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La souffrance comme carburant ?

La souffrance au travail fait régulièrement la une de l’actualité.Singulièrement chez les salariés en situation de responsabilité.Résumé brutalement : notre pays se classe au premier rang de laproductivité horaire et au troisième rang mondial des suicides autravail. Il s’agit donc du signal d’alarme d’une problématiquecollective. Un signal qui ne peut laisser le syndicalisme niindifférent ni silencieux. Car la crise du travail appelle dessolutions, des propositions.

La santé au cœur du travail

La première table ronde des Rencontres d’Options se dérouleautour d’un constat : si la dévalorisation du travail entraîne sonlot de souffrance individuelle, de stress, de pratiques deharcèlement, il faut logiquement lui opposer une revalorisationdu travail et du rapport de chacun à son travail. Revisiter le modede management universel appliqué à l’identique partout pourrequalifier l’individu, sa capacité à penser, proposer, décider ausein de collectifs de travail eux-mêmes porteurs de sens, d’uneculture professionnelle s’articulant à l’intérêt général.

L’évaluation : qui, comment et surtout :pourquoi ?

L’évaluation est au cœur des processus managériaux ; elle seprésente comme le socle légitime de telle affectation, telledécision, tel refus ; elle affecte donc carrière, salaire, estime desoi, et elle arbitre sans le dire en faveur de la « compétence »contre la qualification. Elle constitue, avec le processus quil’entoure, un enjeu particulièrement décisif dans le rapport deforces entre employeurs et salariés. Comment faire en sorte quel’évaluation soit mise au service du travail des salariés ? C’est lethème de la seconde table ronde des Rencontres d’Options.

RENCONTRES D’OPTIONS

Quel management

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S O M M A I R E

RENCONTRES D’OPTIONS :DES DÉBATS TOURNÉS VERS L’ACTIONPAGE 19

TABLE RONDE N°1 PAGES 20-23

REPÈRESPAGE 24

POINT DE VUE DE MICHEL PATARD : “ON NEVEUT PAS SAVOIR COMMENT”SE DIT DANS TOUTES LES LANGUES D’EUROPEPAGE 25

TABLE RONDE N°2 PAGES 26-29

CONSTRUIRE UN MODE DEMANAGEMENT ALTERNATIF :UNE CAMPAGNE NATIONALEDE L’UGICT PAGE 30

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Comment revisiter les modes de managementappliqués à l’heure actuelle aussi bien dans le sec-teur privé que dans le secteur public ? Comment,au-delà des différences dues à la taille des entre-prises, à leur rapport à la sous-traitance, à leurnature plutôt industrielle ou plutôt de services,dégager des dominantes stables dans les procé-dés utilisés et analyser leurs conséquences ?Répondre à ces questionnements implique d’abord une prise en compte du terrain de travailet plus exactement des terrains de travail. Car lessalariés, confrontés à une rationalisation dontl’objectif implicite est d’éliminer les volets rela-tionnels et humains du travail, sont aux prisesavec des injonctions et des désirs contradictoires.Désir de liberté dans le travail et hors travail, dereconnaissance et d’accomplissement individuel,méfiance vis-à-vis d’une mise en concurrencegénéralisée des uns avec les autres…Tirer de ces situations, de ces vécus des pistes de tra-

vail revendicatif qui puissent dessiner les contoursd’une aspiration collective et partagée pour un autremanagement, un management alternatif, respec-tueux du travail et de la valeur de ceux qui le fontvivre, supposait confrontations et réflexions croisées.Les Rencontres d’Options, tenues dans un contextede mobilisation sociale, ont constitué un momentfort de cette mise en débat et d’élaboration collec-tive. Avec la campagne de consultation sur la santéau travail, partie intégrante de la donne managé-riale, elles témoignent d’une volonté d’articulationde l’analyse et de l’action. Tant il est vrai que le syn-dicalisme ne s’accomplit véritablement qu’en pla-çant sa capacité critique au service de son propreagenda, de ses propres propositions. En se mon-trant, en un mot, offensif. Sur des enjeux aussi déci-sifs que l’organisation du travail et de ses hiérarchies,beaucoup reste à faire, à débattre, à proposer.Alors… sachons multiplier les rencontres.

Pierre TARTAKOWSKY

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Rencontres d’Options Des débats tournés vers l’action

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“– Alain Carré : La question posée en cette journéeporte en elle celle de la prévention des risques dutravail. Sur ce terrain, les cadres se trouvent prisdans un certain nombre de situations qui engen-drent de la souffrance, et ils s’en défendent. Cettedouble dimension est assez spécifique : les nou-velles organisations du travail engendrent destroubles comportementaux physiologiques,même si on met surtout l’accent sur les troublespsychosociaux. Comme les autres salariés, lescadres sont face au management, véritable orga-nisation politique du travail visant à optimiser lesalarié en l’individualisant. Cette stratégie passepar la casse des pôles de défense collectifs : alorsle système peut « réifier » les individus, les rame-nant au statut d’objet. Ce qui permet d’intensifierle travail et de le densifier, ce à quoi se prête par-faitement l’informatique. Pour le salarié, il s’en-suit un sentiment de déperdition professionnelle ;les cadres se voient délestés d’un certain nombrede capacités d’action ; la doctrine est élaboréeailleurs, par les ressources humaines. Comme iln’y a pas de distance possible avec l’idéologiemanagériale, ils doivent y adhérer ou se démettre,dans un contexte où la concurrence entre cadresest vive et où la non-conformité est un handicap.Pour les cadres, la réalité de terrain devient alorsproblématique. Théoriquement, ils doivent laréinjecter dans les objectifs et la façon de lesatteindre. Le risque étant d’être en porte à fauxvis-à-vis des salariés d’exécution. Mais s’ils fontremonter hiérarchiquement les difficultés de ceréel, ils se retrouvent en posture de critique impli-cite des instructions données en amont. C’est lemécanisme même des injonctions paradoxales,qui engendrent de la schizophrénie.Comment les cadres peuvent-ils se défendre ?L’exécution peut se démobiliser, relativement,s’entend. Mais le cadre ne le peut pas, c’est soncontrat de base. Il réagit donc en mettant enplace des défenses, un mur inconscient, un fonc-tionnement tendanciellement pathologique.C’est donc une construction sociale, collective,qui passe par le déni de réalité. Gênante, elle est

évacuée ; d’où un turnover soutenu ; elle passeégalement par le détournement péjoratif del’exécution et par l’intégration de la bataille dela concurrence : la guerre des marchés est là, ettout est bon pour la gagner, car c’est l’intérêtbien compris de l’entreprise et de ses salariés.Ces idéologies défensives sont lourdes pour l’in-dividu, et vient fatalement un moment où elless’effondrent. C’est le retour du refoulé, accom-pagné de souffrance éthique, de rupture avec sespropres valeurs et d’atteinte à l’estime de soi. Lespassages à l’acte deviennent alors possibles.Certains patients vont dire cette souffrance, et le médecin du travail pourra alors tenter de les déculpabiliser, d’indiquer des pistes qui rompent l’isolement. D’autres…

