endroits très vulnérables comme des déserts et des montagnes, des endroits ou des centaines de corps de migrant.e.s sont trouvés chaque année. La législation contre le trafic d’humains rend donc la migration moins sécuritaire pour les femmes.
archives
juin 2005La marche vers Ottawa de Personne n’est illégal
En juillet 2004, Shamin Akhtar, membre fondateur de Solidarité Sans Frontières, et sa famille (réfugiés du Pakistan) ont été déportés vers les États-Unis. Quelques mois plus tôt, Shamin proposait aux membres de SSF de marcher vers Ottawa pour réclamer un statut pour tou.te.s.Prenant au sérieux cette proposition, plus de 1000 personnes ont marché de Montréal vers Ottawa en juin 2005.
Nacera Behloui, réfugiée algérienne, prit la parole durant la marche pour évoquer son expérience de personne sans statut vivant à Montréal :
“Je n’ai que quelques mots à dire«Je ne suis pas habitué à parler en public. J’ai des idées
mais habituellement je n’en parle qu’en petit groupe«pas à un groupe comme le nôtre maintenant.
Mais je me suis dit que ça pouvait être amusant d’essayer.
D’abord, je marche depuis une semaine en solidarité avec ceux qui sont sans statut. Je les soutiens
à 100%.
Parce que je sais ce que vivre sans statut veut dire. Je l’ai fait pendant 9 ans. Et ce n’est pas facile
du tout.
«[...]
Nous ne pouvons pas travailler sans permis de travail. Et où obtient-on un permis de travail? À
l’immigration. Et c’est la même chose avec les soins de santé, nous devons passer par l’immigration.
Le gouvernement sait combien d’entre nous vivent ici. Mais il faut attendre. Nous sommes bloqués
pour une période indéterminée.
«[...]
Ce n’est pas que je ne sais pas comment m’exprimer. C’est beaucoup plus que ça. Il est difficile
d’expliquer la vie que j’ai eu ici pendant 9 ans. Comme je l’ai dit lors d’une entrevue hier, je ne
trouve pas amusant d’avoir passé 9 ans de ma vie sans«quand je suis arrivée ici, j’avais 30 ans et
maintenant j’ai 40 ans«et ça ne m’amuse pas de ne pas me rappeler de mes 35 ans, de mes 38 ans.
De ce que j’aurais voulu faire si j’avais eu une vie normale.
«[...]Vivre ici, pendant près de 10 ans et de ne pas avoir les mêmes droits que tout le monde, de ne pas vivre la même vie que tous les autres, c’est comme d’être en prison, derrière les barreaux. On voit une belle vie mais on ne peut pas y prétendre. C’est difficile.”
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 15
Lutte contre la déportation de
Paola Ortiz fragment d'une histoire collective
mardi 6 sePtemBre 2011. Première réunion de Solidarité Sans Frontières à laquelle j’assiste. Ce jour-là sont évo-
quées les demandes d’aide reçues ces derniers temps, dont un accompagnement pour le lend-emain. Peu d’infos, juste un rendez-vous le lend-emain fixé avec David, l’ami d’une certaine Paola, au “10-10 St-Antoine”. Cette adresse n’a alors pas la moindre résonnance à mes oreilles. Qui peut y aller avec Jean-Luc ? Bah moi tiens, j’ai du temps, je suis là pour ça.
De fait, si je me suis retrouvé à Montréal à la fin de l’été 2011, c’est en grande partie pour des rai-sons professionnelles : j’étais là pour effectuer six mois de recherche, dans le cadre de ma thèse de sociologie que je prépare (toujours) à l’Université de Nanterre, en France. Ici, il me faut préciser que mon “mode d’entrée sur le terrain”, comme on dit dans le jargon, est bien particulier : je m’ancre pleinement dans la réalité sociale que j’entends analyser. Et ma position est claire : elle est du côté de celles.eux qui luttent. (Bon si je raconte ça, c’est pour que vous situiez un tant soit peu le narrateur de ce récit.)
Le lendemain, je retrouve Jean-Luc devant les locaux de l’Agence des Services Frontaliers du Canada, au 1010 de la rue Saint-Antoine, Montréal. Arrivent alors Paola et David. On a une petite demi-heure pour faire le point autour d’un café. Paola est extrêmement anx-ieuse. Elle a rendez-vous tout à l’heure avec “son” agente, c’est-à-dire la personne chargée de procéder à sa déportation. Paola s’est en effet vue refuser l’asile par le Canada et, ayant épuisé tous les recours, son expulsion du pays est imminente. Mais son anxiété – elle est palpable – vient autant de la perspective qui l’attend que de la personnalité de son agente, Liette Malenfant. Cette femme terrifie Paola. C’est son troisième rendez-vous avec elle. Le premier, au moment du rejet de son ERAR (Examen des Risques Avant Renvoi), s’est soldé par une mise en détention. Le second était la semaine dernière, là encore afin d’organiser sa déportation : “Elle me crie dessus tout le temps. Elle est mauvaise! En face d’elle je perds tous mes moyens.” Cette fois-ci elle doit apporter ce qui manquait la fois passée, à savoir le passeport de sa fille, un passeport canadien puisque la petite, âgée de 4 ans, est née ici, tout comme son petit frère qui lui n’a que 2 ans. Sauf qu’elle n’a pas ce passeport, il ne lui a pas été délivré à temps.
Après avoir passé le seuil de ce grand bâtiment impersonnel, s’être plié.e.s à la fouille des sacs, décliné les raisons de notre visite, et bien sûr patienté dans la salle d’attente, suivant des yeux les dis-paritions régulières des membres de cette foule métissée derrière une porte grise à l’appel de leur nom, c’est au tour de Paola de s’entendre appelée. Nous nous levons tou.te.s les quatre, dans un même mouvement. Arrivé.e.s face à l’agente, la douche froide : elle refuse que nous accompagnions Paola pendant la rencontre.
L’attente est longue, mais Paola finit par ressortir, pour le moins troublée. L’agente s’adresse à nous :
J’avais demandé un passeport en urgence. Elle ne l’a pas demandé en urgence.
– Si ! J’ai montré la lettre ! s’insurge Paola.
– Non !! Sinon il aurait été fait en urgence. «
Rendez-vous est fixé pour demain. Paola doit ramener le reçu du dépôt de demande de passeport en urgence, à défaut du passeport
lui-même. Et là-dessus, l’agente tourne les talons, et disparait der-rière cette foutue porte.
En attendant Paola est en larmes, elle tremble, et répète : “Mais j’ai montré la lettre, je l’ai montrée”. Violence inouïe contenue dans le simple fait de mettre en doute sa parole.
Le temps pour Paola de récupérer et on se met au boulot : faire la demande de passeport en urgence d’abord ; trouver un avocat ensuite. Quelques coups de fils plus tard, rendez-vous est pris avec Stewart Istvanffy. Une fois dans son bureau, bonne surprise, Stew-art connait Paola, c’est lui qui l’a fait sortir du centre de détention de Laval quelques semaines plus tôt. Il connait donc le dossier et l’accompagnera demain revoir Malenfant. Mais il est pessimiste : dans quelques jours, le passeport sera prêt, et plus rien n’empêchera l’expulsion de Paola et de ses deux enfants. Notre seule chance : monter un comité de soutien, frapper à toutes les portes, faire du pied à des journalistes et croiser les doigts pour réussir une mobili-sation médiatique.
Et justement “le cas” de Paola est de ceux qui peuvent susciter la compassion. Femme violentée par son conjoint au Mexique – un flic donc d’autant plus d’impunité –, elle a fui au Canada, où elle met au monde deux enfants, canadiens. Le plus jeune est diagnostiqué autiste et la plus grande a des difficultés d’élocution dues à une sur-dité partielle ; les deux nécessitent donc des soins spécifiques, qu’ils ne peuvent guère espérer recevoir s’il.elle.s retournent au Mexique.
Alors voilà que la machine médiatique mord à l’hameçon et s’emballe (non sans peine et sueur de Paola, de ses proches et d’une poignée de soutiens). Face aux caméras de télévision, Paola est éloquente et raconte sa réalité, celle précisément que Immigration Canada “ne voit pas, n’écoute pas”: “Maintenant que je suis ici, que je vois que les choses peuvent s’améliorer, ils veulent me déporter. Pourquoi ? Ma vie, mon foyer est ici.” «De conférence de presse en entrevues télé, radio ou papier, Paola écume les rédactions. Et les soutiens pleuvent.
Pourtant le lundi 19 septembre, lorsqu’un recours à la Cour Fédéral est entendu, le juge le rejette, en dépit de toutes ces premières pag-es. Paola est effondrée. Deux semaines épuisantes physiquement et surtout émotionnellement qui se soldent par un échec. Demain on se retrouve à l’aéroport«
Mardi 20 septembre, aéroport Trudeau, 6h30. Les caméras sont déjà là et Paola leur fait face. Ses enfants ne sont pas là, ils resteront au Canada. Tout le monde pleure. Et quand Paola me glisse: “Prom-
par Daniel Veron
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 16
ets-moi qu’on ne va pas m’oublier, promet moi de tout faire pour continuer à être dans les médias,” je ne les retiens pas toutes, mes larmes. Paola, elle, ne pleure plus. Pas face aux caméras. Elle tient à témoigner, mais plus seulement pour elle, pour tou.te.s les autres, toutes les personnes qui subissent de plein fouet la violence des poli-tiques migratoires, “qui te voient seulement comme un papier, et te jettent de côté.” «
Paola ne partira pas ce jour-là. L’expulsion a dû être annulée, Paola ayant fait un malaise : trop de stress. Trois jours de répit, une dernière nuit qui prend la forme d’une vigie à laquelle tous les soutiens as-sistent, et le 23 septembre 2011 Paola est expulsée du Canada, mal-gré cette énorme mobilisation médiatique. Laquelle n’aura pas été totalement vaine puisque c’est largement grâce à celle-ci que Paola a pu revenir – relativement – rapidement au Canada (relativement car il aura tout de même fallu sept mois de lutte, sur un autre rythme bien-sûr, mais avec l’aiguillon d’une certitude : chaque jour où Paola est séparée de ses enfants est un jour de trop). Tel est semble-t-il l’arrangement en hauts lieux dont Paola a bénéficié : elle se plie à son obligation de quitter le Canada, et le Québec s’engage à accé-lérer son retour. Mais ces bassesses qui permettent aux puissants de garder la face n’ont que peu d’intérêt. Ce qui pour moi, pour nous, en a de l’intérêt, c’est tout ce dont le spectacle ne parle pas.
C’est un tout petit bout de l’histoire de Paola que je vous raconte de l’extérieur. Un fragment de la vie de Paola, qui correspond au mo-ment où nos trajectoires, la sienne et la mienne, se sont croisées. A l’instar de tous ces médias qui eux aussi ont raconté «“l’histoire de Paola” ? Pas tout-à-fait non. Parce que ce qu’ils ne disent pas, c’est que ce traitement réservé à Paola est loin de n’être qu’anecdotique. Il n’est pas le fait d’un triste hasard : « “Ah pas de chance, t’es tombée sur Malenfant.” Pas plus qu’il ne s’agirait d’un léger faux pas dans une logique de gestion rationnelle, humaine et juste : “Bon c’est vrai qu’une femme violentée, avec des enfants canadiens en bas âge, mérite de rester là. Soyons clément.e.s !”
Non, cette petite histoire – permettez que je revête un instant mes habits de sociologue ? – est le produit d’une violence systémique aux fonctions précises. Violence qui s’ancre très largement dans l’héritage colonial de ces États-nations dont sont recyclés non seule-ment les constructions idéologiques mais aussi les dispositifs polic-iers et les techniques de gestion des populations.
Si l’on s’y penche un peu, il apparaît que la déportation a deux fonc-tions spécifiques intimement liées. La première est une réaffirmation spectaculaire, théâtrale, de la frontière. L’espace physique sur lequel l’Etat-nation prétend assumer une souveraineté est matérialisé par la déportation hors de ses frontières ; et l’intégrité territoriale est ainsi scandée. Que ce soit en France, au Canada, ou ailleurs, le théâtre de la frontière produit son effet : démarquer le eux du nous, et, dans le même mouvement, réaffirmer la souveraineté étatique. Sans oublier la dimension matérielle de ce théâtre, à savoir toute l’économie de la sécurité engendrée : construction de ces murs de séparations, de centres de détention, logistique de l’expulsion, tech-nologies de détection, militarisation de la surveillance«
La seconde fonction est sans doute plus fondamentale encore : la déportation favorise l’exploitation économique des personnes. Non pas tant la déportation en elle-même, mais plutôt la déportabilité des migrant.e.s, la menace suffisant à produire l’effet disciplinaire. Car la menace du renvoi du pays démultiplie celle du renvoi de l’emploi. Heures supplémentaires impayées, retenues sur salaires, non re-spect du droit du travail, des conditions de sécurité ou d’hygiène : l’éventail des abus est large. Si ces illégalismes ne sont évidemment pas uniquement le lot des travailleurs.euse.s migrant.e.s illégalisé.e.s, reste qu’il.elle.s sont largement favorisés par la vulnérabilité qui les caractérise (le même mécanisme est identique dans le cas des tra-vailleur.euse.s temporaires qui, bien que possédant un statut légal, restent sous la menace du renvoi et du non renouvellement de leur contrat l’année suivante). Rien d’étonnant donc à retrouver systé-matiquement les sans-papiers employé.e.s toujours dans les mêmes secteurs : ceux des “3Ds” « (pour dirty, difficult and dangerous, soit la construction, le nettoyage industriel, la restauration), et ceux du
care (le soin, le travail domestique, le travail du sexe«). La logique à l’œuvre ici est navrante de banalité : baisse du coût du travail et par conséquent augmentation du profit.
Alors si l’histoire de Paola vaut la peine d’être contée, ce n’est pas tant pour la compassion qu’elle permet de susciter. C’est pour tout ce qu’elle dit de ce processus étatique d’illégalisation des personnes qui sert directement des intérêts économiques et politiques. Tout ce qu’elle dit de cette violence systémique érigée en bonne gestion gouvernementale, et maquillée de rationalité et d’humanisme. Si l’histoire de Paola vaut la peine d’être contée, ce n’est pas pour des larmes, c’est pour du sang versé. C’est pour ce qu’il faut détruire.
Paola avec ses enfants, semptembre 2011
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Réunis en avril 2012
Le magicien de POzLE DUR CHEMIN DE RETOUR VERS LES TERRES DU MENSONGE
les ami.e.s de Dorojulio étaient tou.te.s trop occupé.e.s pour lui prêter
att enti on. Dorojulio vivait avec le VIH multi résist ant aux traitements
et le gouvernement du Canada avait décidé de le retourner à «“un
peti t coin où il serait à l’abri des ennuis”. Dorojulio ne voulait pas s’enfu ir,
être sans st atu t et se cach er, parce qu’il voulait rest er dans les vast es con-
trées du Nord. Il ne voulait pas non plus être déporté vers le Sud. Dorojulio
commença à ch erch er de l’aide. Comme il regardait au-delà de l’arc-en-ciel
qui était apparu dans le ciel, il vit un morceau de papier tomber. Le papier
était un dépliant d’une organisati on appelée AGIR, qui aidait les migrant.e.s.
L’Agence des services frontaliers du Canada prétendait, en uti lisant sa boule
de crist al désuète, que Dorojulio ne serait pas en danger au Mexique. Son
ami Toti lio en était profondément déçu. Un samedi soir, sur le ch emin de
retour vers leur maison à Montréal, Dorojulio et Toti lio fi rent face à une
grande tempête: après celle du 28 juin 2012, celle-ci était aussi venteuse que
celle du 15 décembre 2012. Cett e tempête produit un tout nouveau livre de
loi en immigrati on qui volait dans le vent et frappa Dorojulio à la tête. Il per-
dit connaissance et réalisa en se réveillant qu’il était au centre d’une tornade
médiati que, tout comme Toti lio.
