Solidarité Guatemala 188

12
processus de négociations après avoir inclus la médiation du président Oscar Arias et, sans sur- prise, elle a donné son aval aux élections prési- dentielles. Néanmoins, les élections du 29 novembre der- nier se sont tenues sous un régime putschiste marqué par les disparitions extrajudiciaires, les meurtres, la répression et la torture. En outre, ces élections se sont faites sans la reconnais- sance du peuple hondurien et d’une grande par- tie de la communauté internationale. Initiale- ment, seuls les gouvernements des États-Unis, du Panama, de la Colombie et de la République dominicaine ont reconnu les résultats électo- raux : une marée abstentionniste (environ 60%) de laquelle « Pepe Lobo » est sorti gagnant. Quant à l'Union européenne, elle se préoccupe davantage de la stagnation des négociations des Accords d'association qui doivent déboucher sur la signature de traités de libre commerce avec l'Amérique centrale, que du retour de l'ordre dé- mocratique. Jusqu’à présent, la France et l'Espa- gne ont reconnu le gouvernement né des élec- tions frauduleuses. Les secteurs démocratiques de la région et des organisations humanitaires au niveau internatio- nal, ont quant à eux suivi les demandes et les as- pirations des majorités honduriennes. Dans le premier cas, la résistance civile a été or- ganisée le jour même du coup d’État militaire. Différentes organisations étudiantes, sociales, paysannes, indiennes, syndicales et de femmes ont réussi à converger dans le Front national de résistance populaire contre le coup d’État (FNRP), non seulement pour exiger le retour de l'ordre démocratique, mais aussi pour élargir les demandes du peuple hondurien : l'avancée des transformations impulsées par Zelaya, la réali- sation d’un référendum populaire et l'instaura- tion d'une Assemblée nationale constituante. Cependant, une minorité au sein de la résistance constituée par les secteurs sociaux et des partis politiques de gauche, qui considérait nécessaire de participer aux élections de novembre, colla- la n° 188 Janv.—Fév. 2010 Sommaire Édito p. 1 Honduras : du coup d'État aux élections frauduleuses par Miguel Ceto Actualité p. 3 Bilan 2009 de la violence au Guatemala : une augmen- tation préoccupante par Cynthia Benoist Le conflit agraire ancestral de la région Ixil accentué par l’installation du méga- barrage hydroélectrique Xacbal par Amandine Grandjean Activités p. 8 Atelier de formation vidéo à Sololá par Alain Bivel Brèves p. 9 Bloc-Notes p. 11 Collectif Guatemala p. 12 Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris - France Tel/Fax : + 33 (0) 1.43.73.49.60 [email protected] http://collectif-guatemala.chez-alice.fr/ Permanence : mercredi, jeudi, vendredi Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69 Ont participé à ce numéro : Cynthia Benoist, Alain Bivel, Anne Boucher, Miguel Ceto, Amandine Grandjean, Isabelle Tauty C omme nous l’avons signalé antérieu- rement 1 , en raison de l'isolement in- ternational et de la résistance popu- laire, les putschistes honduriens ont trouvé dans les élections de novembre une alter- native pour surmonter la crise et une manière d’empêcher le retour au pouvoir de Manuel Ze- laya. En ce sens, les secteurs conservateurs et réac- tionnaires du pays ont trouvé en Porfirio Lobo Sosa, le candidat idéal : un propriétaire terrien et entrepreneur de la région d'Olancho 2 , membre du Parti national -duquel il a été député par trois fois- et surtout, un dirigeant qui a appuyé le coup d'État contre Zelaya et les actions de Ro- berto Michelleti. Tout cela a également été rendu possible grâce à l'appui et la complaisance offerts par l'armée hondurienne, les médias, la hiérarchie catholi- que, l'oligarchie nationale et régionale, ainsi que le gouvernement des États-Unis. D’un côté, les secteurs traditionnels de pouvoir ont vu dans le mouvement social lié à Zelaya l'avancée des idées liées au chavisme, au cas- trisme et au gouvernement bolivien dans la ré- gion. Autrement dit, un mouvement social et politique qui mettait en danger le statu quo du système et qui rendait nécessaire son élimina- tion à tout prix, incluant la violence et la mort. Pour illustrer cette mentalité de l'oligarchie en Amérique centrale, on peut citer la "visite de courtoisie" qu'ont donnée vingt-cinq représen- tants du secteur patronal guatémaltèque au gou- vernement putschiste de Michelleti 3 , malgré la condamnation unanime de la communauté inter- nationale, surtout des pays membres de l'Alter- native bolivarienne des Amériques (ALBA), l'Union des nations sud-américaines (UNASUR), l'Organisation des États américains (OEA) et des Nations unies. D’autre part, l'administration de Barack Obama a implicitement appuyé le coup d'État au Hon- duras, accordant la même importance aux négo- ciations avec les putschistes qu’avec le gouver- nement de Zelaya. Elle a également retardé le 1 Guatem Solidarité Lettre des adhérents du Collectif Guatemala Bimestriel Solidarité Guatemala n°188 janv.-fév. 2010 Honduras : du coup d'État aux élections frauduleuses par Miguel Ceto

description

Édito: Honduras du coup d'État aux élections frauduleuses Actualités: Bilan 2009 de la violence au Guatemala / Le conflit agraire ancestral de la région Ixil Activités: Atelier de formation vidéo à Sololá

Transcript of Solidarité Guatemala 188

Page 1: Solidarité Guatemala 188

processus de négociations après avoir inclus la médiation du président Oscar Arias et, sans sur-prise, elle a donné son aval aux élections prési-dentielles.

Néanmoins, les élections du 29 novembre der-nier se sont tenues sous un régime putschiste marqué par les disparitions extrajudiciaires, les meurtres, la répression et la torture. En outre, ces élections se sont faites sans la reconnais-sance du peuple hondurien et d’une grande par-tie de la communauté internationale. Initiale-ment, seuls les gouvernements des États-Unis, du Panama, de la Colombie et de la République dominicaine ont reconnu les résultats électo-raux : une marée abstentionniste (environ 60%) de laquelle « Pepe Lobo » est sorti gagnant.

Quant à l'Union européenne, elle se préoccupe davantage de la stagnation des négociations des Accords d'association qui doivent déboucher sur la signature de traités de libre commerce avec l'Amérique centrale, que du retour de l'ordre dé-mocratique. Jusqu’à présent, la France et l'Espa-gne ont reconnu le gouvernement né des élec-tions frauduleuses.

Les secteurs démocratiques de la région et des organisations humanitaires au niveau internatio-nal, ont quant à eux suivi les demandes et les as-pirations des majorités honduriennes.

Dans le premier cas, la résistance civile a été or-ganisée le jour même du coup d’État militaire. Différentes organisations étudiantes, sociales, paysannes, indiennes, syndicales et de femmes ont réussi à converger dans le Front national de résistance populaire contre le coup d’État (FNRP), non seulement pour exiger le retour de l'ordre démocratique, mais aussi pour élargir les demandes du peuple hondurien : l'avancée des transformations impulsées par Zelaya, la réali-sation d’un référendum populaire et l'instaura-tion d'une Assemblée nationale constituante.

Cependant, une minorité au sein de la résistance constituée par les secteurs sociaux et des partis politiques de gauche, qui considérait nécessaire de participer aux élections de novembre, colla-

la n° 188 Janv.—Fév. 2010

Sommaire

Édito p. 1

Honduras : du coup d'État aux élections frauduleuses par Miguel Ceto Actualité p. 3

Bilan 2009 de la violence au Guatemala : une augmen-tation préoccupante par Cynthia Benoist

Le conflit agraire ancestral de la région Ixil accentué par l’installation du méga-barrage hydroélectrique Xacbal par Amandine Grandjean Activités p. 8

Atelier de formation vidéo à Sololá par Alain Bivel Brèves p. 9 Bloc-Notes p. 11 Collectif Guatemala p. 12

Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire

75011 Paris - France Tel/Fax : + 33 (0)

1.43.73.49.60 [email protected]

http://collectif-guatemala.chez-alice.fr/

Permanence : mercredi, jeudi, vendredi

Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69

Ont participé à ce numéro : Cynthia Benoist, Alain Bivel, Anne Boucher, Miguel Ceto, Amandine Grandjean, Isabelle Tauty

C omme nous l’avons signalé antérieu-rement1, en raison de l'isolement in-ternational et de la résistance popu-laire, les putschistes honduriens ont

trouvé dans les élections de novembre une alter-native pour surmonter la crise et une manière d’empêcher le retour au pouvoir de Manuel Ze-laya.

En ce sens, les secteurs conservateurs et réac-tionnaires du pays ont trouvé en Porfirio Lobo Sosa, le candidat idéal : un propriétaire terrien et entrepreneur de la région d'Olancho2, membre du Parti national -duquel il a été député par trois fois- et surtout, un dirigeant qui a appuyé le coup d'État contre Zelaya et les actions de Ro-berto Michelleti.

