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Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

PARTIE II.

UN MODELE EMERGENT : LA VILLE DURABLE

Nombreux sont les auteurs qui ont diagnostiqué la fin des modèles urbains . La diversité l'emporte

et les tentatives de définition a priori des morphologies urbaines, de l'organisation générale de la

ville, semblent relever d'un dirigisme qui n'a plus cours . Le modèle proposé ici, en voie de

constitution, se démarque des modèles antérieurs en ce qu'il est spécifique à chaque lieu, ville,

collectivité humaine . Deux traits conditionnent en effet sa mise en oeuvre: l'organisation d'un

débat démocratique et d'une participation de la société civile tout au long de l'évolution du projet,

et la connaissance approfondie des situations locales que l'on tente de faire évoluer vers la

durabilité.

Vers un autre modèle organisationnel

La durabilité est recherchée à toutes les échelles, locale, régionale, globale, en bousculant notre

vision hiérarchisée de l'espace . L'hypothèse que nous défendons ici est qu'il est possible de traiter

des questions de durabilité globale au niveau local (collectivités locales, individus) et qu'il est

d'autre part impossible de traiter ces mêmes questions sans les poser au niveau local . Différents

arguments appuient cette hypothèse:

(1) Dans un premier temps, dans des sociétés démocratiques et individualistes, le citoyen,

l'individu, doivent être associés à la décision . Le développement durable ne peut être décrété par

quelques experts ou hommes politiques . La culture du développement durable ne peut pas

s'imposer comme la culture républicaine s'est imposée . Elle introduit au contraire une

déhiérarchisation du pouvoir politique, porte des valeurs telles que la diversité, la créativité, la

participation, le pluralisme, et ne repose pas sur un ordre fixe, descendant, régi par paliers

administratifs .

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(2) L'économie globale fonctionne par réseaux souples en évolution constante . II est difficile

d'agir globalement sur un réseau . En revanche, il est possible d'agir localement car le réseau est le

produit de l'interaction globale de ses composants locaux . Le développement, les modes de

consommation, les pratiques et comportements se jouent aussi à l'échelle locale, et il existe là des

marges de manoeuvre. Il semble difficile de réorienter l'économie mondiale globalement sans

générer des situations de grande instabilité, mais l'économie peut évoluer si les gestes quotidiens

changent, si une infinité de petites impulsions traduit le refus de consommations qui détruisent

l'environnement, l'équité sociale et comportent trop de risques vis-à-vis des générations futures.

L'action locale modifie insensiblement une situation globale, mais sensiblement si elle est répétée

(exemple de la consommation de produits de l'agriculture biologique) . Elle a aussi une valeur

d'exemplarité et d'entraînement. Enfin, il paraît plus raisonnable d'agir en direction du

consommateur, de la demande, plutôt qu'en direction de l'entreprise, de l'offre, car on peut

imposer une norme à une entreprise mais difficilement lui insuffler l'esprit du développement

durable. La norme est contournable, la demande est incontournable . L'attitude des

consommateurs est susceptible d'évoluer, à supposer que de réelles campagnes de sensibilisation

et d'information soient mises en oeuvre, tandis que celle des entreprises est soumise à un certain

type de concurrence . La pression de la demande est peut-être plus efficace que celle des pouvoirs

publics, dans ce cas.

(3) Le développement durable est d'autre part trop complexe pour pouvoir être appliqué

globalement et il ne peut être déterritorialisé 161 Ce développement considère en effet le contexte

géographique, culturel, qu'il valorise et auquel il s'adapte . II s'applique dans un premier temps à

l'échelon local et régional, avec une vision globale, avant de gagner éventuellement d'autres

lieux, d'autres échelles. Si le développement durable est un horizon global, sa mise en oeuvre est

locale, car elle respecte les différentes cultures, les spécificités et la diversité locale . On peut se

doter d'objectifs de développement durable à tous les échelons mais la réalisation de ces objectifs

est modulée, réorientée, réinterprétée par les niveaux sous-jacents . Un développement durable

peut être mis en oeuvre globalement au terme de démarches ascendantes, diversifiées.

161 Sauf pour des questions très ciblées .

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(4) Le développement durable est principalement à nos yeux une démarche éthique . Il ne s'agit

pas de développer un savoir, une technique, mais bien une vision du monde, qui, si elle n'est pas

partagée par les habitants, a peu d'avenir . L'Etat peut imposer quelques normes, à bon droit . Mais

quelques normes ne font pas le développement durable . Le développement durable a besoin du

concours de tous, car il affirme des valeurs, une éthique qui doivent être librement consenties.

(5) La hiérarchisation entre local et global, micro et macro, est en train de s'estomper, ou du

moins est remise en question dans certaines branches des sciences contemporaines. Des

corrélations peuvent apparaître entre local et global . Nous allons développer ce dernier point.

Une déhiérarchisation s'opère lorsqu'une symétrie est retrouvée dans le regard que l'on porte sur

l'échelle des grandeurs : si la complexification d'un système, la formation de niveaux supérieurs

(communautés, nations, monde), conduit à l'émergence de caractères nouveaux, qui ne peuvent

être expliqués par les composants de niveaux inférieurs, symétriquement, des caractères

nouveaux apparaissent dans les niveaux inférieurs, qui ne peuvent être expliqués par le niveau

supérieur. C'est à notre avis la signification de la diversité . Il existe à la fois des continuum entre

micro et macro, local et global, et certains degrés d'autonomie aussi bien au niveau global qu'au

niveau local.

La diversité n'apparaît que lorsqu'il y a une unité, un référent unitaire . Le système fonctionnalise

les composants des niveaux inférieurs, les diversifie en fonction d'une logique, la sienne . Mais

les éléments des niveaux inférieurs fluctuent et tendent à se diversifier aussi par eux-mêmes.

L'individu, par exemple, est pris dans une culture, sa matrice, mais il résiste à cette culture, soit

tout seul (on parle alors d'une inadaptation), soit en groupe, en réseau . Sa sensibilité en propre ne

tolère pas toujours l'imposition d'un ordre culturel, de normes, même si elle les a pour une grande

part intégrées. C'est grâce à l'existence d'un décalage, de fluctuations, que le devenir culturel,

sociétal, est possible . La culture est le produit de ces interactions permanentes, tout comme

l'individu, qui évolue en regard de son environnement physique et culturel, dans ce dialogue.

Des changements s'opèrent en continu, mais des changements globaux, visibles, n'adviennent que

lorsque les fluctuations, les décalages entre l'ordre sociétal et les individus se multiplient

significativement, entrent en résonance d'une certaine façon . Les normes et l'ordre sociétal se

recomposent alors . Si le niveau sociétal résiste à ces fluctuations et qu'elles deviennent très

importantes, on est en présence d'une révolution : on observe à cet instant une non distinction

entre individu et société, micro et macro, caractérisant par ailleurs les structures physiques très

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instables, selon Prigogine 162. Lorsque le niveau sociétal s'adapte, des évolutions adviennent.

L'état d'équilibre, souligne Prigogine, est dans l'ordre physique celui où les corrélations micro

-macro sont nulles. Mais cet état est une exception.

On découvre dans l'ordre physique un certain continuum entre les deux paliers, micro et macro,

que l'on observe aussi dans l'ordre humain, entre individu et société . La grande souplesse, par

exemple, de l'économie actuelle, faite de réseaux en reconfiguration permanente, vient de ce

continuum. L'individu est relié par mille et un trajets au collectif . Par ses consommations, ses

productions, les réseaux dans lesquels il se situe, il nourrit ce collectif, il est ce collectif, si l'on

veut. Nous avons vu aussi qu'il y résiste, au sein de collectifs plus petits.

Travailler à un développement durable à l'échelon local ne signifie pas que l'on travaille

uniquement pour l'échelon local, ce qui n'a plus trop de sens à l'heure actuelle . Le local donne

accès au global . L'individu est pris dans des réseaux, le local est inséré dans le global . Les

interactions entre les deux niveaux sont fortes, même si de nombreux relais et résonances sont

nécessaires pour passer de l'un à l'autre, pour qu'une innovation locale, par exemple, "perce" à

l'échelon global, c'est-à-dire qu'elle parvienne à recomposer autour d'elle un réseau qui la porte.

Certaines innovations ne percent jamais, d'autres sont fulgurantes parce qu'elles arrivent à relier

et à donner une cohérence à une série d'innovations éparses, en elles-mêmes trop fragmentaires.

Il existe donc des effets de confluence, comme le souligne Michel Serres, ou de "congruence" . Le

développement durable met à notre avis en cohérence une série de préoccupations, de visions du

monde, de valeurs nouvelles . Est-il trop précoce? La réponse à cette question ne dispense pas d'y

travailler.

Les hiérarchies, l'organisation par paliers sont en décalage avec le fonctionnement actuel du

monde humain, qui innove, crée, par ses limbes et réseaux : économie, monde scientifique,

réseaux d'échanges informatiques, etc. Les pouvoirs publics sont appelés à déhiérarchiser leurs

modes d'organisation s'ils veulent être plus efficaces, plus adaptés à notre société, plus puissants

aussi . Une vision hiérarchisée du monde, par niveaux, par assiettes, devient impuissante face aux

réseaux qui contournent ces hiérarchies . Les réseaux produisent bien sûr d'autres hiérarchies, des

gradients entre les noeuds de réseaux et les zones d'exclusion, et ne constituent pas une

organisation modèle . Ils sont simplement très efficaces.

1621 . Prigogine, I . Stengers, 1979 . La nouvelle alliance . Gallimard.

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II est sûrement possible à la fois d'assouplir notre organisation sociétale et de veiller à ce qu'elle

n'exclue personne, en utilisant de concert différents types d'organisation: la redistribution de

proximité163 , et non seulement la redistribution "par le haut", hiérarchique, le développement des

potentiels locaux, d'économies territorialisées en réseaux 164, et non seulement la redistribution,

enfin, l'articulation entre les différents territoires et réseaux . C'est ce que nous tentons de

proposer dans la partie finale de cette recherche, en défendant un développement "topologique".

L'Etat, et l'Europe, peuvent encourager le développement en propre des zones exclues de

l'économie de marché, afin que chaque territoire soit le lieu d'un développement économique,

puis aider à la connexion des différentes économies et des différents territoires.

Le souci actuel de subsidiarité, en politique, qui tend lentement à se substituer à la délégation, à

créer des démarches ascendantes, symétriquement aux démarches descendantes, traduit un souci

de déhiérarchisation. La subsidiarité signifie que l'imposition d'un ordre n'est pas la meilleure

façon de gérer les sociétés, mais que lorsqu'un certain ordre politique est assimilé par tous les

niveaux, le besoin se fait sentir 'de recréer des espaces où puisse jouer la diversité, la créativité,

l'hétérogénéisation, capables de faire évoluer la société, qui sinon se sclérose . Les cultures se

construisent dans cette tension permanente, entre unification et diversification.

L'émergence de caractères nouveaux n'est donc pas seulement le fruit du passage à un niveau de

complexité supérieure, elle résulte aussi des processus de différenciation par rapport à l'ordre

global, elle résulte des perturbations en quelque sorte . On retrouve l'importance du "petit", du

local, de la diversité . La diversité, comme l'intégration, est la condition d'émergence de caractères

nouveaux, la condition d'un renouvellement, de l'évolution du système dans le temps . Pour garder

l'avenir ouvert, ne pas le surdéterminer, ne pas générer des impasses pour l'homme, une diversité

culturelle et naturelle doit être maintenue . La possibilité d'évolution, de résilience, de durabilité,

est fonction de cette diversité. La diversité qui s'exprime à l'échelon local est un capital pour

l'avenir de la société humaine, ou de la planète.

Une réelle déhiérarchisation s'opère ainsi dans notre vision du monde, entre grand et petit, entre

local et global . L'unité ne peut se maintenir que grâce à la diversité, et vice-versa. Si les éléments

divers perdent le lien avec leur unité, on assiste à des phénomènes de désintégration, que l'on

nomme guerres civiles, ethniques, religieuses, à l'échelle des sociétés, mort, à l'échelle du vivant,

163 Par une refonte des communes, par l'élargissement de l'agglomération à la région urbaine et par une redistributionfinancière entre régions urbaines et arrière-pays .

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décomposition, à l'échelle des molécules ou radioactivité à celle de l'atome . Le lien global et la

fluctuation locale sont donc également importantes, ce que souligne Michel Serres dans

différents ouvrages.

Dans certains cas précis, les courts-circuits entre local et global peuvent être fulgurants, quasi

immédiats, au point qu'on ne peut plus différencier un ordre local et un ordre global . Les

mathématiques du chaos, qui reposent sur l'idée d'hypersensibilité aux conditions initiales, nous

expliquent ainsi, par une image, que le battement d'aile d'un papillon peut provoquer un cyclone

dans l'autre hémisphère. Des auteurs tels que Prigogine ont tenté une entreprise de

déhiérarchisation des causalités, en montrant par exemple qu'il n'est pas toujours possible de

distinguer micro et macro pour les systèmes loin de l'équilibre (météorologie, cerveau, etc .) 16s

De manière plus générale, lorsque les relations verticales entre les différents niveaux

hiérarchiques sont bidirectionnelles et aussi nombreuses que les relations horizontales, à

l'intérieur de ces niveaux, on peut douter de la pertinence de la notion de hiérarchie, et s'inquiéter

de son potentiel d'inertie . Les organisations par niveaux sont un fait . Les lire en termes de

hiérarchie, alors même que la connaissance des interactions progresse, serait plutôt une tentative

de légitimation du pouvoir et de son attachement à un certain ordre qu'un décryptage de la

réalité 166 Une certaine pensée contemporaine remet en question à la fois la notion de

déterminisme linéaire et la notion de hiérarchie, deux outils ou deux grilles de lecture de la

réalité trop simplifiantes 167

La question du déterminisme est celle du "qu'est-ce qui commandé?" . Elle est dépassée à l'heure

actuelle par la découverte que tout commande et rétroagit, le grand, le petit, l'esprit, la matière,

non pas indistinctement, mais selon des interactions complexes . Elargir la "commande esprit" est

sans doute une noble tâche pour l'homme et cette ambition a alimenté la hiérarchie et la

démarcation qu'il a établi entre le corps et l'esprit, lui-même et le monde . Les arbitrages sont en

effet nécessaires dans les sociétés humaines . Mais doivent-ils reposer pour autant sur une vision

simplifiée du monde? Les hiérarchies ou les priorités que nous établissons dans la conduite de

164 Qui favorisent les échanges d'informations, de personnes, et non de biens matériels, ce qui permet de ne pasdélocaliser l'emploi.165 I . Prigogine, I . Stengers, 1979. La nouvelle alliance, op . cité.166 On peut penser que la hiérarchisation des niveaux physiques est issue des rapports de pouvoir qui structurent lessociétés et qui se sont simultanément exprimés dans l'ordre des choses, dans la "nature même", selon l'idée de MichelFoucault.167 Voir par exemple F . Varela, E. Thomson, E . Rosch, 1993, Imbodied mind, traduit par L'inscription corporelle del'ers frit, Seuil, 377 p .

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notre vie et au sein de notre culture doivent-elles nécessairement être "objectivées" dans les

choses? Et légitimer leur soumission totale 168? D'autant que l'esprit ne s'élargit que lorsqu'il se

connecte au monde. ..

Les contradictions relevées ici ou là entre la durabilité locale et globale relèvent d'un modèle

épistémologique, organisationnel, où les niveaux sont trop étanches, et résistent mal à nos yeux à

l'analyse . Nous avons par exemple montré comment les politiques globales de développement

durable en milieu urbain impliquent une revalorisation du patrimoine local, naturel et culturel,

des écosystèmes locaux, du rôle et de la participation des habitants et acteurs de la ville 169

Développement local et global sont couplés, se construisent mutuellement dans une acception

écologique, bien que chacun ait un degré d'autonomie . Des actions "à double dividende", local et

global, peuvent être entreprises . Des actions multiscalaires peuvent être conduites localement,

comme le souligne d'ailleurs le rapport européen sur les villes durables.

Les contradictions ne se jouent pas entre les intérêts locaux et globaux, mais entre les intérêts de

ceux qui défendent un modèle de développement durable, quelle que soit l'échelle où ils se

situent, et ceux qui défendent le modèle économique actuel, ou bien d'autres alternatives.

L'arbitrage qui demande à être réalisé met en face à face non pas la préservation de la planète et

le sacrifice des intérêts individuels, mais la globalisation économique, dont on peut se demander

combien d'intérêts individuels elle sacrifie, et un autre type de globalisation, écologique et

sociale, qui tente de refonder un intérêt collectif.

Dans une démarche de développement durable, les conséquences' d'aine action, d'une politique,

sont considérées à toutes les échelles et selon différents critères (écologiques, sociaux,

économiques, culturels), en fonction des connaissances disponibles . L'interaction local-global est

un souci central du développement durable et commande une de ses principales propositions:

cesser d'exporter les problèmes et les coûts de notre développement sur d'autres générations,

d'autres pays, d'autres populations, d'autres écosystèmes, d'autres échelles d'espace et de temps.

Toute action locale a des incidences à différentes échelles, mais on peut tenter de faire en sorte

que ces incidences ne soient pas négatives pour les niveaux en question : c'est l'ambition d'une

gestion globale du développement humain, de son ou de ses économies, cherchant à infléchir ses

choix en fonction de l'état de la planète, de l'état des différentes sociétés et individus.

168 "Plus est abaissée la nature, plus se trouve glorifié celui qui y échappe", I. Prigogine, I. Stengers, 1979 . Lanouvelle alliance, op . cité .

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Un modèle utopique?

II est important de souligner que le développement durable ne cherche pas un point d'équilibre,

une situation idéale et illusoire, mais plutôt une orientation, une vision capable de mettre en

cohérence et d'intégrer les différentes politiques publiques . II donne un sens au développement

des collectivités, quelles que soient leurs tailles, en réaffirmant des enjeux éthiques . La

préservation de la planète n'est pas un objectif scientifique, comme les développements de la

science l'ont prouvé, mais un objectif éthique . Un modèle urbain se constitue actuellement au

nom du développement durable, que l'on peut nommer "modèle" à cause de sa cohérence, de sa

lisibilité, mais qui reste très souple, pragmatique, expérimental, contextuel, un modèle par

définition toujours inachevé, vers lequel on peut tendre. Ce modèle est un horizon et fait du lieu,

du contexte, son point de référence, d'ancrage, d'intérêt, à la différence des modèles u-topiques,

décontextualisés.

Comment nommer utopique la réflexion qui part de l'existant et réclame une attention vigilante

au local, au topos, aux habitants des lieux? Comme l'indique l'ouvrage de l'OCDE consacré au

développement urbain durable : "l'option qui consisterait à construire des villes entièrement

nouvelles pour répondre aux besoins sociaux et environnementaux futurs des individus est

totalement exclue" 170. Les écotopies, écocités caractérisent davantage les débuts de l'écologie que

le développement durable, plus mature . II ne s'agit pas à l'autre extrême de figer le temps, de

conserver la ville telle qu'elle est, car la ville actuelle n'est pas durable et il convient au contraire

de la transformer.

Un modèle de ville durable s'appuie sur l'existant et tente d'ouvrir les politiques urbaines aux

dimensions globales et à long terme du développement . Cette double ouverture, au temps et à

l'espace, n'est ni utopique ni uchronique puisque la globalisation et les changements globaux sont

déjà en marche, et que le projet des villes durables tente précisément de prendre en compte les

multiples dimensions du temps et de l'espace . En revanche, la volonté de maîtriser ces

changements, de réorienter l'économie, d'affirmer une éthique, peut être considérée comme

utopique: dans ce cas tout projet politique est utopique, dès lors qu'il s'écarte de l'économie

169C. Emelianoff, 1994 . L'émergence de nouvelles temporalités dans de vieux espaces urbains, Ecologie politique

n° 13, pp 37-58.

10 OCDE, 1996, op . cité.

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néolibérale. Le mot utopie est souvent utilisé de nos jours pour disqualifier une démarche qui

gêne certains intérêts plutôt que pour qualifier le contenu d'une proposition 171

Ecarter les irréversibilités dangereuses pour l'homme, préserver les ressources planétaires afin de

maintenir l'avenir ouvert, renforcer les capacités d'adaptation des milieux urbains, comme le

préconise l'OCDE après d'autres pays (l'Australie notamment), ne constituent pas un projet

utopique. L'intégration de la gestion du long terme dans une époque caractérisée par des

mutations très rapides, des innovations technologiques quotidiennes, n'est pas plus paradoxale

que la prise en compte du développement local dans un contexte de mondialisation accélérée . On

peut même penser que ces prises de conscience surviennent comme des garde-fous, des repères

spatio-temporels destinés à encadrer et maîtriser les mutations technologiques et économiques.

Les difficultés que génèrent ces nouvelles bornes ne peuvent être confondues avec des paradoxes.

Autrefois, la longue durée, les inerties et les lieux commandaient les rapports humains.

Aujourd'hui, la mondialisation et le très court terme les déterminent . Le développement durable

profile des lieux globaux, des lieux ayant intégré une gestion écologique du globe, et un

développement humain couplé au devenir terrestre, à ses temporalités.

Un modèle normatif?

Si le modèle n'est pas utopique, doit-il être normatif, contraignant? On peut aussi renverser la

question et demander: le développement durable permet-il de se libérer de certaines contraintes?

Lesquelles? Quelques contraintes fortes semblent gouverner actuellement la vie urbaine, sans

compter le chômage et la captivité des populations inactives:

(1) la mobilité subie : en sus des heures perdues dans les transports pendulaires, la fatigue et le

stress occasionnés par ces trajets, l'accroissement des distances domicile-travail 172 rend difficile

l'aménagement de l'espace, mité par le pavillonnaire, et coûte cher en infrastructures . En

proposant une planification fondée sur le rapprochement des lieux d'activités et d'habitat, les

politiques de développement durable souhaitent limiter les déplacements subis et laisser place à

une mobilité choisie.

171 Discussion développée dans C . Emelianoff, H. Regnauld, P . Lafon, 1997 . Le délit d'utopie: la ville durable et labâtiment ministériel, Villes et Territoires, à paraître.

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(2) les déménagements contraints: en raison des fortes nuisances qui affectent les centres villes,

le bruit et la pollution atmosphérique en premier lieu, et de leur inadaptation aux besoins des

enfants, les familles n'ont pas d'autre choix que de s'installer en milieu suburbain, lorsqu'elles le

peuvent . La ville n'est adaptée ni aux enfants, ni aux personnes fragiles (agressions multiples), ni

aux piétons . Une politique de développement durable travaille à offrir une qualité de vie

comparable dans les centres villes et à leurs périphéries, même si ces deux espaces gardent des

caractéristiques différentes . La mobilité résidentielle doit être l'objet d'un choix, tout comme la

mobilité quotidienne.

(3) la consommation passive : la consommation urbaine qui correspond aux effets de mode, à

l'affichage social, à l'attrait pour le changement est une consommation aveugle en raison de la

méconnaissance des coûts environnementaux et sociaux des produits consommés . II n'est guère

réaliste de demander aux consommateurs une attitude de responsabilité individuelle lorsque les

médias, les journaux d'informations télévisés, affichent une publicité sans relâche pour l'achat de

voitures, par exemple, en présentant les nouveaux prototypes et les symboles qu'ils véhiculent.

La désinformation sur les conditions de fabrication des produits, sur leurs incidences écologiques

et sociales, leurs possibilités de recyclage, est manifeste . Le développement durable demande un

type de consommation éclairé, conscient, averti des tenants et des aboutissants de ses choix, en

un mot, responsable.

Il est difficile d'affirmer que les modes de consommation actuels ne sont pas normatifs, que

l'économie de marché ne repose pas sur une normalisation des comportements . La diversité des

produits consommés ne tient pas lieu de diversité comportementale . La question initiale, visant à

examiner le normativité d'uni modèle de développement durable s'est donc déplacée . La question

est plutôt de savoir si le développement durable substitue certaines normes à d'autres et s'il est

plus normatif que le développement économique actuel.

II paraît impossible de nier que la durabilité introduise de nouvelles normes . Ces normes sont

des limites, des seuils à ne pas franchir, pour éviter des dégradations écologiques et sociales, ou

des risques majeurs : il existe des limites d'utilisation des ressources, correspondant à la

possibilité de leur renouvellement, des limites de destruction des milieux et des espèces,

172 M-H. Massot, J-P. Orfeuil, 1995 . La mobilité, une alternative à la densification du centre . Les relations

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susceptible de menacer les écosystèmes terrestres et d'entamer le capital transmis aux générations

futures, des limites de capacités de charge et de rejets polluants, visant à éviter la saturation des

milieux, portant atteinte à notre santé, des limites au non partage des ressources, si l'on souhaite

endiguer la pauvreté et l'exclusion au Nord et au Sud, des limites au pouvoir sans partage des

gouvernements centraux ou des puissances économiques transnationales, des limites à la violence

sous ses très nombreuses manifestations.

A l'intérieur de ces limites, le développement durable défend l'idée d'une grande diversité de

solutions, d'une pluralité d'approches, l'essentiel étant que les politiques soient choisies et mises

en oeuvre avec la participation des populations locales, une condition de leur réussite . Une

comparaison avec la situation actuelle, en termes de normes, diagnostiquerait une perte de liberté

dans le domaine de la consommation, sur la base de restrictions volontaires, internalisées,

éthiques, et un gain très net de liberté dans le domaine politique . Les citadins auraient le pouvoir

d'orienter le développement de leur ville et perdraient la liberté de consommer aveuglément . Il y

a donc bien substitution de normes, les normes écologiques remplaçant les normes économiques.

Le modèle n'est à notre avis ni plus ni moins normatif que le modèle actuel mais les normes sont

désormais visibles, elles ne se dissimulent pas derrière la liberté de consommation.

Qu'entend-on par norme et par liberté? La liberté de circulation ou la liberté de conduire sa vie en

fonction de choix propres et d'une réflexion mûrie? La norme la plus dangereuse, sur un plan

démocratique, est-elle celle qui s'expose clairement comme une règle de conduite destinée à

protéger un intérêt collectif, et à être débattue publiquement, ou bien celle qui s'introduit par

mille et un canaux, produits, médias, tous chargés du même message ("consommez-moi") et du

même fard ("je vous plais"), une norme séduisante, sachant se faire oublier? Que dire de la

liberté de consommation? Il est par ailleurs très révélateur que l'on décrive souvent le

développement durable comme un "effet de mode", comme si toute innovation, toute alternative

n'était actuellement qu'un effet de mode . ..

Les approches de développement durable cherchent principalement à convaincre, à être relayées.

Les méthodes participatives ont un effet d'entraînement . Une réglementation non comprise

suscite au contraire des blocages et des inerties . La réglementation est un instrument

d'accompagnement mais reste en elle-même un outil fragile et partiel . Si des réglementations sont

domicile-travail, Les Annales de la recherche urbaine n° 67, pp 22-31.

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mises en place dans un milieu d'accueil hostile, elles sont contestées et contournées . E importe

d'abord de créer les conditions d'accueil, d'acceptation, de compréhension des nouvelles normes.

Dans ces conditions, les normes résultent de choix collectifs, de principes éthiques, qui ne sont

pas improbables puisque certaines avancées ont déjà été réalisées dans ce sens.

Il est important de se demander aussi comment se décide la réglementation . Dans le domaine des

nitrates, par exemple, les grands groupes de distribution et de traitement des eaux sont présents

dans les comités qui fixent les normes. En fonction des technologies disponibles, de l'opportunité

de les lancer sur le marché, des seuils limites de nitrates sont déterminés pour les eaux potables.

