Abdelhak Lamiri :
Delivery
Units,
ministère de
l’Economie
ou cellule
de
planification
Suite Page : 23
PALESTINE
L'antisémitisme, arme
d'intimidation massive
L'antisionisme a beau se
définir comme un refus
raisonné du sionisme,
l'admettre comme tel
serait encore faire un
compromis avec
l’inacceptable. Empreint
d’une causalité
diabolique, l’antisionisme
est moralement
disqualifié, mis hors jeu
en vertu de l’anathème
qui le frappe. Suite Page : 29
VOX POPULI Par Arris Touffan
Le ministère de
l’Education nous
rassure ! Ouf !
«Risque zéro»
pour les
épreuves
partielles du bac
qui se tiennent
bientôt… On
passe du risque
total au risque
zéro en la moitié
d’un
Ramadhan… Je
ne sais pas
comment ils font
pour réussir un
tel saut de
l’ange,
franchement…
Espérons-le !
Mais…
MALEK BENNABI : CHANGER L’HOMME
Le dernier numéro du Nouvel observateur cite
l'article de la revue Preuves, dans lequel François
Furet décrit l'itinéraire des intellectuels depuis la
libération.
Je n'ai pas pris malheureusement connaissance de cet
article dont le sujet n'aurait été pour moi au
demeurant que d'un intérêt intellectuel.
Il aurait permis au plus d'établir certaines analogies
avec les tribulations de nos intellectuels depuis 1962.
Suite page : 02
Histoire
Plaidoyer pour un
récit oxygéné de notre
Histoire ’Histoire, on le
sait, est un produit
explosif à manier avec
précaution. La raison en
est simple, elle est un
champ de bataille miné
où les acteurs qui
s’affrontent veulent
imposer leur vision du
monde pour consolider
leur présent et se
prémunir des surprises du
futur (renouvellement
social des élites comme
garantie).
Heureusement, l’Histoire
n’est pas seulement le
passé, elle dit des choses
sur notre présent qu’elle
ne cesse d’influencer.
Certains veulent nous
faire croire que l’Histoire
est un éternel
recommencement(*).
Suite Page : 12
Culture théocratique et bombe atomique
L’Iran est le premier pays musulman
contemporain où une révolution populaire a renversé
le despotisme. Il avait suscité dans le monde
une plus grande polarisation que celle créée
par les révolutions arabes, mais, à leur
différence, les ulémas chiites avaient préparé
l’alternative au régime du shah.
Suite page : 06
Noureddine BOUKROUH
2
MALEK BENNABI : CHANGER L'HOMME
Le dernier numéro du Nouvel
observateur cite l'article de la
revue Preuves, dans lequel
François Furet décrit l'itinéraire
des intellectuels depuis la
libération.
Je n'ai pas pris malheureusement
connaissance de cet article dont
le sujet n'aurait été pour moi au
demeurant que d'un intérêt
intellectuel.
Il aurait permis au plus d'établir
certaines analogies
avec les tribulations
de nos intellectuels
depuis 1962.
Mais le sujet prend
soudain à nos yeux
un intérêt
considérable avec
une remarque de
Jean Daniel, qui
pose indirectement
un problème qui
garde toute son
importance dans une
éventuelle
réévaluation de la Révolution
algérienne.
Une révolution est, par définition,
une entreprise de transformation,
une opération de changement.
Mais ce changement a son style
et il a sa nature. Le style doit être
rapide pour être compatible avec
sa signification révolutionnaire.
Mais le changement, que doit-il
affecter pour être compatible
avec cette signification ?
Là est le problème. C'est à partir
de là que commence l'ambigüité,
que naissent les équivoques.
Une révolution doit marquer dans
tous les esprits le contenu précis
des changements qu'elle
préconise, pour ne pas laisser
place à la confusion.
Si les choses demeurent dans le
vague, n'importe quel
déviationnisme sera possible.
La révolution pourra même, sans
se rendre compte, perdre son
caractère et devenir une pseudo-
révolution, en laissant le
quantitatif prendre la place du
qualitatif dans sa conception et le
pseudo-changement se substituer
au changement fondamental
nécessaire.
Une masse d'iniquités sociales
peut accumuler une énergie
révolutionnaire. Mais quand
celle-ci est déclenchée - dans une
circonstance privilégiée en
général- il n'est pas certain qu'elle
garde son orientation et ne dévie
pas de ses buts. Certaines
conditions sont nécessaires.
C'est sur ce point que le
commentaire du Nouvel
Observateur apporte une clarté
essentielle.
En face de l'article de François
Furet, J. Daniel évoque en effet
un témoignage de Che Guevara
recueilli au cours d'un entretien à
La Havane : « Si l'on ne doit
pas, dit l'ex ministre de Castro,
changer l'homme alors la
révolution ne m'intéresse pas ...
».
C'est net, c'est clair, c'est précis.
Nous sommes au cœur du
problème.
Et J. Daniel a raison d'ajouter
qu'il avait senti dans les propos
de son interlocuteur« des accents
d'une dureté religieuse ».
Il y a une ascèse en effet sans
laquelle il n'y a pas d'esprit
révolutionnaire.
Le problème des changements
révolutionnaires perd toute
signification en dehors de cette
condition.
La mutation du pouvoir politique,
la réorganisation administrative
et judiciaire, le changement de
l'unité monétaire, la réadaptation
du système économique, font
partie du phénomène
révolutionnaire certes.
On peut modifier le cadastre de la
propriété foncière, on peut
transférer les postes de manière à
« Si l'on ne doit pas, dit l'ex ministre de Castro, changer l'homme alors
la révolution ne m'intéresse pas ... ».
3
remplacer un Dupont par un Ben
Kébir lettré, même s'il descend en
ligne directe d'un bachagha
illettré, on peut changer les
caractères latins par les caractères
arabes sur les enseignes des
cabarets.
Mais tous ces changements sont
illusoires et n'ont rien de définitif
si l'homme lui-même n'a pas
changé. On peut même relever le
revenu annuel moyen de
l'individu. Ce n'est pas encore
cela la mesure d'une révolution.
S'il ne s'agissait, en effet, que
d'une augmentation des salaires
et des rations, alors, comme
l'ajoute Che Guevara : « Un néo-
colonialisme intelligent a plus de
chances de réussite ».
Et le peuple algérien,
révolutionnaire, savait bien ce
qu'il faisait en disant « non » au
plan de Constantine.
Une révolution ne peut édifier un
ordre nouveau et garantir ses
acquis qu'en transformant d'abord
l'homme.
En fait, c'est un problème de
civilisation qui se pose. Mais il
est souvent formulé d'une façon
empirique, en termes politiques.
Dans un pays qui subit la
civilisation, l'acte le plus
révolutionnaire c'est l'acte qui
décolonise l'homme lui-même.
Il faut avoir à l'esprit le processus
de dégradation de l'individu en
Algérie pendant plus d'un siècle
pour mesurer sa régénération
depuis le 1 er Novembre 1954 et
pour se faire une idée de sa
résurrection en tant qu'homme.
Pendant plus d'un siècle, il fallait
se nommer « l'indigène », il
fallait se faire « humble » pour
s'adapter à un ordre colonial
implacable.
L'intellectuel de la génération
précédente lisait La Voix
indigène ou La Voix des
Humbles.
Et s'il arrivait d'écrire, le choix de
son sujet était déterminé. Comme
cet algérien qui publiait vers
1925 un livre qui avait pour titre
Yallah et pour sous-titre Ou l'art
pour un Européen de commander
et de se faire obéir par des
indigènes.
C'est significatif de la haute
inspiration de son auteur, n'est-ce
pas ?
Et nos intellectuels n'avaient pas
le monopole de cette littérature
du servage, Richard Wright* cite
dans son ouvrage sur Bandoeng,
quelque chose d'homologue à «
Yallah » en Indonésie.
Pourtant, la colonisation
dénaturait l'homme. La
décolonisation était donc l'acte le
plus important dans un processus
révolutionnaire.
Ceux qui avaient connu en
France un lamentable type de
travailleur algérien, le virent
soudain changer de trait avec son
auréole révolutionnaire.
Les mots eux-mêmes avaient
joué un rôle dans cette
transformation.
En rejetant la livrée de «
l'indigène» l'Algérien se baptisai :
« El Moudjahid » pour rejoindre
un maquis. En prenant seulement
Cf titre, il avait déjà accompli son
acte révolutionnaire le plus
solennel avant même de tirer son
premier coup de feu.
Il devenait instantanément le
héros conscient de l'importance
de son défi aux forces écrasantes
qui sont en face de lui.
Aussi, quand on modifie sans
fondement le vocabulaire
révolutionnaire, c'est parfois sa
valeur rédemptrice sur l'homme
qu'on fait tomber.
Khaldi a admirablement montré
l'importance des termes
révolutionnaires du point de vue
sémantique.
On doit mesurer aussi leur
importance du point de vue
psychologique.
Les mots marquent des positions
idéologiques déterminées.
C'est infiniment plus important
que la décolonisation des terres.
Et c'est même sa condition.
Si on les modifie, le changement
d'un terme ne marquera pas
seulement l'abandon d'une
position idéologique qu'il
désignait, mais marquera aussi un
changement dans le
comportement révolutionnaire
lui-même.
Quand le combattant cessera de
se nommer « El Moudjahid »,
c'est le comportement du
« Troufion » qui réaparait,
comme dans un régime d tirai 11
eurs.
Une révolution doit maintenir sa
rigueur même dans le langage
Une révolution ne peut édifier un
ordre nouveau et garantir ses acquis
qu'en transformant d'abord l'homme.
4 pour garder sa portée rédemptrice
sur l'homme.
Certaines licences de langage -
qui se veulent audace
révolutionnaires - ne sont en fait
que des trahisons de la révolution
dans son objet essentiel : la
transformation de 1 'homme.
Quand certains muscadins parlent
de « libération des sexes»
exemple, leurs mots traduisent
dans la phase actuelle une chute
potentielle révolutionnaire.
Ce n'est pas sans raison que la
Genèse fait remonter à la
confusion des langages les
malentendus qui divisent les
peuples pour montrer le pouvoir
des mots sur le destin des
hommes.
Quoiqu'il en soit, une révolution
ne peut pas rendre définitive
l'œuvre des choses qu'elle
engendre si elle ne transforme
pas l'homme définitivement dans
son comportement, ses idées et
ses mots.
Au fond, toute révolution doit
s'accomplir selon cette loi de
sociologie contenue dans le
verset coranique : « Dieu ne
change pas l'état d'un peuple tant
que celui-ci n'a pas changé son
âme ».
* Richard Wright (1908-1960) est
un écrivain et journaliste américain.
Il a participé à la conférence de
Bandung dont il rédigea un rapport
intitulé Le rideau de couleur.
(N.d.E.)
Légumes
par El-Guellil
Krouchna, nos ventres et nos tubes digestifs influencent, non seulement notre bien-être
physique mais aussi nos comportements et notre langage.
Tu vas voir un film, déçu, il ne te plaît pas, tu diras : c'est un «navet» ! Quelqu'un montre-t-il
peu d'imagination ou est très attaché à ses idées, immédiatement il devient une «andouille» ma
yessouache basla (même si de nos temps el-basla n'est pas donné). De celui qui n'a rien dans la
cabessa igoulou il a une cervelle pas plus grosse qu'une jelbana. Et s'il arrive un malheur à ce
pauvre bougre, «kabouya oueklaha hmar». Enfin, si quelqu'un occupe un poste prestigieux dans
l'ordre social, il devient une «grosse légume», ce que les Européens désignent par le sigle VIP
«very important pastèque».
Ces «personnages très importants» se plaisent à étaler leur statut social par des banquets, des
grosses cylindrées, des discours ronflants à la télé ou dans des congrès réunissant leurs
semblables. Mais ils ne font pas ça pour des prunes. Ils se disent réfléchissant à notre avenir,
comme quoi nous ne comptons pas pour des noix. Congrès ou journées d'études, séminaires ou
autres qui finissent autour d'une table de dîner. C'est la cerise sur le gâteau.
Ils me rappellent certains concours de cucurbitacées (pastèques, melons, kabouya bsibsi) que
les agriculteurs tiennent fi l'étranger, pour figurer dans les livres des records. C'est à celui qui
présenterait la plus grosse citrouille, même si elle n'est pas mangeable, car l'important n'est pas
le contenu mais le contenant.
Ainsi en est-il de certaines grosses légumes pour qui la grandeur de l'image projetée importe
plus que l'efficacité. Ils mériteraient, probablement, le même sort réservé à la plupart de nos
citrouilles : servir de décoration d'un soir, avant de prendre le chemin de la poubelle. Mais de
quoi je me mêle... Et si je m'occupais de mes oignons ?
Médecine parallèle, zaouïa, rokia et essalihines
quels spectacles assistons-nous en cette
conjoncture faite d’appels au surnaturel, à
l’ancestral pour maquiller le réel ? Le pouvoir
agonisant croit pouvoir convoquer tous les saints pour
effacer ses turpitudes et l’aider à faire oublier ses
échecs et faire taire tous les citoyens, nombreux
aujourd’hui, qui demandent des comptes.
Renvoyer les citoyens au sacré, aux pratiques
ancestrales pour tenter de bénir le présent, ses acteurs
et perpétuer son règne sans fin. Rien n’est négligé
pour ce faire : zaouïa, charlatanisme, rokia et autres
abominations.
Dans cette conjoncture où le secteur médical est
malade de ses difficultés sans fin, où, par exemple, le
citoyen souffrant de maladie chronique n’arrive pas à
se trouver certains médicaments indispensables à sa
survie et lorsqu’il les trouve, certains ne sont pas pris
en charge par la Sécurité sociale, il s’est trouvé un
«représentant du peuple», en l’occurrence un député
du parti islamiste Karama pour saisir par écrit
Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses et
des Wakf, lui demandant de faire reconnaître par la loi
les cas d’atteintes par les djins et la sorcellerie. Et
pour ce faire, le député propose que l’Etat agrée des
«roquetes», en fait des exorcistes légaux. Rien moins
que ça et à la Sécurité sociale de rembourser alors les
envoûtements et autres sorcelleries. Notons, et ce
n’est pas inutile, que le parti de ce député a pour chef,
le patron d’une zaouïa qui a eu «l’honneur» d’être
dans la liste des zaouïas blanchisseuses d’anciens
ministres. Ce type de requête aurait-il pu s’exprimer si
le charlatanisme n’était pas encouragé et son mode
opératoire présenté comme une sunna diffusé sur de
très nombreuses chaînes TV qui accordent des
créneaux horaires fixes et quotidiens à ces «docteurs
de la foi» ? Dans la même veine et avec des
conséquences qui pourraient être désastreuses, l’on a
vu, très récemment, la promotion d’un certain
«médecin» qui a essaimé les chaînes de télévision
publiques et privées pour parler de son médicament
miracle contre le diabète. Mieux encore, le ministre de
la Santé, Abdelmalek Boudiaf, a reçu en personne ce
soi-disant médecin de Constantine, appelé Toufik
Zailete, qui a eu l’effronterie de déclarer qu’il a refusé
le prix Nobel parce que dans le contrat qu’on lui
aurait proposé, il lui était demandé de ne pas
mentionner qu’il s’agissait d’un médicament «arabe»
! De malheureux patients algériens ont même arrêté
l’insuline, mettant en danger leur vie. L’escroquerie
aurait pu se poursuivre, n’était le soulèvement de
l’Ordre national des médecins et le Syndicat national
des praticiens de la santé publique avec de nombreux
praticiens qui se sont insurgés contre cette dérive vers
laquelle se fourvoie la médecine algérienne et qui
pourrait mettre en péril la santé des citoyens.
