kayak one
un projet de Solal Bouloudnine
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« J'ai passé une nuit merdique. Je grelotte depuis hier soir 22h ou 21h et il est 10h du
matin. Donc c'est une vraie partie de rigolade. Je ne suis pas sûr que ça devienne très
populaire comme sport. »
Andrew McAuley, Décembre 2006
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ÉQUIPE ARTISTIQUE
-‐ Solal Bouloudnine , metteur en scène
-‐ Olivier Veillon, comédien
-‐ Maxime Mikolajczak, comédien
-‐ Jean-‐Marc Montera, guitariste
-‐ Ahmad Compaoré, battteur
-‐ Baptiste Amann, dramaturge
-‐ Gaspard Pinta, scénographe
ÉQUIPE TECHNIQUE
-‐ Quentin Caille, ingénieur son
-‐ Ingénieur en mécanique (en recherche)
-‐ Eclairagiste ( en recherhe)
…
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LE PROJET
KAYAK ONE est un projet théâtral pour un comédien, mêlant vidéo, musique live
et installation mécanique. Il prend comme point de départ le documentaire Solo : lost at
the sea de David Michod et Jennifer Peedom.
Ce qui aura dans ce dossier l’apparence de théories et d’abstractions n’attend que
d’être expérimenté sur scène. Et tout ce qui est présenté en termes pratiques, matériels,
nécessite qu’on le réalise progressivement pour en faire physiquement l’expérience ;
l’installation mécanique est ici un opérateur d’expérimentation des sensations plutôt
qu’un dispositif scénique définitif.
(Je suis désolé, mais l’expérimentation possède peu de synonymes)
Andrew McAuley, 2006
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LE DOCUMENTAIRE
En janvier 2007, l'aventurier australien Andrew McAuley entreprend la traversée
de la mer de Tasmanie en kayak. Son objectif était de couvrir en un mois les
1 600 kilomètres séparant la côte Est de la Tasmanie et le Sud de la Nouvelle-‐Zélande.
Les arrangements faits sur son kayak de mer Mirage de sept mètres restaient
sommaires. McAuley disposait d'une ancre flottante, de la possibilité de s'allonger dans le
kayak et de fermer la trappe avec un bulbe de fibre de verre (qu'il surnommera
« Casper »). La trappe était équipée d'un ventilateur d'air, ce qui lui permettait de se
redresser instantanément après un chavirage. Il se préparait en effet à côtoyer les
tempêtes et les vagues violentes inévitables dans cette partie de l'océan. Il maintenait le
contact avec l'Australie grâce à un téléphone satellitaire qui lui permettait de transmettre
et de recevoir des messages écrits et notamment les prévisions météorologiques.
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Après des adieux déchirants à sa femme et son fils, il embarque sur son kayak le 2
décembre 2006. Mais deux jours plus tard, en raison de la difficulté à maintenir une
température assez élevée à l'intérieur du kayak, il interrompt son voyage.
Vickye McAuley et son fils sur la plage , le 2 décembre 2006
La deuxième tentative aura lieu le 11 janvier 2007. Durant son périple, Andrew
McAuley livre à sa caméra ses angoisses, ses peurs et ses questionnements.
Le 9 février, après trente jours de voyage, un appel de détresse est enregistré par
les garde-‐côtes néo-‐zélandais : « Est-‐ce que vous me recevez ? Ici Kayak one. Est-‐ce que vous
me recevez ? Terminé. J'ai besoin d'aide d'urgence. Je suis dans un kayak à environ
30 kilomètres de Milford Sound. J'ai besoin de secours. Mon kayak coule. Je suis tombé dans
l'eau. Je m'enfonce ».
Tout en vérifiant avec la famille qu'il ne s'agit pas d'un canular, les garde-‐côtes
vont faire des recherches en hélicoptères. Ceux-‐ci vont localiser le kayak vide, flottant en
partie inondé, le 10 février à seulement 54 kilomètres de sa destination de Milford Sound.
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LA GENÈSE DU PROJET
Au départ, une forte envie de travailler sur la mer et la voile ; et plus précisément,
la traversée en solitaire. Recréer l'océan sur un plateau ainsi que les mouvements houleux
d'un bateau. Au fil de mes recherches sur ces aventuriers qui traversent les océans au
péril de leur vie, je suis tombé sur ce documentaire : Solo : lost at the sea. L’histoire qui
m’avait émue rencontrait ces thèmes et ces envies de recherches esthétiques : tenir un
personnage leur donnait une raison d’être. J’avais été saisi comme rarement par la scène
de séparation entre Andrew et sa famille. Dans cette séquence on voit Andrew, encore
informaticien la veille, partir sur un kayak ordinaire. Sur la plage, sa femme et son jeune
fils crient son nom et lui jettent des adieux. Lui pagaie et s'éloigne peu à peu, puis craque.
