Urgences suicidaires :les reconnaître et les prendre en charge
Dr Lequen V.
Service de psychiatrie d’adultes
Hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
introduction
Conduites suicidaires = comportements pathologiques de sujets ayant des structures de personnalité allant du normal au + pathologiqueDésir d’échapper à 1 situation difficile; d’agresser 1 personne ou institution; très souvent, sentiments dépressifsQuelle que soit l’intentionnalité du geste, dimension d’appel à laquelle il convient de répondre
Conduites suicidaires: définitions
Suicide: acte de se tuer (mort volontaire)
Tentative de suicide: passage à l’acte non fatal
Idées de suicide: élaboration mentale consciente d’un désir de mort
Équivalents suicidaires: conduites à risque avec désir inconscient de jeu avec la mort
La crise suicidaire
Crise psychique dont le risque majeur est le suicide
Moment de rupture dans la vie du sujet
Elaboration d’idées suicidaires de + en + envahissantes; le suicide devient la solution pour mettre fin à la souffrance actuelle
La crise suicidaire
Peut aboutir à la tentative de suicide…
…Et la tentative de suicide au suicide
Le suicide: un problème de santé publique
Suicide: Suicide: 11 000 décès/an en France(3H/1F)Première cause de mortalité chez les 15-35 ans(>AVP)
Les tentatives de suicideLes tentatives de suicide sont des FDR de suicide 160000 TS/an (2F/1H)
Facteurs de gravité : Dépression Persistance de l’envie de mourir États psychotiques, conduites de dépendance Sujet âgé Hommes Armes à la maison Sujet très isolé (dans la vie ou au moment de la TS) Maladies somatiques TS par pendaison ou arme à feu (forte létalité)
Le suicide: parlons-en !
Le repérage du potentiel suicidaire dépend surtout du fait que le thème est abordé en consultation
Le fait d’aborder le thème du suicide n’augmente pas le risque du passage à l’acte
La prévention du suicide est-elle possible?
Le problème:Des causes multiplesPas de solution unique
Modèle probabiliste du risque suicidaire: données valables à l’échelle du groupe. Profils de sujets à risque.À l’échelle individuelle: pas de probabilité = tout ou rien
Programme national d’actions
Direction Générale de la Santé et Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé : référentiels
Améliorer la PEC des suicidants Améliorer la connaissance épidémiologique Limiter l’accès aux moyens Accroître le dépistage du potentiel
suicidaire
Accroître le dépistage du potentiel suicidaire
Dépistage des sujets à risque et offre du PEC précoce et adaptée
Prise en compte de toute TS, aussi bénigne soit-elle sur le plan médical. Reconnaître la souffrance du sujet, l’aider à la nommer
Reconnaître et évaluer une crise suicidaire
Rechercher signes de changement par rapport à l’état antérieur: aggravation d’une affection associée( dépression, alcoolisme, délire), liée ou non à des facteurs que le sujet présente comme extérieurs(rupture sentimentale, licenciement, déménagement)
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
Regroupement de signes de rupture dans la vie du sujet= valeur d’alerte
Manifestation explicite d’idées et d’intention suicidaire(>1/4 suicidants ont averti leur entourage(24%) ou leur médecin(5%) de leurs projets de suicide
Changements d’attitudes: repli sur soi, irritabilité, anxiété, désinvestissement inhabituels; recours inhabituel ou excessif aux médicaments, alcool ou drogues.
Désespoir, autodépréciation, sentiment d’impuissance à gérer émotions et situations de vie
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
« comportements de départ »: don d’effets personnels investis affectivement, recherche soudaine d’arme à feu, lettres aux proches, testament
Chez l’enfant: dessins, blessures répétitives ,tbs des apprentissages, joue moins, devient « souffre-douleur »
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
Chez adolescent: intentionnalité suicidaire exprimée, fléchissement scolaire, conduites à risques récentes ou addictives, fugues, hétéro/auto-agressivité.
