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CEUX QUI ONT FAIT LE PRINTEMPS A

MAROC : LA JEUNESSQUI VEUT DÉCUL

CHARLIE HEBDO : Comment la chute de Ben Alia-t-elle été reçue au Maroc ?t Zineb el-Rhazoui : Ç’a été quelque chose d’ex-ceptionnel. On a compris que c’était un point denon-retour, ça allait forcément changer l’équili-bre de la région. Ce soir-là, j’ai vu des gens quine sont pas militants, des gens « normaux »,dans les bars à Rabat, qui buvaient, qui disaientque c’était le plus beau jour de leur vie.Nous sommes allés fêter l’événement devantl’ambassade de Tunisie. Et là, on a senti la pani-que. Contrairement à l’habitude, on ne s’est pasfait virer à coups de pied par les forces auxiliai-res, un corps de paramilitaires qu’on appelle« merda », comme merde, à cause de la couleurdouteuse de leur uniforme. Ils étaient brusque-ment devenus beaucoup plus affables… Il n’y ad’ailleurs eu aucune réaction officielle de la partdes autorités marocaines sur la chute deBen Ali. C’est seulement trois ou quatre joursaprès que les partis ont commencé à s’exprimer.

Cela a été votre déclic ?En fait, ça faisait des années qu’avec un petitgroupe d’amis je voulais faire quelque chose pourles libertés individuelles. Défendre ceux qui ontchoisi d’afficher leur liberté de culte, qui ont faitdes choix sexuels différents et que personne nedéfend au Maroc. À commencer par les défen-seurs des droits de l’homme classiques. Dans unpays où la torture est encore exercée dans sesformes les plus barbares et où la détention arbi-traire continue d’avoir cours, ils avaient d’autreschats à fouetter. L’expression même de « libertéindividuelle » était d’ailleurs totalement absentede la littérature des droits de l’homme au Maroc.C’était considéré comme une sorte de luxe, l’apa-nage de l’Occident, un vernis pour enjoliver unprojet démocratique déjà abouti. On nous a sou-vent dit par exemple : mais la question de l’homo-sexualité, franchement, au Maroc, c’est secon-daire ! Non. Il n’est jamais secondaire de seprononcer sur un principe.

C’est à ce moment-là que vous avez lancé leMALI, le Mouvement alternatif pour les liber-tés individuelles ?J’ai lancé le mouvement sur le Net avec uneamie, Ibtissam Lachgar. MALI, en dialecte maro-

cain, ça veut dire : « Quoi, qu’est-ce que j’ai dedifférent ? » Notre première action a eu lieu pen-dant le ramadan, en 2009. Le 13 septembre, on adécidé de protester contre l’article 222 du Codepénal marocain qui dit : toute personne, notoire-ment connue pour son appartenance à la reli-gion musulmane, qui rompt le jeûne ostensible-ment en période de ramadan est passible d’unepeine de prison de un à six mois et d’uneamende de 12 à 120 dirhams.On a appelé à un pique-nique dans la forêt deMohammedia. On voulait jeter un pavé dans lamare et impliquer dans le débat tous ces intellec-tuels qui enculent les mouches sur la laïcité etpréfèrent faire de la théorie plutôt que de semouiller.À peine arrivés à la gare de Mohammedia, nousavons été accueillis par une armée d’une cen-taine d’agents, des fourgonnettes, des motards,des inspecteurs en civil et même des cavaliers.On aurait vraiment cru que Ben Laden allaitdébarquer.En voyant ce déploiement colossal des forces del’ordre, beaucoup sont repartis et, finalement, ilsn’ont pu identifier que six personnes. Et moi, j’aiété cataloguée comme leader.Le lendemain, j’ai été la cible d’une fatwa lancéepar le conseil des oulémas de Mohammedia quim’accusait d’avoir défié les enseignements deDieu et du Prophète et réclamait une punitionexemplaire. C’est-à-dire des années de prison.Ils ont même balancé mon nom à la télé puisquela fatwa a été lue au JT de 20 heures.Le lendemain, les arrestations ont commencé.Les gens étaient embarqués, les uns après lesautres, sans mandat. Moi, j’ai eu le temps de dis-paraître et je suis entrée en clandestinité unedizaine de jours. Je ne voulais pas que noussoyons tous arrêtés et que la chape se refermesur nous. Comme, en plus, le jeudi j’ai eu la sur-prise d’apprendre dans le journal que j’avais étéarrêtée, je n’avais vraiment plus aucune raison d’yaller ! Finalement l’affaire a été médiatisée àl’étranger et nous avons atteint notre but : on amontré à l’opinion internationale que l’État maro-cain, qui se targue de véhiculer un islam modéré,met des jeunes en prison parce qu’ils mangent unsandwich pendant le ramadan. Chez nous, lors-que nous entreprenons des actions laïques contrele fondamentalisme religieux, la première répres-sion que nous subissons, c’est celle de l’État.

