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  • TUDES DE LITTRATURE ANCIENNE

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    LES CHRTIENS ET LHELLNISME

    Identits religieuses et culture grecquedans lAntiquit tardive

    Textes dits par Arnaud Perrot

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    UN GRIEF ANTICHRTIEN CHEZ PROCLUS: LIGNORANCE EN THOLOGIE

    la mmoire dAlain-Philippe Segonds

    Philippe Hoffmann 1

    Dans un recueil dtudes consacr la relation fconde entre hellnisme et christianisme, et aux modalits de lhellnisation du christianisme si problma-tique soit cette notion , il convient peut-tre dintroduire une dissonance, en rappelant le silence hautain dans lequel les derniers philosophes de lAntiquit ont enseveli lensemble de la littrature chrtienne et exprim leur dtestation des chrtiens, du christianisme en gnral, et de lEmpire entr dans une phase de christianisation intgrale. Lon ne trouve, aux ve et vie sicles, chez des auteurs aussi informs et rudits que Proclus, Damascius ou Simplicius, qui ont sauv du naufrage tant duvres philosophiques de lAntiquit grecque et tant de textes, aucune discussion dune thse identifi able de thologie chrtienne. Ces immenses philosophes ne semblent pas avoir eu de la littrature chrtienne et de ses constructions thologiques une connaissance prcise, et lexamen de leurs uvres ne livre, si lon excepte de trs rares citations ou quasi-citations 2, que des formules allusives strotypes ou des invectives, qui montrent quils navaient de leurs adversaires chrtiens que des reprsentations dformes et caricaturales, faites dun mlange de mconnaissance et de prjugs: en bons platoniciens, ils considraient les chrtiens comme une foule inculte la foule des , esclave de ses passions, ignorante et en proie toutes les formes dirrationnalit et de vice 3. Cest de ce silence mprisant et de ces reprsentations

    1. Ph. Hoff mann est directeur dtudes lcole pratique des hautes tudes (section des sciences religieuses), chaire de Th ologies et mystiques de la Grce hellnistique et de la fi n de lAntiquit et membre du Laboratoire dtudes sur les monothismes. Il est directeur du LabEx HASTEC.2. Quelques exemples seront donns infra, notes 16, 17 et 19.3. Lire larticle trs suggestif de H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.553-563 [201-211] qui a servi de base la prsente enqute. complter par Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens . Le rseau thmatique dgag par Saff rey se retrouve bien des gards dans les invectives de Simplicius contre Jean Philopon, dans les deux commentaires au De caelo et la Physique: voir Ph. Hoff mann, Sur quelques aspects

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    quil va tre question des procds aussi par lesquels, dallusions en propos venimeux, lon assiste une vritable construction de lAutre.

    Commenons par poser un cadre gnral. On lit chez Damascius, dans un texte fragment de la Vie dIsidore 4, une vritable philosophie de lHistoire, qui distingue entre trois ges de lHumanit, caractriss par trois types dmes (ou parties de lme) et par les trois types de rgimes politiques correspondant ces types dmes et reproduisant la tripartition platonicienne du livre IV de la Rpublique: raison, colre (ou emportement, ) et dsir 5. Selon que prdominent dans les mes, ou dans les rgimes politiques, la Raison (), lamour de la gloire (), ou le principe de dsir (), trois espces dhommes et de se constituent, dont la succession chronologique rythme le temps humain 6. Damascius dcrit ainsi tour tour: lge dor chant par Hsiode, ou Vie sous le rgne de Cronos , temps mythique dans lequel domine la Raison ; lge historique des guerres, des combats, des concours et

    de la polmique de Simplicius contre Jean Philopon: de linvective la raffi rmation de la transcendance du Ciel . Mais il importe videmment de bien distinguer entre les code phrases (voir infra, p. 168 et note 21) qui relvent du rgime de lallusion, et les thmes rhtoriques dinvective mme si le destinataire des invectives de Simplicius, Jean Philopon, demeure toujours anonyme.4. Extrait 22 de Photius (Epitoma Photiana) +fragments 30 (= Photius 238) et 30 a (= Souda) Zintzen (p. 26-27, 29, 31 avec une abondante annotation laquelle il faut renvoyer). Tentative de reconstruction du texte par Polymnia Athanassiadi, Damascius. Th e Philosophical History, fragment 18, p.96-97 (spc. note 45, p.97 et 99).5. Platon, Rp., IV, par ex. 435 e 1-436 b 3 sq., 439 d 4-e 4, 440 e 2-441 d 11, et aussi lensemble des analyses des livres VIII-IX sur les injustes: remarquer en VIII, 546 d-547 b le schme du mythe des races dHsiode ; et voir par ex. IX, 580 d 1-583 a 11. La description des dans la Rpublique, et la doctrine du livre IV, ont donn lieu plusieurs rsums, ou dveloppements, dans la littrature mdio- et noplatonicienne: Apule, De Platone et eius dogmate, II, XXIV-XXVIII, 255-263 ; Alkinoos, Didaskalikos, XXXIV, H 188. 8-35 (Whittaker, p. 69-70 et notes ad loc., p.151-152) ; Salloustios, Des dieux et du monde, X-XI (Rochefort, p. 15-16 et notes ad loc. p.41-43 ; Sallustius, Concerning the Gods and the Universe, Nock p. lxxvi-lxxvii et 20-23) ; et lensemble de la VIIedissertation de Proclus, In Rempublicam, I, p.206, 6-235, 21 Kroll (Festugire II, p.13-39), sur le livre IV, o Proclus, I, p.221, 12-222, 3 K. (Festugire II, p.26-27) reprend simplement la gographie platoni-cienne (435 e 3-436 a 3: voir infra, note 7). Mais comme le remarque trs justement H.D.Saff rey ( Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , p.424 [210]), Damascius donne ce schma une porte polmique, en construisant une thorie des ges de lHumanit violemment critique lgard du temps prsent. La lecture parallle des deux textes de Proclus et de Damascius montre en eff et que Damascius, qui a d donner des leons sur la Rpublique (voir larticle Damascius , dans le Dictionnaire des philosophes antiques [DPhA], II, Paris, 1994, D3, p.580), scarte ici de lexgse et trouve dans Rp., IV un vritable instrument danalyse politique qui permet de donner une intelligibilit la situation prsente, , et de la situer dans un certain ordre platonicien des choses. Comme on le verra, sa perception anthropologique du christianisme ne diff re pas fondamentalement de celle de Proclus.6. H. D. Saff rey, Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , p.421-431 (repris dans Le Noplatonisme aprs Plotin, p. 207-217), spc. p.424-426 [210-212]: traduction et commentaire des fragments de la Vie dIsidore (voir supra, note 4). Saff rey souligne juste titre le ton de colre de Damascius, et sa nostalgie des temps passs . Et aussi R. Asmus, Das Leben des Philosophen Isidoros, von Damaskios aus Damaskos, p.13-14. Sur le schme du mlange avec prdominance, voir infra, p. 185 et note 84.

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    des rivalits pour les premires places et pour la gloire (cest le rgne de ce que Platon appelle la ) ; et enfi n lEmpire chrtien o stalent l et la , o tout nest que lchet, veulerie, cupidit, servilit telle est, conclut-il, la vie des hommes qui aujourdhui mnent leur existence dans le monde de la gnration ( ) 7, une vie faite dirrationalit et de mconduite. Lexpression dsigne clairement ici les hommes qui vivent sous le rgime chrtien depuis la procla-mation du christianisme comme religion dtat sous Th odose (dit de 380): pour Damascius, qui crit la Vie dIsidore sous le rgne de Th odoric (mort en 526), sans doute lorsquil tait dj diadoque 8, cest cela le prsent .

    Une telle reprsentation gnrale du christianisme et des chrtiens peut tre mise en relation avec la liste des formules strotypes rassemble par H.D.Saff rey dans les crits de Marinus et de Proclus 9, en reprenant des remarques faites par divers diteurs de ces textes, et qui constitue un excellent point de dpart pour une enqute plus approfondie. Je voudrais simplement, dans cette tude, relire quatre longs passages de Proclus, signals par A.-J.Festugire 10, A. Cameron 11, H. D. Saff rey 12, A.-Ph. Segonds 13, et examiner la faon dont Proclus construit une fi gure daltrit partir de catgories conceptuelles platoniciennes et noplatoniciennes.

    Le fi l directeur de cette enqute sera constitu par un thme majeur de la critique adresse aux chrtiens: limputation dignorance, mise en contraste avec la revendication de supriorit de la Science thologique des paens. Proclus apprhende la situation historique qui sinstalle son poque (lEmpire chrtien) partir dune anthropologie qui est celle de la Rpublique de Platon: les chrtiens sont des mes injustes au sens de Platon, cest--dire des mes en proie la dissension interne (), dont ltat dignorance est indissociable du dsaccord

    7. Alors que le schma tripartite mis en place par Platon conduit chez lui une gographie (Rp., IV, 435 e 3-436 a 3: = Athnes et la Grce ; = les Th races, les Scythes et les peuples du Nord ; = Phniciens et gyptiens), Damascius en tire une structure temporelle et historique, qui lui permet de penser le prsent de lEmpire chrtien: la vie des hommes daujourdhui qui mnent leur existence dans le monde de la gnration correspond la situation prsente , , ainsi que nous le verrons dici peu. Cest aussi une caractrisation ontologique et cosmologique dvalorisante de tout ce systme politique (voir infra, note 21, p. 168).8. Voir larticle Damascius , dans DPhA, II, D3, p.547 (Damascius diadoque partir de ca. 515 ?) et p.566-567 (avec bibliographie) et P. Athanassiadi, Damascius. Th e Philosophical History, p.42-43.9. H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.563 [211].10. In Tim., III, p.152, 31-153, 15 Diehl. Voir A.-J. Festugire, Commentaire sur le Time, IV, note 2, p.195.11. A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.7-29: voir p.15 propos de In Alcibiadem, 264, 6-7 Creuzer.12. H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.557-559 [205-207], traduit partiellement les quatre textes ici examins.13. A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade de Platon, II, p.428-429 (note 3 ad 264. 4-6 sq., p.307).