Tout cela a également été rendu possible grâce à l'appui et la complaisance offerts par l'armée hondurienne, les médias, la hiérarchie catholi-que, l'oligarchie nationale et régionale, ainsi que le gouvernement des États-Unis.

D’un côté, les secteurs traditionnels de pouvoir ont vu dans le mouvement social lié à Zelaya l'avancée des idées liées au chavisme, au cas-trisme et au gouvernement bolivien dans la ré-gion. Autrement dit, un mouvement social et politique qui mettait en danger le statu quo du système et qui rendait nécessaire son élimina-tion à tout prix, incluant la violence et la mort. Pour illustrer cette mentalité de l'oligarchie en Amérique centrale, on peut citer la "visite de courtoisie" qu'ont donnée vingt-cinq représen-tants du secteur patronal guatémaltèque au gou-vernement putschiste de Michelleti3, malgré la condamnation unanime de la communauté inter-nationale, surtout des pays membres de l'Alter-native bolivarienne des Amériques (ALBA), l'Union des nations sud-américaines (UNASUR), l'Organisation des États américains (OEA) et des Nations unies.

D’autre part, l'administration de Barack Obama a implicitement appuyé le coup d'État au Hon-duras, accordant la même importance aux négo-ciations avec les putschistes qu’avec le gouver-nement de Zelaya. Elle a également retardé le

1

Guatem Solidarité

Lettre des adhérents du Collectif Guatemala Bimestriel

Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Honduras : du coup d'État aux élections frauduleuses par Miguel Ceto

Page 2: Solidarité Guatemala 188

Edito de solidarité envers le peuple hondurien sont évidentes, en Grèce, en Italie, en Es-pagne ou en France, à travers l’organisa-tion de meetings de solidarité répudiant les violations des droits de l'Homme de la part des forces armées et des groupes paramilitaires, ainsi que de forums ou de débats sur les implications politiques d'un coup d’État au XXIe siècle. En France, le travail d’Alerte Honduras4 est un exemple de l'importance de la conver-gence de différentes expressions politi-ques et de l'internationalisation des luttes sociales5.

Pour cela, il est nécessaire de suivre les luttes sociales qui se développent en Amérique latine, dans ce cas précis, le travail infatigable du Front national de résistance populaire contre le coup d’É-tat, et ce malgré le harcèlement constant des forces de police depuis plus de huit mois. Leur travail consiste maintenant à

organiser et à mobiliser la population hondurienne, en mettant en évidence le fait que les élections du 29 novembre dernier ne constituent pas la sortie de la crise ni le « Plan de Nation » que projette le régime actuel.■

bore aujourd’hui au gouvernement de Porfirio Lobos. Le cas de Marvin Ponce reflète cette attitude opportuniste : après avoir été élu député par l’Unification dé-mocratique (UD), il a opéré un virage à droite en intégrant le comité directeur du Congrès national. De ce fait, il affaiblit l’unité créée entre les mouvements so-ciaux et les partis politiques de gauche qui soutiennent la mobilisation sociale, et il trahit les revendications du FNRP.

Un autre exemple est la création du Front guatémaltèque en résistance avec le peu-ple hondurien. Une initiative populaire qui organise des rapprochements avec des organisations sociales victimes du coup d'État, ainsi que des activités de dé-nonciation des secteurs et des institutions qui appuient le régime, par exemple le Tribunal suprême électoral guatémaltè-que.

Enfin, au niveau international, les actions

2 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

1 Miguel Ceto. Honduras : « Le régime putschiste doit tomber ! » La Gauche , 8 octobre 2009. http://www.lagauche.com/lagauche/spip.php?article2537 2 Il est également diplômé de l’Université de Miami en Administration d’entreprises. 3 Parmi les personnalités qui se sont rendues au Honduras, on peut citer : Otto Kushiek, Armando Asturias, Hans Peter, Francisco Botrán, Diego Mo-reno, Rodrigo Aparicio, Roberto Díaz Scharwz, Jean Paul Morel, José Manuel Moreno Botrán y Gerardo Poitevin, tous membres de l’oligarchie guatémaltè-que. Elperiodico, Guatemala, mercredi 19 août 2009. 4 http://www.alerte-honduras.org/ 5 Cettte perspective internationaliste se retrouve au niveau du FNRP qui s’est solidarisé avec plusieurs luttes, comme récemment avec le peuple d’Haïti. Voir communiqués : http://contraelgolpedeestadohn.blogspot.com/

5 juillet 2009 : Le jour du retour du président destitué Manuel Zelaya, des milliers de personnes (estimées à 100 000) se sont réunies à l’Université pédagogique afin de

se rendre à l’aéroport Toncontin. La présence des forces de sécurité était massive.

©James Rodriguez mimundo.org

Page 3: Solidarité Guatemala 188

Un autre détachement militaire est prévu à San Marcos et à Izabal, deux régions qui connaissent actuellement une aug-mentation conséquente de la conflictuali-té sociale, due en particulier à l'installa-tion ou la continuation de projets d'ex-ploitation des ressources naturelles.

Remilitarisation du pays et criminali-sation du mouvement social

Dans ce contexte, la remilitarisation du pays peut être vue comme une manière pour le gouvernement d'assurer ses arriè-res en cas d’aggravation des conflits so-ciaux. Cependant, les raisons officielles sont d'assurer la sécurité des citoyens et de lutter contre le narcotrafic. En outre, il est vrai que dans nombre de régions, la population demande la présence de l'ar-mée pour maintenir l'ordre et la sécurité.

traient le fonctionnement réel du système de justice, proposait des mesures phares qui n'ont jusqu'ici pas été mises en œu-vre. C'est notamment le cas de la créa-tion du ministère de la Sécurité. Mieux encore, le budget alloué au ministère de l'Intérieur a été réduit. Au travers de ces décisions, on peut se demander quelle est la stratégie sécuritaire du gouvernement Colom. En effet, au-delà de campagnes de publicité et de débats nationaux sur le thème de la violence, la réponse du gou-vernement en matière sécuritaire est loin d'être claire. Discours d'un côté, actions de l'autre. Réduire le budget du ministère de tutelle de la police nationale est un signe que la volonté du gouvernement n'est pas aussi forte qu'elle puisse sem-bler à première vue. Surtout, à y regarder de plus près, on constate que si stratégie il y a, elle est plus proche de celle des gouvernements antérieurs que de celle d'un gouvernement social-démocrate comme se voudrait Colom et ses compar-ses de l'UNE (Union nationale de l'espé-rance). Ainsi, Colom a favorisé tout au long de l'année 2009 le ministère de la Défense, notamment au travers de trans-ferts de budgets d'un ministère à l'autre. En outre, 2009 a été l'année de la réou-verture de différentes brigades et déta-chements militaires, comme celui de Playa Grande en Ixcán, qui n'avait plus été en service depuis la fin du conflit ar-mé. « L'armée au service de l'humanité »3, selon les propres mots du Président, aura donc à charge de protéger plusieurs départements qui ont en commun le fait d'être sur le passage de la « Frange trans-versale du Nord », méga-projet de com-munication routière et énergétique qui reliera le Mexique à la côte Atlantique du Guatemala.

B ilan global de l'année 2009

Parmi ces quelques 6 472 ho-micides, le Groupe d'appui mutuel (GAM) en reconnaît

3 949 comme étant des morts violentes, c'est-à-dire, excluant les homicides invo-lontaires et ne comptabilisant que les meurtres. (Voir le tableau ci-contre)

Toujours selon les analyses du GAM, ce chiffre représente une augmentation de 20% par rapport à 2008, soit 644 morts supplémentaires. Ce point de vue est in-téressant si on le compare avec celui du gouvernement. En effet, ce dernier cal-cule à peine 5% d'augmentation des ho-micides sur 2009, car il inclut dans les chiffres les homicides involontaires. Cela donne alors une impression de réduction de la violence et de la criminalité, en ina-déquation totale avec la réalité vécue des Guatémaltèques.

Cette augmentation est d'autant plus in-quiétante qu'elle ne montre pas de signe de reflux. En outre, 2010 étant une année pré-électorale, on peut s'attendre à une nouvelle année de violence en hausse, sans que les pouvoirs publics ne parvien-nent à mettre en place des politiques effi-caces pour lutter contre la criminalité.

Pourtant, différents événements de 2009, conjugués à la pression de différents ac-teurs de la société civile (églises catholi-que et protestante, Université de San Carlos, Bureau du procureur des droits de l’homme, etc.) avaient poussé le gou-vernement à instaurer une table de dialo-gue sur le problème de la sécurité et de la violence, dialogue qui avait donné nais-sance à l'Accord national sur la sécurité2. Cet accord, constitué principalement de réformes institutionnelles qui permet-

Actualités

3 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Bilan 2009 de la violence au Guatemala : une augmentation préoccupante par Cynthia Benoist

Comme chaque fin d'année, le Guatemala compte ses morts. Et comme chaque début d'année, différentes organisations dévoilent leur bilan de l'année passée concernant la violence. A coup de chiffres effrayants, chacun essaie d'expliquer pourquoi la violence a augmenté, pour la dixième année consécutive. Cette année, ni le gouvernement, ni la Police nationale civile (PNC) n'ont publié de chiffres officiels sur le nombre de morts. Des sources internes de la police indiquent 6 472 homicides entre janvier et décembre 2009. Malgré ce manque d'information claire et alors même que la loi sur l'accès à l'information publique a été votée en cours d'année, le gouvernement se targue d'avoir réussi à combattre la violence et à la faire reculer. “Un nouveau Guatemala est en train de naître”, comme l'annoncent les affiches du gouvernement dans tout le pays. Et pourtant, plus de 6 000 morts dans un pays comme le Guatemala, ce serait équivalent à plus de 25 000 morts par an en France1.

