La Russie d'Aujourd'hui

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Ce supplément est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Moscou, Russie) qui assume seule l'entière responsabilité de son contenu Distribué avec Mardi 26 avril 2011 Secrets culinaires Les traditions méconnues de la cuisine russe : des spécialités de terroir riches d’histoire et de saveurs. P. 8 L’ère de la féminisation et de la non-fiction La littérature russe connaît une renaissance et affiche de nouvelles tendances. P. 7 PAUL DUVERNET LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI Une délégation de 300 hommes d’affaires belges, conduite par le Prince Philippe, s’est rendue en Russie début avril. Un troisième sommet du genre qui s’est avéré particulièrement productif. Une vingtaine de contrats ont été signés durant ce qui fut la plus productive, et de loin, des ren- contres au sommet entre la Bel- gique et la Russie. La délégation belge, conduite par le Prince Phi- lippe, a d’abord visité la future technopole russe de Skolkovo. Conscient du fait que le président russe place beaucoup d’espoirs dans Skolkovo pour replacer le pays sur la voie de l’innovation, le Prince a tenu à vérifier si la Belgique pouvait apporter sa pier- re à l’édifice. À l’issue d’une ren- contre avecViktorVekselberg, pré- sident du Fonds Skolkovo, l’héritier de la couronne a souli- gné l’intérêt des entreprises bel- ges pour des investissements dans ce projet, qu’il considère comme « un symbole de la politique russe visant à moderniser l’économie ». Les Belges se sont intéressés aux secteurs des biotechnologies, des technologies de l’information et de l’efficacité énergétique, a re- levé Alexeï Sitnikov, qui dirige le département du développement international de Skolkovo. Entretien avec le conseiller présidentiel pour les droits de l’homme, qui présente son « Plan Marshall » pour stimuler la formation d’une société civile responsable et influente. Non à l’assistanat PAGE 2 PAGE 5 Caucase grand luxe Dans l’écrin du Caucase, une future station de ski, baptisée Lagonaki, ambitionne de rivali- ser avec Courchevel. L’État, qui prend le projet à bras-le-corps, assure le financement. La publicité est devenue à ce point envahissante à Moscou qu’elle en recouvre des façades historiques et fait de l’ombre aux habitants. Le nouveau maire a décidé qu’il était temps de remettre de l’ordre. Pub : la déferlante PAGE 3 SUITE EN PAGE 2 VERONIKA COLOSIMO SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, il faut passer un point de contrô- le muni d’une autorisation obte- nue au préalable. Avant d’être admis, tout visiteur doit signer un papier stipulant qu’il prend l’en- tière responsabilité des risques en- courus. À l’approche du réacteur, recouvert depuis la fin de 1986 d’un sarcophage de béton et d’acier, les dosimètres s’emballent et indiquent des niveaux de ra- dioactivité plusieurs dizaines de fois supérieurs à la normale. Mais Tchernobyl : des traces indélébiles Nucléaire 25 ans après, dans les ruines autour de la centrale Un quart de siècle après la catastrophe, on mesure toujours le coût humain et économique effroyable des erreurs de l’industrie nucléaire. Bien au-delà de la zone d’exclusion. 50 000 manifestants ont défilé le 16 avril à Moscou. PHOTO DU MOIS La jeunesse contre la corruption Jenia, médecin, travaillait jadis à l’Institut médical de Novossibirsk, un centre de recherche prestigieux. Il y a trois ans, son mari, pianiste, lui a parlé d’un groupe d’écologis- tes qui vivent de la terre à 75 km au nord de Novossibirsk, sur les bords de l’Ob. « J’ai bien ri en écou- tant son conte de fées, mais il m’a dit qu’il m’emmènerait voir de mes propres yeux. Et c’est comme ça que nous sommes arrivés ici... pour y rester », se souvient-elle. Jenia, son mari et leurs deux filles de sept et huit ans vivent désormais avec les 51 familles de la commune bapti- sée « Terre d’abondance », dont les membres ont entre un et 91 ans. Des communautés de « colons » surgissent dans les coins les plus reculés du pays, dont la Sibérie, attirant des milliers de Russes en quête d’une vie autonome et res- pectueuse de l’environnement. Le nombre d’ « éco-communes », comme on les appelle, a drastique- ment augmenté en dix ans. Ce mou- vement de retour à la terre attire ceux qui se sont lassés des villes polluées et du consumérisme ef- fréné qui règne en milieu urbain. Fuir la ville Un nombre croissant de familles russes opte pour un retour au mode de vie plus proche de la nature. Mais il n’est pas toujours facile de se débarasser des habitudes consuméristes. ANNA NEMTSOVA LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI SUITE EN PAGE 5 PAGE 6 OPINIONS Poutine opte pour le pragmatisme L’économiste Roland Nash es- time que les capitales occiden- tales n’ont pas encore réalisé que désormais, la politique étrangère russe se fonde essen- tiellement sur les intérêts éco- nomiques du pays, sans souci de suivisme ou d’opposition par rapport à l’Occident. LAISSEZ-NOUS VOUS PRÉSENTER LA RUSSIE ! Avril 26 / Mai 31 www.larussiedaujourdhui.be tous les derniers mardis du mois dans Le Soir © ALAMY/PHOTAS © AFP/EAST NEWS © ITAR-TASS © ALEXEY MAISHEV © LORI/LEGION MEDIA © ILYA VARLAMOV SUITE EN PAGE 4 Sous le signe des investissements Relations bilatérales Moscou espère voir les sociétés belges participer à la modernisation de l’économie russe les guides de l’agence gouverne- mentale Chernobyl Interinform, rassurent : « La dose reçue en une journée passée ici est inférieure à celle d’une radiographie dentai- re », expliqueYouri Tatarchouk. Il travaille sur le site depuis 1998. Non loin du réacteur on observe de l’activité sur le chantier du nou- veau sarcophage. Le projet, mené depuis 2007 par le groupement français Novarka, fait débat. Pour pénétrer dans la « zone d’ex- clusion », un rayon de 30km autour de la centrale de Tchernobyl et de son réacteur numéro 4 qui a brûlé Le Prince Philippe et la Princesse Mathilde de Belgique, en visite au couvent de Novodevichy

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La Russie d'Aujourd'hui est une source d'informations politiques, économiques et culturelles internationalement reconnue. Elle propose une couverture médiatique réalisée sur le terrain par des journalistes possédant une connaissance en profondeur du pays, ainsi que des analystes et un vaste éventail d'opinions sur les événements actuels.

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Page 1: La Russie d'Aujourd'hui

Ce supplément est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Moscou, Russie) qui assume seule l'entière responsabilité de son contenu

Distribué avec

Mardi 26 avril 2011

Secrets culinaires Les traditions méconnues de la cuisine russe : des spécialités de terroir riches d’histoire et de saveurs.

P. 8

L’ère de la féminisation et de la non-fictionLa littérature russe connaît une renaissance et affiche de nouvelles tendances.

P. 7

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D'AUJOURD'HUI

Une délégation de 300 hommes d’affaires belges, conduite par le Prince Philippe, s’est rendue en Russie début avril. Un troisième sommet du genre qui s’est avéré particulièrement productif.

Une vingtaine de contrats ont été signés durant ce qui fut la plus productive, et de loin, des ren-contres au sommet entre la Bel-gique et la Russie. La délégation belge, conduite par le Prince Phi-lippe, a d’abord visité la future technopole russe de Skolkovo. Conscient du fait que le président russe place beaucoup d’espoirs dans Skolkovo pour replacer le pays sur la voie de l’innovation, le Prince a tenu à vérifier si la Belgique pouvait apporter sa pier-re à l’édifi ce. À l’issue d’une ren-contre avec Viktor Vekselberg, pré-sident du Fonds Skolkovo, l’héritier de la couronne a souli-gné l’intérêt des entreprises bel-ges pour des investissements dans ce projet, qu’il considère comme « un symbole de la politique russe visant à moderniser l’économie ». Les Belges se sont intéressés aux secteurs des biotechnologies, des technologies de l’information et de l’efficacité énergétique, a re-levé Alexeï Sitnikov, qui dirige le département du développement international de Skolkovo.

Entretien avec le conseiller présidentiel pour les droits de l’homme, qui présente son « Plan Marshall » pour stimuler la formation d’une société civile responsable et influente.

Non à l’assistanat

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Caucase grand luxe

Dans l’écrin du Caucase, une future station de ski, baptisée Lagonaki, ambitionne de rivali-ser avec Courchevel. L’État, qui prend le projet à bras-le-corps, assure le financement.

La publicité est devenue à ce point envahissante à Moscou qu’elle en recouvre des façades historiques et fait de l’ombre aux habitants. Le nouveau maire a décidé qu’il était temps de remettre de l’ordre.

Pub : la déferlante

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VERONIKA COLOSIMOSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, il faut passer un point de contrô-le muni d’une autorisation obte-nue au préalable. Avant d’être admis, tout visiteur doit signer un papier stipulant qu’il prend l’en-tière responsabilité des risques en-courus. À l’approche du réacteur, recouvert depuis la fin de 1986 d’un sarcophage de béton et d’acier, les dosimètres s’emballent et indiquent des niveaux de ra-dioactivité plusieurs dizaines de fois supérieurs à la normale. Mais

Tchernobyl : des traces indélébiles Nucléaire 25 ans après, dans les ruines autour de la centrale

Un quart de siècle après la catastrophe, on mesure toujours le coût humain et économique effroyable des erreurs de l’industrie nucléaire. Bien au-delà de la zone d’exclusion.

50 000 manifestants ont défilé le 16 avril à Moscou.

PHOTO DU MOIS

La jeunesse contre la corruption

Jenia, médecin, travaillait jadis à l’Institut médical de Novossibirsk, un centre de recherche prestigieux. Il y a trois ans, son mari, pianiste, lui a parlé d’un groupe d’écologis-tes qui vivent de la terre à 75 km au nord de Novossibirsk, sur les bords de l’Ob. « J’ai bien ri en écou-tant son conte de fées, mais il m’a dit qu’il m’emmènerait voir de mes propres yeux. Et c’est comme ça que nous sommes arrivés ici... pour y rester », se souvient-elle. Jenia, son mari et leurs deux fi lles de sept et huit ans vivent désormais avec les 51 familles de la commune bapti-sée « Terre d’abondance », dont les membres ont entre un et 91 ans. Des communautés de « colons » surgissent dans les coins les plus reculés du pays, dont la Sibérie, attirant des milliers de Russes en quête d’une vie autonome et res-pectueuse de l’environnement. Le nombre d’ « éco-communes », comme on les appelle, a drastique-ment augmenté en dix ans. Ce mou-vement de retour à la terre attire ceux qui se sont lassés des villes polluées et du consumérisme ef-fréné qui règne en milieu urbain.

Fuir la villeUn nombre croissant de familles russes opte pour un retour au mode de vie plus proche de la nature. Mais il n’est pas toujours facile de se débarasser des habitudes consuméristes.

ANNA NEMTSOVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

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OPINIONS

Poutine opte pour le pragmatismeL’économiste Roland Nash es-time que les capitales occiden-tales n’ont pas encore réalisé que désormais, la politique étrangère russe se fonde essen-tiellement sur les intérêts éco-nomiques du pays, sans souci de suivisme ou d’opposition par rapport à l’Occident.