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    structurel de leurs parties ce qui explique que le grief dignorance en tho-logie soit troitement li dautres critiques dordre moral. Aussi la situation prsente ( ) est-elle parfaitement intelligible: elle est dans un certain ordre des choses, et un platonicien peut bien comprendre que des philosophes, peu nombreux, soient entours dmes injustes, intemprantes et ignorantes, constituant la masse ( ). Les chrtiens, plus prcisment, sont des mes oublieuses (), vivant dans le monde de la gnration (la ), loin des Causes intelligibles et transcendantes, et ils ignorent lordre du Rel: distinction de ltre et du Devenir, de lIntelligible et du Sensible. De ce fait, leur usage du langage est incorrect et impie: ils temporalisent, par exemple, lIntelligible en lui appliquant les catgories conjointes du tait , du est et du sera , sans comprendre quelles ne conviennent quau Devenir. Ils confondent les ordres de la Ralit, en ruinent la hirarchie, car ils ne connaissent que le Devenir sensible lhorizon familier du domaine sublunaire dans lequel ils vivent. Ils introduisent ainsi dans la Ralit une terrible confusion et un dsordre qui refl tent leur ignorance et leur immoralit. Leur tat d oubli (), au sens du Phdre et de la Rpublique de Platon, permet aussi de comprendre quils ne clbrent quun seul Dieu, et quils ignorent la multiplicit des classes divines qui se rangent entre le Premier principe lUn-Bien et le Dmiurge (lIntellect dmiurgique, Zeus, est le troisime Pre intellectif, dcrit par exemple dans le livre V de la Th ologie platonicienne). Ils clbrent le Dieu crateur du Ciel et de la Terre , ignorent lUn-Bien qui a produit le Modle intelligible lui-mme partir duquel le Dmiurge intellectif ordonne le Monde, et cest parce quils ne connaissent pas les classes divines transcendantes qui, au-del du Dmiurge, remontent jusqu lUn-Bien, quils sont des athes : athisme et ignorance thologique se traduisent dans la politique de ferme-ture des temples, de destruction des sanctuaires, dinterdiction des rites de la religion traditionnelle. Face ce terrible dsordre, la tche du Philosophe est de dployer la Science thologique celle, par exemple, de la Th ologie platoni-cienne ou des lments de thologie et de clbrer par un hymne intellectif ( ) le Premier principe et toutes les classes divines qui procdent de lui, en une intriorisation de la religion et de ses rites. La Science enseigne par Platon et lensemble de la tradition philosophique et religieuse rpondent lignorance impie des hommes de ce temps , et nourrissent la religio mentis noplatonicienne, selon une heureuse formule de H. D. Saff rey.

    Lme des chrtiens: ignorance, , athismeOn relve les imputations de manque de formation scientifique

    () et d ignorance () dans un passage du Commentaire au Premier Alcibiade. Proclus y discute, propos dun lemme de Platon (Alc., 111

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    a 5-d 1), largument tablissant que pour lapprentissage du grec ( , parler grec ) le matre nest autre que lensemble de la collectivit (la multitude, ) qui saccorde avec elle-mme sur lusage des noms ( ). Le syllogisme construit cette fi n contient une prmisse fausse (car il nest pas vrai quun accord entre les hommes vrifi e la possession du savoir relativement ce sur quoi ils sont daccord), et la critique du raisonnement est loccasion dun expos gnral, de nature anthropologique, qui dcrit le dsaccord (), la guerre () et la dissension () internes lme des chrtiens, dchire entre rationalit et draison, et entrane de ce fait vers lintemprance (), labsence de formation scientifi que et lignorance (, ). Le texte, au vocabulaire extrmement riche, entrelace habilement ces divers motifs, et fonde laccusation dignorance sur une psychologie et une anthropologie purement noplatoniciennes, ces cadres conceptuels philosophiques permettant une construction trs prcise de la fi gure de ladversaire. Les chrtiens sont certes daccord entre eux, mais cet accord nest pas le signe dun savoir. Leur accord pour nier lexistence des dieux est la marque de leur ignorance en thologie. Ce sont des athes :

    [...] tous ceux qui sentendent entre eux sur quelque chose ne sont pas forcment savants relativement ce sur quoi ils sont daccord. Ainsi, notre poque ( ), le vulgaire ( ) est daccord sur le fait que les dieux nexistent pas, et cest par absence de formation scientifi que () que cela leur est arriv. Il faut rpondre cette diffi cult, dabord quil est impossible quun mchant () soit daccord avec lui-mme ; car il faut, puisquil est mauvais, quil se rvolte () contre son me et qu cause de sa nature rationnelle il voie quelque peu le vrai, mais qu cause de ses passions et de ses imaginations matrielles, il soit entran dans lignorance et le combat contre soi-mme ; et cest ce que montre le remords quil prouve, lorsque les passions se sont calmes ainsi que le dsaccord () qu son insu il portait en lui. Et donc et lathe et lintemprant, cause de leur discursus, qui est parent par nature du divin et qui appartient la part boniforme de la ralit, profrent des paroles sages et divinement inspires, mais cause des dsirs et des mouvements imaginatifs et formateurs dimages, ils sont dans une disposition athe et intemprante, et, en gnral, ils introduisent en eux-mmes, par leur me irrationnelle, guerre et agitation de toute sorte. Tout tre mauvais est donc en dsaccord () avec lui-mme ; sil en est ainsi, bien plus forte raison est-il en dsaccord avec les autres. Et de fait, comment pourrait-on tre daccord () avec ceux qui sont au-dehors quand on est en tat dinsurrection intrieure ( ) ? Et donc tous les athes, tous les intemprants et tous les injustes sont en diff rend entre eux et ne sauraient jamais connatre laccord, puisquils sont dpourvus de science 14.

    14. Proclus, In Alcibiadem, 264, 4-265, 3 Creuzer (II, p.307-308 Segonds): [...] . . , , , . , , .

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    Largumentation psychologique dveloppe dans ce texte de Proclus, et qui fonde lanalyse dune situation politique et historique sur une description des mes, se retrouvera, quelques dcennies plus tard, dans le Commentaire de Simplicius au De caelo dAristote (rdig aprs 532). Cela montre combien les noplatoniciens apprhendaient le monde qui les entourait partir des concepts de leur philosophie.

    Simplicius, expliquant largumentation dialectique qui marque le dbut du livre II du De caelo dAristote (II, 1, 284 a 2-a 14), engage une dfense des conceptions traditionnelles reues des anctres ( ), qui confi rment les thses cosmologiques et thologiques dmontres dans le Livre I et relatives en particulier lternit et la transcendance du Ciel. Les Anciens, rappelle Aristote, ont assign aux dieux le Ciel et le lieu den haut, parce quils le considraient comme seul immortel ( , 284 a 11-13). Pour prouver la vrit et luniversalit de cette opinion, qui est un particulirement dcisif ses yeux, Simplicius produit un argument destin montrer quil sagit dune conception inne, connaturelle lme humaine en tant que telle: mme les mes des chrtiens, en tant quelles ne sont pas altres par les prjugs athes et par loubli, sont capables de reconnatre et de clbrer la divinit et la transcendance du Ciel, et Simplicius invoque ce propos le tmoignage dexpressions vtro- et no-testamentaires. Mais ltat dsordonn des mes des chrtiens, en proie lignorance (prjugs et oubli) et aux emportements passionnels (la ), les conduit calomnier le Ciel et attenter violemment () sa divinit 15:

    , . ; . Ce texte est aussi traduit et comment par H. D. Saff rey dans Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.557-558 [205-206].15. Simplicius, In De caelo, p.370, 29-371, 4 Heiberg: , (recte coni. Praechter: cod. F Heiberg qui censuit hunc locum vix sanum esse). ; , , . Ce texte important a t signal, et partiellement traduit, par J. Geff cken, Der Ausgang des griechisch-rmischen Heidentums, chap. v, 2. Heidnische Schwrmer, Heilige und Philosophen , p.213 (rectifi par Praechter, voir infra) ; A.-J. Festugire le traduit compltement, et le commente, dans une note de La Rvlation dHerms Trismgiste, II. Le dieu cosmique, p.343-344, note 3, comme tmoin de la position inbranlable des derniers philosophes paens , remplis dadmiration pour la beaut et lexcellence du Monde, dans leur polmique contre ceux des chrtiens qui inclinaient ravaler le monde sensible . La correction (cf. ) est due K. Praechter, Simpl. In Aristot. De caelo p.370, 29 ff . H. , p. 118, et elle est accepte ensuite par J. Geff cken, Nachtrge, p.363. Praechter renvoie justement (p. 118, note 2) aux exemples donns par Pollux, Onomasticon, V, 114, mais lon peut ajouter aussi que lhostilit des chrtiens contre le Ciel ( +accusatif, tre dans

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    Quil soit connaturel aux mes humaines de considrer les ralits clestes comme divines, cest ce que montre au plus haut point lexemple de ces gens [scil. les chrtiens] qui, sous leff et de leurs prjugs athes, lancent des calomnies () contre ces ralits clestes. Eux aussi en eff et, ces individus dclarent que le Ciel est l habitation 16 du divin et son trne 17 , et quil est seul capable de rvler ceux qui en sont dignes 18 la gloire 19

    des sentiments hostiles lgard de quelquun ) est une disposition calomnieuse qui rejoint laccusation de blasphme (: contre le Ciel et le Dmiurge) adresse Philopon (Simplicius, In De caelo, p.88, 29 H. ; cf. aussi p.137, 20-21 H. [signalons en passant, dans ce contexte, lallusion, infra, ligne 28, la thologie chrtienne du Fils]). Voir aussi Ph. Hoff mann, Sur quelques aspects de la polmique de Simplicius contre Jean Philopon: de linvective la raffi rmation de la transcendance du Ciel , p.201-202 (et note 99). Allusion claire, ici, au culte chrtien du corps du Christ mort et des reliques des martyrs, dj critiqu par Julien et Libanios: voir J.Geff cken, Zwei griechische Apologeten, p.307 ; K. Praechter, Simpl. In Aristot. De caelo p.370, 29 ff . H. , p.119 ; A.-J. Festugire, Antioche paenne et chrtienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, p.81 et note 1 [Julien, Misopogon, 344 A, 357 C , 361 A = les martyria], p.235 et note 1 [Libanios, Contra institutionis irrisores, Or. LXII, 10, p.351, 14 Foerster: = les chrtiens]) ; et id., La Rvlation..., II, p.344 suite de la note 3, qui traduit deux autres passages de Julien: Contra Galileos, 225, 9 s. Neumann (335 B-C ; voir d. W. C. Wright, III, p.414) o sont mentionns comme objets de dgot = le Christ et = les reliques des martyrs, et o Julien reproche aux chrtiens d avoir tout rempli de tombeaux et de spulcres , puis les accuse de ; et Lettre 114 [52 Hertlein], p.178, 21-23 Bidez-Cumont: , Voil le chtiment qui attend ceux qui se sont dtourns des dieux (i. e. des astres) pour sadresser des cadavres et leurs reliques . Voir aussi L.Saudelli, I cadaveri di Eraclito (fr. 96 D.-K.) e la polemica neoplatonica di Simplicio , p.127-138 (voir p.133-134), qui prsente les interprtations successives de ce fragment (Philon, Strabon, Plutarque, Celse, Plotin, Julien), en dgage le probable sens hracliten (une critique violente des honneurs rendus aux morts dans les rituels funraires), et montre bien que Lobiettivo polemico di Simplicio il culto delle reliquie dei santi, dei martiri e di tutti i morti, tipico della religione cristiana. Le solenni cerimonie funebri, cos come le sontuose costruzioni dellarte funeraria dei cristiani del suo tempo e ambiente, fanno semplicemente indignare il fi losofo pagano, che accusa i suoi avversari di incoerenza e dunque di ignoranza (p. 134). Il sagit ici, comme on la dit, dune opposition, avec renversement de valeurs, entre le Ciel (mpris) et (objets de vnration), et donc dune critique du culte chrtien des reliques.16. Le mot semble une citation et pourrait tre un cho de II Cor 5, 1-2 (qui exprime lide de la demeure ternelle dans le Ciel: ... , ... ...).17. Cf. Is, 66, 1 ; Ps 11 (10), 4 ; Mt 5, 34 (le ciel ) et 23, 22 ; Ac 7, 49 ; He 8, 1.18. Cette phrase a des accents (et des mots) que lon retrouvera dans la prire fi nale du commentaire (In De caelo, p.731, 25-29 H.), adresse au Dmiurge: Simplicius dit avoir eu lardent dsir de contempler la grandeur des uvres du Dmiurge, et de la rvler ceux qui en sont dignes ( ) et il invite ses lecteurs vnrer le Dmiurge (), conformment la transcendance () qui le situe au-dessus de ses produits, sans avoir son endroit des conceptions basses ou trop humaines ( ). Sur cette prire, voir Ph. Hoff mann, Sur quelques aspects de la polmique de Simplicius contre Jean Philopon: de linvective la raffi rmation de la transcendance du Ciel , p.204-210, et I. Hadot, Simplicius. Commentaire sur le Manuel dpictte, p.14-16 (et note 22).19. Cf. Simplicius, In De caelo, p.90, 13-18 H., qui paraphrase avec une grande prcision le verset 2 du Psaume 19 (18): Philopon m par un emportement de vaine gloire ( ), ne sest pas rendu compte quil prenait aussi une position oppose celle de ce fameux David, quil honore tout fait. Celui-ci a considr en eff et que les ralits clestes ne sont pas de la mme nature que les ralits sublunaires: cest ce quil montre lorsquil dclare que le Ciel raconte la gloire de Dieu et [que] le fi rmament proclame luvre de ses mains le fi rmament, et non les vers luisants et les cailles des poissons ! , (au sens de la cosmologie grecque, au lieu de

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    et la transcendance de Dieu. Que pourrait-il y avoir de plus noble que cela ? Et pourtant, comme sils oubliaient [ces vrits], ils considrent que les rebuts qui sont rejeter plus que les immondices 20 sont plus prcieux que le Ciel, et ils sacharnent outrager Celui-ci, comme sIl ntait n que pour susciter leur violence.

