ARCHIVESDÉPARTEMENTALES
PaPyvorearchives.essonne.frcentenaire1914-1918.essonne.fr
Spécial 1914-1918
le
2e semestre 2014 - n°40
actu
alité
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OursISSN 1620-4662Directeur de la publication : Jérôme GuedjDirectrice de la rédaction : Frédérique BazzoniCoordination : Hélène Collomb, Véronique GuascoRédaction : Dominique Bassière, Frédérique Bazzoni, Véronique Guasco, Marion Kaczmarczyk, Isabelle Lambert, Claudine Michaud, Nathalie Noël, Lisbeth Porcher, Catherine Sironi.Photographies : Lisbeth Porcher, Yves MorelleCréation graphique et mise en page : Véronique Douliez-Sala Impression : Imprimerie départementaleEmail : [email protected] - Téléphone : 01 69 27 14 14 - Télécopie : 01 60 82 32 12
éditoLe Conseil général de l’Essonne travaille chaque jour à mieux faire connaître et apprécier de tous les Essonniens les richesses historiques et patrimoniales de notre territoire.Ce numéro 40 du Papyvore s’inscrit entièrement dans la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale : de nouvelles sources mises à disposition du public avec la création d’un espace numérique « Centenaire 1914-1918 » sur le site des Archives départementales, la collecte de fonds privés et la présentation de l’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche » ; mais aussi de nouveaux angles de vue sur cette période, avec quelques zoom sur des figures étonnantes, des fonds particuliers ou encore l’expérience picturale au service des armées.
Bonne lecture à tous.
Jérôme GuedjPrésident du Conseil général de l’Essonne
Stéphane RaffalliConseiller général délégué chargé de la culture
actualité
outils et méthodes
patrimoine local
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L’espace centenaire 1914-1918 des Archives départementales
4Collecte autour de la Grande Guerre
91914-1918 : si loin… si proche
12Zoom : « Les souvenirs d’Édouard Lefort »
16
L’éclairage de la vie de l’« arrière » par les archives des tribunaux d’instance
18
Réaliser un cahier de poilu : fiche pratique
20
Le carnet d’Émile Reymond, héros de l’aviation
24Alphonse Lalauze,
un peintre aux armées à Milly-la-Forêt
3
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La galerie d’images
Elle vous emmène au cœur d’une photothèque
incluant cartes postales, photographies, af-
fiches et autres illustrations, appartenant aux
fonds des Archives départementales ou d’ori-
gine privée : plus de 200 images au total dont
la sélection changera au fil du temps, pour vous
montrer toute la richesse des fonds d’archives
essonniens.
Les cinq thématiques évoquées - la nation mo-
bilisée, le front ou l’expérience combattante, la
(dés)information et la communication, l’art en
guerre et la Nation reconnaissante - vous font
naviguer en quelques clics de l’atelier de fabri-
cation d’obus de l’usine Decauville à Corbeil
et de ses femmes à l’ouvrage à la revue du
bataillon des Zouaves sur la place du marché
de Milly-la-Forêt, en passant par une page du
journal des tranchées « le Rire aux éclats » de
novembre 1917, une paire de vases sculptés
dans des douilles d’obus, ou encore un projet
de lotissement « Le domaine du combattant »
prévu à Morsang-sur-Orge en 1925.
Les outils de recherche
Tout d’abord un guide des sources sur la Grande
Guerre, qui recensera d’ici 2018 l’ensemble des
documents conservés aux Archives départemen-
tales, sur la base des instruments de recherche déjà
existants aux Archives départementales (et de
la base de données consultable en salle de lec-
ture) : plus de 400 pages - et davantage demain
car le guide s’enrichit chaque jour -, également
disponibles en salle de lecture.
Archives, livres, revues, journaux sont d’ores
et déjà disponibles en ligne, classés théma-
tiquement et par communes, manifestant
l’extrême diversité des informations contenues
dans ces fonds : registre de compte de la mai-
son Rabourdin à Étampes incluant une sorte de
« journal de guerre » relatant au fil de l’eau le
déroulement du conflit, biographie de Cocteau
par Pierre Chanel rappelant l’engagement de
l’écrivain comme convoyeur de la Croix Rouge
sur le front belge, et bien d’autres pièces émou-
vantes ou rares qui déroulent sous nos yeux le
quotidien de cette catastrophe.
S’y ajoutera prochainement un tableau des
« morts pour la France » essonniens, réalisé à
partir des sources des Archives départemen-
tales, en corollaire des informations données
par la base de données nationale (www.me-
moiredeshommes.sga.defense.gouv.fr).
Un espace pédagogique
La rubrique pédagogique livre différents dos-
siers éducatifs sur des sujets variés : les popu-
lations en guerre (femmes, hommes, enfants),
la gestion des blessés et des secours, la mobi-
lisation économique, la propagande ou encore
pour les classes primaires, la question des « poi-
lus » et de la commémoration.
La priorité donnée aux images et les questions
en font un outil des plus ludiques en même
temps qu’attractif pour tous, enseignants
comme élèves.
Une rubrique « liens »
Cette rubrique permet de connaître les autres
sites s’intéressant à la Grande Guerre, dévelop-
pés par des associations comme par des parti-
culiers, ainsi que les principaux sites nationaux
voire étrangers.
Frédérique Bazzoni
Directrice des archives
et du patrimoine mobilier de l’Essonne
En novembre 2013, les Archives départementales de l’Essonne ont créé un espace ressources présentant leurs ressources historiques relatives à la guerre de 1914-1918 : offrir à tous un accès immédiat à des docu-ments (textes ou images) sous forme de galerie d’images, outils de recherche, modules pédagogiques ou liens vers d’autres sites, telle est l’ambi-tion de cet espace.www.centenaire1914-1918.essonne.fr
L’espace centenaire 1914 - 1918
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correspondance
Lettres et cartes postales données ou prêtées
témoignent de la vie sur le front et de la sépara-
tion d’avec les proches, mais plus rarement de la
vie de l’arrière : c’est la correspondance du front
qui a été généralement apportée, la réponse de
l’arrière ayant été plus rarement conservée. Les
informations se révèlent assez succinctes car
les lettres ou cartes étaient ouvertes par la cen-
sure ; le soldat pouvait également pratiquer la
« censure affective1 » pour ne pas inquiéter les
siens ou parfois utilisaient au contraire un code
pour se jouer de la censure militaire : ainsi Mlle
Ové, apportant, la correspondance de cartes
postales de son grand-père, Paul Monneyron,
gendarme, à sa femme, explique comment
en prolongeant les traits de certaines lettres,
on pouvait insister et donner plus de sens aux
quelques mots écrits.
Pour les fêtes et anniversaires, les soldats fai-
saient preuve d’imagination et de créativité
pour améliorer leur petit mot, comme Lucien
Bottier qui passe un ruban tout autour de mo-
tifs découpés pour les 25 ans de son épouse
premières lettres : je te quitte en criant bien
haut : Vive la France, est remplacée par des
milliers de baisers dans la suite de la correspon-
dance. Les lettres de l’année 1917 décrivent le
quotidien du front :
… Nous sommes en ligne depuis une dizaine
et nous en avons encore pour une huitaine à
contempler les parois des boyaux et des tran-
chées, ainsi que le chic coup d’œil que nous
font les réseaux de fils de fer devant nous…
Heureusement que nous avons pour nous tenir
compagnie les rats et souris, et ils sont très gen-
tils, ils commencent à s’apprivoiser. J’en ai un
en ce moment qui est en train de bouffer mon
chocolat et un autre dans ma musette en train
de becter mes biscuits. Les premiers jours, j’ai
bien essayé de les chopper ou de les chasser,
mais ils reviennent aussitôt, aussi j’ai pris la
chose du bon côté et je les laisse faire…5.
Blessé le 11 octobre 1917 à la tête, il décède des
suites de la blessure le 1er novembre 1917 à l’hôpi-
tal de Bar-le-Duc. Cet ensemble de lettres com-
prend également celle de l’infirmière qui raconte
au père les derniers moments de son fils.
La collecte de la mémoire familiale essonnienne autour de la Grande Guerre Initiée en 2012 pour le territoire de l’Essonne par les Archives départementales, cette collecte a bénéficié de la campagne nationale en novembre 2013 et concerne aussi bien des do-cuments écrits que des objets (non présentés dans l’article). Cette collecte de la mémoire familiale essonnienne autour de la Grande Guerre apporte à ce jour assez peu d’éléments sur l’histoire du territoire départemental, mais n’en constitue pas moins un témoignage important des contemporains de cette période ayant eu, eux-mêmes, ou dont leurs descendants ont, des liens directs avec l’Essonne.
et qui réalise l’année suivante une pensée
en aquarelle, sur laquelle il colle au centre sa
photographie2.
À signaler aussi les lettres ou cartes d’enfants :
celles de Philippe Maillard-Brune à son père
médecin sur le front sur papier bordé de noir,
accompagnées de dessins, ou celles des filles
Prévots à leur mère narrant un voyage intermi-
nable en train en septembre 1914… Les quelques
lettres de poilus à leur marraine témoignent
d’un lien très fort3. Des cartes entre camarades
se retrouvent ici ou là, notamment dans la col-
lection Perthuis.
Un ensemble de lettres retient particulièrement
l’attention : il s’agit de la correspondance de
Louis Filoleau à sa sœur Andrée en Algérie4.
Louis Filoleau se trouve à Madagascar dans
l’armée coloniale quand la guerre éclate, et es-
père rejoindre le front au plus vite, mais il devra
attendre le printemps 1916 pour gagner la mé-
tropole et attendre encore quelques semaines
pour se rapprocher du front avec le 2e régiment
d’infanterie coloniale. L’envolée patriotique des
5
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Lettre de Lucien Bottier à sa femme, le 2 juin 1916 pour l’anniversaire de leur mariage avec un « bouquet de fleurs » envoyé du camp de prisonnier Friedrichsfeld. - Collection M. Catherin
Carte d’anniversaire de Lucien Bottier à sa femme,
7 janvier 1917. - Collection M. Catherin
6
actu
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s Journaux et carnets
Dans les marges du livre de comptes du magasin
Rabourdin à Étampes, se trouve un journal
anonyme tenu du 26 juillet - soit quelques
jours avant la mobilisation - , au 19 septembre
1914, mêlant annotations météorologiques,
nouvelles des opérations militaires et chronique
étampoise6 : [4 août] depuis, quelques jours,
c’est par milliers que passent les autos, les bicy-
clettes emmenant au loin des familles entières,
des officiers et malheureusement aussi de nom-
breux espions.
Le carnet tenu sur le front est généralement
petit, voire minuscule comme celui de Georges
Kessler7 (51e régime d’infanterie), couvert d’une
très fine écriture à l’encre, une ou deux lignes
très courtes par jour ou celui d’Eugène Lepilleur
(6e régime des Dragons). Parallèlement à son
carnet, Georges Kessler a pris des photogra-
phies, rassemblées après guerre, dans trois
albums légendés avec précision, témoignage
de la vie quotidienne du front, du régiment et
des paysages ravagés.