Dorojulio et Toti lio fu rent
emportés loin de leur mai-
son dans les vast es con-
trées du Nord et amenés
dans un monde magique,
merveilleux et dangereux
appelé POz, où ils rencon-
trèrent Glandy, la Bonne
Fée du Nord. La bonne
fée les informa qu’ils
étaient dans un des nom-
breux royaumes de POz appelé Terres du Québec, situ é dans le territoire
des Royaumes du Nord. Glandy annonça qu’en att errissant, Toti lio avait tu é
la Méch ante Sorcière de l’Est , et elle donna à Dorojulio les espadrilles de
rubis ench antées de la sorcière. Dorojulio expliqua à Glandy qu’à la maison,
POz était une expression qui voulait dire séropositi f. La Bonne Fée expliqua
que la Méch ante Sorcière de l’Est avait régné sur les terres des peti t.e.s
Québéquien.ne.s pour très longtemps avec sa sœur, la Méch ante Sorcière de
l’Ouest . Les Québéquien.ne.s se réjouirent que la Méch ante Sorcière de l’Est
soit morte et organisèrent immédiatement une Fête Nati onale.
C’est alors que la vilaine sœur de la Méch ante Sorcière de l’Est arriva du
royaume des Terres d’Ott awa. La Méch ante Sorcière de l’Ouest était fu rieuse
lorsqu’elle réalisa que sa sœur était morte et que Dorojulio, grâce à Glandy,
portait maintenant les espadrilles de rubis ench antées.
Glandy dit à Dorojulio et à Toti lio que POz était divisé en trois territoires
principaux : les Royaumes du Nord composés de dix royaumes et de trois
territoires, les host iles États-Désunis et les dangereuses Terres du Mensonge,
tout au Sud. S’ils voulaient retourner à la maison dans les vast es contrées du
Nord et demander l’asile de nouveau, ils devaient suivre un ch emin diff icile
appelé Loi C-31, afi n de pouvoir aller voir le Magicien de POz. Le Magicien
de POz vivait dans un immense territoire au centre des Terres du Mensonge
appelé Ville de Mexiquémeraude et il avait le pouvoir de leur accorder des
visas pour retourner à la maison.
Ainsi, Dorojulio et Toti lio quitt èrent les Terres du Québec et commencèrent
leur randonnée vers le sud en direct ion du centre des Terres du Mensonge et
ulti mement, la Ville de Mexiquémeraude. Sur leur ch emin, à quelques kilo-
mètres de la fronti ère des États-Désunis, ils rencontrèrent un trio féti ch ist e
dont les membres s’identi fi èrent comme étant l’Eff rayant Homme de Latex,
l’Homme de Cuir et le Bear Peureux. Ils étaient tous des habitants des Terres
du Mensonge vivant avec le VIH multi résist ant aux traitements, comme
Dorojulio. Ils étaient malades et avaient besoin de médicaments anti rétrovi-
raux spécifi ques : du darunavir, du raltegravir et du maraviroc, respect ive-
ment. Dorojulio réalisa alors qu’il ne lui rest ait qu’une seule dose magique
de sa médicati on.
Dorojulio et Toti lio expliquèrent au trio qu’ils allaient rencontrer le Magicien
de POz pour lui demander de retourner aux Royaumes du Nord. Le Bear
Peureux leur expliqua qu’ils att endaient le bon moment pour traverser la
fronti ère vers les États-Désunis. Là-bas, ils pourraient avoir accès à des
anti rétroviraux, mais ils avaient besoin d’un visa pour entrer aux host iles
États-Désunis. Ils n’avaient pas de visa, donc ils allaient entrer sur le ter-
ritoire illégalement. Toti lio encouragea le trio à se joindre à lui et Dorojulio
afi n qu’ils demandent tous au Magicien de POz l’accès à leur médicati on,
une trithérapie magique.
Le trio accepta la genti lle invitati on de Toti lio de se joindre à eux. Alors
tous ensemble, ils conti nuèrent de suivre le ch emin diff icile de la Loi C-31
pour aller voir le Magicien de POz. Malheureusement, ils étaient surveillés
par la Méch ante Sorcière de l’Ouest . La sorcière voulait empêch er le groupe
d’entrer dans le ch âteau du Magicien pour rencontrer le souverain de POz,
qui avait le pouvoir de retourner Dorojulio et Toti lio à la maison. La sor-
cière apparut devant eux et commença à menti r pour convaincre Dorojulio
et Toti lio de rest er ; elle leur dit à tous qu’ils ne devraient pas quitt er les
Terres du Mensonge, puisqu’ils y avaient tous un accès universel aux médica-
ments pour le VIH/SIDA. Elle off rit également à Dorojulio des médicaments
pour tout un mois d’un nouveau traitement magique, un mélange diff érent
d’anti rétroviraux, tous des inhibiteurs non nucl éosidiques de la transcriptase
inverse (NNRTI) de première générati on - dans le but de l’empoisonner.
Dorojulio n’avait pas réalisé que
dans le traitement de la sorcière
il y avait plusieurs anti rétroviraux
qu’il avait pris dans le passé,
auxquels il avait développé des
résist ances et des intolérances.
Dorojulio prit les médicaments de
la sorcière et quelques jours plus
tard, il tomba malade. Toti lio crut
que Dorojulio avait développé de
la résist ance à un des éléments
du traitement de la sorcière et es-
saya immédiatement de lui donner sa dernière dose magique de médicaments
prescrits par sa Bonne Mère Marina. Le traitement prescrit par la Bonne
Mère de Dorojulio, qu’il prenait depuis 2 ans, était composé de deux cl asses
d’anti rétroviraux : trois inhibiteurs de la protéase (PI) (ritonavir, atazanavir
et darunavir) et du Truvada, qui est un inhibiteurs nucl éosidiques de la tran-
scriptase inverse (NRTI).
Tout d’un coup, Glandy, la Bonne Fée du Nord, arriva. Elle intervint immé-
diatement en empêch ant Toti lio de donner à Dorojulio sa dernière dose de
médicaments. Elle les informa que les médicaments n’étaient pas nécessaires
parce que les espadrilles de rubis ench antées traitaient le VIH multi résist ant
aux traitements et le protégeaient. Dorojulio était en fait malade à cause des
eff ets secondaires des espadrilles de rubis ench antées.
Dorojulio se rétablit et tout le monde arriva fi nalement aux fronti ères de la
Ville de Mexiquémeraude. Plusieurs gardien.ne.s bloquaient l’entrée. Toti lio
plaida auprès d’eux, leur disant que Dorojulio était très malade et avait un
besoin urgent de soins médicaux. Le groupe traversa la fronti ère et sur leur
ch emin vers le ch âteau du Magicien de POz, l’Homme de Cuir les informa
que la Méch ante Sorcière de l’Ouest avait une équipe de sorcier.e.s basé.e.s
dans les Terres du Mensonge. L’équipe avait développé un gu ide de sor-
cellerie draconienne pour le traitement anti rétroviral des habitant.e.s des
Terres du Mensonge vivant avec le VIH/SIDA. L’Homme de Cuir conti nua
en expliquant que si Dorojulio perdait espadrilles de rubis ench antées et ne
retournait pas à la maison, sa vie serait en péril parce que le gu ide énonçait
cl airement que le traitement act uel de Dorojulio n’était pas viable, était inef-
fi cace et hautement toxique.
Le gu ide désapprouvait carrément la co-administ rati on de ritonavir, vendu
sous le nom de Norvir, avec deux autres inhibiteurs de la protéase (PI). De
plus, l’Homme de Cuir dit que le gu ide énonçait qu’à cause d’une analyse
coûts-bénéfi ces, toutes les Bonnes Mères étaient obligées de de réexaminer
les thérapies comportant du reltagavir, du darunavir ou du maraviroc pour
les habitant.e.s des Terres du Mensonge ayant un virus multi résist ant.
Par ailleurs, l’Homme de Cuir dit qu’une étu de de 2009 portant sur la ré-
sist ance virale montrait que ch ez les habitant.e.s des Terres du Mensonge
dont les dossiers médicaux avaient été fournis, 75% des traitements étaient
incorrect s et que, dans la plupart des cas, les traitements recommandés par
le Sorcier en Chef des Terres du Mensonge étaient des alternati ves moins
onéreuses. Il leur dit que le Sorcier Direct eur avait de la diff iculté à s’assurer
par Edson Emilio de Act ion LGBTQ avec Immigrant.e.s et Réfu gié.e.s (AGIR)
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 18
que les Bonnes Mères prescrivent les bons antirétroviraux et devait prendre
des mesures pour s’assurer que toutes les Bonnes Mères respectent le guide
pour le traitement antirétroviral des habitant.e.s des Terres du Mensonge vi-
vant avec le VIH/SIDA – sur 200 Bonnes Mères, la moitié se trompaient dans
leurs prescriptions d’antirétroviraux.
De plus, le Sorcier Directeur avait affirmé que le Sorcier en Chef des Terres
du Mensonge avait fait une erreur en menaçant la Bonne Mère en chef qui
gérait le programme de prévention et de contrôle du VIH/SIDA dans les dif-
férentes communes des Terres du Mensonge. Le Sorcier en Chef avait envoyé
la menace d’arrêter de fournir des antirétroviraux, parce que les Bonnes
Mères n’avaient pas suivi les lignes directrices en place concernant l’usage
des fonds publics.
L’Effrayant Homme de Latex dit à Dorojulio et à Totilio que s’ils ne retour-
naient pas à la maison au Canada, ce serait presque impossible d’avoir le
médicament de Dorojulio appelé le darunavir. L’Effrayant Homme de Latex
avait lu un article d’un journal de Mexiquémeraude qui attirait l’attention sur
la possibilité d’avoir une rupture de stock d’antirétroviraux dans les Terres
du Mensonge en 2013. Le Sorcier en Chef était inquiet de la hausse des coûts
des antirétroviraux et blâmait les Bonnes Mères, qui selon lui prescrivaient
de coûteux médicaments non-essentiels.
L’Effrayant Homme de Latex dit à Dorojulio et Totilio que sur les 48 378
habitant.e.s des Terres du Mensonge vivant avec le VIH inscrits dans la base
de données de 2012, seulement 1,34% se voyaient prescrire du darunavir.
L’Effrayant Homme de Latex dit qu’entre 1983 et 2012, il y avait eu 89 879
morts associées au SIDA dans les Terres du Mensonge.
Totilio estima que, en 2012, des 48 378 habitant.e.s des Terres du Mensonge
vivant avec le VIH, environ 12 602 de ces habitant.e.s pouvaient avoir un
VIH multi résistant aux traitements et que seulement 1700 habitant.e.s (13,
48%) se voyaient prescrire une trithérapie efficace pour traiter le VIH multi
résistant aux traitements.
Dorojulio et Totilio dirent à leurs nouveaux amis que les choses à POz étaient
à la fois effrayantes et belles. Même si POz était un monde magique et beau,
ils voulaient seulement retourner à la maison au Canada, où Dorojulio aurait
un accès universel aux médicaments pour le VIH/SIDA. Les voyageurs ar-
rivèrent finalement à la Ville de Mexiquémeraude, se rendirent au palais du
Magicien de POz et furent accueillis par le gardien des portes et le cocher.
Dorojulio et le Bear Peureux eurent une métamorphose beauté tandis que
l’Effrayant Homme de Latex se fit polir le silicone et que l’Homme de Cuir
fit cirer ses bottes noires.
Finalement, un gardien du Magicien les fit entrer pour voir le Magicien
de POz. L’Effrayant Homme de Latex répéta au Magicien tous les faits
concernant le guide. Le Bear Peureux affirma que le 13 août 2011,
le bureau du Sorcier en Chef avait fermé soudainement, sans aviser à
l’avance les habitant.e.s des Terres du Mensonge, toutes les institutions
traitant les habitant.e.s vivant avec le VIH pour toute une semaine.
Quand elles ont réouvert, le bureau du Sorcier en Chef n’a donné aucune
explication. Totilio croyait que le gouvernement des Terres du Mensonge
refusait systématiquement les traitements pour les habitant.e.s avec un
virus multi résistant aux traitements, un exemple de plus du problème
répandu d’accès aux traitements pour le VIH/SIDA.
Le Magicien de POz déclara que même si quelques éléments démon-
traient des cas de traitement discriminatoire, la majorité des preuves
montraient que le gouvernement fournissait des médicaments aux per-
sonnes vivant avec le VIH/SIDA et qu’il en combattait la transmission
parmi la population des Terres du Mensonge.
Plus tard ce jour-là, le Magicien de POz leur dit qu’il exaucerait leurs
vœux s’ils accomplissaient une chose : aller au château de la Méchante
Sorcière de l’Ouest pour lui ramener le balai de la sorcière et le guide de
sorcellerie draconienne pour le traitement antirétroviral des habitant.e.s
des Terres du Mensonge vivant avec le VIH/SIDA. Effrayés mais déter-
minés, ils se mettent en route à nouveau.
Sur leur chemin vers le château de la Méchante Sorcière de l’Ouest
dans les Terres du Mensonge, des junkies volant.e.s travaillant pour le
Sorcier en Chef les prirent au piège, et kidnappèrent Dorojulio et Totilio
alors que les autres s’échappèrent. Dans le château, le Sorcier en Chef
et la Méchante Sorcière de l’Ouest firent chanter Dorojulio, le mena-
çant de piquer Totilio avec des aiguilles infectées avec le VIH s’il ne leur
donnait pas les espadrilles de rubis enchantées. Après que Dorojulio eut
accepté, la sorcière réalisa que les espadrilles de rubis ne pouvaient pas
être retirées des pieds de Dorojulio à moins qu’il ne meure. Le Sorcier
en Chef jeta un sort mortel à Dorojulio. La sorcière sortit un sablier et
affirma qu’il mourrait lorsque le temps serait écoulé.
Totilio s’échappa et alla demander l’aide de leurs nouveaux amis, qui
s’étaient introduits dans le château en assujettissant les petits gardiens
Twinkies, et en les attachant avec de la corde. Le trio portait les uniformes
de Twinkies, qui étaient composés de culottes blanches lacées très sexy et de
harnais. La sorcière découvrit le trio et pour se venger, elle mit le feu à leur
matériel fétiche et leur collection d’instruments. En essayant d’arrêter le feu,
Dorojulio urina sur le matériel fétiche et les instruments, mais arrosa la sor-
cière par accident. La sorcière se mit soudainement à fondre ! Les gardiens
Twinkies étaient heureux d’être libres et récompensèrent Dorojulio en lui
donnant le balai de la sorcière.
Dorojulio et ses amis retournèrent à la Ville de Mexiquémeraude et firent
face au Magicien de POz. Le Magicien n’était pas très content de les revoir et
refusa encore de d’exaucer leurs souhaits, jusqu’à ce que Totilio trouve une
manière de révéler son identité en tirant sur un rideau. Totilio révéla que le
Magicien de POz n’était pas un maître puissant, mais une vieille drag queen
bitch tirant sur des leviers et parlant dans un micro phallique. L’Effrayant
Homme de Latex cria “VOUS ÊTES UN FAUX, UN MENSONGE !”«. Em-
barrassé et voyant son identité révélée au grand jour, le soi-disant Magicien
donna au trio des médicaments à vie pour les antirétroviraux dont ils avaient
respectivement besoin : darunavir, raltegavir et maraviroc. Il révéla ensuite
que tout comme Dorojulio et Totilio, il venait lui-même des vastes contrées
du Nord et qu’il était venu à POz pour fuir la sérophobie. Il invita Dorojulio
et Totilio à retourner à la maison dans une montgolfière fonctionnant avec de
l’acide de poppers. L’Homme de Cuir, l’Effrayant Homme de Latex et le Bear
Peureux furent nommés conseillers de POz.
Totilio demanda la démission du Sorcier en Chef des Terres du Mensonge au
nouveau conseil de POz, étant donné qu’il avait entravé l’accès aux antiré-
troviraux et que son programme cherchait à restreindre l’approvisionnement
en médicaments des institutions de santé des Terres du Mensonge. Le trio
accepta la demande et le Sorcier en Chef démissionna.
