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LoubatièresParc naturel régional des Pyrénées catalanes

Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes

l’élevage

ISBN 978-2-86266-588-7

© Nouvelles Éditions Loubatières, 200910 bis, boulevard de l’Europe – BP 2731122 Portet-sur-Garonne Cedex

www.loubatieres.fr

Parc naturel régional des Pyrénées catalanes1, rue Dagobert66210 Mont-Louis

www.parc-pyrenees-catalanes.fr

Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes l ’élevage

Ce livre vous est offert par le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes.

est un projet initié par le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes et son Président, Christian Bourquinet réalisé par

Maryse Carraretto, ethnologuePaul Delgado, photographeSébastien Vaissière, journaliste

Mathieu Altadill, chargé de mission au PNRMarjorie Capdeville, chargée de mission au PNRl’équipe du PNR

et l’équipe des Nouvelles Éditions Loubatières

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omme tous les territoires de caractère, les Pyrénées catalanes balancent entre le tangibleet l’impalpable, le visible et l’invisible, le réel et l’imaginaire. Leur patrimoine lui-

même provient d’un singulier mélange de richesses concrètes et quantifiables (ressourcesnaturelles et humaines, élevage, monuments, climat, produits agricoles, artisanat…) et debiens immatériels (culture, traditions, langue catalane…) qui, mémoire orale en tête, sonttout aussi précieux que les premiers.

Le recensement et l’historique réalisés auprès des locaux ont permis d’identifier lesproductions disparues: le Coteau de Saint-Antoine autour d’Olette (médaillé à Paris en 1900),la Poire d’Osséja (exportée à Londres et en Argentine entre 1950 et 1960) et bien d’autrestrésors encore. Pour les productions qui perdurent, le Parc naturel régional des Pyrénées cata-lanes élabore des programmes de recherche et de valorisation économique. Depuis qu’il existe(2005), le PNR œuvre en faveur de produits agricoles tels que la Rosée des Pyrénées, la chèvrepyrénéenne, les pommes du Conflent, la pomme de terre de Cerdagne-Capcir ou le navet deCerdagne. Des travaux ont notamment été menés avec les arboriculteurs du territoire et unlaboratoire agroalimentaire, pour la création de nouveaux produits à base de pomme. Les essaisconcernent la pâte de pomme (pâte de fruit contenant plus de 50 % de pomme) et la “pâte àtartiner” de pomme, toutes deux agrémentées de miel local. Et ce n’est qu’un début, avecd’autres productions et savoir-faire qui font l’objet de toutes les attentions : miels, fromages,viandes… Ces inventions voient le jour de manière collective, dans le cadre de la marque Parc,qui estampille les produits du territoire inscrits dans une démarche de développement durable.

La valorisation du terroir des Pyrénées catalanes passe aussi par l’ouvrage que voustenez entre les mains. Né de la terre et de ses produits, il puise dans la mémoire de ceux quil’habitent, l’exploitent et la défendent. Par les révélateurs de la photographie et de la confi-dence orale, il expose une histoire à la fois commune à tous les pays de montagne et parti-culière à ceux qui l’ont façonnée.

En explorant le passé, le photographe Paul Delgado et l’ethnologue Maryse Carrarettomissionnés par le Parc naturel régional ont tracé un portrait fidèle de la réalité contemporainedu territoire au fil de rencontres printanières d’abord – quand hommes et animaux semblaientencore engourdis par l’hiver – estivales ensuite – quand ces derniers gravissaient peu à peu lamontagne, laissant à la nature le soin de régénérer l’herbe rase et le sol foulé par les sabots.

Si cet ouvrage révèle des pratiques d’élevage ancestrales, il expose également des formesde valorisation nouvelles en boucherie, en charcuterie ou en fromagerie. Par la vente directe,par les réseaux de distribution locaux, par les plats cuisinés vendus sur les places de marchéset par le talent des restaurateurs.

Éleveuses et éleveurs, bergères et bergers, cuisinières et cuisiniers, jeunes et vieux,chaque protagoniste – dont le lecteur entendra la voix – y raconte un pan de ces histoiresqui, une fois mises en commun, façonnent la mémoire collective. Celui-ci, retraité, se souvientdu temps passé, tel autre anticipe le futur de son exploitation, celui-là maintient l’élevagefamilial, l’autre le transforme, d’autres encore témoignent de leur attachement nouveau àcette terre, ce pays, cette montagne.