Morts violentes 2009. Source : GAM.

Page 4: Solidarité Guatemala 188

l'entreprise et surtout, sur les tarifs prati-qués, jugés beaucoup trop élevés pour une population qui n'a souvent qu'une ampoule ou deux dans la maison. Cette lutte sociale a notamment été menée à travers l'arrêt des paiements des factures à l'entreprise. Ainsi à Malacatán, plus de la moitié des usagers ne paie plus ses factu-res à DEOCSA et tente de mettre en œu-vre un réseau « pirate » de distribution.

C'est à la suite d'une coupure générale d'électricité que les habitants de différen-tes localités de San Marcos ont commen-cé à protester et à occuper les axes rou-tiers menant au Mexique, bloquant de ce fait tout le commerce entre les deux pays. Face à cette situation, la décision de l'exé-cutif a donc été de décréter l'état d'ur-gence. Pourtant, 15 jours après et alors que l'ordre était rétabli, l'état d'urgence est prolongé de 15 jours.

C'est pendant ces 15 autres jours que sera assassinée Evelinda Ramírez Reyes, mili-tante du FRENA (Front de résistance pour la défense des ressources naturelles) et du CUC (Comité d’unité paysanne). Prise dans une embuscade alors qu'elle revenait d'une série de réunions sur le problème de Unión Fenosa à la capitale, l'état d'urgence n'a semble-t-il pas suffi à assurer sa sécurité. Par contre, il a bien empêché toute manifestation de la popu-lation pour protester contre son assassi-nat, qui montre pourtant tous les signes d'une exécution ciblée.

Situation des défenseurs des droits hu-mains en 2009

L'assassinat de Evelinda Ramírez débute tristement l'année 2010 pour les défen-seurs des droits humains au Guatemala et ne présage pas de changements immé-diats mais bien au contraire, montre que la tendance ne fléchit pas. Selon le der-nier rapport de UDEFEGUA4, 15 person-nes ont été assassinées en 2009 pour le travail qu'elles effectuaient en faveur des droits du territoire, droits des peuples au-tochtones, droits économiques, sociaux et culturels. Au-delà des morts, 353 agres-sions ont été recensées contre des activis-tes, ce qui représente une augmentation de 36% par rapport à 2008.

Le secteur le plus touché par les attaques est celui des activistes luttant contre l'im-punité et pour la justice (91 attaques, soit une augmentation de 303% par rapport à 2008). Viennent ensuite les syndicalistes

Si cela peut sembler surprenant dans un pays qui a connu 36 ans de guerre civile et dont certains membres de l'armée sont accusés de crimes contre l'humanité pour génocide, la réalité est qu'une partie de la population a davantage confiance en l'ar-mée qu'en la police considérée, à juste titre, comme une institution corrompue et inefficace.

S'ajoute à cette remilitarisation du pays un autre moyen par lequel le gouverne-ment entend assurer et maintenir la « paix sociale », c'est l'instauration d'états d'urgence. L'état d'urgence est un recours exceptionnel par lequel un État entend répondre à une situation de dan-ger immédiat et d'ampleur pour le pays. Il permet aussi de restreindre les libertés individuelles et constitutionnelles des citoyens, telles que : la liberté de réunion et de manifestation, la liberté d'expres-sion, la liberté de mouvement, etc.

Or, le président Colom fait un usage quelque peu différent de l'état d'urgence. Sous couvert de maintenir la sécurité et la gouvernabilité et de lutter contre le narcotrafic, Colom déclare et prolonge les états d'urgence à n'en plus finir. Ain-si, Coatepeque a été maintenu 8 mois sous état d'urgence, en raison du conflit entre la municipalité et les commerçants. A San Juan Sacatepequez en 2008, le gouvernement avait également utilisé cette stratégie pour « apaiser » le conflit social, et en avait profité pour arrêter plus de 80 leaders communautaires en résistance contre le projet de cimenterie « Cementos Progreso ». Enfin, l'exemple le plus récent est celui du département de San Marcos. Suite à des blocages de route en décembre dernier, Álvaro Co-lom a de nouveau usé de son pouvoir pour décréter l'état d'urgence dans tout le département. Prolongé tous les 15 jours depuis le 22 décembre, il est toujours en vigueur au moment d'écrire ces lignes.

Les blocages de route à l'origine de ce décret étaient liés au conflit existant en-tre la population et l'entreprise espagnole Unión Fenosa dont la filiale, DEOCSA, est chargée de la distribution de l'énergie électrique dans le département. Depuis des années déjà, un mouvement de base d'ampleur revendique le droit à une ges-tion publique de la distribution électri-que, à travers la création d'entreprises municipales. Les revendications portent également sur les mauvais services de

Actualités

4 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

(augmentation de 255%) et les journalis-tes (augmentation de 358%).

En outre, il est intéressant de noter que les défenseurs des droits politiques et civils et des droits économiques, sociaux et culturels sont victimes d'attaques et de menaces dans les mêmes proportions. Cela signifie une augmentation des atta-ques contre les personnes revendiquant les droits du territoire en défense des droits des peuples autochtones. Cela a été plus particulièrement vrai en 2009 dans quelques cas emblématiques de dé-fense du territoire et lutte contre les mé-ga-projets.

Alors que la situation ne s'est guère amé-liorée à San Juan Sacatepequez, dans le cas de la cimenterie de Cementos Pro-gresos, la situation est également restée très conflictuelle à San Miguel Ixtahua-cán, où opère la mine Marlin, de Monta-na Exploradora (filiale de Goldcorp). En plus de menaces contre les personnes impliquées dans la résistance à la mine, la criminalisation et les tensions sociales se sont accentuées, particulièrement après les événements de Saqmuj, en juin passé, suite auxquels a été émis un man-dat d'arrêt contre Crisanta Peréz, déjà poursuivie dans l'affaire de la coupure électrique de l'entreprise5.

Un autre cas d'ampleur a été l'assassinat, le 27 septembre dernier, de Adolfo Ich, maître d'école de la Unión (Izabal). Sa mort s'est produite lors d'affrontements entre les populations Q'eqchies et les membres de la sécurité privée de la Compagnie guatémaltèque de nickel (CGN), qui souhaite exploiter les gise-ments de la région et pour ce faire, délo-ger les habitants de leurs terres. Sa mort a provoqué la consternation et la révolte de l'ensemble du mouvement social gua-témaltèque et a ainsi avivé un peu plus la conflictualité déjà très forte existante au-tour de ce projet.

Enfin, un autre cas d'importance a été l'assassinat, le 24 octobre 2009, de Víctor Gálvez, leader du mouvement contre Unión Fenosa à Malacatán. Abattu en plein jour par plus de 30 balles, le cas n'a toujours pas avancé jusqu'à aujourd'hui6. La mort récente de Evelinda Ramírez rappelle également que le mouvement reste menacé pour le travail effectué en faveur d'un service public de l'énergie. Cependant, l'État échappe une fois de

Page 5: Solidarité Guatemala 188

de Víctor Gálvez et de Evelinda Ramí-rez, ainsi que d'autres cas d'assassinats de défenseurs. Cette perspective engendre évidemment de l'espoir pour les familles et les compagnons de lutte, puisque seule la CICIG semble à l'heure actuelle suffi-samment indépendante et professionnelle pour mener à bien une enquête de ce type. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la CICIG a également des moyens limités et surtout, un mandat qui se ter-mine dans un an et demi7. Que restera-t-il alors si ce n'est un système de justice inopérant, dans ce pays où seuls 2% des crimes sont résolus ?

C'est bien à l'État d'avoir une volonté forte de changement qui lui permette de mettre en œuvre les mesures définies dans l'Accord national de Sécurité, afin de faire le ménage dans les différentes institutions de l'État et rétablir la confiance auprès de la population. UDE-FEGUA, dans son dernier rapport, rap-pelle également l'importance que le gou-vernement approuve l'institutionnalisa-tion de l'Instance d'analyse des attaques contre les défenseurs de droits humains8 ainsi que la création du Programme de protection des défenseurs des droits hu-mains, aucun programme de ce type n'existant pour l'heure dans le pays. Ce-pendant, à un an des élections présiden-tielles, il paraît peu probable que le gou-vernement Colom change de cap, au ris-que de provoquer un échec et de remettre en cause la candidature (presque) annon-cée de son épouse Sandra Torres, que certains sondages donnent déjà gagnante.

