Tome 1 EPICE
Résumé : Un adage dit que s’il y a plusieurs façons de faire une chose, dont l’une
d’elles conduit au désastre, il se trouvera forcément quelqu’un, quelque part, pour
utiliser cette méthode.1 Ce « quelqu’un », c’était Neil.
Terrifié à l’idée de faire un coming out dans son nouveau lycée, Neil Archer
Murphy est prêt à recourir à un stratagème extrême : se faire passer pour une fille. Il
ignore alors que son travestissement le mènera aux devants d’ennuis
abracadabrantesques, menaçant de plonger le monde dans le chaos.
Constance City est une ville imaginaire du Nebraska, créée pour les besoins de cette
histoire. Ceci est une œuvre de fiction. Les personnages, lieux et évènements décrits dans ce
récit proviennent de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute
ressemblance avec des personnes, des lieux ou des évènements existant ou ayant existé est
entièrement fortuite.
1Tiré d’un des énoncés de la loi de Murphy.
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Aedan & Neil
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*12*
Le détecteur de Flux s’activa. Le scanner digital analysa ses empreintes, lui
laissant une agréable sensation de chaleur. Un autre que lui se serait brûlé la main au
second degré. Ces boitiers d’invention n’oktiques étaient une petite merveille. Tous les
Ombres affiliés au feu et à la foudre en raffolaient. Par habitude, Aedan devina plus qu’il
ne lut le message de bienvenue s’affichant sur le cadran.
Pour la première fois, rentrer chez lui ne lui procura pas un sentiment de calme. Il
se sentait terriblement angoissé. Quoi de plus normal avec le problème épineux qui lui
était tombé sur les bras. L’euphorie de sa petite galipette avec Neil était complètement
retombée. Le retour à la réalité était douloureux. Il avait purement et simplement perdu
le contrôle de sa vie durant les six dernières heures.
Son inquiétude avait cependant un côté irrationnel allant au-delà de la peur de
l’inconnu. Il avait comme un mauvais pressentiment, et la sensation désagréable ne
cessait de croître. Incapable d’en définir la nature réelle, il préféra se focaliser sur des
gestes concrets.
Aedan sortit de son sac une enveloppe blanche et la dévisagea un moment. Il
prenait un gros risque s’il envoyait son contenu se faire analyser. Les bouts d’ongles et
quelques mèches de cheveux de Neil le fixeraient définitivement sur la race du jeune
homme, mais le dossier serait archivé. À moins de soudoyer le technicien de laboratoire
pour qu’il soit victime d’un subit oubli… Sauf qu’il détestait être l’obligé de qui que ce
soit.
S’il voulait garder secret son lien avec Neil, aucun échantillon provenant de ce
garçon ne devait pénétrer par son biais dans l’enceinte du Centre de Commandement.
Hélas, un labo privé était presque une hérésie, sachant la mainmise du Centrium sur les
infrastructures elviques. L’autre recours était de confier l’analyse à un centre de soins
n’oktique, mais il se heurtait à un obstacle de taille.
Les Z’alem noctus étant fichés, une recherche automatique serait lancée dans la
base de données pour faire concorder la signature génétique et une immatriculation. Et
naturellement, il n’y aurait aucune correspondance. Dans ce genre de cas, le logiciel
émettait un avis de recensement, et le rapport était directement transmis aux autorités
adéquates. Le système était d’une performance écœurante !
Aedan grommela de frustration. Il devait bien figurer dans ses contacts un
marginal possédant du matériel d’identification d’ADN ! Ou à défaut quelqu’un qui
connaissait quelqu’un… Et il avait en plus un hacking à perpétrer.
Autant commencer par Oan. Cet Elvus roublard ne pouvait pas ne pas connaître
quelqu’un qui connaissait quelqu’un…
Il avisa l’heure tardive sur son smartphone. L’autre n’allait pas apprécier. Mais il
fallait bien se servir des bonus de son statut de Venator en chef. Pourtant, son titre
n’inspira aucune diligence à son interlocuteur. Oan ne décrocha qu’au bout de la
cinquième sonnerie.
— Tu ferais bien d’être chez toi, j’arrive, dit-il en se dirigeant vers l’entrée.
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Il n’avait pas le loisir de se poser, d’ouvrir une bouteille, et de se détendre. Sa
petite virée à moto, une heure plus tôt, ne l’avait pas apaisé. Il ressentait le besoin
viscéral d’agir. De faire quelque chose, pourvu que ça le distraie de son sentiment
d’impuissance face à sa nouvelle fatalité.
— Hein ? A-attends, putain, Aedan, ça se fait pas !
— Je suis en route.
Quoiqu’une douche ne ferait pas de mal, se ravisa-t-il en reniflant l’odeur de Neil
sur lui. De plus, le pull que lui avait prêté le garçon ne seyait point à l’image qu’on avait
de lui. Il fit demi-tour, et mit le cap sur sa chambre.
— Je suis pas à C-City ! lança Oan.
— Tu te fiches de moi ? gronda-t-il.
— Je n’étais pas au courant que je devais te demander la permission pour quitter
la ville ! bougonna Oan.
— Je vais faire édicter une mesure d’assignation à résidence.
— C’est injuste !
— Ainsi comprends-tu le sentiment des victimes dont tu as usurpé les kryptopsis,
lâcha Aedan, perfide. Tu as intérêt à me trouver une adresse. Et la bonne, cette fois !
— Quand t’ai-je déjà fait défaut ?
— Tu veux qu’on en parle ce soir ? demanda-t-il d’un ton trop doucereux pour ne
pas être sans danger.
Oan soupira sans s’en cacher. Il ne pouvait pas se défiler, de toute façon. Aedan en
savait suffisamment sur ses « petits » larcins pour lui pourrir l’existence.
— C’est l’adresse de qui ? J’ai pas forcément besoin d’être chez moi pour t’avoir
ça.
C’était une bonne chose pour Oan, pensa cyniquement Aedan.
— Je veux un labo d’analyse qui ne réponde pas du Centrium.
— Demande-moi la lune tant que tu y es ! râla Oan. Va voir du côté des Duveteux.
Aedan grommela. Il préférait si possible éviter l’emploi de cette appellation
péjorative dans ses conversations. Les N’oktus n’appréciaient pas particulièrement être
un sujet de plaisanterie douteuse. Les Elvus les nommaient ainsi à cause du fin duvet
qu’ils avaient derrière leurs oreilles pointues. Ceci dit, même avec leur ouï
ultradéveloppée, aucun Enfant de la Nuit ne pourrait entendre ce qui se passait chez lui.
De puissants sorts elviques insonorisaient sa demeure.
— Je me serais passé de ton aide pour ça. Un labo n’oktique est exclu de mon
champ de recherche.
Il y eut quelques secondes de silence.
— Tu veux un service qui ne remonte pas au Centre, sans avoir à payer un
Duveteux. C’est vrai qu’ils sont pas donnés.
— Contente-toi de m’en trouver un, ordonna Aedan.
Oan savait la règle : pas de question. Tant qu’il la respecterait, le Venator
continuerait de fermer les yeux sur ses activités « un peu » illégales. L’argent n’était pas
un problème pour Aedan. C’était surtout une question de discrétion ; bien que l’un
puisse vous octroyer l’autre. Mais le cas Neil était à gérer avec la plus grande prudence.
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— Autre chose. Trouve-moi tout ce que tu peux sur un certain Neil Archer
Murphy, né le 10 décembre 1996. De ses certificats médicaux à ses dossiers scolaires.
Énoncer à voix haute sa date de naissance donna soudain un coup de vieux à
Aedan. Il ravala un grognement. Il entrait à peine dans la fleur de l’âge et voilà qu’un
microbe faisait peser le poids des ans sur ses épaules !
— Je t’envoie un e-mail, promit Oan.
— Je le veux avant minuit.
— Comme le voudra sa Majesté des Annihilateurs.
— Tu ferais bien de ne pas le titiller. Il se peut à l’avenir qu’il rajoute de petites
frappes Elvus à son menu. Passé à la plancha, ça ne doit pas être si différent d’un steak !