Malheureusement, Dorojulio et Totilio ne pouvaient pas retourner à la maison
dans la montgolfière propulsée aux vapeurs de poppers, à cause de l’allergie
aux poppers de Totilio. Soudainement, Glandy arriva et leur dit que les espa-
drilles de rubis enchantées les ramèneraient à la maison. Après avoir fait ses
adieux au trio fétichiste, Dorojulio tapa ses talons l’un contre l’autre trois
fois de suite et se réveilla. Il était de retour à la maison et réalisa que sa visite
à POz n’était qu’un rêve et qu’il restait auprès de ceux.celles qu’il aimait.
«“On n’est jamais aussi bien que chez soi.”
Glossaires
Dans la section se déroulant dans la vraie vie de Julio (Dorojulio) :AGIR : Action LGBTQ pour les Immigrants et les Réfugiés, Montréal (Canada)VIH multi résistant aux traitements : la résistance à un ou plusieurs antirétroviraux ou à une ou plus-ieurs classes d’antirétroviraux utilisés pour traiter le VIHBoule de cristal désuète : nom fictif du Dossier national de documentation mexicain au sujet des per-sonnes vivant avec le VIH, qui n’a pas été mis à jour depuis 2008l (les bulletins du VIH sur le Mexique). Document utilisé par Citoyenneté et Immigration Canada et l’Agence des Services Frontaliers du Canada pour prendre leurs décisions.Tempêtes : nom fictif désignant les jours où ont eu lieu les modifications ou la mise en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur des mesures de réforme équitables concer-nant les réfugiés, la Loi sur la sûreté du transport maritime et la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. La loi C-31 a été sanctionnée le 28 juin 2012 et mise en application le 15 décembre 2012.Vastes contrées du Nord (aussi appelée « la maison ») : nom fictif du Canada
Dans la section se déroulant dans le pays magique de POzTerres du Mensonge (en anglais : Bogusland) : nom fictif de la République du Mexique appelé ainsi par l’auteur car M. Jason Kenney a fait des déclarations où il désigne les demandeur.euse.s d’asile mexicain.e.s comme étant de faux.ausses réfugié.e.s (Bogus refugees). Dorojulio : nom fictif de Julio Cesar, composé à partir du nom Dorothée, un personnage du Magicien d’Oz Glandy, la Bonne Fée du Nord : nom fictif composé à partir de Glinda, la Bonne Fée du Nord, un person-nage du Magicien d’OzBonnes Mères : médecinsGuide de sorcellerie draconienne pour le traitement antirétroviral des habitant.e.s des Terres du Mensonge vivant avec le VIH/SIDA : nom fictif du Guide mexicain de traitement antirétroviral pour les personnes vivant avec le VIHRoyaume du Nord : CanadaVille de Mexiquémeraude : nom fictif de la Ville de MexicoTerres d’Ottawa : un des 13 Royaumes du NordPOz : nom fictif pour Oz compose avec l’expression POZ signifiant séropositif au VIHTerres du Québec : un des 13 Royaumes du NordSorcier.e.s du Comité National sur la Résistance aux Antirétroviraux des Terres du Mensonge : nom fictif pour le Comité National sur la Résistance aux Antirétroviraux du Mexique (CORESAR). Expert.e.s en médecine qui produisent le Guide mexicain de traitement antirétroviral pour les personnes vivant avec le VIHLe Sorcier Directeur : nom fictif du sous-secrétaire de la prévention et de la promotion de la santé, qui fait partie du Secrétariat mexicain à la Santé (SSA)Le Sorcier en Chef : nom fictif du chef de direction du Centre national mexicain pour la prévention et le contrôle du VIH/SIDA (CENSIDA)Les Royaumes du Nord de POz : un des trois territoires de POz, composé de 13 royaumesLe Magicien de POz : nom fictif pour l’ambassadeur canadien à l’immigration à l’ambassade canadienne de la Ville de Mexico.Totilio : nom fictif de l’auteur (Edson Emilio) composé à partir du nom de Toto, un personnage du Magicien d’OzTwinkies : nom d’une sous-culture gaie, qui remplace les Winkies, des personnages du Magicien d’OzÉtats-Désunis : nom fictif désignant les États-Unis d’Amérique
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 19
accès au soins de santé
S'opposer aux coupures au PFSI et lutter pour
l'aèccès aux soins de santé pour tou.te.s
le PFsi est un programme fédéral qui donne accès à des soins de santé pour les réfugié.e.s et les demandeur.euses d’asile au Canada. Avant les coupures du 30 juin, le PFSI, déjà critiqué
pour sa nature restrictive, offrait la couverture pour « “les soins urgents et essentiels”, ce qui incluait les médicaments et certains soins préventifs pour les demandeur.euse.s d’asile. Les coupures au PFSI sont intimement liées à la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada (projet de loi C-31), plus adéquatement rebaptisée la Loi sur l’exclusion des réfugié.e.s. Ces coupures privent essentiellement de soins de santé (incluant les services hospitaliers, médicaux et la médication) un nombre important de demandeur.euse.s d’asile, à l’exception des personnes dont les problèmes de santé “représentent une menace à la sécurité publique ou à la santé publique”. Seul.e.s les demandeur.euse.s d’asile venant de certains pays peuvent accéder aux soins de santé «“urgents et essentiels”, mais n’ont plus accès aux médicaments, à moins qu’il ne s’agisse d’une situation présentant un “danger pour la santé publique ou la sécurité publique”. De plus, les soins dentaires, psychologiques, préventifs, de la vue et de réadaptation ne sont plus couverts. Bien que le gouvernement du Québec ait annoncé qu’il mettait en place des mesures pour renverser les effets de ces coupures et restaurer un certain accès aux médicaments et aux soins de santé, sur le ter-rain, les personnes qui devraient être couvertes par le PFSI ou les soi-disant mesures compensatoires du Québec continuent de se voir refuser des services sur une base quotidienne. Par ailleurs, l’accès aux soins de santé pour des centaines de milliers de migrant.e.s sans statut au Canada n’existe pratiquement pas.
Nous affirmons que les coupures au PFSI et la Loi sur l’exclusion des réfugié.e.s démontrent l’intention du gouvernement d’enraciner un climat politique encore plus ouvertement hostile aux personnes migrantes. Dans le contexte des changements continus et draconiens aux politiques d’immigration, la Loi sur l’exclusion des réfugié.e.s cause déjà et continuera de causer une augmentation du nombre de déportations et de détentions d’immigrant.e.s et de demandeur.euse.s d’asile. La loi va empêcher plus de personnes d’avoir accès à un statut permanent au Canada, créant ainsi encore plus de pré-carité. Le gouvernement canadien est clairement motivé à fermer ses frontières coloniales à ceux.celles qui ont été déplacé.e.s et qui cherchent une vie plus digne, tout en s’appropriant les corps des personnes migrantes, vus comme de simples marchandises servant à répondre aux besoins économiques et de main-d’œuvre du Canada.
Le concept même et la mise en œuvre de la soi-disant catégorie
des«“pays d’origine désignée” (POD) est une illustration aber-rante des impacts de la Loi sur l’exclusion des réfugiée-s et des coupures au PFSI. Depuis décembre 2012, le ministre fédéral de la Citoyenneté et de l’Immigration a le pouvoir de désigner cer-tains pays comme étant “sécuritaires”. Les migrant-e-s venant d’un “pays d’origine désigné” n’ont plus droit à aucune couver-ture pour leurs soins de santé, même pour des besoins urgents ou essentiels, à moins de souffrir d’un problème de santé pou-vant avoir un impact sur «“la santé ou la sécurité publique”. Les POD sont des pays que le gouvernement considère (de manière arbitraire) comme “sécuritaires” - la liste inclut, entre autres, Israël, le Mexique, la Hongrie, et la République Tchèque. Les de-mandeur.euse.s d’asile venant de ces pays voient leur application traitée plus rapidement et ont moins de temps pour soumettre leur demande. Il.elle.s ont aussi moins accès à certains recours
juridiques après un refus de leur demande (p. ex. il.elle.s n’ont pas accès à la nouvelle soi-disant Section d’appel des réfugiés). La liste des POD est un outil politique et diplomatique aligné avec la poli-tique étrangère et économique du Canada.
Les impacts sur la santé sont très réels et sérieux. Les demandeur.euse.s d’asile venant de POD sont SEULEMENT éligibles pour ce qui est désigné comme la couverture “santé et sécurité publique”, c’est-à-dire couverture des soins seulement quand le problème de santé est considéré comme étant une soi-disant«“menace” à la santé publique (p. ex. des maladies transmissibles comme la tuberculose, les ITSS et le VIH) ou la sécurité publique (p. ex. quelqu’un qui au-rait des idées de meurtre« mais pas des idées suicidaires !). Avec ces coupures, les demandeur.euse.s d’asile en général et les réfugié.e.s des POD en particulier sont vus comme des menaces et des porteur.euse.s de maladies. Cette perspective est raciste et nie leur humanité la plus fondamentale aux personnes migrantes.
Les migrant.e.s se voient refuser des soins de santé dans des situ-ations comme les soins prénataux, accouchements, urgences médi-cales, accidents, soins préventifs et traitement de conditions chro-niques comme le diabète, des maladies sérieuses comme le cancer, et de nombreuses autres situations. Citoyenneté et Immigration Can-ada (CIC) devrait non seulement être tenu responsable de toutes les morts, mais aussi de toutes les situations d’injustice en matière de santé qui découlent de ces coupures. Empêcher l’accès aux soins de santé en se basant sur la nationalité est une politique xénophobe et d’exclusion.
Dans le contexte particulier du Québec, malgré des mesures com-pensatoires annoncées par le gouvernement, il y a un manque de clarté autours de nombreuses questions, notamment à savoir si le gouvernement du Québec va «“combler le vide”« pour les deman-deur.euse.s d’asile refusé.e.s et les demandeur.euse.s venant de pays POD ? Pour le moment, il y a beaucoup de confusion autour de cette question et la déclaration que le Ministre de la Santé du Québec a faite n’est pas du tout explicite à ce sujet. À ce jour, sur le terrain, les demandeur.euse.s d’asile venant de POD se voient refuser l’accès aux soins de santé.
Même si le gouvernement du Québec a déclaré qu’il voulait compens-er pour les coupures dans les services de santé pour les réfugié.e.s, plusieurs des mesures annoncées ne sont pas appliquées dans la
Le Collectif Justice Santé (CJS) s’est formé en juillet 2012 à Montréal et est présentement composé de militant.e.s qui travaillent, ou ont travaillé, dans le domaine des soins de santé. Notre campagne « Nous ne coopér-erons pas ! » a été développée en réponse aux coupures au Programme Fédéral de Santé Intérimaire (PFSI) instituées par le gouvernement conservateur du Canada en juin 2012. Nous cherchons à cibler les causes fondamentales des maladies, en nous intéressant et en nous attaquant aux réalités sociales qui entraînent souvent des problèmes de santé.
http://collectifjusticesante-campagne.tumblr.com
justice.sante@gmail.com
par le Collectif Justice Santé
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 20
pratique. Pour ce qui est de l’accès aux médicaments, le programme que Québec a mis en place après juin 2012 semble être plus efficace, car il permet au moins aux demandeur.euse.s d’asile ayant des pa-piers du PFSI valides de continuer à avoir accès à des médicaments essentiels. Toutefois, ça ne règle pas la question des personnes qui ont perdu leur couverture sous le PFSI après les coupures, ou les personnes qui sont temporairement sans PFSI valide à cause des délais de renouvellement, de pertes des documents, etc. En ce mo-ment, plusieurs personnes se voient refuser des soins de santé (ou certain.e.s paient de leur poche – avec grande difficulté – pour les services dont il.elle.s ont besoin). Cette situation est causée par la confusion autours des coupures du PFSI et des soi-disant mesures compensatoires. De plus, les soins dentaires de base, les services psychologiques, les soins de la vue et les services de réadaptation (p. ex. l’orthophonie et l’ergothérapie) qui étaient couverts sous l’ancien PFSI ne sont plus disponibles. Le Québec n’est pas inter-venu pour couvrir ces services essentiels.
Il est important de garder en tête que le gouvernement du Qué-bec émettait des cartes d’assurance-maladie provinciales pour les demandeur.euse.s d’asile pendant les années 80 et 90. Cette situa-tion avait fort probablement le double avantage de rendre les soins de santé plus accessibles et moins compliqués d’un point de vue bureaucratique. On pourrait dire que le meilleur pas en avant à ce stade-ci pour le gouvernement québécois serait de tout simplement émettre une carte d’assurance-maladie à toutes les personnes tou-chées par les coupures au PFSI. Plus encore, nous croyons ferme-ment que toutes les personnes vivant au Québec devraient avoir ac-cès au programme régulier d’assurance-maladie, peu importe leur statut d’immigration.
Les conséquences des coupures sur la vie et la survie des demandeur.euse.s d’asile sont énormes et déjà palpables. Même si des projets de recherche sont en cours pour évaluer les impacts de ces coupures, la réalité est que ceux-ci ne révèleront probablement que la pointe de l’iceberg, et des réalités que nous connaissons déjà. En plus de problèmes de santé physiques très tangibles (cancer, fractures, etc. qui n’auraient pas de traitement) et de la mort, les impacts sur la santé mentale et les barrières qui sont érigées pour empêcher les personnes migrantes d’accéder à des existences empreintes de dig-nité sont énormes. Ces conséquences soulignent l’importance d’une mobilisation continue pour annuler les coupures au PFSI et plus
largement d’une lutte pour l’accès aux soins de santé pour tou.te.s.
Dans le contexte de cette mobilisation, il est primordial que nous exigions aux institutions qui offrent des soins de santé de continuer à fournir des soins aux personnes qui n’ont plus de couverture, in-cluant celles qui se voient refuser le PFSI à cause des coupures, ainsi que de manière plus générale aux nombreuses communautés qui n’ont pas d’assurance-maladie. Le fait de demander le statut d’immigration à quelqu’un avant de lui permettre d’avoir accès à des services dans des institutions offrant des soins de santé et dans les organismes communautaires doit être remis en question. De la même manière, le gouvernement provincial devrait être poussé à dé-noncer les coupures et à offrir de véritables soins de santé compen-satoires. Nous devons continuer à développer un momentum autours des enjeux d’accès aux soins de santé, sans limiter la mobilisation aux seul.e.s professionnel.le.s de la santé. À cet effet, nous invi-tons les individus et les organisations à participer à notre campagne “nous ne coopèrerons pas”« (voir l’adresse du site Web au début de cet article).
Les coupures au PFSI s’inscrivent dans le contexte d’une attaque plus globale contre les communautés migrantes et vont de pair avec la construction d’une « forteresse en Amérique du Nord « - où des murs tangibles et intangibles empêchent la libre circulation et l’accès à des services essentiels comme les soins de santé, mais aussi à la sécurité alimentaire, à du travail et du logement décents, et à l’éducation. Il est difficile de dissocier les coupures au PFSI de cette tendance plus large, tout comme il est difficile de dissocier ces politiques des raisons qui poussent les gens à migrer dans un pre-mier temps – guerres, inégalités économiques, violence basée sur le genre, destruction environnementale, etc. Ces réalités existent car des états-nations, comme le Canada, et leurs gouvernements parti-cipent à et tirent profit d’un système capitaliste global, et mettent en place des politiques étrangères impérialistes. Les luttes pour l’accès aux soins de santé doivent se pencher sur les façons dont ces enjeux sont inter-reliés. La santé, au sens large, est un aspect intime et fondamental de la vie des gens. La résistance contre les coupures au PFSI, tout comme la résistance plus globale contre les politiques d’immigration injustes, le racisme, le colonialisme, le classisme, le capacitisme, l’hétéro-patriarcat, la destruction environnementale, et d’autres formes d’oppression, sont des manières de construire des relations et des communautés plus saines avec le temps.
archives“Nous connaissons maintenant – et la plupart d’entre nous, peut-être même nous tous, connaissions déjà – la démocratie. Ce à quoi la démocratie ressemble. Nous essayons d’attendre de bureaucrates qu’ils respectent les droits de l’homme. Nous sommes convaincus que c’est impossible. Et nous sommes convaincus qu’ils ne nous donneront pas nos droits et notre dignité sans combattre.