5 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Actualités Le travail de la société civile et de ses différentes expressions restera donc d'une importance capitale afin de récla-mer les changements dont le pays a be-soin et de peser dans les différentes déci-sions du gouvernement afin que la der-nière année du mandat de Colom ne soit pas en vain et que puissent être mises en œuvre les mesures nécessaires pour la consolidation de l'État de droit au Guate-mala.■

plus à son rôle de protecteur de la popu-lation et préfère déclarer des états d'ur-gence. Dans le contexte de Malacatán, comme dans beaucoup d'autres endroits du Guatemala, le risque est que cette ré-gion se transforme en zone de non-droit dans laquelle puissent opérer librement des acteurs tels que les bandes organisées ou les narcotrafiquants, généralement en bonne entente avec des dirigeants politi-ques corrompus ou achetés. La présence de ces acteurs, si elle n'est pas nouvelle au Guatemala, tend à se généraliser et à s'étendre sur l'ensemble du territoire. Elle est sans aucun doute un défi pour toutes les organisations de droits humains tra-vaillant dans le pays et qui doivent s'adapter à cette nouvelle configuration des pouvoirs locaux.

Perspectives

Que l'on interroge telle ou telle organisa-tion de défense des droits humains au Guatemala, une chose semble sûre : les perspectives de changement pour 2010 sont limitées. D'une part car il n'y a pas de signe réel d'une volonté politique de changement mais aussi, car 2010 est une année pré-électorale. Or, ces années-là sont réputées pour être particulièrement difficiles pour les défenseurs des droits humains et pour l'ensemble de la popula-tion en général.

Un espoir reste permis avec le travail ef-fectué par la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG). Après l'affaire Rosenberg, la CICIG éva-lue les possibilités de se charger du cas

1 Alors que le nombre d'homicides en France oscille entre 700 et 1 000 par an. Source : ministère de l’In-térieur. Voir chiffres de la criminalité en 2009, http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_la_une/toute_l_actualite/securite-interieure/statistiques-decembre-2009 2 http://www.pdh.org.gt/images/files/seguridad/Acuerdo%20Nac i ona l%20 Avance%20d%20SEGURIDAD%20y%20JUSTICIA.pdf 3 El Periódico, "Le Président rouvre la brigade militaire en Ixcán, Quiché". 3 décembre 2009. http://www.elperiodico.com.gt/es/20091203/pais/126850/ 4 Unité de protection des défenseurs des droits hu-mains au Guatemala. Rapport sur la Situation des défenseurs, réponse à 10 ans de lutte. 5 Voir la vidéo « La compagnie Gold Corp SA contre 8 femmes Mayas ». 7 mn20. http://www.youtube.com/watch?v=03lBV1iMh8k 6 Le 17 février de cette année, Octavio Roblero, dirigeant de FRENA et beau fils de Victor Galvez a été assassiné à Malacatan NDR. 7 Le mandat de la CICIG termine officiellement le 4 septembre 2011. 8 L'Instance d'analyse des attaques aux défenseurs de droits humains, avec l'Unité des droits humains de la DINC (Département d'enquête de la Police nationale civile-PNC) travaillent notamment pour améliorer et rendre effective la coordination entre le ministère de l'Intérieur, la PNC, la Direction géné-rale du renseignement civil (DIGICI), la société civile, le Bureau du procureur général et la commu-nauté internationale.

Le 23 février dernier, une lettre ouverte, signée par 59 organisations de différents pays, a été envoyée au Président Colom sur l’i-nitiative du Collectif Guatemala.

Cette lettre ouverte a comme objectif de dénoncer les assassinats de trois des dirigeants du FRENA : Víctor Gálvez le 24 octobre 2009, Evelinda Ramírez le 13 janvier 2010 et Octavio Roblero, le 17 février dernier.

Cette vague d’assassinats est en lien avec la lutte que mène le FRENA depuis plusieurs années contre la présence de la multinatio-nale Unión Fenosa (de capital espagnol), et de sa filiale locale DEOCSA, sur leur territoire.

Les revendications portent principalement sur la mauvaise qualité du service de distribution d’électricité assurée par DEOCSA mais aussi sur les prix excessifs pratiqués par cette dernière. La proposition du FRENA est la mise en place d’entreprises munici-pales de distribution électrique, gérées de manière partagée entre la municipalité et la société civile.

Or, depuis décembre 2008, la seule réponse de l’État à ces revendications a été la criminalisation du mouvement, par l’émission de mandats d’arrêt contre les leaders du mouvement et plus récemment, par l’instauration d’un État d’urgence dans l’ensemble du département de San Marcos, aujourd’hui en vigueur depuis plus de 2 mois.

C’est pourquoi les organisations signataires de la lettre réclament au gouvernement de porter son attention sur ce problème, de lever l’état d’urgence et de ne pas laisser ces trois meurtres dans l’impunité.

Relayer l’alerte urgente concernant les assassinats des militants du FRENA : http://collectif-guatemala.chez-alice.fr/

Page 6: Solidarité Guatemala 188

Actualités

forcé de main d'œu-vre indigène, sou-mise et exploitée dans les plantations. L’octroi de prêts, l’alcool, les trompe-ries, l’abus d’autorité et de la violence sont autant d’autres stra-tégies utilisées pour déposséder les paysans ixils de leurs terres, qui se concentrent progressivement entre les mains de grands propriétaires. Actuelle-ment, le Quiché est le département qui compte le plus grand nombre de conflits agraires du pays6. Celui opposant quatre communautés ixils aux propriétaires de la finca (propriété à vocation agricole) La Perla en est un exemple toujours d’actualité, et qui plus est, qui facilite au-jourd’hui la construction controversée d’un méga-barrage hydroélectrique7. Depuis le début du siècle dernier, les fa-milles originaires des communautés Ilom, Sotzil (Chajul), Sajsivan et Ixtupil (Nebaj) revendiquent la propriété de leurs terres ancestrales, usurpées par la finca La Perla8. En 1975, l’Ejército Guerrillero de los Pobres (EGP, l’Armée guérillera des pauvres) fait son apparition publique avec l’assassinat de Luis Arenas –connu sous le nom de « Tigre de l’Ixcán »–, mi-litaire et supposé propriétaire de la finca de café La Perla9, symbole d’exploitation et de servitude. Son fils, Enrique Arenas hérite de la finca. Par la suite les commu-nautés voisines intensifient leur soutien au mouvement de guérilla mais l’armée répond en installant une base militaire dans la finca en 1981 qui sera le point d’ancrage de nombreux massacres dans la région10. La population ixil est alors considérée par l’armée comme ennemi interne et son territoire, base sociale de la guérilla. Pour autant, l’Ixil devient la ci-ble de massacres, la majorité ayant lieu,

selon la Commission pour l’éclaircisse-ment historique (CEH), entre les an-nées 1981 et 1983 dans le cadre de la po-litique de la terre brûlée11. Au sein de la région Ixil, Chajul est la municipalité où s’observe le plus l’organisation de la po-pulation en CPR (Communautés de popu-lation en résistance), communautés de ré-fugiés internes qui fuient la répression de l’armée dans les montagnes. 60% de la population ixil est déplacée et soumise à des conditions de survie inhumaines, souffrant de la faim, du froid, du manque de vêtements et des maladies. Ainsi, l’u-surpation de terre se poursuit pendant le conflit armé interne, facilitée par la fuite de la population –vers les CPR ou au Mexique–, qui abandonne ses terres pen-dant plusieurs années.

Un méga-barrage hydroélectrique sur la rivière Xacbal Du fait des prix du café en 2001 et des difficultés du transport de produits agri-coles, les propriétaires veulent donner un nouvel usage à la finca La Perla. Cette même année, est réalisée une étude d’im-pact environnemental (approuvée en avril 2002) pour un projet de méga-barrage (et centrale hydroélectrique) sur la rivière Xacbal ; cependant, le projet n’est pas exécuté, par crainte des pro-priétaires d’une réaction adverse de la population liée au conflit agraire. Ceux-ci vendent alors une partie de la finca à l’entreprise Hidro Xacbal S.A., qui ap-partient au Groupe Terra (Honduras) de la famille Facussé (un des principaux

L a région Ixil, située au nord du département du Quiché, est constituée par les trois munici-palités de Santa María Nebaj,

San Gaspar Chajul et San Juan Cotzal et s’étend entre l’Altiplano (hautes plaines) et la Sierra des Cuchumatanes. Ses paysages montagneux et verdoyants en font une des plus belles régions du Gua-temala. La majorité des habitants for-ment le peuple maya ixil, qui est aussi le nom de la langue la plus utilisée dans la région, alors qu’une petite part de la po-pulation est ladina (métisse), quiché, kanjobal ou q’eqchi. Du temps de la conquête, Nebaj est l’un des derniers lieux d’entrée des Espagnols, jus-qu’en 1530, année lors de laquelle la ré-gion Ixil fut soumise militairement2. Au-jourd’hui, la population de l’Ixil, qui subsiste de l’agriculture vivrière, est l’une des plus pauvres et des plus isolées du pays. Elle souffre du manque de ser-vices de base tels que la santé, l’éduca-tion, l’accès à l’eau potable et est forte-ment affectée par la dénutrition chroni-que3. Dans la région, et à l’image de la situation nationale, ce n’est pas tant le manque de terres qui engendre la pauvre-té –voire l’extrême pauvreté– et l’insécu-rité alimentaire, mais la concentration de celles-ci entre les mains de quelques pro-priétaires, héritage de mécanismes histo-riques d’expropriation4.