Il pleure, suffoque. On dirait un soldat qui part pour le front. Mais personne ne l'a poussé
à partir, c'est lui-‐même qui en a décidé ainsi. Il est le créateur de sa propre guerre.
Pourquoi part-‐il ? Il se le demande lui-‐même. Pourquoi quitte-‐t-‐il ce qu'il a plus de
cher au monde pour un océan hostile dont sûrement il ne reviendra pas ?
Pourquoi Edmund Hillary voulait-‐il, au péril de sa vie, gravir l'Everest, Herzog et
Lachenal l'Anapurna? Pourquoi Moitessier a-‐t-‐il appareillé pour tourner, sans escale et en
solitaire, une fois et demi autour du monde ? Quelle bizarre idée a poussé Jean-‐Louis
Etienne à chercher à atteindre le Pôle Nord, à pied, en tirant son traîneau ? C'est ce
« pourquoi » qui m'anime. Au-‐delà des raisons que chacun d’entre eux a pu alléguer, c’est
cette force qui les a poussés à partir pour un inconnu total qui me fascine ; elle constitue
finalement un leitmotiv, le point commun de toutes ces histoires individuelles.
Bien sûr, on imagine aisément que si Andrew McAuley et ses semblables
s'aventuraient dans ces entreprises délirantes et surhumaines – avant de faire du kayak
en haute mer, McAuley était alpiniste et avait gravi de nombreux monts, tentant toujours
d'établir un nouveau record de vitesse et ce, souvent par des voies encore jamais
empruntées –, c'était incontestablement pour se sentir d'avantage vivant. Frôler le pire
pour se rendre compte que le meilleur existe. Comme en témoigne le Dr Richard Stiles,
aventurier et ami de McAuley : « Les grands aventuriers ont sans doute une sensibilité
différente des autres. S'aventurer seul en mer de Tasmanie, ça requiert sans doute un certain
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profil psychologique. Certains de ces aventuriers sont tellement habitués aux sensations
fortes que pour arriver à ressentir quelque chose ils vont devoir se mettre dans une situation
bien plus dangereuse que les gens ayant une sensibilité normale. Pour se sentir vivants ils
ont besoin d'aller jusqu'à risquer leur vie. C'est seulement en se mettant en situation de
mourir que certains comprennent la valeur de la vie. Sa passion pour l'aventure était en
conflit permanent avec sa passion pour sa famille. »
Capture d'écran de La mer, Ange Leccia
On peut trouver certaines analogies entre le profil de McAuley et celui d'un
toxicomane. L'aventure était sa drogue. Il en était addict. Mais cette dépendance n’entre
pas nécessairement en contradiction avec cette passion pour sa famille : durant la
traversée, il s'est battu d'une manière impressionnante pour survivre, et l’on peut aussi
décider d’y voir une preuve de l'amour incommensurable qu'il avait pour les siens. Jamais
il n'aurait abandonné mais jamais il ne se serait arrêté. Seule sa propre mort pouvait
mettre un terme à une telle obstination : ni le sentiment de devoir familial de McAuley ni
la demande d’un de ses proches ne l’auraient poussé à arrêter de chercher l’aventure (sa
femme avait profondément compris que celle-‐ci faisait partie de lui et donc de leur
couple : ne pas le retenir était une sublime preuve d’amour).
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PISTES DE RECHERCHE
Quand on demanda à Andrew McAuley, à l'aube de son départ, s'il avait peur de
faire cette traversée, voici ce qu'il répondit : « Bien sûr que cette traversée me fait peur. Je
ressens de la peur. Mais ça ne me fait pas peur d'avoir peur. Avoir peur c'est affronter ses
démons. Mentalement, c'est une expérience qu'on ne vit pas tous les jours. »
C'est en retranscrivant les paroles de McAuley que j'ai compris que ce qui
m'intéressait dans cette obstination de l’aventure (qui est aussi une obsession de
l’exploit), c’est la peur et les rapports insensés qu'on entretient avec elle. Cette frontière
abstraite qu'il y a entre la sécurité et le danger, cette frontière terrifiante que ces héros
n'ont pas peur de franchir tout en ayant peur. Cette limite qu’ils franchissent seuls, pour
aller voir d'eux-‐mêmes, pour vérifier. Il y a un vertige dans cette aventure : on n’existe
qu’en prenant le risque de ne plus exister.