Le challenge qui se pose à nous maintenant, le direction que nous empruntons maintenant avec cette protestation, doit s’élargir, doit continuer à créer des mouvements de base d’organisation des immigrant.e.s et des réfugié.e.s, pour être capable de forcer ces bureaucrates à nous écouter, à respecter notre dignité.Nous savons que nous ne pouvons pas faire reconnaitre nos droits avec ces bureaucrates. Nous le savons depuis le début. Nous vivons chaque jour qui passe en sachant qu’ils ne respecteront jamais l’idée même de droits de l’homme. Vous savez comment ce pays, et avec lui tout l’impérialisme occidental, agit et se comporte. Nous sommes donc là, maintenant, et nous voulons en-voyer un autre message. Nous ne sommes pas là pour négocier. Nous sommes là pour bâtir un mouvement et pour continuer à nous battre.
Et s’ils veulent nous renvoyer par la force, ils peuvent le faire aujourd’hui et demain, mais croyez-vous qu’ils pour-ront continuer ainsi pour toujours ? Je ne le crois pas. Je crois que ce mouvement grandit et je suis optimiste sur son devenir. Je suis heureux et véritablement impressionné par toutes les personnes que j’ai rencontrées ici. Six mois plus tôt, nous ne nous connaissions pas.
Voilà l’énergie dont vous avez besoin pour continuer à bâtir.
Voilà l’énergie, ici et maintenant. Nous devrions prendre cette énergie, l’investir. Nous devrions commencer à travailler et à nous organiser pour continuer la lutte. Et j’espère que nous nous rencontrerons encore et encore…
C’est une question de lutte pour le pouvoir. Nous savons depuis le début que c’est une question de lutte pour le pouvoir.”
6 avril 2006discours d’Amir Hodhod
accès au soins de santé
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 21
Amir Hodhod a été un demandeur au statut de réfugié originaire d’Égypte qui s’est impliqué avec Solidarité sans frontières. Il a marché avec SSF à Ottawa en juin 2005. En 2006, Amir était menacé de déportation et a dû vivre de façon clandestine. Éven-tuellement, il fut déporté vers les États-Unis d’Amérique, où il vit actuellement avec un statut.
Femmes ààçà statuts prcaires et santé maternelle: le difficile accèès aux
soins àà Montréalpar L’équipe des interventi ons locales de Médecins du Monde Canada
trois Portraits de Femmes
Tous les noms menti onnés ont été modifi és afi n de respect er la confi denti alité de nos pati ent.e.s.
Yousra. Au Canada depuis presque deux ans, Yousra att end toujours une décision sur la demande de parrainage présentée par son mari pour enfi n recevoir son st atu t de résidente permanente. Tombée enceinte ac-cidentellement avant l’issue de son dossier d’immigrati on, elle s’inquiète de ne pas être en mesure de payer ses rendez-vous médi-caux et d’être refu sée à l’hôpital.
Anna-Maria. Bien que sa demande d’asile et sa demande de résidence pour considéra-ti on humanitaire aient été refu sées, il est cl air pour Anna-Maria qu’elle ne retournera jamais dans son pays d’origine qu’elle a fu i par crainte pour sa vie. Ayant épuisé toutes les possibilités de régu larisati on, elle vit donc sans st atu t à Montréal depuis plus de 6 ans. Enceinte de 20 semaines, elle n’a aucun suivi médical depuis le début de sa grossesse et craint elle aussi d’être refu sée à l’hôpital lorsqu’elle aura ses premières contract ions.
Marie-Josèphe. Puisque son mari tra-vaille au Canada depuis quelques années, Marie-Josèphe a décidé de l’accompagner à Montréal et vit donc avec un visa de visiteur, dans l’espoir de s’établir un jour au Canada. Enceinte d’une dizaine de semaines, elle sait qu’il sera très diff icile d’assumer le coût des rendez-vous médicaux et d’accouch ement, mais ne peut envisager d’interrompre sa grossesse.
le diFFicile accès aux soiNs de saNté materNels
Yousra, Anna-Maria et Marie-Josèphe ne représentent qu’une fract ion des femmes dont le st atu t migratoire ne permet pas d’accéder à des soins de grossesse et à l’accouch ement en hôpital. En eff et, les mil-liers de femmes résidant au Canada avec un st atu t d’immigrati on plus ou moins précaire ou encore sans aucun st atu t ne sont pas ad-missibles ni à la Régie d’assurance maladie du Québec ni au Programme fédéral de santé
intérimaire, et recevront par con-séquent une fact ure pour tous les soins médicaux reçus.
Or, au Québec, le coût des soins est démesurément élevé pour toute personne ne possédant pas de carte d’assurance-maladie. Ainsi, la fact ure d’un rendez-vous médi-cal peut s’élever jusqu’à 200$, ce à quoi il faut ajouter le coût des prises de sang, d’éch ographie et des autres test s requis pour s’assurer de la bonne santé de la mère et son enfant. Ensuite, la fact ure moyenne d’un accouch e-ment varie de 7 000$ à 10 000$, et augmente évidemment en cas de complicati ons ou d’act es médicaux plus complexes. Ce montant incl ut les frais hospitaliers de la mère (qui varient entre 2 500$/jour à 3 500$/jour selon les hôpitaux) et du bébé (entre 1 000$/jour et 1 500$/jour), ainsi que les honoraires du médecin (variant entre 1 500$ et 3 000$). Pour les femmes qui en auront besoin, l’épidurale alourdit encore la fact ure d’environ 500$ à 900$. Ces coûts sont si élevés qu’ils représentent un obst acl e direct à l’accès à des soins pourtant essen-ti els.
Les infi rmier.e.s de Médecins du Monde reçoivent ch aque semaine des appels de femmes enceintes sans assurance médicale, accablées par les montants exorbitants exi-gés par les cl iniques et les hôpitaux, et se demandant comment elles pourront parvenir à économiser non seulement pour prévoir l’arrivée du bébé dans leur vie, mais en plus pour payer les frais d’accouch ement à l’hôpital. Malheureusement, hormis des sé-ances d’informati on mensuelles sur l’accès aux soins, Médecins du Monde n’est pas en mesure de prendre en ch arge le suivi médical ni l’accouch ement, et demeure impuissant face aux besoins de ces femmes. Celles-ci se retrouvent ainsi dans des situ ati ons extrême-ment diff iciles et angoissantes, alors qu’il est totalement injust e et discriminatoire que des obst acl es fi nanciers se dressent devant l’accès à des soins médicaux essenti els.
Par conséquent, les infi rmier.e.es de Méde-cins du Monde ont const até que plusieurs femmes n’ont pas un suivi médical adéquat même en cas de grossesse à risque. Elles se présentent le plus tard possible à l’hôpital, quitt ent plus tôt les établissements de santé, et seraient même à risque d’accouch er sans au-cune assist ance médicale. Si l’accouch ement est déjà un événement pour le moins émo-ti f, il est d’autant plus angoissant d’y ajouter des considérati ons fi nancières, et les risques pour la santé de la mère et son enfant s’en trouvent évidemment décuplés.
Que des milliers de femmes soient ainsi ex-cl ues des soins de santé pourtant essenti els dans un pays rich e comme le Canada, où le droit à la santé est réputé universel, soulève de vives préoccupati ons. En eff et, l’accès aux soins de santé, et parti culièrement pour la santé maternelle, devrait être un droit fondamental, indépendamment du st atu t d’immigrati on. Tout comme le sexe, l’âge, l’origine ethnique, la religion ou l’orientati on sexuelle, nous croyons que le st atu t migra-toire ne devrait pas être un fact eur de dis-criminati on dans l’accès aux soins de santé.
Médecins du Monde et la clinique destinée aux migrant.e.s à statut précaire
Depuis plus de dix ans, Médecins du Monde Canada of-fre à Montréal des soins de santé aux personnes les plus vulnérables et en diffi culté d’accès aux services publics. Parmi elles, on retrouve de plus en plus de personnes mi-grantes avec des statuts d’immigration plus ou moins pré-caires, sans couverture médicale et incapables de défrayer les coûts des soins médicaux. Or, Médecins du Monde croit que toute personne devrait avoir accès à des soins médicaux, indépendamment de son statut migratoire.
C’est donc afi n de répondre à ces besoins de plus en plus criants que Médecins du Monde a mis en place une clinique de première ligne, la seule au Québec destinée aux migrant.e.s à statut précaire. Depuis son ouverture en septembre 2011, elle a ainsi permis à des centaines de personnes migrantes sans couverture médicale d’accéder à des soins de santé qui ne leur seraient pas accessibles dans le système de santé public. Cette clinique bénéfi cie du soutien et de la collaboration de nombreux bénévoles (médecins, mais aussi stagiaires en travail social et bé-névoles à l’accueil) qui accueillent, soignent et réfèrent gratuitement et dans la confi dentialité les personnes migrantes sans couverture médicale.
accès au soins de santé
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 22
Obstacles àà la prestation
des soins de santé pour tou.te.s!En décembre 2012, des entrevues ont été menées auprès de personnes tra-
vaillant dans des organisations qui fournissent des soins de santé primaires
pour les migrant.e.s sans-papiers à Montréal et à Toronto. Les entrevues ont
contribué à créer un document pouvant être utilisé par les organismes intéres-
sés à connaître les actes de résistance qui ont lieu dans les cliniques visant à
combler les lacunes du système de santé canadien, quelles sont les barrières
communes et quelles tactiques sont utilisées pour surmonter les barrières.
Cet article n’aborde pas les obstacles innombrables pour ceux.celles qui sont
directement touché.e.s par la discrimination du système canadien de soins de
santé, mais illustre plutôt la lutte pour la prestation de services de soins de
santé alternatifs, accessibles à tou.te.s.
uNe quaNtité iNcalculaBle de personnes se voient refuser l’accès
aux soins de santé au Canada. À Montréal, plus de 50 000 personnes
à statut précaire ou sans statut n’ont pas accès à des soins de santé
de base, y compris les soins périnataux, les bilans de santé, les tests sanguins,
et l’accès aux médicaments essentiels. De nombreux.ses professionnel.le.s de
la santé qui s’efforcent de combler cette grande lacune travaillent principale-
ment sans les ressources nécessaires pour fournir des soins adéquats. Malgré
le travail remarquable de nombreux membres de la communauté, ces pro-
grammes et ces services existent dans le cadre d’un système de santé dysfonc-
tionnel et raciste, avec des racines coloniale. Les cliniques et les prestataires
de soins de santé devraient être poussé.e.s à refuser de se conformer aux
politiques discriminatoires qui empêchent les gens d’accéder aux soins néces-
saires.
En plus de nombreux actes de résistance posés par les personnes qui sont
directement touchées par les coupures dans les soins de santé et les per-
sonnes solidaires, certain.ne.s professionnel.le.s de la santé résistent égale-
ment aux politiques honteuses d’exclusion des soins du gouvernement du Can-
ada en préconisant un changement de politique et la prestation de soins aux
migrant.e.s indépendamment de leur statut. Il ya environ huit programmes à
Toronto, Montréal et Vancouver qui fournissent des services de soins de santé
primaires pour les migrant.e.s sans-papiers. De plus, quelques cliniques com-
munautaires dans ces villes acceptent parfois des patient.e.s sans demander
de papiers et d’autres organisations fournissent d’autres services comme du
counselling ou des soins dentaires accessibles aux migrant.e.s sans-papiers.
Toutefois, ces programmes sont souvent sous-financés et débordés, alors que
des cliniques communautaires refusent régulièrement des patient.e.s sans pa-
piers d’identité, même si leur mandat est de soigner toutes les personnes au
sein d’un groupe cible ou d’une zone géographique.
Ces organisations sont confrontées à des obstacles similaires lorsqu’elles of-
frent des soins primaires aux sans-papiers, et utilisent souvent les mêmes
stratégies pour contourner un système dysfonctionnel. La recherche est basée
sur l’expérience de deux cliniques communautaires et d’une clinique gérée par
des étudiant.e.s à Toronto, ainsi que deux programmes faisant partie de plus
grands organismes à Montréal.
Dans de nombreux cas, les soins primaires ne sont pas suffisants, et
l’orientation des patient.e.s pour une hospitalisation ou des soins spéciali-
sés, comme des analyses sanguines ou des radiographies, s’est avérée être un
problème pour toutes les organisations. Les hôpitaux exigent habituellement
un dépôt d’argent avant d’admettre les patient.e.s sans couverture, sauf dans
des situations où la vie est en danger immédiat, auquel cas le paiement est
exigé par la suite. Orienter les patient.e.s vers des spécialistes ou des soins
hospitaliers est un défi énorme et partagé par toutes les organisations, qui
nécessite souvent de recourir à des liens informels avec des praticien.ne.s
afin d’accéder à des services spécialisés ou à l’hôpital. En outre, une quantité
adéquate de médicaments et de matériel médical est presque impossible à ob-
tenir, ce qui conduit toutes les organisations à s’appuyer sur échantillons de
médicaments de base et des dons d’équipement pour tenter de répondre aux
besoins des patient.e.s. De toute évidence, ces stratégies temporaires ne sont
pas durables et ne permettent pas aux patient.e.s d’accéder en toute dignité à
des services de santé adéquats.
Dans les cliniques bénévoles, la cohérence et le suivi adéquat est souvent
difficile à assurer en raison de la nature d’un bassin de praticien.ne.s bé-
névoles qui viennent en rotation. Les patient.e.s doivent souvent ré-expliquer
leurs préoccupations de santé à une nouvelle personne à chaque visite. Plus
encore, offrir des soins adéquats et comprendre les problèmes de santé de
chaque patient.e est presque impossible en raison de dossiers incomplets,
voire inexistants. Ces enjeu est problématiques car des services inégaux et
variables ne peuvent pas produire de résultats fiables. Les praticien.ne.s ont
souligné à maintes reprises qu’il.elle.s n’étaient pas en mesure de fournir des
soins répondant aux standards de qualité qu’’il.elle.s offrent à leurs patient.e.s
assuré.e.s. L’écart indéniable en matière de qualité des services en fonction
du statut juridique est contraire à l’éthique, déshumanisant et crée un système
de soins à deux vitesses.
De nombreuses personnes et organisations ont développé des méthodes pour
atténuer les obstacles au traitement des patient.e.s sans-papiers, mais ils ne
sont pas viables à long termes et ne sont pas une solution de rechange accept-
able à l’accès à des soins holistiques. Certaines organisations ont établi des
fonds d’urgence pur des médicaments coûteux ou des services essentiels et
hors de prix. Deux cliniques ont élaboré des plans de paiement avec les hôpi-
taux, qui peuvent prendre la forme de versements multiples, de coûts réduits,
ou d’autres négociations. L’une d’elle a également signé une entente avec un
hôpital permettant que les frais d’hospitalisation pour les patient.e.s sans pa-
piers soient les mêmes ceux facturés à l’assurance-maladie de l’Ontario pour
les patient.e.s assuré.e.s, ce qui a réduit les frais. Malgré ces efforts, ces en-
tentes sont une “solution” à court terme pour des besoins de santé désespérés
qui autrement seraient complètement négligés.
La cultures de racisme et de xénophobie entretenue par le gouvernement ca-
nadien empêche les organisations d’être ouvertes et de prendre position pub-
liquement à propos de l’accès aux soins des personnes migrantes sans papiers.
Aucune organisation interviewée offrant des soins primaires aux migrant.e.s
sans papiers ne mentionne les termes politisés “sans statut” ou “sans papiers”
dans leur nom ou leurs publications, et trouver un équilibre entre la défense
de l’accès aux soins pour tou.te.s et la protection de leur financement gou-
vernemental. Par conséquent, les organisations doivent limiter leur promo-
tion, ainsi que l’accès aux soins reste plaidant pour tous, tout en maintenant
un financement public. Un tel climat de peur contribue à la criminalisation
des personnes migrantes qui vivent, travaillent et contribuent à nos collec-
tivités. Le gouvernement canadien a exprimé clairement son agenda anti-
immigrant avec les coupures dans le Programme fédéral de santé intérimaire
et l’introduction de la Loi sur l’exclusion des réfugié.e.s ( la Loi visant à pro-
téger le système d’immigration du Canada, le projet de loi C-31), qui est une
extension de l’histoire coloniale du Canada et de ses politiques d’immigration
racistes et d’exclusion.
