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MUSÉES DE VILLEDIEU-LES-POÊLES 25 rue Général Huard 50800 VILLEDIEU LES POÊLES
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Association agréée Education Nationale par arrêté de M. le Recteur de l'Académie de Caen de janvier 2018
Bonjour à toutes et tous,
Cette lettre d’info est consacrée à un lieu-
dit de Villedieu qui a disparu et dont les
traces sont ténues. Pourtant, les « Croix Bri-
sées » furent pendant des siècles le lieu de
sépulture des lépreux, pestiférés et condam-
nés de la commanderie de Villedieu.
Retour sur une histoire oubliée.
Bonne lecture à toutes et tous !
Philippe Clairay Directeur des Musées et du Patrimoine
Commune de Villedieu -les-Poêles-Rouffigny
n°80– avril-mai-juin 2020 Association Villedieu Culture Art et Tradition-2020
Le lieu-dit des Croix Brisées
représenté sur le cadastre de
1818 (AMVLP)
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HISTOIRE
À Villedieu, au moyen-âge, le cimetière pa-
roissial entoure l’église Notre-Dame. Traditionnel-
lement, les nobles et les personnalités religieuses et
civiles sont enterrés dans le chœur de l’église tan-
dis que le reste de la population trouve sa sépulture
dans le cimetière extérieur, qui étaient originelle-
ment clos d’un mur et par lequel on accédait par
deux portes, et, nous disent les papiers terriers de
la Commanderie (sortes de cadastres anciens), par
des marches, preuve que le niveau du sol était bien
plus bas qu’à l’heure actuelle. Un nouveau cime-
tière est créé sur la route de Caen en 1763, pour
des raisons d’hygiène et de saturation. Parallèle-
ment à cette histoire du cimetière paroissial, un
autre cimetière avait été créé à l’angle de la route
de Caen et de la rue aux Mézeaux, afin d’y donner
sépultures aux contagieux et plus particulièrement
aux pestiférés. On ne connaît pas la date de son
établissement, mais il est probablement très ancien
et très certainement lié aux premiers temps de
l’établissement de l’ordre de Saint-Jean-de-
Jérusalem (actuel Ordre de Malte) à Villedieu, au
début du XIIe s. En effet, il existait à Villedieu,
dans la rue aux Mézeaux (littéralement la rue aux
lépreux), une maladrerie, évoquée dans notre lettre
d’info n°64 consacrée à la lèpre. Ce cimetière des
contagieux se situait au bout de cette même rue.
Avec les épidémies de peste et de choléra qui vont
survenir au fil des siècles, les sépultures vont se
multiplier en ce lieu. À l’origine, deux croix de
granit dominaient l’endroit.
Plan de la commanderie de Villedieu (détails) en 1740. On y voit
(parcelle 13) le lieu-dit des Croix-Brisées où deux calvaires sont
identifiés.
Un événement va émailler l’histoire de ce
cimetière. Dans le contexte violent des Guerres de
Religion, le 17 août 1562, un groupe de Protes-
tants, qu’on surnommait alors péjorativement les
« Huguenots », fait irruption dans l’église Notre-
Dame et se livre à des pillages et des destructions1.
Poursuivant leur razzia, ils se déplacent plus haut
dans le bourg, et vont jusqu’à abattre les deux
croix dudit cimetière. Depuis lors, ce triangle de
terre est appelé « les Croix-Brisées ».
Le papier terrier de la Commanderie rédigé
en 1680 (sorte de cadastre), évoque ce lieu-dit des
Croix Brisées ainsi qu’une place appelée « place
aux Ladres » (aux lépreux), qui se situerait selon ce
texte en haut de la rue Lucette actuelle. Voici
l’extrait : « La rue de la Carrière [actuelle rue Jules
Ferry] qui vient de la rivière des Costils, conduit
jusqu’au lieu nommé la Butte ou la Place aux
Ladres [près de laquelle se trouvait la léproserie],
et ensuite est la rue aux Ladres [rue aux Mézeaux]
qui conduit jusqu’aux Croix Brisées et qui sépare
cette bourgeoisie [Villedieu] du fief de la Denai-
sière [Sainte-Cécile] ».
Dans ce même papier terrier de 1680, il est
décrit « […] une place où sont les croix de ce lieu,
joint d’un côté au chemin allant de Villedieu à
Caen, d’autre côté à la rue de la Carrière […] où on
1 J. Grente et O. Havard, Villedieu-les-Poêles, sa commanderie, sa bourgeoisie, ses métiers, T1, p. 153.
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a coutume d’y faire les sépultures des corps décé-
dés de la peste et autres maladies contagieuses ».