Chez personne âgée: « laissez moi partir », « à quoi bon.. », refus de soins; dépression, handicap, douleurs chroniques; placement en institution, veuvage
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
Chez l’adulte: arrêts de travail répétés Consultations médicales itératives pour douleur,
fatigue 60 à 70% suicidants/suicidés ont cs en med gen
pour tbs somatiques ds le mois précédent, dont 36% la semaine précédente:↗ fréquence des cs = S. d’alerte
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
Triple évaluation du potentiel suicidaire:
1. le risque suicidaire
2. L’urgence à intervenir
3. La dangerosité du moyen envisagé
Chaque dimension est estimée en degré faible, moyen ou élevé
Reconnaître et évaluer la crise suicidaire
Evaluation du risque
Risque = probabilité pour un individu d’un groupe donné de mourir par suicide dans les 2 ans
Evaluation à partir : De facteurs de risque D’événements de vie De facteurs de protection
Modèle intégratif des facteurs de risque suicidaire
Critères d’évaluation du risque1/
Facteurs Ires: accessibles aux Tts; signes d’alerte au niveau individuel
Troubles psychiatriques Atcds personnels et familiaux de TS Communication d’une intention suicidaire impulsivité
Crise suicidaire et pathologie mentale
> 90% de troubles mentaux chez les suicidés(autopsies psychologiques)
La comorbidité ↗ le risque suicidaire (association dépression-anxiété++)Ds la pop générale aux USA: nb de diagnostics = le + prédictif de létalité(Kessler, 1999)
Critères d’évaluation du risque 2/
Facteurs IIres: faible valeur prédictive sans les Ires, peu modifiables
Pertes parentales précoces Isolement social Chômage Difficultés financières et professionnelles
Critères d’évaluation du risque 3/
Facteurs IIIres: non modifiables, valeur prédictive si F. Ires et IIres
Sexe masculin Âge jeune ou grand Période de vulnérabilité
Critères d’évaluation du risque 4/
Facteurs de protection: Support social; soutien familial Prise en charge thérapeutique adaptabilité
Critères d’évaluation du risque 5/
Evénements de vie: effets de facteurs prédisposants et précipitants
Facteurs « trait »: impulsivité
Favorise le passage à l’acte, surtout si anxiété ou dépression associée
Instruments standardisés d’évaluation du risque suicidaire utilisés en clinique
SAD PERSONS (SDS)
Echelle d’intentionnalité suicidaire de Beck (SIS)
Echelle d’idéations suicidaires de Beck (BSI)
Inventaire de dépression de Beck (BDI)
Echelle de désespoir de Beck (BHS)
Inventaire d’anxiété de Beck (BAI)
Echelle de motivation du geste suicidaire(RASQ)
Instruments standardisés d’évaluation du risque suicidaire utilisés en clinique
SPS = seule échelle utilisée aux urgences pour étayer la décision d’une éventuelle admission en fonction du degré de suicidalité du patient (seuil à 6)
→ évaluateur; 10 items = F d R de suicide; score total: 0 à 14 (risque suicidaire le + élevé)
Cochrane-Brink K.A. et al. Clinical Rating Scales in Suicide Risk Assessment. General Hospital Psychiatry.2000.22,445-451.
« Sad Persons » Echelle d’évaluation du risque suicidaire
1- homme = 1pt
2- âge < 19ans ou > 45 ans = 1pt
3- déprimé ou désespéré = 2 pts
4- A T C D de TS = 1 pt
5- Éthylisme, abus substances actuel = 1 pt
6- Jugement détérioré par psychose ou confusion = 2pts
7- séparé, divorcé ou vie isolée = 1pt
8- intention exprimée de se suicider ou geste planifié = 2pts
9- pas de lien social significatif = 1pt
10- incapacité de garantir ses gestes ultérieurs = 2pts
Score Faible 0 – 4 ; Score Moyen 5 – 9 ; Score élevé 10 - 14
Score
Faible 0-4 Moyen 5-9 Elevé 10-14
Evaluation de l’urgence 1/3
3 étapes selon imminence du passage à l’acte: scénario, absence d’alternative
1. Faible: désire parler; cherche des solutions à ses pbs; pense au suicide; pas de scénario précis; lien de confiance avec un praticien
2. Moyenne: équilibre émotionnel fragile; scénario envisagé mais exécution reportée; suicide = seul recours imaginé pour cesser de souffrir; a besoin d’aide et exprime directement ou indirectement son désarroi.