    Simplicius, comme Proclus avant lui, donne une forme allusive sa critique virulente des chrtiens. Et il convient ce propos dexaminer attentivement la phrase par laquelle commence le texte de lIn Alcibiadem, 264, 6-8 Cr., auquel il nous faut prsent revenir. La succession des termes [...] constitue en eff et lune des expressions allusives (code phrases) frquemment employes par les auteurs paens pour dsigner le prsent de lEmpire chrtien, et les chrtiens eux-mmes, ainsi que la montr Alan Cameron 21. Il sagit de formules euphmistiques, parfois images ou rdiges dans un style archasant. Et les recherches de H. D. Saff rey, confi rmant par une tude attentive du corpus des uvres de Proclus les observations dA. Cameron 22, ont mis en lumire lesprit dans lequel Proclus recourait ce mode dexpression indirecte, percep-tible pour les seuls initis, cest--dire pour ses lecteurs paens 23. ,

    dans le Psaume) [...] .20. Version tronque dHraclite fr. B 96 DK, . Lidentifi cation est due K. Praechter, Simpl. In Aristot. De caelo p.370, 29 ff . H. , p.118-119. Mais la rfrence Simplicius ne fi gure pas dans les deux recueils rcents de Marcovich-Mandolfo-Tarn et de Mouraviev, comme le souligne L. Saudelli, I cadaveri di Eraclito (fr. 96 D.-K.) e la polemica neoplatonica di Simplicio . Le mot (cadavres) est remplac par un neutre pluriel, et comme dautres auteurs (par ex. Philon, pictte, Plotin) Simplicius ne mentionne pas le nom dHraclite, sans doute parce que / - est ressenti comme une expression proverbiale qualifi ant ce dont il faut se dbarrasser absolument sans se soucier de la pense dHraclite : voir D. Pralon, Limmondice des immondices (Hraclite, fr. 96 D.-Kr.) , p.98-105 ( la p.101).21. A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.7-29 ; voir p.15: exemples de code phrases comme (Damascius, Vita Isidori, 38 [Photius], p.64. 1 Zintzen), (Damascius, Vita Isidori, fr. 100 [Souda], p.75. 9-10 Z.), (Proclus, In Remp., I, p.74, 8-9 Kroll) [cf. infra, p. 184, note 78], ... (notre texte de Proclus, In Alc., 264, 6-7 Cr.). Voir aussi la version brve de cette tude, intitule La fi n de lAcadmie , p.281-290 ( la p.284 et note 2). Les analyses dA. Cameron ont t suivies et exploites par H. D. Saff rey et A.-Ph. Segonds ; approuves par R.Sorabji, Aristotle Transformed. Th e ancient commentators and their infl uence, chap. 1, p.12 (dans le cadre dun intressant panorama gnral: Th e commentators and Christianity , p.10-15). Sorabji fait prudemment remarquer ( la suite de K. Verrycken) que certaines de ces formules sont aussi utilises par des auteurs chrtiens de lAntiquit tardive: comme nous le verrons, lanalyse minutieuse et prudente des contextes est indispensable pour lidentifi cation des code phrases. Il est vrai que apparat dj, par exemple, au ive sicle, chez Libanios, dans des contextes o le sophiste dAntioche exprime sa dsapprobation du temps prsent: ainsi au Discours II, 26 (p. 68, 21-22 Martin: , ), 27 (p. 69, 2M.), 43 (p. 73, 15 M.), cf. 47 (p. 74, 16 M.: oppos ).22. Lire les tudes mentionnes supra, notes 3 et 6.23. H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.561-562 [209-210], et Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , p.423 [209]: Proclus, travers les oppositions et les diffi cults, cherchait toujours viter laff rontement violent ; dans son uvre les relativement rares allusions aux chrtiens ne relvent pas de la discussion

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    la masse , le vulgaire est une expression utilise frquemment par Platon pour opposer la multitude des ignorants aux philosophes eux-mmes, et elle est employe par les noplatoniciens pour dsigner dans certains contextes les chrtiens majoritaires, dsormais, dans lEmpire 24. Une srie cohrente se constitue, avec dautres termes: les chrtiens sont dsigns comme mchants (, ) 25, injustes (), intemprants (), athes (). Laccusation d athisme sinscrit dans une tradition polmique illustre par de nombreux auteurs paens (par exemple Julien, Libanios, Jamblique, Salloustios) 26, et le dossier mriterait dtre complt. Par ailleurs, la topique utilise par Proclus esquisse une fi gure du chrtien comme ngatif de lme vertueuse ralisant les vertus cardinales, au moins trois dentre elles: ligno-rance () est comme le ngatif de la ou de la , tandis que lintemprance () est le contraire de la ; quant linjustice, elle concide avec la dissension mme () qui installe une scission dans lme du chrtien 27. On retrouve en eff et clairement dans ce texte de Proclus les notions platoniciennes de Rpublique, IV, 443 c 9 444 b 8: la justice est un ordre intrieur, une harmonie, une unit, linjustice une dissension (, 444 b 1, cf. 440 e 5 et IX, 586 e 4-587 a 1) entre les trois parties de lme ; le trouble et le dsordre ( ) installs entre les parties de lme produisent les vices contraires aux quatre vertus majeures, cest--dire linjustice (), lintemprance (), la lchet (), lignorance ()

    thologique de certains points controverss de doctrine, ce sont des touches discrtes en langage chiff r, intelligibles aux seuls initis, qui protestent dune manire cache devant lomniprsence et lenvahissement progressif du christianisme. Il semble bien que Proclus ne croyait pas que le christianisme durerait, ni que le paganisme prirait pour fi nir, selon lui ctait seulement un mauvais moment passer. 24. Par ex. Marinus, Proclus ou sur le bonheur, 29.29, p.35 et p.162, note 7 ad loc. [d. CUF] (dans ce contexte on rencontre la formule , ceux qui cherchent nuire , cf.H.D.Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.556 [204] et p.563 [211], n8). Lexpression se retrouve encore dans deux textes que nous lirons plus loin: In Tim., III, p.44, 2 Diehl (voir infra, p. 183, note 77) ; In Remp., I, p.74, 8 Kroll (voir infra, p. 184, note 78).25. A. Cameron ( Th e last days of the Academy at Athens , p.16) signale plusieurs parallles pour et : Julien (renvoi R. Asmus, Julians Galilerschrift im Zusammenhang mit seinem brigen Werken, p.39, ouvrage que je nai pu consulter) ; Damascius, Vita Isidori, 228 [Photius], p.296, 1-2 Zintzen (lequel signale ad loc. lallusion antichrtienne) = 151 B Athanassiadi, p.328-329, dans la reprise de Platon, Lois, II, 660 c 6-7, tant remplac chez Damascius par ; et Simplicius, In Epict. Ench., p.65, 29 Dbner = XXXII. 186 Hadot1, p.314 ( ... ).26. Une note trs riche dans A. D. Nock, Sallustius, p. lxxxviii, note 204, serait un bon point de dpart pour rexaminer ce dossier. Voir aussi A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.20 propos de Simplicius, In Epict. Ench., p.106, 4 sq. Dbner = XXXVIII. 622 sq. Hadot1 (p. 386).27. Marinus, Proclus ou sur le bonheur, 3. 47-48 (d. CUF): la disposition () qui rend les parties de lme non troubles par des rvoltes ( ) nest rien dautre que la justice () ; 4. 44-46 Proclus tait ds son plus jeune ge juste () et nullement injuste ( ... ).

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    qui inspire laction injuste ! 28 et en un mot toutes les formes de mchancet ( ) [444 b 7-8]. Et lon sait que la constitution politique () est analogue la qualit des mes, aux caractres () 29. La description des constitutions injustes et des qui les structurent, dans le cas notamment de la dmocratie (domination des ) et de la tyrannie, aux Livres VIII et IX de la Rpublique, soulignent ces traits ngatifs. La mauvaise selon les noplatoniciens a les traits des rgimes injustes de la Rpublique. rebours, un saint paen comme Proclus, tel que le loue Marinus, possde toutes ces vertus, selon les diverses modalits induites par la hirarchie noplatonicienne des vertus 30.

    La notion de code phrases sest heurte des objections. Une objection dordre gnral, tout dabord. Ainsi, Ilsetraut Hadot, dans son livre Le Problme du noplatonisme alexandrin 31, a fait valoir que de telles expressions ne refl tent pas ncessairement une position religieuse ou politique dopposition ou de prudence et quelles sont simplement leff et dun choix stylistique classicisant, rticent lgard de termes contemporains ou de nologismes, ce choix tant par ailleurs commun de nombreux crivains de lAntiquit tardive, quils

    28. Platon, Rp., IV, 443 e 5-444 a 2: la sagesse () est la science () qui prside laction juste et belle (laquelle produit l harmonieuse et ordonne de lme), tandis que lignorance () est lopinion () qui prside laction injuste, laquelle dtruit ltat harmonieux de lme. Une liaison essentielle est donc tablie entre l et linjustice, et lantichristianisme de Proclus se nourrit de cette conception platonicienne. Il faut aussi rappeler dans ce contexte la dclaration de lAthnien dans les Lois, III, 688 e 3-689 c 3, qui lie trs fortement lignorance () et la multitude () dans la Cit comme dans lme, et assigne au lgislateur la tche [...] dinculquer aux cits toute la sagesse possible () et de draciner le plus quil pourra lignorance ( ... ) . LAthnien dfi nit en ces termes la plus grande ignorance ( ): Quand un homme, aprs avoir jug beau ou bon quelque chose, le hait au lieu de laimer, et que ce quil trouve mauvais et injuste ( ), il laime au contraire et laccueille, cest par ce dsaccord () de la douleur et du plaisir avec lopinion raisonnable ( ) que je dfi nis la pire ignorance ( ... ), et aussi la plus vaste ( ), parce quelle atteint la plus grande partie de lme ( ) ; car la partie qui souff re et qui jouit est dans lme ce que le peuple () et la multitude () sont dans la cit. Ainsi, lorsque lme soppose la science (), lopinion (), la raison (), qui sont naturellement faites pour commander, jappelle cela inintelligence () ; de mme dans un tat, lorsque la multitude ( ) nobit pas aux magistrats et aux lois, et aussi chez un particulier, quand de belles raisons, prsentes dans lme ( ), nobtiennent aucun rsultat, bien au contraire: cest toutes ces ignorances () que je regarderais comme les plus discordantes () chez un tat ou en chacun des citoyens, non pas les ignorances des hommes de mtier [...] (traduction des Places). 29. Platon, Rp., IV, 435 e 1-436 a 3, 441 c 5-d 11, 444 a 4-6. 30. Cest le sens de lloge funbre compos par Marinus, en combinant le schma des quatre vertus cardinales avec le classement hirarchique noplatonicien: voir Marinus, Proclus ou sur le bonheur, CUF, Introduction, p. xli-c (chap. ii: Le discours de Marinus ).31. Lire I. Hadot, Le Problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, p.23-24, note 31, p.31-32 (sur laff ectation de classicisme).