– Christine Guinand : La souffrance au travailn’est pas nouvelle, mais elle a explosé parmi noscatégories. Ses risques psychosociaux touchent àtous les secteurs, privés et publics. Pour l’affron-ter, le premier pas consiste à identifier les situa-tions, notamment en distinguant le stress et lasouffrance. Le stress naît de l’écart entre les exi-gences de l’organisation du travail et les moyensmis à disposition. La souffrance, elle, est multi-factorielle ; elle se nourrit du harcèlement, desdiscriminations, et déterminer ses causes s’avèrecomplexe, même si elles s’enracinent dans lesstratégies libérales, avec le sous-effectif, le chan-tage à l’emploi et le chantage à l’échec, les me-naces de fermeture, de délocalisation, les haussesde rémunération indexées sur des objectifs indi-viduels… Chacun se voit sommé d’en faire tou-jours plus, et les modes de management nientl’expertise et la technicité, ne considérant que laperformance. La reconnaissance salariale estdonc très coûteuse en termes d’intensification. Lafinalité du travail est mise en cause, les objectifsn’étant ni négociés ni discutés… Dans ce contextetendu, les entreprises mettent en place des outilsde gestion du stress ; mais il s’agit de le gérer, pasde le prévenir, et cette gestion est mise à la chargedes encadrants, qui doivent donc apprendre à

LES CADRES SONT FACE AU MANAGEMENT,VÉRITABLEORGANISATIONPOLITIQUE DUTRAVAIL VISANT À OPTIMISER LE SALARIÉ ENL’INDIVIDUALISANT.CETTE STRATÉGIEPASSE PAR LA CASSE DES PÔLES DE DÉFENSECOLLECTIFS :ALORS LE SYSTÈMEPEUT “RÉIFIER”LES INDIVIDUS,LES RAMENANT AUSTATUT D’OBJET.

RENCONTRES D’OPTIONS

Table rondeLa santé au travail

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PARTICIPANTSDE GAUCHE À DROITE SUR LA PHOTO :

SERGE DUFOUR,CONSULTANT À ÉMERGENCES.

NICOLAS MATHON,DIRECTEUR SANTÉ-SÉCURITÉ CHEZ VEOLIA.

DÉBAT ANIMÉ PAR ALAIN BASCOULERGUES, DE LA MUTUELLE FAMILIALE.

CHRISTINE GUINAND,COLLECTIF SANTÉ UGICT.

ALDINO RIZZI,RESPONSABLE PRÉVENTIONSANTÉ AU TRAVAIL À LA MUTUELLE FAMILIALE

ALAIN CARRÉ, MÉDECIN DUTRAVAIL, COLLECTIF UGICT.

La santé, singulièrement la santé individuelle, est évidemment un enjeu en elle-même.Elle fonctionne également comme alerte face aux processus qui la menacent. Elle constitue donc un mode d’approche éclairant des politiques managériales, tant pour ceux qui les subissent que pour ceux qui les mettent en œuvre.

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“gérer leur propre stress et apprendre aux salariésà gérer le leur. Les cellules d’écoute et autresstructures curatives, elles, posent un problèmedifférent : contractualisées avec les employeurs,elles permettent d’échapper aux organisationssyndicales et aux institutions représentatives dupersonnel. La problématique qui s’impose alorsest celle de la sphère privée et de la culpabilisa-tion du salarié. Les formations à la gestion dustress contournent d’ailleurs soigneusement ladimension collective des organisations du travail.Le collectif Santé au travail de l’Ugict a soulignél’importance d’exercer le droit de refus et laresponsabilité sociale, aux antipodes de laresponsabilité individuelle. Il faut surtout inter-roger le travail et les salariés réorganisés en col-lectifs, ce qui est indispensable à la prévention.Avec les Ict, il faut aborder la double dimensioncontenu-temps de travail et analyser les respon-sabilités dans les organisations du travail quicréent l’émergence possible du harcèlement.Traiter les situations individuelles est certesindispensable mais ne suffit pas ; à la Bnp Paribas,la Cgt et l’Ugict ont ainsi mis en place des collec-tifs face à une organisation du travail qui poussaità des affrontements entre salariés. Cette expertisea permis de faire confirmer par un tiers les charges de travail et d’engager le débat. Les délé-gués du personnel ont exercé leur droit d’alerte etleur droit à saisir.

– Nicolas Mathon : A vrai dire, je ne pense pas quenos collaborateurs souffrent au travail, mais peut-être est-ce un cas particulier dû à la structure et àl’histoire de l’entreprise… Tous nos cadres ontparticipé à son évolution et s’inscrivent volontai-rement dans sa conduite ; cette problématique estdonc clairement la leur. De fait, la construction du groupe s’est faite par intégration de Pme, depetites entités. On a donc plutôt capitalisé les dif-férentes cultures au lieu de les casser pour l’objec-tif hypothétique d’une culture unique. Par ailleurs,

notre politique de ressources humaines passe parle respect des collaborateurs, qu’il s’agisse desopérateurs sur le terrain – auxquels nous sommesparticulièrement sensibles – ou des cadres.Cette notion de respect s’accompagne du droit àla parole, parce que nous sommes en nécessité deremise en cause permanente face à la demandeclient, face aux remarques des cadres, souventpris entre marteau et enclume. Notre Chsct s’exprime librement, et nous faisons en sorte departiciper à ses travaux ; c’est important, car il estvrai que les cadres sont souvent dans le déni, lecontournement ; le Chsct est un lieu d’identifica-tion, de collecte et de dialogue avec le cadre et sescollaborateurs. Reste que nous n’avons pasencore mis en place une vraie politique de luttecontre les causes de ces phénomènes ; ce n’est pasprégnant, même si nous avons eu des cas : nousavons une politique sécurité très active – nous tra-vaillons sur les déchets, dans des centrales, desmilieux à risques –, et nous faisons en sorte quecette politique vaille également pour les cadres.Les sources de stress et de malaise au travailsont à chercher du côté de la course à la perfor-mance ; nous faisons tous en sorte de progres-ser, sur nos objectifs, sur le chiffre d’affaires.Mais nous essayons aussi de mettre en place desobjectifs hors travail, sur la santé, la sécurité, sur ce qui permet d’intégrer les problématiquesdes risques psychosociaux. C’est d’autant plusimportant que nous entendons continuer àcroître ; nous sommes donc en train de mettreen place des systèmes d’écoute, des procéduresde dialogue entre différents responsables hiérarchiques pour décloisonner les acteurs etaméliorer les situations.

– Serge Dufour : Nos expériences montrent queles Ict sont au cœur d’une sorte de conflit de sens.Qu’est-ce qui se joue dans le travail ? Cette ques-tion est première, et elle se pose de façon de plusen plus complexe. La réorganisation permanentede l’entreprise est en soi une source de tensions,quelle que soit l’entreprise et sa structure : celamodifie tout en cascade et interdit de stabiliserune situation, des acquis, des bilans. L’incertituderègne et, avec elle, le doute sur ce qui a été accom-pli. D’où une souffrance énorme pour tous et sin-gulièrement pour ceux qui sont chargés de mettreen œuvre cette réorganisation. Les restructura-tions entraînent des objectifs quantifiés et aussiqualifiés, au sens de qualité ; là, tout se com-plique. En soi, le travail est une souffrance et aussiune source de plaisir ; c’est en surmontant ce quifait souffrir que l’on construit du contentementde soi. Aujourd’hui, alors que le travail est de plusen plus collectif, son organisation inscrit les sala-riés en concurrence sur la réalisation des objec-tifs. Ces derniers sont modélisés dans desformules de « plus » et de « moins » qui fournissentdes indicateurs de management, gérés par pro-giciels. On va ainsi pouvoir vérifier sur ordinateursi tel employé d’assurances propose tel ou tel