Lucien Duclair, messager sur la ligne de front,
plusieurs fois blessé, a tenu, lui, des cahiers de
croquis pendant la guerre et pris des notes à
partir de l’armistice jusqu’en mai 19198. Né à
Nantes en 1889, il fréquenta l’école des Beaux-
Arts, et fut aussi un cycliste émérite. De son
expérience du front, il nous laisse ses dessins :
portraits de soldats de son régiment, parfois
sous forme de caricatures (« tonton Bouzine,
dit 420 coups »), ou ceux de hauts gradés
(« Généralissime Joffre »), scènes humoris-
tiques et aussi paysages dévastés.
Les notes de Lucien Duclair commencent le jour
de l’armistice : Le 11 du 11e mois à 11 heures.
Hostilités suspendues sur le front. Plus de
mitraille. Le calme absolu contraste complet.
Poilus et civils se promènent dans Flize, les faces
réjouies. Le même mot, la même parole sur
toutes les lèvres « Enfin, c’est fini » on les a eus.
Après la paix, le chemin de la démobilisation
est encore long, et l’accueil des populations
variable : … 28 [décembre]… Les gens ont en
assez du soldat et vous reçoivent comme des
gênants malpropres. Pourtant ils devraient
penser ces salauds que pendant quatre années
et demi, nous avons risqué notre peau pour dé-
fendre leurs biens qu’ils sont heureux de trouver
aujourd’hui…
Les dernières pages de notes reviennent sur
l’organisation d’une fête au vélodrome de
Maubeuge, mais le temps avant les retrou-
vailles reste très long [le 11 mai] : … et la nuit, je
suis plongé dans de fausses illusions, je me vois
à Venise en gondole avec ma mignonne, petite
Nina… Mais lorsque le matin, je me réveille, je
vois que c’est un rêve, que Lulu est toujours à
Maubeuge et sa Ninette lui manque…
Souvenirs
Ouvrier chocolatier, devenu grenadier à 19 ans,
blessé au visage sur le front d’Orient en 1917,
Édouard Lefort écrit dans les années 1930 ses
souvenirs illustrés de photographies et cartes
postales, à partir des notes prises pendant la
guerre ; ce manuscrit dédicacé affectueuse-
ment par le curé de Saint-Cloud, M. Legrand9,
est précédé d’une lettre élogieuse de M. Duffau,
universitaire notant la finesse d’observation, la
qualité du récit et la force de caractère de l’au-
teur. Édouard Lefort revient en 1950 sur le ma-
nuscrit : Voilà vingt ans que j’ai essayé d’écrire
mes « Souvenirs de guerre »… je reconnais avoir
mis au moins une vingtaine d’années à vrai-
ment m’adapter à ma nouvelle situation10…
Croquis de Lucien Duclair. - AD91, Fonds Moulin, 93J2 et 3
7
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sphotographies
Plusieurs albums photographiques ont été don-
nés ou prêtés, tous légendés de manière précise
et généralement précédés d’une carte où est
indiqué l’itinéraire du régiment. Ces photogra-
phies du 366e régiment d’infanterie11, 368e régi-
ment d’infanterie (docteur Maillard-Brune), 51e
régiment d’infanterie (Joseph Keller), 44e sec-
tion AC12 (Marcel Larcher) montrent aussi bien
des chars camouflés, des exercices de tir sous la
neige, une section de football, la corvée de soupe,
des prisonniers allemands, l’évacuation de blessés
ou des paysages ravagés. Malgré leur petite taille,
la qualité des photographies est notable.
Des tirages isolés - le plus souvent des portraits
individuels ou de groupe - nous ont également
été confiés. La guerre de 14-18 a en effet démo-
cratisé l’usage du portrait : l’homme au front
était photographié individuellement, ce portrait
avait une valeur rassurante. Comme tu le dis,
une photo est bien plus vite regardée qu’une
lettre, aussi quelle surprise, je ne pouvais me
faire à l’idée que c’était toi. … [fin de la lettre] je
te quitte et vais d’un grand pas me faire photo-
graphier tout seul et tu le verras par le prochain
courrier, je n’ai plus de cheveux sur la tête14. Ces
photographies ont été conservées précieuse-
ment au même titre que les médailles.
Trois collections de plaques stéréoscopiques ont
été prêtées par les familles Poupinel, Jacquet,
et Ledey : soit au total 195 plaques montrant
par exemple la côte 263 (Argonne), Tracy-le-
Val, Marne (1914), la prise de Ham (1917), la
Somme (1916), l’évacuation de blessés, des
Allemands blessés, des cadavres français, une
étape sous la neige, des villes en ruines… Ces
images ont la particularité de se présenter sous
forme d’une plaque de verre avec deux vues
prises avec un léger décalage par un stéréos-
cope, appareil doté de deux objectifs parallèles.
Cette technique permet de donner l’illusion du
relief si l’on regarde les deux images en même
temps avec l’aide d’une visionneuse. Pendant la
Grande Guerre, de nombreuses photographies
sont prises avec ces appareils par l’ensemble
des belligérants, donnant le jour à une produc-
tion nouvelle commercialisée, pendant et après
la guerre, auprès du public par des sociétés pro-
posant des vues stéréoscopiques.
Autour de la musique
Différents cahiers de chanson ont été prêtés : un
de Marcel-Louis Delépine, engagé volontaire
dès 1909 dans la marine, et quatre petits ca-
hiers d’écoliers par le caporal Pierre Mirandelle,
cultivateur à Milly-la-Forêt. Pierre Mirandelle
recopia ces chansons entre 1916 et 1919, parfois
avec une annotation datée : étant en garde au
La soupe, Bois le Prêtre, 1915. - AD91, fonds Maillard-Brune (91J)
Moment de répit au poste de secours, 1915. - AD91, fonds Maillard-Brune (91J)
Equipe de football de la 44e section. - Collection Mme Betrancourt
8
actu
alité
s téléphone, le lundi 29 septembre 1919, et ne sa-
chant quoi faire pour chasser le cafard, j’en pro-
fite de recopier cette chanson. Quelques parti-
tions, le livret militaire et certificat de délivrance
d’appareils de mastication accompagnaient ces
cahiers.
Marcel-Louis Delépine réalisa entre 1912-1913
un cahier de chansons qu’il illustra et qui l’ac-
compagna à la guerre.
Parmi les différents documents de Georges
Kessler, on retrouve des imprimés de chansons
dont certains du 51e régiment, un livre rose pour
la jeunesse « Chansons et poésies de guerre ».
Des collections de cartes postales
Mireille Grais, professeure d’histoire retraitée,
et Bernard Nanty, cartophile, ont prêté leur
collection de cartes postales sur la Première
Guerre mondiale, remarquable par la diver-
sité des illustrateurs (Georges Bruyer, Ernest
Gabard, A. Wuyts, S. Duthilleu, par exemple),
des représentations (photographies réalistes,
caricatures, aquarelles) ou des commanditaires
(société française de secours aux blessés mili-
taires, entreprise Dubonnet). Ces collections ont
été constituées a posteriori en « mémoire de la
Grande Guerre ».
Dans les documents rassemblés par des poi-
lus et prêtés (docteur Maillard Brune, Marcel
Larcher) se trouvent aussi des cartes postales
non écrites, certainement achetées après le
conflit en souvenir des quatre années au front.
Bilan et perspectives
Cette collecte de la mémoire familiale de la
Grande Guerrre représente actuellement pour les
Archives départementales 36 dons ou prêts, ces
derniers constituant 80 % de l’ensemble. 2 283
documents ont été numérisés et un don relati-
vement important est en cours de numérisation.
Le prêteur ou donateur a parfois des liens
proches avec les Archives (agent des Archives,
professeur(e) d’histoire, membre d’association
historique), mais dans certains cas, la Grande
Collecte lancée en novembre 2013 a permis
de déclencher le processus. Le prêteur ou dona-
teur conservait parfois les documents de diffé-
rents poilus de la famille (branche paternelle et
maternelle), comme si une seule personne dans
une famille avait rassemblé cette mémoire. Fils
(un cas seulement), petits-enfants, arrière-pe-
tits enfants et filleul(e)s, voici l’essentiel des
liens de parenté rencontrés ; parfois aucun lieu
de parenté, mais des documents purement et
simplement sauvés de la benne.
Aujourd’hui, le site www.centenaire1914-1918.
essonne.fr permet la consultation partielle
de ces documents à partir des rubriques exis-
tantes, l’exposition « 14-18 : si loin… si proche »
présente plus de 80 documents ou objets issus
de cette collecte. À terme, l’ensemble des docu-
ments numérisés sera consultable en salle de
lecture.
Par ailleurs, n’oublions pas que les Archives
départementales de l’Essonne n’ont pas été/et
ne sont pas les seuls acteurs de cette collecte :
communes, associations historiques y contri-
buent également largement.
La question de la pérennisation des supports
de cette mémoire et de son accessibilité la plus
large possible doit rester présente dans l’esprit
de tous et, dans cette optique, l’opération
« Europeana 1914-1918 », orchestrée en France
par la Bibliothèque nationale de France et le
Service interministériel des archives de France
notamment, constitue une réelle opportunité
de pérennisation et d’accessibilité des données.
Véronique Guasco
Directrice adjointe des archives
et du patrimoine mobilier
1. Expression de Mlle Ové.2. Collection M. Catherin.3. Collection Mme Betrancourt.4. Collection de Mme Guccia-Levet.5. Lettre du 10 juillet 1917.6. Don de Mme Segoufin.7. Don de M. et Mme Feuillet.8. Don de Mme Yvette Moulin. 9. « à son premier communiant de la pension Chambert, retrouvé grand blessé après la guerre, je suis très heureux d’exprimer mes compliments et mon affection ».10. Voir aussi p. 12- 15.11. Don de Michel Stelly.12. Don de M. et Mme Feuillet.13. Artillerie de campagne.14. Lettre de Louis Filoleau à sa sœur Andrée, 30 mai 1915 (collection Régine Guccia-Levet).
Illustration du cahier de chanson de Marcel-Louis Délépine. Collection M. Délépine.
9
actu
alité
s1914-1918 : si loin… si procheL’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche », réalisée par les Archives départementales de l’Essonne et labellisée par la Mission nationale du Centenaire, dévoile les sources d’une période cu-rieusement encore méconnue de l’histoire du territoire : affiches, photographies, cartes postales, films, lettres, journaux de tran-chées, témoignages et récits, permettent de comprendre comment l’Essonne a été transformée par ce conflit. Source de mémoire(s) et de réflexion(s) sur la guerre moderne et ses conséquences, grande histoire et chroniques familiales se mêlent ici au gré des archives publiques et des documents per-sonnels mettant en lumière la mobilisation de « l’arrière ».