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    soient paens ou chrtiens comme lhistorien Agathias 32. Par ailleurs, lidenti-fi cation et linterprtation de ces code phrases dans des contextes singuliers peut susciter embarras et dsaccord, comme le montre lexemple dune occurrence dlicate de qui apparat dans les dernires lignes du Commentaire de Simplicius au Manuel dpictte, et sur laquelle nous nous arrterons un instant. Le contexte est le suivant. Simplicius, achevant son commentaire, se flicite davoir eu la possibilit dtudier les logoi dpictte alors que dans les circonstances prsentes , dit-il, svit la tyrannie. Il poursuit en expliquant quil va conclure en ajoutant une prire approprie , et quavec cette prire il mettra fi n son discours cest--dire son commentaire 33. Linterprtation de lexpression ... 34 a t loccasion dune divergence trs instructive entre Alan Cameron et Ilsetraut Hadot 35: le premier comprend la prire adapte aux circonstances (politiques et religieuses) prsentes (neutre ) et en tire des consquences, vrai dire inexactes, quant la datation du commentaire (entre 529 et 531) puisquil considre que

    32. I. Hadot renvoie Averil Cameron, Agathias, chap. viii: Classicism and aff ectation , p.75-88. Les exemples examins dans ce chapitre ne correspondent pas au type dexpressions que lon peut qualifi er de code phrases, mais dans le chapitre suivant (ix) Christian history in the classical manner , p.101 [et note 5] et p.102, Averil Cameron examine plusieurs des locutions allusives [ , , , , , ] releves chez Damascius, Simplicius, Agathias et quelle dcrit comme de prudents euphmismes, ou des termes obliques (I. Hadot doute ce propos quAgathias ait pu utiliser une source noplatonicienne, par ex. Damascius ou Simplicius, comme le pense aussi dans des analyses parallles A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.18-19 ; il me semble tout fait plausible quau moins partiellement une telle source noplatonicienne ait t utilise: voir DPhA, II, p.560). Il semble en dfi nitive diffi cile de tirer des analyses dAveril Cameron sur le style classique dAgathias et ses opinions religieuses (voit par ex. p.98 sq. propos de la dsignation abstraite de Dieu, ou du sens de la familiarit dAgathias avec Platon) des arguments contre la thorie des code phrases, quAveril Cameron elle-mme ne contredit pas (Agathias, p.101-102). Les code phrases dans les textes philosophiques noplatoniciens relvent certes stylistiquement de laff ectation de classicisme, mais prennent sens et se constituent en contexte. 33. Simplicius, In Epict. Ench., p.138, 15-20 Dbner = E, 1-5, p.454 Hadot1: , , . , (suit la prire fi nale elle-mme). A. Cameron ( Th e last days of the Academy at Athens , p.14 et 15) traduit ainsi ces lignes: Th is is the illustrative material () I have been able to collect for students of Epictetus. I myself was delighted to have the opportunity of writing a commentary on such a work at the present moment, a time of tyranny and crisis. I will conclude by adding a prayer appropriate to the prevailing circumstances ; cf. La fi n de lAcadmie , p.284.34. Simplicius, In Epict. Ench., p.138, 19-20 Dbner = E, 4-5, p.454 Hadot1.35. I. Hadot, Le Problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, p.34-36 ; ead., Simplicius. Commentaire sur le Manuel dpictte, p.8-20 (p. 13-16), lexamen du sens de ... entrant dans le cadre dune discussion beaucoup plus vaste sur la date de rdaction du Commentaire de Simplicius. Deux arguments produits par I. Hadot plaident en faveur de linterprtation quelle dfend: un parallle fourni par Simplicius, In Cat., p.120, 18 K. (en accord avec les discours prsents), et le fait que les prires fi nales des commentaires de Simplicius rcapitulent eff ectivement des thmes essentiels.

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    fait rfrence aux vnements de 529 et leurs suites 36. I. Hadot, quant elle, comprend scil. , la prire qui convient aux prsents discours cest--dire au commentaire lui-mme qui vient dtre produit et dont la prire est en quelque sorte un rsum rcapitulatif. Pour expliquer la phrase de Simplicius, Cameron a eff ectu un rapprochement trs clairant avec une expression comparable chez Olympiodore, dans une phrase signifi ant trs clairement (exposer une question: en loccurrence la doctrine des dmons personnels !) dune manire approprie aux circonstances prsentes , cest--dire en ayant soin de ne pas heurter la sensibilit des chrtiens 37. Un tel parallle confi rme son interprtation, condition videmment de ne pas surinterprter et de donner ces mots un sens assez gnral, sans en tirer dargument pour la datation du Commentaire de Simplicius les dmonstrations de Mme Hadot emportant sur ce point la conviction 38. Lon obtient un sens tout fait plausible: la prire en prose de Simplicius est approprie aux circonstances prsentes , non parce

    36. A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.13-15 (voir p.14 et note 1).37. Olympiodore, In Alc., 22, 14-15 Cr. (Westerink p.17), texte grec cit infra, p. 175, note 48. A.Cameron ( Th e last days of the Academy at Athens , p.15) traduit And this is what the commentators have to say about genii and guardian spirits ; we, however, shall try to give an inter-pretation adapted to the prevailing circumstances ( ) , et il commente: Olympiodorus means that he must be careful what he says about such a delicate subject or the Christian authorities will clamp down on him. is one of the code phrases [...] that these last pagans invariably used in preference to those hateful syllables . Dans la rfutation laquelle elle a soumis largumentation de Cameron, Mme Hadot na pas prt attention la phrase dOlympiodore, qui conduit pourtant une solution.38. Que ne soit pas une allusion prcise et limite la priode immdiatement postrieure ldit de 529 est une chose, et Mme Hadot a montr avec de nombreuses raisons la faiblesse de largument de Cameron (qui voulait attribuer le commentaire sur pictte aux annes 529-531), et lincertitude o lon est quant la date de la rdaction du commentaire (terminus post quem: 532, peut-tre au-del). On peut admettre que dsigne la situation gnrale de lEmpire chrtien, exactement au sens o Damascius, dans son tableau des ges de lHumanit, parle de la vie des hommes qui aujourdhui mnent leur existence dans le monde de la gnration sans autre prcision (Vie dIsidore, fr. 30-30a Zintzen), au sens galement o Simplicius lui-mme dcrit la dcadence culturelle, morale et matrielle de lEmpire ( , v. p.35, 34-44 Dbner = XIV. 25-33 Hadot1 [p. 257] = XIV. 32-42 Hadot2 [p. 78]), et o il voque juste avant la prire fi nale les prsentes circonstances tyranniques (p. 138, 17-19 Dbner = E 3-4 Hadot1 [p.454]: ... ). Ce sont des allusions claires et conver-gentes une situation historique envisage dans la dure, et Mme Hadot a tout fait raison de faire remarquer que les allusions de Simplicius peuvent sappliquer lensemble du rgne de Justinien sans plus de prcision. Le dOlympiodore constitue dailleurs lui aussi une allusion une situation gnrale, sans aucune implication chronologique prcise. Sur le texte de Simplicius, In Epicteti Enchiridion, p.35, 22-46 Dbner (XIV. 16-35 Hadot1 [p.256-257] = XIV. 19-44 Hadot2 [p. 77-78]), lire aussi la traduction et le commentaire donns par H. D.Saff rey, Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , p.426-429 [212-214]: cet article montre de faon prcise la cohrence entre le texte de Simplicius et celui de Damascius (Vie dIsidore, fr.30-30aZ.) mentionn plus haut. Voir aussi ldition de Marinus, Proclus ou sur le bonheur, CUF, p.136 note 8.

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    quil sagirait de baisser le ton par prudence (Cameron) 39, mais parce quelle demande au dieu linstauration de la Raison en nous, alors que ltat prsent des choses, cest--dire lEmpire chrtien, correspond la domination de la draison 40. Le sens ainsi propos correspondrait dailleurs, implicitement, aux argumentations parallles de Proclus (In Alcibiadem., 264, 4-265, 3 Cr.) et de Simplicius (In De caelo, p.370, 29-371, 4 H.) propos de la contradiction interne lme des chrtiens.

    Une rticence comparable sest exprime propos de notre texte de lIn Alcibiadem, 264, 6-8 Cr. Contre linterprtation gnralement admise (Alan Cameron, A.-Ph. Segonds, H. D. Saff rey) de ... comme se rfrant aux chrtiens, il a t object que la discussion mene dans le passage concern de lAlcibiade (les sont-ils capables denseigner quelque chose, en dehors du grec, ?) prsente naturellement plusieurs mentions de lexpression (110 e 1. 3 ; 111 a 5-6, b 11, d 4. 8, e 6 ; 112 a 1), et que lon doit voir dans le commentaire de Proclus simplement une reprise de cette dsignation platonicienne de lhumanit commune (mais signifi ant alors: tous les hommes en dehors de lcole de Proclus !) et non une allusion spcifi quement antichrtienne 41. Cest oublier un peu vite que pour les noplatoniciens, prcisment, les chrtiens constituent la socit dominante, et concident avec .

    On peut faire trois autres rponses ces objections. Tout dabord une rponse dordre thorique: laff ectation de classicisme entre elle-mme dans la stratgie de prudente allusion, car le choix stylistique sert lintention allusive dans des contextes spcifi ques. Dautre part, lexpression mprisante de , constitue prcisment, dans ces contextes, un regard platonicien jet sur la socit ambiante, apprhende travers les concepts dune anthropologie philosophique (opposition

    39. Voir A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.15-16, et la critique trs juste dI. Hadot, Le Problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, p.34-36 et note 9, et Simplicius. Commentaire sur le Manuel d'pictte, 1996, p.13-16 et note 22, qui montre lhomog-nit des prires en prose de Simplicius, et en donne la traduction. 40. En ce cas, le sens pourrait tre prcisment celui que Mme Hadot elle-mme a propos, comme une solution alternative, et quelle paraphrase ainsi: Dans les circonstances actuelles, au moment o tous les fondements traditionnels dune pense et dune action conformes la raison risquent dtre dtruits, les demandes que formule la prire qui suit, afi n dobtenir la droiture de la pense et de la conduite, sont bien leur place. (I. Hadot, Le Problme du noplatonisme alexandrin. Hirocls et Simplicius, p.35 = Simplicius. Commentaire sur le Manuel d'pictte, 1996, p.14). Mais il faut quand mme reconnatre quon ne peut tout faire exclure lautre interprtation ( scil. ). Il y a sans doute ici un non liquet irrductible.41. Helen S. Lang et A. D. Macro, On the Eternity of the World. De aeternitate mundi. Proclus, p.5-7: la mise en doute des allusions qui seraient portes par des code phrases ( Once the possibility of an encoded anti-Christian message is raised, how can we be confi dent of recovering, rather than intro-ducing, such a meaning into Proclus arguments ? ) se comprend dans le cadre de linterprtation du De aeternitate mundi comme une uvre interne au noplatonisme paen. Je remercie M. Pantelis Golitsis (Aristoteles Archiv, FU Berlin) davoir attir mon attention sur cette rfrence critique lgard des code phrases.