On jurerait ainsi à la lecture de ce livre que ce sont les Pyrénées catalanes elles-mêmesqui bruissent de mille voix, comme autant de témoignages promis par la grâce de l’écho àun retentissement éternel.

Christian BOURQUINPrésident du Parc naturel régional des Pyrénées catalanes 5

C

PROPOSAVANT

Influencée par l’avènement du tourismed’altitude, la représentation contemporainede la montagne ignore parfois ses activitéshumaines traditionnelles. Les élevages ovin,bovin et équin – qui ont profondément mar-qué le territoire des Pyrénées catalanes – enfont d’ailleurs souvent les frais. C’est pour-quoi le Parc a décidé de mettre cette activi-té en relief en lui consacrant le premier volu-me d’une collection sur l’art culinaire desPyrénées catalanes, qu’il co-édite avec lesNouvelles Éditions Loubatières.

Il y avait aussi urgence à retenir lamémoire des savoir-faire et des pratiques.C’est l’objectif du programme de collecteet de valorisation de la mémoire orale menépar le Parc avec ses partenaires. Le Parcnaturel régional a souhaité faire découvrirce patrimoine d'élevage et de gastronomiedans cet ouvrage.

Dire que cette contrée pyrénéenne est lecadre idéal où mener ce genre de campagneest un doux euphémisme. Des fouillesarchéologiques menées notamment parChristine Rendu, Pierre Campmajo et DenisCrabol du Groupe de recherche archéolo-giques et historiques de Cerdagne ont eneffet révélé de très anciennes traces d’occu-pation de l’espace montagnard par deshommes et des bêtes. L’élevage n’a ensuitejamais disparu du paysage et perdure de nosjours dans des formes souvent novatrices quisont en cours de labellisation.

Le Parc fait partie de ces territoires –devenus rares dans les pays industrialisés– où l’on peut voir des animaux pâturerdans les prés, des moutons et des chevauxmonter en estive, des chèvres chahuter surles sentes étroites, des abeilles s’éparpillerentre les bouquets de thym et les massifsde rhododendrons. Les éleveurs y sontnombreux qui, jeunes ou anciens, doiventrépondre au défi quotidien que représentel’exercice de cette activité en montagne.

Les témoignages recueillis permettentd’esquisser une définition de l’élevage dansles Pyrénées catalanes. Être éleveur, c’est

vivre du commerce des animaux et des pro-duits élaborés à partir de cette matière pre-mière. C’est soigner, nourrir, aménager unenvironnement – naturel ou artificiel – adé-quat et accepter une proximité de tous lesinstants. C’est inscrire son activité dans unenature de montagne et de garrigue auxhivers rudes, aux étés secs, au relief tumul-tueux, fait de combes et de pics. C’est unmétier dont on espère tirer un revenudécent et qui ne peut être pratiqué correc-tement sans l’établissement d’une relationparticulière avec les animaux, tantôt proche,tantôt distanciée.

Relais des méthodes et des techniquesmises en œuvre par les anciens comme parles modernes pour mener à bien la crois-sance de leurs bêtes de la naissance à l’as-siette, ce livre est également un recueil derecettes. Dans ce pays voué à l’élevage, desgénérations de femmes ont élaboré, trans-formé et perfectionné une cuisine plusieursfois centenaire répondant à des règles dif-férentes selon qu’il s’agisse d’un repas detous les jours, d’un dîner de fête, d’un platd’hiver ou d’un plat d’été.

Comme la plupart des sociétés humainesrurales de montagne, les populations duParc ont une alimentation carnée tradition-nellement composée de porc, d’agneau etde chevreau. Aujourd’hui, sur la table cata-lane, on trouve de plus en plus de viandebovine, traduisant la tendance générale.Mais quelle que soit l’époque, la notion deterroir est particulièrement chère aux yeuxdes populations locales.