LAISSEZ-NOUS VOUS PRÉSENTER LA RUSSIE !

Avril 26 / Mai 31

www.larussiedaujourdhui.be tous les derniers mardis du mois dans Le Soir

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Sous le signe des investissementsRelations bilatérales Moscou espère voir les sociétés belges participer à la modernisation de l’économie russe

les guides de l’agence gouverne-mentale Chernobyl Interinform, rassurent : « La dose reçue en une journée passée ici est inférieure à celle d’une radiographie dentai-re », explique Youri Tatarchouk. Il travaille sur le site depuis 1998.Non loin du réacteur on observe de l’activité sur le chantier du nou-veau sarcophage. Le projet, mené depuis 2007 par le groupement français Novarka, fait débat.

Pour pénétrer dans la « zone d’ex-clusion », un rayon de 30km autour de la centrale de Tchernobyl et de son réacteur numéro 4 qui a brûlé

Le Prince Philippe et la Princesse Mathilde de Belgique, en visite au couvent de Novodevichy

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protéger les gens qui travailleront à l’intérieur. À l’heure actuelle, le principal danger réside dans la poussière radioactive, qui provo-que des irradiations internes lorsqu’elle est inhalée ». Un quart de siècle après la catas-trophe, c’est l’absorption d’élé-ments radioactifs qui menace les employés de la centrale, mais aussi les milliers de personnes vivant dans les zones contaminées. Au-delà de la « zone d’exclusion », sur des centaines de kilomètres carrés toujours peuplés, les sols ont absorbé les rejets toxiques. Depuis, les habitants de ces ré-gions s’exposent à travers la nour-riture : champignons, baies et lait tiré des vaches qui pâturent libre-ment sont porteurs de radionu-cléides. « 70 à 95% des irradia-tions aujourd’hui sont internes, contre 5 à 30% externes », préci-se Valery Kashparov, directeur de l’Institut ukrainien de radiologie agricole. « On n’a pas de diagnos-tic officiellement reconnu, mais les enfants des zones contaminées ont un système immunitaire af-faibli et présentent souvent des insuffisances de croissance », se désole Olga Vassilenko, médecin au centre médical français de Kiev.

Alors que la date de péremption de l’ancien, fabriqué pour tenir 25-30 ans, approche, le chantier peine à démarrer, comme s’in-quiète Vladimir Tchouprov, le di-recteur du département énergé-tique de Greenpeace Russie. Le directeur de la zone d’exclu-sion, Volodymyr Kholocha, se veut rassurant : « Restauré, le sarco-phage peut encore servir 15 ans ». Mais il souligne qu’il manque 600 millions d’euros sur les 1,5 mil-liards nécessaires à la moderni-sation et à l’entretien du site. Plus grave, les experts dénoncent la défi cience du projet retenu : « Le principal objectif d’un nouvel abri était de permettre le démantèle-ment du vieux sarcophage et l’ex-traction de tous les combustibles nucléaires », explique Nikolay Karpan, ingénieur de la centrale depuis 1969 puis liquidateur des conséquences de l’accident de 1986 à 1989, actuellement directeur des programmes d’expertise du Parti national de Tchernobyl. « Mais ce but a été totalement perdu de vue, et le projet actuel n’est qu’une coque vide, un hangar, qui ne pré-voit aucun mécanisme de démon-tage, pas plus qu’il ne permet de

Pripyat, à 2 km de la centrale, est devenue une ville fantôme.

« Nous devons apprendre aux gens les règles de l’auto-organisation ».

Armoiries de la Fédération de

Russie.

Une catastropheaux traces indélébiles

ENSEIGNEMENTL'ÉCOLE DE MANAGEMENT VLERICK SE LANCE À MOSCOU

d'écoles européennes et américai-nes réputées (INSEAD, Cambridge, London Business School, Instituto de Empresa, Harvard et MIT). À terme, Vlerick prévoit d'intégrer des professeurs russes. La formation intitulée Executive MBA s'étend sur 17 mois et son coût (45 000 euros) est deux fois inférieur à son principal concurrent moscovite (Skolkovo). Du coup, l'offre de Vlerick paraît très compé-titive sur le marché russe. Cette école a en Europe la réputation d'avoir l'un des meilleurs rapports qualité/prix.

EN BREF

Vlerick Leuven Gent Management School, déjà présente à Saint-Pé-tersbourg avec 600 élèves, ouvre une autre filiale dans la capitale russe. L'école, classée par The Economist à la 10ème place mondiale en 2009, va accueillir ses premiers étudiants moscovi-tes cet automne, a déclaré au quotidien Vedomosti son doyen Philipe Haspeslag. Environ la moitié des enseignants viendront des établissements Vle-rick situés en Belgique (Louvain et Gand) et l'autre moitié sera constituée de professeurs venant

DÉMOGRAPHIELE RECENSEMENT 2010 CONFIRME LA POURSUITE DU DÉCLIN

EMBLÊME NATIONALBIENTÔT UN CROISSANT DE LUNE SUR L'AIGLE À DEUX TÊTES ?

Le mufti en chef de la Direction spirituelle centrale des musul-mans de Russie, Talgat Tadjuddi-ne, a proposé d'intégrer un crois-sant de lune, symbole de l'islam, aux armoiries de la Russie. C'est une déclaration issue d'un entre-tien aux Nouvelles de Moscou. Établies sous l'empire russe et restaurées après la fin de l'URSS, les armoiries contemporaines de l'État représentent l'aigle bicéphale et incorporent des symboles tsaristes et orthodoxes.Or quatre religions sont reconnues comme traditionnelles en Russie : l'orthodoxie, l'islam, le judaïsme et le bouddhisme. M. Tadjuddine pro-pose de remplacer la croix d'une couronne de l'aigle par un crois-sant de lune et d'en apposer un autre à côté de la croix située au

on observe une urbanisation crois-sante de la population (73,7% des Russes). Fait unique en Europe, voire dans le monde, le déséquili-bre qui s'accentue entre les sexes : 53,7% des Russes sont des fem-mes, alors que le déséquilibre ob-servé dans les autres pays est le plus souvent en faveur des hom-mes. Enfin, à l'intérieur de la fédé-ration, Moscou continue d'afficher un solde excédentaire, tandis que les régions éloignées et en particu-lier l'Extrême-Orient russe connaît un exode qui va en s'accélérant.

centre. "Aucun ennemi ne pourra ainsi utiliser le facteur religieux au détriment de l'unité et de l'intégrité de notre patrie", affirme le mufti. Qui a envoyé ses esquisses au prési-dent et au Premier ministre.

La population russe a diminué de 2,2 millions d'individus (soit 1,6%) depuis le dernier recensement, effectué en 2002. Au total, le pays compte 142,9 millions d'ha-bitants. La diminution s'explique par trois facteurs : une balance migratoire toujours défavorable, un taux de mortalité élevé, qui n'est pas compensé par une nata-lité en redressement insuffisant. En regardant de plus près les ré-sultats, qui sont préliminaires (les résultats complets ne seront connus que l'année prochaine),

« Il faut mettre un terme à l'assistanat »Le conseiller présidentiel aux droits de l'homme Mikhaïl Fedotov com-mente son « plan Marshall » pour sti-muler la société civile.

Comment se présentera le docu-ment que vous allez soumettre au président ?Les mesures que je préconise de-vront aider à créer les conditions psychologiques de la modernisa-tion du pays, qui ne peut avoir lieu sans modernisation des esprits, des relations sociales et des stéréoty-pes comportementaux. Il est très important de garantir à chacun la possibilité de retrouver une réel-le justice, puis de connaître la vé-rité sur tout ce qui se passe autour, et enfi n de se sentir libre. Le sen-timent de justice, de vérité et de liberté n’est pas moins important. En effet, il arrive souvent que l’on n’ait pas conscience de sa réelle liberté, qu’on ne la ressente pas et par conséquent, on ne parvient pas à s’échapper du labyrinthe habi-tuel des interdictions tacites. Il est

ENTRETIEN AVEC L'OMBUDSMAN DE LA FÉDÉRATION RUSSE

très important que l’État soit ef-fectivement contraint de servir les intérêts de la société.

Combien de temps faudra-t-il pour détruire des stéréotypes profondé-ment enracinés ?Le fait est que les bolchéviques y sont parvenus très rapidement. Les stéréotypes comportementaux de la Russie tsariste étaient com-plètement différents de ceux exis-tant à grande échelle après 20 ans de pouvoir soviétique. Nous n’avons pas besoin de pousser les gens en rangs serrés vers l’avène-ment de l’État de droit démocra-tique et social décrit dans notre constitution. Nous devons appren-dre aux gens les règles de l’auto-discipline, l’auto-organisation, leur apprendre à être des initia-teurs, à ne pas rester allongés auprès du poêle.

Êtes-vous sûr que la société russe elle-même souhaite une telle indé-pendance ?

Ivan Nevmerzhitski, médecin en chef de l’hôpital de Lipniki, dans la région de Jitomir, s’inquiète : « Les cas de cancers de l’estomac et du poumon ont augmenté ces 25 dernières années ; une bron-chite se soigne pendant des se-maines, car les gens n’ont plus d’immunité. Selon moi, c’est di-rectement lié à l’irradiation par la nourriture ». Les produits ven-dus dans les supermarchés sont strictement contrôlés, mais pas

ceux bradés à la sauvette par les paysans eux-mêmes, sur les bords de routes. Ni ceux que les villa-geois consomment au quotidien. Selon des analyses menées par Greenpeace, dans certaines ré-gions, comme celle de Rivnenska (nord-ouest du pays, à 250 km de la centrale), la concentration de césium 137 dans le lait peut mon-ter jusqu’à 16 fois le niveau ac-ceptable, tandis que 73% des pâ-turages sont contaminés.

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

Polémique surle bilan humain

Après la catastrophe de Tchernobyl, les autorités soviétiques ont envoyé sur place 600 000 liquidateurs (pompiers, techniciens, militaires, ouvriers, pilotes d'hélicoptères). 5 722 (moins de 1%) sont morts dans les quatre années qui ont sui-vi, sans qu'il soit prouvé que les radiations aient joué un rôle dans tous ces décès. C'est pourquoi la polémique autour du bilan humain de la catastrophe se poursuit.

Un des liquidateurs après l'explo-

sion du réacteur.

parallèlement à la modernisation politique ?Oui, mais la demande de change-ment politique doit venir d’en bas, et non d’en haut. Les partis poli-tiques doivent encourager le pro-cessus d’auto-organisation publi-que. On doit réveiller la société, et ar-rêter de la bercer de rêves propa-gandistes. Une idéologie de la mo-dernisation doit remplacer l’idéologie de l’obéissance passi-ve. C’est pour cette raison que le conseil se penche sur des ques-tions d’éducation, de formation, de constitution d’une vision plus moderne du monde par les mé-dias. Regardez ce que diffusent les chaines nationales. Est-ce qu’el-les mettent en place des mécanis-mes pour le développement d’ini-tiatives ? Non. Ici, les émissions de télévision sont destinées aux femmes au foyer.