Afin d’offrir l’accès aux soins de santé pour tou.te.s, indépendamment du
statut, les cliniques communautaires devraient prendre des mesures immédi-
ates en refusant de coopérer avec les politiques d’exclusion des soins de santé
du Canada et en acceptant tou.te.s les patient.e.s, peu importe leur statut. Les
professionel.le.s qui travaillent dans les cliniques communautaires sont le plus
souvent payé.e.s à l’heure - en d’autres termes, leurs patient.e.s n’affectent
pas leur paie, dans la majorité des cas, qui donne de la flexibilité pour soigner
tout le monde. Cependant, de nombreuses cliniques communautaires continu-
ent à exiger des papiers et à créer un environnement qui est ouvertement
hostile aux migrant.e.s. La résistance est nécessaire pour lutter contre les
attaques du gouvernement canadien, qui exploite, chosifie, et bénéficie d’un
nombre incalculable de personnes sans papiers. Les cliniques communautaires
doivent être poussées à accepter tou.te.s les patient.e.s indépendamment de
leur statut afin de combler temporairement l’immense vide actuel qui met la
vie de milliers de personnes en danger.
par Shireen Soofi de Solidarité sans Frontières
accès au soins de santé
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 23
travail migrant
Expansion de l'état colonial: l'exclusion racialisée et le Programme des
travailleurs étrangers temporaires
BieN que le Canada ait été construit par l’exploitation du travail
de groupes racialisés, ceux-ci sont constamment exclus de la com-
munauté nationale étatique imaginée ainsi que des droits et libertés
associés à la citoyenneté canadienne. Cette histoire se perpétue et s’aggrave
avec la politique d’immigration actuelle via l’expansion sans précédent du
Programme des travail-
leurs étrangers tempo-
raires (PTET) (volet des
professions peu spéciali-
sées).
Les approches passées
et présentes du Canada
face à l’immigration sont
grandement influencées
par ses fondements
d’état colonial. Jusqu’à 1962, des critères raciaux contrôlaient officielle-
ment l’accès à la citoyenneté canadienne. Pour conserver la “pureté” dans
la production de l’état-nation, des groupes (non-blancs) ciblés se voyaient
refuser l’entrée au Canada durant le 19ème et 20ème siècle. Des contrats
de travail “temporaires” furent longtemps le moyen de s’assurer un accès
à de la main-d’œuvre bon marché sans mettre en péril l’articulation du
projet de nation blanche, facilitant l’exclusion des personnes racialisées de
la société canadienne.
En 1966, seulement quatre ans après l’abrogation des critères raciaux ex-
plicites de la politique d’immigration, le Canada a créé officiellement son
premier Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) par un
accord bilatéral avec la Jamaïque. Peu après, le Programme d’autorisation
d’emploi des non-immigrants (PAENI) fut introduit. Pour la première fois,
un programme facilitait la création de catégories d’immigration distinctes,
classifications différentielles répondant à la demande du marché du travail
canadien. Au lieu de se baser sur une politique d’exclusion raciale explic-
ite, les personnes racialisées arrivant sous le PAENI étaient exclues de la
nation en étant étiquettées comme des travailleur.euse.s peu spécialisé.e.s
– donc inférieur.e.s. Cette catégorisation a permis l’institutionnalisation et
la perpétuation du racisme pour bloquer systématiquement l’accès à la rési-
dence permanente pour la majorité des (im)migrant.e.s du “Sud Global” en
les plaçant dans une classe inférieure aux Canadien.ne.s. Les continuent de
s’appuyer sur l’origine ethnique et utilisent des préjugés raciaux en jugeant
quels groupes sont “économiquement préférables”, “plus assimilables” et
mieux “préparés” à la vie au Canada.
Les programmes pour les travailleur.euse.s migrant.e.s ont du succès dans
le discours public puisqu’ils positionnent stratégiquement les personnes mi-
grantes racialisées comme existant en “dehors” de l’espace national (mal-
gré qu’elles vivent et travaillent sur le prétendu territoire canadien). Cette
construction de la différence est centrale à la création et à la légitimation
de la catégorie des travailleur.euse.s migrant.e.s peu spécialisé.e.s. Cela
s’enracine idéologiquement: au lieu de restreindre l’entrée physique, la
classification de l’immigration s’assure de freiner la mobilité de certains
groupes en circonscrivant leurs accès aux protections, droits et libertés
étatiques une fois arrivés au Canada.
Les programmes de travail temporaire sont des outils étatiques efficaces
pour contrôler le “problème” de l’immigration depuis des décennies. Ils
permettent au gouvernement canadien de canaliser les “indésirables” dans
des courants de migration temporaire tout en promouvant la rhétorique na-
tionale de “tolérance” et de “bienveillance” dans le discours d’immigration.
Dans les dernières années, le travail temporaire est devenu le cœur de la poli-
tique d’immigration: les autorisations d’emploi temporaire comptent plus
d’entrées au Canada que toutes les autres catégories d’immigration réunies.
Depuis 2000, le nombre de travailleur.euse.s migrant.e.s employé.e.s au
Canada a triplé. En 2006, le nombre de personnes travailleuses migran-
tes a surpassé le nombre
de personnes immigran-
tes économiques perma-
nentes pour la première
fois. Depuis la rationalisa-
tion du PTET en 2008, le
Canada a admis plus de
résident.e.s temporaires
que permanent.e.s chaque
année, déplaçant la trajec-
toire conventionnelle d’immigration citoyenne.
La création du PTET en 2002 a facilité cette hausse de migration tempo-
raire, permettant l’étendue du modèle de travail temporaire dérégulé. Sous
le PTET, les employeur.euse.s peuvent s’approvisionner en main-d’œuvre
de n’importe quel pays dans le monde sans supervision gouvernementale ou
d’accords bilatéraux. Les travailleur.euse.s sont classé.e.s comme étant peu
spécialisé.e.s selon la Classification nationale des professions du Canada
et sont typiquement recruté.e.s par nationalité. Il n’y a pas de voie vers la
résidence permanente pour cette main-d’oeuvre et leur droit de rester au
Canada est lié à leur employeur et employeuse.
Depuis l’entrée en fonction d’Harper en 2006, le traitement des demandes
pour les emplois liés au PTET sont accélérés par la politique d’immigration,
avec des catégories et des priorités nommées sans consultation par le Min-
istre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Le discours étatique: cette ex-
pansion rapide est le moyen de combler un manque “provisoire” soudain
au niveau de la main-d’œuvre “peu qualifiée” en grande demande. Présenté
dans des termes de crise, le PTET est dépeint par l’état comme une néces-
sité cruciale durant une période de restructuration intensive néolibérale.
Cela est présenté comme étant une affaire “gagnant-gagnant” tant pour les
employeur.euse.s que pour les salarié.e.s, comblant les besoins du marché
du travail “temporaire” et permettant l’accumulation de capital tout en
redirigeant des fonds au Sud Global.
Cependant, plusieurs travailleur.euse.s migrant.e.s sont temporaires de
façon permanente, revenant année après année pour accomplir le même
travail contractuel “temporaire”, alors que leur rapport aux agences de
recrutement commence souvent par la dépossession de leurs terres dans
leur communauté d’origine via l’agression par des entreprises canadiennes
la politique étrangère canadienne. Pendant ce temps, de tels programmes
temporaires sont efficaces pour diminuer les salaires, limitant le pouvoir
de négociation des travailleur.euse.s et des syndicats en gardant les coûts
de production au plus bas malgré la mise en place de mesures d’austérité
croissantes. Pendant ce temps, le contrôle de l’immigration se concentre
et se privatise afin de gérer encore plus vigoureusement la démographie
nationale.
Le PTET permet l’institutionnalisation du concept précaire de l’immigation
jetable et de la main-d’oeuvre inépuisable. En produisant de la main-
d’oeuvre bon marché à l’étranger, les employeur.euse.s peuvent importer et
exporter à coût réduit du personnel flexible sans dépenses supplémentaires
de reproduction générationnelle ni de changements à long terme dans la
population de l’état-nation.
“[A]u lieu de restreindre l’entrée physique, la classification de l’immigration s’assure de freiner la mobilité de certains groupes en circonscrivant leurs accès aux protections, droits et libertés étatiques une
fois arrivés au Canada.”
par Gwen Muir de Solidarité sans Frontières
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 24
En tant que “programme d’affaire fait pour les entreprises”, les sociétés
privées deviennent de plus en plus centrales dans la sélection de qui peut
entrer, rester et travailler au Canada. Les personnes racialisées constitu-
ent une majorité disproportionnée de la main-d’oeuvre temporaire. Cela
engendre une hiérarchie explicitement racialisée dans le milieu de tra-
vail, ce qui renforce les relations de pouvoir et d’oppression basées sur
la “race”, plaçant les personnes migrantes dans le bas de l’échelle de la
main-d’oeuvre.
Il est devenu tout naturel d’associer certaines nationalités à certains em-
plois, ce qui renforce la marginalisation et la racialisation des personnes
migrantes. En les représentant exécutant des tâches qu’aucun.e Cana-
dien.ne n’accepteraient d’accomplir, le PTET accentue les divisions et
discriminations racistes, classistes et genrées. Confinées à des tâches et
milieux de travail pré-définis, les personnes migrantes sont stratégique-
ment dépeintes par l’état comme existant à l’extérieur ou séparées de la
société ordinaire.
Le recrutement par le PTET fournit aux employeur.euse.s le pouvoir ex-
plicite de faire de la discrimination raciale et genrée au travail. Les em-
ployeur.euse.s peuvent spécifier non seulement la nationalité préférée,
mais également exercer un contrôle sur le genre, l’âge, les caractéris-
tiques physiques et les habiletés de leur employé.e.s potentiel.le.s.
Arrivé.e.s au Canada, le statut temporaire et lié à un emploi placent les
travailleur.euses.s dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle.
Par exemple, la plupart des travailleur.euse.s migrant.e.s agricoles sont
logé.e.s par leurs employeur.euse.en régions éloignées, sans accès à du
transport indépendant, ne parlant ni français ni anglais (l’espagnol étant
souvent leur langue seconde). Il.elle.s doivent passer par leur employeur.
euse.s pour accéder à du soutien extérieur. Ces travailleur.euse.s cotisent
aux services sociaux sans pouvoir en bénéficier équitablement. Leur du-
rée contractuelle rend quasi-impossible d’avoir accès aux peu de protec-
tions auxquelles il.elle.s ont droit; les personnes migrantes sont habituel-
lement déporté.e.s avant le traitement des documents. Étant donné que
le programme enquête seulement s’il y a une plainte que l’exercice des
droits dépend du bon-vouloir des employeur.euse.s (et se trouve donc lié
au recrutement), les protections légales ne s’appliquent pas vraiment en
pratique.
Malgré que les employeur.euse.s doivent se soumettre aux normes du tra-
vail provinciales, plusieurs abus systémiques se produisent tout de même
puisqu’il n’y a pas d’organisme en charge de leurs applications. Cette
situation est aggravée par le fait que les travailleur.euse.s ne peuvent
pas déposer une plainte sans mettre en péril leur statut, s’exposer à un
rapatriement et une mise à l’index du programme. Bien que les travail-
leur.euse.s peuvent déposer une demande pour un transfert de permis de
travail, un changement d’employeur.euse est difficile en raison d’un long
délais de traitement pour un avis relatif au marché du travail (AMT). Pen-
dant ce temps, les personnes migrantes se retrouvent isolées, sans revenu
ou logement, sujettes à un renvoi si présentées à l’Agence des services
frontaliers du Canada (ASFC).
Le PTET a été décrit comme étant un système de rotation forcée du per-
sonnel, un programme créant un statut servile, une servitude contractu-
elle ou encore la version moderne du système de serfs du Moyen-Âge. Les
permis de travail rattachés aux employeur.euse.s enlèvent aux personnes
migrantes la capacité de se mouvoir au sein du marché du travail, minant
l’idée fondamentale de salariat libre. Cela affecte surtout les personnes
racialisées, car les personnes migrantes blanches originaires d’Europe ou
du Commonwealth sont quasi-inexistante parmi la classification “peu spé-
cialisée”, donc non sujettes à l’immobilité au sein du marché du travail.
De nombreuses revendications ont été mises de l’avant par les groupes
militant pour les droits des travailleur.euse.s pour avoir des approches
alternatives ou des amendements au PTET, y compris: permettre un accès
à la résidence permanente, créer des mécanismes structurels de soutien
et d’application des droits et avoir des permis rattachés à une province
ou un secteur professionnel spécifique. À Montréal, le Centre des travail-
leurs et travailleuses immigrants (CTI) a une campagne pour accroître la
reddition de comptes et les droits des travailleur.euse.s sous le PTET. La
mobilisation se fait via le soutien et la consultation des travailleur.euse.s
migrant.e.s de Montréal et des autres régions du Québec.
Même si ces mouvement sont importants, de petits changements dans
la structure ne suffiront pas à transformer la position différente des
personnes travailleuses migrantes et leur asservissement au marché du
travail et à la société canadienne. Comme souligné par Nandita Sharma
(2006), les programmes concernant les personnes travailleuses migrante
permettent le fonctionnement de deux systèmes distincts sur le même ter-
ritoire, produisant un système à deux vitesses. La “différence” migratoire
est institutionnalisée – ce qu’on appelle “un régime mondial d’apartheid”.
La classification “peu spécialisée” du PTET facilite la discrimination par
la différenciation et l’exclusion des personnes racialisées afin de soutenir
l’État colonial blanc. Au-delà du démantèlement des programmes de tra-
vail temporaire, les individus doivent aussi défier leur propre racialisation
et les fondements coloniaux du Canada sur lesquels les frontières ont été
établies.
De plus, avec la migration contemporaine qui résulte directement de la
dépossession, du colonialisme et de la mondialisation capitaliste, le na-
tionalisme et le paradigme d’état-nation produisent et reproduisent les
mêmes hiérarchies et structures de relations coloniales. Les marginal-
isations sont enracinées au sein même du concept de citoyenneté. Al-
ors, croire qu’une méritocratie balancée permettra la matérialisation de
l’accès à un statut permanent par les personnes migrantes est illusoire.
La migration est un droit: la liberté d’immigrer devrait correspondre à
la liberté d’émigrer. Les personnes migrantes ne devraient pas avoir be-
soin de la “bonne volonté” des états-nations pour obtenir des protections
de bases. Donc, comme plusieurs au sein des mouvements Sans Fron-
tières/Personne n’est illégal revendiquent, il est temps d’agir au-delà du
modèle de la citoyenneté comme moyen d’inclusion, car c’est un système
d’exclusion . Après tout, nous sommes tou.te.s des personnes migrantes:
ouvrons les frontières!
art par Sves Yeung
travail migrant
Pour une liste complète des ouvrages consulté voir le site-web de Solidarité sans frontières: http://www.solidarityacrossborders.org/fr/
solidarity-city/solidarity-city-journal
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 25
Immigration et austérité : LE mur invisible de la main invisible
au caNada et au quéBec, le maintien de la compétitivité internationale en période d’austérité grandissante, autant dans le secteur public que privé, et les politiques néolibérales qui
touchent le fond ont créé un climat d’insécurité. De continuellement traiter les travailleur.euse.s migrant.e.s, les immigrant.e.s et les sans-statuts comme des boucs émissaires, ici, au Canada, cache le simple fait que le ne néolibéralisme peut exister seulement au dépend des travailleur.euse.s migrant.e.s.
