D’après l’Égaré

12
L’Égaré n o 0 - décembre 2006 - 1 ALTITUDE 0 DES ALÉAS DE L’EXACTITUDE Prenez un petit rocher, le premier qui vous passe par la tête, et faites lui recevoir deux marées par jour. C’est un rocher au bord de la mer, l’orteil de la plage. Rajoutez autour : une dune sauvage (avec des mouettes), des campings et un chemin bordé de chênes verts ou de pins parasols, une vigne, tout ce que vous voudrez. La moitié du jour, il est sous l’eau. Il règle la circulation des crustacés ou bien il swingue avec les anémones. À la rigueur, on pourrait se moquer de ce qu’il fait. Ce qui compte avant tout, c’est son altitude. Se trouve-t-il à l’altitude zéro ? – Entre moins un et plus un mètre, avance un goéland du pays, qui par chance passait au même moment. – Ce n’est pas précis, ça n’a pas de sens. C’est très probablement inexact. La personne qui parle s’appelle Alexan- dre Hogier. Toute l’année technicien à Météo-France, il est ici avec sa famille en vacances à l’hôtel (… - imaginez ici un nom d’hôtel). Le goéland continue quand même. – Ce rocher est à zéro mètre deux fois par jour, un court moment, peut-être une heure en tout. À chaque solstice, sans parler des tempêtes, l’écart peut se creuser de moins trois, à plus trois mètres. Il n’est sûrement pas toujours au niveau zéro – à l’endroit désigné comme tel – à la même heure. Croyez- moi, d’année en année, les calendriers en perdent leurs chaussettes quand il est question de savoir où et quand une chose se trouve à sa place. – Monsieur le goéland, ZÉRO EST ARRIVÉ D’ACCORD : L’ÉGARÉ NE SAIT PLUS TRÈS BIEN OÙ IL EST. ET ALORS ? Faut pas se moquer. Car voilà une excellente nouvelle : c’est le début de son autonomie. Se sachant égaré, il est désormais obligé, parmi le flux d’informations qui saturent son environnement, de lier ensemble celles qui lui permettront de s’orienter, d’un peu mieux comprendre comment il est arrivé là où il est, de décider, par lui-même, dans quelle direction il lui semblera utile d’aller. Encore une excellente nouvelle : par là, il y aura certainement d’autres égarés à rencontrer. …SUITE P. 2 L’ÉGARÉ EST UN JOURNAL ASSOCIATIF, né d’une initiative spontanée, qui n’appar- tient à personne d’autres que ses contributeurs bénévoles, lesquels ne représentent qu’eux mêmes. Il ne bénéficie d’aucun soutien (finan- cier ou moral) du secteur privé, de collectivi- tés publiques ou d’associations politiques ou confessionnelles, et n’en recherche pas. Ses seules ressources sont la vente de ses numéros (à ce jour, nous avons 51 abonnés. Objectif : 300, pour être sûr de pouvoir impri- mer les 4 numéros suivants). Sa seule énergie est celle de ses rédacteurs (aujourd’hui nous sommes 10. Objectif : être plus nombreux). Son seul profit est de continuer à se sentir debout (pour l’instant, ça va à peu près. Objectif : ne jamais se coucher.). L’Égaré est un chantier ouvert. Ses rédacteurs sont des amateurs. Ils prennent le risque du bancal, du tordu, de l’incertain, du mal fichu, du maladroit, mais ils se protègent du préfabri- qué, du conformisme, du préjugé, de la com- plaisance par un travail collectif, coopératif et autocritique. On n’a pas fini de discuter ! L’Égaré recherche des repères. Pour cela il se plonge dans la complexité des liens qui font interagir les faits particuliers. À ce titre, tout l’intéresse, dès qu’il est possible d’en appren- dre un peu plus sur le monde, de partager des questions et d’en découvrir de nouvelles, de vivre des rencontres, d’expérimenter de nou- velles formes de travail, de s’exercer à penser par soi-même. C’est du temps, des doutes, des soirées tardi- ves, de bonnes tranches de rigolade. Ce numéro zéro est un premier pas. Il donne une impulsion, un élan. Il marque nos pre- miers apprentissages. On a encore beaucoup à apprendre. L’ÉGARÉ EST UN JOURNAL VIVANT. DEDANS LE ZÉRO est une construction qui peut être un bon repère. Mais où le placer ? Le temps et l’espace hésitent (p. 9). Il est vrai que la nature, vivante, ne facilite pas la tâche (ci-dessous : altitude zéro). Quant aux hommes, l’appétit des uns réduit inéluctablement les autres à zéro, niés dans leur singularité, privés de leurs ressources propres, interdits d’espérance (p. 8). Même quand on prétend agir pour l’in- térêt de tous, le projet souffre parfois de l’incohérence d’une pensée en miettes où l’on ne sait plus ce qui est véritablement recherché. Un exemple, culturel : pp. 3 à 7. Un autre, éducatif : pp. 10 et 11. Alors, pour rester en éveil, des ressources à moindre coût peuvent être utiles (p. 2). Tout peut commencer par la page 12 : on y comprend un peu de la psychologie de l’Égaré. Elle est aussi le début du prochain numéro 1. N O ZÉRO - DÉCEMBRE 2006 - GRATUIT Édité par l’Astrolabe du Logotope

description

D’après l’Égaré est un journal livré pièces et main d’œuvre dont la notice est à rédiger soi-même. C’est une aventure.

Transcript of D’après l’Égaré

Page 1: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 1

ALTITUDE 0DES ALÉAS DE L’EXACTITUDEPrenez un petit rocher, le premier qui vous passe par la tête, et faites lui recevoir deux marées par jour. C’est un rocher au bord de la mer, l’orteil de la plage. Rajoutez autour : une dune sauvage (avec des mouettes), des campings et un chemin bordé de chênes verts ou de pins parasols, une vigne, tout ce que vous voudrez.

La moitié du jour, il est sous l’eau. Il règle la circulation des crustacés ou bien il swingue avec les anémones. À la rigueur, on pourrait se moquer de ce qu’il fait. Ce qui compte avant tout, c’est son altitude.

Se trouve-t-il à l’altitude zéro ?

– Entre moins un et plus un mètre, avance un goéland du pays, qui par chance passait au même moment.

– Ce n’est pas précis, ça n’a pas de sens. C’est très probablement inexact. La personne qui parle s’appelle Alexan-dre Hogier. Toute l’année technicien à Météo-France, il est ici avec sa famille en vacances à l’hôtel (… - imaginez ici un nom d’hôtel). Le goéland continue quand même.

– Ce rocher est à zéro mètre deux fois par jour, un court moment, peut-être une heure en tout. À chaque solstice, sans parler des tempêtes, l’écart peut se creuser de moins trois, à plus trois mètres. Il n’est sûrement pas toujours au niveau zéro – à l’endroit désigné comme tel – à la même heure. Croyez-moi, d’année en année, les calendriers en perdent leurs chaussettes quand il est question de savoir où et quand une chose se trouve à sa place.

– Monsieur le goéland,

ZÉRO EST ARRIVÉD’ACCORD : L’ÉGARÉ NE SAIT PLUS TRÈS BIEN OÙ IL EST. ET ALORS ? Faut pas se moquer. Car voilà une excellente nouvelle : c’est le début de son autonomie. Se sachant égaré, il est désormais obligé, parmi le flux d’informations qui saturent son environnement, de lier ensemble celles qui lui permettront de s’orienter, d’un peu mieux comprendre comment il est arrivé là où il est, de décider, par lui-même, dans quelle direction il lui semblera utile d’aller. Encore une excellente nouvelle : par là, il y aura certainement d’autres égarés à rencontrer.

…SUITE P. 2

L’ÉGARÉ EST UN JOURNAL ASSOCIATIF, né d’une initiative spontanée, qui n’appar-tient à personne d’autres que ses contributeurs bénévoles, lesquels ne représentent qu’eux mêmes. Il ne bénéficie d’aucun soutien (finan-cier ou moral) du secteur privé, de collectivi-tés publiques ou d’associations politiques ou confessionnelles, et n’en recherche pas. Ses seules ressources sont la vente de ses numéros (à ce jour, nous avons 51 abonnés. Objectif : 300, pour être sûr de pouvoir impri-mer les 4 numéros suivants). Sa seule énergie est celle de ses rédacteurs (aujourd’hui nous sommes 10. Objectif : être plus nombreux). Son seul profit est de continuer à se sentir debout (pour l’instant, ça va à peu près. Objectif : ne jamais se coucher.).L’Égaré est un chantier ouvert. Ses rédacteurs sont des amateurs. Ils prennent le risque du bancal, du tordu, de l’incertain, du mal fichu,

du maladroit, mais ils se protègent du préfabri-qué, du conformisme, du préjugé, de la com-plaisance par un travail collectif, coopératif et autocritique. On n’a pas fini de discuter !L’Égaré recherche des repères. Pour cela il se plonge dans la complexité des liens qui font interagir les faits particuliers. À ce titre, tout l’intéresse, dès qu’il est possible d’en appren-dre un peu plus sur le monde, de partager des questions et d’en découvrir de nouvelles, de vivre des rencontres, d’expérimenter de nou-velles formes de travail, de s’exercer à penser par soi-même.C’est du temps, des doutes, des soirées tardi-ves, de bonnes tranches de rigolade.Ce numéro zéro est un premier pas. Il donne une impulsion, un élan. Il marque nos pre-miers apprentissages. On a encore beaucoup à apprendre.

L’ÉGARÉ EST UN JOURNAL VIVANT.

DEDANSLE ZÉRO est une construction qui peut être un bon repère. Mais où le placer ? Le temps et l’espace hésitent (p. 9). Il est vrai que la nature, vivante, ne facilite pas la tâche (ci-dessous : altitude zéro).

Quant aux hommes, l’appétit des uns réduit inéluctablement les autres à zéro, niés dans leur singularité, privés de leurs ressources propres, interdits d’espérance (p. 8).

Même quand on prétend agir pour l’in-térêt de tous, le projet souffre parfois de l’incohérence d’une pensée en miettes où l’on ne sait plus ce qui est véritablement recherché. Un exemple, culturel : pp. 3 à 7. Un autre, éducatif : pp. 10 et 11.

Alors, pour rester en éveil, des ressources à moindre coût peuvent être utiles (p. 2).

Tout peut commencer par la page 12 : on y comprend un peu de la psychologie de l’Égaré. Elle est aussi le début du prochain numéro 1.

NO ZÉRO - DÉCEMBRE 2006 - GRATUITÉdité par l’Astrolabe du Logotope

Page 2: D’après l’Égaré

2 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

trouve un peu rapide et plutôt fantai-siste dans vos conclusions. Vous oubliez la surface de référence définie astrono-miquement par nos soins*. Vous parlez des marées sans évoquer la rotation de la terre ni les rayonnements solaires et lunaires. Les phénomènes astrophysi-ques, Monsieur le goéland, c’est mon domaine. Pour connaître l’altitude de votre rocher, une seule solution, il faut passer par l’ellipsoïde de référence. Nous avons mesuré des amplitudes de plusieurs dizaines de mètres entre dif-férentes zones océaniques. C’est là, où l’hétérogénéité et la densité des sous-sol jouent un rôle prépondérants.

Le goéland commence à reluquer ses pal-mes de moins en moins discrètement. Sa famille pêche autour de ce rocher depuis x ou n générations. Il connaît tous les crabes du coin par leur prénom.

– Pour connaître la hauteur de ce rocher, il faut tenir compte des vents permanents et des courants. La force de Coriolis et son référentiel galiléen sont beaucoup

plus utiles qu’on ne le pense. C’est après avoir intégré toutes ses variables que l’on peux tracer le géoïde, la fameuse surface d’altitude zéro. A partir de là, les mesures des altimètres radars peu-vent reconstituer son niveau réel. C’est merveilleux n’est-ce pas ?

Le goéland balance son mégot et s’en-vole avec dédain.

– Alexandre Hogier reste seul devant le rocher. Il a de l’eau jusqu’aux genoux.

L’histoire est en lutte avec ce qu’elle raconte.

Imaginons maintenant un déluge. Un énorme déluge, avec la pointe d’une montagne comme seul repère spatial. Saupoudrez ce dérisoire pic monta-gneux d’une poignée d’individus, les derniers rescapés de leur espèce.

– Pardon monsieur, où se trouve le niveau d’altitude zéro s’il vous plait ? Je suis géomètre et j’aimerais poser le pied à cet endroit au moins une fois dans ma vie. Ce serait un véritable orgasme

Pour vous, lecteurs qui n’êtes pas équipés d’ordina-teurs, ou qui n’avez pas internet ou dont la connexion au réseau laisse à désirer, l’égaré propose quelques pistes pour vérifier ses sources ou approfondir certains sujets. Il doit exister pas très loin de chez vous un E.P.N, un Espace Public Numérique dont la mission est de pro-poser à tous un accès à Internet ainsi qu’une initiation aux usages du multimédia. L’accès y est souvent gra-tuit pour de simples consultations. Cette labellisation concerne majoritairement des lieux dédiés à la jeunesse mais également des centres socio-culturels ou encore des médiathèques.

Voici quelques adresses en Loire-Atlantique sélectionnées en fonction du libre accès qu’elles proposent, certaines ont un formulaire de type charte à signer, une participation modique peut être demandée pour les impressions.

Cybercentre de Bouguenais 33 avenue du Général de Gaulle 44340 Bouguenais 02-40-04-76-99

Cyber-base Espace Pluriel Maison des associations 2 rue du stade 44610 Indre 02 40 85 46 15

Cybercentre de Machecoul rue de la Bourrie 44270 Machecoul 02 40 02 26 24

CRIJ Tour de Bretagne, RDC 44000 Nantes 02 51 72 94 55

Cybercentre du Pays du Vignoble Nantais, 1, place Charles De Gaulle 1er étage 44330 Vallet 02 51 71 75 07

Cyber-base Trignac 9 rue Jean Jaurès 44570 Trignac 02.40.00.65.28

Ecole municipale d’arts plastiques 24 avenue Léon Blum 44600 Saint Nazaire 02 40 00 42 60

Maison de Services au Public SIVOM du canton de Riaillé 182,

rue du Cèdre 44440 Riaille 02 40 97 35 23

Médiatheque Diderot Place Lucien Le Meut 44400 Rezé 02 40 04 05 37

Chaque mairie doit être en mesure de vous renseigner sur les points d’accès les plus proches.