Mais les femmes au foyer sont majo-ritaires ici, et elles ne représentent

pas franchement une classe moder-nisatrice…Je ne vois pas d’obstacles à ce qu’une femme au foyer devienne un élément de modernisation. Elle peut par exemple intégrer l’asso-ciation des propriétaires ou le mou-vement des défenseurs de la pro-preté des rues, tenir un blog sur l’éducation des enfants. Ainsi, pro-gressivement, de simples femmes au foyer, nos concitoyennes pren-dront l’allure d’hôtes d’une gran-de maison globale, la Russie.

La classe politique est-elle prête à changer ?D’après moi, non. À ce jour, la clas-se politique se contente entièrement du sentiment de stabilité. Les prix élevés du pétrole garantissent, pen-sent-ils, cette stabilité. Mais on ne peut pas bâtir la politique à long terme d’un État sur une telle base.

Il y a pour l’instant une large ten-dance à l’assistanat dans la socié-té. Cela vient de tous les côtés : donnez-nous de l’argent, donnez-nous un logement… Nous propo-sons de changer les motivations et, également, les exigences. Il faut de la liberté pour faire naître des initiatives, il faut des ressources pour mettre en place des services

sociaux indépendants, il faut être responsable de la qualité et de la capacité de ces services. C’est pourquoi il est important de sti-muler la population pour qu’elle prenne une part active à la ges-tion des affaires de la société.

Êtes-vous favorable à ce qu'une mo-dernisation économique soit menée

Propos recueillis parViatcheslav Kozlov,

Moskovskie Novosti

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GALINA MASTEROVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Les enseignes publicitaires recouvrent des immeubles entiers de la capitale. Et nuisent non seulement à son apparence mais aussi à la qualité de vie de ses habitants.

À gauche après l’Oréal,puis suivez BMW

Vie quotidienne Quand la pub recouvre les façades et fait de l’ombre aux Moscovites

« La publicité a conquis la civilisa-tion », raille Albina Kholina dans la dernière édition d’un journal lit-téraire russe. Elle compare les ban-deaux publicitaires qui barrent les rues de Moscou à « des culottes qui sèchent sur un balcon ». Le gros pro-blème, c’est que la plupart des pu-blicités sont illégales. En janvier, la ville a retiré 33 enseignes « pirates », sans qu’interviennent des sanctions systématiques, ce qui a éveillé des soupçons de corruption au sein de la mairie. Maxime Tkatchev, le directeur de News Outdoor, l’un des grands ac-teurs du marché, considère que « la ville n’est pas intéressée par la trans-parence et l’ordre » dans le domai-ne de la publicité de rue. Le fonc-tionnaire jusqu’ici chargé du secteur a été accusé de corruption. En prin-cipe, l’accord d’au moins deux tiers des habitants d’un immeuble condi-tionne l’installation d’une enseigne sur la façade. Et la recette de la lo-cation de l’emplacement doit être affectée à l’entretien du bâtiment. « Si c’est fait correctement, tout le monde y gagne. Mais ce n’est pas le cas en ce moment », dit Andreï Be-ryozkine, le directeur de Espar-Ana-litik, qui analyse le phénomène pu-blicitaire urbain. Quand les résidents d’un immeuble luxueux de la rue Koutouzovsky se sont retrouvés avec des fenêtres bloquées par une pu-blicité pour la voiture Infi niti de 100 mètres sur 22, ils n’ont obtenu aucu-ne compensation. « Nos apparte-ments sont dans la pénombre pen-dant la journée et baignés de lumière néon la nuit », ont-ils écrit dans une lettre ouverte au Président Dmitri Medvedev. Ils y expliquaient aussi que les publicitaires étaient censés verser au titre de la location un million de dollars par an, dont ils ne voyaient pas la couleur. « Les entreprises comptent sur le fait que les résidents ignorent leurs droits », dit Beryozkine. « Je voudrais juste pouvoir voir la ville dans laquelle je vis », écrit la journaliste Albina Kholina, en notant que l’on remar-que les changements que subit la capitale quand un Moscovite donne des indications d’itinéraire : « Tour-nez à gauche après L’Oréal, puis sui-vez BMW, là vous verrez Samsung, et après Pepsi, prenez à droite, vers l’immeuble Sony ».Des pans d’immeubles entiers sont recouverts de publicités.

33 publicitésillégales ont été reti-rées par les autorités moscovites en janvier dernier.

1 er supportpublicitaire, les ensei-gnes extérieures sup-plantent les autres mo-des de publicité.

20 pour centdes publicités présen-tes à Moscou doivent disparaître d’ici début 2013.

EN CHIFFRES

Il y a 20 ans, les enseignes placar-dées sur un immeuble exhortaient les Soviétiques à travailler plus. Aujourd’hui, Moscou a embrassé la réclame consumériste avec un tel enthousiasme que les publici-taires eux-mêmes jugent que la ville a sombré en plein chaos visuel. La municipalité qui a pris le relais de Iouri Loujkov, l’ancien maire que l’on croyait indéboulonnable, a dé-cidé de réduire le volume de pu-blicité extérieure de 20% d’ici à 2013, et les autorités veulent tota-lement débarrasser le centre his-torique de toute annonce commer-ciale. « La priorité doit être réservée aux bâtiments historiques et non à la pub, surtout dans le cen-tre aux si belles perspectives », ex-plique Konstantin Mikhailov, un militant de l’organisation non gou-vernementale de préservation ar-chitecturale Archnadzor.

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.be

MACHA FOGELLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Brimée sous l’ère soviétique, la communauté juive observait ses traditions dans la clandestinité. Aujourd’hui, elle tente de redonner vie à des coutumes parfois oubliées.

Une Pâque juive aux multiples facettes Religion 20 ans après la Perestroïka, le judaïsme connaît un essor et une liberté sans précédent en Russie

La fête de Pessah est l'occasion pour les juifs russes de se réunir.

Iakobishvili, qui dirige la com-munauté des femmes géorgien-nes, en est fière : « À Tbilissi, nous avons toujours eu de la mat-sah et de la viande cachère ». De nos jours, les synagogues de Moscou comptent presque tou-

De l’intérieur du restaurant TGI Fri-days, sur la place Pouchkine, on a l’impression que c’est le soir, alors qu’il est midi. Il y a beaucoup de fe-nêtres, mais quelque chose empêche la lumière de pénétrer. La façade de cet immeuble constructiviste du début du XXe est dissimulée sous une publicité vantant une station de ski. De l’autre côté de la rue, les deux faces d’un autre immeuble sont recouvertes d’une affiche géante pour Chanel. Des lettres en tubes néon monumentales coiffent les plus hauts édifi ces de la place.

« Mon grand-père fut exécuté en 1950 à Leningrad par l’État so-viétique parce qu’il fabriquait de la matsah, cette galette plate que les juifs mangent à la place du pain levé pendant les huit jours de la fête de Pessah, la Pâque juive. Aujourd’hui, mon fi ls, qui porte le nom de mon grand-pè-re, est chargé par le Président Dmitri Medvedev de cachériser la cuisine du Kremlin quand Benyamin Netanyahou, le Pre-mier ministre israélien, est en visite à Moscou », se réjouit le rabbin Yitshak Kogan, qui diri-ge la principale synagogue lou-bavitch de Moscou. Depuis la Perestroïka, la vie re-ligieuse juive renaît de ses cen-dres en Russie. L’immigration de masse vers Israël et les États-Unis a retardé une renaissance apparue avec le redressement de l’économie des années 2000. La capitale compte désormais une quinzaine de synagogues, contre deux à l’époque soviétique. Un chiffre à peine supérieur à Bruxelles, et à comparer avec la

soixantaine de synagogues de Paris intra muros. Pendant les décennies soviéti-ques, les rites de la fête de Pes-sah comptaient parmi les rares à avoir été transmis chez les juifs russes. La famille se réunissait les deux premiers soirs de la fête, et l’on mangeait un peu de cette matsah interdite. « Je me rap-pelle que ma grand-mère savait encore lire l’hébreu et regardait quelque chose dans un livre, mais pour moi, cette fête était l’équi-

valent d’un simple anniversai-re », raconte Rita, la secrétaire du Rabbin Kogan. Ce dernier vient au contraire d’un milieu resté toujours très religieux, une exception chez les juifs de Rus-sie. « Ma famille accueillait tous ceux qui le souhaitaient pour en-tendre le récit en hébreu de la sortie d’Égypte ; à Pessah, la porte restait ouverte toute la nuit ce qui, dans les années 1950, re-présentait un péril », relate en yiddish le rabbin à longue barbe blanche, coiffé du chapeau noir traditionnel des hassidim lou-

Nombreux sont ceux qui ont oublié comment fêter Pessah, c’est pourquoi ils vont à la synagogue

bavitch. Aujourd’hui, la synago-gue qu’il dirige, à quelques cen-taines de mètres du Kremlin, accueille 800 personnes pour les repas de Pâques.La synagogue chorale de Mos-cou, celle qui était restée active pendant l’ère soviétique, invite elle aussi un millier de fi dèles pour ces festins. « Ce n’est pas forcément une bonne chose », tempère Yitshak Lifshitz, respon-sable du service de nourriture cachère. « La fête de Pessah est familiale par essence, elle consti-tue un moment de transmission essentiel entre les parents et les enfants, les premiers expliquant aux derniers l’essence et l’his-toire du peuple juif. De nos jours, de nombreuses personnes ont oublié comment la fêter, c’est pourquoi ils viennent ici ».Les communautés juives géor-giennes, caucasiennes ou azer-baïdjanaises, sont restées d’avan-tage pratiquantes. Abigail

gogue chorale, la seule en état de marche ; on faisait la queue dans un immense escalier avec nos propres sacs de farine. Et tout en haut, des juifs fabri-quaient la matsah, en silen-ce ».