L’Ixil, territoire à haute conflictualité agraire L’accès à la terre est en effet une problé-matique structurelle, ancestrale de l’Ixil5, et est une des causes fondamentales du haut niveau de conflictualité actuelle de la région. Dès 1871, année de la révolu-tion libérale, le modèle d’agro-exportation s’étend à la région Ixil, pro-voquant l’expropriation de terres, et la formation d’un système de recrutement

6 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Le conflit agraire ancestral de la région Ixil accentué par l’installation du méga-barrage hydroélectrique Xacbal

par Amandine Grandjean

Le Quiché est, selon la carte des conflits de l’année 2009 élabo-rée par le Bureau du procureur des droits de l’Homme (PDH ), le département le plus conflictuel1du Guatemala. La région de l’Ixil, située dans ce département, voit depuis de nombreuses années un conflit ancestral lié à la problématique de la terre s’aiguiser, au cours du conflit armé interne dans un premier temps, puis par l’arrivée de l’entreprise hondurienne Hidro Xacbal et la cons-truction d’un méga-barrage hydroélectrique.

La centrale hydroélectrique en construction

Page 7: Solidarité Guatemala 188

Actualités espéraient bénéficier d’un accès à l’élec-tricité, le gérant de Hidro Xacbal, Erwin Hernández, qui a refusé la construction d’un générateur à Chajul, argumente que fournir de l’électricité aux dizaines de villages dispersées dans la région Ixil ne serait pas viable financièrement. Finale-ment le gérant a promis la création d’une sous-station pour fournir l’électricité pour cette zone tout en précisant que ce service ne relève pas de la responsabilité de l’en-treprise mais de l’État15.

Méga-projets, politiques publiques et intérêts privés Cependant, depuis la privatisation de l’ INDE (Institut national d’électrification) sous le gouvernement de Alvaro Arzú (1996-1999) et le transfert de la distribu-tion et la production d’électricité à des entreprises transnationales, la production d’énergie hydroélectrique est devenue, au Guatemala, un véritable commerce. Sous l’impulsion des politiques régiona-les comme le Plan Pueblo Panamá16, qui favorisent les investissements étrangers, de nombreux autres projets de barrages hydroélectriques sont en construction ou en attente d’approbation. Ceux-ci sont fortement contestés par les populations locales, à l’instar d’autres méga-projets d’exploitation des ressources naturelles se développant au Guatemala. Les com-munautés locales sont en effet rarement les bénéficiaires de ces projets : dans le cas des méga-barrages hydroélectriques, l’électricité produite est destinée à ali-menter le système national et les impacts négatifs, eux, restent localisés. En matière de conflictualité agraire et en-vironnementale, le Secrétariat des affai-res agraires constate que 35% des conflits se situe dans des zones d’expan-sion de cultures d’agro-carburants (canne à sucre et palmier à huile), d’industries extractives des ressources naturelles (exploitation minière) et de construction de grands barrages hydroélectriques. D’autre part, le ministère de l'Énergie et des mines justifie ces derniers par l’argu-ment de crise énergétique et du besoin de développer les énergies « propres », alors que ce sont avant tout les intérêts écono-miques privés qui sont privilégiés et que les méga-barrages participent à la des-truction des ressources naturelles, affec-tant ainsi le mode de vie des populations autochtones et portant atteinte à leurs droits environnementaux, économiques, sociaux et culturels.■

groupes qui ont soutenu le coup d’État militaire au Honduras, en juin 200912) et dont le président Fredy Nasser Selman est un des plus puissants entrepreneurs privés de ce pays. Le barrage Xacbal, dont la construction a commencé à la fin de l’année 2006, doit entrer en fonction-nement cette année. Le coût de la cons-truction s’élève à 227M$ (dont 182M$ proviennent de prêts d’un groupe de ban-ques nationales et internationales). D’une capacité de fonctionnement de 94 méga-watts, il est le plus grand construit au Guatemala après celui du Chixoy (capacité de 270 MW). Le barrage du Chixoy, construit entre 1975 et 1982, grâce à une étroite collaboration entre les organismes de financement internatio-naux et le pouvoir militaire de l’époque, est d’ailleurs considéré comme un vérita-ble désastre humanitaire et écologique13. Après les divisions héritées du conflit ar-mé en Ixil –la formation des Patrouilles d’autodéfense civile (PAC) comme ins-trument de contrôle social a détruit le tis-su communautaire–, l’installation de l’en-treprise Hidro Xacbal provoque de nou-velles frictions, à l’intérieur des commu-nautés, voire au sein-même des familles. Les familles situées à l’intérieur de la fin-ca ont reçu des pressions, et se sont vues proposer de l’argent ou des terrains, en échange de l’acceptation de la construc-tion du barrage. Différents partis politi-ques ont soutenu le projet dans leur cam-pagne électorale, tout en ayant connais-sance du fait que les terrains où se trouve la centrale hydroélectrique ont été acquis de manière illégale. Les communautés dénoncent l’accord signé par le maire de Chajul avec l’entreprise, qui autorise le projet sans leur consultation préalable14, ainsi que des opérations de gestion peu transparentes de la part d’un maire accusé par le passé de corruption. L’entreprise affirme avoir versé en 2006 une somme de US$2,2 millions à la municipalité de Chajul pour une série de projets de déve-loppement, parmi lesquels l’apport d’é-lectricité pour des écoles et des centres de santé. La municipalité de Nebaj soutient également le projet hydroélectrique : elle a reçu la somme de 200 000 quetzals pour le droit de passage de lignes d'intercon-nexions reliant Xacbal à la station de Huehuetenango et terminant à la sous-station La Esperanza, Quetzaltenango, à laquelle est destinée l’énergie électrique produite par Hidro Xacbal. En réponse aux protestations des communautés qui

7 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

1 Bonillo, Cristina. "Conflictos sociales se disparan en los departamentos". Prensa Libre, 10 février 2010 2 Palacios Aragón, Marcio. Los hilos del genocidio Ixil en Guatemala. Guatemala, Armar Editores, 2005. 3 Le Guatemala est le pays qui a le plus important taux de dénutrition chronique d’Amérique latine, le 4ème au niveau mondial. (Luis Monterroso de l’Ob-servatoire du droit à l’alimentation, in Contreras, Geovanni. "UE da aporte para atenuar crisis alimentaria" Prensa Libre, 10 février 2010.) 4 Ziegler, Jean. Mission au Guatemala. Rapport du rap-porteur spécial ONU pour le droit à l’alimentation, 2006. 5 Durocher, Betina. Los dos derechos de la tierra : la cuestión agraria en el país Ixil, Tome III. Guatemala, FLACSO, MINUGUA, CONTIERRA, 2002. (citée dans Palacios Aragón, 2005) 6 Secretaría de Asuntos Agrarios de la Presidencia de la República. Memoria de labores, 2008. 7 Les affluents d’une rivière sont déviés afin de créer un lac artificiel en amont du mur du barrage. Puis le débit important de l’eau retenue, libérée à travers la centrale, produit de l’énergie mécanique transformée en énergie électrique. 8 En 1896, la finca correspondait à 990 hectares. Même si elle compte maintenant officiellement 2 790 ha, en réalité la propriété s’étend sur 5 850 ha alors que la moyenne de terrain possédé par une famille dans les quatre communautés est inférieure à 0,5 ha. "Reynolds, Louisa. Hidroeléctrica Xacbal genera descontento en población Ixil" Inforpress Boletín municipal nº148, et CALDH "Conflictividad de la Tierra: evidencias de violaciones a los derechos humanos en Guatemala" Guatemala, CALDH, 2009. 9 Cabanas Andrés. Los sueños perseguidos. Memoria de las Comunidades de Población en Resistencia de la Sierra. Tercera Prensa : San Sebastián, Españgne, 2000. 10 Les PAC étaient des groupes paramilitaires recru-tés parmi la population de manière forcée. Parmi les massacres : Ilom (Chajul), 85 morts ; Estrella Polar (Chajul), 96 morts ; Chel (Chajul), 95 morts (mars 1982). La CEH reporte la destruction de 54 commu-nautés entre 1980 et 1983 et un total de 52 massacres entre 1982 et 1989. Informe de la Comisión para el Esclarecimiento Histórico (CEH), 1999. Guatemala: Memoria del Silencio. Capitulo II. "Las Violaciones de los Derechos Humanos y Los Hechos de Violencia" (cas 945, 946 et 929). 11 Plan militaire génocidaire « Plan Campaña Victoria 82 », sous le gouvernement du Général Efraín Ríos Montt, actuel député au Congrès de la République, et leader du parti Front républicain guatémaltèque (FRG). 12 Solano, Luis. "La transnacionalización de la industria extractiva : la captura de los recursos minerales e hidrocarburos", El Observador, Año 4, nº 19, 2009. 13 Plus de 3 000 personnes allaient y perdre leurs terres ancestrales et ressources naturelles ainsi que leurs biens matériels et culturels (sites mayas sacrés) du fait de l’inondation de la zone en amont du bar-rage. L’opposition des populations affectées, se solda par le massacre de Río Negro du 13 février 1982, les survivants furent poursuivis et d’autres massacres eurent lieu par la suite dans la même zone. Les communautés lésées par le projet du Chixoy, qui n’ont toujours pas accès à l’électricité, demandent aujourd’hui la juste réparation pour les dommages subis et le jugement des responsables des massacres. Collectif Guatemala. Spoliation des res-sources naturelles au Guatemala, droits indigènes, responsabilités internationales. 2006 14 La Convention 169 de l’Organisation internatio-nale du travail prévoit dans son article 6.1 de « Consulter les peuples intéressés, par des procédu-res appropriées, et en particulier à travers leurs insti-tutions représentatives, chaque fois que l’on envi-sage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement ». Le Guate-mala a ratifié cette convention en 1996. 15 Reynolds, Louisa, Op. Cit.