RECYCLAGE MUSICALAttention! Attention! Avis aux petits et grands mélomanes! Le grand REKUPERTOU débarque dans les bacs avec « Bric a brac », un cd de musiques variées (calypso, blues, valse, etc...) pour les enfants bien sûr, mais aussi pour tou-

tes celles et ceux qui le sont restés.

Derrière REKUPERTOU ne se cache pas Bruno Blandy, musicien tou-che à tout que l’on con-naissait à travers ses

expériences dans Bunny Ray, Tapak Lagoul ou encore au sein du Steel band nantais Calyps’Atlantic. L’artiste déploie ici des tré-sors d’ingéniosité et redonne une seconde vie à une batterie de vieilles casseroles, bidons, bouteilles, piquets de tentes, bocaux, tuyaux… Dans ce bric à brac là, 100 % bricolo, tient tout un univers malin, rigolo et rêveur. Entouré de sa tribu, Bruno Blandy parvient à installer une complicité rare avec l’auditeur, 19 morceaux à la fois simples et originaux, désinvoltes et

exigeants, où la richesse des arran-gements se mélange avec bonheur à la fragilité des voix d’enfants.

Le résultat est mirobolant, épous-touflant et pour tout dire macromé-

gabien !

Pour se procurer la chose : chez la plupart des disquaires de l’agglomération nantaise ou directement chez le producteur au prix de 15 €

La Compagnie des Ondes, 9 rue Victor Hugo, 44400 Rezé, cdondes @free.fr, 06.70.63.19.19

Chaque jour les médias inondent la population d’in-formations terrifiantes, le type d’infos que l’on aime-rait mieux ne pas connaître : conflits armés, épidémies, crises sanitaires, etc... des évènements à rester cloîtré chez soi dans son petit abri anti-bactériologique bricolé avec un vieux frigo, trois bouts de carton et du papier alu. Oui, ça fout les jetons!

Heureusement que dans cet enfer, il y a quand même des amis qui nous veulent du bien : Les Renseignements Généreux!

Les Renseignements Généreux, c’est le nom d’un col-lectif de citoyens qui sont sortis de leurs abris et se sont mis à réaliser des documents pédagogiques pour petits

et grands, documents qui aident à comprendre certains thèmes majeurs de société.

15 brochures sont disponibles gratuitement sur leur site internet (brochures à imprimer, à relier soi-même, à lire et à faire lire). Parmi les sujets traités : Réinventer les médias, la Françafrique, la Publicité, l’Agriculture Intensive, le Nucléaire, le Narcissisme. Le langage est clair, solidement argumenté et très bien illustré.

Se plonger dans les Renseignements Généreux c’est écouter une radio clandestine, monter un réseau de distribution parallèle… il y a de la déprogrammation dans l’air, il y a de la résistance en marche.www.les-renseignements-genereux.org/

LE RÉSEAU DES RÉSEAUX POUR ZÉRO EURO

DES BROCHURES QUI ÉCLAIRENT DANS LE NOIR!

RESSOURCES HUMAINES

pour ma conscience professionnelle. Je vous raconte ça, à vous, parce que vos longues barbes et votre attitude recueillie m’inspire le respect.

L’un des rescapés, parmi les plus barbus, se lève et toise le géomètre.

– Aide nous plutôt à cons-truire un bateau, on n’a rien pour se déplacer. Si tu veux te fixer sur quelque chose, commence par réfléchir sur une ligne de flottaison.

L’histoire est mortelle. Supposons qu’aucun des rescapés n’ait pensé à sau-ver le moindre livre, la moindre carte, rien. Comment l’histoire avec un grand H se survivrait-elle ?

Le géomètre, très troublé par la répli-que du vieillard, s’assoit discrètement au pied d’un arbre. Il n’a pas le pied marin. Il regarde une bouteille en plas-tique bringuebalée dans les vagues. Il

songe à la tectonique des plaques. Tout en espérant se faire oublier du groupe de barbus, il essaie de calculer combien d’années encore le niveau actuel des eaux se maintiendra au même stade.

OLIVIER AUTIN*www.meteofrance.com/FR/glossaire/designa-tion/49_initie_view.jsp#51

Page 3: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 3

DE L’ART D’EMBALLER UN TERRITOIREFRONT PIONNIER EN TERRA INCOGNITA : L’ART CONTEMPORAIN EN PREMIÈRE LIGNE D’UNE MISSION CIVILISATRICE. Entre Nantes et Saint-Nazaire s’étale un territoire mal connu, trop souvent associé à une image marécageuse, pétrochimique et désolée. Pour qui souhaite découvrir la beauté sauvage de l’estuaire, la première édition de la biennale « Estuaire Nantes <> St-Nazaire 2007, 2009, 2011 » sera prétexte à admirer ces paysages farouches qui, du 1er juin au 1er septembre 2007, se feront écrins pour 30 œuvres d’art contemporain.

Si l’on en croit les objectifs de la mani-festation tels qu’ils sont précisés dans la convention1 signée entre la ville de Nantes et le CRDC, organisateur, ça va être grand :

Le projet estuaire 2007 a pour objet de développer et promouvoir l’identité culturelle de cet espace.

Il fait appel à des artistes de renommée internationale pour l’implantation d’œu-vres monumentales, capables de se con-fronter aux dimensions de l’estuaire.

L’objectif visé est que 50 % des œuvres commandées soient pérennes et entre-tenues comme « signes », « symboles » permanents et emblématiques des dif-férents paysages et des sites industriels de l’estuaire.

Pour faire ça, il faut un homme. Jean Blaise2 sera celui-là. Acteur culturel local qui anime avec éclat la région nantaise depuis plus de 20 ans, c’est lui qui a imaginé et qui dirige cette manifesta-tion depuis le Lieu Unique. Convaincu que « nous avons besoin de projets qui entraînent et qui inspirent tous ceux, innombrables, qui ont envie de créer et de participer à une aventure »3, Jean Blaise est de ceux qui auront participé à ce que Nantes devienne « une ville en vue, une ville enviée »4.

Il faut aussi des financements. Pour un budget de 7,5 millions €, les collectivi-tés territoriales et l’état apportent 6 mil-

En guise d’intro, parce qu’on ne saurait se comprendre si on ne sait pas de quoi on parle, l’Égaré (l’É) demande à Jean Blaise ce qu’il entend par culture, afin d’éclairer ce qu’il nous dira ensuite d’Estuaire 2007 :

Jean Blaise : Moi, personnellement je ne sais pas trop bien ce que c’est la culture, c’est plus une façon d’être, un état d’esprit, une façon d’être dans le monde, qu’un savoir. Notre problème à nous qui faisons de l’action culturelle, c’est pas de faire en sorte que le public capitalise des savoirs et qu’à la fin il se trouve plus riche qu’au début. C’est d’essayer de faire passer une façon d’être vis-à-vis de l’art, qu’on ne comprend pas habituellement, qui semble complexe pour la grande majorité des gens. (…)

Comment fait-on pour faire découvrir, rendre acces-sibles, des formes qui sont complexes, parce qu’elles sont contemporaines, parce qu’elles sont immédiates, parce quelles sont là tout de suite et sans référence ? C’est ça notre problème à nous. (…) Et c’est difficile parce que les gens n’ont pas de références, parce que je pense qu’il y a un déficit d’éducation artistique et parce que je pense qu’il y a un déficit de fréquentation des lieux qui proposent l’art en général. (…)

Comment faire ? Nous, entre les deux termes de l’équa-tion, on est un vecteur, on est là pour faire passer, on est médiateur. (…) Notre problème c’est d’inventer

CULTURE ? le concept est complexe. Et la question est un défi. Il n’est pas choquant d’admettre son incapacité à répondre à la question.

Cependant, il s’agit ici de jean Blaise. Or, comment interpréter le fait qu’un acteur culturel de l’importance de Jean Blaise évacue la question posée (« une façon d’être » ?) pour faire valoir ensuite (et longuement) sa démarche de médiateur culturel ? Soit il n’a effectivement aucune idée de l’objet dont il a fait son métier. Auquel cas les actions menées par lui depuis plus de 20 ans s’avèrent dénuées de sens faute d’une conception claire, explicite et assumée de ce qu’il prétend faire vivre. Et les projets conduits relèvent alors de l’arbitraire de la personne, de l’emprise des modes et de l’opportunisme politique. Soit il en a au contraire une idée très claire. Auquel cas l’absence de réponse masque ce qu’il sait d’inavouable dans sa façon de concevoir la culture.

Mais l’inavouable est tenace : l’objectif du médiateur culturel n’est pas de «rendre le public plus riche», parce que le savoir n’est pas « son problème ». Ce qu’il y a alors d’objectivement et d’obstinément choquant dans sa réponse, c’est ceci : la vacuité clairement assumée des projets qu’il conduit, où la démarche se substitue à l’objet qu’on prétend rendre accessible.

SAINTNAZAIRE

PONT-CHATEAU

PORNIC

PAIMBŒUF

LE PELLERIN

INDRE

COUERON

NORT/ ERDRE

CORDEMAIS

SAINT-GILDASBLAIN

NANTES

ÎLE DE LA PÉRENNITÉ

QUAND LA CULTURE SERT À TOUT, PEUT-ELLE SERVIR À TOUS ?Jean Blaise nous reçoit au premier étage du Lieu Unique, vaste open space au fond duquel on passera une heure à s’entretenir au sujet d’Estuaire 2007. L’entretien a été sollicité en précisant par avance sa thématique : à travers « estuaire 2007 », il s’agissait d’interroger les liens entre culture, art, patrimoine, développement et économie. En introduction, il est annoncé que les réponses fournies seront ensuite questionnées, critiquées, commentées. Ce que nous nous sommes abondamment autorisés.

lions (1 million pour la ville de Nantes). Le reste provient de Total, Accor, Véolia, Airbus, la TAN…

Il faut enfin un discours, pour expliquer que cette « manifestation extrêmement fédératrice » a de « multiples ramifica-tions qui touchent à la culture, à l’en-

vironnement, à l’économie, au social, à l’éducation »5.

C’est justement ce discours qui intéresse l’Égaré. Et c’est évidemment celui qui le porte que nous sommes allés questionner6.

Quelles réalités le discours recouvre-t-il ? Quelles idées véhicule-t-il ?

Il convient dès à présent de préciser ceci : Estuaire 2007 ne nous intéresse que par ce qu’il révèle de la façon dont sont utilisés la culture et ses acteurs. Nous ne recherchons aucune satisfac-tion personnelle ni aucun bénéfice cou-pable à explorer la pensée de Jean Blaise. Seul nous intéresse de comprendre un discours récurrent à autant d’actions semblables ici et ailleurs, souvent asso-ciées à une politique de développement plus générale.

On nous épargnera donc les procès d’intention.

1 www.nantes.fr/Sgid/DataSgid/themes/conmun/cm07102005/cm07102005-29-annexe.pdf

2 Les Allumés, Nuits Blanches, Fin de Siècle, fondateur du CRDC, directeur du Lieu Unique

3 Ouest France 13 oct 2006 - www.estuaire.info/html/actu/actu.html

4 le Nouvel Obs 2193, 16/22 nov. 2006

5 Ouest France 13 oct 2006 - www.estuaire.info/html/actu/actu.html

6 Jeudi 12 octobre 2006.

En raison des contraintes éditoriales, nous n’avons pu tout garder de l’entretien. Les redondances, digressions, développement d’exemples et pro-pos ouvrant sur d’autres thématiques que nous ne pouvons traiter ici ont été retirés, en prenant soin de ne pas tronquer la pensée de notre inter-locuteur ni d’en modifier le sens. La retranscription intégrale de l’entretien (disponible sur demande à : [email protected]) lui a été communiquée pour approbation. Pas de réponse. Un entretien a également été sollicité auprès de Renate Schäfer, responsable partenariat entreprises pour Estuaire. Jean Blaise nous a fait savoir qu’il préférait répon-dre pour elle à nos questions.

des formules pour faire ce pont, ce passage. Parce qui si on dit simplement : la forme est là, on n’a pas à la toucher, elle est telle qu’elle est, telle que l’a voulue l’artiste, le public il est tel qu’il est, il se démerde, et bien là on sait que c’est 1 % de la population qu’on touchera. (…)

Ici, à LU, dans nos lieux, on touche 10 % de la popula-tion quand on travaille beaucoup et bien. Comment on fait pour les 90 autres % ? Il faut aller sur le ter-rain, sur leur terrain, il faut aller chez les gens, il faut aller sur l’espace public, et aller dans l’espace public,

pour moi, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Parce que là on n’est plus seulement chez nous : ici personne vient nous embêter, y’a pas de censure, y’a pas d’auto censure, puisqu’on est un lieu qui peut faire tout ce qu’il veut par ses statuts. Alors que quand on va sur l’espace public, sur l’estuaire, on est chez les autres, on est chez tout le monde, et là, si il n’y a pas une relation obligatoire, immédiate, désirée, avec les gens qui habitent sur le territoire, ça ne peut pas se passer. Parce qu’il va y avoir des phénomènes de rejet immé-diats. Donc ça, pour moi, c’est une autre façon de faire

Page 4: D’après l’Égaré

4 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

de l’action culturelle qui peut-être s’approche de ce qu’on peut espérer d’une démocratie et d’un accès à l’art, tout en sachant que les incompréhensions vont perdurer, la complexité ne sera pas levée parce que les artistes quand ils créent ne se préoccupent pas de la complexité, de ce qu’ils disent, du contenu et de la forme. Ils créent. Ça veut dire que sur l’espace public, l’artiste et le médiateur comme nous, som-mes obligés de dialoguer, de discuter, voire même de négocier, l’implantation sur un terrain donné, sur l’estuaire. (…)

MOUE DUBITATIVEL’on entend bien que les œuvres qui se rattachent au vaste champ de l’art contemporain sont « com-plexes ». Ce qu’il y a d’épatant avec cette appel-lation, c’est qu’elle recouvre des genres tellement variés que le public peut se frotter à une diversité de médiums, une infinité de messages et se perdre entre moue dubitative et spéculations cosmiques sur le sens de la vie sans qu’il lui en coûte.

