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cHarLEs DarWIn, La rELIGIon, La socIoLoGIE, La scIEncE… Et L’HoMME 109 Parcours - 2009-2010 Charles Darwin, la religion, la sociologie, la science… et l’Homme Jean-Pierre Rouzière, Président du GrEP, philosophe Jacques Périé, Professeur honoraire de chimie-biochimie, université Paul sabatier Introduction par Jean-Pierre Rouzière « Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur.[…] Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descen- dance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. cette

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Charles Darwin,la religion,

la sociologie,la science…et l’Homme

Jean-Pierre Rouzière,Président du GrEP, philosophe

Jacques Périé,Professeur honoraire de chimie-biochimie, université Paul sabatier

Introduction par Jean-Pierre Rouzière« Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur.[…] Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descen-dance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. cette

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dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus achar-née des contemporains ».

Ce texte est extrait de l’Introduction à la psychanalyse [Freud, 1916, chap. 18, PB Payot, 1970 p 266] connu sous le nom des « trois blessures narcissiques » (1). Trois, parce que Freud ajoute un 3e démenti qui « sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique qui se propose de montrer au moi qu’il n’est pas maître dans sa propre maison », c’est la blessure psychologique qui vient donc s’ajouter à la blessure cosmique et la blessure biologique.

Il est intéressant de noter que cette année 2009 est, en quelque sorte, un anniversaire pour les deux premières blessures narcissiques. En effet 2009 a été consacrée « année de l’astronomie » pour célébrer la découverte en 1609 - il y a donc 4 siècles - par Galilée de la lunette astronomique qui porte son nom. 2009 est en même temps un double anniver-saire pour Darwin : celui de sa naissance en 1809, et celui de la parution de L’origine des espèces en 1859.

Si la « blessure cosmique » infligée par Copernic et Galilée a valu à ce dernier un procès retentissant et la disgrâce par l’Église car elle heurtait la vérité théologique, il nous est apparu évident que « la blessure biologique » infligée par Darwin est beaucoup plus pro-fonde et douloureuse. Ce que confirme Freud lorsqu’il écrit : « travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains ». Ce qui est frappant, en effet, c’est cette résistance aux idées de Darwin qui est encore présente aujourd’hui, c’est la mécon-naissance de sa théorie et des ruptures qu’elle introduit dans notre rapport au monde et à la vie. Sans doute chamboulait-elle trop les repères existants, car il faut bien réaliser que la théorie de l’évolution, c’est l’histoire de la vie donc aussi celle du sens de la vie. Elle touche directement ce que nous sommes dans notre chair et dans notre esprit.Mais qui était donc ce Darwin capable de concevoir une théorie si nouvelle ?

Qui était Darwin ? par Jacques Périé

Darwin est né en 1809, dans une famille de la bourgeoisie cultivée britannique plutôt conventionnelle.

Son père médecin, l’ayant rapidement orienté vers cette discipline, le jeune Charles Darwin entreprend à Edimbourg des études de médecine. Mais la vue du sang l’effraie et il renonce vite. Son père l’oriente alors vers des études de pasteur. Charles devient ainsi étudiant en théologie à Cambridge mais la discipline ne l’intéresse guère. Par contre, il est très attiré par les cours de botanique et de géologie, ayant au préalable été initié à cette discipline par les travaux de Charles Lyell. Grâce à l’intercession d’un parent, Darwin obtient une place de biologiste à bord du Beagle, un bateau en charge du relevé des côtes du continent sud-américain. Le voyage durera 5 ans et ne se limitera pas à ce

(1) L’homme s’est trouvé dépossédé de 3 illusions : coïncidence avec le centre du monde ; filiation singulière (divine) ; accès à la totale conscience de soi.

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continent puisque le Beagle naviguera également vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande et un certain nombre d’îles du Pacifique. Durant ce séjour, Darwin accumulera quantité d’observations mais aussi de spécimens de plantes, de roches et aussi espèces animales, insectes, reptiles, oiseaux etc.

Et Darwin est particulièrement frappé par les évolutions qu’il note chez certaines es-pèces animales sur des distances nord-sud relativement courtes, en particulier dans les îles Galápagos, au large des côtes péruviennes.

Revenu en Angleterre, se marie et s’installe, après un court séjour à Londres, dans une grande maison à la campagne dans le Kent, son patrimoine familial lui évitant d’avoir à occuper un emploi rémunérateur. Là, auprès d’une épouse aimante et dévouée qui lui donnera dix enfants, il entreprend une œuvre qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1882, à 73 ans. Son œuvre traite bien entendu en premier lieu de l’évolution mais ne se limite pas à cela. Toute sa vie Darwin travaillera en géologie, fasciné tout d’abord par l’action des vers de terre capables de remodeler complètement la surface des sols, mais aussi « par une tentative pour expliquer les changements anciens de la surface de la terre, en référence à des causes en train d’opérer ». On peut noter que l’idée d’évolution est là aussi bien présente.

Ce que l’on sait par son autobiographie, c’est qu’il poursuit son œuvre avec beaucoup d’assiduité ; il accumule les observations, rencontre d’autres chercheurs auxquels il a confié certaines de ses collections, rencontre des éleveurs et des agriculteurs de la cam-pagne environnante pour comprendre auprès d’eux les méthodes de sélection d’espèces ou de plants. On y apprend aussi qu’il est en proie à des malaises physiques permanents, qui demeureront inexpliqués. On a évoqué à leur sujet soit une fièvre ramenée de son voyage, peut-être la maladie de Chaggas dont il montrera tous les symptômes, soit des troubles psychosomatiques.

Il décide néanmoins de prendre son temps pour mettre en forme ses idées, d’autant qu’il est déjà un naturaliste de renom international et aussi parce qu’il bute sur un point majeur, note l’un de ses biographes, Jean-Claude Ameisen, celui de la question du moteur interne de ce phénomène d’adaptation : pourquoi les espèces s’adaptent-elles plutôt que de dispa-raître quand les conditions d’environnement changent ?Mais les événements l’amènent à précipiter le cours des choses : en 1858 (il a alors 49 ans), il reçoit d’Indonésie d’un autre biologiste, Wallace, un texte que celui-ci lui confie pour avis et qu’il a intitulé « Variations observées à partir d’un modèle initial chez les vivants ». Darwin reconnaît là des idées si proches des siennes qu’il a un instant le sen-timent d’avoir tout perdu ; puis il se ressaisit et rédige en quelques jours un texte d’une dizaine de pages que l’un de ses parents publie à une société savante de Londres, conjoin-tement à celui de Wallace. Aucun des deux auteurs n’assiste à la séance : Darwin vient de perdre un enfant et Wallace est en Nouvelle Guinée. Il s’agit de 3 publications écrites en septembre 1858, d’un total de 18 pages comportant des extraits d’un texte que Darwin a rédigé 14 ans auparavant. Puis il s’attaque à la rédaction d’un texte plus complet, qu’il publie en 1859, après 13 mois de travail. Un travail sans doute harassant puisqu’il en dit la chose suivante : « mon abominable volume, qui m’a à moitié tué ».

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Darwin ne donne qu’une diffusion limitée à cette première édition, non par prudence mais par réserve vis-à-vis des convictions de ceux qui l’entourent. « C’est comme confesser un meurtre », confie-t-il à un ami (sous entendu, celui du Créateur dans une vision littérale de la Genèse). Puis plusieurs rééditions suivront, Darwin continuant à chaque étape à y préciser ses idées.

Parallèlement à cela, il poursuivra ses réflexions dans de nombreux autres domaines et publiera des ouvrages, toujours en lien avec des questions d’évolution :

Sur l’origine des êtres humains,

Sur la généalogie de l’homme et la sélection liée au sexe,

Sur l’expression des émotions chez l’animal et l’homme (ou comment ce qui semble être le propre de l’homme existe aussi chez d’autres espèces).

Sur les plantes, sur les mouvements des plantes grimpantes, l’effet de la fertilisation croi-sée et de l’auto-fertilisation dans le domaine végétal. Sur les différentes formes de fleurs et de feuilles dans les mêmes espèces. Sur les plantes insectivores. Sur la capacité des plantes à se mouvoir. Sur les relations entre les plantes et les animaux. Sur les variations induites chez les animaux et les plantes par l’effet de la domestication. Sur la fertilisation des orchidées par les insectes ; et son dernier livre, paru l’année précédant sa mort, traitait de la formation de l’humus végétal sous l’action des vers de terre.

Puisque nous parlons de l’homme Darwin, sans doute faut-il rajouter un autre trait de son caractère : sa conception profondément respectueuse de toutes les races humaines entre lesquelles il ne peut admettre de hiérarchie, convaincu qu’il est qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine. C’est ainsi par exemple qu’il rentre en vif conflit avec le Cdt du Beagle, Fitz Roy lors de rencontres d’autres peuples, indiens en Amérique du Sud, mélanésiens lors de la suite du voyage, à propos des jugements très négatifs de Fitz Roy sur les peuples de couleur rencontrés. De sorte que lorsque certains de ses successeurs étendront l’idée de sélection à une compétition entre humains pour « la survivance du plus apte » ils opé-reront une véritable trahison morale, tout en se réclamant de Darwin.

Le cœur de la théorie de l’évolution

Ce que Darwin a conclu de toutes les observations accumulées qu’il a faites - et c’était avant tout un fantastique observateur très méthodique - c’est bien cette loi naturelle selon laquelle on peut rendre compte de l’extraordinaire diversité du monde vivant à partir d’un seul ou de quelques ancêtres communs et y inscrire l’être humain. Sa grande découverte est bien celle de la descendance avec modification, le fait que toutes les espèces ont une histoire et sont apparentées, y compris l’espèce humaine.

Le processus en est le suivant : il apparaît chez tout individu de petites variations qui, lorsqu’elles présentent un avantage dans la lutte pour une meilleure adaptation au milieu, sont transmises aux descendants ; d’où il résulte, par sélection et accumu-lation, une modification progressive des espèces.Contrairement à ce que l’on pense souvent, Darwin n’a pas découvert que le vivant

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se transforme et évolue. D’autres l’avaient fait avant lui, Lamarck en particulier et bien avant ce dernier, Démocrite ou Lucrèce, ce dernier dans son « De natura rerum ». Mais Darwin a plus radicalement découvert une loi naturelle d’évolution qui rend compré-hensible, explorable, l’idée d’une évolution du vivant à partir d’un début simple (que l’on désignera plus tard par le concept de LUCA (last universal common ancestor, ou ancêtre commun à toute vie), par ce processus d’une descendance avec modification. A chaque génération, explique-t-il, s’opèrent des variations minimes qui permettent aux es-pèces d’évoluer et de se diversifier.

« N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses puissances diverses insufflées primitivement à un petit nombre de formes et peut-être à une seule ? » écrit-il dans l’Origine des espèces.

Fantastique intuition que les découvertes qui suivront viendront corroborer, en particulier lorsque seront compris les mécanismes de ces variations minimes. Notons au passage que le grand-père de Darwin, Erasmus également médecin, avait lui aussi émis cette hypo-thèse d’évolution à partir d’un ancêtre commun.

Et de cette évolution continue avec modification, émergent les espèces les mieux adap-tées aux changements environnementaux en fait du mieux adapté, concept dit aussi de la sélection naturelle. Et Darwin montre bien que le rôle éliminateur de cette sélection doit être complété par son aspect créateur, qu’il s’agit d’une sélection novatrice. Com-plétons que la traduction de cette idée en termes de « survivance du plus apte » n’appar-tient pas à Darwin, mais vient de Spencer, ingénieur et philosophe qui l’appliquera sans nuance à l’ensemble des phénomènes sociaux. Par la suite, l’évolutionniste Stephen Jay Gould précisera qu’il ne s’agit pas de la survie du plus puissant mais de celui qui, dans un environnement donné, s’y reproduit le plus abondamment.

En effet, au sein d’une même population, les individus porteurs d’une variation trans-missible, momentanément avantageuse dans les conditions du milieu se reproduiront da-vantage. Si ces conditions se maintiennent suffisamment longtemps, le variant avantagé finira par avoir une fréquence de 100 % dans la population. L’espèce aura alors changé.Revenons un instant à Darwin et à son séjour aux Îles Galápagos pour donner un exemple concret de la façon dont il mit à profit ses observations. Par exemple l’observation des reptiles et des batraciens, d’abord sur le continent puis sur les îles. Les premiers sont présents sur les îles, non les seconds. Darwin constate que seuls les œufs des premiers résistent à l’eau de mer d’où leur transport sur les îles, alors que les œufs des batraciens ne résistent pas. D’où un premier mécanisme de sélection, dans ce cas par élimination. Puis, les nombreuses espèces de reptiles propres aux îles qu’il observe, résultent d’une évolution qui s’est faite très localement et dont la présence sur un même site tient à des conditions climatiques bien spécifiques. L’adaptation au milieu a créé, dans ce cas en accéléré, de l’évolution et de la diversité.