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    entre la masse inculte et les happy few philosophes, entre lopinion lie aux dsirs et la science des philosophes). Par ailleurs, on ne doit pas ngliger leff et probant de srie produit par le rapprochement avec les autres textes o lon rencontre soit lexpression soit des considrations anthropologiques qui dcrivent ltat dignorance et dimperfection de lhumanit commune ( nous ). Cest ce que montrera la suite de notre enqute.

    Nous avons en outre la chance de disposer de deux documents qui montrent que ce passage de Proclus (In Alc., 264, 6-8 Cr.) a bien t lu, dans lAntiquit tardive et au Moyen ge, comme contenant une allusion antichrtienne. Le tmoignage de ces lecteurs anciens est une confi rmation de poids, qui permet de trancher la question.

    Il semble en eff et que quelques gnrations plus tard le dveloppement de Proclus ait fait lobjet dune censure de la part du commentateur alexandrin Olympiodore (495/505-ca. 565) dans son propre commentaire lAlcibiade. Lorsque Olympiodore, qui est un professeur paen, reprend, en laltrant, le dveloppement de Proclus, dans son commentaire datable des alentours de 560 42 et conserv selon le procd de la reportatio 43, lattaque proclienne contre les chrtiens est remplace, sans aucun doute par prudence, par une critique beaucoup moins sulfureuse contre les dmocritens qui admettent lexistence du vide rejete par la physique noplatonicienne:

    Le signe de lignorance et du manque de science, cest le dsaccord non que ceux qui sont daccord les uns avec les autres soient ncessairement savants (cela est dit cause des disciples de Dmocrite qui sont daccord sur lexistence du vide et sont, pourtant, en manque de science: le vide, en eff et, nexiste pas) , mais parce que les savants sont daccord entre eux [...] 44

    Laff adissement du propos est ici manifeste et la substitution dun exemple lautre nest sans doute pas le fruit du hasard 45. On remarquera dailleurs quun

    42. Voir le raisonnement conduit par A. Cameron propos du passage sur les de lAcadmie, dans Th e last days of the Academy at Athens , p.11-12, 21 et 23 ; et la version brve, La fi n de lAcadmie , p.281-290 (en part. p.285-286). Et aussi: J. Glucker, Antiochus and the Late Academy, p.253-254 (et note 99), p.322-329 (en part. p.325-326) ; H. J. Blumenthal, 529 and its sequel: what happened to the Academy , p.369-385 ; A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, I, p. lxx et note 2.43. Le titre le dsigne comme ... . Prsentation gnrale du commentaire dOlympiodore par A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, I, p. lxix-civ (voir p. lxxi, note 2 sur le titre et la pluralit probable des reportatores).44. Olympiodore, In Alc., 92, 4-8 Creuzer: ( , [cf. fr. A 37-38. 40. 43. 44 etc. DK], ), . L. G. Westerink, Olympiodorus. Commentary on the First Alcibiades of Plato, p.61 ; trad. A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, II, p.428 (note 3 ad p.307).45. Voir L. G. Westerink, Th e Alexandrian commentators and the introductions to their commentaries , in R. Sorabji, Aristotle Transformed, chap. 14, p.334. Les diff rences entre les commentaires de Proclus et dOlympiodore sont dinterprtation dlicate, car (selon A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, I, p. lxxiv-lxxv), Olympiodore na pas utilis directement sinon

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    autre passage du commentaire dOlympiodore traitant de sujets sensibles, le dmon de Socrate et les dmons qui nous ont reus en partage ( [] ), exprime explicitement des impratifs de prudence dicts par son environnement: ayant la mmoire le sort de Socrate, Olympiodore se rsout dlivrer des interprtations qui soient appropries aux circonstances prsentes ( ), cest--dire qui ne heurtent pas ses auditeurs chrtiens, lexpression tant un exemple de code phrase, comme plus haut , pour dsigner ltat prsent des choses sous lEmpire chrtien. Les dmons , explique-t-il, sont en fait bien connus dans la pratique religieuse commune ( ) 46, qui est celle de la socit ambiante, cest--dire chrtienne, mais ils sont dsigns par un autre nom, celui d ange () 47. Aprs avoir mentionn la distinction entre les anges, les dmons, les hros (selon les Chaldens), puis rappel les doctrines de Platon et dOrphe sur rs, Olympiodore prend bien soin ensuite de dire quil sagit l de linterprtation des xgtes , cest--dire de ses prdcesseurs paens (sans doute Proclus et Damascius), et il distingue de ces doctrines paennes sa propre interprtation (le dmon personnel est la conscience , ) 48.

    sporadiquement le commentaire de Proclus, qui est gnralement trs dnatur et vid de ses aspects trop techniques (notamment mtaphysiques), le commentaire dOlympiodore tant dun niveau scientifi que nettement infrieur (or dans le cas qui nous occupe, lexpos de psychologie noplatonicienne qui sous-tend lallusion antichrtienne chez Proclus est dun grand degr de prcision scientifi que ). Segonds doute fortement quOlympiodore ait tudi de premire main le commentaire de Proclus: Malgr un examen dtaill de tous les passages parallles Proclus chez Olympiodore, nous navons pratiquement dcel aucun cho verbal ou rminiscence prcise ; quoi sajoutent de graves erreurs qui ne peuvent pas tre mises au compte du reportator dans les rares citations de Proclus. Olympiodore pourrait stre fond principalement sur un ensemble de notes prises (par lui-mme ou par un tudiant) au cours de Damascius, qui critiquait Proclus. Ltat du texte que nous connaissons est tributaire de deux phases doralit (le cours de Damascius, puis le cours dOlympiodore lui-mme devant des tudiants) et aussi des alas des rdactions (voir aussi infra, note 48 et, sur le rapport entre Damascius et Olympiodore, la notice Damascius = D3, dans DPhA, II, p.580). Il nen reste pas moins que la disparition de lallusion antichrtienne, intervenue au cours de ce processus indissociable des pratiques denseignement, a certainement d relever dune dmarche de prudence.46. Sur la signifi cation de dans ce passage ( pratique religieuse commune , religion populaire ), voir L. G. Westerink, Th e Alexandrian commentators and the introductions to their commentaries , in R. Sorabji, Aristotle Transformed, chap. 14, p.335.47. Olympiodore, In Alc., 21, 15-19 Creuzer (Westerink, d. cite, p.16): , , . , (les moines). . Cf. immdiatement avant dans le texte (21, 9-14 Cr.) la comparaison entre la dmonique entendue de Socrate seul, et les prsences angliques se manifestant aux moines ( ) sous le mode olfactif dun parfum dlicieux ( ).48. Olympiodore, In Alc., 22, 14-23, 2 Creuzer (Westerink, d. cite, p.17): . . ., Voil donc ce que les exgtes (scil. Proclus et peut-tre Damascius) disent au sujet des dmons qui

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    Ce paralllisme confi rme linterprtation propose du passage plus haut cit (Olympiodore, In Alc., 92, 4-8 Creuzer), cest--dire la censure infl ige par Olympiodore au texte de Proclus.

    Autre preuve, plus directe. Au niveau du dbut du texte de Proclus, In Alc., 264, 6 Cr., dans une marge du Neapolitanus gr. 339 [III. E. 17], sigle N), unique source de toute la tradition manuscrite de lIn Alcibiadem, on lit une rplique cinglante adresse Proclus: 49, , cest--dire ce ne sont l que des mensonges, insens ! 50. Daprs les informations donnes par les diteurs du texte, L. G. Westerink 51 et A.-Ph. Segonds 52, cette annotation est de premire main. Or le Neapolitanus a t copi, pour son propre usage rudit ou pour son enseignement, par une fi gure considrable de la philosophie Byzance: Georges Pachymre (1242-ca. 1310) 53, professeur Constantinople, qui lon doit aussi le Parisinus gr. 1810, recension personnelle de lIn Parmenidem de Proclus (sigle A) 54. Lallusion anti-chrtienne contenue dans lIn Alcibiadem

    ont reus en lot ; en ce qui nous concerne, nous nous eff orcerons dexposer la question dune manire approprie aux circonstances prsentes. De fait, Socrate a t condamn boire la cigu sous prtexte quil introduisait parmi les jeunes gens de nouvelles divinits et quil reconnaissait comme dieux des dieux que la Cit ne regardait pas comme dieux. Il faut donc dire que le dmon qui nous a reus en partage, cest la conscience [...] (trad. A. Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, I, p. lxxxviii, note 1). Cf. A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.15 ; et, propos du contexte de lenseignement dOlympiodore, L. G. Westerink, Th e Greek Commentaries on Platos Phaedo, vol. I: Olympiodorus, p.24-26. Sur ces textes dOlympiodore, voir aussi L. G.Westerink, Th e Alexandrian commentators and the introductions to their commentaries , in R. Sorabji, Aristotle Transformed, chap. 14, p.334-335 (et R. Sorabji, mme ouvrage, chap. 1, p.14).49. Pluriel correct de . Il nest sans doute pas ncessaire dinterprter comme lquivalent (avec erreur diotacisme) de = tu mens [, misrable] comme le suggre Segonds dans Proclus. Sur le Premier Alcibiade, II, p.429 (note 3 ad p.307).50. Traduction savoureuse de H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.558 [206]: Tout a, cest des mensonges, espce didiot. 51. Voir L. G. Westerink, Proclus Diadochus. Commentary on the First Alcibiades of Plato, p.121 (apparat critique), cf. p. vii la notice du manuscrit: selon Westerink cette note appartient une srie dannotations de premire main, et elle nest pas due un scholiaste postrieur contrairement laffi rmation de Saff rey ( Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.558 [206]). Cette observation ma t confi rme par Pantelis Golitsis [Aristoteles Archiv, FU Berlin], que je remercie.52. A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, II, p.307 (apparat critique).53. Voir A.-Ph. Segonds, Proclus. Sur le Premier Alcibiade, I, p. cvii, cxi-cxii (description et classement des manuscrits) ; p. cxv-cxvii (sur Pachymre). Lidentifi cation de la main de Pachymre comme copiste du Neapolitanus est due D. Harlfi nger, qui la communique L. G. Westerink (lettre du 18fvrier 1976), et la mentionne dans son tude Autographa aus der Palaiologenzeit , p.43-50, spc. p.48 (rfrence aimablement signale par Pantelis Golitsis). Pour une bibliographie et une vue densemble sur les manuscrits de Pachymre et de son cercle (et sur les manuscrits ici mentionns), lire P. Golitsis, Copistes, lves et rudits: la production de manuscrits philosophiques autour de Georges Pachymre , p.157-170, avec une liste des manuscrits philosophiques de Pachymre et de son entourage, p.168-170 (et dix planches dans le volume B, p.759-768).54. C. Steel, Procli In Platonis Parmenidem Commentaria, I, Preface, p. x-xii (voir p. xi: [...] there are some radical editorial interventions in the fi rst book, such as [...] the suppression of some references to the pagan gods ) ; C. Luna et A.-Ph. Segonds, Proclus. Commentaire sur le Parmnide de Platon,

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    Un grief antichrtien chez Proclus : lignorance en thologie

    tait parfaitement comprhensible et faisait mouche, encore, pour un lecteur de Proclus, et un connaisseur du noplatonisme, aussi fi n que Pachymre 55.