Amener ce public, par le biais de médiateurs à une autre compréhension que celle de l’artiste ou des élus qui ont eu le bon goût de le choisir, est louable mais un peu vain. D’autant plus que la notion de médiation ne peut se résumer à inventer des formu-les pour faciliter la rencontre entre un public et des formes d’art complexes.

« Une des ambiguïtés de la notion de médiation est qu’elle recouvre trois approches qui, bien souvent, se superposent pour finir par se confondre.

La première concerne les usages socio-politiques du terme et se manifeste dans les discours fonctionnels. La médiation se présente comme moyen destiné à court-circuiter les survivances héritées d’une orga-nisation figée dans son passé. Elle vaut alors comme représentation qui utilise des outils d’expression et des supports de communication permettant aux «importants» de faire circuler leur vision du monde et de recueillir, éventuellement, l’opinion de ceux qu’il s’agit de convaincre et de séduire. De ce fait, la médiation joue une fonction idéologique : elle apparaît comme un moyen que se donne l’institu-tion (juridique, politique ou culturelle) pour main-tenir le contact avec ses administrés et imposer des représentations et des relations sociales. Le plus souvent, la médiation du discours des dirigeants se développe par le biais des médias : la médiati-sation est alors le dispositif social et technique par lequel les citoyens sont visés dans l’espace public.» Jean Caune, 1999 dans La Médiation culturelle : une construction du lien social, université de Grenoble.

Si le rôle du médiateur est aussi celui de l’intermé-diaire chargé de convaincre du bien fondé de telle ou telle démarche, l’accompagnement, l’explication du tiers bienveillant, tendent à orienter le jugement du spectateur vers une version « officielle » du message ou, pire, une justification.

Stigmatisant ses détracteurs, JB ne se perçoit pas comme appartenant à l’élite, confondue ici avec les élitistes. Appartenir à une élite (quelle qu’elle soit) n’est pas infâmant en soi. Certains (de l’institutrice de ma fille à Edgard Morin) assument très bien leur responsabilité d’élite qui consiste justement à résis-ter à la tentation de l’élitisme et à ses effets induits. Ça s’appelle l’éthique. Refuser de s’admettre comme élite (alors qu’on se sait appartenir au milieu cul-turel le plus en vue dans la région, observé avec intérêt depuis l’extérieur, revendiquant la portée internationale de ses actions) est, de la part de JB, une fausse humilité qui, en même temps que sont confondus élite et élitisme, frise la démagogie par le recours à l’amalgame : on a vite fait de tordre le cou aux amateurs d’arts qui (en passant) ne sont pas tous de vilains élitistes enfermés dans leurs musées.

Il ne se perçoit pas non plus comme un défenseur de la démocratisation. Étonnant, de la part de quelqu’un qui prétend vouloir faciliter l’accès des œuvres complexes au plus grand nombre.

Complexe culturo-industriel

L’É : S’agissant d’Estuaire, est ce qu’on ne confond pas la massification de l’offre, de l’accès, avec la qualité de l’œuvre ? [ La question ne veut rien dire. Mais c’est pas grave : c’est, de toute façon, « effectivement la question ». ]

JB : Tout le problème est là, c’est effectivement la question. Mais c’est la question qui est posée par les défenseurs de la démocratisation mais aussi par l’élite, les élitistes. On a, nous, des détracteurs des 2 côtés : du coté des amateurs d’art, c’est-à-dire ceux qui passent leur vie dans les centres d’art, dans les musées, dans les lieux d’art, et qui nous disent : « mais vous êtes en train de galvauder, vous êtes en train de trahir l’artiste (même si l’artiste est d’accord avec nous), mais vous êtes en train de l’entraîner sur des pentes, d’une cer-taine façon, populistes » ; et puis, de l’autre côté, on a ceux qui disent, ce que vous sentez un peu, effective-ment, il n’y aura pas véritablement d’accès : le public va d’une certaine façon subir une intrusion.

Pour ça il y a deux manières : il y a ce qu’on appelle la pédagogie. Des gens qui sont là pour expliquer, des panneaux, des discours, le plus clairement possible, sans jargon, de la façon la plus immédiate et honnête possible. Et il y a aussi la communication ambiante : le bouche à oreille va jouer, (…) cette espèce de rumeur de communication ambiante fera que, de toute façon, on posera des questions. (…)

L’É : Est-ce qu’il y a nécessité, dans le sens ou vous voulez être médiateur entre l’art et le public, à faire des manifestations qui aient ce volume ?

JB : Oui, si on veut vraiment toucher le plus grand nombre ! (…)

L’É : En cherchant le plus grand nombre y’a aussi le projet de développer l’image de la région de l’estuaire. Comment peut-on faire se correspondre, rendre cohé-rents, le souci de s’adresser au plus grand nombre avec celui de développer la région. C’est peut-être là qu’on est coincé : on est moins coincé par des soucis de mise en œuvre fonctionnelle que par une disjonction entre deux objectifs qui sont peut-être antynomiques. [ Si un lecteur bienveillant peut nous reformuler cette question de façon intelligible, on lui offre un abon-nement d’un an. ]

JB : Je sais pas : nous on n’est pas des économistes, on va pas investir sur l’estuaire. Notre objectif c’est de valoriser l’estuaire, ça c’est bien clair. Donc, que ce soit un territoire pour quelques milliers de personnes. On veut que ce territoire profite à d’autres. On partage cet objectif avec Martine Staebler, du GIP (Groupement d’Intérêt Public). Celui-ci observe l’estuaire et constate

que l’estuaire est en train de se dégrader, de s’envaser, et finalement il n’existera plus. Donc son problème [au GIP] est de sauver l’estuaire, d’aider à l’observation pour qu’on sauve l’estuaire à long terme et M. Staebler nous dit : « mais c’est très important ce que vous faites là, parce que vous mettez un coup de projecteur sur l’estuaire et vous montrez qu’il faut le sauver ». Parce que finalement, ce qu’il s’est passé jusqu’à présent, c’est que l’estuaire était un lieu réservé : il y avait les gens qui habitaient, qui vivaient de l’estuaire, mais très peu, très peu de gens. On pense aux pêcheurs, aux chasseurs. Et puis il y avait les industries, de grandes industries, qui se sont implantées sur l’estuaire (on a le CAC 40, hein, là) et qui l’ont gardé comme partout dans le monde et partout en France. C’est-à-dire qu’on a fermé les ports parce que les ports avaient une acti-vité industrielle plus ou moins légitime, et qui fait que d’une certaine façon, quand même, ces endroits ont été des déversoirs, des zones de non droit. Aujourd’hui, si on veut sauver l’estuaire et bien il faut pouvoir l’ob-server, il faut qu’il soit montré, il faut qu’il y ait de plus en plus de gens qui aient envie de le sauver et qui aient envie de le défendre. (…)

De toute façon on est sous le regard de tout le monde. C’est-à-dire que chaque fois qu’on est allé choisir un endroit, un terrain où créer une installation (éphémère ou pérenne), on était accompagnés par des associa-tions de défense de l’environnement. Parce qu’on s’est aperçu (pas par vertu), parce qu’on s’est aperçu qu’on pouvait pas faire autrement. Quand on a commencé à prendre connaissance de l’estuaire, on s’est aperçu qu’il fallait absolument faire avec ces partenaires-là, obligatoirement…

L’É : « C’est pas par vertu » : vous avez l’air de le regretter.

JB : Mais pas du tout : aujourd’hui je ne le regrette pas. Parce que ce sont d’une certaine façon mes idées. J’ai pas envie de faire n’importe quoi sur un territoire donné, j’essaie de vous montrer qu’il fallait aussi être pragmatique, et que les choses se régulaient quand elles étaient bien faites. Donc, aujourd’hui, on va sur un terrain quand la LPO nous a dit : « OK, tu peux y aller » ou quand Bretagne Vivante nous a dit : « c’est possible, ça embète moins ici que là ». (…) Je travaille pour l’intérêt général. Donc l’intérêt général c’est tou-tes les composantes de cet intérêt. Mais on a aussi comme partenaire le port bien sûr. (…)

L’É : D’où viennent les financements ?

JB : De la région, du département, de Nantes métro-pole, du ministère de la Culture, des communautés de communes. Donc ça veut dire que c’est véritable-ment un projet d’intérêt général. Ça veut dire que tout le monde a envie qu’il se fasse. Pas pour mes beaux yeux (parce que sinon ce serait très fort, quand même, hein ? avouez ?) mais parce que c’est à un moment

Page 5: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 5

L’ESTUAIRE, UN « LIEU RÉSERVÉ » ? Des chasseurs, des pêcheurs ? Mais, enfin, de qui se moque-t-on ?! Est-ce là toute la connaissance que JB a de cet estuaire qu’il entend « sauver » ? (on savoure, au passage, le glissement sémantique depuis « promouvoir une identité » jusqu’à « sauver l’estuaire » qui relève plus du messianisme que de l’action culturelle). Les centaines de milliers d’habi-tants qui peuplent les dizaines de communes le long de l’estuaire, qui y vivent, y travaillent, y animent des associations, s’y investissent politiquement, s’interrogent sur l’aménagement de leur espace, apprécieront sûrement d’être réduits à un petit peuple de chasseurs-pêcheurs.

Pour le reste, on nage en pleine confusion…

Il y a, contenu dans ces quelques phrases, une mul-tiplicité d’objectifs qui se téléscopent sans qu’on parvienne à retrouver une cohérence, tant les repré-sentations tronquées d’un territoire se mêlent à des propos vagues et sans fondement. Parle-t-on d’en-vironnement ou de culture ? Qui sont ces autres qui pourraient tirer profit du territoire ? De quel profit s’agit-il ? Quels avantages l’environnement éco-logique de l’estuaire retirera-t-il de l’installation humaine et des activités subséquentes ? Comment peut-on dire des industries installées ici que leurs activités « sont plus ou moins légitimes » alors que dans le même temps on leur vend un espace pro-motionnel sur les supports de communication de l’événement ? Et si même on admet que l’endroit est réservé, n’est-ce pas justement en raison de sa nécessaire protection ?

Et puis enfin : on ne vit pas de l’estuaire, on vit sur l’estuaire. L’estuaire est un espace de vie, vivant lui-même, pas une source de profits. Ce qui impose de repenser les interactions nécessaires et vitales entre un espace et les hommes qui l’occupent.

Alors, si tout est lié et que pour cette raison un pro-jet doit être pensé dans la complexité de ses effets, qu’au moins on nous épargne la négligence intel-lectuelle. Les enjeux relevés ici ont besoin d’un peu plus de rigueur et d’éthique.

L’intérêt général, c’est comme art contemporain, développement durable, sécurité publique, liberté individuelle, traité de constitution, coopération internationale, confiance des ménages, arts premiers et tant d’autres concepts un peu mous du genou qu’on ne discute plus.

Les élus des collectivités territoriales apprécieront la confiance aveugle que leur accorde Jean Blaise pour définir l’intérêt général. En l’occurrence, le projet survient dans un contexte de développement d’une métropole qui n’entend pas rester à la traîne de ses voisines européennes. Ce qui conduit, par exemple, le Syndicat Mixte du SCOT (schéma de cohérence ter-ritoriale) de Nantes-Saint-Nazaire à se poser (entre beaucoup d’autres pas mal gratinées) ce genre de questions, à l’occasion d’une conférence tenue le 10 juin 2005 : faut-il faire venir des actifs pour maintenir les conditions du développement ? Si oui, lesquels ? Comment attirer des actifs et des retraités ? (Nico-las Sarkozy n’a rien inventé tout seul. L’immigration choisie semble être la clé d’un avenir radieux pour tout territoire menacé de déclin économique). On pourra trouver équilibrées et rationnelles les répon-ses que les experts apportent à ces questions. Et on pourra trouver Jean Blaise cohérent lorsqu’il déclare, à cette même conférence : « Si [Estuaire 2007] réussit, on va beaucoup en parler en France mais aussi en Europe, et on va essayer de valoriser ce territoire de l’estuaire pour qu’il soit visible. Enfin, l’objectif le plus important est de faire en sorte, une fois qu’on aura été vu et repéré, que les touristes se déplacent et qu’on crée du développement dans cette région ».

Mais le problème n’est pas dans la qualité des répon-ses, il est dans la légitimité des questions, fondées sur une course au développement entre métropoles. L’Europe en effet s’engage dans la construction de « la société de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde » (objectifs de Lis-bonne), en suscitant, pour stimuler l’innovation, la concurrence entre les territoires. Ainsi est encouragé le développement des secteurs de haute technologie, à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire la recherche et les TIC, dont on recherchera la plus grande productivité, tout en protégeant les innovations par de nouvelles règles concernant la propriété intellectuelle. De là naît le concept des « idéopôles », lieux d’intelligence supérieure qui inventeront ce que les moins malins dans le monde auront la charge de fabriquer (Gre-noble a pris de l’avance en accueillant Minatech, le fleuron de l’ingénierie en matière de nanotechno-logie).

Choisis ton camp camarade : vivre en compagnie de tous les premiers de la classe dont ta cité high tech idéale a besoin, en guettant le palmarès semestriel du Nouvel Obs des «villes où il fait bon vivre» (mais on te prévient : c’est évidemment une utopie), ou t’installer ailleurs parce que les prix de l’immobi-lier te chassent vers tes frères crétins qui demeurent juste bons à produire des trucs que tu pourras même pas t’acheter (mais on te prévient : ça pue et c’est sale). Heureusement que Jean Blaise programme des artistes qui savent « mettre le doigt sur nos perver-sions ».