Une autre observation de Darwin devenue historique est celle des pinsons. Darwin rame-na de son passage aux Îles Galápagos une collection d’oiseaux entre lesquels il notait des similitudes mais dont il pensait qu’ils appartenaient à des espèces différentes. A son re-

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tour, il les envoie à un ornithologue de renom, un dénommé Gould lequel lui répond qu’il s’agit bien de 14 variétés différentes mais que tous sont des pinsons. Elles proviennent en fait d’une seule espèce venue du continent, laquelle s’est progressivement modifiée et dont des spécimens ayant jalonné le processus sont restés observables.

En affirmant que le niveau de l’espèce est un niveau parmi d’autres dans la différentiation du vivant, Darwin bouleverse la manière d’appréhender la biologie. Celle-ci désormais n’est plus fondée sur une discontinuité entre espèces mais sur celle de divergence : entre ce qui sépare deux individus, deux espèces, deux genres, deux familles, il y a un continuum.

Cette théorie oblige à revoir la classification naturelle, à rechercher les caractères fonda-mentaux qui relient les organismes différents, autrement dit les caractères ancestraux : il fonde ce que sera plus tard la phylogénie. Il montre aussi qu’il est essentiel de s’intéresser à l’hérédité des variations, ce qui donnera naissance à la génétique. Enfin qu’il faut étu-dier les êtres vivants dans leur milieu, ce qui donnera naissance à l’écologie. ». La théo-rie de Darwin devient un principe unificateur en biologie, ce qui fera dire cent ans plus tard au biologiste russe Dobzhansky « rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution ».

Il restait à Darwin à trouver l’origine de ces variations. Il les chercha ardemment mais les outils lui manquaient. Il faudra tout d’abord les travaux de Mendel, publiés en 1865, qui établit une première formulation des lois de l’hérédité. Darwin reçut l’article, mais on le retrouva non décacheté dans sa bibliothèque… Puis ce fut la découverte en 1902 par de Vries de la notion de mutation, à cette époque, au sens de survenue d’une caractéristique nouvelle transmise à la descendance. Puis Thomas Morgan développe des travaux de génétique sur la mouche du vinaigre et montre le rôle des chromosomes dans la transmis-sion héréditaire.

Viendront ensuite les approches mathématiques, en particulier celle de Fischer, permet-tant de traiter le caractère aléatoire des mutations et donc de rendre compte du rôle du hasard dans l’évolution. Pendant cette même période, les preuves paléontologiques s’ac-cumulent. Puis les contributions de Dobzhansky, élève de Morgan, avec « La génétique et l’origine des espèces » paru en 1937 et celle du biologiste allemand Mayr qui pu-blie en 1942 « Systématique et origine des espèces », fonderont ce qui devient la théorie synthétique de l’évolution, synthétique en ce sens qu’elle unifie la vision darwinienne d’évolution par petites variations et des « sauts d’espèces » qui semblaient la contredire, coordonnant darwinisme et génétique.

Les grandes dates de cette avancée seront ensuite en 1953, la découverte de la double hélice d’ADN, support des caractères héréditaires et en 1961 celle du code génétique, cet alphabet à 4 lettres, les séquences de ces lettres constituant les gènes ; c’est la connais-sance de ce codage qui permettra de rendre compte d’un premier mécanisme de modifica-tions par mutation, telles qu’elles sont transmises à la descendance. D’autres découvertes viendront par la suite compléter ce premier niveau de compréhension et rendre compte de l’ensemble des événements aléatoires à l’origine de ces modifications.

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Les bases de cette conceptualisation

Quelles sont les bases de cette géniale intuition qui donne lieu encore 150 ans plus tard à de nouveaux travaux ? On peut dire que c’est à la fois dans son époque et contre son époque, très marquée par le concept du « Grand Horloger » ou du « Grand Architecte du Monde » que Darwin construit sa vision de l’évolution.

Sans doute doit-on citer en premier l’extraordinaire capacité à penser loin des influences, comme le soulignent ses biographes, en particulier J.-C. Ameisen dans son superbe livre.Une indépendance discrète mais tenace, à l’œuvre dans tous les domaines de la pensée, en particulier hors des cadres religieux de son temps, pensée très empreinte de la « Théologie Naturelle » de Paley sur la beauté et la remarquable organisation de l’œuvre du Créateur.Ensuite l’émerveillement de Darwin pour la nature et son observation approfondie pour toutes les espèces, animales et végétales, les mouvements des sols, l’histoire de la terre, etc. qui très tôt l’amène à penser qu’il y a quelque chose qui ne colle pas dans la « Théo-logie Naturelle » de Paley, où tout est en ordre et bien établi une fois pour toutes.Sans doute aussi un contexte historique : les idées de Lamarck sur la transformation des espèces - dont l’homme est exclu - ont commencé à être diffusées ainsi que celles de Charles Lyell, le mentor de Darwin, sur la notion de temps d’évolution et la profon-deur du temps.

Sur ce dernier point, la vision de Darwin est tout à fait révolutionnaire : à cette époque, on pense sur la base des textes bibliques que le monde a de l’ordre de 6 000 ans.Darwin lui introduit - après Buffon - l’idée d’un âge de la terre en millions d’années non en milliers. Il faut aussi citer les idées de l’économiste Adam Smith à propos d’une recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations où l’économiste déclare : « L’être humain n’a pas pour intention que son propre gain et il est en cela comme dans de nombreux autres domaines, mené par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait pas partie de ses intentions ». Idée de finalité, l’action des humains créant un collectif qui les dépasse.

Mas c’est surtout le traité des populations de Malthus qui fournit à Darwin le cadre conceptuel qu’il recherchait. Ce traité datant de 1798 et que Darwin découvre en 1838, contenait l’idée de sélection sous la forme suivante : comme la population va croître plus rapidement que les ressources disponibles, il y aura inéluctablement sélection. Darwin retrouve là dans une autre formulation, l’une de ses intuitions majeures. Il dit alors : « Ici, à ce moment, j’ai enfin trouvé une théorie à partir de laquelle travailler ».

A propos du caractère aléatoire des modificationset de la création de diversité

Comme on l’a déjà mentionné, Darwin ne trouvait pas d’explication satisfaisante à ce phénomène de variations minimes à l’origine des « descendances avec modifications ». Mais l’idée de leur caractère aléatoire était pour lui claire. N’écrit-il pas : « Il semble ne pas y avoir plus de dessein (projet) dans la variabilité des êtres organiques et dans l’ac-tion de la sélection naturelle que dans la direction dans laquelle souffle le vent ».

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Ou encore : « cet univers, immense et merveilleux, incluant l’homme avec sa capacité à plonger son regard loin dans le passé et loin dans l’avenir, est le résultat aveugle du hasard et de la nécessité ».

Il ne nous est, sans doute, pas facile d’admettre la part de l’aléatoire dans l’évolution du vivant, encore moins dans son origine.

Notons en effet que nous sommes imprégnés d’une culture à la fois finaliste – la vie et l’univers sont ordonnés par rapport à une fin préétablie - et également déterministe – les phénomènes, y compris ceux relevant de l’humain, sont soumis à des lois ; et donc, nous sommes peu enclins à accepter l’idée que c’est l’aléatoire, le hasard qui a créé le vivant et le diversifient. Pourtant, tout au long du processus évolutif, le hasard semble être la seule règle !

Aussi loin que l‘on remonte dans l’histoire de la vie sur notre planète, le hasard est pré-sent. Quelques exemples : pour qu’il y ait vie, il a fallu de l’oxygène et en amont du car-bone, car celui-ci a donné l’oxygène en se combinant à l’hélium ; et la dissémination de ce carbone 12 a nécessité l’explosion de supernovas, et donc un énorme apport d’énergie, première condition requise ; puis, pour que ce carbone puisse faire de la chimie il lui a fallu un site possible : cela a été possible sur la planète terre, située ni trop près ni trop loin de la source : ni Mercure où il fait trop chaud, ni Mars où il fait trop froid. Puis une atmosphère compatible ; et celle-ci ne pouvait exister que pour une valeur bien précise de la force de gravitation : on montre en effet que pour une variation de 1 % de celle-ci, l’atmosphère quitterait la terre. Inversement la vie ne serait pas possible avec des champs gravitationnels trop forts : les organismes devraient avoir une masse musculaire beaucoup plus forte et cela nécessiterait de plus fortes déperditions thermiques. Il y aurait alors un problème de régulation thermique, la surface des corps croissant moins vite que leurs volumes. Il fallait aussi du gaz carbonique pour la photosynthèse et donc une activité vol-canique terrestre et sous-marine. Il fallait aussi que la vie soit protégée du rayonnement cosmique. Or comme celui-ci est essentiellement piégé par la radioactivité, il fallait donc un minimum de cette dernière. C’est donc uniquement parce qu’il y a eu conjonction tout à fait aléatoire d’événements que l’apparition de vie sur la planète terre a été possible.Il est intéressant de savoir qu’il a été calculé par des astronomes de Meudon que sur les 1019 étoiles, 4 ou 5 sites répondraient à ces mêmes conditions dites d’une « fenêtre anthropique ».

En poursuivant dans l’échelle du temps, on retrouve de la même façon le hasard dans la synthèse de ce que l’on appelle les premiers réplicateurs : ces unités d’information capables de donner des copies d’elles-mêmes et faites d’empilements d’atomes qui se sont succédés tout au long du processus de la vie : empilements d’atomes dans un cristal, possibles premières molécules nées sous l’action d’un rayonnement à la surface d’argiles ayant servi de matrices, accumulations de ces molécules sur les grèves des lacs ou des rivières pour la formation de molécules plus importantes, stables puisque non soumises à l’influence des bactéries, celles-ci n’existant pas encore (R. Dawkins, Le Gène Égoïste). Rôle du hasard ensuite dans la synthèse des molécules pré-biotiques, acides aminés et précurseurs d’acides nucléiques. Autant de successions de hasards que nous avons du mal

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à nous représenter, compte-tenu de notre difficulté à nous représenter l’échelle de temps sur laquelle ils se sont déroulés. Une petite idée nous en est fournie précisément par les bactéries qui figurent parmi les premières espèces vivantes de la planète : pendant deux milliards d’années, la vie sur terre s’est limitée à ces seules bactéries ! Quant aux premiers phénomènes d’auto-organisation évoqués plus haut, on estime que leur mise en place a duré 3 milliards d’années.

Et si nous en arrivons aux systèmes biologiques actuels, nous pouvons noter que l’aléa-toire y est également présent par de nombreux aspects.

Donnons en quelques-unes des mécanismes :

Un premier est mis en jeu lors de la division cellulaire. On sait que lors de ce processus, la double hélice du noyau de la cellule mère va se séparer en ses deux brins, chacune des cellules filles en recevant un. Ce simple brin va être recopié en une séquence complémen-taire de la première selon des lois d’appariement bien précises. Mais, lors de cette répli-cation, vont apparaître un certain nombre d’erreurs, environ une erreur toutes les mille unités (dites bases, ou encore, l’une des 4 lettres du codage). Un système de vérification vient ensuite relire et corrige la plupart des erreurs, n’en laissant qu’une pour cette fois un million de bases, rendant ainsi possible une évolution.

Le second processus, tout aussi aléatoire que le précédent, résulte d’une modification chimique de certaines bases par des enzymes dites méthylases, processus qui va masquer certaines bases, les rendant impropres à l’appariement dans la double hélice. Il en résulte une modification du gène porteur de la séquence correspondante et donc des modifica-tions dans la structure de la ou des protéines que ce gène va exprimer. Et un démasquage, ramenant à la situation initiale, peut survenir plusieurs générations plus tard de sorte que dans l’intervalle des gènes modifiés ou non exprimés, toujours de manière aléatoire, au-ront créé de la diversité.