Sans les particularismes climatiques,géographiques et géologiques du PNR, laplupart des produits d’alimentation issusde l’élevage ne seraient pas à ce point iden-tifiables. C’est la raison pour laquelle lesfamilles d’ici, quelle que soit l’anciennetéde leur enracinement, ne considèrent plusseulement le fruit de leur travail comme unmoyen de se nourrir, mais comme la matiè-re première d’une gastronomie locale conci-liant tradition et découverte.6

UN LIVRE MIROIR POUR UN PAYS D’ÉLEVAGE

À l’image de cette vue du Capcir, on constate sur les hauts plateaux, une diversification de l’activité des éleveurs avec la production de pomme de terre d’altitude marquée« Produit du Parc ».

L’ETHNOLOGUEDocteur en anthropologie sociale et

historique, Maryse Carraretto exploredepuis une quinzaine d’années les pro-blématiques liées à l’agriculture et aumonde rural. Issue d’une famille d’ex-ploitants agricoles, elle a vécu dans sonenfance les réalités parfois cruelles decette profession. Un parcours person-nel qui place ses travaux bien au-delàde la simple démarche scientifique :

« Mon champ d’action en tantqu’anthropologue est le monde rurald’hier et d’aujourd’hui dans ses rup-tures et ses continuités.

« Une réflexion de l’anthropologueMichel Agier* correspond parfaitementà ma conception de cette discipline :“L’ethnologue fait sa récolte en remuantla terre séchée des évidences: son savoir-faire, tout intellectuel qu’il soit, a quelquechose du paysan, de l’artisan; le terrainest comme la terre, il se malaxe, se tri-ture, on le sent et on le travaille. (…) Pasnon plus d’anthropologie sans ethno-graphie, car la découverte de l’autre quifonde le savoir des anthropologues nepeut être qu’une aventure personnellemarquante et toujours renouvelée. (…)Expérience sociale à part entière (…) surlaquelle l’ethnologue s’appuie pourconstruire un savoir original, un savoir-vivre.” J’adhère à ce monde rural que j’ex-périmente sans jamais le quitter vrai-ment, parce que j’en suis issue, commebeaucoup de Français, et qu’il me fauten permanence en explorer les recoinspour le saisir et le donner à voir. »

LE PHOTOGRAPHEDiplômé des universités barcelo-

naises en photographie et en sciencede l’information, Paul Delgado estaujourd’hui installé à Catllar, à la limi-te orientale du PNR. Ce cerdan de 40ans est le fondateur de la revue irrégu-lomadaire L’Âne Rouge, que les habi-tants connaissent bien.

Au-delà de ses nombreuses colla-borations avec la presse magazinenationale, cet auteur plasticien hybri-de exécute des séries photographiques(portraits et paysages) et réalise la miseen valeur de fonds documentaires, ico-nographiques et muséographiques.

Habitué à privilégier la lecture eth-nographique et la relation du sujet àson espace de vie, Paul Delgado a trou-vé dans la production de ces images undéfi à la mesure de sa passion pour ceterritoire et ceux qui le font : « J’ai pri-vilégié la lumière naturelle afin de déna-turer le moins possible l’objet photo-graphié. L’absence de repérage a étémon autre priorité pour éviter les situa-tions “forcées” ou “manipulées”. En cesens, ce type de pratique photogra-phique s’apparente au reportage huma-niste, essayant d’approcher le “vrai” plusque le “beau”. Là réside sans doute lebut de cette démarche : restituer sansaltérer en fabriquant la mémoire. »

Les images de ce livre sont dédiéesà la mémoire de son père – boucher-charcutier, intime de l’élevage cerdan,à sa façon – disparu pendant la réali-sation de ce travail.

L’ÉQUIPE DU PARCIngénieur agronome de l’École

nationale supérieure d’agronomie etd’industrie agroalimentaire de Nancy,fils d’arboriculteur-maraîcher et origi-naire d’Ille-sur-Têt en Roussillon,Mathieu Altadill est en charge de lavalorisation des ressources, des pro-duits locaux et du développement éco-nomique de l’agriculture sur le terri-toire du Parc naturel régional.

Historienne médiéviste diplôméede l’Université Toulouse le Mirail, ori-ginaire de l’Aude, Marjorie Capdevil-le traite des questions de conservation,de valorisation et de transmission despatrimoines matériel et immatériel duParc.