    Pour complter ces remarques, on mentionnera deux exemples parallles dinterventions marginales du mme type, ragissant des allusions antichr-tiennes.

    Tout dabord, dans le manuscrit C de la Vita Procli de Marinus (Parisinus Coislinianus gr. 249 du xe sicle, le plus ancien tmoin manuscrit). Pour montrer combien Proclus tait cher () la Desse, Marinus raconte au chapitre 30 que lorsque la statue dAthna, jusqualors dresse dans le Parthnon, fut dplace par ceux qui vont jusqu branler ce que lon ne doit pas branler ([...] ) 56, Proclus vit alors apparatre en songe, sous la forme dune femme

    t.I, 1re partie: Introduction gnrale, p. cxvi-cxvii (le Paris. gr. 1810 prsente lIn Parmenidem dans une forme remanie qui constitue une recension rvise due Pachymre lui-mme ) et p.clvii-clxx (spc. clx-clxi, avec en note 3 une liste de manuscrits copis par Pachymre).55. Sur la fi gure de Pachymre dans la tradition des uvres de Proclus, lire lexpos synthtique de L. G. Westerink et H. D. Saff rey, Proclus. Th ologie platonicienne. Livre V, Introduction, chap. iii: Un chanon mconnu de la tradition proclienne: Georges Pachymre , p. lvii-lxix.56. Marinus, Proclus ou sur le bonheur, CUF, chap. 30, 1-11 (spc. 6-7), p.35-36. Lexpression est un proverbe: cf. CPG, Zenobius, I, 55, t. I, p.22 ; Apostolius, II, 3, t. II, p.265 ; CPG. Supplementum (K. Latte), I, p.33 (n 36) et p.64 inf. ; IV, p.239 (n 60) et p.258 (n 76). Voir aussi dautres emplois comparables de dans Diogenianus I, 25 = CPG, t. I, p.184 et dans Apost., XI, 44. 47. 49 = CPG, t. II, p.527 ; et W. Bhler, Zenobii Athoi proverbia. Volumen quartum, p.199-206 (spc. p.206, propos de , liste de proverbes comportant le verbe , dont ). Cette expression proverbiale est employe comme code phrase pour dsigner les chrtiens: H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.563 [211], n 19 ; H. D. Saff rey et L. G. Westerink, Proclus. Th ologie platonicienne, I, p. XXII-XXIII, note 5. Lire dans ldition Saff rey-Segonds-Luna de Marinus, p.165, la riche note 1 ad loc. p.36 ( laquelle on ajoutera une allusion au proverbe chez Simplicius, In De caelo, p.370, 23 Heiberg). Autre emploi de dans lIn Parmenidem, IV, 954, 13 Cousin (Steel II, p.156): , il est impie de renverser nimporte lequel des commandements divins : voir H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.559-560 [207-208], trad. de In Pmd., IV, 954, 1-20 C., et p.563 [211], n 18. Par ailleurs une phrase dlicate de la notice de Damascius dcrivant le fanatisme dHgias, Vie dIsidore, fr. 351 (Souda) p.287, 8-9 Zintzen (= 145 B Athanassiadi p.318, 16-17 = Asmus p.127) [...] [...] a t diversement comprise: Asmus (p. 127: er belebte auch sonst viele von den damals lngst eingegangenen Kulten wieder ) et aprs lui Athanassiadi (p. 319 et note 382: [he] restored many holy places which had been lying in ruins for a long time, with an enthusiasm which was more indiscreet than pious , ou [he] renewed many of the religious customs which had not been performed for a long time [...] ) interprtent lexpression comme signifi ant une restauration, tandis que Saff rey-Segonds-Luna dans Marinus. Proclus, p. xxvii-xxviii (et note 1) comprennent il bouleversa aussi beaucoup de coutumes tablies depuis trs longtemps, avec un zle plus inconsidr que pieux . Mais cette traduction semble ngliger le . Et H.D.Saff rey, dans la notice Hgias dAthnes (H 22) du DPhA, III, Paris, 2000, p.530-531, est plus proche dAsmus lorsquil crit, en faisant allusion aux mmes lignes de la Vita Isidori: Hgias tait un paen fanatique [...] Il mettait un zle outrancier conserver les cultes traditionnels de lAttique . Le commentaire paraphrastique donn par Alan Cameron ( Th e last days of the Academy at Athens , p.21), est contre-sens ( Hegias ill-judged display of paganism stirred up hostility that had long been lying dormant ). Pourrait-on

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    de belle apparence ( ), la Desse qui lui exprima son dsir de venir habiter chez lui. Face ce passage le copiste un rudit anonyme amateur de textes de rhtorique, dont la main se retrouve dans le Vaticanus graecus 1298 dlius Aristide 57 a reconnu lallusion exprime sous forme proverbiale et il a crit en marge du folio 71v: , il me semble quil fait allusion nous, les chrtiens 58 .

    De mme, dans le manuscrit C de lIn Timaeum, Parisinus Coislinianus gr.322 (xie-xiie sicle) 59, en face dun passage trs violent o Proclus attribue la terrible impit ( ) des chrtiens le dpeuplement de lAttique 60, un scholiaste a rpliqu en inscrivant cette note en marge du folio

    envisager que signifi e: il changea (il modifi a ou il bouleversa ) alors quil voulait les revivifi er () des institutions, ou des pratiques, paennes, tablies () depuis trs longtemps jusqualors ? Ici le propos de Damascius, par ailleurs critique envers Hgias et son intrt exclusif pour la thurgie (cf. Vita Isidori, 221 et 227 [Photius] Zintzen p.284 et 292 = 145 A et 150 Athanassiadi p.318-319 et p.326-327) est probablement dune ambigut venimeuse: la restauration fanatique des cultes, qui ne procde pas dune authentique pit, mais de lemporte-ment tmraire, introduit plutt du bouleversement do lemploi du verbe , qui est connot ngativement. Par rapport la pit du vritable philosophe (), Hgias est un exemple d au sens aristotlicien du terme et ce trait ngatif qualifi e ici le thurge mili-tant. Sur la position propre de Damascius, voir DPhA, II, p.567 et p.573-574: Damascius voulait promouvoir une synthse quilibre de la philosophie et de la thurgie.57. N. G. Wilson (Scholars of Byzantium, p.140) souligne limportance de ces deux manuscrits dans lhistoire intellectuelle byzantine de la seconde moiti du xe sicle, et la valeur philologique du Coislinianus ( For all these writings [i. e. des uvres de Lysias, schine, Gorgias, Synsius, Marinus] it is the earliest witness ). De toute vidence ces deux manuscrits sont le fruit dun rassemblement intentionnel de textes de rhtorique par un rudit. Wilson se demande: Yet one would like to know more about a man who wished to read the biography of a Neoplatonist of openly pagan views. Certes, mais ce que lon nomme improprement Vie de Proclus nest pas vritablement une biographie: cest un loge funbre, qui est une espce du discours pidictique (sur le genre littraire, la structure et les topoi de cet loge, lire la prcieuse introduction de Saff rey-Segonds-Luna, Marinus. Proclus ou sur le bonheur, p. xli-lxix et xcviii-c [fi dlit au modle rhtorique de lloge et intgration ce modle de la classifi cation noplatonicienne des vertus]). La prsence du Proclus de Marinus dans le Coislinianus na donc rien que de trs normal, et est conforme au genre littraire rhtorique, parfaitement compris dun rudit byzantin manifestement comptent en ce domaine.58. Marinus, Proclus, CUF, p.47 (scholia vetera) et p.165 (note 1 ad 30. 6-7, p.36).59. Diehl, vol. I, p. v ; catalogue de R. Devreesse, Le Fonds Coislin, p.309.60. Proclus, In Timaeum, I, p.122, 7-12 Diehl ; Festugire, I, p.167-168: [...] les destructions les plus graves se font par le feu et leau. Cependant, pourrait-on dire, la race humaine pourrait disparatre aussi dune autre manire. Il ny a plus aujourdhui, par exemple, dhabitants dans ce lieu-ci de lAttique (i. e. Athnes), bien quil ne se soit produit ni dluge () ni confl agration (), mais parce quune horrible impit anantit compltement la race des hommes ( ) ; voir aussi p.168, note 1 (sur lallusion antichrtienne et la scholie ad loc. dans le manuscrit C). Une exagration comparable sexprime chez Simplicius, In Epicteti Enchiridion, p.35, 22-46 Dbner (XIV. 16-35 Hadot1 [p. 256-257] = XIV. 19-44 Hadot2 [p. 77-78]): plus grave encore que les catastrophes naturelles est lanantissement prsent de la culture, de la philosophie, des arts, des sciences (voir supra, p. 172, note 38). Dans le texte de Simplicius, XIV. 21 Hadot1 = XIV. 26 Hadot2, le parallle avec Proclus (qui mentionne supra et ) plaide en faveur de la conjecture de Schweighuser (), contre la leon des manuscrits () dont le sens est moins satisfaisant: il sagit dune liste de catastrophes naturelles (tremblements de terre, dluge, confl agration par le feu), et

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    Un grief antichrtien chez Proclus : lignorance en thologie

    88r: , , cest vous qui tes tout fait impies, nous, la race des chrtiens, nous sommes inspirs par Dieu et remplis de pit 61 .