Le « crossing-over », dit enjambement en français, processus par lequel lors de naissance des cellules germinales, spermatozoïde et ovule, des échanges de portions de chromo-some s’opèrent entre parties équivalentes ; par exemple la portion de gène 11a du chromo-some A venant du père va s’échanger avec la portion équivalente du gène 11 b du même chromosome venant de la mère, ce « crossing-over » étant lui aussi produit de manière totalement aléatoire (il a été montré que d’autres types d’échanges ne sont pas viables) ;

L’existence des transposons : il s’agit de gènes changeant de place sur un chromosome donné, de génération en génération ou de l’insertion de parasites génétiques qui insèrent leurs gènes dans un chromosome donné. Les cellules infectées par un transposon donné fabriquent de nouveaux transposons ainsi que les enzymes qui permettront à ces derniers de s’insérer à leur tour. Ainsi 70 % de l’ADN du maïs est constitué de transposons qui ont envahi les ancêtres du maïs. Les transposons occupent environ la moitié de l’ADN de l’espèce humaine. Mais alors qu’ils bougent beaucoup dans l’ADN de certaines plantes comme le riz, ils bougent peu dans l’ADN des mammifères. Mais ils sont présents et ils témoignent de l’existence de ces forces qui ont remanié et continuent de remanier l’ADN dont nous avons hérité depuis l’origine de la vie.

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Les gènes homéotiques : il s’agit de gènes « maîtres » qui dirigent l’expression d’autres gènes. L’homéo-domaine produit par un gène homéotique est une séquence peptidique (morceau de protéine) qui se fixe à l’ADN et régule ainsi la transcription d’autres gènes. Une mutation sur un homéo-gène modifie entre autres l’identité des segments d’un ani-mal, par exemple générer des pattes à la place des antennes chez la drosophile. Ce sont des gènes très anciens puisqu’on les retrouve chez les plantes, les champignons etc. Chez les vertébrés, la majeure partie des gènes homéotiques intervient dans l’identité des diffé-rentes parties du corps suivant l’axe antéro-postérieur (et non suivant l’axe dorso-ventral). On peut aussi comprendre leur rôle dans la création de diversité en faisant un parallèle entre l’homme et le chimpanzé par exemple qui ont 98,5 % de génome en commun. Si l’on considère que l’un et l’autre ont environ 30 000 gènes, le 1,5 % de différence correspond donc à 450 gènes, ce qui est peu quand on considère ce qui nous sépare de cet animal. La diversité d’espèces qui séparent homme et chimpanzé, dont le dernier ancêtre commun remonte à 7 ou 8 millions d’années, tient précisément à la multiplicité de façons dont les facteurs de transcriptions produits par les gènes homéotiques ont agi non seulement sur ces 450 gènes différents mais aussi sur l’ensemble du génome. En fait ce sont nos différences de gènes homéotiques qui rendent compte de ce qui nous distingue du chimpanzé.

Hasard également à l’échelle de populations : choix de partenaires sexuels et donc bras-sage génétique facteur de diversité ; mais aussi hasard dans la dispersion des graines chez les végétaux, hasard dans les relations entre organismes, etc.Démocrite disait déjà : « Tout ce qui existe dans l’Univers est le fruit du hasard et de la nécessité », vocables repris par Darwin lui-même comme on l’a vu plus haut, puis plus tard par Monod après la découverte du code génétique dans le titre de son livre « Hasard et nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne ». Hasard comme nous l’avons vu jouant un rôle fondamental dans les systèmes vivants, nécessité évolutive d’une sélection devant trier à partir d’une diversité générée par le hasard.sans doute, Jean-Pierre, vas-tu revenir sur cette question du hasard dans sa dimension philosophique ?

Changement dans le rapport au temps par Jean-Pierre Rouzière

Tout d’abord je voudrais plutôt revenir sur ce qui est peut-être le bouleversement le plus im-portant. Il s’agit du nouveau rapport au temps : changement d’échelle et historicité de la vie.

Darwin est le premier à s’étonner du changement d’échelle qu’il est obligé d’opérer : « La durée de temps écoulé a été si immense qu’elle est totalement inconcevable » (oE, p 535) et plus loin il précise sa pensée : « La croyance en l’immutabilité des espèces était presque inévitable tant que l’on n’attribuait à l’histoire du globe (2) qu’une histoire fort courte… l’esprit humain ne peut concevoir toute la signification de ce terme : un million d’années ; il ne saurait davantage ni additionner ni percevoir les effets complets de beau-coup de variations accumulées pendant un nombre infini de générations » (p 554)

(2) charles Lyell (1797-1875), dans ses Principes de géologie (1830-33) note que la terre a été façonnée sur une longue durée et est donc beaucoup plus vieille qu’on ne croit ; il note aussi que les espèces sont apparues au fur et à mesure des temps géologiques mais dans leurs formes définitives.

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C’est seulement avec cette longue durée que Darwin peut faire apparaître l’idée de « va-riations accumulées » et justifier la complexité croissante des formes du vivant, raconter l’histoire du vivant.

Car désormais la vie a une histoire et la vie est une histoire.

On comprend combien il était difficile, sinon « inconcevable » comme le dit Darwin, (Remarquons au passage qu’en 1859 un million d’années pour l’âge de la terre semblait inconcevable… aujourd’hui nous en sommes à cinq milliards d’années !), d’imaginer une durée aussi longue car la référence était la généalogie biblique à partir de laquelle on avait calculé que l’âge de la terre était de 6 000 ans. Ce n’est effectivement pas à partir d’une histoire aussi courte qu’on peut envisager une telle évolution des formes de la vie.

La situation en 1859 - La primauté théologique

C’est assez incroyable qu’en 1859, lorsque paraît L’origine des espèces, soit plus de deux siècles après le fameux procès de Galilée (1633), après Newton, après les Lumières, après le Positivisme… apparemment rien n’ait changé. A savoir : la science est toujours au service de la théologie chrétienne qui continue à régenter la vérité du monde et de la vie. Comme du temps de Galilée !

La Bible et Aristote restent les références immuables. Elles nous disent que :

- 1re vérité : Les organismes vivants sont nés dans leur forme et en même temps (« creavit Deus omnia simul », « Dieu a tout créé en même temps » : Saint Augustin). C’est-à-dire pas de transformisme et pas d’évolution.C’est ce que croient encore les Créationnistes, puisqu’ils s’en tiennent au récit de la Ge-nèse biblique. Position intégriste qui paraît insoutenable aujourd’hui et qui pourrait nous faire sourire si elle n’avait pas autant d’adeptes (en particulier aux États-Unis) et tant de propagande insidieuse, et je fais allusion à L’Atlas de la Création d’Harun Yahya, inté-griste musulman) qui est envoyé aux établissements scolaires.Ce qui met en évidence un problème très inquiétant : le décalage entre la connaissance et la croyance. Situation qui n’existe pas qu’aux États-Unis. C’est d’autant plus inquiétant que l’humanité est entrée dans un cycle d’évolution rapide de la connaissance.

- 2e vérité : La nature obéit à un plan. Linné, le naturaliste suédois, connu pour sa clas-sification des plantes Systema Naturae (1735) qui faisait autorité à l’époque de Darwin, avait dit qu’il voulait « rendre intelligible le plan de Dieu ».C’est aussi la pensée des partisans du Dessein Intelligent (Intelligent Design) qui ne re-mettent pas en cause l’idée d’une évolution mais n’admettent pas qu’elle soit gouvernée par le hasard. En d’autres termes ils n’acceptent pas l’idée que la vie ne soit pas un projet, c’est-à-dire un projet divin. Darwin s’est clairement prononcé sur cette question : « Il est si facile de cacher notre ignorance sous des expressions telles que plan de création, unité de dessein, etc. » (OE, p 554) et un peu plus loin en parlant des « naturalistes éminents » : « Mais croient-ils réellement qu’à d’innombrables époques de l’histoire de la terre, cer-tains atomes élémentaires ont reçu l’ordre de se constituer soudain en tissu vivant ? » Ce qui ne manque pas d’ironie.

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Cette idée que les formes du vivant soient le fruit du hasard (3), même chez ceux qu’on ne peut pas soupçonner d’être des adeptes du Dessein Intelligent ni d’être des finalistes. Ainsi Jacques Monod, dans Le hasard et la nécessité, écrit : « L’objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants (4), à admettre que dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde… ». Ce que je com-prends, lorsqu’il parle de « contradiction épistémologique », c’est qu’il faudrait réfléchir plus avant sur cette contradiction apparente qu’il y aurait entre le fait que chaque forme vivante se déploie comme un projet alors qu’elle est issue du hasard.

En février 2009, lors de la conférence de presse de l’exposition La Ruée vers l’Homme, la paléontologue Yves Coppens, répondant sur le sujet du créationnisme déclarait : « La théorie de l’évolution ? Je dis aujourd’hui il n’y a plus d’hypothèse et il n’y a plus de théorie : l’évolution est un fait prouvé par la biologie et la génétique. Il n’y a pas de dis-cussion sur l’évolution… ce qui peut se discuter ce sont les modalités de l’évolution… » Dans un article écrit en 1995, il avait en effet indiqué : L’arbre des espèces ne cesse de se ramifier… et notre filiation est un vrai casse-tête !

ce qui nous conduit à nous interroger sur le mécanisme de cette évolution. on constate que, dans un environnement identique, toutes les espèces évoluent dans le même sens - celui, précisément, de l’adaptation à ce milieu. selon l’idée darwinienne, qui est toujours à peu près admise aujourd’hui, certains individus subiraient des mutations génétiques qui se produiraient par hasard, et plusieurs d’entre elles leur donneraient éventuellement un avantage pour subsister dans leur nouvel environnement. au fil des générations, cette nouvelle espèce s’imposerait, sélectionnée en quelque sorte par le milieu. cette théorie ne me plaît pas beaucoup, dans son ensemble. Il est quand même étonnant que les mu-tations avantageuses surviennent justement au moment où on en a besoin ! au risque de faire hurler les biologistes, et sans revenir aux thèses de Lamarck, je crois qu’il faudrait s’interroger sur la façon dont les gènes pourraient enregistrer certaines transformations de l’environnement. En tout cas, le hasard fait trop bien les choses pour être crédible…

- 3e vérité : Tout être vivant possède une âme. Nous sommes dans le dualisme qui sépare la matière et l’esprit, deux substances irréductibles l’une à l’autre. Ce dualisme matière/esprit prend une dimension toute particulière pour l’homme. Darwin le remet en cause puisqu’il considère que les qualités sensibles, sociales, cognitives de l’homme sont le résultat de la sélection naturelle, donc que l’esprit émerge de la matière vivante.

Ce qui est inacceptable pour l’Église ainsi que le déclare Jean-Paul II : « les théories de

(3) Difficulté à abandonner l’idée générale d’une finalité du monde et de la vie : teilhard de chardin et son point oméga, avènement du christ cosmique qui est en partie responsable du rejet de la théorie. Dans les années 1960, soit un siècle après la parution de L’origine des espèces, Jean rostand déclarait ironiquement : « La sélection naturelle est peut-être puissante mais elle est impuissante à me convaincre ».Il faudra attendre les années 1980 pour que se constitue une véritable école française de biologie avec Jacques Monod et François Jacob.(4) chaque être vivant a une finalité interne : celle de développer une forme spécifique et celle de reproduire ses informations génétiques.

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l’évolution qui considèrent l’esprit comme émergeant de la matière vivante ou comme simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme ». Je reviendrai sur ce sujet qui reste sans doute la question la plus sensible soulevée par la théorie darwinienne.

La pensée philosophique en 1859

En ce qui concerne la pensée philosophique (5) de l’époque on peut dire, quitte à être accusé de réductionnisme, que, comme la science, elle ne remet pas en cause la vérité théologique.

Pour illustrer cet état d’esprit, je vous propose un extrait de Kant (1724-1804) tiré de la critique du jugement : « on peut soutenir qu’il est absurde d’espérer que quelque nou-veau newton viendra un jour expliquer la production d’un brin d’herbe par des lois na-turelles auxquelles aucun dessein n’a présidé, car c’est là une vue qu’il faut absolument refuser aux hommes. »Mais j’aurais pu tout aussi bien choisir la célèbre phrase de Voltaire (1694-1778) : « si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer mais la nature tout entière nous dit qu’il existe ».

Le courant évolutionniste

Comme toujours, à côté de la volonté de rester conforme à l’orthodoxie, il y a des forces de transgression qui sont en marche.Ainsi, comme chez les scientifiques (6), il y a « un air du temps » évolutionniste chez les philosophes, essentiellement en Angleterre et aux États-Unis (7) : un courant évolutionniste dont le représentant le plus connu est Herbert Spencer (1820-1930) qui étendit l’idée de l’évolution à la philosophie, la psychologie et la sociologie (8).