L’aventure est initiatique : McAuley teste ses limites, il découvre, pour lui-‐même
mais aussi pour nous, une dimension qui ne s’ouvre à lui que parce qu’il a franchi un cap.
Il bouscule les limites que nous croyons être les nôtres en nous démontrant qu’avec ses
propres ressources et les éléments naturels, ce qui nous paraît insurmontable est en fait
question de liberté.
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Je suis comédien et il m'arrive très souvent d'avoir le trac. C'est un état de
tremblement, de paralysie et d'excitation total. Durant ces instants d'anxiété, j'ai souvent
entendu les comédiens se poser cette question que je me pose à chaque fois : « Mais
pourquoi je fais ça ? Pourquoi vais-‐je de mon plein gré me mettre à nu devant des
inconnus ? ». J’ai trouvé une certaine similitude, toutes proportions gardées, entre ces
questionnements récurrents et les propos que tient McAuley : « ... J'ai peur de ne plus voir
ma femme ni mon petit garçon. Et je suis terrifié. Terrifié. J'ai un fils qui a besoin de son père
et une femme qui a besoin de son mari. Je me demande pourquoi je fais ça. Vraiment. Et je
n'ai pas la réponse. »
Aujourd'hui encore moi non plus je n'ai pas la réponse. Je ne sais ni pourquoi je
suis comédien, ni pourquoi McAuley a pris la mer ce 11 janvier 2007, mais je sens que la
peur est un point commun à l’origine de ce qui nous fait vibrer et accomplir des choses. Le
but n’est pas de travailler autour du comédien, mais l’essence de la peur et la question
« Pourquoi je prends ce risque » sont la porte d’entrée à un travail à concrétiser sur scène.
Contrairement à Gérard d'Aboville qui en 1980 quitta les côtes bretonnes sur sa
petite embarcation et traversa l'Océan atlantique à la rame, Andrew McAuley n'est pas
allé au bout de son exploit. Il n'a pas « réussi ». C'est ce naufrage si près du but qui donne
à cette histoire une puissance exceptionnelle, et cathartique.
Il faut tenter de s'imaginer que cet homme a ramé pendant plus de trente jours,
parcouru près de mille cinq cents cinquante kilomètres, a croisé des requins, traversé une
tempête d'envergure phénoménale avec des vagues et des creux de plus de dix mètres,
pour mourir d'hypothermie, noyé à cinquante kilomètres des côtes néo-‐zélandaises, parce
qu'une attache de sa capsule avait cassé. Un petit bout de ferraille. Un détail.
Alain Bombard (biologiste, connu notamment pour sa traversée de l'océan
atlantique à bord d'un canot pneumatique en 1952) disait que « les naufragés meurent de
désespoir », qu'il est peut-‐être plus facile de survivre à une tempête qu'à un état de
panique ou à une désillusion. Pour ce qui est de McAuley on ne saura jamais. Mais
paradoxalement c'est plutôt lorsque l'espoir était grandissant, alors qu'il était si proche
des côtes, qu'il s'est « enfoncé ».
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LA FORME
L'idée originelle de ce projet était de pouvoir transposer la mer sur un plateau de la
manière la plus réaliste possible. Voici quelques éléments possibles pour travailler à une
représentation numérique et mécanique.
1) la structure mécanique
Je n'aime pas le "faux" au théâtre. Je préfère une bonne claque à une belle cascade.
C'est pourquoi je souhaite que le comédien évolue dans des conditions qui sollicitent son
énergie physique et morale. C'est dans cette optique que j'ai imaginé un simulateur de
Kayak, en collaboration avec Dorian Vigoureux, Docteur en mécanique.
Voici un schéma primaire de la structure :
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Grâce à un système de programmation, les moteurs et les treuils sont synchronisés
afin de retranscrire le mouvement du kayak sur la mer. L'amplitude dépendra de la
longueur du kayak. Le but étant qu’elle soit maximale. L'utilisation des treuils permet ici
de retourner le kayak à 180° comme dans le documentaire.
Le kayak sera également équipé d'un système identique à ceux qu'on trouve dans
les rameurs des salles de sport, pour que le comédien soit mobilisé physiquement.
Afin de réaliser cette structure nous allons solliciter le DICREAM pour son aide au
développement.
2) le son
Le bruit du vent, des vagues, de la pluie, du tonnerre... sont des matières
essentielles et nécessaires pour recréer un univers marin.
Toujours dans cette optique de réalisme, je souhaite travailler avec des capteurs
numériques accrochés au bout des pagaies et sur l'avant et l'arrière du kayak. L'objectif
de cette installation est de rendre sonorement concret chaque coup de pagaie et chaque
choc de la coque du kayak sur la mer. Il y aurait aussi un possible travail de spatialisation
du son, et spécifiquement en ce qui concerne la vague.