Page 8: Solidarité Guatemala 188

nelle maya. L'action se si-tue dans le département du Quiché et s'appuie sur de nombreux témoignages de guérisseurs et de malades. Nahuel l'aide alors à struc-turer son scénario en 3 parties : introduction, pro-blématique et résolution. Il lui explique comment cap-ter l'attention du spectateur et maintenir son intérêt jusqu'à la conclusion.

Dans la salle d'à côté, El-vis apprend à Rosario à maîtriser les mouvements de caméra, d'abord avec une caméra lourde, montée sur trépied, puis avec un

petit modèle tenu à la main. La stabilité s'avère être un apprentissage difficile, en plan fixe comme lors des mouvements latéraux ou de zoom. Maîtrise des gestes et de la respiration... Pas si facile !

Vicenta arrive au bout d'une heure, retar-dée par un problème familial. Elle nous apprend qu'un autre camarade inscrit, Abraham, ne peut venir ce jour car son patron ne l'a pas laissé partir ! Il essaiera de se libérer demain... Grégory me confirme que la disponibilité est un pro-blème important. Les stagiaires, souvent jeunes et de condition très modeste, doi-vent parfois traver-ser le pays en bus pour venir ici. La moindre difficulté privée ou profes-sionnelle compro-met leur présence à l'atelier. L'une des participantes est ve-nue avec son bébé, qu'elle allaite, et une amie qui s'en occupe pendant les ateliers.

Vicenta est celle qui m'impressionne le plus grâce à sa maî-trise technique de la

Atelier de formation vidéo à Sololá par Alain Bivel

Aujourd'hui commence la 2ème session de formation au reportage vidéo d'un groupe de 10 personnes. Chaque session dure 4 à 5 jours. Nous sommes dans un centre associatif de Sololá, au bord du Lac Atitlán. Cela fait pratiquement 3 ans que notre "envoyé spécial" Grégory Lassalle anime ce type d'atelier au Guatemala. L'objectif est de permettre aux organisations sociales et aux communautés mayas de réaliser leurs propres reportages et documentaires.

Activités

caméra mais aussi grâce à sa science du séquençage. Elle nous montre un petit film qu'elle a tourné en décem-bre, présentant son voisin en train de tra-vailler. Il coupe des arbres dans la forêt, à la tronçonneuse, puis fait des planches. Les séquences s'enchaînent avec fluidité, alternant les plans serrés, plans moyens, plans larges, avec ou sans mouvements de caméra, pour toujours maintenir l'inté-rêt du spectateur. Je n'aurais pu imaginer que l'auteur de ces images n'est pas une professionnelle expérimentée.

Les exercices de prise de vue et d'inter-views s'enchaînent entre Vicenta et Rosa-rio, se filmant l'une après l'autre. Puis El-vis diffuse les séquences sur la télé et amène les deux jeunes femmes à pointer toutes les améliorations possibles. Rien que du concret et du grand art !

Je sors ce cet atelier convaincu de sa grande valeur et confiant dans l'avenir professionnel ou communautaire / asso-ciatif de ces jeunes vidéastes. Je suis per-suadé que la résolution des graves pro-blèmes qui touchent les communautés mayas, la société civile et le monde syn-dical, passent aussi par l'appropriation, la maîtrise, des images et des témoignages qui en émanent. Cela contribuera à ren-forcer la démocratie balbutiante au Gua-temala et à permettre à tout un chacun d'écrire son propre avenir. ■

L a 1ère session a eu lieu un mois plus tôt et avait pour thèmes : scénario et prise de vue. La présente session reprend les

thèmes précédents et rajoute : élabora-tion d'un plan de travail et approfondis-sement des connaissances techniques. La 3ème session doit avoir lieu fin janvier et abordera : montage et finalisation des projets.

Pour cette formation, Grégory Lassalle est épaulé par 2 professionnels :

- Nahuel Vazquez, 33 ans, diplômé d'une école de communication à Madrid. Il tra-vaille comme scénariste pour diverses institutions guatémaltèques et donne des cours de production audiovisuelle à la di-rection des spectacles du ministère de la Culture.

- Elvis Vásquez, 21 ans, étudiant en com-munication, déjà 6 ans d'expérience en vidéo grâce à son père qui était du sec-teur.

Après le déjeuner, Grégory forme deux sous-groupes : Nahuel anime l'atelier "scénario" et Elvis l'atelier "prise de vue".

Chaque stagiaire présente son travail ef-fectué depuis la 1ère session. Pour Santos, il s'agit d'un scénario d'expériences de guérisons grâce à la médecine tradition-

8 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Rosario (association NUTZIJ de Solola) s’entraîne à la mise au point

Présentation des participants avant la répartition en deux groupes

Page 9: Solidarité Guatemala 188

Brèves L’affaire Rosenberg. Les conclusions de l’enquête par la CICIG . Le 12 janvier dernier, Carlos Castresana –responsable de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG)- dévoilait les conclusions de l’enquête sur la mort de l’avocat d’affaires Rodrigo Rosenberg, qui avait déclenché une crise politi-que d’ampleur en mai dernier suite à la diffusion de la fameuse vidéo dans laquelle Rosenberg accusait le président Colom de son meurtre à venir. Selon les résultats de l’enquête de la CICIG, l’assassinat de Rosenberg serait en fait une sorte de suicide maquillé. En effet, Ro-drigo Rosemberg aurait orchestré sa mort depuis le début avec l’aide inconsciente des frères Valdés Paiz, cousins de son ex-femme. A ces derniers il aurait fait croire qu’il était victime d’extorsion et qu’il cherchait à se débarrasser de celui qui le faisait chanter. Ainsi, les frères Valdés Paiz ont organisé l’assassinat de ce « maître chanteur », en contactant des tueurs à gages et en leur donnant des indications que le propre Rosenberg leur donnait. Quand les tueurs à gage s’apprêtent à attaquer l’homme qui fait du vélo dans un quartier cossu de la capitale, les Valdés Paiz et les tueurs à gage pensent donc que c’est le maître-chanteur qui va recevoir les balles. Quelques minutes plus tard, on se rend à l’évidence, c’est bien Rodrigo Rosenberg qui vient d’être tué. Pourquoi alors un avocat d’affaires brillant aurait mis en place ce plan machiavélique ? Toujours selon les conclusions de la CI-CIG, l’homme était en dépression, notamment suite à l’assassinat, quelques semaines auparavant, de Khalil et Marjorie Mussa. Or, il semble qu’il maintenait avec Marjorie une histoire sentimentale et que sa mort l’ait beaucoup affecté, au point qu’il se sente la responsabilité d’enquêter et de faire toute la lumière sur cette affaire. D’où les accusations portées dans la vidéo, résultats de son investigation mais qui manquent de preuves. Selon Castresana, les accusations visaient à provoquer une sorte de « séisme po-litique » qui secoue l’État et le poussent à enquêter de manière plus sérieuse sur cette affaire. Rosenberg héros de la lutte contre l’impunité ? Sacrifice pour que règne la justice au Guatemala ? Ces conclusions n’ont bien entendu pas convaincu tout le monde. Ainsi, même s’il est possible que Rosenberg ait planifié sa propre mort, il reste beaucoup de zones d’ombre. Entre autres, la manipulation que certaines personnes ont pu faire de l’état psychologique de Rosenberg à des fins politiques. Mais également, toutes les interrogations qui restent sans réponse concernant les connexions entre Banrural et le meurtre des Mussa, connexions qui questionneraient l’ensemble de l’oligarchie guatémaltèque et auraient sans aucun doute des répercussions au plus haut niveau de l’État. Ce que voulait atteindre Rosenberg en se donnant la mort. Il semble que cette seconde partie de l’enquête risque de prendre plus de temps…