Tous deux ont, avec l'aide de l’équi-pe du Parc, assuré le suivi rédactionneldu livre, chacun amenant dans sondomaine de compétence, sa vision dela réalité du monde agricole pour ladéfense de l’identité du territoire.

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La méthode utiliséeAfin de consigner des propos révélateurs de ce que fut et demeure l’élevage dans le territoire, une liste d’une quaran-

taine de personnes-ressources a été dressée par le Parc (Mathieu Altadill et Marjorie Capdeville) en concertation avecl’ethnologue Maryse Carraretto en charge de la collecte des témoignages. De longs entretiens ont été menés par la sui-te, du mois d’avril au mois d’octobre 2008, sur les lieux de travail, dans les demeures familiales, au coin des cheminéesou au hasard des estives. Prenant davantage la forme d’échanges que d’interviews dirigées, ces conversations représen-tent plus de cent heures d’enregistrement, des dizaines de recettes et autant de méthodes de conception, de techniquesde transformation et de secrets de fabrication.

Les images qui accompagnent les témoignages ont été soigneusement sélectionnées parmi les 15000 vues prises parle photographe Paul Delgado. Privilégiant la lumière naturelle, elles révèlent la beauté des panoramas, la valeur deshommes et les réalités de la vie agricole.

(*) La Sagesse de l’ethnologue. L’œil neuf édit.

ans doute en raison de la transhuman-

ce qu’elles effectuent à la saison esti-

vale, les abeilles du Parc naturel régional

livrent un miel de qualité qui ravit les ama-

teurs. Le produit de la ruche, dont les ver-

tus sont connues depuis des siècles, amé-

liorait autrefois le quotidien des habitants

du Parc qui l’utilisaient notamment pour

combattre les maux de l’hiver. De nos jours,

les ruches familiales ont disparu, et la récol-

te du miel est effectuée par des profession-

nels aguerris qui sont autant de grands

connaisseurs de la flore et des rythmes

montagnards.

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l ’abeille

S

Je m’appelle Jean-Luc Verdaguer. Je suis né à Perpignan il y a 33 ans. Adolescent,j’ai étudié l’électronique et la maintenance audiovisuelle, mais ça ne m’a jamais

plu. Alors, après le Bac, j’ai fait mon service militaire dans les chasseurs alpins parce quela montagne m’a toujours passionné. Je suis sorti de l’armée sans un sou. Heureusement,une de mes connaissances qui produisait des plants, m’a embauché comme serriste enalternance. J’ai quitté les serres quatre ans plus tard pour travailler chez un maraîcherbio. C’est là que j’ai décidé de mettre à profit ma passion pour les insectes en me lançantdans l’apiculture.

« Mon père m’a acheté mes quatre premières ruches et mes quatre premiers essaims.C’était il y a dix ans. Je me suis formé peu à peu, notamment à la Maison de l’Apicul-ture d’Ille-sur-Têt. Mais dans le domaine des abeilles, rien ne remplace l’expérience.Disons que dans une formation, on apprend les bases, mais pour connaître un territoire,les dates de floraison et de transhumance, les techniques d’élevage ou d’introductiondes reines, rien ne vaut le vécu… Il faut avoir la fibre. Moi,j’aime la nature, j’aime les abeilles, j’ai besoin d’être dehors,sans contraintes d’horaire même s’il m’arrive de terminer majournée à 9 heures du soir. Comme dit un copain : “il fautsavoir lire la nature”. Connaître les abeilles, d’accord, maistravailler dans leur sens. Même chose pour la floraison : unapiculteur qui s’y connaît, au premier coup d’œil, sait si ce seraun bon coin.

« Dès le début j’ai fait mes petites transhumances. J’avaisles ruches entre Montalba et Bélesta, au-dessus d’Ille, et l’été,je les menais à Py. On est ici dans un pays où l’été est trèschaud et très sec, et les abeilles le supportent mal. Il est donctoujours préférable de les mener en montagne.

