EN TERRE MAPUCHE - Leroy Merlin...

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Curarrehue & Llaguepulli I X e Region I Araucania I CHILI Mars 2016 RUKAS EN TERRE MAPUCHE

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Curarrehue & Llaguepulli I Xe Region I Araucania I CHILI

Mars 2016

RUKASEN TERRE MAPUCHE

GENS DE LA TERRE [SANS TERRE]En Mapuzugün, langage originel de ces indiens, le terme MAPU(gens) - CHE(terre) signifie ‘gens de la terre’. Réputés pour leur vaillance, les indiens Mapuches représentent le seul peuple à avoir résisté aux diverses invasions, jusqu’en 1881. Au terme d’une lutte meurtrière, l’État s’approprie les terres indigènes et le vaste territoire Mapuche se voit

Situé au coeur de cette bande étroite qu’est le Chili, entre l’océan Pacifique et les sommets de la cordillère des Andes,

la région de l’Araucania est reconnue pour la beauté de ces paysages volcaniques. Mais cette région tient aussi une place importante dans l’histoire du pays. En effet, la résistance du peuple Mapuche face aux conquistadors espagnols, fut la plus longue et la plus difficile du continent américain, le territoire restant pendant plus de deux siècles inaccessible aux colons. Aujourd’hui encore, la présence de ce peuple indigène sur leurs terres ancestrales, fait de l’Araucania une destination identitaire, où il est possible de vivre une expérience inoubliable au contact des traditions. S’aventurer à la rencontre des Mapuches nécessitait au préalable de comprendre l’origine de ce peuple si particulier à l’habitat atypique.

ainsi réduit de moitié, et de nombreux indiens Mapuches sont arrêtés, torturés et tués. Après plusieurs années de lutte, cette communauté indigène est la seule dont la souveraineté ait été reconnue. Bien qu’il soit recensé à l’heure actuelle environ 360 communautés, qui s’auto-gèrent entièrement, tous les Mapuches possèdent une vision commune du monde, leur propre langage, et un attachement

Intérieure d’une ruka en 1895.

Les paysages de l’Araucania, territoire Mapuche.

c Obder W. Heffer

profond à leurs terres, leur environnement et les savoirs ancestraux qu’ils se transmettent suivant les générations. Aujourd’hui, une loi tente de rétablir les droits à ces communautés, mais des tensions subsistent toujours car leurs territoires sont régulièrement grignotés par des grands projets d’infrastructures. Longtemps déconsidérés par le gouvernement, à l’instar des aborigènes en Australie, les médias chiliens ne renvoient pas toujours une bonne image des Mapuches, les présentant comme des rebelles prêts à tout pour conserver leurs terres. Aussi, les Mapuches poursuivent encore et toujours leur lutte avec autant de détermination face à des autorités peu indulgentes envers ces populations originelles.

Loin de tous ces préjugés, nous sommes fascinés par leur détermination, leur culture, leur proximité avec la nature, leur gastronomie, et surtout par leur habitat traditionnel. Ainsi, afin de rencontrer plusieurs communautés et découvrir différents savoir-faire, nous partons, dans un premier temps, sur les routes montagneuses proches de la cordillère des Andes pour découvrir l’identité Pewenche, avant de traverser tout le territoire vers l’Ouest, à la rencontre de l’identité Lafkenche, située sur la frange Pacifique.

LA RUKA PEWENCHE I LA CABANE EN BOISLa chaleur bat son plein au beau milieu de l’été austral. La végétation qui borde la route est luxuriante, ici la terre doit être fertile ! Dans le petit village tranquille de Curarrehue, épicentre de la culture Mapuche, nous cherchons la communauté indienne qui nous intéresse. Après des allers-retours en vain, nous comprenons que nous sommes passés plusieurs fois devant le lieu-dit sans le voir, et pour cause : la

communauté Fransisco Cumiquir se situe de l’autre côté de la rivière, dont l’accès, par un pont, ne se fait qu’à pied. Une vingtaine de petites maisons constituent ce hameau paisible, encerclées par de grands jardins et de nombreux hectares de champs qui laissent à penser que l’agriculture est la ressource principale de cette communauté. L’horizon est flanqué des hautes montagnes enneigées de la cordillère des Andes. Nous arrivons enfin vers

RUKAS I EN TERRE MAPUCHE

Lieu de conversation pour la communauté Fransisco Cumiquir, la Ruka Trankurra est l’élément central du village.

un grand terrain où se promènent en liberté, poules, vaches et cochons autour de plusieurs entités d’habitations. Au centre, trône ce que nous sommes venus étudier : une authentique ruka, habitat traditionnel Mapuche.