Un autre extrait du papier terrier de la Com-
manderie de Villedieu, datant de mai 1710, donne
davantage de détails : « [du carrefour des routes de
Caen et Saint-Lô] De là, ayant continué de marcher
le long du chemin de Caen l’espace de dix-sept
perches [env. 100 m], nous sommes parvenus à une
place, qu’on nomme les Croix Brisées, où l’on a
accoutumé de faire les sépultures des corps décé-
dés de la peste, ou autres maladies contagieuses,
sur laquelle sont plantées deux croix de carreau
[granit], et a neuf perches de longueur [env.60 m],
dont l’arpentage ayant été fait par ledit Le Raoult il
nous a rapporté que ladite place y compris une
petite langue de terre qui est sur le chemin du côté
du bourg contient trente-cinq perches [env. 1500
m²], après lequel arpentage nous nous sommes
transportés jusqu’à la chapelle Saint-Etienne, dis-
tante de l’extrémité de ladite place des Croix Bri-
sées de quarante-six perches, et avons trouvé que
ladite chapelle est assise dans une place qui con-
tient dix perches suivant l’arpentage dudit Le
Raoult, et qu’elle est en bonne réparation, de la-
quelle chapelle nous avons continué de marcher le
long du chemin de Caen, jusqu’à la place où
étaient assises autrefois les fourches patibulaires, et
en avons encore remarqué quelques vestiges, la-
quelle place est distante de la chapelle de Saint-
Etienne de trente perches de contenance.
[nous retranscrivons ici la suite qui est éga-
lement très intéressante]
Enfin dudit lieu susdit nous avons continué
notre chemin l’espace de dix-huit perches jusqu’à
un fossé qui est entre les héritages appartenant aux
héritiers de maître Gilles Sevaux et aux héritiers de
maître Richard Potrel, lequel fossé fait séparation
entre la commanderie et bourgeoisie de ce lieu,
avec les terres de la seigneurie de la Roche-Tesson
et paroisse de la Colombe.
Les fourches patibulaires consistaient en des
piliers de pierre réunis au sommet par des traverses
de bois auxquelles on attachait les criminels, soit
qu'on les pendît aux fourches mêmes, soit que,
l'exécution ayant été faite ailleurs, on les y exposât
ensuite à la vue des passants. Le nombre des piliers
variait suivant la qualité des seigneurs: les simples
gentilshommes hauts-justiciers en avaient deux, les
châtelains trois, les barons quatre, les comtes six,
les ducs huit; le roi seul pouvait en avoir autant
qu'il le jugeait convenable. »
Les criminels étaient enterrés dans le cime-
tière des Croix Brisées, mais là encore, comme
pour les malades d’épidémies, nous ne pouvons
donner de chiffres, même approximatifs, sur le
nombre d’exécutions qui furent prononcées et le
nombre de corps qui y furent inhumés.
Exemple de fourches patibulaires à Plourin (Finistère)
Nous ne savons pas précisément quand a été
abandonné le cimetière des Croix-Brisées, nous ne
pouvons que supposer qu’il le fut au moment du
transfert du cimetière de l’église. En effet, comme
nous l’avons rappelé plus haut, face à la saturation
et aux risques d’épidémies, le conseil de fabrique,
les élus et les habitants décident en assemblée, le
27 janvier 1763, du transfert du cimetière qui
entourait l’église Notre-Dame dans un nouveau
lieu de sépulture aménagé route de Caen (cimetière
actuel), près de la chapelle Saint-Etienne
(aujourd'hui disparue).
La chapelle Saint-Etienne vers 1950 (Photo AOA de la
Manche)
4 Intérieur de la chapelle Saint-Etienne, décor peint à têtes de
mort et larmes. (Photo AOA de la Manche)
Seule l’archéologie pourrait nous permettre
d’en savoir davantage sur l’importance du cime-
tière des Croix-Brisées, car les informations histo-
riques le concernant sont très faibles. Un calvaire
semble avoir été néanmoins érigé afin de matériali-
ser cet ancien cimetière puisqu’il en apparaît un sur
le cadastre de 1818, à moins qu’il ne s’agisse d’une
des croix laissée en place.
La parcelle de l’ancien cimetière des Croix-Brisées
rapportée sur le cadastre actuel.
La place des Croix Brisées aujourd’hui
Séparé du centre-ville d’environ 600 mètres
à vol d’oiseau, ce cimetière était, comme dans bien
d’autres paroisses, un lieu de mise à l’écart des
cadavres des contagieux, et donc une façon de pro-
téger la population des épidémies auxquelles elle
était régulièrement confrontée. Nous avons vu ré-
cemment des images inouïes de fosses communes
réunissant des morts de la Covid-19, notamment
près de New-York (USA). De ce point de vue, les
choses n’ont que peu évolué…
EXPOS ET CLICS
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rouvert leurs portes depuis
le 25 mai. Lors de votre
visite, le port du masque est
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découvrir l’exposition :
« Terre de Sienne, une
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ainsi qu’une collection
inédite de dentelle au filet,
présentée cette année dans l’espace dentelle du
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