Avec l’inimaginable retour en grande pompe de
l’ancien ministre Chakib Khelil et les honneurs qui lui
ont été rendus dans l’aéroport, par lequel on l’a fait
fuir il y a trois ans, l’on pensait que le culot des
hommes du pouvoir allait s’arrêter là et les réactions
indignées des citoyens qui ont envahi les réseaux
sociaux pour crier au scandale allaient faire reculer
ceux qui ont conçu et organisé ce retour. Eh bien non.
Après l’accueil officiel par le wali d’Oran, les
citoyens, atterrés, allaient assister et assistent encore à
tout un programme mis au service de celui ayant fait
l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par la
justice algérienne et renié depuis. Qui mieux que les
zaouïas pouvait blanchir celui accusé de détournement
de biens publics ? Qui mieux que les zaouïas (elles
furent nombreuses à être mobilisées) pour blanchir
celui que le secrétaire général du FLN considère
comme le meilleur ministre que l’Algérie a eu depuis
l’indépendance ? Les ficelles du marketing politique
n’ont pas été négligées pour les mettre au service de
celui que l’on préparait à un destin national. Cortèges
sécurisés et procession de voitures officielles ;
incantations et prières pour le sauveur de l’Algérie,
interviews surréalistes qui pourraient constituer le
modèle à ne pas suivre aux étudiants en journalisme,
le tout sous l’oeil de caméras transmettant en direct et
parfois en boucle les bénédictions données au grand
expert, au «mahroug», au «kenz» que l’Algérie a failli
perdre. N’étaient les révélations impromptues de
Panama Papers et les comptes offshores de la famille
Khelil, l’on continuerait encore à nous gaver des
conseils du grand expert international qui se propose,
avec assurance et arrogance, de sortir l’Algérie de son
marasme économique, juste par «patriotisme» et
amour pour le pays. Ce n’est, toutefois, pas terminé.
Le pouvoir, comme on le sait, a plus d’un tour dans sa
chkara. L’instrumentalisation du religieux par les
politiques n’est pas un fait nouveau. Hormis le
Président Boumediène qui n’avait d’ailleurs pas
besoin de l’appui de ces confréries dont beaucoup ont
été des suppôts du colonialisme, Chadli Bendjedid
s’en est largement servi alors que Bouteflika les a tout
bonnement intégrées dans sa pratique du pouvoir, les
rendant quasiment incontournables par leur
bénédiction. Si bien que toutes les avancées
enregistrées dans la société par le recul de pratiques
obscurantistes font aujourd’hui l’assaut de charlatans
appelés, comme vient de le faire le secrétaire général
du FLN, «les salihines».
Khedidja Baba-Ahmed
A
6
Culture théocratique et bombe atomique
’Iran est le premier pays
musulman contemporain
où une révolution
populaire a renversé le
despotisme. Il avait suscité dans
le monde une plus grande
polarisation que celle créée par
les révolutions arabes, mais, à
leur différence, les ulémas chiites
avaient préparé l’alternative au
régime du shah.
L’ayatollah Khomeyni, qui
l’avait dirigée de l’étranger, est
aussi l’auteur d’un livre, Le
gouvernement islamique, dans
lequel il a exposé sa théorie du
«velayet-e-faqih», c’est-à-dire, le
gouvernement du pays par un
imam coiffant tous les pouvoirs
et chef suprême des armées et des
services de sécurité. Dans ce
système, le président de la
République est une sorte de
Premier ministre, même s’il est
élu au suffrage universel, alors
que le Guide suprême est élu à
vie par 86 dignitaires religieux
réunis dans une «Assemblée des
experts». C’est ce système
théocratique qui a remplacé le
régime monarchique du shah. Le
lendemain du retour de
Khomeiny en Iran, je débarquais
à Téhéran pour vivre de
l’intérieur la Révolution
iranienne. Au contact des
Iraniens des quartiers populaires
chez qui j’ai habité, et à travers
les rencontres que j’ai eues avec
les hauts dignitaires religieux et
les dirigeants de la Révolution de
tous bords, j’avais pris la mesure
de leur ferveur, de leur confiance
en eux-mêmes et de leur certitude
qu’ils allaient entrer dans un
nouveau cycle de civilisation.
Mais je n’avais cessé, pendant et
après mon séjour, d’être taraudé
par une indéfinissable crainte. De
retour en Algérie, j’ai publié une
série d’articles pour relater ce que
j’avais vécu. Alors que dans le
premier, j’avais laissé libre cours
à mon enthousiasme («Voyage
dans la Révolution iranienne», El
Moudjahid du 2 mai 1979), que
dans le deuxième, je la défendais
contre ses détracteurs («La
Révolution assaillie», 3 mai), j’ai
mis dans le troisième («L’islam à
l’épreuve des musulmans», 4
mai) un voile de scepticisme. Il
me paraissait inconvenant de
faire plus ou d’étaler mes doutes
au grand jour car cette
Révolution était encore dans les
langes. Le titre que j’avais donné
à la troisième partie indiquait
clairement que le sujet ne
concernait plus la seule
Révolution iranienne, mais la
plaçait dans une perspective plus
large, celle du rapport entretenu
tout au long de l’Histoire par les
musulmans avec l’islam. J’y
exprimais mon appréhension que
cette nouvelle mise de l’islam à
l’épreuve des musulmans ne soit
un ratage. Cette Révolution se
voulait islamique, mais il m’était
apparu sur place qu’elle était
d’abord persane et ensuite chiite.
Aujourd’hui, je réalise combien
j’ai été bien inspiré de choisir ce
titre qui témoigne de la prudence
avec laquelle j’étais revenu.
Trente-trois ans après, les chiites
ne sont plus à l’épreuve de
l’islam, mais du judaïsme. Un
nouveau round de négociations
sur le dossier nucléaire iranien a
eu lieu le 14 avril à Istanbul entre
les cinq membres du Conseil de
sécurité de l’ONU, plus
l’Allemagne et l’Iran. Les
participants à ce round ont
unanimement jugé que les
discussions avaient été
«constructives», alors qu’aucune
avancée concrète, hormis la prise
d’un nouveau rendez-vous, n’a
été signalée. Ce qui, par contre,
ne laisse pas de surprendre, ce
sont les propos du chef de la
délégation iranienne, Saïd Jalili,
qui a déclaré aux médias : «Les
5+1 ont considéré que la fetwa du
Guide de la Révolution sur
l’interdiction des armes
atomiques était d’une grande
importance et qu’elle est la base
pour une coopération pour un
désarmement nucléaire global.»
On doit donc comprendre que
l’Iran est venu à ce round avec
une fetwa, que la politique
internationale a planché à
Istanbul sur une fetwa et que ce
n’est pas le programme iranien
qui était au centre de la rencontre,
mais le «désarmement nucléaire
global». Ladite fetwa stipule que
les armes atomiques sont
«haram» et le nucléaire civil
«halal». Ne manquait-il aux
puissances mondiales que cette
sainte distinction pour les
convaincre d’abandonner leurs
arsenaux, alors que les traités de
désarmement bilatéraux (SALT,
START et SORT) et
multilatéraux (TNP, TICE) n’ont
pas réussi, après un demi-siècle
de négociations, à mettre la
planète à l’abri du danger
nucléaire ? L’Iran, déjà sous le
coup de six résolutions du
Conseil de sécurité de l’ONU, ne
semble donc pas trop s’en faire,
L
7
alors que c’est de l’option
militaire qu’on se rapprochera si
le round de mai prochain ne
débouche pas sur un abandon
contrôlé de l’enrichissement de
l’uranium à un pourcentage
permettant son utilisation à des
fins militaires. Car si ce sont les
5+1 qui négocient, ils le font en
réalité pour le compte d’Israël et
accessoirement des Etats du
Golfe qui s’estiment pareillement
menacés, en plus du contentieux
sur les trois îles du détroit
d’Ormuz que les Iraniens ont
occupé par la force en 1971 et
que les Emirats arabes unis
revendiquent comme les leurs. Il
est à douter que des juifs,
formatés par des réglages
religieux propres à eux, se
rangent à l’avis d’une fetwa
islamique, et que des wahhabites
et des sunnites accordent un
quelconque crédit à une fetwa
chiite. Les Israéliens ont eux
aussi, eux surtout, devrai-je dire,
une approche religieuse du
danger que représenterait pour
eux un Iran nucléarisé. C’est une
culture essentiellement
théocratique qui préside à leurs
actes politiques depuis au moins
l’apparition de la doctrine
sioniste avec la publication en
1896 de «L’Etat juif» par
Theodor Herzl. Car deux
décennies plus tôt, le Premier
ministre anglais, Benjamin
Disraeli, s’écriait déjà devant le
Parlement britannique en
brandissant le Coran : « Tant
qu’il y aura ce livre, il n’y aura
pas de paix dans le monde !» Et,
dans cette culture, menacer Israël
suffit pour encourir la mort et la
destruction à grande échelle.
Ignorer cette dimension mentale
et intellectuelle, c’est se
condamner à ne rien
comprendre à la
politique israélienne
envers les Arabes et
les Palestiniens
depuis 1948, et les
Perses chiites
aujourd’hui. Au cours de sa
rencontre en mars dernier avec le
président américain, le Premier
ministre israélien, venu demander
des avions ravitailleurs en vol et
des munitions spéciales en liaison
avec les préparatifs d’une attaque
contre l’Iran, a offert un cadeau
symbolique à Obama. Il s’agit
d’un des livres (de quelques
pages) formant la Bible, le Livre
d’Esther, du nom d’une femme
juive de la tribu de Benjamin qui
aurait été, au Ve siècle av. J.-C.,
l’épouse du roi de Perse
Assuérus, sans qu’il connaisse sa
confession, et qui aurait sauvé les
juifs d’un massacre annoncé. En
lui remettant le livre, Benjamin
Netanyahu a dit à Obama : «Lui
aussi voulait nous annihiler»,
comme s’il parlait d’un terroriste
recherché depuis… vingt-cinq
siècles. On ne sait pas qui il visait
au juste, car, selon le Livre
d’Esther lui-même, c’est Haman,
le Premier vizir, et non le roi, qui
aurait fomenté le complot et qui
sera d’ailleurs mis à mort pour
avoir conçu cette idée après
qu’Esther l’eût dénoncé à
Assuérus. Sous l’influence
d’Esther, le roi promulgue une loi
qui «autorisait les juifs, quelle
que soit la ville qu’ils habitent, à
se rassembler et à défendre leur
vie en exterminant, massacrant et
supprimant tous les groupes
armés d’un peuple ou d’une
province qui les attaqueraient, y
compris les petits enfants et les
femmes, et à procéder au pillage
de leurs biens». Le Livre
d’Esther poursuit : «Beaucoup de
membres des autres peuples du
pays se faisaient juifs, tant ils
avaient peur d’eux… Ce fut au
tour des juifs de dominer ceux
qui les détestaient. Ils se
rassemblèrent dans leurs villes
respectives, dans toutes les
provinces du roi Assuérus, pour
porter la main contre ceux qui
leur voulaient du mal. Personne
ne leur opposa de résistance, tant
les autres peuples avaient peur
d’eux. De plus, tous les chefs de
province, les satrapes, les
gouverneurs et les fonctionnaires
du roi soutenaient les juifs… Les
juifs frappèrent tous leurs
ennemis à coups d’épées, les
tuant et les faisant disparaître. Ils
traitèrent selon leur bon plaisir
ceux qui les détestaient…» Et
tout cela en riposte à une menace
qui n’a pas connu un début
d’exécution, exactement comme
dans le cas du nucléaire iranien.
On ne peut s’empêcher, en lisant
ces lignes, de penser, d’un côté
aux Palestiniens, et d’un autre,
aux puissances occidentales qui
soutiennent Israël en dépit de ses
innombrables violations des
droits de l’homme et du droit
international depuis 1948. Les
historiens n’ont pu recouper
aucune donnée de ce récit,
qualifié de «roman historique»,
avec l’histoire bien établie de
l’empire perse. Mais là n’est pas
l’important. L’important, c’est
que les Israéliens y croient et
l’appliquent comme un strict
devoir religieux. Il ne faut donc
pas voir dans le cadeau de
Netanyahu à Obama une
coquetterie, une plaisanterie ou
une provocation, mais la pose
d’un simple acte de foi : Israël
n’écoute que la voix de son
histoire et ne croit qu’à ses Livres
sacrés, confirmés ou non par la
science historique. Les égards
aux lois humaines et au droit
international viennent après, et à
condition de leur être favorables.
L’histoire d’Esther était en
l’occurrence la nouvelle la plus
fraîche, l’actualité la plus
brûlante, dont était venu discuter
Il est à douter que des juifs, formatés
par des réglages religieux propres à
eux, se rangent à l’avis d’une fetwa
islamique
8 Netanyahu avec le président
américain.
Avant de quitter la Maison-
Blanche, il a lâché devant les
médias : «Israël est maître de son
destin.» De là, il s’est rendu à une
réunion du lobby pro-israélien
aux Etats-Unis, la fameuse et
puissante AIPAC, devant laquelle
il a dit : «Nous avons donné du
temps à la diplomatie, nous avons
donné du temps aux sanctions.