Waves Breaking against the Wind, William Turner, 1840
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3) la musique
Jean-‐Marc Montera (guitariste) et Ahmad Compaoré (batteur) sont des musiciens
avec qui j'ai déjà travaillé à plusieurs reprises. Ils pratiquent une musique expérimentale
et improvisée.
Je projette un premier temps de résidence intégralement consacré à la musique en
travaillant le rapport entre le son produit par les musiciens et des prises de sons de la mer
(vagues, vent...).
McAuley a ramé des jours durant, en effectuant la plupart du temps toujours les
mêmes gestes. Un coup à droite. Un coup gauche. Un coup à droite. Un coup gauche. D'un
point de vue musical, cet automatisme fait écho chez moi à la musique minimaliste, plus
connue en France sous le nom de musique répétitive. Jean-‐Marc Montera s'est intéressé
de près à ce mouvement. Sa culture et son expérience nous permettront de mieux
apprivoiser cette musique et d'en découvrir les pionniers tel que La Monte Young, Terry
Riley, Steve Reich, Philip Glass...
Dans ce projet, la musique, et plus généralement le son, seront nettement
prépondérants, majoritaires par rapport à la parole. C’est la musique qui doit créer et
entretenir la tension dramatique et tragique que cette histoire comporte.
Dans le cadre de leurs recherches expérimentales Jean-‐Marc Montera et Ahmad
Compaoré produisent des sons « étranges », venus de nulle part. Je souhaiterais créer un
répertoire à partir de ces sons pour évoquer et illustrer les différents états dans lesquels
se trouve McAuley.
Enfin, il faudra réfléchir à la relation et aux connexions possibles à établir entre le
système musical et le système mécanique. Car le son, le jeu du comédien, la chorégraphie
du kayak, la vidéo, la lumière... devront fonctionner de manière interdépendante.
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4) la vidéo
McAuley s’adressait à une caméra comme à un journal intime. Comme dans le
documentaire, le kayak sera équipé d'une caméra postée tantôt à l'intérieur tantôt à
l'extérieur. Les images seront projetées sur un support qui reste à définir.
Grâce à des projections de texte on pourra fournir des messages informatifs :
temporels (dates, heures), géographiques (localisation du kayak, trajet effectué et trajet
restant) météorologiques mais aussi personnels (son état, son passé...).
5) la matière
Il y a une odeur forte lorsqu'on est sur un bateau ou lorsqu'on nage en pleine mer.
Une odeur iodée, reconnaissable entre mille.
Il y a des vagues violentes qui après s'être fracassées sur la coque des bateaux ou
kayaks éclaboussent nos visages ; on sent alors l'eau salée qui laisse une trace blanchâtre
sur notre peau.
Créer une ambiance olfactive à l'aide de diffuseurs ou encore élaborer un système
de projections d'eau salée en direction du public et du comédien sont des possibilités à
envisager.
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6) la lumière
« Les nuages assombrissent le matin. Ils privent la mer de lumière. Pendant des
heures la lune a éclairé les vagues et veillé sur le voilier comme une lampe de chevet. Mais
maintenant la lumière est éteinte et je me retrouve seul. Il faudrait que le matin se lève. Il
faudrait plus de lumière. »
Toine Heijmans, En mer
Stormy sea, Andreas Achenbach, 1857
En ce qui concerne la lumière le projet consiste dans un premier temps à isoler le
kayak dans un noir absolu pour travailler sur la notion d'échelle. La minuscule
embarcation par rapport à l'immense océan. Puis, figurer les différents climats et
périodes que McAuley a traversés (les jours nuageux, les nuits noires, les journées
ensoleillées, les nuits éclairées par la lune...).
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LES MATÉRIAUX
le texte
J'ai retranscrit ce que dis McAuley dans le documentaire. C'est une base
intéressante à travailler en tant que telle.
Des deux cartes mémoires que la police a retrouvées dans le kayak abandonné une
seule était exploitable. L'autre était rongée par le sel. Ce sera une carte blanche pour
nous. Un prétexte pour imaginer ce qui a pu se passer. Improviser.
Aussi, il sera intéressant de travailler et de représenter ces instants simples et
vitales que l’on ne voit pas dans le documentaire comme manger, dormir, faire ses
besoins.
les hallucinations
Lorsque McAuley voulait dormir, il devait rentrer entièrement dans son kayak
dans lequel il restait souvent un peu d'eau, glisser un bras à l'intérieur du cockpit, fermer
la capsule puis serrer son autre bras contre son buste. Autrement dit, il ne pouvait pas
bouger d'un iota. Le bruit des vagues et du vent, les perpétuels chavirages et ce cadre
exigu ne constituaient pas un environnement adéquat pour un sommeil réparateur et
nécessaire.
