Boukous Les Marocains et la langue française

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Allocution du secrétaire général de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Rabat Mohamed Maniar Mesdames et messieurs, chers collègues, Plus que n'importe quelle période de l'histoire de l'humanité, notre temps est celui de l'inte- raction des peuples à travers leurs langues et leurs cultures. Cette interaction peut être un facteur d'intercompréhension et d'enrichissement des peuples si elle est conçue avec ouverture d'esprit et gérée avec raison. Conformément à la philosophie de Sa Majesté Hassan II, le Maroc est un pays solidement ancré dans son identité arabo-musulmane fondée sur sa langue officielle qui est l'arabe mais aussi résolument ouvert sur le monde à travers les langues internationales et notamment le français. Dans ce sens, Sa Majesté écrit dans Le Défi : « Le français est pour nous une fenêtre large- ment ouverte non seulement sur le monde occidental mais sur celui de la logique, de la raison, de la mesure ». C'est ainsi que l'école et l'université marocaines accueillent la langue française à tous les niveaux et dans toutes les formations. Le français a pour nous de facto le statut de première langue étrangère obligatoire dans l'enseignement fondamental et secondaire et celui de langue d'enseignement dans le supérieur scientifique et technique. L'objectif de notre système éducatif est de former des cadres compétents dans leur spécialité et maîtrisant le bilinguisme arabe-français, suivant en cela les directives de Sa Majesté qui dit que le bilinguisme est une richesse qui fait partie du droit inaliénable de chacun. Le bilin- guisme équilibré, en effet, est loin de porter atteinte à notre identité, il la consolide et l'enrichit dans un esprit de convivialité et d'enrichissement mutuel. Comme vous le voyez, chers collègues, votre réseau et ses préoccupations scientifiques s'inscrivent pleinement dans la ligne de la politique éducative et culturelle de notre pays. C'est pourquoi, lorsque notre faculté a été sollicitée par les organisateurs de vos Journées d'Études, elle n'a pas hésité à mettre à leur disposition ses modestes moyens humains et matériels. Permettez-moi de réitérer devant vous tous notre entière disponibilité à collaborer avec votre réseau et à soutenir vos efforts scientifiques. Permettez-moi également de souhaiter à vos travaux plein succès et qu'ils se concluent par des résultats susceptibles de renforcer, ici, de créer, là, un climat propice au dialogue entre nos langues, nos cultures et nos peuples, un dialogue empreint de respect, de compréhension et de tolérance. Mesdames, Messieurs, Chers collègues, Au terme de cette allocution, j'ai le plaisir et l'honneur de déclarer ouverts les travaux de vos Journées d'Études. 11

Transcript of Boukous Les Marocains et la langue française

  • Allocution du secrtaire gnral de la facultdes Lettres et des Sciences humaines de Rabat

    Mohamed Maniar

    Mesdames et messieurs, chers collgues,

    Plus que n'importe quelle priode de l'histoire de l'humanit, notre temps est celui de l'inte-raction des peuples travers leurs langues et leurs cultures. Cette interaction peut tre unfacteur d'intercomprhension et d'enrichissement des peuples si elle est conue avec ouvertured'esprit et gre avec raison.

    Conformment la philosophie de Sa Majest Hassan II, le Maroc est un pays solidementancr dans son identit arabo-musulmane fonde sur sa langue officielle qui est l'arabe maisaussi rsolument ouvert sur le monde travers les langues internationales et notamment lefranais.

    Dans ce sens, Sa Majest crit dans Le Dfi : Le franais est pour nous une fentre large-ment ouverte non seulement sur le monde occidental mais sur celui de la logique, de la raison,de la mesure .

    C'est ainsi que l'cole et l'universit marocaines accueillent la langue franaise tous lesniveaux et dans toutes les formations. Le franais a pour nous de facto le statut de premirelangue trangre obligatoire dans l'enseignement fondamental et secondaire et celui de langued'enseignement dans le suprieur scientifique et technique.

    L'objectif de notre systme ducatif est de former des cadres comptents dans leur spcialitet matrisant le bilinguisme arabe-franais, suivant en cela les directives de Sa Majest qui ditque le bilinguisme est une richesse qui fait partie du droit inalinable de chacun. Le bilin-guisme quilibr, en effet, est loin de porter atteinte notre identit, il la consolide et l'enrichitdans un esprit de convivialit et d'enrichissement mutuel.

    Comme vous le voyez, chers collgues, votre rseau et ses proccupations scientifiquess'inscrivent pleinement dans la ligne de la politique ducative et culturelle de notre pays. C'estpourquoi, lorsque notre facult a t sollicite par les organisateurs de vos Journes d'tudes,elle n'a pas hsit mettre leur disposition ses modestes moyens humains et matriels.

    Permettez-moi de ritrer devant vous tous notre entire disponibilit collaborer avec votrerseau et soutenir vos efforts scientifiques.

    Permettez-moi galement de souhaiter vos travaux plein succs et qu'ils se concluent pardes rsultats susceptibles de renforcer, ici, de crer, l, un climat propice au dialogue entre noslangues, nos cultures et nos peuples, un dialogue empreint de respect, de comprhension et detolrance.

    Mesdames, Messieurs, Chers collgues,Au terme de cette allocution, j 'ai le plaisir et l'honneur de dclarer ouverts les travaux de vos

    Journes d'tudes.

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  • Confrence plnire

    Les Marocains et la langue franaiseAhmed Boukous

    Le problme

    La typologie de la francophonie suggre par M. Houis, 1973 comprend trois types desituations : celle des pays dans lesquels le franais est langue officielle unique de jure et languevhiculaire majoritaire (la France); celle des pays o le franais est de jure l'une des languesofficielles (Canada, Belgique, Luxembourg, Suisse) ; celle des pays o le franais est langueofficielle unique, de jure ou de facto, dans une situation marque par la diversit des languesnationales (c'est le cas de l'Afrique sub-saharienne).

    cette typologie, il faut ajouter un quatrime type de francophonie, celui du Maghreb etpeut-tre du Liban o le franais est historiquement langue de la puissance coloniale, protec-trice ou mandataire selon le cas, et o prsentement, le franais est premire langue trangrefortement prsente dans l'enseignement, l'administration et la vie publique, et o la basesociale de la francophonie se rduit essentiellement une fraction des lites urbaines.

    C'est prcisment ce cas de figure qui nous intresse dans cette recherche.Au Maroc, la situation sociolinguistique est marque par la coexistence de langues natio-

    nales, savoir l'arabe et le berbre (l'amazighe) avec leurs diffrentes varits, et de languestrangres, notamment le franais et, un moindre degr, l'espagnol et l'anglais.

    Cette coexistence est pacifique par certains aspects et conflictuelle par d'autres. On peut dire,en effet, que ces langues sont dans un rapport de diglossies enchsses impliquant les languesnationales elles-mmes et celles-ci et les langues trangres. La proprit de ces diglossies estd'tre marque, d'une part, par la complmentarit des fonctions et des usages entre leslangues nationales et les langues trangres et, d'autre part, par une comptition entre lesdiverses varits linguistiques. La complmentarit des usages et des fonctions de ces varitspermet incontestablement de combler des lacunes videntes dans le rpertoire langagier deslocuteurs des langues nationales. Quant la comptition entre ces varits, elle manifeste ladynamique d'une situation sociolinguistique o des enjeux structurants sont l'uvre.

    Parmi les nombreuses questions qui mritent une tude approfondie dans cette situation figu-rent le statut, les usages et les fonctions de la langue franaise. En tant que langue du rgimeprotectoral franais au Maroc (1912-1956), le franais a fait l'objet de diverses modalitsd'imposition dans le systme ducatif, les instances administratives, la vie conomique et lavie publique en gnral. Ceci a pour effet de produire une lite francophone dite moderne quia dclass l'lite arabisante traditionnelle en prenant les commandes au lendemain de l'ind-pendance.

    Quatre dcennies aprs la proclamation de l'indpendance, la langue franaise jouit toujoursdu statut privilgi de premire langue trangre. Ce statut lui est de facto confr par la poly-valence de ses fonctions :

    - unique langue trangre obligatoire dans l'enseignement fondamental et secondaire,- langue de l'enseignement scientifique et technique,- langue de travail dans les secteurs techniques des administrations publiques,- langue de travail du secteur formel de l'activit conomique,- langue diplomatique dans les chancelleries marocaines dans les pays non arabophones.Comment s'explique ce statut privilgi aussi bien sur le march linguistique que dans le

    champ social?

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  • Ahmed Boukous

    Le facteur le plus vident dans l'explication de ce phnomne est le facteur historique, savoir que la langue franaise est une langue enracine dans la terre marocaine par des moyenspuissants pendant toute la dure du rgime du Protectorat, c'est--dire quarante quatre ans.Cette prsence massive n'a pas manqu de faonner durablement les consciences linguistiqueset de configurer de faon dcisive le paysage linguistique du pays.

    La place particulire qu'occupe le franais au Maroc est aussi la rsultante d'autres facteursinhrents la relation de dpendance du Maroc, notamment sur les plans conomique, finan-cier et culturel. Rappelons, en effet, que la France est le premier fournisseur du Maroc (environ24 % de la valeur des importations marocaines), son premier client (environ 22 % de la valeurdes exportations) et le premier investisseur tranger (environ 20 % des investissements). Enoutre, pendant longtemps, le Maroc a t dpendant de la France, du Canada et de la Belgiquepour la formation de ses cadres suprieurs, c'est--dire des cadres francophones.

    Dans ce contexte gnral, il nous a paru intressant de nous pencher sur le rapport des Maro-cains la langue franaise. La francophonie tant un phnomne aux dimensions multiples, ilest normal qu'elle soit envisage de plusieurs points de vue, notamment sous ses aspects didac-tique (Chami, 1987, Akouaou, 1984), socioculturel (Moatassime, 1992, Santucci, 1986), poli-tique (Chikh et al. 1988) et idologique (Ouedghiri, 1993), etc. Nous privilgions, quant nous, l'approche sociolinguistique de ce phnomne, approche qui met en rapport la languefranaise avec le contexte social et culturel marocain par le moyen d'une investigation empi-rique. Ce type d'approche a t tent par des prdcesseurs avec un bonheur ingal, des lacunesmthodologiques et le rductionnisme qui caractrise les travaux acadmiques (Bentahila,1983, El Gherbi, 1993, Boukous, 1996).

    L'objet spcifique de ce travail est l'tude empirique du comportement d'un chantillon dela population marocaine l'gard de la langue franaise. Il s'agit notamment d'examiner lesusages faits par les locuteurs de la langue franaise, la connaissance qu'ils ont de la culture fran-cophone, la motivation pour cette langue et les attitudes et les reprsentations qu'ils en ont1.