« PLEIN DE PETITS TRUCS ET ASTUCES »

« Je ne confectionne pas mes propres plaques de cire. Jegarde ma propre cire d’opercule et je fais fabriquer les plaquespar un professionnel agréé Écocert. En fait, ma cire est déjàbien épurée : c’est une technique que m’a enseignée un autreapiculteur. Je mets mes morceaux de cire operculée dans unfût de 200 litres et quand il est plein à ras bord, je le remplisd’eau. Je mets le feu dessous, je laisse bouillir, et la cire reste àla surface. J’attends une demi-heure que toutes les impuretésretombent et, avec une écumoire, je finis d’enlever celles quiflottent sur la cire. Puis, avec un seau, je remplis de petites“gamates” de plâtrier, je laisse refroidir et ça me fait des lingots

Jean-Luc Verdaguer a gardé de sa formation d’électronicien le sens aigu du détail, et un talent certain pour les travaux minutieux. Ces aptitudes conviennentparfaitement à son métier d’apiculteur, grâce auquel il assouvit sa passion pour les Pyrénées et les grands espaces. À 33 ans, il fait déjà partie de ces personnagesdevenus rares, qui à force de travail, ont appris à lire dans la nature.

«

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Lire la nature �

magnifiques. C’est ça l’apiculture : plein de petits trucs et astuces…C’est d’ailleurs pour cette raison que je reste en contact avec le RucherÉcole et le syndicat d’apiculture d’Ille, parce que ça me permet decontinuer à apprendre…

« Entre expérience et apprentissage, il y a 10000 façons de prati-quer l’apiculture. Souvent, le caractère de l’apiculteur se devine quandon le regarde travailler. Certains ont des ruches pas trop peintes, ils enposent partout. D’autres sont plus minutieux, c’est bien peint, biensélectionné. Moi, je serais plutôt perfectionniste : j’essaie de tenir mesruches propres, même si le temps manque parfois. De la même manière,il y en a qui ont 500 ruches et qui travaillent de façon moins pointue,en ne renouvelant pas souvent les reines. Je préfère avoir moins deruches et mieux travailler, en tout cas travailler différemment.

« JE TRAVAILLE SANS GANTS »

« J’ai 200 ruches et j’espère en avoir bientôt 230 ou 240. C’estautant d’occasions de se faire piquer ! Moi, je me fais piquer tout le temps. Au début,j’étais allergique quand j’avais mes quatre premières ruches, mais au fur et à mesure despiqûres, ça ne me fait plus rien. Bon, j’ai toujours la douleur, c’est jamais agréable, maismaintenant je travaille sans gants.

Arrivée par le col de Mantet après la transhumance de nuit.

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«Pour l’instant, j’ai quatorze emplacements. Du plus éloigné au plus proche, ontrouve Opoul et Collioure, puis Ille-sur-Têt, Montalba, Bélesta, Saint-Michel-de-Llotes. Puis après, je monte dans la vallée : j’en ai à Aytua [pour l’acacia], à Py et àMantet. En parallèle, je compte trouver des emplacements en Ariège parce qu’ici et dansla vallée, la production de miel est faible à cause des années de sécheresse.

« Je commence par récolter le miel de la plaine, le plus précoce, puis j’enchaîneavec le miel de montagne, sur la zone de Py. Du châtaignier toutes fleurs, on va dire.Vient ensuite la haute montagne où je transhume début juin. Là-bas c’est plutôt lerhododendron, le framboisier… Ce sont de grosses miellées.

« Souvent, quand je pars pour la journée sur les ruchers, je mange sur place, commeà Opoul où je suis loin de tout. Ce sont des bons moments, ça me plaît beaucoup : jeme pose une demi-heure, à 100 mètres du rucher pour ne pas que les abeilles me gênent,et je les regarde de loin…

« L’ABEILLE RESTE SAUVAGE »

« L’abeille reste sauvage. Qu’elle ait un cadre avec de la cire ou qu’elle soit dansun tronc d’arbre, cela ne change rien. Bien sûr qu’avec de la cire, elle bâtira plus vite,mais son but est toujours le même : amasser un maximum de miel pendant la bonnesaison pour passer l’hiver. Après, c’est à nous de les aider en mettant des cires gaufréespour qu’elles aillent plus vite, pour qu’elles fassent un surplus de miel qu’on puisse récu-pérer.