Nous ne pouvons plus attendre
davantage... Je ne laisserai jamais
mon peuple vivre sous la menace
d’un anéantissement.» Il a parlé
en cette circonstance comme
Mardochée, l’homme qui, par la
ruse, a placé Esther dans le harem
d’Assuérus avec l’espoir qu’elle
devienne reine de Perse, projet
qui se réalisa. A la fin de
l’histoire, nous apprend le Livre
d’Esther, «le juif Mardochée était
l’adjoint du roi Assuérus. Il jouait
un rôle important pour les juifs et
était très apprécié de ses
nombreux frères. Il recherchait le
bonheur de son peuple et
contribua par ses paroles au bien-
être de toute sa lignée». Golda
Meir, ancien Premier ministre
israélien, rapporte dans son
autobiographie (Ma vie) un
souvenir gardé d’une conférence
internationale sur les réfugiés
juifs à Evian-les Bains (France) à
laquelle elle avait assisté à la fin
des années 1930. Indignée par
l’attitude des représentants des
Etats occidentaux qui se
relayaient à la tribune pour dire
leur compassion aux juifs sans les
aider concrètement, elle eut cette
pensée : «A la question “Etre ou
ne pas être ?”, chaque nation doit
apporter sa propre réplique. Les
juifs ne peuvent ni ne devraient
jamais attendre de qui que ce soit
d’autre l’autorisation de rester en
vie.» C’est cette femme qui,
Premier ministre au moment de la
guerre d’Octobre 1973, a failli
utiliser l’arme nucléaire contre
l’Egypte et la Syrie. Il a fallu
toute l’énergie de Nixon pour
l’en dissuader en échange d’un
pont aérien pour lui livrer les
armes et munitions
conventionnelles qu’elle
souhaitait et des photos-satellites
du champ de bataille en temps
réel. C’est cette doctrine qu’a
appliquée Menahem Begin en
1981 quand il a ordonné la
destruction du réacteur nucléaire
irakien Osirak, et c’est la même
qui anime aujourd’hui Shimon
Pérès, Benjamin Netanyahu et
Ehud Barak. Et cette doctrine
n’est que la traduction de la
culture théocratique qui préside à
la philosophie politique et à la
stratégie intemporelle de survie
d’Israël. Les Etats-Unis et
l’Europe, qui n’ont jamais exclu
l’option militaire et dont les plans
opérationnels doivent être fin
prêts, ont tâché jusque-là de
réfréner les pulsions guerrières
d’Israël en arguant que les
sanctions suffiraient pour
fragiliser le régime iranien qui
serait alors contraint de renoncer
à ses ambitions. Si cela n’arrivait
pas, alors ils attaqueraient de
concert un Iran affaibli et coupé
du monde comme l’était l’Irak en
2003. La guerre a donc été pour
l’instant évitée ou différée, mais
elle est inéluctable, sauf brusque
recul du régime iranien sur son
programme qui ruinerait son
crédit tant il a mobilisé son
opinion sur cette question. Si le
gouvernement israélien décide de
passer à l’action contre l’avis de
l’Occident, celui-ci sera obligé de
suivre. Comme dans le récit
biblique : «Le jour- même, le
nombre de personnes tuées à
Suse, la capitale, fut communiqué
au roi, et celui-ci dit à la reine
Esther : “A Suse, la capitale, les
juifs ont tué et fait disparaître 500
hommes, sans compter les dix fils
d’Haman. Qu’auront-ils fait dans
le reste de mes provinces ?
Cependant, quel est l’objet de ta
demande ? Il te sera accordé. Que
désires-tu encore ? Tu
l’obtiendras.” Esther répondit :
“Si tu le juges bon, il faudrait
autoriser les juifs de Suse à agir
demain encore conformément à
la loi en vigueur aujourd’hui et
pendre le corps des dix fils
d’Haman à une potence”. Le roi
ordonna d’agir de cette manière.»
C’est vraisemblablement ainsi
que se parlent, dans le secret des
bureaux présidentiels des grandes
puissances, dirigeants
occidentaux et dirigeants
israéliens à chaque crise
impliquant Israël, les premiers
dans le rôle d’Assuérus, les
seconds dans celui d’Esther.
C’est ainsi aussi que la culture
théocratique a eu à tous les coups
raison de la culture rationnelle et
démocratique, et justifié tous les
excès, tous les abus et toutes les
déraisons israéliennes. Pendre les
cadavres d’hommes déjà morts !
Ces crimes, ces pogroms, ce bain
de sang n’avaient pour
justification qu’une intention, un
«A la question “Etre ou ne pas être ?”, chaque nation doit
apporter sa propre réplique. Les juifs ne peuvent ni ne devraient
jamais attendre de qui que ce soit d’autre l’autorisation de rester
en vie.» C’est cette femme qui, Premier ministre au moment de la
guerre d’Octobre 1973, a failli utiliser l’arme nucléaire contre
l’Egypte et la Syrie. GOLDA MEIR
9 «projet», celui reproché à Haman
«de faire disparaître les juifs et de
leur avoir jeté un sort» et qui lui
valut la pendaison. C’est ce qui
est reproché aujourd’hui à
Ahmadinejad, assimilé par
l’allusion de Netanyahu à
Haman. On lit dans le Livre
d’Esther : «Cet édit fut donc
proclamé à Suse et l’on pendit le
corps des dix fils d’Haman ; de
plus, les juifs de Suse se
rassemblèrent de nouveau le
quatorzième jour du
mois d’Adar et tuèrent
300 hommes à Suse…
Quant à ceux qui se
trouvaient dans les
autres provinces, ils
tuèrent 75 000
personnes parmi ceux
qui les détestaient…»
Mais n’a-ton pas lu
dans les médias, il y a
quelque temps,
qu’Ahmadinejad aurait
une ascendance juive, tout
comme Kadhafi ? L’histoire ne
serait-elle que mystères et
ésotérisme comme beaucoup
d’auteurs l’ont soutenu et dont la
plupart ont été passés aux
oubliettes ou poursuivis devant
les tribunaux de la démocratie
pour antisémitisme ou
révisionnisme ? Le livre le plus
célèbre de Malek Bennabi,
Vocation de l’islam, a été rédigé
en 1949 et remis aux éditions du
Seuil qui ne l’ont publié qu’en
1954. Ce qu’on ne sait pas, c’est
qu’il lui a donné une suite sous le
titre de Le problème juif, resté à
l’état d’inédit. Dans ce manuscrit,
le penseur algérien écrit ces
lignes que j’ai glanées dans
différents chapitres pour les livrer
à la méditation du lecteur : «Le
monde actuel périra et un
nouveau monde viendra sans que
le musulman ait joué un rôle
décisif, ni même apprécié les
facteurs, les forces qui entreront
en jeu dans son propre avenir…
Ce nouveau monde voudra
transformer tous les pays
musulmans en champ de bataille
afin qu’aucune œuvre positive
n’y soit entreprise et que même
ce qui existe actuellement y soit
détruit, en sorte qu’une future
colonisation reste encore
possible… L’islam doit posséder
la technique, dompter l’énergie
atomique…» C’était en décembre
1951 ! Aujourd’hui, c’est trop
tard. Israël a commencé à
dompter l’énergie atomique dans
les années soixante, et l’Iran à
s’intéresser à la chose dans les
années soixante-dix. Le premier
est arrivé à produire, dans le plus
grand secret, des centaines de
bombes atomiques, alors que le
second en est, dans le plus grand
tapage diurne et nocturne
international jamais connu, sous
le regard des services de
renseignement de l’univers entier
et la curiosité des badauds de
toute la planète, à 3 ou 20%,
d’enrichissement de l’uranium.
Quoique leurs référents soient
tout autant religieux, le rabbin et
le âlem n’ont apparemment pas la
même efficacité et le même
rendement historique. Les ulémas
chiites et sunnites ont-ils lu le
Livre d’Esther ? Je ne le crois
pas, sinon il ne serait pas arrivé
aux musulmans ce qui leur est
arrivé depuis un siècle et
continuera à leur arriver à
l’avenir. Ils n’ont été capables
d’inventer, depuis les Muatazila,
que les bombes humaines et les
attentats-suicides, autrement dit,
la fronde contre le drone furtif, et
leurs ulémas ne sont experts que
dans la connaissance du passé et
la recherche du diable dans le
détail. L’Iran ne peut pas gagner
cette guerre si elle survenait, car,
nonobstant son bon droit et sa
contestation légitime d’un droit
international à géométrie
variable, il n’en a pas les moyens.
Il eut fallu qu’il possédât des
rabbins au lieu de ses ulémas
«infaillibles». Si elle éclate,
l’Occident se liguera contre lui
comme un seul homme.
Il faut donc se préparer
à la défaite au lieu
d’espérer «voir ce
qu’on va voir» comme
on nous l’avait promis
en 1967, 1973, 1991 et
2003. A la veille de ce
dernier conflit, il était
visible que l’économie
irakienne était par terre,
que son peuple était
étranglé, que ses
nourrissons mouraient, faute de
lait et de médicaments, du fait de
l’embargo, mais ces réalités
n’empêchaient pas des experts
militaires à la retraite de venir
démontrer sur les plateaux de
télévision arabes la «stratégie de
défense» de l’Irak et la
probabilité de dommages
«considérables» pour la coalition
internationale. Elle était censée
être attendue par une garde
présidentielle hyper-entraînée,
des chars enfouis sous le sable,
des Skud capables de brûler
Israël, des armes chimiques et un
supercanon que seul l’Irak
posséderait, par on ne sait quel
prodige. Au final, il y a eu moins
de 5000 victimes, tous pays de la
coalition confondus en vingt ans,
contre plus d’un million de
victimes irakiennes à un titre ou
un autre. Faut-il, cette fois,
donner du crédit aux «lourdes
pertes» qui seront infligées à
l’ennemi, à en croire
Ahmadinejad ? On voudrait bien,
mais on ne voit pas comment :
«Le monde actuel périra et un nouveau monde viendra sans
que le musulman ait joué un rôle décisif, ni même apprécié
les facteurs, les forces qui entreront en jeu dans son propre
avenir… Ce nouveau monde voudra transformer tous les
pays musulmans en champ de bataille afin qu’aucune
œuvre positive n’y soit entreprise et que même ce qui existe
actuellement y soit détruit, en sorte qu’une future
colonisation reste encore possible… L’islam doit posséder
la technique, dompter l’énergie atomique…» BENNABI
10 ses adversaires disposent de
systèmes offensifs et défensifs
infiniment plus performants que
les siens, ils les produisent eux-
mêmes et à volonté, et ils ont
derrière eux, pour soutenir
l’effort de guerre, des économies
inépuisables. De toute façon, ils
ont, comme dans les deux
précédentes guerres du Golfe, à
qui envoyer la facture une fois le
travail fait. Quant à la menace
des missiles agitée par les
pasdarans, elle ne fait pas peur
aux Israéliens dont le ministre de
la Défense civile ne cesse de
répéter à ses concitoyens : «Israël
a la capacité opérationnelle
d’intercepter des missiles d’où
qu’ils viennent.» Comment les
deux pays se préparent-ils à ce
que d’aucuns n’hésitent pas à
qualifier de possible troisième
guerre mondiale ? Cette guerre a
en fait déjà commencé. Elle a pris
les formes discrètes d’opérations
menées par les services secrets
des deux pays contre leurs
intérêts réciproques. Il y a eu, en
2008, une attaque cybernétique
contre les installations nucléaires
iraniennes. Un virus destructeur
numérique a été créé par les
experts israéliens ou, disent
certains, américains, appelé
«Stuxnet», pour perturber le
fonctionnement des
centrifugeuses de l’usine
d’enrichissement d’uranium de
Natanz. Il a mis en panne un
millier d’entre elles, et on dit que
ce virus sophistiqué cache
d’autres éléments programmés
pour s’activer de nouveau. Il y a
eu aussi, ces derniers mois,
plusieurs assassinats de
scientifiques iraniens et
l’explosion au moment de son
lancement d’un missile longue
portée «Shehab» dans une base
militaire près de Téhéran, tuant
plusieurs dizaines de militaires
dont le général en charge du
programme de missiles. Il aurait
été «trafiqué» par le Mossad. Des
attentats à la voiture piégée ont
eu lieu aussi récemment en
Thaïlande, en Géorgie et en Inde
contre des diplomates israéliens
sans faire de victimes, hors les
blessés. Dans les premiers cas, on
n’a pas la preuve que c’est Israël
qui est derrière ces attaques et ces
assassinats, car, si c’est lui, il n’a
laissé aucune trace. Dans le
second cas, des Iraniens ont été
immédiatement arrêtés. On ne
peut faire autrement que
constater que la guerre de
l’ombre n’a pas tourné à
l’avantage des services secrets
iraniens, et que si l’Iran est fort
par la parole, Israël l’est par les
actes. Non seulement, il ne fait
pas d’annonces, mais même
quand il frappe, il nie, comme
lorsqu’il a détruit les installations
nucléaires syriennes en 2007. Les
faits et gestes d’Israël sont
discrets comme à l’accoutumée,
et ses dirigeants ne rendent pas
publics leurs projets le jour du
shabbat comme le font les
dirigeants iraniens à la prière du
vendredi. La guerre a de
multiples facettes : politique,
diplomatique, économique,
technologique et militaire. Israël
n’en a négligé aucune. Sur le plan
politique, il s’emploie depuis
longtemps à rallier le maximum
de forces politiques intérieures à
l’option militaire et à préparer
son opinion à la situation qui en
découlerait. Sur le plan
médiatique, il a mobilisé ses
relais en vue de légitimer aux
yeux de l’opinion publique
mondiale l’option militaire. Sur
le plan diplomatique, il travaille
depuis des années à isoler l’Iran
sur la scène internationale et à le
faire régulièrement condamner
par l’ONU et l’AIEA. Il ne cesse
de demander l’alourdissement et
l’élargissement des sanctions en
faisant jouer ses lobbies dans le
but d’étouffer l’économie
iranienne. A partir de juillet
prochain, l’Iran ne pourra plus
vendre son pétrole, car les
paiements ne pourront plus être
effectués à sa banque centrale,
alors que les sanctions ont déjà
commencé à produire leurs effets
désastreux : la monnaie a perdu
la moitié de sa valeur par rapport
aux monnaies étrangères en
moins de deux mois, et les prix
des denrées alimentaires ont
augmenté de plus de 30%. La
Chine qui, il y a quelque temps
encore achetait 14% de son
pétrole d’Iran, n’en achète plus
que 8, et les Etats arabes de la
région l’ont assuré qu’ils lui
vendraient encore plus de
volumes pour compenser l’arrêt
des achats auprès de l’Iran. Sur le
plan technologique, Israël se
prépare depuis longtemps à une
attaque-éclair en levant l’un après
l’autre les écueils qui se dressent
sur son chemin, principalement
l’éloignement des objectifs (3000
km aller-retour) et leur dispersion
sur le territoire iranien. Ses
ingénieurs ont doté la flotte de
cent avions, prévu à cet effet de
réservoirs externes
supplémentaires pour augmenter
leur autonomie de vol. Des
bombes thermonucléaires B61, à
faible intensité, pourraient être
utilisées en plus des bombes
américaines GBU-28, 31, 39 et
57 de 14 tonnes chacune et
capables de percer le béton armé
sur plus de 60 m. Des plans sont
prêts à brouiller et détruire les
systèmes radar et de défense
antiaérienne de l’Iran avant
l’entrée dans son espace aérien
des bombardiers, et de neutraliser
sa marine. L’armée israélienne
s’entraîne depuis des années à ces
missions, tandis que toutes sortes
de mesures ont été prises pour
réduire au maximum les effets
d’une riposte iranienne avec des
missiles ou d’éventuelles attaques
venant du Sud-Liban ou de
Ghaza. Le niveau des pertes
humaines civiles israéliennes a
été calculé (moins de 500) et
11 intégré dans le plan d’ensemble.