La mobilisation économique
En août 1914, les puissances européennes
s’engagent dans une guerre de courte durée,
croit-on, et quand le tocsin sonne la mobilisa-
tion dans les villages, les hommes répondent en
patriotes, et se résignent à abandonner moissons
et travaux en cours pour défendre la patrie. En
arrière du front restent les hommes trop jeunes
ou trop vieux, les femmes et les enfants. Les
civils sont mobilisés pour soutenir l’effort de
guerre. Les femmes sont contraintes de com-
penser le manque de main-d’œuvre masculine,
notamment dans les campagnes et les usines,
et accèdent à des métiers nouveaux.
La mobilisation industrielle repose sur le déve-
loppement des établissements d’armement
de l’État et le partenariat avec l’industrie pri-
vée. Les usines s’adaptent pour produire les
canons, les obus, les véhicules, les nouvelles armes
nécessaires à une armée moderne : l’économie
de l’arrière devient une économie de guerre.
L’Essonne dispose d’atouts importants dans
cette mobilisation industrielle : la présence de
poudreries à Vert-le-Petit et à Massy, le tissu
économique local autour de Corbeil, mais aussi
à Dourdan ou Étampes, une desserte ferroviaire
importante, la proximité du front, et une élite
locale dynamique. Cet effort de guerre consenti
par les industriels pèse aussi sur les populations
civiles touchées dès 1915 par des pénuries ali-
mentaires, le rationnement et la réquisition des
ressources, mais aussi le deuil et la séparation.
Une présence militaire forte
Bien qu’éloigné du théâtre des opérations mili-
taires, le territoire de l’Essonne est marqué par
une présence militaire très forte. L’aérodrome
d’Étampes accueille les élèves pilotes belges
et français, le centre d’instruction de Sainte-
Mesme près de Dourdan prépare les soldats à
la conduite de véhicules militaires. Dès 1915,
la 100e division stationne de part et d’autre de
la Seine à Corbeil, Lisses, Quincy-sous-Sénart
ou encore Soisy-sous-Étiolles pour la mise en
état de défense du camp retranché de Paris.
Les aménagements de la défense de Paris
sont construits ou modernisés et impactent le
département : tranchées creusées en Forêt de
Sénart, à Champlan, Tigery ou encore Saulx-
les-Chartreux, postes de défense anti-aérienne
à Savigny-sur-Orge et Saint-Pierre-du-Perray,
batteries à Ygny, fort de Palaiseau.
Un territoire en mouvement…
Les réfugiés des départements envahis du nord-
est du pays et de Belgique, arrivent en nombre.
L’État met en place des dispositifs d’aide, de
secours et d’accueil aux côtés des associations,
des mairies et des habitants ; cette immigration
entraîne cependant une dégradation des condi-
tions de vie déjà difficiles, des tensions, et une
profonde modification de la composition de la
population locale. Ces réfugiés ont été l’une des
nouvelles catégories de travailleurs mobilisés
au service de la Défense nationale, avec les pri-
sonniers de guerre, les coloniaux et les mutilés.
Les réfugiés et les étrangers offrent une main
d’œuvre précieuse aux côtés des femmes et
des enfants, à Juvisy, à Vert-le-Petit, ou encore
à Corbeil.
Camp militaire à Milly-la-Forêt. - Collection M. Gachot
Camp retranché de Paris, construction (près de Tigery). - BDIC, fonds Valois, 9483
10
actu
alité
s
… au cœur des circulations
L’ensemble du territoire est au cœur des circula-
tions : circulation des hommes, du matériel, vé-
ritable base arrière du conflit. Les troupes alliées
et coloniales traversent les villages et les villes
par wagons entiers nuit et jour pour rejoindre le
front nord, tandis que les blessés sont achemi-
nés dans les hôpitaux essonniens pour soigner
les terribles blessures de la guerre moderne, et
poursuivre leur convalescence. Cette promiscui-
té avec les soldats blessés renforce l’image ter-
rifiante du conflit dans l’esprit des populations
de l’arrière.
Le chemin de fer et le transport automobile
assurent principalement l’acheminent du ravi-
taillement. Les infrastructures, magasins, usines
sont implantées à proximité des gares où sont
stockés matériels militaires et denrées alimen-
taires. Enfin, les troupes en transit stationnent
dans les fermes, venant en soutien aux travaux
agricoles, mais occasionnant aussi des ten-
sions, tandis que d’autres soldats suivent une
préparation militaire dans des centres spéciali-
sés : Étampes pour l’aviation, Dourdan pour la
conduite de véhicules ou encore Milly-la-Forêt
pour le tir.
Sortir de la guerre et se souvenir
Enfin, l’exposition aborde la sortie de guerre en
évoquant la question du retour des hommes à
la vie civile, de la réinsertion par le travail, du
deuil et de la reconnaissance accordée aux
morts, aux blessés, et aux femmes, du souve-
nir des anciens combattants et du tourisme de
guerre : le voir pour le croire…
Que reste-t-il aujourd’hui du front ? Des lettres
des soldats envoyées à leurs familles, des car-
nets de tranchées mêlant écritures et dessins,
de précieuses photographies des paysages rava-
gés par les combats, des objets confectionnés
sur place et rapportés en guise de trophée ou de
souvenirs. Une autre histoire de la guerre s’écrit
ainsi, plus intime, loin des discours officiels re-
layés par la presse et les tracts de propagande.
100 ans, pour se souvenir du rôle de chacun :
anciens combattants, français ou issus de l’im-
migration coloniale, civils ; du travail extraor-
dinaire des femmes et du sacrifice des disparus
et des gueules cassées. 100 ans pour tenter de
comprendre les mutations d’un territoire, d’une
société et d’une époque, ainsi que les enjeux
Du 28 juin 2014 au 15 mars 2015
Exposition « 1914-1918 : si loin… si proche »Conçue et organisée par les Archives départementales de l’Essonne, en partenariat avec l’ECPAD, et la BDIC, le musée français de la Photographie. Scénographie de Evanescence.
Cette exposition présente plus de 300 documents et objets des collections publiques et privées.
Accès gratuit.Les visites sont libres aux heures d’ouverture et les samedis et dimanches d’ouverture.Réservation obligatoire pour les groupes de 20 participants par mail au moins 15 jours avant la date de visite.Livrets pédagogiques pour le jeune public et les scolaires sur www.centenaire1914-1918.essonne.fr
Réfugiés de la région de Meaux sur le champ de foire à Corbeil-Essonnes, 8 septembre 1914 - BDIC, fonds Valois, 16450 École d’aviation, Étampes. - BDIC, fonds Valois, 68734
de la société actuelle. L’année 2014 marque le
début des commémorations du centenaire de
la Première Guerre mondiale pour s’achever
en 2018. Les Archives départementales de l’Es-
sonne y participent activement en proposant,
au travers de cette exposition, un tableau iné-
dit de l’Essonne, et de nombreux rendez-vous à
venir.
Nathalie Noël
Responsable du service éducatif
11
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s
La médiathèque de la Défense ECPAD
L’ECPAD conserve treize reportages photographiques sur les activités liés à la guerre en Essonne qui ont été réalisés par les opérateurs photographes de l’armée entre 1915 et 1918. Certains présentent les travaux de fortification et de défense du camp retranché de Paris à Saulx-les-Chartreux, Champlan, l’aviation avec l’aérodrome d’Étampes. D’autres s’attachent aux usines qui travaillent pour le compte de la défense nationale à Juvisy-sur-Orge et Vert-le-Petit, aux blessés soignés dans les hôpitaux temporaires, ou encore à la formation des conducteurs siamois à Sainte-Mesme près de Dourdan. Une vingtaine de clichés issus de ces reportages est visible dans l’exposition.À souligner aussi l’existence de deux films tournés en 1917 et 1918 dont l’exposition présente deux extraits. Le premier est un reportage sur l’aviation à Étampes, on y découvre une présentation de pilotes de l’escadrille des Cigognes à côté de leur avion Spad, un défilé de fantassins devant un colonel après une remise de médaille, un groupement de militaires devant les hangars et le décollage d’un avion Bréguet 14. La dernière séquence montre de manière pédagogique et peu réaliste la technique de photographie aérienne avec le pilote et les photographes portant un appareil dans l’avion, le décollage, la mission d’observation aérienne, puis le retour pour le développement des photographies dans une baraque intitulée « 13e section de photo aérienne ».Le second film tourné en 1918 témoigne du passage des troupes siamoises à Sainte-Mesme lors d’une formation à la conduite de véhicules militaires dispensée aux personnels soignants et aux chauffeurs du corps expéditionnaire siamois. Plusieurs séquences montrent l’arrivée des soldats dans le centre d’instruction, les officiers et le Général Phya Pijaijarnirt devant les bâtiments, l’heure du déjeuner avec les soldats munis de leur vaisselle de campagne, enfin la conduite des camions sur les routes aux environs de Dourdan.
Bibliothèque-musée spécialisée dans l’histoire contemporaine et les relations internationales des XXe et XXIe siècles
En 1914, un couple d’industriels parisiens, Louise et Henri Leblanc, entreprit de collecter tous les documents possibles sur le conflit mondial naissant et décida en 1917 de faire don à l’État de leurs collections. Ce fonds devint bibliothèque-musée et ce lieu a pour vocation de rassembler tous les matériaux pouvant servir à interpréter et écrire l’histoire de notre temps. La BDIC se distingue par : > l’importance de ses collections en langues d’Europe centrale et
orientale ;> la richesse de ses collections de peinture (tableaux des peintres
des Armées) de la Première Guerre mondiale, constituées aussi bien par des artistes mobilisés, dont beaucoup furent des combattants, qui ont surtout réalisé des aquarelles et des dessins ou, ultérieurement, des tableaux d’après des études rapportées du front, (Dunoyer de Segonzac, André Fraye, Othon Friesz), des artistes envoyés en mission par différents ministères (Pierre Bonnard, Maurice Denis), des artistes à l’« imagination documentaire » comme Lucien Lévy-Dhurmer, et des artistes satiriques ou humoristes, comme Abel Faivre, Jean-Louis Forain, Poulbot, Steinlen ou Willette. Cinq tableaux conservés par la BDIC sont présentés pendant l’exposition en alternance pour des raisons de conservation : Soldats traversant un village en ruine et Verdun, tous deux d’Alphonse Lalauze15, Les Gourmiers de Bernard Naudin, Une escadrille de chasse et Les caillebotis, Somme, hiver 1916, deux dessins à l’encre d’André Dunoyer de Segonzac ;
> un fonds photographique riche de près d’un demi million de pièces comprenant notamment le fonds « Valois » constitué des photographies réunies par la Section photographique de l’Armée (SPA) créée en 1915 et ayant comme triple mission de former des archives documentaires pour l’armée, rassembler un ensemble de clichés intéressants « du point de vue de la propagande par l’image dans les pays neutres » et constituer
des archives pour l’historien. Au total pour le fonds Valois, 536 albums comprenant chacun en moyenne deux cents photos formant un corpus cohérent, organisé selon une classification géographique et thématique. Une quinzaine de ces clichés est visible (en reproduction) dans le hall des archives.