Votre action a fait des émules ?C’était la première fois dans l’histoire marocainequ’un groupe de jeunes, constitué sur Internet,sortait sur le terrain pour faire une action politi-que concrète. Un mouvement, en plus, fondé pardeux filles ! Ibtissam Lachgar et moi, on est deve-nues les deux salopes nationales.À ce moment-là, nous ne savions pas que nousétions à l’avant-garde d’une tendance qui allait seconfirmer par la suite. Le MALI a permis de faire

émerger une communauté d’idées à travers leNet, de Tanger à Goulimine, avec des per-sonnes très différentes, des vendeurs

ambulants, des chômeurs, des méde-cins, des artistes, des journalistes,des étudiants, des lycéens, des gensqui parlent français, arabe, amazigh,espagnol… Des personnes qui ne se

seraient jamais rencontrées dans la vieréelle, mais qui partageaient le même idéal desociété. Et on a compris la puissance de laplate-forme Facebook.

Au début de l’année 2011, vous avezparticipé au Mouvement du 20-Février qui appelait au boycott duréférendum sur la réforme consti-tutionnelle…

C’est une Constitution Cocotte-Minute, concoc-tée en trois mois et soumise à référendum en dixjours. Un peu court pour qu’il puisse y avoir undébat national. Elle a été concoctée dans lesarcanes du palais royal et taillée sur mesure pourarranger les prérogatives royales. Le roi reste lechef du sécuritaire, du militaire, du religieux, del’exécutif, du législatif…Non seulement le texte n’apporte aucun change-ment — c’est toujours la sainte trinité marocaine:Dieu, la patrie et le roi —, mais il est encore plusrétrograde et plus absolutiste que le précédent.Le roi garde, évidemment, son statut de com-mandeur des croyants, et en plus il devient unesorte de pape, puisque le Conseil des oulémasentre dans la Constitution. Certains oulémas sié-geront même au sein d’autres instances, commele Conseil national de sécurité ou le Conseilsupérieur de la magistrature. Et comme ceConseil supérieur des oulémas sera l’unique ins-tance autorisée à émettre des fatwas, ça revientà dire que dorénavant, c’est l’État qui émettra desfatwas…Quant à cette histoire de libre exercice des cultes,ç’a toujours été une chimère. De toute façon,comme il n’y a que deux communautés religieu-ses officielles au Maroc, si on n’est pas juif, on estmusulman par défaut, donc on naît, on se marie,on divorce et on meurt en tant que musulman,qu’on le veuille ou pas. Moi, par exemple, en tantque femme marocaine athée, si je veux épouserun Espagnol ou un Français athée, mon futurmari sera forcé de se convertir à l’islam. Et j’hé-riterai toujours de la moitié de ce qu’héritent les

mecs, alors que je paie mon café et mes impôtsau même prix qu’eux.Quand Mohamed VI a présenté la Constitution aupeuple, il a effectivement parlé d’égalité hom-mes-femmes. Mais, dans le cadre des lois islami-ques ! S’il y avait une égalité hommes-femmesdans le cadre des lois islamiques, on le sauraitdepuis treize siècles ! C’est soit l’islam, soit l’éga-lité. De toute façon, à partir du moment où l’onsoumet la question de l’égalité hommes-femmesà une quelconque réserve, ça veut dire qu’il n’y apas d’égalité, point barre.