Rien n’a filtré sur les objectifs
fixés, mais tout le monde suppose
que parmi eux se trouvent les
usines d’enrichissement
d’uranium de Natanz et de Qom,
le centre de recherche nucléaire
d’Ispahan, le réacteur de
Boushehr et le site de Parchin.
Israël a un autre objectif essentiel
à ses yeux : faire zéro civil
iranien tué pour ne pas solidariser
la population du régime. L’Iran
sait tout cela et agite le spectre de
représailles «douloureuses». Il
n’ignore pas qu’il est cerné de
toutes parts : présence militaire
américaine dans la péninsule
arabique, en Afghanistan et
d’autres pays d’Asie, bases de
l’OTAN en Europe et en Turquie,
base militaire française aux
Emirats arabes unis… Les
Américains et leurs alliés sont
aussi présents sur et sous les
mers, prêts à tout moment aux
tirs de missiles et aux
bombardements. L’Iran menace
de rendre impraticables les voies
d’eau qu’il contrôle et même de
s’attaquer aux puits de pétrole de
la région, mais les Alliés ne le
laisseront pas causer des
dommages aux installations
pétrolières de la région qui
plongeraient l’économie
mondiale dans l’apocalypse. Ils
tiennent compte de cette
hypothèse et de ses répercussions
sur leurs économies, mais la
sécurité d’Israël passe avant tout.
Dans la guerre qui se profile
entre l’Iran et Israël, ce sont les
Perses chiites qui seront frappés,
mais ce sont les musulmans dans
leur ensemble qui seront une fois
de plus humiliés. Si par malheur
cette guerre a lieu, elle touchera
les peuples musulmans et mettra
dans l’embarras leurs
gouvernements. La fraîche
arrivée de régimes islamistes ne
sera pas sans incidences sur la
rue arabe. Elle nous touchera
aussi en tant que composante du
monde arabo-musulman, même si
on n’est pas chiite mais sunnite,
même si on n’est pas arabe mais
berbère. Nos autorités ne
manqueront pas de la condamner,
mais notre peuple sympathisera à
coup sûr avec les Iraniens à cause
de leur islamité, de l’islamisme
ambiant, de la politique des deux
poids, deux mesures dans les
relations internationales, de la
question palestinienne et de
l’islamophobie. On revivra
l’ambiance connue en juin 1967
et lors des guerres du Golfe de
1991 et de 2003. Cette guerre
mettra une fois de plus en scène
la pièce de David et Goliath : un
petit pays de cinq millions
d’habitants et de 21 000 km2
défendant sa survie contre un
pays 78 fois plus grand et 16 fois
plus peuplé qu’il a de multiples
fois menacé d’anéantissement.
L’opinion publique mondiale
oubliera que ce petit Etat possède
des centaines d’ogives nucléaires
capables de détruire plusieurs
fois la totalité du Moyen-Orient,
mais comme il ne s’en est jamais
vanté, elle fait comme si elle ne
le savait pas. Si on voit l’intérêt
d’Israël d’attaquer l’Iran, on ne
voyait pas celui de l’Iran dans les
menaces récurrentes qu’il lui
adressait. Les gains qu’Israël peut
tirer de cette guerre sont clairs,
détruire les capacités nucléaires
iraniennes et affaiblir une
puissance régionale concurrente,
mais on ne voit pas ce qu’en
tirera l’Iran. Il ne gagnera même
pas la sympathie des Etats
musulmans qui appelleront au
cessez-le-feu, à la condamnation
de l’«agression» et à la réunion
de l’OCI avant de retrouver le
silence. S’il table sur l’émotion
de la rue arabe, il l’obtiendra,
mais après voir été frappé. Les
Arabes et les Berbères n’ont pas
l’habitude de pleurer les morts
avant leur mort. La colère
populaire sera proportionnelle
aux pertes qui lui seront infligées,
on brûlera ici ou là quelques
drapeaux israéliens ou
américains, et les ulémas sunnites
appelleront hypocritement à la
solidarité de destin avec les
chiites, mais ce n’est pas ce qui
rendra à l’Iran ce qu’il aura
perdu. Son voisin frontalier,
l’Azerbaïdjan, dont 70% de la
population est chiite, entretient
les meilleures relations avec
Israël, et le président Shimon
Pérès qui s’y est rendu en visite
officielle il y a peu, souhaite
pouvoir compter sur l’aide de ce
pays pour un éventuel repli sur
son territoire des avions chargés
de l’attaque. Quant à l’opinion
mondiale, elle verra une fois de
plus dans les pays musulmans des
trublions défaits à la première
escarmouche avec plus petit
qu’eux, et se rappelleront de la
fable de la grenouille qui voulait
se faire aussi grosse que le bœuf
et qui en mourût. Quoi qu’il en
soit, la défaite programmée de
l’Iran en cas de déclaration des
hostilités sera aussi celle du
monde musulman, même si
aucun pays musulman
n’approuve sa politique. C’est ça
le drame. Chaque fois que des
musulmans échouent dans leur
entreprise, leur défaite rejaillit sur
l’islam et le reste des musulmans,
poussant le reste de l’humanité à
devenir encore plus islamophobe.
D’un autre côté, cette défaite
donnera un surplus de légitimité à
l’islamisme qui saura exploiter le
vieux ressentiment contre Israël
et l’Occident. Et sur ce chapitre,
aucun Arabe ou musulman n’est
en désaccord avec lui. Cette 34e
contribution clôture la série
consacrée depuis un an aux
révolutions arabes. Nous la
reprendrions en cas de nouveaux
développements. Je renouvelle
mes remerciements au journal et
aux lecteurs.
N. B.
12
Plaidoyer pour un récit oxygéné de notre HistoirePar Ali Akika, cinéaste
’Histoire, on le sait,
est un produit explosif
à manier avec
précaution. La raison
en est simple, elle est un
champ de bataille miné où les
acteurs qui s’affrontent veulent
imposer leur vision du monde
pour consolider leur présent et
se prémunir des surprises du
futur (renouvellement social
des élites comme garantie).
Heureusement, l’Histoire n’est
pas seulement le passé, elle dit
des choses sur notre présent
qu’elle ne cesse d’influencer.
Certains veulent nous faire
croire que l’Histoire est un
éternel recommencement(*).
L’immuabilité des choses arrange
bien les affaires des adeptes de cette
théorie et satisfait leur imaginaire
peu exigeant. Pour eux, l’Histoire
est en quelque sorte
un cortège
d’évènements, de
dates, de héros qui se
suivent à la queue leu
leu au fur et à mesure
que le temps s’écoule.
En revanche les
contradicteurs de cette
école regardent ce
temps qui passe
comme le fleuve
d’Héraclite qui nous
apprend que c’est bien
de l’eau qui coule
dans le lit d’un fleuve
mais ce n’est jamais la
même eau.
J’ose cette petite
introduction
«philosophique» pour signaler deux
écoles qui ont un rapport particulier
avec l’histoire. Celle qui s’appuie
sur la philosophie en se coltinant
avec la rudesse et la complexité de
l’Histoire. Et celle qui se perd dans
les méandres des constructions
idéologiques. L’opposition entre ces
deux conceptions n’est pas une
coquetterie intellectuelle. Elle est
cruciale car sur le plan théorique,
chacune de ces écoles a la prétention
de saisir l’Histoire pour être au plus
près de la vérité historique. Sur le
plan politique, chaque école utilise
sa «vérité» pour légitimer un
pouvoir en place mais aussi pour
alimenter un imaginaire social. Le
cas de notre pays est intéressant
quant aux luttes sourdes qui se
déroulent encore pour imposer une
certaine histoire. En dépit de la
«séquestration» de beaucoup
d’archives, du manque de rigueur ou
du trop-plein de subjectivité des
acteurs d’une séquence de l’Histoire,
nous arrivons à cerner les
grands traits des chemins
sinueux empruntés par le
mouvement national et les
déchirures de la guerre de
Libération. Cependant,
beaucoup de questions
restent taboues.
Quand certains auteurs
osent affronter ces tabous,
ils rencontrent sur leur
chemin une étrange
coalition regroupant les
pouvoirs successifs et les
futurs prétendants au
pouvoir. Ces acteurs, au
lieu de s’interroger sur tous
les tenants et les
aboutissants de la guerre de
Libération se contentent de
faire flotter leurs réflexions
sur l’écume des vagues au lieu
d’aller voir ce qui se passe dans les
profondeurs de l’océan nommé
histoire et société algérienne. Pour
toutes ces raisons, certains ne
comprennent pas, d’autres ne savent
pas pourquoi le sacrifice des
Algériens n’a pas donné tous les
fruits escomptés.
L
Pourquoi un pays indépendant issu d’une
guerre de libération, après avoir échappé à la
«congolisation» en 1962, a été soumis, 30
ans après, à une atroce période de terreur
intégriste ?
13 A l’indépendance, le pays a frisé la
guerre civile et hérité d’un pouvoir
militaire. Autre question lancinante
et «mystérieuse», pourquoi un pays
indépendant issu d’une guerre de
libération, après avoir échappé à la
«congolisation» en 1962, a été
soumis, 30 ans après, à une atroce
période de terreur intégriste ? Les
explications psychologisantes ou
moralisantes et autres théories de la
guerre des clans ne peuvent
satisfaire un esprit qui connaît
l’alchimie de Dame Histoire faite de
ruses, de servitudes et de noblesse.
L’absence ou la timidité de ces
interrogations, outre le silence
imposé à la parole, s’explique aussi
par l’armature squelettique du récit
national de notre histoire à la fois
cadenassé et disputé par certaines
idéologies. D’aucuns affirment que
l’histoire serait l’apanage des seuls
historiens qui seraient en quelque
sorte les seuls «écrivants» d’un récit
national. Que non ! Le récit national
ne doit pas être confisqué par les
historiens. Ces derniers sont
«prisonniers» en principe des faits et
archives qu’ils exploitent selon des
méthodes d’analyse propres à leur
discipline. Je dis en principe, ne
soyons pas naïf, l’historien
n’échappe pas à ce serpent à 7 têtes
qu’on nomme idéologie. Nous
sommes bien placés, nous Algériens,
pour savoir que des historiens ou des
philosophes de l’autre côté de la
Méditerranée
écrivent ou ont
écrit sans rougir
sur les bienfaits de
la colonisation
laquelle aurait sorti
l’Algérie de l’enfer
de la misère et des
affres de la
maladie.
Un «philosophe» comme Michel
Onfray, au détour d’une phrase sur
Albert Camus, écrit noir sur blanc
que l’armée française a eu recours à
la répression et à la torture pour
répondre à la terreur du FLN. Ce
genre d’historiens ou de philosophes
sont des serviteurs des «vainqueurs»
qui écrivent l’Histoire pour masquer
leurs turpitudes et traîner dans la
boue leurs adversaires. Ce genre
d’intellectuels partent d’un fait
historique donné, le passent à la
moulinette de leur idéologie pour
mieux ensevelir ses dimensions
politique et historique. C’est
pourquoi un récit national a besoin
d’autres renforts autres que les
historiens. Sa construction est un dur
et long labeur. Pour cette noble
mission, il fait appel à tous ceux
dont la création a une relation avec
la représentation artistique ou
intellectuelle de l’Histoire. Cette
«armée» est «naturellement»
constituée de romanciers, poètes,
philosophes, peintres, musiciens,
cinéastes dont les œuvres finissent
par entrer dans le cercle magique du
récit national. Pourquoi ce privilège
? Parce que la création
artistique/intellectuelle a pour
témoin le temps, le seul juge qui
peut la hisser sur un piédestal. Quant
au rejet des «mauvaises œuvres»
dans les oubliettes, le temps laisse ce
cruel travail au silence de la société
qui se détourne d’elles. Le passeport
pour une œuvre d’art méritant une
place dans un tel récit n’est autre
que le regard de l’artiste qui permet,
à nos yeux, de caresser le noyau dur
d’une épopée historique en choyant
notre esprit des plaisirs de la
connaissance et de la sensualité de la
beauté…
… Ainsi un récit national se doit
d’être à la hauteur de l’épopée d’un
peuple. Dans Guerre et Paix, Tolstoï
chante le patriotisme du peuple russe
qui a fini par faire courber l’échine à
Napoléon. Chez nous un slogan a
couvert en 1962 les murs dans tout
le pays : «Un seul héros, le peuple !»
Ce slogan ne nie nullement les
grandes figures de la Révolution, les
Ben Boulaïd, Abane Ramdane,
Zighoud Youcef, Ben M’hidi. Il
rappelait seulement aux individus ou
aux tendances politiques qui se
disputaient le pouvoir en 1962 que
leur rôle et éventuellement leur
bravoure ne suffisent pas à détrôner
le peuple de son statut d’acteur
premier de la guerre de Libération.
«Un seul héros le peuple» a été
symbolisé dans la Bataille d’Alger
où le peuple algérien des plus jeunes
hommes aux plus âgés, femmes et
hommes (petit Omar, Ali la Pointe,
les combattantes transportant ou
posant des bombes, etc.) ont fait
l’histoire fi el aâssima (dans la
capitale). C’est quoi au juste un récit
national de l’Histoire ? Il met en
scène des événements, des dates, des
personnages qui constituent à la fois
le socle et l’humus sur lesquels vont
fleurir des légendes qui parfument
l’histoire d’un pays, fortifient l’âme
d’un peuple en racontant sa
résistance et son apport à
l’humanité. Les légendes et les
mythes peuplent l’histoire du
monde. Alexandre le Grand, César
et Cléopâtre, Hannibal, les Mille et
Une Nuits, Shakespeare, Cervantès,
Tolstoï, la Bible, le Coran, 1492
(découverte de l’Amérique et chute
de Grenade), 1789 (révolution
française), 1917 (révolution russe),
etc. Ces noms et ces dates ne sont
pas de simples repères du passé.
Bien au contraire, ils offrent aux
hommes une idée du parcours
franchi par l’humanité et ces
parcours sont autant de conquêtes
dans tous les domaines.