— Cool Raoul, tempéra précipitamment Oan. On a rayé ta moto ou quoi ?!
— Au boulot, Oan.
Aedan raccrocha. Il aurait préféré qu’on raye sa moto, tiens ! Et venant de lui,
c’était une terrible concession.
Le bilan de sa journée était lamentable. Il n’avait pas avancé d’un pouce dans son
enquête sur les Efraïm. Neil se révélait une distraction trop efficace. Mais peut-être que
ce sujet d’inattention avait plus d’utilité qu’il ne pensait, de prime abord…
Qui savait si le garçon ne pousserait pas Thaïs et Phyllis à la faute ? Il n’aurait plus
qu’à les prendre sur le fait en se servant du gamin. Mais ce plan ne fonctionnerait que si
l’on considérait Neil comme un humain, car martyriser un Z’alem noctus n’était pas
sanctionnable.
Il était temps qu’il ait une sérieuse conversation avec le chauffeur des âmes-
doubles.
*o*o*
Il n’en revenait pas de l’avoir fait ! L’envie de recommencer tenaillait toujours
Neil, malgré la douche froide qu’il s’était obligé à prendre. Luttant contre la tentation de
caresser son tatouage, il se força à être raisonnable. Pas sûr qu’Aedan apprécie à
distance cette initiative cavalière. Il avait le pressentiment que l’autre serait royalement
agacé.
Il eut une pensée pour son pull qui avait changé d’adresse. Sa veste,
irrécupérable, avait été abandonnée sur place après avoir rendu un dernier et loyal
service : nettoyer les preuves de leur délit érotique. Mais son large pull était revenu à
Aedan qui ne pouvait décemment pas conduire sa moto torse-nu.
Le vêtement douillet dans lequel il se noyait s’était changé en T-shirt body pour le
jeune homme, lui taillant une silhouette sexy. Il fallait vraiment qu’il se remplume,
s’était-il dit, avant que son ventre ne gargouille bruyamment, le sortant de sa
contemplation pécheresse du spécimen qui l’avait envoyé au septième ciel. Une strate
céleste dont il n’était toujours pas revenu, à son humble avis.
Sur le moment, il n’avait pu dire s’il avait faim tout court ou faim d’Aedan. Avisant
l’heure sombre, ce dernier avait décrété une halte fast-food. Contre toute attente, Neil
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avait englouti trois maxi-hamburgers, alors que son appétit d’oiseau se battait
habituellement avec un seul.
— Le sexe, ça vide, avait balancé Aedan, narquois.
Il avait cru mourir de honte, persuadé que leurs voisins l’avaient entendu. C’était
fort possible vu la façon dont Aedan avait centralisé les regards des clients et des
employés. Le jeune homme l’avait ensuite déposé au coin de la rue de son HLM.
La tête dans les nuages, le pas léger, Neil avait été accueilli par les vociférations
de Felix. Fait rarissime, elles avaient échoué à entamer sa bonne humeur. Qu’est-ce qu’il
en avait à foutre que monsieur ait voulu « inaugurer » son embauche à Efraïm Modern
Construction Corporation© ? Felix se fichait des évènements importants de sa vie :
anniversaire, admission, remise de diplôme. Pourquoi lui devrait se conformer aux
désirs de monsieur ?
Il avait pris une douche à basse température, dans l’espoir – vain – de se calmer,
puis regagné ses « quartiers », lançant à la volée qu’il avait déjà dîné. Et le voilà
rêvassant sur sa couche, revivant tel un adolescent à peine pubère sa « première fois ».
Et pour la première fois en plusieurs mois, le sommeil le cueillit sans qu’il n’en
éprouve la moindre inquiétude. Aucun cauchemar ne le visita cette nuit-là. Mais le réveil
fut brutal.
— Debout, fainéant !
On tira brusquement sur sa couette. Neil manqua de choir de son lit.
— Tu comptes roupiller jusqu’à quelle heure ? Tu crois que cette maison va
s’entretenir toute seule ?
Hébété, son sommeil s’accrochant désespérément à son esprit, Neil battit des
paupières. Ce type était entré dans sa chambre juste pour lui parler de ménage ou de
lessive, de vaisselle et certainement de repassage ? C’était une blague… ou un sacré
prétexte pour lui pourrir sa journée.
Minute, depuis quand son beau-père était-il dans cette pièce ? L’avait-il observé
dans son sommeil ? Son début de frayeur effaça toute trace de torpeur matinale. Il avisa
son réveil : 10 heures. Tard, certes, mais un samedi matin il avait droit à sa grasse
matinée. Surtout après une semaine comme celle qu’il venait de vivre !
— Qui t’a permis d’entrer ? grogna-t-il.
— Quoi ? éructa Felix. Au cas où ta petite tête de pédé l’aurait oublié, c’est chez
moi, ici !
— Et tu vas me mettre à la porte, si je pète de travers, c’est ça ? le défia Neil,
toujours le premier surpris par ces moments d’audace. Pas sûr que maman avale la
pilule.
— Sale petit con ! articula durement Felix en desserrant à peine les dents. La
pilule, c’est ce qu’elle aurait dû avaler pour pas se gâcher l’existence avec une tarlouze.
Il empoigna Neil par les cheveux et l’arracha de sa couche. Celui-ci geignit,
protesta et tenta de s’éloigner de toute cette violence. En vain. Une veinule palpitant sur
la tempe, Felix resserra sa poigne et rapprocha son visage rougi de colère du sien pour
lui postillonner :
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— Je crois qu’il est temps de te passer l’envie de me manquer encore de respect.
T’as cru quoi ? Que j’allais laisser couler pour hier, hm ? Je voulais pas gâcher la soirée de
ta mère. Elle était contente pour moi, elle, alors j’ai fait semblant de fermer les yeux sur
ton sale caractère de merdeux. Toi et moi on va régler ça entre hommes. Si t’as le cran
d’assumer tes couilles pour une fois.
Inutile donc de se bercer d’illusions, sa mère était de garde ce week-end, déduisit
Neil. Et ce lâche de beau-père profitait de son absence pour lui donner une correction
pour l’avoir snobé la veille. N’aurait-il pas dû se réjouir de ce tête-à-tête avec sa
compagne, qu’il leur avait accordé ?
Mais il y avait plus urgent : c’était aujourd’hui que Felix avait décidé de franchir la
ligne rouge. De basculer de la brutalité à la violence pure et simple sur mineur.
— T’es qu’un foutu parasite ! Comme un vers solitaire qu’on se coltine en
attendant de le voir disparaître sous médoc.
Neil inspira de colère, mais ce fut une mauvaise idée. L’haleine tabagique de
l’homme lui agressa les narines. Il eut une pensée peinée pour la femme qui se coltinait
plus intimement cette bouche enfumée.
Une autre odeur flottait au-dessus de cette haleine. Une odeur de… non pas de
haine, mais d’une envie de faire mal. Quelque chose se rapprochant du sadisme, ce
plaisir ressenti face à la souffrance, la douleur de son prochain.
Felix avait des tendances sadiques. Neil en fut secoué. Non pas pour lui, mais pour
sa mère. Que faisait réellement subir cet homme à sa génitrice, dans le secret de leur
chambre ? La colère enlaidissait son beau-père. Il songea stupidement qu’il avait eu de la
chance de ne pas être son fils biologique. Son esprit vagabonda encore plus loin, se
demandant de quel parent il tenait son sang Z’alem noctus, et si ce dernier en avait
conscience.
Il aurait normalement dû se poser cette question la veille, au moment de cette
découverte. Pas ici, alors qu’il se trouvait à la merci d’un individu qui lui voulait du mal.
Mais il y avait eu tellement de choses à gérer hier que son cerveau choisissait cet instant
pour revenir dessus. Comme une fuite de son esprit, un repli en lui pour échapper à la
violence que subissait son corps.
Une méchante ruade le ramena à l’urgence de la situation, le confrontant à
nouveau à la laideur coléreuse de Felix. C’était juste révoltant de savoir que le destin
avait fait croiser la route de cet homme aigre, avec celle d’une personne dotée de
charmes comme sa mère. Des perles données à un pourceau, vraiment !