    Cette recherche vise au moins deux objectifs :- contribuer l'analyse du march linguistique marocain et des enjeux symboliques qui y

    sont l'uvre,- contribuer une meilleure apprciation du statut et de la fonction du franais dans le cadre

    de l'laboration d'une politique linguistique in vivo.Initialement, quatre questions sont au programme de cette recherche :- Quels sont les usages que les sujets dclarent faire de la langue franaise ?- Quel est le degr de connaissance que les sujets dclarent avoir de la culture francophone ?- Quel est le degr dclar de leur motivation pour le franais et quelle est la nature de cette

    motivation (instrumentale vs integrative) ?- Quelle est l'attitude dclare et la reprsentation des sujets l'gard du franais?En raison du temps qui m'est imparti, je me limiterai ici aux usages et aux reprsentations.Les hypothses gnrales de travail postules ici sont les suivantes :- La langue franaise est en rgression relative, suite l'arabisation de l'enseignement et de

    l'administration.- L'assise sociale de la langue franaise se rduit au milieu de l'lite urbaine.- Le comportement des sujets l'gard de la langue franaise est mitig parce qu'il s'inscrit

    dans une conjoncture o deux tendances remettent en cause la francophonie. La premiretendance se manifeste par le repliement identitaire (religieux, nationaliste, ethnique), la secondese rclame de la logique de la globalisation et s'inscrit donc dans la mouvance anglo-saxonne.

    1. Cette recherche entre dans le cadre du projet de recherche du rseau Sociolinguistique et dynamique destangues de l'AUPELF-UREF La francophonie au Maroc : Usages, motivations, attitudes et reprsentations.

    Ce qui est prsent dans cette communication est ainsi le produit d'un travail collectif. Les enqutes ont teffectues par les tudiants du sminaire de sociolinguistique (1995-97). les analyses statistiques ont t ralisespar F. Agnaou. Quant moi, je me suis charg de l'laboration du questionnaire, de l'interprtation des rsultats,de leur discussion et de la rdaction du rapport final.

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  • Les Marocains et la langue franaise

    Population et chantillon :La population cible par l'enqute est la population urbaine. Ce choix est dict par :- la densit de la prsence du franais en milieu urbain, cette prsence tant quasi nulle en

    milieu rural ;- l'importance du march linguistique urbain comme lieu d'imposition de la norme

    sociolinguistique ;- le dveloppement du phnomne urbain ;- la commodit du travail de recherche en milieu urbain.L'chantillon de dpart est compos d'un nombre total de 985 sujets ayant rempli le ques-

    tionnaire. Sur cet ensemble 300 sujets sont retenus selon la technique de l'chantillonnagealatoire, soit 30,45 % de l'chantillon de dpart.

    Les sujets sont de rsidence urbaine. L'enqute a t effectue dans les villes suivantes :Knitra, Sal, Rabat, Mohammedia, Casablanca, Marrakech

    Les variables indpendantes retenues sont l'ge, le genre, le statut social, le niveau d'tudeset la spcialit des sujets.

    Age : les sujets sont gs de 12 76 ans;Sexe : les sujets retenus sont de sexe masculin et de sexe fminin, rpartis part gale.Statut social : il rfre grosso modo l'identification sociale et professionnelle des sujets. Il

    a t distingu dix catgories : lve de l'enseignement fondamental, lve de l'enseignementsecondaire, tudiant, fonctionnaire, enseignant-chercheur; mdecin, avocat, commerant,libraire, employ de banque. Une catgorie du genre classe sociale n'a pas t retenue parceque le flou dfinitoire qu'elle a dans la formation sociale marocaine et tel qu'il induit deserreurs d'apprciation. Ne disposant pas d'informations sres relatives aux revenus des sujets,il est prfrable de s'en tenir une acception neutre de la notion de statut.

    Niveau d'tudes des sujets varie de nant (sans scolarit) au 3e cycle.Spcialit est en rapport avec la formation suivie, c'est--dire lettres, droit, techniques et

    sciences. Il est noter que cette catgorie ne concerne pas les sujets non scolariss et ceux dontla scolarit est limite l'enseignement fondamental. Le croisement de cette variable avec lestatut permet d'approcher de faon quelque peu objective la catgorie sociale des sujets.

    L'instrument employ est un questionnaire. Pour viter les problmes de comprhension desquestions, deux versions du questionnaire sont proposes, l'une est en arabe et l'autre en fran-ais. Il comprend 30 questions dont certaines sont fermes et d'autres semi-ouvertes.

    Ces questions portent sur les informations suivantes : le profil des sujets, leurs usages dufranais, leur motivation, et leurs attitudes et leurs reprsentations du franais.

    L'administration du questionnaire s'est gnralement droule sur le lieu de travail ou sur lelieu d'tudes.

    Les variables analyses dans la prsente communication sont les usages et les reprsenta-tions. Explicitons ce que nous entendons par ces notions.

    Concernant les usages, il faut prciser d'emble qu'il s'agit des usages dclars par les sujetset non des usages rellement observs par l'enquteur. Ceci signifie videmment qu'il peut yavoir un hiatus plus ou moins important entre les usages dclars et les usages rels2.

    2. L'une des questions mthodologiques majeures que pose notamment l'tude des usages est que l'analysese base sur les dclarations des sujets. Or, comme chacun sait, les dclarations ne refltent pas ncessairementles actes effectifs dans le comportement rel des sujets. L'idal serait qu'on puisse arriver contrler les direspar les faits par le moyen de l'observation directe dans le cadre d'une enqute anthropolique. Ceci est bien srun voeu qui, la plupart du temps reste, pieux car peu ralisable sur le terrain En effet, comment observer scru-puleusement des centaines de sujets dans la diversit des situations de communication o ils sont quotidiennementengags ? Ces limitations seraient-elles propres 1 ' approche macrosociolinguistique ? L'approche micro y chap-perait-elle? Ce n'est pas certain car, quand on lit la littrature anthropologique mme ralise dans un micro-domaine, on se rend l'vidence que l'observation elle-mme est un travail construit sur un objet lui-mme cons-truit par l'anthropologue et que le rsultat final est l'interprtation des faits observs partir du prisme dformantdes hypothses postules et surtout de la culture de l'analyste, de ses prjugs, etc. (Rabinow, 1988).

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  • Ahmed Boukous

    II s'agit de raliser deux tches :- valuer le degr et la nature des usages que les sujets dclarent faire de la langue franaise

    aux niveaux de l'oral, de l'crit, de l'audition et de la lecture;- saisir la nature, les domaines de ces usages et l'identification des interlocuteurs.C'est l'objet des questions Q10-17 du questionnaire.Par reprsentations, nous entendons l'ensemble des dispositions psychologiques et sociales

    que manifeste le sujet travers son comportement et son jugement. On peut dire galement queles reprsentations linguistiques constituent un ensemble de dispositions sociales incorpores l'habitus linguistique du sujet parlant et qui fonctionnent comme principes d'objectivationdu march linguistique, dans l'valuation et la hirarchisation des produits linguistiques. Troisisotopies reprsentationnelles sont suggres aux sujets : une isotopie positive qui fait du fran-ais la langue de la modernit et du prestige social, une isotopie ngative qui en fait la languedu nocolonialisme et de l'alination culturelle et une isotopie neutre qui en fait une langueutile pour le pays. Les sujets sont censs avoir des reprsentations diffrencies l'gard de lalangue franaise; elles peuvent tre positives ou ngatives en fonction d'un schma cognitifintrioris par ces sujets et qui se manifeste de faon plus ou moins explicite dans l'imaginaireet la pratique sociolinguistique des locuteurs.

    L'analyse des usages et celle des reprsentations est faite sur deux plans, le plan quantitatifet le plan qualitatif.

    Dans l'analyse quantitative, il est utilis deux types d'analyse, l'analyse de variance(ANOVA) et les corrlations. L'ANOVA permet de mesurer les diffrences entre les groupeset les catgories, elle s'applique aux variables non continues ou nominales, savoir les classesd'ge, le sexe, le statut et la spcialit. Quant l'analyse des corrlations, elle value le degrde corrlation existant entre les variables continues, savoir l'ge, le niveau d'tudes, l'usage,la connaissance, la motivation et la reprsentation.

    L'analyse qualitative du comportement des sujets l'gard de la langue franaise s'inscritdans le cadre de la thorie des changes symboliques (Bourdieu, 1982).

    Nous allons examiner successivement les rsultats relatifs aux usages et aux reprsentationstels qu'ils sont dclars par les sujets et l'interprtation que nous suggrons pour expliquer cesrsultats. Usages de la langue franaise :

    Les usages de la langue franaise que les sujets dclarent faire sont relatifs l'oral : selon lasituation (Q 10, Q 16) et l'interlocuteur (Q 17), la lecture (Q 11, Q 12), la rdaction (Q 14,Q 15) et l'audition (Q 13).

    Rsultats :Le degr d'usage moyen est de 18577. Il a t calcul partir de la moyenne des usages que

    les sujets dclarent effectuer. Le maximum est 34 et le minimum O.Quant aux scores selon la nature des usages et le degr d'usage, ils se prsentent de la faon

    suivante (%) :

    NulPeu

    AssezBeaucoup

    Oral6,3

    33,3336,33

    24

    Lecture9

    41

    7,3342,66

    Rdaction14,3327,3331,33

    27

    Audition8,0222,4

    39,4630,1

    Interprtation :II apparat que le degr d'usage que les sujets font du franais est somme toute moyen, ce

    qui veut dire que les sujets emploient passablement le franais si l'on tient compte des diff-rents types d'usage. Le domaine o le franais est le plus employ est l'audition, celui o lefranais est le moins utilis est la lecture. Ceci signifie que l'usage que les sujets font du fran-ais est essentiellement un usage passif.

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  • Les Marocains et la langue franaise

    Ces rsultats fournissent des scores globaux; il importe maintenant de savoir comments'effectuent diffrentiellement les usages selon l'ge, le sexe, le niveau d'tudes et la spcialitdes sujets.

    - Usage et ge :RsultatsLe degr d'usage du franais varie de faon hautement significative, les groupes d'ge

    n'ayant pas le mme degr d'usage du franais. C'est ainsi que la classe 31-40 ans enregistrele meilleur score (21 192) et celle de 51 ans et plus a le score le plus faible (5 231).

    Interprtation :Le groupe de 31-40 ans est form en majorit de sujets ayant au moins le niveau du deuxime

    cycle suprieur et ayant le statut de cadres suprieurs (enseignants-chercheurs, mdecins,employs), c'est--dire des sujets qui matrisent le franais. Cependant, mme la moyenne dece groupe ne dpasse pas les 2/3 du total des usages.

    Le groupe 51 ans et plus utilise trs peu le franais. Il en est ainsi pour deux raisons, d'unepart, parce qu'il est form surtout de sujets ayant un faible niveau en franais et, d'autre part,parce que le franais n'est pas une langue usuelle dans les occupations de ces sujets (notam-ment les commerants).

    Ce rsultat infirme l'hypothse alternative selon laquelle ce sont soit les sujets les plus gssoit les sujets les plus jeunes qui devraient employer le plus le franais.

    La premire hypothse trouverait sa justification dans le fait que les adultes ont vcu plus oumoins durant la priode protectorale, ont t forms avant l'arabisation de l'enseignementsecondaire, de l'administration et des mdias, et ont eu un accs plus ais que les jeunes aulivre et la culture francophones. De ce fait, ils ont t plus exposs que les jeunes au franaiset ont eu plus que ces derniers l'occasion de l'employer dans divers usages.