Un récit n’est pas là pour
uniquement être dans des livres ou
dans des musées pour satisfaire la
curiosité des touristes. Il
habite et hante en
permanence l’imaginaire
d’un peuple, il rôde sans
bruit dans la vie d’une
société, il est en quelque
sorte un arsenal où le
peuple vient puiser dans
l’intelligence de son
histoire des armes pour
affronter les obstacles de son
présent. Les exemples dans le
monde ne manquent pas de ces
hommes politiques qui ont ignoré un
des piliers du récit national de leur
pays. Ils ont dû soit reculer d’une
façon penaude soit carrément être
balayés de la scène politique pour
leur arrogance têtue. Le récit
national s’impose même aux
politiques les plus retors car il
chante ce qu’un peuple a de plus
Un récit national librement construit
éviterait au bateau Algérie de naviguer
dans des eaux boueuses de l’ignorance et
de la hogra.
14 précieux, ses épopées et ses
tragédies. Il arrive qu’une seule
œuvre soit l’étoile qui brille le plus
au milieu d’un riche récit national.
Guerre et Paix de Tolstoï, déjà cité,
La liberté guidant le peuple de
Delacroix, Guernica de Picasso. Les
Américains ont leurs films du
fameux Far West qui disent tant de
choses sur leur jeune histoire
(conquête et massacres). Les
Japonais ont leurs samouraïs
admirablement mis en scène par un
géant du cinéma mondial, Akira
Kurosawa. Chez nous, outre la
Bataille d’Alger déjà cité, on a
Nedjma de Kateb Yacine(**) où
l’aventure pour un amour impossible
d’une femme se déroule durant la
longue marche d’un peuple pour
retrouver l’amour chéri de la liberté.
Si le pays se donnait les moyens de
transposer ce roman au cinéma pour
favoriser la diffusion d’une œuvre
dense et complexe, ça réduirait les
funestes effets de la bigoterie et
gonflerait de fierté les jeunes pour
leurs ascendants.
Pourquoi sont-ce les œuvres
d’écrivains et des artistes en général
qui constituent les éléments les plus
riches et les plus séduisants dans le
corpus d’un récit national ? Parce
que les œuvres d’art, par le plaisir
qu’elles procurent, bercent nos
imaginaires individuel et collectif.
Parce que l’art, outre qu’il est censé
traiter avec respect les faits
historiques, «n’aime» pas cohabiter
avec une idéologie qui tord le cou
aux faits. L’art par la puissance de
son expression traque tout à la fois
le mensonge et donne à voir une
époque avec ses tragédies, sa
spiritualité et ses ténèbres.
Les épopées qui peuplent
l’imaginaire d’un peuple sont
colportées soit par un «récit
national» soit par un «roman
national». Derrière cette sémantique
(***) se cachent les fureurs de
l’histoire avec ses tragédies et les
espérances des Hommes. Il y a ceux
qui mettent sur un piédestal le rôle
de certains personnages historiques
et se focalisent sur les racines de
l’ancêtre-arbre d’un pays. Ils font
peu de cas des branches éclatantes
de couleurs des nouveaux arbres qui
ont poussé autour de l’arbre-ancêtre.
Cette vision de l’histoire a opté pour
la notion de roman national.
La deuxième école a choisi le récit
national pour mieux rendre compte
de la complexité de la notion même
d’Histoire. Cette vision se force de
saisir le rapport entre le rôle des
acteurs et les évènements
historiques. Elle s’efforce de
démontrer que les rapports entre les
différentes époques (guerre et paix,
et révolution et contre-révolution) ne
sont pas étrangers aux ruptures dans
le politique, les mœurs et la morale
des sociétés, etc.
Y a-t-il chez nous une relation entre
nos problèmes d’aujourd’hui et
l’absence d’un récit national bercé
par une poétique de l’Histoire ?
Quelle place occupe la colonisation
où tous les Algériens étaient en
résidence surveillée ? Quelle était le
moteur de la guerre de Libération
quand le peuple avait montré son
unité et lutté pour la défense de
l’intégrité du pays face au
colonisateur ? L’épopée de la guerre
de Libération ne doit pas masquer
les tragédies qui ont traversé cette
période. C’est à ce prix que nous
rendrons un hommage éternel à ceux
qui ont libéré le pays et les valeurs
qui ont fait que le peuple n’a jamais
douté de sa place dans l’histoire que
le colonisateur lui refusait.
Un récit national librement construit
éviterait au bateau Algérie de
naviguer dans des eaux boueuses de
l’ignorance et de la hogra. Un récit
national empêcherait les
manipulateurs de sortir leurs inepties
sur le passé de l’Algérie et de
déblatérer sur son présent. Le récit
national avec la puissance évocatrice
de ses épopées est une sorte
d’oxygène qui fait frontière avec la
pollution idéologique aussi bien
endogène qu’exogène.
Un récit national aurait économisé
des querelles byzantines et
infantilisantes sur cette «identité»
que l’on va dénicher ailleurs par
aliénation au sens philosophique du
terme. S’adonner à un mimétisme
enfantin ou faire reposer une identité
sur un seul paramètre quelle que soit
sont importance est toujours
réducteur. La seule chose belle et
importante est celle de ce fameux
fleuve de l’Histoire qui fait nager
dans la même eau d’un même
territoire des hommes et des femmes
qui s’aiment pour peupler, vivre et
défendre leur existence sur leur terre
natale. Quand un récit national finit
par s’élaborer, son message
subliminal est le suivant : une
société capable de sauter par-dessus
ses tabous peut regarder sans peur ni
honte son passé et affronter
paisiblement les angoisses
engendrées par les inconnues de
l’avenir.
A l’heure de l’invasion des images,
l’art cinématographique par sa
capacité à dessiner notre propre
image avec nos propres visages et
notre propre espace peut nous aider
à combler le retard de l’hibernation
coloniale.
A. A.
* Pour les philosophes sérieux, la
théorie de l’histoire comme éternel
recommencement n’est pas sérieuse.
L’histoire, quand elle se répète, elle
vire à la farce (Karl Marx). La farce,
que ce soit en cuisine ou au théâtre,
c’est insultant pour Dame Histoire.
** Des personnages comme Apulée,
saint Augustin, Jugurtha sont des
monuments de l’histoire politique,
littéraire et philosophique qui
témoignent que les racines de
l’Algérie se perdent dans la nuit des
temps.
*** Cette sémantique traduit une
frontière idéologique. La notion de
roman national a la préférence des
hommes de droite alors que le récit
national «recrute» ses partisans chez
les progressistes.
MALEK BENNAB : Le présent et l 'Histoire
01- STADE EPIQUE
GUERRIER ET
TRADITIONS
Les temps des épopées, telles
l'Iliade et l'Odyssée, ne sont pas
les moments propices où les
peuples orientent leurs énergies
sociales vers leurs objectifs
réalistes, lointains ou proches,
mais des moments où ils
dispensent ces énergies dans les
divertissements et dans la
satisfaction des idéaux nés de
leur imaginaire. Les efforts des
héros qui assument un rôle dans
ces épopées ne sont que des
efforts déployés pour répondre.
A une ambition ou acquérir une
gloire ou, encore, satisfaire à un
credo. Ils ne luttent pas,
conscients, que leur victoire est
proche et que la voie du salut
de leur société est claire et
définie. Leur gloire est plus
proche du mythe que de l'histoire.
Si nous interrogeons l'un d'eux
sur les motivations de son
combat, il ne
pourra trouver
clairement les
raisons liées
souvent aux
actes
historiques. Il
sait que tous
ses efforts
sont vains et
que, seules,
ses
motivations
religieuses et
sa dignité
humaine, lui
ont dicté le
chemin.
Face à l'avancée colonialiste, le
rôle des peuples musulmans, au
cours du XIXé siècle jusqu'au
premier quart du XXe siècle,
n'était qu'un rôle simplement
héroïque. Par définition,
un tel rôle n'est pas le
mieux indiqué pour
résoudre les problèmes
qui ont préparé le terrain
à la pénétration du
colonialisme.
Le drame de chaque
peuple est
essentiellement celui de
sa civilisation. Le
peuple algérien ne
pourra ni comprendre ni
encore moins résoudre
son problème tant qu'il
n'aura pas élevé sa
conception au niveau du
drame humain à l'échelle
universelle, tant qu'il n'aura pas
pénétré le mystère qui
enfante et engloutit
les civilisations
présentes,
civilisations perdues
dans la nuit du passé,
civilisations futures :
ligne lumineuse de
l'épopée humaine,
depuis l'aurore des
siècles jusqu'à leur
consommation !
Chaîne prestigieuse
où les générations ont
soudé, bout à bout,
leurs efforts et leurs
contradictions et le
résultat de tout cela :
le progrès incessant.
Les peuples se
relayent : chacun a le
jour de sa mission
marqué à l'horloge où
sonnent les heures graves de
l'histoire. L'astre se lève pour les
peuples qui se réveillent et se
couche pour les peuples qui ont
sommeil. Aurores bénies des
renaissances. Seuils lumineux des
civilisations : qui commencent.
Crépuscules maussades : quand
l'astre décline au couchant
d'une civilisation ! En 1830,
l'heure du crépuscule avait déjà
sonné depuis longtemps en
Algérie : dès que cette heure-là
sonne, un peuple n'a plus
d'histoire.
Les peuples qui dorment n'ont
pas d'histoire, mais des
cauchemars ou des rêves ... où
passent des figures prestigieuses
de tyrans ou de héros légendaires
: Quand le palefroi blanc
d'Abdelkader zébra notre horizon
Un rêve épique se déploya dans notre
sommeil, empruntant sa
substance tragique aux traditions d'un
peuple qui a toujours aimé le
baroud et le cheval.
16 de sa cavalcade fantastique,
minuit avait déjà sonné depuis
Longtemps. Et la silhouette
épique du héros légendaire
aussitôt s'évanouit ... comme un
rêve sur lequel se referme le
sommeil.
Puis d'autres visions passèrent ...
Un rêve épique se déploya dans
notre sommeil, empruntant sa
substance tragique aux traditions
d'un peuple qui a toujours aimé le
baroud et le cheval.
Il se déploya là surtout où il y
avait encore de l'espace libre et
des coursiers de sang : chez les
tribus.
Le lien tribal demeurait, en effet,
dans une société dissoute, le seul
lien encore solide, pour unir
quelques hommes dans un
semblant de mission. Tout le sens
de l'histoire est, en effet, dans
cette alternative : Mission ou
soumission
Seuls les guerriers des
tribus pouvaient encore
marquer de leurs
prouesses ce stade de la
''résistance algérienne''.
En Afrique du Nord,
Abdelkrim a clos cette
ère de la tribu
Arabo-berbère. Dans
cette lutte héroïque, le guerrier
bédouin n'avait pas son instinct
de conservation dans ''sa peau''
arabo-berbère, mais dans son âme
musulmane.
Il ne luttait pas pour vivre, mais
pour survivre. Et il a survécu
grâce à cette âme qui l'a
constamment soutenu au-dessus
de l'abîme où se sont engouffrés
d'autres peuples qui n'avaient pas
leur destin accroché à une
pareille force ascensionnelle. Que
sont devenues, en effet, les tribus
héroïques de l'Amérique
précolombienne ? Aujourd'hui,
un linceul de légende recouvre à
jamais leur destin révolu.
Et leur épopée malheureuse
souligne tragiquement ce que les
peuples musulmans doivent en
l'occurrence à l'Islam, leur
sauveur.
Mais l'Astre idéal poursuivait sa
ronde fatidique et ce fut bientôt
l'aurore, à l'horizon où chante le
muezzin, chaque matin, en
appelant au salut. Son appel
retentit sur les monts lointains
d'Afghanistan et descendit dans
la plaine où gisait endormi le
monde musulman.
La voix du lointain muezzin se
répercuta de part en part aux
horizons de l’Islam : O ! Peuples,
venez au salut. C'était Djamal
Eddine El-Afghani qui annonçait,
du haut des montagnes, le jour
nouveau de la civilisation.
02-STADE POLITIQUE ET
IDEE
La parole est divine.
Elle crée, pour une grande part, le
phénomène social, grâce à sa
puissance irrésistible sur
l’homme. Elle creuse dans son
âme le sillon profond où lève la
moisson de l'histoire.
La voix humaine a toujours
engendré les tempêtes qui ont
changé la face du monde.
La voix de Djamal Eddine avait
déposé dans la conscience encore
assoupie des peuples de l'Islam
une simple idée : celle du réveil.
Elle est vite devenue une idée
force, une force transformatrice
et créatrice de nouvelles
conditions d'existence pour les
peuples. Musulmans.
Ils se mirent à rejeter, l'un après
l'autre, les oripeaux du sommeil,
le tarbouch et le narguilé ;
l'amulette et la zerda
disparaissaient peu à peu de notre
folklore et de notre mentalité.
Le rayonnement de cette force
parvenait en Algérie, en même
temps que le monde sortait de la
grande tragédie de 1914-1918.
Jusque-là, le drame algérien était
demeuré muet comme une scène
pétrifiée. Il était le secret de l'âme
chez certains et le ''secret d'Etat''
chez d'autres. C'était le silence.
C'est vers 1925 Seulement que
l'idée venue de loin vient animer
le problème algérien en lui
apportant la parole.
Ceux qui ont leurs vingt ans,
vers cette époque, ont pu
écouter les premiers
bégaiements de leur propre
conscience. C'est vers cette
époque qu'il faut situer la
naissance en Algérie du sens
''collectif'' à partir duquel
commencent l'histoire et la
mission d'un peuple.
Avant cette date, on vivait en
Algérie et on y parlait au
singulier. Ce n'était pas de
l'histoire, mais de la légende : la
légende d'une tribu ou la légende
d'un héros. Ce n'était parfois
qu'un soliloque : la voix d'une
conscience se parlant à elle-
même, sans tirer du sommeil les
autres consciences. On entendait
ainsi, çà et là, de pareils
soliloques.
''DIEU NE CHANGE RIEN A
L'ETAT D'UN PEUPLE QUE
CELUI-CI N'AIT D'ABORD
CHANGE SON ETAT D'AME.''
(CORAN).
17 Le plus insolite fut celui du
Cheikh Salah Mohanna qui faillit
réveiller tout Constantine vers
1898.
Le vénérable vieillard fut le
précurseur de l'Islahisme en
attaquant le premier à l'hydre
maraboutique. Mais
l'administration veillait à ne pas
laisser troubler la quiétude des
gens par les importuns qui parlent
à haute voix, dans la nuit où
règne le sommeil.
La précieuse et riche bibliothèque
du
Cheikh
fut
saisie et
on
dispersa les animateurs de la
première polémique islahiste : le
Cheikh Abdelkader El-Madjawi,
notamment, fut déplacé de la
médersa de Constantine à celle
d'Alger.