— Lâche-moi ! hurla-t-il en griffant le poignet de Felix.
Il grimaça de douleur quand ce dernier tira de plus belle sur ses longs cheveux.
L’homme accéda à son souhait en l’envoyant valdinguer dans la pièce exiguë. Il se prit
l’angle de sa commode dans le flanc, et l’impact lui coupa la respiration. Ce fut à peine si
son cri de douleur franchit ses lèvres, tant il manqua de souffle. La sonnerie d’entrée
retentit.
Sauvé par le gong ? Felix qui faisait un pas vers lui, les yeux noirs de colère,
tourna furieusement la tête en direction du couloir. Cette intervention eut le don de figer
l’instant.
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— Tu bouges pas d’ici, le menaça-t-il, son regard lançant des éclairs.
Qui leur rendait visite à cette heure matinale ? Ce n’était certainement pas Sully,
de retour ; elle n’aurait pas sonné chez elle. Ses clés d’appart et celles de voiture étaient
sur le même trousseau. Un voisin avait entendu du grabuge et était venu voir ce qui se
passait ? Parce que ce n’était pas la sonnerie déclenchée par l’interphone du rez-de-
chaussée, mais celle de l’entrée de l’appartement. Qui que c’était, il se trouvait sur le
palier.
Tandis que Felix braillait un « qui est-ce ? », Neil rassembla rapidement quelques
effets de toilette, en vue de se barricader sous la douche. Contrairement à sa chambre,
cette pièce-là avait un loquet, et lui assurerait un sursis. Le visiteur sonna à nouveau,
avant d’insister en tambourinant sur la porte.
— Je sais que vous êtes là, ouvrez ! ordonna-t-il froidement.
Neil qui risquait précautionneusement un pied dans le couloir se pétrifia. Cette
voix…
— Et vous êtes qui ? beugla Felix.
— Nous n’allons pas tenir cette conversation à travers le battant, monsieur
Navarre, fit l’homme, condescendant. Ce serait inconvenant.
Felix fronça les sourcils à l’énoncé de son nom. Il prit soin de mettre la chaîne
avant d’ouvrir. Un sourire étincelant se dessina dans l’embrasure. Mais il n’avait rien de
charmant, et évoquait plutôt celui d’un prédateur ayant ferré sa proie.
Aedan exerça à peine une poussée sur la porte et la chaîne céda. Comme si elle
avait eu un défaut de fabrication, elle se détacha de son support et tomba au sol. Une
faible odeur de bois brûlé parvint aux narines de Neil.
— Oh, constata le jeune homme en entrant sans y avoir été invité. Je crains qu’elle
ne soit plus d’aucune utilité, déplora-t-il d’un faux air contrit en toisant la chaîne à ses
pieds.
— Vous… V-vous êtes qui ?! aboya Felix.
Neil n’osa y croire. Son beau-père venait de bafouiller. Une vision rarissime. Ce
type qui le terrorisait n’en menait pas large devant la carrure imposante d’Aedan. D’une
certaine façon, ce dernier lui apparut encore plus grand, sur le seuil de leur petit
appartement.
— Qui je suis ? répéta Aedan en se penchant lentement sur Felix qu’il dépassait
d’une tête.
Neil sentit ses narines picoter tant l’aura volontairement prédatrice de l’Ombre
emplissait les lieux. Le danger suintait carrément des murs. Cependant, il capta une
subtilité dans ce message animal paranormal. Lui n’avait rien à craindre, mais Felix, oui.
Ça justifiait le palissement à vue d’œil de son beau-père.
— Je suis la sérieuse conséquence qui va te tomber dessus si tu t’avises à nouveau
de violenter ce qui est mien, gronda Aedan. Je sens encore l’odeur de tes sales pattes sur
Neil et tu ne vivras pas assez longtemps pour regretter ton geste. Me suis-je fait
comprendre ?
Felix ravala un hoquet haut perché et se plaqua contre le mur de l’étroit vestibule,
alors qu’Aedan l’y acculait. Neil eut un instant de doute, mais ça n’avait pas été une
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illusion. L’espace d’une fraction de seconde, l’Ombre avait levé son kryptopsis, révélant
son véritable visage – terriblement menaçant – à son interlocuteur. Une demi-seconde
de plus, et Felix faisait certainement dans son froc.
Neil se força à sortir de sa stupéfaction. Ne serait-ce que pour gérer les
complications en perspective.
— Aedan… qu’est-ce que tu fiches ici ?
Et d’où se permettait-il de sortir un tel discours sans faire cas de son avis ? Ce qui
est mien… L’autre le prenait pour un bibelot ou quoi ? Il lui en foutrait du ce qui est sien !
— Bonjour, marmotte, sourit Aedan, son expression radieuse contrastant
fortement avec la précédente mine patibulaire.
Le sourire du jeune Ombre n’aurait pas dû lui procurer un frisson allant de la
voûte plantaire au cuir chevelu, mais il le fit quand même. Aedan était visiblement
heureux de le voir. Ça faisait plaisir, mais ce n’était pas une raison d’agir comme si toute
cette situation était normale !
Comment Aedan avait-il su ? Avait-il entendu ce qui se passait à l’intérieur ? Autre
chose, Neil ne se souvenait pas lui avoir donné son numéro d’étage ni d’appartement.
Qu’est-ce qui expliquait sa présence chez lui ?
— Je suis venu t’enlever, avança Aedan.
Il sembla se rappeler ses manières, et présenta cette fois un faux visage avenant à
l’homme collé au mur.
— Bonjour, monsieur Navarre, dit-il. Je suis un copain de classe de Neil. J’ai bien
peur que cet appart s’entretienne tout seul. Je le réquisitionne pour la journée. On est
d’accord ? demanda-t-il en apposant sa main sur l’épaule de Felix.
L’homme transpirant physiquement sa peur, sursauta, déglutit, et branla du chef.
— J’aime quand on se montre raisonnable, susurra-t-il d’une voix
dangereusement doucereuse, une lueur assassine dans le regard.
Cette affaire-là réglée, il se tourna vers Neil toujours figé dans le couloir. Il eut un
sourire indulgent et vint à sa rencontre d’un pas félin, pour les enfermer tous deux dans
sa chambre.
— Tu peux m’expliquer ce cirque ? s’étrangla Neil, mortifié à l’idée que l’autre se
tienne dans le placard qui lui servait de chambre.
C’était presque une incongruité de voir ce jeune homme sexy en diable dans un
tel endroit, lui rappelant soudainement qu’au-delà d’une attirance obsessionnelle, de
nombreuses barrières, et pas des moindres, les séparaient.
Techniquement, Aedan était simplement vêtu d’un sweat, d’un jean et d’une paire
de chaussures en cuir noir adaptée à la conduite d’une moto. Mais tout dans sa
silhouette hurlait l’aisance financière.
Le sweat unicolore anthracite était slim, en laine noble, à manches longues et
large col montant, admettant une boutonnière fantaisiste asymétrique partant du
pectoral droit à la hanche gauche. Le vêtement lui taillait une silhouette à tomber, et Neil
se violentait pour garder la bouche close.
Aedan avait opté pour la valeur sûre du Levis brut, gainant ses belles jambes se
terminant par des boots en cuir enduit et renforcé, destinées à un usage urbain pour
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deux roues. Ce n’était pas que Neil fasse une fixation dessus. Malheureusement, son T-
shirt élimé et le caleçon à rayures datant de ses 15 ans n’étaient pas la tenue adaptée
pour se tenir devant un tel canon de beauté, se ravitaillant certainement dans des
magasins où il ne rêverait jamais de mettre les pieds.
L’intrus se débarrassa de son blouson de moto et de son casque sur la chaise de
son bureau. Le regard de Neil fut attirée par son médaillon en inox en forme de V
gothique, se balançant au bout d’une ficelle en cuir beige.
— J’avais espéré que tu sois ravi de me voir, bougonna un peu Aedan en croisant
les bras.