Le Professeur Damien Davenne est un chronobiologiste spécialiste des rythmes de
vie : « Le sommeil est là, à la fois pour récupérer et pour préparer l'éveil suivant. Il a une
vraie fonction, comme celle permettant la régénération des cellules. Pendant le sommeil, le
cerveau va trier ce qui est bon et pas bon, et ne garder que ce qui est nécessaire à la survie ».
Tous les navigateurs solitaires l'attestent : durant une traversée, dormir un minimum de
temps est primordial et vital. Le déficit de sommeil provoque des pertes de repères, de
lucidité et des hallucinations qui s'apparentent à la prise de certaines substances tel que
le LSD. Nombreux sont les marins à avoir eu des visions animalières en pleine mer ou être
descendus de leur bateau croyant être arrivés alors qu'ils étaient encore à des milliers de
miles des côtes.
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« C'est du rêve éveillé qui se transforme en réalité pour celui qui est privé de sommeil.
La distinction entre réalité et illusion est ténue. Elle est bien organisée si l'on dort
normalement, car tout est fait pour protéger l'individu de ses rêves. Mais si on s'empêche de
dormir, le rêve, indispensable à la vie, envahit tout, aussi bien le sommeil paradoxal que le
sommeil profond » poursuit le Professeur Damien Davenne.
« Ça secouait pas mal. J'ai très peu dormi et j'ai eu des hallucinations en arrivant »
Andrew McAuley après sa première tentative avortée.
J'ai toujours été fasciné par cette frontière entre conscient et inconscient. J'ai
notamment travaillé sur la psychiatrie pour différents projets audiovisuels
malheureusement avortés. C'est une thématique d'une richesse inouïe.
Dans le cas présent, ce qui m'intéresse c'est d'envisager les hallucinations qu'a pu avoir
McAuley et la place qu'y tenait sa famille, en tant que lien à la réalité.
La vidéo, la lumière et la musique live expérimentales seront d'excellents médias pour les
illustrer.
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Jonathan Borgais
Jonathan Borgais envoyait des messages quotidiennement à son ami Andrew pour
l'informer des prévisions météorologiques. C'était son interlocuteur privilégié. C'est un
personnage qui m'intéresse et que j'aimerai traiter à travers la vidéo ou le son. Ce qui m'a
frappé dans le documentaire, c'est son fort accent français lorsqu'il parle anglais. L'idée
m'est venue de travailler le texte que dit Jonathan Borgais dans le documentaire en
français et le faire dire par un étranger.
Les chansons
Même si j'évoque souvent une volonté de réalisme, je souhaite aussi expérimenter
des choses poétiques, décrochées, comme faire chanter au comédien les chansons
suivantes :
1) Kokomo des Beach boys. Cette chanson raconte le voyage d'un couple
d'amoureux sur une île relaxante et idyllique des Caraïbes appelée Kokomo. Ce qui
m'intéresse avec cette chanson c'est avant tout la forte contradiction entre ce qu'elle
raconte et représente et le no man's land dans lequel se trouve notre protagoniste.
J'imagine qu'il la chante comme une rengaine, pour faire passer le temps, gagner de
l'espoir. Les musiciens pourraient la chanter avec lui.
Le thème de la chanson et la version original pourrait être repris et utiliser aussi dans les
moments d'hallucinations du kayakiste.
2) All by myself d'Eric Carmen. Cette chanson est mondialement connue,
notamment grâce à la reprise de Céline Dion. Connotée, populaire... je voudrais la mettre
entre les mains de musiciens expérimentaux et la faire chanter par le comédien.
L'ambition de ce moment est de dépasser le caractère humoristique et second-‐
degré que peut représenter un kayakiste chantant cette chanson au milieu d'une des mers
les plus dangereuses du monde. Je sais, ça va pas être facile. Mais croyez-‐moi : la solitude,
la nostalgie, la peur, la fin, le manque... tout y est dit de manière simple et efficace. Eh oui,
j’aime la Variété aussi.
Cette chanson emprunte librement son thème musical au deuxième mouvement du
Concerto pour piano no 2 de Sergueï Rachmaninov. Ce concerto pourra aussi être une
matière de travail pour les musiciens.