Evaluation de l’urgence 2/3
3. Élevée: sentiment d’avoir tout fait; décision de passer à l’acte ds les jours qui viennent; planification claire(où, quand, comment); anesthésie affective, décision rationnalisée ou agitation; douleur morale omniprésente ou tue; isolement; accès direct et immédiat à 1 moyen de se suicider
Evaluation de l’urgence 3/3
Evaluation de la dangerosité
Létalité du moyen envisagé et accessibilité de ce moyenCAT: interroger le sujetSi accès facile et immédiat et/ou moyen létal = danger extrêmeLétalité par ordre décroissant:
PENDAISON, ARMES A FEU,NOYADE, Metro, Défenestration, médicaments
La personne en crise suicidaire peut être motivée à recevoir de l’aide
MAIS
L’intervention se situe à un moment où elle est en situation d’impasse psychologique
Peut-on désamorcer la crise suicidaire?
Quels modes d’intervention proposer?
Sur un axe temporel: intervention de crise et suivi au long cours
Sur un axe synchronique: prise en charge de l’individu et implication de son entourage
Intervention de crise 1/4
Aborder et interroger un sujet en crise suicidaire:
Confidentialité Au calme Favoriser l’expression des affects (pleurs,
verbalisation du désespoir, des frustrations, de la colère)
Intervention de crise 2/4
Mettre à jour la souffrance, attitude empathique
Faire préciser le contexte actuel dans les différents domaines de vie
Aborder directement la question d’éventuelles idées suicidaires (« avez-vous pensé à la mort comme solution à vos pbs ?»);effet cathartique d’1 TS ou regrets d’être en vie ?
Intervention de crise 3/4
Identifier F. précipitants et protecteurs: F. de vulnérabilité, évaluation de la crise
(risque, urgence, dangerosité) Sources de soutien ds l’entourage; recenser
les intervenants impliqués ou possibles; relever leurs coord.;proposer de les contacter et informer.
Capacité de coopération du sujet
Intervention de crise 4/4
• Distinguer: crise psychosociale et crise en lien avec un tb mental :
Si tb psychiatrique: PEC prioritaire Si nature psychosociale: analyser les
circonstances, la capacité du sujet à relativiser, la possibilité pour l’intervenant de réduire la tension psychique
Urgence et tentatives de suicideUrgence et tentatives de suicide
Conduite à tenir 1/3
1/ Traitement médical ou chirurgical de l'intoxication ou des conséquences du geste suicidaire
2/ Ne jamais laisser repartir un patient ayant un trouble de la conscience ou encore somnolent
3/ Examen psychiatrique avec recherche de facteurs de risque (dépression) et de protection ; enquête sur le geste suicidaire éventuel évaluation du niveau de risque suicidaire
4/ Stratégie thérapeutique en fonction du niveau de risque estimé
Urgence et tentatives de suicideUrgence et tentatives de suicide
Conduite à tenir 2/3
5/ Risque élevéRisque élevé hospitalisation en psychiatrie en HL ou HDT si refus du patient. Toujours hospitaliser si pendaison ou arme à feu
6/ Risque moyenRisque moyen discuter d’une hospitalisation en psychiatrie, en centre de crise (temps d’observation en service d’accueil), versus suivi spécialisé en ambulatoire ( dans un bref délai) 7/ Risque faibleRisque faible retour à domicile possible avec cs de post-urgence (dans la semaine) ou contact immédiat avec le médecin traitant
Urgence et tentatives de suicideUrgence et tentatives de suicide
Conduite à tenir 3/3
8/ Chimiothérapie Chimiothérapie : Pas d'antidépresseur en urgence Anxiolytiques ou neuroleptiques sédatifs en cas de
refus de soins chez un déprimé/agitation/anxiété en milieu hospitalier
En ambulatoire : préférer un IRS, moins toxique en cas de surdosage qu’un tricyclique
Urgence et tentatives de suicideUrgence et tentatives de suicide
Prévention et Dépistage
Prévention: Traitement des épisodes dépressifs majeursépisodes dépressifs majeurs. Repérage des formes cliniques "difficiles" : adolescent,
formes somatisées, sujet âgé. Traitement des conduites de dépendanceconduites de dépendance.