Nous voyant hésitants à entrer, un homme aux traits d’indien, Alejandro, s’approche de nous avec un large sourire et nous invite spontanément à visiter sa ruka de bois. Elle est intégralement réalisée avec le bois local, devenu gris avec le temps. Bien que les rukas primitives étaient de forme circulaire, celle-ci est composée sur une base rectangulaire, sans fenêtres, et possède un toit incliné, également

en bois. La tradition veut que dans cette région, l’araucaria soit utilisé à la fois pour constituer les murs et le toit : matériau plus résistant pour supporter le poids de la neige en hiver. La structure principale, qui est visible depuis l’extérieur, est une armature de bois rigide sur laquelle sont fixées verticalement les planches d’araucarias. De la même façon, deux cadres rectangulaires de bois viennent accueillir les tronçons pour la toiture en double pente. Leur ingénieux système d’assemblage permet de créer des chéneaux afin d’éviter l’infiltration de l’eau et favorise son écoulement. Ces matériaux naturels sont laissés bruts, évoluant au gré des conditions climatiques.

Suivant Alejandro, nous entrons au sein de la Ruka Trankurra par la jolie porte en bambou, orientée vers l’est, qui représente le seul apport de lumière naturelle. Au sol, pas de revêtement, la ruka est construite directement sur la terre compacte du terrain. A l’intérieur, tout tourne autour du Kutralhu, le lieu où est fait le feu. De grosses pierres délimitent la circonférence du foyer et les cendres fraîches laissent à penser que le feu était actif il n’y a pas si longtemps. Alejandro nous invite à nous asseoir sur les bancs disposés autour de cet énorme foyer afin de discuter un peu et nous offre le maté.

D’une hauteur d’environ deux mètres sous rampants, et sans ouverture autre que la porte, il fait sombre mais l’ambiance y est chaleureuse. L’heure est aux confidences dans cet espace dédié aujourd’hui, essentiellement à la discussion et aux échanges. Alejandro, chef de la communauté Fransisco Cumiquir depuis plusieurs années, fait partie de la troisième génération à vivre sur ces terres. Il est convaincu que ses cinq enfants lui succéderont. Sa vie simple et paisible, proche de la nature, il la revendique. Il a appris du passé, de l’époque où « mon grand-père, parti chercher une vie meilleure pour fuir un climat hostile, est vite revenu au pays car ses terres lui manquaient ». Alejandro nous expliquera dans sa langue

Une construction sommaire qui respecte les codes ancestraux.

Mapuche, sa fierté à diriger cette communauté et son engagement à perpétuer les traditions de ses ancêtres. Aujourd’hui, sa communauté vit de l’exploitation des terres agricoles et, de plus en plus, des démarches lancées autour du tourisme. Cette ruka est donc récente, édifiée il y a environ huit ans, elle ne sert non plus de maison d’habitation -Alejandro ayant décidé de se faire construire une maison plus confortable à quelques mètres- mais de lieu de réunion pour les séances de discussion mensuelles de la communauté, où le drapeau Mapuche flotte fièrement au-dessus de l’assemblée. Symbole de la lutte de tout un peuple, il est composé de trois couleurs, le bleu pour le ciel, le vert pour la terre et le rouge pour la dénonciation de la violence ; au centre le ñimin représente l’instrument spirituel des Mapuches.

Mais la ruka est perçue également comme un intérêt touristique pour présenter les modes de vie Mapuches, Alejandro tient à nous préciser qu’il y accueille régulièrement des groupes venus passer quelques instants de convivialité autour d’un bon repas traditionnel, sur un air de Trutruka, instrument qu’il maîtrise à la perfection.Une parenthèse poétique, comme celle que nous vivons avec cette rencontre.

Fier de sa culture, Alejandro est heureux de partager une discussion.

Le drapeau du peuple Mapuche, créé vers 1990.