Sur les retombées économiques des grands projets culturels, on peut observer les tentatives de nos voi-sins. L’exemple de Lille 2004 (capitale européenne de la culture) est riche d’enseignements. Recherchant pareillement le prestige pour plus d’attractivité et un regain d’activité, on investit un budget 10 fois supé-rieur à celui d’Estuaire (73,7 millions d’euros dont 13 millions -18 %- émanant de 82 partenaires privés). Pour une année entière de manifestations, le bilan institutionnel (et exclusivement quantitatif) souligne à travers une litanie de chiffres et de façon dithy-rambique l’ampleur exceptionnel de l’événement et se flatte de ses effets sur l’économie locale. En guise d’effet, les principaux bénéficiaires auront été les sec-teurs du commerce (toutes surfaces), de l’hôtellerie, des débits de boisson et de la restauration. Beaucoup d’activité et de gros chiffres d’affaires. Y’a pas de mal à ça : faut bien que tout le monde vive. Pourtant, les départements de la région Nord-Pas-de-Calais restent imperturbablement ceux de France où le taux de chômage est le plus élevé (jusqu’à plus de 13 %), suivant pas à pas l’évolution nationale. Et ce ne sont pas les 28 CDI créés pour l’occasion dans le secteur culturel (sur 1 341 embauches, soit 2 % !) qui vont y changer grand chose. L’alibi économique ne tient pas. En vérité, les collectivités territoriales subventionnent la communication et la publicité du secteur privé pour son seul profit, sans que la population locale en bénéficie. La frénésie de spectacles va continuer longtemps : Lille 2004 accouche de Lille 3000 (allez hop !) et devient une biennale. On pourra aller con-sommer tous les deux ans dans le Nord sous le regard des chômeurs et des précaires locaux, qui pourront profiter de leur temps libre pour consulter le bilan (qualitatif celui-ci) du Conseil Économique et Social de la région Nord-Pas de Calais, très mitigé sur les effets de l’événement quant à la démocratisation de la culture et de ses pratiques : « la culture est ici avant tout le support d’un événement destiné à valoriser et dynamiser une ville et une région dans toutes leurs dimensions (économique, touristiques). De ce point de vue, on ne peut attendre de cette manifestation plus que ce qu’elle n’est capable d’offrir en termes de développement culturel ». Ils pourront alors méditer ces quelques questions : « toutes les composantes de cet intérêt » contribuent-elles également à l’intérêt général ? Sur quels critères peut-on apprécier leurs contributions respectives ? En quoi sont-elles toujours convergentes ? Comment ces différentes composan-tes sont-elles associées ensemble pour construire cet intérêt général ? Qui décide pour qui ? Qui rend des comptes à qui ? Qu’est-ce qui protège les plus fai-bles ? Et aussi, en passant : quelles valeurs, principes, modes de pensées et concepts clés fondent l’intérêt général ? Qui en a jamais discuté ?Sur ces thèmes, lire : Bendy Glu « Culture et propagande », in « Domestiquer les masses », revue Agones, no 34, 2005.

Les actes de la conférence du SCOT sont accessibles ici : www.scot-metropole-nantes-saint-nazaire.com/web/menuConferencemetro-politaine2005.do

Les objectifs de Lisbonne : www.eurosfaire.prd.fr/bibliotheque/pdf/Lisbonne_objectifs_2004_PN.pdf

Le bilan de Lille 2004 : iis5.domicile.fr/lille2004/v04-asp2/pdf/indi-cateurs_bilan.pdf

Le rapport du CESR : www.nordpasdecalais.fr/cesr/telecharge-ment/2006/2006-0702-avis_lille_2004.pdf

ET VOILÀ, LE MOT EST LÂCHÉ : « L’INTÉRÊT GÉNÉRAL » !

PAUSE RÉCRÉATIVEParmi ces quatre définitions de l’artiste selon JB, relève les 7 incohérences.

L’artiste contemporain :

∑• crée des œuvres immédiates et sans référence.

∑• a une certaine intelligence, différente de la nôtre, qui lui permet d’anticiper.

•∑ remet en question la société et sait mettre le doigt sur nos perversions.

∑• ne se préoccupe pas de la complexité, de ce qu’il dit, du contenu et de la forme.

donné un projet qui correspond à une intention, à une volonté.

(…) Pour que des collectivités territoriales s’intéressent à un projet, investissent sur un projet, pour elles c’est un investissement, et puis, surtout, ces 7 millions, ils s’évaporent pas. (…) Il y en a au moins 4,5 qui retour-nent à l’économie locale, ce qui est bien. Et puis si on réussit notre coup, si on travaille bien et si on réussit, il va y avoir évidemment des développements. C’est-à-dire qu’il va y avoir un tourisme qui va se faire et qui va rapporter (à peu près 4,6 millions, selon des modes de calculs, bon, euh, compliqués), etc. (…) Estuaire c’est aussi plus de 110 emplois qu’on paie pour ça. C’est quelque chose qui produit et qui fait que, effective-

ment, à un moment donné, il y a de l’activité. Et je ne parle pas de la question de l’image, etc. (…)

L’É [après quelques propos communs sur le patrimoine, au sujet des œuvres « monumentales »] : Est-ce que le beau, ici, ne se réduit pas à l’impressionnant ?

JB : Non il ne se réduit pas. Il s’en nourrit, aussi, mais il ne se réduit pas. (…)

Les artistes jouent beaucoup avec l’impressionnant. Parce que les artistes remettent en question la société, parce qu’ils mettent le doigt dessus, toujours, ils met-tent le doigt sur nos perversions. Mais comme ils sont extrèmement intelligents (pas plus que nous, mais ils ont une certaine intelligence : ils anticipent beaucoup plus que nous, c’est comme ça qu’on est artiste ou pas artiste je crois (rires)), et bien ils sont capables à la fois de nous donner du désir, du plaisir et du trouble. Voilà. (…)

L’É : Recherchant des œuvres monumentales, n’y aurait-il pas l’envie d’impressionner ?

JB : Y’a une envie de troubler.

L’É : Il s’agit de troubler pour donner une image de la région ?

JB : Non pour faire se poser des questions.

[Ça tombe bien, c’est ce qu’on fait !]

L’É : Pour les gens, quel impact aura Estuaire (hormis le moment où ils vont aller visiter les sites) ?

JB : [Évoque l’exemple concret d’une installation pro-jetée à Lavau-sur-Loire : la préparation suscite des rencontres, des discussions, des négociations avec et entre les associations diverses, avec des responsables, des élus. Tout le monde réfléchit au projet.]

La population de Lavau s’approprie le projet. C’est un projet d’ensemble. Les gens vont le faire vivre et vont en profiter. Premier impact : on anime au premier sens

Page 6: D’après l’Égaré

6 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

du mot le territoire, et ça ça m’intéresse parce que c’est mon métier depuis l’origine. Et puis on est dans la réalité : tout d’un coup on introduit des artistes dans la réalité. Parce que c’est notre métier : comment faire pour que l’art aille partout. Et qu’un artiste comme Tadeshi Kawamata fasse un belvédère en bois, qui va être là pour un demi siècle, je l’espère, moi j’ai atteint mon but. Mais ce sera pas seulement un truc avec un morceau de tôle dessus. (…) Voilà ce qui m’intéresse et rien d’autre. C’est-à-dire qu’on peut penser, on peut imaginer qu’avec cette démarche l’œuvre sera juste. J’ai alors le sentiment, moi, d’avoir fait mon boulot.

L’É : [question pour connaître les sponsors, non divul-gués en octobre. C’est chose faite depuis]

JB : (…) C’est des entreprises extrêmement diverses et qui ont des intérêts extrêmement divers. Il y a de grandes entreprises dont l’intérêt c’est simplement : comment peut-on ne pas y être ? (…)

L’É : Les financeurs privés le font pour leur image, pas par philantropie, ils le disent eux-mêmes. Donc, à un moment donné, n’y a-t-il pas collusion entre ce désir de vouloir démocratiser, rendre accessible l’art, et

puis le profit à long terme qu’en retirent les grandes entreprises, sachant que de toute façon ils n’ont besoin de la culture que comme cache sexe, pour faire de la publicité. Sur les 7 millions, vous n’en auriez eu que 6, est-ce que ça n’aurait pas été suffisant ?

JB : J’aurais eu 6 millions j’aurais quand même cherché un million du privé. Parce que c’est pas seulement la question de boucler le budget. Pour moi c’est une vraie question de fond, et je me sens extrèmement libre pour répondre : ce sont des partenaires évidents. Quand vous descendez l’estuaire en bateau, vous avez Arcelor, EDF, Total, Airbus… Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne soient pas partenaires. Ou alors on est un révolutionnaire et on dit : « il faut que ça disparaisse ». Mais moi, non, c’est pas moi… parce que moi je sais pas faire ça, parce que c’est pas… Donc ce qu’il faut absolument c’est que ces énormes profits, ces énormes profits, et bien il faut qu’ils profitent un peu à ce à quoi on croit. Et après il y a une question de conscience : est-ce qu’on ne leur sert pas la soupe ? Moi, de ce point de vue-là je suis en accord avec moi-même : d’abord parce que j’ai pas de pourcentage (…) et, deux : je crois à l’entrisme. Je pense que pour améliorer les situations il faut révéler, que tout à coup ça apparaisse, qu’il n’y ait pas, justement, de masque.

L’É : Le problème, là, c’est qu’on révèle ces entreprises comme des gens qui facilitent l’accès à la culture.

JB : Bof… ouais… Vous savez, le fric qu’ils vont nous donner ils l’auraient mis dans la pub ça aurait été peut-être plus efficace.

L’É : Pas sûr : ils retirent beaucoup plus d’impact avec ce genre de manif, en terme d’image, que par la pub, et c’est bien pour ça que les entreprises essaient de mécéner de plus en plus (en tout cas les grands groupes) parce qu’ils se rendent bien compte qu’ils ont besoin d’imaginer d’autres façons, justement, de parfaire leur communication.

JB : Vous avez vu la pub de Total autour de sa campa-gne pour l’écologie, pour sauver le monde, etc ? C’est des millions d’euros ! Nous, c’est peanuts ! C’est un pourboire ! C’est rien !

L’É : Ben alors : si c’est un pourboire et si la culture est si importante, pourquoi ne pas leur en demander plus ?

JB : Ben voilà (rires) ! Moi je pense qu’il faut leur en demander plus, toujours plus, mais : jusqu’au moment

où vous risquez d’être assujetti. C’est-à-dire que, pour moi, la culture elle doit rester sous la tutelle du public. C’est extrèmement important. La culture ne peut pas vivre comme aux Etats-Unis. (…)

Jusqu’où on va ? Il faut que demain, il faut qu’on puisse se passer des financements privés. Il faut qu’on puisse s’en passer, s’il y a un problème. Mais si c’est 50 % de nos financements, on ne pourra pas s’en passer. Moi je milite depuis toujours pour que les subventions publiques soient extrèmement fortes et qu’on n’abandonne pas. (…) C’est une question de conscience et rien d’autre.

L’É : Il me semble que c’est plus encore une question d’éthique.

JB : D’éthique… m’oui…

AU FAIT, existe-t-il un comité de pilotage composé de citoyens, d’associations culturelles, d’artistes et d’élus sur la biennale Estuaire 2007 ? Suite aux lois Voynet (99-533, JO du 25 juin 1999) la participation citoyenne et la démocratisation culturelle deviennent (enfin ?) des arguments de campagne pour les élections. Il serait intéressant que cette biennale brille sur le reste de l’Europe également par la partici-pation active d’un groupe représentatif du territoire. Active dans le sens où ces représentants du tissu local auraient leur mot à dire de la conception à la mise en œuvre, en passant par un débat ouvert sur la programmation des artistes, sur les pratiques et l’apprentissage des disciplines artistiques du public, sur la protection de l’environnement et sur l’implication des financeurs.

L’identité culturelle de l’estuaire s’arrête-t-elle à sa faune et à sa flore ?

Il n’est pas encore interdit de rêver tout haut, les élus devraient entendre que les citoyens n’apprécient pas du tout quand les décisions sont prises avant les dites consultations. Ils n’apprécient pas du tout non plus qu’on les consulte sur des sujets mineurs. Est-ce que les habitants de l’estuaire vont accepter sans réagir une identité culturelle construite arbitrairement dans le laboratoire de l’usine LU ?

Entre autres exemples fondateurs de l’identité culturelle de l’estuaire, il y a l’empreinte d’un certain Fer-nand Pelloutier. Cet artisan de l’émancipation du monde ouvrier a vécu à St Nazaire à la fin du XIXe siècle. Fernand Pelloutier a dit un jour : « Nous voulons que l’émancipation du peuple soit l’œuvre du peuple lui même »*. Il est évident que nous parlons de culture mais, comme les frontières avec la politique sont toujours ténues, il semble tout de même essentiel de pointer l’appartenance historique du territoire à une forte indépendance d’esprit. Nous sommes toujours en train de parler du bien commun n’est-ce pas ? L’éducation populaire joue un rôle important dans la transmission des savoirs sur le territoire. N’est-ce pas un élément fort de l’identité culturelle ? Toutes ces associations culturelles et socioculturelles qui, toute l’année, très modestement, œuvrent pour transmettre des pratiques artistiques et des connaissances utiles pour la socialisation, l’esprit critique et la responsabilisation, pourquoi passent-elles un temps fou à réclamer des moyens pour travailler correctement ? Imaginons un instant que le quart du budget d’Estuaire serve à aider ces associations de proximité. Les artistes pourraient travailler toute l’année directement avec les jeunes sur des ateliers. Si l’on mettait le savoir dit « savant » au service du savoir dit « populaire » dans un esprit de solidarité et de formation mutuelle ? L’artiste alors ne manquerait pas de retrouver des références au contact des gens et de leur parole. Tout le monde s’y retrouverait. Cela ne remettrait pas en cause le projet, bien au contraire. L’identité culturelle prendrait une dynamique redoutablement efficace, un peu plus en profondeur en tout cas.