Les normes, dans ce cas, sont élaborées en fonction des stratégies d'entreprises, du marché de la

dénitrification 173 , lorsque les incertitudes scientifiques sont par ailleurs trop grandes pour fixer un

seuil de nocivité.

Les normes sont souvent liées aux écotechnologies : elles les anticipent et elles les encouragent.

Elles sont déjà la traduction, le résultat d'une prise de conscience et un des moyens de l'exprimer.

Certains pays qui ont pu mettre en place une réglementation écologique sévère sont parmi ceux

qui avaient le plus détruit leur environnement (Pays-Bas, Danemark, Allemagne) . L'adoption de

normes n'est pas forcément un gage de sérieux écologique. En revanche, la formation, l'adoption

d'une culture écologique par les populations crée une demande qui ne peut être contournée.

Cette évolution est amorcée dans certains pays . La constitution du territoire européen peut

favoriser sa diffusion, mais on ne sait pas à quelle vitesse . Les délais de l'action politique en

matière d'environnement se comptent jusqu'ici en décennies, souligne Jacques Theys 174. Or le

développement urbain durable est une notion récente, donnant déjà lieu à une réflexion

structurée, mais qui ne connaît pas de relais politique important à ce jour.

Le développement urbain durable constitue encore un corps de réflexions et de pratiques

émergentes, parallèle aux politiques de la ville . Nous nous proposons de relater d'abord son

histoire, de rechercher ses racines, d'examiner ses premières propositions, avant de présenter dans

un second temps les expériences réalisées en son nom et les réflexions qu'elles suscitent.

173C. Emelianoff, 1996, Nitrazur, in : Lyonnaise des Eaux-Dumez . Une entreprise face à ses innovations : politique,

technique, environnement. Partie II, Centre de Sociologie de l'Innovation, Ecole Nationale Supérieure des Mines deParis, pp 105-136.174 Mai 1997 . Entre "gouvernance" et "ingouvernabilité". Quelle forme de "gouvernement" pour les changements

globaux?, 36p.

90

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

1. De la ville écologique à la ville durable

Le développement urbain durable reprend une partie des thèmes abordés par l'écologie urbaine . Il

s'enracine dans l'écologie urbaine, mais ses propositions vont au-delà de cette première approche,

abordent plus franchement le champ culturel et humain, tout en affirmant un changement

d'échelles dans la portée des problèmes écologiques . La notion de développement durable se

positionne d'emblée dans le champ sociétal, et ouvre sur la dimension planétaire et prospective

des problèmes urbains . "L'impératif écologique" peut céder la place à un art de vivre écologique,

le mouvement protestataire, à la prise de conscience généralisée que nos modes de

développement doivent être infléchis s'ils prétendent bénéficier à une longue postérité' 7s

1 . 1. Les apports de l'écologie urbaine : pratiques immémoriales et récentes.

On ne saurait confondre, à notre avis, le nom d'écologie urbaine, tardif, avec le contenu, la

pratique, fort ancienne . L'écologie urbaine est une science qui s'est institutionnalisée à partir des

années 30, désignant d'abord une recherche d'ordre sociologique avant d'acquérir une dimension

proprement écologique dans les années cinquante . Mais son savoir pratique s'est constitué dès les

premières concentrations urbaines . Les premiers citadins ont . affronté des problèmes de

pollutions hydriques, olfactives, sonores, puis des problèmes de circulation et de congestion,

qu'ils ont partiellement résolus par des politiques municipales relevant de l'écologie urbaine . Les

villes ont longtemps été des mouroirs, les rues, des cloaques . Des politiques d'assainissement ont

été menées plus ou moins efficacement jusqu'à l'avènement de l'hygiénisme. Nous évoquerons

cette histoire avant d'aborder l'écologie comme vocable, ébauche d'une science et naissance d'une

politique plus systématique. Ces pratiques, propres à chaque culture et assez peu connues, nous

sont livrées surtout par les historiens et les géographes.

L'écologie urbaine ne naît pas à partir du moment où on la nomme . Son histoire ne commence

pas avec l'école de Chicago, dans les années 1920 . L'écologie urbaine de Chicago, qui associe

pour la première fois le mot écologie et le mot ville, est d'une toute autre nature que l'écologie

urbaine ancienne et contemporaine . Elle prend à l'écologie scientifique un nom, et, croit-elle, une

175 Une prétention nommée "progrès" . . .

91

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

méthode, pour habiller des pratiques et analyses sociologiques . Faire démarrer son histoire à ce

moment précis peut même la desservir car l'école de Chicago a établi des analogies fort

critiquables entre les écosystèmes naturels et urbains, la répartition des plantes dans l'espace et la

répartition des hommes dans la ville . Dans son prolongement, l'écologie urbaine scientifique a

parfois transposé des modèles issus de l'écologie scientifique aux sociétés humaines, ce qui lui a

valu des critiques méritées . Nous avons donc tenu à écarter cette origine et à chercher, au-delà du

vocable, de la naissance du terme, son histoire.

Il est nécessaire de remonter à notre avis aux premières cités pour trouver les rudiments d'une

écologie urbaine, pratiques qui s'affinent peu à peu lorsque la taille des villes grossit . Cet héritage

est souvent passé sous silence et fait partie des non-dit de l'écologie urbaine . La filiation avec

l'hygiénisme n'est pas davantage explicitée, peut-être parce que l'écologie se démarque de

l'hygiénisme par une approche moins anthropocentrique . La canalisation de la Seine, qui était par

exemple préconisée par les hygiénistes parisiens pour éviter la stagnation des eaux 176 , est

condamnée aujourd'hui par les écologistes en raison de l'érosion en aval et de l'amputation de la

biodiversité des berges.

Ces dits et ces non-dit, ces silences et parfois ces malentendus s'expliquent par le fait que

l'écologie urbaine n'est pas un domaine de connaissance et de recherche établi, disposant pour

cela de trop peu de moyens . La sémantique n'est pas stabilisée, les débats portant sur le fait de

savoir si l'écologie urbaine est une science ou non, une discipline définie ou embryonnaire, une

politique réelle ou bien publicitaire . A la croisée des connaissances scientifiques, des évolutions

culturelles et des engagements politiques, l'écologie urbaine n'a pas présentement trouvé sa place,

ce qui lui interdit de construire son passe 177 .

176 B. Fortier, 1977. La maîtrise de l'eau. XVIII°s.177 Sur les flottements et les incertitudes du vocable, voir Christian Garnier, 1994, Ecologie urbaine ouenvironnement urbain?, op . cité .

92

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Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

L'écologie des anciens

D'après les sources dont nous disposons, les grecs avaient une conscience de la salubrité qui les a

conduit à défendre quelques principes d'urbanisme . Aristote, dans sa Politique 178, préconise par

exemple une exposition des maisons au soleil et au vent, la différenciation des usages de l'eau

selon sa provenance, l'alignement des rues sur le modèle du plan d'Hippodamos, la séparation de

la place publique, vouée à la vie politique, et de la place du marché, encombrée de détritus.

Hippocrate, Oribase et Vitruve, tour à tour, préfigurent l'architecture bioclimatique et

l'hygiénisme en insistant sur l'adaptation des bâtiments aux climats locaux et sur la ventilation

des rues, fonction de leur orientation 1 79 . Pour résoudre les problèmes de déchets, les grecs

avaient mis en place un système municipal de collecte des déchets, par les "éboueurs", qui les

portaient à 10 stades des fortifications.

Les villes romaines, qui connaîtront des concentrations humaines beaucoup plus élevées,

prendront de nombreuses mesures pour épurer les milieux urbains . Les plus connues ont trait à la

gestion de l'eau . La qualité des eaux potables était assurée par le captage de l'eau en montagne,

acheminée jusqu'aux villes grâce à de longs aqueducs . A Rome, sous le règne de Nerva, les

réseaux deviennent séparatifs, l'eau captée à proximité, dans l'Anio, servant aux usages

quotidiens, l'eau de source étant réservée à la boisson 180. La construction d'égouts -les cloacae-,

ouverts puis fermés, et de latrines publiques, le nettoyage, le pavage et la réparation des rues par

les services de la voirie assurent une relative hygiène publique .' L'hygiène corporelle est

encouragée par la fréquentation des thermes, des nombreux jardins et promenades publiques,

dont Vitruve disait qu'elles étaient d'une grande salubrité181 . Ainsi, malgré le manque d'espace, la

pression foncière, la ceinture verte de la Rome antique ne sera pas entamée.

Des mesures moins connues ont également régenté la circulation des charrettes, qui

occasionnaient une forte congestion à Rome et qui furent interdites durant le jour à partir de la loi

de Jules César, dite "Lex Julia Municipalis", en 45 avant JC. Du lever du soleil à la dixième

heure, seuls les piétons avaient le droit de circuler dans les rues, ainsi que les chariots

municipaux transportant des matériaux de construction, décombres, déchets, et les chariots des

célébrations. La loi sera reprise et étendue par d'autres empereurs, comme Claude, qui interdit

178 Livre VIII (IV), 10.179 L. Homo, 1971 . Rome impériale et l'urbanisme dans l'antiquité, Alban Michel, 665 p.180 L. Homo, 1971, op. cité, p 267.

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

aux voyageurs la traversée des villes italiennes en charrette, Hadrien, qui ferme l'accès de Rome

aux voitures lourdement chargées, Marc Aurèle, qui défend de pénétrer en voiture ou à cheval en

ville182 . Ces interdictions s'exerceront jusqu'à la fin de l'époque impériale mais souffriront de plus

en plus de dérogations . Cette politique de restriction de la circulation s'est accompagnée aussi

d'une séparation des circulations, avec la construction de voies réservées aux piétons, de

portiques et de trottoirs.

La ville médiévale oubliera ces principes d'assainissement, notamment celui des égouts, peu ou

mal développés jusqu'à Haussmann, mais découvrira d'autres modes de gestion écologique,

analysés par André Guillerme 183 . Les cours d'eau qui entourent les villes, pour les besoins

énergétiques et hydriques de l'artisanat, recueillent les eaux usées et les épurent naturellement l8a

Les métiers du textile participent même à cette épuration : l'alun et le tartre utilisés comme

fixateurs des teintures favorisent la floculation . La qualité de l'eau est aussi nécessaire à la santé

des habitants qu'à la qualité du textile, à la réussite économique des villes lainières . Un relatif

équilibre, de type écosystémique, est ainsi réalisé durant quelques siècles . Les bâtiments ou les

métiers polluants sont progressivement déplacés à l'aval des cours d'eau ou hors de l'enceinte:

l'hôtel-Dieu, les boucheries, les brasseries à Strasbourg, etc . Des bains et des étuves sont

construits pour l'aristocratie et la riche bourgeoisie . L'élargissement des fossés consécutifs aux

guerres de cent ans sapera l'hydrodynamisme et la salubrité, en engendrant un microclimat

humide qui nourrira les épidémies sous l'ancien régime, avant que les fossés ne soient comblés au

début du XIX°s lSs

Le recyclage des déchets solides est également une pratique ancienne . Les déchets de cuisine ont

toujours servi à alimenter les animaux, tandis que les matériaux comme le fer, le papier, les

tissus, le verre étaient récupérés par des populations dont le statut social autorisait le contact avec

les rebuts . En Europe, les chiffonniers du moyen âge collectaient les tissus pour fabriquer du

papier . Le problème des déchets reste vif toutefois et se résout partiellement avec l'établissement

d'une police des rues, à la fin du XVII°s en France, puis des "boîtes" imposées par le préfet

181 De architectura, V, 9.182 L. Homo, 1971, op . cité, p 433-435.183 1984 . Les temps de l'eau. La cité, l'eau et les techniques . Champs Vallon, 263 p.184 Selon André Guillerme, un tiers des villes médiévales se dote au XI°s d'un réseau de canaux aussi développé quecelui de Venise, les autres étant au minimum ceinturées de bras d'eau.185 A. Guillerme, 1984, op . cité

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Eugène Poubelle devant chaque maison à la fin du XIX°s . Les poubelles parisiennes sont en

1883 au nombre de trois : une pour les matières putrescibles, une autre pour les papiers et

chiffons, la dernière pour le verre, la faïence, les coquillages . Cette collecte sélective était fort

bien acceptée par les habitants 186 . En revanche, le réseau de tout-à-l'égout mis en place sous

Haussmann, qui aura pour effet de généraliser l'eau courante à domicile, sera très controversé en

raison des taxes prélevées sur les propriétaires . Il ne se généralisera qu'au XX°s.

Des populations entières vivent jusqu'à aujourd'hui du recyclage des déchets . On peut penser aux

Intouchables, en Inde, aux Coptes, en Egypte, ou aux gens du voyage . Au Caire, les déchets de

quinze millions de personnes sont collectés par les Coptes et amoncelés à l'extérieur de la ville,

où s'affairent les recycleurs de plastiques, métaux, papiers, de déchets organiques pour les

animaux. Cette décharge est devenue au fil du temps une colline, puis une "ville" qui vit sur les

détritus, bâtie avec les pierres des ruines voisines, perpétuant le recyclage immémorial des

matériaux de construction. En Europe, les gens du voyage accomplissent aussi certaines tâches

de recyclage: la récupération de la ferraille, notamment, ou des pièces mécaniques . A Nantes, un

responsable municipal signalait que des "vols" étaient commis dans les déchetteries par les

nomades, qui venaient spontanément chercher les encombrants (frigos, machines à laver, etc .).

Cette concurrence montre qu'il y a toujours eu une gestion informelle des déchets, plus ou moins

efficace, et que la mise en place récente de chaînes de tri organisées empiète sur un terrain déjà

investi . Toutefois, la masse des déchets actuellement produits, sans commune mesure avec les

époques passées, exige que soit développé ce type de dispositifs.

Reste le grave et plus récent problème des déchets toxiques, que nous 'reléguons aux pays les plus

pauvres et aux générations futures, pour les déchets nucléaires . Certains pays, comme l'Inde, sont

quasiment spécialisés dans le recyclage des déchets à problèmes de l'Occident, achetés dans les

ports par des populations qui, avec des moyens de fortune, retraitent au prix de leur santé.

La sous-valorisation des populations qui valorisent les déchets est une constante, qui pourrait être

révisée si nous adoptions un regard plus écosystémique, une pensée faite de boucles et de

rétroactions . Mais le tri et le recyclage sont dans les années 90 encore le domaine des entreprises

d'insertion . La professionnalisation de la filière des déchets est en cours lorsqu'elle est rentable,

employant souvent d'anciens chômeurs, encadrés par du personnel formé à cette ancienne et

nouvelle profession : recycleur. Quant aux traitements trop coûteux, ils sont abandonnés à des

populations sacrifiées ou à la postérité.

186 R-H. Guerrand, 1994 . Comment Paris-cloaque a appris la propreté, in : Urbanisme n° 278-279, op . cité. pp 40-

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Concluons par le bruit, qui a fait l'objet dans le passé de politiques ou de mesures concertées.

Beauvais par exemple, était qualifiée au XVII°s de ville "sonnante, puante et mécréante", en

dépit de sa richesse . Les 135 cloches de la cité, responsables d'une part du vacarme, étaient

interdites de fonctionnement durant les épidémies afin de ne pas fatiguer les malades . ..

L'écologie des modernes: l'hygiénisme

Les questions d'écologie urbaine que les hommes ont rencontré au fil de l'histoire seront

considérées avec une acuité nouvelle au moment de la révolution industrielle et des fortes

densités urbaines . La montée du mouvement hygiéniste opère un premier désenclavement des

écologies locales, pour proposer des solutions et des mesures susceptibles d'être appliquées

universellement. II importe d'assainir en profondeur les villes, empoisonnées par les rejets

domestiques et les fumées soufrées des usines, qui alimentent les bronchites et la tuberculose.

Les préoccupations hygiénistes sont précédées par une "révolution olfactive", au XVIII°s, qui

rend l'odorat beaucoup plus sensible, parallèlement aux progrès de la médecine et aux courants

"aéristes" du siècle des Lumières 187 . Le mouvement hygiéniste s'étend de 1820, période de la

fondation de l'Académie royale de médecine, en France, et de la généralisation des Conseils

municipaux de salubrité, aux années 1900, durant lesquelles la législation prend le relais du

combat scientifique et politique. L'hygiénisme livre une guerre d'ampleur inégalée, parce que

quasi mondiale, aux immondices, puis, à partir de 1880, au monde `microbien, le responsable

identifié de l'infection. Les médias ont joué un rôle dans la diffusion du mouvement . En 1880,

par exemple, la Commission supérieure de l'assainissement de Paris est créée suite à des

nuisances olfactives fortes durant l'été et à une série de plaintes relayées par la presse 188 .

Les Congrès internationaux d'hygiène, les lois sur le travail des enfants (1841 en France), la

Santé publique (1848), scandent la progression du mouvement qui reste entre les mains des

professionnels (scientifiques, administratifs) et trouve d'abord peu d'écho au sein de la

population 189 . L'hygiénisme, par un combat médical, social et moral se donne pour objectif

d'améliorer la santé publique et la qualité de vie urbaine . II s'imposera en France par des actes

44.187 A. Corbin, 1982 . Le miasme et la jonquille . L'odorat et l'imaginaire social, 18°-19°s . Aubier- Montaigne.188

R-H Guerrand, 1994 . Comment Paris-cloaque a appris la propreté, op . cité. _189

Selon A. E. Fowler La Berge, 1974 . Public Health in France and the french public health movement . 1815-1848.Doctorat de philosophie, Tenessee .

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Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

chirurgicaux (urbanisme de type haussmanien), de nouvelles normes comportementales assorties

de contrôles sociaux (politique nataliste et hygiéniste des Habitations Bon Marché des années

trente'9o), plutôt que par une prise de conscience générale . La Grande-Bretagne, au contraire,

connaîtra des mouvements populaires en faveur de l'hygiénisme . Le libéralisme favorisait peut

-être davantage la responsabilisation individuelle, puisque l'on ne pouvait s'en remettre à un Etat-

Providence. En Allemagne, aux Etats-Unis, le mouvement sera également plus local que

national.

Les incidences de ce mouvement sur la morphologie urbaine seront considérables . André Corbin

résume cette transformation en trois mots : on draine, on pave, on ventile, dès le milieu du

XVIII°sl91 Les réseaux d'adduction et d'évacuation des eaux trouent le sous-sol de la ville . En

surface, l'air se substitue à l'eau comme vecteur principal d'épuration . On ne construit plus des

canaux, mais des rues suffisamment larges pour que le soleil et le vent y pénètrent, que l'échange

et la circulation s'y engouffrent . L'économie urbaine ne repose plus en effet sur l'eau, comme au

moyen âge, mais sur les transports ferroviaires et routiers . Les rues deviennent des conduits de

circulation de l'air, et s'ouvrent presque simultanément à la circulation des voitures. Les villes

sont désormais trouées par de nouvelles trames viaires.

Les préoccupations immobilières, spéculatives, gouvernent la transformation 192. S'il est

important d'assainir, c'est d'un double point de vue, physique et moral, physique et social . Les

populations pauvres s'établiront en banlieue. Par ailleurs, la conscience d'un métabolisme urbain

naît, manifestant l'importance nouvelle des flux, l'interférence entre les modèles physiques et

économiques qu'avaient anticipée les physiocrates . La vision métabolique sera reprise par le

Corbusier dans les années 1930, qui conseille déjà d'éloigner l'habitat des axes de circulation . La

ville, désormais éventrée par la route, disloquée dans sa périphérie par les voies rapides,

accueillera un habitat aux formes de plus en plus lâches, selon les préceptes hygiénistes de la

Charte d'Athènes . La dédensification des métropoles s'ensuivra.

1 90 La sélection des locataires, les primes de propreté, les primes de bonne tenue, les visites de contrôle alimentaientune surveillance permanente . "L'Office a toujours estimé que l'oeuvre d'un organisme d'Habitations à Bon Marchéest incomplète s'il ne se soucie pas du relèvement social et moral des familles et notamment de la santé desenfants"; soulignait Jacques Peirotes, maire de Strasbourg, dans les années 30 . La devise "un logement propre etsain" perdure encore aujourd'hui dans l'office HLM de Strasbourg.191 1982, Le miasme et la jonquille . L'odorat et l'imaginaire social, 18°-19°s, op . cité.192 F. Choay, 1985 . Production de la ville, esthétique urbaine et architecture, in : Histoire de la France urbaine, G.

Duby (dir .), tome V, pp 233-279 .

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Un dernier héritage de l'hygiénisme, sur un plan institutionnel, est la création des services

municipaux d'hygiène publique, qui verront naître ultérieurement en leur sein les premières

branches des services d'environnement . Un Ministère de la Santé sera constitué en 1919.

L'écologie urbaine contemporaine : entre science et pratique

A un siècle d'intervalle, la crise écologique de la fin du 20°s renouvelle certaines préoccupations

hygiénistes . Dans les pays développés, les nuisances organiques ont été à peu près maîtrisées en

milieu urbain, les nuisances industrielles ont été partiellement subjuguées, les pollutions

automobiles, agricoles, et celles liées aux déchets domestiques ont au contraire explosé . Les

problèmes débordent largement le cadre urbain . E ne s'agit plus par exemple d'évacuer les eaux

usées ou les déchets aux portes de la ville, un jeu d'enfants, mais de les restituer au milieu naturel

après les avoir décontaminées . Les problèmes de pollution se sont déplacés . La contamination

atteint aussi bien les milieux que les hommes, c'est-à-dire qu'elle atteint les hommes doublement,

par effets directs et par effets de rétroaction . Les services municipaux d'environnement voient le

jour à partir de 1973 . Le Ministère de l'Environnement est créé en 1971 193

Parallèlement à l'émergence de ces nouveaux problèmes se constitue une réflexion scientifique,

comme ce fut le cas pour l'hygiénisme . Elle se développe surtout après les années cinquante et le

faux départ des années trente, qui lance le terme d'écologie urbaine mais lui donne un autre

contenu. Puisque c'est l'usage, explicitons d'abord ce que l'école' dé Chicago entendait par le

terme d'écologie urbaine.

Pour ses trois leaders, Park, Burgess et Mc Kenzie, la ville est un organisme social et l'écologie

urbaine étudie la répartition et la différenciation des hommes dans l'espace . L'attention portée à

cette distribution à la fois spatiale et sociale, aux dynamiques d'invasion, de compétition,

sélection ou ségrégation des groupes dans l'espace tient peu compte du milieu lui-même et du

rapport que nous entretenons avec lui, les objets actuels de l'écologie . L'optique de l'école de

Chicago est sociologique et pêche par scientisme, puisqu'elle espère transférer les lois de

répartition des espèces animales ou végétales dans leur milieu à l'habitat urbain, dans une

perspective évolutionniste . Les localisations de l'habitat humain dépendent des colonisations, des

mouvements de diffusion des populations, de la création de routes permettant le départ vers

193 Ce fut l'un des premiers au monde, la France ayant une propension à institutionnaliser les problèmes.

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

d'autre lieux, de la complexification progressive de l'ensemble du système urbain . Le darwinisme

adopté est toutefois moins social que réformiste 19a II nourrira néanmoins à son insu une

planification qui a renforcé la ségrégation des quartiers et la déréliction des centres américains,

avec l'appui de l'administration fédérale, comme nous l'avons déjà évoqué' 9s

L'école de Chicago a donc conduit à des impasses théoriques et pratiques : le transfert de modèles

entre les sociétés biologiques et les sociétés urbaines, la légitimation involontaire des

mouvements ségrégatifs à l'oeuvre dans les villes . Les métaphores organicistes appliquées à la

ville, les rapprochements entre habitats biologique et urbain ne sont pas pour autant dénués de

fondement. Es ont du reste été développés à toutes les époques. L'écologie écosystémique

s'inscrira dans cette tradition pour décrire la dimension physique du milieu urbain, sans

prétention d'expliquer les comportements humains, bien que quelques dérives apparaissent

parfois.

L'approche écosystémique commence à être appliquée au milieu urbain dans les années cinquante

et s'affirme à la fin des années soixante. Avec l'ouvrage de Wolman, en 1965, "The metabolism

of cities", les flux de matière et d'énergie qui traversent et nourrissent la ville sont analysés pour

la première fois . Ils montrent que la ville dépend d'un hinterland beaucoup plus étendu, planétaire

aujourd'hui, et la masse des transferts effectués pour satisfaire les consommations citadines.

"L'empreinte écologique" des villes ne coïncide pas avec leur assise morphologique, elle épuise

ou sature les milieux ruraux et surtout naturels sur de très grandes distances 196 , par ses ponctions

et ses rejets, qui ont des incidences géomorphologiques, hydrologiques, atmosphériques et

climatiques, pédologiques et agricoles 197 , biotiques et écosystémiques, et en bout de chaîne des

incidences sur la santé humaine. Cette empreinte empiète aussi sur l'avenir, comme le figure le

schéma tracé par Joe Ravetz (figure 4) . Par cette emprise, le problème urbain se situe au coeur

des questions écologiques globales.

194 H. Kuklick, 1994 . L'école de Chicago et la politique de planification urbaine . La théorie sociologique commeidéologie professionnelle, op. cité.195 Notamment la Federal Housing Administration, qui dans les années 30 accordait des prêts sur des critères sociauxet raciaux, afin de ne pas contaminer les nouveaux quartiers et de préserver leur valeur immobilière . Cette "stratégiedu filtrage" a été alimentée par le modèle des zones urbaines de Burgess et par les analyses de Hoyt, influencé parl'école de Chicago.196 Selon Rees et Wackernagel, l'empreinte écologique des villes des pays développés représente 10 à 20 fois ou plusleur superficie . W. E. Rees, M. Wackernagel, 1994 . Ecological footprints and appropriated carrying capacity:measuring the natural capital requirements of the human ecology, in: Investing in natural capital : the ecologicaleconomics approach to sustainability . Jannson, Hammer, Folke, Costanza (eds), Waschington DC, Island Press.

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Joe Ravetz looks at the various forms of analysis of the`sustainable city region' and outlines the aims and structure ofthe TCPA Sustainable Development Group's Sustainable CityRegion Project, which focuses on Greater Manchester .

City region metabolism

Figure 4: L'empreinte écologique des villes, schéma de Joe Ravetz

Sources : "In search of sustainable City" Town and Country Planning, Jane 94, vol . 63, n° 6.

La notion d'écosystème urbain est défendue par Stoddart en 1968 19ß , puis par Duvigneaud en

France, en 1974 199 , dont les travaux seront controversés. Duvigneaud (comme Odum aux Etats

-Unis) oublie la dimension socioculturelle de la ville et présente un tableau d'interactions

biophysiques et biopsychiques en guise de ville, au demeurant intéressant mais dont certaines

conclusions sont inacceptables . La voie est ouverte pour des recherches moins réductrices.

197 Erosion et épuisement des sols par l'intensification des pratiques agricoles, pour les ponctions, épendages deboues d'épuration ou de composts urbains, pour les rejets, créant par exemple des sols couverts de plastiques et de

métaux au pied des plus prestigieux vignobles de champagne français . ..198 W. Stoddart, 1968 . Cultural ecology, Mc Millan Co . and the Free Press, New York.199 P. Duvigneaud. La synthèse écologique, Populations, Communautés, Ecosystèmes, Biosphère, Noosphère . Doin,296'p .

100

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Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

Le programme Man And Biosphere de l'Unesco, l'Homme et la Biosphère, conférera une

légitimité internationale à cette approche en se limitant à une description physique de la ville. Un

de ses projets est consacré aux établissements humains et dirigé par une équipe australienne qui

travaille sur Hong Kong . Une modélisation des flux urbains, reposant sur quelques cent

cinquante variables, est menée. On simule ce qu'il advient si l'on utilise tel type de matériau de

construction, telle répartition de l'habitat, densité, etc . Ces recherches manquent cependant

d'opérationnalité, de finalité pratique et omettent d'impliquer les acteurs politiques de Hong

Kong. D'autres villes feront l'objet de recherches plus appliquées dans le cadre du programme

MAB200, mais la volonté politique pour prendre en considération leurs résultats est absente.

