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  • PIRE QUE LA MORT ?PAR LE GENERAL HENRY-JEAN

    Y a-t-il pire que la mort ?Oui, répond résolument le général Henry-Jean Fournier qui, depuis huit ans, à la tête de l'association nationale pour la mémoire

    des militaires portés disparus durant la guerre d'Algérie (Soldis Algérie), consacre ses efforts à retrouver la liste nominative de ces

    oubliés de l'histoire qui, pour leurs familles et leurs compagnons d'armes, ne sont « ni morts, ni vivants ».

    ar si la mort est unerupture définitive, uneabsence irrémédiablemais palpable du Tait dela prêsence du corps qui

    permet, peu à peu, de faire le deuildu mort, la disparition est un dramesans fin, une absence indéfinie quine permet jamais de mettre un termeà la souffrance, comme on fermeun tombeau, puisqu'il n'y a pas detombeau.Le rituel qui accompagne la mort d'unsoldat permet, lentement, de l'accepter,certes comme une fatalité, mais del'accepter tout de même. Le récit desfaits qui ont entouré et provoqué cettemort, le témoignage des camarades,Ies textes de citations facilitent le travailde deuil pour ceux qui vont désormaisvivre dans le souvenir.Mais lorsqu'un militaire est porté disparu,

    c'est le doute qui s'installe et devient Iasource d'une espérance permanente : iln'est peut-être pas mod !

    Doute administratif tout d'abord, avecl'implacable mécanique réglementairequi se met en marche et débute par unepremière étape consistant à déclarer* l'absent , en absence irrégulière qui,au terme d'un délai défini (quelquessemalnes) se transforme en désertion.Cette suspicion s'accompagne alorsd'une enquête de gendarmerie, quivient au domicile du disparu et dontles questions jettent l'opprobre sur lafamille, en cette époque des annéescinquante où la désertion était ressentiecomme un crime honteux.

    Doute introduit également Par laprocédure qui se matérialise, commepour t'annonce de la moft, Par un brefmessage du cheÏ de corps destiné à lafamille. Dès lors, le tourment s'installedevant les interrogations qui surgissentnaturellement : que s'est-il Passé ?qu'esJ-il devenu ? où est-il ? souffre-t-it ?'Et ce doute devient espérance lorsque,quelques semaines plus tard, le chefde corps, croyant bien faire, décrit

    brièvement, dans une lettre à la famille,les circonstances de la disparitionet ouvre généreusement une fenêtred'espérance en affirmant que l'onfait tout le possible pour retrouver ledisparu.Padois, cette espérance est conforléepar un courrier reçu du prisonnier,laissant alors espérer la libération decelui-ci.

    Puis, plus rien, parlois pendant desannées ; rien que des rumeurs, desfantasmes nés de l'imagination meurlriepar l'absence. En ce temps-là, iln'existait aucun soutien psychologiqueet les familles étaient laissées à elles-mêmes, atvec leurs souffrances, leursinterrogations, leurs doutes et leursespoirs : et souvent aussi, sans aucuneaide matérielle, notamment pour cellesqui n'étaient pas vraiment des veuveset leurs enfants, qui n'étaient Pasvraiment des orphelins.Comment, dès lors, parler d'unpère qui n'est plus là ? Commentenvisager l avenir pour une ieunefiancée ? Comment admettre la Perte-hypothétique- d'un fils ?

    En outre, il était hors de question, pour

    les responsables civils et militairesdu moment, de laisser savoir quedes militaires de l'armée françaiseavaient pu être capturés, dans desdépartements français, sous le contrôlede la justice et de la police françaises,par des " rebelles ", à l'occasion dece qui n'était alors que des opérationsde . maintien de l'ordre ". Un silencetotal entourait donc les disparus, mêmelorsque Ia disparition avait concernéun groupe important, de sorle que lesfamilles concernées n'avaient aucunmoyen d'entrer en relation entre elles etde se porler mutuellement as§istance.

    Cela dura jusqu'à la fin de la guerreet bien au-delà, puisque, à partir ducessez-le-feu, les disparitions aucombat furent alors remplacées pardes enlèvements, disparitions forcées.Les accords de cessez-le-feu ne

    furent pas accompagnés, comme aulendemain de Ia plupart des conflits,par la libération des soldats français. présumés prisonniers ". Pour uneraison très simple : la France ignoraitcombien de soldats elle avait ainsiperdu. Les plénipotentiaires français àEvian ne possédaient en effet aucuneliste de prisonniers détenus. Seuls unedizaine de soldats français furent alorsrelâchés, parTois à la suite d'une forteinsistance de parlementaires indignéspar la passlvité du gouvernement,ce qui donna lieu à de belles joutesoratoires à l'Assemblée ou au Sénat età quelques fabuleux mensonges sur leschiffres officiels.