Briller au loin, c’est une chose. Éclairer au près, c’est pas mal non plus.

www.pelloutier.net/dossiers/dossiers.php?id_dossier=17

DES INTÉRÊTS DIVERS ?Passons sur les méfaits causés à l’environnement par les activités de Total (dans le coin, on n’oublie pas l’Erika), aux paysages par les édifices d’Accor (Novotel, Mercure, Ibis, Etap, Formule 1, répandus un peu partout dans le monde), à la gestion de l’eau par Véolia (ex-Vivendi, ex-GDE, qui, non content d’avoir confisqué la flotte aux municipalités, tout en étran-glant les syndicats, est en train de confisquer celle des chinois qui n’avaient rien demandé – écouter ou réécouter Là-bas si j’y suis, France Inter, 24, 25, 26 octobre : www.la-bas.org/article.php3?id_arti-cle=1017).

« Comment ne pas y être » c’est : comment ne pas profiter d’une belle occasion de se montrer sous un bon jour et pour pas cher ?

Au public qui pourra se montrer chagriné de leur présence, on répondra : « T’inquiète pas : c’est leur contribution à l’intérêt général. C’est toi qui paie leur pub ? Mais c’est très bien : c’est ta contribution à l’intérêt général».

« RÉVÉLER » ? Révéler quoi ? Ce que tout le monde sait ? Les dangers que nous font courir la surindustrialisation, la surproduction, la surconsommation ? La connivence entre médias, industriels, financiers, politiques et intellectuels ? La présence de 6 sites Seveso sur l’estuaire ?... Sur les risques industriels en Pays de la Loire, consulter le site de la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement : www.pays-de-la-loire.drire.gouv.fr/

Il n’est plus temps de « révéler » ! Ça, c’est un combat de la dernière heure qui relève plus de l’opportunisme que de l’engagement citoyen. La question aujourd’hui c’est : en quoi ces « énormes profits » sont-ils légitimes ? Au détriment de qui et de quoi se développent-ils ? Quelles alternatives à la confiscation des moyens de production par les financiers peut-on imaginer ? Autant de questions parmi d’autres qui dépassent largement le cadre de l’estuaire et dont le cœur pourrait se résumer en une seule : de quel progrès l’humanité (hé oui…) a-t-elle besoin ? Question qui engage une refonte totale de nos modes de pensées et qui mériterait une réflexion un peu moins simpliste que de choisir entre être « révolutionnaire » en voulant que « ça disparaisse » et « croire en l’entrisme ». Réflexion de laquelle personne ne peut être exclu.

Quant à « l’entrisme » (s’insinuer secrètement dans un groupe pour recueillir des informations et/ou en modifier le projet à son profit), s’il s’agit d’accepter un « pourboire » en échange du droit d’être nommé « partenaire », on ne voit pas en quoi le « masque » tombe. Le médiateur culturel archiconnu Jean Blaise, un infiltré ?

François-Bernard HUYGHE, médiologue, docteur d’État en Sciences Politiques, enseigne à HEC et à l’EGE :

« Une stratégie d’influence doit être inventée, pour préparer et formater le marché, ce qui implique aussi d’influer sur les esprits, les consommateurs et les citoyens, et de favoriser ses propres normes et valeurs [celles de l’entreprise] dans tous les domai-nes. La communication de l’entreprise doit donc s’in-tégrer à une vision stratégique : ne pas s’enfermer dans l’économique stricto sensu ; elle doit intégrer les composantes culturelles et idéologiques. Elle doit intégrer la dimension de l’influence qui recouvre trois composantes importantes : le prestige exercé, donc l’image émise collectivement, les messages transmis, donc les efforts délibérés pour persuader. La communication doit aussi et surtout intégrer la troisième dimension : celle des réseaux, des pouvoirs invisibles, des intermédiaires et des médiations. »

www.huyghe.fr/dyndoc_actu/425150b192979.pdf

On ne saurait dire mieux ! C’est ici l’essence de ce sur quoi les grands groupes fondent leur dévelop-pement : les relations publiques. L’entrisme ? Mais qui pénètre qui ?

À ce stade, l’Égaré va passer pour un gauchiste simplet doublé d’un révolutionnaire naïf. C’est peut-être le prix à payer pour avoir posé la ques-tion. Mais ça reste moins cher que le prix du silence, payé en cacahuètes.

Page 7: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 7

L’É : Mais, après, quand on commence à mettre le doigt dedans, ayant commencé, quand s’arrête-t-on ou comment s’arrête-t-on ?

JB : (rires) [JB évoque l’expo Coca-Cola : tout le monde lui a tapé dessus : amis et ennemis, artistes, public, tout le monde.] Tout le monde m’est rentré dans le chou ! J’avais envie de montrer que, d’abord, une multinationale comme celle-là pouvait s’intéresser à ce qu’on faisait et donc que l’art c’était pas si inno-cent que ça.

L’É : Est-ce qu’ils s’intéressaient à ce que vous faisiez ou à l’image qu’ils pouvaient en retirer ?

JB : Oui… mais c’est pareil ! (…)

À certains moments, je pense qu’il faut savoir aussi prendre ce risque-là, celui de la collusion, parce que je crois que la radicalité n’est pas là où on croit. A certains moments il faut utiliser d’autres armes. (…)

Dans l’histoire de la France, l’interventionnisme des pouvoirs publics en matière culturelle est une cons-tante. Le problème, c’est justement qu’aujourd’hui on est en train d’organiser le transfert de compéten-ces en matière culturelle du public vers le privé, par des incitations fiscales (voir la loi no 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. En clair : donnez à la culture, vous paierez moins d’impôts).

Que l’entreprise donne pour la culture, après tout : c’est normal. À partir du moment et à cette condi-tion non-négociable que ça passe par l’impôt, dont les recettes sont destinées à être redistribuées. C’est alors la collectivité, dont les membres sont repré-sentés à égalité, sans considération de leurs intérêts particuliers) qui décide de son projet culturel (objet d’intérêt général).

Se défaire de cette condition, c’est accepter de n’avoir plus jamais à se poser la question de l’équi-libre entre les financements privés et publics… Puis-que c’est celui qui paie qui décide…

BEN NON C’EST PAS PAREIL ! Ou alors, si c’est pareil, c’est qu’une entreprise comme Coca ne peut s’intéresser à ce que fait un lieu culturel que parce qu’elle peut en retirer un profit. Donc : des gens qui disent «oui» et, surtout, des gens qui, quelle que soit la nature de leurs dis-cours critiques, ne risquent pas de leur casser la baraque. Le Lieu Unique, fier d’avoir été reconnu comme inoffensif ?

D’un côté, on accepte les pourboires, de l’autre, on décore les emballages : la radicalité est donc dans la collusion, nouvelle arme de résistance. Intéressant. Et puissamment évocateur.

Janvier 2004 : « Qu’une grande marque prenne le risque de faire appel à des artistes pour porter sa communication est toujours une bonne nouvelle » (extrait du communiqué de presse de LU pour « laboratoire d’artistes Coca-Cola light »)

Hauts les cœurs : les canettes d’élite de Coca déver-sées à travers le monde portent « la bonne nou-velle » !

Pour en savoir plus sur les suites de cette action :

www.lalettrealulu.com/Lulu-47-decembre-2004,Prevention-contre-le-soda-Un-Coca-plein-de-flop_a1288.html

Pérennité ajustable en milieu naturel

L’élu et sa faune plastique

L’É : Une question pour finir sur un truc qui me chif-fonne un peu : est-il vrai qu’il y aura un canard en plastique ? [depuis la conférence de presse de novem-bre, on sait qu’il y aura un « monstre en plastique » sur St-Herblain]

JB : Alors justement : c’est un très jeune artiste hollan-dais et… on est en plein dedans, c’est-à-dire qu’on est là, pour le coup, dans la contestation immédiate des images de notre société. Il a imaginé un canard en plastique, ç’aurait pu être un Mickey ou n’importe quoi

d’autre, et par cette espèce d’épouvante de l’échelle, (c’est une échelle épouvantable, ce canard en plastique ! Norma-lement c’est le petit canard de nos bains d’enfants) tout à coup il va énormément gros-sir pour devenir plus fort que nous, et plus monstrueux que nous, jusqu’à nous dominer et à s’imposer alors que ce n’est qu’un morceau de plastique ! Alors bon… on peut faire des théories là-dessus, mais : c’est l’intention de l’artiste et moi je la trouve intéressante. Alors après, la question c’est : oui mais alors on va voir ce canard comme une attraction (parce que c’est aussi une attraction, c’est ça aussi la force de l’ar-tiste… Enfin : celui qui veut avoir un impact, aussi, hein, pour le plus large public) il est à la fois attirant et il est repous-sant et si y’a pas ce trouble (je vous parlais de trouble tout à l’heure) c’est raté. S’il n’y a pas ce trouble, c’est raté. S’il y a seulement l’attrait du specta-culaire qu’on pourrait trouver à Disneyland, et bien effecti-vement c’est raté.

L’É : Pour le coup oui : il va fal-loir sacrément expliquer !

JB : Mais, vous savez, j’ai ren-contré 1 000 personnes pour… (et je vous dis pas ça pour m’en glorifier, enfin, un petit peu parce que physiquement il faut le faire aussi) mais je pense que c’est la seule façon qu’on peut avoir de faire comprendre une démarche. Au moins une démar-che. Après… qu’on n’aime pas, j’m’en fous, mais au moins qu’on comprenne la démarche, c’est pour moi déterminant évidemment.

L’entretien se termine sur ces derniers mots. Et le ver-tige nous saisit. Tout ça pour dire que seule la démar-che compte ?! Et les œuvres ? L’environnement… Le développement… Les gens… La culture… Des alibis ? Est-ce qu’alors seul importe à Jean Blaise qu’on parle de… Jean Blaise et de sa démarche ?

Et, de toute façon, quelle démarche ? Celle qui con-siste à pervertir des idées artistiques, démocratiques,

écologiques et éducatives au profit des actionnaires de quelques grosses entreprises, en soignant au pas-sage l’image d’une poignée d’élus locaux ? Quant à « l’autre », chez qui on ne peut pas faire ce que l’on veut, chez qui il est si difficile d’aller, comment pourra-t-il s’émanciper, alors qu’il est nié en tant que sujet en même temps que l’artiste est sacralisé comme un surhomme puisant son inspiration dans les régions sublunaires, inaccessibles au commun des mortels (Pierrick Sorin sera ravi d’apprendre que ses œuvres sont vierges de références. Il saura sûrement en rire.) ?

Jean Blaise est l’archétype de l’agent culturel instru-mentalisé, constamment obligé de se justifier, quitte à produire un discours incohérent. Mais peut-il faire autrement, quand il collabore à ce qu’il critique ?

À ce stade, il est vain de s’en prendre à l’instrument. Ce qui est en jeu, ici, c’est la responsabilité de nos élus. Et toutes les questions que nous abordons leurs sont directement adressées.

Or, c’est encore Jean Blaise, brave petit soldat, qui ajuste les tirs de barrage : « Malheureusement des échéances électorales approchent et nous allons subir en permanence les assauts de ceux qui pensent pou-voir fragiliser les collectivités territoriales qui nous soutiennent avec des arguments éculés. »1

En clair : si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous (nous : le PS du coin. Tu es contre nous : tu appartiens à l’extrème droite, à l’extrème gauche, à Sarkozy, à Bayrou, aux altermondialistes, etc...). Et si tu conti-nues à nous critiquer, tu vas provoquer la défaite de la gauche aux présidentielles.

Ici, la démocratie en prend un vilain coup : ce genre de propos simplistes ne fait que discréditer leurs auteurs et ce qu’ils prétendent défendre. On appréciera l’es-prit visionnaire de notre médiateur culturel, incapa-ble de lire dans les débats du moment le désir de se réapproprier le champ politique en développant une pensée complexe, ouverte à la nuance, au partage et à l’équité.

Mais sans doute n’avons-nous rien compris.1 Ouest France 13 oct 2006 - www.estuaire.info/html/actu/actu.html

Page 8: D’après l’Égaré

8 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

Le pouvoir de la culture ! En octobre dernier, Jack et Bernie se sont dits très émus suite à la projection du film « Indigènes ». Ils se sont alors rappelés des soldats africains qui ont combattu pour la France pendant la seconde guerre mondiale. La soudaine prise de conscience médiatique du couple présidentiel a entraîné celle du peuple français. Les JT n’ont pas lésiné sur le nécessaire devoir de mémoire et la réparation d’une injustice historique. Si c’est ainsi que les choses avancent dans notre pays, il serait judicieux de projeter aux époux Chirac et aux candidats à la présidence le film d’Abderrahmane Sissako.

Avec « Bamako », le réalisateur révèle le capitalisme tel qu’il est : un systéme de prédation totale. Dans la cour d’une habi-tation de la capitale malienne se tient le procès inédit de la Banque mondiale et de ses différentes émanations (cités : le G8, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce). Ils sont jugés pour les ravages provoqués par le système « d’ajustement structurel » imposé aux pays du sud. La dette en est la partie immergée. Tour à tour, des représen-tants de la société civile viennent à la barre : l’intellectuelle – Aminata Traoré, écrivain, militante altermondialiste –, le villageois candidat à l’immi-gration vers l’Europe, l’instituteur, le professeur, le griot (témoignage non traduit mais puissant de colère).

Ils rendent compte du pillage organisé de leur pays par les occidentaux, des aides au développement détour-nées par une classe politique inféodée, du rembourse-ment de la dette qui obère jusqu’à un quart du budget du pays au détriment des besoins fondamentaux que sont l’accès aux soins et à l’éducation, de leur propre aveuglement aussi lorsqu’ils profitent d’un système de corruption généralisée.

Les propos sont directs, compréhensibles, à la portée de n’importe quel occidental nanti et conduisent à ce constat : le niveau de vie au Nord n’est possible que parce que, comme l’illustre l’un des témoins, « ce nègre a assuré votre développement » !

Alors, oui : cette dette, c’est une gigantesque arnaque immonde et planétaire qui explique en grande par-tie le monde comme il va : conflits armés, conditions d’extrême pauvreté des paysans du sud, malnutrition, analphabétisation, immigration massive des popula-tions du sud vers les pays riches, absence de réels pro-grès dans le recul des principales pandémies, violences policières dans les ghettos, etc...