9 Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Le cas de Crisanta Perez Le 1er février dernier a eu lieu l'arrestation puis la libéra-tion de Crisanta Peréz, leader du mouvement de résistance contre la mine à San Miguel Ixtahuacán. Rappelons que Crisanta Peréz est actuellement sous le coup de deux mandats d'arrêt pour deux cas de résistance à l'activité minière : la coupure volontaire du courant élec-trique dans l'entreprise (http://www.youtube.com/watch?v=03lBV1iMh8k) et les événements de protestation de la communauté de Saqmuj en juin dernier : une voiture avait alors été incendiée, et Crisanta est devenue la coupable toute désignée pour l'entreprise Montana SA (filiale de Goldcorp), qui essaie de discréditer et de délégitimer l'op-position au projet Marlin. Le 1er février, suite à une dispute familiale au sujet de l'hé-ritage de terres, le frère de Crisanta décide d'appeler la police pour l'arrêter pour “violence intrafamiliale”. Une fois sur place, la police hésite, ne disposant pas de mandat d'arrêt sur le moment. Devant l'insistance du frère, les agents finissent par emmener Crisanta au poste de police de San Miguel, elle et son bébé auquel elle a donné naissance quelque trois semaines plus tôt (ce qui rend l'arrestation illégale). C'est là-bas que la rejoindra une compagne, alertée par des habitants de Agel, la com-munauté de Crisanta. N'ayant toujours pas présenté de mandat d'arrêt, mais après avoir parlé au juge et admis que le mandat d'arrêt utilisé était celui de Montana SA, les policiers décident de l'emmener à San Marcos. La compagne insiste fortement auprès de la police pour l'accom-pagner. Selon les témoignages, la police emprunte alors un chemin peu commun pour se rendre à San Marcos, ce qui inquiète les deux femmes. Cependant, l'une parvient à prévenir les habitants de la communauté de Las Escobas, qui se trouve sur la route. Arrivés à Las Escobas, le pick-up de la police se voit bloqué par plus de 800 personnes qui réclament la libération de Crisanta Peréz. De-vant le nombre, les policiers libèrent Crisanta, que les habitants emmènent alors à l'Église. Les policiers, quant à eux, seront rete-nus cinq heures dans la mairie indigène, durant lesquelles sera signé un acte communautaire empêchant la police d'entrer à Las Escobas et de poursuivre les personnes qui s'opposent à la mine. Au jour d'aujourd'hui, Crisanta est à nouveau libre mais peut à tout moment être arrêtée sur les charges présentées contre elle par Montana SA !

Page 10: Solidarité Guatemala 188

Aggravation des menaces à l'encontre du CCDA Le CCDA (Comité paysan de l’altiplano) a été officiellement créée en 2000, dans le département de Solola et est aujourd'hui pré-sent dans sept départements. Le CCDA commercialise sa propre production de café sous le label "Café Justicia" afin de soutenir les communautés paysannes et indigènes dans leurs revendications pour l’accès à la terre. De ce fait, le CCDA reçoit des menaces et intimidations régulières. Cependant, la situation s'est encore détériorée récemment. Dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 février 2010, le centre de traitement du "Café Justicia" a été forcé et 182 quintaux de café en parche volés. Sur le lieu du forfait, les agresseurs ont dessiné un cercle avec des blocs (du centre) et laissé en son centre des bières et des cigarettes à moitié consommées, comme pour signifier la mise en garde. En effet, le CCDA ne croit pas que ces événements relèvent de la délinquance commune, et considère qu'ils sont en lien avec sa participation au Mouvement syndical, indigène et paysan guatémaltèque -MSICG. Le 2 février, le MSICG a sorti un rapport, Gua-temala, le prix de la liberté syndical, dénonçant la violence et les attaques ciblées dont les membres du MSICG font l'objet. Le CCDA a porté plainte aussitôt. Pourtant la police n'a toujours pas présenté le dossier au Ministère public. Et, le 13 février, le coordinateur du CCDA, Leocadio Juracán, a reçu un courrier contenant des menaces de mort si bien que sa famille et lui ont dû se retirer de la communauté pour garantir leur sécurité.

10

Brèves

Recrudescence des lynchages au Guatemala Le lynchage n’est pas une pratique nouvelle au Guatemala. C'est la leçon collective que "la rue" entend donner aux personnes soupçonnées de crimes (vols, viols, enlèvements). Selon Alvaro Pop, politologue et membre de l'organisation indigène Naleb : « On se laisse aller à la vengeance, mais on la voit comme un acte de justice ». La tolérance du public vis-à-vis de cette forme de justice expéditive demeure très grande. Un plébiscite satisfait par une large couverture médiatique : comme en décembre 2009, avec les images de touristes témoins de l'immolation par le feu d'un homme accusé d’avoir volé 7 000 quetzals (630€). Les lynchages participent de la violence endémique du pays. Leur ampleur récente inquiète cependant. La justice guatémaltèque aurait recensé 210 cas de lynchage en 2009, et 42 ayant entraîné la mort. En 2008, les chiffres étaient de 56 lynchages et 17 morts. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels de l’ONU se penche depuis plusieurs années sur la question. Des centaines d’ateliers ont déjà été organisés dans le pays pour inciter la population à favoriser la voie judiciaire. Des milliers de brochures de sensibilisation ont aussi été distribuées. Mais pour beaucoup, la population cessera de punir elle-même ses suspects quand l'État et les services publics seront réellement présents sur le terrain, notamment dans les zones pauvres que l'on sait être les plus touchées par le phénomène. Pour Mario Polan-co, directeur du Groupe d'appui mutuel (GAM) : « Les lynchages sont un reflet de la perte de confiance envers la police et l'appa-reil de Justice ».

Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Arrestation de l'ancien Président Portillo et demande d'extradition par les États-Unis Alfonso Portillo, 58 ans, président de 2000 à 2004, détient le triste record du gouvernement le plus corrompu de l’histoire du Guatemala. Il aurait détourné près de 65 millions d’euros. En 2001, par exemple, 3,9 millions de dollars de fonds du ministère de la Défense avaient atterri dans une banque nationale, Credito Hipotecario National, dont le directeur était un complice nommé par lui-même ! En 2005, sans mandat politique lui garantissant l'immunité face aux procédures pour corruption ouvertes par la justice du Guate-mala, Portillo s'était enfui au Mexique. Finalement, il a été extradé au Guatemala, en octobre 2008, puis laissé en liberté sous caution dans l'attente de son procès. Depuis fin janvier 2010, c'est la justice des États-Unis qui l'accuse de détournement de fonds et blanchiment d'argent. Selon l'acte d'accu-sation, les fonds étaient déposés sur des comptes ouverts aux États-Unis aux noms de plusieurs proches, notamment son ex-épouse, Maria Eugenia Padua, et sa fille, Otilia Portillo. Le document signé par le procureur du tribunal fédéral du district sud de New York, Preet Bharara, cite également le cas de chèques de l'ambassade de Taïwan au Guatemala, pour 2,5 millions de dollars destinés à l'achat de livres scolaires, qui avaient été endossés en 2000 puis en 2002 par le président puis déposés sur un compte en banque en Floride et sur un autre compte à Paris. Selon le tribunal américain, pas un centime des fonds offerts par Taïwan au pro-gramme "Librairies pour la paix", n'avait atteint son destinataire initial. Portillo a été capturé mardi 26 janvier par les forces de sécurité guatémaltèques, à Punta de Palma, plage du nord-est du pays, alors qu'il tentait de fuir vers le Belize. Il doit rester en détention en attendant de recevoir l'information des États-Unis, lesquels ont un délais de 40 jours, selon la résolution du tribunal guatémaltèque, pour présenter les documents justifiant leur demande d'extradition. L'intéressé, interrogé au téléphone par la radio locale Sonora, estime que "Ceci est la suite d'une persécution qui a commencé avant même [s]on arrivée au pouvoir". "Quand je comparaîtrai devant les tribunaux, je donnerai les noms de ceux qui ont fomenté ce complot, en détaillant tout ce qu'ils ont fait, où ils se sont réunis", a-t-il ajouté. Le gouvernement américain et le président du Guatemala, Alvaro Colom, ont salué cette arrestation. Portillo, pourrait devenir le premier ancien président du Guatemala à être extradé vers les États-Unis et condamné à de la prison (il risque une peine de 20 ans).

Page 11: Solidarité Guatemala 188

Convocation à l'Assemblée générale Samedi 29 mai 2010

A partir de 10 h Au CICP 21 ter, rue Vol-taire 75 011 Paris

Vous êtes cordialement conviés à cette assemblée ouverte. Les votants sont les membres de l'associa-tion (à jour de leur cotisa-tion). Si vous souhaitez mettre en débat un point particulier, vous pouvez nous en faire part dès maintenant.