CHACUN SE VOITSOMMÉ D’EN FAIRETOUJOURS PLUS,ET LES MODES DE MANAGEMENTNIENTL’EXPERTISE ET LA TECHNICITÉ,NE CONSIDÉRANTQUE LAPERFORMANCE. LARECONNAISSANCESALARIALE ESTDONC TRÈSCOÛTEUSE ENTERMESD’INTENSIFICATION.LA FINALITÉ DUTRAVAIL EST MISEEN CAUSE,LES OBJECTIFSN’ÉTANT NI NÉGOCIÉS NI DISCUTÉS…

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“ produit et pendant combien de temps; ce contrôleentraîne un contrôle du niveau supérieur qui estlui-même censé intervenir… Les managers sontdonc confrontés à des exigences appauvrissantessur leur travail, ramené à une suite de prescrip-tions. Or le travail a une utilité sociale, et celle-cidoit se traduire ; les cadres se retrouvent ainsi aucœur d’un conflit de sens opposant la volonté debien faire, de faire du « bel ouvrage », à une autrevolonté, celle de faire un score, de gagner 30 % deproductivité et industrialiser les processus audétriment de la relation client. On ne parle doncpas de la même chose, et le malentendu enfle.C’est pourquoi, si l’on veut préserver la santé, lareconstruction des liens sociaux et des collectifsde salariés s’avère fondamentale. Car celle-ci s’améliore ou se dégrade ; il n’y a pas de statu quopossible, la vie bouge et chaque décision modifiedes équilibres. Il faut donc viser à améliorer lasanté au travers de chaque décision. Et pas seule-ment en paroles ; le droit à la parole, c’est bien,mais pour dire quoi ? Si c’est pour livrer ses mal-heurs et obtenir un numéro vert ou un « observa-teur du stress », on ne fait que reculer l’échéance

d’une problématique qui demeure individuali-sée… Il arrive que le corps n’attende pas si long-temps pour envoyer un message. Au fond, celatouche à la question du pouvoir, de savoir quidécide de quoi.

– Aldino Rizzi : En tant que mutuelle, et comptetenu de nos origines, enracinées à l’entreprise,nous sommes au service des partenaires sociauxsalariés, notre préoccupation première étant lasanté de nos adhérents dans leurs entreprises.Notre moteur historique, c’est la prévention, maisnous sommes aussi attendus sur la question de laréparation. Nous menons une action à partir d’échanges avec la Fnath et nos correspondantsd’entreprises sur la souffrance au travail, et nousavons mis en place une cellule d’appui pour laprévention des risques psychosociaux, « Souf-france au travail », qui travaille depuis quatre oucinq ans en Ile-de-France. A partir de cette expé-rience, il est possible de valider les constats desintervenants précédents. Au-delà de ce qu’il estpossible en termes d’aide individuelle, avec despersonnes en bout de course, à bout, il s’agit depouvoir intervenir sur son poste de travail, et, parvoie de conséquence, sur sa situation de santé autravail. A partir de là, je souhaite souligner quatrepoints. D’abord, il existe chez les Drh un déni, unrefus d’évoquer les situations de santé au travaildes salariés. Ensuite, l’idéologie de la culture d’en-treprise, ses scénarios, ses contrats d’objectifs,tout cela nie tout conflit interne, et il faut évide-mment s’attacher à lever cet obstacle. Par ailleurs,et cela a été évoqué, les charges de travail, lescontrats d’objectifs vont à l’encontre des niveauxde qualification actuels, et il y a là une contra-diction sur laquelle il est possible de travaillerensemble. Enfin, la valeur travail est porteused’une contradiction entre le fait d’avoir un travailutile, de qualité, au service de la population, et lacourse à la performance qui dévalorise de fait lafonction sociale au profit de la valeur financière.Ces questions jalonnent et notre travail à l’entre-prise et le risque psychosocial. De fait, la souf-france masque les questions d’organisation dutravail, et la schizophrénie est un risque pour lecadre qui doit à la fois gérer des normes d’entre-prise et leur inadaptation aux moyens et capacitésréelles des travailleurs.

Débat

La plupart des interventions de la salle illustrentpar des situations particulières un certain nom-bre de constats énoncés par les participants de la table ronde. Ainsi, Fabrice Fort, de RenaultTrucks, témoigne d’un mouvement continu dedégradation du travail dans les bureaux d’études,notamment du fait d’une perte des relationsentre collègues de travail de différents secteurs.Du fait d’une prescriptions administrative etbudgétaire de chaque échange, « on n’est plus desconcepteurs ou des collaborateurs ; on est des exé-

LA VALEURTRAVAIL ESTPORTEUSE D’UNECONTRADICTIONENTRE LE FAITD’AVOIR UNTRAVAIL UTILE,DE QUALITÉ,AU SERVICE DE LAPOPULATION,ET LA COURSE ÀLA PERFORMANCEQUI DÉVALORISEDE FAIT LA FONCTIONSOCIALE AU PROFIT DE LA VALEURFINANCIÈRE.

Table rondeLa santé au travail

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cutants. Le sens du travail s’yperd, et vous vous retrouvez unmatin à venir au boulot pourgagner votre croûte, pas plus.On a eu une consultation surl’organisation du travail : 74 %des salariés ont dit que ça n’al-lait pas. Mais la direction n’en atenu aucun compte. Cela nousimpose de travailler les conver-gences et donc de savoir sortir deson entreprise et travailler à desactions communes entre sala-riés de Renault, de Schneider,parce que l’on n’est pas dans desstratégies d’entreprise. C’est pluslarge, et il faut se réapproprier lesens collectif de l’action syndi-cale, mettre par exemple plu-sieurs Chsct en tas afin de ne passe heurter aux limites de sa seuleentreprise ».Ce sentiment d’absurdité est également illustrépar un cheminot : « On comprend mal qu’une stra-tégie jugée mauvaise par le terrain, cadres inter-médiaires compris, se poursuive comme si de rienn’était. On est tous attachés à notre boulot, à laqualité de ce que l’on fait, et ça engendre de l’in-compréhension. » Interpellé sur les moyens qu’il ade maîtriser la « triche » qui accompagne lescomptes rendus d’activité de terrain, NicolasMathon ne nie pas son existence : « Le décalageentre rapport et réalité, ça existe. En matière desécurité, on construit des outils, on donne desmoyens, et si l’on constate une baisse d’objectifanormale, ou le contraire, si c’est trop rapide, ons’interroge. Dans une entreprise de main-d’œuvre,peu mécanisée, les situations et les modes opéra-toires sont difficilement industrialisables et diffi-cilement modifiables. Pour revenir sur l’écart, c’estréel, nous le savons. »Deux témoignages, l’un d’un homme et l’autred’une femme, illustrent à la fois la profondeur dela détresse psychologique individuelle et la diffi-culté, voire les réticences que l’on enregistreencore du côté syndical pour relier cette souf-france aux dimensions objectives et collectives dutravail : « Nous avons dû affronter le déni de sui-cide, le déni de sa dimension professionnelle, ledéni de la dimension de souffrance au travail. Il ya eu campagne sur l’individu, son identité propre,les problèmes psy, etc. Cette tendance est très forte,dominante. Quand on est dans la gestion du stress,on veut atténuer les effets des organisations du tra-vail. C’est la stratégie de l’aspirine… Ces questionssur le sens du travail sont encore trop déléguées auChsct, au médecin du travail, alors qu’ellesdevraient se retrouver au cœur de la vie syndicale. »Interpellé sur le rôle du médecin du travail face àces situations, Alain Carré en appelle à construire« une éthique des vérités, basée sur les réalités »,opposée à un « story telling » d’entreprise, à savoirdes histoires, au sens de mensonges.