Il semblait vexé. Neil manqua d’en perdre sa mâchoire inférieure. Après ce qu’il
avait vécu hier, il ne devrait plus être déstabilisé par si peu. Mais il n’y arrivait tout
simplement pas. Il ressentait trop d’émotions pour qu’il en soit maître. Et cette fois, ça
ne venait que de lui.
Son incommensurable joie de voir Aedan là, telle une apparition divine
homérique sur le plancher de sa chambre. Son embarras face à l’envahissement de son
espace privé (même si ce n’était pas l’avis de Felix). Le trouble suscité par la chaleur
toute sexuelle naissant dans son bas-ventre pour avoir humé la fragrance d’aurore et de
musc du jeune homme. Sa gêne due au souvenir des cochonneries de la veille. Et enfin sa
perplexité pour cette situation totalement inattendue… Ça faisait beaucoup, un samedi
matin, au saut du lit.
Il était peut-être les « complications » d’Aedan Hélios, mais ce dernier semblait
parti pour devenir sa première source d’emmerdes. Mais puisque la loi de
l’emmerdement maximum régissait sa vie tel un bushido, il allait le prendre façon zen,
pas vrai ? Il n’en était plus à ça près. Il devait songer à se mettre au Feng shui…
— On est d’accord que là, t’es un stalker ?
Il lança la première pique qui lui vint, histoire de masquer à quel point il était
dépassé par les évènements. Aedan s’agaça.
— Cesse de me titiller, microbe, et apprête-toi. En fille de préférence. Où nous
allons, deux garçons paraîtront louches.
Neil sursauta et agit d’instinct. Il franchit l’espace entre eux et le bâillonna.
— Dis pas ça ici ! souffla-t-il, son regard apeuré se portant vers l’entrée de sa
chambre.
— Ce baltringue ne te fera rien, tenta de le rassurer Aedan en retirant sa main de
sa bouche, avant de se raviser et d’embrasser ses doigts. S’il te touche à nouveau, je le
tue.
— Pourquoi ai-je l’impression que tu ne plaisantes pas ? déglutit Neil.
Il récupéra vivement sa main, avec le sentiment que sa peau brûlait aux endroits
où l’autre y avait déposé de petits baisers. Son trouble n’était pas seulement le fruit de
l’effet bœuf que lui faisait Aedan. Les paroles de ce dernier avaient comme un relent de
promesse.
— Parce que je ne plaisante pas avec ce genre de chose.
— Attends, tu crois pas que c’est… irresponsable de faire de telles de menaces ?!
— Irresponsable ?
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Aedan le dévisagea. De tous les mots possibles, c’était celui-là qui lui venait à
l’esprit ? Et il avait été très responsable de choisir de laisser vivre cette pourriture ! Au
contraire, il méritait des lauriers !
— Je veux dire… On rentre pas comme ça chez les gens sans invitation pour les
menacer, s’agita Neil.
— Je n’ai nul besoin d’invitation pour entrer chez quelqu’un. Ce mythe du
vampire est absolument infondé.
Neil marqua un arrêt. Ce type se fichait-il de lui ? Hélas avec Aedan, tout ce qu’il
classait jadis dans la fantasy était à revoir à travers le filtre de la réalité. Mais là n’était
point le sujet ! Et si son beau-père appelait les flics ?
Il ne le ferait pas après t’avoir violenté, Neil. Un peu de bon sens.
Mais à supposer que l’homme le fasse quand même ! persista-t-il, voulant avoir le
dernier mot face à Jason, sa raison. Felix serait dans son bon droit, en tant que victime
d’une agression passive chez lui.
— Tu défends ce minable ? s’irrita Aedan lorsque le gamin exposa sa pensée.
Si ça ne tenait qu’à lui, ce déchet se noierait déjà dans son sang. Ça lui avait
demandé des trésors de self-control pour ne pas défoncer la porte, en entendant ce qui
se passait dans l’appartement. Réaliser la violence de ses propres émotions était ce qui
l’avait aidé à ne pas céder à cette pulsion.
C’était complètement anormal de réagir ainsi. Il n’avait jamais connu ce genre de
possessivité à l’état pur. Jamais, en plus de 300 ans d’existence, il n’avait expérimenté
une émotion qui le départait de toute lucidité. Même lorsqu’il fulminait de haine et
nourrissait de sombres projets de vengeance, il restait réfléchi. Et ce n’était pas faute de
s’être raisonné toute la nuit dernière.
Que lui, le Venator en chef, perdre le contrôle… pour un minet, était un brin
effrayant. C’était complètement, hautement, absurde ! Inutile d’en chercher la cause.
L’attraction qu’il ressentait n’était que le fruit de ce maudit shi’valem qui vibrait
sourdement sur sa peau. Malgré son auto-dissuasion, le tatouage n’avait cessé de lui
rappeler que, dorénavant, son comportement serait totalement irrationnel quand cette
petite créature serait impliquée.
Malheureusement pour ses nerfs, le destin avait fait de Neil une fragilité de la
nature sur tous les plans. Physique, psychologique, et pourquoi pas métaphysique tant
qu’on y était ?! Sans doute pour mettre sa grande force et sa patience à rude épreuve. Ça
relevait vraiment du châtiment injuste ! Quel message essayait de lui transmettre la
Providence, hein ?
Neil siffla d’agacement. Loin de lui toute envie de jouer l’avocat de son
martyriseur. Mais…
— Imagine qu’on t’entende proférer ces menaces. S’il lui arrive quelque chose de
mal, tu seras le premier suspect. J’ai pas envie que t’aies des ennuis à cause de ça.
Aedan se radoucit, bêtement heureux d’entendre les inquiétudes de Neil. Le
réalisant, il se renfrogna. De simples mots n’allaient pas le mettre dans cet état…
Franchement !
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— Aucun risque. Je dispose de mille et une façons de faire passer une mort pour
un accident. (Neil aurait aimé ne pas le croire, mais l’assurance indécente d’Aedan lui
força la main.) Et je peux toujours choisir l’option la plus simple en demandant à un
Negator de passer après moi.
— Un quoi ?
Neil battit des paupières. Maintenant qu’il y pensait, Aedan lui avait donné sa
parole de « vénateur », la veille. Voilà que « négateur » se rajoutait à ce vocabulaire
ésotérique.
L’Ombre posa nonchalamment une fesse sur sa commode et entreprit de lui
expliquer. Neil fit mine de ne pas remarquer son regard gourmand. Les yeux
concupiscents d’Aedan courraient le long de ses jambes nues. On ne l’avait jamais
reluqué ainsi. On ne l’avait jamais reluqué tout court. Il ne savait pas trop comment
réagir.
Devait-il se sentir flatté, ou s’offusquer d’être pris pour un objet de désir alors
qu’il n’était ni douché, ni débarbouillé, bref, pas à son avantage ?
Arf, c’est quoi ces pensées de gonzesse ?!
— Un Negator est chargé d’effacer toute trace du « service » d’un annihilateur. Je
suis un Venator. Un traqueur solitaire. Généralement, les Venator travaillent en duo,
mais j’excelle en solo, appuya Aedan avec une pointe de suffisance. Je peux me passer
des services d’un nettoyeur car je fais « proprement » mon job. La seconde catégorie
d’annihilateur, les Errator, chasse en meutes. Ce sont des annihilateurs de masse. Il faut
obligatoirement un Negator rattaché à l’escouade parce que ce genre d’opération est très
« salissant ». Jelan en est un. Un jeune nettoyeur promis à un bel avenir. Il a du potentiel.
Pourtant ce n’était pas de la fierté qui émanait d’Aedan, mais de la tristesse. Non,
l’odeur de cette émotion-là avait une autre nuance, remarqua Neil, réalisant à peine qu’il
la reniflait. De la déception, voilà !
Perturbé d’avoir encore pu attribuer une signature olfactive à une émotion, il
aggrava son cas en poussant la réflexion. Les proies des Venator et Errator étaient les
fameux Magnus éveillés. Il y avait fort à parier que certains étaient annihilés sans autre
forme de procès, pour avoir commis le délit d’exister, tout simplement. Comme ç’avait
failli être son cas.