Dépistage: Avez-vous connu une période de 2 semaines pendant
lesquelles vous ayez eu des difficultés pour dormir, vous vous êtes senti déprimé, triste, avez perdu l’intérêt dans les choses ?
Vous êtes-vous senti découragé ou coupable ?
Faut-il un suivi après la crise?1/2
Envisager et organiser une continuité des soins dès le début de la PEC de la criseEvaluer les recours à disposition: le patient est-il déjà suivi, par qui, comment?Favoriser un lien entre les intervenants impliqués et le patient et son entourage.Si orientation: personnalisée(nom du thérapeute, coordonnées)Rdv rapidement après le traitement de la crise
Faut-il un suivi après la crise?2/2
Si Fd R primaires ou cumul ( tbs psy, suicidants, addictions): suivi spécialisé avec hospitalisation éventuelle/ ambulatoireSinon: suivi pas systématiquement médicalisé mais mobiliser réseau déjà sollicité ( socio-familial)Dans tous les cas: vigilance particulière de l’entourage professionnel ou non durant l’année suivant la crise suicidaire (surtout si persistance difficultés repérées lors de la crise)
Perspectives et amélioration de la prise en charge du suicidant
Dissocier les temps et les lieux : urgence (12H)/évaluation psychosociale (48H)
Intérêt des unités d’évaluation spécialisées
Optimiser les réseaux de soins
Evaluation des Pratiques professionnelles : FMC des intervenants sanitaires et sociaux Audit clinique ciblé HAS
EPP sur la prise en charge du suicidant : Audit clinique ciblé
Critères : Intitulés courts Critères : Intitulés completsC1 – PROCHES DU PATIENT RECUS EN ENTRETIEN
Par un membre de l’équipe psychiatrique (psychiatre, psychologue, IDE) au moins une fois pendant l'hospitalisation
C2 – EVALUATION DE LA SITUATION SOCIALE
A été réalisée, si nécessaire par une assistante sociale
C3 – CONTACTS PREALABLES A LA SORTIE
Ont été établis, avec son accord et, si nécessaire, avec celui des tuteurs légaux, avec les intervenants extérieurs concernés susceptibles d’être utiles à l’efficacité du suivi (médecin traitant, médecin du travail, services sociaux, services de santé scolaire, services éducatifs). Ces contacts sont mentionnés dans le dossier du patient.
EPP sur la prise en charge du suicidant : Audit clinique ciblé
Critères : Intitulés courts Critères : Intitulés completsC4 – COORDINATION DES DECISIONS /PATIENT
Un professionnel référent a coordonné les évaluations somatiques, psychologiques et sociales et les décisions concernant le patient pendant toute la durée de son séjour (la fonction de référent a pu être exercée par deux personnes pour assurer la continuité).
C5 – TRACABILITE DES ACTIONS
Toute observation ou intervention fait l’objet d’une trace écrite, datée, signée dans le dossier du patient pour les critères 1, 2, 3 et 4.
Conclusion
Repérer des symptômes de l’urgence Idées suicidaires Désespoir Hallucinations de commandeOrganiser l’entretien Mettre en mots les maux somatiques parfois
au 1er plan (personne âgée) Mettre à jour la souffrance
Conclusion
Oser parler du suicide (idées:fréquence?;passage à l’acte envisagé?)
Situer la crise dans le contexte de vie actuel; hiérarchiser les problèmes immédiats « qu’est-ce qui vous fait si mal au point de souffrir autant/ vouloir mourir? »
Triple évaluation d’une situation de crise
Conclusion
Recherche d’une psychopathologie/ facteurs de protection
Confronter le vécu du patient aux éléments environnementaux rapportés par l’entourage
Briser l’isolement socio-familial; rechercher personnes de confiance.Travail de liaison
Programmer 1 RDV de cs à court terme si risque faible/ modéré.Alternatives thérapeutiques selon dispositifs de soins locaux.
Conclusion
Une approche intégrée Prise en compte simultanée: Des symptômes psychiatriques actuels Des antécédents Du statut social (isolement, précarité) De la prise en charge déjà instaurée Des dispositifs de soins disponibles localement
(urgences hospitalières,CAC,hôpital psy, CMP,psy libéral..)
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