" Dans chaque génération, chacun doit se considérer comme s’il était lui-même

sorti d’Égypte ».HAGGADDAH, (LIVRE DE PESSAH)

IL L’A DIT

Rabbin Kogan

tes une salle réservée à la com-munauté géorgienne, et souvent une autre pour les juifs des montagnes. À Moscou, c’était une autre ambiance, se rappel-le Rita : « Quand j’étais enfant, les gens se rendaient à la syna-

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Sous le signe des investissements

investissements nécessaires en matière de transports publics. La seconde partie de la visite s’est déroulée à Saint-Pétersbourg, dont l’économie est traditionnel-lement tournée vers le Nord de l’Europe. Le gouverneur de la ré-gion, Valentina Matvienko, a pro-fi té de l’occasion pour noter que les échanges entre la « capitale du Nord » et la Belgique ont pro-gressé de 27% en 2010 pour at-teindre un volume de 538 mil-liards de dollars. La Belgique occupe par ailleurs la 4ème place parmi les investisseurs interna-

capitale russe de la culture. Les hommes d’affaires en herbe lo-caux peuvent même, désormais, parfaire leur formation dans une école de management belges, qui forme actuellement 600 étudiants russes (lire aussi en page 2). Ces derniers pourront d’autant mieux suivre les cours... qu’une chaîne de cafés belge va bientôt se ré-pandre dans les rues de la ville. Mais le nom de cette enseigne reste un secret bien gardé. Si l’on observe les échanges com-merciaux d’un point de vue plus large, en tenant compte de l’en-

Le Prince Philippe a ensuite ren-contré le président russe Dmitri Medvedev et le maire de Moscou Sergueï Sobyanine. Ce dernier a noté que la capitale russe allait déposer des appels d’offres ouverts aux fournisseurs internationaux et qu’il s’intéressait en particu-lier à ce que les sociétés belges pouvaient apporter en matière d’équipements industriels et de médicaments. Le maire de Mos-cou a également attiré l’attention de son hôte sur les fantastiques

tionaux dans l’économie locale, soit 8% des investissements étran-gers. Quarante sociétés belges sont présentes à Saint-Pétersbourg. L’année 2011 a bien commencé puisque les entreprises belges ont à ce jour déjà investi autour de 450 millions de dollars dans la

semble des régions russes, la ten-dance est également à l’intensi-fi cation rapide et à la croissance. Mais les effets de la crise se font encore sentir. En 2009, au plus fort de la période de crise, la Fé-dération de Russie occupait le 17e rang parmi les principaux partenaires de la Belgique. Les exportations belges ont reculé, passant de 3,6 milliards d'euros en 2008 à 2,2 milliards en 2009, soit une baisse de 38,3%. La part de la Russie atteignait 0,8% du volume total des ventes belges vers l'étranger. Pour les impor-

tations, la Fédération de Russie reste le 12ème fournisseur de la Belgique. La Russie a constitué 1,6% du volume total des im-portations belges, pour un mon-tant de 4 milliards d’euros en 2009 (les chiffres pour 2010 n’ont pas encore été publiés, mais de-vraient montrer une forte crois-sance). Au total, la Russie est en rapport avec quelques 2.600 so-ciétés belges.Une analyse sectorielle des échan-ges économiques montre que les premières positions sont occupées par les exportations de produits chimiques, qui constituent un quart des exportations belges vers la Russie, devant les exportations de voitures et d'équipement (11%), de moyens de transport (10%), de plastiques (8%) et de métaux non précieux (7%). En un an, entre septembre 2009 et septembre 2010, les importa-tions russes en provenance de Bel-gique ont connu une hausse de près de 50% (de 1,6 milliard d'euros à 2,5 milliards), plaçant la Russie en quinzième position parmi les acheteurs de produits belges. Dans l’autre sens et durant la même période, les livraisons com-merciales russes en Belgique ont augmenté de 80%, à 4,6 milliards d'euros, ce qui a propulsé la Rus-sie en 10e position des fournis-seurs de la Belgique.L'implication belge dans la mo-dernisation russe s'inscrit dans une logique historique, car avant la révolution de 1917, les ingé-nieurs et les techniciens belges étaient parmi les plus actifs dans le processus d'industrialisation du pays, note Youri Roubinski, di-recteur des études francophones à l'Institut de l'Europe.

EN BREF

La première pierre de la Fashion House de Moscou a été posée le 5 avril dernier par le Groupe Fashion House, spécialiste des magasins d'usine intégrés et bras armé du Groupe Liebrecht & Wood, fi nanceur de ce projet de 97 millions d'euros. Le centre sera situé non loin de l'aéroport inter-national de Cheremetievo, point de passage stratégique qui devrait bénéfi cier d'ici peu de l'autorou-te Moscou-St Pétersbourg. Fashion Group mène parallèlement un projet du même type à St Péters-

Gazprom stocke en Belgique

Une filière automobile belgo-russe

Binnofarm et UCB Pharma s'associent

Moscou aura sa Fashion House

Le PDG du groupe d'Etat russe Gazprom, Alexeï Miller, et le prince héritier Philippe de Bel-gique ont évoqué les perspecti-ves de développement de la coo-pération bilatérale dans la sphère énergétique. Ils se sont no-tamment penchés sur le transit de gaz naturel russe vers des pays tiers. Les participants de la rencontre ont accordé une attention parti-culière aux capacités d'élargis-

sement de la coopération bilaté-rale entre Gazprom et la compagnie belge Fluxys, et aux perspectives d'utilisation d'un stockage souterrain de gaz à Loen-hout, dont le volume utile attein-dra, suite à des travaux d'agran-dissement de ses capacités, 700 millions de mètres cubes en 2011. En 2010, Gazprom livrera environ 3 milliards de mètres cubes de gaz à la Belgique.

La « Compagnie Oust-Louga » (région de Leningrad), Interna-tional Car Operators et le port de Zeebruges (Belgique) ont conclu un accord de partenariat pour la formation d'une chaîne logistique de livraison d'automo-biles et de véhicules via le port d'Oust-Louga. La compagnie belge International Car Opera-tors prévoit notamment de par-ticiper au développement du cen-tre logistique de stockage, qui permettra augmenter les capa-cités de transit des terminaux de la partie sud du port d'Oust-Lou-ga. Le port d'Oust-Louga est situé

sur la frontière entre la Russie et l'Union européenne. La grande profondeur des eaux du port (16 m) conjuguées à un court canal de communication (3,7 km) font du port d'Oust-Louga le seul port russe de la Baltique capable d'ac-cueillir des cargos d'un poids pou-vant atteindre 75.000 tonnes et des tankers d'un poids jusqu'à 120.000 tonnes.En 2010, le trafi c de fret du port d'Oust-Louga a atteint 11,8 mil-lions de tonnes et 65.500 automo-biles. On prévoit qu'à l'horizon 2018, le trafi c augmentera à 180 millions de tonnes de fret divers par an.

La compagnie Binnofarm, qui gère les actifs d'AFK Sistema dans le secteur pharmaceutique et des biotechnologies, a signé un accord de partenariat avec le belge UCB Pharma : l'usine de Zelenograd (nord de Moscou) pro-duira des médicaments sous li-cence, jusqu'à 7,5 millions de ta-blettes par an à l'horizon 2015. Par ce biais, Binnofarm participe au programme de substitution des importations, et mobilise ses ca-pacités de production inexploi-tées. L'année dernière, un accord similaire avait été signé avec le britannique GlaxoSmithKline.

Selon le vice-président d'UCB Pharma Thierry Teil, également directeur général de la compa-gnie en Russie et dans la CEI, les Belges sont attirés par la crois-sance du marché pharmaceuti-que russe qui, d’après les estima-tions, devrait atteindre 15%, ainsi que par les perspectives de tra-vail dans le cadre des program-mes d'État.Binnofarm avait conclu un ac-cord similaire en novembre 2010 avec le britannique Glaxo Smith-Kline Plc : les partenaires doivent désormais organiser la produc-tion de vaccins modernes.

bourg. Le centre moscovite de-vrait accueillir 192 commerces, aires de restaurations et cafés. À l'intérieur du bâtiment de "style moscovite classique", les galeries emmèneront les visiteurs dans les rues des grandes villes européen-nes à l'image de Londres, Milan ou Paris. De nombreuses grandes marques ont déjà été séduites par ce projet parmi lesquelles Mexx, Calvin Klein jeans, ou encore Le-vi's. L'ouverture des deux centres russes est prévue d'ici à l'année prochaine.

Qu'est-ce qui a permis aux échan-ges entre la Russie et la Belgique de franchir la barre des 9 milliards d'euros en 2010 ? En 2010, les échanges avec la Rus-sie ont connu un net regain d'ac-tivité. Les premières positions sont occupées par les produits chimi-ques, qui constituent un quart de nos exportations, devant les ex-portations d'équipements automo-biles.Pendant la même période, la Bel-gique a vendu à la Russie des mar-chandises pour 2,5 milliards d'euros, contre 1,6 milliard l'an-née précédente.

Qu'est-ce qui a motivé les 250 com-pagnies belges opérant actuelle-ment en Russie à se relocaliser ? La modernisation de l'économie russe représente une opportunité très évidente pour de nombreux secteurs clés de l'industrie belge, qui ont tout de suite compris

Arkady Arianoff est directeur

général de la Chambre de Com-

merce Belgo-Luxembourgeoise

pour la Russie et le Bélarus.

Propos recueillis parBoriana Cooper

(Rossiyskaya Business-gazeta)

l'avantage d'implanter leurs usi-nes directement sur le territoire russe. Ceci permet notamment d'éviter d'assez importants droits d'entrée et d'atteindre la renta-bilité, en obtenant un retour sur investissement en moins de cinq ans. En outre, nos entreprises ont trouvé en Russie une main d'œu-vre qualifiée et des ingénieurs compétents.

Qu'en est-il de l'industrie agro-alimentaire ? La réussite a également été au rendez-vous : la compagnie de production de bière Sun InBev a directement acheté neuf brasse-ries et en a construit une dixiè-me : actuellement la bière est peu à peu en train d'évincer la vodka !

L'industrie chimique, qui est l'un des premiers secteurs industriels de Belgique, connaît-elle égale-ment du succès en Russie ? Oui. Elle est aujourd'hui déjà pré-sente avec la société Solvay. Fi-nalement, le remplacement des machines et de l'équipement né-cessaire au développement de l'économie russe, notamment dans la métallurgie et l'aéronautique, a permis à différentes entrepri-ses belges de se consolider en Rus-sie grâce à leur savoir-faire et à leurs technologies de pointe. C'est en premier lieu parce que la Rus-sie préfère désormais les équipe-ments et les matériaux de qua-lité, chers mais fi ables !

La bière évince peu à peu la vodka...

ENTRETIEN AVEC ARKADY ARIANOFF

C'est la position de la Russie dans le classement des fournisseurs de la Belgique. Il ne s'agit plus uni-quement de matières premières.

C'est la part des exportations bel-ges qui vont vers la Russie. Un chiffre qui devrait exploser.

entreprises belges sontactuellement actives en Russie, es-sentiellement dans les secteurs de la chimie, de l'équipement auto-mobile et de la construction.

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EN CHIFFRES

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE Les exportations de produits chimiques représentent un bon quart des exportations belges vers la Russie

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Fuir la villeet renaître à la campagne, les mains dans la terre

veaux arrivants à construire leurs maisons en bois. Les Nadejdine, un couple de dentistes, sont aussi les boulangers de la communau-té. Klavdiya Ivanova, ancienne-ment professeur de musique, est connue pour ses vêtements tra-

ditionnels faits à la main. Son mari, officier de l’armée à la re-traite, aide au recyclage. « Toute ma vie, j’ai fait partie d’un systè-me, à l’école, à l’université, en of-fi cier loyal. Puis le système s’est écroulé sous mes yeux, détruit par des menteurs, des voleurs, des chefs outrageusement corrom-pus », raconte Dmitri Ivanov, of-frant une justifi cation banale pour de nombreuses personnes venues chercher une nouvelle vie au sein de la communauté. « Nous som-mes ici pour créer un nouveau mo-dèle social d’individus libres, pro-fessionnels et confiants. Nous mettons l’accent sur la réduction de notre impact négatif sur l’en-vironnement », précise Dmitri. Les organisations écologistes instal-lées en Russie, telles que Greenpea-ce, voient d’un bon œil le mouve-ment des éco-communes. « Nous sommes favorables à tous les mou-vements verts car ils refl ètent un

voulaient juste contrôler notre argent et exploiter notre travail », confi e Olga, qui est partie s’ins-taller dans un lieu encore plus isolé. Elle et ses enfants vivent désormais au sein d’une commu-nauté de 22 artistes qui fabri-quent de la poterie et des fl ûtes, dans un village. Mais même cette vie minimaliste lui paraît enco-re trop agitée. Elle cherche pa-tiemment un autre refuge, plus proche de la nature. Et surtout plus loin des hommes.