Cette vision métabolique de la ville sera reprise par différents auteurs 201 et donnera lieu à

quelques recherches spécifiques202 . Lorsque l'on tente de faire un bilan de l'écologie urbaine,

comme Christian Gamier et Philippe Mirenowicz, dans un numéro de la revue Metropolis

consacré à l'écologie urbaine203 , et le géographe Francis Beaucire, à différentes reprises 204, il

apparaît que l'écologie urbaine fait trop peu appel aux sciences humaines, qui de leur côté s'en

désintéressent . Le sociologue Edgard Morin avait proposé d'établir un pont philosophique et

conceptuel en forgeant la notion d'éco-sociosystème . Mais cette suggestion aura peu de

retombées pratiques . Néanmoins, la dimension écosystémique est l'une des dimensions actuelles

des analyses sur la ville durable, tant sur le plan de l'analyse physique du milieu urbain, que sur

un plan théorique, méthodologique, puisque la méthode écosystémique sous-tend par exemple le

rapport européen de la campagne des villes durables 204 . L'éclairage écosystémique est dans ce cas

particulièrement pertinent et facilite la compréhension des problèmes et des interactions

écologiques.

200 Francfort, Rome, Tokyo, Numata. Voir P. Mirenowicz, 1984, L'écologie des systèmes urbains, Metropolis, n° 64-65, p 17.201 H. Girardet (dir .), 1993 . The Gaia Atlas of cities . New directions for sustainable urban living, op . cité.L'hypothèse Gaïa, formulée par John Lovelock, considère la Terre comme un système auto-régulé, homéostasique,"vivant", si l'on applique ce qualificatif, à la suite de Lynn Margulis, à tout regroupement d'éléments (cellule, organe,corps, Terre) qui s'entoure d'une membrane protectrice.202 Par exemple B . Dambrin, 1979 . Evaluation des flux et bilan d'énergie de la ville de Paris . Thèse de 3° cycle del'Université Paris VII.203 Metropolis n° 64-65, 1984 : Ecologie urbaine L Nouveaux savoirs sur la ville, 128 p.204 1996, Contrainte écologique et développement durable, in : P . Genestier (dir.), Vers un nouvel urbanisme., Fairela ville, comment? Pour qui?, La documentation française, pp 127-138.205 Que nous résumons en page 150 .

101

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Dans un dernier temps enfin, l'écologie urbaine s'ouvre à l'étude des politiques d'environnement

urbain, et c'est dans ce domaine, comme science ou savoir appliqué, qu'elle est le plus

convaincante, et particulièrement utile . En France, les travaux de François Lapoix, la synthèse

que réalisent Bernard Barraqué et Philippe Mirenowicz sur les expériences françaises, les

nombreux articles de Christian Garnier diagnostiquent l'état de l'environnement urbain et

formulent de multiples propositions. Dans les municipalités, les nouveaux services de

l'Environnement se heurtent aux mêmes problèmes que l'écologie théorique : les approches sont

trop sectorielles, cloisonnées 206 . On traite les nuisances d'un côté -air, eau, bruit, déchets-, la

nature, les espaces verts, de l'autre . La qualité des projets urbains et la qualité de vie font l'objet,

selon Bernard Barraqué 207 , d'une troisième famille de politiques . On parle beaucoup d'intégration

sans parvenir à la réaliser 208 . Un mot d'ordre apparaît alors : intégrer la prise en compte de

l'environnement dans toutes les politiques . L'organisation des services municipaux est perçue

comme un facteur de blocage 209

Toutefois, l'écologie urbaine reste une science et une pratique dotées de fort peu de moyens . Le

Ministère de l'Environnement, en France, s'efforce d'imposer une législation plus stricte au début

des années 90 sur l'ensemble du territoire, pour que soient respectées les directives européennes

(lois sur l'eau, les déchets, le paysage, le bruit, l'air) . Mais les mesures destinées au milieu urbain

sont timides. Le traitement des nuisances est inégal d'un domaine à l'autre . La pollution

atmosphérique et le bruit ne font l'objet d'aucune mesure d'envergure . Comme l'hygiénisme, qui

avait bouleversé le tissu urbain et les conceptions de la ville, le développement durable

engendrera un deuxième désenclavement, en portant la question de l'écologie urbaine au coeur

des problèmes d'environnement globaux.

206 C. Garnier, 1994 . Ecologie urbaine ou environnement urbain?, op . cité.207 B . Barraqué, 1993 . Le gouvernement local et l'environnement, in : S . Biarez, J-Y . Nevers (dir .), Gouvernementlocal et politiques urbaines, pp 110- 177.208 Voir P. Mirenowicz, 1984 . Les approches intégrées de l'environnement dans les politiques urbaines, Métropolis,n° 64-65, p 18.209 B. Barraqué, 1993 . Le gouvernement local et l'environnement, op . cité.

102

Page 25: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie IL Un modèle émergent: la ville durable

Figure 5: Du lieu au globe, la spirale des impacts urbains.

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

1. 2 . Le tournant des années 90 : lorsque le développement durable devient urbain ...

La question de la ville est peu abordée dans les premiers travaux du développement durable . Elle

est en effet un objet transversal, complexe, qui ne peut être appréhendé sans qu'un certain

nombre d'éléments n'aient été au préalable éclaircis . La réflexion se concentre d'abord sur des

thèmes plus circonscrits, et non sur des territoires . Le rapport Brundtland, par exemple, évoque

les problèmes de la consommation énergétique des villes, des transports automobiles et de la

dispersion urbaine. A ses yeux, le principal défi urbain se joue dans les pays du Sud, où la

croissance des villes associée au manque d'infrastructures conduit à des situations sans issue.

L'aménagement d'une trame urbaine de villes secondaires et le maintien de l'habitat rural sont

préconisés . Freiner en somme l'urbanisation et la concentration dans les grandes métropoles est

une des premières approches de la question urbaine dans l'optique d'un développement durable.

Le problème urbain est relativement négligé jusque dans les années 90, d'une part parce que le

regard porté sur la ville est quelque peu empreint de négativité, la ville étant considérée comme

une source de problèmes écologiques susceptibles de se résoudre par un rééquilibrage de l'habitat

en faveur des campagnes, d'autre part parce que ce milieu est d'une telle complexité que l'on ne

peut adopter de résolutions simples à son égard . Le développement durable s'attache d'abord à

des problèmes qui peuvent appeler des solutions à peu près circonscrites . La réflexion sur la ville

procède d'une étape ultérieure. Il faut attendre ainsi 1988 pour que le terme de "ville durable"

apparaisse, dans le cadre du programme MAB de l'Unesco consacré à l'écologie urbaine . Après

Rio, des programmes d'actions spécifiques sont initiés sur ce thème et en 1996 la conférence sur

les établissements humains organisée par l'ONU, Habitat II, aborde le sujet prudemment.

Depuis la première conférence des Nations Unies sur l'Environnement, à Stockholm, les villes

sont devenues des acteurs politiques plus puissants, abritant près de la moitié de l'humanité . Elles

peuvent donc revendiquer un rôle dans la gestion des problèmes globaux . D'autre part, les

conventions et accords internationaux ont montré la limite des approches surplombantes . Le

développement durable ne peut pas être mis en oeuvre globalement et doit donc l'être

ponctuellement, partiellement, afin de rendre possible l'amorce d'une démarche, de donner

davantage de concrétude à ces questions et de légitimer ensuite des décisions prises à des niveaux

supérieurs . La ville paraît être un échelon très pertinent pour impliquer les acteurs locaux et les

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Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

habitants, et faire jouer les procédures démocratiques . L'appropriation du thème du

développement durable par la société civile conditionne son succès.

On observe ainsi un infléchissement de la problématique du développement durable vers le

domaine urbain . Les publications sur les villes durables se multiplient, émanant de chercheurs et

d'institutions telles que l'OCDE et la CEE, qui, après avoir engagé une réflexion générale sur le

développement durable, s'attachent au contexte urbain. Les années 90 marquent le passage d'une

appréhension globale et thématique à une appréhension territoriale, urbaine . Il s'agit d'une

seconde étape, plus pragmatique et appliquée, qui traduit une maturation de la réflexion sur le

développement durable.

De Rio à Istanbul: les villes "durables"; prémices

Bien que les villes soient conviées à participer à la mise en oeuvre de l'Agenda 21, le problème

urbain n'est pas abordé directement durant la Conférence de Rio sur l'Environnement et le

Développement, en 1992 . Il est cependant débattu parallèlement, quelques jours avant l'ouverture

du Sommet, lors d'une rencontre qui s'organise à Curitiba puis à Rio, à l'initiative du "groupe

G4+" . Le G4+ regroupe les quatre grandes associations internationales de villes, IULA 210, la

FMCU211, Métropolis et le Sommet des grandes villes du monde, ainsi que des associations

régionales de collectivités locales . Cette réunion, à laquelle ont participé environ trois cents

maires, des élus et des associations, a permis d'adopter "l'engagement de Curitiba", que nous

reproduisons ci-dessous . Ce texte préconise l'élaboration d'Agendas 21 locaux, par une procédure

de consultation la plus ouverte possible, ainsi que le renforcement de la coopération décentralisée

entre les villes.

210 L'Union Internationale des Autorités Locales fédère 30 000 collectivités locales de 80 pays.211 La Fédération Mondiale des Cités Unies est implantée également dans 80 pays .

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Figure 6: l'engagement de Curitiba pour un développement viable

Sources : "La planète Terre entre nos mains", la Documentation française, 1994.

À l'aube du troisième millénaire, la recherche d'un équilibre entre les besoins dedéveloppement et la protection de l'environnement représente le plus grand défi auquell'humanité doit faire face.

Les villes sont le produit de rêves, de visions et de grandes réalisations . Elles sont descentres de création de richesse, de cultures diverses et d'occasions multiples pour lapersonne et pour la société.

Un nombre sans cesse croissant d'hommes et de femmes habitent les villes . Au cours decette décennie seulement, 500 millions de personnes s'ajouteront aux populationsurbaines, principalement dans les pays en développement . D'ici à l'an 2000, les citadinsreprésenteront la moitié de la population mondiale . Des millions de gens vivront dans lamisère, et bon nombre d'entre eux seront des enfants, cette nouvelle génération danslaquelle se fondent nos espoirs . Ils méritent un nouveau départ dans la vie pour qu'ilssoient en mesure de briser le cycle de la pauvreté.

Notre négligence envers les écosystèmes et la façon dont nous dilapidons de précieusesressources menacent la qualité de vie de tous les peuples . La situation est aujourd'huicritique.

Il faut changer d'orientation . La communauté internationale doit prendre des mesuresradicales, comme, par exemple, alléger le poids de la dette internationale, elle-mêmecause potentielle de dégradation de l'environnement.

De nombreux problèmes environnementaux à l'échelle mondiale ont pour origine lesvilles ; c'est donc des villes que doit émaner leur solution . L'action locale est nécessaireà la survie globale.

La première étape consiste à ne pas aggraver la situation et, partant de là, à l'améliorer.Les solutions ne doivent pas obligatoirement être toutes radicales ; des idées créativesmais simples feront l'affaire.

Ces idées peuvent naître et se développer en rassemblant tous les secteurs de la sociétédans un partenariat . Il est vital que la collectivité toute entière participe'.

Les villes doivent devenir « viables ,, c'est-à-dire qu'elles doivent gaspiller le moinspossible et économiser le plus possible.

Elles peuvent ainsi promouvoir le changement dans le monde entier, en partageant leursavoir-faire et leur expérience avec d'autres villes . Ces actions collectives sont à mêmede créer une nouvelle solidarité mondiale.

Nous, en tant que responsables de gouvernements locaux et dirigeants de villes et derégions métropolitaines du monde entier, nous nous engageons

- dans un premier temps, à faire en sorte de fournir les services essentiels à tous noscitoyens, sans causer aucune dégradation supplémentaire de l'environnement ;- à accroître progressivement l'efficacité énergétique- à réduire progressivement toute forme de pollution ;à gaspiller le moins possible et à économiser le plus possible ;à combattre les inégalités sociales, les inégalités entre les sexes et la pauvreté ;à donner la priorité aux besoins des enfants et à l'application de leurs droits ;à intégrer la planification environnementale et le développement économique ;à impliquer de plus en plus l'ensemble des acteurs de la collectivité dans la gestion

de l'environnement ;- à mobiliser toutes nos ressources dans le sens d'une coopération accrue entre lescollectivités locales .

106

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Plans d'action

Pour remplir les engagements mentionnés précédemment et visant un developpement

viable, il est convenu que chaque autorité locale devrait élaborer un plan d'action ou

Agenda 21 local comprenant des objectifs et des calendriers, comportant des

mesures telles que :

- la mise en place d'un mécanisme de consultation locale permettant aux représentants

d'organismes communautaires, des secteurs industriels et des affaires, d'associations

professionnelles et des syndicats, des institutions pédagogiques et culturelles, des

médias et des gouvernements, de se réunir dans le but de créer des partenariats

susceptibles de promouvoir le développement durable ;

- la formation d'un comité interservices au sein de l'appareil municipal, chargé decoordonner les activités de planification, d'élaboration de politiques et de

développement menant à des pratiques en matière d'utilisation des sols, de transport,

d'énergie, de construction, de gestion des déchets et de l'eau, qui soient respectueuses

de l'environnement ;

- la réalisation, à intervalles réguliers et avec la participation de tous les secteurs de la

collectivité, d'audits environnementaux et la mise sur pied de bases de données sur les

conditions environnementales locales ;

- la révision et l'amélioration des procédures de recouvrement de taxes, amendes etredevances déjà perçus par la municipalité, afin : de favoriser les comportements

viables et de décourager les activités non viables ; de faire payer, dans leur intégralité,les coûts environnementaux de tout type d'activité ; d'augmenter les crédits aux fins

d'investissements dans des projets locaux de développement viable ;- l'adaptation de politiques d'approvisionnement privilégiant l'achat de produits et de

matériaux respectant l'environnement ;

- l'instauration d'un programme en matière de développement viable qui sera enseignédans les écoles et autres institutions de compétence municipale ;

- la création, dans le cadre de la formation continue des dirigeants municipaux et

communautaires, d'un forum sur les questions ayant trait à l'environnement et au

développement viable ;- l'adhésion et la participation à des réseaux régionaux et internationaux d'autorités

locales, afin d'accroître les échanges d'information et d'assistance technique entre les

municipalités et d'inciter des gouvernements nationaux à soutenir et à financer leurs

objectifs relatifs à l'environnement et au développement.

Les autorités locales, les villes et les régions métropolitaines unissent leurs efforts, par

leurs associations et réseaux, pour relever les défis de l'Agenda 21, le programme

d'actions de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement.

Elles prépareront leurs plans d'actions, y compris les objectifs et calendriers

correspondants, et présenteront un rapport sur ces plans à leurs associations respectives

d'ici un an.

Les quatre associations citées dans le préambule en coordonneront le suivi.

Curitiba, le 29 mai 1992

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Si les villes ont désormais la tâche d'élaborer des agendas 21 locaux, encore faut-il assurer un

relais, les accompagner dans cette démarche, car elles sont évidemment bien étrangères à cette

problématique. Nous verrons d'ailleurs que leur perplexité devant un tel programme perdure,

notamment en France, où la diffusion de cette notion est très restreinte . En 1990, un organisme

est donc mis en place sous l'impulsion des Nations Unies pour assurer ce relais entre les

institutions internationales et les collectivités locales, à l'occasion du "Congrès mondial des

collectivités locales pour un avenir durable", qui se tint à New York . ICLEI, le Conseil

International des Initiatives Environnementales Locales, fut ainsi fondé avec la mission de

sensibiliser les collectivités aux questions d'environnement et de développement durable,

d'appuyer la constitution de réseaux de villes et de campagnes en faveur de la mise en place

d'agendas 21 locaux et de la lutte contre l'effet de serre.

ICLEI est une association qui regroupe actuellement 240 autorités locales, dont une centaine en

Europe, et quelques associations de collectivités locales . Elle est implantée au Canada, à Toronto

pour son siège principal, et à Fribourg pour son siège européen, mais dispose de bureaux sur

presque tous les continents : à Tokyo, pour la région Pacifique et asiatique, à Berkeley, pour les

Etats-Unis, à Harare pour la région Afrique, à Santiago du Chili pour l'Amérique latine, et à

Bruxelles, où s'est installé le secrétariat de la Campagne européenne des villes durables.

Cet organisme exerce une double pression : auprès des collectivités locales, en leur proposant

différents programmes et réseaux auxquels elles peuvent participer, et auprès des institutions

internationales afin que la mise en oeuvre au niveau local de l'Agenda 21 de Rio soit sans cesse

réaffirmée. ICLEI a joué ainsi un rôle dans la constitution du chapitre 28 de l'Agenda 21, qui

confère aux collectivités locales une responsabilité dans la mise en oeuvre de l'Agenda, ainsi que

lors de la conférence d'Habitat II, le Sommet des villes, afin que l'Agenda 21 soit inclus dans

l'Agenda d'Habitat.

ICLEI remplit sa mission . Les deux conférences européennes sur les villes durables, organisées

sous sa responsabilité en 1994 à Aalborg et en 1996 à Lisbonne, ont prouvé son efficacité . De

nombreuses actions municipales sur le thème du climat ou de l'agenda 21 ont été impulsées avec

sa contribution, détaillées dans les encadrés suivants. Plusieurs campagnes nationales d'Agendas

21 Locaux ont vu le jour en Europe et dans le monde : en Australie, Nouvelle-Zélande, Brésil,

Afrique du Sud, Tanzanie, Chine, Japon, Royaume-Uni, Irlande, Finlande, Suède, Norvège,

Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Hongrie, Grèce . ICLEI organise des séminaires, conférences et

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Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

colloques pour réunir les collectivités intéressées et édite une série de documents à leur adresse,

pour les aider à mettre en oeuvre des politiques de développement durable . L'association joue

ainsi un rôle de diffusion de l'information, de formation et tente de renforcer les compétences des

collectivités locales.

On lui reproche parfois, particulièrement en France, une certaine hégémonie, des méthodes un

peu directives et son monopole de "réseau des réseaux" . Ces difficultés relationnelles ont leur

importance car elles expliquent en partie le fait que peu de villes françaises participent aux

campagnes sur la ville durable et le climat orchestrées par ICLEI et qu'aucune ne soit membre de

l'association.

Les différentes activités menées par ICLEI sont résumées dans les encadrés qui suivent, ainsi que

l'état actuel de la question de l'effet de serre, nécessaire pour comprendre la mobilisation des

villes à ce sujet .

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Les principales actions d'ICLEI,le Conseil International des Initiatives Environnementales Locales

- La Campagne des villes contre le changement climatique:

Initiée en 91 avec 14 villes pilotes, elle regroupe 150 autorités locales en 96, dont 67 en Europe.

Elle donne lieu à l'élaboration de Plans d'action locaux pour la réduction des émissions de CO2.

- Le Programme des communautés modèles pour la mise en oeuvre d'agendas 21 locaux:

Lancé en 91 avec 21 villes pilotes, ce programme a permis de préparer un guide méthodologiquepour l'élaboration d'Agendas 21 locaux, paru en 95.Les villes européennes impliquées dans ce programme étaient au nombre de 14 : Amsterdam,Athènes, Berlin, Bratislava, Espoo, Gdansk, Kiev, Lisbonne, Londres, Milan, Mulhouse, Prague,Riga, Tallin.A l'échelle méditerranéenne, une conférence sur les Agendas 21 locaux méditerranéens, tenue àRome en novembre 95, avec le support de la Commission Européenne, a réuni 92 collectivitéslocales de 21 pays.Au niveau mondial, un autre programme a été lancé en 94, orienté vers les pays du Sud,concernant 13 collectivités:

- La Campagne européenne d'Agendas 21 locaux:

Initiée en 94 dans le cadre de la campagne européenne des villes durables, elle impliqueactuellement 250 collectivités, dont certaines sont en voie d'élaborer des Agendas 21 locaux,tandis que d'autres ont simplement rejoint la campagne sans plus d'engagements .

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Partie IL Un modèle émergent : la ville durable

Réseaux secondaires impulsés par ICLEI

- Le projet de budgétisation environnementale:

II doit être expérimenté en Allemagne à Bielefield, Dresden, Münster, Saarbrücken, Osnabrück,Heidelberg, et dans le Comté de Nordhausen, afin d'établir une comptabilité des ressourcesnaturelles et de leur consommation.

- Le réseau des autorités européennes locales et régionales pour la création d'emplois, lasensibilisation et la diffusion de bonnes pratiques dans le champ de la conservation de lanature et de la protection des espèces:

Ce réseau est en cours d'initiation et compte comme premières villes candidates : Linz, Aarhus,Kuopio, Brême, Hannovre, Heidelberg, Karlsruhe, Nordhausen County (All .), Rhodos, Terni,Oeiras, Göteborg, Laholm, Kent County, Middlesborough.

Deux projets à venir:

- Le projet de réseau de municipalités consommatrices de produits "verts"

- Le projet des écomunicipalités baltiques

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Rappel sur l'effet de serre

Le contexte international

D'après les conclusions du Groupe International d'Experts sur le Climat, le GIEC 212, le forçageradiatif est dû à 56% au C02, 24% aux CFC, 11% au méthane, 6% au NO. Le CO 2 est en quasitotalité émis par les combustibles fossiles . Or la consommation d'énergies fossiles (charbon,pétrole) devrait presque doubler d'ici 2020 si rien n'est fait pour enrayer leur utilisation . Les paysde l'OCDE sont responsables de 73% des émissions de gaz à effet de serre . Au rythme dedéveloppement actuel des pays du Nord et du Sud, les pays en voie de développementrejetteraient 60% de ces émissions en 2010. Il est prévu que les émissions de gaz à effet de serreaugmentent globalement de 50% d'ici 2010.

Lors du sommet de Rio, la Convention Cadre sur les Changements Climatiques a été ratifiée partous les pays membres de l'Union européenne, à l'exception de la Turquie . La première session dela Conférence des Parties s'est tenue à Berlin en avril 95, suivie par la Conférence de Genève endécembre 96 . Les pays ne parviennent pas à se mettre d'accord pour fixer des objectifs quantifiésde réduction des émissions de gaz à effet de serre . On a observé à Genève des reculs tant de lapart des USA que de la part de l'Europe, dus partiellement à la France et l'Espagne qui refusentles quotas d'émissions, la France émettant moins d'émissions que d'autres pays européens . Lapression des associations écologistes (Action Climat Europe, WWF, Action Climat France,Greenpeace), de l'AOSIS, l'Alliance des Petits Etats Insulaires213, et des compagnies d'assurancen'a pas pu infléchir ces positions . En décembre 97, une troisième conférence des Parties à Kyotodevrait établir un protocole incluant des réductions chiffrées de gaz à effet de serre, mais yparviendra-t-elle?

Quelques prévisions d'augmentation des émissions d'ici l'an 2000 : +10% pour les Etats-Unis,+13% pour le Canada, +23% pour l'Australie, +15% pour la Nouvelle-Zélande, + 0-5% pourl'Europe (AFP du 17 juin 96).

Le contexte européen

Dans la Communauté, le CO 2 contribue à 79% au réchauffement climatique potentiel (d'après leGIEC). Il provient à 95% des combustibles fossiles, à 20% des voitures individuelles.

L'Union Européenne a adopté en 91 les stratégies suivantes : programmes communautairesdestinés à appuyer les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables(Save, Altener, Joule, Thermie) ; proposition de taxe mixte énergie-C02 ; élaboration d'unmécanisme de surveillance des émissions . Le projet d'écotaxe a été refusé mais cinq Etats l'ontmis en oeuvre indépendamment.

212 Les rapports du GIEC sont le résultat de la collaboration de plus de 2000 chercheurs et experts, comprenant desprocédures d'expertise et contre-expertise . Stratégie nationale du développement durable . Fondements etorientations, février 97, p 8.213

L'AOSIS regroupe trente-six pays insulaires indépendants du Pacifique Sud, de l'océan Indien et des Caraïbes, quise sont engagés à réduire leurs émissions de CO2 d'au moins 20% entre 1990 et 2005.

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Pour limiter les émissions, les pays européens doivent travailler dans le sens de l'efficacitéénergétique, du renforcement des transports publics, de la substitution des énergies polluantes(charbon, fuel) par des énergies plus propres (gaz naturel, électricité), de la constitution de"puits" de carbone (reboisement) 214

Selon Eurostat, de 1990 à 1994, les émissions de CO 2 auraient été réduites de 2,7%(ralentissement économique), mais une augmentation de 0 à 5% est prévisible d'ici 2000,relativement aux niveaux d'émissions de 1990. Ces chiffres sont des estimations . Selon l'AgenceInternationale de l'Energie de l'OCDE, la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Basparviendront à respecter les engagements de Rio pour l'an 2000, et même à diminuer leursémissions pour les trois premiers . La France connaîtra une hausse de 11 %, l'Italie de 9%, laFinlande de 35%, la Turquie (hors convention) de 72%.

Le contexte national

La France a demandé à la conférence de Genève en 1996 des quotas d'émissions par tête auniveau européen, qui lui sont plus favorables et lui permettraient d'augmenter encore sesémissions.Au niveau national, une loi sur l'air a été adoptée en janvier 97 par le Parlement, après desnégociations difficiles . Cette loi prévoit finalement 4 types de mesures:

- La mise en place de réseaux de mesure de pollution de l'air dans les agglomérations de plus de250000 habitants . 13 polluants seront mesurés au lieu de 7 actuellement . Dans une deuxièmeétape, on prévoit d'étendre le réseau à toutes les collectivités de plus de cent mille habitants.

- Un Plan de Protection de l'Atmosphère devient obligatoire dans les villes de plus de 250000habitants dans un délai de 18 mois . Il s'agit d'assurer le respect des seuils limites en limitant letrafic routier et les rejets des entreprises lorsque l'alerte atteint le niveau 3 . Les voitures propres(électriques, à gaz) seront munies de pastilles vertes leur permettant de rouler dans tous les cas.Au niveau d'alerte 2, des consignes sont données afin que les populations sensibles ne s'exposentpas à la pollution.

- Des Plans de déplacement urbain doivent être élaborés par les préfets dans un délai de deux ansdans les villes de plus de cent mille habitant, donnant la priorité aux transports en commun et auxdéplacements propres . Chaque nouvelle route doit être accompagnée de la construction d'unepiste cyclable. Tous les documents d'urbanisme devront intégrer les risques de pollution pour lasanté.

- Des contrôles techniques plus rigoureux des émissions polluantes des véhicules seronteffectués, donnant lieu à des amendes pour les véhicules hors normes.

On peut se poser des questions sur l'application de ces mesures. Durant l'hiver 97, soumis à desniveaux d'alerte 2 et 3, les mesures ont été les suivantes: arrêtés préfectoraux interdisant latraversée des agglomérations par les poids lourds, suspension des activités de plein air pour lesécoles, gratuité du stationnement pour les résidents, contrôles d'émissions polluantes desvéhicules, passage de certaines industries à un fuel à basse teneur en souffre . Les voitures ontcontinué à rouler . ..

214 Evaluation des émissions de C02: VUE progresse, Energie Plus. 15 juin 96.

113

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Principales actions relatives au climat conduites par ICLEI

En 91, le projet de réduction du CO2 urbain a impliqué 14 villes volontaires pour élaborer desplans d'action en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord:

Dade County- Miami (Floride), Denver (Colorado), Minneapolis et Saint-Paul (Minnesota),Portland (Oregon), San Jose (Californie), City of Toronto, Metropolitan Toronto, Bologne,Copenhague, Hannovre, Helsinki, Saarbrücken, Ankara.