    La rplique de Pachymre Proclus nest donc pas un cas isol.Nous pouvons tirer une conclusion de ces diff rentes observations. La

    confi rmation donne par les deux ractions dOlympiodore et de Pachymre au texte de Proclus, le rapprochement trs troit avec le passage parallle de Simplicius (In De caelo, p.370, 29-371, 4 H.) qui est explicitement antichrtien

    (quI.Hadot est oblige de traduire en lui donnant le sens trs rare de naufrage ) nentre pas dans ce champ smantique. Sur lide selon laquelle les catastrophes les plus graves sont dues au feu et leau (Time, 22 c 1-2, d 1-e 2), lire aussi Proclus, In Timaeum, I, p.106, 31-107, 25 Diehl (in fi ne lignes 22-24: cf. Simplicius XIV. 21 Hadot1 = XIV. 26 Hadot2) = Festugire, I, p.150 ; et la suite du texte, sur le mythe de Phaton. Un autre passage de Proclus, In Timaeum, III, p.89, 23-27 Diehl (Festugire, IV, p.117) explique que labandon des cultes traditionnels a produit une inversion de lordre naturel: Et aussi longtemps que ces dieux (scil. les dieux du Temps, auxquels la tradition des Oracles chaldaques rend un culte) furent honors, il y eut pour les hommes les bienfaits qui rsultent des priodes, tant des saisonnires que des autres ; mais une fois quils ont t ngligs, toute la condition de toutes les productions terrestres a contrevenu lordre naturel (... , ) ; voir H.Lewy, Chaldaean Oracles and Th eurgy, p.251 et note 88.61. Ed. Diehl, vol. I, p. v, note 3 et p.463, 10-11 ; Festugire, I, p.168, note 1 ; H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.560-561 [208-209]. Rappelons pour fi nir quun commentaire marginal du mme type a t inscrit, dans un manuscrit du Discours II de Libanios, Rponse ceux qui lavaient appel arrogant manifeste du parti paen Antioche, selon lexpression de Jean Martin, compos en 380 ou 381. Le manuscrit est le Vaticanus Chisianus R VI 43 (gr. 35) [sigle C] xe-xie sicle pour la partie ancienne. En face dun passage (59, p.77, 19-22M.) dans lequel le rhteur dAntioche caricature les runions et les liturgies des chrtiens, prsentes comme des banquets remplis de beuveries et de dsordres divers, et o lon clbre par des chants non plus les dieux, mais les responsables des malheurs du temps prsent ([...] ), cest--dire le Christ et peut-tre aussi Dieu lui-mme, les aptres, les martyrs (voir supra, note 15), les saints, lannotateur byzantin sindigne et crit , cest--dire il insulte les premiers chrtiens (le choix du verbe rpondant dailleurs lune des accusations lances dans ce 59 par Libanios, qui affi rme que dans les banquets des chrtiens il y a ). Cette note trs intressante est dite par Foerster, vol. I, p.258, 6 (note ad loc.) ; A.-J. Festugire, Antioche paenne et chrtienne. Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, p.236-237 (p. 237 et note 4) ; et J. Martin, Libanios. Discours, t.II (Discours II-X), p.272 (note ad Or. II. 59) ; voir aussi H. D. Saff rey, Le thme du malheur des temps chez les derniers philosophes noplatoniciens , p.421 [207-208]. Selon Martin (t.II, p.272) elle est de la main de Jean Chortasmnos (ca. 1370-1431), fi gure majeure de lhumanisme byzantin lpoque des Palologues, qui fut notamment notaire patriarcal entre 1391 et ca. 1415, Constantinople, matre de personnages minents au xve sicle comme Marc Eugnikos, Georges Scholarios et Bessarion. Lattribution de la note Chortasmnos est mentionne par Saff rey, ibid., p.421 [207-208]. Le Discours II de Libanios occupe les folios 72-77 du Chisianus (dont on trouvera une description approfondie dans J. Martin et P. Petit, Libanios. Discours, t. I, p.41-51, spc. p.50-51 sur les interventions de Jean Chortasmnos [= main s dans la partie ancienne dums. C ?] ; voir aussi t. II, p.13-17). Sur Chortasmnos, voir H. Hunger, E. Gamillscheg, D. Harlfi nger et P. Eleuteri, les notices du Repertorium der griechischen Kopisten. 800-1600, 1 (Grobritannien), 191 ; 2 (Frankreich), 252 ; et 3 (Rom mit dem Vatikan), 315 (qui signale comme tant de Chortasmnos les marginalia des folios 194v-195). Un contrle palographique devrait tre eff ectu pour sassurer de lidentifi cation propose ici pour le scripteur de la note ad Or. II. 59.

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    et qui dveloppe exactement le mme type dargument que Proclus 62, et leff et de srie produit par lensemble des textes que nous examinons dans cette tude, conduisent rejeter trs fermement la position sceptique dveloppe nagure par Helen S. Lang et A. D. Macro dans lIntroduction de leur livre sur le De aeternitate mundi de Proclus 63. Le texte de Proclus, In Alcibiadem, 264, 4-265, 3 Creuzer est sans aucun doute possible comme lavaient bien vu H. D. Saff rey et A.-Ph. Segonds un texte polmique qui exprime le regard platonicien jet par le philosophe sur ses contemporains chrtiens, dcrits comme des mes injustes et ignorantes dchires par une dissension intime ().

    Nous pouvons maintenant poursuivre lenqute, et prciser les manifestations de cette ignorance, qui est une ignorance en philosophie et en thologie, assez comprhensible de la part de la masse des : parce que leurs mes sont en proie l et l, les chrtiens mconnaissent la structure de la Ralit, telle que lenseigne le noplatonisme (et Proclus lui-mme !), et ils introduisent en elle une redoutable confusion .

    Les chrtiens confondent la hirarchie des ralits et ignorent la distinction de ltre et du Devenir, de lternit et du Temps

    Un passage du Commentaire sur le Time, signal par H. D. Saff rey, permet de prciser les accusations de Proclus. Les chrtiens, cest--dire, en langage platonicien, la foule, le vulgaire ( ), ignorent les distinctions fondamentales entre ltre et le Devenir, lternit et le Temps. Mais surtout leur monothisme ne connat que le Dieu crateur et providentiel, et ignore la hirarchie de tous les dieux qui se range de faon ordonne depuis lUn-Bien cause premire absolument transcendante, jusquau Dmiurge. En quelque sorte, ils ignorent toutes les classes divines (hnades, Intelligibles, Intelligibles-intellectifs, Intellectifs, hypercosmiques, encosmiques) qui constituent une organisation dans laquelle le Dieu crateur, cest--dire le Dmiurge, occupe une place trs loigne de celle du Premier principe, puisquil est un Intellect intellectif qui se situe au dernier niveau des Intellectifs. La simplicit de la doctrine chrtienne est le refl et dune radicale ignorance thologique.

    Le texte examiner se trouve dans le livre IV du Commentaire 64. Expliquant Time 37 e 4 38 a 1 (lemme: , ) 65, Proclus rend compte du dtail de la phrase de Platon, 62. Cf. supra, p. 166-168 et notes 15-20.63. H. S. Lang et A. D. Macro, On the Eternity of the World. De aeternitate mundi. Proclus, p.5 (et note 15), p.6.64. Proclus, In Timaeum, III, p. 41, 25-44, 25 Diehl (trad. Festugire, IV, p.62-65).65. Rappelons tout le passage (Time 37 e 3 38 a 2): Tout cela (i. e. les jours, les nuits, les mois, les annes), ce sont des divisions du temps, et les expressions il tait, il sera, ne sont que des modalits

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    et explique en quoi le langage humain ordinaire commet une grave erreur en appliquant lEssence intelligible ternelle (cest--dire aux Dieux intelligibles), dont le Monde est une image, les modalits de la tripartition temporelle. Platon opre une purifi cation de lusage des mots ( ... ), dans la perspective du discours denseignement qui met en uvre une anamnse 66: [...] comme il voyait que les hommes ne pensent ni ne disent rien de juste ce sujet, Platon remonte la notion vritable des choses, tout en purifi ant fond lusage des mots que le matre est bien oblig demployer pour produire des ressouvenirs dans les esprits des disciples bien ns 67. Proclus insiste sur le fait quen dpit de lusage de la premire personne du pluriel (qui semble compter Platon lui-mme au nombre des hommes qui commettent une impr-cision, et attnuer par l le reproche), lexpression ( .) est en ralit une accusation grave ( ), elle est empreinte d une virulence cre et blessante ( ) 68. Que signifi e cette interprtation dramatique de Proclus ? Pour Proclus, la question nest pas seulement dordre smantique, elle ne concerne pas seulement l du discours thologique et du discours denseignement. La faute smantique est une impit car ce sont les Dieux intelligibles et ternels eux-mmes qui sont off enss par lincorrection dun langage qui les temporalise. Puisqu lEssence ternelle ne convient que le , les hommes, en lui appliquant la tripartition temporelle du tait , du est et du sera , mconnaissent la diff rence du Temps davec lternit, ils parlent improprement des Dieux intelligibles: par l, ils sopposent aux dcisions du Dmiurge et sinsurgent contre Lui, tels les Gants en guerre contre le Ciel. Lenjeu de la prcision scientifi que apporte par Platon se rvle tre dordre proprement religieux. Parler de faon imprcise, non scientifi que, de lternit, cest se rendre coupable de lhybris des Gants, et les mots impropres sont comme des projectiles lancs contre les Dieux:

    du temps, qui sont venues ltre ; et cest videmment sans rfl chir que nous les appliquons ltre qui est ternel, de faon impropre. Certes, nous disons qu il tait, quil est, qu il sera, mais, parler vrai, seule lexpression il est sapplique ltre qui est ternel. En revanche, les expressions il tait et il sera, cest ce qui devient en progressant dans le temps quil sied de les appliquer, car ces deux expressions dsignent des mouvements. (trad. L. Brisson)66. Une description prcise de leff et de rminiscence produit par le discours denseignement se lit chez Simplicius, In Cat., p.12, 13-13, 11 K.: voir Ph. Hoff mann, Catgories et langage selon Simplicius La question du skopos du trait aristotlicien des Catgories , in I. Hadot (d.), Simplicius: sa vie, son uvre, sa survie, p.83-89.67. Proclus, In Tim., III, p.42, 1-6 Diehl: , , . Trad. Festugire, IV, p.62. Sur lanamnse produite par le discours denseignement, voir la note prcdente. Sur lattitude de Platon face au langage et sa recherche de l, voir les quelques rfrences donnes dans Ph. Hoff mann, Sur quelques aspects de la polmique de Simplicius contre Jean Philopon: de linvective la raffi rmation de la transcendance du Ciel , p.212-213, mais la recherche demanderait tre reprise et largie.68. Voir Proclus, In Tim., III, p.42, 7-8 et 10-11 Diehl.

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    Ces modalits en eff et que le Dmiurge a dparties aux ralits dernires cause de leur impuissance recevoir lembrassement plus auguste de lternit, si les hommes savisent de les appliquer aux tres immobiles dans lternit, par ce langage contraire au vouloir et au pouvoir de laction cratrice du Dmiurge ils entreprennent une sorte de guerre des Gants, cherchant tout juste lancer rochers et chnes contre le Ciel 69.

    Aprs avoir expliqu pourquoi le tait et le sera ne sappliquent pas aux intelligibles, et en quel sens il faut employer leur propos un est purifi de toute temporalit (un prsent pur et ternel: , le seulement est ) 70, Proclus propose une explication de type platonicien. Le verbe employ dans le texte de Platon (37 e 5) suggre que lerreur commise par les hommes est le rsultat gnral de loubli () caus par la chute des mes et leur incorporation:

    Do est-il donc venu aux hommes quils commettent une si vaste erreur et appliquent aux Dieux Intelligibles ce qui ne leur convient nullement ? La cause gnrale est loubli () 71 des choses divines qui a rsult pour nous de la perte des ailes 72, de la chute, de lassociation avec les corps prissables. Aussi Platon a-t-il dit lui-mme: notre insu () nous rapportons incorrectement lessence ternelle [...] 73

    Cette analyse aura quelques annes plus tard un cho dans le texte o Damascius dcrit ses contemporains chrtiens comme vivant dans le monde de la gnration 74, le rgime politique romain se voyant assigner une place dans lordre du cosmos: au plus bas dans la procession de la ralit partir des Principes, le domaine sublunaire qui est spar de la substance cleste et plus encore du royaume des Formes, est le lieu o vivent les mes oublieuses et ignorantes.