    Selon la seconde hypothse, on pourrait postuler, d'une part, que les jeunes bnficient d'uneffort de scolarisation sans prcdent et que, d'autre part, la toute-puissance de la nouvelleculture mdiatique a fait pntrer le franais dans quasiment tous les foyers. Ces deux faits ontcontribu augmenter le nombre absolu des francophones.

    Il apparat selon les rsulats que ce sont plutt les sujets appartenant la classe d'ge inter-mdiaire qui enregistrent le score le plus lev. Sans doute parce qu'il s'agit de sujets ayantachev leur scolarit et intgr la vie active dans des secteurs o le franais est langue detravail; il s'agit galement des sujets, qui de par leur statut, ont intgr le sentiment que le fran-ais est la langue du prestige social.

    - Usage et sexe :Rsultats :Le degr d'usage dclar varie de faon significative selon le sexe du sujet. Les sujets de sexe fminin

    enregistrent une moyenne suprieure celle de leurs homologues masculins (20 867 contre 16 287).Interprtation :Ce rsultat confirme un fait tabli par ailleurs, savoir que la femme a tendance employer

    plus que l'homme la langue, ici la langue trangre. Deux indicateurs : le nombre de jeunesfilles dans les sections langues trangres (environ 20 filles pour 1 garon) et le nombre defemmes enseignant les langues trangres (environ 3 femmes pour 1 homme).

    Comment expliquer cette tendance? Une prdisposition naturelle? Sans doute pas. Ils'agirait plutt d'une ncessit sociologique. En effet, la matrise de la langue constitue uncapital symbolique important qui permet la femme, dans le contexte marocain en tout cas,d'accumuler des privilges sociaux et culturels susceptibles d'amliorer sa position socialedans un environnement domin par la tradition. On pourrait avancer aussi que le recours lalangue trangre permet la femme de transgresser plus aisment les tabous langagiers que nele permettrait la langue premire. Cette hypothse ne rsiste pas l'examen des faits. En effet,il suffit d'couter les insultes profres en langue premire pour se rendre l'vidence quecette dernire n'est nullement une langue chaste et que les locuteurs natifs en usent dans lediscours soutenu autant qu'ils en abusent dans le langage ordurier.

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  • Ahmed Boukous

    - Usage et statut social :Rsultats :Le degr d'usage varie de faon hautement significative selon le statut social du sujet. Les

    groupes qui emploient le plus le franais sont les enseignants-chercheurs (25,9), les mdecins(25 433) et les banquiers (23,7). Ceux qui ont le degr d'usage le plus faible sont les commer-ants (11 133) et les avocats (13 867).

    Interprtation :Les usagers idaux du franais sont ainsi les sujets utilisant le franais comme langue de

    travail. Ainsi, les chercheurs emploient-ils le franais pour les besoins de leurs recherches,l'accs l'information, la rdaction des travaux et la communication orale dans les conf-rences et les colloques. Quant aux mdecins, il convient d'y distinguer deux catgories, celledes praticiens de la sant publique et ceux du priv. Les premiers utilisent l'arabe dialectal avecles patients et le franais gnralement mlang l'arabe dialectal avec le personnel mdical;quant aux seconds, ils emploient souvent le franais avec leurs patients. Pour les besoinssociaux impliquant des relations de rles formelles, les uns et les autres ont tendance employer le franais.

    Les deux groupes qui emploient peu le franais sont donc celui des commerants et celui desavocats. Si les commerants emploient peu le franais, cela est d principalement au fait queles premiers ont en gnral un degr de scolarit insuffisant pour leur permettre une bonnematrise de cette langue. Les avocats sont gnralement forms en langue arabe standard, etl'emploi exclusif de cette langue dans le dpartement de la justice est un fait consacr par laloi, le dpartement de la justice a t en effet l'un des premiers tre arabis (1965).

    - Usage et niveau d'tudes :Rsultats :Le degr d'usage varie de faon hautement significative selon le niveau d'tudes. Le groupe

    ayant fait des tudes de 3e cycle a le score le plus lev (24 403), le plus faible tant celui dessujets sans scolarit (2 909).

    Interprtation :Ce rsultat dmontre que le degr d'usage du franais est directement li la scolarit, ce

    qui semble l'vidence mme. C'est ainsi que les sujets qui sont le plus longtemps exposs lalangue franaise l'cole et l'universit sont ceux qui emploient le plus cette langue; inver-sement, les sujets n'ayant pas frquent l'cole l'utilisent peu ou pas du tout.

    Ceci signifie que l'apprentissage et l'usage de la langue franaise passent par l'institutionscolaire. L'cole est donc un puissant appareil d'inculcation de la langue trangre; en d'autrestermes, le franais est d'abord et avant tout une langue de l'cole.

    - Usage et spcialit :Rsultats :Le degr d'usage varie de faon hautement significative selon la spcialit. Les sujets de

    spcialit technique enregistrent le score le plus lev (25,1), suivi des scientifiques (21 337).Les sujets qui ont le score le plus faible sont ceux qui appartiennent au groupe des sans spcia-lit 13729), c'est--dire les lves de l'enseignement fondamental et aux sans scolarit, suivides juristes (13 867).

    Interprtation :L'emploi important du franais est ainsi le fait des sujets appartenant aux catgories sociales

    dont la formation est reue en franais et dont la fonction ou la spcialit ncessite l'usage decette langue, c'est--dire les techniciens et les scientifiques. Inversement, les sujets dont lamatrise et l'usage du franais ne constituent pas une ncessit, savoir les lves, les commer-ants et les juristes, emploient peu cette langue. La langue franaise est donc essentiellementune langue de travail, une langue d'usage scolaire et professionnel.

    Attitude et reprsentation de la langue franaise :Les questions relatives aux attitudes et aux reprsentations sont les questions Q 29 et Q 30.

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  • Les Marocains et la langue franaise

    Les reprsentations que les locuteurs ont d'une langue donne sont la rsultante del'ensemble des dispositions la fois psychologiques et sociologiques intriorises par le sujetparlant. De ce fait, elles relvent de l'ordre du subjectif, de l'idologique, de l'imaginaire, dujugement, etc. A priori, il semble difficile de les saisir par le moyen d'une approche quantita-tive. Il est clair cependant que la chose n'est pas impossible puisque la mthode dveloppe icia donn des rsultats probants.

    La quantification de la reprsentation est value avec un minimum 0 et un maximum 6. Elleest faite en notant 0 une rponse ngative et 1 une rponse positive. D'aprs cette mthode decalcul, la moyenne gnrale concernant la reprsentation est 3467/6.

    Sur une question particulire concernant le classement du franais par rapport aux autreslangues en prsence sur le march linguistique marocain (Q 29), le franais est gnralementclass en seconde position aprs l'arabe standard, ce qui dnote une attitude plutt positive dela part des sujets.

    Concernant la nature de la reprsentation, il apparat que prs de la moiti des sujets (47,33)ont une reprsentation modre de la langue franaise, (i.e. le franais comme langue utile audveloppement du pays) ; il est noter galement que le nombre de sujets ayant une reprsen-tation de type positif, (c'est--dire le franais comme langue de la modernit et du prestigesocial) est lgrement suprieur celui des sujets qui en ont une reprsentation franchementngative, c'est--dire le franais comme langue coloniale et alinante.

    On peut donc dire que globalement, les sujets enqutes semblent plutt bien disposs l'gard de la langue franaise. Voyons prsent la nature de la reprsentation selon la classed'ge, le sexe, le niveau d'tudes et la spcialit des sujets.

    - Reprsentation et ge :Rsultats :Ilfaut signaleren premier lieu que lamoyennedesscoresestpositivepourl'ensembledes groupes.

    Ce qui signifie que sur le plan statistique, la reprsentation ne varie pas de faon significative selonle groupe d'ge (p=.O144). La moyenne la plus leve concerne le groupe 12-20 ans, c'est--direles sujets les plus jeunes (3 867) ; la plus faible est le fait du groupe 41-50 ans (3 036).

    Interprtation :Si le degr de reprsentation est indiffrent l'ge et si la nature de la reprsentation est

    globalement positive alors cela signifie que les changements sociolinguistiques l'uvre dansla socit marocaine n'ont pas d'impact sur la reprsentation que les Marocains ont de lalangue franaise.

    Ceci signifie notamment que la reprsentation ne diffre pas sensiblement d'un groupe l'autre :

    - entre les sujets qui ont connu le rgime protectoral (groupe des 41 ans et plus) et ceux quisont ns aprs l'indpendance (1956);

    - entre ceux qui ont vcu la priode de la francisation de l'enseignement et de l'administra-tion (groupe de 41 ans et plus) et ceux qui ont t scolariss sous le rgime de l'arabisation desinstitutions scolaire et administrative, c'est--dire partir de 1958;

    - entre ceux qui subissent les effets de l'accroissement de la population urbaine et ceux quiont vcu dans un environnement essentiellement rural ;

    - enfin, entre les sujets qui ont vcu dans une socit o le taux d'analphabtisme tait exor-bitant et ceux qui bnficient d'un accroissement sans prcdent du taux de scolarit, etc.

    - Reprsentation et sexe :Rsultats :La reprsentation varie de faon hautement significative selon le sexe.C'est ainsi que les sujets de sexe masculin et fminin enregistrent des scores suprieurs la

    moyenne, avec un lger avantage aux derniers (3 813 contre 3,12).Interprtation :La supriorit du score des sujets de sexe fminin sur celui des sujets de sexe masculin pour-

    rait s'expliquer par une plus grande sensibilit des premiers aux attraits de la francophonie.

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  • Ahmed Boukous

    Le ressort de cette attraction pourrait tre la tendance avoir une reprsentation euphoriquede la francophonie, la francophonie comme

    - modle linguistique et culturel auquel on voudrait s'identifier;- outil d'accs la modernit pour chapper la tradition alinante;- capital symbolique faire valoir dans la comptition sociale.- Reprsentation et statut :Rsultats :La reprsentation varie de faon hautement significative selon le statut social des sujets. Le

    groupe dont le score moyen est le plus lev est celui des lves de l'enseignement fonda-mental (4 367) suivi de celui des commerants (4,1); en revanche, le score le plus faible estcelui des avocats (2 733) et celui des fonctionnaires (2 867).

    Interprtation :Paradoxalement, ce sont les groupes faible capital scolaire qui enregistrent les scores les

    plus levs et ceux qui ont un capital apprciable (bac ou bac + 4) ont un score infrieur lamoyenne. Comment expliquer ce paradoxe ?

    Nous postulons que les lves et les commerants ont le sentiment que la langue franaisereprsente un capital enviable parce qu'ils ne l'ont pas acquis. Ainsi pour les lves, notam-ment ceux issus de l'enseignement public, la russite scolaire dpend-elle de la matrise dufranais ; pour les commerants, le franais signifie le pouvoir conomique, il est identifi ausecteur conomique moderne.