LA RUKA LAFKENCHE I LA HUTTE DE PAILLE Cap à l’Ouest, vers le territoire Lafkenche qui borde l’océan Pacifique. Les routes sont belles au cœur de ces paysages vallonnés préservés de l’intervention humaine. Le caractère verdoyant des plaines, un lac d’eau salé qui surgit de nulle part et des îlots inhabités, donnent à cet endroit un air de bout du monde. Une fois n’est pas coutume, nous peinons à trouver la localité de Llaguepulli : les communautés Mapuches sont bien cachées, isolées des grands circuits touristiques. Après quarante-cinq minutes de recherches, nous empruntons l’étroite et mauvaise piste qui nous mènera jusqu’à la communauté Ad Lewfu. Une quarantaine de familles (environ cent personnes) cohabitent en toute harmonie au sein de cette grande communauté indigène qui comporte même une école. Les différentes parcelles d’habitations sont disséminées sur plusieurs hectares de terrains surplombant le lac Budi et ses horizons montagneux. Nous parcourons de petits sentiers menant à différentes habitations. Ici les rukas respectent la forme des primitives : circulaires, elles sont réalisées en paille, parfois même en mélangeant deux matériaux (le bois pour les murs et la paille pour le toit).

RUKAS I EN TERRE MAPUCHE

Le cyprès, matériau pricipal de la construction à Caleta Tortel.

Sur un immense terrain en pente, situé tout au bout de la route, nous décelons un peu d’agitation qui nous intrigue. La vue plongeante sur le lac nous amène vers quatre petites chaumières coniques trônent fièrement. Norma, fille de la propriétaire, nous ouvre les portes de ces rukas typiques que nous avions repérées de loin. Très singulières, au premier abord, ces petites habitations ressemblent à de

simples huttes de paille. Mais en s’approchant de plus près, nous comprenons le travail beaucoup plus complexe de leur construction. Ce type de ruka ne dissocie pas les murs du toit. Une structure principale, invisible depuis l’extérieur, composée de gros piliers en bois de Pellin constituent la forme périphérique et supportent les éléments secondaires. Des branchages en bois de Colihue, plus fins,

forment un treillis rigide de plusieurs segments entremêlés qui retiennent la paille, appelés Huileill. Le revêtement extérieur est réalisé avec de larges tronçons de paille empilés les uns sur les autres. Avant que nous entrions à l’intérieur d’une d’entre elles, Rosa, la maman et propriétaire de ces habitats traditionnels arrive. Elle

Une nouvelle façade maritime se dessine petit à petit, entre traditions et modernité.

La ruka en paille, dans sa forme primitive pour la communauté Ad Lewfu.

Rosa, une femme Mapuche de conviction.

vient nous expliquer ses traditions. Habillée très gracieusement comme toutes les femmes Mapuches qui revendiquent leur appartenance, nous sommes émerveillés par le nombre d’apparats qu’elle revêt. De somptueux bijoux tribaux en argent ornent sa tenue : un grand plastron est posé sur son chemisier de soie, une ceinture tissée vient souligner sa taille et sa longue coiffe en tissu, telle une couronne, est parée de petits médaillons en argent et d’une fleur au niveau du front. Ravie de pouvoir partager une discussion avec nous, elle s’empresse de nous faire connaître dans les moindres détails sa culture et ces habitats typiques.

Comme toutes les rukas traditionnelles, celles-ci ne possèdent qu’une porte permettant l’arrivée de la lumière naturelle. A l’intérieur de l’une d’elles, tout le magnifique travail structurel est

apparent et nous comprenons l’effort réalisé par des dizaines de personnes. En effet, Rosa nous précise : « la construction de ces rukas s’est effectuée de façon communautaire, avec l’aide de nos voisins. C’est une phase très importante dans la culture Mapuche, que l’on appelle ‘Rucan’. Ici c’est la tradition, nous nous entraidons tous et toutes pour la plupart des tâches quotidiennes ». Ainsi, la communauté a construit, pour la famille de Rosa, trois grandes rukas similaires, une par jour, et une plus petite servant d’atelier de tissage à la seconde fille Nadia. Rosa nous explique qu’aujourd’hui ces maisons sont dédiées uniquement au

tourisme : elles accueillent les visiteurs pour quelques nuits d’immersion en terre Mapuche.

« Trois générations se sont succédées sur mes terres. Bien que nous ayons vécu longtemps dans ce type d’habitat, j’ai préféré, dès que je l’ai pu, offrir à mes enfants une vie plus confortable en construisant une maison plus ‘résistante’ avec des briques. Nous avons maintenant facilement accès à l’électricité, l’eau courante et le chauffage. Ma plus jeune fille, Norma, a d’ailleurs vécu dans l’ancienne ruka jusqu’à ses 11 ans ».