Quand vous avez lancé le Mouvement du 20-Février, vous avez été soutenus par les partisd’opposition ?Malheureusement, au Maroc, on a une scènepolitique complètement viciée. Les 34 partispolitiques représentés au Parlement se rangenttous automatiquement derrière le ministère del’Intérieur. Nous, en tant que mouvement du 20-Février, on n’a eu le soutien d’aucun d’entre eux.On a simplement été soutenus par les partis dela gauche radicale, non représentés au Parle-ment. Les partis politiques classiques ontcondamné notre mouvement, appelé à ne pasdescendre lors de la première manif du20 février. À part quelques individus qui nous ontsuivis en précisant qu’ils le faisaient à titre indi-viduel, tous les autres ont participé à la machinecolossale de désinformation et de diffamationqui s’est abattue sur nous. On a été qualifiés deramassis de dépravés, d’homosexuels, de juifs,de chrétiens, d’Espagnols, de gens du Mossad,

Zineb el-Rhazoui (29 ans),membre du Mouvement du 20-Février et journalisteau chômage, depuis queson hebdomadaire a été fermépar le régime. Entretien.

t ENTRETIEN

CHARLIE HEBDO N° 995 / 13 juillet 201108 /

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ARABE

SE LOTTER LE ROI

du Polisario, de personnes à la solde de la juntemilitaire algérienne…

Vous n’avez donc jamais été tentée de vousimpliquer dans la politique marocaine…L’opposition parlementaire est une chimère, c’estune espèce de théâtre qui passe à la télé le mer-credi et que personne ne regarde. Ce sont desrentiers de la politique, qui ont des sièges qui leurpermettent d’avoir des avantages, une visibilitéet des ascenseurs sociaux. Quand on a des légis-latives, les gens, la plupart du temps, ne saventmême pas pour qui ils votent. Les partis ont dessymboles, la balance, la lampe, le cheval, le dau-phin, le lion, le tracteur, la chèvre… Et les gensvotent pour le dauphin ou le lion! La campagne sefait à coups de tentes caïdales, de méchouis, defantasia, on invite les électeurs à manger dumouton et on leur dit qu’il faut voter pour le dau-phin parce que le dauphin c’est bien. C’est ungrand kabuki, et ça, les gens l’ont bien compris.On a accusé la jeunesse marocaine de ne pass’impliquer dans la vie politique. Mais dans quellevie politique allait-on s’impliquer? Face à un sys-tème complètement vicié, gangrené par la cor-ruption, on ne peut que se situer en dehors etmiliter autrement. La preuve : ce que des jeunesont pu faire en quelques mois, les partis n’ont paspu le faire pendant des années.

Le référendum a néanmoins été un succès pourle roi.Il faut voir comment ça s’est passé. Le 17 juin,quelques heures avant le discours au coursduquel le roi devait présenter la Constitution aupeuple, les moqaddem, les agents d’autorité, ontfait le tour des quartiers pour appeler les gens àdescendre spontanément manifester leur joie à

la fin de l’allocution royale. Les moqaddem, cesont des mecs qui font remonter les infos duquartier, repèrent si quelqu’un est en train deconstruire sans permis et font le tour des mai-sons quand il y a la fête du Trône, pour demanderaux gens d’accrocher le drapeau national… Pen-dant la campagne, ils se sont particulièrementactivés.Dans tous les coins, on a vu fleurir des bandero-les : l’association des cafetiers de telle rueappelle à voter oui, l’association des arracheursde dents de tel souk appelle à voter oui, l’associa-tion des marins-pêcheurs, l’association du bou-levard machin… Et le ministère de l’Intérieur a

alloué une enveloppe rondelette à huit partis poli-tiques pour qu’ils mènent campagne pour le oui.Pourtant, le jour du scrutin, les bureaux de voteétaient vides ! Mais, dans un pays qui est passémaître dans l’art de la manipulation des scru-tins, il y a des techniques bien rodées : déjà, il y aeu une flopée de cartes d’électeur libellées aunom de personnes décédées. Dans certainsbureaux, on a amené des cars entiers de genspour qu’ils votent oui. À la sortie de certainsautres, ceux qui ressortaient avec le bulletin« non » prouvant qu’ils avaient bien voté « oui »se voyaient remettre un billet ou une paire debabouches… Ailleurs, c’était encore plussimple, il n’y avait plus de « non » du tout, onne proposait aux électeurs que des « oui. ».Ou alors, au moment de signer sur le registreaprès avoir voté, on demandait aux gens d’ins-crire simplement une croix. Ce qui permettaitaux appariteurs de mettre autant de croix qu’ilsvoulaient devant les noms des personnes quin’étaient pas venues voter. À Casa, encoremieux, il n’y avait pas d’isoloirs. Et on a mêmedes vidéos qui montrent des gens en traind’éventrer et fouiller des urnes dans des par-kings. D’où, au final, ce score, digne de la Coréedu Nord, de 98 % de oui…