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ouvrages, films et beaux-‐art. liste non exhaustive
Seul, Gérard d'Aboville. Robert Laffont, 1993
Naufragé volontaire, Alain Bombard. Éditions de Paris, 1953.
En mer, Toine Heijmans, Éditions 10/18, 2011
Pêcheur d'Islande, Pierre Loti. Calmann-‐Lévy, 1886
Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, Joshua Slocum. Glénat, 1900
Le vagabond des étoiles, Jack London. Phébus, 1915
Vagabond des mers du Sud, Bernard Moitessier. Arthaud poche, 2004
La longue route : seul entre mers et ciels..., Bernard Moitessier. Arthaud, 1971
Grizzly man, réalisé par Werner Herzog, 2005
Le Petit Baigneur réalisé par Robert Dhéry, 1968
Le Salaire de la peur, réalisé par Henri-‐Georges Clouzot,1953
All is lost, réalisé par J. C. Chandor , 2013
La Longue Route, réalisé par Bernard Moitessier, 1970
Le piège blanc, réalisé par Thierry Robert, 2013
Les tableaux de WilliamTurner et Toine Heijmans liées à la mer
La mer, vidéo réalisée par Ange Leccia, 1991
22 Éloge des voyages insensés, Vassili Golovanov. Verdier, 2008
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NOTE DRAMATURGIQUE
Baptiste Amann est acteur, metteur-‐en scène et auteur. Nous nous sommes rencontrés à
l'ERAC -‐ Ecole Régionale d'Acteurs de Cannes -‐ il y a dix ans. Depuis nous travaillons
fréquemment ensemble. Il voulait il y a quelques années faire un projet à partir de ce
documentaire et a collecté de nombreux matériaux. Il participera sur le projet en tant que
soutien dramaturgique.
La peur est partout. Ce doit être le sentiment le plus archaïque, celui avec lequel
nous vivons depuis le plus longtemps, qui nous accompagne depuis notre venue au
monde, et plus largement depuis l’origine de l’humanité. Elle est sans doute ce qui a
motivé l’homme à se construire un abri, se défendre, mais aussi se nourrir, et nourrir ses
enfants, se soigner etc…. Elle est parmi les sentiments celui qui a sur nous les effets les
plus manifestes. Cette peur, qui représente une forme d’inconnu, catalyse des impressions
paradoxales… Elle peut être associée à des périodes douloureuses de nos vies, faire
référence à des angoisses violentes, provoquer des réactions physiques désagréables,
activer les leviers les plus bas de notre instinct, entraver le courage et pourtant, nous ne
cessons d’y revenir, comme si nous éprouvions au contact de la peur, la garantie de notre
existence.
Il existe un lien étroit entre la peur et l’enfance. Les films d’horreur, les parcs
d’attractions, les défis lancés dans les cours de récréation, les transgressions nécessaires à
la construction de l’enfant, sont autant de manières d’apprivoiser cette peur. En
grandissant, généralement cet aspect ludique disparaît. On se met à avoir le sens des
responsabilités. Le principe de réalité que les adultes se coltinent induit généralement
une prise de conscience qui augmente la peur dans sa version « anxiogène » d’une part, et
diminue les moyens de « jouer » avec. La version sérieuse de ces jeux d’enfants qui ont
pour vocation de transcender la peur, c’est le courage. Le courage ne s’oppose pas à la
peur, comme le silence ne s’oppose pas au bruit. Ils ont besoin l’un de l’autre pour
avancer. Celui qui n’a pas peur ne peut pas être courageux. Le courage c’est passer au-‐delà
de sa peur, la reconnaître, l’accepter, vivre avec. Tout ce qui représente une forme de fuite
vis à vis de la peur (mauvaise fois, inconscience, mensonge) sont bien plus dangereux que
la peur elle même. Car notre peur est aussi un garde fou.
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Et pourtant il existe des hommes, dans leur rapport à la peur, qui ne reconnaissent
pas cette frontière entre le courage, et sa traduction inconsciente issue de l’enfance : « le
jeu ». Pour ceux-‐là, ce qui est réjouissant, ce qui est « formidable » c’est justement ce qui
fait peur. Il n’est d’ailleurs sans doute pas anodin que la racine latine du mot « formidable
» (formido) veuille dire « peur, effroi ». Généralement, il s’agit de pionniers : Le premier
homme à traverser un océan, à sauter en parachute, à aller dans l’espace… Ces aventuriers
ont bien souvent changé le monde.