Six séminaires d'une semaine chacun, un guide et un livre d'instructions les ont aidées à élaborerun Plan d'Action pour deux ans . Parmi les actions entreprises:

- la réduction du trafic automobile urbain

- la mise en place de moyens de transports alternatifs (voitures électriques, au gaz, pistescyclables, transports en commun)

- la maîtrise énergétique et la maîtrise de la demande

- le développement de la cogénération et des énergies renouvelables

- la planification d'une mixité fonctionnelle dans les nouvelles zones de construction

- le développement des espaces verts qui absorbent le CO 2 et filtrent l'atmosphère urbaine

- des actions de sensibilisation.

En janvier 93 la Campagne des villes pour la protection du climat a été lancée à New Yorklors du "Sommet des Maires sur le Changement Climatique et sur l'Environnement Urbain ", encollaboration avec le PNUE.

En mars 93, une conférence équivalente s'est tenue à Amsterdam, "l'Assemblée des MairesEuropéens sur les Changements Climatiques" . La Déclaration des Maires sur le ChangementClimatique qui en est issue engage les villes qui ont rejoint la campagne des villes pour laprotection du climat à:

- développer un plan d'action local pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ; réduiresignificativement la consommation d'énergie et les émissions associées aux bâtiments et flottesde véhicules municipaux

- mettre en oeuvre des politiques de communication pour changer les attitudes et comportementsdu public à travers l'information, la consultation, l'éducation

- se joindre à d'autres municipalités pour accroître la demande de technologies efficaces peuémettrices de CO2

- faciliter la disponibilité dans le commerce de technologies avancées.

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

En septembre 94, à Heidelberg, la conférence "Comment combattre le réchauffement du globe auniveau local?", organisée avec l'OCDE et la Commission européenne, a donné lieu à une autreDéclaration des Maires, signée par 13 d'entre eux, dont l'objectif est de ramener les niveauxd'émission de 2005 à ceux de 1987, selon un agenda déterminé.

En mars 95 s'est tenu à Berlin le Second Sommet des Maires sur le Changement Climatique, àl'occasion de la Conférence des Parties de l'ONU sur la convention climatique . L'objectif étaitd'associer étroitement les maires à la conférence des Parties et de témoigner des efforts qui ontété entrepris localement, susceptibles d'avoir un effet d'entraînement.

Des séminaires ont également été tenus en 95 sur le thème de l'ozone troposphérique dans lesvilles et régions européennes.

THE NEW YORK TIMES

Detroit intensifie son lobbying contre l'air pur

Depuis cinq ans, les constructeurs automo-biles américains craignaient que le gouver-nement Clinton n'impose une réglemcnta-Liun plus sévère en matière (le pollutionatmosphérique : leurs craintes sont en traind'être confirmées . Le mois dernier, le pré-sident Clinton a approuvé un renforcementdes normes relatives à la qualité de l'air dansles grandes villes . Plus grave encore pour l'in-dustrie automobile, le chef de l'Etat atnéri-cain a déclaré, lors du Sommet de la Terre del'ONU, à New York, qu'il viendrait à Kyoto aumois de décembre avec un engagement amé-ricain en vue de réduire les émissions de gazentraînant un effet de serre . Les représen-tants des professionnels de l'automobile, quiredoutaient depuis (les mois cette double évo-lution, s'efforcent d'ores et déjà de mobiliserles membres du Congrès contre les initiativesdu gouvernement . La limitation des émis-sions de dioxyde de carbone constitue unegrave menace potentielle pour les construc-teurs automobiles . Un tel objectif impliqueune réduction soit de la consommation d'es-sence des moteurs, soit du nombre des véhi-cules en circulation . Les fabricants (le Detroitont déjà toutes les peines (lu monde ) seconformer aux normes en vigueur sur leséconomies de carburant, car une part de plusen plus importante (le leur chiffre d'affairesest réalisée grâce aux ventes de 4 x 4 et autresvéhicules utilitaires dits "sportifs". L'objec-tif principal du lobbying de l'industrie auto-mobile est d'obtenir que les normes qui

seront négociées à Kyoto ne constituent, entout état de cause, que des recommandationsnon contraignantes, applicables par ceux quile souhaiteraient.

Le désarroi suscité chez les construc-teurs de Detroit par les décisions du gou-vernement est réel . Les responsables deGeneral Motors, Ford et Chrysler craignenten effet de se retrouver handicapés face àla concurrence étrangère . Ford et surtoutChrysler produisent déjà plus de véhiculestout-terrain, de fourgonnettes et (le pick-upque de voitures de tourisme . Or ces der-nières sont généralement beaucoup moinsgourmandes et émettent donc moins de gazcarbonique. En outre, les constructeursétrangers fabriquent essentiellement desvoitures de tourisme.

Les "Big Three" de Detroit risquent éga-lement de se heurter à la nouvelle régle-mentation en vigueur sur la qualité (le l'air enagglomération . En effet, alors que bon nombre(le leurs usines se trouvent toujours clans lesmétropoles du Midwest, où ta pollution faitproblème, les constructeurs japonais et euro-péens ont installé leurs unités (le montage lesplus récentes clans de petites villes (lu Sud . Cechoix répondait initialement à une volontéd'échapper à l'emprise (les syndicats, maisil a un avantage supplémentaire pour lesindustriels étrangers : les sites retenus sontmoins touchés par la pollution atmosphériqueet devraient satisfaire facilement aux normesplus strictes de qualité de l'air, sans frais sup-plémentaires pour les constructeurs qui y sontimplantés .

Keith Bradsher

Figure 7: La bataille de l'air: récent extrait d'article. ..

Sources: "Courrier international" n° 351, 24-30 juillet 1997.

115

Page 38: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Quelques réseaux complémentaires d'ICLEI dans l'action contre l'effet de serre

L'Alliance climatique des villes européennes avec les peuples indigènes de l'Amazonie pour la

protection de l'atmosphère terrestre . Tel (Vienne): 0222/270 4124. Télécopie : 270 00 99.En 1995, ce réseau regroupait environ 500 municipalités de 12 pays européens, dont une grande

partie en Allemagne, aux Pays-Bas et en Autriche . L'objectif est de réduire les émissions de gazcarbonique de 50% d'ici 2010.

Energie Cités . Tel (Besançon) : 03 81 65 36 80. Télécopie: 03 81 50 73 51.

Parmi les quarante villes du réseau: Amsterdam, Athènes, Berlin, Besançon, Bristol, Bruxelles,

Cherbourg, Clermont-Ferrand, Copenhague, Cork, Funchal (P), Lausanne, Pirée, Leicester,

Lisbonne, Macon, Madrid, Mannheim, Nantes, Newcastle, Odense, Rennes, Rotterdam,

Strasbourg, Sikiès (G), Turin.

150 villes sont impliquées indirectement (échanges, coopération) dans le réseau.

Club des villes sans voitures . Tel (Bruxelles): 32 2 511 96 05. Télécopie : 513 43 22.

Créé en 94 par l'association de villes Eurocités pour promouvoir une mobilité "durable", axée

notamment sur la marche et le cyclisme en ville, les transports publics.

Villes du réseau: Aberden, Agioi Anargyroi, Amaroussion, Amsterdam, Antwerpen, Aosta,

Athènes, Barcelona, Bologna, Birmingham, Bremen, Brno, Caceres, Copenhagen, Dordrecht,

Doncaster, Edinburgh, Eindhoven, Gent, Glasgow, Granada, Groningen, Helsinki, Jaen, Köln,

Krakow, Larissa, Leeds, Liège, Lille, Lisboa, Luxembourg, Malaga, Matosinhos, Monaco,

Nantes, Neo Psychico, Nice, Nottingham, Orvieto, Oviedo, Palermo, Reykjavik, Rotterdam,

Sabadell, San Sebastian, Siena, Strasbourg, Strathclyde Regional Council, Toledo, Torino,

Utrecht, Volos.

Extrait de la brochure intitulée "Réseau Car free Cities, Vivre sa ville":

"Concevoir une vie moderne sans voiture personnelle . Faire évoluer nos mentalités, notre

manière de vivre et de nous déplacer . Libérer les zones d'habitation de la pollution, du bruit et

du danger que représente le trafic en les séparant des zones de circulation et de stationnement.

Moderniser les services afin de permettre la mobilité de chacun, à n'importe quel moment et vers

n'importe quel point, tels sont les objectifs d'une politique de déplacement moderne et durable et

d'une qualité de vie améliorée . Réserver une voiture peut être aussi simple que réserver un cours

de tennis. . . D'ailleurs qui penserait à acheter un cours de tennis? Des solutions réalistes existent

en effet pour renoncer à la possession et à l'utilisation de la voiture personnelle . L'organisation

d'un système performant de co-voiturage en est un exemple . La répartition de l'usage des

voitures en temps partagé, la redéfinition des aires accessibles aux autos constituent d'autres

moyens. Dans l'optique des zones résidentielles sans voitures ou "car free housing ", les parkings

se voient remplacés par des espaces verts ou des terrasses privatives plus grandes . Ces

orientations présentent aussi de nombreux avantages sur les plans financier, environnemental et

social. . . "

Communes Contre l'Effet de Serre . Tel (Rome) : 06 884 15 52 . Télécopie : 06 844 35 04.

Ce réseau de villes italiennes est soutenu par l'association écologiste nationale la "Legambiente".

Parmi les quarante villes impliquées en 94: Aosta, Bologna, Casale Monferrato, Cremona,

Ferrara, Mantova, Modena, Padova, Parma, Pavia, Ravenna, Reggio Emilia, Rieti, Salerno,

Siena, Udine, Vicenza .

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Page 39: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Villes ayant participé au Global Forum 94, Manchester, 24-28 juin 94.

Nancy, Berlin, Chemnitz, Hannover, Gothenburg, Avon, Bristol, Cardiff, East Sussex, Glasgow,Kirklees, Lancashire, Leicester, Manchester, Mendip District, The Hague, Bologna, Barcelona,Cordoba, Lisboa, Alma Ata, Perm, Petersburg, Krakow, Siofok, Alexandria, Amman, Istanbul,Rehovot, Tunis, Accra, Bulawayo, Capetown, Dakar, Nairoby, Bogota, Bridgetown, BuenosAires, Guatemala City, Mexico City, Montevideo, Pereira, Quito, Rio de Janeiro, Sao Paulo,Chattanooga, Newark, Seattle, Toronto, Adelaide, Sydney, Kitakyushu, Bombay, Colombo,Dhaka, Karachi, Kathmandu, Cebu City, Chiang Mai (T), Chongquing (C), Penang (M),Surabaya, Suva (Fidji), Wuhan (C) .

Dans la lignée des conférences, qui, de Rio à Istanbul allaient contribuer à dessiner une stratégie

de développement durable, il faut signaler l'organisation à Manchester du "Global Forum 94", qui

a réuni une soixantaine de villes sur le thème du développement durable et environ mille

participants. Sept thèmes de réflexion ont été abordés : la pauvreté urbaine, l'emploi urbain et les

moyens de subsistance, la gouvernance et les partenariats, l'environnement urbain et la santé, les

ressources et l'espace, l'économie et les finances, les transports et communications . Cette

conférence a été l'occasion de présenter et de discuter les premières expériences des villes et de

sensibiliser davantage les collectivités locales au thème du développement durable . Deux tiers

des participants étant issus des pays du Sud, la réflexion s'est attachée à examiner les politiques

urbaines qui pouvaient jouer à la fois en faveur du développement local et du développement

durable . La conférence s'est conclue par un appel à engager des politiques de développement

durable et de coopération. Une journée sur les agendas 21 locaux, organisée par ICLEI,

prolongeait la conférence, ainsi qu'une conférence académique sur le développement durable.

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

L'orientation de la problématique du développement durable vers le domaine urbain s'est

confirmée lors de la conférence de l'ONU consacrée aux villes et au développement urbain

durable, quatre ans après Rio . Le "Sommet des villes", Habitat II, tenu à Istanbul du 3 au 14 juin

96, a croisé en fait deux préoccupations : celle qui avait fait l'objet vingt ans plus tôt d'Habitat I, à

Vancouver215 , à savoir le droit au logement, et celle de Rio, le développement durable. Habitat II

hybride les thèmes de Vancouver et de Rio, ou encore, comme le souligne Michael Cohen 216 ,

l'habitat comme mode d'établissement humain et l'habitat comme écosystème.

Le contexte de ce "dernier sommet du siècle" est la montée en puissance des villes, sur le plan

démographique, économique, politique . Le premier défi est de loger les 3 milliards de nouveaux

citadins prévus d'ici 2035 217 , la plupart dans les pays en voie de développement . Affirmer le droit

au logement est un début, à un logement "adéquat", selon les termes usités, et financièrement

"abordable", une gageure . . . Philippe Haeringer doute par exemple de la pertinence du programme

Habitat218 . La mise en place d'infrastructures, la qualité du développement et de l'environnement

urbains sont des défis considérables pour les mégapoles des pays en voie de développement.

Dans le même temps, rappelle Jérôme Bindé219 , certaines d'entre elles, comme Sao Paulo, Hong

Kong, Bangkok, Mexico, par exemple, sont des têtes de pont de l'économie globale . Sao Paulo,

qui regroupe 11 % de la population brésilienne, dont la moitié dans de l'habitat sous-intégré,

produit par exemple 25% du PIB 220 .

Le Sommet des villes a faiblement mobilisé les gouvernements et les ONG - on a noté la

présence de 13 chefs d'Etat et de gouvernement, dont aucun des pays industrialisés- . Deux cents

ministres étaient toutefois présents, accompagnés de 185 délégations nationales . Les participants

ont été 2 à 3 fois moins nombreux que prévu221 . Les débats ont réendossé les thèmes des

sommets précédents, le texte soumis à discussion a subi des amendements multiples . En

revanche, les propositions des autorités locales, des ONG et du secteur privé ont été auditionnées

au sein de la conférence et ont été intégrées dans le programme de l'Habitat, procédé inédit dans

un sommet onusien.

215 La première conférence des Nations Unies sur les établissements humains.216

1996. Habitat II et le défi de l'environnement urbain : pour un rapprochement des deux définitions de l'habitat,

op. cité.21 Un autre partage . Homme, ville, nature, 1993 . Erès, Toulouse, 211 p.218 A ses yeux la puissance publique ne doit pas assurer le logement, qui est tant bien que mal construit par lesintéressés, mais les infrastructures: l'eau, l'assainissement, le transport urbain, l'école, la santé et la sécurité . Les mots

d'Istanbul, Vivre autrement n° 6, Istanbul 96, Enda, p 3.219

1996, Sommet de la ville: les leçons d'Istanbul, futuribles n° 211, juillet-août, pp 77-95.220 Céline Sachs-Jeantet . Un autre partage. Homme, ville, nature, op . cité, pp 173-198.

221 1 . Bindé, 1996, Sommet de la ville: les leçons d'Istanbul, op. cité.

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Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

L'approche partenariale a donc été le trait marquant de la conférence, le sujet s'y prêtant, dans un

contexte d'effacement relatif des Etats . Cinq cents maires et représentants d'autorités locales

s'étaient réunis quelques jours avant la conférence, comme à Rio, toujours à l'initiative du groupe

des quatre grandes associations de collectivités locales, le "G4+", pour former l'Assemblée

Mondiale des Villes et des Autorités Locales . L'AMVAL a décidé de se doter d'une seule

structure en réseau, formant l'ébauche d'une organisation mondiale des villes, susceptible de

dialoguer directement avec l'ONU.

La déclaration finalement adoptée, l'Agenda pour l'Habitat, ou le Programme pour l'Habitat,

s'engage à réaliser progressivement le droit au logement, malgré les réticences américaines . Le

concept de développement durable a été réaffirmé prudemment, en tant que condition d'un

développement économique réussi . Les chefs d'Etat et de gouvernement présents ont adopté la

Déclaration d'Istanbul sur les établissements humains, qui revendique les principes de

partenariat, solidarité, coopération, participation, précaution et maintenance de l'existant.

Un des intérêts d'Istanbul tient à la phase préparatoire de la conférence, pendant laquelle des

réflexions ont été initiées aux niveaux nationaux sur le thème des villes durables . La contribution

française a formulé un bilan des initiatives d'une vingtaine de villes françaises contribuant au

développement durable, préparé à partir des enquêtes de terrain menées par trois associations:

Dossiers et Débats pour le Développement Durable, le Centre de Recherche et d'Information

pour le Développement, et Cités-Unies . Cette démarche a permis d'une part de valoriser les

expériences menées sur le territoire, bien que la plupart ne revendiquent pas le thème du

développement durable, d'autre part, de conférer un début d'existence et de crédibilité au thème

du développement urbain durable.

Il est important de souligner que si le thème du développement durable a d'abord été promulgué

au niveau international, au sein des instances onusiennes, la volonté d'ancrer la démarche au

niveau local et de travailler de manière ascendante s'est manifestée rapidement . Afin de rendre

réel ce souci de subsidiarité, des organismes relais comme l'ICLEI ont été créés avec la tâche de

s'adresser directement aux collectivités locales . Des associations internationales de villes, comme

la FMCU, ont également relayé les préoccupations de Rio . L'adoption d'Agendas 21 locaux est

un enjeu qui s'est substitué à celui de l'application d'un Agenda 21 mondial, application trop

improbable .

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Page 42: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Dans cette démarche, les Etats ont été quelque peu court-circuités . La Campagne européenne des

villes durables tente d'établir des liens directs entre les collectivités locales et les instances

européennes . Le réseau de villes issu du "G4+", l'AMVAL souhaite dialoguer avec l'ONU sans la

médiation étatique. La reconfiguration des pouvoirs est visible et l'on peut penser que les villes

sont des acteurs à part entière d'une possible mise en oeuvre du développement durable . Les Etats

peuvent les accompagner sur bien des plans, notamment en organisant des campagnes nationales

d'agendas 21, des campagnes d'information et de sensibilisation sur les thèmes du développement

durable, en jouant aussi sur les législations, la réglementation, la fiscalité, les incitations diverses

et les approches contractuelles.

Quelques définitions de la ville durable

- On peut considérer qu'une première approche de la ville durable, avant que le terme ne soitinventé, porte sur la ville "autosuffisante" . Elle est défendue par David Morris et Ignacy Sachs enFrance.Le développement autosuffisant (self-reliance) est un développement qui stimule la capacité à

satisfaire localement les besoins fondamentaux222.

- La ville durable est ensuite définie comme une ville qui n'exporte pas ses coûts dedéveloppement.Une ville qui réussit sur le plan du développement durable est une ville dont les nombreux et

divers objectifs des habitants et des entreprises sont atteints sans que le coût en soit supporté par

d'autres personnes ou d'autres régions223.

- Une autre formulation de la même idée s'attache à la ville qui respecte les capacités de chargede son hinterland.Pour des auteurs canadiens comme Rees et Wackernagel une ville durable est une ville dontl'empreinte écologique n'est pas trop étendue . Les auteurs calculent que si l'empreinte écologique.de régions telles que la vallée de Vancouver/ Lower Fraser au Canada, c'est-à-dire le niveau devie et de consommation, étaient généralisés au reste du globe, il faudrait 28,5 milliards d'hectarespour satisfaire les besoins humains . Or la Terre n'a que 13 milliards d'hectares, dont 8,8exploitables . . . 224

222 David J. Morris, 1982: Self-reliant cities . Energy and the transformation of urban America, Sierra Club Books,San Francisco.223 D. Mitlin et D. Satterthwaite, 1994. Les villes et le développement durable . Documentation de base, GlobalForum 94, Manchester 24-28 juin . p 4.224 W. E. Rees, M . Wackernagel, 1994 . Ecological footprints and appropriated carrying capacity : measuring the

natural capital requirements of the human ecology, op . cité.

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Page 43: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

- La dimension socioculturelle est réintroduite par un élargissement de la compréhension du motenvironnement.Graham Haughton et Colin Hunter 225:

Une ville durable est une ville dans laquelle les habitants et les activités économiques s'efforcentcontinuellement d'améliorer leur environnement naturel, bâti et culturel au niveau du voisinageet au niveau régional, tout en travaillant de manière à défendre toujours l'objectif d'undéveloppement durable global.

- II est possible de préciser davantage les caractères urbains qui correspondent aux exigencesprécédemment énoncées.Pour Francis Beaucire 226 , une ville durable est une ville compacte et fonctionnellement mixte,qui offre une qualité et une diversité de vie.

- La.-Commission Française du Développement Durable considère quant à elle quatre niveaux dedurabilité227 :

Une ville durable est une ville:

1) dont les habitants disposent des moyens d'agir pour qu'elle soit organisée et fonctionne dansdes conditions politiques, institutionnelles, sociales et culturelles satisfaisantes pour eux etéquitable pour tous

2) dont le fonctionnement et la dynamique satisfont à des objectifs de sécurité des conditionsbiologiques de vie, de qualité des milieux et de limitation des consommations de ressources

3) qui ne compromet ni le renouvellement des ressources naturelles alentour, ni lefonctionnement, les relations et la dynamique des écosystèmes microrégionaux englobants, ni,enfin, les grands équilibres régionaux et planétaires indispensables au développement durablesdes autres communautés

4) et qui s'attache à préserver les capacités de vie et les potentialités de choix des générationsfutures.

Cette définition tend toutefois à dissocier les différents enjeux.

225 1994 . Sustainable Cities, op . cité.226 Transports urbains n° 84, juillet-septembre 94, p 3-4.227 Rapport 1996 . Contribution au débat national . Eléments de bilan,, op . cité, p 109.

121

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Le programme "Ville écologique" de l'OCDE, un diagnostic prudent

Les recherches menées par l'OCDE dans le domaine de l'environnement et du développement

durable abordent elles aussi le milieu urbain au début des années 90 . Elles sont destinées en

partie à préparer le Sommet des villes d'Istanbul . Après quelques études de portée générale, un

programme spécifique est lancé sur la ville écologique au sein du Groupe des Affaires Urbaines,

de 1993 à 1996. Ce programme traite en fait du développement urbain durable, mais hésite à

prononcer le nom de "ville durable" . II donnera lieu à plusieurs publications, que nous nous

proposons de résumer.

La première étude exploratoire, dirigée par un chercheur nouveau-zélandais et publiée en

1990 228 , "L'environnement urbain : quelles politiques pour les années 1990?", souhaite identifier

la manière dont les villes peuvent contribuer au développement durable global . L'environnement

urbain est abordé à la fois dans sa dimension physique, écologique, et dans sa dimension bâtie,

architecturale, paysagère, culturelle:

"On peut voir dans les villes des ressources non renouvelables en tant que telles "229.

Les questions de la rénovation urbaine, de la préservation du patrimoine, du paysage urbain, de

l'utilisation du sol sont traitées au même titre que la pollution de l'eau, de l'air, le bruit et les

déchets . Trois thèmes prioritaires et reliés au problème de l'effet de serre se dégagent de l'étude:

la réhabilitation des secteurs urbains en déprise, les transports urbains et l'énergie . Chacun d'eux

fera l'objet d'une recherche spécifique au sein du programme "ville écologique".

L'étude met l'accent sur l'intégration des politiques d'environnement et la synergie des acteurs:

seuls divers partenariats associant les secteurs publics et privés, le monde associatif et les

communautés locales, semblent être en mesure de résoudre les problèmes complexes

d'environnement urbain . L'externalisation des coûts environnementaux par le marché et

l'incapacité des pouvoirs publics à corriger cette situation prouve que les acteurs, pris

séparément, ne peuvent éviter la dégradation de l'environnement urbain. La prise en compte du

long terme, l'expérimentation de nouveaux modes de fonctionnement nécessitent des stratégies

spécifiques 230:

228 OCDE, 1990, 103 p.229 OCDE, 1990, op . cité, p 10.230 OCDE, 1990, op . cité, p 42 .

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Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

"Pour mieux s'inscrire dans la durée, les villes devront s'efforcer d'appliquer au moins deux des

principes d'un développement durable urbain:

- le principe de la croissance fonctionnelle et auto-régulée, c'est-à-dire une croissance

économique évaluée en fonction de sa contribution nette au système tout entier.

- le principe de "déchet minimum", à l'image des écosystèmes naturels.

L'étude explore la manière d'internaliser les coûts par des mesures fiscales appropriées, et de

prendre en compte les boucles écosystémiques, par une ouverture des administrations aux

approches intersectorielles et participatives.

Un colloque organisé en 92, "Des villes pour le XXI°s", prolonge cette réflexion en ouvrant

davantage encore le thème du développement durable aux préoccupations socio-économiques et

culturelles. Les questions de la qualité de vie, de la pauvreté urbaine, de l'environnement, de

l'intervention publique et privée et de l'avenir des villes sont abordées tour à tour231 . Face à la

dégradation de la qualité de vie ressentie par les habitants, le déficit d'intervention est souligné.

Pourtant les villes deviennent des acteurs stratégiques de la société, en voie de reconquérir leur

autonomie et leur pouvoir. Le colloque cherche à prendre la mesure de leurs multiples

dysfonctionnements et à définir des pistes de réflexion pour un développement urbain durable.

Les villes souffrent d'une inadaptation de leurs infrastructures et installations, et de leur rigidité.

"L'amélioration de l'environnement passe par de gros investissements à long terme dans les

infrastructures "232, un peu à l'image de ce qui a été réalisé dans les trente premières années du

siècle . Les problèmes d'environnement urbain se révèlent être une chance pour l'économie:

"Les problèmes urbains sont à même de générer de l'innovation, sous forme de nouveaux

produits ou services, qui créeraient des emplois, amélioreraient la productivité et réduiraient les

risques233 .

L'enjeu est donc de mettre sur pied les solutions économiques qui permettront de résoudre

progressivement, avec pragmatisme, les problèmes d'environnement urbain.

231 OCDE, 1994. Des villes pour le XXI° siècle, 201 p.232 OCDE, 1994, op. cité, p 28.233 OCDE, 1994, op. cité, p 31 .

123

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

"Les projets environnementaux ne s'imposeront que dans la mesure où ils pourront s'appuyer sur

une productivité économique. Inversement, le développement économique passe par une

amélioration de l'environnement"234 .

Un environnement dégradé repousse les entreprises et les populations salariées, tandis que le

dynamisme économique permet de financer la gestion de l'environnement, les innovations, les

infrastructures, les transports en commun, le recyclage des déchets, un financement facilité aussi

par les économies d'échelle liées aux agglomérations . La contradiction entre les comportements

individuels et les conditions d'une amélioration de l'environnement est soulignée, mais la

contradiction entre les comportements des entreprises et la prise en compte de l'environnement

est passée sous silence.

En matière de planification urbaine, le modèle de la ville polycentrique est jugé pertinent parce

qu'il peut permettre de contenir les déplacements, de diffuser l'activité économique dans les

différents quartiers, d'endiguer leur paupérisation et la dégradation du patrimoine, de freiner

l'étalement urbain. Les facteurs spatiaux, socio-économiques et environnementaux sont ici

interdépendants . Néanmoins, aucune forme ou taille idéale de ville ne peut satisfaire au

développement durable, qui s'appuie plutôt sur la diversité des réponses, leur flexibilité, leur

adaptation aux conditions locales.

Ces deux publications préliminaires ont dégagé des axes de réflexion qui demandent à être

approfondis et consolidés à l'aide d'exemples choisis parmi les ville à des pays de l'OCDE . La

deuxième étape, plus opérationnelle, consiste à élaborer des manuels de bonne gestion,

s'appuyant sur des expériences pratiques, qui ont un fort pouvoir démonstratif et peuvent orienter

les propositions et les recommandations adressées aux gouvernements . En 93, le programme

"ville écologique" est lancé pour une durée de trois ans et tente une synthèse à partir d'un grand

nombre de rapports nationaux et d'études de cas venant des villes sur le thème du développement

durable. Les trois axes définis par la première étude de l'OCDE consacrée à l'environnement

urbain sont repris : l'énergie, les transports, le logement et l'intégration.