L’arnaque réside dans l’imposture de base qui consiste à rendre débiteur un pays que l’on a dépouillé, que l’on continue à dépouiller de ses richesses (ressour-ces minières, agricoles mais aussi humaines – cf Mr « immigration-choisie »), et à qui les nations riches vont imposer par différents traités et accords leur modèle économique (le seul, l’unique !).

Le film nous questionne sur la légitimité des institu-tions accusées et sur l’efficacité de leurs programmes en regard des ambitions qu’ils affichent. Ce qui sur-prend, c’est finalement la proximité du discours avec ce que l’on peut entendre en France actuellement sur le démantèlement du service public, la rentabilité comme objectif d’intérêt général, la croissance comme seule vision d’avenir et en toile de fond la désagréga-tion de la culture et de l’identité.

Le modèle imposé par le nord n’est pas seulement économique il est également, et de manière plus pernicieuse, culturel et identitaire. A la barre, l’un des personnages de Bamako parle de viol de l’ima-ginaire, on ressent dans le mutisme ou l’abattement quasi-général des protagonistes, l’identité méprisée, l’auto-dénigrement des racines et des valeurs, la con-fiscation d’un patrimoine culturel pour en garnir les

FAITES LE ZÉRO POUR SORTIRLa dette immonde qui monte, qui monte …

Si l’on se réfère aux sites internets des organisations accusées, ce sont de vénérables philanthropes attelés à éradiquer la misère de la surface du globe. Pourtant quelques éléments nous troublent :

La Banque Mondiale est présidée par Paul Wolfowitz qui fut l’un des principaux conseillers de G.W. Bush sur les questions de politique étrangère et l’un des théoriciens de la guerre d’Irak.fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Wolfowitz

Le Fonds monétaire international est une institution créée en 1945 pour réglementer le commerce international – en fait permettre aux Etats-Unis de commercer sans entraves. Il regroupe 184 pays. « La mission du Fonds monétaire international — promouvoir la santé de l’économie mondiale — passe également par le soutien à l’enseignement de l’économie ». Au moins, c’est clair, de l’Homme il n’est point question, le Marché est la seule religion, hors de ce modèle économique point de salut, surtout pas chez les ignobles opposants alter-mondialistes. Le lecteur pour s’en convaincre consultera avec profit les stupéfiantes rubriques pédagogiques destinées à l’édification des plus jeunes, sur le site internet du Fonds monétaire international.www.imf.org/external/np/exr/center/fra/econed/index.htm#think

Non-cité dans le procès mais tout aussi important sur le «marché» de la dette, le Club de Paris est un grou-pement opaque qui « n’a ni existence légale ni statuts » : « Il est la réunion volontaire de pays créanciers désirant traiter de façon coordonnée la dette qui leur est due par des pays en développement ».3 Pourtant cette « non-institution », comme elle se définit elle-même, a conclu depuis 1956 – année de sa création – 400 traités pour un montant de plus de 500 milliards de dollars. Qui a entendu parler de ce club très spécial ? www.clubdeparis.org/fr/

Le remarquable site du CADTM4 fournit une mine d’informations sur le sujet et fait apparaître les collusions entre les différents acteurs du système de la dette, venant appuyer avec force le propos du réalisateur.www.cadtm.org/ et, plus particulièrement, sur les derniers chiffres de la dette : www.cadtm.org/IMG/pdf/vademecum2005b-2.pdf

FICHE TECHNIQUE :Film français/malien, sortie en France 18 octobre 2006. Réalisateur Aberrahmane Sissako, avec : Aïssa Maïga , Tiécoura Traoré , Hamèye Mahalmadane , Aïssata Tall Sall , Roland Rappaport , Aminata Traoré , Danny Glover (et oui, celui de l’Arme fatale qui est aussi producteur associé sur ce film!)…

pour en savoir plus : /www.bamako-film.com/

reprendre le terme de l’un des avocats de la partie civile), n’existe pas. Si les réquisitoi-

res sont violents, les peines requises contre les institutions financière internationales sur-

prennent : travaux d’intérêt général pour l’humanité, à perpétuité !

Malgré son ton amer et presque désespéré, cette oeuvre militante informe, questionne, donne envie

d’aller au-delà de la compassion. En Belgique, la campagne « En 2007, tu me casses la dette » vise à

interpeller les élus politiques avant les élections législatives. Selon un communiqué paru le

12 octobre dernier sur le site internet du CADTM (Comité pour l’annulation de la

dette du Tiers-Monde), « la Norvège vient de reconnaître sa responsabilité dans l’endettement illégitime de 5 pays – Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou, Sierra Leone – et a décidé d’annuler unilatéralement une part des créances qu’elle détient envers ces pays à hauteur de 62 millions

d’euros ». Et en France ? Contre toute attente, « Bamako » a bénéficié à sa sor-tie d’une couverture médiatique hono-rable, il poursuit sa carrière à travers

tout le pays, accompagné de débats avec différents interve-nants. Projeté devant des élèves

de collèges et lycées mais aussi des citoyens désireux de s’instruire, gageons que cette vérité les marque à jamais.

Au-delà de l’annulation de la dette,ce film nous mon-tre que les Africains ne sont plus dupes du système capitaliste et qu’à défaut de le remplacer, ils veulent au minimum, des règles du jeu « équitables, transpa-rentes et valables pour tous ». JOËL PERSON

1 www.hns-info.net/article.php3?id_article=8774

2 fr.wikipedia.org/wiki/Dette_odieuse

vitrines des musées chic du nord.1

Les témoins de Sissako illustrent la situation écono-mique des pays de l’hémisphère sud. Par leurs récits authentiques, ils révèlent l’inefficacité des politiques menées par les diverses institutions créancières à tra-vers les missions qu’elles se sont données, ils mettent en exergue l’absurdité d’un système enchaînant un pays au remboursement d’une dette contractée pour un développement qui n’a pas eu lieu, illustrant à la perfection le concept de dette odieuse, « une dette contractée par un régime et qui sert à financer des actions contre l’intérêt des citoyens de l’État et dont les créanciers avaient connaissance »2.

Une autre particularité du film de Sissako tient à l’en-chevêtrement du procès avec les scènes de la vie quo-tidienne. Si les personnages qui gravitent autour de cette habitation suivent le procès, c’est d’une oreille distraite, ils semblent résignés, vaquant à leurs occu-pations, peut-être découragés à l’idée que la vraie cour de justice qui pourrait s’opposer aux agissements de la Banque Mondiale et de ses « affidés » (pour

Page 9: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 9

« Celui qui parle de l’avenir est un coquin, c’est l’actuel qui compte. Invo-quer la postérité, c’est faire un discours aux asticots » Louis-Ferdinand Céline, un jour où il était en forme.

En fait, si je ne suis pas trop coquin, j’espère ne pas m’adresser aux asticots dans l’exposé d’une problématique qui perdure depuis 2 000 ans : notre calen-drier grégorien a oublié le 0 !

En effet, on commence à 1, on décompte à - 1 mais quid du 0 ?

Petit rappel des faits :

Avec l’écriture, la nécessité de quantifier le temps est apparue pour dater les con-trats commerciaux, fixer les périodes de lever d’impôts, assister les cultivateurs, etc. Les débuts de l’écriture sont datés vers 5000 avant Jean-Claude. Le premier calendrier a été découvert en Mésopo-tamie et il daterait de la même période. C’était un calendrier lunaire comportant 13 mois tous les trois ans pour faire un compte rond.

Plusieurs types de calcul ont été essayés pendant l’antiquité en se réglant sur

J’ouvre les yeux, je sens l’asphalte et le silence. La température convient à mon corps nu, l’air n’indique aucune direction, sinon le zénith. Une peinture blanche s’étale au sol en bandes répétées, rectes, parallèles, perpendiculaires, contrastées et dessine une infinité d’espaces plans égaux diminués par la perspective qui zèbre ma perception, une fois dressé. Où suis-je ? Qu’est-ce que cet endroit ? Je ne me souviens de rien et n’arrive pas à saisir l’horreur. Je suis, mais où ? J’ai su me redresser et me tenir debout, régler mon regard sur l’horizon mais il ne me semble pas y avoir pensé. Les souvenirs me manquent. Je ne peux pas comprendre.

Le tracé du rectangle au centre duquel je me tiens maintenant debout est incom-plet sur une de ses largeurs et cela m’attire. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mes jambes s’actionnent et me conduisent hors de la case, sur un rectangle bien plus long, perpendiculaire, orné d’autres formes elles aussi de peinture blanche et qui semblent avoir un sens, un peu comme m’a semblé avoir un sens que de sortir du rectangle par là où s’en interrompt la limite. Mon regard se laisse dompter par un signe peint et fuit vers l’horizon montré, survolant facilement des mil-liers de cases pour se caler sur la ligne séparant le sol stérile du ciel.

À cet endroit précis de l’espace surgit tout à coup un soleil supplémentaire. L’autre astre est pourtant là, plus haut, et dessine de moi la seule ombre du paysage, mais un concurrent vient bien d’apparaître, en fait bien moins éblouissant. Je peux même détailler sa surface brumeuse et comme un fil tenu de souvenirs vient alors chatouiller ma mémoire. Une planète bleue…

JUSTE APRÈS LE BIG BANGAbrupt, un son violent me pousse. Me retournant pour en identifier l’origine, le fil tenu devient cascade et soudain tout reprend sa place. La bestiole qui m’a surpris en beuglant est un 4x4x4, flambante navette. Autour les cases se remplissent du même genre d’engins rutilants, déversant en 3D des familles, troupes trépignantes prêtes à gloutonner la giga sphère commerciale tapie là sous nos pieds, en orbite.

Je me souviens ! … J’ai un peu peur…

Venus de la Terre incapable de supporter seule leur appétit de croissance, ils vien-nent ici s’engouffrer par les descendeurs dans les rayons surchargés de l’hypermar-ché qui gonfle toujours plus chaque jour, étendant la surface du globe à peau de

parking. De ces pratiques frénétiques – toxiconsomanies jamais réduites maintenant incrustées dans les gènes – je peux me nourrir des petits incidents, packagings mal conçus fuyants, fruits moches, miettes oubliées au fond des caddies… Je croise ainsi chaque jour des milliers de gens aveuglés qui bous-culent ma solitude transparente ; je les reconnais tous mais ne peux en nom-mer aucun.

Ce soir ils repartiront vers la planète bleue, désertant le parking climatisé, encore agrandi, qui me servira à nou-veau de couche, insensible, sur laquelle se perdra à nouveau ma mémoire. Que pourrait-elle retenir sinon l’âcreté de l’asphalte ?

Je suis Zéro, clochard céleste, qui hante l’immémorable parking orbital. Et toi, qui es-tu ?

ÉRIC MOUTON

Le parking vide est plein de places, inutiles.Le parking plein est vide de place, inutile…

L’AN 0 OU L’AN NUL ?les cycles lunaires, solaires ou zodia-caux. Par exemple, les Romains ont mis 800 ans pour obtenir de façon empiri-que un calendrier respectant les saisons, le mouvement des astres et les fêtes reli-gieuses. C’est Jules César qui imposa un calendrier, le célèbre calendrier julien, de 12 mois de 30 à 31 jours.

Techniquement, la régulation du temps était un besoin social pour l’agriculture, le développement du commerce et de la finance (date de contrat, etc.). On peut même noter que c’était un signe d’évolution sociale remarquable. Hor-mis Rome, de - 50 à 450, l’État n’impo-sait pas de calendrier. Ainsi en France au IXe siècle, le clergé était dépositaire du calendrier. Durant 5 années, ils décidèrent de déplacer une fête de printemps en automne, ce qui permit aux percepteurs de faire une troisième levée d’impôts dans la même année ! Le rêve « Breton » !

Les calendriers ecclésiastiques Avant d’être religieux, le décompte des années se faisait par rapport à la fon-dation d’une ville (Rome, Alexandrie…) ou en Olympiades dédiées aux dieux en Grèce.

Puis un moine, Dionysius Exiguus (soit Denys le petit en langage cou-

rant), proposa en 532 que la naissance du Christ marque le début de notre ère, soit le

VIII des calendes de janvier (le 25 décembre) de l’an 753 de Rome, quatrième

année de l’olympiade de Zeus, la 194e. Mais comme

ce n’était pas pratique pour fabriquer les calendriers à chats de la Poste, ils ont repoussé d’une semaine ! C’est comme ça que dans l’ère chrétienne l’an 1 com-mence donc le 1er janvier de l’an 754 de Rome. C’était cool, c’était un samedi.

Il ne sera vraiment appliqué qu’au Xe siècle en apparaissant sur les édits d’Hugues Capet.

Tout roule pépère, jusqu’à la mise en place du calendrier Grégorien le 25 février 1582 par… le pape Grégoire XIII. En fait, ça fait deux-trois mois que Gré-goire est paumé. Ce qui compte pour lui c’est la date de Pâques. Et Pâques n’a pas de date fixe mais se calcule comme suit : « Pâques est le dimanche qui suit le 14e jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars (l’équinoxe de printemps) ». C’est pratique pour un rencard ! Vous je sais pas, mais moi je suis pris ce jour-là.

Ceci étant, Grégoire était bien équipé en astronomes et mathématiciens pour lui faire ses petits calculs de Pâques. Sauf que cette année 1582, il y a un bug : le calendrier à dix jours d’avance sur l’équinoxe de printemps. Ça mettait la Pâques mal !

C’est pour cette raison, et après plein de calculs, que Grégoire XIII imposa à la chrétienneté un calendrier de 12 mois de

29,5 jours chacun avec un jour en plus les années bissextiles.

Et l’an 0 dans tout ça ?Il faudra attendre deux siècles et les philosophes pour se poser la question de l’an 0. En effet, jusque-là, soit par défaut de moyen, soit par défaut de cul-ture, personne n’avait éprouvé le besoin de trop revenir en arrière.

Ce sont les historiens, grâce aux astronomes chinois qui se sont ren-dus compte que le petit Denys s’était trompé de cinq à sept dans son calcul. Ils ont donc décidé de ne pas utiliser le 0 mais d’utiliser dans cette période le calendrier julien. Mais au-delà, au vu des incertitudes, les datations se font en dizaines d’années.

