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histoire

EN 1875, LESCOMPAGNIESPENSAIENT,

COMME LA SNCFAUJOURD’HUI,QUE DES LIGNES

SUPPLÉ-MENTAIRES NESERAIENT PASRENTABLES

GeorgesGalienne, délégué généralde l’Union routière, donne en 1949le point de vue des routiers sur ledéficit de la SNCF.

Ledramedurail

Y Ledramedu chemindefer français n’est à

aucundegré et d’aucunemanièrele fait de la route. C’est vraimentun singulier paradoxe quede voirla SNCF, qui a disposé à volontéd’énormes contingents demétaux ferreux et non ferreux, debois et de ciment depuis 1944, quis’est taillé la part du lion dans lescrédits duplanMonnet, qui a puacquérir auxEtats-Unis 1300 loco-motives dont elle n’a pas aujour-d’hui l’emploi intégral, venirreprocher aux transports routiersdélibérément sacrifiés depuis laLibération, privés longtemps devéhicules, puis de carburants et

depneumatiques, de lui faire uneruineuse concurrence. (…)

Ledrameéconomique du rail apour raison essentielle que leréseau français est aujourd’huiquasi centenaire, qu’il a été com-plètement édifié, avec l’aggrava-tion des erreurs duplan Freycinet,bien avant l’apparition des autresmodes de transport.

Si l’évolution s’était faite autre-ment, si le rail était arrivé en der-nier, il ne serait venu à l’esprit depersonnede construire le réseauferroviaire français avec la densi-té, la complexité et l’importanceexcessive quenous lui connais-sons.

Le problèmequi se pose ànotregénération est donc de repenserl’équilibre des transports exis-tants en fonction de cette idée; derendre au rail ce qui lui appartientet ne lui est point contesté ; de luienlever ce qui ne devrait plus lui

appartenir depuis longtempsdéjà; de lui restituer la physiono-mie exigée par les progrès de latechnique actuelle des transports.

Le drame financier de la SNCF,c’est d’avoir sans cesse voulu voirtrop grand et de bâtir un systèmeferroviaire en expansion conti-nue, négligeant par làmêmel’existence à ses côtés de concur-rents beaucoupplus jeunes, plusardents, plus souples,mieuxarméspour servir l’économie (…).La concurrence normale desautresmoyens de transport n’est,dans cette aventure, qu’un élé-ment et qu’un élément bienfai-sant, puisqu’il a fini par poserdirectement le problèmedu che-minde fer français, qui n’auraitrien gagné à continuer à être trai-té dans plus oumoins de secret.

Aux responsables de faire désor-mais le nécessaire: est-il toujoursbesoin, au siècle de l’automobile,

d’autant de gares, de stations, dehaltes qu’au siècle dernier, com-medesmêmes40000kilomè-tres de lignes? Est-il toujoursnécessaire de laisser circulerautant de trains omnibus à la foissi inconfortables et coûteux?

Adeux reprises le chemindefer français aurait pu être «repen-sé»: en 1936 lors des 40heures.Fallait-il embaucher une centainedemille de cheminots deplus(d’ailleurs au détriment final del’agriculture française) ou allégerl’exploitationdes rameauxdéjàinutiles ou trop coûteux? A laLibération, devant un réseaudétruit, fallait-il le reconstituer telquel, en l’augmentantmême, outailler dans le vif et réaliser ce quel’avant-guerre n’avait pas permisde faire?»p

GeorgesGalienne«LeMonde» du 14mai 1949

(extraits)

Jusqu’aux vallées les plus recu-lées, les paysages de Francesont striésde lignesdechemindeferdésaffectéesqued’auda-cieux ouvrages d’art ponc-

tuent. Ces improbables infrastruc-tures sont les témoins de l’échecretentissantd’unepolitiquevolon-tariste de grands travaux. Le planFreycinet a couvert la France d’unréseaudechemindefer inutileetacontrarié la seconde révolutionindustrielle.

Charles de Saulces de Freycinet(1828-1923),polytechnicien,minis-tre des travaux publics de décem-bre1877àdécembre1879, puispré-sident du Conseil et ministre desaffaires étrangères, finit sa carriè-re politique en 1915-1916 aprèsavoir été plusieurs foisministre etministred’Etat. En1878, ilprésenteun ambitieux plan demodernisa-tiondes infrastructures.Outredestravauxsur les canauxet lesports,son but principal est d’étendre leschemins de fer par un denseréseau secondaire qui devaitapporter la modernité et la Répu-bliqueàuneFrancerurale souventhostile aunouveau régime.