Ce n'était qu'une rixe nocturne et
les dormeurs, troublés un instant,
ronflèrent de nouveau.
Cependant, l'aurore invincible
glissait, entre les étoiles de
l'Orient, son obscure clarté et, de
cime en cime, venait dissiper les
ténèbres de l'horizon algérien.
En 1922, les premières voix
marquèrent la naissance du jour
nouveau et le retour à la vie.
C'était un écho lointain, à la voix
de Djamal Eddine. Le miracle
perpétuel des renaissances
jaillissait de la parole de Ben
Badis. C'était l'heure du réveil et
le peuple algérien, encore
engourdi ; remue. Il était beau et
touchant ce réveil frémissant d'un
peuple qui avait les yeux encore
pleins de sommeil.
Les soliloques firent place aux
discours, aux entretiens, aux
discussions, aux polémiques. ''Le
sens collectif'' se réveillait : ce
n'était plus, çà et là, un homme
qui monologuait, mais un peuple
qui parlait.
- Pourquoi avons-nous si
longtemps dormi ?
- Sommes-nous bien réveillés ?
- Que faut-il faire aujourd'hui ?
On posait ces questions comme
des gens qui se réveillaient un
peu étonnés, un peu engourdis du
sommeil qu'ils voulaient dissiper.
L'administration voulait douter
encore de ce réveil. Il est
intéressant de noter combien était
lente son adaptation : près de 10
ans après, vers 1933, le préfet
d'Alger, rédigeant la fameuse
‘‘Circulaire'' qui interdisait les
mosquées aux Oulémas
islahistes, parlait encore du
''peuple apathique'' de l'Algérie.
Cet engourdissement de
l'administration algérienne,
comme un vieil organe qui ne
peut plus s'adapter aisément au
milieu, doit être noté comme la
cause essentielle du malaise.
Cependant, le milieu était, lui,
désormais bien vivant, plein de
tous les bouillonnements, de
toutes les fermentations, de toutes
les énergies. Les idées fusaient,
se croisaient, s'entrechoquaient.
Elles crevaient parfois comme
des bulles d'air à la surface d'une
bouilloire. D'autres fois, elles se
sublimaient, changeaient d'état,
devenaient des actions, des
choses concrètes : une médersa,
une, mosquée, une œuvre.
Le kémalisme, le wahhabisme,
l'européanisme, le matérialisme
se présentaient comme autant de
voies à la conscience algérienne.
On arborait ici un kalpak pour
s'afficher partisan du programme
social kémaliste : émancipation
de la femme, enseignement
laïque, code civil ... La ''imma''
islahiste était un autre
programme : dévotion, retour au
''salat'', épuration des mœurs,
transformation de soi-même
avant tout.
Mais d'une manière générale,
toutes les tendances
convergeaient en un point : la
volonté de bouger, de changer, de
quitter la zaouïa pour l'école, le
bistrot pour quelque chose de
plus pieux ou de plus utile.
Cependant, plus conséquent et
plus profond, l'islahisme formule
clairement le principe doctrinal :
''Dieu ne change rien à l'état
d'un peuple que celui-ci n'ait
d'abord changé son état d'âme.''
(Coran).
Il faut se renouveler : ce fut
d'abord le leitmotiv et la devise
de toute l'école islahiste issue de
Badis. Les congrès des Oulémas
indiqueront les bases de ce
renouvellement nécessaire à la
renaissance.
Il faut repêcher l'Islam aux
musulmans : il faut abandonner
les innovations pernicieuses, les
idoles, il faut s'instruire, il faut
agir, il faut reprendre la
communauté musulmane.
Raisonnement juste, qui implique
l'art d'enfanter une civilisation
comme un phénomène social à
MALGRE CERTAINES CARENCES, MALGRE
UN CERTAIN EMPIRISME DANS LA PENSEE,
LES OULEMAS ONT ETE LES
INFATIGABLES PIONNIERS DE LA
VERITABLE RENAISSANCE MUSULMANE
ET SA FORCE VIVE.
18 partir de conditions toujours
identiques.
Tout cela était dit avec
conviction, dans une langue
lyrique, avec force citations
coraniques et d'émouvantes
évocations de la civilisation
musulmane Le peuple religieux
est mélomane.
Mais l'avenir est un but lointain,
il faut des voies nettes et des
vocations puissantes pour y
parvenir.
Les mots devaient jalonner ces
voies et contenir le ferment béni
de ces vocations
Mais les mots, quoique sublimes,
de l'islahisme algérien ont,
parfois, malheureusement, dévié
de leur objectif pour des raisons
anti-doctrinales. On était encore
engourdi de sommeil pour tendre
l'attention et l'effort
invariablement. Il y eut des
écarts, des inconséquences. La
sagesse céda le pas à
l'opportunisme politique.
Quoi qu'il en soit, malgré
certaines carences, malgré un
certain empirisme dans la pensée,
les Oulémas ont été les
infatigables pionniers de la
véritable renaissance musulmane
et sa force vive.
Mais en matière sociale, n'est-ce
pas là la matière essentielle de
l'islahisme ? L'empirisme peut
devenir de l'opportunisme
dangereux, surtout aux époques
cruciales, quand chaque faux pas
Peut être mortel. Or pour
l’empirisme il n'y a pas de voies
doctrinales tracées, mais des
sentiers capricieux où l'on peut
trébucher à chaque pas.
N'est-ce pas là la raison pour
laquelle les Oulémas ont suivi le
sillage fatal d'une caravane
politique, en 1936 ? Qu'étaient-ils
allés chercher à Paris ? L'âme
algérienne qui est la clef du
problème était-elle là-bas ? Et
qu'en ont-ils rapporté ?
La mort du congrès et la scission
de leur association.
L'électoralisme qui devait être
dirigé était devenu dirigeant. Le
mouvement algérien se renversa,
marcha les pieds en l'air et
la tête en bas.
Le sens de l'élévation était,
désormais, dirigé vers le bas.
1939, c'est le faîte atteint par
l'islahisme, le faîte marqué par la
naissance et la mort du Congrès
algérien. C'est de ce faîte qu'on
est descendu, à l'heure où vers le
lointain horizon
S’accumulait l'orage de 1939.
L'orage est passé sur un déclin
momentané de la renaissance
algérienne et une éclipse de
l'idée.*
* Dans cet exposé doctrinal, nous
n'avons pas jugé nécessaire de
parler du noble Emir Khaled, ce
chevalier de la légende
algérienne qui, par mégarde,
s'était trouvé dans une « histoire
des grands hommes de
l'Algérie ». Ici, nous ne faisons
que l'histoire des idées.
A méditer
par El-Guellil
Voilà un conte, d'un auteur inconnu, que je vous propose de méditer. « Un très vieux sage vivait tout là-haut dans
une montagne aux pentes très abruptes. Les gens d'en bas, dans la plaine, allaient régulièrement le consulter lorsque
se présentait un problème insoluble pour eux. Pour se faire, les gens d'en bas devaient escalader cette montagne aux
pentes très abruptes pour le consulter. Un beau jour, les gens d'en bas se réunirent pour parler du vieux sage.
Un jeune homme de forte tête leur dit qu'il en avait assez d'avoir à grimper la montagne à chaque fois qu'il avait
une question d'ordre existentielle. Il en avait assez et voulait que cela cesse et ne plus avoir à grimper là-haut pour
consulter le vieux sage et tenter de mettre celui-ci en déroute avec une question piège. En fait, il demanda aux gens
qui étaient avec lui de l'aider. Il imagina toute sortes de questions et chaque fois que quelqu'un en proposait une
nouvelle, une autre personne disait : «je lui ai déjà demandé cela et il m'a répondu». Alors le jeune homme entêté à
réussir son exploit, à savoir, intimider le vieux sage, dit : «Je sais, je vais attraper un oiseau à l'aide d'une cage et
lorsque je serai en face du vieux sage je lui demanderai : est-ce que l'oiseau que je tiens dans mes mains est mort ou
vivant ? S'il répond qu'il est mort, je le laisse s'envoler, et s'il répond qu'il est vivant, je le tue et lui montre
l'évidence de sa tromperie. » Alors tous les habitants d'en bas escaladèrent la montagne pendant trois jours et trois
nuits pour voir la défaite du vieux sage. Ils arrivèrent en haut avec les vêtements tout déchirés un peu partout, et
voilà que le jeune homme dit :» bonjour vieux sage comment allez-vous ?»
Le vieux sage regarda chacun, un par un dans les yeux en les scrutant de haut en bas. Notre jeune homme dit alors
:» vieux sage, nous avons une question pour toi. L'oiseau que je tiens dans mes mains, est-t-il mort ou vivant ? »
Alors le vieux sage ragarda chacun encore dans les yeux un par un en prenant son temps et en les scrutant de haut
en bas. Ensuite le vieux sage regarda le jeune homme et dit :
«Mon jeune ami,... la Vie de cet oiseau est entre vos mains».
19 COMMENT ON DEVIENT UNE PUISSANCE
Par Noureddine BOUKROUH
C’est à une sorte de « rencontre du
troisième type » que fait penser le
battage poursuivi depuis des mois
par la presse mondiale autour du
sommet Reagan-Gorbatchev.
L’échelle cosmique prise par les
enjeux, l’opposition foncière entre
les deux systèmes, leur égale
capacité à mettre fin au monde font
presque oublier que ces deux géants
ont l’habitude de se rencontrer (il y a
eu Carter-Brejnev, Nixon-Brejnev,
Khrouchtchev-Kennedy, Staline-
Roosevel), que la question du
désarmement est ancienne (la
première conférence sur le sujet
s’est tenue à Washington à la fin des
années vingt) et que ces deux
puissances ont plus d’un trait
commun tant au plan de la politique
internationale, que de la psychologie
historique. Mais là n’est pas
notre propos.
En tant que pays du Tiers-Monde, en
tant que jeune nation socialiste, cet
événement nous interpelle sur notre
propre situation, sur notre poids réel
dans le monde, sur le contenu de nos
idées et de nos méthodes. Il nous
fournit l’occasion de procéder à
quelques rapprochements,
toutes proportions gardées, mais
aussi de faire justice de préjugés et
de confusions assez répandus.
L’auteur de « La démocratie en
Amérique » (Alexis de Tocqueville)
a écrit il y a exactement cent
cinquante ans un texte
extraordinaire, une véritable
prophétie que voici : « Il y a
aujourd’hui sur la terre deux grands
peuples qui, partis de points
différents, semblent s’avancer vers
le même but : ce sont les Russes et
les Américains. Tous deux ont
grandi dans l’obscurité, et tandis que
les regards des hommes étaient
occupés ailleurs, ils se sont placés
tout à coup au premier rang des
nations et le monde a appris presque
en même temps leur naissance et
leur grandeur. Tous les autres
peuples paraissent avoir atteint à peu
près les limites qu’a tracées la nature
et n’avoir plus qu’à conserver, mais
eux sont en croissance. Tous les
autres sont arrêtés ou n’avancent
qu’avec mille efforts, eux seuls
marchent d’un pas aisé et rapide
dans une carrière dont l’œil ne
saurait encore apercevoir la borne…
Pour atteindre son but, l’un s’en
repose sur l’intérêt personnel et
laisse agir, sans les diriger, la force
et la raisons des individus. L’autre
concentre en quelque sorte dans un
homme toute la puissance de la
société. L’un a pour principal moyen
d’action la liberté, l’autre la
servitude. Leur point de départ est
différent, leurs voies sont diverses,
néanmoins CHACUN D’EUX
SEMBLE
APPELE PAR UN DESSEIN
SECRET A LA PROVIDENCE A
TENIR UN JOUR DANS
SES MAINS LES DESTINEES DE
LA MOITIE DU MONDE… »
La prophétie de Tocqueville ne s’est
pas réalisée à Yalta et à Potsdam
110 ans après sa formulation, mais
dès 1945 elle apparaissait comme
telle au commun des mortels. En ce
qui concerne l’URSS il était donc
faux de prétendre qu’en 1917 elle
était partie de rien. Un siècle avant
que ne naisse Marx, deux siècles
avant que ne laisse Lénine, la
Russie, sous la houlette de Pierre le
Grand, avait pris le chemin de sa
vocation de puissance planétaire
ainsi que le constatera un siècle plus
tard Tocqueville.
Pierre le Grand, en effet, est celui
qui a arraché au Moyen-âge la
Russie pour la mettre sur la
voie de son destin. Frappé par
l’extrême état de sous-
développement de son pays en
comparaison des autres nations
d’Europe, cet homme auquel les
Bolcheviks en général et
Staline en particulier voueront un
véritable culte, entreprit par le juste
et l’injuste, par l’exemple personnel
et la contrainte physique, de la
moderniser et de l’organiser.
Dédaignant l’Europe Latine,
l’Europe des salons, il se tourna vers
l’Europe industrieuse, l’Europe des
ateliers et des casernes, pour se
mettre à son école. Il se rendit en
Hollande où il travailla en qualité
d’ouvrier-charpentier sur les
chantiers navals ; en Allemagne il
vint apprendre la mentalité «
fachlichkeit » (l’amour du travail
bien fait) ; en Angleterre il
s’émerveilla devant la démocratie en
assistant à des séances du
parlement…
De retour dans sa partie Pierre le
Grand s’attelle à instaurer les
notions d’Etat, de bien public,
d’intérêt de l’Etat... Il soumet les
fonctionnaires à la prestation d’un
serment de fidélité à l’Etat,
indépendamment de celui qui lui
était prêté en tant que Tzar ; il crée
l’armée permanente, le service
militaire obligatoire, l’enseignement
public ; il établit un système fiscal
qui taxe même le port de la barbe
pour faire rentrer de l’argent. Pour
stimuler les Moujiks il allait parmi
eux, lui qui s’enorgueillissait de
posséder quatorze métiers, manier la
hache et couper le bois qui servira à
construire la flotte qui lui permettra
de battre pour la première fois
son principal ennemi à l’époque, la
Suède. Un historien a eu ce mot : «
Le premier plan quinquennal
remonte à son retour de Hollande »
(c’est-à-dire à la fin du XVIIème
siècle) C’est avec cet homme qui n’a
pas hésité à faire exécuter son
propre fils parce qu’il s’opposait
à la modernisation forcée de la
Russie, que l’URSS, deux siècles
avant la lettre, s’est éveillée
à sa vocation de puissance d’avenir.
Lui-même continuait un rêve, celui
d’Ivan le Terrible, comme Catherine
II a ajouté quelques touches à
l’oeuvre que ce dernier a laissée.