(5) Pour Descartes (1596-1650), le monde est une grosse machine dont Dieu est le concepteur et le moteur ; pour Leibniz (1646-1716), Dieu est l’architecte de l’univers ; pour Kant (1724-1804) : « Il est moralement nécessaire d’admettre l’existence de Dieu » ; Hegel (1770-1831) écrit en 1832 : « Le contenu de la religion chrétienne ; en tant que le plus haut stade de développement de la religion en général, coïncide parfaitement avec le contenu de la vraie philosophie » ; spinoza (1632-1677), par contre avec son Dieu immanent à la nature, propose une relation différente de l’homme au monde.(6) Dès le 18e siècle certains scientifiques commencent à évoquer l’idée d’évolution : un siècle avant la sortie de « L’origine des espèces », Buffon se posait la question de savoir si l’âne n’était pas un cheval dégénéré et imaginait la possibilité d’une généalogie commune entre le singe et l’homme. quant à Maupertuis, il émet déjà des idées transformistes.Mais c’est Lamarck (1744-1829) qui ouvre vraiment la voie du transformisme : « tout être vivant naît à partir d’un être vivant » écrit-il et il pense que les espèces évoluent en fonction des conditions de leur milieu de vie. son ouvrage principal « Philosophie zoologique » sort en 1809, année de la naissance de Darwin !on redécouvre ses idées qui avaient été laminées par la théorie de Darwin. Il eut de l’influence sur la pensée de schopenhauer (1788-1860) qui n’eut pas le temps de lire Darwin.(7) a côté de spencer, philosophe et sociologue anglais, il y avait Lewis Henry Morgan (1818-1881), anthro-pologue américain.(8) La théorie de l’évolution a été appliquée à la genèse de l’univers, à l’histoire de la terre et de la vie, au développement psychologique de l’homme et au développement des sociétés humaines. La théorie de spencer était aussi connue sous le nom de « théorie organiciste » car spencer considérait la société comme un orga-nisme vivant ou une supra organisation, ses recherches visaient à découvrir les lois d’évolution de la société en se basant sur celles des espèces.

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C’est lui qui est l’auteur de la formule « sélection des plus aptes » (survival of the fittest). Mais surtout on a abusivement appelé sa théorie « darwinisme social », je dis « abusive-ment » parce le « darwinisme social » de Spencer est finaliste (la finalité est le progrès) alors que l’évolution darwinienne est un mécanisme aveugle. Et on a aussi abusivement exprimé l’idée selon laquelle ce « darwinisme social » serait issu de la théorie de Darwin, ce qui est faux car les thèses évolutionnistes sur la lutte pour la vie dans les sociétés humaines ont été émises dès le début du XIXe siècle. Ce sont les évolutionnistes, et les libéraux américains, qui ont récupéré la théorie darwinienne pour donner une légitimation scientifique à leurs idées qui les ont parfois conduits, comme on le sait, sur les chemins nauséeux du racisme (9) et de l’eugénisme (10).Cette expression de « darwinisme social » a contribué à brouiller la compréhension de Darwin, en outre elle a hanté les esprits, en particulier aux États-Unis mais aussi dans le monde entier. On voit encore aujourd’hui la réticence de certains Américains à l’idée qu’il faudrait aider les plus pauvres. Quand on dit « les plus pauvres », ils entendent « les moins aptes », donc il serait absurde de les aider à vivre.

Légitimation des inégalités - MarxDonc une des réactions à la théorie de Darwin a été la récupération, la plupart du temps pour légitimer des inégalités, qu’elles soient sociales (compétition entre les hommes, lutte des classes), raciales (la hiérarchie des races) ou économiques (concurrence entre les entreprises, libéralisme économique).

(9) La vision raciste du monde existait dans le fixisme : Linné avait défini 4 races humaines dont la race blanche était supérieure.Paul Pierre Broca, né le 28 juin 1824 à sainte-Foy-la-Grande et mort le 9 juillet 1880 à Paris est un médecin, anatomiste et anthropologue français. Il fonde en 1859 la société d’anthropologie de Paris où il pèse et mesure des cerveaux d’hommes blancs et d’hommes noirs. Il avait lui-même émit l’hypothèse suivant laquelle « la petitesse relative du cerveau de la femme [dépendait] à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle ».arthur de Gobineau (1816-1882) publie en 1853 son Essai sur l’inégalité des races humaines où il distingue 3 grandes races : noire, jaune et blanche. Il y tire des conclusions affligeantes.Dans le débat qui oppose les monogénistes (une seule origine pour tous les êtres humains) et les polygénistes (plusieurs origines), il est du côté des polygénistes et est même considéré comme l’un des fondateurs du « ra-cisme scientifique ». Darwin, après la publication en 1876 de La descendance de l’homme prend nettement une position monogéniste arguant du fait « qu’il est presque impossible de découvrir des caractères distinctifs évidents qui séparent les races des unes des autres ».(10) La définition de l’eugénisme donnée par Francis Galton est la suivante : “science de l’amélioration de la race, qui ne se borne nullement aux questions d’unions judicieuses, mais qui, particulièrement dans le cas de l’homme, s’occupe de toutes les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées un plus grand nombre de chances de prévaloir sur les races les moins bonnes”. Francis Galton s’appuie sur la théorie de l’évolution par sélection naturelle de Darwin, et sur des études sur la « transmission héréditaire du génie ». Il adopte dans un premier temps la théorie de la pangénèse de Darwin, pour la rejeter. Il traduit les conflits sociaux en terme biologiques, expliquant les inégalités sociales par des inégalités biologiques, et les classes sociales sont presque assimilées à des « races » différentes. Francis Galton définit une “élite sociale” - juges, ingénieurs, scientifiques… - qu’il assimile à une « élite biologique », et préconise une amélioration délibérée de la « race humaine » par des mesures favorisant la reproduction de « l’élite biologique » menacée par la « prolifération des pauvres ».L’eugénisme développé en Grande-Bretagne par Francis Galton et des biométriciens, en particulier K. Pear-son, se répand assez rapidement en Europe et en amérique du nord, et des sociétés d’eugénisme regroupant des scientifiques sont créées dans plusieurs pays.

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A l’opposé des courants libéraux, Marx a lui aussi plus ou moins « récupéré » Darwin : « Le livre de Darwin est très important et me sert de base pour la sélection naturelle de la lutte des classes dans l’histoire » écrit-il. Il est indéniable que le transformisme et le mécanisme de sélection décrit par Darwin ont eu une influence notable sur ses idées. Il fait l’analogie entre « la lutte pour la vie » dans la nature et « la lutte des classes » dans la société et dans l’histoire. Ce qui est confirmé par la phrase d’Engels sur la tombe de Marx : « De même que Darwin a découvert la loi de l’évolution de la nature organique, de même Marx a découvert la loi d’évolution de l’histoire humaine. » (1883)

Cette récupération de la pensée darwinienne a en partie masqué sa dimension philoso-phique, en particulier dans le sens où elle repositionne l’homme dans le monde et la vie.

Espèce humaine et évolution : Jacques PériéDès qu’apparaît l’idée d’évolution avec la tendance au progrès de Lamarck par le trans-formisme et « la Philosophie zoologique », le genre humain est écarté de ce processus évolutif et est considéré de manière distincte, sans doute parce que prévaut encore à cette époque l’idée d’avènement de l’homme en tant que création divine. De même Wallace, exclut l’homme de son principe « De la tendance des variétés à s’écarter indéfiniment du type originel ».

Darwin pour sa part aura hésité entre une fidélité à la « Théologie naturelle » de Paley qui a nourri sa culture religieuse et ce à quoi l’amène son travail sur l’évolution ; en premier, il se réfère à cette théologie qui énonce l’existence d’une création révélant l’harmonie et l’ordonnancement de la nature et dans le prolongement de laquelle Darwin dit que dans le processus d’évolution, « L’homme est une exception ». Mais trois lignes plus bas de l’un de ses carnets secrets, il franchit le pas et déclare : « Non l’homme n’est pas une exception ». Et Darwin mesure en cet instant le gouffre qui s’ouvre devant lui ; d’où sa note sur la même page du Carnet : « Cuidado., attention, sois prudent ». Car en effet, à cet instant, pour Darwin, l’homme cesse d’être créé par lui à l’image de Dieu. Il devient lui au contraire une étape dans le processus d’évolution et donc n’en est pas forcément le terme ultime. Darwin écrit dans l’un des carnets de Zoonomia : « Si l’on considère que les espèces peuvent passer l’une dans l’autre, alors le tissu entier se déchire et s’effondre ».La démarche s’affirme encore dans ce livre que Darwin publie 12 ans après l’Origine des espèces, « La Filiation de l’Homme ». Il y écrit ceci : « L’étroite ressemblance de l’em-bryon de l’homme avec celui par exemple d’un chien, la construction de son crâne, de ses membres et de son ossature suivant le même plan que celui des autres mammifères, indépendamment des usages auxquels ils peuvent être affectés, la réapparition occasion-nelle de structures diverses, par exemple de muscles que l’homme ne possède pas norma-lement, mais qui sont communs aux quadrumanes – et une foule de faits analogues - tout cela conduit de la manière la plus évidente à la conclusion que l’homme est, avec d’autres mammifères, le co-descendant d’un ancêtre commun ».

Bien entendu, une telle formulation cesse de faire une part spécifique à l’homme, non plus créé à l’image de son Créateur, mais celui-ci devient partie prenante d’un continuum, d’un processus évolutif englobant toutes les espèces.

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Réalisons aussi cette autre conséquence : il n’y a pas de raison que ce processus évolutif s’interrompe et donc l’homme n’a pas à s’en considérer comme le terme ultime. Encore un changement significatif de paradigme !

L’après Darwin

Comment toutes ces idées révolutionnaires ont-elles été reçues dans l’Angleterre victo-rienne de la deuxième moitié du XIXe siècle ?

La parution de l’Origine des Espèces que Darwin aurait souhaité discrète soulève un scandale sans précédent. En fait Darwin devient célèbre en une nuit puisque la première édition, tirée à 1 250 exemplaires, est épuisée dès le lendemain. Le livre suscite l’indigna-tion autant vis-à-vis des croyants que des tenants de l’anthropomorphisme. De violentes polémiques se déchaînent. On cite par exemple cette apostrophe de l’Évêque d’Oxford à l’un des défenseurs de Darwin, Thomas Huxley : « Est-ce par votre mère ou par votre père que vous descendez du singe ». Mais l’interpellé ne s’en laisse pas imposer et souligne publiquement la stupidité de la question.En fait le scandale est double : l’idée même d’évolution, que Darwin établit avec encore plus de force que ne l’avait fait Lamarck avant lui, alors que le fixisme de Cuvier continue de prévaloir ; et le fait de placer l’homme dans ce processus évolutif et non plus à une place spécifique.

Darwin pour sa part continue de travailler chez lui et reste en dehors de la dispute. On sait en outre qu’il est décrit comme un personnage humble qui n’a aucun désir d’être mis en avant.

Citons à titre d’exemple de cette humilité qui contribue à faire de lui un personnage atta-chant, cette réflexion lors de la première parution de son travail, conjointement avec celui de Wallace, où il affirmait : « C’est lui qui a trouvé ! », ce à quoi Wallace répond tout aussi humblement, « Non c’est lui ». En fait les spécialistes diront que la vision de Darwin aura été beaucoup plus approfondie et beaucoup plus générale que celle de Wallace. Ou encore cet autre trait de sa modestie relevé dans son Autobiographie : « Étant donné la médio-crité de mes capacités, il est vraiment surprenant que j’aie autant influencé l’opinion des hommes de science ».Mais on connaît aussi l’exploitation qui sera faite des idées de Darwin, et déjà par son propre parent Francis Galton, fondateur de l’eugénisme, c’est-à-dire du « bien engen-dré ». Selon cette doctrine, l’homme doit contribuer à la sélection en s’assurant que la descendance est préservée au mieux ; et pour cela, il doit éradiquer toute source de dé-générescence, infirmes moteurs, mentaux, vagabonds mais aussi orphelins car enfants ayant vécu dans des conditions difficiles et donc eux aussi handicapés ; tous ces individus doivent être stérilisés. Il est même créé en Angleterre une Société d’Éducation à l’eugé-nisme dont un des Directeurs sera, un comble, l‘un des fils de Darwin, Léonard ! Et ainsi seront organisées entre les années 1920-1930 des dizaines de milliers de stérilisations, non pas en Angleterre car un des parents de Darwin pourra s’opposer aux votes des lois correspondantes par le Parlement mais aux États-Unis et ceci jusqu’en 1972, également en Allemagne, mais aussi Norvège, Suède et Canada. Le racisme anti-noir trouve des

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justifications dans cette même dérive eugéniste comme celle de ce biologiste allemand Carl Vogt qui avait déclaré dès 1864 « Le nègre adulte, en ce qui concerne ses capacités intellectuelles ressemble à l’enfant, à la femme et au blanc sénile » ; en France, le neuro-biologiste Broca fait des déclarations similaires.