Serge Dufour revient de son côté sur le droit d’ex-pression en insistant sur ce qu’il qualifie de pluspetit niveau de la communauté de métier : « Lesentiment d’appartenir à une communauté quime reconnaît, m’identifie et fait communautéparce qu’il y a communauté d’objectifs. Cette com-munauté, il faut la faire vivre, lui faire prendre lepouvoir, y compris face à l’entretien annuel d’éva-luation, qui devrait être envisagé et préparé collec-tivement, en amont. » Le débat évoque nombred’autres sujets : rôle des élus syndicaux dans lesChsct, prise en compte par les organisations syn-dicales de la subjectivité des salariés, de leurs rap-ports individualisés au temps, aux équilibresfragiles qu’ils construisent entre vie et travail, rôledes groupes d’expression. Autant de thèmes quiillustrent la richesse du terrain recouvert par l’en-jeu santé, ce que souligne la synthèse du débat.

Synthèse

Sylviane Lejeune revient sur les grands axes dudébat et souligne à quel point l’échange de lamatinée confirme la volonté de l’Ugict-Cgt de promouvoir un « travailler autrement », un travail émancipateur. « Les enjeux discutés et lespistes avancées par les uns et les autres encou-ragent notre ambition revendicative centrale, cellede participer à l’émergence d’un modèle de mana-gement alternatif. » Evoquant la responsabilitépropre et singulière du syndicalisme à cet égard,de même qu’à l’égard d’une réelle politique deprévention sanitaire, elle souligne la nécessité dedisposer à la fois d’un syndicalisme plus présent,déployé, et d’équipes syndicales en phase avecl’ampleur des problèmes posés ainsi qu’avec leurcomplexité. « Notre débat constitue une étape et unencouragement à poursuivre, aller de l’avant.Notre implication dans la négociation sur la trans-position de l’accord-cadre européen sur le stresstémoigne de cette volonté. Sachons débattre de cesenjeux avec les salariés. »

ON COMPRENDMAL QU’UNESTRATÉGIE JUGÉEMAUVAISE PAR LE TERRAIN,CADRESINTERMÉDIAIRESCOMPRIS,SE POURSUIVECOMME SI DE RIEN N’ÉTAIT.ON EST TOUSATTACHÉS ÀNOTRE BOULOT,À LA QUALITÉ DE CE QUE L’ONFAIT, ET ÇAENGENDRE DU DOUTE.

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Le maintien dans l’emploi des salariés vieillissantsreste un combat. L’Association nationale des direc-teurs de ressources humaines et l’institut EnergieOpinion ont interrogé 527 directeurs et cadres de lafonction ressources humaines. Résultat : 47 % desentreprises n’anticipent toujours pas l’emploi des plusde cinquante ans, notamment celles de moins de cinqcents salariés, et autant n’ont mis en place ni politiquespécifique, ni moyens spéciaux pour ce faire. Huitpour cent seulement des entreprises ont mis en placeune politique spécifique «seniors» et 16% une poli-tique globale intégrant la problématique, prenant en

compte notamment le transfert des compétences oul’adaptation des conditions de travail. Un bien maigrebilan. Seules 22% des entreprises ont maintenu desplus de 60 ans dans l’emploi, 20% ont mis en place unaménagement du temps de travail tandis que 19% ontopté pour l’entretien de deuxième partie de carrièrepour les plus de 45 ans, 16% ont instauré un bilan decompétences pour les plus de 45 ans et 12% ont misen place des missions innovantes et particulières pourles quinquas (tutorat, expertise, coordination et ges-tion de projets transverses…). Pour en savoir plus:<www.focusrh.com/article.php3?id–article=2635>.

GESTION DES ÂGESLes entreprises avancent… sans se presser

D’origine «multifactorielle», les pathologies profes-sionnelles relevant des troubles psychosociaux sontextrêmement difficiles à imputer à une cause et uneseule. Mais existent des symptômes sur lesquels s’ap-puyer: les troubles du sommeil, l’irritabilité, les ma-ladies coronariennes, la diminution de la capacité derésistance aux infections, les dépressions ou les sui-cides. Quand le pire arrive, le droit peut permettre derendre justice. La jurisprudence de la Cour de cassa-

tion, en effet, est claire: «Du seul fait de sa survenuependant l’horaire de travail, toute lésion physique oupsychique est présumée imputable au travail.»L’articleL.411-1 du Code de la Sécurité sociale précise: «Estconsidéré comme accident du travail,quelle qu’en soitla cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasiondu travail à toute personne salariée ou travaillant, àquelque titre ou en quelque lieu que ce soit,pour un ouplusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.»

SANTÉDéfinir les troubles psychosociaux

Un salarié sur quatre estime avoir subi au moinsune fois dans le passé un comportement hostiledans le cadre de son travail, et 17 % déclarent en subir dans leur emploi actuel. Ces chiffres proviennent du département d’études et de re-cherche du ministère du Travail. Lorsqu’ils évo-quent le malaise qu’ils subissent, les salariésdénoncent les critiques « injustes » qui sont faitesà l’égard de leur travail et les propos « désobli-

geants » qui peuvent leur être adressés. Ils sontd’autant plus nombreux à déclarer être l’objet decomportements hostiles qu’ils sont exposés àune « demande psychologique » élevée et qu’ilsmanquent de « latitude décisionnelle » et de « sou-tien social ». Les comportements hostiles sontplus fréquents quand l’organisation du travail est tendue. Lire : <www.travail.gouv.fr/IMG/pdf/2008.05-22.2.pdf>.

GROSSE FATIGUELes salariés saturent

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LA CULTURED’ENTREPRISEERIC GODELIER, EDITIONSLA DÉCOUVERTE,COLLECTION « REPÈRES »,SEPTEMBRE 2006.

PLACE ET SENS DUTRAVAIL EN EUROPE :UNE SINGULARITÉFRANÇAISE,LUCIE DAVOINE ETDOMINIQUE MEDA, CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI, 2008.

LE MANAGEMENT,FONDEMENTS ETRENOUVELLEMENT,COORDONNÉ PARGÉRALDINE SCHMIDT,ÉDITIONS SCIENCESHUMAINES, 2008.

web

biblio

REPÈRES

DISCRIMINATIONHomophobie : un sujet encore tabou en entreprise

Selon un récent rapport de la Halde, la Haute Autoritécontre les discriminations et pour l’égalité, 88% dessalariés homosexuels ont au moins une fois ressentiune homophobie implicite – rejet ou dénigrement –ou été victimes ou témoins d’homophobie. Se fondantsur la base d’une enquête réalisée auprès de 1413 sala-riés homosexuels, l’organisme constate que plusd’une personne sur dix déclare avoir été mise hors jeulors d’une promotion au moins une fois durant leurparcours professionnel et 8% lors d’une embauche.Seules 22% des personnes interrogées disent avoir lesmêmes droits que les couples hétérosexuels pour les«événements familiaux». Dans ce document consul-

table sur le Net, la Halde fait une série de recomman-dations pour lutter, parmi lesquelles une politique deprotection des salariés et de sensibilisation à la luttecontre les discriminations et un plus grand engage-ment des syndicats dans la lutte contre les discrimi-nations. Le Code du travail fait de l’orientation sexuellel’un des douze motifs de discriminations prohibéespar la loi depuis 2001. Si ce type de discriminationreprésente encore une faible part des réclamationsadressées à la Halde, leur nombre a quasiment dou-blé en un an: elles constituent 1,8% des réclamationsreçues en 2007. Lire : < www.halde.fr/IMG/pdf/ synthese-homophobie-entreprise.pdf>.