234 OCDE, 1994, op . cité, p 97 .

124

Page 47: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

L'étude sur "L'énergie dans la ville ,235 présente des pratiques innovantes et des instruments de

maîtrise énergétique, susceptibles de réduire les incidences globales de la consommation

énergétique des villes . La série d'ateliers qui ponctue cette recherche s'achève par une conférence

organisée avec l'aide de l'ICLEI: "Comment combattre l'effet de serre au niveau local?" à

Heidelberg, en septembre 94. L'affirmation de l'impact global des questions énergétiques marque

le passage d'une problématique d'environnement urbain à une problématique de développement

durable.

L'étude examine tour à tour plusieurs types de politiques : les stratégies municipales de réduction

des émissions de gaz à effet de serre, la planification de l'occupation des sols économe en énergie

et en déplacements, la sensibilisation du public et l'action sur la demande, la production

combinée de chaleur et d'électricité, les transports, et le développement des énergies

renouvelables.

Certaines villes se sont fixées des objectifs quantifiés de réduction des émissions de C0 2, une

réduction de 30% d'ici 2005 à Bautzen (ex-Allemagne de l'Est) et Heidelberg, de 20% à Toronto,

de 25% d'ici 2025 à Sarrebruck . Parmi les initiatives originales, Schiedam, aux Pays-Bas, a mis

en oeuvre un programme de retrait de l'asphalte, des briques et des pavés jugés superflus . La

végétalisation de la ville doit permettre de filtrer l'air et d'absorber en partie le CO2 excédentaire.

"Mais le coeur du problème n'est pas d'ordre technique "236. La croissance énergétique étant

dissociée de la croissance économique, il est surtout nécessaire d'agir sur la demande

énergétique.

Différentes mesures peuvent permettre de maîtriser la demande : l'amélioration du rendement

énergétique des bâtiments par la promotion des technologies économes en énergie et par une

réglementation appropriée ; les investissements dans l'efficacité énergétique financés par un tiers;

la forme et la disposition du bâti (solaire passif) ; la sensibilisation du public et des entreprises;

l'extension des réseaux de chaleur; la décentralisation du système de production de l'électricité

grâce en partie aux énergies renouvelables.

Une certaine compacité dans les formes urbaines est en outre susceptible de contenir la dépense

énergétique relative aux transports . Le développement de nouveaux quartiers peut être axé sur les

réseaux de transports en commun, plus performants en termes énergétiques que le transport

automobile . Les plans d'occupation des sols doivent alors se conformer à la politique des

235 OCDE, 1995. L'énergie dans la ville. Manuel de bonne gestion locale, 257 p.

125

Page 48: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

transports . Le secteur des transports contribue à plus du tiers de la dépense énergétique des villes

et ses externalités sont de plus en plus coûteuses . Seuls des trains de mesures combinées peuvent

s'avérer efficaces, afin de réduire simultanément les besoins de déplacement, d'offrir une

alternative aux déplacements automobiles, de taxer et de limiter ces derniers.

Les prix bas de l'énergie sont un obstacle important au changement. Il est nécessaire d'internaliser

dans ces prix les coûts consécutifs à la consommation énergétique . Des tarifs progressifs, d'autant

plus élevés que la consommation d'énergie est forte, peuvent constituer un levier financier pour

maîtriser les consommations . L'argument financier peut être davantage utilisé même en l'état

actuel . Les "équipes Energie" de la Haye, par exemple, qui emploient des chômeurs formés au

conseil énergétique, permettent aux foyers à bas revenus, avec des mesures d'isolation très

simples, d'abaisser le montant de leur facture de 5 à 8% . La création d'emplois, les économies

d'énergie et les gains économiques peuvent s'épauler dans de nombreuses situations.

En conclusion, des politiques globales de gestion de l'énergie sont nécessaires pour résoudre des

questions environnementales devenues elles aussi globales : effet de serre, pollution

atmosphérique, épuisement des ressources . Réduire les besoins de mobilité et d'énergie est la clef

d'une société urbaine "à bon rendement énergétique"237 . Les technologies propres et les choix

d'urbanisme, la maîtrise de la demande énergétique et de transports sont les outils principaux.

L'étude sur les transports, publiée sous le titre "Transports urbains et développement durable"

approfondit la manière dont il est possible de réduire les besoins de déplacements 238 . Au cours

des vingt dernières années, le transport routier de marchandises dans les pays de l'OCDE a

augmenté de 5% par an, la circulation des voitures de 3,3% par an . Le coût des extemalités est

estimé à 5-10% du PIB, selon que l'on compte ou non les coûts relatifs à l'environnement

global239 . Selon le G1EC 240 , la stabilisation des concentrations de CO 2 dans l'atmosphère

nécessite une réduction des émissions anthropiques de 60 à 80%241 . Une attitude préventive est

indispensable face au risque de réchauffement global, estime l'étude de l'OCDE.

236 OCDE, 1995, op. cité, p 26.237 OCDE, 1995, op . cité, p 252.238 OCDE, CEMT, 1995. Transports urbains et développement durable, 268 p . P 20.239 OCDE, CEMT, 1995, op . cité, p 15-16.240 Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat241 OCDE, CEMT, 1995, op . cité, p 26 .

126

Page 49: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

Trois ensembles de mesures doivent être combinés et impliquer l'ensemble des niveaux

administratifs: une taxation forte et progressive des carburants, des politiques d'aménagement du

territoire réduisant les besoins de déplacements et développant l'offre en transports en commun,

diverses mesures de limitation de la circulation routière et du stationnement (péages, limitations

de vitesses, restrictions de circulation dans les centres villes, etc .).

La planification croisée des transports et de l'occupation des sols a été peu pratiquée et doit être

développée pour contenir la tendance forte à l'étalement urbain . Le développement des transports

en commun, des systèmes ferroviaires urbains, peut se substituer progressivement à

l'accroissement du trafic automobile, à condition que des mesures soient prises pour limiter ce

dernier.

Le levier fiscal doit être utilisé pleinement : fiscalité plus élevée sur les véhicules, les carburants,

la vignette, le stationnement, l'utilisation des routes et des autoroutes, de manière à infléchir les

comportements et les choix de localisation.

La logistique des transports de marchandises doit s'adapter aux conditions urbaines . La

télématique peut être mise au service d'une meilleure efficacité de la circulation routière, de sa

réduction et de sa fluidité . Le rapport insiste pour conclure sur la conjonction nécessaire d'un

ensemble de mesures, dont les effets sont cumulatifs et les rétroactions positives.

La dernière publication, "Politiques novatrices pour un développement urbain durable" 242, vient

clôturer le programme sur la ville écologique . Le tournant opéré vers la recherche d'un

développement durable en milieu urbain est réaffirmé:

"Les problèmes d'environnement planétaires ne peuvent être traités sans adaptation des activités

et des fonctions urbaines X243 .

L'étude se nourrit des contributions de nombreux pays, par ordre d'importance : l'Australie, le

Canada, le Japon, les Pays-Bas et le Danemark, le Royaume-Uni, la Suède, la Norvège, les Etats

-Unis. La contribution française apparaît lorsqu'est abordé le thème de la planification, avec

l'exemple des Chartes d'environnement mises en place par le gouvernement français.

L'analyse s'articule autour de deux notions clés, l'adaptabilité et l'innovation, qui doivent

conduire le changement:

242 OCDE, 1996, Politiques novatrices pour un développement urbain . La ville écologique, op. cité.243 OCDE, 1996, op. cité p 20.

127

Page 50: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

"le concept d'écologie signifie qu'un système urbain survit en s'adaptant au changement.

Construire la ville durable, c'est construire une ville intrinsèquement adaptable, qui se

caractérise par la diversité de l'environnement, naturel et artificiel' t244

L'adaptabilité peut s'appliquer à plusieurs domaines:

- au cadre bâti, qui doit pouvoir se prêter à de multiples usages et à des transformations

fréquentes

- au sol, à l'espace urbain, qui demande à être recyclé

- aux comportements des citadins et des producteurs de biens et services, qui doivent intégrer les

nouvelles données environnementales

- à l'administration et à la mise en oeuvre des politiques, qui ont besoin de s'ouvrir aux

partenariats, à la transversalité, aux conceptions collectives.

Les notions d'adaptabilité et de flexibilité seront reprises par certains auteurs pour qualifier la

ville durable245 . L'adaptabilité est pour l'OCDE fonction du développement de l'innovation, qui

fait l'objet du chapitre le plus volumineux du rapport . Le rôle des pouvoirs publics est de le

faciliter, celui des entreprises et des ménages de l'initier . "Les gens doivent moins s'attendre à de

nouvelles initiatives de la part des pouvoirs publics, et ces initiatives doivent plutôt venir d'eux

-mêmes et de leurs collectivités"246. L'innovation n'est plus impartie à l'Etat en raison du

resserrement des finances nationales et par souci de "réalisme".

Après s'être attaché à différents problèmes urbains (zonage, spéculation immobilière,

urbanisation du littoral, éclatement urbain), le rapport présente une panoplie d'exemples

innovants relatifs au développement durable. Encourager l'innovation, la libérer des contraintes

réglementaires et administratives, est la stratégie défendue.

244OCDE, 1996, op . cité p 20.

245Par exemple Olivier Godard, 1996 . Le développement durable et le devenir des villes . Bonnes intentions et

fausses bonnes idées, op . cité.246

OCDE, 1996, op. cité p 25 .

128

Page 51: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Dans un premier temps, il est important de développer les programmes d'information et les

démarches prospectives, afin de sensibiliser la société aux changements prévisibles . Mais cette

information ne sera pas assimilée si elle ne se double pas d'une action, d'une participation de

chacun, capable d'éveiller une responsabilisation et de rendre chacun acteur du changement.

Sur ces bases, la planification se doit d'être holistique, ouverte au long terme, évolutive, fondée

sur des démarches volontaires plutôt que réglementaires, à l'image des plans de développement

durable, des Agendas 21 locaux. La réglementation est inutile si elle n'est pas appliquée et s'avère

contraignante pour le secteur privé . Elle peut en revanche accompagner judicieusement les outils

économiques, plus efficaces et mieux acceptés . On peut envisager que la fiscalité soit

décentralisée, au service de chaque politique urbaine.

Enfin la dernière condition d'une innovation réussie est son évaluation, sa diffusion . Les médias

pourraient être davantage convoqués pour faire connaître les expériences novatrices et assurer

une publicité aux actions de développement durable.

Le rapport s'achève sur un message d'incitation à l'innovation : l'économie et l'écologie ont des

intérêts communs et peuvent être bénéfiques l'une à l'autre.

"L'OCDE a estimé en 1992 que "la production de biens et de services en vue de dépolluer et de

préserver l'environnement" représente un marché évalué à 200 milliards de dollars à l'échelle

mondiale, dont 85% dans les pays de l'OCDE; plus de 1,7 millions dé personnes sont employées

dans ce secteur, dont on prévoit qu'il se développera à un rythme de 5,5% jusqu'en l'an 2000 (la

lutte contre la pollution représente à l'heure actuelle entre 1,2 et 1,5% du PIB dans les grands

pays de l'OCDE, chiffre variant selon le niveau d'activités industrielles et la nature des

réglementations et des politiques d'environnement) . "247

247 OCDE, 1996, op. cité, p 185 .

129

Page 52: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Ces propos ne sont pas exempts de contradictions . Si les problèmes d'environnement sont une

opportunité pour créer des activités nouvelles et des emplois, on peut aussi remarquer avec Jean

-Louis Laville que plus nombreux sont les problèmes d'environnement, accompagnés de solutions

adéquates ou non, plus le PIB augmente 248 . La contradiction entre la mondialisation grandissante

des échanges, perçue dans l'étude comme favorable à la mise en oeuvre de politiques

d'environnement, et le coût énergétique de la délocalisation et de la circulation des produits n'est

pas non plus évoquée . Enfin, la question sociale n'est pas traitée, sauf à être ramenée à la

question, économique, de la création d'emplois . La contribution au développement durable des

économies autres que l'économie de marché, représentant, on le sait, une part importante des

échanges économiques, n'est pas mentionnée.

Le message de synthèse du programme sur la ville écologique est un appel à l'innovation en

faveur du développement durable . La tendance à considérer l'attitude des pouvoirs publics et

celle de la société civile comme des facteurs de blocage et d'inertie masque à notre avis une

partie des enjeux . II est facile de présenter la "demande" comme relativement insouciante aux

problèmes d'environnement, en dégageant "l'offre", le secteur privé et la culture publicitaire qu'il

propage, de ses responsabilités. Cette analyse de l'OCDE s'explique car elle plaide

prioritairement pour une implication plus grande du secteur économique dans la promotion du

thème du développement durable . Cette implication serait toutefois très insuffisante pour

promouvoir ce type de développement, et conduirait à des distorsions si elle n'était pas sans cesse

contrôlée et réorientée par l'action politique et la société civile.

L'ensemble des travaux conduits au sein ou autour du programme "Ville écologique" est à notre

avis hétérogène. Tous ont essayé de comprendre comment les villes pouvaient contribuer à un

développement durable global, mais avec des points de vue différents . Le dernier livre, consacré

aux Politiques novatrices pour un développement urbain durable ne réalise pas une synthèse des

précédents et chacun peut donc être considéré comme relativement indépendant . La première

étude, Quelles politiques d'environnement urbain pour les années 90? avait eu le mérite de poser

très clairement les problèmes et de coupler l'environnement bâti, culturel, à l'environnement

248 G. Roustang, J-L Laville, B . Eme, D. Mothé, B . Perret, 1996. Vers un nouveau contrat social, Desclée deBrouwer, 186 p . P 88: "Le PIB augmente si la pollution s'aggrave et donne lieu à des dépenses antipollution . Si les

dépenses de sécurité augmentent avec la délinquance, le PIB augmente, si le bruit entraîne des dépenses anti-bruit,idem, etc. Qui peut dire dans quelle mesure l'augmentation du PIB de 70% entre 1970 et 1990 correspond vraimentà une amélioration de la qualité de vie de chacun d'entre nous?"

130

Page 53: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

naturel, les enjeux sociaux et urbains, aux enjeux écologiques . Les deux études sur l'énergie et les

transports urbains présentent une réflexion approfondie et engagée sur le problème de la mobilité

urbaine, sur les différents moyens de la réduire, relativement au risque de l'effet de serre . La

dernière étude, très riche d'exemples de politiques urbaines, semble en retrait par rapport aux

précédentes. Elle réaffirme la primauté des acteurs économiques afin de leur montrer le potentiel

que représente le développement urbain durable . Son appel à l'innovation, son refus de

l'immobilisme paraissent légitimes . Mais les rôles de la puissance publique et de la société civile

dans l'avènement d'une ville durable sont trop effacés . On peut se demander si une ville durable

est principalement une ville adaptable, qui pourrait s'adapter tout en continuant à générer des

"coûts" sociaux et écologiques, pour ne pas dire de l'exclusion, de la misère, des catastrophes

humaines et écologiques . ..

Le Livre Vert de la Commission européenne, un manifeste

Le "Livre Vert sur l'environnement urbain", paru lui aussi en 1990, a joué le rôle d'un manifeste,

marquant le point de départ d'un engagement européen qui allait conduire à la constitution d'un

groupe d'experts sur l'environnement urbain et au lancement de la campagne des villes durables.

Si l'on excepte les travaux du Conseil de l'Europe, la ville recueille peu d'intérêt auprès des

institutions européennes en raison d'un principe de subsidiarité, rappelé dans le Traité de

Maastricht, et de la spécificité des compétences européennes . Le Cinquième Programme

communautaire sur l'environnement (1993-2000), intitulé "Vers un développement soutenable",

développe des approches thématiques sur les transports, l'énergie, l'industrie, l'aménagement du

territoire et la planification stratégique, thèmes qui concernent la ville, au carrefour de ces

politiques, mais n'en font pas vraiment état249 . Les villes sont pourtant reconnues comme étant le

meilleur point de départ pour la mise en oeuvre des politiques d'environnement 250 .

Les aides de la Communauté Européenne affectées aux villes passent par les fonds structurels,

pour les régions en difficulté, par des programmes destinés à financer des actions innovantes et à

valeur d'exemple, ou des actions de coopération décentralisée (ECOS pour l'Europe centrale et

249 Commission of the European Communities, 1992 . Towards sustainability . A European Community Programme ofPolicy and Action in relation to the Environment and Sustainable Development, 98 p . COM (92) 23/11.

250 Commission of the European Communities, 1996. Progress report from the Commission on the implantation ofthe EC Programme of policy and action in relation to the environment and sustainable development "Towardssustainability" . 10 janvier, Bruxelles .

131

Page 54: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

orientale, MED-URBS pour le Sud méditerranéen), par la création ou le soutien de réseaux de

villes favorisant les échanges251 Depuis 94, le programme URBAN est venu s'ajouter aux fonds

structurels pour aider les zones urbaines en déprise . L'engagement de la Commission dans les

affaires urbaines reste cependant limité, rappelait un représentant de la DG XI lors de la

deuxième conférence européenne sur les villes durables à Lisbonne, en septembre 96.

Ces programmes et ces réseaux européens sont surtout précieux par la légitimité qu'ils confèrent

aux initiatives locales, qui peuvent manquer de soutien au niveau municipal, et dont l'appui

européen, financier ou non, devient alors décisif. II autorisent dans bien des cas l'innovation. Le

réseau des villes durables, qui naîtra dans le prolongement du Livre Vert, est une initiative

majeure, qui engagera une réflexion particulièrement approfondie sur la question urbaine, en

résonance avec les recherches menées au niveau international.

L'élaboration d'un Livre Vert sur l'environnement urbain a été décidée à la suite d'une résolution

votée en 1988 par le Parlement européen, sous la pression des villes, d'un député européen et du

Commissaire européen de l'environnement 252. Sa rédaction fait suite à une large concertation

auprès des acteurs urbains et à une série de conférences, consacrées aux zones industrielles

désaffectées, aux périphéries, à la qualité de l'environnement urbain, des espaces publics et des

zones vertes, à la pollution . Le Livre Vert est adopté par une résolution du Conseil des Ministres

de l'Environnement en 1991.

Le Livre Vert a deux objectifs : réfléchir sur l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain

et sur les mesures locales susceptibles de contribuer à la résolution des problèmes

d'environnement global, effet de serre et pluies acides en premier lieu . Après une revue des

pollutions urbaines, le Livre Vert recherche les origines de la dégradation environnementale:

"Ces causes profondes peuvent être attribuées à l'organisation du travail, aux structures de

production, de distribution et de consommation et à des notions de planification souvent rigides

et dépassées"253

251 Commission des Communautés Européennes, 1994 . Activités communautaires dans le domaine urbain . Ledéveloppement du système urbain et la dimension urbaine dans les politiques communautaires.252 Carlo Ripa di Menea, Commissaire à l'environnement, à la sécurité nucléaire et à la protection civile . In:European sustainable cities, 1996, op . cité, p 16.253 Commission of the European Communities, 1990, Green vaper on the Urban Environment, p 26.

132

Page 55: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Le fonctionnalisme et les morphologies urbaines qui en résultent sont accusés . La dissociation

entre les lieux de conception, de fabrication, de distribution et de consommation des produits a

augmenté considérablement le nombre et la longueur des déplacements routiers . Les quartiers

urbains ont tendance à devenir monofonctionnels, les centres d'affaires, les centres historiques, et

la périphérie accueillant séparément les activités, le commerce et les résidences . Cette

monoculture conduisant à diverses impasses, un principe de mixité est défendu : une mixité

fonctionnelle, sociale et générationnelle, dans les centres aussi bien que dans les périphéries, où

la question est plus cruciale encore.

Le zonage est responsable de l'étalement urbain . Le développement des banlieues, la dépendance

à l'égard de l'automobile, le déclin ou la congestion des centres villes, le transfert des emprises

indésirables en périphérie (déchets, industries, habitat social), la pollution atmosphérique, l'effet

de serre et le bruit ont partie liée et s'appuient sur une structuration spatiale de la ville trop

fonctionnelle254

Mais l'environnement physique n'est pas le seul à pâtir de l'urbanisation périphérique . Le style

international en architecture a défiguré les villes et alimenté leur standardisation, leur crise

identitaire, contre lesquelles la diversité du patrimoine urbain européen doit être réaffirmée et

défendue . "Les zones urbaines sont la négation du concept de la ville elle-même' 255

Enfin, la cohésion sociale des agglomérations se fragilise aussi, notamment dans les centres

villes et certaines périphéries.

La ville européenne se définit au contraire par sa densité, économique, sociale, culturelle, une

densité et une diversité de communications et d'échanges qui font de la ville un creuset

d'innovations . La créativité humaine s'exprime mieux au sein d'un espace multifonctionnel.

II est nécessaire pour former cet espace d'intégrer les politiques urbaines entre elles, une

intégration horizontale, thématique, et verticale, entre les différents niveaux administratifs et

territoriaux. Il est indispensable aussi de réinvestir en priorité les terrains délaissés, les friches

industrielles, les quartiers dégradés.

Une forme urbaine moins diluée, accueillant des activités et des populations mixtes, freinerait le

trafic pendulaire tout en améliorant la qualité de vie, l'urbanité . La diminution du nombre de

véhicules, même moins polluants, est une nécessité car la congestion a ses limites et le piéton

perd l'usage de la ville.

254 Commission of the European Communities, 1990, op . cité p 48.

133

Page 56: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

La croissance économique à court terme risque d'aggraver les problèmes écologiques, notamment

en matière de transports, d'énergie, de déchets, car le marché n'internalise pas les coûts

environnementaux . Une vision à plus long terme est nécessaire pour rendre compatibles la

croissance économique et l'environnement.

La communauté européenne peut agir en particulier par la législation, la promotion de projets

pilotes (l'objet actuel du programme LIFE), les aides financières consacrées à l'environnement,

les mesures fiscales, l'évaluation de l'impact environnemental de toutes les politiques

communautaires. L'importance d'un échange d'expériences entre les villes européennes est

également soulignée.

Le Livre Vert fait ainsi figure de manifeste et sera critiqué pour ses positions tranchées.

Néanmoins, son message est entendu et cristallise une prise de conscience . Peu après, le Conseil

des Ministres de l'Environnement invite la Commission Européenne à créer un Groupe d'experts,

composé de représentants nationaux et de spécialistes indépendants, afin d'identifier les moyens

de mettre en oeuvre une planification environnementale et de conseiller la Commission sur une

politique communautaire d'environnement urbain.

Parallèlement, le chapitre 10 du Livre Blanc signé par le président Jacques Delors en 93

"Croissance, compétitivité, emploi"256 préconise un autre modèle de croissance économique

fondé sur la création d'emplois et l'amélioration de la qualité de vie, la diminution de la

consommation d'énergie et de ressources naturelles . Les travaux du Groupe d'experts européens

sur l'environnement urbain s'engageront plus avant, en analysant les contradictions entre la

croissance économique actuelle et les objectifs du développement durable et en formulant des

propositions susceptibles de réorienter l'économie.

255 Commission of the European Communities, 1990, op . cité, p 6.256 Livre blanc de la Commission européenne, 1993 . Croissance, compétitivité, emploi- Les défis et les pistes pour

entrer dans le XXI°s.

134

Page 57: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Conclusion: la ville durable, héritages inattendus et défis croisés ...

Depuis des temps immémoriaux, depuis que la ville existe, des pratiques écologiques ont vu le

jour, que notre siècle pourrait parfois presque envier . . . La ceinture verte de la Rome antique a par

exemple été maintenue en dépit des pressions et spéculations urbaines . La loi de Julius Cesar qui

interdit la circulation des charrettes en milieu urbain, en 56 avant JC, se généralise à toute l'Italie

lors des règnes de certains empereurs . Le préfet Eugène Poubelle institua quant à lui la collecte

sélective, la boîte pour les matières organiques, celle des papiers et tissus, celle de la faïence, du

verre et des coquillages, devant chaque maison parisienne . . . Nous résistons toujours à la collecte

sélective, à laisser nos voitures aux portes de la ville, mais ne résistons plus aux spéculations

foncières, débitant les ceintures vertes en tronçons de routes et programmes d'affaires . ..

Il est d'autres leçons du passé, pour la ville durable : le mouvement hygiéniste a trouvé peu

d'échos en France dans la population . Il a été porté par le monde scientifique, politique puis

administratif. En Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis au contraire, l'hygiénisme a donné

lieu à des mobilisations locales plutôt que nationales . En France, les actes ont été chirurgicaux,

les lois puissantes, et le ralliement des populations, tardif. . . Il est à craindre que le développement

durable laisse les citadins tout aussi froids. L'habitude de la centralisation n'incite pas à l'action

locale.

Au nom de l'hygiénisme, appuyé par les spéculations économiques qui assiègent la ville, les

tissus urbains seront considérablement transformés, les rues s'ouvriront à de larges circulations

d'air, puis de véhicules, les populations pauvres étant rejetées en banlieue. L'assainissement est

double, physique et social . Avec Le Corbusier et ses nombreux disciples français, les rues

deviennent des travées, l'habitat social est compartimenté, mis en ordre, et les morphologies

urbaines se détendent avant de se diluer . La ville devient alors malsaine à cause des voitures et

les classes moyennes et aisées fuient les premières auréoles urbaines pour s'installer en milieu

périurbain et rurbain . On craint désormais que les centres villes se paupérisent . L'écologie appelle

de ses voeux des villes plus compactes, car plus la ville s'étale, plus la pollution s'accroît, en

centre ville mais aussi au niveau régional . Après avoir dédensifié la ville et encouragé la mobilité

pour échapper aux pollutions fixes et aux promiscuités, on se demande s'il n'est pas nécessaire de

la redensifier pour se libérer des pollutions dues à une forte mobilité et pour retrouver des

proximités sociales.

L'écologie urbaine contemporaine a la tâche rude, et peu de pouvoir . Ce qu'elle nous livre de plus

précieux est la pensée écosystémique, qui permet d'éclairer une des facettes de la ville, ou des

135

Page 58: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

relations entre économie et écologie, par exemple . On peut regretter qu'elle se tienne trop à l'écart

parfois des pratiques urbaines, qu'elle hésite à s'adresser au monde politique, à l'instar des

hygiénistes . On peut regretter aussi que l'écologie urbaine municipale soit toujours un enfant de

l'hygiénisme, qu'elle se satisfasse de la gestion des nuisances, de la collecte des plaintes, de la

classification des mesures, d'une ville propre . . . Avec le développement durable, on abandonne le

registre du pur et du propre car les pollutions comme les détresses sont loin d'être toujours

visibles.

Les années 1990 marquent un tournant . En 90, commence la préparation du Sommet de la Terre,

qui doit se tenir deux ans plus tard à Rio . ICLEI est fondé en juin 90, chargé d'être un relais entre

l'ONU et les collectivités locales pour la mise en oeuvre d'un développement durable au niveau

local. Cette même année, une première recherche sur l'environnement urbain ouvre le programme

sur la ville écologique de l'OCDE, un nom qui masque en fait une recherche sur la ville durable.

En 90 toujours, paraît au niveau européen le livre Vert sur l'environnement urbain, un texte

-manifeste. La cristallisation, la confluence s'opèrent, et préparent le virage du développement

durable vers le milieu urbain.