Mais il faut dire que l’autocratie
tzariste avait édifié un empire sans
unité intérieure, au seul profit de la
noblesse boyarde et des classes
dirigeantes, et que le peuple russe,
d’Ivan le Terrible à Nicolas
20 II, n’a jamais vu sa condition de vie
s’améliorer. Même l’abolition en
1861 par Alexandre II du régime du
servage n’a pas rendu la terre aux
paysans qui ont de tout temps
constitué l’écrasante majorité du
peuple russe. Pour cela, il fallait
attendre la Grande Révolution
d’Octobre. Libéré, rendu à lui-
même, exalté par les vertus
cardinales du socialisme, l’égalité
et la justice, le peuple soviétique
allait rapidement apporter la preuve
de son génie, de son sens sublime du
sacrifice, de son ardeur au travail.
En quinze ans, de 1927 à 1941,
l’URSS passait du statut de pays
essentiellement agricole à
celui de puissance industrielle. C’est
l’époque où l’on réalisait le plan
quinquennal en quatre ans, où «
l’émulation socialiste » produisait
des hommes comme Alexis
Stakhanov, un mineur qui était
parvenu à extraire en une nuit 102
tonnes de charbon tandis que la
norme n’était que de 7, avant de
porter quelques mois plus tard ce
fantastique record à 227 tonnes !
C’était l’époque où tous les
travailleurs faisaient des heures
supplémentaires sans rémunération
supplémentaire, où le passeport
intérieur et le livret de travail
décourageaient toute velléité de
nomadisme, ou la « discipline du
travail » était une loi martiale, où les
syndicats ne représentaient pas des
groupes ou des corporations mais
l’intérêt social et la religion du
rendement, où l’équivalent de notre
GSE aurait passé pour une hérésie
passible d’internement à vie dans un
camp de travail…
C’était l’époque où la conquête de la
Sibérie était la réplique à la
conquête de l’Ouest américain, où
l’URSS était le premier producteur
mondial le blé, où la synthèse d’Ivan
le Terrible et de Marx donnait le
spectacle d’une nation sur-motivée
n’ayant que des devoirs, et d’abord
celui d’être la plus forte en tous
domaines.
L’Union Soviétique telle qu’elle
apparaît aujourd’hui au monde a,
outre cette tradition de la mystique
du travail et du sacrifice,
d’importants atouts naturels : elle
s’étend sur le plus grand territoire du
monde (trois fois les Etats-Unis,
onze fois l’Algérie), possède les plus
grandes réserves prouvées de
pétrole, commercialise le tiers de
l’or vendu chaque année dans le
monde et figure parmi les premiers
exportateurs de gaz, de diamants,
d’armes…
Pour comprendre le phénomène
soviétique, il est essentiel d’avoir à
l’esprit les trois dimensions
évoquées : un continent eurasiatique
ayant les avantages de l’insularité,
une tradition du pouvoir centralisé et
une volonté de puissance qui ne se
sont pas démenties d’Ivan le
Terrible à Staline, une idéologie qui
a su trouver le chemin de l’âme
russe : le socialisme.
C’est la combinaison de ces trois
facteurs qui a fait de l’URSS la
superpuissance économique,
scientifique et militaire que nous
avons sous les yeux. Cette
superpuissance s’efforce d’ailleurs
depuis la fin des années 70 de
remédier à des méthodes qui ont fait
leur temps : le développement de
type extensif (quantité au détriment
de la qualité et du coût, importation
de techniques, achats d’usines clés
en main, création excessive de
nouvelles entreprise, planification
bureaucratique et déformation
généralisée des chiffres et de
l’information économique…) a
atteint ses limites et révélé sa force
d’inertie.
Au plan agricole, ce géant qui était
exportateur de blé est devenu
alimentairement dépendant.
Au plan industriel et technologique,
il a accumulé des retards importants.
Au plan financier,
enfin, l’Union Soviétique a
discrètement pris le chemin de
l’endettement extérieur au cours
des années 70 où elle a levé sur les
euromarchés plusieurs milliards de
dollars. Plus surprenant encore, elle
a recouru pour la première fois
depuis 1917 en septembre1984 au
marché euro-obligataire où elle a
émis un emprunt de 50 millions de
dollars en Deutsch Bank à sept ans
et à taux variable. L’extraordinaire
en cela est que, contrairement aux
eurocrédits qui sont un appel aux
banques commerciales, les euro-
émissions sont un appel à l’épargne
directe des particuliers.
Les ouvertures prêtées à Gorbatchev
ne ressortissent pas à un exercice de
charme en direction de l’Occident
capitaliste, mais à la conscience de
devoir s’adapter aux techniques de
pointe, tant dans le domaine de la
gestion économique et financière
que scientifique et technologique
pour garder, voire hisser plus haut,
son rang de puissance planétaire.
Les propositions avancées par
l’URSS en matière de limitation de
l’armement stratégique sont
inédites, mais il aurait fallu un
Woodrow Wilson, l’homme des 14
points, à la place de Reagan pour les
recevoir et leur répondre avec le
sérieux qui convient. C’est pourquoi
le Genèvre-Round ne se terminera
sur aucun résultat spectaculaire. Ce
non-événement nous aura au moins
permis, quant à nous, de méditer
quelques instants sur le parcours
historique d’une nation qui est
aujourd’hui le principal faire-valoir
de l’idéal socialiste dans le monde.
(« Algérie-Actualité » du 21
novembre 1985)
21
Luis Martinez. Chercheur et politologue, spécialiste de l’Algérie
«On est passé du leadership du DRS à celui des groupes d’intérêt» Luis Martinez est
directeur de recherche
au Centre d’études et
de recherches
internationales (CERI)
de Sciences-po Paris.
Fin connaisseur du
Maghreb et de
l’Algérie, il a
récemment codirigé un
ouvrage collectif en
anglais intitulé Algeria
Modern : From
Opacity to Complexity
(Algérie moderne : de l’opacité à
la complexité). En attendant
l’édition française de ce livre
précieux, M. Martinez a accepté
de répondre à nos questions sur la
situation politique du pays.
Dans le dernier livre collectif
auquel vous avez contribué, vous
évoquez l’opacité et la
complexité du pouvoir en Algérie
qui rendent invisibles les vrais
décideurs, notamment à cause de
l’implication des militaires et des
services de sécurité. Cela tend-il
à changer depuis la quasi-
décapitation du DRS ?
Nous avons essayé d’analyser la
situation actuelle en Algérie en
montrant les transformations
opérées sous la présidence de
Bouteflika. On est passé du
leadership du DRS à celui des
groupes d’intérêt concernant tous
les secteurs, allant de l’économie
à la politique en passant par la
sécurité. Les personnes qui les
constituent ne fonctionnent pas
avec une logique de clans et
encore moins idéologique. Ils
défendent surtout leurs intérêts.
L’opacité de l’Algérie
s’expliquait par le rôle politique
de ses services de sécurité. Avec
ces groupes d’intérêt, l’Algérie
est plus complexe à comprendre.
De nouveaux acteurs ont émergé,
comme le Forum algérien des
chefs d’entreprise (FCE). Ces
acteurs constituent des lobbies
très importants et participent à la
décision politique. En fait,
l’Algérie se modernise. Mais elle
sort de l’emprise simpliste et
opaque des services de sécurité
pour entrer dans la complexité.
- Dans ce contexte, comment
voyez-vous l’après-Bouteflika ?
La principale incertitude
aujourd’hui repose justement sur
l’après-Bouteflika. Réélu pour la
quatrième fois en 2014, sa
maladie suscite de nombreuses
inquiétudes tant il semble dans
l’incapacité d’assumer ses
fonctions. Ce moment de
vulnérabilité offre l’opportunité à
tous ses opposants de dénoncer
l’appropriation du pouvoir par
son «clan familial». Les appels à
une intervention de l’armée se
multiplient. L’hypothèse d’un
«coup d’Etat médical» sur le
modèle de celui
appliqué à Habib
Bourguiba est espéré
par certains.
Nous avons remarqué
que depuis sa
réélection, nombreux
sont les politiques et
anciens officiers de
l’armée qui ont fait des
déclarations laissant
présager cette
hypothèse. En tant que
chercheurs, nous y avons décelé
une sorte de test et une
préparation de l’opinion publique
algérienne à cette éventualité.
Ainsi, si un jour cela arrive, ils
espèrent que cette même opinion
trouvera cela normal.
- Cette incertitude et cette lutte
latente liées à la transition
politique ne risquent-elles pas
d’engendrer un grand mouvement
de contestation politique jusque-
là évité par le régime ?
L’Algérie de Abdelaziz
Bouteflika a été épargnée par les
révolutions arabes. A la faveur
des revenus issus de la rente
pétrolière, du clientélisme et des
relations avec les acteurs
institutionnels, le régime a
renforcé les liens de loyauté qui
unissent les différents groupes
d’intérêt (Forum des chefs
d’entreprise, Sonatrach, UGTA,
Association des moudjahidine,
police nationale, armée, etc.) afin
de s’assurer qu’aucun ne ferait
défection comme c’était le cas
des syndicats et de l’armée en
Tunisie et en Libye. Les
gouvernements successifs ont mis
22 en œuvre des politiques sociales
importantes qui ont réduit la
pauvreté. Les dépenses publiques
entre 2000 et 2013 sont estimées
à 500 milliards de dollars.
Sur un autre plan, dans un
contexte d’attractivité de l’offre
politique islamiste, Bouteflika a
encouragé le renouveau des
zaouïas, de l’islam traditionnel
dans le but de contrer l’offre
salafiste, présentée par les
pouvoirs publics comme
étrangère, en provenance,
notamment, d’Arabie Saoudite.
Les autorités ont favorisé
également le développement d’un
islamisme modéré afin qu’il
encadre l’islamisation des mœurs
et réduise les critiques des
salafistes sur la dérive
occidentale des sociétés. Ces
politiques expliquent d’ailleurs
pourquoi l’Algérie n’a pas
basculé dans une dynamique de
confrontation en dépit des
nombreux problèmes sociaux,
économiques et politiques.
L’Algérie a été en proie à des
manifestations régulières. Des
mouvements sociaux ont secoué
des villes du Sahara et certaines
du littoral, mais aucun acteur
institutionnel n’a investi ces
mouvements, ni politisé les
doléances et encore moins
encouragé une dynamique
d’affrontement. A vrai dire,
Bouteflika n’incarne pas une
figure de détestation comme
pouvait l’être Ben Ali en Tunisie
ou El gueddafi en Libye.
De plus, sous sa présidence, les
gouvernements successifs ont
massivement redistribué les
revenus issus des exportations
d’hydrocarbures à travers des
aides directes et indirectes à la
population. Les jeunes, devenus
cyniques, ne croient plus à la
révolution et aux lendemains
heureux. La Syrie, la Libye et le
Yémen leur rappellent l’Algérie
en guerre civile entre 1990 et
1998 après l’échec de sa
transition démocratique.
- Dans ce cas, l’option d’un
homme de consensus entre le
pouvoir et l’opposition, comme
Hamrouche par exemple, semble
être la meilleure solution. Est-t-
elle encore possible selon vous ?
Il faut savoir que les groupes
d’intérêt qui structurent le
pouvoir en Algérie aujourd’hui
agissent dans la perspective de
trouver un leader comparable à
Bouteflika. De leur point de vue,
sa politique est un succès. Il a
stabilisé et surtout restauré la
crédibilité internationale de
l’Algérie. Or, la perception de
l’opposition à ce sujet est très
différente.
Ses critiques sont très acerbes
envers le Président et son
entourage. Mais cette opposition
manque d’espace d’expression et
surtout de légitimité pour mener
un grand mouvement politique
qui propose une alternative
unitaire à celle du pouvoir. Du
coup, elle est souvent utilisée par
le pouvoir comme une soupape
de sécurité pour maintenir la
façade démocratique du pays. A
part certaines exceptions, les
partis de l’opposition se limitent
depuis quelque temps à se
préoccuper de la succession et de
l’après-Bouteflika. Mais cela
n’est pas un programme politique
!
Pour revenir à votre question, je
dirais que du côté du régime, des
figures comme Sellal et Ouyahia
sont dans la continuité de
Bouteflika. Néanmoins, ces
hommes politiques n’ont ni la
légitimité historique ni la
légitimité militaire. Ce qui réduit
considérablement les possibilités.
En ce qui concerne une
personnalité consensuelle,
Mouloud Hamrouche, que vous
citez, peut effectivement incarner
ce rôle. Il a une longue
expérience et connaît très bien les
pouvoirs politique et militaire du
pays. Il peut réussir s’il arrive à
convaincre les tenants actuels du
pouvoir desquels il est loin et
avec lesquels il est en profond
désaccord.
- Avec cette nouvelle donne de la
prise de pouvoir politique
progressive de l’argent privé en
Algérie, on assiste ces derniers
mois à ce qui s’apparente à un
acharnement des autorités contre
l’homme d’affaires Issad Rebrab.
Est-ce parce qu’il a une
quelconque ambition
présidentielle personnelle ?
Cet entrepreneur est le seul à
disposer de la légitimité
économique et financière en
Algérie. Par exemple, quand vous
demandez ici, en Europe, qu’on
vous cite un entrepreneur privé
algérien, c’est son nom qui
revient à tous les coups. En plus
des grandes entreprises publiques
algériennes, c’est le seul qui
rassure les partenaires étrangers
sur les potentialités économiques
de l’Algérie, particulièrement en
dehors des hydrocarbures.
C’est tout simplement un
entrepreneur qui a réussi. C’est
un ovni dans l’économie rentière
de l’Algérie ! Il est un défi
insurmontable pour les hommes
politiques algériens. Même s’il a
bénéficié de marchés publics à
ses débuts, il a toujours su garder
ses distances vis-à-vis du pouvoir
politique et de la vie politique en
général. Personnellement, je ne
pense pas qu’il ait la moindre
ambition politique.
23
Delivery Units, ministère de l’Economie ou cellule de planification Depuis de nombreuses années, les experts et les
analystes de l’économie algérienne de tout bord
réclament la conception et l’exécution d’une vision
matérialisée par un plan stratégique et des plans
indicatifs intermédiaires. Le cadrage budgétaire devait
s’insérer dans cette perspective.
Cette optique réunit un très large consensus. Il y a
longtemps que les analystes ont conclu à la nécessité
de disposer d’une structure formelle de mise en
cohérence des politiques sectorielles. Après des
années de débats autour de la question, les décideurs
semblent pour une fois réceptifs à la question.
On est en train de considérer les voies et les moyens
de prendre en considération les avis des experts.
Maintenant, il faut penser à l’architecture globale
qu’il convient d’ériger. Il y a beaucoup de problèmes
à régler. Le diable se niche toujours dans les détails.