Combien de descendants Magnus avaient payé de leur vie la folie d’ancêtres dont
ils avaient ignoré l’existence jusqu’au jour de leur trépas ? Ce système était sévèrement
bancal. Mais mieux valait ne pas se mettre martel en tête avec, s’exhorta-t-il. Quoi qu’il
pense, il n’était pas armé pour débattre sur la situation.
La nécessité s’imposait d’en apprendre le plus possible. Ne serait-ce que pour
avoir de quoi défendre sa propre peau lorsqu’il se retrouverait à nouveau empêtré dans
une situation aussi dangereuse que la veille. Évidemment, il souhaitait de tout cœur ne
plus jamais revivre cela. Mais hé, il s’appelait Neil Murphy… L’optimisme n’était pas son
meilleur ami.
Il revint à ce qui devait être une anecdote du point de vue d’Aedan.
— Après son passage sur une scène de turbulences, je mets au défi la police
scientifique de trouver le plus petit indice.
Réflexion – tome 1
13
Turbulences… ou une façon de napper de chantilly le crime et l’assassinat ? Ce
côté sombre de la vie de l’Ombre généra un profond malaise chez lui. Il se força à ne rien
laisser paraître.
— C’est bizarre, tu parles de ce Jelan comme s’il était plus jeune que toi.
Aedan se contenta d’un sourire énigmatique.
— J’ai pigé, maugréa Neil. Son kryptopsis parait plus adulte que le tien, mais en
réalité c’est toi le plus vieux.
— Tu commences à devenir perspicace.
— Quand on me laisse le temps d’y réfléchir, je ne suis pas si stupide ! grogna-t-il.
Aedan en fut perplexe.
— Je ne voulais pas te vexer.
Neil soupira.
— C’est moi. Je suis pas du matin, mentit-il.
Toutes ses extrapolations sur les activités « meurtrières » de l’Ombre le mettaient
de mauvais poil. Il espérait bêtement qu’Aedan soit du côté des « gentils » mais la réalité
était plus laide. Il n’y avait pas vraiment un juste milieu des choses. L’homme en face de
lui appartenait à un monde noir, cruel. Un monde où la sienne de race était esclave
depuis la nuit des temps. Ça ne présageait rien de bon pour son avenir.
Et il y avait la question de ses parents. Lequel était le Z’alem noctus ? Et s’ils
l’étaient tous les deux ? Couraient-ils un danger eux aussi ? Tout ça serait de sa faute…
— Jelan a 78 ans de moins que moi, révéla Aedan, sentant le gamin soudain
préoccupé. Ça fait de lui un Ombre à peine sorti de l’adolescence. Change-toi. Ne me fais
pas attendre.
Neil lui lança un regard oblique. Le mec se croyait à l’armée ou quoi ? Il ordonnait
et on devait lui obéir ?
— Je me douche d’abord ! asséna-t-il.
— Eh bien, qu’attends-tu ? À moins que tu souhaites que je t’accompagne ?
— J’y vais ! lança Neil en fuyant sa propre chambre, sous le rire et le regard
lubrique du bellâtre.
Il comprit véritablement le sens de cette lubricité lorsqu’il se retrouva aux prises
avec une érection rebelle sous la douche. Quoi qu’il fasse, elle ne passait pas ! Paniqué, il
augmenta le volume d’eau, appréhendant les remontrances de son beau-père pour ce
gâchis et surtout la « salaison » de la quittance. Mais c’était ça ou courir le risque que ses
gémissements de luxure s’échappent des murs fins, alors qu’il peinait à soulager une
virilité têtue.
Ce sadique d’Aedan s’était attelé à caresser son propre tatouage. Il lui envoyait
des décharges de plaisir dans le pubis, faisant grimper son excitation au plafond et l’y
maintenant de manière quasi-surnaturelle. Dire qu’il avait eu des scrupules à se toucher
hier soir, alors que l’autre ne se gênait pas !
Le sourire aux lèvres, à moitié allongé sur le lit une place, Aedan imaginait la
déconvenue de son propriétaire tout en faisait sensuellement courir ses doigts sur son
shi’valem. Neil devait se battre en ce moment avec son appétit sexuel si honteusement
exacerbé. Il visualisa le garçon rouge de gêne et d’envie, refermant sa poigne sur son vit
Réflexion – tome 1
14
et le frictionnant comme si sa vie en dépendait. Avec l’urgence d’un démineur face à un
compte à rebours arrivant à sa fin.
Il sursauta légèrement quand son sexe réagit. Ce n’était pas dû à sa propre
stimulation. Neil lui renvoyait l’ascenseur, comprit-il, lorsqu’un long frisson naquit dans
ses lombaires pour mourir à ses cervicales. C’était une délicieuse secousse pré-
orgasmique dont la réplique, partie de ses burnes, courut le long de sa hampe. Hm, ce
puceau était doué… de ce talent propre aux débutants.
Selon le toucher et l’intension que l’on mettait dans la caresse d’un shi’valem, les
émotions et les sensations ressenties par le partenaire différaient. Tout cela n’avait été
que mythe, ou à défaut une chose totalement abstraite, pour Aedan. En vivre
l’expérience le grisait.
On disait que certains y excellaient, au point de faire jouir leur moitié rien qu’en
titillant les runes du tatouage. Pas que Neil soit sa moitié, mais celui-ci était en train de le
mettre au supplice en toute innocence, totalement inconscient de ce qu’il était en train
de réveiller…
Les cuisses fébriles, Neil s’adossa contre le carrelage tiédi par l’eau chaude. Tous
ses sens émoustillés, il découvrait avec une fascination mêlée de crainte le phénomène
lié au tatouage. De façon inexplicable, paranormale, il avait le retour des sensations qu’il
provoquait chez Aedan. Un bouquet très varié, selon qu’il touche son bas-ventre de telle
ou telle manière.
D’une main câline et aérienne, il suivit les contours fluides de la marque dorée,
tandis que de l’autre, il gratifiait son émergence érectile de doux va-et-vient. Les joues
chauffant d’embarras, il avait une conscience accrue de l’image perverse qu’il renvoyait.
Heureusement qu’il s’était barricadé sous la douche.
À mesure qu’une chaleur pulsait à son entrejambe, Aedan se sentait de plus en
plus à l’étroit dans ses vêtements. Son ego en prenait un coup, d’être ainsi emmené au
bord du précipice vertigineux de ses désirs intimes par un simple toucher. Pire : un
toucher à distance. C’était du « télésexe », ça ! Des « télé-caresses », un « télé-pelotage »
auquel était soumise son engeance virile par un freluquet tel que Neil !
Bon sang, il avait raison de comparer ce shi’valem à une laisse ! Neil tenait son
appétit sexuelle au bout d’une fichue corde ! Ravalant un râle, il se surprit à masser avec
un début d’impatience son membre durci à travers son jean. L’autre l’attirait vers des
nuées érotiques qu’il avait rarement eu à explorer, calfeutré derrière une porte qu’il
pourrait faire sauter d’une pichenette. Le gamin n’allait pas s’en tirer à si bon compte…
L’instant suivant, il se tenait dans le salon, nonchalamment appuyé contre le
chambranle de l’ouverture donnant sur le couloir. Une nonchalance de façade, bien
entendu. Aedan savait parfaitement que l’homme, avachi dans son fauteuil et zappant de
temps à autre, n’était pas intéressé par ce que le bouquet télévisuel avait à lui proposer.
Felix voulait donner l’air d’être encore le maître de maison. Risible.
— Je me disais… On est samedi et il fait beau. Ce serait dommage de rester cloitré
chez soi.
Il croisa ostensiblement le regard de Felix qui s’agita dans son siège. Ce fut un jeu
d’enfant pour l’Ombre de réveiller chez lui cette peur primale, tapie dans les gênes de
Réflexion – tome 1
15
l’Humanité depuis la nuit des temps. Cette terrible frayeur ressentie face à un prédateur
se trouvant au sommet de la chaîne alimentaire. Il fut presque étonné de voir avec quelle
vitesse Felix réagit.