TENTER UN DIPLÔMEEN COURS DE CARRIÈREUNE ÉTUDE DE LA DARES < www.travail.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-dares/etudes-recherche/publications-dares/premieres-informations-premieres-syntheses/2008-14.3-tenter-diplome-au-cours-carriere-peu-occasions-pour-salaries.html >.A QUOI SERVENT LES CHSCTUN ARTICLE DEL’ÉCONOMISTE THOMAS COUTROT< http://hesa.etui-rehs.org/uk/newsevents/files/CHSCT-FR.pdf >.LES PREMIÈRESCONCLUSIONS DE LAQUATRIÈME ENQUÊTEEUROPÉENNE SUR LESCONDITIONS DE TRAVAIL< www.eurofound.europa.eu/press/releases/2006/061107–fr.htm >.SUR LE SITE DE L’ANACT, TOUT SUR LA GESTIONPRÉVISIONNELLE DESEMPLOIS ET DESCOMPÉTENCES :< www.anact.fr/portal/page/portal/AnactWeb/NOTINPW–DOSSIERS–THEMATIQUES/ W–A–2–COMPETENCES/W–D–2–4–LA–GPEC >.

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« Tous les cadres en Europe ont en commun de seconfronter à un management qui n’est plus parobjectifs, mais bel et bien par résultats, ces résultatsayant massivement une forte dimension financière.C’est vrai quels que soient les secteurs profession-nels, quels que soient les statuts, et cela concerneaussi bien le privé que les entreprises publiques…Cette évolution est accentuée par la mondialisationdes entreprises, de leurs structures et de leurs mar-chés qui pousse à une recherche d’uniformisation,y compris dans le domaine du management.» Dans le même temps, on assiste à un fort déve-loppement des thématiques et des positionne-ments autour du développement durable et de soncorollaire, la responsabilité sociale des entreprises(Rse). Il s’agit en théorie d’allier les préoccupationsenvironnementales, économiques, sociales etsociétales. Mais, alors que la « direction Emploi » de Bruxelles insiste toujours sur le caractère indivi-sible des dimensions à prendre en compte, lesemployeurs et les gouvernements s’arrêtent dans laplupart des cas aux seuls facteurs environnemen-taux et économiques, tandis que le social est noyédans le silence ou dans des discours sans contenu.Parallèlement, on constate une tendance forte à laresponsabilisation individuelle des cadres, jusqu’àla responsabilisation pénale. L’entreprise se réservele confort des discours et assigne à ses cadres l’in-confort de la responsabilité de la mise en œuvre desobjectifs qu’elle lui a assignés. “On ne veut pas savoircomment” se dit dans toutes les langues d’Europe.» Tout cela interpelle évidemment le mouvementsyndical européen, singulièrement sa composantecadres. Les 14 et 15 mai dernier, par exemple, laFédération européenne des transports a tenu unséminaire portant sur le rôle et la place des cadreset dégagé la notion de management européenresponsable, appuyée sur les réflexions surgiesautour de la Rse. L’idée première, c’est que le cadre,dans son activité professionnelle quotidienne, n’estpas neutre. Chaque décision qu’il prend ouapplique joue un rôle, entraîne des conséquences.Mais aujourd’hui, la priorité qu’on lui demanded’intégrer comme non discutable, c’est le facteur

économique, ramené à sa seule dimension de pro-fit. Face à cela, il faut recréer des espaces d’autono-mie pour les cadres; car, avec le poids du chômage,des pratiques de harcèlement, de culpabilisation, ilest pratiquement impossible de discuter des objec-tifs qui tombent du ciel des actionnaires; et le risquegrandit de “prendre une décision” qui vous fassetomber sous le coup de la loi…» Cette pression est telle, que certains cadres seposent en whistle blowers, en dénonciateurs ano-nymes des directions d’entreprises; c’est une lutteimplicite, un signe non négligeable. Mais il faut allerplus loin dans la construction de droits individuelsgarantis collectivement, autour de trois idées.D’abord, les objectifs devraient pouvoir être négo-ciés, dans un cadre distinct de l’entretien annueld’évaluation, où les jeux sont déjà faits ; cette pro-cédure devrait permettre un échange, un débat etdiffuser de la responsabilité aux différents niveauxdécisionnels. Ensuite, la protection du cadre devraitêtre effective et la reconnaissance professionnelledéconnectée de ces fameux objectifs. Les cadresdoivent être protégés des effets de système, telsqu’on a pu le mesurer avec la Société générale versus Jérôme Kerviel. Ces réflexions devraient pouvoir être posées et débattues au sein del’Organisation internationale du travail. Enfin, le droit de réserve devrait être élargi – et de fait renforcé dans sa légitimité – à un droit d’opposi-tion défini, limité mais effectif. En cas de Lbo, par exemple, l’organisation syndicale concernée doitpouvoir évaluer les acteurs et les scénarios en pré-sence. Cela passe notoirement par une libérationde la parole des cadres, de leur expertise, de leurcapacité critique, y compris sur les dimensions stra-tégiques de l’entreprise.» Enfin, le mouvement syndical européen a un rôleà jouer avec les accords-cadres internationaux. Cesaccords ont leurs limites, qui sont celles des rap-ports de forces, et l’on sait que les valeurs affirméespar l’accord Total ne sont guère respectées enBirmanie. Mais ils constituent de fait une amorcede normes, de droit international. Leur évolutionva dans le bon sens avec l’enrichissement des indi-cateurs, l’élargissement de leurs champs aux sous-traitants, la création de comités de suivi… Restequ’ils ne prennent pas en compte le rôle propre descadres, ne prévoient rien à leur égard, à l’exceptionde l’accord d’Edf. Mais, même là, on manque detaquets, de lignes jaunes clairement tracées qui per-mettraient aux cadres, en toute sécurité, de défen-dre les valeurs affichées par la même entreprise quiles soumet à un management par résultats.»

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“On ne veut pas savoir comment”se dit dans toutes les langues d’Europe

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point de vueMICHEL PATARDCHARGÉ DES QUESTIONS INTERNATIONALES À L’UGICT, TRÉSORIER D’EUROCADRES

Propos recueillis par Louis SALLAY

Loin d’être une réalitéstrictement française,l’idéologiemanagérialechevauche lamondialisation des marchés et participe d’une tendance à l’uniformisation des pratiquesgestionnaires. Ce faisant, se créentles conditions d’une réflexionrevendicativetransnationale sur cesenjeux. En témoignela réflexion engagéeau sein d’Eurocadres.