    Quant aux groupes des avocats et des fonctionnaires, s'ils ont une reprsentation plutt nga-tive de la langue franaise, cela est d sans doute au fait que pour des raisons pragmatiques,cette langue n'est pas doue de l'aura qu'elle a auprs des autres groupes, c'est--dire que cen'est pas une langue de travail pour eux. Pour des raisons idologiques aussi, ils peuvent dve-lopper une reprsentation dysphorique de la langue franaise en valorisant l'arabe, le rapportdes deux langues tant ainsi conu comme exclusif et conflictuel.

    - Reprsentation et niveau d'tudes :Rsultats :La reprsentation varie de faon significative par rapport au niveau d'tudes (p=.0022). En

    effet, les diffrents groupes ont une reprsentation favorable de la langue franaise avec unscore dpassant la moyenne pour tous les groupes.

    Les sujets dont le niveau correspond l'enseignement fondamental a la reprsentation laplus favorable de la langue franaise avec une moyenne de 4089/6; en revanche, ceux dont leniveau correspond au 3e cycle et au 2e cycle enregistrent la moyenne la plus faible (respective-ment 3,13 et 3 134).

    Interprtation :Si la reprsentation que les sujets ont de la langue franaise est globalement positive cela

    signifie que le niveau d'tudes n'est pas une variable discriminante quant au degr et la naturede la reprsentation. Ceci signifie en outre que l'cole n'est pas le seul appareil qui forgel'habitus sociolinguistique des sujets. En effet, le champ social constitue probablement plusque nul autre un puissant creuset de production et de reproduction des reprsentations, un lieude classement, de dclassement et de reclassement des produits symboliques, dont la langue.

    Il appert paradoxalement que les groupes dont le niveau d'tudes est le plus bas, c'est--direceux qui n'ont pas fait d'tudes ou qui ont le niveau du fondamental, sont ceux qui ont le degrle plus lev en termes de reprsentation favorable la langue franaise. Inversement, les sujets fort capital scolaire n'ont pas une reprsentation euphorique de la langue franaise.

    Ce paradoxe peut se comprendre en admettant que pour les sujets qui ne matrisent pas lefranais, cette langue reprsente un modle attractif. Pour ceux qui la matrisent, en revanche,elle est banalise en tant replace au niveau global de la comptition des languesinternationales; c'est alors l'anglais qui semble jouir de la reprsentation la plus favorable.

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  • Les Marocains et la langue franaise

    - Reprsentation et spcialit :Rsultats :La reprsentation de la langue franaise varie de faon hautement significative selon la

    spcialit des sujets, ce qui signifie que la spcialit est une variable pertinente quant la diff-renciation entre les groupes du point de vue de la reprsentation qu'ils ont de la langue fran-aise.

    Le groupe qui a le score le plus lev correspond aux sujets qui n'ont pas de spcialit, c'est--dire ceux qui n'ont pas t scolariss ou qui ont le niveau de l'enseignement fondamental(4,25), il est suivi du groupe des sujets littraires (3 633). Le groupe qui enregistre la moyennela plus faible est celui des sujets qui ont une formation juridique (2 733).

    Interprtation :Ici galement, les sujets faible capital scolaire semblent avoir intrioris une reprsentation

    positive de la langue franaise, ce qui rvle une corrlation troite entre la spcialit, le niveaud'tudes et la reprsentation. Ceci semble signifier que ces sujets dveloppent une image posi-tive de la langue franaise parce qu'elle reprsente pour eux un capital symbolique d'autantplus valorisant qu'ils en sont dpourvus.

    Il est intressant de remarquer que le groupe des sujets ayant une formation littraire fontgalement montre d'une disposition favorable la langue franaise. Pour ces sujets, l'imagede la langue franaise est lie la culture francophone, notamment dans ses aspects littraireset philosophiques. C'est ce qui pourrait expliquer les scores des sujets de spcialit scientifiqueet technique (infrieurs celui des littraires) pour qui le franais ne reprsente pas la languede la modernit et de la haute technologie.

    Le groupe des sujets de formation juridique ont une reprsentation plutt ngative de lalangue franaise sans doute parce qu'elle est de peu d'utilit dans l'exercice de leur mtier etpeut-tre aussi parce qu'ils ont une attitude idologique qui assimile le franais au fait colonialet l'alination.

    Discussion : partir des rsultats de cette recherche nous allons discuter la notion de francophonie appli-

    que la situation sociolinguistique marocaine en tentant de rpondre aux deux questionssuivantes :

    Le Maroc est-il un pays francophone ou si l'on prfre les Marocains sont-ils desfrancophones ?

    Quels sont les enjeux symboliques l'uvre sur le march linguistique du fait de la prsencede la langue franaise ?

    Mythe et ralit de la francophonie au Maroc :Rpondre la question de savoir si le Maroc est un pays francophone ncessite un dtour

    historique rapide propos de la gense de la notion de francophonie.Un examen mme succinct de la notion de francophonie rvle un glissement smantique

    significatif qui manifeste une ambigut smantique qui a accompagn sa gense mme.En effet, la notion de francophonie telle que conue par le gographe franais O. Reclus

    renferme ds le dpart un dessein culturel et politique. La notion est certes base gogra-phique, i.e. c'est l'ensemble des pays o le franais est parl mais vrai dire quelles contresen dehors de la France, du Qubec, de la Belgique et de la Suisse francophones utilisaient lefranais? Sans doute aucun.

    L'ide d'une grande communaut francophone tait certainement dj inscrite dans l'air dutemps, savoir le colonialisme triomphant. Notre gographe concevait dj la francophoniecomme un empire, un empire divers par ses peuples et ses cultures mais unis par la languefranaise.

    Au moment de la dcolonisation en Afrique, et ce n'est probablement pas un hasard del'Histoire, la notion de francophonie est introduite par L. S. Senghor (puis par Bourguiba) avecun smantisme o le culturel semble l'emporter sur le politique. Sous la plume du pote-chefd'tat, il est normal que le terme francophonie ait t employ afin de chanter les vertus de la

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  • Ahmed Boukous

    langue franaise comme merveilleux outil de communication et comme lien de solidarit de lle ton tant lanc, la francophonie culturelle voit le jour en 1970 avec l'ACCT. Trois lustresplus tard, en 1986 exactement et de faon officielle, la conception de la francophonie devientplus politique que culturelle avec la premire Confrence des Chefs d'tat et de Gouvernementdes Pays ayant en commun l'usage du Franais, et le primat du politique de se consolider aufil des Sommets de la francophonie.

    En fin de compte, on peut dire que la francophonie est une notion polysmique englue dansl'ambigut et l'ambivalence, comme l'crit J. Cellard : Le concept de francophonie n'a pasde base objective srieuse, mais la reprsentation - subjective - de ce pseudo-concept est uneralit politique, sociale et culturelle. Elle est videmment aussi une ralit sociolinguistique .

    En effet, la francophonie est une notion qui s'est dveloppe la fois dans la gnrosit etl'ambigut, gnrosit du partenariat solidaire des pays francophones et ambigut du desseinpolitique (Lger, 1986) ; la francophonie est ainsi un phnomne dans lequel il y a imbricationdes niveaux linguistique, culturel, conomique, politique et stratgique.

    C'est en raison des ambivalences de la notion de francophonie que nous avons prfr intitulercette communication Les Marocains et la langue franaise et non pas La francophonie au Maroc.

    Aprs ce dtour, peut-on dire que les Marocains sont francophones ?Sur le plan sociolinguistique, la prsente recherche a montr que les Marocains ne sont pas

    des francophones au premier degr, c'est--dire le franais a de facto les fonctions de premirelangue trangre. moins de retenir une dfinition trs lche de la notion de francophone, celledes dictionnaires de langue selon laquelle un francophone est quelqu'un qui parle franais,sans prjuger du degr de matrise et d'usage de cette langue, on admettra que la moyenne dessujets enqutes est francophone. Mais si l'on retient une acception plus restrictive, statistique-ment le sujet francophone type est une locutrice du niveau du troisime cycle, enseignant-cher-cheur et ayant une spcialit scientifique, c'est--dire une minorit de Marocains dont le statutsocial est apparent celui des lites urbaines.

    En tout cas, l'analyse des usages et des reprsentations du franais montre que le statut defacto du franais est celui d'une langue seconde. Ainsi :

    - la moiti des sujets enqutes dclare avoir un niveau suffisant pour employer le franaiscorrectement; rappelons que l'enqute a t effectue en milieu urbain seulement;

    - les usages qu'ils font de la langue franaise se limitent gnralement aux tudes et auxactivits professionnelles ;

    - le degr de connaissance qu'ils ont de la culture francophone est infrieur la moyenne,ce qui signifie que la matrise de la langue et de certains de ses usages ne va pas de pair avecla connaissance et la pratique de la culture qu'elle vhicule.

    Ces rsultats s'expliquent parfaitement dans le cadre de la situation sociolinguistique maro-caine. Sur le plan constitutionnel, la langue officielle du Maroc est l'arabe, mais du fait del'histoire commune au Maroc et la France, c'est--dire le Protectorat de 1912 1956 et lesrelations privilgies depuis l'indpendance, l'usage du franais s'est maintenu dans l'ensei-gnement, l'administration et la vie publique.

    Cette position est renforce par le fait que le Maroc est aussi membre d'un certain nombresd'institutions francophones dont la Confrence des Chefs d'tat et de Gouvernement des Paysayant en commun l'usage du franais (Sommet de la francophonie), AUPELF, AIPLF, CILF,ACCT, FIPF, FIDELF, ADELF, etc.

    Il apparat travers l'analyse macrosociolinguistique du rpertoire langagier des locuteursque les diffrentes langues en prsence prennent en charge de faon distributionnelle etcomplmentaire les diverses fonctions. L'arabe standard (AS), langue officielle, est la languedes institutions tatiques, notamment l'administration et l'enseignement et la langueliturgique; l'arabe dialectal (AD) et le berbre (l'amazighe) (B) sont les deux languesmaternelles; enfin, le franais (F) est premire langue trangre obligatoire dans l'enseigne-ment fondamental et secondaire et langue d'enseignement dans le suprieur scientifique ettechnique. Il est aussi langue des services dans le secteur formel.

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  • Les Marocains et la langue franaise

    Cette coexistence des langues cre une situation de contact de langues marque par unedynamique qui prend la forme de diglossies enchsses :

    - diglossie des varit prestigieuse (AS + F) ;- diglossie des varits non prestigieuses (AD + B);- diglossie combinant une varit prestigieuse et une autre non-prestigieuse (AS + AD/B ;

    F + AD/B).Ces diglossies peuvent impliquer ou non le bilinguisme (AS/AD/B + F) ou mme le pluri-

    linguisme avec les diffrentes combinaisons possibles. Mais en rgle gnrale, on serait plusavis de parler de diglossie que de bilinguisme. En effet, le bilinguisme coordonn n'est laporte que d'une minorit de locuteurs, les usagers moyens du franais pratiquent plus souventle bilinguisme compos o la pratique du mlange de codes et du changement de codes estfrquente, en raison principalement d'une matrise approximative du franais.