Lorsde ladiscussionduplan, lesparlementaires se livrent à uneincroyable «démagogie ferroviai-re»sousprétexted’établirunesor-te d’égalité de tous les Françaisdevant le chemin de fer. Chaqueélu pense qu’une gare dans sa cir-conscription lui garantit la réélec-tion : il est décidé que toutes lessous-préfectures auront leur gare.

A l’époque, ce sont des compa-gnies privées qui construisent etgèrent les chemins de fer. En 1883,l’Etat leur «impose» la réalisationdu plan: 11000km de lignes nou-velles, soit une augmentation de40% du réseau. L’investissementtotal en chemins de fer jusqu’en1914 représentera plus de 7mil-liards de francs, soit deux fois lebudget de l’Etat pour l’année 1883.

Les études de l’époque pré-voient d’importants déficits pourceréseauycomprisdefonctionne-ment.L’Etatorganisedoncuncom-plexe système de subventions etde garanties pour compenser lespertes des compagnies. Pour l’ad-ministration,ceslignessontd’inté-rêt général, car sources d’écono-mies.Le fretdemarchandisecoûte30centimes (la tonne par kilomè-tre) par route, contre 6centimespar chemindefer. Cettedifférencede 24centimes constitue « l’enri-chissement» permis par les nou-velles lignes. Les ingénieursoubliaientque cequi compten’estpas l’économie réalisée mais soncoût, car il existe des économiesqui coûtent cher !

En 1900, l’économiste PaulLeroy-Beaulieu parle de la «folieFreycinet (…), débauche de travauxpublics mal étudiés, mal dirigés,mal utilisés, qui a sévi partoutdepuis quinze ans. (…) Il leur sem-blait que tout travail public dûtêtre nécessairement productif ».Mais le plan seramenéquasimentà terme. Seules les insolublesdiffi-cultés budgétaires empêcherontde terminer certaines lignes dansles années 1920.

Au final, trois sous-préfecturesseulement n’ont jamais eu degare:Sartène,BarcelonnetteetCas-tellane.Quant à Florac, Puget-Thé-niers et Yssingeaux, elles ontdû secontenter de chemins de fer à voieétroite. Ces derniers ont été réali-sés par des départements en com-plément du plan Freycinet pourdesservir leurs chefs-lieux de can-ton. Ils sontsouventconstruits surlesbas-côtésdes routes, et l’écarte-ment de leurs rails ne dépassaitpas 1mètre.

A cause de ce réseau Freycinet,les compagnies supportent undéficit moyen de 2,6% par anentre1883et 1913.Mais les subven-tions publiques compensent ces

pertes assurant des profits auxcompagnies.Ainsi,malgré lesdéfi-cits, la part des actionsde cheminsde fer dans la capitalisation bour-sière française, en déclin depuis1850, remonte, passant de 41%, en1883, à 55% en 1898.

Les déficits de ce réseau, laconcurrence de l’automobile, l’in-flation et les conditions socialesavantageuses de leurs salariésconduisent les compagnies à unequasi-faillite lorsqu’elles sontnationaliséespar le Frontpopulai-re pour créer la Société nationaledescheminsde ferfrançais (SNCF).Elles ne pèsent plus alors que 6%delacapitalisationboursière.Libé-rée des obligations des compa-gnies, la société publique entre-prend très vite la fermeture deslignes les plus déficitaires.

Dès 1938, 4500km sont suppri-més.Dans l’après-guerre, les«che-minsde fer électoraux» sontmas-sivementdémantelés. Ilsn’ontpar-fois fonctionné qu’une poignéed’années. Aujourd’hui, la presquetotalité du réseau secondaire a étédésaffecté.Leréseauactuelestqua-siment revenu à celui de 1875quand les compagnies pensaient,comme la SNCF aujourd’hui, que

des lignes supplémentaires neseraient pas rentables.