« Depuis un an, mon miel a le label “Apiculture biologique”: je pense que je fabriqueun bon produit et je veux que les gens fassent la différence. J’avais déjà cette démarchede qualité avant d’avoir le label. Pour leconsommateur, c’est une garantie. En biolo-gique, on ne doit pas récolter de cadres avecdu couvain. J’utilise donc une grille à reines:

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L’apiculteur marquela reine d’une tacheblanche, pour la retrouver plus facilement.

tout le corps de ruche est à elles, mais au-dessus de la grille à reines, là où elles me fontle miel avec les hausses, c’est pour moi. Je ne touche jamais le corps de ruche… Le seultraitement qu’on serait obligé de faire en biologique, ce serait contre le varroa, en utili-sant des huiles essentielles, des acides qu’on mélange avec du sucre à très faible dose,sans résidu. En conventionnel, ils ont des produits de synthèse. Le varroa, s’il n’est pastraité, peut tuer la ruche en deux ou trois ans. C’est un acarien piqueur qui transmet desvirus en consommant le sang de l’abeille. Autrefois, ici, tout le monde avait deux outrois ruches dans son jardin. Le varroa, les anciens ne le connaissaient pas (ça ne faitque vingt ans qu’il est en France).

« Mes abeilles sont des Buckfast. Elles proviennent d’une abbaye anglaise. En1920, il y a eu une maladie en Angleterre, la cariose. Un moine a été chargé de s’occu-per du rucher de son abbaye. Il s’est aperçu que les seules abeilles capables de résister àla maladie étaient issues d’un croisement. Il a beaucoup voyagé en Europe, récupéré desabeilles différentes, fait des croisements et créé des abeilles très résistantes et plus facilesà soigner. J’ai donc des Buckfast, mais je garde un cheptel de race locale pour parvenirjustement à un croisement avec cette race. D’ailleurs, avec le syndicat, on va essayer depréserver la race locale, qui est l’abeille noire. Au moindre coup de vent elle rase le sol.Elle est adaptée à la tramontane !

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150 g de noix100 g de sucre en poudre100 g de beurre3 œufs150 g de farine1 sachet de levure100 g de miel

Concasser les cerneaux de noix puis, dans une terrine,battre ensemble le sucre et les 100 g de beurre ramollipour obtenir une crèmehomogène. Ajouter les œufsun à un, puis la farine, la levure, les cerneaux, enfin le miel. Verser cette pâtedans un moule à cake beurré.Cuire au four préchauffé à 180 °C pendant 45 minutes,puis tester la cuisson : une lame de couteau plantéedans le cœur du cake doitressortir sèche. Démouler et laisser refroidir.

Cake au miel et aux noixde Guy Laurent-Chasseriaud

Né en 1950 en Charente-Maritime,Guy Laurent-Chasseriaud est apiculteur àBolquère. Ses 107 ruches produisent quatremiels bio de cru (romarin, rhododendron,framboisier, châtaignier) et trois miels biotoutes fleurs (miels de montagne, de gar-rigue et de haute montagne). La certifica-tion biologique de ses produits assure unetraçabilité totale : « La localisation desruchers donne la nature précise des miels :pour l’appellation “miel de montagne”, ilfaut une altitude minimale de 800 mètres.À partir de 1600 mètres, c’est un miel dehaute montagne. »

Le miel de rhododendron est sa spécia-lité. C’est un cru, un miel de haute mon-tagne difficile à trouver ailleurs (à l’excep-tion des montagnes italiennes). La diffi-culté de sa fabrication explique sa rareté :« Il faut aller dans des zones de haute alti-tude, autour de lacs de montagne, sur dessols acides, là où pousse le rhododendron.Il faut composer également avec les aléasclimatiques de la montagne : on peut êtresurpris à tout moment par des gels aussibrusques qu’imprévisibles. La floraison durhododendron oblige à une attention par-ticulière dès la fin du mois de mai, puis-qu’elle démarre généralement autour du 1er

juin et ne dure jamais plus d’un mois. Çaimplique des allers-retours successifs pourinstaller les ruches au moment précis où lenectar de rhododendron est à point. Cemiel est donc un miel de cru, c’est-à-direcomposé de 70 % à 80 % de la même fleur.Son goût très fin, assez neutre, et son odeurde paille sont très appréciés des visiteurs.Mais les gens d’ici le trouvent fade »explique Guy Laurent-Chasseriaud. En2007, son miel de rhododendron a obtenula médaille d’or du concours départemen-tal des miels et la médaille de bronze desmiels de montagne.