    Sur un plan conceptuel, il apparat que la notion de diglossie subit ici un dplacement dfi-nitoire qui fait que l'intrt n'est plus port sur l'apparentement des varits en prsence maissur le caractre relationnel de ces varits. En outre, la dynamique introduite par la comptitionsymbolique entre ces varits infirme le caractre stable de la diglossie et met en jeu unprocessus d'instabilit des statuts et des fonctions qui fait qu'il est parfois malais de discernerla varit haute et la varit basse (Boukous, 1995)3.

    En dfinitive, on peut affirmer que les sujets qui sont en mesure d'utiliser correctement lefranais l'oral et l'crit sont les laurats de l'universit dont le franais est langue de forma-tion, c'est--dire, en tant optimiste, moins de 10 % des locuteurs, en sachant que le tauxd'analphabtisme est de l'ordre de 55 %. Il est donc clair que la francophonie marocaine estun phnomne sociolinguistique litaire, ce en quoi le Maroc ne diffre gure des autres paysen dveloppement qui se proclament francophones.

    L'ouverture sur les langues trangres, ici le franais, est perue de deux manires, l'une laconsidre comme un enrichissement personnel et communautaire et l'autre plutt comme unealination. Les crivains maghrbins de langue franaise se sont tt trouvs confronts cettevision duelle. C'est ainsi que si Khatibi, Benjelloun et Labi considrent qu'ils s'approprientla langue franaise en la travaillant de l'intrieur, en revanche certains crivains dclarent souf-frir du sevrage de leur langue maternelle laquelle s'est substitu le franais. RelisonsK. Yacine dans Le polygone toile (1981 : 82) : Jamais je n'ai cess, mme aux jours desuccs prs de l'institutrice, de ressentir au fond de moi cette seconde rupture du lien ombilical,cet exil intrieur qui ne rapprochait plus l'colier de sa mre que pour les arracher, chaque foisun peu plus, au murmure du sang, aux frmissements rprobateurs d'une langue bannie secr-tement, d'un mme accord, aussitt bris que conclu. Ainsi avais-je perdu tt la fois ma mreet son langage, les seuls trsors inalinables - et pourtant alins .

    Cette vision duelle de la langue franaise se retrouve dans les reprsentations que les sujetsenqutes ont de cette langue. On peut dans une certaine mesure parler cet gard de schizo-glossie. Rappelons que Haugen (1972 : 148-149) dfinit cette notion comme une maladie quiaffecte les locuteurs et les crivains exposs plusieurs varits linguistiques de leur proprelangue, ajoutons aussi probablement d'autres langues.

    Enjeux symboliques induits par la francophonie :Quel que soit le degr de matrise effective de la langue franaise et la nature de la reprsen-

    tation qu'ils en ont, cette langue est prsente et elle remplit un certain nombre de fonctionssociolinguistiques. Se pose alors la question du rapport de la francophonie aux langues natio-nales, savoir l'arabe et le berbre (l'amazighe). Entre ces langues y a-t-il complmentarit ou

    3. La notion de diglossie est ici utilise dans l'acception large de Fishman; elle est employe pour signifierla situation o coexistent deux varits au status diffrent (une varit haute et une varit basse) et dont les fonc-tions sont complmentaires sans qu'elles soient ncessairement apparentes comme la dfinissent Psichari etFerguson

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  • Ahmed Boukous

    comptition? Coexistence pacifique ou conflit? Y a-t-il autorgulation ou drglement dupaysage sociolinguistique ?

    Le pragmatisme sociolinguistique :Les rsultats de l'analyse que nous avons effectue rvlent que dans l'habitus sociolinguis-

    tique des Marocains, la motivation pour le franais est de type instrumental, c'est--dire lefranais est considr comme une langue utile pour avoir une bonne formation acadmique etprofessionnelle, et ncessaire la promotion sociale et professionnelle. L'intrt pour le fran-ais est donc essentiellement un intrt pragmatique. Quant l'arabe et au berbre(l'amazighe), des degrs varis, il leur choit d'tre les langues de l'identit, ou des identitssi l'on prfre, sachant que l'identit n'est pas un tat statique et immuable mais un processuspermanent de construction, de dconstruction et de reconstruction.

    En effet, dans le paysage linguistique structur par les trois ples que sont l'arabophonie, laberbrophonie et la francophonie, il apparat que chacune des langues assure des fonctions etintervient dans des rles sociaux spcifiques, c'est--dire l'arabophonie comme vhicule del'identit arabo-musulmane; la berbrophonie comme vhicule de l'identit patrimoniale et lafrancophonie comme langue d'ouverture sur le monde moderne.

    Il est indniable que la langue franaise a introduit la faveur du Protectorat une donneexogne dans la dynamique de la situation sociolinguistique en se constituant en un troisimeple aux cts du ple berbre et du ple arabe. C'est pourquoi on peut dire que l'tat de lasituation symbolique est fonction de l'interaction de ces trois ples.

    L'tat de ce trinme est videmment li la conjoncture. Il se maintient dans un quilibredont le degr de stabilit est fonction de la dynamique des trois ples. Que l'emporte le pledu repliement avec la tentation de la drive identitaire, quelle que soit sa substance d'ailleurs,ou le ple de l'extraversion impos par la dpendance conomique et l'quilibre s'en trouverompu. Les sujets qui ont fait l'objet de notre enqute se sont montrs soucieux de raliser eneux-mmes cet quilibre en plaant l'arabe standard au sommet de leur hirarchie sociolin-guistique et en apprciant le franais pour son utilit.

    En suivant de prs ce qu'crit le Tunisien Touzani (1988 : 79) au sujet de cet quilibre idal,nous dirons que F autorgulation des diffrents ples devrait permettre de russir tre politi-quement maghrbin, culturellement arabo-berbro-musulman par la voix/voie de l'arabe et duberbre et conomiquement mditerranen par le truchement du franais pour des raisonshistoriques videntes. Telle semble tre l'quation de l'indpendance maghrbine et les fonde-ments de son identit culturelle et linguistique.

    En conformit avec cette perspective, les reprsentations que les Marocains ont de la languefranaise sont des reprsentations de type pondr, tout en considrant massivement que lalangue franaise est utile, ils n'en ont pas pour autant une reprsentation euphorique. Ils sonten quelque sorte favorables l'ouverture sans toutefois tomber dans le travers de l'extraver-sion. Pour ainsi dire, la francophonie est conue comme un espace de partage et d'changedont on espre que les termes soient emprunts d'galit et de convivialit. En tout cas, les sujetssemblent se dmarquer de la reprsentation hexagocentriste formule par Deniau (1983 : 19) :

    Cette notion d'idal communautaire, de partage, nous conduit examiner une volutionspirituelle du mot francophonie que l'on pourrait qualifier de mystique . Cette attitude secaractrise par une grande vnration pour notre langue (le franais). Celle-ci possderait unesorte de supriorit, par rapport toutes les autres langues employes dans le monde. Lescaractristiques de la langue, de ses modes d'analyse et composition expliqueraient donc laqualit de la pense franaise et le rayonnement culturel de la France.

    Ces sujets ne semblent pas non plus totalement sduits par l'approche lyrique deL.S. Senghor qui crit : Le franais, ce sont les grandes orgues les plus suaves, aux fulgu-rances de l'orage, et puis il est tour tour flte, hautbois, tam-tam... Les mots franais rayon-nent de mille feux comme des fuses qui clairent notre nuit .

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  • Les Marocains et la langue franaise

    - Reprsentation dysphorique :L'analyse des reprsentations du franais fait ressortir qu'une forte proportion de sujets

    considrent que cette langue vhicule l'alination culturelle. Essayons de voir succinctementle background idologique qui sous-tend ces reprsentations.

    La francophonie est vue comme une stratgie de dpendance des peuples anciennementcoloniss, pire comme une stratgie qui aggrave le sous-dveloppement en maintenant les paysfrancophones du Sud dans une situation d'assistance qui annihile les vellits d'un dveloppe-ment endogne. On n'est pas loin du jugement formul par Calvet (1974) il y a un quart desicle sur la francophonie qui charrie les relents de l'imprialisme culturel . Selon l'expres-sion de l'Algrien Chikh (1988 : 2), la francophonie souffre du contentieux historique descoloniss avec la langue franaise.

    M. Elmandjara (1988 : 36), qui est au Maroc un faiseur d'opinion, adopte une position simi-laire en contestant la thse de la francophonie comme lieu symbolique de la dpendance dansl'indpendance et comme lien de solidarit entre les pays francophones du Nord et ceux du Sudpour la sauvegarde de leurs intrts mutuels. Pour lui, l'Occident a sa propre culture et sonpropre dessein. Dans le fond, il est imbu de sa supriorit conomique, technique et culturelleet son rapport aux pays du Sud est bas sur la dfiance et le rejet. Avant d'tre conomique etpolitique, le clivage entre le Nord et le Sud est culturel; il soutient ailleurs que le conflit est-ouest s'est dplac sur un plan vertical. Il considre que la Guerre du Golfe, par exemple, estun rvlateur de ce clivage dans la mesure o elle constitue la premire guerre civilisationnellequi a largement dmontr que la contradiction principale se situe entre le Nord et le Sud et nonentre la francophonie et l'anglophonie, car en fin de compte latinit et anglo-saxonit seressourcent dans les mmes referents religieux, philosophiques et culturels.

    Au niveau de la contradiction secondaire qui l'oppose l'anglophonie pour la ralisationd'intrts conomiques et stratgiques, la politique de la francophonie utilise la diffusion de lalangue franaise et de la culture francophone comme une arme dans la lutte des puissancesfrancophones, notamment la France, contre le monopolisme amricain. D'ailleurs, ainsi quel'crit Calvet (1987 : 270), l'issue de cette guerre de tranche est certaine car les armes de laculture et de la langue sont impuissantes face celles de l'conomie et de la technique.

    ce sujet, il est significatif de voir que les sujets enqutes se dpartagent en deux groupes peu prs gaux quant savoir si le franais est une langue de la modernit ou non. Ceci estle signe de l'mergence d'une tendance technocratique favorable l'anglophonie et quisoutient l'argumentation suivante : s'il faut une langue trangre autant que ce soit la languela plus performante, c'est--dire l'anglais. Cette tendance se reflte aussi dans les rponsesconcernant le classement des langues en prsence, le franais occupe la deuxime place justeavant l'anglais. De fait, la demande sociale pour l'anglais est devenue forte depuis unedcennie, elle se manifeste par un indicateur clair : le nombre d'institutions prives qui dispen-sent des formations en anglais selon le modle anglo-saxon.

    Le janus francophone :Au terme de cette recherche, on ne peut que reprendre la mtaphore de Chikh (1988 : 20) :

    la francophonie apparat bel et bien comme Janus aux deux visages, le visage des Lumires etcelui des Tnbres, le visage de la sduction et celui de l'exclusion. Cette reprsentation duelleet vigilante est renforce par l'apprciation plus que critique de professionnels de la franco-phonie. Voici le tmoignage du Canadien Lger (1986 : 189) :

    J'prouve parler de francophonie dsormais un malaise croissant en mme temps qu'unsentiment d'accablement. Il m'arrive de penser que si la francophonie n'existait pas, il faudraitsurtout ne pas l'inventer.