Rio, le Sommet de la Terre, en 92, mêle la question de l'Environnement et celle du

Développement. Istanbul, le Sommet des villes, en 96, mêle la question urbaine et celle du

développement durable . A Habitat II, Habitat I rencontre la Terre : la question urbaine et la

question de-la durabilité se territorialisent toutes deux . . . La ville et la Terre, les deux horizons de

l'habitat humain, entament un dialogue, timidement.

Les villes prêtes à ce dialogue héritent alors peu ou prou de la problématique du développement

durable, vaste champ de questions . Le développement durable hérite quant à lui de la

problématique du développement urbain, vaste défi . . . Sous l'effet de cette évolution croisée, le

développement durable se socialise un peu plus encore, perd des priorités scientifiques, gagne

des priorités éthiques . ..

On s'aperçoit que les villes, en tant que lieu de vie, d'habitat, d'activités et de consommations, de

chômage et de précarité d'une partie croissante de l'humanité, sont confrontées à un grand

nombre de questions posées à Rio. II n'est plus vraiment possible de les ignorer: d'ignorer les

villes, pour le développement durable, d'ignorer les questions de Rio, pour les villes . Mais

comment les traiter? C'est la question à laquelle essaye de répondre le réseau européen des villes

durables, pour le contexte géographique que nous analysons, et qui est l'objet de la partie

suivante .

136

Page 59: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

2. Premières expériences:

la naissance d'un réseau européen de villes durables

L'idée du groupe d'experts européens sur l'environnement urbain, composé d'une quarantaine

d'experts de différents pays européens et d'experts indépendants (membres de l'université, d'ONG

et des ministères de l'environnement), est d'associer le plus étroitement possible les villes à sa

recherche sur l'environnement urbain . Avec l'appui de la Commission européenne, il décide de

susciter un large échange d'expériences, susceptible de conduire à des progrès concrets et de

diffuser l'information sur les pratiques de développement durable local: la campagne européenne

des villes durables _est née. Elle sera animée principalement par ICLEI, avec l'aide de la

Fédération Mondiale des Cités Unies, d'Eurocités, du Conseil des Communes et Régions

d'Europe et du réseau Villes Santé de l'OMS, membres du comité de coordination avec la

Commission européenne et la ville d'Aalborg, qui accueille la première rencontre des villes

européennes.

Dans cette Campagne, les villes sont à la fois des promoteurs et des acteurs du développement

durable, expérimentant au cas par cas les stratégies les mieux adaptées à leur situation . Collecter

les expériences en cours, les diffuser et les discuter, leur donner valeur d'exemple, au titre d'une

"bonne pratique", engager d'autres villes dans des démarches parallèles, constituer un savoir-faire

et un réservoir de pratiques, de connaissances, sont les objectifs du réseau . Le rapport européen

sur les villes durables, qui synthétisera les enseignements de la Campagne, sera ainsi construit

par allers et retours incessants entre la réflexion et la pratique, les objectifs globaux et les

observations de terrain.

137

Page 60: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

2. 1. D'Aalborg à Lisbonne : la Campagne européenne des villes durables

Deux ans après Rio, la campagne européenne est lancée, lors de la première conférence sur les

villes durables, tenue dans la ville danoise d'Aalborg du 24 au 27 mai 94 . Les villes s'engagent à

promouvoir le développement durable, et marquent leur engagement en ratifiant une Charte,

nommée "Charte d'Aalborg" . Comment mettre en oeuvre l'Agenda 21 de Rio à l'échelle locale?

La durabilité globale doit pouvoir se traduire en durabilité locale . Face à cette question, la

première étape est de former un réseau de villes, qui posera les linéaments d'une stratégie

européenne, et d'engager une recherche décentralisée, menée par l'ensemble des villes.

La Charte d'Aalborg

Les participants à la conférence d'Aalborg, environ six cents représentants de villes et

d'organisations intéressées issus de 34 pays européens, ont été conviés à nourrir cette réflexion, à

faire part de leurs expériences urbaines, de leurs suggestions, au sein d'une quarantaine d'ateliers

thématiques. Plusieurs grands corps de questions ont été abordés:

les stratégies urbaines de développement durable, les nouvelles politiques et concepts du

développement durable, les partenariats, les outils, les rôles respectifs des différents acteurs, la

mise en oeuvre administrative des politiques, la constitution de réseaux et de projets nationaux et

transfrontaliers.

Les enseignements des ateliers ont été résumés par les rapporteurs et sont venus amender, pour

certains, la première version de la Charte d'Aalborg préparée par ICLEI. La Charte visait à définir

la durabilité et à fournir de grandes orientations pour sa mise en oeuvre . Au long des trois

journées de la conférence, un groupe d'élaboration de la Charte recueillait les suggestions des

participants .

138

Page 61: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Quatre-vingt villes étaient représentées à Aalborg et sont devenues signataires de la Charte . La

Charte demande ensuite à être ratifiée par les Conseils Municipaux des villes . Parmi les pays les

plus représentés, on comptait l'Allemagne (13 villes), puis le Royaume-Uni, la France (Lille,

Lyon, Mèze, Nancy, Poitiers, Strasbourg), le Danemark . Fin 96, le nombre de villes adhérentes à

la Campagne était porté à 250 signataires, dont 233 villes ayant ratifié la Charte, dont nous

reproduisons la liste, représentant plus de 70 millions d'habitants 257 .

Les plénières ont accueilli le ministre danois de l'Environnement, le maire d'Aalborg, des

membres du Groupe d'experts sur l'environnement urbain, des DG XI et DG XVI, d'ICLEI, de

l'OMS, du Conseil des Communes et des Régions d'Europe, du Bureau Européen de

l'Environnement, ainsi que des élus de Lisbonne, Oslo, Gothenburg, Leicester, de la région Nord

-Pas de Calais, et des personnalités du monde économique et universitaire . Les orateurs ont

rappelé la dimension sociale des politiques de développement durable, sa dimension

écosystémique et son aspect évolutif, procédural, fondé sur des résultats d'étape, tangibles.

Il a été dit aussi que la planification et l'implication de tous les acteurs conditionnent le

développement durable . L'expérimentation et la mise en réseau peuvent être plus efficaces que

les réglementations, pas toujours performantes, ni adaptées à la spécificité et à la diversité des

situations . La subsidiarité est importante car les programmes de développement durable doivent

répondre aux besoins locaux et induire des changements de comportements, de modes de vie, et

des innovations conjointes. Quelques exemples de bonnes pratiques locales ou nationales ont été

exposés et les lacunes d'une réflexion plus générale ont été soulignées . L'adoption de la Charte

d'Aalborg a conclu la conférence. Nous avons tenté de la résumer dans l'encadré qui suit.

2-5'OCDE, 1996, op . cité, p 138 .

139

Page 62: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Résumé de la Charte d'Aalborg

Les villes européennes, moteurs des sociétés et des Etats, ont résisté à de nombreux changements

politiques et historiques. Leurs activités et leurs poids démographique les rend responsables

aujourd'hui de nombreux problèmes d'environnement, de la destruction du capital naturel . Leurrôle est essentiel dans la promotion d'un développement durable.

La justice sociale, l'économie durable et l'environnement viable vont de pair et sont les directionsà prendre pour adapter les niveaux de vie aux ressources naturelles disponibles . L'environnementdurable est synonyme du maintien du capital naturel, de sa reproductibilité, et du maintien d'un

environnement sain pour l'homme et pour les espèces vivantes.L'échelle des collectivités locales est l'échelle pertinente pour gérer les problèmes de manière

intégrée, holistique et durable, pour établir des plans locaux de durabilité . "Chaque ville étantdifférente, c'est à chacune qu'il appartient de trouver son propre chemin de parvenir à la

durabilité". La durabilité cherche à équilibrer l'écosystème urbain à travers tous les aspects desdécisions collectives, à innover et utiliser les retours d'information pour réorienter les choix, en

fonction des intérêts présents et des intérêts des générations futures . La négociation doit

permettre la résolution des problèmes qu'il ne faut pas léguer à l'avenir ou à des régions plus

grandes.L'économie urbaine peut être orientée vers la préservation du capital naturel . Les populationspaupérisées sont les plus exposées aux problèmes d'environnement et contribuent à les renforcer.

Les politiques sociales sont donc un volet essentiel du développement durable, mais la création

d'emplois doit rester compatible avec les principes du développement durable.L'aménagement du territoire doit prendre en compte les impacts environnementaux et

promouvoir la mixité et la rénovation des centres villes pour réduire les besoins de mobilité.

L'accessibilité peut être améliorée par les moyens de transports non polluants et la planification.La diminution des émissions de gaz à effet de serre, la protection de la biomasse, la connaissance

des bilans énergétiques et la promotion des énergies renouvelables peuvent contribuer à infléchir

le changement climatique . Les pollutions toxiques doivent être également prévenues.Les villes ont le potentiel de promouvoir des modes de vie durables . Mais leur autogestion

politique et financière doit être accrue. La coopération et les partenariats avec tous les acteurs,l'information et la formation du public, des élus et des administratifs font partie de l'élaboration

des plans locaux de développement durable . Les outils de gestion municipale doivent êtremobilisés pour servir la durabilité, parvenir à une gestion économique en matière de ressources

naturelles, à l'image des budgets financiers.

L'évaluation de ces politiques doit s'appuyer sur différents indicateurs. Certaines villesconnaissent déjà des résultats, sans parvenir à renverser les tendances globales . Des stratégies

sont à concevoir, à pratiquer, à partager.La Charte se conclut par un engagement des villes à rejoindre la Campagne des villes

européennes durables et à entreprendre la réalisation d'un Agenda 21 local, en engageant une

vaste consultation du public. La durabilité demande à être définie par tous les partenaires, en

tenant compte des problèmes et outils existants . Le plan d'action est un plan à moyen et longterme mais doit comporter des résultats d'étape, mesurables, programmés dans le temps et

évalués.

140

Page 63: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II- Un modèle émergent : la ville durable

Participants of The European Sustainable Cities & Towns CampaignSignatory local authorities of the Aalborg Charter

141

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Les campagnes d'agendas 21 locaux

Après cette première conférence, un bureau permanent de la Campagne est ouvert à Bruxelles.

L'aide n'est pas financière mais plutôt propédeutique . Les villes impliquées dans les programmes

pilotes de l'ICLEI suivent des séminaires thématiques de formation et d'échanges dont les frais

sont à la charge d'ICLEI. Pour les autres villes, différents documents sont édités dans l'objectif de

les aider à construire leur stratégie.

Le "Guide pour l'Agenda 21 Local européen" 258 propose par exemple une méthodologie pour

élaborer un agenda, en s'appuyant sur des études de cas . Le guide exprime en même temps sa

vision de la durabilité locale . Les étapes recommandées par l'ICLEI sont les suivantes:

(1) L'implication et l'organisation du public, par exemple au sein d'un forum pour

l'environnement qui construira une vision de l'avenir ou une philosophie commune, dite moins

consumériste.

(2) L'identification des problèmes d'environnement perçus par la population, de leurs causes et de

leurs différents impacts et la définition d'indicateurs et de standards environnementaux.

(3) La formulation d'objectifs adaptés à la situation analysée.

(4) La hiérarchisation des problèmes en s'appuyant sur différentes expertises.

(5) Le choix d'options et de cibles à atteindre en fonction de leurs impacts environnementaux et

sociaux.

(6) La construction de programmes pour réaliser ces objectifs et . ..

(7) d'un plan d'action, qui constitue en fait l'agenda 21 local.

258 Nicola Hewitt, 1995 . European Local Agenda 21 Guide . How to engage in long-term environmental actionplanning towards sustainability? ICLEI, 102 p .

142

Page 65: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

(8) L'application de ce plan par l'administration et . ..

(9) son évaluation, à l'aide d'indicateurs, qui doit permettre des réajustements.

Le principal n'est pas d'enchaîner rapidement les étapes mais de se mettre en marche, conclut le

guide. Ce guide est assez directif, militant, et peut paraître un brin moralisateur, au regard par

exemple de la sensibilité française . Son approche est problématique parce qu'elle néglige les faits

de culture, l'urbanité . Le message environnemental, ciblé sur les aspects écosystémiques,

organisationnels, participatifs, n'accorde pas assez d'importance à l'environnement bâti, urbain.

Les pays méridionaux ne sont du reste pas représentés dans les études de cas . En choisissant une

entrée écosystémique, ce guide s'adresse plutôt aux villes nord-européennes . Néanmoins, il offre

un éventail utile de recommandations, d'exemples et de principes méthodologiques pour une

planification environnementale.

Malgré des méthodes parfois maladroites, ICLEI remplit efficacement sa mission . La campagne

d'agendas 21 locaux soutenue par ICLEI prend corps . Les résultats ont été visibles lors de la

deuxième conférence européenne sur les villes durables, qui s'est tenue à Lisbonne du 5 au 8

octobre 96 et qui a réuni environ un millier de participants, un succès imprévu . 233 collectivités,

appartenant à 27 pays européens, avaient ratifié la Charte d'Aalborg à cette date, mais surtout,

différentes campagnes nationales d'agendas 21 locaux démarraient . A'I'échelon mondial, environ

2000 collectivités d'une cinquantaine de pays ont engagé un agenda 21 local, en Europe de

l'Ouest et de l'Est, en Australie, au Japon, au Brésil, en Colombie, au Pérou, en Thaïlande, en

Chine, en Inde, aux Philippines, etc.

Un atelier de la conférence de Lisbonne consacré aux campagnes nationales d'agendas 21 locaux

a avancé des chiffres surprenants . En Suède et en Irlande, toutes les collectivités seraient

impliquées dans un agenda 21, tandis qu'au Royaume Uni 75% le seraient, au Danemark 60%, en

Italie 30% (très récemment), aux Pays-Bas 25% (165 municipalités), en Finlande 20% (89

municipalités), en Allemagne 10% . Aux Pays-Bas et en Norvège les collectivités travaillent à

intégrer le développement durable, sans avoir nécessairement recours à un agenda 21 local . Ces

données expriment sans doute des intentions, des engagements de principe plutôt que des actions

avancées. Elles montrent néanmoins la diffusion et l'appropriation du concept de développement

durable .

143

Page 66: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Les collectivités peuvent recevoir pour réaliser un agenda 21 des aides directes des

gouvernements nationaux, comme c'est le cas aux Pays-Bas et en Finlande, ou indirectes en

Suède, via la lutte contre le chômage. Elles peuvent être dans l'obligation d'élaborer un agenda

21, comme en Irlande, ou au contraire décider seules de cette démarche, au Royaume Uni . Les

campagnes nationales présentent l'intérêt d'introduire la notion de développement durable auprès

des collectivités, voire de susciter un débat et une concertation sur la durabilité locale . Certaines

campagnes ont été initiées par des associations de collectivités locales, d'autres par des ONG,

d'autres encore par les gouvernements centraux.

Parmi les associations ayant joué un rôle actif, on peut citer l'association danoise des

communautés durables, le projet finlandais de développement durable municipal, les

municipalités contre le réchauffement planétaire, en Italie, les écomunicipalités suédoises, les

villes environnementales, au Royaume Uni259 . Dans ce dernier pays, la campagne d'Agendas 21

est lancée depuis cinq ans, avec l'appui du "Local Government Management Board" . Ce bureau

assure la coordination des expériences locales et édite des guides à l'usage des collectivités,

généraux et thématiques, ou bien pratiques, sur les outils du développement durable tels que les

indicateurs, l'écogestion, les audits, etc.

Le CEMR, Conseil des Communes et Régions d'Europe, est chargé de coordonner les différentes

campagnes nationales en Europe, pour accroître les échanges et l'effet d'entraînement . On regrette

pour l'instant qu'il ne coordonne que les pays membres de l'Union et que cette coordination soit

peu effective car mal connue des intéressés, villes et pays . La campagne française d'agendas '21

locaux, quant à elle, n'a pas encore été lancée mais elle a été annoncée lors des Assises nationales

sur le développement durable, prolongées par une journée de rencontres sur la ville durable, en

décembre 96 . Si des crédits spécifiques ne sont pas dégagés, les Chartes françaises

d'environnement seront probablement rebaptisées Agendas 21 locaux.

259 European sustainable cities, op. cité, p 64 .

144

Page 67: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

Le Plan d'Action de Lisbonne

La deuxième conférence de la campagne européenne des villes durables, à Lisbonne, a

essentiellement appelé à transformer l'engagement d'Aalborg en actions concrètes, et s'est

affirmée comme une seconde étape dans la mise en oeuvre d'un plan de développement durable

par les villes. Ce message est résumé dans le document qui résulte de la conférence : "Le Plan

d'Action de Lisbonne: de la Charte à l'Action". Ce document insiste sur l'adoption collective, la

négociation et la mise en oeuvre d'agendas 21 locaux . Il émet ensuite quelques recommandations:

l'intégration de l'environnement dans le développement social et économique, le choix d'outils de

gestion favorisant la durabilité, le lancement de programmes de sensibilisation, la coopération

entre les différentes autorités territoriales et la coopération décentralisée entre les collectivités.

Durant la conférence, l'accent a été porté sur les facteurs susceptibles de débloquer les politiques

de développement durable : par exemple la budgétisation des politiques d'environnement, la

promotion de comportements et de modes de vie plus respectueux de l'environnement, la prise en

considération des problèmes urbains par les gouvernements nationaux, la responsabilisation des

citoyens et l'échange d'expériences entre collectivités locales . Cet échange sera désormais facilité

par la mise en place d'une banque de données sur les bonnes pratiques urbaines, baptisée

"Euronet", financée par la Commission Européenne.

Munies d'un code d'accès à Internet, les collectivités peuvent prendre connaissance de leurs

politiques respectives, présentées dans un fichier, communiquer entre elles et avoir accès à une

documentation sur le développement durable . Cette initiative s'inscrit dans la révolution

numérique en cours, qui peut permettre, est-il dit, de développer les services à distance en

réduisant la consommation de ressources, d'énergie, et la mobilité. Cette mutation est jugée

décisive mais on reconnaît qu'elle est limitée actuellement par deux obstacles : elle est réservée à

une élite et occasionne des coûts d'équipement élevés.

Jaime Lerner, gouverneur du Parana et ancien maire de Curitiba, a souligné le manque de vision

stratégique du changement, par les élus en général, le manque de scénario désirable, dans lequel

une majorité de personnes puisse se reconnaître, enfin, l'importance et la possibilité de changer

immédiatement certaines données urbaines, comme le fait la ville de Curitiba . Les ressources

financières ne sont pas à son avis un obstacle dès lors qu'un problème est partagé par tous et que

sa résolution repose sur tous, affirme-t-il . Le maire de Rome a ajouté qu'il fallait bâtir à partir de

145

Page 68: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

ce qui a déjà été fait, que l'application des instruments était préférable à la création de nouveaux

instruments.

Les conférences plénières ont réuni d'autres personnalités : les maires de Lisbonne, d'Aalborg, le

Commissaire européen à l'environnement, le ministre portugais de l'Equipement, de la

planification et de l'aménagement du territoire, le ministre de l'Environnement et le Président

portugais de la République . La DG XI et le groupe d'experts européens sur l'environnement

européen étaient aussi représentés, ainsi que différents réseaux de collectivités locales.

Jorgen Henningson, de la DG XI, a reconnu que le ralliement des villes à la Charte d'Aalborg

était plus important que prévu et que le succès de la Campagne était une surprise . Néanmoins,

personne ne se sent responsable de cette Campagne, les villes sont attentistes et ne s'engagent pas

dans l'action. Les progrès visibles sont peu nombreux . Enfin, les réseaux sont trop importants

dans le "leadership" de la Campagne et devraient laisser davantage de place aux villes, impliquer

les acteurs des collectivités . Le Bureau Européen de l'Environnement 260 a ajouté que les ONG

sont peu impliquées dans la Campagne et manquent à cet égard d'appui européen.

Les ateliers de la conférence ont été consacrés le premier jour à la présentation des agendas 21

naissants . La deuxième journée a choisi un angle d'attaque thématique le matin, politique et

technique l'après-midi, en examinant le rôle des coopérations locales, nationales ou

décentralisées, et celui d'outils stratégiques : l'écogestion, les indicateurs de durabilité, la

budgétisation environnementale et la planification environnementale.

Un "forum des partenaires" a réuni durant la dernière matinée les membres des collectivités

locales, de différentes organisations et les représentants de neuf Directions Générales

européennes, par petits groupes, autour d'une trentaine de thèmes . L'échange d'informations a été

ainsi plus efficace et l'expression des acteurs locaux, plus libre . Il a été rappelé que les structures

administratives actuelles bloquent la prise en considération du développement durable parce

qu'elles sont fortement sectorisées, et parfois en concurrence . Mais d'autre part, comme le

remarquait un participant du Royaume-Uni, "si nous attendons d'avoir la structure appropriée,

on appliquera l'agenda 22 ou 23 . . . "

26° Le Bureau Européen de l'Environnement a été fondé en 1974 et regroupe 160 ONG de 24 pays.

146

Page 69: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

La participation des villes françaises à la Campagne européenne des villes durables

Douze villes françaises étaient représentées à Lisbonne : Aix-en-Provence, Belfort, Dunkerque,Grenoble, Lille, Lyon, Mèze, Montpellier, Montreuil, Orléans, Perpignan, Saint-Denis.Quatorze villes sont signataires de la Charte d'Aalborg: Aix-en-Provence, Arcueil, Avignon,Grenoble, Issy-les-Moulineaux, Langueux (Bretagne), Lille (ville et communauté urbaine),Montpellier, Montreuil, Saint-Jean de la Ruelle, Saint-Denis, Strasbourg, Wikerschwihr .

La conférence s'est clôturée par une remise de prix, récompensant les villes européennes

"durables" de l'année 96: Graz, la Haye, Leicester, Albertslund (Danemark) et Dunkerque . Une

"mention spéciale" et un diplôme ont été accordés à 17 autres villes, dont Rennes et Montpellier.

L'émulation et la reconnaissance du travail effectué étaient les enjeux de cette petite cérémonie.

En conclusion, il a été rappelé que de Rio à Lisbonne, en l'espace de quatre ans, de nombreux

agendas 21 locaux, traductions de l'Agenda 21 de Rio, avaient vu le jour . Néanmoins, les

stratégies élaborées ont des difficultés à se concrétiser, rencontrent de nombreux obstacles, faute

peut-être d'avoir donné la priorité à deux ou trois cibles définies . L'agenda 21 est d'abord un

moyen de lancer de nouveaux projets, puis un outil de mise en cohérence des politiques urbaines,

dans une phase de maturation plus avancée . La réalisation même partielle d'un objectif est

importante pour donner confiance aux acteurs, pour enclencher des réalisations concrètes . La

dynamique de la Campagne est indéniable mais a besoin de se nourrir d'expériences, plutôt que

de conférences . D'autres rendez-vous ne sont pas fixés dans l'immédiat et les réunions ultérieures

pourraient s'attacher à une région déterminée de l'Europe : Méditerranée, Baltique, Europe

centrale et orientale.

147

Page 70: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

Le Plan d Action Global

La conférence de Lisbonne s'est poursuivie par une conférence de taille plus modeste, réunissant

une centaine de partenaires engagés dans la politique du GAP, Plan d'Action Global . Le GAP a

été créé en 1989 avec l'appui de l'ONU pour encourager l'adoption de modes de vie écologiques

par les communautés locales qui se portent volontaires . La conférence, intitulée "Global Cities

21 . Local Agenda 21 for Sustainable Communities", organisée par le GAP, ICLEI et le Conseil

de la Terre, avec l'aide du PNUE, a présenté un bilan des expériences locales entreprises dans le

cadre du GAP.

L'optique du GAP est de travailler à changer les comportements, les modes de vie 261 , afin qu'ils

ne s'homogénéisent pas sous l'emprise de l'économie globale, pour mettre ensuite à jour les

valeurs qui les orientent, et afin de renforcer le pouvoir des populations 262 . L'objectif est difficile,

repose sur des stratégies de longue haleine, mais des succès ont été obtenus localement . Aux

yeux du PNUE, ce programme travaille à construire une citoyenneté environnementale globale.

Le GAP propose une méthodologie pour faire évoluer les comportements . La campagne

fonctionne en s'appuyant sur de petites équipes, les "Ecoteam", qui sont des communautés de

voisinage coordonnées par un animateur. Les habitants intéressés se joignent à l'équipe, se

rencontrent régulièrement et reçoivent durant un semestre un dossier d'intervention mensuel sur

l'eau, les déchets, l'énergie, les transports, les achats et les étapes ultérieures du plan . Les

informations sont simples et comportent des indications permettant de réduire la consommation

domestique de ressources naturelles, ainsi que le volume de déchets ménagers . Les dossiers

comportent des listes de contrôle des tâches à accomplir, des fiches de vérification permettant

d'évaluer et d'enregistrer les résultats obtenus . Ce travail individuel est encouragé par l'équipe,

qui tente d'entraîner une proportion notable d'habitants du voisinage, par exemple 10% . Les

résultats des différentes équipes font l'objet de rapports et d'échanges à l'intérieur du réseau du

GAP.

Au Danemark par exemple, le programme national sur les styles de vie écologiques, initié en 94,

fait partie du GAP et a été appuyé par les animateurs du réseau national des agences de l'énergie

et de l'environnement. Un quart des ménages danois participent en sus au programme

"Ecofeedback", "Rétroaction écologique", visant une maîtrise de la consommation énergétique et

de la production de déchets par des retours d'information hebdomadaires sur cette consommation.

261''Lifestyles", en anglais .

148

Page 71: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

Le GAP existe dans treize pays, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et en Corée, et mobilise

environ 10000 personnes, 25000 si l'on compte tous les membres des ménages impliqués . Il

conduit en moyenne à des diminutions de 10% au moins des consommations domestiques d'eau

et d'énergie, tandis que les déchets sont réduits d'environ 40% . Les gains économiques sont un

bon facteur de motivation . Au-delà, le programme peut aiguiser les consciences à propos de

l'impact de nos modèles de consommation et susciter des attitudes plus largement responsables.

Son esprit d'équipe et son aspect technique ne correspondent peut-être pas toutefois à toutes les

sensibilités. En Europe, il est présent actuellement en Belgique, au Danemark, en Espagne, en

Finlande, en Irlande, en Norvège, aux Pays-Bas, en Suède, en Suisse, en Turquie et démarre en

Pologne.

Peter Heller, responsable européen d'ICLEI et adjoint au maire de Fribourg, propose d'évaluer le

GAP en gardant une question en tête : "does the earth notice?". La Terre a-t-elle enregistré

quelques bénéfices des politiques menées depuis Rio? Les bonnes pratiques ont-elles suffi à

compenser les atteintes portées à l'environnement? Cette question peut constituer un horizon, un

repère pour le travail qui reste à effectuer, conclut-il.

La campagne européenne des villes durables pose finalement trois séries de questions . La

première, formulée à Aalborg, est celle du passage de la durabilité globale à la durabilité locale,

de l'Agenda 21 de Rio à des agendas 21 locaux.

La seconde, qui a pris forme à Lisbonne, est celle du passage de l'engagement de principe à des

réalisations concrètes, à des plans d'actions.

La troisième, soulevée par le GAP, se demande si les actions locales réalisées en faveur du

développement durable peuvent parvenir à compenser les dégradations écologiques de par le

monde.

Des allers et retours entre local et global sont nécessaires, d'une part pour rendre l'action possible,

pour amorcer des dynamiques de terrain, d'autre part, pour étalonner l'action locale par rapport

aux enjeux globaux. Le réseau des villes durables travaille dans cet entre-deux, il opère une

articulation d'échelles difficile, mais sans doute indispensable si une responsabilité collective doit

voir le jour face aux défis que pose le développement durable .