Quel est le bilan des violences ?On a eu cinq morts à Al-Hoceima, deux autres àSafi et à Séfrou, des centaines de blessés et d’ar-restations… Quand l’Union européenne a fait partde son inquiétude, le roi a changé de méthode.Il a eu recours aux baltagia, un terme qui nousvient d’Égypte et qui désigne des voyous de quar-tier que les moqqadem et la police mobilisent pourjouer les gros bras. Ce sont ces milices qui ontorganisé les contre-manifestations de loyalis-

tes. J’ai des photos où on les voitjuchés sur des camionnettesavec des portraits du roi, des

drapeaux, des machettes… On auraitdit les milices de Charles Blé Goudé,en Côte d’Ivoire. Une vidéo montreOussama el-Khelifi, l’un des fonda-teurs du Mouvement du 20-Février,se faire lyncher le soir du discours

royal du 17 juin, devant lapolice, en plein centre-villede Rabat, par un grouped’excités qui voulaient lecontraindre à faire la profes-sion de foi islamique et crier« Vive le roi ». Quand il aréussi à se réfugier dansl’entrée d’un immeuble, lesgens se sont assis sur le trot-toir en criant : espèce de sio-niste, sale juif, sale pédé, onpassera la nuit ici s’il le faut,le peuple veut exécuter les

traîtres, dis maintenant àJésus de venir te sauver…

Autant de gens qu’on voit sur desvidéos venir, à la fin de leur bou-

lot, réclamer leur argent aux agents d’au-torité…

Finalement, vous avez démarré avant les évé-nements en Tunisie, mais de façon éparse ?L’année dernière, bien avant Bouazizi, trois diplô-més chômeurs se sont immolés par le feu. Ilsne sont pas morts, heureusement. Et depuis, ily en a eu onze autres. Dont une femme, FadouaLaroui, qui s’est immolée par le feu le 21 févrierdevant l’hôtel de ville d’un patelin qui s’appelleSouk Sebt, dans le centre du pays. Elle est décé-dée le 23 février. Elle avait 25 ans et cristallisaità elle seule le drame que vit la femme marocaine.Elle était mère célibataire, habitait dans un bidon-ville avec son gosse, et les autorités de la ville ontrefusé de la faire bénéficier d’un programme de

relogement parce qu’en tant que mère célibataireelle n’avait pas le statut de chef de famille. Et onl’a expulsée de sa cabane, qui a été rasée. Elles’est retrouvée à la rue et a pété les plombs. Ona une vidéo de plus de trois minutes où on la voits’allumer comme une torche, elle reste debout,et elle crie : « Qu’est-ce que c’est que cette vie? »Et on la voit brûler.

Vous-même, vous avez été inquiétée ?Le 4 juin dernier, à 6 heures du matin, la police aarraché la porte de mon appartement à Casa etquinze agents gradés de la police judiciaire encivil ont débarqué. Il y avait le chef de la policejudiciaire le chef de la brigade préfectorale, et lapolice scientifique. Ils ont commencé à nouspousser, mon mec et moi, pour nous prendre enphoto ensemble dans le lit. Le délit de concubi-nage n’existe pas au Maroc, c’est considérécomme un délit de prostitution et c’est passiblede prison. Les experts de la police scientifiqueont pris en photo une espèce de petit galet pétil-lant pour le bain de chez Sephora parce qu’ils ontcru que c’était des capotes, donc une preuve defornication. Ils ont saisi deux bouteilles de vinvides, signe de mœurs dépravées, ont embarquémon disque dur et le vieil ordinateur de mon mecqu’ils l’ont accusé d’avoir volé alors qu’il avait lafacture. Il faut dire que mon mec est l’ancien fon-dateur et directeur du Journal hebdomadaire etqu’il a écrit un livre censuré au Maroc qui s’ap-pelle Mohamed VI, le grand malentendu.Au commissariat, pendant l’interrogatoire, je leurdisais : « Votre truc de prostitution, moi, j’as-sume. Mais vous, en tant qu’État marocain, vousn’allez pas pouvoir assumer de mettre deux mili-tants en taule parce qu’ils couchent ensemble ! »Finalement, ils ont abandonné le truc de prosti-tution, mais ils ont arrêté mon mec pour vol d’or-dinateur. Il a été inculpé et a eu trois mois avecsursis parce que l’affaire a fait tellement de bruitque c’était difficile de le mettre en prison. Deuxjours après qu’ils nous ont relâchés il a été enlevérue Patrice-Lumumba à Rabat et a disparu pen-dant 24 heures…