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“– Marie-José Kotlicki : Au niveau de l’Ugict-Cgt,nous avons besoin de travailler les principesmêmes et les objectifs de l’évaluation. En forçantle trait, nous nous trouvons face à un paradoxe :alors qu’il y a des éléments qui plaident pour unetelle démarche, en lien avec la question de lareconnaissance, l’évaluation est perçue par lessalariés comme une source de stress, voire deconflits. Basée sur des critères opaques, elle estégalement source d’inefficacité économique pourles entreprises privées comme pour le servicepublic. Du point de vue de la pratique de l’éva-luation et de son évolution, a été mise en placeune conception restrictive de l’évaluation, baséenon sur des référents collectifs et transparents,mais sur des référents subjectifs et opaques sousle seul angle de la capacité à atteindre des résul-tats quantitatifs. Cela engendre une frustration,une démobilisation globale des salariés et un véri-table gâchis économique. Au niveau des payseuropéens, notamment, apparaissent pourtantde forts contrastes dans la conception de l’éva-luation : une conception « stratégique », axée surl’encouragement, c’est le cas dans les pays duNord ; une conception axée sur des résultatsquantitatifs, prédéterminés, qui bride l’innova-tion, c’est le cas notamment en France. L’éva-luation y est individuelle, axée sur des résultatsdéconnectés en particulier de la responsabilitésociale, de l’utilité au travail et de la réalité du travail. Dans ces conditions, posons-nous la ques-tion : comment construire une démarche d’éva-luation qui allie reconnaissance, mobilisation del’encadrement et efficacité de l’entreprise ?

– Max Matta : Parlons d’abord de l’acte de « mana-ger ». Manager, c’est avant tout juger et décider.Tout manager doit, en quelque sorte, « se mouil-ler » et appliquer ces principes généraux au do-maine très particulier des ressources humaines.Ce qui veut dire : juger une personne, avec lesconséquences que cela implique au niveau de sarétribution et de son déroulement de carrière.Favoriser la carrière de chaque individu, c’est

pour cela qu’on fait de l’évaluation. Connaissez-vous le principe de Peter ? C’est, à l’origine, aumilieu du XXe siècle, une critique de l’administra-tion américaine, avec un système qui assure tou-jours la promotion de l’individu jusqu’au jour oùcet individu atteint son seuil d’incompétence. Ditautrement, et c’est la définition du principe dePeter, dans une hiérarchie, tout individu a ten-dance à s’élever jusqu’à son niveau d’incompé-tence. Une bonne évaluation va donc permettre,de mon point de vue, un développement de lacarrière du salarié sans jamais qu’il atteigne, jus-tement, ce seuil d’incompétence.Cela étant posé, qu’est-ce que l’évaluation ?Premièrement, il y a l’évaluation technique, laplus facile. Pour des commerciaux, cela peut êtrela capacité à vendre des volumes ; pour des cher-cheurs, cela peut être la capacité à avoir des idéespermettant le dépôt de brevets. Secundo, il y a l’évaluation que l’on peut qualifier de « compor-tementale ». Certains salariés sont plus à l’aisedans des organisations pyramidales, d’autresdans des organisations matricielles, avec desstructurations par projets, « latérales ». Dans cetexemple, évaluer, ce sera, pour le manager, appré-cier les compétences de chacun, non pas pourstigmatiser tel ou tel, mais pour le mettre au bonendroit de l’organisation. Ce qui pose la questionsuivante : comment faire ? Je crois beaucoup à« l’outillage », au fait de donner aux managers desmoyens communs et référentiels, une sorte delangage commun évitant des excès de jugementpersonnel sur les salariés. C’est une manière d’en-cadrer la démarche. Chez Rhodia (secteur de lachimie), nous avons bâti des grilles pour les cadres, les non-cadres, les ouvriers postés spé-cialisés ; et tout salarié sera apprécié à l’aune deces grilles, qui comportent différents items. Parexemple, pour un ouvrier posté : qualité du tra-vail, technique de métier, communication pourles compétences techniques ; motivation, espritd’initiative, capacité à travailler en équipe pourles compétences comportementales… Nousdemandons d’abord à cet ouvrier une autoéva-

QUEL PEUT ÊTRE ALORS LE RÔLE DESORGANISATIONSSYNDICALES ?PLUTÔT QUE DE S’INSCRIRE EN FAUX CONTRE LE SYSTÈME,ELLES DOIVENTAIDER LESENTREPRISES À BÂTIR LESSYSTÈMES LESPLUS HONNÊTESPOSSIBLE, ELLESDOIVENT AUSSISIGNALER LESDYSFONCTION-NEMENTS.

RENCONTRES D’OPTIONS

Table rondeL’évaluation au cœur d

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PARTICIPANTS DE GAUCHE À DROITE SUR LA PHOTO :

EMMANUEL TUCHSCHERER,RESPONSABLE DES POLITIQUESINTERMINISTÉRIELLES DANS LA FONCTIONPUBLIQUE.

MAX MATTA, DRH CHEZ RHODIA.

DÉBAT ANIMÉ PAR PIERRE TARTAKOWSKY, “OPTIONS”.

MARIE-JOSÉ KOTLICKI,SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’UGICT-CGT, DIRECTRICE D’“OPTIONS”.

RACHEL SILVERA,CHERCHEUSE À PARIS-X,MEMBRE DU COLLECTIFCONFÉDÉRAL “ÉGALITÉPROFESSIONNELLE”.

L’évaluation? Elle est à la fois élément de reconnaissance et source de stress, dedémotivation, voire de conflits. Dans ces conditions, comment construire des systèmesd’évaluation qui allient reconnaissance, mobilisation de l’encadrement et efficacitééconomique? Une question au cœur du second débat des Rencontres d’Options.

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“luation de son niveau. Puis il voit avec sa hiérar-chie le niveau requis par rapport à chaque item.Cela se traduit par une synthèse formulée en ter-mes de « forces » et de ce qui reste à développer ;cela aide les salariés à s’investir là où c’est utile enfonction de leur poste, et pas ailleurs. Dans cettedémarche, la dimension éthique est extrêmementimportante, il faut de l’honnêteté et de la transpa-rence, d’autant que tout le monde est jugé, quelleque soit la place occupée dans l’organisation.Quel peut être alors le rôle des organisations syn-dicales ? Plutôt que de s’inscrire en faux contre lesystème, elles doivent aider les entreprises à bâtirles systèmes les plus honnêtes possible, elles doivent aussi signaler les dysfonctionnements.Mais un sujet reste central : celui de la nécessairemodernisation des conventions collectives avecdes outils collectifs qui soient de leur temps.

– Rachel Silvera : Nos systèmes de classificationet d’évaluation des emplois ne sont pas neutres etont besoin d’être modernisés. C’est le sens de l’étude que je mène dans le cadre d’une recherchefinancée par l’Ires (Institut de recherches écono-miques et sociales), une première en France. Si l’on prend les inégalités de salaires entre lesfemmes et les hommes, nous continuons de rai-sonner très souvent selon le principe : « A posteégal, salaire égal. » Or il faut savoir que la loi fran-çaise va beaucoup plus loin en posant un autre

principe juridique : un salaire égal pour un travailde valeur comparable. Et cela change les pers-pectives. Cette notion introduit en effet le fait quel’on peut comparer aujourd’hui ce que l’on necomparait jamais, à savoir des emplois de naturedifférente, des métiers qui ne situent pas forcé-ment dans le même champ de compétences nidans le même secteur d’activité ; elle permet éga-lement de travailler à un système d’évaluation del’emploi non discriminant au regard du genre.Pour cela, une grille de lecture a été construite enfonction de trois critères principaux : la qualifica-tion ; le niveau de responsabilité ; le niveau destress et de pénibilité. Au prisme de ces différentscritères, il apparaît possible de revaloriser certainsmétiers « par le haut », en particulier ceux où lesfemmes sont largement majoritaires.Concrètement, dans le secteur hospitalier, parexemple, cette notion de « travail de valeur com-parable » permet de comparer l’agent chef (filièretechnique) et l’infirmière. On se rend comptealors qu’il est possible de comparer les deuxmétiers du point de vue du critère du niveau deresponsabilité : si les premiers sont responsablesd’une équipe, les secondes encadrent, dansl’exemple étudié, dix-sept lits… Autre illustrationdans la fonction publique territoriale, en prenantl’ingénieur et l’attaché(e). Ces derniers sont recru-tés à un même niveau de diplôme, avec unconcours plus difficile pour les attaché(e)s, alors