Jenia, grande et élancée, travaille en chantant toute la journée, range des choux sur sa véranda, remplit de miel des bocaux pour l’hiver et peint des œufs avec ses fi lles. « Depuis que nous avons déménagé ici, mon nouvel inté-rêt pour l’art, le chant, la science et l’agriculture me tire du lit tous les matins », dit-elle.Les aspirations d’activistes comme Jenia ne plaisent pas à tout le monde. L’Église orthodo-xe russe voit dans ces communes des sectes qui vénèrent de faux dieux. Et certaines autorités lo-cales contestent les velléités de diverses communautés visant à devenir propriétaires des terres qu’elles occupent. Les écologistes de « Terre d’abon-dance » assurent qu’ils ne sont pas une menace, et chaque mai-son est ouverte aux invités qui peuvent venir visiter et goûter au miel, à la tarte au potiron ou au lait de chèvre produits sur place. L’agriculture biologique est à la base du régime végétarien suivi par la population communautai-re. Les familles préfèrent ne pas envoyer les enfants à l’école et les confi ent aux membres de la com-munauté spécialisés dans tel ou tel domaine. Jenia, par exemple, enseigne la chimie. Chaque ménage participe au pot commun de « Terre d’abondance ». La famille de Valery Popov, un ancien physicien, aide les nou-

Carélie et sur la Volga. Certains se sont même exportés à l’étran-ger. L’éco-village Chambhala-Chasta Anastasia à Ash-land, dans l’Oregon (États-Unis), a ses racines en Russie et attire les « fans » de la nature. Tout n’est pas que miel dans cette nouvelle vie, car la nature est parfois très rude. L’hiver dernier, les températures sont descen-dues au-dessous de 50° dans l’Al-taï. Allumer les fours à bois un matin de gel n’est pas une siné-

cure, racontent les habitants. Et comme dans n’importe quelle entreprise humaine, des confl its surviennent. Olga Koumani, an-ciennement journaliste d’inves-tigation à Novossibirsk, a quit-té la grande ville en 2002. « Je n’arrivais plus à respirer, j’étouf-fais dans le système », explique-t-elle. En quête d’un meilleur cadre de vie, Olga a d’abord re-joint, avec ses trois enfants, la commune de Charbaï, dans l’Al-taï. « Les chefs de la commune

Jenia (à droite) a abandonné son travail prestigieux de chercheur pour le labeur physique des champs.

Les familles préfèrent éduquer leurs enfants à la maison. La force d’attraction de la nature sauvage reste difficile à quantifier.

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

Tout n’est pas que miel dans cette nouvelle vie, car la nature est rude et réserve parfois des surprises

RÉPUBLIQUE DE L’ALTAÏ

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.be

Le Caucase russe vise le tourisme haut de gammeSports d'hiver Le plateau de Lagonaki rêve de devenir le Courchevel oriental

Mode de vie Reportage en Sibérie auprès d’ex-citadins qui ont voulu changer d’air, pour de bon !

VLADIMIR RUVINSKYLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Un des projets de station les plus avancés se situe sur le plateau de Lagonaki, à quelques dizaines de kilomètres de la mer Noire. L’État prendra entièrement à sa charge les investissements.

Le meurtre de trois touristes rus-ses, attaqués par un groupe armé en février dans la région de l’El-brouz, n’a pas entamé la volonté du Kremlin de développer le tou-risme dans le Caucase russe. Mais le drame a eu son effet sur les touristes. Originaire de Moscou, Sergueï Michtchenko, skieur de-puis 15 ans, déclare que l’assas-sinat des trois touristes au pied de l’Elbrouz l’a forcé à envisager de renoncer à ses voyages dans le Caucase du Nord. « Les mon-tagnes y sont parfaites, mais y aller avec sa famille, ça fait peur, c’est uniquement pour les ama-teurs de sensations extrêmes ». Les autorités russes ont considé-ré le triple meurtre et le dynami-tage d’un téléphérique comme une tentative de torpiller leur ambi-tieux programme de développe-ment du tourisme dans le Cau-case du Nord, avec lequel elles prévoient de relancer l’économie de cette région sensible.

Dans le cadre de ce programme, on prévoit de créer cinq vastes stations de sports d’hiver, à l’aide d’investissements privés attei-gnant 11 milliards d’euros. L’une d’elles se situe sur le plateau de Lagonaki. D’une superfi cie de 650 kilomètres carrés, le site est à 95% en Adyguée et à deux heures et demie de route de Krasnodar. Épargnée par la guerre et les at-tentats, l’Adyguée est la républi-

que caucasienne la plus tranquil-le. Les autorités d’Adyguée et du kraï de Krasnodar, avec lequel la république partage le plateau, croient beaucoup au succès de la station. On estime qu’en 2019, elle accueillera entre 20 000 et 25 000 personnes par jour et qu’elle sera au niveau des stations alpines. Bien que l’Adyguée ne possède pas de frontières communes avec les autres républiques nord-cau-

casiennes, les questions relatives à la sécurité sont souvent posées à ses dirigeants. « Nous sommes au milieu du kraï de Krasnodar. Si l’on peut investir là-bas, pour-quoi pas ici ? », s’interroge le pré-sident de la république Aslan Tkhakouchinov. Actuellement, des négociations sont en cours sur le projet de la station de sports d’hiver de La-gonaki. L’ensemble des infrastruc-

tures des stations nord-caucasien-nes sera financé sur le budget fédéral. À cette fi n, on a créé en 2010 la société anonyme « Sta-tions du Nord Caucase » (KSK), dotée d’un budget de 1,5 milliard d’euros. Ces fonds serviront à construire et réparer les routes, lignes aériennes, et aménagements techniques. Tous les sites des sta-tions (hôtels, pistes de ski, res-taurants) sont censés être réali-sés par des investisseurs qui devraient débourser 9,67 milliards d’euros. Le directeur de KSK, Akhmed Bilalov, indique que le gouvernement fournit aux inves-tisseurs des garanties permettant en cas de force majeure de récu-pérer jusqu’à 70% des sommes investies. En outre, le gouvernement n’est pas opposé à l’idée de dispenser les in-vestisseurs de l’impôt sur le reve-nu et le patrimoine pour 10 ans (la période nécessaire au retour sur investissement), et à fournir des baux de 49 ans sur les terrains, a raconté l’adjoint du président russe Arkadi Dvorkovitch. Avec le soutien fi nancier de Mos-cou, la république développe ac-tivement le tourisme depuis cinq ans, en construisant routes et li-gnes aériennes, et en stimulant la construction d’hôtels et de

bases touristiques. Un milliard de roubles (25 millions d’euros) a été dépensé pour ce faire. Selon le chef du comité du tourisme d’Adyguée, Vladimir Petrov, le fl ux de touristes est conséquemment passé de 80 000 en 2007 à 240 000 en 2010.

L’objectif est de concurrencer les stations de ski alpines.

3RAISONS DE

PARIER SUR

LA RÉGION

1 La future station du plateau de Lagonaki devrait accueillir 20 000 à 25 000 touristes

par jour d’ici 2019. Une fréquen-tation comparable à celle des sta-tions alpines.

2 Le gouvernement fournit des garanties permettant de récupérer jusqu’à 70%

des sommes investies en cas de force majeure.

3 La région a déjà fait ses preuves comme centre d’attraction : les investis-

sements ont permis d’y faire pas-ser le flux touristique de 80 000 à 240 000 en trois ans.

désir naturel des gens de vivre en harmonie avec la nature », estime Vladimir Tchouprov, chef du dé-partement de l’économie d’éner-gie. Le nombre exact de Russes qui ont fui vers la nature est difficile à évaluer. Mais il va croissant. Au moins 10 000 personnes ont re-joint la « Ville du Soleil » de Vis-sarion, une communauté verte près d’Abakan. Des douzaines de villages écologiques ont surgi ces dernières années dans l’Altaï, en

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POUTINE MISE SURLE PRAGMATISME

Roland Nash THE MOSCOW TIMES

La comparaison de l’opéra-tion militaire de la coalition en Lybie avec les croisades du Moyen-Âge par le Pre-

mier ministre Vladimir Poutine a été considérée par certains criti-ques comme le dernier exemple de l’opportunisme russe déconcer-té. Cela semblerait cynique d’at-taquer ainsi une coalition qui prend soin de son image, alors que le but premier de l’intervention est de protéger une population d’un dictateur. C’est par ailleurs d’autant plus hypocrite, que le Kremlin, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, a ap-porté son soutien à l’opération en Libye par son vote d’abstention.Si les critiques du commentaire de Poutine y voient une attitude pontifi ante, ils n’ont pas vraiment compris de quoi il s’agit. Poutine n’a pas critiqué les pays occiden-taux parce qu’il soutient le diri-geant libyen Mouammar Kadhafi ou qu’il trouve amusant de titiller les États-Unis. Au contraire, ses propos refl ètent un certain prag-matisme de la politique étrangère, basée sur l’intérêt économique. Après s’être comparée à l’Occident pendant deux décennies, la Russie a enfi n trouvé son propre statut sur la scène internationale. Car l’un des principaux problèmes, auquel la Russie s’est retrouvée confrontée depuis l’effondrement soviétique, c’est que ce pays n’arrivait à se clas-ser dans aucune des catégories ins-titutionnelles ou géopolitiques. Elle a connu la défaite en tant que su-perpuissance, elle l’un des pays BRIC avec une croissance faible, elle l’intrus du G8 et le mouton noir de l’Europe. À chaque fois que la Russie tentait de se défi nir selon l’une de ces catégories, elle était perçue au mieux comme un pays à la traîne et au pire comme un pays qui accumule les échecs. La politique étrangère de ces der-nières années permet à la Russie de ne plus se confi ner à ces critè-res. L’amélioration économique et une période de relative stabilité à l’intérieur du pays ont permis de générer une nouvelle stratégie na-tionale et étrangère. Quant à la crise de 2008, elle a montré les failles du modèle économique oc-

La compétition sur l’efficacité et la compétitivité des prix selon les règles et les institutions occiden-tales, c’est loin d’être le point fort de la Russie. Mais une fois que la politique et l’économie sont asso-ciées, la position de la Russie se renforce considérablement. La Russie se réjouit de mélanger des accords commerciaux internatio-naux et la politique, comme elle a toujours mélangé la politique et l’économie à l’intérieur du pays. Cette approche risque de ne pas être bien accueillie aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Elle est toutefois plus conforme à l’appro-che économique d’un grand nom-bre de pays dans le reste du monde, où la délimitation entre l’État et le secteur privé est moins claire-ment défi nie. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les commentaires de Poutine. La Russie n’est jamais allée très loin en se définissant comme pro- ou anti-occidentale. Elle veut simplement essayer d’être plus pragmatique. Cela pourrait paraître cynique à Londres, Washington ou Bruxelles, mais cette tendance refl ète la reconnais-sance par Moscou du changement de la situation mondiale.