Nathalie NoëlResponsable du service éducatif
Zoom sur deux partenaires de l’exposition
15. Voir aussi p. 24-27.
Une escadrille de chasse, André Dunoyer de Segonzac, 1916. Plume et encre de chine aquarellé. - BDIC, Or. F2 488
12
actu
alité
s Souvenirs de guerre d’Édouard Lefort (1915-1920)Mobilisé pendant presque cinq années dont trois passées dans les hôpitaux, de casernement en cantonnement, du front ouest au front oriental, Édouard Lefort livre le récit poignant de sa vie au service de la patrie durant la Première Guerre mondiale. Une terrible blessure de la face aurait dû le tuer, mais sa volon-té de vivre et son extraordinaire bon moral lui permettent de supporter ses indicibles souffrances.
Mon aujourd’hui est si différent de chacun de mes hier, qu’il me semble avoir vécu non pas une existence, mais plusieurs…
Stefan Zweig
Le feu sacré d’un ouvrier chocolatier
Ouvrier chocolatier à Paris dans l’entreprise
familiale, Édouard Lefort a dix-neuf ans lorsqu’il
reçoit sa feuille de route pour rejoindre le dépôt
d’instruction de Decize dans la Nièvre. Le 12 avril
1915, c’est le départ tant attendu : il est heu-
reux, impatient de devenir un soldat modèle et
fier d’être affecté au 79e régiment d’Infanterie
qui forme les soldats d’élite. Si le casernement
n’altère en rien la bonne humeur de ces jeunes
hommes, les journées sont néanmoins éprou-
vantes : les vaccinations, les marches de jour, le
montage de la tente, la couture, l’escrime à la
baïonnette, la traversée d’un bras de la Loire à
gué, les exercices d’intonation pour apprendre
à hurler et être entendu, les marches de nuit de
plus de trente kilomètres. Sérieux et bûcheur,
reçu 13e sur 97 à l’examen des élèves caporaux,
il est nommé 1re classe avec un premier galon ;
après huit mois d’instruction, Édouard a le feu
sacré pour aller au front.
Vingt-neuf heures de train et douze kilomètres
à pieds de nuit pour rejoindre le 113e régiment
d’Infanterie à Hargeville, près de Bar-le-Duc,
situé à trente kilomètres du front dont il entend
le grondement sourd et puissant des canons : il
y a les marches dans cette boue gluante ; il y a
le nettoyage des bandes, des chaussures et de
la capote qui ne sèchent pas et qui contraignent
les hommes à être toujours mouillés ; il y a le
grand décrassage dans l’eau glacée du lavoir ré-
quisitionné une fois par semaine ; il y a surtout
la spécialité à choisir en plus d’être fantassin :
Édouard choisit celle de grenadier.
Le boulot d’obusier lance grenade
La formation de dix jours à Loupy-le-Château
est intensive avec l’apprentissage de l’alphabet
Morse, de la signalisation et du maniement de
la grenade. Fier de son insigne de grenadier,
il part en Haute-Marne à Louvemont. Avec ses
camarades, il installe son coin de repos dans
une grange. Chaque dimanche, une distrac-
tion différente ; tout est fait pour remonter
le moral des troupes. Mais la nuit, il creuse. Il
creuse des sapes bien profondes. Il creuse des
tranchées pour ensevelir les morts : « les morts
sont alignés côte-à-côte, recouverts de leur toile
de tente servant de linceul, quand la tranchée
est pleine, on la comble ». Cette vie déjà insup-
portable le serait plus encore sans cette grande
camaraderie qui existe entre les soldats, mais
13
actu
alité
sÉdouard a perdu son enfance et constate « qu’il
a bien vieilli en un an ».
Fin juillet 1916, changement de coin, change-
ment de régiment aussi. Au 311e régiment de
méridionaux, Édouard écope d’« un sale bou-
lot d’obusier lance grenade » qui le déprime,
mais il est évacué pour un simple écoulement
d’oreille. Dans le train sanitaire qui l’emporte
loin du front avec de nombreux blessés, il
remarque que les paysans cessent leur travail
et se signent à leur passage. Ragaillardi par
quelques bons soins et l’air pur de l’Auvergne,
il travaille comme confiseur dans une chocola-
terie de Royat.
Adieu le 311e et bonjour le 35e : c’est son qua-
trième changement de régiment. Acheminé de
dépôt en dépôt : Antibes, Toulon, Lons-le-Saulnier,
Besançon, puis, oh joie !, permission à Paris où
il passe le Nouvel An en famille.
Embarquement pour l’Orient
Besançon encore, puis détachement au 3e Zouave
et embarquement pour l’Orient, abandonnant
le « bleu-horizon pour le kaki et le képi pour
la chéchia ». Cent trente-six heures de train
et trois jours et demi de tangage et de roulis
dans des vagues de dix mètres de haut à bord
du Moustapha II parti de Tarente (Italie) pour
Salonique (Grèce).
Salonique, ville cosmopolite où « chaque nation
alliée y a son camp ». Côté organisation, « le
camp anglais est impeccable, le camp français,
acceptable et le camp italien déplorable, car les
hommes n’y ont pas de feuillée. Ville aux 17 mi-
narets où les femmes sont entièrement voilées
et le vin sucré ».
La solitude lui pèse. Il a peu de nouvelles des
siens mais en revanche, il peut lire l’Opinion
et l’Indépendant et écouter les informations
de France par la TSF. Au bout d’une vingtaine
de jours, le régiment part pour l’Albanie, par
chemin de fer à voie unique puis à pied. Il faut
franchir les Alpes helléniques ; le col est à 1923
mètres d’altitude. Les hommes se reposent
« dix minutes toutes les cinquante minutes ». La
chaleur insupportable la journée se change en
froid intense la nuit.
Les hommes dorment à 4 dans leur petite tente
d’un mètre de haut et parfois ils entendent des
« hurlements lugubres de loup ». Tous les vil-
lages traversés sont « misérables ».
Détachement de zouaves dans la plaine de Monastir
Marchands turcs à Florina
14
actu
alité
s
Les gens portent « des peaux de moutons entor-
tillés » en guise de chaussures. Certains se ruent
sur les déchets de nourriture des troupes récu-
pérant « os et fonds de boîtes de singe ».
Passage en Albanie à Biklista le 26 février 1917.
Deux cent vingt-cinq kilomètres de train et deux
cent cinquante à pied depuis Salonique, et le
voyage n’est toujours pas terminé.
Édouard remarque que « les femmes triment
comme des forçats, tandis que les hommes,
peu courageux, fument, causent et se chauffent
au soleil ». Les enfants sont en haillons et pieds
nus malgré le froid. C’est « un pays de misère et
tout semble pitoyable ».
Sur les hauteurs du majestueux lac d’Okrida,
c’est la guerre sans les tranchées, et pour la
première fois, Édouard monte la garde dans
ce petit poste près de l’ennemi. Silence, soli-
tude, les yeux qui fouillent l’obscurité. Un tronc
d’arbre dénudé semble vite un ennemi. Tous les
sens sont aux aguets. Même si l’on est brave, on
appréhende, alors on contemple le firmament
pour s’orienter. Édouard se demande pourquoi
il a échoué dans ce régiment disciplinaire, lui
qui n’a que compliments de ses chefs. Ses com-
pagnons sont condamnés aux travaux forcés.
Cinq ans pour vol de vin chez l’habitant, dix ans
pour avoir giflé un sergent et de rudes sanctions
pour les mauvaises têtes. Ces durs à cuire s’en
moquent, se distrayant de presque rien.
le baptême du feu
Pas assez d’action dans cet endroit pour des
soldats de cette trempe, alors l’état-major
transfère toute la troupe en Serbie, où il y a
de « vraies tranchées avec d’authentiques
Boches ». Le vendredi 13 avril 1917, au ravin de
Brunsnick près de Monastir, Édouard reçoit son
baptême du feu : Français et Allemands se dis-
putent la même crête.
« Les boches ont attaqué et pris deux lignes de
tranchée. Nous allons riposter. Toute la nuit les
75 ont tiré. Les ambulances sont alignées dans
l’ombre et attendent les blessés ». Les hommes
reçoivent leur « ration de gnôle au goût d’éther
et deux grenades ». Tapis silencieux dans la
tranchée de « la côte des Légionnaires », tous
attendent fébriles.
« Attention, plus que trois minutes ! crie le
sergent.
- En avant ! »
Il est neuf heures et quart et tous les hommes
sortent de la tranchée en ligne, grimpent la
crête et se ruent sur la tranchée adverse. Les
Boches se rendent. L’endroit est particulière-
ment dangereux.
« Les obus tombent drus, à droite, à gauche, de
plus en plus près » : un véritable déluge de feu ;
Édouard est touché.
« J’ai l’impression… que mes poumons ont
éclaté… je sens toute la terre s’ébouler sur moi,
m’enterrant jusqu’au cou… je suis rudement
touché… le sang coule à flots et m’étouffe… im-
possible de bouger… dégagé par un camarade…
mes mains souillées de graisse, de terre et de
sang… je promène ma main dans ma bouche, à
droite il me reste quelques dents cassées, en bas
vide complet, plus de lèvre ni maxillaire ».
La blessure
Il rejoint à quatre pattes le poste de secours.
Gravement blessé, les brancardiers le des-
cendent de la montagne et le transportent
au village, à dos de mulet et puis en voiture
jusqu’à l’hôpital de Florina pour être évacué à
Salonique.
Les dix-neuf hôpitaux accueillent les blessés
répartis par types de blessures. On recoud ses
chairs abîmées. Mademoiselle Alice Schaetzlé,
Major de l’Union des femmes de France, s’oc-
cupe de lui. Édouard est un blessé calme malgré
ses souffrances. Pourtant « ses nuits sont agi-
tées de cauchemars où il se voit toujours dans
les tranchées ». Dans l’impossibilité de parler, il
communique en griffonnant sur un carnet. Côté
repas, ce n’est pas fameux non plus, il ne peut
manger, du lait seulement ingurgité par bibe-
ron. Le 15 mai 1917, il est évacué sur un navire
hôpital. Les morts sont jetés à la mer au cours
de la traversée de la Méditerranée.