Habituellement l’humain tentait de se conforter dans un déni, des années
d’éducation et sa rationalité le poussant à faire de la résistance à son intuition. Puis la
part animale remportait la partie lorsque le corps en appelait enfin à son instinct de
survie. Ce processus n’eut même pas le temps d’être amorcé que l’homme bondissait
avec vivacité de son siège.
Felix trouva soudain l’idée d’une sortie très vivifiante. Il en profiterait pour
découvrir d’autres aspects de Constance City.
— Faites donc ça, monsieur Navarre, railla Aedan. Bonne balade.
Retenant laborieusement un frisson, Felix prit ses clés de voiture et détala, ne
cherchant pas à comprendre comment ce type pas très catholique connaissait son nom.
Comment ce boulet de Neil avait-il seulement pu oser l’inviter chez lui ! Son domicile
s’était changé en zone hostile.
Quelque chose lui soufflait que sa survie était en jeu et qu’elle serait de l’histoire
ancienne s’il ne mettait pas les voiles. Le sentiment d’avoir empiété sur les platebandes
d’un être très dangereux ne le quittait pas. Un comble. Viré de son propre appart par un
étranger !
Mais avec Neil qui l’excitait à distance, l’Ombre était plus proche de la bête en rut
que de l’être rationnel. Il se dégageait de lui une aura virile répulsive pour tout individu
qui aurait pu convoiter son bien. Tout mâle qui se serait aventuré là, se serait trouvé au
mauvais endroit et au mauvais moment. Si Felix était resté malgré tout, Aedan l’aurait
pris comme un défi clair et l’aurait détruit sur place.
Maintenant que l’empêcheur de baiser en rond avait disparu, il pouvait
embrasser cette pulsion à bras le corps. S’offrir sans scrupule et sans le moindre
complexe, le plaisir qui l’attendait derrière un ridicule rempart.
Neil sursauta en entendant frapper à la porte. Merde ! Felix rappliquait. Sa
panique prit une autre teinte lorsque la voix d’Aedan gronda, impérieuse :
— Ouvre cette porte, Murphy ! Ne m’oblige pas à y mettre le feu.
Quoi, il était sérieux, le mec ?
— A-attends ! Mais… mais ça va pas ?!
Sa voix monta dans les aigus lorsqu’il réalisa la teneur de la menace. Il n’était pas
bien, lui ! Pour proférer ce genre de chose, Aedan s’était certainement assuré que toute
présence humaine ait été écartée.
— Tu l’auras voulu.
— Putain, Aedan… fais pas le con !
Justement il ne le faisait pas. Il était on ne peut plus sérieux. L’instinct de Neil lui
souffla que la porte n’entrait même pas dans le lexique d’Aedan en tant qu’obstacle. Ce
type serait capable de foutre le feu à tout l’immeuble vu la vétusté de l’endroit.
— Je… je vais ouvrir. Laisse-moi du temps, d’accord ?
— Tout de suite, imposa Aedan, la voix rauque. Tu n’aurais pas dû jouer à ce petit
jeu avec moi.
Réflexion – tome 1
16
Mais c’était lui qui avait commencé ! s’offusqua Neil. Cependant, ne voulant pas
avoir un incendie sur la conscience, il se fit violence, coupa l’eau, se munit d’une
serviette – arme dérisoire censée protéger sa pauvre nudité d’un homme en rut et
éventuellement masquer son érection – et alla se planter devant la porte.
Après un moment d’hésitation et de frayeur mâtinées d’excitation, il s’exécuta, les
doigts mal assurés. Le loquet à peine déverrouillé, il se retrouva en face d’un prédateur à
dompter. Pas sûr qu’il y parvienne. Tout ça parce qu’il avait répondu à l’appel de ses bas
instincts. Il n’aurait jamais dû toucher à ce fichu tatouage !
Or à mesure qu’il le caressait, il sentait grandir l’excitation de l’autre, et
parallèlement croissait son envie d’Aedan. Une part de lui serait hypocrite de nier qu’il
n’avait pas souhaité se retrouver en pareille situation périlleuse. Avec Aedan, il se
découvrait un goût du risque.
Tendu, de peur de lâcher trop tôt la bride à sa part bestiale, Aedan prit son temps
pour admirer le garçon de la tête aux pieds. Cette nuit encore, il était parvenu à se
convaincre que Neil n’était absolument pas son genre. C’était un fait, il avait toujours
préféré les femmes grandes, bien galbées, capables de lui tenir tête au lit lorsqu’il
relâchait toute sa bestialité.
Or la fragilité sur pattes devant lui l’émoustillait comme jamais. Aucune de ses
partenaires ne lui avait fait cet effet. Devait-il réellement incriminer le shi’valem ? Parce
qu’il n’avait pas l’impression d’être sous le joug d’un envoûtement quand cette peau pâle
perlant de gouttelettes d’eau le mettait en appétit.
Les cheveux humides, ruisselant dans la nuque de Neil, lui donnaient le charme et
des allures de selkie. Ses pommettes avaient rougi des suites de sa dernière activité. Et à
l’idée de Neil s’attouchant, le sexe d’Aedan pulsa de plus belle. Son regard s’attarda sur
les tétons rosés impudiquement mis en évidence par une carnation d’albâtre. Bon sang,
il avait envie de le goûter ! De le baiser à en graver sa saveur sur sa langue.
Ce silencieux examen fit grimper l’excitation de Neil, persuadé que son vis-à-vis
entendait les battements affolés de son cœur assourdissant. La serviette ne cachait plus
grand-chose à son émoi…
Aedan déglutit d’envie et se lécha les lèvres. Neil était, à ce moment précis, la plus
gourmande des friandises dont il se délectait d’avance. Plus rien d’autre n’existait à ses
yeux que la perspective de faire mumuse avec cette délicieuse créature.
Et il comprit. L’laid. Mince ! Pourquoi se sortait-il cela de la tête ?! Sans doute
l’influence de la lune se faisait-elle plus forte. Il ne pouvait le vérifier ni l’évaluer, mais
aucun doute possible : ils étaient tous les deux en plein dedans.
Il pensait y résister mieux que cela, mais il fallait croire qu’il s’était montré
présomptueux. En même temps, comment estimer ses capacités sur une situation qu’il
vivait pour la première fois, et qui le dépassait complètement ? Succomber à la tentation
en cet instant ne lui semblait pas une mauvaise chose.
Il se saisit brusquement d’un pan de la serviette et attira Neil sans douceur,
collant leur buste, se souciant comme d’une guigne de mouiller ses vêtements. Son
regard de braise, dont les iris se réchauffaient lentement de nuances carmines, caressa le
visage du garçon.
Réflexion – tome 1
17
Celui-ci en ressentit l’intensité de façon quasiment physique, à en juger par le
frisson électrique qui lui traversa le corps. Cependant, la désinhibition de Neil n’avait
pas encore atteint ce stade où il pouvait s’en foutre de tout.
— La porte… Felix…
— N’est pas près de revenir avant qu’on ait quitté les lieux, assura Aedan. Mais si
ça peut t’aider à te détendre…
Il les fit pénétrer plus avant dans la salle d’eau et verrouilla derrière lui. Sans
laisser à Neil le temps de réagir, il fondit sur sa bouche en un baiser fébrile. Sa main
droite, baladeuse, apprécia le galbe des petites fesses protégées par un tissu plus rêche
que duveteux.
De son autre main, il caressa du pouce la partie du shi’valem de Neil située juste
en-dessous du nombril. Il avait découvert cette zone plus érogène qu’ailleurs. Ses lèvres
et sa langue conquirent celles du garçon, mais au fond, ce n’était pas une bataille. Ou
plutôt ç’en était une gagnée d’avance. Et il n’était pas le vainqueur. Il avait éhontément
capitulé lorsque Neil s’était agrippé à son vêtement, se mettant sur la pointe des pieds
pour approfondir leur échange.
La serviette disparut brusquement. Neil eut à peine le temps de glapir qu’il se
retrouva juché sur le rebord du meuble-lavabo, son essuie ayant servi à protéger ses
fesses du baiser froid du carrelage. Aedan lui écarta les cuisses et s’inséra entre elles,
sans cesser de parsemer la peau laiteuse de son cou de baisers humides. Tout ça était
bien trop salace, mais tellement bon qu’il bâillonna son éducation restrictive.