    Il se peut que ce jugement soit spcifique la composante canadienne de la francophoniemais il corrobore l'opinion grandissante de certains milieux nationalistes et islamistes quivoient dans la francophonie un projet de domination politico-idologique.

    Cette opinion considre comme un modle de nationalisme linguistique suivre la LoiToubon qui vise dfendre la langue franaise face l'anglais, c'est l'un des objectifs de la

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  • Ahmed Boukous

    politique d'arabisation dont on voudrait qu'elle ft systmatique et efficiente. Dans ce contextepeu propice au partage et au dialogue, quand on se risque faire le pari francophone, quelleissue pour ceux qui se trouvent pris entre le marteau de l'alination la culture occidentale etl'enclume de la folle drive identitaire?

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    ANOVA Table for Reprsentation

    DF

    5294

    Sum ofSquares

    37,929582,738

    MeanSquare

    7,5861,982

    F-Value

    3,827

    P-Value

    0,0022Niveau-tudesResidualModel II estimate of between component variance : 0,116

    26

  • Les Marocains et la langue franaise

    Means Table for ReprsentationEffect : Niveau

    NantFondamentalSecondairePremiercysupDeuximecysupTroisimecysupModel II estimate of between component variance : 0,116

    Fisher's PLSD for ReprsentationEffect : Niveau-tudesSignificance Level : 5 %

    Nant, FondamentalNant, SecondaireNant, PremiercysupNant, DeuximecysupNant, TroisimecysupFondamental, SecondaireFondamental, PremiercysupFondamental, DeuximecysupFondamental, TroisimecysupSecondaire, PremiercysupSecondaire, DeuximecysupSecondaire, TroisimecysupPremiercysupPremiercysup, TroisimecyDeuximecysup, Troisimec

    Frequency Distribution for UtilitCount Rei. Freq.

    NonOuiTotal

    Count114557436777

    Mean3,8184,0893,5793,6983,1343,130

    Std. Dev1,1681,2211,1791,2641,6961,490

    Std. Err.0,3520,1820,1560,1930,2070,170

    Mean Diff-0,271

    0,2390,1210,6840,6880,5100,3910,9550,959

    -0,1190,4450,4490,5630,5680,004

    Crit. Diff0,9320,9120,9360,9010,8930,5530,5910,5340,5200,5600,4990,4840,5410,5270,463

    P-Value0,56800,60630,80020,13650,13040,07030,19360,00050,003

    0,67660,08070,06890,04150,03500,9849

    Percent49

    251300

    0,1630,8371000

    16,33383,667

    100 000

    Sum ofSquares

    ANOVA Table for Reprsentation

    DF

    SpcialitResidualModel II estimate of between component variance : 0,177

    MeanSquare F-Value P-Value

    5294

    50,888569,778

    10,1781,938

    5,252 0,0001

    27

  • Ahmed Boukous

    Means Table for Reprsentation

    SciencesLettresTechniquesNantDroitNon spcifi

    Fisher's PLSD for ReprsentationEffect : Spcialit Significance Level :

    Sciences, LettresSciences, TechniquesSciences, NantSciences, DroitSciences, Non spcifiLettres,Lettres, NantLettres, DroitLettres, Non spcifiTechniques, NantTechniques, DroitTechniques, Non spcifiNant, DroitNant, Non spcifiDroit, Non spcifi

    Frequency Distribution for Franais

    PremireDeuximeTroisimeQuatrimeCinquimeSiximeTotal

    Frequency Distribution for ModernitCount Rei. Freq.

    NonOuiTotal

    Effect :Count

    1044910483059

    Mean3,3653,6333,1004,2502,7333,305

    Std. Dev1,3801,4390,8761,0821,6391,523

    Std. Err.0,1350,2060,2770,1560,2990,198

    Mean Diff- 0,267

    0,265- 0,885

    0,6320,0600,533

    -0,6170,8990,328

    -1,1500,3070,2051,5170,945

    - 0,572

    Crit. Diff0,4750,9070,4780,5680,4470,9510,5560,6350,5300,9521,0000,9370,6380,5330,614

    P-Value0,26880,56520,00030,02930,79060,27110,02980,00570,22440,01810,47130,6669

    < 0,00010,00060,0680

    Count44

    1156952119

    300

    Rei. Freq.0,1470,3830,2300,1730,0370,0301,000

    Percent14,66739,33323,00017,3333,6673,000

    100,00

    Percent152148300

    0,5070,4931,000

    50,66749,333

    100,000

    28

  • Les Marocains et la langue franaise

    99201300

    0,3300,6701,000

    33,00067,000

    100,000

    Frequency Distribution for AlinationCount Rei. Freq. Percent

    NonOuiTotal

    Frequency Distribution for Prestige SocialCount Rei. Freq. Percent

    NonOuiTotal

    Frequency Distribution for UtilitCount Rei. Freq. Percent

    NonOuiTotal

    Frequency Distribution for Nature/reprs

    147153300

    0,4900,5101,000

    49,00051,000

    100,000

    49251300

    0,1630,8371,000

    16,33383,667

    100,000

    Count Rei. Freq.ngativemodrepositiveTotal

    Correlation Matrix

    Percent74

    14284

    300

    0,2470,4730,2801,000

    24,66747,33328,000

    100,000

    b.la

    ngu

    c

    Usa

    ge

    nce

    nnai

    ssa

    ou

    S

    Mot

    iv-

    trun

    ien

    t

    O

    s

    Ageniveau-scolaritnb. languesUsageConnaissanceMotiv-InstrumentaleMotiv-integrativeReprsentation300 observations were used in this computation.

    1,0000,1380,039

    - 0,096-0,012

    0,0500,143

    - 0,070

    0,1381,0000,3500,3830,329

    - 0,050-0,129- 0,224

    0,0390,3501,0000,3110,2690,037

    - 0,040- 0,074

    - 0,0960,3830,3111,0000,5660,2190,1050,222

    -0,0120,3290,2690,5661,0000,1800,0120,151

    0,050- 0,050

    0,0370,2190,1801,0000,4460,254

    0,143-0,129-0,400,1050,0120,4461,0000,284

    - 0,070- 0,224- 0,074

    0,2220,1510,2540,2841,000

    29

  • Ahmed Boukous

    Correlation Analysis

    Age, niveau-scolaritAge, nb.languesAge, UsageAge, ConnaissanceAge, Motiv-InstrumentaleAge, Motiv-integrativeAge, Reprsentationniveau-scolarit, nb.languesniveau-scolarit, Usageniveau-scolarit, Connaissanniveau-scolarit, Motiv-Instniveau-scolarit, Motiv-inteniveau-scolarit, Reprsentnb.langues, Usagenb.langues. Connaissancenb.langues, Motiv-Instrumenb.langues, Motiv-integrativenb.langues, ReprsentationUsage, ConnaissanceUsage, Motiv-InstrumentaleUsage, Motiv-integrativeUsage, ReprsentationConnaissance, Motiv-InstruConnaissance, Motiv-integraConnaissance, ReprsentationMotiv-Instrumentale, MotivMotiv-Instrumentale, ReprMotiv-integrative, Represen300 observations were used in this computation.

    Correlation0,1380,039

    - 0,096-0,012

    0,0500,143

    - 0,0700,3500,3830,329

    - 0,050-0,129- 0,224

    0,3110,2690,037

    - 0,040- 0,074

    0,5660,2190,1050,2220,1800,0120,1510,4400,2540,284

    P-Value0,01640,49620,09710,83170,39180,01310,2273

    < 0,0001< 0,0001< 0,0001

    0,38440,0255

    < 0,0001< 0,0001< 0,0001

    0,52050,49310,1998

    < 0,00010,00010,0694

    < 0,0010,00180,84060,0089

    < 0,0001< 0,0001< 0,0001

    95 % Lower0,25

    - 0,074- 0,207-0,125- 0,064

    0,030-0,182

    0,2460,2820,224

    -0,163- 0,239- 0,329

    0,2050,161

    - 0,076-0,152-0,186

    0,4840,109

    - 0,0080,1120,068

    -0,1020,0380,3510,1450,177

    95 % Upper0,2480,1520.0170,1010,1620,2520,0440,4460,4750,4260,063

    -0,016-0,114

    0,4100,3710,1500,0740,0390,6390,3250,2160,3270,2870,1250,2600,5320,3570,385

    30

  • Atelier Amrique du Nord

    Rapport de synthse

    Jacques Maurais

    Introduction

    Compte tenu des contributions reues, l'Amrique du Nord, dans le cadre de l'atelier, sersume au Canada, plus particulirement le Canada fdral, l'Ontario, Terre-Neuve et leQubec; deux collgues du Nouveau-Brunswick se sont malheureusement dsistes et unecontribution a t retire in extremis.

    Je prie l'avance mes collgues de bien vouloir excuser les raccourcis que je prendrai. Si jene rends pas compte de leur travail avec toutes les nuances souhaitables, j'espre du moins nepas trop trahir leur pense.

    J'ai regroup les contributions sous deux thmes : le changement des identits et l'valuationdes politiques d'amnagement linguistique.

    Changement des identits

    Les identits se modifient comme consquence de l'application des divers programmesd'amnagement linguistique. Corollairement et, pourrait-on ajouter, paradoxalement, onassiste de plus grandes manifestations de l'inscurit linguistique.

    Je regroupe sous ce thme les contributions de P. Brasseur, C. Moise, N. Labrie et S. Roy.J'inclus dans cette catgorie la contribution de G. Feuerverger parce qu'elle a un lien avec laquestion de l'identit. Dans ce cas, il ne s'agit plus tellement du changement des identits, maisde la valorisation de l'identit d'origine.

    P. Brasseur, Les langues et l'cole dans la communautfranco-terre-neuvienneP. Brasseur note d'abord que l'identit franco-terre-neuvienne est double : d'origine fran-

    aise par les hommes, d'origine acadienne par les femmes. Dans la rgion francophone, on adj parl, un peu, le breton ; mais le breton a toujours t une langue marginale Terre-Neuveet il a maintenant disparu. Tous les francophones de l'le sont aujourd'hui bilingues en franaiset en anglais; l'anglais est devenu la langue d'usage dans la communaut.

    La contribution de P. Brasseur est base sur plusieurs enqutes de terrain et porte sur leseffets de l'arrive de l'cole franaise Terre-Neuve. Auparavant, la scolarisation se faisait enanglais. On infligeait des chtiments corporels aux coliers si ceux-ci parlaient franais. Lematre, unilingue anglais, enseignait en anglais des enfants francophones rarement bilingues.Seuls les lves anglophones ou issus de couples mixtes pouvaient vraiment profiter de l'ensei-gnement en anglais. La consquence est qu'aujourd'hui la plupart des francophones de plus de40 ans ne peuvent ni lire ni crire le franais. (En passant, il faudrait un jour faire l'histoire dela rpression du franais au Canada, sur le modle de ce que F. Ferrer i Girones a fait pour lecatalan en Espagne et en France.)