Mais plus gravement, cette perversion de « darwinisme social » donne lieu en Allemagne à des travaux en particulier ceux du grand biologiste Haeckel qui diffuse « L’origine des espèces » mais aussi en développe des interprétations sociales et raciales. Un peu plus tard, Ratzel toujours en Allemagne, publie en 1897 un traité de Géographie politique dans lequel il évoque « les peuples sans terre à habitat éparpillé », « peuples de chasseurs retardés de l’intérieur de l’Afrique mais aussi Juifs et Tsiganes ». Dans le droit fil de telles déclarations, naîtront les exterminations du XXe siècle et ceci, dès 1904 avec l’ex-termination par l’armée allemande de peuplades en Namibie ; puis bien entendu celles de l’époque hitlérienne au nom de la pureté de la race… Et tout ceci dans un prolongement totalement perverti du darwinisme, qui de ce fait en sera gravement déconsidéré.

Pourtant, Darwin lui-même, ne disait-il pas « Chez les sauvages, les faiblesses du corps ou de l’esprit sont rapidement éliminées par la sélection naturelle ; et les individus qui survivent ont en général un très bon état de santé ; mais nous, hommes civilisés, faisons en revanche tout notre possible pour freiner ce processus d’élimination. Nous construisons des asiles pour les faibles d’esprit, nous instituons des lois pour les pauvres et nos méde-cins exercent leurs plus grands talents pour préserver la vie de chacun jusqu’au dernier moment ». Ou encore « l’aide que nous nous sentons obligés d’apporter aux personnes les plus faibles est essentiellement une conséquence indirecte de l’instinct de sympathie qui a émergé originellement parmi les instincts sociaux, et s’est ensuite affiné et étendu ».

Les aspects plus philosophiques

Chez Darwin, tout d’abord ; bien sûr, difficile à résumer ! Ce que l’on peut en dire est d’évoquer ce parcours qu’il aura effectué d’un point de vue personnel dans sa vision du monde : de la « Philosophie naturelle » de Paley à laquelle il adhère et qui lui convient bien ; et dans les débuts de son voyage, il vit pleinement de cet ordonnancement de la nature voulue par son Créateur et souhaite contribuer à mieux le comprendre. Puis c’est la béance qui s’ouvre devant lui au fur et à mesure qu’il mesure l’ampleur du phéno-mène évolutif dans lequel s’intègre l’humain. « Si l’on considère que les espèces peuvent passer l’une dans l’autre, alors le tissu entier se déchire et s’effondre » dit Darwin. Et il deviendra à la fin de sa vie totalement agnostique, l’idée d’un Créateur lui paraissant de plus en plus incertaine, comme il le dit dans son Autobiographie : « Le mystère du début de toutes choses est insoluble pour nous ; et en ce qui me concerne, je dois me contenter de demeurer agnostique » ; ou de manière plus décisive, il déclare : « Je ne peux pas voir, aussi banalement que d’autres le font, une évidence de dessein et de bienveillance autour de nous. Il me semble qu’il y a trop de misère dans le monde ».

Pour ses contemporains et ceux qui viendront, l’idée selon laquelle le seul moteur de la vie est le hasard ainsi que celle d’une continuité entre les espèces seront difficilement recevables. Et le débat perdure. En effet c’est avec Darwin que pour la première fois les

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penseurs disposent d’une théorie qui leur permet d’appréhender le vivant sans l’interven-tion d’un Créateur ; et que l’on peut réfléchir à la lignée humaine en termes cognitifs. Le darwinisme suggère aussi qu’il n’y a pas de finalité dans l’évolution des espèces, pas de but à atteindre ; même si ultérieurement la génétique montrera qu’il y a une finalité de fait, se limitant à celle qu’a le gène de se perpétuer.

Et c’est bien là qu’est cet autre grand « scandale » : introduire le hasard comme moteur de l’évolution, renoncer au plan divin de création et de perfectionnement de la nature.

La nature de l’homme change : non plus créé par Dieu à son image, mais il devient « de basse origine » : « nous devons cependant reconnaître que l’homme, avec toutes ses nobles qualités, avec la sympathie qu’il éprouve vis-à-vis des plus déchus, avec la bien-veillance qu’il étend non seulement aux autres hommes mais à la plus humble des créa-tures vivantes, avec sa divine intelligence qui a pénétré les mouvements et la constitution du système solaire, avec toutes ces capacités sublimes, l’homme porte toujours dans sa construction corporelle l’empreinte de sa basse origine ». (in « La filiation de l’homme »).

Bien entendu, ce point de vue ne pourra être accepté de tous. Comment la tradition catho-lique par exemple pourrait-elle le faire sien ? Si Jean-Paul II déclare que l’« Évolution est plus qu’une théorie », il n’en reste pas moins qu’il revendique un statut spécifique pour l’humain dans ce processus évolutif, « un saut ontologique ». Lors d’une récente table ronde organisée au Muséum de Toulouse, un religieux ne disait-il pas : « Mettre l’homme dans l’arbre de l’évolution c’est lui retirer sa dimension spirituelle et morale », sans qu’il puisse être envisagé un instant par ce même religieux que la dimension spirituelle puisse aussi relever de l’évolution et de la culture qu’elle a induite.

Des scientifiques évolutionnistes ont proposé d’autres réponses à ces questions : Stephen Jay Gould par exemple qui parle des « deux rocs », celui de la connaissance et celui de la croyance, chacun ayant son domaine propre ; ou Jean-Claude Ameisen qui considère que la science a eu historiquement raison de cesser de s’occuper de finalité et d’intentionnalité et que cela lui a permis d’opérer de grands progrès ; mais qu’en contrepartie, elle n’a pas pour fonction de proposer des perspectives métaphysiques.

Mais peut-on ainsi en rester à cette dichotomie et dissocier ainsi les deux ordres, celui de la rationalité et celui de la métaphysique ?

Le parcours philosophique de Darwin lui-même amène à poser la question de savoir s’il s’agit bien de deux ordres distincts ou bien d’insuffisance du savoir humain. Mais sera-t-il possible de répondre un jour à la question de savoir, non plus quels sont les processus en jeu dans l’évolution, question désormais résolue, mais quel en est le moteur. Ou dit autrement, quelle est l’origine des forces mises en œuvre dans le développement du vi-vant ? Quelle est cette force motrice à l’œuvre lorsqu’une cellule fécondée se divise ou qu’un embryon se développe ? Pourquoi évolution par adaptation et non pas extinction ? Les réponses s’il y en a, relèvent bien d’un choix philosophique que nous faisons les uns et les autres, retenant les arguments qui nous paraissent les mieux adaptés à ce à quoi au fond nous adhérons, peut-être par une démarche première issue de notre réflexion ou tout autant d’un processus d’imprégnation, au sens des neurosciences.

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L’influence sur la philosophie : Jean-Pierre Rouzière

Bien évidemment, à cause de toutes les questions qu’elle soulève, la théorie de l’évolu-tion a eu une influence déterminante sur la philosophie, tout particulièrement aux États-Unis et en Grande Bretagne.

Le courant pragmatiste (William James, Charles Peirce) est parfois qualifié de philoso-phie post-darwinienne. Un de ses représentants, John Dewey (1859-1952) a écrit un essai qui s’intitule clairement « the influence of Darwin on philosophy » (11).Il faut savoir que l’homme Darwin lui-même a été troublé par ses propres idées qui, il faut le reconnaître, ont bouleversé des conceptions philosophiques vieilles de plus de 2000 ans ! En particulier le fait de ne plus envisager de causes premières ni de causes finales, de ne plus avoir recours à un créateur ni à un plan directeur.

La question n’est plus « Pourquoi le monde ? », la question devient « Dans quel monde vivons-nous ? »

Avec son arrière plan ontologique la théorie darwinienne a contribué au développement d’une « philosophie scientifique » et en particulier d’une « philosophie biologique » : la connaissance des phénomènes liés au vivant s’inscrit suffisamment dans les problèmes d’essence et d’origine pour qu’une philosophie puisse se constituer en dehors de toute question métaphysique, c’est-à-dire en se fondant sur cette seule connaissance. Il s’agit en effet de la nature du vivant, du concept d’espèce, de l’idée téléologique, etc.Il y a un courant contemporain de la « philosophie biologique ». On peut citer, en France, Jean Gayon (12) professeur de philosophie à la Sorbonne et, aux États-Unis, Daniel De-nett (13), aussi professeur de philosophie.

Mais je n’ai ni le temps ni la connaissance ni la compétence qui me permettraient de vous entraîner dans un débat philosophique sans doute très érudit et très complexe, aussi vais-je me contenter de poser deux questions simples, espérant qu’en explorant des pistes de réponses je saurai mettre en évidence les problématiques qui sont en jeu. Ces deux questions simples sont les suivantes :1. Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qui différencie un être vivant de la matière inanimée ?2. Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qui différencie un être humain d’un animal ?Pour la première question j’interroge les « philosophes de la vie », et pour la seconde je m’appuie sur un texte de Jean Paul II.

(11) John Dewey (1859-1952) écrit : « Il est hors de doute que, dans la pensée contemporaine, le plus grand dissolvant de vieilles questions, le plus grand précipitant de nouvelles méthodes, de nouvelles intentions et de nouveaux problèmes est celui que produisit la révolution scientifique qui atteignit son apogée avec L’origine des espèces ».ce qui contraste avec la position de Ludwig Wittgenstein (1899-1951) : « La théorie darwinienne n’a pas plus de rapport avec la philosophie que n’importe quelle autre hypothèse des sciences de la nature » (tractatus logico-philisophicus).(12) Publication de Jean Gayon (avec P. corsi, G. Gohau & s. tirard) : Lamarck, philosophe de la nature (Paris : Presses universitaires de France, 2006).(13) Publication de Daniel Denett: neuroscience and Philosophy: Brain, Mind, and Language, 2007 (en collaboration avec Maxwell Bennett, Peter Hacker et John searle).

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Qu’est-ce que la vie ? - Les « philosophes de la vie »

S’il y a de la réticence à accepter le hasard de la vie, il y en a aussi à penser que la vie n’est finalement que de la matière complexifiée. Nous avons tous plus ou moins le sentiment profond que la vie a quelque chose de plus que la matière inanimée.

Ce sentiment est bien illustré par ceux qu’on réunit parfois sous la dénomination de « philosophes de la vie » : Schopenhauer (1788-1860), Bergson (1859-1941) et Nietzsche (1844-1900).

Certes Schopenhauer n’a pas pu connaître les idées de Darwin puisqu’il est mort en 1860, mais on l’associe à Bergson et Nietzsche - qui eux se sont opposés à Darwin - parce que comme eux, il défend l’idée que la nature est une puissance créatrice, une volonté essen-tielle, qui se traduit : chez Schopenhauer par un vouloir-vivre au fondement biologique qui engage les êtres vivants dans une lutte permanente pour la vie et qui n’est guidée par aucune dessein transcendant (14) ; chez Bergson (15) par un élan vital ; chez Nietzsche (16) par une volonté de puissance.Ce ne sont pas des finalistes, ils ne mettent pas en cause l’évolution. C’est le mécanisme que propose Darwin qui ne leur convient pas. Ils disent qu’on ne peut pas réduire l’évo-lution du vivant à un simple processus mécanique d’adaptation.« La vie est un processus créateur permanent porté par l’élan vital qui se déploie sous des formes toujours nouvelles » écrit Bergson. c’est ce qu’écrit aussi nietzsche : « L’in-fluence des circonstances extérieures a été follement exagérée par Darwin. L’essentiel du processus vital est justement cette force immense de formation qui crée des formes « du dedans », qui utilise, exploite les circonstances extérieures. »Donc pour Bergson « La vie est un processus créateur » porté par l’élan vital, et pour Nietzsche le processus vital est une « force immense de formation qui crée des formes du dedans » Comme si la vie possédait une énergie intrinsèque qui lui permettrait de se déployer dans une diversité de formes. Pour eux, il ne peut pas y avoir de vie sans cette poussée interne.Darwin lui-même laisse entendre que la vie est à l’origine une énergie, puisqu’il pense que « tous les êtres organisés qui ont vécu sur la terre descendent probablement d’une même forme primordiale dans laquelle la vie a été insufflée » (OE p 557) Mais par qui ? Comment ?Y a-t-il une réponse définitive à la question de la nature de la vie ?