Pourtant, en ce moment, la concentration de la richesse dans notre société est sans précédent. Les dix personnes les plus riches du Québec ont une fortune équivalente aux salaires d’un million de Québécoi.se.s travaillant au salaire minimum. Le Canada a aussi une des plus grandes concentrations de milliardaires sur la planète, soit 64. Ce niveau de concentration de la richesse -- amené par le néolibéralisme des trois dernières décennies -- a mené à une pauvreté sans précédent. À Toron-to en 2012, il y a eu 1,12 million de visites aux banques alimentaires, le deuxième plus haut niveau jamais enregistré. À Toronto, cela est large-ment dû au fait que même avoir un emploi de 40 heures par semaines au salaire minimum ne permet pas d’échapper à la pauvreté. Selon un rapport révolutionnaire de Statistique Canada basé sur des données sur le travail et le reve-nu, le nombre de tra-vailleur.euse.s pauvres à Toronto « servant du café, nettoyant des toi-lettes ou effectuant un autre travail éreintant dans les tours à bureaux et les usines a augmenté considérablement. Dans la région, entre 2000 et 2005, le nombre de tra-vailleur.euse.s pauvres a augmenté de 42%, pour atteindre 113 000 personnes.«
L’utilisation du travail flexible, les attaques contre les syndicats et les salaires ont certainement été vitales à la grande augmentation des profits et de la richesse de quelques personnes. Cela a été réalisé grâce à la création du concept de travailleur.euse “néoliberal.e”, fonction-nant grâce à la précarité, par le travail migrant, de trois façons prin-cipales :
La première et la plus cruciale : au Canada, aujourd’hui, il y a environ 250 000 à 400 000 travailleur.euse.s sans papiers, travaillant princi-palement en dessous de la table, pour moins que le salaire minimum, dans la construction, l’hôtellerie, pour des emplois au jour le jour ou avec des agences de placement temporaire. La deuxième, qui est main-tenant devenue une nouvelle mesure pour rendre le travail temporaire permanent, est les 300 000 travailleur.euse.s étranger.e.s temporai-res présentement au Canada, un nombre qui a explosé depuis 2008. La troisième est la racialisation structurelle des travailleur.euse.s avec un bas salaire, même parmi ceux.celles qui sont des immigrant.e.s reçu.e.s ou des résident.e.s permanent.e.s. Il.elle.s ne sont pas une part insignifiante de la classe ouvrière, mais occupent plutôt une place centrale dans son fonctionnement et dans la création d’une nouvelle forme d’économie.
D’une certaine façon, les travailleur.euse.s migrant.e.s sont devenu.e.s une composante centrale de la stratégie néolibérale pour “intérioriser la sous-traitance”. Ce que nous ne voyons pas maintenant c’est qu’il y a une reprise de la “sous-traitance” du travail (qui était très impor-tante lors des crises économiques des années soixante-dix). Revenir à ce modèle veut dire une augmentation drastique de “l’internalisation” du travail précaire : en d’autres mots, au lieu de délocaliser des em-plois dans le Sud, les compagnies internalisent les migrant.e.s, ici, comme source de travail pas cher.
uNe immigratioN juste-à-temPs!
Un autre aspect de cette internalisation est la régression tangible des politiques d’immigration. Au lieu du statut pour tout le monde ou de la pleine régularisation, le Canada a rendu pratiquement impossible d’immigrer, à moins de passer par un Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Ainsi, l’immigration se fera mainten-ant sur des bases très temporaires et sera liée à des employeurs en
particuliers.
Dans un rapport publié par la Met-calf Foundation en 2012, les liens entre les agences de placement privées et les PTETs supervisés par le fédéral ont été démontrés claire-ment : « alors que le gouvernement créé des conditions qui permettent que des relations de travail migran-tes se forment, la supervision de ces relations est de plus en plus priva-tisée entre l’employeur.euse et le.a travailleur.euse. «
Le PTET amène les migrant.e.s au pays pour des emplois spécifiques, sur une base temporaire, ce qui sig-nifie que la capacité d’un.e travail-leur.euse de continuer à vivre au
Canada dépend de si il.elle peut garder l’emploi pour lequel il.elle a été amené.e ici. Contrairement à d’autres moyens pour venir au Canada (visa étudiant, demande de réfugié.e, etc.), la plupart des PTET de ga-rantissent pas, ou n’offrent même pas, de voie pour obtenir la citoyen-neté ou la résidence permanente.
C’est le nouveau phénomène faisant partie d’un plus vaste effort néo-libéral pour restructurer le travail, avec plus de 300 000 travailleur.euse.s au Canada sous les auspices de programmes TET (Citoyenneté et immigration Canada, 2011). En fait, depuis les cinq dernières an-nées seulement, 30% de tous les nouveaux emplois créés au Canada sont destinés aux travailleur.euse.s étranger.e.s temporaires (Statis-tique Canada, 2012). Comme l’on peut s’y attendre quand un emploi est lié de manière indissociable à un statut d’immigration, les condi-tions créées par ces programmes ont mené à ce que l’on peut décrire comme une forme de servitude. En tant que travailleur.euse étranger.e temporaire, on vous donne un permis de travail qui vous lie à un.e seul.e employeur.euse. Si vous êtes renvoyé.e, vous perdez votre statut d’immigration temporaire — un statut qui, dans la plupart des cas, a déjà coûté cher financièrement et psychologiquement au.à la travail-leur.euse. Le résultat est que les lieux de travail foisonnent d’abus, beaucoup de travailleur.euse.s font 60 heures par semaine ou plus pour beaucoup moins que le salaire minimum, sans jours fériés, vacances ou
par Mostafa Henaway du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants
travail migrant
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 26
congés de maladie, et sans la possibilité de demander que cela change.
Pourquoi sous-traiter quaNd Vous PouVez iNterNaliser ?
Au Canada/Québec le nombre de travailleur.euse.s pauvres à cause du travail temporaire sous-payé a beaucoup augmenté dans les dernières décennies. Selon Statistique Canada, la hausse a été de 8,7 milliards de dollars en revenus pour l’industrie du travail temporaire au Canada en 2009 (pour un milliard en 1993). Le nombre de travailleur.euse.s d’agences de placement s’est élevé à 158 000 employé.e.s temporaires durant l’année passée, soit 6% de plus que l’année précédente. L’écart salarial entre un.e employé.e permanent.e et un.e employé.e à contrat est d’environ 13%, tandis qu’entre un.e employé.e permanent.e et un.e employé.e temporaire, l’écart est d’environ 34%, selon les graphiques de Statistique Canada. La disparité persiste même après que l’agence ait ajusté les chiffres selon les différences démographiques comme le niveau d’éducation, le statut d’immigration et le genre.
Les agences de travail temporaire sont stratégiques pour les employeur.euse.s pour deux raisons cruciales. Premièrement, engager des travail-leur.euse.s d’agences de placement temporaires permet aux compag-nies d’échapper complètement aux normes du travail même les plus élémentaires. D’abord, la nature contractuelle du travail d’agence sig-nifie que les travailleur.euse.s perdent l’accès à des vacances payées, aux heures supplémentaires et aux avantages pour l’ancienneté. Aussi, il n’est pas clair dans la loi québécoise qui de l’agence ou de la com-pagnie avec qui elle fait affaire est responsable de l’employé.e, rendant impossible, par exemple, pour un.e travailleur.leuse de contester un renvoi injuste ou une cessation d’emploi sans un préavis raisonnable.
En outre, l’industrie est si peu régulée que lorsqu’une agence est ac-cusée en vertu de la Loi sur les normes du travail, elle peut fermer ses portes et rouvrir à la porte à côté sous un autre nom. Dans les faits, les normes du travail ne s’appliquent donc pas. Deuxièmement, l’utilisation de travailleur.euse.s d’agences de placement temporaire permet aux compagnies de miner les tentatives de convention collective et de syndicalisation. Cela parce que les compagnies peuvent renvoyer et engager des travailleur.euse.s d’agences tant qu’elles le veulent. Cela permet aux compagnies de changer les travailleur.euse.s et de gonfler le nombre d’employé.e.s si rapidement et fréquemment que cela rend impossible d’atteindre la « majorité « nécessaire pour se syndicaliser. Pour les travailleur.euse.s d’agence de placement temporaire — qui sont souvent aussi des sans papiers, vivant avec un statut précaire ou des demandeur.euse.s du statut de réfugié.e. — le cauchemar d’une crise est devenu une réalité quotidienne. Ces agences opèrent prin-cipalement dans le secteur agricole et le secteur de la transformation alimentaire. Même des grandes usines comme celles des jus Oasis, de Monsieur Basilic, pour n’en nommer que quelques-unes, utilisent des agences de travail à la journée, où les travailleur.euse.s vont attendre le matin en face d’une station de métro pour voir s’il y a du travail ce jour-là à l’extérieur de la ville. Ce genre de pratique est plus commun aux États-Unis, mais il est maintenant utilisé ici dans les grandes villes comme Montréal et Toronto. Les employeur.euse.s paient comptant à la fin de la journée. La plupart des travailleur.euse.s sont payé.e.s sous le salaire minimum, sans accès à des droits pour leur santé ou leur sé-curité ou un respect des normes minimales du travail.
En 2010, Enquête, une émission de journalisme d’enquête à Radio-Can-
ada, a recensé les pires pratiques malhonnêtes des agences, en envoy-ant des journalistes infiltré.e.s pour travailler dans différentes agences comme nouveaux.elles arrivant.e.s. Par exemple, des journalistes ont porté des caméras cachées pour postuler à des agences de placement temporaire qui se spécialisent dans le placement d’immigrant.e.s qui ne parlent ni anglais, ni français. Les deux hommes ont été assignés à des usines de poulet à Montréal, où ils ont travaillé avec les employé.e.s régulier.e.s. “Personne ne m’a jamais demandé une pièce d’identité. Même pas ma carte d’assurance maladie. Si j’avais eu un accident de travail, que serait-il arrivé ? Qui aurait été responsable de mes soins?” a dit Martin Movilla, un journaliste infiltré. On s’attendait à ce que Movilla et Mendez travaillent de longues heures, plus de neuf heures à la fois, parfois avec seulement 15 minutes de pause. Ils étaient payés entre 6,50$ et 8,00$ de l’heure. Le salaire minimum au Québec est de 9,50$.
l’austérité moNdiale - style moNtréal !
Un exemple particulièrement saisissant des restructurations néo-libérales qui ont eu lieu dans les trente dernières années à Montréal est celui de la chaîne Dollarama. Étant donné qu’il semble impossible de faire du profit à vendre des items dont le prix au détail n’atteint jamais plus de trois dollars, il est impressionnant que son PDG, Larry Rossy, soit l’une des 100 personnes les plus riches au Canada ; il est la huitième personne la plus riche du Québec, avec une valeur de 1,05 milliards de dollars.
La hausse de la pauvreté à travers le pays est une des raisons pour lesquelles Dollarama va si bien : les gens n’ont pas le choix d’acheter à l’un de leurs 700 magasins au Canada. Une deuxième raison pour laquelle ces prix font tout de même réaliser des bénéfices, c’est que Dollarama garde ses employé.e.s dans une situation hautement sous-payée et dans une extrême précarité. Rossy appelle cela une “stratégie du salaire minimum,” ce qui signifie clairement que s’il pouvait payer ses employé.e.s moins cher, il le ferait. Les centres de distribution de Dollarama ici, à Montréal, emploient entre 500 et 1000 personnes — presque toutes non-blanches — qui ont presque toutes été engagées grâce à des agences de placement temporaire. Même les employé.e.s qui travaillent là depuis plusieurs années sont toujours considéré.e.s comme “temporaires,” sans avantages sociaux ou pension et avec des conditions de travail difficiles. Ironiquement, la précarité du travail et les salaires au seuil de la pauvreté sont exactement ce qui rend presque impossible pour les employé.e.s de Dollarama de se battre
pour de meilleures conditions. Sans tenir compte des conditions de travail dans lesquelles les produits de Dollarama sont manufacturés dans le Sud, la compagnie est déjà un excellent exemple de comment la flexibilité du travail a permis aux plus riches Canadien.ne.s de faire d’énormes profits. Un travailleur d’origine haïtienne a reçu une prime de Noël de quarante-cinq dollars. Durant la même période de trois mois, Dollarama a réalisé cinquante-deux millions de dollars de profits, en 2011.
UN STATUT POUR TOU.TE.S !
UN SALAIRE DÉCENT POUR TOU.TE.S !
Ce climat d’austérité et la hausse des déportations et les changements à l’immigration vont de pair. Pour le capital, les politiques d’austérité ont non seulement été la répression par la matraque, mais pour les travailleur.euse.s, les politiques d’austérité sont aussi les politiques d’immigration. La peur est maintenue chez les immigrant.e.s par la crainte de la déportation, en laissant les immigrant.e.s sans statut et sans accès aux services, dans le but de garder leur discipline au travail, pour les empêcher de se battre pour des conditions de travail décentes et pour leurs droits fondamentaux. C’est pourquoi si nous voulons com-battre l’austérité sous toutes ses formes, la lutte pour la régularisation de tout le monde est centrale pour élever les conditions de vie de tou.te.s et pour assurer à tout le monde un emploi décent avec un salaire qui permet de vivre, pas un salaire de pauvreté.
“La peur est maintenue chez les immigrant.e.s par la crainte de la déportation, en laissant les immigrant.e.s
sans statut et sans accès aux services, dans le but de garder leur discipline au travail, pour les empêcher de
se battre pour des conditions de travail décentes et pour leurs droits fondamentaux.”
travail migrant
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 27
Des travaileurs immigrants dénoncent les conditions de travail dans les entrepôts de dollarama
les traVailleurs.euses d’usiNe “traVailleNt Plus que des machiNes”
Le premier, un travailleur hautement qualifié avec une formation académique et dix ans d’expérience en tant qu’électromécanicien dans une usine de lait en poudre, a complété le programme d’intégration au marché du travail mais affirme que “ça n’a pas payé.”
Il s’est finalement tourné vers les agences de placement temporaire et s’est retrouvé dans l’usine de Dollarama. La dureté de son labeur fut un choc pour lui.
“J’étais surpris que dans un pays industrialisé comme le Canada, vous pou-viez avoir des endroits où les gens travaillent plus que les machines”, dit-il.
Son travail impliquait la manutention de boîtes lourdes à longueur de journée dans le but de remplir d’immenses palettes de marchandise. Son quota quoti-dien était de 23 palettes.
“Pour faire 23 palettes par jour il faut lever beaucoup de boîtes lourdes et nous n’avons pas le temps de nous reposer, alors c’est très physique et l’endroit est extrêmement bruyant. Il y a beaucoup de poussière.”
“Il y a beaucoup de gens qui se foncent dedans puisque tous le monde est sur ses gardes, tout le monde est nerveux parce qu’ils veulent tous atteindre leur quota.”
Il affirme qu’en tant qu’homme noir, il était ciblé pour du travail comparable à de l’esclavage.
“Certainement nous pourrions comparer ceci à de l’esclavage et j’ai vite com-pris qu’à la couleur d’un individu... Quand j’allais à l’agence de placement, il y avait le travail pour ceux.celles qui sont noir.e.s et après il y avait le travail pour ceux.celles qui sont blanc.he.s,” a-t-il affirmé, ajoutant que des emplois qu’il aurait pu occuper avaient plutôt été offerts à des Québécois.e.s blanc.he.s, malgré ses qualifications avancées.
Le travail éprouvant physiquement a laissé ses marques sur son corps, dit-il.
“C’est de l’esclavage parce que je l’ai ressenti physiquement. J’éprouve des problèmes de santé depuis que j’ai travaillé chez Dollarama. Encore à ce jour, je me fais soigner. J’ai des douleurs aux muscles dont je souffre en ce mo-ment. Je prends des anti-douleurs et des anti-inflammatoires à presque tous les jours.”
Il a tenu à avertir les autres sur les tâches subalternes qu’il.elle.s devraient subir s’il.elle.s décidaient d’émigrer au Canada.
“Quand vous venez ici, il faut oublier tout ce que vous avez appris. C’est comme si vous étiez né.e une seconde fois parce qu’ici... il faut aller à leurs écoles. Vous devriez savoir qu’il faut refaire sa formation et que vous allez commencer par du travail physique.”
Il a aussi imploré le gouvernement de revoir ses lois sur les agences de place-ment temporaire pour les rendre “plus humaines”.
le rétrogradatioN d’uN orgaNisateur Pour les droits de traVail: uN coNdgédiemeNt masque”
Un autre travailleur temporaire originaire du Cameroun s’est adressé au gou-vernement pour qu’il cesse la “terrible exploitation” des travailleur.euse.s immigrant.e.s qui sont engagé.e.s par des agences de placement temporaire.