    L'cole franaise est apparue rcemment Terre-Neuve (l'auteur ne dit pas quand exacte-ment). Jusqu' l'arrive de l'cole franaise, l'inscurit linguistique en franais tait inexis-

    31

  • Jacques Maurais

    tante dans la presqu'le francophone. Encore aujourd'hui, les informateurs n'ont pas le senti-ment de mal parler le franais.

    Pourtant, ils ne regardent pas la tlvision en franais parce qu'ils ne comprennent pas lavarit de franais de la tlvision; mais, selon P. Brasseur, ce serait plus une question socio-linguistique que linguistique, parce que ses informateurs disent mieux comprendre les fermiersqubcois, par exemple, que les journalistes. Mais ce qui focalise le dbat et l'inscuritlinguistique, c'est l'cole et la varit de franais qu'on y enseigne. En effet, on n'y enseignepas la varit locale de franais. Les enseignants sont qubcois ou viennent du NouveauBrunswick. Comme le dit P. Brasseur, la rfrence une langue standard,... de type qubcois,apparat aujourd'hui avec l'cole, comme une exigence nouvelle, qui droute les plus vieux.

    L'institution d'une norme qui ne correspond pas l'usage local cre une nouvelle inscurit.[...] Les personnes ges qui ont rsist l'assimilation se sentent atteintes dans leur lgitimit.

    Quoi qu'il en soit, l'cole franaise demeure l'un des acquis les plus importants pour lesfrancophones de Terre-Neuve.

    C. Moise, Les effets de la politique linguistique en Ontario franais : la dcisionsymbolique de Sault-Sainte-Marie

    La communication se base sur un corpus d'entretiens semi-dirigs d'interlocuteurs deSudbury, ville 28 % francophone.

    Jusque vers 1970, les Canadiens franais de l'Ontario vivaient en autarcie et ils n'avaient pasune identit qui les diffrenciait de ceux du Qubec. Voila la base d'un premier type d'identitque C. Moise dcouvre chez les francophones de l'Ontario : c'est le DISCOURS TRADI-TIONNEL. On accepte la domination conomique de l'anglais, on ne revendique pas une vieen franais, on croit que Franais et Anglais peuvent vivre cte cte sans se dtruire. Ce premiertype de discours traduit une certaine rsignation, mais sans renoncer l'identit franaise.

    Puis avec l'mancipation qubcoise, ce que l'on a appel la Rvolution tranquille desannes 1960, et avec l'clatement conomique de l'Ontario, on assiste une dsagrgation del'ide d'une nation canadienne-franaise (parce que, notamment, les francophones du Qubeccessent de plus en plus de se dfinir comme Canadiens franais pour revendiquer une identitqubcoise).

    Alors que l'identit des francophones de l'Ontario reposait jusque-l sur l'adhsion augroupe canadien-franais, comment, partir des annes 1960-1970, dfinir leur identit? Onconstate donc qu'apparat un nouveau modle ou un nouveau discours, celui des personnes quirestent en dehors du groupe, qui ne participent pas, car l'action politique et la participationsociale dans la communaut tracent les limites d'un dehors et d'un dedans.

    Apparat ainsi un modle de cheminement individuel, o la personne est la poursuite de sespropres intrts plutt que de ceux du groupe. Les personnes qui adoptent ce point de vue, cemodle, veulent se dmarquer du groupe franco-ontarien et cherchent une voie du ct du bilin-guisme individuel. Pour eux, le bilinguisme est peut-tre une nouvelle faon d'tre en franais.

    L-dessus, sur cette volution des identits, arrive en 1990 la dcision de la municipalit deSault-Sainte-Marie de se proclamer unilingue anglaise (dcision qui a entran celle dedizaines d'autres municipalits). En ralit, la dcision de Sault-Sainte-Marie ne changeaitsubstantiellement rien, elle ne faisait qu'entriner un tat de fait, la gestion de la municipalituniquement en anglais. Mais cette dcision a eu des rpercussions importantes au plan symbo-lique partout au Canada.

    J'ajouterai qu'un autre vnement important et mobilisateur pour la communautfranco-ontarienne s'est produit l'anne dernire : l'annonce du projet de fermeture du seulhpital universitaire francophone l'Ouest du Qubec, l'hpital Montfort d'Ottawa. Toutcomme la dcision de Sault-Sainte-Marie analyse dans la communication de C. Moise, lafermeture de l'hpital Montfort a mobilis les francophones et a contribu souder la commu-naut, mais c'est un sujet dont les rpercussions sociolinguistiques restent tudier.

    32

  • Rapport de synthse

    N. Labre et S. Roy, Transformations et stratgies d'action politique en milieuminoritaire franco-ontarien

    L'objectif des auteurs est d'tudier les manifestations actuelles de l'exercice des rapports deforce au sein de la socit civile en ce qui a trait la politique linguistique comme moyen degrer le pluralisme et la variation linguistique. La communication est base sur des donnesrecueillies auprs de la communaut franco-ontarienne dans le cadre d'un programme derecherches portant sur la construction discursive de l'identit francophone en milieu minori-taire (projet Prise de parole). Les donnes ont t analyses partir des mthodes ethnogra-phiques propres la sociologie et l'anthropologie.

    La mise en contexte laquelle procdent les auteurs se borne prsenter des vnementsrcents, ce qui ne permet malheureusement pas de rappeler la discrimination historique et laminoration dont furent victimes les francophones et qui expliquent en grande partie la situationactuelle. Trois dates rsument le cadre dans lequel les auteurs ont leur contribution. 1968 :financement par le gouvernement ontarien des coles secondaires franaises; 1986 : loi sur lesservices en franais dans les rgions spcialement dsignes ; janvier 1998 : gestion des colesfranaises par les francophones. Dans les annes 1990, la mondialisation et le nolibralismetransforment le rle de l'tat et obligent les minorits revoir leurs stratgies. En particulier,la cure d'amaigrissement de l'tat due l'influence nolibrale entrane la diminution desressources financires destines aux minorits.

    Les progrs des Franco-Ontariens rsultent de deux facteurs principaux : la mobilisation desFranco-Ontariens eux-mmes; et l'affirmation du Qubec (pour diminuer la lgitimit duQubec comme seul dfenseur des francophones au Canada, le gouvernement fdral a tendula reconnaissance du franais la grandeur du pays).

    Les auteurs notent que les Franco-Ontariens ont russi crer leurs propres espaces sociauxau sein desquels il est possible de fonctionner en franais, malgr un environnement majoritai-rement de langue anglaise. Ces espaces sociaux sont, outre la famille, des organismes dumonde associatif et des institutions scolaires et sociales.

    Dans leur analyse de discours, les auteurs utilisent une dichotomie : d'un ct, les personnes quiont une orientation de type plus communautariste ; de l'autre, les personnes qui ont une orien-tation individualiste (on retrouvait la mme dichotomie dans la communication de C. Moise).

    Les auteurs notent un clivage entre francophones de souche (descendants de Canadiens fran-ais) et No-Canadiens de langue franaise. Les minorits nouvelles, issues de l'immigration,sont invites s'intgrer la minorit de souche qui, elle, se montre dispose parler en leurnom. Ce sont les minorits issues de l'immigration qui font les frais de la cohsion apparentede la minorit francophone.

    G. Feuerverger, Une rflexion sur un projet novateur : une intervention en litt-ratie pour les lves des communauts culturelles Montral et Toronto

    Le titre appelle des prcisions terminologiques: au Canada, l'expression communautsculturelles dsigne les groupes ethniques issus de l'immigration. Quant au mot littratie, j'aitoujours eu beaucoup de rserves sur l'utilisation de ce nologisme qui me semble inutile,puisque nous avons dj en franais la distinction entre l'analphabtisme et l'illettrisme.

    Cette communication se situe dans le contexte du pluralisme linguistique qui caractrise lasocit canadienne, tant dans les milieux anglophones que francophones. J'ajouterai, pour mapart, que ce pluralisme linguistique est surtout le fait de quelques grandes villes et qu'il n'estpas gnralise dans tout le pays, loin de l.

    G. Feuerverger livre une rflexion, plus que des rsultats d'ailleurs, partir d'une tudeexploratoire base sur des entrevues, des conversations et de l'observation-participation.

    L'exprience qu'elle a mene vise susciter des occasions pour que les lves lisent dansleur langue maternelle en vue de stimuler leur dveloppement dans les deux langues (=L1 et

    33

  • Jacques Maurais

    langue d'enseignement). On fait donc lire des livres crits dans diverses langues trangres,mais il y a toujours une traduction dans la langue d'enseignement, de sorte que toute la classepeut prendre connaissance du mme livre. L'exprience est base sur l'hypothse suivante :plus les langues et les cultures d'origine sont intgres au programme d'tudes des lves, plusceux-ci ont de chances de russir l'cole. Les enfants bilingues qui ont acquis un niveau levde lecture dans leur langue premire ont plus de chances d'atteindre des niveaux levs dansleur langue seconde (l'anglais ou le franais). C'est l'hypothse dj formule par Cumminssur l'interdpendance entre les langues : les langues se compltent mutuellement, c'est--direque la comptence en langue seconde dpend de la comptence en langue premire au momentde l'exposition intensive la langue seconde; donc, plus l'enfant amliorera sa comptence enlangue premire, plus il aura de chances de bien matriser la langue de l'enseignement.

    valuation des politiques d'amnagement linguistiqueLes contributions reues procdent l'valuation non seulement des politiques nationales et

    provinciales, mais aussi celle de la politique linguistique plus ou moins explicite d'unenation/bande/tribu/rserve autochtone. La contribution de D. Daoust se situe l'chelle cana-dienne, mais aussi aborde le cas de la politique linguistique du Nouveau-Brunswick. Celle deP. Bouchard porte sur la francisation des entreprises au Qubec alors que D. Cyr dcrit lesrpercussions du programme d'immersion franaise chez les Micmacs d'une rservequbcoise.

    D. Daoust, La politique fdrale canadienne et les effets de sa mise en uvre surquelques minorits francophones du Canada

    Dans une prsentation trs fouille de la politique fdrale canadienne, D. Daoust constate,dans la fonction publique fdrale, une diminution du nombre de postes exigeant l'anglaisuniquement ou le libre choix de l'une ou l'autre des deux langues officielles au profit de postesexigeant le bilinguisme, ce qui, thoriquement, favorise l'usage du franais. Paralllement, onremarque que les francophones ont accru leur prsence dans la fonction publique fdrale etque celle des anglophones a dcru.

    On constate enfin que les communauts linguistiques minoritaires sont davantage bilinguesque les communauts majoritaires, ce qui est normal (mais ne l'tait pas au Qubec jusqu'auxlendemains de la dernire guerre).

    P. Bouchard, La francisation des entreprises au Qubec : de la difficult relatived'hier la complexit de demain

    La lgislation linguistique du Qubec oblige toutes les entreprises de plus de 50 employs procder leur analyse linguistique et, le cas chant, ngocier un programme de francisationavec l'Office de la langue franaise. Aprs 20 ans, on constate qu'environ 70 % des entreprisesont obtenu leur certificat de francisation.

    La croissance rapide de la certification des entreprises dans les annes 1980 s'explique parceque le certificat confirmait simplement qu'il s'agissait d'une entreprise dj francise ou dontles propritaires taient francophones.