    Dans l'année qui suivit l'indépendancede l'Algérie, Ies autorités françaisesdécidèrent alors de clore ce dossierépineux, de la seule manière possiblequi était, légalement, de faire prononcerjuridiquement Ie décès des disparus.

    Un exemple parmi des centainesd'autres est celui du lieutenantPhilippe Mongault, officier des Affairessahariennes, porlé disparu le 21 mai1959, à la suite d'une embuscade.Depuis la disparition de son mari,madame Mongault n'a cessé de garder

    l'espoir qu'il est toujours vivant.

  • LE CASOAR . JUILLET 2O2O . N" 238

    La surprise est donc brutale, lorsqu'ellereçoit, fin 1963, la visite du maire deson village, chargé de venir lui annoncerque, selon les renseignementsdétenus par l'armée, son mari doitêtre considéré comme mort et que lesprocédures administratives de décèsont été lancées. Désemparée, elle setourne vers la promotion de son mari(,, Lieutenant-colonel Amilakvari )),54-56) qui s'adresse à La Saint-Cyrienne, pour, au moins, aPPrendrecomment son mari est mort. Laffaireremonte alors au ministre des Armées(Messmer), qui signe une réPonserésumant l'attitude du gouvernementvis-à-vis du problème des prisonniers :

    " Aussi cruelle que soit I'incerlitude danslaquelle nous reslons au suiet du sortdes militaires français, porlés disparusau cours des opérations de maintiende l'ordre en Algérie, il faut bien réaliserqu'en 1964, et dans l'état actuel de nosrelations avec I'Apérb, si ces militairesétaient prisonniers, leur existence seraitconnue. C'est pourquoi, dans I'intérêt

    même des familles qui ont souvent dedélicates questions à régler, i'ai prescritque soient entamées les procéduresaboutissant aux iugements déclaratifsde décès et à I'attribution de la mentionn Mori pour la France ,.Et le ministre conclut, en se déchargeantsur La Saint-Cyrienne de la réponse àdonner à madame Mongault :

    " Je ne doute pas que, fidèle à latradition et aux buts de La Saint-Cyrienne, vous n'ayez à cæur de fairecomprendre à madame Mongaultcombien les chances d'obtenir Plusde précisions sur le décès de son marisont faibles et à I'aider à faire face à une

    triste réalité. ,Face à cette inhumaine froideuradministrative, on comprendra que descentaines de familles tombèrent dansle désespoir le plus profond, devant undeuil impossible, mais gardant malgrétout l'espérance d'un retour ou denouvelles. Le moindre coup de sonnetteà la porte ravivait chaque fois cetteespérance. Des rites s'instaurèrent,

    comme celui de dresser le couvert dudisparu à la table familiale. Des maniesnaquirent, comme celle de cette mèrerefusant, jusqu'à sa mort, de quittersa demeure, même quelques instants,pour être là quand n il , reviendrait.Des parents moururent de chagrin,littéralement.Aujourd'hui, presque soixante ansaprès les faits, les militaires portésdisparus durant la guerre d'Algérie sontmorts une seconde fois car leur nom aété oublié : il n'en existe aucune listeofficielle.C'est pour réparer cet oubli quel'association Soldis Algérie, soutenuepar le Secrétariat d'État aux ancienscombattants, souhaite, aPrès avoirdressé la liste nominative aussi préciseque possible des disparus, offrir à leurmémoire le tombeau qu'ils n'ont jamais

    eu et à leurs familles et leurs proches,un lieu de recueillement qui apaise leurdeuil.

    III

    UN MONUMENT

    POUR LES MILITAIRES PORTÉS DISPARUS

    EN ALGERIE

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    À titre de reconnaissance morale pour les souffrances endurées par lesfamilles et les compagnons d'arme des disparus, Soldis Algérie souhaiteélever à leur mémoire un monument rappelant leurs noms et leursacrifice.Ce monument sera le fruit d'une souscription nationale, recueillie parle Souvenir Français, qui délivre un reÇu fiscal pour tout don adresséà son ordre.Monument SOLDIS20 avenue E. Flachat 75017 ParisRenseignements : soldis.algerie@orange.fr