AU NIVEAU DESPAYS EUROPÉENS,NOTAMMENT,APPARAISSENTPOURTANT DE FORTSCONTRASTES DANSLA CONCEPTION DE L’ÉVALUATION :UNE CONCEPTION“STRATÉGIQUE”,AXÉE SURL’ENCOURAGEMENT,C’EST LE CAS DANSLES PAYS DU NORD ;UNE CONCEPTIONAXÉE SUR DES RÉSULTATSQUANTITATIFS,PRÉDÉTERMINÉS,QUI BRIDEL’INNOVATION,C’EST LE CASNOTAMMENT EN FRANCE.

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“que la filière administrative est moins valorisée.Le déroulement de carrière y est différent, avec unrégime indemnitaire, dans la collectivité étudiée,qui peut aller du simple au double…Cette recherche m’incite à réagir sur la notion de« compétence technique ». Car elle montre que lanotion de technicité, contrairement à une idéereçue, n’est pas objective. Pour illustrer ce propos,je dirai que les infirmières tendent à nier ladimension technique de leur emploi, alors queleur travail d’entretien relationnel avec les patientrelève bien d’une compétence technique. Il fautprendre en compte la dimension du genre pour,notamment, dans le domaine de l’évaluation,revaloriser les emplois à prévalence féminine.

– Emmanuel Tuchscherer : Dans la fonctionpublique, l’évaluation est un sujet ancien maisqui revêt aujourd’hui une terminologie nouvelle.La forme la plus traditionnelle de l’évaluation estla notation des agents qui détermine la valeurprofessionnelle de l’individu, module son avan-cement, permet d’apprécier les perspectives depromotion. Mais ce système de notation, sur uneéchelle de 1 à 20 – un exercice un peu artificiel –,est insatisfaisant et incomplet. En particulier

parce qu’il ne permet pas d’apprécier, en s’atta-chant à un instant T, tout ce qui est dynamique.C’est pourquoi il a été décidé de rénover le sys-tème de notation pour prendre en comptenotamment cette dimension de l’évaluation.C’est en 2002 qu’un nouveau système d’évalua-tion se met en place dans la fonction publique,plus ouvert et capable de reconnaître les méritesdes individus, alliant à la fois la notation et l’éva-luation. Un entretien se tient généralement tousles deux ans avec le supérieur hiérarchique direct,le mieux à même d’apprécier les résultats obte-nus par l’agent au regard des objectifs fixés.Aujourd’hui, l’orientation est de mettre un termeà l’exercice de notation pour lui substituer unepratique de management beaucoup plus axée surl’évaluation, d’abord expérimentée dans la fonc-tion publique d’Etat avant d’être généralisée. Enessayant de concilier à la fois la logique de fonc-tion publique de carrière et le fonctionnement duservice public, les objectifs ne pouvant pas semesurer de la même manière que dans le secteurprivé. Nous sommes dans une période, juste-ment, où nous construisons les outils permettantles conditions d’évaluation des personnes ainsique les éléments de reconnaissance des mérites.Faut-il, par exemple, des procédures d’évaluationcollective ? Comment assurer l’objectivité desoutils que nous construisons ? Toutes les ques-tions sont aujourd’hui sur la table. Mais il fautavoir le courage de l’évaluation, un acte de res-ponsabilité managériale qui a un impact sur lacarrière des agents. Cela renvoie aussi à la néces-saire formation à « l’acte managérial ».

– Marie-José Kotlicki : Comment réintroduire del’évaluation dans le travail réalisé et la qualité dutravail? Comment mesure-t-on un savoir-faire col-lectif ? Dans le service public, comment retournerla vision de la performance au service d’une rela-tion nouvelle avec l’ensemble des acteurs ? Al’Ugict-Cgt, nous proposons plusieurs pistes de tra-vail, de manière notamment à ne pas laisser le sala-rié seul face à l’entretien d’évaluation. Parmi cespistes de travail : intégrer les entretiens d’évalua-tion dans une politique de prévention, via parexemple une surveillance collective de ces entre-tiens. Dans le cadre du renforcement des Chsct(comités d’hygiène, de sécurité et des conditionsde travail), mettre en place des commissions desuivi des procédures d’évaluation, mais aussi derecours collectif ou de suivi des charges de travail.Sur le thème de la double nature de l’encadrement,à la fois salarié évalué et évaluateur : commentredonner de la légitimité à l’évaluateur lui-même ?Cela passe par l’information et la concertation surles stratégies de l’entreprise, par la nécessité de« réinjecter » du temps pour l’évaluation, par unedéfinition claire et transparente des critères pourdonner une légitimité aux procédures… Il fautenfin donner à l’évaluateur des possibilités réellesde paiement de la qualification alors que, à l’heure

ON PEUTCOMPARERAUJOURD’HUI CE QUE L’ON NE COMPARAITJAMAIS, À SAVOIRDES EMPLOIS DE NATURE DIFFÉRENTE,DES MÉTIERS QUI NE SITUENTPAS FORCÉMENTDANS LE MÊMECHAMP DECOMPÉTENCES NI DANS LE MÊMESECTEURD’ACTIVITÉ

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“actuelle, le système est englué dans une logique deréduction des coûts. Ce sont autant d’éléments àcreuser et à mettre en pratique.

Débat

Au moins trois thèmes de discussion ont émergéà l’occasion du débat. Le premier thème porte surl’acte de « juger » les individus, en lien avec laplace de la qualification dans toute démarche d’évaluation. Des interrogations qui font écho auxpropos du directeur des ressources humaines deRhodia affirmant : « Manager, c’est juger et déci-der. » Ainsi Fabrice Fort, pour l’Ufict métallurgie,a-t-il pointé plusieurs problèmes : si une per-sonne est jugée, alors celle-ci doit pouvoir sedéfendre ; si le jugement porte sur des « valeurs »,notamment comportementales, il occulte laquestion des qualifications – différente de lanotion de compétences –, une question pourtant« primordiale » si l’on ne veut pas entrer dans desprocédures arbitraires. Juger pose aussi la ques-tion de savoir qui est compétent pour juger. Avecquels outils ? Quelle préparation de l’entretiend’évaluation ? Comment l’évaluation peut-elleprendre en compte les aléas de la vie de l’entre-prise ? « Pour atteindre leurs objectifs, a-t-il expli-qué, il y a des salariés qui, contraints,“débadgent”dans un contexte où il n’y a ni embauche ni réor-ganisation du travail. » Pour Max Matta, « si lesalarié ne se retrouve pas dans l’évaluation, il a lapossibilité de demander un entretien avec uneassistance. En cas d’inéquité perçue, a-t-il encoresouligné, des procédures d’appel doivent être pré-vues ». Sur la question du « jugement », le pro-blème est de savoir « comment ce jugement peutêtre exercé. Ce que j’ai décrit est un système quiencadre la démarche de l’évaluation. La pire dessolutions, a conclu Max Matta, serait de faire del’évaluation “au marché noir”, sans le dire, avec dessalariés privés de la connaissance des outils ».Deuxième thème de débat: la nécessité de resituerl’évaluation dans une dimension collective. Par une