Qu’est-ce que l’homme ?Il n’y a sûrement pas non plus de réponse définitive à l’autre question : « Qu’est-ce que l’homme ? ». Que j’aurais peut-être dû formuler : « Que devient l’homme après Darwin ? »

(14)…et qui est source de souffrance : schopenhauer (1788-1860) : Die Welt als Wille und Vorstellung(Le monde comme volonté et comme représentation, 1819 - 1844 - 1859). on fait donc de schopenhauer un précurseur de Darwin alors qu’il serait plutôt un partisan de Lamarck dont la théorie l’a influencé.(15) Bergson (1859-1941) L’évolution créatrice (1907)(16) nietzsche (1844-1900) Der Wille zur Macht établi et publié par sa sœur après sa mort

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Pour situer cette problématique, j’ai choisi de vous lire des extraits de la lettre du 22 oc-tobre 1996 que Jean-Paul II a adressée aux membres de l’Académie Pontificale des sciences :« aujourd’hui, près d’un demi-siècle après la parution de l’Encyclique Humani generis (Pie XII, 1950), de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse… Le Magistère de l’église est directement intéressé par la question de l’évolution car celle-ci touche la conception de l’homme, dont la ré-vélation nous apprend qu’il a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 28-29)…il est « la seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même (n.24)…En d’autres termes, l’individu humain ne saurait être subordonné comme un pur moyen ou un pur instrument ni à l’espèce ni à la société ; il a valeur pour lui-même. Il est une per-sonne… En conséquence les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme émergent de la matière vivante ou comme simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme. Elles sont d’ailleurs incapables de fonder la dignité de la personne. avec l’homme, nous nous trou-vons donc devant une différence d’ordre ontologique, devant un saut ontologique… Les sciences de l’observation décrivent et mesurent avec toujours plus de précisions les mul-tiples manifestations de la vie et les inscrivent sur la ligne du temps… Le moment du passage au spirituel n’est pas objet d’une observation de ce type… ». (17)

Ce texte soulève deux questions difficiles : le fondement de la dignité humaine et la na-ture de l’être de l’homme. Pour l’Église, elles sortent de la compétence de la science puisqu’elles trouvent leurs réponses dans le fait que l’homme « a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ».

Nous allons revisiter ces deux questions en nous penchant sur cette idée - inconcevable pour le pape - que l’esprit puisse être une émergence de la matière.Il est vrai que la théorie de Darwin pousse au monisme matérialiste. A savoir : il n’y a pas, dans la nature, d’autre substance que la matière. La nature des êtres vivants n’est que biologique donc celle de l’homme aussi puisque, comme les autres vivants, il est un produit de l’évolution. L’homme n’est pas une créature spéciale « que Dieu a voulue pour elle-même », il n’y a donc pas de saut ontologique lorsqu’on passe de l’animal à l’homme car l’esprit de l’homme est aussi le résultat de la sélection naturelle.

Déjà en 1838 Darwin écrivait dans ses Carnets : « L’homme dans son arrogance se croit une grande œuvre digne de l’intervention d’un dieu. Il est plus humble et je pense plus vrai de le considérer comme créé à partir d’autres animaux ». (Lamarck : « tout être vivant naît à partir d’un être vivant »). L’homme est un animal comme les autres en quelque sorte.

Cette idée de « l’indestructibilité de notre nature animale », pour reprendre l’expression de Freud, a effrayé bon nombre de penseurs de l’époque. Je vous livre, à titre d’exemple,

(17) suite immédiate du texte : « Mais l’expérience du savoir métaphysique, de la conscience de soi et de sa réflexivité, celle de la conscience morale, celle de la liberté, ou encore l’expérience esthétique et religieuse, sont du ressort de l’analyse et de la réflexion philosophiques, alors que la théologie en dégage le sens ultime selon les desseins du créateur… ». ce qui confirme que la théologie détient toujours « le sens ultime ».

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cette réaction spontanée de Dostoïevski qui, effaré après la lecture de Darwin qui lui fait découvrir son fondement biologique, écrit à un ami : « …et qu’en définitive c’est à cela, finalement, que se ramène tout ce qu’on nomme vertu, devoir et autres chimères et préju-gés, ça aussi il faut l’avaler, ça il n’y a rien à faire, hein, parce que deux fois deux c’est mathématique… » Comme un cri d’impuissance devant notre part d’animalité avec sans doute la crainte qu’elle emprisonne notre esprit. Ce qui est en partie vrai !

Il faut bien comprendre que c’est une véritable rupture avec le dualisme matière/esprit prôné par la chrétienté et par la pensée religieuse en général, et qui reste une référence forte dans les représentations du monde et de la vie.

Pourtant, même si c’est difficile à avaler, c’est bien le mécanisme de l’évolution qui a sélectionné nos sentiments, nos instincts sociaux et asociaux, nos capacités cognitives : « quant aux instincts, quelque merveilleux que soient plusieurs d’entre eux, la théorie de la sélection naturelle de modifications successives, légères (18) mais avantageuses les explique aussi facilement qu’elle explique la conformation corporelle » écrit Darwin.

Et aujourd’hui Konrad Lorenz précise : « nos formes de perception et nos catégories déterminées conviennent au monde extérieur exactement pour les mêmes raisons que le sabot du cheval convient au sol de la steppe et la nageoire d’un poisson à l’eau ».

Pour résumer, on pourrait dire que l’homme darwinien est « un corps intelligent qui est le fruit du hasard », c’est-à-dire qui aurait pu ne pas advenir ! Que cela signifie-t-il ? Écou-tons ce qu’en pensait, en 1970, Jacques Monod dans son livre Le hasard et la nécessité : « L’ancienne alliance est rompue : l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard. non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part, à lui de choisir entre le royaume et les ténèbres ». Déclaration qui peut être ressentie comme terrifiante.

Personnellement, j’affirme que l’« homme darwinien » a les moyens de faire les bons choix car la nature a sélectionné pour lui des capacités qui lui permettent de créer un autre monde, un monde « métabiologique », un monde de nécessité, un monde de valeurs pour guider sa conscience.

C’est ce que dit Edgar Morin : le trait essentiel du « mutant humain » est le développe-ment extrême de la conscience réfléchie qui est à la création d’un autre milieu au sein duquel vont se développer « d’autres forces que biologiques ».

C’est par la création de cet autre milieu, par l’appartenance à ce nouveau monde qu’il a produit lui-même, ce « monde métabiologique » comme je le nomme, que l’homme devient un « humain », c’est-à-dire un être vivant soumis à « d’autres forces que biolo-giques », autres forces qui sont les valeurs de la vie (19).

(18) ces « modifications successives et légères » sont conformes au gradualisme de Darwin : la nature ne fait pas de saut (natura non fecit saltus). La « théorie synthétique de l’évolution » unifie le gradualisme darwinien et les « sauts évolutifs »(19) Pour Jean-Pierre changeux les hommes jugent des choses selon la disposition de leur cerveau et ils agissent selon leur propre système de valeurs.

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Comme son fondement est biologique, sans sa matière biologique l’homme ne pourrait pas penser, il ne pourrait donc pas produire ce monde métabiologique, il ne pourrait donc pas produire sa propre humanité.

Parce que son esprit se déploie dans la relation de son corps vivant avec l’environnement, l’homme est une imbrication d’animalité et d’humanité, il reçoit à la fois une hérédité génétique et un héritage socioculturel.

La dualité de référence n’est plus celle de la matière et de l’esprit, elle est la dualité na-ture/culture qui gouverne l’unité de notre double nature animalité/humanité (20). Dualité nature/culture que nous devrions aujourd’hui requalifier en nature/technoculture telle-ment nous sommes guidés par le désir irrépressible de nous adapter essentiellement à la civilisation technologique. Ce désir devient si déterminant qu’il risque de nous faire ou-blier notre lien phylogénétique, c’est-à-dire notre interdépendance avec les autres vivants au sein du continuum de la vie, et à terme de mettre en péril notre fondement biologique donc en même temps notre dimension d’humanité.

Pour faire le bon choix, pour notre destin et notre devoir, il nous faut prendre conscience de notre fondement biologique et ainsi prendre en compte l’histoire de notre corps biolo-gique en l’inscrivant dans l’histoire du vivant.Mais peut-on dire qu’aujourd’hui la théorie de l’évolution a pénétré les consciences ?

Darwin aujourd’hui par Jacques Périé

Il est courant de dire que le darwinisme correspond à l’apport d’un visionnaire et que les domaines d’application sont et continuent de se révéler nombreux.

Darwin a en effet « découvert une loi naturelle qui peut rendre compte à elle seule de l’extraordinaire richesse de la diversité du vivant. Cette loi prédit l’existence d’une gé-néalogie commune de tous les êtres vivants à partir d’un seul ou de quelques ancêtres communs et y inscrit l’humain comme l’une des émergences aveugles et tardives de la na-ture. Il a inséré dans cette généalogie des espèces une généalogie du propre de l’homme, de l’émergence des émotions humaines et de notre sens moral. Il a radicalement changé la manière dont on se représentait l’histoire de la vie et notre place dans la nature », ainsi que le note J-C.. Ameisen dans l’ouvrage déjà cité.Et les domaines dans lesquels cette loi d’évolution par variation-sélection continue de s’affirmer et d’exprimer sa puissance heuristique sont nombreux.

Citons-en quelques exemples :- la défense immunitaire : en réponse aux antigènes auxquels un être vivant est soumis, il produit des multitudes d’anticorps parmi lesquels seront sélectionnés ceux nécessaires à son système de défense ;

(20) un des problèmes est que l’animal biologique et l’humain culturel ne sont pas au même tempo. nos com-portements, les organisations politiques, la technologie, la connaissance en général évoluent à des rythmes très rapides, trop rapides pour nos instincts et nos aptitudes cognitives qui sont le résultat d’une très longue évolution et ont été sélectionnés pour un environnement qui n’est plus le même et qui change maintenant très vite, trop vite sans doute.

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- les multiples adaptations des systèmes vivants. Citons ce bel exemple : bon nombre d’entre nous ont vu ce film « La marche de l’empereur », l’histoire de ces manchots qui adaptent leur existence à des conditions climatiques extrêmes. L’un de ces mécanismes adaptatifs est le suivant : lorsque le mâle revient de la mer pour assurer les dernières se-maines d’incubation de l’œuf, il transporte dans son estomac de la nourriture non digérée qu’il fournira par régurgitation au poussin en attendant le retour de la mère, partie se ravitailler à son tour. Comment le mâle parvient-il à transporter pendant plusieurs jours de la nourriture à 37° sans la digérer ? Il le fait grâce à une protéine antibiotique et anti-fongique que l’évolution a retenue et qui se révèle très efficace contre les bactéries et les champignons peuplant son estomac ;

- en neurobiologie, Edelman obtint en 1972 le prix Nobel pour son travail sur la théorie de la sélection des groupes neuronaux : l’organisation des réseaux de neurones, la construc-tion des facultés cognitives suit un processus darwinien. Le code génétique conduit à l’implantation dans le cerveau d’un répertoire primaire héréditaire ; puis les câblages neu-ronaux se trouvent ensuite sélectionnés par l’expérience et la nécessité de survivre dans l’environnement. Un répertoire secondaire efficace, obéissant à un darwinisme neuronal se met alors en place, en ce sens que seules sont conservées les connexions neuronales productrices.

- en biologie moléculaire où J.-J. Kupiec montre que l’organisme est le résultat aléatoire d’un processus sans finalité, résultat de ce qu’il nomme un darwinisme cellulaire ;

- en robotique, où la recherche en intelligence artificielle créée une branche dite évolu-tionniste, visant à s’inspirer du vivant pour faire émerger des machines mieux à même de s’adapter dans un environnement non standardisé ;

- l’analyse de la création artistique d‘un point de vue évolutionniste ; un colloque organisé à Marseille fin Octobre explorait le domaine avec ce titre « Les arts, dans le cadre actuel de la théorie darwinienne de l‘évolution » et des contributions de J.-P. Changeux sur « La beauté dans le cerveau, pour une néo-esthétique » ou encore celle du mathématicien J. P. Allouche « Les arts diffèrent-ils des mathématiques dans leur évolution darwinienne ». Les exemples pourraient sans peine être multipliés.