Paradoxalement, cette débau-che d’investissement en infras-tructures est accompagnée d’unelongue stagnation économique.Le produit intérieur brut françaisde 1896 est égal à celui de 1882alors que la population a légère-mentaugmenté.Acetteépoque, laFrancesefait rattraperpuisdistan-cer par les Etats-Unis et l’Allema-gne. Lors de la seconde révolutionindustrielle, la France est en avan-ce dans l’automobile, mais rate ledémarragedelachimieetdel’élec-trotechnique. En 1914, la Sociétécentrale de dynamite, plus grosseentreprise chimique française,n’arrive qu’au 46e rang des socié-tés cotées. Dans l’électrotechni-que, Thomson-Houston est la33evaleur et la Compagnie généra-le d’électricité (ancêtre d’Alcatel)occupe la 81eplace. Cette dernièrechercheàconcurrencerAEGetSie-mens,mais elle dispose d’un capi-tal social vingt fois inférieur.

Ce manque de capitaux sur-prend, car le commerce extérieurest excédentaire, les comptespublics équilibrés et l’épargne desFrançaisabondante.Maisils inves-

tissent au loin en achetant destitres étrangers. Très peu dans lescoloniesmais plutôt en Amériqueet surtout en Europe centrale.C’est la grande épopée desemprunts russes que les banquesrevendent jusque dans les pluspetits villages de France. Les capi-taux auraient donc manqué enFrance, car ils étaient investis àl’étranger.

Cette critique est ancienne. Dès1856, François Ponsard, un auteurdramatique alors en vogue, faitdire à l’un de ses personnages :«Ah! Oui ! Le capital à nos champsinfidèles/S’envolevers laBourseoùlaprime l’appelle. Et chez les étran-gers fait pleuvoir les milliards/Sans qu’il en tombe un sou parminos campagnards.» En 1910, Key-nes la reformule avec moins defaconde: «Placer nos ressources àladispositiondeséconomiesétran-gères puisse revenir à renforcerceux qui, en définitive, pourraientnoussurpasseretexporternoscapi-taux, puisse à aboutir à un appau-vrissement de nos concitoyens.»

Mais le plan Freycinet fut toutaussi néfaste en immobilisantd’immenses capitaux dans desprojets, certes français,mais inuti-

les et structurellement déficitai-res. Avec le réseau secondaire, lescapitauxmanquentpour financerla seconde révolution industrielle.D’abord l’épargne, ressource rare,qui est investie dans les cheminsde fer n’est plus disponible pourd’autres projets.

Ensuite, l’impôtprélèveannuel-lementunepartie des revenusdesFrançais pour verser aux compa-gnieslessubventionscompensantleurs pertes d’exploitation. Lestitres étrangers avaient au moinsle mérite de verser des revenusencaissés en France.

En 2008, alors que le mondes’enfonçaitdanslacrise,unerelan-ce par les grands travaux fut envi-sagée avant que les contraintesd’endettement ne freinent lesambitions. Le jour où cette idéereviendra, il faudra garder à l’es-prit que toutes les infrastructuresne sont pas bonnes par nature. Etse souvenir qu’avec les grands tra-vaux du plan Freycinet, les Fran-çais se sont rapprochés de la gare,mais éloignés de l’avenir.p

David Le Bris

David Le Bris est enseignant-chercheurà Kedge Business School.

Les débutsdu chemin de fer

1827 Lapremière lignedecheminde ferouvrepour letransportde charbonentreSaint-EtienneetAndrézieux(tractionparchevaux).

1837Première ligne spécifi-quementpour les voya-geurs, deParis àSaint-Ger-main.

1841 Le réseau ferroviairefrançais s’élèveàenviron550kmde lignes.

13décembre1877-28décembre1879CharlesdeFreycinetdevientminis-tredes travauxpublics.

1878PrésentationduplanFreycinet, voté le 17juillet1879, qui prévoit que toutesles sous-préfectures soientreliéespar le cheminde fer.

1914Prèsde40000kmde lignes sontexploités.

1938Toutes les compa-gnies ferroviairespassentsous la tutelle de l’Etat auseinde laSociéténationaledescheminsde fer (SNCF).En 1908. JACQUES BOYER/ ROGER VIOLLET

En1878, l’Etatselancedansledéveloppementduchemindefer.Lescapitauximmobilisésmanquerontensuitepourfinancerlachimieoulesgrandesusines

LescoûteuxgrandstravauxduplanFreycinet

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70123Samedi 12 juillet 2014