« En avant ! »
15
actu
alité
sIl est très affaibli mais heureux de revoir le sol
français après dix-huit jours de mer. L’Hôtel-
Dieu domine le vieux Marseille. « Les cloches
des églises sonnent. Le soleil brille et les hiron-
delles tournent et gazouillent ». Édouard est
saisi d’émotions et de bonheur. La faim le te-
naille de plus en plus aussi, sa fièvre ne baisse
pas. On lui fixe des appareils pour redresser le
maxillaire déboîté. Il subit deux greffes de chair
au niveau de la lèvre pour stopper l’écoulement
de salive puis pour la réfection de sa cicatrice
boursoufflée. En octobre 1918, il subit une greffe
osseuse avec l’extraction de cinq centimètres et
demi de cartilage de tibia, qu’on replace dans
le maxillaire.
« Étendu sur le billard… l’infirmière me fixe de
gros crampons de fer aux bras et aux jambes.
Me voilà réduit à l’impuissance… heureusement
sous anesthésie complète ». Cette greffe nulle-
ment imposée, mais conseillée, lui permettra
de redevenir peut-être comme avant. Édouard
est confiant. Il est le sixième blessé sur lequel
on tente cette opération. La mâchoire ficelée
durant cinq mois, il souffre mais ne se plaint
pas : « un soldat blessé trouve naturel de souf-
frir à l’hôpital, comme il trouvait naturel de se
faire tuer devant l’ennemi ».
Il faut maintenant réapprendre à manger, à
parler, à être regardé aussi, mais c’est possible.
En mars 1919, il rejoint le centre du Val-de-Grâce
à Paris où les chirurgiens font tout leur pos-
sible pour redonner forme à ces pauvres êtres
défigurés. À un camarade, Édouard demande :
« Depuis que tu es défiguré, ta femme t’aime
toujours ? ».
Réformé le 31 mars 1920 après avoir été mobi-
lisé cinq ans dont trois passés dans les hôpitaux,
Édouard reçoit la médaille militaire en 1923,
et la croix de chevalier de la Légion d’honneur
en 1933. Le chemin du retour vers la « vie nor-
male » sera long, souvent très pénible. « Cela
aurait pu être pire encore », pense-t-il.
Si Édouard trouve « monstrueux les gens qui
osent prétendre la guerre… nécessaire pour pu-
nir les peuples trop ambitieux », il est sacrement
heureux de vivre. Le bonheur lui sourit, et Renée
Joron qu’il rencontre deviendra son épouse le 9
février 1938 à Cerny en Essonne.
Je remercie Monsieur Pierre Lefort, son fils, pour
sa gentillesse et le prêt du manuscrit des souve-
nirs de guerre de son père, apportant ainsi un
éclairage sur sa vie de soldat durant ce terrible
conflit.
Lisbeth Porcher
Service de l’action culturelle
et de la communication
16
outil
s et
mét
hode
s L’éclairage de la vie de « l’arrière » par les archives des tribunaux d’instanceDurant la Première Guerre Mondiale, le travail de la justice ne s’est pas ralenti. Au contraire, la présence et le passage de multiples troupes sur le territoire engendrèrent de nombreuses plaintes, conflits, enquêtes et procédures diverses. C’est ce que démontrent les archives judiciaires et plus particulièrement les archives des tribunaux d’instance de Corbeil et d’Étampes (sous série 3U) qui apportent un éclairage original et différent du conflit. En effet, il s’agit d’une guerre vécue à « l’arrière » et non sur le front.
la tension des débuts de guerre dans les archives judiciaires
Dès le début des hostilités, une véritable traque
des sujets allemands et austro-hongrois se fit
jour. Ceux-ci sont arrêtés, quand il ne se sont
pas enfuis, regroupés en camp de concentration,
leurs biens mis sous séquestres, leurs avoirs gelés
et les dettes des français envers ces personnes
effacées. Les sources judiciaires traduisent ce
sentiment d’hostilité à leur égard. Ces dossiers de
séquestres permettent de recenser et de localiser
les biens des étrangers dans le département et
de dresser une chronologie de leurs arrestation
ou de leur fuite. Ainsi, les époux Muller, sujets
allemands demeurant à Athis-Mons, s’enfuirent
précipitamment dans la nuit du 1er au 2 août
1914, lors de la déclaration de guerre ; leurs biens
furent saisis par la justice quand ils ne furent pas
pillés par les voisins16.
Les archives judiciaires montrent qu’en bien des
domaines les entreprises essonniennes étaient
dépendantes des produits chimiques et manu-
facturés allemands. Il en reste des plaintes aux
tribunaux ou des enquêtes sur ces sociétés.
Ainsi, l’imprimerie La Semeuse, à Étampes,
était débitrice de deux imprimantes rotatives
envers la Vogtlandische Machinen Fabrick de
Plaven, en Allemagne17.
Les archives des tribunaux d’instance conservent
les traces d’espions, réels ou supposés, à la
solde des allemands. Cela est symptomatique
du climat de méfiance des années 1914-1915.
Malheureusement leur mention est laconique
et se résume le plus souvent à une simple cita-
tion. Cela étant, ces documents n’en illustrent
pas moins l’importance de ce phénomène en
Essonne. Le 2 août 1914, Lucien Clause, fonda-
teur des graineteries du même nom et Mosellan
d’origine (Lorraine annexée) comparait devant
la gendarmerie de Corbeil pour suspicion d’es-
pionnage ; il est très rapidement libéré18.
Certains cas, assez rares, furent du recours du
Conseil de guerre, en collaboration avec les tri-
bunaux d’instance. Le 2 septembre 1918, Albert
Mignot, mécanicien-ajusteur demeurant à
Essonnes, fut condamné à un an de prison pour
abandon de poste sur un territoire en état de
guerre19.
Des affaires touchant au quotidien des Essonniens
Cependant la majorité des faits traités par les
tribunaux d’instance essonniens sont constitués
de plaintes, d’enquêtes et de procès verbaux.
Il s’agit de vols, de nuisances diverses, de cas
d’ivresse publique, de prostitution, d’infractions
Brétigny-sur-Orge. - Hôpital auxiliairen°10. - AD91, 57Fi29/123
17
outil
s et
mét
hode
saux règlementations, d’accidents ou de décès
accidentels de soldats, mais aussi des cas de dif-
famation ou de désobéissance à l’autorité mili-
taire. Ces archives sont hétéroclites et vont de
la simple mention dans un registre de procès-
verbal jusqu’à des dossiers très complets. Dans
tous les cas, ces documents mettent en lumière
des évènements du quotidien liés à l’état de
guerre. Ainsi, le 24 novembre 1915, douze sol-
dats anglais sont arrêtés à Juvisy-sur-Orge pour
ivresse et vol de bouteilles de marc et de rhum.
Ils furent transférés à Marseille20.
La guerre engendra de nombreuses instances
de divorce et de demandes d’assistance judi-
ciaire, les maris étant traumatisés par la guerre
et les femmes ayant dû s’adapter aux transfor-
mations du quotidien pour survivre. Les dossiers
fournissent des indications sur le régiment d’af-
fectation du mari et sur les causes du divorce,
souvent liées de près ou de loin à la guerre. Le
24 mai 1917, Émile-Paul Morteau, ouvrier en
chaussures demeurant à La Norville, mobilisé
aux usines d’Assailly-Lorette (Loire), demande
le divorce ; sa femme, d’après un procès-verbal
de gendarmerie, mènerait une vie scandaleuse
recevant souvent des militaires chez elle depuis
la mobilisation de son mari21.
Les sources judiciaires fournissent des éléments,
certes épars mais explicites, sur le manque de
personnel des administrations du fait de la
mobilisation et font part d’une certaine désor-
ganisation de celles-ci. Le 6 mars 1919, une
lettre de la chambre des notaires de l’arrondis-
sement de Corbeil adressée au tribunal précise
que la plupart des études notariales manquent
de personnel et qu’il serait indispensable que la
démobilisation leur rende des clercs en quantité
suffisante22.
Le travail judiciaire dans l’après guerre
Le travail des tribunaux concernant le conflit
continua. L’administration judiciaire statua
notamment sur le sort des soldats disparus à
la guerre par des jugements déclaratifs de sol-
dats morts pour la France. Ces dossiers, par-
fois très complets, comportent des enquêtes
sur les circonstances du décès au travers des
témoignages de camarades de combat, de la
correspondance entre administrations ou des
rapports du régiment d’affectation.
L’institution judiciaire mena le même type d’en-
quête pour réhabiliter d’anciens détenus ayant
eu un comportement héroïque à la guerre, à
l’image du dossier concernant Maurice Vincent.
Dès 1917, les tribunaux d’instance de l’Essonne
statuèrent sur le sort des enfants de soldats
blessés ou morts pour la France afin de leur oc-
troyer une pension (dossiers de « pupilles de la
Nation »). En fait, ces dossiers renseignent plus
sur le père que sur l’enfant. Pour asseoir le mon-
tant de la pension ou fixer le degré d’invalidité,
Zoom sur un registre où sont consignés les dossiers ouverts par le tribunal d’instance (numéro de dossier, motif, personne, lieu, date des faits,
date de l’enregistrement, suite de l’affaire). AD91, 3U/80
16. AD91-3U/172 - 17. AD91-3U/1885 - 18. AD91-3U/7919. AD91-3U/71 - 20. AD91-3U/80 - 21. AD91-3U/62322. AD91-3U/45 - 23. AD91-3U/621
la commission d’octroi enquêtait sur les circons-
tances de la blessure ou de la mort du père.
Enfin, les tribunaux d’instance s’occupèrent
également des plaintes concernant les dossiers
de dommages de guerre et de remboursement
des réquisitions de l’armée française. En effet,
l’armée réquisitionna les hommes, les bêtes,
le matériel et les bâtiments pour contribuer à
l’effort de guerre et fit creuser des tranchées,
construire des casemates et batteries sur des
propriétés privées. Certains de ces dommages
de guerre furent portés en justice et consignés
dans des registres de plainte et de jugement
et quand ce fut nécessaire, des dossiers plus
complets furent constitués. Ces documents
décrivent les travaux ou les réquisitions effec-
tués, le type de remboursement préconisé et
les litiges quant aux sommes allouées. Louis
Petit, fermier à la ferme de Champagne à
Savigny-sur-Orge, se battit contre l’intendant
militaire pour fixer les indemnités de réquisi-
tions de paille et pour constater les dommages
résultant des travaux de défense du camp re-
tranché de Paris dans ses bâtiments et sur ses
terres23.
En conclusion, les archives des tribunaux d’ins-
tance essonniens constituent une approche ori-
ginale sur la Première Guerre mondiale, vue de
« l’arrière ». Dans leur majorité, ces documents
sont accessibles sans condition particulière et per-
mettent de « vivre » ce conflit au travers d’histoires
humaines parfois très fortes et touchantes.
Dominique Bassière
Chef du service des archives historiques,
communales et notariales
Vert-le-Petit. - Caserne du Bouchet. - AD91, 2Fi182/055
18
outil
s et
mét
hode
s Réaliser un carnet de poilu : fiche pratiqueAfin de préparer les élèves du primaire à la visite de l’exposition « 1914-1918 : si loin… si proche », le service éducatif propose de réaliser en classe un carnet de poilu qui permet d’appréhender l’exposition de manière ludique.