Revenons à Darwin et laissons-lui le soin de conclure : « Mes livres se sont très bien ven-dus et ont été traduits dans de nombreuses langues. a en juger par ce critère, mon nom devrait continuer à être connu pendant encore quelques années ». En effet, Monsieur Darwin et bien au-delà.

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DébatAnimateur GREP - Je voudrais vous encourager à lire, dans cet ouvrage (page X), la transcription de la conférence donnée à Toulouse par Vincent Fleury « De l’œuf à l’éter-nité : le sens de l’évolution », qui donne un éclairage biophysique à la morphogénèse, et permet de répondre à certaines critiques du darwinisme évoquées par nos conférenciersUn participant - On vient de perdre un de nos plus grands scientifiques, Claude Lévi-Strauss, qui, interviewé pour ses 90 ans, se disait totalement atterré par l’évolution de nos civilisations, et rappelait que la vie dépendait de la biodiversité, menacée et en partie détruite par l’homme civilisé. Pour revenir à Darwin, (et peut-être à Nietzsche avec le besoin de ressembler à Dieu mais pour détruire), avec la standardisation généralisée que l’on nous impose (même la pensée est standardisée), quelle place restera-t-il pour le « pe-tit accident dans la reproduction » qui permet à l’évolution d’agir.

Jean-Pierre Rouzière - Il faut avoir à l’esprit la différence de tempo considérable entre la nature animale et la nature humaine de l’Homme. De nombreux penseurs post-darwiniens, dans de nombreux domaines (biologique, sociologique, médecine évolutionniste…) font remarquer que la nature a sélectionné l’espèce humaine dans un environnement qui n’est plus le même aujourd’hui. C’est que le tempo de la technoculture est beaucoup plus ra-pide que le tempo de la biologie. Il y a même des gens comme les transhumanistes (ou les post-humanistes) qui pensent que l’homme peut, grâce à la science, décider de sa propre évolution, de la même façon que les éleveurs ont sélectionné des races animales, ou que les horticulteurs ont sélectionné des plantes. On pourrait même (quand on en saura plus) agir sur le génome pour déclencher des mutations souhaitées, et les préserver. Cela pose d’énormes problèmes éthiques, surtout au niveau des critères de choix, il faudra trouver des consensus concernant les valeurs sur lesquelles s’appuyer. Mais il y aura certainement encore de l’évolution pour l’espèce humaine.

Jacques Périé - Selon l’échelle de temps à laquelle on se situe : à l’horizon du siècle, l’homme est capable de tout détruire, il en a la capacité technique. Il a déjà aussi tous les outils pour programmer des évolutions biologiques, de sélectionner des caractères souhaités (couleur des yeux ou des cheveux). On peut même déjà procéder au clonage, (même si c’est encore difficile au niveau humain), et seuls les comités d’éthique peuvent s’opposer à une prolifération anarchique de ces expériences : espérons qu’ils continuent à garder leur pouvoir. Si la conquête de la nouveauté est le seul critère, et qu’on oublie les règles éthiques, cela peut conduire à des dérapages dangereux, et il faut établir une gouvernance mondiale de ces travaux. J’ai parlé du clonage, mais on a aujourd’hui des expériences sur le cerveau (où l’insertion d’électrodes permet de stimuler les capacités de la mémoire, par exemple) : le « transhumanisme » pourrait nous emmener très loin, et il faut y être très attentif, et savoir imposer des valeurs communes à toute l’humanité.Mais si on se situe sur une échelle de temps très longue, on peut penser qu’il en ira des humains comme des autres espèces : les dinosaures ont disparu, après avoir dominé le

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monde pendant une centaine de millions d’années, l’espèce humaine n‘a pas duré un mil-lion d’années, et il reste encore 4 à 5 milliards d’années avant l’extinction du soleil, cela laisse du temps pour l’apparition de nouvelles espèces. Théodore Monod (le marcheur à pied du désert) pense que l’homme sera remplacé par des coléoptères. Dans la vision très finaliste qui dominait avant Darwin, l’homme était considéré comme la forme la plus achevée qui se puisse concevoir. Mais l’évolution continue sa marche, et notre espèce devra laisser sa place aussi : il y a déjà eu cinq grandes extinctions d’espèces, et nous vivons aujourd’hui la sixième sous l’effet des dégâts causés par l‘homme et qui entraînera peut-être notre propre extinction.

Jean-Pierre Rouzière - Il faut savoir que, déjà, aux États-Unis, on peut choisir sur cata-logue (comme les Hollandais choisissent les tulipes) les caractères de son enfant : grâce aux mères porteuses, on peut féconder les ovules d’une dame aux yeux bleus avec le sperme d’un monsieur qui a de gros muscles ! L’élevage humain a donc bien déjà com-mencé là-bas ! Il y a même eu une banque de sperme de Prix Nobel !

Un participant - Évolutionnisme ou créationnisme, quels sont les enjeux politiques ? C’est la publication de « L’Origine des Espèces » qui a entraîné la création du mouve-ment créationniste, qui est très important aujourd’hui aux USA : ils ont noyauté la Chris-tian Coalition, et sont très présents au sein du Parti Républicain, comme les dernières élections l’ont bien montré. Le créationnisme devient donc bien un enjeu politique, et le « dessein intelligent » n’a-t-il pas pour but d’asservir les hommes ? Bien des scienti-fiques, comme Patrick Tort, s’inquiètent de l’entrisme des créationnistes dans le domaine scientifique, même si d’autres, comme Guy Berthod (?), n’ont pas hésité à « démontrer » que le déluge avait bien eu lieu ! Et en 1999, de grands procès ont opposé l’Église aus-tralienne aux grands noms de la géologie. Alors, quel est le danger de cette expansion du créationnisme pour la paix du monde ? Et, dans le même registre, l’enseignement du fait religieux, obligatoire dans nos écoles laïques, ne va-t-il pas obliger les enfants à faire un choix entre science et raison d’une part, et dogme et religion d’autre part ?

Jacques Périé - Ces questions sont complexes.Sur le créationnisme, c’est vrai qu’il y a des menaces tangibles. On a eu le cas de ce Turc qui a fait distribuer dans les établissements scolaires français un ouvrage (fort beau, bien illustré) qui présente des thèses créationnistes issues du Coran présenté comme seule source de connaissance. Et on a entendu parler de ces classes de SVT (Sciences de la vie et de la terre) où des élèves ont refusé de participer à un travail car l’enseignant ne parle que des théories évolutionnistes. Ou ils disent explicitement qu’ils ne croient pas à ce que l’enseignant leur apprend. Il y a donc derrière le créationnisme un retour des fondamen-talismes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens (et l’ex-Président Bush en faisait partie et en a favorisé la propagation des idées !)Alors, comment réagir ? Je l’espère, par le maximum de diffusion scientifique : plus les gens seront formés et informés, mieux ils arriveront à faire la part des choses entre le bon sens et la folie

Jean-Pierre Rouzière - J’ai parlé tout à l’heure du fossé qui se creuse entre la connais-sance et la croyance. Et si l’on formate des enfants avec des manuels comme « L’Atlas

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de la création », c’est terrible, il sera très difficile de reconstruire derrière. Il faut savoir que le créationnisme est très lié au darwinisme social, à l’eugénisme et au racisme. Les créationnistes sont aussi eugénistes et racistes (et libéraux et Républicains aux USA) et il y a bien là un projet politique. Concernant le créationniste musulman Aroun Yaya, il y a peut-être là, en arrière-plan, une sorte de combat entre Orient et Occident.Mais je pense qu’il faut enseigner le fait religieux dans nos écoles pour éviter que cet écart se creuse, mais l’enseigner en perspective avec la connaissance scientifique. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra voir quels sont les vrais enjeux, et préciser ce que l’on peut croire ou ne pas croire en fonction de l’état de la connaissance. Le fait de séparer la connaissance et la croyance me parait une erreur grave, car on va créer des intégristes de chaque côté, des scientistes et des fanatiques religieux

Jacques Périé - Je pense au contraire qu’il faut bien séparer, dans l’enseignement, ce qui relève de la connaissance et ce qui relève de la foi !

Jean-Pierre Rouzière - Non, on refoule aujourd’hui la croyance dans la conscience des individus. Cette croyance peut alors devenir déterminante au détriment de la liberté de penser. Il faut que la croyance et la connaissance fassent toutes les deux parties de l’édu-cation et placées en perspective l’une de l’autre.

Un participant - Peut-être voulez-vous dire que c’est l’ignorance qui est dangereuse ? Les foules intégristes sont des foules ignorantes, qui n’ont de leur religion qu’une connais-sance très superficielle, et qu’il est donc facile de fanatiser. Les kamikazes musulmans, comme les foules chrétiennes qui partaient en croisade, ne connaissent pas grand-chose de leur religion. Et on observe que les gens les plus érudits dans leur religion sont souvent les plus ouverts au dialogue avec les autres religions, ou avec les incroyants. Dans cet es-prit-là, on peut sans doute dire que l’enseignement religieux doit être favorisé, mais il faut que l’on accepte d’y intégrer le fait qu’il y a une relativité des religions, qu’elles sont plus complexes et subtiles qu’on ne le pense souvent, que l’existence de religions différentes et opposées doit amener à y réfléchir. Mais c’est vrai que, si on refuse de parler du fait reli-gieux, il risque de ressortir d’une manière intégriste parce qu’il sera le fruit de l’ignorance.

Un participant - Dans les années 90, François Guillebaud avait écrit plusieurs ouvrages, dont « Le goût des autres » où il remettait en cause le brevetage du vivant, qui, bien que contraire à l’éthique, est très bien accepté par le marché, qui en est même conforté (ce qui n’a pas l’air de contrarier les créationnistes). Et Fukuyama avait parlé de « La fin de l’histoire », ce qui me paraît tout à fait anti-darwinien ! Je vois là un projet pour contre-carrer la recherche du vrai progrès qui permettrait à l’humanité de vivre en harmonie. Et cette nouvelle pensée sera un outil de domination : par exemple, dans le domaine des besoins médicaux, beaucoup de produits utiles ont été écartés parce que ça ne correspon-dait pas aux besoins du marché. Mais je pense que la critique du créationnisme, au moins en Europe, doit permettre de remettre un peu de raison dans tout cela (mais c’est moins évident aux USA !).

Un participant - Une information : quand les lycées français ont reçu par milliers d’exemplaires le bel atlas d’Adam Mokthar (qui a dû changer de nom pour pouvoir écrire

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ce livre), le premier envoi a été « stérilisé » dans les établissements, et il y a eu un second envoi avec un soutien politique des milieux islamistes turcs : et cela a touché non seule-ment la France, mais toute l’Europe, et même les républiques turcophones de l’ex-URSS. On instrumentalise le créationnisme pour servir des visées nationalistes.D’autre part, vous avez expliqué qu’il avait fallu, depuis Darwin, un siècle de découvertes dans la génétique, génétique des populations, apoptose (suicide cellulaire), immunolo-gie… pour comprendre les mécanismes réels de l’évolution que Darwin avait entrevus dans une intuition géniale. Mais pour expliquer tout cela, au citoyen de base, ce « fait scientifique », les savants sont obligés d’utiliser des métaphores, des images, comme la double hélice de Watson, qui est une approximation de la réalité. A partir du moment où on explique la science par des images approximatives, on se rapproche de quelque chose de voisin d’une croyance religieuse, et c’est ce que les initiateurs du projet créationnistes utilisent pour discréditer les théories scientifiques. Dans certains musées américains, on peut voir côte à côte deux piles de livres, d’un côté les 35 volumes de Darwin, et de l’autre les rouleaux de la Mer Morte : on établit une symétrie entre la religion et la science, qu’il faudrait rejeter bien sûr. La difficulté est que les savants ont une certaine difficulté et un manque de moyens pour se mettre à la portée des citoyens que nous sommes.

Jacques Périé - Je suis universitaire, mais je suis aussi un citoyen de base, et après 43 ans de travail universitaire, j’ai surtout appris l’humilité face à l’immensité des domaines de la connaissance : je n’y ai fait qu’un tout petit parcours et je n’y ai apporté qu’une toute petite contribution.