Mais aujourd’hui, il n’existe guère d’ « ailleurs » à conquérir. Du moins à l’échelle
du corps humain et de son potentiel. Les aventuriers d’aujourd’hui, pour satisfaire leur
instinct du dépassement de soi, se lancent des défis dont la réalisation est sans
conséquence directe pour l’humanité. Il ne s’agit plus de découvrir un continent, ou de
marcher sur la lune, mais de traverser en kayak une mer démontée, de descendre en surf
les façades des plus hauts sommets du monde, de faire le tour du monde en solitaire, de
sauter en parachute depuis la stratosphère… L’aventure a donc perdu de son sens
commun, pour gagner en poésie. Car ces nouveaux aventuriers risquent leur vie pour rien.
Pour, comme on dit, « la beauté du geste ».
C'est à ce rapport au monde et à la peur que ce projet rend hommage. À une
époque qui célèbre l’efficacité, qui utilise la peur pour faire se dresser les communautés
les unes contres autres, que nous apprennent ces êtres qui ont fait de leur vie un art de
vivre, et cela pour rien, « gratuitement » ? Et si, finalement il y avait là un enseignement à
tirer, tout aussi gratifiant que la découverte d’un nouveau monde…
Baptiste Amann.
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L'ÉQUIPE
Solal Bouloudnine est né en 1985 à Marseille. Après sa sortie de l’ERAC en 2007, il
intègre le CDRT de Tours en tant que comédien permanent pour une saison. Par la suite il
travaille avec Alexis Moati, Alexandra Tobelaim, Dante Desarthe.
Il co-‐dirige le collectif l’OUTIL avec trois anciens camarades et participe activement aux
différents projets dont ceux de l’IRMAR (Institut de Recherches Menant à Rien) dirigés
par Victor Lenoble et Mathieu Besset, ceux de Baptise Amann (Les anthropophages, Des
territoires ) et d’autres créations collectives telles que Spectateur : Droits et Devoirs créé
en 2013. En 2014, il rejoint la compagnie des Chiens de Navarre pour la pièce « Les
armoires normandes ». Parallèlement à ses activités de comédien il travaille aussi en tant
que monteur vidéo, réalisateur et scénariste.
Olivier Veillon est sorti de l’ERAC en 2007, il travaille comme acteur pour Alexandra
Tobelaim, Jean Pierre Vincent, Bertrand Bossard, Catherine Zambon… Il co-‐dirige l’OUTIL,
compagnie Bourguignonne au sein de laquelle il participe aux travaux de l’IRMAR
(Institut des Recherches Menant à Rien, avec Victor Lenoble et Mathieu Besset), aux
créations de Baptiste Amann, à certaines créations collectives notamment avec Solal
Bouloudnine et met en scène ses propres projets (Bones, avec les Suédois d’Institutet, Ca
va aller, de Charlotte Lévy, Manoeuvres in the Dark avec le CFPTS, au T2G) et co-‐met en
scène CLAP avec les Allemands d’Objective : Spectacle. Il vit dans la forêt Bourguignonne
dont l’opulence le réjouit chaque jour de joies mycologiques variées
Maxime Mikolajczak a étudié au conservatoire de Bordeaux en 2005, puis à l’ERAC
(Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes) entre 2006 et 2009. Lors de ce cursus, il rencontre
des professionnels tels que Simone Amouyal, Richard Sammut, Christian Esnay,
Guillaume Vincent ou Didier Galas. Depuis 2009, il travaille avec Bérengère Jannelle,
Stéphane Olivié-‐Bisson, Nasser-‐Martin Gousset, Bertrand Bossard, et de jeunes metteurs
en scène issus de l’ERAC tels que Juliette Peytavin, Maïa Jarville, Amine Adjina et Emilie
Prevosteau. Il a également tourné sous la direction d’Agnès Troublé et de Samuel Bodin.
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Jean-‐Marc Montera est un guitariste d'avant-‐garde français. Spécialiste de
l'improvisation libre et de l'expérimentation sonore se produisant en solo ou avec des
combos de circonstance, il a collaboré depuis les années 1970 avec de très nombreux
musiciens issus d'horizons divers (Fred Frith, André Jaume, Barre Phillips, Yves Robert,
Jacques Diennet, Loren Mazzacane Connors, Thurston Moore, Lee Ranaldo, Louis Sclavis,
Michel Doneda ...), ou avec des artistes d'autres domaines comme le théâtre (Sarah Kane,
Biljana Srbljanović, Jean-‐Claude Berutti ...), la danse (Odile Duboc ...), ou encore les arts
plastiques (Sandy Amerio). En 1978 il participe à la fondation du GRIM à Marseille, qu'il
dirige encore à l'heure actuelle.