    Depuis le tournant des annes 1990, on constate un plafonnement de la francisation desentreprises. P. Bouchard voit deux causes qui expliqueraient ce plafonnement :

    - les mutations sociales, conomiques et technologiques ont pu entraner un recul du fran-ais dans les entreprises dj francises ;

    - les entreprises qui restent franciser sont les plus difficiles, celles qui appartiennent desnon- francophones ou qui font principalement affaire hors du Qubec.

    34

  • Rapport de synthse

    L'auteur donne l'exemple de ce qu'il considre comme un cas difficile : les chanes hte-lires. Les tablissements hteliers ont tout francis ce qui tait local, mais le logiciel de rser-vation demeure anglais car il doit tre le mme dans tous les tablissements de la chane travers le monde.

    La francisation doit s'exercer maintenant dans un contexte plus difficile, caractris entreautres :

    - par le nolibralisme, qui entrane une diminution du rle de l'tat face aux firmes ganteset aux firmes rseautes ;

    - par la mondialisation des activits conomiques, ce qui tend diminuer les responsabilitslocales.

    D. Cyr, L'amnagement linguistique en contexte trilingue : le cas des languesamrindiennes

    Cette contribution constitue une bonne illustration des problmes que doivent affronter lesPremires Nations (c'est--dire les tribus amrindiennes et les communauts esquimaudes)dans la dfense de leur langue ancestrale et dans la dfinition d'une politique linguistique : latrs grande dispersion territoriale des nations autochtones en plusieurs rserves isoles les unesdes autres et l'clatement des structures administratives.

    La recherche de D. Cyr porte sur la bande micmaque de Restigouche. Cette dernire compteenviron 2 300 personnes; elle a connu, au XXe sicle, une assimilation l'anglais. Il y a 18autres bandes micmaques, au total 20 000 25 000 personnes, dans l'Est du Canada et leNord-Est des tats-Unis. La transmission du micmac comme langue maternelle ne se faitquasiment plus dans toutes les communauts. La langue des 18-25 ans, dernire gnration parler la langue au foyer, a t toutes fins utiles relexifie partir de l'anglais et la morpho-logie est simplifie l'extrme. L'criture n'est pas uniformise d'une rserve l'autre, d'uneprovince canadienne l'autre et encore moins entre les Micmacs du Canada et ceux destats-Unis. Pour uniformiser les pratiques ducatives, les 19 bandes micmaques devraientd'abord s'entendre entre elles, puis avec le gouvernement fdral canadien, puis avec lesgouvernements de 5 provinces et celui d'un tat amricain !

    Il y a 30 ans, la bande de Restigouche a sign une entente pour faire scolariser ses enfantsen anglais au Nouveau-Brunswick (il n'y a qu'une rivire traverser) : l'entente prvoyaitqu'on devait aussi offrir des cours de micmac aux enfants mais les matres n'ont pas t formsen consquence et le matriel pdagogique tait inadquat. En plus, les enfants ont t victimesde racisme et de discrimination : comme consquences, une catastrophe culturelle et une plusgrande assimilation l'anglais. Maintenant, l'ducation a t rapatrie dans la rserve. Et leslves ont accs l'immersion linguistique,... mais l'immersion en franais. C'est le choixeffectu par la majorit des parents :

    ... le prestige de l'immersion franaise en milieu micmac est devenu tel que cesprogrammes, pour l'instant, dtournent une bonne partie des budgets qui autrement pourraienttre consacrs au dveloppement de programmes de micmac langue seconde ou d'immersionmicmac. Il se peut cependant que cette tape de passage par le bilinguisme officiel [=anglais-franais] soit, paradoxalement, un pas vers la construction claire de programmes d'immer-sion en micmac. En s'duquant aux techniques d'immersion et en dmystifiant le plurilin-guisme, les Micmacs feront peut-tre cole au Canada autochtone.

    J'ajouterai que la contribution de D. Cyr aurait pu tre incluse, elle aussi, dans ma premiresection, le changement, ou le maintien, des identits ; elle aborde la question du changementlinguistique du micmac, qui se relexifie et dont la grammaire se simplifie sous l'action del'anglais. Or, on sait qu'en gnral les dfenseurs d'une langue ne veulent pas de ces varitshybrides, impures. Mais c'est peut-tre dans cette hybridation que pourrait rsider l'avenir decertaines langues minoritaires. Le phnomne de l'hybridation linguistique n'est pas sansposer le problme de la redfinition de l'identit du groupe.

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  • Jacques Maurais

    Conclusion

    Lors de la discussion, le temps n'a pas permis de soulever un point d'ordre mthodologiquequi m'apparaissait pertinent, compte tenu de la nature de certaines des contributions. En effet,certaines contributions/celles des collgues de l'Ontario et celle qui porte sur Terre-Neuve,sont bases sur des analyses de discours, voire sont le compte rendu d'une ou de quelquesexpriences personnelles (Feuerverger). Bien que dans le cas du projet Prise de parole on aitinterview quelque 200 personnes, ce qui est un nombre suprieur celui de bien des enqutessociolinguistiques, on peut malgr tout se demander comment, partir de l'analyse dediscours, il est possible d'aller au-del de l'anecdote pour obtenir une perspective macro,puisque le sous-titre de nos Journes d'tudes est Approches macrosociolinguistiques. Est-ceseulement le point de vue qui doit tre macro, mais pas l'approche mthodologique? Commentpeut-on obtenir un point de vue macro partir d'entrevues libres qui favorisent le ctanecdotique? Les rponses devront attendre une autre occasion.

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  • Atelier Amrique du Nord

    La francisation des entreprises au Qubec :de la difficult relative d'hier la complexit de demain

    Pierre Bouchard

    Depuis la promulgation de la Charte de la langue franaise en 1977, la francisation desentreprises, lment majeur du plan d'amnagement linguistique du Qubec, a fait des progrsimportants. Tout n'est cependant pas achev : l'opration stagne depuis quelques annes(Comit interministriel sur la situation de la langue franaise, 1996 : 79-92) et, dans uncontexte de mutations socio-conomiques rapides, de nouveaux dfis se posent pour la certifi-cation des entreprises du Qubec1 et la gnralisation de l'utilisation du franais au sein de cesmmes entreprises (Office de la langue franaise, paratre). Le travail de francisation atoujours t difficile et il n'y a pas d'indices qui nous permettent de penser que ces difficultss'attnueront au cours des annes venir.

    Les analyses dont nous ferons tat tout au long de cette communication sont bases sur uncertain nombre de donnes provenant des dossiers administratifs de l'Office de la langue fran-aise et de recherches rcentes ralises l'Office de la langue franaise ou ailleurs. Ainsi, ilnous sera possible de parler du droulement du processus de certification des entreprises et del'utilisation du franais au sein des entreprises du Qubec et ce, tout en examinant le pass etle prsent et en anticipant l'avenir.

    La certification des entreprises au QubecNous traiterons dans cette section du processus de certification auquel sont soumises les

    entreprises employant 50 personnes et plus. Dans un premier temps, nous ferons une brvedescription du processus prvu par la loi. Ensuite, nous examinerons son volution pour enfinrelever les difficults de francisation passes et prsentes et celles qu'il nous est possible deprvoir pour l'avenir.

    Le processus de certification des entreprisesLe processus de certification des entreprises, prescrit par la Charte de la langue franaise et

    modul par les actions de l'Office de la langue franaise, est unique au monde et, sans doute,peu connu. Aussi, il nous apparat important de vous en prsenter brivement les principalestapes et les objectifs poursuivis par chacune.

    L'Office de la langue franaise a pour mandat gnral de veiller l'application de la Chartede la langue franaise, notamment2, de veiller ce que le franais devienne, le plus ttpossible, la langue des communications, du travail, du commerce et des affaires dans l'Admi-nistration et les entreprises (Charte de la langue franaise, a. 100). De ce fait, l'Office a le

    1. Il s'agit du processus de certification des entreprises employant 50 personnes et plus, prvu au chapitre Vde la Charte de la angue franaise qui a pour titre La francisation des entreprises.

    2. L'Office de la langue franaise a comme autre mandat gnral de dfinir et conduire la politique qub-coise en matire de recherche linguistique et de terminologie (Charte de la langue franaise, a. 100).

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  • Pierre Bouchard

    mandat particulier de grer le processus de certification des entreprises (entreprises employant50 personnes et plus) au Qubec.

    Il doit voir ce que, dans une entreprise donne, les travailleurs aient la possibilit detravailler en franais. Dans un tel cas, l'entreprise remplit la condition essentielle pour quel'Office lui mette un certificat de francisation.

    Avant d'obtenir son certificat de francisation, une entreprise doit d'abord procder l'analyse de sa situation linguistique et la soumettre l'Office pour apprciation.

    Par la suite, un certificat de francisation est dlivr par l'Office l'entreprise si ce dernierjuge que le franais y est suffisamment gnralis. Dans le cas contraire, l'entreprise3 doitlaborer un programme de francisation adapt sa situation particulire4, apporter les correc-tifs jugs ncessaires selon un chancier ngoci avec l'Office pour en arriver dans un tempsplus ou moins rapproch5 l'obtention d'un certificat (cf. graphique n 1).

    Aprs l'obtention du certificat de francisation, l'entreprise n'est pas libre pour autant deses obligations en regard de la francisation : selon les dispositions apportes par le projet de loi86 en 1993, l'entreprise certifie a l'obligation de continuer se proccuper de francisation enremettant l'Office, tous les trois ans, un rapport sur l'volution de l'utilisation du franaisdans l'entreprise (Charte de la langue franaise, a. 146). Voici les principales tapes duprocessus de francisation que rsume le graphique suivant (cf. graphique n 1).

    Pour clore cette rapide prsentation du processus de certification des entreprises, il noussemble important d'insister sur le fait que l'mission d'un certificat de francisation constitueun acte administratif pos par l'Office de la langue franaise l'endroit d'une entreprise lasuite d'une valuation de sa situation linguistique (Conseil de la langue franaise, 1995 : 94).Le certificat mis constitue en quelque sorte une reconnaissance officielle de l'atteinte desobjectifs de francisation dtermins par l'article 141 de la Charte. Ces prcisions sont impor-tantes, car, nous le verrons, la certification a une porte limite et ne signifie pas ncessaire-ment une utilisation relle et durable du franais par les travailleurs (Loubier, 1994 : 53).

    La difficult relative d'hierLes donnes administratives (cf. tableau n 1) sont trs instructives. Elles nous permettent de

    voir que le travail de certification des entreprises employant 50 personnes ou plus n'esttoujours pas termin aprs plus de 20 ans (environ 70 % des entreprises sont certifies6) et, enmme temps, elles permettent d'analyser le droulement du processus de certification et d'en

    3. Il est important d'ajouter que les entreprises employant 100 personnes et plus sont tenues d' instituer uncomit de francisation {Citarte de la langue franaise, a. 136 138). constitu pour le tiers de reprsentantsdes travailleurs, ce qui permet une responsabilit partage du droulement du processus de certification par lesemploys et les employeurs.

    4. Le programme de fran