Les cinq thématiques de l’exposition sont
reprises dans le carnet : chacune d’elles com-
prend une page pour écrire, et une autre pour
dessiner. Les élèves peuvent ainsi se référer à
leur carnet pour prendre des notes ou représen-
ter leur ressenti. Avec une technique de décou-
page-pliage, la réalisation du carnet de poilu
reste simple et ne nécessite pas d’achat de ma-
tériel spécifique. Il peut donc être fait en classe
ou à la maison, accompagné ou en autonomie
grâce à la fiche pratique qui guide pas à pas sa
réalisation. L’élève commence par concevoir les
pages de son carnet auxquelles, il collera par la
suite une couverture.
Matériel
> Feuille format A3 sur laquelle est imprimée
la trame délimitant les pages ainsi que diverses
illustrations reprenant les thèmes de l’exposi-
tion. Téléchargement sur
www. centenaire-1914-1918.essonne.fr,
puis espace pédagogique
> Feuille format A4 qui servira à la confec-
tion de la couverture (trame accessible depuis
ce même site)
> Des ciseaux et de la colle
Qu’est-ce qu’un carnet de poilu?Un carnet de poilu est un carnet sur lequel le soldat rapporte son expérience du front, des tranchées, de sa vie en tant que soldat, en dessinant ou en écrivant. Ces carnets avaient souvent un format pratique, afin qu’il puisse être transporté facilement.
Réalisation des pages
Pliage en éventail avant le collage des deux parties
Rabat à coller
19
outil
s et
mét
hode
sRéalisation des pages
> Coupez en deux la feuille format A3 dans le
sens horizontal.
> Pliez en éventail les deux parties :
- en commençant par la page où apparaît le
titre « Tout le monde participe à la victoire » ;
- en commençant par la vignette avec le soldat.
Attention le pliage ne commence pas de la
même façon que précédemment.
> En pliant, vous obtenez des languettes
d’environ 1 cm. Après avoir vérifié que tout est
dans le bon ordre, assemblez-les avec de la
colle.
Confection de la couverture
La couverture se réalise en prenant la feuille A4 :
> découpez la couverture comme sur le modèle ;
> pliez en suivant les flèches ;
> après avoir confectionné les pages et la cou-
verture, assemblez les deux pour obtenir le car-
net au format 8 x 15cm.
Décoration de la couverture
La décoration de la couverture du carnet peut
varier selon les choix de l’enseignant(e). On
peut ainsi choisir parmi plusieurs possibilités de
supports : du papier simple ou cartonné, illus-
tré ou vierge. Cette dernière proposition laisse
l’élève libre de la décorer lui-même, selon son
imagination, avec des dessins et des collages.
Nous proposons aux enseignant(e)s de sélec-
tionner dans la galerie d’images en ligne sur le
site (centenaire-1914-1918.essonne.fr, rubrique
galerie d’images), et d’imprimer les images
choisies.
Le carnet de poilu peut être exposé en étirant
les pages. Les élèves peuvent à leur tour créer
une exposition en présentant les dessins et les
écrits qu’ils ont pu faire pendant la visite, ainsi
que la décoration de leur couverture.
les variantes
Ce carnet peut s’adapter à différents projets
selon des variantes de fabrications suivantes :
> tout d’abord, vous pouvez confectionner les
pages du carnet avec des feuilles vierges. Cette
variante ouvre un grand champ de possibilités
et d’utilisations, tel qu’un carnet à dessin ou un
recueil de poème ;
> en gardant cette idée de feuilles vierges,
vous pouvez jouer sur la dimension des pages.
La technique reste la même que pour la fabri-
cation du carnet de poilu (vu précédemment
dans la partie « Réalisation »), seule la mesure
à laquelle on marque les plis change. Par
exemple pour un carnet de format 13,5 x 15 cm
: découpez en deux la feuille format A3 dans le
sens horizontal ; pliez chaque partie en éventail
afin de créer des pages de 13,5 cm ; assemblez-
les à l’aide des languettes d’environs 1 cm, que
vous aurez obtenu lors du pliage. Vous pouvez
ajouter autant de pages que vous le souhaitez.
Dans chacun des cas, il suffit d’adapter les
dimensions de la couverture aux mesures des
pages, puis de la décorer sur le thème choisi.
L’intérêt de cet atelier se trouve dans la diver-
sité des techniques utilisées par les élèves pour
confectionner leur carnet. En effet, cet exercice
sollicite des travaux manuels de découpage et
collage associés à l’exercice d’écriture et de des-
sin qui éveille l’imagination et la créativité de
l’enfant.
De plus, en suivant chacune des étapes et en
respectant les consignes de fabrication, la fiche
de réalisation Carnet de poilu donne à l’élève
une certaine autonomie.
C’est une activité qui permet à l’enfant de déve-
lopper ses aptitudes techniques, sa créativité, et
son sens de l’observation lorsqu’il viendra visiter
l’exposition.
Marion Kaczmarczyk
Service civique volontaire
Couverture
Le cahier de poilu
Le service éducatif met en ligne des ressources utilisables en classe et destinées aux enseignant(e) s et aux élèves du premier degré et du secondaire. Des dossiers thématiques constitués de documents patrimoniaux, conservés aux Archives départementales ou prêtés dans le cadre de la Grande collecte, permettent d’aborder les différents aspects de la Grande Guerre en lien avec les programmes scolaires : les poilus, les femmes, les enfants, la mobilisation économique, la propagande, les blessés, la commémoration.Certains dossiers sont plus spécialement réalisés en vue d’une utilisation en primaire (dossier sur les poilus), d’autres plutôt pour les classes de 3e et 1re (la mobilisation économique). Certains sont ou seront complétés par une fiche à destination des enseignants pour préciser le contexte des documents et les problématiques abordées. Ces ressources seront enrichies au fil de l’avancée du calendrier de la commémoration.
Dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre…
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hode
s Le carnet d’Émile Reymond héros de l’aviationTarbes, 9 mai 1865 - Toul, 22 octobre 1914
entretiennent d’abondantes correspondances
que François a scrupuleusement conservées,
ainsi qu’un grand nombre de photographies de
famille et des généalogies qui permettent de
retracer l’histoire des membres d’une famille,
qui à bien des égards semble hors du commun.
Un document retient tout particulièrement l’at-
tention : il s’agit d’un petit carnet manuscrit sur
lequel Emile a consigné au jour le jour ses acti-
vités pendant les premiers mois de la Grande
Guerre, témoignage majeur, écrit par un
homme conscient des enjeux du conflit, dévoué
à sa patrie et toujours d’une grande lucidité.
De la Loire à l’Essonne…
Le Musée de Dourdan a fait don aux Archives
départementales, il y a quelques années, des ar-
chives familiales et professionnelles de François
Poncetton, médecin, écrivain et journaliste qui
vécut une partie de sa vie à Dourdan.
Elie Henri Emile Reymond, fils de Francisque,
est le cousin germain (par sa mère) de François
Poncetton et de ses frères. Cette parenté ex-
plique la raison pour laquelle sont conservés
dans ce fonds privé des documents le concer-
nant. La famille est très unie et les cousins
En 1916, « Le Figaro » a publié des extraits de ce
carnet prêté par Madeleine de Launay, la veuve
d’Émile ; sachant que François Poncetton était
rédacteur en chef de ce quotidien en 1914, on
peut envisager que l’ouvrage lui ait été remis
par sa cousine et qu’il l’ait ensuite gardé dans
ses archives ; ce n’est là qu’une supposition,
car il se peut aussi que François ait recopié le
texte, ce qui n’enlève rien à l’intérêt du docu-
ment. L’éditeur précise que la teneur des pro-
pos d’Émile Reymond pouvant susciter des
controverses, les passages choisis évitent les
remarques d’ordre politique ou militaire au pro-
fit des récits de la vie quotidienne.
Un brillant médecin
Le père, François Reymond dit Francisque, origi-
naire de Montbrison, est ingénieur et sénateur
du département de la Loire ; Élie Henri Émile
dont le prénom usuel est Émile, est né à Tarbes
au hasard de l’affectation de son père comme
ingénieur des chemins de fer. Mais le siège fa-
milial restera toujours à Montbrison. Émile fait
de brillantes études qui le conduisent au lycée
de Versailles, Condorcet et Henri IV à Paris. Il
prépare l’École Centrale pour faire plaisir à son
père, bien qu’il ait une nette préférence pour les
arts ; finalement, il fait un compromis et devient
docteur en médecine en 1895, puis chef de cli-
nique de la Faculté et chirurgien de l’hôpital de
Sèvres. En 1903, il est nommé chirurgien de la
Maison départementale de Nanterre ; son ser-
vice est l’un des plus importants de la région
parisienne. Sa dextérité et la sûreté de son dia-
gnostic sont largement saluées.
Ses recherches histologiques et ses travaux
relatifs à la chirurgie gynécologique, à celle du
cœur et des poumons, d’une audace exception-
nelle pour l’époque, lui confèrent une grande
notoriété.
Émile Reymond dans son bureau. - AD91, 16J/222
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s
Un politique éclairé
Sa carrière l’occupe trop pour qu’il se laisse
séduire par les offres de candidatures qu’on lui
propose. Cependant, à la mort de son père en
1905, il lui succède au fauteuil de sénateur de
la Loire, siège qu’il conservera jusqu’à sa mort.
Inscrit à la gauche républicaine, ses débuts en
politique sont houleux ; mais très vite, la perti-
nence de ses interventions sur les sujets relevant
de la santé publique : réforme des études médi-
cales, création d’établissements scolaires pour
enfants attardés, adaptation du service militaire
pour les étudiants en médecine…est reconnue
et appréciée.
Son engagement politique est résumé dans
cette phrase : « Je voudrais que la République
de demain fût faite de sagesse, d’indulgence,
d’apaisement et respectueuse de toutes les
libertés ».
Voulant se consacrer pleinement à sa mission
d’élu, il abandonne ses fonctions de chirurgien
qu’il juge incompatibles ; seule dérogation à cet
engagement : il continue de prodiguer ses soins
aux plus démunis.
Un aviateur passionné
Sa passion pour l’aéronautique l’incline rapi-
dement à apporter un soutien inconditionnel à
l’aviation naissante, dont il pressent le rôle dans
la défense nationale : en 1910, il participe à un
voyage d’étude sur les Zeppelins, en Allemagne.
Il passe son brevet de pilote en 1910, puis son
brevet militaire en 1911 ; la même année, il
intervient au Sénat sur l’aviation aux colonies.
Il fait de nombreuses randonnées et, en 1912, il
est à l’origine de la première tournée électorale
en avion !
Très vite, il comprend que l’avenir de la France
est dans l’aviation, et souhaite qu’une Armée
de l’Air soit créée.