En revanche les astronomes ont mis un 0 pour se simplifier le calcul. Les astro-nomes datent les événements mais travaillent aussi sur des périodes. Par exemple, une période de + 5 à - 5 est une période de dix ans, mais si on enlève le 0 cela devient une période de neuf… et c’est pas pareil.

Donc pour l’an 0, on fait ce qu’on veut… « chacun son calendrier et les journées seront bien remplies » comme on peut entendre dans les bistrots. Pourtant, le 0 pose la question de l’origine et de la quantification de celle-ci. E. Kant dit dans « Prolégomènes à toute métaphy-sique » : « Admettons que le monde ait un commencement : comme ce com-mencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir eu un temps où le monde n’était pas, c’est à dire un temps vide. Or dans un temps vide, il n’y a pas de naissance possible de quelque chose ». Sacré Manu, on comprend mieux pourquoi… RG

Page 10: D’après l’Égaré

10 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

AIME TON PROCHAIN, T’AURAS 20/20Les principaux de collèges ont reçu sur leurs bureaux cet été une nouvelle circulaire du ministère de l’Éducation Nationale disposant de la note de vie scolaire (NVS) à mettre en œuvre dès cette année. Or, cette note pose des difficultés majeures qui tiennent à des contradictions internes au texte et à une méconnaissance, de la part des rédacteurs, des contextes éducatif et social contemporains, pour des conséquences non négligeables à long terme.

NOTE DE VIE SCOLAIREcirculaire no 2006-105 du 23-6-2006

« ... la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».

L’apprentissage de la civilité et l’adoption de comportements civiques et responsables constituent des enjeux majeurs pour le système éducatif. (…) La note de vie scolaire contribue, en donnant des repères aux élèves, à faire le lien entre la scolarité, la vie scolaire et la vie sociale. Elle est destinée à valoriser les attitudes positives vis-à-vis de l’école et vis-à-vis d’autrui. (…)

LE CHAMP D’APPLICATIONLa note de vie scolaire est attribuée aux élèves de la classe de sixième à la classe de troisième (enseignements public et privé sous contrat).

LE CONTENU[la note de vie scolaire sanctionne :]

L’assiduité de l’élève.

Le respect du règlement intérieur

La participation de l’élève à la vie de l’établissement ou aux activités organisées ou reconnues par l’établissement. Il s’agit, par une démar-che de valorisation de l’engagement des élèves, d’encourager leur esprit de solidarité, leur civisme et de développer leur autonomie. Cependant, une absence d’engagement ne doit pas pénaliser un élève. C’est pourquoi cette évaluation ne peut être que positive.

L’obtention de l’attestation scolaire de sécurité routière (ASSR) et de l’attestation de formation aux premiers secours (AFPS) (…) peuvent être prise en compte.

L’ELABORATION ET L’ATTRIBUTION DE LA NOTELa note de vie scolaire est élaborée pour chaque trimestre, à partir de critères objectifs, par le chef d’établissement. (…) [Celui-ci] recueille, d’une part, les propositions du professeur principal qui doit consul-ter au préalable les membres de l’équipe pédagogique de la classe et, d’autre part, l’avis du conseiller principal d’éducation.

Un barème définit les critères objectifs en fonction desquels les points sont attribués. (…) Il doit prendre en compte l’assiduité de l’élève et son respect des dispositions du règlement intérieur dans des proportions égales. (…) Dans chacun de ces deux domaines, l’évolution de l’élève doit être prise en considération.

La participation de l’élève à la vie de l’établissement ou aux activités organisées ou reconnues par l’établissement et l’obtention des attes-tations (…) peuvent être valorisées par l’attribution de points sup-plémentaires. (…) L’attribution de points supplémentaires ne saurait cependant avoir de caractère automatique. Elle demeure soumise à l’appréciation du notateur qui peut vérifier la qualité de l’engagement de l’élève.

LA NOTE DE VIE SCOLAIRE AU BREVETLa note de vie scolaire est prise en compte pour l’obtention du diplôme national du brevet, dans les mêmes conditions que les résul-tats aux disciplines évaluées en contrôle en cours de formation.

« Valoriser les attitudes positives », c’est poser ceci : l’attrait d’une rétribution (la note : rétribution symbolique, récompense, salaire de l’élève) encouragerait le jeune à se conformer à ce qu’on attend de lu. On attend de la note qu’elle mobilise les élèves, qu’elle les motive. Si ce principe est vrai, comment explique-t-on que, depuis le temps qu’on note les élèves, il en est toujours qui obtien-nent de mauvaises notes ? Sans doute faut-il comprendre alors qu’être motivé (ne fut-ce que par l’espoir d’une bonne note) ne suffit pas (même si c’est nécessaire) à progresser. Alors, si la note ne suffit pas à produire les progrès qu’on espère d’un élève, pourquoi s’entête-t-on à en inventer de nouvelles ? Ne serait-il pas plus avisé d’agir ailleurs ?

« Valoriser les attitudes positives », c’est, dans le même temps, se préparer à sanc-tionner, par une mauvaise note, des attitu-des négatives. Or, ces élèves qui seront ainsi sanctionnés le seront deux fois. Car ceux-là qui ne sont pas suffisamment assidus ou qui

ne respectent pas le règlement sont déjà punis (retenues, devoirs supplémentaires, signalement au procureur, exclusion, con-seil de discipline), ceux-là qui échouent à l’ASSR ne peuvent avoir accès à la formation pour le Brevet de Sécurité Routière (le viati-que pour pouvoir piloter un cyclomoteur dès 14 ans) ce qui est pour certains une punition bien suffisante, non ? Les élèves sont donc placés sous le régime de la double peine. Ce qui est contraire aux principes du droit français… Sans compter que cette note vient polluer le Diplôme National du Brevet (DNB) dont la fonction est de faire la somme des savoirs des élèves. Ceux qui auront une NVS faible, quels que soient leurs bons résultats au DNB (car il n’y a pas de lien de cause à effet objectif, mécanique, entre l’attitude d’un élève et ses savoirs) verront leur note moyenne au brevet baisser en conséquence. À ce stade, ceux-là sont punis une troisième fois. Ce qui est particulièrement inventif.

Si même nous admettons qu’il soit possible que la NVS rende les élèves assidus, respec-tueux du règlement et engagés dans des actions citoyennes, il importe alors, en toute rigueur, de se demander ceci : comment ça marche ? Quelle est la nature de cette sou-daine vertu ?

Or, comment expliquer un tel impact si ce n’est par l’effet dissuasif de la mesure ? C’est-à-dire : si ça marche, ce ne peut être, on l’a vu, parce que les élèves sont soudain suffisamment motivés pour adopter une attitude positive, mais bien parce qu’ils ne veulent pas risquer une mauvaise note. Recherchant l’obéissance par la dissuasion, on encourage la soumission et ses corollaires

: la dissimulation et les stratégies d’évite-ment. Est-ce ainsi qu’on veut responsabili-ser les jeunes ? Que penser de la nature de la motivation de tel élève qui, pour obtenir quelques points supplémentaires sur sa NVS, s’engage dans des actions citoyennes ? Comment interpréter son plaisir d’avoir obtenu une bonne note ? Que penser des intentions de tel autre qui, habituellement indiscipliné, devient, par l’effet de la NVS, discipliné ? Que restera-t-il de leur engage-ment une fois quitté le collège ? Si ça mar-che, quels citoyens formons-nous ?

Nous sommes tous d’accord sur les objectifs de l’Édu-cation Nationale : outre qu’elle doit permettre aux élèves de construire des savoirs, elle participe à leur éducation. Mais, et c’est essentiel, l’une et l’autre mis-sion sont indissolublement liées : on éduque en ensei-gnant en même temps qu’on enseigne en éduquant. On ne saurait éduquer sans objets à partager (le savoir que l’on enseigne) et la forme de l’enseignement n’est jamais neutre, n’en déplaise à ceux des professeurs qui prétendent que leur mission se réduit à transmettre des savoirs. C’est essentiel de dire cela, car on ne peut comprendre l’impact de la NVS si on ne la rapporte pas à son contexte d’application. Traiter de la NVS, c’est traiter simultanément des modalités d’évaluation en vigueur à l’école, des formes d’enseignement, de

l’organisation pédagogique des collèges eux-mêmes et de la posture des professeurs vis-à-vis du savoir et des élèves. Refuser ces liens, ce serait évacuer à bon compte la recherche de la cohérence qui doit être cons-tamment au cœur de toute action éducative. Sinon, on sombre inévitablement dans la confusion : on confond évaluation avec sanction, responsabilité avec obéis-sance, c’est-à-dire : éduquer avec dresser… Or, c’est justement ces multiples confusions dont souffre l’école que cette circulaire entretient.

Alors : quels principes éducatifs se cachent sous cette façon de « valoriser les attitudes positives » ? Y a-t-il cohérence entre cette décision et l’esprit dont elle se réclame ? Quels comportements encourage-t-on ainsi ?

PLEURE PAS SI J’TE FAIS MAL, C’EST POUR TON BIEN.

T’EN N’AS PAS EU ASSEZ ? EN V’LÀ UNE AUTRE !

MOUCHE TON NEZ ET SOURIS À LA DAME !

Page 11: D’après l’Égaré

L’Égaré no 0 - décembre 2006 - 11

O DE CONDUITE RÉCIT RAPPORTÉ D’UN ENSEIGNANTJe suis un professeur certifié de français âgé de 55 ans. J’ai dû demander un arrêt de travail le 23 mars dernier parce que je rencontrais de plus en plus de problèmes avec les élèves.

En 2004, j’avais été arrêté pour fatigue nerveuse ; j’avais eu des entretiens avec une psychologue dépendant des services du rectorat. Elle m’avait conseillé de changer de lieu et éventuellement de retourner dans un petit collège. J’ai suivi ces recommandations et j’ai obtenu un poste à P.

Avant de connaître cette réponse à ma demande de mutation, j’avais obtenu un congé de longue maladie mais, ayant repris confiance en moi pendant les grandes vacances et espérant beaucoup du changement de lieu, j’ai estimé pouvoir reprendre les cours à la rentrée et j’ai donc demandé d’abréger mon congé de longue maladie.

Je me sentais suffisamment fort pour faire face à de nouvelles responsabilités d’enseignant. J’ai pris un studio à P. et décidé de vendre ma maison pour m’établir au sud de la Loire. Et j’ai commencé à donner des cours de français aux collégiens de P. à la rentrée de septembre 2005.

J’avais bien préparé mes cours et j’ai essayé de m’intégrer au mieux dans les équipes éducatives. Malheureusement, je me suis fait déborder par plusieurs types de problèmes.

Je n’ai pas su gérer les problèmes de discipline ; je pensais que la parole suffi-sait. Avec trois classes sur cinq, chaque cours est devenu un combat. Pour une classe de 4e, j’ai dû renoncer à mes exigences et me battre heure par heure pour faire accepter au moins un minimum du cours prévu. Je ne voulais pas abdiquer l’idée de transmettre un savoir.

Cependant, j’ai perdu rapidement le contrôle de mes réactions ; je m’en rendais compte mais cela surgissait trop vite ; je me suis souvent mis en colère, à la grande joie des perturbateurs ; j’ai lâché, sous le coup de la colère, des propos blessants vis-à-vis d’un élève ; j’en ai pris un autre par le bras et l’ai rudement remis à sa place ; j’ai confisqué les téléphones portables utilisés pendant mes cours par certains élèves ; à deux reprises, je les ai placés dans la corbeille. Les élèves ont transmis, à leur façon, ce qui s’est passé. A tort ou à raison, des parents ont pris le parti des élèves et ont fait pression sur le principal.

J’ai été convoqué deux fois. La deuxième fois, le 24 février 2006, l’entretien a duré environ 35 minutes : on m’a reproché de noter trop sévèrement, de ne pas tenir mes classes, de traumatiser les élèves… J’ai cependant continué d’assurer mes cours.

Epuisé, je suis finalement allé chez un psychiatre, Monsieur B., à Nantes. Pour me préserver et pour trouver une solution, il m’a prescrit un arrêt de travail.

J’ai pris conscience de mon fonctionnement : je vis les difficultés des élèves (lecture, orthographe et compréhension) comme des fautes ; c’est comme si un édifice se fissurait et qu’il fallait le sauver par tous les moyens. L’indiscipline, la dissipation, les bavardages, je les perçois comme des agressions à mon égard. Je n’aurais pas dû me mettre en colère, ni agresser verbalement certains élèves. Je le regrette.

Que faire ? Que sont devenues les missions des enseignants aujourd’hui ? Comment les autorités compétentes peuvent se saisir de mes questions ?

Quant à moi, je suis prêt à accepter toute tâche mais pas auprès des enfants. Cependant, il ne sert à rien de me renvoyer de bureau en bureau. ANNE

Au cœur de tout ça, on entrevoit une vision mortifère de l’éducation.

Qu’est-ce qui motive cette décision, à quel besoin répond-elle ? C’est-à-dire : quels sont les élèves concernés ? Évi-demment ceux en difficulté, ceux diffé-rents des bons élèves et qui perturbent, d’une manière ou d’une autre, le bon déroulement des enseignements.

Or, que sait-on des raisons qui con-duisent ces élèves à être absents, à manquer au règlement, à traîner les pieds pour s’engager dans des actions citoyennes ? Difficultés économiques ? Problèmes sociaux ? Douleurs familia-les ? Fragilité psychologique ? Retard scolaire ? Handicap ? Inadaptation au système scolaire ? Ennui ? Influence du contexte médiatico-politico-socio-éco-nomico-culturel d’aujourd’hui ?... Il ne s’agit pas de hiérarchiser ces raisons ou de valider l’une plutôt que l’autre, car elles sont toutes présentes dans l’école pour des conséquences diverses mais convergentes : à la souffrance des élèves répond la souffrance des enseignants. Ni les uns ni les autres ne se compren-nent : la classe est un chaos de malen-tendus. Inéluctablement, mécanique-ment et inlassablement, aux passages à l’acte des uns (toujours répréhensibles) s’opposent les violences symboliques des autres (toujours inadaptées). Si on est d’accord sur le constat, on se trouve alors devant un nœud : que fait-on ? On fait autrement, ou on continue comme on a toujours fait ?