Il culpabiliserait plus tard. Pour l’instant, il savourait.
Le souffle court, Aedan lui grignota le lobe d’une oreille avant d’y murmurer son
désir en mots fleuris, le renvoyant subitement à sa condition de puceau. Enivré par la
fragrance d’aube et de musc qui changeait ses neurones en grévistes, Neil se laissa
totalement aller.
Il ignorait pouvoir s’offrir ainsi. S’abandonner au point de donner à l’autre le
sentiment de lui être totalement acquis. À cette minute, se retrouver complètement nu
face à Aedan toujours vêtu ne semblait pas le déranger outre mesure. Et s’il n’avait
aucune retenue, ce n’était pas son partenaire qui le raisonnerait.
Un gémissement rauque s’échappa de la gorge du garçon, lorsque l’Ombre
s’empara enfin de son membre tendu, le libérant d’une frustration qu’il ne soupçonnait
pas avoir. Pour Aedan, la plainte érotique fut aussi envoûtante qu’un chant de sirène. Il
était le damné qui n’avait pas su s’en protéger.
Neil glissa des doigts timides dans ses cheveux, appréciant visiblement la texture
de sa capillarité aux teintes feu. Ce garçon lui faisait un sale effet. Et c’était délicieux, à
l’instar de ces tétons sensibles, durcissant à mesure qu’il les titillait de sa langue habile.
Inspiré, Neil se massa le pubis de bas en haut, arrachant par surprise un premier
cri d’extase à Aedan.
— Tu joues avec le feu, oisillon ! le prévint-il.
Le regard luisant d’envies inavouables, il n’était pas très certain de pouvoir se
contenir, à ce rythme.
Réflexion – tome 1
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— Bah, c’est toi le feu. Tu me régénèreras si je me brûle les ailes à ton contact ?
minauda Neil en le regardant à travers ses longs cils sombres.
Voilà que le petit effronté usait de ses charmes sur lui ! En avait-il seulement
conscience ?! Aedan s’acharna sur le zip de son jean. Neil y rajouta sa contribution, et
bientôt le pantalon se retrouva aux chevilles de son propriétaire. Celui-ci attira l’objet de
son plaisir contre la manifestation arrogante de son désir, devinable à travers le nylon
de son boxer.
La virilité de Neil se retrouva coincée entre leurs deux ventres. Il remonta en une
fois le sweat et le débardeur d’Aedan, dénudant son tatouage, avant de s’y frotter sans
pudeur, leur arrachant à tous deux des feulements libertins. Ce type l’avait dévergondé.
Qu’il en assume les responsabilités !
Au lieu de quoi, Aedan se décida de relever son sous-vêtement de ses fonctions.
— Si je m’attendais à ça !
— À quoi ? haleta Neil sans cesser ses ondulations.
Il appréciait plus qu’il ne l’avouerait la texture soyeuse du membre viril de son
partenaire frottant contre la peau de son ventre.
— Que le sexe te rendrait aussi inventif. Ce n’est que ta deuxième fois, et
pourtant...
— Qu’est-ce que t’en sais que c’est ma deuxième fois ? grogna-t-il avant qu’un
couinement de surprise ne lui échappe.
Sans crier gare, Aedan venait de l’arracher comme un plume du plan du lavabo. Il
le porta à sa hauteur et s’assura de son équilibre en l’incitant à l’enfourcher de ses
jambes. Neil les crocheta dans son dos, et fut réduit au silence par un baiser aussi bref
que fougueux.
— C’est tout frais ici, susurra Aedan avec convoitise, effleurant de son majeur le
seuil d’un territoire encore inviolé. Tous mes organes perceptifs me le murmurent.
Neil resserra les fesses. Son début de panique fut plus que palpable.
— Chut… relaxe. On n’ira pas plus loin que tu ne le désires. Ce sera à ton rythme,
Neil.
Tant qu’il ne saurait parfaitement jouer de son instrument à soupirs, la musique
n’irait pas plus vite. Aedan se démerderait pour gérer sa frustration, sans la faire subir
au garçon. Il ne comprenait pas cette espèce de scrupule. Il ne put que se consoler en se
disant que c’était naturel.
Prendre soin de Neil était naturel. Encore un autre dogme que son shi’valem
venait de greffer à son cerveau en plein remodelage ? Oh et puis tant pis ! Qu’il serve
plutôt à quelque chose de plus concret, ce fichu tatouage ! Il aida donc son innocent
partenaire à se détendre en recourant aux propriétés aphrodisiaques de la marque
runique.
Oui, il trichait, et alors ? Si le shi’valem pouvait étouffer les craintes de Neil, il
serait bête de ne pas en profiter ! En récompense, les frottements lascifs de leur bassin
aidèrent le garçon à se détendre. Un bras puissant autour de sa taille, il tira de son autre
main sur ses mèches blondes, l’obligeant à lui exposer son cou. L’espace d’une seconde, il
se demanda s’il était prudent de succomber à la tentation d’y laisser plusieurs suçons.
Réflexion – tome 1
19
Les dernières parcelles de sa raison l’obligèrent à simplement suçoter sa pomme
d’Adam.
Au rythme de ses ondulations, les fesses de Neil caressaient le sexe dressé de
l’Ombre, lui prodiguant un léger massage masturbatoire. La sensation était grisante,
tandis que les soupirs de gorge d’Aedan devenaient une musique sensuelle des plus
stimulantes. Il ne se rendait pas compte que ses propres gémissements poussaient ce
dernier dans ses retranchements.
Soudain, Aedan le plaqua contre la porte de la pièce, craignant à peine de se
montrer brutal. Neil resserra avec force ses jambes autour de sa taille, dans une attitude
quémandeuse, avec le sentiment que tout ça était normal. Mais ça n’aurait pas dû ! Il
était aussi différent du guerrier qu’une pièce de puzzle pouvait l’être d’une autre,
pourtant ils s’emboîtaient à merveille.
Cette envie de fusion ne cessait de grimper, au point de lui faire douter de sa
santé mentale. Était-ce réellement sain de ressentir un tel désir ? Il était en train
d’enfreindre son propre code moral, là ! Ç’avait un côté scabreux et transgressif, façon
« péché originel », comme dans « goûter au fruit défendu ». Défendu par les mœurs,
défendu par la société. Prohibé par son éduction et ses restrictions.
Ce qui s’était passé la veille l’avait complètement dépassé, parce qu’il se trouvait
quasiment dans un état second. Il venait d’échapper de peu à la mort, alors il n’avait pas
eu toutes ses idées en place. Mais là… c’était autre chose. Plus ça allait, plus ses pulsions
charnelles se changeaient en « besoin », le mettant en conflit avec lui-même.
Dieu qu’il voulait ce mec ! Mais cette façon de le désirer si avidement était un peu
inquiétante. Parce qu’il ne se contentait plus de « vouloir » Aedan, il le lui fallait
carrément. Comme s’il dépérirait s’il n’y avait plus droit. Était-il en train de développer
une addiction ? À quoi ? Au sexe ? À Aedan ? Bon sang, il débloquait complètement !
— Laisse-toi aller ! grogna Aedan, à sa grande surprise. Je veux te voir lâcher
prise. N’aie crainte, je te rattraperai, ne put-il s’empêcher de railler.
Neil décida de lui faire confiance, à défaut de l’étranger qu’il devenait pour lui-
même. Il ne se reconnaissait plus. Alors Aedan n’aurait qu’à prendre ses responsabilités.
— Là, c’est mieux, susurra l’Ombre d’un ton encourageant, avant de sucer sa lèvre
inférieure.
Les sens plus développés d’Aedan lui avaient fait comprendre à travers le lien du
shi’valem que son partenaire se prenait la tête. Il ressentait comme un bourdonnement,
et instinctivement l’avait assimilé aux méninges du garçon aussi actives qu’une ruche. Or
il était du genre à mettre sa rationalité en veille lorsqu’il était question de sexe.