Métier oblige, Il s’intéresse particulièrement à
l’utilisation de l’aviation dans la recherche des
blessés sur les champs de bataille : en 1912, il
sollicite du Comité militaire de la ligue natio-
nale aérienne l’attribution d’aéroplanes au ser-
vice de santé. Il prend la tête du Comité natio-
nal de l’aviation militaire et en 1914, il entre au
Conseil supérieur d’aérostation. Conscient du
retard pris par la France face aux progrès de
l’Allemagne, il préconise la création d’une véri-
table « arme » de l’aéronautique, quand l’Ar-
mée ne voit dans l’aviation qu’un service com-
plémentaire aux besoins de l’observation.
Sur le front
Août 1914, le ciel s’assombrit ! Dès l’ouverture
des hostilités, Émile est affecté comme médecin-
major de 1re classe au service de santé et insiste
pour rejoindre un corps d’aviation sur la ligne de
feu ; il devient observateur dans une escadrille de
l’armée de l’Est. Le 10 août 1914, il commence
à écrire un journal de bord qui se termine le 19
octobre, avant-veille de sa mort. Tel un journa-
liste, il relate les mouvements des armées, les
horreurs de la guerre, le comportement des sol-
dats, mais il décrit aussi les paysages et fait part
de ses déceptions devant l’attitude trop timorée
des chefs de l’armée : à plusieurs reprises, il déso-
béit aux ordres et se plaint des atermoiements
de ses supérieurs qui, selon lui, nuisent à l’avan-
cée des troupes françaises. Impartial, il n’hésite
pas à noter les abus de l’armée française : ainsi
lorsqu’il découvre le pillage et les atrocités com-
mis dans un château, sa première réaction est de
les attribuer aux soldats allemands, mais après
enquête, il est convaincu que les responsables
sont en fait des Marsouins ; à plusieurs reprises,
tout en dénonçant les ravages perpétrés par
l’ennemi, il s’interroge : « et nous, sommes nous
sans taches ? ».
Chaque jour, son récit commence par une infor-
mation météorologique essentielle, puisque
la possibilité de départ en mission d’observa-
tion en dépend ; souvent, il peste et reproche
aux généraux d’être trop frileux en refusant le
décollage, parfois il part quand même seul au
mépris du danger.
Mort d’un héros
Le 21 octobre 1914, Émile Reymond prend place
à bord d’un Blériot biplace piloté par l’adjudant
d’infanterie Clamadieu, pour effectuer une
reconnaissance à basse altitude au dessus des
lignes allemandes. Victime d’une panne de
moteur, son avion est obligé d’atterrir sous le
feu des mitrailleuses allemandes ; Clamadieu
est tué et lui-même grièvement blessé. À terre,
un combat acharné s’engage, qui va durer
4 heures ; malgré de nombreuses tentatives,
les soldats français du 367e régiment d’infante-
rie ne peuvent approcher de l’avion, Émile fait le
mort à côté de sa machine. Ce n’est que dans la
soirée que les brancardiers réussissent à relever
les corps des aviateurs. Transporté à l’hôpital de
Toul, Émile a le temps de communiquer avec
précision les résultats de sa mission, avant de
mourir le 22 octobre.
Émile Reymond dans son avion, 1914. - AD91, 16J/222
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Une page du carnet et photographie d’Émile Reymond.- AD91, 16J/404
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sIl est enterré aux portes de Toul où il reposera
jusqu’à la fin de la guerre. Aujourd’hui, Émile a
rejoint au cimetière de Montbrison, ses parents
et son frère Jean-François Georges Auguste,
ingénieur civil, directeur des charbonnages de
Nikinovska, assassiné à Droujkowa (Russie) le
28 février 1907, qui, comme son frère cadet
Claude Henri, avait épousé l’une des filles du
préfet de police Louis Lépine.
Hommages
L’héroïsme d’Émile Reymond suscite de nom-
breux hommages : le Sénat commande au
sculpteur Boucher un buste qui figure en bonne
place dans sa galerie avec la mention : « pour
perpétuer l’image du sénateur Émile Reymond
qui illustra la science chirurgicale, honora la tri-
bune du Sénat, contribua plus que tout autre à
la création et au développement de l’aviation
militaire… ».
Le 29 mai 1920, dans les jardins d’Allard à
Montbrison (Loire) berceau de la famille, le
monument aux morts confié au sculpteur Albert
L’hommage d’Émile Reymond fait la une du numéro de l’Illustration du 29 mai 1920. - AD91, PER317/25
Buste d’Émile Reymond au Sénat. - Archives du Sénat
• AD 91, Fonds Poncetton, 16J1-458, et en particulier 16J/191, 16J/222 (photographies), 16J/404 pour le cahier
• Ministère de la Défense : Journal de marche du 367e régiment d’infanterie et fiche individuelle : www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
• Sénat : www.senat.fr/histoire/1914 1918
www.senat.fr/senateur-3eme-republique/reymondemile
• AD 42 (Archives départementales de la Loire), Fonds de la famille Reymond (Francisque et Emile), 17J (non classé, 6 ml)
• Archives municipales de Montbrison
• Presse : - L’Illustration année 1920 (29 mai), années
1911 et 1914 - Le Figaro, 12 janvier 1916 - La Guerre aérienne, 20 décembre 1917
Sources
Bartholomé est inauguré : le buste du sénateur
figure au centre du monument. Le Président de
la République Paul Deschanel devait présider à
cette inauguration : mais c’est sur le chemin de
Montbrison qu’eut lieu le célèbre fait divers se-
lon lequel Paul Deschanel serait tombé du train
dans la nuit et aurait erré sur les voies avant
d’être recueilli par un employé du chemin de fer
et reconduit à Paris.
Enfin, sur la stèle dédiée aux internes
morts pour la France à l’Hôtel-Dieu de
Paris, le nom d’Émile Reymond s’ins-
crit parmi celui des « morts au champ
d’honneur ».
C’est son épouse qui lui rend le plus bel hom-
mage, dans une lettre adressée à son cousin
François Poncetton : « La vie sera dure, mais il
a eu une trop belle mort pour être lâche quand
on a la gloire de porter son nom et d’avoir eu sa
dernière pensée ».
Claudine Michaud
Chef du service des publics
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Alphonse Lalauze : un peintre aux armées à Milly-la-ForêtLe tableau intitulé « À la mémoire des soldats tombés en 1914-1918 » réalisé en 1921 par le peintre Alphonse Lalauze (1872-1931 ou 1936 ou ap. 1938) pour l’église de Milly-la-Forêt, et qui s’y trouve aujourd’hui encore conservé, s’inscrit parfaitement dans la tra-dition de la peinture militaire française. Cette œuvre permet à la fois de comprendre le rôle joué par les peintres aux armées ou « peintres du ministère de la Guerre » pendant la première guerre mondiale, et de clarifier le sort des innombrables pro-ductions conçues dans ce contexte.
Un peintre ancré dans la tradition militaire
Peintre aquarelliste né à Paris le 21 juin 1872,
Alphonse Lalauze (anciennement contrôleur
d’enregistrement) est le fils d’un artiste peintre
graveur reconnu de son temps Adolphe Lalauze
(1838-1906), également mort à Milly-la-Forêt,
et élève du peintre militaire Edouard Detaille
(1848-1912) : celui-ci, formé par le peintre
Meissonier, présida la Société des artistes fran-
çais de 1896 à 1900, exécuta le tryptique « Vers
la Gloire » ornant l’abside du Panthéon, et joua
un rôle actif sur le plan pictural notamment
durant la guerre franco-prussienne de 1870 ; il
contribua également à la création du Musée de
l’Armée en 1905.
Présent comme son père au Salon des artistes
français, Alphonse Lalauze fut l’un des quinze
membres fondateurs de la Société des peintres
militaires et « peintres du ministère de la
Guerre » née en 1912; il collabora également à
des journaux illustrés la Guerre des nations et à
des ouvrages Histoire de l’Empereur raconté par
un vieux soldat, d’Honoré de Balzac, en 1904 ;
Costumes militaires de l’armée française 1902-1907,
Éditions du Canonnier, réed. 2007) ; il œuvra
aussi comme affichiste, remportant en 1923 le
concours lancé par la Fédération gymnastique
et sportive des patronages de France pour l’af-
fiche du concours international de gymnastique
organisé à Paris - qui devint ensuite la charte
graphique des affiches de ce concours, et servit
également à l’illustration des diplômes décer-
nés par la Fédération.
Sa présence sur les champs de bataille est attes-
tée en 1915, 1917 et 1918 dans la Somme, en
Alsace, Lorraine et Champagne.
Il fut nommé chevalier de la Légion d’Honneur
en 1931. Il est enterré à Milly-la-Forêt.
Comme en témoigne la majeure partie de son
œuvre, y compris celle réalisée hors du temps
de guerre, l’inspiration de Lalauze est essentiel-
lement dictée par l’observation brute des faits,
des uniformes, avec un attrait particulier pour
la remémoration de l’épopée napoléonienne.
La maison d’Alphonse Lalauze, à Milly-la-Forêt
25
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artistes en mission
Si ce titre de « peintre du ministère de la
Guerre » créé deux ans après la naissance de
la Société des peintres militaires fin 1912, année
de la mort du chef de file de ce courant pictural
Édouard Detaille, ne conférait aucun privilège,
il fut néanmoins prisé par nombre de peintres,
car soulignant la recommandation émise par le
Musée de l’Armée pour envoyer en mission des
artistes sur les zones de combat.
Cet enthousiasme s’insérait dans un contexte
d’essor remarquable de la peinture militaire
depuis le début de la Troisième République,
impulsé par la défaite de la France en 1871 face
aux Prussiens : un salon des peintres militaires
fut organisé en 1907 (jusqu’en 1913) ; puis vint
la Société des peintres militaires, et enfin le titre
de « Peintre du ministère de la Guerre » le 22
avril 1914 : autant d’étapes jalonnant la marche
vers une reconnaissance et une valorisation
de la fonction de peintre aux armées dans un
contexte guerrier.
Les premières missions furent lancées dès
décembre 1914 sous l’égide du ministère de la
Guerre, et ce jusqu’en 1916, date à laquelle le
choix des artistes fut transféré au secrétariat des
Beaux-Arts, afin de garantir la qualité artistique
des œuvres : les œuvres produites, essentiel-
lement dessins, aquarelles et gouaches - rare-
ment suivies de peintures sur toiles du fait du
caractère aléatoire de leur vente - étaient en-
suite évaluées avant achat éventuel par l’État.
Le musée de la Guerre était leur première des-
tination : une première présentation au public
eut lieu le 19 février 191524, puis les années
suivantes dans de nouvelles salles aménagées
spécialement à cet effet.