intervention collective sur la réalité du travail, enamont de l’entretien d’évaluation, mais aussi en s’in-terrogeant sur le couple évaluation individuelle/éva-luation collective. Ainsi, une attachée principalereprésentant l’Ofict-Equipement s’est interrogée :comment fait-on le lien entre entretien individueld’évaluation, évaluation collective et évaluation de la performance de l’entreprise? Troisième thème,enfin: la question de l’évaluation dans la fonctionpublique. «Si les objectifs ne peuvent pas être mesuréscomme dans le privé,constatons qu’ils sont fortementinspirés du privé», a ainsi souligné Sylviane Lejeune(Ugict-Cgt). En posant plusieurs types de questions:qu’est-ce qu’atteindre des objectifs dans la fonctionpublique? En quoi les critères d’évaluation actuelle-ment en construction permettraient-ils d’évaluermieux et pour quelle finalité? Que veut dire une «éva-luation des mérites» lorsque le blocage est total sur laquestion des rémunérations? Une préoccupation quirejoint celle du secteur privé où, pour un participantau débat, «les notions de transparence et d’éthiquen’ont pas de sens, dès lors qu’il y a une enveloppe globale d’augmentation par établissement».

Synthèse

Elle a été réalisée par Catherine Nédélec, secré-taire générale de l’Ufict mines-énergie. L’éva-luation au cœur du management : le thème de cedébat a fait émerger des questions liées à laconception du travail, à sa reconnaissance, à safinalité. Dans quel but évalue-t-on ? A quoi celasert-il ? Comment traiter la question du collectif ?Du point de vue du Drh, l’évaluation permet defavoriser le déroulement de carrière. Mais l’éva-luation pose la question des conflits d’intérêts quise jouent au sein de l’entreprise. Partons de laréalité du travail, ont proposé les participants audébat. Car la réalité vécue par les cadres, techni-ciens et techniciennes est celle d’une parcellisa-tion des tâches, d’un manque de visibilité sur lafinalité du travail, d’une perte d’autonomie pourpenser et organiser le travail, d’une définition desobjectifs en dehors d’eux.Peut-on réduire l’évaluation à un seul face-à-faceentre l’évalué et l’évaluateur ? Quels sont les outilset les procédures ? Les débats ont montré que lamesure du quantitatif prenait le pas sur le quali-tatif et la réalité du travail, que les directions d’en-treprise cherchaient à mesurer une productivitéstrictement individuelle, source de souffrance autravail et d’insatisfaction. Ils ont aussi mis en évi-dence que la notion d’« objectivité » n’avait pas lemême sens selon les points de vue des directionset des salariés.Parmi les propositions qui ont été avancées : don-ner du temps à l’évaluation afin, notamment, derelâcher la pression sur l’encadrement, mais aussitravailler sur les repères de qualification. Enfin, aété exprimée la nécessité de « remettre » du col-lectif dans le domaine de l’évaluation, en réin-vestissant les lieux où elle se discute, en préparantles entretiens d’une manière totalement diffé-rente : dans le cadre d’un collectif de travail.

L’ORIENTATIONEST DE METTREUN TERME ÀL’EXERCICE DENOTATION POURLUI SUBSTITUERUNE PRATIQUE DE MANAGEMENTBEAUCOUP PLUS AXÉE SURL’ÉVALUATION,D’ABORDEXPÉRIMENTÉEDANS LAFONCTIONPUBLIQUE D’ÉTATAVANT D’ÊTREGÉNÉRALISÉE.

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La secrétaire générale de l’Ugict ana-lyse ensuite les impacts essentielsd’un management hyper-rationa-

lisé et radicalisé autour d’un dogme : leculte de la performance individuelle. Elleen souligne trois : la tendance à transfor-mer les cadres en de simples exécutants età les « déprofessionnaliser » ; un renforce-ment de l’individualisation dans tous lesdomaines, du salaire à la carrière ; unemontée d’aspects coercitifs. Face à cette évolution, elle appelle à « cons-truire un mode de management alternatifqui réponde aux préoccupations des Ictam,qui rassemble le salariat, ce qui suppose debouleverser à la fois la conception tradi-tionnelle de la hiérarchie et les rapportssociaux dans l’entreprise. Il s’agit bien, sou-ligne-t-elle, de reconstruire une identitépositive et solidaire de l’encadrement, decréer des repères structurants face à l’indi-vidualisation, de redonner une finalité autravail ». Pour ce faire, elle invite à interve-nir sur différents aspects clés :• La reconnaissance et le paiement de la qualification, ce qui suppose un suivides charges de travail, des débats contra-dictoires sur les objectifs et l’existence de recours collectifs sur les résultats. Cet objec-tif appelle à une revalorisation de l’expertise, de la technicité, afin, entre autres, de se mettreen situation de juger le travail et non pas les personnes.• La possibilité pour les cadres, situés à la jonctionde l’efficacité sociale et économique, d’exercerpleinement leur responsabilité sociale avec desdroits individuels garantis collectivement.Les Rencontres d’Options ont montré avec éclatqu’il faut prendre la mesure de ce qui se joue dansl’évolution du management : organisation du tra-vail, stratégie de l’entreprise, gouvernance, rela-tions au travail… Ainsi, ce qui s’applique dans lepublic n’est pas le management d’hier du privé,mais une généralisation d’un mode universel. Si la méthode s’est radicalisée et démocratisée,elle engendre ses propres contradictions, gâchiséconomiques et sociaux qui percutent la produc-tivité. Elle condamne à devoir sans cesse bougerpour pourvoir gérer.C’est pour avancer sur ces contradictions, defaçon concrète, que l’Ugict décide de mener unegrande campagne – en lien avec la préparation de

la consultation prud’homale – autour de l’enjeud’un mode de management alternatif. « Cettecampagne, souligne Marie-José Kotlicki, devraavoir une forte dimension de débats publics,notamment autour d’un questionnement sur lasanté au travail ; elle vise également à donner uncontenu opérationnel au droit de refus et d’alter-native proposé par l’Ugict.» Car il s’agit bien de consulter les salariés sur lafaçon de passer du travail entravé à un véritableépanouissement dans le travail, en faisant le pointsur le vécu au travail, les rapports à son travail, lesaspects de reconnaissance, de recherche de sens, lesrapports aux autres, le harcèlement, les relationsavec ses collègues – hiérarchie, clients, usagers, lecollectif de travail. C’est au cœur de cette ambitiond’un mode de management alternatif que nousenracinons nos démarches revendicatives, qu’ellesportent sur la reconnaissance et le paiement desqualifications, la revalorisation de la technicité etde l’expertise, l’articulation entre préoccupationséconomiques et sociales, la revendication enfin defaire bénéficier nos collègues de travail d’un réeldroit de refus et d’alternative. »

RENCONTRES D’OPTIONS

Construire un mode de management alternatif : une campagne nationale de l’Ugict

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Dans ses conclusions,Marie-José Kotlickirevient d’abord sur un double constat :la souffrance au travailest en recrudescence,notamment parmi des catégories en situation de responsabilité, et elle constitue le signal d’alarme d’une problématiqueplus collective.

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