262 Allocution de Maximo Kalaw, Conseil de la Terre .

149

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

2.2. Enseignements: la synthèse du groupe d'experts sur l'environnement urbain

Les expériences et les réflexions émises au sein du réseau européen seront collectées et

synthétisées par le Groupe d'experts européen sur l'environnement urbain . Le Groupe d'experts

réalise deux rapports, un rapport intermédiaire diffusé après la conférence d'Aalborg et un

rapport final destiné à un auditoire plus large, présentant une version très aboutie du travail

engagé . L'ouvrage propose aux villes et aux acteurs intéressés une gamme de politiques et

d'outils pouvant être mises en oeuvre, en s'appuyant sur un très grand nombre d'exemples . 11

réalise une remarquable synthèse, tant sur un plan théorique que pratique, descriptif que

propositionnel, des connaissances existant à ce jour sur les villes durables . C'est à notre

connaissance le travail le plus approfondi disponible actuellement sur ce thème.

Les différentes facettes d'un développement urbain durable sont présentées, ainsi que les actions

entreprises et celles qui pourraient l'être, les outils pour le faire et les obstacles rencontrés . Ce

panorama donne une image assez complète de ce que peut signifier le développement durable en

milieu urbain . Le rapport n'est pas encore paru en français mais sa traduction est en cours et

devrait aboutir d'ici quelques mois . Nous tenterons de résumer ses apports principaux, en

empruntant parfois au premier rapport pour compléter le propos, et en traduisant, littéralement,

de courts passages qui nous ont paru significatifs.

L'esprit du rapport

Outre sa richesse de contenu et d'analyse, le rapport évite soigneusement les pièges qui auraient

pu caractériser une telle démarche et la décrédibiliser:

- Le piège technocratique.

Une approche de terrain est privilégiée, ascendante, nourrie par de nombreuses études de cas qui

sont manifestement à l'origine de certaines propositions . Les propositions formulées

s'accompagnent souvent d'exemples de réalisation, ce qui leur confère un pouvoir démonstratif.

Le rapport n'est ni un catalogue de bonnes intentions, ni un exercice d'experts qui se perdrait en

conjectures peu réalisables . La plus grande attention est portée au contraire aux réalisations

150

Page 73: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

existantes . Des expériences peu connues sont mises en lumière et nourrissent l'argumentation sur

les possibilités de changement.

Cette attitude traduit en fait le souci de défendre prioritairement la participation des collectivités

et de la société civile, conditionnant à la fois l'appropriation locale du développement durable et

le succès de la démarche . Le premier rapport rappelait:

"Comme l'objectif du développement durable suppose des choix importants entre des buts

contradictoires et un changement profond du mode de vie de la collectivité, il ne peut pas être

imposé purement et simplement d'en haut . Il doit être poursuivi avec et grâce à la participation

des communautés locales. Les pistes individuelles de ce développement doivent être tracées à

l'échelon local"263 .

Le deuxième rapport insiste davantage sur la responsabilisation de tous les acteurs, qui rend

"cruciaux" la coopération et le partenariat.

- Le piège normatif.

Le refus est d'une nature différente de celui de l'OCDE, dont la première raison d'être est de ne

pas s'opposer aux forces du marché. L'approche normative n'est pas mise en avant, même si elle

est nécessaire comme instrument d'accompagnement, déclinée au cas par cas, parce que chaque

ville est unique et requiert des stratégies différenciées . La diversité de l'espace européen est une

de ses richesses, ce qui signifie qu'une approche de développement durable doit s'adapter à une

pluralité de situations. La dimension culturelle est déterminante dans la mise en oeuvre des

politiques et les solutions seront efficaces si elles sont issues des acteurs locaux et adaptées aux

situations locales: ni universelles, ni définitives, en somme.

La démarche se veut pragmatique, expérimentale, progressant par "petits pas concrets", avec

souplesse . Car la durabilité est une notion ouverte, elle désigne une direction bien plutôt qu'elle

n'assigne un but à atteindre, un ultime et improbable équilibre:

"La notion de durabilité est dynamique et évolutive ; elle changera au fur et à mesure que la

connaissance de l'environnement local et planétaire progressera et se répandra . "

263 Local Government Management Board 1992, A Statement on behalf of UK local Government, CNUED. Cité dansle premier rapport européen sur les villes durables, 1994.

151

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

-Le piège de la langue de bois.

Le pragmatisme adopté n'a pas pour enjeu d'accepter les lois du marché, ni de réduire l'ambition

du propos . Le développement durable n'est pas compatible avec le fonctionnement actuel de

l'économie . La tonalité du rapport est donnée très tôt:

"Résister aux tendances récentes ignorant les risques écologiques et sociaux pour se concentrer

sur l'accumulation de richesses matérielles, suppose des changements dans les valeurs qui sous

-tendent la société et les bases des systèmes économiques "264

Les contradictions entre le développement durable et les mécanismes du marché seront évoquées

à plusieurs reprises . Six contradictions principales apparaissent:

(1) Une contradiction entre une réalité "systémique" et l'approche sectorielle du marché:

"L'approche du marché échoua précisément là où les interactions systémiques sont le plus

significatives, par exemple lorsque les conséquences sociales ou environnementales des

décisions du marché sont importantes et inter-reliées de manière complexe . Ce rapport défend

l'idée que la compréhension et la gestion de ces interactions complexes est au coeur de l'agenda

de la durabilité urbaine. L'incapacité de l'approche réductionniste du marché à fournir des

outils adéquats à cet effet est un des facteurs justifiant un retour à l'approche des systèmes . " ( . . .)

"Ironiquement, quatre des formes les plus considérées de la gestion classique -méthodes dans

lesquelles les gouvernements urbains ont excellé- ont tendu à rendre les problèmes enracinés

dans la complexité des systèmes plus difficiles à comprendre et à résoudre . Ces formes de

gestion sont la spécialisation sectorielle des individus et des organisations, la mesure

quantitative des performances et l'application des mécanismes du marché."265

264 European sustainable cities, 1996, op . cité, p VII.

265 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 50.

152

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Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

(2) Une contradiction entre la création d'externalités et la possibilité de prise en charge de ces

externalités par le marché, c'est-à-dire finalement entre les valeurs monétaires et les autres

valeurs, non quantifiées:

"Le succès commercial est compromis par la considération des externalités"266 . Les objectifs du

service public, par exemple, peuvent être remis en question lorsqu'ils deviennent compétitifs.

"La raison pour laquelle le marché échoue à promouvoir une durabilité est qu'il n'existe pas

nécessairement de relation entre la structure et la dynamique du marché d'une part et celles de

la durabilité urbaine, de l'autre. La raison en est que, souvent, les valeurs monétaires ne

reflètent pas ce que les économistes appellent de manière révélatrice les "externalités"

environnementales. Un problème plus profond est que le marché est intrinsèquement incapable

de gérer les 'biens publics' -non marchands-„267

(3) Une contradiction entre la dévaluation de l'argent et la prise en considération du long terme:

"La valeur présente de l'argent est moindre que sa valeur future parce qu'il peut rapporter des

intérêts. La dévaluation signifie que les bénéfices ou les coûts à l'horizon d'un an valent 5%

(selon le taux de dévaluation) de moins que les coûts ou les bénéfices d'aujourd'hui . Ceci

contredit le principe le plus fondamental de la durabilité, -qui veut que les droits des générations

futures soient aussi importants que ceux du présent. A cause de l'actualisation, il n'est pas

rationnel de dépenser un peu plus pour obtenir même de grands bénéfices à long terme, par

exemple de dépenser un peu plus pour augmenter la durée de vie d'un bâtiment de 50 ou 100

ans. L'actualisation conduit donc directement à des infrastructures et à des bâtiments bon

marché et peu solides"268.

L'OCDE remarquait aussi la fragilité des infrastructures présentes et d'après-guerre, comparé au

legs des générations antérieures 269

266 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 53.267

European sustainable cities, 1996, op . cité, p 54.268

European sustainable cities, 1996, op . cité, p 53.269 OCDE, 1994, Des villes pour le XXI°s, op . cité .

153

Page 76: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

(4) Une contradiction entre les effets redistributifs attendus du marché et les dommages globaux

qu'il génère:

"Le marché peut fonctionner aussi bien comme un poing invisible produisant un résultat

qu'aucun des agents économiques n'attendaient, et qui les désavantage tous" 27o

(5) Une contradiction entre l'augmentation des échanges au sein de l'économie mondiale et la

réduction souhaitable des transports de marchandises:

"Une préférence spécifique pour les fournisseurs locaux, qui serait fortement souhaitable du

point de vue de la durabilité pour réduire le transport de marchandises, ne serait pas compatible

avec les principes du Marché unique européen ,,27' •

(6) Une contradiction entre la viabilité d'une économie locale et la compétitivité internationale:

"Une plus grande liberté pour les municipalités d'isoler l'économie locale des pressions du

marché international et de gérer activement leur économie locale pourrait aider à faire évoluer

les activités économiques vers la durabilité locale, en l'absence de changements politiques au

niveau national"272 .

Le propos est anti-économiciste sans être anti-économique . Les outils économiques peuvent

apporter leurs pierres aux stratégies de développement durable, et plusieurs paragraphes leur sont

consacrés . Mais le développement durable est avant tout un projet politique, une dimension

affirmée à plusieurs reprises, qui va à l'encontre des formes de récupération du concept

aujourd'hui rencontrées.

270 European sustainable cities, 1996, op. cité, p 53.

271 European sustainable cities, 1996, op. cité, p 83.272 European sustainable cities, 1996, op. cité, p 153 .

154

Page 77: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

Après avoir écarté d'emblée ce qu'il considère être de fausses solutions, à savoir confier la mise

en oeuvre du développement durable aux pouvoirs publics nationaux ou au marché, le rapport

précise quelles sont les potentialités des collectivités locales . Les collectivités locales sont aux

yeux du groupe d'experts européens les acteurs clés d'un développement urbain durable et

nombre de leurs propositions vise à renforcer leurs pouvoirs:

(1) Un pouvoir politique:

Observant que les politiques locales les plus intéressantes se trouvent dans les pays dont le

gouvernement est décentralisé273 , le rapport défend la décentralisation des pouvoirs . Le pouvoir

politique local est celui qui peut engager des procédures de démocratie participative, dont dépend

le succès des stratégies de développement durable. Les raisons en sont multiples : appropriation

du développement durable nécessaire à sa mise en oeuvre, légitimation des orientations

politiques par le public, mobilisation de toutes les forces de la société, valorisation des potentiels

locaux, responsabilisation des acteurs, émergence d'une diversité d'approches et impulsion d'un

changement culturel.

"Il n'existe pas de réponse scientifique "objective" à propos des aménités et des qualités qui

importent pour le développement humain . Celles-ci dépendent des croyances, des valeurs et des

aspirations des populations concernés, et peuvent être établies seulement à travers leur

engagement. La consultation et l'engagement des communautés est donc essentielle pour fixer le

sens et le contenu du développement durable, au niveau local comme au niveau global"274 .

Or, l'implication des différentes parties de la population nécessite que l'on renforce leur pouvoir:

"La sensibilisation doit s'accompagner d'un gain de pouvoir. Après avoir fait naître un désir de

prendre part à l'action, il faut fournir les moyens de sa réalisation. Sinon, le sentiment

d'impuissance que beaucoup ressentent empirera, au détriment, pour longtemps, du

développement durable "275.

Il faut travailler en somme à transformer l'impuissance collective en puissance collective.

273 Villes durables européennes, octobre 1994 . Synthèse du premier rapport, Groupe d'experts européens surl'environnement urbain . 14 p.274 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 65.275 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 71 .

155

Page 78: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

(2) Un pouvoir économique:

Le développement durable ne peut s'envisager sans développement de l'économie locale, qu'une

implication plus grande des autorités locales faciliterait . Les pouvoirs publics peuvent intervenir

dans la gestion économique de la manière suivante:

- en intégrant des critères environnementaux dans les achats et marchés publics, à l'instar de ce

qui est réalisé dans certaines villes suédoises (à la suite de Göteborg) ou anglaises (Woking).

L'économie locale s'oriente alors vers des techniques, des procédés et des transports écologiques.

- en initiant des activités économiques de développement local.

- en déposant les fonds municipaux dans des banques qui soutiennent les investissements en

faveur du développement durable.

- en créant des écotaxes, des mesures tarifaires et des normes locales, dans les limites de la

politique nationale, sous peine de faire fuir les investisseurs 276 .

Une "écologie industrielle" peut être encouragée au niveau local et régional, reliant les

différentes activités économiques, dans un esprit écosystémique, respectant les capacités de

charge des milieux et minimisant les transports de biens sur les longues distances . Son succès est

fonction de son extension, des standards appliqués dans l'Union européenne, qui peuvent seuls

prémunir contre les effets de "dumping" écologique. L'économie "durable" doit être en somme

relocalisée . Il faut s'assurer que "la production locale fournisse de l'emploi local en satisfaisant

des besoins locaux"277 . On ne peut en effet compter sur les effets de redistribution spontanés de

l'économie globale.

276 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 154.277 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 139.

156

Page 79: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

(3) Un pouvoir de gestion écologique:

"Les agglomérations affectent l'écosystème planétaire en consommant de l'énergie et des

ressources ou en rejetant des déchets et des polluants . Elles agissent sur les écosystèmes

régionaux par leurs captages et leurs flux, leurs modes d'occupation des sols et les pressions

exercées sur les zones rurales"278 .

Afin de minimiser ces impacts, il est judicieux d'agir à la source, au niveau local, où

l'intervention est plus facile . L'échelon local est le plus approprié pour contrôler et boucler les

cycles écologiques, développer l'exploitation des ressources renouvelables, commencer à

résoudre les problèmes d'environnement global.

En contrepartie de ces différents pouvoirs, une responsabilisation des autorités locales est

attendue. Il est nécessaire de résoudre localement les problèmes qui peuvent l'être, plutôt que de

les transférer vers d'autres échelles, d'autres lieux, d'autres générations . "Les cités elles-mêmes

offrent beaucoup de solutions potentielles"279. Le rôle des différents niveaux politiques n'est pas

nié et reste prédominant dans certains domaines : législation, réglementation, mesures fiscales,-

aménagement du territoire, etc. Le principal enjeu est de parvenir à articuler toutes les

interventions politiques en reconnaissant l'importance pour la question de la durabilité d'une

gestion locale.

Aux échelons supérieurs, les expériences locales ont une valeur expérimentale et une valeur

d'exemple, d'entraînement . La campagne des villes durables permet de constituer un capital de

"bonnes pratiques", d'outils écologiques, socio-économiques et organisationnels pour

l'administration des villes, qui peuvent être échangés, comparés, adaptés à diverses situations . Ce

savoir-faire peut s'échanger à travers un réseau de coopération décentralisée, qui diffuse les

expériences des villes. Un livret résumant une trentaine de bonnes pratiques a ainsi été édité, en

annexe au rapport européen .

278 Villes durables européennes, 1994 . Commission européenne . Groupe .d'experts sur l'environnement urbain.Premier rapport, 220 p . P 8.274 European sustainable cities, 1996, op . cité, p VII .

157

Page 80: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

La méthode

La méthode pour mettre en oeuvre des politiques de développement durable est celle déjà

avancée par le Livre Vert : l'intégration . Le rapport souligne:

"L'enjeu fondamental est de réaliser l'intégration : intégration entre les différents niveaux

(verticale) et entre les différents acteurs dans le processus politique (horizontale) " 280.

Il semble particulièrement important de "définir les problèmes au bon niveau, d'utiliser des

instruments composites pour réaliser plusieurs objectifs, de chercher à construire des

capacités". Un changement de culture organisationnelle est requis . Une politique de durabilité

doit pouvoir travailler simultanément au bien-être social, économique et écologique.

Cette politique doit aussi impliquer la société civile, ce qui appelle un troisième type

d'intégration. Le rapport souligne "l'importance du processus plutôt que l'aspect du résultat

final"281 , c'est-à-dire l'importance de la dynamique plutôt que le respect strict d'un objectif . Il

n'existe donc pas de méthode unique, pas d'autres prescriptions que l'intégration, c'est-à-dire

l'adoption d'une méthode qui est plutôt un point de vue sur le monde:

"Il existe de nombreuses façons d'évoluer vers la durabilité . Chaque communauté doit choisir

son propre chemin "2s2 .

Cette méthode est toutefois plus précise que celle énoncée dans le Livre vert. Elle adopte un

regard écosystémique, la ville pouvant être considérée comme un écosystème social.

"L'intégration, la coopération, l'homéostasie, la subsidiarité et la synergie sont des notions clés

d'une gestion orientée vers la durabilité urbaine"283 .

L'homéostasie est le maintien d'un équilibre malgré de forts changements affectant différentes

variables du système, la subsidiarité est le fait d'agir au plus près du problème rencontré, de

décider au plus près des citoyens, et la synergie, pour reprendre les mots du rapport, signifie que

le tout est supérieur à la somme des parties.

280 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 56.281 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 65.282

European sustainable cities, 1996, op . cité, p 57.283 European sustainable cities, 1996, op . cité, p VII .

158

Page 81: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Une vision écosystémique est nécessaire pour travailler à fermer le cycle des ressources, de

l'énergie et des déchets au sein des villes, pour restaurer en conséquence un relatif équilibre des

milieux et favoriser la biodiversité urbaine . Il est possible de prendre en compte, d'anticiper ou

d'évaluer par une projection dans le moyen terme ou le long terme les rétroactions négatives, ou

effets tampon, les rétroactions positives, ou effets boule de neige, l'homéostasie, ou le

changement dans la stabilité, la transition d'état, c'est-à-dire le changement de niveau lorsque les

modifications sont irréversibles 284, l'ouverture ou la fermeture du système urbain au changement

extérieur, l'émergence de caractères imprévisibles.

"Les processus de rétroaction et de transition d'état peuvent être délibérément organisés et

orientés de manière à atteindre certains objectifs politiques . "285

L'exemple des réactions en chaîne dans le domaine des transports l'illustre.

Cette approche holistique, ou globale, de la gestion urbaine se heurte aux modes de gestion

classiques, gouvernés par la sectorisation, la mesure quantitative des résultats, la création

d'externalités, rappelle le rapport . L'optique holistique repose au contraire sur la coopération et

l'interdépendance des acteurs, la mobilisation des volontés grâce à l'augmentation des pouvoirs,

le travail en réseau . Cette approche demande que les droits soient des responsabilités, les

compétences locales des ressources, et que de nouvelles relations soient instituées entre les

différents niveaux de pouvoir, sans oublier celui de la société civile.

Elle demanderait aussi une plus grande fermeture du système urbain:

" Les villes ne pourront pas suivre des chemins différents si le système socio-économique est trop

ouvert, ou si leurs pouvoirs sont arbitrairement restreints, ou si les politiques à d'autres niveaux

empêchent les actions locales. Ainsi le besoin d'expérimenter exige des villes qu'elles aient le

pouvoir d'être, jusqu'à un certain point, un système fermé -d'avoir le pouvoir de gérer leurs flux

de ressources et leurs flux financiers- . Ceci pourrait entraîner une reconsidération d'autres

objectifs politiques tels que le libre-échange . Ces questions doivent être examinées avec

ouverture et pragmatisme; aucun objectif politique ne doit être considéré comme absolu ou

inviolable "286

284 A l'image de la métamorphose des villes après la pénétration de l'automobile.285

European sustainable cities, 1996, op . cité, p 48.286 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 97 .

159

Page 82: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Cette assertion sur la clôture des systèmes urbains peut paraître radicale, mettant en danger les

principes même de l'organisation économique. Il faut toutefois rappeler que les recherches de

l'OCDE ont conduit à une réflexion similaire . La conclusion du colloque "Des villes pour le

XXI° siècle" énonçait:

"La ville, ses constructions, ses jardins, ses parcs, doivent être conçus dans la mesure du

possible comme des systèmes écologiques "clos", et consommer moins de ressourcesi287.

La ville n'est pas du tout un système économique clos mais elle peut travailler à favoriser le

développement local, qui paraît être un moyen efficace de lutter contre l'exclusion, par exemple.

Un des points cruciaux dans la mise en oeuvre d'une politique de développement durable est de

traiter les problèmes, comme le dit fort bien le rapport européen, dans leur contexte . Les activités

économiques qui décontextualisent la gestion des ressources physiques et humaines agissent dans

une direction opposée . Le changement de méthode en faveur d'une méthode écosystémique

implique une recontextualisation, une relocalisation des politiques et des activités.

Propositions essentielles

A la suite de ces considérations d'ordre général et méthodologique, le rapport est structuré en

cinq chapitres:

(1) les principes et outils d'une gestion durable,

(2) l'écogestion des ressources naturelles, de l'énergie et des déchets,

(3) les aspects socio-économiques de la durabilité,

(4) l'accessibilité durable

(5) la planification spatiale durable.

Comme le Livre Vert, le rapport insiste particulièrement sur ce dernier thème, sous-tendu par la

considération des capacités de charge locales, régionales et planétaires.

287 OCDE 94, op . cité, p 194 .

160

Page 83: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

(1) Principes et outils:

Outre une méthode, quelques principes importants caractérisent le développement durable,

devant permettre l'intégration des politiques dans le temps et l'espace.

Un principe de précaution vise à respecter les capacités de charge de la Terre et des écosystèmes,

au-delà desquelles des risques de dégradation irréversible peuvent se présenter.

Un principe d'économie encourage la maîtrise de la demande plutôt que l'assouvissement de tous

les besoins.

Un principe d'efficacité environnementale incite à réduire la quantité de ressources naturelles

consommée pour satisfaire un même besoin, par des techniques plus performantes et par le

recyclage, afin de respecter les temps de renouvellement des ressources. L'inefficacité et

l'irresponsabilité des techniques de production vis-à-vis de l'utilisation des ressources

caractérisent aujourd'hui la production 288 . On peut leur opposer un principe d'élégance, comme le

défend Jeff Brugmann289, consistant à résoudre les problèmes par des moyens simples et

économiques . Un exemple: la bicyclette présente un taux de conversion de l'énergie de 98%, la

voiture, un taux de 20%.

Un principe d'efficacité sociale, parallèle à celui de l'efficacité écologique, voudrait qu'un plus

grand bénéfice soit retiré de toute activité économique pour chaque homme. La polyvalence et la

diversité socio-économique peuvent être encouragées à ce titre.

Enfin, l'équité est également un principe important de développement durable . La pauvreté

comme la richesse engendrent par ailleurs des comportements non durables (épuisement des

milieux, surconsommation et gaspillage), difficiles à changer 29o

Concilier la croissance avec les limites écologiques nécessite de choisir certains modes de

développement plutôt que d'autres . Le bénéfice pour l'humanité ne coïncide pas nécessairement

avec l'utilité telle que la mesure l'économie néoclassique . L'abondance de biens doit céder la

place à la qualité de vie . Les activités urbaines excèdent les capacités de charge locales,

régionales, et parfois planétaires, mais les villes ont les potentiels pour résoudre ces défis, à

condition que les modes de vie et de consommation évoluent.

288 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 101.289 1992 . Managing Human Ecosystems : Principles for Ecological Municipal Management, ICLEI, Toronto.290 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 42 .

161

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Les outils présentés pour préparer cette évolution ont une dimension politique plutôt que

technique. On peut discerner cinq groupes d'outils : les outils de participation, les outils

d'intégration politique, les outils économiques, les outils d'information, et d'évaluation et de

suivi . Les outils législatifs ne relèvent pas du niveau local . Aucun ne constitue une panacée,

mais, combinés et appliqués de manière différenciée, ils permettent de progresser par étapes.

Les outils de participation, de collaboration et de partenariat sont essentiels car ils promeuvent

l'idée que l'on apprend en faisant291 et que l'engagement naît dans l'action, dans la possibilité de

prendre part à une décision. La responsabilisation des acteurs est déterminante pour que chacun à

son niveau ait conscience des enjeux et travaille avec ses outils et ses idées . La valorisation des

potentiels locaux est une clé des stratégies de développement durable . Les forums du

développement durable, en Europe 292, les tables rondes, au Canada, le Plan d'Action Global, au

Danemark et Pays-Bas, le management environnemental, qui vise un apprentissage pratique par

tous les groupes de population, sont des exemples de politiques participatives.

Les outils pour l'intégration des politiques de l'environnement sont essentiellement les plans

d'action municipaux, les Chartes pour l'environnement, les Agendas 21 locaux, les études

d'impact ou l'évaluation environnementale des politiques, la budgétisation environnementale.

L'écobudget fixe des niveaux autorisés de pollution, d'exploitation des ressources, ou de

lotissement d'espaces ouverts . II est établi dans le cadre d'un forum public et permet de contrôler

la réalisation des objectifs environnementaux. Les études d'impact environnemental, en revanche,

arrivent souvent trop tard, après que les choix aient été fixés, tandis que l'évaluation

environnementale des politiques omet les questions de la durabilité sociale.

Parmi les outils destinés à verdir le marché, la réforme écologique de la fiscalité est primordiale,

bien qu'elle soit encore refusée . Le prix des ressources pourrait augmenter en fonction des

quantités de ressources utilisées, celui de l'enlèvement des déchets, en fonction de la taille des

poubelles293 : "consommer plus ne doit jamais coûter moins" . Afin de rester équitable, la première

291 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 62.292 Ces forums viennent récemment d'être mis en place dans une vingtaine de villes, à titre expérimental . Ils ont unrôle consultatif, promeuvent une politique locale de développement durable et informent les villes sur la politiqueeuropéenne. Forum Informations n°4, juin 96 . European Informations, 8p.293 Une politique expérimentée par la ville de Fribourg. European sustainable cities, 1996, op . cité, p 80.

162

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

tranche de consommation de la ressource, celle qui correspond aux besoins minimaux, peut être

d'un coût très inférieur à la tranche médiane (besoins confortables) et surtout supérieure (besoins

de luxe) . Le Sri Lanka a adopté cette politique pour la distribution de l'électricité . II est proposé

aussi que la tarification routière soit renforcée et modulée selon les catégories d'usagers.

Les autres outils économiques ont déjà été évoqués : il s'agit de l'évaluation des investissements

en fonction de leur durée de vie, la prise en compte budgétaire de l'environnement, les clause

environnementales dans les achats et marchés publics, le verdissage des fonds d'investissement

que possèdent les collectivités locales.

Le quatrième type d'outils, consacré à la gestion de l'information, a une grande portée politique.

Rendre disponible l'information est insuffisant . Dans un contexte où l'information déborde les

capacités humaines d'absorption, il faut avant tout éveiller l'intérêt de la société civile, par

exemple par l'usage du multimédia, de l'interactivité, qui rompt avec l'utilisation passive et

hiérarchisée de l'information . "L'accès aux données n'est pas simplement une question physique

c'est une question d'intérêt et de résonance " 294, ce qui demande un travail de mise en forme de

l'information adaptée à chaque public . Le message et les connaissances relatives au

développement durable demandent à être diffusés beaucoup plus largement.

Les outils dévaluation de la durabilité, notamment les indicateurs, résultent de choix politiques et

orientent les manières de percevoir la durabilité . Les processus d'évaluation demandent à être

explicités, sous peine de fausser la compréhension du développement durable, et doivent engager

la participation du public, pour une évaluation plurielle . Les indicateurs de qualité de

l'environnement mesurent des variables physiques, tandis que les indicateurs de performance

environnementale évaluent les résultats des décisions politiques . II existe aussi des indicateurs de

pression sur l'environnement et des indicateurs de qualité de la vie, qui peuvent traduire, aux

yeux du public, les progrès vers le développement durable . Les indicateurs se développent

aujourd'hui au sein des réseaux de villes environnementales . Ils permettent de fixer des cibles, en

fonction des capacités de charge, à tous les niveaux administratifs.