Organisation intérieure d’une ruka orientée vers le tourisme.

La paille est omniprésente dans la construction de ce type de ruka du peuple Lafkenche .

RUKAS I EN TERRE MAPUCHE

Comme chez Alejandro, l’organisation intérieure est tournée autour du foyer central. Bien que la ruka ne possède pas de fenêtres pour renouveler l’air, la fumée peut sortir par l’ouverture en toiture. A l’entrée, bénéficiant du maximum de lumière, est disposé un coin pour déjeuner ; au fond sont positionnés six lits et une armoire, de manière assez rudimentaire. Une sorte de reconstitution de l’ancienne époque pour ne pas oublier les traditions. D’une hauteur d’environ quatre mètres, cette ruka comporte un

second niveau : le Pideil qui servait autrefois à stocker les réserves de provisions, le bois pour le feu, ou le mais récolté.

Sur le chemin du retour, Rosa nous confiera avec émotion les difficultés pour le peuple Mapuche de se faire entendre auprès du gouvernement. Une vie qui n’a pas toujours été facile, avec ses six enfants à nourrir et si peu de terres à exploiter, elle a vécu pauvrement, de l’élevage et de l’agriculture. Aujourd’hui, c’est une femme révoltée qui veut faire de son cas un témoignage politique. Elle parle avec force et conviction et

se battra toute sa vie pour défendre les droits de son peuple. Très investie dans la vie de la communauté et la communication de sa culture au grand public, elle est fière de présenter ses traditions. En période estivale, le tourisme la fait mieux vivre, aidée par deux de ses filles, elle propose, au-delà des séjours en immersion, de l’artisanat, une cuisine traditionnelle, ou encore des ateliers pour s’initier à la pratique de la médecine naturelle. Les adieux seront difficiles, elle conclura en Mapuzugün « Kom Amuy Aukiñ Meliwitran Mapu », qui signifie, que ma voix porte aux quatre coins du monde !

c Ministerio del Medio Ambiente, Gobierno de Chile

La petite hutte sert aujourd’hui d’atelier pour confectionner des tissages.

Ruka en construction : un acte communautaire

Entre traditions et modernité, il n’y a qu’un pas.

UN MODE DE VIE CONTEMPORAIN I LA MAISON DE BRIQUEComme dans le conte des trois petits cochons, la maison de brique a aujourd’hui détrôné la hutte de paille et la cabane de bois. Les rukas, peu adaptées au mode de vie contemporain, sont devenues des reconstitutions dédiées à l’accueil des touristes. Bien que la culture Mapuche perdure, les peuples défendant avec conviction leur culture, ces derniers préfèrent toutefois se tourner vers des habitats plus pérennes et confortables, délaissant petit à petit les rukas traditionnelles. Ayant abrité pendant plusieurs générations des familles entières, ces habitations traditionnelles en paille fonctionnent très bien thermiquement car le foyer central suffit à chauffer l’ensemble de l’unique pièce.

Mais celles-ci ont une durée de vie limitée. En effet, les nombreuses rukas que nous ayons vus

n’ont pas plus de huit ans et la plupart d’entre elles sont déjà dans de piteux états, résistant difficilement aux intempéries. Bien que les Mapuches préfèrent se tourner vers la facilité et le confort de la vie moderne, leur habitat n’en reste pas moins vernaculaire, utilisant des matériaux locaux, naturels, et n’ayant aucune empreinte écologique sur le terrain existant, facilitant ainsi la déconstruction de l’édifice.

Si ce n’est pas dans la forme ou la réalisation, il faut toutefois souligner la pertinence des matériaux utilisés, mais surtout l’esprit communautaire qui caractérise ce peuple. Des améliorations aux techniques constructives, des recherches et des échanges de savoir-faire plus contemporains pourraient sûrement réhabiliter ces habitats traditionnels au sein des communautés Mapuches.

Un exemple d’habitat typique du peuple de la terre.

RUKAS I EN TERRE MAPUCHE

crédit textes & photographiesLaëtitia MIRE

Valentin DOUGET

textes + photographies

Laëtitia MIRE & Valentin DOUGET