Jean-Pierre Rouzière - La méconnaissance de la théorie de Darwin résulte de nom-breux facteurs : le darwinisme social a complètement brouillé le « message darwinien », l’Église a tout fait pour en empêcher l’enseignement dans les écoles. Et même Teilhard de Chardin, dont les thèses déniées par l’Église avaient été récupérées par les laïques, propo-sait en fait une thèse finaliste avec son fameux point oméga, ce qui contribua à obscurcir la problématique ! Et la théorie de Darwin a soulevé tant de questions que chacun s’en est emparé dans la plus grande confusion. Des scientifiques comme Jean Rostand ont pu dire en 1960 « La sélection naturelle est peut-être puissante, mais elle est impuissante à me convaincre ! ». Chez les scientifiques eux-mêmes il y a donc eu une certaine incrédu-lité, et les difficultés du darwinisme à s’imposer ne viennent donc pas uniquement d’un enseignement insuffisant.

Un participant - L’humilité me paraît importante ici. La matière vivante est composée de molécules en mouvement qui obéissent à des règles physico-chimiques et ça me rap-pelle mes souvenirs d’étudiant en géologie : les règles qui régissent la matière au niveau du globe (et qui ont été aussi niées par les créationnistes) et que nous ne connaissons pas encore dans leur totalité, sont les mêmes qui régissent la matière humaine, ce qui inclurait la matérialité de la pensée. Les neurosciences nous montrent que ce qui relève de l’esprit résulte d’un rassemblement de neurones et de synapses… Nous ne sommes que de la matière et nous obéissons aux mêmes lois qui régissent le comportement du marbre dans nos carrières pyrénéennes, et cela doit nous appeler à l’humilité.Et le clonage, qui permet par un bidouillage scientifique de reproduire un individu à

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l’identique, c’est le contraire de l’humilité : l’individu que l’on va pouvoir reproduire à l’infini sera en quelque sorte devenu immortel, à l’égal de Dieu. Et j’attends ce qu’en dira le futur pape Jean-Paul XX ou XXI (dans un certain temps).

Un participant - Mais le peu d’expériences de clonage réussies (sur des animaux) a mon-tré que les clones sont toujours des individus différents du « modèle initial », car toutes les informations nécessaires à la reproduction ne sont pas contenues dans le génome, mais apportées par le cytoplasme de la cellule hôte, par exemple.

Jean-Pierre Rouzière - Il faut savoir aussi que la sélection naturelle a sélectionné chez l’Homme l’instinct religieux ! Et, à la même époque que Darwin, le philosophe Feuer-bach expliquait que « la connaissance de Dieu est la connaissance de soi par l’homme, et la conscience de Dieu est la conscience de soi de l’Homme ». Et un philosophe grec, Prodicos, le disait déjà : « les hommes projettent toujours ce qui peut leur être utile dans un être divin ». En quelque sorte, l’homme a l’idée de Dieu en lui. Dans un numéro récent de « Science et Vie », on a ainsi pu montrer l’existence de cet instinct religieux, qui nous pousse à avoir besoin d’une certaine idée de la transcendance pour adopter nos comportements : pour avoir de l’humilité, il faut penser qu’il y a « quelque chose qui nous regarde »

Jacques Périé - Pour moi, la transcendance résulte de la pensée de la communauté des humains, mais on entre là dans un débat philosophique qui n’est pas le propos de ce soir !

Un participant - Vous nous avez dit que Darwin avait inspiré beaucoup de philosophes. Et à la question « La vie serait-elle de la matière qui s’est diversifiée » vous avez cité 3 philosophes (Schopenhauer, Bergson et Nietzsche) qui défendaient la thèse que la vie serait le résultat d’une volonté. Y a-t-il des philosophes qui défendent la thèse que la vie serait due au hasard ?

Jean-Pierre Rouzière - Ces 3 philosophes ne remettent pas en cause l’idée de hasard, mais pour eux la vie possède une énergie interne, ce que Bergson appelle « l’élan vital ».

Jacques Périé - Et, me semble-t-il, l’élan vital ne résout rien. Quand on voit l’embryogé-nèse, les cellules qui se divisent, on peut analyser et comprendre comment cela se passe, mais il est toujours difficile de trouver quel est le « moteur » qui fait que l’embryon se développe, que des systèmes cellulaires se divisent et s’organisent. On voit bien des forces thermodynamiques en action, des gradients de concentration de solutés dans les cellules induire les différenciations cellulaires, mais il existe plus globalement un « mo-teur de l’évolution ». Darwin déjà à bien buté sur la question ; de même aujourd’hui nous connaissons la nature et le rôle des mutations, mais quel en est le moteur ? Pourquoi certaines sont-elles bénéfiques et d’autres catastrophiques, il n’y a pas de réponse scien-tifique aujourd’hui ; cela relève encore du choix philosophique personnel. On peut penser que cela sera expliqué un jour par les progrès de la connaissance, ou penser que cela est d’un autre ordre. Pour Stephen Jay Gould, il y a « deux rocs : le roc de la connaissance, et le roc de la croyance ; ce sont deux mondes distincts ». Pour Jean-Claude Ameisen, un médecin évolutionniste (qui a beaucoup travaillé sur l’apoptose, la mort programmée des

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cellules) pendant longtemps la science a travaillé en parallèle avec la théologie et cela l’a piégée. Un jour elle a décidé que sa fonction n’était pas de traiter de la finalité, mais des phénomènes eux-mêmes, et ce jour-là elle a fait un grand pas qui lui a permis un immense développement. Mais elle n’a rien résolu des questions métaphysiques, qui sont d’un autre registre et relèvent du choix de chacun. Et ce point de vue me convient assez bien : on est dans deux registres distincts, et je suis incapable de dire si les progrès de la connaissance permettront de réunir ces deux domaines.

Un participant - Dans les années 70, après la découverte de la pénicilline par Fleming, on avait cru que l’on disposait de l’arme absolue, et que l’on allait pouvoir éradiquer toutes les bactéries pathogènes et vaincre les maladies infectieuses. Et on sait aujourd’hui que les bactéries ont « appris » à s’adapter pour résister aux antibiotiques, même dans le milieu hospitalier et dans tous les environnements. On émet des hypothèses pour l’expli-quer : en particulier la mobilité des transposons (morceaux d’ADN) qui se déplacent dans le génome, ce qui permet à la bactérie d’acquérir une nouvelle virulence ou une nouvelle immunité. Et il existe des mécanismes qui permettent de disséminer ces adaptations dans les populations de bactéries. Et on ne sait plus aujourd’hui quel est le niveau de protection réel des antibiotiques, et il faut envisager de revenir à des méthodes « prébiotiques ».

On ne sait même plus comment classer les bactéries dans le monde du vivant, tant leur génome est variable ! Par exemple, on sait aujourd’hui que la bactérie responsable de la dysenterie bacillaire, n’est qu’une « vulgaire » Escherichia coli qui a perdu certains caractères. Ces facultés d’évolution et d’adaptation au milieu peuvent-elles servir à com-prendre les mécanismes d’évolution de l’homme ou des multicellulaires ?

Jacques Périé - Belle démonstration du darwinisme que cette capacité d’adaptation des bactéries responsables des maladies nosocomiales, qui développent des mécanismes d’évolution dans un milieu où elles subissent une pression antibiotique énorme et diver-sifiée, et dont elles sortent en fait renforcées et très dangereuses. Mais comment cette compréhension permettra-t-elle de mettre en œuvre de nouvelles stratégies de lutte contre ces bactéries ? Je n’ai pas la compétence pour y répondre.

Le participant - Mais, les bactéries étant les ancêtres de tous les vivants, peut-on ex-trapoler ce que l’on sait des bactéries aujourd’hui à la compréhension de l’évolution de l’homme ?

Un participant - On peut dire quand même que la bactérie, comparée à l’homme, est un organisme très simple (même s’il est en réalité très complexe). Et la bactérie peut suppor-ter des mutations très importantes car elles ne l’empêchent pas de fonctionner. Alors que pour un organisme multicellulaire complexe, surtout chez les « grands animaux » comme l’homme, la plupart des mutations qui surviennent sont létales car elles empêchent l’or-ganisme de fonctionner. L’évolution des grands organismes ne peut donc être que très lente et très progressive. Il faut en particulier que le nouvel organisme résultant de la mutation soit « accepté » par les parents qui auront à l’élever : les « monstres » (selon l’expression de Stephen Gould « les monstres prometteurs » pour désigner les mutations favorables) sont souvent éliminés par leurs géniteurs. Chez les bactéries, l’organisme

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n’est composé que d’une seule cellule dont l’évolution du génome modifiera le comporte-ment qui pourra être soumis « librement » à la sélection darwinienne. Mais heureusement que pour nous les évolutions possibles ne peuvent être que très minimes à chaque fois ! Et on peut espérer ne pas être confrontés à des mutants humains incontrôlables (suivant un thème récurrent de la science-fiction). Mais on peut craindre au niveau bactérien que des évolutions dangereuses ne soient disséminées rapidement sur toute planète avec la multiplication de nos déplacements : de sorte que telle mutation qui, dans le passé, serait restée localisée et aurait fini par disparaître, pourra demain se répandre et se renforcer, et devenir de plus en plus difficile à maîtriser : c’est le cas avec les virus (encore plus simples, si l’on peut dire, que les bactéries), dont le H1N1 est une illustration parfaite. Alors oui, je pense que les bactéries peuvent être un très bon support de recherche, de par leur simplicité relative, pour approcher les mystères de l’évolution !

Jacques Périé - Je peux vous renvoyer aux actes d’un colloque qui s’est tenu au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse dans le cadre de l’année Darwin, avec un ensemble de médecins et d’évolutionnistes, sur le thème : « La médecine moderne à la lumière de l’évolution », où l’on trouvera des éléments de réponse à ces questions (on peut retrouver ces actes en posant la question à la personne qui organisait ce débat : [email protected]). Je vous recommande aussi la lecture de l’excellent ouvrage de Jean-Claude Ameisen, Dans la lumière et les ombres, Darwin et le bouleversement du monde paru aux Éditions Fayard-Seuil en 2008 (voir aussi la bibliographie en fin de débat).

Un participant - Le propre d’un système vivant (comme l’a montré Wiener) est d’échan-ger de l’information avec son milieu, dans les deux sens, ce qui contribue à le transformer tout en transformant son environnement. C’est tout le contraire du créationnisme et des théories fixistes, qui érigent la différence en valeur absolue et définitive, et ne peuvent qu’engendrer le racisme, que l’on justifiera par des explications pseudo-scientifiques (la taille et la forme des crânes…)

Jacques Périé - Et le meilleur argument que l’on puisse opposer aux racistes est le sui-vant : il faut savoir que l’homme est né noir, en Asie ou en Afrique, et c’est au cours de ses migrations vers les contrées plus septentrionales que sa peau s’est éclaircie pour compenser la baisse d’ensoleillement, car l’organisme a besoin de la lumière du soleil pour synthétiser la vitamine D indispensable à la formation des os. L’homme est donc originellement noir, et les hommes « blancs » sont en fait dépigmentés. Et toute la bio-logie montre bien qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine sur l’ensemble de la planète, comme l’avait d’ailleurs déclaré Darwin lui-même, avec quelques caractères distinctifs « apparents » comme la couleur de peau qui résultent d’une adaptation darwinienne aux conditions locales d’environnement.

saint-Gaudens le 7 novembre 2009

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Petite bibliographie :

Charles Darwin, l’Origine des espèces, réédition Flammarion - « Le Monde », 2009.

Charles Darwin, l’autobiographie, Éditions du Seuil, 2008.

Jean-Claude Ameisen, Dans la lumière et les ombres, Darwin et le bouleversement du monde, Éditions Fayard-Seuil, 2008.

Richard Dawkins, Le gène égoïste, Éditions Odile Jacob, 2003.

Jean-Jacques Kupièc, L’expression aléatoire des gènes, Pour la science, 2006, Tome 342, p. 78-83.

Patrick Tort, L’effet Darwin, Sélection naturelle et naissance de la civilisation, Éditions du Seuil, 2008.

Alain Pavé, La course de la gazelle, La vie au hasard de l’évolution, Éditions du Seuil, 2009.

Vincent Fleury, De l’œuf à l’éternité, le sens de l’évolution, Flammarion, 2006.