Soit l’école, sans rien rabattre de ses ambitions culturelles et de ses exigen-ces éducatives, adapte ses pratiques de façon que tous les élèves, en dépit de toutes leurs « difficul-tés », puissent réinvestir du désir dans le savoir. Des solutions existent, des tentatives passionnan-tes et fécondes prouvent la vitalité et les ressources des enseignants, mais qui impliquent de penser autrement l’acte éducatif qui consiste à enseigner. Soit l’école reste la même, considérant qu’elle est le dernier rempart contre la barbarie. Il suffit pour cela de consolider les défenses. Il paraît logique alors de revenir à des pratiques qui ont fait leurs preuves dans le passé. Ce que certains défendent, en reprochant le laxisme des dernières décennies (qui serait la seule cause de l’échec de l’école), tout en ignorant la réalité socio-économique contemporaine, l’histoire de l’école, les propositions de la recherche et d’élé-mentaires notions de psychologie.

C’est bien pour cette deuxième solution qu’opte cette circulaire : proposer un nouveau moyen de sanction (qui n’est

La Note de Vie Scolaire est une toute petite chose. Mais une toute petite chose qui s’inscrit parmi d’autres faits con-vergents : présence policière dans les établissements, mise en place de Base Élèves (outil intégré de surveillance de la population scolaire), incitations à resserrer les liens entre établissements, police et gendarmerie, interventions policières à l’intérieur même des éco-

les pour en retirer des enfants « sans papiers », rodomontades ministériel-les archaïques sur l’apprentissage de la lecture, accompagnées de la mise à pied de formateurs ou d’inspecteurs jugés déloyaux envers leur tutelle, rationalisation du pilotage du système éducatif par le recours à des évalua-tions quantitatives d’où l’humain est absent, prise d’influence de lobbies d’inspiration libérales1 (l’institut Mon-taigne, par exemple) ou d’associations

de parents qui invitent à la délation d’enseignants2...

Le problème de la violence à l’école (ou plutôt : des violences à l’école) n’est pas qu’un problème scolaire : il contient et révèle tous les autres problèmes socié-taux actuels, dont l’école est autant victime que ses élèves. Mais il est un cas d’école où s’observent les effets d’une pensée simpliste et opportuniste en action qui prend l’effet pour la cause,

distingue les phénomènes, masque la réalité et instrumentalise des faits (évi-demment dramatiques mais sur-média-tisés3) à des fins clientélistes. Ce n’est ni de la maladresse ni de l’inintelligence : c’est, dit-on, de la politique. Une folie dirigée. HUGUES VINCENT1 www.institutmontaigne.org, créé par Claude Bébéar (AXA), présidé par Philippe Manière (BFM, la radio de l’éco, de la bourse, de la finance, du business)

2 www.soseducation.com

3 Voir Le Plan B, no2, mai-juin 2006

TIENS-TOI DROIT ET BAISSE LES YEUX ! En 1932, Jean Vigo réalise « 0 de conduite », l’histoire de la révolte de collégiens dans un pensionnat. Jugé « attentoire au prestige du corps enseignant français », il est interdit dès sa sortie (jusqu’en 1945). Le film pose le problème essentiel de l’enseignement en tant qu’acte éducatif, en révélant l’incompréhension mutuelle qui pollue la relation entre le maître et l’élève. L’autoritarisme répond à l’anar-chie naturelle des enfants, le principe s’oppose au désir, l’immobile résiste au mouvement, et c’est le désordre qui l’emporte, provoquant la décomposition de l’institution et la prise de pouvoir de l’irrationnel. Un récit très actuel.

Les violences scolaires ne sont pas insolubles. Mais elles exigent de penser ce qui fonde la relation entre l’élève et le maître, si on veut éviter que l’un et l’autre ne soient pris dans des logiques qui les dépassent et sur lesquelles ils n’ont aucune prise. C’est-à-dire si on veut éviter ça :

que la résurgence de la note de conduite qu’ont connu nos parents) pour obliger les élèves, qu’ils le veuillent ou non, à respecter les règles. On entend résou-dre ainsi les problèmes de la violence à l’école, du décrochage, du désintérêt, en rigidifiant le système qui les entre-tient.

Mais on le fait, et c’est là que c’est puissant, en adoptant le discours (seu-lement le discours, c’est-à-dire : les intentions) de la première solution ! On se réfère aux valeurs de la République, on veut construire des repères et des liens, on s’attache à valoriser les pro-grès de l’élève, on veut encourager la solidarité, développer l’autonomie, la responsabilité et l’esprit civique, afin que les uns et les autres adoptent une attitude positive. Si nous partageons ces objectifs, encore faudrait-il que les pratiques soient cohérentes avec ceux-ci. Abdiquer cette exigence, c’est entre-tenir une forme de pensée perverse que George Orwell a parfaitement annoncée dans 1984 : « Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire

à toutes les deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapide-ment encore. ». Cette disposition men-tale particulière est délibérée : « pour que l’égalité humaine soit à jamais écartée, pour que les grands, comme nous les avons appelés, gardent per-pétuellement leurs places, la condition mentale dominante doit être la folie dirigée ». Dans 1984, « le ministère de la Paix s’occupe de la guerre, celui de la Vérité, des mensonges, celui de l’Amour, de la torture, celui de l’Abondance, de la famine ». En 2006, le ministère de l’Éducation Nationale devient-il celui du Dressage ?

TAIS-TOI

Page 12: D’après l’Égaré

12 - L’Égaré no 0 - décembre 2006

L’ÉGARÉ, LE MANIFESTEL’Égaré n’est pas résigné

Quand les grands titres de la presse traditionnelle ne s’appartiennent plus et servent à vendre des canons et du parfum, l’Égaré, lui, se lance dans le papier payant et n’a rien à vendre.

Quand l’information devient un spectacle et que l’émotion envahit la salle, l’Égaré lance des tomates et vomit son abonnement.

Quand les médias envahissent le temps et l’espace en réduisant l’un et l’autre, l’Égaré se montre discret mais résolument présent.

Quand les experts prescrivent la meilleure façon de penser, l’Égaré, spécialiste de rien mais curieux de tout, questionne le diagnostic.

Quand les sondages façonnent l’opinion pour un oui pour un non, l’Égaré forge la sienne sur l’enclume de ses doutes.

Quand les colonnes des journaux et les télécrans dépri-ment et oppriment la population, les pages de l’Égaré accueillent les contributions de ses lecteurs pour cons-truire autre chose.

L’Égaré est un journal livré pièces et main d’œuvre dont la notice est à rédiger soi-même.

C’est une aventure.

« D’APRÈS L’ÉGARÉ, »est édité par l’association loi 1901 « l’Astrolabe du Logotope » dont le seul objet est « la publication et l’édition d’un périodique d’information, de débats, de questionnements, d’opinions et d’expérimentations ».

POUR NE PAS SE PERDRE EN CHEMIN

ABONNEMENT : 1 AN, 4 NUMÉROS : 8 €NOM : Prénom :

Adresse :

Mèl :

J’apporte à l’Égaré un soutien de ……......€ (chèque à l’ordre de l’Astrolabe du Logotope)

Je m’abonne à l’Égaré et je vous joins un chèque de 8 € à l’ordre de l’Astrolabe du Logotope

« D’après l’Égaré » est une édition trimestrielle de l’Astrolabe du Logotope, asso loi 1901

10 rue du Cimetière, 44620 La Montagne [email protected] - 06.13.77.07.02

Ont balisé le chemin : Anne Tessier, Clémence Bourdaud, Dimitri Lahaye, Élodie Loquet, Éric Balssa, Éric Mouton, Florent Rouaud, Hugues Vincent, Joël Person, Olivier Autin, RG

Directeur de la publication : Eric Balssa

Dépôt légal : à parution

ISSN : en cours

Imprimé à 1000 ex. par La Contemporaine, 44985 Ste Luce-sur-Loire

Prochaine parution : le no1 en mars 2007

Difficile, aujourd’hui, de savoir par quoi il faudrait commencer. Les urgences se bousculent. Chaque instant hurle du bruit de ce que les américains du nord nomment collapse : l’effondrement. Panique à bord. Mais on danse quand même, comme d’autres civilisations décadentes ont dansé sur les ruines de leur propre histoire, malencontreusement oubliée. Ce n’est déjà plus le déclin : c’est l’orgie. Vas-y : bouffe ! Danse ! Joue ! Prends ! Spécule ! Achète ! On a tout ce qu’il faut pour ton bonheur. T’as pas les moyens ? Lis de la pub. Et bave.

Comment ? Tu souffres ? T’inquiète pas : on parlera de toi à la télé. Et profites-en pour regarder les autres danser. Ca te distraira. Après tout, seul compte ceci : ici et maintenant. Moi et l’immédiat.

L’avant ? L’après ? Les autres ? Pour quoi faire ? Alors voilà que de tous les tuyaux de communication giclent à flot continu des «ici» et des «maintenant» oubliés aussi vite qu’apparus, interchangeables, redondants. Qu’importe ce qu’ils pourraient racon-

SI ON NE VEUT PAS FINIR PAR PAYER TROP CHER LA PRESSE GRATUITE

L’Égaré, par sa nature, appartient au tiers secteur des médias :

« On appelle médias du tiers secteur les radios, les télévisions, les organes de presse écrite, les sites internet, qui ne font partie ni du secteur public ni du secteur marchand. Généralement sous forme associative, ils sont indépendants des puissances financières, des institutions de l’Etat et des obé-diences confessionnelles»1.

Ces médias, amateurs ou professionnels, sont nom-breux, depuis de longues années, à résister à l’em-prise financière et politique des grands groupes de presse, en proposant d’autres fonctionnements visant à garantir l’indépendance de l’information. Dans vos kiosques, vous trouverez facilement le Plan B, CQFD, Politis...

En 2005, l’Appel de Marseille envisage la mutuali-sation des compétences de ces médias pour assurer leur pérennité, c’est-à-dire garantir le pluralisme de l’information et des médias. Le 1er octobre dernier, à Montreuil, ce mouvement se concrétise dans la création de la « convergence des médias du tiers secteur », destiné à faire valoir ses propositions auprès des pouvoirs publics.

Il s’agit bien d’un mouvement de résistance, qui n’est relayé, de fait, par aucun média traditionnel (dit dominant).

L’Égaré rendra compte de ce mouvement régu-lièrement et de façon plus approfondie dans ces prochains numéros. Pour l’instant, vous pouvez consulter : www.observatoire-medias.info. Pour un regard critique sur les médias : www.acrimed.org. Pour des infos alternatives : www.indymedia.org. Pour un accès au pluralisme : rezo.net. 1 OFM

TOUJOURS PLUS DU MÊME, OU QUOI D’AUTRE ?

L’ÉGARÉ… D’AUTRES ÉGARÉS…L’AVENTURE VOUS TENTE ? Explorez le thème proposé pour le no 1 (parution fin mars 2007) et ADRESSEZ À L’ÉGARE VOTRE CONTRIBUTION pour le 15 février (par voie électronique ou postale, en fournissant un no de télépho-ne). Pour chaque contribution que l’Égaré retiendra, on se mettra en contact avec l’auteur pour réfléchir ensemble à des modifications, des précisions, des compléments. Vous ne faites pas trop long (5 000 signes maxi) mais ça peut être tout type d’écrit (enquête, entretien, récit, témoignage, opinion, info, brève, documentation, poésie, fiction, pensée profonde, aphorisme, interrogation, coup de grisou, manifestation de surprise, expression de joie, remarque incendiaire, conclusion,…) et ça peut être un texte, un dessin, une photo, une composition (les documents sur support papier ne seront pas retournés : n’envoyez pas d’originaux). N’oubliez surtout pas les référen-ces et les sources de vos infos.

NE PERDEZ PAS DE TEMPS. LANCEZ-VOUS !

ABONNEZ-VOUS, FAITES ABONNER VOS AMISCe numéro de lancement est gratuit. Les suivants seront au prix de 2 €. Seuls des abonnements en grand nombre assureront les premiers pas de l’Égaré.

si l’humanité n’avait pas assigné un but à sa hâte mais comme si la hâte devenait un but en soi »1.

Parce qu’on ne part jamais de zéro, l’Égaré ne com-mence rien. Le zéro n’est qu’un moment du chaos continu. Dans ce fatras, qu’est-ce qui fait information, c’est-à-dire : possibilité à la fois de comprendre le monde et d’organiser une pensée commune tendue vers le bien commun ? Se prêter à cette recherche, à cette écoute, c’est construire de l’optimisme.

Alors : si on ne commence rien, que s’agit-il de con-tinuer ? ERIC BALSSA

1 traduction d’Yves Cobryter, seul compte ce qu’ils rapportent. Marchandises périssables, mais marchandises tout de même, ces faits sans mémoire, sans avenir, sont la manifestation la plus subtile de l’absurdité totalitaire du même. Or, le même, privé d’histoire, interdit l’histoire.

L’ivrognerie ostentatoire des uns, la disgracieuse souffrance des autres (l’euphorie et la dépression), répétés ad nauseam, voilà tout ce qui fait le bruit de fond ambiant et qui agit comme le psychotrope dont a besoin notre civilisation névrosée. Accoutumance. Dépendance. Hébétude. Intoxication.

Quand à l’exceptionnel, qualifié dans l’instant même de son apparition comme « historique » par ce qu’il contient de violence ou de force symbolique, il n’est jamais qu’une redondance hypertrophiée de toutes les redondances passées. Il sidère, mais n’explique rien.

Overdose ?À ce stade, l’Égaré se donne comme urgence de pren-dre son temps. Celui des hommes, bien sûr, pas celui du profit. Karl Kraus, en 1909 : « Tout se passe comme

« D’après l’Égaré, » l’Astrolabe du Logotope, 10 rue du Cimetière, 44620 La Montagne, [email protected]

NO1 : MARS 2007

ET POUVOIR