cidental, prouvant que ce modèle ne fonctionnerait pas en Russie. Cette stratégie est composée de plu-sieurs éléments. Le premier élément, c’est une règle d’or : ne pas se faire d'ennemis, ou du moins, en avoir le moins possi-ble. La Russie est en train de construire des relations internatio-nales à une très grande échelle. L’amélioration du climat politique entre la Russie, les États-Unis et l’Europe fait les gros titres dans la presse. Les traités sur la réduction des armes nucléaires, une meilleu-re coopération avec les pays occi-dentaux sur l’Iran, des progrès dans les négociations concernant l’en-trée dans l’Organisation Mondiale du Commerce, l’approvisionnement stable en gaz de l’Europe et une abstention au vote à l’ONU pour éviter une confrontation directe, refl ètent des améliorations signi-fi catives dans les relations entre l’Occident et la Russie. Des liens forts tissés avec les pays émergents sont également très im-

portants. La Russie est en train de développer ses relations avec les pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient. La ville d’Ekaterinbourg a accueilli la première conférence des pays BRIC l’année dernière. Pour la pre-mière fois, les pays émergents four-nissent une part importante de nou-veaux fonds propres investis en Russie. Un autre élément tout aussi im-portant : les champions russes sont encouragés à venir sur la scène in-ternationale, notamment en Inde, au Venezuela, au Brésil, dans les États du golfe Persique, en Afri-que sub-saharienne et tout parti-culièrement en Chine. En 2010, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de la Russie devant l’Allemagne, et c’était avant le lancement du pre-mier oléoduc depuis la Sibérie Orientale le 1er janvier de cette année. Il suffit de comparer ce par-tenariat avec les États-Unis, qui représentent aujourd’hui moins de 4% du commerce extérieur de la Russie. C’est l’Asie et le Golfe Per-sique qui déterminent les prix des principales exportations russes. L’Occident n’est plus considéré comme une source de fi nancement fiable à long terme. La crise de 2008 a montré la nécessité d’élar-gir au maximum la gamme des investissements et des fi nances.

Roland Nash est conseiller prin-cipal en investissement chez Verno Capital.

La Russie n’a jamais connu beaucoup de réussite en se définissant comme pro- ou anti-occidentale

S'AGRIPPERET OPPRIMER

Fiodor Loukianov

GAZETA.RU

La transition démocratique est la grande réussite po-litique de l’après guerre froide. De fait, les régimes

les plus autocratiques s’efforcent de respecter certains principes, et restent attentifs aux opinions exprimées à droite et à gauche. Depuis les années 1990, l’idée s’est ancrée qu’un État souverain ne peut en aucun cas servir de cou-verture à une politique inhumai-ne, et qu’une intervention mili-taire à des fi ns humanitaires est possible. La deuxième décennie du XXIè-me siècle marque un glissement de ce processus, dont le résultat est aujourd’hui difficile à évaluer. Renforce-t-il la démocratie ou bien a-t-il un effet inverse ? A l’heure actuelle, par exemple, les forces internationales sont léga-lement, sous le mandat de l’ONU, impliquées dans deux guerres ci-viles (en Libye et en Côte d’Ivoi-re) et prennent parti. Est-on bien certain que le camp choisi vaut mieux que l'autre ? L’opinion publique a aussi chan-gé : la tolérance envers les dicta-teurs est devenue, sinon quasi-nulle, du moins très faible. Au XXème siècle, les dictateurs les plus odieux étaient assurés de trouver un refuge à l'étranger et qu'on ne les laisserait pas dans la misère. Le « printemps arabe » a révélé la vulnérabilité des dictateurs. Les dirigeants autoritaires ont réalisé qu’aujourd’hui, la notion de fi délité géopolitique ne signi-fi ait plus rien. Washington n’a pas hésité à désavouer son plus fi dè-le allié, le président égyptien Mou-barak. Et Paris a renoncé à son amitié avec Ben Ali. Ce dernier s’est enfui en Arabie Saoudite, probablement l’un des derniers avant-postes de la dictature, où il ne subira pas une extradition. Mouammar Kadhafi refuse de se rendre et la coalition internatio-

nale cherche une sortie pour le Co-lonel. Mais où ? Avant la résolu-tion de l’ONU autorisant le recours à la force, une autre résolution a été adoptée, interdisant à quicon-que d’accueillir le leader libyen et sa famille. Mouammar Kadhafi est du coup au pied du mur. Quelles conclusions tirer pour ces dirigeants non démocratiques de par le monde, de l’Extrême-Orient à l’Afrique, en passant par le Be-larus et l’Asie Centrale ? Il ne leur reste qu’une option : s'agripper au pouvoir, agir rapidement et avec la plus grande fermeté.Naturellement, on pourrait leur rétorquer : c’est votre faute ! Vous n’aviez qu’à y penser avant ! Mais la question n’est pas tant morale que politique. Car la politique mondiale a perdu de sa fl exibi-lité.

Le déséquilibre militaro-politi-que, couplé aux idéaux de la fi n du XXème siècle, a conduit à une polarisation de la situation. Les possibilités de trouver des solu-tions pragmatiques se rétrécis-sent. Et les alternatives à l'ordre du jour n’en sont que plus extrê-mes. Des circonstances qui ten-dent à pousser les dictateurs à toujours plus de violence, et l’homme démocratique à inter-venir là où personne ne souhai-tait jusque-là s’engager.La Libye en est un exemple frap-pant, et l’impasse créée de toute part, son ultime conséquence. Et plus les puissances mondiales tomberont dans ces pièges, moins grande sera leur capacité à gérer une crise internationale, et donc à peser sur les dictateurs.

Fiodor Loukianov dirige la revue « Russie dans la politique globale ».

Une majorité de Russes perçoivent négativement l’augmentation des prix du pétrole, en dépit de l’apport massif de devises pour le budget de l’État. Ils estiment que les re-venus supplémentaires engendrés par la hausse ne profi teront pas à la population mais seront acca-parés par les hauts fonctionnaires et les oligarques qui se les réparti-ront. Tandis que les prix des biens et services subiront, eux, une forte inflation.

Pétrole cher : pas de quoi se réjouirCONSIDÉREZ-VOUS QUE LES PRIX ACTUELLEMENT ÉLEVÉS DU PÉTROLE SONT

FAVORABLES OU DÉFAVORABLES À LA RUSSIE, PAYS PRODUCTEUR ?

SONDAGE

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Préparé parVeronika Dorman

LU DANS LA PRESSEQUI ORGANISE

LA TERREUR

CHEZ LE VOISIN

BIÉLORUSSE ?

Un attentat dans le métro de Minsk a fait 12 morts et 150 bles-sés le 11 avril. L’énigme s’épaissit autour des commanditaires et de leurs motifs, alors que les auto-rités affirment avoir découvert les exécutants. Le pays, jusqu'ici à peu près épargné par le terro-risme, traverse une crise marquée par la dévaluation de sa devise et par un durcissement du régime, déjà très autoritaire.

FRÈRES DE SANGEgor MaïkineMOSKOVSKIÏ KOMSOMOLETS

LA GUERRE DES MÉDIASÉditorialGAZETA.RU

TOUR DE VISKonstantin EggertKOMMERSANT

L'explosion dans le métro de Minsk à l'heure de pointe marque un point de non retour dans la vie du pays. Le mythe du « paradis socialiste » calme et sécurisé s’est définitive-ment écroulé. Après ce terrible épi-sode, quelque chose doit imman-quablement changer au Bélarus. Le premier à avoir désigné les coupa-bles potentiels est le Président Lou-kachenko lui-même. « Nous avons reçu ce ‘‘cadeau’’ de l’extérieur », a-t-il déclaré, sans préciser d’où vient l’agression. La géographie est vaste, de Moscou à Washington. Une autre version, celle de l’attentat organi-sé par l’opposition biélorusse, est peu crédible. Presque tous ses lea-ders sont en assignation à résiden-ce ou en détention provisoire. Sur-tout, l'opposition ne sait que parler, elle n’abrite pas d’extrémistes ni de chefs de bande. Ses responsa-bles ne sont pas prêts à tout, même pour le pouvoir. Ce ne sera pas évi-dent de lui faire porter le chapeau.

L’une des conséquences de l’atten-tat de Minsk est la « guerre média-tique » que les autorités sont prê-tes à mener par la propagande et la répression. Le régime de Louka-chenko a utilisé une méthode ad-ministrative éprouvée : il a menacé les médias et commencé à interpel-ler les « colporteurs de rumeurs pro-vocatrices dans les réseaux sociaux et les forums en ligne ». Cette so-lution simple aurait pu fonctionner dans les années de stabilité, quand les rumeurs s’éteignaient d’elles-mêmes. Mais la transparence est telle aujourd’hui que la dissimula-tion d’une information n’est possi-ble qu’accompagnée de mesures policières violentes, que le régime biélorusse, malgré son autoritaris-me, n’a pas utilisées à ce jour. Mais il doit remporter la bataille médiati-que. Le problème, c'est qu'il est très difficile de mobiliser la population autrement que par la propagande brutale, surtout en temps de crise.

À la veille de l’explosion, les Bié-lorusses prenaient d’assaut les bu-reaux de change dans l’attente d’une dévaluation du rouble local et d’une crise économique inévitable. Ajoutez à cela la fuite réussie en Oc-cident de certains opposants poli-tiques et l’isolation croissante d’un régime dont même Moscou ne veut plus entendre parler. Les révolutions arabes n’ont pas arrangé les affaires de Loukachenko : elles ont rappelé qu’il existe une dernière dictature en Europe. Lentement mais sûrement, le président tombe en disgrâce. Mais le terrible attentat détourne l’atten-tion des problèmes économiques et donne l’occasion d’accuser l’opposi-tion et les journalistes indépendants, de procéder à des arrestations et d'introduire la censure sur Internet, sans difficulté car les services d'or-dre sont fidèles au chef. Ne reste plus qu'à espérer que la mort des gens ne deviendra pas un prétexte pour serrer les vis politiques.

Il ne reste qu’une option aux dictateurs : s'agripper au pouvoir, agir rapidement et avec la plus grande fermeté

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PAVEL BASINSKIROSSIYSKAYA GAZETA

Les années 2000 ont apporté de profonds changements dans l’édition. Les lecteurs sont revenus à la littérature de qualité et nombreux sont les jeunes auteurs à s’être révélés.