Les outils de surveillance et de suivi sont les rapports sur l'état de l'environnement, les budgets

environnementaux, les évaluations publiques, et les instruments d'observation tels que la

télédétection, les Systèmes d'Information Géographique.

294 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 86 .

163

Page 86: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

En conclusion, les choix des outils et des stratégies de durabilité les plus pertinents à l'échelle

locale seront ceux qui bénéficient de l'adhésion et de la participation active de la communauté.

Chaque localité vivant une situation différente, les instruments qui lui conviendront seront

différents. E faut que les villes bénéficient d'un maximum de liberté pour appliquer les politiques

appropriées, qu'elles disposent de ressources et de pouvoirs adéquats . La diversification et

l'expérimentation des outils est aussi un besoin pressant.

(2) L'écogestion des ressources naturelles, de l'énergie et des déchets.

La méthode écosystémique est ici particulièrement pertinente. En bouclant les cycles, en

réduisant les ponctions, en maîtrisant les gaspillages on peut parvenir à réduire de moitié les

besoins en eau, en électricité, et la production de déchets.

La qualité de l'air dépend principalement de la réduction de la consommation énergétique . Les

politiques énergétiques ont été particulièrement faibles au cours de ces dernières années . Les

villes consomment 75 à 80% de l'énergie dans l'Union européenne : 40% pour le résidentiel et le

tertiaire, 30% pour l'industrie et 30% pour les transports . Afin de promouvoir une gestion plus

rationnelle de l'énergie, la DG XVII finance 22 agences locales pour l'énergie depuis 1992. La

cogénération, la récupération de la chaleur industrielle ou du biogaz des décharges, l'architecture

bioclimatique, le financement d'isolations des bâtiments par un tiers, l'adoption d'écotaxes

comme celles du Danemark sont des mesures efficaces pour réduire la consommation

énergétique.

Le rapport souligne aussi que le coût énergétique du transport de l'électricité est une dépense qui

pourrait être évitée . Le développement des énergies renouvelables, la décentralisation de la

production d'électricité au profit de la production locale, plus flexible, permettraient d'adapter

localement l'offre à la demande.

Enfin, on peut agir aussi sur la qualité de l'air, à l'autre bout de la chaîne, en renforçant les

infrastructures vertes qui filtrent et régénèrent l'atmosphère, comme en Allemagne.

La collecte sur les toits des eaux pluviales, leur infiltration dans des sols urbains végétalisés, leur

rétention dans des bassins naturels (étangs, zones humides) lorsqu'elles ont ruisselé sur des

surfaces imperméabilisées et sont polluées par les résidus automobiles, peuvent permettre de

164

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Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

résorber la pollution des eaux pluviales . Ces mesures impliquent l'existence d'un réseau séparatif

pour les eaux pluviales et résiduaires.

Le recyclage des eaux grises, pour des usages secondaires, peut entraîner des économies

importantes d'eau potable.

Enfin, avant d'être restituée à l'écosystème, l'épuration des eaux résiduaires peut être plus poussée

et utiliser des systèmes naturels comme le lagunage . Le recyclage des matériaux de construction

permet aussi de réduire les extractions qui perturbent la qualité des nappes aquifères.

Dans le domaine des espaces naturels, il semble important d'élargir les zones "naturelles"

urbaines et de les raccorder à la campagne environnante . Elles ont en effet un rôle de

régénération de l'écosystème urbain, un rôle de préservation de la biodiversité, une fonction

récréative et protectrice face à l'urbanisation tentaculaire, lorsque les forêts périurbaines sont

maintenues.

La gestion des déchets demande quant à elle une surveillance aiguë des décharges, liquides ou

solides, et des alternatives à l'incinération, qui rejette dans l'atmosphère du gaz carbonique et des

dioxines . La solution est double : réduire la production d'une part, utiliser les déchets comme

ressources, de l'autre.

"La gestion des déchets n'est pas un problème local, ni même régional ; au contraire, il s'agit

d'une question socio-économique et culturelle complexe qui caractérise à bien des égards la

culture urbaine contemporaine et dépeint la vie dans les villes européennes".295

Le tri à la source, le compostage individuel, la réglementation sur les matériaux de construction,

la production de biogaz concourent à diminuer l'impact des déchets sur les écosystèmes.

L'emballage, à l'origine de nombreux emplois, est un problème clé : 12 à 15% des travailleurs

européens participeraient directement à la production d'emballages.

"Lorsque le gouvernement d'un Etat membre impose des restrictions sur les emballages, le

secteur industriel et les gouvernements des autres Etats en appellent à la Cour européenne pour

violation du principe de libre concurrence".

Une législation communautaire est donc indispensable . La réutilisation, l'entretien ou le

recyclage des produits et des emballages peuvent constituer une alternative.

295 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 127 .

165

Page 88: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

"La récupération de matériaux à réutiliser créerait davantage d'emplois que ceux qui seraient

perdus dans la production d'emballages".

Les taxations sur les plastiques et autres matériaux non biodégradables, les subventions pour les

emballages réutilisables ou recyclables peuvent jouer un rôle de levier.

La gestion écologique des flux réclame une gestion économe. Les mesures prises pour

économiser les ressources naturelles, l'énergie ou les déchets rejaillissent les unes sur les autres,

en vertu de leurs relations écosystémiques, et ont donc des effets multiplicateurs . Ces interactions

sont visibles à l'échelle locale, ce pourquoi "les cycles écologiques locaux constituent souvent,

mais pas toujours, le niveau idéal pour introduire des politiques de durabilité dans les systèmes

urbains' 296

(3) Les aspects socio-économiques de la durabilité

Sous les pressions de la compétitivité mondiale, l'économie s'est restructurée en abandonnant des

quartiers ou parfois des villes . Dans certains centres urbains, la croissance économique a

accentué la polarisation et les inégalités sociales 297 . L'insécurité s'est installée et la durabilité

sociale de nombreuses villes est en question . Les activités économiques sont bienfaisantes pour

les uns, destructrices pour les autres . La concentration des activités économiques en milieu

urbain peut avoir un rôle bénéfique en minimisant les impacts planétaires (efficacité accrue des

services d'infrastructures), et néfaste en ce qui concerne les impacts 'régionaux (saturations) ou

locaux (nuisances, ségrégation spatiale).

Le Livre Blanc sur la "Croissance, compétitivité et emploi" proposait que l'économie optimise la

productivité des ressources plutôt que celle de la main d'oeuvre . Il y a là un moyen de réconcilier

les exigences sociales, écologiques et économiques . On peut à cette fin augmenter la longévité et

la réparabilité des produits, utiliser moins de matières premières dans la production, réduire les

emballages et les transports, concevoir des produits recyclables fabriqués à partir de ressources

renouvelables . Une "écologie industrielle" respectueuse de l'environnement au niveau municipal

et régional relierait les différentes activités économiques entre elles, afin de gérer globalement les

ressources, l'énergie, les transports, les déchets et afin de renforcer l'emploi local . Elle doit

296 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 130.297 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 134 .

166

Page 89: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent: la ville durable

s'accompagner pour être compétitive de réglementations et de standards plus élevés sur

l'ensemble du territoire européen.

Des créations d'emplois sont possibles dans de multiples secteurs, des emplois non

délocalisables : le développement des transports publics, l'entretien et la valorisation des espaces

publics et du patrimoine culturel, la revitalisation économique des quartiers, la rénovation

urbaine et la maintenance des logements, le traitement des déchets, la restauration des terrains

contaminés pour implanter de nouvelles activités, la télésurveillance et la sécurité, le conseil en

environnement, le consumérisme vert, bien développé au Royaume-Uni, le verdissage de

l'économie, la mise en place d'infrastructures durables, etc . Les possibilités d'intervention en

milieu urbain sont considérables.

"Mais l'action au niveau local, dans ce domaine plus que dans tout autre, est limitée par les

politiques et les mesures nationales et internationales"298 .

Quatre types d'intervention gouvernementale peuvent débloquer la situation:

- La réforme des écotaxes . Le chômage et le coût de la main d'oeuvre élevés dans l'Union

européenne peuvent être réduits par une détaxation du travail . Simultanément, la taxation des

ressources induirait une bien meilleure gestion écologique . La fiscalité doit peser moins sur

l'emploi et davantage sur les nuisances écologiques . Cette réforme est la base d'une économie

durable, sur le plan écologique et social . Elle peut se mettre en place progressivement, laissant le

temps à des alternatives de se développer.

- Les partenariats à l'échelle nationale pour une économie environnementale.

- Les institutions financières orientées vers les investissements à long terme (existant en

Allemagne).

- La création de marchés pour les entreprises vertes et l'adoption d'une réglementation sur

l'étiquetage concernant la qualité écologique des produits .

298 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 149 .

167

Page 90: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Les autorités locales doivent avoir la liberté de renforcer l'économie locale, de choisir des

produits plus écologiques, d'investir dans les activités "durables" . Les aspects sociaux de la

durabilité, c'est-à-dire l'équité intra-générationnelle, convergent alors avec les aspects

environnementaux de la durabilité, garants de l'équité intergénérationnelle . Les comportements et

les modes de vie des hommes politiques et des citoyens doivent évoluer 299 . Les politiques de

communication, de diffusion de l'information, de participation des habitants sont à cet égard

essentielles . II faut impliquer aussi les populations fragilisées, comme les populations immigrées

et les familles monoparentales . Se diriger vers une durabilité sociale implique de transformer les

priorités et les valeurs aussi bien collectives qu'individuelles.

Dans le domaine des politiques sociales, le droit à un logement et à un environnement sain,

l'accès à l'éducation, à la formation et à l'emploi, la lutte contre la pauvreté et les différentes

formes d'exclusion sociale, l'amélioration de la qualité des espaces urbains sont prioritaires.

L'offre de logements sociaux est très variable d'un Etat à l'autre . II est nécessaire de construire

non seulement des logements sociaux mais des quartiers actifs et réhabilités . La qualité de

l'environnement conditionne aussi la santé humaine. Les villes du réseau "Villes-Santé" de

l'OMS offrent des exemples de politiques locales de santé publique.

Les actions de -terrain sont en fait assez nombreuses mais souffrent de n'être pas connues, ni

disséminées. II faut accroître le pouvoir d'action des autorités communales ou régionales sur

l'économie locale pour qu'elles puissent promouvoir des politiques de développement durable.

Les changements de modes de vie impliquent parallèlement de grands efforts de sensibilisation.

(4) Une mobilité durable

Les transports sont au coeur du développement urbain et de la question du développement

durable . On s'attend à ce que les kilomètres parcourus en voiture augmentent de 25% de 1990 à

2010 en Europe, les transports routiers de 42%, le rail de 33% 300. Si l'on veut travailler dans le

sens de l'accessibilité et du développement durable, il est nécessaire de réduire les transports dans

le long terme, d'endiguer l'afflux et la longueur croissante des voyages, de maîtriser la demande

de transports dans le court terme . La tendance actuelle à la concentration des services dessert ces

299 European sustainable cities, 1996, op. cité, p 155 .

168

Page 91: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent: la ville durable

objectifs . D'autres orientations sont souhaitables : améliorer l'accessibilité plutôt que les

déplacements, réduire les besoins de déplacements au lieu d'abréger seulement leur durée,

favoriser la complémentarité et non la concurrence entre les modes de transport.

Les coûts externalisés des transports motorisés sont très élevés, estimés à 5% du PIB en moyenne

en Europe, 2% pour les seuls problèmes de congestion . Les européens travaillent de plus en plus

loin de leur domicile. Le réseau de routes trans-européen va relancer le trafic routier . Le

Cinquième programme d'action et le Livre Blanc sur les transports sont trop timides sur ce

thème.

Un transport urbain multi-modal constitue une amorce de solution. La maîtrise de la demande

peut nécessiter des restrictions de circulation dans les centres historiques, à terme bien acceptées,

puis dans les quartiers, comme à Brême . Le réseau européen des "Villes sans voitures" travaille

avec cet objectif301 - On peut dans un premier temps limiter les vitesses de circulation et les

possibilités de stationnement, développer le covoiturage, les transports en commun et les

parcours cyclables et piétons, qui doivent offrir des trajets directs, rapides, prioritaires,

bénéficiant de raccourcis . La sécurité et l'agrément de ces parcours conditionne leur

fréquentation.

Ces mesures restent toutefois insuffisantes car le but n'est pas de rendre les transports plus

performants mais de réduire les besoins de mobilité, notamment la mobilité pendulaire . La

planification des usages du sol peut servir cet objectif. La fiscalité, qui à terme doit imputer le

coût écologique et social des transports urbains aux usagers, est un autre levier . Au préalable, il

est nécessaire d'influencer les attitudes par de larges consultations démocratiques.

(5) Une planification spatiale durable

La planification est le volet central du rapport, dans la ligne des recommandations du Livre Vert.

"Le rôle le plus crucial de la planification est peut-être de chercher à rester dans les capacités

de charge environnementale et de léguer le capital naturel et construit aux générations

futures "302

300 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 170.301 Voir infra p 116.302 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 196.

169

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

En premier lieu se posent le problème de l'étalement urbain, prédateur d'espace, et celui de

l'inflation des transports, qui altère l'atmosphère des villes et peut-être le climat mondial . Une

planification durable adoptera quatre orientations:

(1) L'intégration de la planification spatiale et environnementale:

Certaines villes des Pays-Bas ont par exemple mis en place une "stratégie du double réseau", les

flux humains et vivants épousant le réseau de transports en commun et le réseau hydrologique de

surface. Les villes s'urbanisent à proximité de ces deux ressources . L'eau de surface crée une

trame naturelle continue qui accueille aussi les bassins de rétention des eaux pluviales,

transformés en zones humides . Cette planification rejoint le modèle de la ville polylobée élaboré

par Tjallingii, fort intéressant, et dont nous reproduisons un schéma à la page 220 de ce rapport.

(2) L'intégration de la planification spatiale et des transports:

Si la ville compacte n'apporte pas toutes les réponses aux inquiétudes écologiques, comme l'a

montré l'ouvrage Sustainable Development and Urban Form 3o3, en revanche une densification

autour des points de forte accessibilité, en particulier près des dessertes de transports publics, fait

l'unanimité. Les Pays-Bas ont expérimenté ce système, nommé "système ABC", visant à localiser

les activités économiques à leur juste place : "the right business in the right place" . Trois

catégories d'emplacements -A, B, C- ont été déterminés pour les entreprises en fonction de leurs

besoins d'accessibilité et du nombre de leurs employés.

(3) La constitution de réserves foncières afin de maintenir des espaces ouverts:

Ces espaces ont d'abord une fonction sociale, ils forment l'espace public de la ville. Ils ont aussi

une fonction écologique importante, lorsque des traitements légers leur sont appliqués, favorisant

l'accroissement spontané de la biodiversité.

303 1992. M. J . Breheny (dir.), Pion, Londres, 292 p .

170

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

(4) La mixité dans les usages du sol:

Le zonage fragilise l'espace urbain, bloque ses possibilités d'évolution . La mixité fonctionnelle et

sociale génère des tissus beaucoup plus souples, réduisant les besoins de déplacement et la

ségrégation urbaine. C'est un des caractères clés de la ville durable.

A côté de ces exercices de planification, les opérations de régénération urbaine et le recyclage

des espaces urbanisés permettent de diminuer l'emprise bâtie de l'agglomération et de maintenir

sa cohésion. De nombreuses zones industrielles sont en déprise et nécessitent une

décontamination avant de pouvoir être réutilisées . La réhabilitation urbaine doit créer des espaces

capables à l'avenir de s'auto-régénérer, à toutes les échelles (figure 8) 304 . Parmi les facteurs à

prendre en compte au premier chef dans une réhabilitation, on peut mentionner les variables

écologiques, le cycle de vie du projet, l'accessibilité, la flexibilité des bâtiments et leur

polyvalence, la restauration d'échelles de proximité, l'implication du public pour recueillir les

idées locales . Une rénovation réussie est capable de restaurer l'image du quartier.

304 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 209 .

171

Page 94: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

If

C I T Y O F A A L B O R G

Figure 8: Les étapes de la renaissance urbaine . ..

Sources: "Aalborg, the road to sustainability" City of Aalborg, 1996.

172

Page 95: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II. Un modèle émergent : la ville durable

Des efforts de planification doivent aussi s'attacher à l'héritage culturel, aux loisirs et au

tourisme. La richesse du patrimoine culturel est un élément important de la diversité de l'Europe

et de son identité. Ce patrimoine est multiplement attaqué, par la globalisation économique, ou

par le tourisme . Afin de le préserver, on peut étendre et diversifier l'offre culturelle, même

mineure, dans le but de répartir les fréquentations, de soulager les espaces trop visités, de créer

ou de revitaliser des activités économiques . Les centres villes encourent le risque de devenir des

lieux monofonctionnels, à usage touristique . II faut défendre l'identité urbaine de tous les

espaces, espaces ouverts, publics ou privés, quartiers urbains récents, arrière-pays, qui peuvent

être gérés de façon nouvelle, dans un esprit d'ouverture au tourisme rural.

Conclusions

"La question de la ville durable est une affaire de créativité et de changement . Elle pose un défi

aux réponses gouvernementales traditionnelles et cherche de nouvelles compétences et relations

institutionnelles et organisationnelles"3os

Le thème reste pourtant en grande partie inexploré, tant en matière de recherche universitaire que

de recherches appliquées . Il faut viser les actions à dividendes multiples, par secteurs et par

niveaux. Le développement durable n'existera que s'il est planifié 306 Les forces du marché ne

peuvent pas résoudre les problèmes, trop graves, du développement durable . L'échelon local est

le plus approprié pour mettre en oeuvre des politiques de développement durable, pour deux

raisons: c'est à cette échelle que peuvent être gérés plus facilement les cycles écologiques, c'est là

que s'exerce aussi la citoyenneté locale, la pleine participation de la société civile . Les

gouvernements municipaux doivent être dotés d'un pouvoir élargi et poser les bases d'un nouveau

contrat social.

L'intégration verticale des politiques et l'intégration horizontale entre les domaines sociaux,

économiques et écologiques, sont primordiales . L'interdisciplinarité et la cohérence des

politiques sont indispensables pour que les efforts entrepris dans un certain secteur ou au niveau

local, ne soient pas sapés par des décisions engagées aux échelons supérieurs ou dans d'autres

secteurs 307 . La pensée écosystémique facilite la prise en compte de ces interrelations, tandis que

305 European sustainable cities, 1996, op . cité, p VIII.306 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 239.307 European sustainable cities, 1996, op . cité, p 240.

173

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La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

la coopération et le partenariat sont d'un grand secours pour leur mise en oeuvre . Le

développement urbain durable doit être un apprentissage qui engage le public dans l'action et

dans la participation aux décisions . II est important de déhiérarchiser la gestion urbaine, de

conférer à chacun un pouvoir et une responsabilité.

Il est nécessaire aussi de développer la recherche, d'approfondir les exemples et la connaissance

des processus qui mènent au succès concret, au-delà des descriptions . Nous avons à déterminer

plus précisément l'empreinte écologique des villes européennes, à examiner les changements de

mode de vie qui conditionnent la durabilité, à établir des études comparatives systématiques entre

les villes, afin de savoir dans quelle mesure les villes européennes poursuivent des objectifs de

durabilité et utilisent les principes et instruments définis dans le rapport . Quelles sont les

perspectives d'application de ces règles et outils, les régimes de pouvoir local les plus aptes à

favoriser la durabilité, la façon dont peut être opérée une transition vers la durabilité, au-delà du

diagnostic de la réalité actuelle et de l'ébauche d'une politique désirable? Ces axes de recherche

doivent être approfondis pour engager les étapes suivantes du développement durable.

Le rapport du groupe d'experts européens sur l'environnement urbain a le mérite de situer sa

réflexion très en amont des problèmes identifiés . II revient aux sources d'un développement non

durable et propose des solutions structurelles et préventives . La réhabilitation du local, du

contexte et de l'action politique sont à nos yeux les propositions clés du rapport, ce qui rejoint

l'analyse de l'association des municipalités néerlandaises, dont nous reproduisons un schéma

(figure 9). Trois visions sont à l'oeuvre, qui heurtent actuellement trois catégories d'acteurs:

- Une vision scientifique, systémique, qui gêne souvent les urbanistes et les professionnels de la

ville opérant une lecture trop rapide, "au premier degré", des métaphores employées. Cette vision

écosystémique constitue le socle du rapport, le raisonnement qui le sous-tend et conduit à

réaffirmer l'importance de l'échelle locale.

- Une vision culturelle, appelant un changement de modes de vie et de consommation, qui heurte

frontalement les forces économiques, voire les consommateurs non avertis . Ce regard fonde

l'horizon du développement durable, celui où les êtres, les activités et les objets sont compris

dans leur contexte, écologique et planétaire . Cette recontextualisation du développement humain

travaille à la disparition des externalités .

174

Page 97: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

- Une vision politique, qui demande une démocratie participative, partagée, et déclenche

l'opposition des maires et des élus . Le développement durable est d'abord une question politique,

culturelle et éthique, et en dernier lieu scientifique, avec son lot d'incertitudes. Un plan de

développement durable, un Agenda 21 sont souvent perçus comme rivalisant le projet de l'équipe

municipale, et font dans cette mesure l'objet d'un désintéressement patent : c'est aujourd'hui peut

-être le premier des blocages, un blocage politique .

Figure 9: Les flux, les sites et les participants. ..

Sources : "Building sustainability. Handout for local authorities", Association of Netherlands Municipalities, 1996

175

Page 98: PARTIE II. UN MODELE EMERGENT: LA VILLE DURABLE des ...

La ville durable : état des lieux en Europe et prospective

Conclusion: la ville durable à l'épreuve de la réalité. ..

La ville durable n'est pas un projet prédéfini, comme le montre le rapport européen sur les villes

durables. Celui-ci affirme au contraire que le sens et le contenu du développement durable

doivent être définis par les habitants, en fonction de leurs critères et de variables culturelles, de

manière plus large. II est important d'agir à tous les niveaux, mais l'échelon local est très

pertinent pour une gestion de la durabilité : il est nécessaire de développer l'économie locale, si on

veut lutter contre le chômage et l'exclusion, indispensable d'impliquer politiquement les

habitants, si des choix de société doivent être pris plus démocratiquement, plutôt judicieux de

traiter les problèmes à la source, primordial de respecter les valeurs culturelles . Autant de raisons

pour tenter de travailler de manière ascendante, décentralisée . Le développement durable est un

processus d'apprentissage, et non un deus ex machina qui viendrait dénouer des situations

difficiles.

Sa réalisation est d'autant plus complexe qu'elle repose sur tous . Mais d'autre part, l'économie

mondiale repose aussi sur la participation de tous, ou d'un grand nombre . II n'y a rien

d'impossible à modifier des comportements, à affirmer d'autres choix, priorités, valeurs, à

engager d'autres pratiques . Il est nécessaire en revanche de disposer de marges de manoeuvre

plus grandes. C'est pourquoi le rapport européen insiste sur les pouvoirs locaux, partagés entre

les municipalités et la société civile, qui doivent être en mesure d'opérer de réels choix

économiques et politiques . Un développement durable demande l'instauration de nouveaux

mécanismes politiques : décentralisation d'une part, et démocratie participative de l'autre, pour

jauger, évaluer et prendre part aux décisions locales.

Un peu de temps est également nécessaire . Il n'y a rien d'immédiat dans la recherche d'un autre

modèle urbain . Le rapport européen dégage des horizons, un horizon de cohérence, et des

horizons multiples d'action, diversifiées, inventives, expérimentées dans certains cas.

Simultanément, des obstacles apparaissent, surtout économiques, mais aussi politiques et

organisationnels . Travailler de manière plus transversale, donner des objectifs multiples aux

politiques mises en oeuvre, intégrer le raisonnement écosystémique, ne pas considérer que le

résultat prime sur la méthode employée, permettrait de dépasser certains blocages.

176

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Partie II . Un modèle émergent : la ville durable

Comment les villes surmontent-elles actuellement ces obstacles? Comment est-il possible de

travailler aujourd'hui dans une optique de développement durable au niveau local? Le réseau des

villes durables n'est-il qu'un réseau intentionnel? Ces questions paraissent légitimes et à la

mesure des difficultés.

La première difficulté, toute simple, est l'absence de volonté politique . On peut observer que les

villes qui parviennent à s'engager dans un projet de développement durable le doivent souvent à

quelques personnes très déterminées, qui peuvent payer de leur personne les positions qu'elles

défendent, mais dont les idées parviennent à être relayées . Le projet de démocratie électronique

de Bologne, par exemple, très innovant et couronné de succès, repose sur deux personnes et le

dévouement que l'on peut imaginer . . . Son projet d'éco-plan, ou d'agenda 21 local, relève aussi de

la détermination de quelques acteurs . La municipalité autorise ce type d'expérimentations, est

alliée au niveau politique avec les écologistes, et laisse faire, voire soutient, mais ne place pas ces

projets au coeur de sa politique . Le cas de Bologne illustre un des cas les plus favorables à la

mise en place d'un agenda 21 local. Nous détaillerons en dernière partie quelques actions de la

ville.

Les agendas 21 locaux qui naissent actuellement ne constituent pas le coeur des politiques

municipales, bien qu'ils y prétendraient. L'agenda 21 est plutôt, pour l'instant, un projet de ville

qui se constitue parallèlement aux politiques classiques de la ville. Mais les situations sont

variables et il est trop tôt pour tenter un premier bilan . La plupart des agendas 21 locaux ont

démarré au cours de l'année 96 . Un travail de terrain est nécessaire, et quelque délais, avant

d'évaluer leurs résultats . Il serait important de savoir combien de personnes les agendas 21

mobilisent, comment ils résolvent les conflits, et s'ils y parviennent, comment ils redéfinissent

l'action municipale, voire l'organisation administrative, quels partenaires sont associés, etc . Notre

opinion est que des approches innovantes démarrent mais que nous n'avons pas les données pour

préjuger de leur évolution.

L'avance des pays européens sur la France, en matière de développement urbain durable, ne

constitue pas tant une avance dans les politiques réalisées qu'une avance dans la réflexion et dans

la sensibilisation, surtout . Des pratiques ont démarré et le débat sur le développement durable

existe dans certains pays depuis plusieurs années . Ici, l'on discute toujours sur la traduction

exacte du mot "sustainable" . . . Ce qui ne nous empêche pas de mener par ailleurs des politiques,

mais sans l'effet synergique qu'apporte le développement durable: une différence notoire .

177

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La ville durable: état des lieux en Europe et prospective

La synthèse que parvient à réaliser le groupe d'experts européens est bien sûr une reconstitution

intellectuelle, un modèle, un horizon de ce qu'il est possible de faire, en mettant bout à bout ce

qui a été fait ici et là, les expériences éparses, les réflexions accumulées sur ce thème . Ce rapport

fait écho à ce qui existe, donne de la voix à des innovations locales pas très bien connues . II fait

oeuvre aussi de prospective, car des mouvements se dessinent, indéniablement, qui préfigurent

peut-être des évolutions importantes . Tout dépend bien sûr des relais que ces expériences

connaîtront et le réseau européen est un de ces relais . Son rôle est de les reconnaître, de les

encourager, de les conforter.

Ce ne sont pas des villes durables qui naissent, mais un modèle urbain, une vision urbaine, qui

n'ont rien d'abstrait . Le mot de modèle n'est pas refusé . ICLEI parle par exemple des

"communautés modèles pour la mise en oeuvre d'agendas 21 locaux" . L'exemplarité se mêle à

l'expérimentation et à la politique, pour bâtir une politique de réseau qui souhaite entraîner

d'autres villes dans cette expérience, dans cette politique, pour construire une alternative au

monde de demain: celui que préfigurent trop bien les réalités d'aujourd'hui.

178