Quand il s’agissait de fesse, le plaisir primait sur la raison. Il serait toujours temps
de se morfondre plus tard dans le remord ou le déni. Pour l’instant, l’on satisfaisait ses
appétits charnels. Neil avait vraiment besoin d’apprendre le sens de ses priorités !
Les petits gémissements complètement désinhibés de ce dernier emplissaient
désormais la douche. Mais un sursaut de gêne le poussa à se mordre une lèvre pour
refréner cet élan de stupre. Ce fut peine perdue. Son corps se devait d’exprimer ce trop-
plein de luxure.
Réflexion – tome 1
20
Certainement pour l’aider à se taire, Aedan glissa deux doigts dans sa bouche.
Neil fut plus réceptif à l’érotisme du geste qu’au sentiment d’intrusion. Il les lécha
avidement comme si ç’avait été autre chose… La pensée lui fit monter aux joues des
teintes jamais expérimentées dans le spectre du rouge. Ainsi avait-il envie de lécher
« l’autre chose » d’Aedan ?
Oh putain ! Que lui arrivait-il ? On lui avait demandé de se laisser aller, mais pas
au point de devenir polisson non plus ! Qu’avait-on fait du fils de Sully Curtis ?
Mais sa mère était le cadet de ses soucis. Entre les baisers possessifs d’Aedan, ses
impétueuses ondulations, et les frictions frénétiques de leur tatouage scintillant de
filaments dorés, les notions de temps et d’espace lui échappèrent. Il manqua de rugir son
plaisir lorsqu’il ressentit une douce intrusion dans son intimité. Son excitation avait
anesthésié toute appréhension. Aussi se surprit-il à savourer cet index lubrifié de sa
propre salive, qui jouait aux explorateurs.
Il prit une profonde inspiration, tandis que le doigt d’Aedan allait et venait tout
doucement en lui, à la recherche d’une chose qu’il finit par trouver. Son point de fusion.
L’Ombre s’y attarda, et Neil éprouva une curieuse sensation de chaleur dans tout le
corps, même jusque dans la plante des pieds. En le doigtant, Aedan lui communiquait
probablement une propriété de son élément : le feu.
— Aedan, exhala-t-il, le souffle court.
Il n’eut aucune idée de l’état curieux dans lequel sa voix si sensuelle plongea
l’autre. Ses sens étaient en pleine tempête, anticipant à peine ce qui était sur le point de
se produire. Son corps semblait s’en douter, mais sa conscience avait tout simplement
démissionné. Son partenaire ne le quitta pas des yeux, s’assurant que tout irait bien.
Qu’il atteindrait le septième ciel dans toute sa félicité.
Aedan reprit possession de sa bouche, sa langue aussi voluptueuse qu’agressive
jouant avec la sienne. Le baiser l’embrasa, alors qu’un second doigt en lui en rajoutait à
son incendie interne. Ce fut à peine s’il ressentit la brûlure de la douleur. Dans un ultime
feulement, il se déversa sur le ventre de l’Ombre, à des années-lumière de se douter
qu’un orgasme pouvait être aussi violent.
Les lèvres de son partenaire continuèrent de butiner sa peau, jusqu’à ce qu’il
recouvre enfin sa lucidité. Pour son souffle, on verrait plus tard. Le phénomène lumineux
de la veille se produisit à nouveau. Mais cette fois, Neil fut le seul à l’expérimenter. Sa
torpeur post-coïtale ne l’empêcha pas de noter cette singularité.
— Pourquoi… tu brilles pas, toi ? demanda-t-il d’une voix vaporeuse.
Pour toute réponse, Aedan le posa au sol et le maintint contre lui, conscient de la
fragilité de ses jambes. Il remonta des doigts souillés des preuves de sa jouissance et en
badigeonna légèrement ses lèvres. Puis il l’embrassa avec gourmandise, leur faisant ainsi
goûter à sa saveur. C’était tout aussi obscène que sensuel.
La question du garçon méritait que l’on se penche dessus. Mais Aedan se doutait
un peu de la réponse. Sans en être totalement certain, il émit son hypothèse :
— C’est probablement la lueur au bout du tunnel de la petite mort, chuchota-t-il,
ironique.
— Oh…
Réflexion – tome 1
21
La fierté mâle d’Aedan se dressait encore impérieusement entre eux. Ceci
expliquait cela. Neil ne réfléchit pas et se laissa glisser au sol, à genoux, se faisant
violence pour tuer toute appréhension lorsqu’il soupesa le magnum… enfin, le membre.
— Neil ! hoqueta Aedan. Tu n’as jamais…
— Faut bien commencer un jour, dit-il précipitamment.
Son souffle tiède sur le gland brillant de son partenaire fit tressaillir ce dernier.
Un premier coup de langue accentua le frisson. Neil ferma les yeux, ravalant un
geignement de pur plaisir. Le goût puissant d’Aedan à cet endroit-là était un ultime
concentré de sa fragrance de musc et d’aube. C’était décoiffant !
Il ne vit plus de raison de retarder l’échéance. Il voulait non seulement la sentir,
mais aussi la goûter. À pleine bouche. Il espérait juste que son inexpérience ne ruine pas
l’affaire. Malgré que la parole lui soit superflue, Aedan se révéla un très bon guide,
l’aiguillant sur ce qu’il désirait au son de gémissements et de soupirs rauques.
Les sens en plein essor de Neil lui permirent de faire une lecture bien plus
qu’acceptable du langage corporelle de son partenaire. Ce dernier ne s’imposa jamais, le
laissant aller à son rythme. Ce qu’il ne put avaler, il compensa avec ses doigts à peine
initiés. Il y mit de l’enthousiasme pour contrebalancer sa maladresse, grisé de voir à sa
merci ce guerrier à l’aspect redoutable.
Aedan s’arcboutait, grondait, haletait, griffait le bois de la porte, et lui demandait
parfois de calmer ses ardeurs d’une caresse à la nuque. Le Venator se soutint au mur,
refrénant à peine ses râles d’une impudeur exaltante. À la légère contraction de ses
bourses, Neil sut qu’il allait enfin voir sa petite lueur du bout du tunnel.
Aedan l’arracha de son entrejambe, le plaqua violemment contre le battant, et se
laissa aller au joug de l’extase, les émotions en plein cataclysme. Dans un crépitement,
son kryptopsis s’envola l’espace de quelques secondes, le révélant tel qu’il était
réellement dans les douces affres de l’orgasme. Magnifique !
Un soupir appréciateur échappa de Neil lorsqu’il sentit couler sur la peau glabre
de son buste la chaude essence d’Aedan.
— J’ai pas été trop… maladroit ? s’enquit-il au bout de quelques minutes de
silence et d’immobilité.
Une pointe d’appréhension avait fait vaciller sa voix. La « statufication » d’Aedan
l’inquiétait un peu. Avait-il été à la hauteur ? Lui avait-il fait mal ? Pour toute réponse,
Aedan porta la main de Neil à son tatouage en pleine luminescence. Il était presque
brûlant, tant il irradiait de chaleur.
— Sans jeu de mots, tu m’as mis le feu, jolie petite créature, soupira-t-il avec
satisfaction.
— Venant d’un Ombre affilié au feu, c’est un sacré compliment, pouffa Neil,
soulagé et ravi.
Son visage se fit capturer par des mains possessives. Aedan l’assaillit de nouveaux
baisers ardents, à croire que sa passion n’était toujours pas retombée. Bon sang,
comment était monté ce mec ?
L’Ombre lui dévora la bouche pendant de longues minutes, au bout desquelles
tous deux se retrouvèrent aussi excités qu’au début. À ce rythme-là, ils y seraient encore
Réflexion – tome 1
22
à midi. Neil lui-même ne se serait pas cru si endurant ! Son côté non-humain, sans
doute…
Une seconde fois, ils s’amenèrent mutuellement à l’ivresse, frictionnant le
membre de leur partenaire tout en jouant avec leur propre tatouage. Cette particularité
héritée de la génétique n’oktique donnait vraiment une autre dimension au plaisir
charnel.
Enfin, ils partagèrent une douche. Et s’ils furent à l’étroit, ce fut plus un avantage
pour Neil qu’un inconvénient.
*o*o*
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