Bloc notes

Des nouvelles du terrain

Accompagnement - Amandine Grandjean est pour le moment la seule accom-pagnatrice française sur le terrain. Elle effectue actuellement son dernier mois dans la région de Huehuetenango / San Marcos avant de rejoindre “l'équipe mobile” (nouveau nom de l'équipe d'accompagnement « court terme »). - Une décision récente de la Cour suprême de justice du Guatemala pourrait voir le cas du massacre des Dos Erres (Petén, 1982) avancer. Des organisations de droits de l'Homme ont exigé que les autorités agissent afin d'arrêter les 17 accusés, sous mandat d'arrêt depuis 10 ans. Pour le moment, deux militaires ont été arrêtés.

Ateliers vidéo Les cours d´ateliers vidéo se poursuivent en 2010 avec 12 membres d´organisations sociales . En décembre ont eu lieu les cours de scénario et de prise d´images (voir article p 8). Les participants ont poursuivi en filmant pour leurs projets personnels. En janvier et février, deux ateliers d´édition ont lieu dans les locaux d´UKUX BE (organisation pour le renfor-cement du projet politique maya) et de OXLAJUJ AJPOP( coordination d’organisations et groupements de guides spi-rituels, garants de la culture maya). D´ici à fin mars, les par-ticipants seront accompagnés pour finir leurs projets person-nels : courts- métrages de 10 à 15 minutes en général.

Projet de diffusion des documentaires Le 11 février, le film Le Business de l´or au Guatemala. Chronique d´un conflit annoncé, documentaire produit par le Collectif Guatemala sur les problèmes liés á l'activité minière à San Marcos, a été présenté pour la première fois à Ciudad de Guatemala, dans la salle de la "Bodeguita del Centro" sous la forme d’une projection-débat co-organisée avec la revue el Observador. Étaient présents Grégory Lassalle, le réalisateur, Javier De Léon, leader communautaire de San Miguel Ixtahuacan, Benito Moralés et Carlos Loarca, avo-cats. Près de 150 personnes ont assisté à la présentation !

11

AGENDA

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DES DROITS DE L’HOMME DE PARIS DU 9 AU 16 MARS BUENOS DIAS, SEGUIMOS EN GUERRA (55’) (ANITA BLUMER SUISSE / 2009) : 10 ANS APRÈS L’ACHÈVEMENT DE LA GUERRE CIVILE AU GUATEMALA DES CONDI-TIONS RESSEMBLANT FORTEMENT À UNE GUERRE CIVILE PERSISTENT DANS CET ÉTAT, QUI A LA RÉPUTATION D’ÊTRE NOYAUTÉ PAR LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE. LE GUATEMALA A UN TAUX D’HOMICIDES TRÈS ÉLEVÉ PARMI LES PAYS DES AMÉRI-QUES : LA VIOLENCE COÛTE LA VIE DE PLUS DE DIX ÊTRES HUMAINS PAR JOUR. A TRAVERS UNE GALERIE DE PERSONNAGES, LE RÉALISATEUR DRESSE LE TABLEAU DE CETTE CRIMINALITÉ URBAINE ENDÉMIQUE QUI GANGRÈNE TOUTE LA SOCIÉTÉ GUATÉ-MALTÈQUE ET EN PARTICULIER, SA JEUNESSE. PROJECTIONS : MERCREDI 10 MARS À 22H15 ET MARDI 16 MARS À 16H00 CINÉMA LE NOUVEAU LATINA 20, RUE DU TEMPLE, 75004 PARIS TEL. 01 42 78 47 86 TARIFS : PLEIN 6€, RÉDUIT 5€ / PASS : 5 ENTRÉES 20€, FESTIVAL 50€ [A]LLIANCE CINÉ 06.09.08.41.15 /[email protected] WWW.FESTIVAL-DROITSDELHOMME.ORG DÉBAT « SURVIE DES PEUPLES AUTOCHTONES EN DANGER D´EXTINCTION EN COLOMBIE. » MARDI 16 MARS A 19H AVEC JUVENAL ARRIETA REPRÉSENTANT DE L’ONIC (ORGANISATION NATIONALE AUTOCHTONE DE COLOMBIE). ORGANISÉ CONJOINTEMENT PAR CSIA, FAL, CPCP ET ONIC. AU CICP, 21TER RUE VOLTAIRE, 75011 PARIS HTTP://WWW.CSIA-NITASSINAN.ORG PROJECTION DÉBAT LE BUSINESS DE L'OR AU GUATEMALA. CHRONIQUE D'UN CONFLIT ANNONCÉ. JEUDI 18 MARS 2010 À 20H30 A L’INITIATIVE DE FAL, AVEC LA PARTICIPATION DE L’EX-ACCOMPAGNATEUR DU CG, THIERRY LEWDEN CENTRE CULTUREL LA CLEF, 21 RUE DE LA CLEF 75005 PARIS TARIFS : PLEIN 4€, RÉDUIT 3€ RESTAURATION POSSIBLE AVEC PARTICIPATION HTTP://WWW.FRANCEAMERIQUELATINE.ORG CYCLE 40 ANS DE FAL - DE L'AUTRE COTE DE LA MEMOIRE : QUAND LES FEMMES FILMENT EN AMERIQUE LATINE VENDREDI 16 AVRIL À 18H30 SOUVENT IMPLIQUÉES DANS L’ÉVOLUTION DE LEUR SOCIÉTÉ, LES FEMMES ENRICHIS-SENT L’IMAGINAIRE COLLECTIF EN REVISITANT ET EN ÉLARGISSANT LE REGARD POR-TÉ SUR L’HISTOIRE, LA MÉMOIRE, LA POLITIQUE, LE RÔLE ET LA CONDITION DES FEMMES. INTERVENANTE : LAURENCE MULLALY, MAÎTRE DE CONFÉRENCES, UNIVERSITÉ MI-

CHEL DE MONTAIGNE, BORDEAUX 3 MAISON DE L’AMÉRIQUE LATINE 217 BOULEVARD SAINT GERMAIN, PARIS 7ÈME HTTP://WWW.FRANCEAMERIQUELATINE.ORG

Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

Le business de l'or au Guatemala. Chronique d'un conflit annoncé. (VOSTF, 54’)

18€ / Frais de port inclus

Synopsis : Depuis les accords de paix de 1996, le gouverne-ment guatémaltèque impulse l'arrivée de transnationales ex-tractives sur les territoires indigènes. Cette politique viole les droits des populations autochtones qui s’organisent afin de dé-fendre leurs territoires. Ce documentaire traite de la résistance communautaire contre les transnationales et de la politique néo-libérale à travers un cas précis : la résistance d’une partie de la population de San Miguel Ixtahuacan contre la compa-gnie minière canadienne Goldcorp Inc.

Merci de libeller vos règlements à l’ordre du Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire- 75011 Paris

Page 12: Solidarité Guatemala 188

8

Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’une permanente à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles)

Les activités du Collectif au Guatemala ● L’accompagnement international √ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées dans des procès contre les responsables de violations massives des droits de l'Homme, √ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes.

Comment ?

√ à la demande des groupes ou personnes menacées, √ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au minimum 4 mois sur le terrain.

Pourquoi ?

√ pour établir une présence dissuasive, √ pour avoir un rôle d'observateur, √ pour relayer l'information. Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous hori-zons, désirant s’engager pour une durée minimum de 4 mois. Des ses-sions d’information et de préparation ont lieu en France avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont accueillis et suivis par le Cen-tre d’action légale pour les droits de l’Homme (CALDH).

● L’organisation de voyages pour découvrir le Guatemala autrement √ séjour annuel de 2 semaines √ rencontres avec nos associations partenaires

Les activités du Collectif en France

● L'appui aux organisations de la société civile guatémaltè-que qui luttent pour plus de justice et de démocratie √ en relayant des dénonciations de violations des droits de l'Homme, √ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendica-tions, √ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets, √ en recevant en France et en Europe des représentants de dif-férentes organisations pour leur permettre de rencontrer des décideurs politiques et financiers.

● L’information et la sensibilisation du public français

Sur quoi ?

√ la situation politique et sociale au Guatemala, √ la situation des droits de l'Homme, √ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes.

Comment ?

√ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent mensuelle, √ par l'organisation ou la participation à des conférences, dé-bats, réunions, √ par des réunions bimensuelles ouvertes à toute personne inté-ressée.

● Le travail en réseau avec différents types de partenaires présents au Guatemala

√ associatifs, √ institutionnels.

Solidarité Guatemala n °18 8 j a n v . - f é v . 2 01 0

ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien :

� Adhésion au Collectif , permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent 23 €

� Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif) 15 €

� Don , un soutien supplémentaire pour nos activités ………

Total : ………………

Nom ................................................................... Prénom ................................................................................

Adresse ............................................................................................................................................................

Code Postal ......................................... Ville .....................................................................................................

Téléphone ........................................... Courrier électronique ..........................................................................

□ Je souhaite être informé(e) par e-mail des activités du Collectif Guatemala

□ Je souhaite faire partie du Réseau d’alertes urgentes électronique

Les dons et cotisations peuvent être déductibles pour moitié des impôts. Un reçu fiscal vous sera adressé sur demande.