Parmi les plus connus de ces peintres, on peut
citer : François Flameng (1856-1923, professeur
à l’École des Beaux-arts, membre de l’Institut),
dont les dessins furent reproduits dans l’Illus-
tration dès 1915 ; Georges Scott (1873-1943),
illustrateur au style épique voire cocardier ;
Raymond Desvarreux (1876-1961), auteur es-
sentiellement de petits tableaux mettant en va-
leur les uniformes ; Lucien-Hector Jonas (1880-
1947), auteur de pochades sur bois ou carton et
portraitiste apprécié des milieux militaires.
La plupart de ces artistes étant généralement
choisis (au début de l’expérience tout au moins)
sur des critères de « bon esprit » et de moralité
autant que sur des critères esthétiques, rendirent
sur le conflit un témoignage grandeur nature et
en images dépourvu de jugement de valeur : « ce
qu’il faut, c’est envoyer avant tout aux armées
de véritables artistes qui soient susceptibles de
saisir l’atmosphère du front, qui prennent des
vues de ce qui se passe avec sensibilité, avec
émotion, et que ce ne soit pas de vulgaires
cartes postales que l‘on vienne présenter à la
Commission 25 ».
« Peinture soldatesque26 » ou allégorie mystique?
Le tableau offert par Alphonse Lalauze à l’église
de Milly-La-Forêt, où le peintre séjourna (dans
la maison appelée « La Rotonde », à l’angle
des actuelles rues Jean Cocteau et du Lau),
constitue une sorte de mise en abîme dédiée
aux « morts glorieux », présentant une scène
de combat intégrant la liste des 103 Milliacois
morts ente 1914 et 1918.
Il est intéressant à double titre : il reste peu
d’œuvres picturales évoquant directement les
morts pour la France en Essonne, voire illustrant
des projets de monuments aux morts27 ; et
celle-ci offre en outre une combinaison subtile
de style, à la fois réaliste et allégorique, tout à la
fois peinture de bataille et peinture religieuse.
Les cinq soldats représentés marquent chacun
à leur manière une étape dans le cheminement
vers la mort qui n’est pas que souffrance, mais
aussi victoire et rédemption : l’observation et
le recueillement devant le sacrifice de l’un des
siens, l’accompagnement dans la souffrance, la
révélation de la Mort.
La composition en L inversé attire le regard vers la
gauche, où l’on découvre tout d’abord la liste des
morts, puis le soldat mourant, puis au second plan
en hauteur vers la colline (sorte de Golgotha) où gît
le corps d’un autre soldat déjà mort, et enfin vers
les nuées rouge-orangé d’où émerge la façade de
l’église que l’on reconnaît être celle de Milly.
La palette chromatique accompagne ce quasi
chemin de croix, de la triste réalité terrestre vers
le rachat céleste : palette froide gris-bleuté dans
le registre inférieur, chaude et rouge-orangé
dans le registre supérieur.
Les détails achèvent de renforcer le message et
le parallélisme avec les œuvres illustrant la cru-
cifixion du Christ et son ascension : les cailloux
parsemant le sol au premier plan, comme sou-
vent au pied de la croix du Christ, la lumière sur
la poitrine du soldat blessé, rappelant le rai de
lumière divine, et enfin les nuées ardentes révé-
lant la finalité de la vie terrestre : la rédemp-
tion au sein de l’Église incarnée par la modeste
église de Milly.
Le journal « La guerre des nations », 15 juin 1915 avec en couverturel’aquarelle « Soldats traversant un village en ruine », de Alphonse Lalauze.- AD91, Fonds Maillard-Brune, 91J
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Conclusion
Bien loin de n’être qu’une simple « levée de
pinceaux » (sic Léonce Bénédite, op. cit) de plus
à la mémoire des soldats morts pour la France,
cette toile révèle parfaitement la véritable piété
patriotique qui a marqué la Grande Guerre ; son
caractère allégorique est accentué par le fait
qu’elle ne fut pas réalisée sur le vif, à l’instar des
œuvres dessinées ou peintes en mission, mais
après le conflit, dans une période de recueille-
ment et de reconstruction où la légende devait
primer sur la réalité.
Il est essentiel de confronter ce type de produc-
tion, typique de la peinture militaire officielle,
à celle de ces « poilus [qui] se souvinrent dans
la tranchée qu’ils avaient été artistes et, par
manière de repos, de changement, pour tuer le
“cafard”, croquèrent leurs camarades ou firent
le portrait des lieux, ne fût-ce que pour conser-
ver le souvenir pour eux-mêmes ou pour les
leurs, de ces heures inoubliables » (id.).
Cette œuvre n’échappe pas à la critique par son
aspect édulcoré - comme le dénonça notam-
ment le journal satiriste Le Crapouillot. Mais si la
plupart des artistes missionnés n’appartinrent
certes pas aux avant-gardes picturales, et ne
furent pas confrontés aux mêmes horreurs que
les peintres engagés sur le front, ils n’en ont pas
moins contribué à informer la population en
mettant leur art au service de l’actualité.
On assiste ici de fait aux derniers jours de la
peinture dite « de bataille » remontant au XVIIe
siècle (avec Adam François Van der Meulen,
immortalisant les campagnes de Louis XIV),
qui laissera bientôt la place à d’autres supports
d’information (officielle ou non) sur la guerre :
la photographie et le cinéma.
Frédérique Bazzoni
Directrice des archives
et du patrimoine mobilier de l’Essonne
Conservatrice des antiquités et objets d’art
Si défendre sa patrie est un devoir, si mourir pour elle est un honneur pour tout soldat, qu’en est-il de la gloire et du dévouement pour une enfant ?
Comme chaque semaine, j’assiste à l’office dominical avec mes frères et ma sœur et tous les quatre, nous nous plaçons ni trop près de l’autel où nous serons obligés d’être attentifs à la messe, ni trop au fond de l’église non plus pour ne pas paraître pressés de sortir, mais près du mur nord où trône un immense tableau bien différent de tous les autres.
N’écoutant que très distraitement la cérémonie, je n’ai d’yeux que pour ce tableau mi guerrier mi religieux qui me fascine et me terrifie tout à la fois.
Il y a d’abord ces noms que je compte, puis que je lis méthodiquement un par un allant même jusqu’à les apprendre et me les
réciter… mais à quoi bon, il y en a tellement, 103 exactement. J’y vois même les noms de ma famille… 103 morts glorieux, le peintre l’a écrit en grandes lettres.
Hypnotisée par cette longue liste et bercée par la musique et les prières, mon regard s’échappe vers le ciel rouge-orangé qui envahit tout l’espace. Il ressemble au ciel d’orage que j’aime tant admirer. C’est si beau ! Mais je sais que le feu et la bataille cachés derrière la colline menacent et approchent vite en déversant son lot de désolation et tristesse. C’est la guerre ! On me l’a dit.
Ce feu qui dévaste maison et forêt, ce feu qui tue, me brûle toute entière et me terrorise. Je suis comme cet homme à l’agonie qui à peur de mourir et qui implore un peu de réconfort.
Où est la gloire ? Je hais la guerre et toute la souffrance qu’elle engendre. Je hais ceux qui la déclenchent et ceux qui la font. J’exècre tout cela. Ne peut-on faire autrement ?
Les larmes coulent sur mes joues d’enfant…
La maturité et l’expérience font comprendre bien des choses, aussi je rends hommage et je remercie tous les hommes qui ont lutté et qui sont morts pour qu’aujourd’hui je sois libre.
Une fois par an comme un pèlerinage, je viens me recueillir devant cette magnifique œuvre. Elle n’est plus à la même place que durant mon enfance, reléguée dans un endroit moins visible mais si aujourd’hui elle ne me fait plus peur, elle suscite toujours de fortes émotions.
Milly-la-Forêt 2014
• Archives du musée de l’armée
• Archives nationales : F21/3969
(correspondance entre le musée de
l’Armée et le sous-secrétariat d’État des
Beaux-Arts, sur les missions des peintres
du ministère de la Guerre)
• Ouvrages :
- « Peindre la Grande Guerre »,
N°1, 2000, Cahiers d’études et de
recherches du musée de l’Armée,
Actes du symposium de l’IAMAM
(Association internationale des
Musées d’armes et d’histoire
militaires) 16-18 novembre 1998,
- BENEDITE Léonce, « Peintres en
mission aux armées », in Les Arts,
14e vol. 1917-1918
- Id., L’Armée française vue par les
peintres, 1870-1914, Paris, 1998
- DAGEN Philippe, Le Silence des
peintres. Les artistes face à la Grande
Guerre, Paris 1996
- ROBICHON François, La Peinture
militaire française de 1871 à 1914,
Paris 1998
• Bases de données :
- Base Joconde (Musées de France):
dossiers sur Alphonse Lalauze et son
père Adolphe Lalauze
- Base Arcade (Archives nationales) :
dossiers de commande à Alphonse
Lalauze (sous-série F21 des Archives
nationales)
- Base Léonore (dossiers de légion
d’Honneur conservés aux Archives
nationales) : dossiers d’Adolphe
et Alphonse Lalauze : cote
19800035/1287/48675.
Références
Impressions d’enfant
24 - Bulletin de la Société des Amis du musée de l’Armée, 11, juillet 1915, pp.26-27 : liste des œuvres exposées.
25 - Procès-verbaux de la séance de la Commission spéciale chargée d’instruire les demandes de mission artistique aux armées, 17.11.1916, cote : AN F21/3969.
26 - Sic Léonce Bénédite, « Peintres en mission aux armées », in Les Arts, 14e vol. 1917-1918.
27 - Comme l’aquarelle de R. Charpentier conservée à l’Hôtel de ville d’Étréchy, également en Essonne.
Direction des archives et du patrimoine mobilierDomaine départemental de Chamarande38 Rue du Commandant Arnoux91730 Chamarande
01 69 27 14 [email protected]
Installée à Chamarande depuis 1999, la Direction des archives et du patrimoine mobilier de l’Essonne (DAPM) conserve : > les documents provenant des anciennes Archives
départementales de Seine-et-Oise et concernant le département de l’Essonne,
> les archives publiques versées depuis par tous l es services de l’État et du Conseil général de l’Essonne présents sur le territoire essonnien et par les collectivités locales,
> des archives privées présentant un intérêt pour l’histoire du département et une importante documentation relative au patrimoine mobilier.
Elle a pour missions principales de : > collecter les archives publiques des administrations et
établissements publics existant dans le département et les archives privées présentant un intérêt historique,
> conserver, classer et communiquer ces fonds,> contrôler le patrimoine mobilier protégé au titre
des monuments historiques et repérer les œuvres non protégées, accueillir et orienter le public dans ses recherches en salle de lecture ou à distance,
> valoriser les archives et le patrimoine mobilier par des publications, expositions ou animations.
La consultation en salle de lecture est gratuite et ouverte à tous, après inscription (présentation d’une carte d’identité en cours de validité avec photographie). Le personnel de la salle de lecture vous oriente et vous aide dans vos recherches.
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