Dans l'ère de la féminisation et de la biographie

Littérature Décryptage des nouvelles tendances de la prose russe des « années zéro »

Autre tendance signifi cative des « années zéro », l’émergence d’une génération de trentenai-res, avec Zakhar Prilepine, Alexeï Ivanov, Roman Sentchi-ne, Dmitri Novikov. Proches du réalisme, ils refusent toute ap-proche psychologique de la lit-térature. Leader emblématique de ce mouvement, Zakhar Pri-lepine a séduit le public mos-covite avec son roman San’kia, qui raconte les périples d’un jeune révolutionnaire révolté contre le capitalisme. Le jeune Alexeï Ivanov a percé dans le

monde de la littérature grâce à ses romans L’Or de la révol-te et Le Cœur de Parme. Ori-ginaire de Perm (Oural), il est aussi ethnographe spécialiste des peuples de son Oural natal, qu’il surnomme « la colonne vertébrale » de la Russie. Dans son merveilleux roman Les El-tyshev, Roman Sentchine ra-conte l’agonie d’une famille russe ordinaire, oppressée par les nouvelles conditions écono-miques. Preuve qu’un roman peut, sur le thème de la dégra-dation sociale, devenir un ex-cellent cru littéraire.Enfi n, le genre biographique a le vent en poupe. Dans la cé-lèbre collection russe Vie des gens extraordinaires, se succè-dent les nombreuses biogra-phies d’écrivains racontées par des écrivains eux-même. Dmi-tri Bykov raconte Boris Pas-ternak et Boulat Okoudjava, Alexeï Varlamov retrace la vie de Mikhaïl Boulgakov, Alexan-dre Grin, Alexeï Tolstoï et An-dreï Platonov, Valéri Popov écrit sur Sergueï Dovlatov, etc. Quelle est la recette derrière un tel succès ? De grands écri-vains... racontés par de grands auteurs.

Les années 90 furent celles du divorce total entre la critique d’une part, les grandes maisons d’édition et le grand public d’autre part. Bien qu’ils soient de plus en plus nombreux, les prix littéraires russes (Booker russe, Best-Seller national, Yas-naya Poliana, Grand Livre, etc.) semblaient n’avoir aucun effet sur les ventes. Inversement, la littérature grand public était ignorée par les critiques.La donne a changé avec les « années zéro ». Les amateurs de littérature de gare ou de genre ont fi ni par se rabattre sur les séries télé. Seuls les vrais amateurs de littérature sont restés.Autre signe des temps moder-nes, ces lecteurs sont pour la plupart des lectrices. L’un des romans les plus populaires ces deux dernières années ? Le Temps des femmes. L’auteur, Elena Chizhova, une univer-sitaire pétersbourgeoise, a reçu le prix Booker russe 2009. En Russie, les femmes lisent beau-coup plus que les hommes. Ces lectrices sont plus réceptives aux femmes écrivains, d’où le succès des romans de Dina Ru-bina, Liudmila Oulitskaïa, Ta-tiana Tolstoï, Elena Chizhova, Olga Slavnikova, Elena Kati-shonok... sans parler de ces « reines du roman policier fé-minin » que sont Alexandra Marinina, Tatiana Oustinova et Daria Dontsova. Les « années zéro », c’est aussi l’âge d’or des découvertes lit-téraires russes des années 1990, en particulier de Viktor Pele-vine et de Vladimir Sorokine. Ils ont su se constituer un pu-blic très fi dèle. Lire le dernier Pelevine ou Sorokine est en outre un signe d’appartenance à un certain milieu intellectuel.

TATIANA CHABAÏEVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

L’approche documentaliste s’impose peu à peu dans les rayons des librairies, avec plusieurs travaux d’envergure jetant un regard nouveau sur le passé soviétique.

Vers une démythification générale

Tendance La non-fiction monte en puissance et puise son inspiration dans l’histoire récente

rés (le prix NOS 73 vient d’être annoncé), la non-fi ction se tour-ne aussi vers le passé. Verbatim, publié par Astrel, est certaine-ment la plus poignante de ces œu-vres. Son auteur, Liliana Loun-guina, mère du cinéaste Pavel Lounguine (Taxi Blues, l’Île), fut la traductrice d’Astrid Lindgren, Heinrich Böll, Boris Vian, Henrik Ibsen et bien d’autres. Elle était l’amie de nombreux écrivains so-viétiques. Ses compagnons ont été

Pendant que le monde de la lit-térature organise des prix rétro-actifs pour rendre justice aux chefs-d’œuvre soviétiques censu-

un à un les victimes de la terreur, broyés ou tués dans les camps de Joseph Staline. Sa maison s’est convertie en un îlot de sécurité pour de nombreux auteurs per-sécutés, trahis par leurs amis et leurs collègues. Elle-même est de-venue la gardienne et le témoin de leur destin. Juste avant son décès en 1998, Lounguina a conté sa vie à Oleg Dorman. Son récit a donné nais-sance à un documentaire puis au livre Verbatim. Pendant onze ans, on n’avait manifesté aucun inté-rêt pour son histoire, jusqu’à ce que le romancier Boris Akounine et le journaliste Léonid Parfi o-nov s’en mêlent. Le documentai-re et le livre ont tous deux ren-contré un énorme succès public. De son côté, Parfi onov, un des plus célèbres journalistes de télévision, planche sur le cinquième volume de Notre Temps, une encyclopé-die englobant l’URSS et la Rus-

Zakhar Prilepine

ÉCRIVAIN

Ce n’est que durant les 15 dernières années que la situation a qualitati-vement changé. Je ne

devrais même pas essayer de dé-terminer si cela est meilleur ou moins bon. La vérité est que la littérature (et l’art dans son en-semble) n’est plus perçue par les autorités comme quelque chose qui donne du sens à la vie et qui par conséquent est utile pour gouverner un pays. Nicolas Ier a été le censeur per-sonnel de Pouchkine. Staline a écrit « Pourriture ! » dans la marge des livres d’Andreï Pla-tonov. Tandis que Mikhaïl Gor-batchev comprenait la valeur des mots et a sincèrement fl ir-té avec plusieurs ensorceleurs. Je ne peux cependant pas en-visager de décrire Dmitri Med-vedev ou Vladimir Poutine comme des censeurs ni comme des lecteurs attentifs et des par-tenaires de conversation de, di-sons, l’écrivain postmoderne ésotérique Viktor Pelevine. Je ne peux pas non plus imagi-ner Vladimir Poutine en train de lire les ouvrages d’Edouard Limonov, auteur radical et lea-der du Parti national bolché-vique, laissant un « Pourritu-re ! » dans la marge. Et cela demande un certain pouvoir d’imagination que de les voir se lancer dans un groupe de discussion sur la prose du réa-lisme psychologique de Vladi-mir Makanine. En fait, quand cela me tombe dessus, j’ai du mal à imaginer que l’un d’entre eux puisse être un rat de bibliothèque ; le pré-sident semble se contenter de ses gadgets pour occuper son temps libre et le Premier mi-nistre, passer le sien sur des skis ou aux commandes d’un avion.

Dans l’ensemble, la vie de l’écrivain n’a probablement ja-mais été aussi paisible qu’aujourd’hui. Aucune crain-te de se faire haranguer, huer ou piétiner. Le risque est plus grand d’être poursuivi pour sé-dition. Aujourd’hui, autorités et écri-vains existent indépendamment et se croisent rarement, essen-tiellement lorsqu’il s’agit de res-pecter les formes. Et quand cela arrive, leurs rencontres sont tout à fait insipides. Alors, que se passe-t-il si Boris Akounine ou Lioudmila Oulits-kaïa soutiennent Mikhaïl Kho-dorkovski ? Que se passe-t-il si Boris Grebenchikov et Kons-tantin Kintchev, des stars du rock célèbres qui sont aussi de merveilleux poètes, écrivent une lettre à la veille de la Saint Sylvestre pour demander que Khodorkovski ne soit pas em-prisonné de nouveau pour des faits pour lesquels il a déjà payé ? C’est une démocratie que nous avons ici, n’est-ce pas ? Vous voulez écrire ? Je vous en prie. Vous voulez protester ? Soyez sans crainte. Dans ce type de démocratie, on peut parler de soi-même, de son pays, du futur, des auto-rités… de tout. Mais cela n’af-fecte en rien les dirigeants.

Né près de Riazan en 1975, Zakhar Prilepine est écrivain et journaliste.

OPINION

Une indifférence mutuelle

Pourquoi les dix auteurs les plus

populaires de Russie sont-ils pres-

que exclusivement des auteurs de

polars, selon vous ?

D’abord ce genre est relativement nouveau en Russie, où il n’existe que depuis 15 ou 20 ans. À l’époque so-viétique, faire figurer un crime dans la littérature était tout simplement impensable, comment aurait-il pu y avoir des crimes dans le pays du so-cialisme victorieux ? Deuxièmement, le polar est le genre le plus inté-ressant. Il encourage le lecteur à se

ENTRETIEN

Une fontaine débordante de pétrole et de sangLa Russie

d’Aujourd’hui a

interviewé Boris

Akounine, un

des auteurs de

polar les plus

populaires de

Russie.

creuser les méninges pour découvrir qui est l’assassin. Le polar russe est-il spécifique ?

Il est beaucoup plus varié que le po-lar scandinave, par exemple. Parce que la vie ici a toujours été une fon-taine débordante : une fontaine de pétrole, de sang, d’émotions... Pourquoi votre personnage central,

Fandorine, est-il si populaire ?

Fandorine possède de nombreuses qualités qui manquent cruellement dans notre peuple. Les opposés s’attirent, vous savez bien. Fandorine est réservé, il a du sang-froid, il est scrupuleux, et ne considère pas les autorités comme quelque chose de sacré. Au fond, mes lecteurs veulent être comme lui. Fandorine a été acclamé par cer-

tains comme un héros national.

Êtes-vous d'accord ?

J'aimerais vraiment qu'Eraste Fan-dorine devienne un véritable héros

En tant que lectrices ou auteurs, les femmes sont de plus en plus présentes dans le monde du livre.

national, car un héros national est quelqu'un qu'admirent tous les gar-çons et avec lequel les jeunes filles comparent leurs admirateurs. Je pense que la Russie serait un bien meilleur endroit où vivre si plus de gens étaient comme Fandorine. En-core une fois, je ne suis pas objectif dans cette affaire…Votre correspondance avec l'an-

cien oligarque emprisonné

Khodor kovski fait l'objet d'un livre

récent et très commenté "Mikhaïl

Khodorkovski : Articles. Dialogues.

Interviews". Quelle est la signifi-

cation de ce livre pour la société

russe ?

C'est un nouveau pas vers la libéra-tion d'une personne dont l'innocen-ce ne fait absolument aucun doute pour moi et qui (à mes yeux) revêt une plus grande ressemblance avec Eraste Fandorine.

Léonid Parfionov avec son livre Notre Temps.

sie actuelle. Chaque volume abor-de une décennie différente. Notre Temps est illustré de photogra-phies de haute qualité, vivantes et pertinentes, qui aident à don-ner vie à l’histoire pour le lecteur russe. Au cours d'une année particuliè-rement fertile pour la non-fi ction, le principal prix littéraire de 2010, le Prix Grand Livre, a été remis à Pavel Bassinski pour sa biogra-phie profondément émotionnelle de Léon Tolstoï, consacrée aux 100 ans de la mort du légendaire auteur. L'intérêt immédiat et sou-tenu du public pour Vol du Pa-radis est d'autant plus remarqua-

ble compte tenu de l'absence de tout événement officiel de gran-de ampleur pour cette occasion. Bassinski a reçu un concert de louanges pour son œuvre, qui pourrait être publiée en anglais. L'agence de presse littéraire Lim-bus, basée à Saint-Pétersbourg, a publié une collection d'une nou-veauté stimulante qui offre un re-gard rafraîchissant sur la vie et l'œuvre des géants littéraires. Le poète et critique Dmitri Bykov a écrit le volet consacré à Maxime Gorki ; la romancière Lioudmila Petrouchevskaïa a traité le poète Alexandre Pouchkine ; l'artiste et romancier Maxime Kantor a écrit sur le satiriste Mikhaïl Boul-gakov. La liste comprend 40 auteurs. Par bonheur, la traduc-tion prochaine de ces articles de-vrait être réduite. Avec cette ré-vision, le livre devrait gagner en force, être encore plus divertis-sant et surtout plus concentré.