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Guy Laurent-Chasseriaud, l ’art délicat du miel de rhododendron

Le mystère de la liqueur de Py

Il y avait à Py, au début du xxe siècle,un curé nommé Henri Nègre. En matièred’office religieux comme d’apiculture, ils’acquittait de sa tâche comme d’un sacer-doce. En lieu et place de l’actuel cimetiè-re, il entretenait, dit-on, une cinquantainede ruches, peut-être plus. Ses voisinsl’avaient autorisé à installer ses abeilles àcondition d’entourer le rucher d’une palis-sade : en ce temps-là, tout le monde à Pypratiquait l’apiculture, mais les ruchesétaient laissées généralement hors du vil-lage.

Au dire de Paul Calvet, âgé aujourd’huide 84 ans, l’homme en soutane était à cepoint passionné par ses abeilles, qu’il luiarrivait, à la saison de la récolte, d’expédierla messe en quelques minutes pourrejoindre ses ruches au plus vite. Les fidèles,pourtant, ne lui en voulaient pas : « En tantque représentant de Dieu sur terre, confie-t-il, Henri Nègre était un peu le bon Dieului-même. C’est peut-être pour cela queles gens du village le laissaient faire. » Lecuré aux abeilles avait installé le macéra-teur dans la salle à manger. Là, il condi-tionnait le miel dans des boîtes en fer qu’ilexpédiait jusqu’en Angleterre. C’est pro-bablement grâce à l’aura de Vernet-les-Bains, où convergeaient de riches famillesvenues prendre les eaux, qu’il put étendrela réputation de sa petite production.

C’est que, loin de se contenter de récol-ter le miel, Henri Nègre confectionnait unhydromel commercialisé à l’enseigne de“Émilia, Diamans des Pyrénées”. Raressont les témoignages qui permettraient d’enimaginer la composition. On parle d’unebase d’eau-de-vie livrée en bonbonnesdepuis Villefranche, à laquelle on ajoutaitdu miel macéré en fût de chêne, mélangéà du genévrier.

La marchandise était entreposée à mêmele sol de la crypte de l’église. À sa mort, safamille du Vallespir vint débarrasser le pres-bytère de la vingtaine de fûts qui l’encom-

braient. Les derniers litres du précieux breu-vage furent vendus à un liquoriste messin,et avec eux la marque Émilia. Très vite, cet-te histoire tomba dans l’oubli et personnene se demanda plus d’où le curé de Py tenaitla recette de sa potion. « Peut-être, hasar-de Paul Calvet, l’abbé Nègre avait-il fré-quenté quelques moines qui lui auraienttransmis leur savoir… » Enterré avec sonsecret, le curé de Py laisse à jamais planerle doute, et enfler la rumeur. 111

Parce qu’il laisse libre cours à la parole,

franchit les barrières des enclos et

soulève les couvercles fumants des marmites,

ce livre brosse un portrait éloquent de l’éle-

vage dans le territoire du Parc naturel régional

des Pyrénées catalanes. Le porc, le canard, la

chèvre, l’abeille, le mouton, la vache et l’autruche y composent un troupeau

atypique et alléchant, mené par des pâtres, des bouchers, des apiculteurs,

des charcutiers, des fromagers, des vétérinaires, et un mystérieux curé

liquoriste. Relayant à la fois les souvenirs des anciens et les aspirations

des modernes, les pratiques ancestrales et les techniques novatrices, les

méthodes d’élevage et les recettes de cuisine, cet ouvrage concrétise la

démarche entreprise par le Parc en faveur de la promotion des produits

agricoles et de la conservation de la mémoire orale.

Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes

l’élevage

ISBN 978-2-86266-588-7

29€

Ce projet est cofinancé par la communauté européenne dans le cadre du programme Leader+.

Le Parc, ce sont 64 communes associées au Conseil Général et à la Région.