Ahmad Compaoré est un batteur, percussionniste et improvisateur rare, Ahmad
Compaoré confirme son talent singulier aux côtés de Fred Frith, Marc Ribot, Jamaaladeen
Tacuma, Barre Phillips et Camel Zekri... Mais aussi en tant que membre du trio Nafas ou
en duo avec la danseuse égyptienne Karima Mansour. Basé à Marseille, il enseigne la
batterie et les percussions contemporaines à l'association La Boîte à Musique. Tout en
multipliant concerts et ateliers, Ahmad Compaoré prépare son nouveau projet en leader,
au croisement du free jazz et de l'afrobeat.
Quentin Caille est créateur industriel de formation, diplômé en 2014 a l'ENSCI les
ateliers. Ses domaines de recherches s'éloignent néanmoins du design et concernent la
sonorisation, la recherche sonore et musicale. Il se spécialise notamment sur la culture du
sound-‐system, tant sur un plan technique et technologique que phénoménal, ou social. Il
est également DJ, illustrateur sonore, compositeur, et fonde actuellement le label
JOHNKÔÔL records avec son associé et producteur Colin Johnco. Il organise également
des workshops autour du bricolage électronique et sonore ( circuit bending ), et de la
programmation sonore via le logiciel Pure Data. Il est également membre fondateur du
collectif sin~, collectif de recherche pluridisciplinaire axé sur la musique, l'audiovisuel et
l'art interactif. Après une période laborantine bruxelloise, il coordonne aujourd'hui les
actions du collectif depuis Paris. Le collectif sin compte parmi ses membres des artistes de
plusieurs horizons tel que Gaspar Claus, Flavien Berger, Juliette Gelli, Maya de Mondragon
ou encore le jeune réalisateur Robin Lachenal.
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Gaspard Pinta est dîplomé de l’Ecole Nationale Supérieur d’Architecture de Paris
Belleville. Ensuite il a travaillé pour Pierre-‐Louis Faloci architecte, puis pour Isabelle
Allégret (réhabilitation de l’aile sud du Grand-‐Palais). Avec Marion Nielsen et Nabil
Hamdouni, il remporte l’appel d’offre de renouvellement des espaces d’accueil du Théâtre
National dela Colline (livraison rentrée 2011). Depuis 2007, il est le scénographe de la
Compagnie du Veilleur (direction artistique Matthieu Roy) et conçoit les décors de
L’amour conjugal d’après Alberto Moravia, d’Histoire d’Amour (derniers chapitres) de
Jean-‐Luc Lagarce, de Peer Gynt de Henrik Ibsen, du diptyque Notre Pain Quotidien de
Gesine Danckwart / Le Moche de Marius von Mayenburg, de La Conférence, Qui a peur du
Loup ? et Un doux reniement de Christophe Pellet, de Même les chevaliers tombent dans
l’oubli de Gustave Akakpo, de Martyr de Marius von Mayenburg. En 2012/2013, il conçoit
la scénographe de Petit Eyolf d’après Henrik Ibsen pour la compagnie Elk (direction
artistique Jonathan Châtel) et participe à la création de Regards de Séverine Fontaine par
la Compagnie IKB. De 2010 à 2013, il a collaboré au sein du bureau d’études du Théâtre
du Châtelet en tant que chargé de production pour les créations de Sweeney Todd en
2011, de Orlando Paladino en 2012, de Sunday in the park with Georges et de Roméo et
Juliette en 2013. Dans ce cadre, il a aussi participé aux productions du Messie en 2011 et
de Carroussel en 2012. Il prépare actuellement la scénographie de l'opéra Macbeth de
Verdi pour La Monnaie-‐ De Munt, Théâtre Royal de Bruxelles (création septembre 2016).
Baptiste Amann est diplômé de l ‘Erac. Il a travaillé comme acteur depuis avec Daniel
Danis, Hubert Colas, William Nadylam, Olivier Bruhnes, Linda Blanchet, Judith Depaule…
Il tourne au cinéma sous la direction de K. Dridi, C. Lamotte, L. Teyssier, A. Decausnes, P.
Lefebvre. En tant que co-‐fondateur de l’Outil, il participe aux créations de l’IRMAR. Il
poursuit en parallèle une démarche d’écriture et de mise en scène de ses propres textes:
Les anthropophages, (Alloue 2008), Des territoires, (création 2016, Glob Théâtre
Bordeaux, Théâtre Ouvert Paris, Comédie de Reims, Festival Act’Oral Marseille…) Depuis
2015 il collabore régulièrement en tant qu’auteur avec le metteur en scène Rémy Barché.
Il sera particulièrement associé comme auteur et metteur en scène, à la Comédie de Reims
durant la saison 2015-‐2016.
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