Le Mouvement du 20-Février continue-t-il àprendre de l’ampleur ?Pour la première manifestation du 20 février, ily a eu 270 000 personnes dans 53 villes maro-caines, un mois plus tard, après le discours duroi, il y a eu plus de 300 000 personnesdans 71 villes, et maintenant, ça n’a plusaucune commune mesure, le Mouvementdu 20-Février a 76 coordinations, dans 76 vil-les. En fait, les coordinations se créent toute

seules, c’est un vrai mouvement de société.Quand on va dans l’arrière-pays et qu’ondemande au citoyen lambda ce qu’il veut, ilrépond : que celui-là aille à l’école, que celle-làpuisse être soignée, je veux l’eau, je ne veuxplus être obligé de donner un bakchich à cha-que fois que je vais demander un extrait d’acte

de naissance, je ne veux plus être humilié par lepolicier et le gendarme… Il a la même revendi-cation que celui qui parle de séparation des pou-

voirs, de bonne gouvernance et de démocratieavec des termes plus politisés.

Il y a des très jeunes parmi vous ?Il y a des jeunes qui ne se rasent même pasencore, des ados qui ont 15 ou 16 ans qui pren-

nent des risques physiques. C’est la générationInternet, des gens qui sont ouverts sur le monde,

qui réfléchissent et qui ont expérimenté dans leurvie de tous les jours ce manque de liberté. Le sim-ple fait de vouloir marcher dans la rue main dansla main avec son petit ami, c’est quelque chosequi peut être répréhensible, les flics ou les gen-darmes peuvent vous arrêter, vous demander votrelien de parenté, ce que vous faites ensemble etvous emmener au poste. C’est une jeunesse quine comprend plus les archaïsmes de l’État féodalmarocain où les dignitaires, les élus du peuplefont le baisemain, pile et face, au roi et à son filsde sept ans, en se prosternant. Comment peut-on prétendre que ce régime est une démocratie,alors que le roi est entouré d’une garde de des-cendants de Peuls ou de Songhaïs qui ont gardéleur statut d’esclaves jusqu’en 1999 ? Commentpeut-on expliquer à une jeunesse ouverte sur l’uni-versel qu’ils sont des sujets du roi, que c’est unroi sacré qui reçoit son pouvoir absolu de Dieuet du Prophète et qui possède l’ensemble des pou-voirs au Maroc? Il ne faut pas oublier que 65 % dela population marocaine a entre 20 et 25 ans etqu’il n’y a pas de soupape. Avant, sous Hassan II,pendant les années de plomb, il restait encorel’espoir d’émigrer vers l’Europe. Aujourd’hui, c’estun mur qui se dresse face à la jeunesse. Mêmela frontière algérienne est fermée.

Vous n’avez pas peur de retourner au Maroc ?Depuis que j’ai donné une interview à El-Watan,j’ai reçu des menaces de mort sur ma boîte pri-vée, des articles diffamatoires ont été publiés surdes pseudo-sites d’information barbouzes, danslesquels on m’insulte en français, en anglais eten arabe. À la suite de ces articles, j’ai eu droità plus de 600 commentaires, dont certains appel-lent au viol et au meurtre: balancez-nous l’adressede cette pute, on va lui faire son affaire, on lui arra-chera les cheveux un à un, on va lui péter sa chatteà cette connasse…, des trucs indescriptibles. Idemdans deux journaux marocains aux ordres.

Propos recueillis par Sylvie Coma

/ 0913 juillet 2011 / CHARLIE HEBDO N° 995

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