Aujourd’hui, autorités et écrivains en Russie existent indépendamment et se croisent rarement

Dans les années 2000 les amateurs de littérature bas de gamme se sont rabattus sur les séries télévisées

Pendant 15 ans, les éditeurs n'avaient manifesté aucun intérêt pour l'histoire de Liliana Lounguina.

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EN BREF

Maestros en herbe de tous les pays, unissez-vous ! La chaî-ne publique Kultura est dans les starting-blocks pour la douziè-me édition du concours musical « Casse-noisette », réservé aux moins de quatorze ans. Le conte, mis en ballet par Tchaïkovski, est un hymne à l’en-fance et à la féérie du rêve et du voyage. De même, le concours or-ganisé par Kultura est une gran-de fête dont les enfants, venus des quatre coins du monde, sont rois. Du tirage au sort pour l’ordre de passage au gala final, tout est jeu et réjouissance. Les candidats au concours, russes et étrangers,

se disputeront les Casse-noiset-tes d’or, d’argent et de bronze, en jouant face à au public, avec un or-chestre professionnnel. Tatiana Es-saoulova, porte-parole de la chaîne Kultura, souhaite que « cette gran-de célébration du talent juvénile soit un rendez-vous véritablement international ». Douzième concours télévisuel de musique classique « Casse-noiset-tes », du 1er au 8 novembre 2011. Dossiers de candidature à envoyer avant le 10 août.

Lisez davantage surlarussiedaujourdhui.be/12133

Lisez la recette surlarussiedaujourdhui.be/11635

ARTLE MUSÉE RUSSE A INAUGURÉ SA FILIALE VIRTUELLE EN BELGIQUE

EXPOSITIONJOUETS RUSSES TRADITIONNELSÀ BRUXELLES

MIGRATIONLE CASSE-NOISETTEDES JEUNES TALENTS

Le lancement de la filiale virtuelle du musée russe de Saint Péter-sbourg (qui, à l'inverse du célè-bre Hermitage, est entièrement dédié à l'art russe) s'est déroulé début avril au Centre culturel et scientifique de Russie à Bruxelles ainsi que dans les universités de Mons et de Louvain. Le directeur du musée russe Vladimir Gous-sev, lors de la cérémonie d'inau-guration, a souligné les raisons du projet : « La Belgique est au

Les jouets, c'est bien connu, constituent un langage univer-sel tout en représentant la culture de leur pays d'origine. C'est dans cette optique qu'une exposition de jouets russes traditionnels est organisée au Centre culturel et scientifique de la Russie à Bruxel-les du 26 avril au 7 mai. L'évé-nement propose d'observer des jouets prenant racine dans les croyances païennes russes mais aussi, grâce à des documents

cœur de l'Europe. […] Nous voulions qu'un tel centre éducatif prenne pla-ce dans une grande ville, où il y ait à la fois de l'intérêt et un public de-mandeur, à savoir des jeunes et des étudiants. Ce public, nous l'avons trouvé à Mons et à Louvain ». Se-lon lui, le programme virtuel, lan-cé en Wallonie comme en Flandre, constitue « le chemin le plus simple vers la compréhension mutuelle ». Rappelons que Mons sera capitale européenne de la culture en 2015.

audiovisuels, de découvrir le folk-lore et la fonction du jouet dans la société traditionnelle : jeux, objets liés aux fêtes et décoratifs dans les foyers les plus modestes. Les jouets présentés sont des copies effectuées par des artistes contem-porains, ce qui permet au public non seulement de regarder mais de les manipuler. Et pour ceux qui veulent apprendre à en fabriquer, des ateliers de création seront or-ganisés du 26 avril au 1er mai.

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MAKSIM SIRNIKOVSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AJOURD’HUI

La cuisine russe est abusivement considérée comme monotone. En réalité, nombre de recettes n’ont simplement jamais franchi ses frontières... pour cause d’étrangeté !

Traditions Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es

La cuisine d’un peuple est le re-fl et de son territoire. Celui de la Russie est vaste mais sa terre peu fertile et la rigueur du climat en interdit la culture pendant la majeure partie de l’année. En revanche, le pays a toujours été riche en forêts. Les forêts de feuillus et la taïga conifère pou-vaient fournir aux Russes le combustible nécessaire à l’uti-lisation quotidienne de l’élément central d’une maison tradition-nelle russe : le poêle. Servant à la fois de chauffage et de four, le poêle russe a, selon les critè-res techniques modernes, un coefficient de rendement très fai-ble, qui ne dépasse pas 30%. Il est si vaste qu’un adulte peut y pénétrer, par exemple pour s’y laver pendant les grands froids.Pour atteindre la température nécessaire à la cuisson du pain, il faut y mettre au moins une dizaine de bûches, presque un arbre de petite taille. Mais quand un bon poêle est chaud, on peut y préparer en même temps plu-sieurs plats qui exigent une lon-gue cuisson, cuire du pain et des tartes pour une grande famille. C’est précisément ce lent refroi-dissement permettant de main-tenir la chaleur à l’intérieur du four jusqu’à 8-12 heures après l’allumage, qui a permis aux Rus-ses de créer leur cuisine natio-nale. La cuisine traditionnelle n’a jamais connu la cuisson à feu vif : tous les plats mijotent pendant des heures dans le four, sans ajouts de graisse ou de beur-

re. C’est-à-dire dans leur propre jus.La soupe russe la plus connue et la plus populaire est sans aucun doute le chtchi. Les étran-gers ont du mal à en saisir la saveur. Ainsi, au XVIIe siècle, l’ambassadeur d’Italie à Mos-cou écrivait-il : « S’ils organi-sent un grand festin, ils prépa-rent un brouet avec de la

nourriture et quelques feuilles de chou découpées. Si ce plat ne s’avère pas à leur goût, alors ils y ajoutent beaucoup de lait fermenté ». En fait, il existe plu-sieurs variantes du chtchi. Et le penchant national pour les sou-pes a fait que la cuisine russe en compte... cent quinze !La choucroute était le légume principal consommé pendant

l’hiver et le printemps, car elle se conservait facilement. De plus, ce mode de préparation du chou accroît la quantité de vitamines. L’oignon et l’ail sont également utilisés depuis la nuit des temps, à l’inverse de la salade verte qui n’a jamais eu de succès en Rus-sie où elle était à peine mieux considérée que l’herbe. D’une façon générale, la salai-son des légumes et des champi-gnons, ainsi que la fermentation lactique ou « aigrissement », sont des composantes importantes de la cuisine russe. La saumure des cornichons et du chou a jadis joué dans notre cuisine natio-nale le même rôle que la sauce au soja dans les pays asiati-ques. Il y eut une époque où l’on fai-sait beaucoup de salaisons de ca-nards et d’oies. Et les poissons les plus nobles sont encore aujourd’hui abondamment et dif-féremment salés. Dans « Domos-troï », un traité du XVIe-XVIIe siècle sur la morale et l’écono-mie domestique qui a marqué son temps, on trouve 10 méthodes de salaison du poisson. Sans parler du fameux caviar. Le lecteur contemporain sera probablement surpris d’apprendre qu’il y a qua-tre cents ans, dans certaines vil-les de l’Oural, pendant les an-nées maigres on ajoutait du caviar d’esturgeon séché à la fa-rine en tant que substitut le moins cher. Enfi n, on utilise du poisson pour préparer des sor-tes de tourtes qui ne sont connues qu’en Russie : koulebiaka, ryb-nik, rasstiagaï... « On peut de tout faire une tourte », dit-on chez nous. Il y a une grande variété de farces, de types de pâtes et de tourtes pro-prement dites : ouvertes ou fermées, au fromage blanc doux ou aigre (vatrouchki), sucrées ou salées. La pâtisserie demeure le fer de lance de notre cuisine nationale. Il faut également mentionner les incontournables okrochka et botvinia, ces soupes froides à base de kvas de pain, la boisson nationale fabriquée avec du malt ou de la farine. Il semble que l’okrochka soit le seul plat lais-sant sceptiques - et c’est un euphémisme - les étrangers les plus intrépides. S’y accoutumer n’est pas chose aisée. Il vaut mieux y avoir trempé ses lèvres depuis sa plus tendre enfance avec le kvas préparé par mamie... Certains ont toutefois réussi à briser la barrière culinaire. Théophile Gautier, au terme d’un voyage en Russie au milieu du XIXe siècle, a conclu que le temps était un facteur clé pour apprécier la cuisine locale : « Après un séjour de quelques mois, on fi nit par prendre goût aux ogourtzis, au kvas et au chtchi, le potage national russe... ».

Maksim Sirnikov est l’auteur de plusieurs ouvrages culinaires.

RECETTE DE CUISINE RUSSE

Dans le fourre-tout de la villageoise

La « stolovaïa » est au Russe ce que le bistrot du coin est à beau-coup de Belges. En Russie, on y sert le déjeuner, qui est le repas principal, toujours composé d’un premier plat (salade ou légumes marinés ou soupe), d’un plat prin-cipal à base de viande et d’un des-sert. À l’époque soviétique, les usines, les entreprises et les mi-nistères étaient situés dans d’im-menses bâtiments auto-suffisants, tandis que les petits restaurants étaient très rares. C’est pourquoi la stolovaïa était la seule option pour le repas de midi.Quand je suis arrivée en Russie, j’ai d’abord travaillé dans le centre de

la capitale, au cœur d’un immeuble labyrinthique. Tous ses occupants avaient droit à un déjeuner com-portant trois plats, cuisinés par une femme grassouillette et mousta-chue avec des dents en or, opérant dans un espace aussi large qu’elle, équipé d’une plaque de gaz et d’un évier, ni plus ni moins.Aucun de nous n’aurait manqué le déjeuner, surtout le vendredi, pour la solianka au poisson de Svetlana. C’est une bouillabaisse slave, com-posée de toutes sortes de salaisons hivernales, avec poisson, bouillon de tomates aux olives, cornichons, rondelles de citron et champi-gnons.L’origine du mot « solianka » ne fait pas l’unanimité. La plupart des gens la situent dans le mot « salé » (« sol » en russe). D’autres sug-

gèrent que « solianka » vient de « selo », le village.Comme pour toutes les soupes russes, la recette n’est pas gravée dans la pierre, mais chaque village et chaque Svetlana Vladislavovna a la sienne. La solianka peut aussi être cuisinée à la viande (saucisse, jambon ou bœuf, avec des champi-gnons marinés).Les cornichons au sel, olives et ci-tron donnent à la soupe son goût singulier, acidulé et un peu aigre. Le reste est à la discrétion du cui-sinier. C’est peut-être pour cela que le nom officiel du plat, « sbor-naïa solianka » ou soupe compo-sée, signifie aussi, méli-mélo ou pot-pourri.

Des spécialités de terroir qui gagnent à être connues

Jennifer EremeevaLA RUSSIE

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