Dans une entrevue avec Les Voix Migrantes, il affirme avoir obtenu deux maîtrises en Belgique (biologie et agronomie) avant de travailler en protection de l’environnement pour quatre ans au Cameroun, pour ensuite immigrer au Canada en quête d’une vie meilleure. Il dit avoir été choqué par le nombre de préjugés auxquels il fit face ici.
“Les gens ne nous font pas confiance et je trouve ça choquant” a-t-il dit. “Ils doutent de notre expérience et de notre formation.”
Après plusieurs mois sans emploi, il se résigne, déchanté, aux agences de placement temporaire pour au moins subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa femme. Il se retrouva éventuellement dans l’atmosphère exaspérant de l’usine du Dollarama en tant que travailleur.
“Le travail était très dur, très physique,” dit-il. “Il y a un quota à atteindre chaque jours sinon on vous congédie le lendemain.”
“Des travailleur.euse.s qui se sont blessé.e.s durant leurs heures de travail ignoraient leur droit,” ajoute-t-il. Après s’être impliqué avec le CTI, il com-mença à organiser des ateliers pour informer ses collègues sur leurs droits et à distribuer des dépliants à l’usine.
“Quand on a entendu parler de mon mouvement, il.elle.s ont immédiatement décidé qu’il fallait se débarrasser de ce mauvais élément.” L’agence l’assigna à du travail de plus en plus éprouvant jusqu’à ce qu’il démissionne.
“Je me suis rendu compte que le travail qu’on me donnaient était beaucoup plus difficile et je devais travailler à temps partiel pour moins d’argent,” dit-il. “J’ai travaillé si dur pour que ma famille puisse survivre.”
Finalement, il décida qu’il n’en pouvait plus. Il démissionna, affirmant qu’il avait vécu un “congédiement masqué”.
Mais reste que son but, sensibiliser ses collègues immigrant.e.s sur leurs droits en tant que travailleur.euse.s, était atteint.
“Il.elle.s savent qu’on peut être compensé pour les accidents de travail, qu’on peut être compensé quand on est malade, alors... je suis très heureux de mon travail.”
Une aidante philippine passe la nuit en prison après s’être fait accuser de vol par ses employeurs. Un boucher mexicain qui est forcé à travailler illégalement après s’être fait saisir ses papiers par son employeur désigne sa vie en tant que travailleur sans statut au Canada “mille fois plus exploitant qu’aux États-Unis.” Un travailleur temporaire guatémaltèque est déporté après avoir tenu tête à son employeur, l’opérateur d’une des plus grandes serres.
Ce ne sont que quelques histoires documentées dans Les Voix Migrantes, une série d’émissions de radio et de podcasts organisée par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI). Ces histoires, qui sont archivées sur le site du CTI (et parfois disponible dans deux ou trois langues) sont le résultat d’un partage de compétences visant à entrainer les gens du CTI dans la production médiatique pour qu’ils puissent raconter leurs propres histoires.
Dans cet espace, le CTI présente des extraits d’entrevues dirigées par deux hom-mes noirs, tous les deux immigrants récents de pays d’Afrique de l’Ouest. Ils se sont interviewés l’un et l’autre pour Les Voix Migrantes sur leur expérience en tant que travailleur temporaire dans une usine tenue par la chaîne de détails Dollarama.Ces deux hommes, dont l’identité demeure strictement anonyme dans le but de les protéger de toutes formes de représailles de la part de la compagnie, ont comparé la
“Quand vous allez à l’agence de placement, il y a du travail pour ceux.celles qui sont noir.e.s et il y a du travail pour ceux.celles qui sont blanc.he.s.”
travail migrant
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 28
Des travaileurs immigrants dénoncent les conditions de travail dans les entrepôts de dollarama
la détention des migrant.e.sDétention des migrant.e.s,un “triste cauchemar”
Entrevue avec une mère réfugiée sur son expérience en détention à Laval
Q: Est-ce que tu pourrais partager ton expérience de quand tu
étais enfermé à Laval en 2009 ?
R: Oui, j’étais au Centre de détention de Laval pendant 4
ou 5 jours. En fait, j’étais enceinte de 5 mois, et j’avais mon
garçon de 6 ans avec moi. J’ai vécu un triste cauchemar et une
mauvaise expérience en étant là-bas. Les gens dans le centre
de détention sont assimilés à des criminels. Les agent.e.s de
sécurité sont omniprésent.e.s. Il y a des caméras de surveil-
lance à tous les niveaux. Il y a aussi de la fouille à chaque fois
que tu vas d’un endroit à une autre. Même quand tu es dans
la toilette, il y a un.e agent.e de sécurité qui t’attend devant la
porte. Il y a aussi une confiscation d’objets personnels qui est
systématique.
Il y en a certaines femmes qui sont séparées de leurs enfants.
Ce n’était pas le cas avec moi. Moi j’ai gardé mon garçon
avec moi. Il a fait une grosse crise là-bas au point que les
agent.e.s ont du intervenir parce qu’il.elle.s n’en pouvaient
plus. Je pense qu’il serait important d’améliorer le système
au lieu d’enfermer inutilement les demandeur.euses.s d’asile.
D’après moi cela n’a aucun bon sens. Ça ne fait pas une très
bonne image pour le Canada, qui est un pays d’accueil.
Moi j’irais aussi jusqu’à dire que la façon dont les employé.e.s
et les agent.e.s là-bas ont un pouvoir discrétionnaire est très
abusive. Il y en a qui m’ont menacée si je m’enfuyais encore. Je
dirais aussi que ça a beaucoup joué sur mon mental, et ça m’a
affectée psychologiquement et physiquement.
Q: Est-ce que tu pourrais partager ton expérience du jour où
tu as été arrêtée ?
R: Je dirais que le jour où j’ai été arrêtée, les agent.e.s de
sécurité savaient qu’ils venaient pour arrêter une femme et un
petit garçon. Mais quand ils sont venus, ils étaient au moins
5 grands gaillards – vraiment des grands hommes – et une
femme. Ils savaient que c’était une femme, ils n’avaient pas be-
soin de se déplacer avec 3 véhicules et 5 hommes comme si ils
venaient pour chercher un criminel. Ils ont aussi défoncé ma
porte, j’étais dans ma maison, et ils ont encerclé toute la mai-
son comme si ils cherchaient une vendeuse de drogues ou une
criminelle. C’était vraiment traumatisant. Puis c’était comme
si j’étais dans l’eau bouillante. J’ai failli péter les plombs. À
chaque minute je ne savais pas qu’est-ce qui se passait. J’avais
juste peur.
Q: Est-ce que tu as été menottée ?
A: L’agent a dit qu’il voulait me menotter, mais dû à la
présence de mon enfant, il ne voulait pas le traumatiser encore
plus. Mais si non, il a dit qu’il voulait me menotter. Puis il m’a
aussi menacée verbalement en disant que j’ai aggravé ma situ-
ation parce que j’ai refusé de coopérer.
Q: Maintenant on est 3 ans plus tard, et ton statut d’immigration
a été régularisé. Quelles sont tes réflexions aujourd’hui quand
tu penses à cette expérience?
A: C’est sûr que cela a laissé des séquelles. Ça laisse une page
d’histoire et beaucoup de souvenirs qu’on ne peut pas oublier.
C’est vraiment comme une page qu’on ne peut pas oublier. Ça
a aussi laissé des séquelles à mon fils qui n’arrête pas de crier
de temps en temps “maman, c’est l’immigration qui frappe à
la porte”.
Cette entrevue a été réalisée en décembre 2012 par Aaron Lakoff, avec une femme immigrante dans le réseau de Solidarité Sans Frontières. La femme (qui veut rester anonyme) est venue à Montréal en 2006, et sa demande d’asile a été refusée. Menacée par un ordre d’expulsion en 2009, elle a plutôt décidé de résister à sa déportation et de vivre au noir. Durant l’été 2009, elle a été arrêtée chez elle par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada, et détenue pendant plusieurs jours dans le Centre de détention des immigrant.e.s à Laval. Elle était avec son fils de 6 ans, et elle était enceinte de son prochain enfant.
Solidarité Sans Frontières a aidé à la sortir de détention, et l’a supportée depuis. Finalement, sa demande de résidence per-manente pour motif humanitaire a été acceptée au printemps 2012, et elle a le droit de rester au Canada avec sa famille (elle a maintenant 3 enfants).
photo by Palomiero
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Externalisation du racisme la loi C-31, l'expansion des prisons et la détention des migrant.e.s
le 15 décemBre 2012, le gouvernement fédéral entreprit la
mise en oeuvre du projet de loi C-31. Surnommé la Loi d’exclusion
des Réfugié.e.s, cette législation établit un système de sélection des
réfugié.e.s à deux poids, deux mesures qui discrimine les migrant.e.s en ten-
ant compte de leur nationalité. Les demandeur.euse.s qui arrivent d’un pays
inclus dans la liste et arbitrairement déclaré comme étant un “pays d’origine
sécuritaire” verront leur demande rapidement traitée vers la déportation,
leurs recours légaux tel que les demandes humanitaires restreints et leur accès
la section d’appel des réfugié.e.s refusé. En outre, la loi C-31 établit des rè-
glements spécifiques, invoqués à la discrétion du Ministère de l’Immigration,
pour les migrant.e.s arrivant au Canada de manière “irrégulière”, incluant la
détention obligatoire avec encore moins de possibilités de révision et des op-
portunités sévèrement restreinte de résidence permanente par la suite. L’effet
cumulatif de ces dispositions risque d’intensifier drastiquement le nombre de
migrant.e.s qui seront victimes de détention au cours des prochaines années.
La menace d’incarcération et de déportation n’a rien de nouveau pour les
migrant.e.s et les réfugié.e.s au Canada: les non-citoyen.ne.s font toujours
face à la menace d’être potentiellement détenu.e.s indéfiniment par l’Agence
des services frontaliers du Canada (ASFC). Même si les changements apportés
par le projet de loi C-31 sont graves et de mauvaise augure – tout en promet-
tant de causer des ravages dans la vie des migrant.e.s et des réfugié.e.s qu’ils
affecteront– il est important de se rappeler qu’ils ne représentent pas une
rupture majeure avec les pratiques traditionnelles du régime de sécurité en
immigration du Canada. Nous devons plutôt voir ces changements comme
une escalade – bien que brusque – du genre de tactiques utilisées contre les
migrant.e.s et les réfugié.e.s depuis des dizaines d’années, et comme faisant
partie d’un mouvement en cours vers la concentration croissante du pou-
voir arbitraire entre les mains de ministères du gouvernement et de leurs
délégué.e.s. Ceci est essentiel pour comprendre la logique raciste à la base de
l’idéologie d’Immigration Canada et de l’intérêt économique qui influence de
telles décisions politiques.
Selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugié.e.s, l’ASFC peut
arrêter et incarcérer un.e étranger.e ou un.e résident.e permanent.e qu’elle
juge une menace pour la sécurité publique, un potentiel risque de fuite,
une identité qu’elle ne peut valider ou une menace à la sécurité nationale.
Malgré l’invocation régulière des migrant.e.s comme étant potentiellement
dangereux.ses et/ou criminel.le.s, dans les faits la très grande majorité des
détenu.e.s (94.2%) sont incarcéré.e.s pour des raisons entièrement sans rap-
port avec la question de la sécurité. Effectivement, des familles entières, in-
cluant de jeunes enfants, sont présentement emprisonnées dans des centres
de détention canadiens. Même si les détenu.e.s ont droit à une révision de
leur détention dans les 48 heures suivant leur arrestation, 7 jours plus tard
et 30 jours après cela, la loi permet la détention indéfinie dans ce genre de
situation. Certain.e.s migrant.e.s croupissent pendant des mois ou même des
années dans des centres de détention canadiens, parfois pour des motifs aussi
arbitraires et superficiels que des documents de voyage invalides.
Avec la mise en œuvre du projet de loi C-31, les migrant.e.s qui arriveront par
des moyens proclamés « irréguliers « - qui s’appliquent arbitrairement sur des
migrant.e.s arrivant en groupe de deux et plus, ou que le ministère considère
comme ne pouvant être évalué.e.s dans des délais raisonnables – feront face
à la détention obligatoire. En vertu de ces dispositions, les détenu.e.s pour-
raient être incarcéré.e.s pour un minimum d’un an à moins que la libération
ne soit ordonnée par un audition de révision – ce qui, dans ce cas, n’est requis
qu’après 15 jours et chaque six mois par la suite. Même si les demandes des
détenu.e.s sont acceptées ultérieurement, leur cheminement vers un statut
de résidence permanente est considérablement restreint, considérant qu’il.
elle.s ‘auront pas le droit de présenter une demande pour un statut de rési-
dence permanente pour un minimum de 5 ans. De plus, de tel.le.s détenu.e.s
empêcher de parrainer leur famille pour une période de cinq ans.
Le plus extrême de ces mécanismes pour la détention des non-citoyen.ne.s
dans le dispositif de sécurité de l’immigration canadienne est le certificat de
sécurité.Les certificats de sécurité sont utilisés pour détenir de prétendues
menaces contre la sécurité nationale dans des conditions draconiennes, basé
sur des preuves secrètes qui ne sont pas accessibles au.à la détenu.e ni à leurs
sympathisant.e.s. Mahommad Mahjoub, Mahmoud Jaballah et Mohamed Har-
kat ont fait face à des certificats de sécurité pour plus d’une décennie. Plu-
sieurs contestations juridiques des certificats de sécurité ont révélé ceux-ci
comme étant profondément erronés, souvent basés sur des preuves infondées
tel que des rumeurs ou des témoignages obtenus sous la torture. Cependant,
même si la Cour suprême a déclaré les certificats de sécurité inconstitution-
nels, elle a permis leur utilisation continue tant que le gouvernement modifie
ses pratiques et inclut une protection minimale pour les accusé.e.s.
Présentement, il existe trois centres de détention des services de l’immigration
au Canada. Le plus grand de ceux-ci, le centre de prévention de l’immigration
de Laval, situé en plein champ et flanqué de plusieurs prisons fédérales, est
capable d’accueillir plus de 150 détenu.e.s en par jour. Les centres de déten-
tion sont des lieux clôturés avec des barbelés avec une surveillance constante,
où les migrant.e.s sont sujet.te.s à des conditions quasi-carcérales : règles
rigides, horaires stricts, liberté de circulation restreinte et aucun accès aux
services de santé mentale ou de soutien. Les détenu.e.s sont enchaîné.e.s et
menotté.e.s durant leurs transferts vers des audiences ou des rendez-vous.
Les services de traduction sont minimaux et l’accès au support légal crucial
est limité ce qui compromet fréquemment l’acceptation des réclamations et
demandes. Ceci est très loin de la description des centres de détention par
le ministre de l’immigration Jason Kenney, qui les décrit comme étant des «
hôtels trois étoiles avec une clôture autour «.
Durant la dernière décennie, nous avons été témoins d’une croissance con-
stante du nombre de migrant.e.s qui ont été détenu.e.s. De 2004-2011, envi-
ron 82 000 migrant.s ont été séquestré.e.s par Immigration Canada ainsi que
13 000 durant l’année 2011, ce qui est déjà trop pour les centre de détention.
Présentement, jusqu‘à 35% des détenu.e.s sont incarcéré.e.s dans des prisons
provinciales au travers le pays – les exposant à la déshumanisation et la pos-
sibilité d’abus qui sont inhérents au système d’incarcération criminelle. En
effet, un rapport global sur la détention publié en 2012 fait remarquer que
des migrant.e.s sont présentement détenu.e.s dans 43 prisons provinciales à
travers le pays – plusieurs d’entre elles sont des établissements de haute sé-
curité où les détenu.e.s ne peuvent quitter leur cellule pour plus de 18 heures
par jour. Avec l’accroissement des détentions attendues avec la loi C-31, nous
verrons certainement cette pratique se poursuivre à un rythme constant. Des
événements récents montrent un autre phénomène troublant : la privatisation
par Amy Darwish et Graham Latham du Réseau de la Commission Populaire
la détention des migrant.e.s
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 30
des centre de détention pour immigrant.e.s.