    Dune telle erreur les Th urges sont exempts, ils connaissent mme une hirarchie trs diff rencie des cinq types de Temps: , , archanglique,

    69. In Tim., III, p.42, 11-16 D.: , , , . Festugire, IV, p.62.70. In Tim., III, p.42, 16-43, 4 D. (Festugire, IV, p.63).71. Le thme de loubli () vient de Platon, par ex. Phdre, 248 c 7, 250 a 4 ; Rp., X, 621 a 2-b 1 (les mes dans la plaine du Lth, et au bord du fl euve Amls). Il est dvelopp dans le noplatonisme, la littrature gnostique et hermtique, ainsi que dans les Oracles chaldaques (OC 109, v.2 ; cf. OC171): nombreuses rfrences rassembles par H. Lewy, Chaldaean Oracles and Th eurgy, p.190-191, note 53 (voir aussi p.493). Voir le dveloppement important de Proclus, In Alc. 189, 4 sq., spc. 189, 5-6 et 8. 13 (II, p.249 Segonds) et les notes 3 et 5 ad loc., p.396-397 (qui compltent les rfrences donnes par Lewy). Selon Marinus, Proclus ou sur le bonheur, 4. 9 et 5. 1-11, Proclus lui-mme tait et , et le seul sembler navoir jamais bu la coupe de loubli ( ).72. : Platon, Phdre, 248 c 8.73. In Tim., III, p.43, 4-10 D.: ; .74. Damascius, Vie dIsidore, fr. 30 et 30a Zintzen (p. 31, lignes 5-7). Voir supra, p. 162-163.

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    archique , fontanen , au-dessus desquels se trouve la Desse fontanenne ( ), Rha-Hcate 75. la science parfaite des Th urges, rvle dans les Oracles chaldaques, mais aussi la doctrine scientifi que du Temps et de lternit quil dveloppe mthodiquement au cours de son Commentaire Time 37 c 6-38 c 3 76, Proclus oppose la redoutable confusion ( ) introduite dans lordre du Rel par le vulgaire ( ), cest--dire les chrtiens. Leur ignorance de lordre du Rel, cest--dire de la thologie, est attentatoire cet ordre mme: la est une . Trois motifs de disqualifi cation radicale sentrelacent: lignorance scientifi que (au sens de lignorance en thologie), la dfaillance thique, et limpit lgard de lordre divin du monde et de sa strictement hirarchise. Lon comprend rtrospectivement le sens profond de lallusion lhybris des Gants. Ce nouveau dveloppement, qui clt ltude du lemme, fait se succder: lallusion anti-chrtienne (p. 44, 2-6 D.) ; une explication platonicienne de lerreur commise par les , cest--dire de la confusion () entre sensible et intelligible, Temps et ternit, qui est due la similitude () entre ces niveaux de ralit, conformment la loi de la procession (p. 44, 6-14 D.) ; une description du mcanisme langagier par lequel nous (i. e. nous les hommes) transposons indment ltre des termes qui ne sappliquent pas lui (p. 44, 14-18 D.) ; une sorte dhymne fi nal rcapitulant les traits par lesquels se dfi nit ltre vritablement existant, intelligible et ternel, dont la ralit est mconnue par les chrtiens (p. 44, 18-25 D.).

    Lisons en entier ce texte 77:Mais le vulgaire ( ) mle et confond () de bien des manires les constitutions diff rentes des ralits, parce quil ne distingue pas ce qui convient ici aux tres, l aux choses devenues, et cest principalement lignorance () touchant lternit et le Temps qui

    75. Proclus, In Tim., III, p.43, 10-20 D. (Festugire, IV, p.63, p.64 et note 1: tableau des cinq Temps chaldaques). Voir H. Seng, , , . Drei Begriff e chaldaeischer Kosmologie und ihr Fortleben, p.81 sq., et surtout p.91.76. Proclus, In Tim., III, p.1, 4-52, 33 D. (Festugire, IV, p.17-74): il sagit du 8e don du Dmiurge au Monde.77. Proclus, In Tim., III, p.44, 2-25 D. (Festugire, IV, p.64-65): (1) , , . (2) , ( inseruit Diehl, recte) . . (3) , , , , , (4) , , , , , .

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    Philippe Hoff mann

    produit ce monstre de confusion ( ) 78 et de violation des lois () 79. Y contribue aussi quelque peu la ressemblance quil y a entre les deux ordres de choses. Car, sans doute, les derniers tres ne dpendent pas directement des tout premiers, mais les intermdiaires dpendent des premiers et font procession en ressemblant aux premiers 80, et

    78. Cf. Proclus, In Remp., I, p.73, 30-74, 9 Kroll (conclusion dun dveloppement sur les reproches adresss Homre et aux potes), trad. Festugire, I, p.92: Tels sont, je pense, les reproches de Socrate et aux aff abulations dHomre et aux autres potes, et il se peut bien que quelque autre ait lanc accusations pareilles, dans son dgot des monstruosits apparentes de lexpression ( ... ). Et, bien sr, cest au plus haut point que nos contemporains ( ) ont coutume de blmer les anciens mythes, comme ayant t cause dune extrme licence dans les opinions sur les dieux, dun grand nombre dimaginations hors de place et coupables, et comme nayant eu dautre rsultat que de pousser le vulgaire au terrible dsordre actuel o sont bouleverss les plus saints dcrets ( ... ... ) . Festugire signale ad loc. lallusion aux chrtiens. Pour Proclus, les sont suprieurs aux (sur la , voir la note suivante), car ce sont les lois les plus vnrables, qui expriment lordre voulu par les dieux eux-mmes (voir les rf. donnes dans Saff rey-Segonds-Luna, Marinus. Proclus ou sur le bonheur, p.79, note 12 ad 6. 14 p.8 ; cf. 15. 23-24, 19. 16-17 ). Le mot apparat aussi dans lIn Parmenidem, IV, 954, 1-2 C. (Steel, II, p.155) pour dsigner le renversement de la pit traditionnelle ( ), et il est reli au thme du bouleversement de linnovation ( ): voir H.D.Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.559-560 [207-208], qui traduit tout le passage In Parmenidem, IV, 954, 1-15 C. (Steel, II, p.155-156), et souligne le lien entre limputation de et un autre thme: les chrtiens branlent ce qui ne doit pas tre branl , (cf. Marinus, Proclus ou sur le bonheur, 30. 6-7 loccasion du dplacement de la statue dAthna dresse dans le Parthnon: voir supra, p. 177 et note 56). Lemploi de ladjectif () doit tre inspir par le platonicien de Parmnide 134 c 4 qui fi gure au dbut du lemme de Proclus, In Parmenidem, IV, 951, 16 sq. C.(Steel, II, p.152 sq.) et est comment par lui.79. Pour traduire , je prfre violation des lois dsordre (Festugire, IV, p.65, suivi par H. D. Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.558 [206] et p.563 [211], n 12). Il y a dans les expressions codes noplatoniciennes une opposition forte entre et (voir A. Cameron, Th e last days of the Academy at Athens , p.16), composs dans lesquels dsigne les coutumes religieuses traditionnelles de la Cit. Cf. Saff rey-Segonds-Luna, Marinus. Proclus ou sur le bonheur, 15. 16-17 (p. 18) [...] alors que des vents Typhoniens souffl aient contre la manire de vivre conforme la loi [...] ( ): les vents Typhoniens, cest--dire les chrtiens (H. D.Saff rey, Allusions antichrtiennes chez Proclus, le diadoque platonicien , p.555 [203] et note 11, et p.563 [211], no10, et Marinus, d. CUF, p.117, note 3 sur Typhe-Typhon), sen prennent ceux qui, comme Proclus, mnent une vie conforme aux traditions religieuses paennes de la Cit (voir mme dition, p.117-118, la note 4 ad p.18 sur ). Manifestation concrte de .80. Voir Proclus, lments de thologie, Proposition 28 ( , Tout producteur fait venir ltre des produits semblables lui-mme avant [de faire venir ltre] des produits dissemblables) et Proposition 29 ( , Toute procession seff ectue grce la ressemblance des ralits secondaires avec les ralits premires), et les dmonstrations correspondantes. Cf. Proposition 7 (sur la supriorit du producteur sur le produit) et aussi Proposition 18. Le thorme selon lequel la procession seff ectue par similitude est aussi dmontr dans la Th ologie platonicienne, III, 2, p.6, 14-7, 27 S.-W. et notes p.107-109 (cest la premire des quatre propositions pralables, , poses en tte de lexpos scientifi que sur les hnades). La mconnaissance de cette loi de la proces-sion, enseigne par la science thologique, conduit confondre le produit et le producteur, donc se mprendre sur le statut du Devenir (qui nest quun semblable ltre) et mconnatre sa diff rence avec ltre.

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    Un grief antichrtien chez Proclus : lignorance en thologie

    ainsi ils se prsentent sous le vtement () 81 dune copie. Or, si lon nest pas averti, les ressemblances ont un prodigieux pouvoir pour conduire des arguments fallacieux 82, faire passer frauduleusement dun ordre de ralits un autre, persuader de sattacher aux copies comme si ctait les modles et destimer que lessence primordiale nest pas autre chose que ce qui est en fait son image visible 83. Comme nous voyons donc ici un mlange de ltre et du Non-tre, et une prdominance 84 tantt de ltre, quand nous disons que la chose est, tantt du Non-tre, quand nous prononons son sujet les mots tait et sera, nous transportons aussi ces modalits lordre ternel des tres, o rien ni ne scoule ni ne doit venir ni, de faon gnrale, ne change, o il ny a ni procession de Temps ni mme trace fugitive de ce qui comporte une ngation, mais essence vritable, ltre rellement existant, toujours uniforme, subsistant entirement dans le maintenant et impliquant ds prsent et tout la fois son terme, et qui nest jamais comme une qualit dans un sujet, qui ne peut jamais sidentifi er avec laccident dun substrat, puisque le bien tre ( ) ne diff re pas

    81. Ce verbe est employ par Aristote, Mtaphysique 2, 1004 b 17-26, dans une comparaison entre sophistique, dialectique et philosophie: [...] les dialecticiens et les sophistes revtent la mme appa-rence que le philosophe ( [...] ) ; car la sophistique a seulement un semblant de sagesse, et les dialecticiens discutent de toutes choses, et ltre est commun toutes ; mais ils discutent de ces matires videmment parce quelles rentrent dans le domaine propre de la philosophie. Sophistique et dialectique traitent en eff et le mme genre de ralits que la philosophie, mais celle-ci diff re de la dialectique par la nature de sa capacit ( ), et de la sophistique par le choix du genre de vie ( ). La dialectique est purement critique () l o la philosophie fait connatre positivement (). Quant la sophistique, elle a lapparence de la philosophie, mais elle nest pas la philosophie (traduction I.Hadot [voir infra], modifi e). Le verbe apparat ailleurs dans les textes noplatoniciens, propos par exemple des disciplines qui prennent lapparence de la dmonstration dans le classement de la logique. Voir Simplicius, In Cat., p.4, 31 K. ; Elias, In Cat., p.115, 21 et p.116, 30. 34 Busse [sur lattribution Elias, voir le DPhA, III, p.58-65]. Cf. I. Hadot et al., Simplicius. Commentaire sur les Catgories. Fascicule I, p.11, p.78 et note 66 ; Index, p.237-238, no152.82. Renvoi Aristote, Rfutations Sophistiques, par exemple: 1, 164 a 23-b 27 (cf. 165 a 19-24) ; 4, spc. 166 b 10-19 ; 5, 167 a 4-6 ; 6, 168 a 23-26 ; 7, 169 a 29-30 sq. et 169 b 1-2 ( , ) ; 8, 170 a 15.83. La faute mtaphysi