Au cours des derniers mois, plusieurs ont questionné l’étendu des détentions
obligatoires étaient nourries par les intérêts de compagnies privées qui ont
toutes les chances de tirer un profit énorme dans l’expansion du système de
détention des immigrant.e.s. En effet, il s’agit déjà d’une industrie de plus-
ieurs millions de dollars en accroissement rapide : il est estimé que 53 775
000 $ est dépensé annuellement pour les centre de détention au Canada. Ce
chiffre ne tient pas compte des coûts associés à la surveillance et la supervi-
sion des migrant.e.s, notamment aux détenu.e.s issu.e.s des certificats de
sécurité, qui augment-
eraient encore plus le
montant estimé.
Les compagnies privées
bénéficient déjà large-
ment de leur implica-
tion dans la gestion, le
fonctionnement et la
prestation de services
dans le centre de dé-
tentions pour immigrant.e.s.
Le centre de détention de
l’immigration de Toronto est
géré par la corporation de
gestion Corbeil et reçoit des
services de sécurité du G4S,
la plus grande firme de sécu-
rité au monde. G4S a récem-
ment été la cible de critiques
pour avoir bâclé un contrat
de 284 millions de livres pour
gérer la sécurité durant les
Jeux olympiques de Londres en
2012 et pour sa complicité dans des cas d’abus envers des prisonnier.e.s pal-
estinien.ne.s durant sa gestion du service pénitentiaire israélien. Selon des
estimations, ces deux compagnies ont été rémunérées à plus de 19 millions
de dollars avec des contrats du gouvernement fédéral entre 2004 et 2008. À
Montréal, les services de sécurité du centre de prévention de l’immigration
de Laval sont fournis par Garda Sécurité.
Cette tendance – de mettre la gestion des détenu.e.s du fédéral entre les
mains des compagnies privées – est clairement en ligne avec l’idéologie néo-
libérale du gouvernement conservateur au pouvoir qui, depuis quelques an-
nées, étudie les dispositions carcérales dans d’autres pays. En octobre 2011,
la firme de consultation Deloitte et Touche a été chargée d’étudier les pris-
ons dans dix pays incluant l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni
et les États-Unis. Un rapport de 1400 pages, publié en mars 2012, évalue
chaque prison et fournit des recommandations à l’égard des « pratiques des
Services correctionnels du Canada « et leur « pertinence sur le marché ca-
nadien «. Tandis que le ministre de la Sécurité publique Vic Toews s’était
empressé de nier que les modèles de prisons privées étaient pris en consi-
dération, il a souligné que le gouvernement était ouvert à une implication du
secteur privé, affirmant que des services privés étaient déjà offerts en prison.
De même, dans un rapport publié en 2010, l’AFSC recommande de recourir
à des compagnies de sécurité privées pour superviser la gestion des Centres
de détentions des immigrant.e.s. Le ministre de l’Immigration Jason Kenney
a lui aussi manifesté son intérêt à poursuivre de tels arrangements pour la
gestion des détenu.e.s immigrant.e.s. En octobre 2010, il visita deux centres
de détention australiens gérés par Serco (l’un des plus grands joueurs dans
l’industrie de la détention internationale) dans le cadre d’une tournée de soi-
disant recherche de vérité pour examiner les initiatives de « traites humaines
« australiennes. Peu après, les détenu.e.s du centre Villawood géré par Serco
ont déclenché une émeute dans le but de dénoncer leur détention indéfinie;
tandis qu’un mois auparavant une autre manifestation initiée par des deman-
deur.euse.s d’asile détenu.e.s dans des installations extra-côtière de Serco
sur l’île Christmas a mené à ce que plusieurs immeubles soient entièrement
brûlés. Suite à sa visite, Kenney tweeta qu’il en avait appris beaucoup.
Depuis la présentation du projet de loi C-31, un bon nombre de compagnies
privées ont constaté le potentiel d’expansion des infrastructures du système
de détention canadien et ont exercé de fortes pressions sur le gouvernement
fédéral pour des contrats liés à la prestation de tels services. Ces compag-
nies incluent Serco et BD Hamilton et Associés, une firme de consultation
immobilière basée à Toronto, qui a proposé un partenariat public-privé pour
construire un nouveau centre de détention à Toronto. Même si la proposition
de BD Hamilton a été rejetée, la compagnie continue de courtiser le gou-
vernement pour des contrats liés aux processus de «“renvois sous escorte”.
En mars 2012, des dirigeant.e.s de Serco ont voyagé du Royaume-Uni
pour rencontrer Rick Dykstra, le secrétaire parlementaire du ministère de
l’Immigration. Tandis que Dyk-
stra s’est empressé de nier que
la réunion concernait spéci-
fiquement la question des déten-
tions immigrantes, il mentionna
que Serco n’avait jamais eu «
“l’opportunité de s’entretenir
avec des représentants de l’État
des services qu’ils fournissent
d’une perspective citoyenne et
immigrante”. Il a ajouté que la réunion pour-
rait servir à « élargir nos horizons « sur les
services qu’il.elle.s ont à offrir, de voir s’il
existe une façon pour eux.elles d’assister le
gouvernement Canadien.
Cependant, la situation concernant la déten-
tion privatisée dans d’autres pays devrait
servir d’avertissement. Les États-Unis et le
Royaume-Uni ont tous deux connus une aug-
mentation vertigineuse dans la proportion
des services de détention gérés pour le profit.
Les compagnies privés gèrent maintenant 7
des 11 centres de détention au Royaume-Uni,
tandis que près de 50% sont entre les mains du privé aux États-Unis. Pen-
dant ce temps, les centres de détention ont atteint des sommets record. Il
n’est pas surprenant d’apprendre que plusieurs rapports affirment que les
cas d’abus sont répandus et que la responsabilisation est minimale dans les
installations à but lucratif.
Aux États-Unis, des activistes pour la justice migrante ont souligné des cas
de mauvais traitements et de refus d’accès aux services de santé dans les
centres gérés par CCA et le groupe GEO. Le groupe GEO est présentement
le sujet d’un recours collectif suite à des allégations d’abus sexuels dans ses
prisons pour mineur.e.s ainsi que pour leur refus de fournir des services de
santé et d’éducation aux détenu.e.s. En Australie, un rapport d’inspection
des établissements de Serco a noté des situations de surpopulation dangere-
uses, de personnel peu ou mal formé, de négligence ainsi que d’usage abusif
d’isolement en cellule.
Il est évident que la coopération grandissante entre les décideur.e.s en im-
migration et les entreprises privées est sur la table et il est difficile de ne pas
constater l’influence d’une telle coopération dans des politiques telles que
le projet de loi C-31. De telles mesures généreront certainement un nombre
significativement croissant de personnes détenues par l’AFSC, tout ça dans
le but d’augmenter l’efficacité et « l’équité «. Pendant ce temps, les installa-
tions de détention actuelles sont incapables de suivre l’afflux de migrant.e.s
dans le système. Au fur et à mesure que la demande s’accroît, nous pouvons
nous attendre à voir une plus grande proportion de migrant.e.s placé.e.s
dans des prisons provinciales, pendant qu’on nous affirmera que la privatisa-
tion est la seule solution.
À bien des égards les forces du capitalisme international et de l’impérialisme
placent les migrant.e.s et les réfugié.e.s en prison, où la privatisation néo-
libérale et la violence raciste du système de sécurité canadien en immigration
se croisent. Les différents mécanismes pour leur détention doivent être mis
en contexte dans cette réalité. Cependant, la lutte contre la détention des
migrant.e.s et des réfugié.e.s peut aussi servir de point de convergence pour
divers mouvement en opposition à ces forces. Nous continuons à résister
contre la criminalisation de la migration tout en travaillant vers un monde où
la liberté de circulation des gens prime sur les profits corporatifs.
“À bien des égards les forces du capitalisme international et de l’impérialisme placent les migrant.e.s et les réfugié.e.s
en prison, où la privatisation néolibérale et la violence raciste du système de sécurité canadien en immigration se
croisent.”
la détention des migrant.e.s
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 31
Témoignage d'une personne refuséeManuel Sanchez, un membre de Mexicain.e.s uni.e.s pour la régularisation (MUR) et Action LGBTQ avec immigrant.e.s et réfugié.e.s (AGIR), a été déporté vers le Mexique le 26 juillet 2012, après des mois de lutte pour dénoncer le traitement, par le gouvernement canadien, des demandeur.euse.s d’asile mexicain.e.s. Avant d’être expulsé du pays, il a vécu de longs jours en détention, alors que son avocat, quelques heures avant le premier vol qui devait le déporter au Mexique, lui a fortement recommandé de ne pas se présenter à l’aéroport, croyant que la Cour interaméricaine des droits de l’homme allait intervenir auprès du Canada afin d’empêcher son renvoi. Cette expérience d’incarcération a été extrêmement révoltante, traumati-sante et humiliante pour Manuel. Plusieurs personnes qui lui ont apporté support et réconfort alors qu’il se trouvait enfermé entre les murs du centre de détention pour migrant.e.s de Laval lui ont suggéré de mettre sur papier ses réflexions et la façon dont il avait vécu cette expérience en détention. Avec le courage qu’on lui connaît, Manuel a replongé dans les souve-nirs de cette pénible période de sa vie afin de sensibiliser les gens à la dureté et à la grande violence de la criminalisation qu’il a vécu comme personne migrante. Voici quelques extraits de son témoignage.
«.. Quelques jours plus tard, suivant les conseils de mon avocat, je me suis présenté avec lui aux bureaux d’Immigration Canada afin de leur expli-quer pourquoi je n’étais pas sorti du pays à la date prévue. Je leur ai aussi montré le nouveau billet d’avion que j’avais acheté pour leur prouver ma volonté de quitter le Canada. Malgré cela, l’agent qui s’occupait de mon cas m’a alors dit qu’il y avait un ordre d’arrestation émis à mon endroit et que je serais détenu. À partir de ce moment-là, ma vie s’est transformée en un monde de peur et de dépression. Je n’avais jamais, dans toute ma vie, eu quelque problème que ce soit avec la loi. Je n’avais jamais été détenu pour quoi que ce soit. Cet épisode a été la pire expérience que j’ai vécue à Montréal.
L’agent m’a conduit dans une autre salle où m’attendaient 3 gardes de sécurité. Ils m’ont confisqué tout ce que j’avais sur moi, et ils ont inspecté tout mon corps afin de s’assurer que je n’avais aucun objet à part mes vêtements. Ça a été très traumatisant pour moi de sentir les mains de ces agents sur mon corps, qui me traitaient comme si j’étais le pire des criminels, un criminel parmi les plus dangereux du monde. Cette sensa-tion est indescriptible. Je leur ai alors demandé si, en plus de tout cela, ils allaient me mettre des menottes et un des agents a répondu que « oui «. Je les ai suppliés de ne pas me les mettre. Je leur ai dit que je n’étais pas dangereux, que je m’étais présenté aux bureaux d’immigration pour leur démontrer que je ne voulais pas violer la loi. Un des agents m’a répondu qu’il devait me menotter, que ça faisait partie du protocole de sécurité. Il m’a demandé de lui tendre mes mains pour pouvoir me menotter. C’est une expérience que je ne souhaite à personne. La sensation du métal froid qui attachait mes mains«. Mes jambes tremblaient et mes yeux se remplissaient de larmes, mais je les fermais pour ne pas les laisser s’échapper. Ils m’ont transféré dans une autre salle, remplie de désolation et de tristesse, où 4 autres hommes migrants attendaient en silence.
Quelques heures plus tard, ils nous ont transférés au centre de déten-tion de Laval. Dans la camionnette, j’ai été envahi encore une fois d’une grande tristesse en voyant, depuis l’intérieur de cette camionnette pleine de protection et de grillages, la vie à l’extérieur. Je me suis senti comme l’animal le plus dangereux du monde et rempli d’un océan de questions sans réponses. J’observais les gens à l’extérieur, dans la rue, qui regar-daient passer la camionnette. Je voyais leurs visages qui se demandaient ce que cette camionnette pouvait bien contenir et je me demandais pourquoi je devais passer par tout ça si le seul délit que j’avais commis c’était d’avoir demandé la protection à ce pays. Je me remémorais tous les efforts et tous les sacrifices que j’avais dû faire en arrivant à Montréal, sans parler un mot de français, sans connaître personne, devant m’adapter à un monde totalement différent. J’avais essayé de travailler afin d’être une personne productive, de payer mes impôts et de démontrer au gouvernement cana-dien que j’étais une personne motivée à se dépasser. Je m’étais forcé pour apprendre la langue et je m’étais fait plusieurs ami.e.s que j’appréciais beaucoup et qui faisaient que je me sentais bien à Montréal. Ces 4 années vécues à Montréal ont été les plus belles de ma vie. J’ai pu y vivre en tant qu’homme gai, heureux et sans avoir peur des agressions, de la violence, sans avoir à cacher mon homosexualité. Mais, plus tard, j’ai vécu une
frustration énorme en me rendant compte que tous mes efforts et mes sacrifices ne valaient rien aux yeux des services d’Immigration du Canada.
Quand je suis arrivé au centre de détention de Laval, j’ai dû faire face à un autre monde qui m’a complètement choqué. En voyant tous ces regards des personnes qui se trouvaient en détention, remplis de désolation, de tristesse et de désespoir, j’ai été vraiment profondément affecté émotion-nellement. C’était des personnes qui, tout comme moi, avaient quitté leur pays pour chercher une vie meilleure et nous nous retrouvions tou.te.s là, ensemble, à respirer un air de tristesse, de solitude et de désespoir. Je me sentais dévasté par tout ce que j’étais en train de vivre. Je n’avais per-sonne avec qui partager ma douleur. La première nuit, je n’ai pas dormi parce que j’étais submergé dans un océan de tristesse et de frustration. Je dormais entouré d’hommes qui venaient de plusieurs pays que je ne connaissais pas. Le lendemain matin, après le déjeuner, je suis retourné à ma chambre; je n’étais pas d’humeur pour socialiser. Je me suis mis à regarder le soleil par la fenêtre et en regardant vers l’édifice d’en face, j’ai aperçu des enfants qui jouaient dans une petite cour entourée de barbelés et de murs de sécurité avec des agent.e.s qui les surveillaient. À ce mo-ment là, je n’ai pas pu retenir mes larmes en imaginant que ces enfants se trouvaient dans les mêmes conditions que moi« Je me suis écroulé et j’ai été envahi d’un sentiment indescriptible!... Tout à coup, j’ai senti une main qui me touchait l’épaule. En me retournant, j’ai vu que c’était un homme qui dormait dans mon dortoir. Il venait d’Indonésie. Il m’a dit que c’était le prix que nous devions payer, nous, les personnes sans papiers. Je lui ai demandé si ces enfants étaient aussi en détention et il m’a répondu que « oui «, qu’ils faisaient partie d’une famille entière placée en détention. Je ne pouvais pas arrêter de me demander : « comment, mon Dieu, peut-on permettre que des enfants aient à vivre des expériences si souffrantes? «. Et je me demandais pourquoi personne ne faisait rien pour éviter que des enfants vivent une telle expérience.
En ce moment, je me trouve dans mon pays, vivant dans l’anonymat, caché afin d’éviter d’être agressé ou assassiné. Je vis dans la peur et l’incertitude, jour après jour. Je regrette d’avoir quitté le Canada. Je pense parfois que ça aurait été peut-être mieux d’y vivre sans statut. Cependant, comme je ne peux pas retourner dans le passé, j’essaie de survivre au jour le jour. Je remercie toutes les personnes et groupes qui m’ont appuyé pendant ce dif-
ficile processus qu’a été l’expérience d’être demandeur d’asile au Canada.
Votre ami,
Manuel
une lettre par Manuel Sanchez
la détention des migrant.e.s
Bâtir Une Cité sans Frontières Printemps 2013 page 32
Témoignage d'une personne refusée