On peut proposer des structures qui peuvent faire des
améliorations marginales ou introduire des mutations
qui vont grandement booster l’efficacité des
institutions.
A ce niveau-là, nous assistons à une inflation de
propositions. J’en citerai seulement quelques-unes :
ministère de la planification, ministère de l’Economie
(qui en regroupe plusieurs), Delivery unit, cellule de
planification, etc. Les experts ne sont pas d’accord.
Les pouvoirs publics attendent de voir plus clair et de
bien recenser les avantages et les inconvénients de
chaque proposition. Certes, il n’y a jamais de solution
unique et toute proposition doit bien s’insérer dans le
contexte de son exécution.
C’est de cela qu’il s’agit : quelle est la meilleure
forme d’institution capable de mettre en cohérence les
politiques économiques et aider à leur exécution dans
le contexte de notre pays ? Pour répondre à cette
question, nous avons besoin de faire appel beaucoup
plus aux principes d’organisation qu’aux lois
économiques, bien que ces derniers sont très utiles
pour résoudre l’équation. Nous allons résumer très
succinctement les éléments d’analyse les plus
pertinents pour livrer le type de solution qui convient
le mieux à notre pays. Je m’inspirerai d’un travail que
j’ai réalisé au profit d’institutions patronales
nationales qui s’intitule «Structures organisationnelles
des Etats : pays développés, émergents et sous-
développés». Bien entendu, je n’ai fourni qu’un
résumé sur la question étant donné sa complexité.
Quelques éléments de réflexion La question de choisir
le type de structure à ériger semble simple a priori.
C’est pour cela que bon nombre de personnes
s’aventurent légèrement à fournir des
recommandations. En réalité, c’est un thème
extrêmement complexe qui fait appel aux théories des
organisations, à l’historique des typologies des
structures publiques, la sociologie politique du pays et
les choix publics. Je vais essayer de simplifier au
maximum des thèmes super compliqués qui
permettront de replacer les choses dans leur contexte.
Les pays développés ont achevé la plupart des
transformations institutionnelles dont ils ont besoin
pour se situer à un niveau élevé de performance.
Leurs problèmes les plus épineux résident dans la
croissance et le niveau de l’emploi.
Des pays comme les USA, le Royaume-Uni, la Suède,
l’Allemagne, etc. ont atteint un degré d’organisation
institutionnel très évolué.
Les améliorations dans les systèmes éducatifs,
recherche et développement, justice, etc. se font par
des petites retouches. Aucun pays ne peut se prévaloir
d’avoir atteint le summum de l’efficacité
organisationnelle. Des progrès sont toujours possibles.
Mais ces nations n’ont pas besoin de révolutionner
leur mode de fonctionnement institutionnel.
Des rénovations institutionnelles mineures ont lieu de
temps en temps. Par exemple, la grande-Bretagne qui
veut améliorer un peu plus l’efficacité managériale de
ses hôpitaux publics. Ainsi, dans ce contexte, on
procède par des « Delivery Units ». Ce serait une
cellule placée en haut lieu, généralement le premier
ministère pour implémenter sur terrain des décisions
prises. Elles ont des compétences transversales pour
faire atteindre des objectifs précis.
Exemples : réduire les coûts de santé de 5% sur dix
ans, diminuer le nombre de jours d’attente
chirurgicaux de 30%, etc. Les pays en voie d’achever
des transformations institutionnelles profondes
(Chine, Corée du sud, Malaisie) ont besoin d’un autre
schéma ; et ils l’appliquent. Ces pays sont en train de
bouleverser leurs systèmes éducatif, bancaire,
administratif. Ils opèrent des mutations profondes pas
retouches successives. En plus de think tank à la
disposition de l’Etat, ils optent pour une structure de
planification (cellule de planification en Corée, unité
de planification en Malaisie). Ils peuvent se doter en
plus de Delivery Units. Mais une Cellule de
planification s’avère indispensable.
Ce qui convient à notre pays La plupart des pays
s’orientent vers plus de décentralisation. Pour cela, ils
ont besoin de grandes structures ministérielles qui
arrivent à opérer facilement plus de cohérence.
24 Ministères de l’Economie et de l’Education peuvent
regrouper une variété d’activités.
Cela serait une bonne idée de disposer d’un ministère
de l’Economie dans notre pays qui regrouperait la
PME, l’industrie, les finances, etc. Mais il serait
nettement insuffisant pour architecturer une cohérence
globale.
Par contre, ceux qui préconisent une ou plusieurs
delivery units sans cellule de planification indicative
(très différente de la planification des années soixante-
dix) se trompent lourdement. Qui va faire la
cohérence entre par exemple l’enseignement
supérieur, l’industrie et les énergies renouvelables ?
Les pays développés ayant achevé leurs
transformations institutionnelles peuvent le faire à
l’aide de think tanks spécialisés à la disposition de
l’institution de décision (présidence ou premier
ministère). Mais un pays qui doit révolutionner
pratiquement tous ses secteurs en plus de développer
une vision à long terme a nécessairement
besoin d’une unité de planification située sous la
présidence ou le premier ministère.
Les économistes parlent de capital matériel, humain et
social. Le dernier concerne la qualité des institutions
dont ils disposent et
leurs modes d’interaction. Par ailleurs, nous avons un
Etat extrêmement centralisé. Les plans de
développement locaux et régionaux
ainsi qu’une fiscalité locale sont encore à l’état de
voeux. Dans ce contexte-là, le schéma thérapeutique
est clair. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une
structure légère de planification indicative située en
très haut lieu.
Une Delivery Unit créerait un déphasage entre la
concession et l’exécution. La première question qu’un
spécialiste en organisation pose lors de la
restructuration d’une entreprise est : quelle est l’entité
qui sera chargée d’établir une cohérence entre les
différentes sous-structures ? Généralement (mais pas
toujours), le contrôle de gestion peut jouer ce rôle en
tant qu’entité staff mais se fait entendre à travers les
décisions de la direction générale. Si on désire
réellement faire des avancées notables en matière
d’organisation de l’Etat, nous ne pouvons pas faire
l’économie de créer une cellule de planification
indicative.
HISTOIRE D'ALGERIE : VII- Domination Vandale (430 à 533)
L'histoire et la géographie de l'Algérie sont intimement liées. Ainsi, bien
que la civilisation humaine au Maghreb remonte à des millénaires, ce
n'est qu'à partir de l'Antiquité que cet espace commence à prendre sa
forme actuelle en se scindant en trois régions-peuples : Maghreb
oriental, Maghreb central et Maghreb occidental. La région-peuple du
Maghreb central évoluera au fil des siècles en l'État nation algérien
moderne. Cet article traite donc de l'histoire de l'Algérie, et non pas
seulement de l'histoire de la République algérienne moderne.
VII-Domination Vandale (430 à
533)
L'histoire des Vandales est celle
d'une coalition de tribus
scandinaves constamment
assaillie, repoussée et forcée à
quitter ses terres, et qui finit par
se résoudre au combat, obtenant
ainsi leur premier État qu'ils
fondent en Algérie après avoir
établi leur capitale à Bejaia, dans
la petite
Kabylie. Lorsque leur État
disparaît après un siècle
d'existence, le peuple vandale
s'intègre alors à la population
algérienne.
Vers 200 avant J.-C., une
vague de tribus scandinaves
s'était mise à traverser la mer
Baltique, pour débarquer sur
les territoires de l'actuelle
Pologne. Ainsi, vers la même
période durant laquelle l'État
de Numidie s'affirmait en
Algérie, soit entre l'an –200 et
l'an -120, les Vandales
arrivèrent de Norvège
(Hallingdal), de Suède
(Vendel) et du Danemark
(Vendsyssel) pour s'installer
dans la région de Silésie, qui
correspond aujourd'hui à la
région frontalière entre la
Pologne et la République
tchèque. Les Vandales, divisés
en deux grands groupes
tribaux, les Silings et les
Hasdings, se séparèrent à
partir de là. Les Silings
restèrent dans la région de
Magna Germania qui est celle
de Silésie, tandis que les
Hasdings continuèrent leur
25 migration et se
déplacèrent
vers l'Ouest pour
s'installer
dans la région
historique de la
Germanie
Orientale (entre la
rivière Oder et la
rivière Vistule).
Gaius Cornelius
Tacitus, l'un des
plus connus
historiens
romains note en
effet leur
présence en Germanie orientale
en l'an 98. Entre l'an 100 et l'an
200 environ, les Vandales
Hastings se retrouvèrent sous la
pression des Goths qui
arrivaient et s'installaient en
Germanie Orientale, et celle de
l'Empire romain. Les Vandales
furent alors poussés à quitter la
Germanie Orientale sous la
pression des Goths qui
s'implantaient dans la région et
descendirent vers le Danube où
ils attaquèrent l'Empire
romain. Les Romains alors,
signent un traite de paix avec
eux, et les autorisent à vivre et
s'établir en Europe Centrale, en
Dacie (actuelle Roumanie) et en
Hongrie romaine.
Deux cent ans plus tard toutefois,
et sous la pression des Huns, les
Vandales, qui entre
temps étaient devenus des
cavaliers, ainsi que leurs allies
Sarmates Alains et leurs alliés
germaniques Suèves, furent
obligés de se déplacer vers
l'Ouest pour fuir. Quelques-uns
uns
des Vandales Silings qui s'étaient
installés en Silésie depuis
quelques siècles vinrent les
rejoindre, et toutes ces tribus se
placèrent sous la direction du roi
Vandale Godégisel. La
fédération des tribus dites
Vandales devint ainsi très large,
et durant cette période adopta le
christianisme comme religion. Le
christianisme que les Vandales
adoptèrent toutefois
était l'Arianisme qui était en
opposition avec la doctrine de la
Trinité prônée par Rome. Les
Vandales se déplacèrent ainsi à
l'Ouest en suivant le Danube sans
trop de difficulté et
pénétrèrent en Gaule où les
fédérés francs de l'Empire leur
refusèrent le passage. Les
Francs tuèrent 20000 Vandales
durant ces combats y compris le
roi Godegisel. Toutefois,
grâce à l'aide des Alains, les
Vandales finirent par vaincre les
forces de l'Empire, et
traversèrent le Rhin gelé le 31
décembre 406. Sous la direction
du roi Gundoric, fils de
Godisel, les Vandales
traversèrent alors la Gaule du
nord au sud en pillant les
territoires de
l'Aquitaine.
En octobre de l'an 409, l'alliance
vandale traversa les Pyrénées.
Les Romains les
autorisèrent alors officiellement à
s'installer en Ibérie, et offrirent
aux Alains la Lusitanie
(Portugal), et aux Vandales la
Galice ainsi que la Basse
Espagne (Hispania Baetica). Les
Vandales, ravis d'avoir enfin leur
territoire, et pensant y établir leur
État la baptisent
Wandalus (Terre des Vandales)
qui devient plus tard l'«Andalusia
» arabo-berbère, puis
espagnole. Leur tranquillité fut
de courte durée, et quelques
années plus tard, les
Wisigoths, l'une des deux
grandes tribus Goths (l'autre
étant celle des Ostrogoths),
qu'ils
avaient déjà fuit une fois, se
mirent à envahir la péninsule
Ibérique. En 426 les alliés
Alains
des Vandales se firent
massacrer au nord de la
péninsule et leur roi Addac
trouva la mort
durant cette attaque. C'est alors
que les Alains vont se réfugier au
sud chez les Vandales
hasdings en Wandalus et offrent
leur couronne a ces derniers.
Gunderic, roi des Vandales
accepte alors, se baptisant dès
lors « Rex Wandalorum et
Alanorum » (Roi des Vandales et
des Alains).
Vandales en Afrique du Nord : de
430 à 477
Afin d'organiser une nouvelle
migration face à la déferlante
Wisigoths, le nouveau roi
Genséric, qui succéda à son
demi-frère le roi Gunderic,
comme roi des Vandales et des
Alains, fit construire une énorme
flotte pour faire traverser aux
tribus le détroit de
Gibraltar. C'est ainsi qu'en 429,
plus de 80000 Vandales et
Alains, dont 20000 hommes en
armes, conduits par leur roi
Genséric I, franchissent le détroit
de Gibraltar et débarquent
en Maurétanie. Des l'année
suivante en 430, ces derniers sont
déjà dans l'Ouest algérien.
Les Vandales trouvent sur place
une population favorable aux
thèses chrétiennes qui
rejettent le dogme de la Trinité
romaine et contestent la filiation
divine de Jésus. En effet
les Berbères des riches
campagnes agricoles d'antan, qui
se trouvent être a l'époque en
26 pleine crise
économique,
laissent le
passage libre à
cette
impressionnante
armée Vandale,
qui semble à leurs
yeux venger le
fait que Rome
vient de déclarer
vingt ans
auparavant (en
409) leurs
croyances
mutuelles comme
des hérésies. En effet le
donatisme qui prévaut au
Maghreb, est similaire, voire plus
extrême dans sa tendance du
refus de l'autorité et des
dogmes de l'Église catholique
que l'arianisme suivi par les
Vandales. L'arianisme étant à
l'origine les enseignements du
prêtre Arius de l'église
d'Alexandrie d'Égypte (l'église
Copte)
qui enseignait que Jésus était un
homme comme tous les autres,
plutôt que le fils de Dieu.
Les Vandales concentrèrent ainsi
leurs attaques sur les villes
côtières sous emprise
romaine, et où l'Église catholique
s'était saisie des églises
donatistes. Ils s'offrent par la
même la complicité morale, voire
le soutien matériel des
populations berbères du Nord de
l'Algérie. Durant l'année 430 les
Vandales traversent ainsi le pays
d'ouest en est, attaquant
les différentes citadelles romaines
ou les prêtres catholiques
nouvellement installés dans
les églises donatistes sont
présents. Le 28 août 430, les
Vandales prennent Hippone
(actuelle Annaba) après un bref
siège de la dernière ville de l'Est
de l'Algérie. En prenant cette
ville, ils auraient tué l'évêque
catholique berbère, saint
Augustin.
Les Vandales commencèrent
ainsi à établir leur autorité sur
toutes les villes du nord de
l'Algérie, envoyant le clergé
catholique en exil à Gafsa dans le
sud tunisien, tuant parfois
certains membres de l'Église
catholique, et dissolvant les
monastères. La population
citadine est sommée de
s'acquitter de la dîme en échange
du droit d'être laissée en paix et
de pouvoir pratiquer le
catholicisme. Les Vandales ne
martyriseront toutefois pas les
catholiques, et comparé à la
façon dont certains prélats
catholiques traitent à ces époques
leurs ouailles récalcitrantes, leur
traitement des catholiques est peu
de choses. Toutefois
pour les apaiser, Rome en 435 les
autorise, une nouvelle fois à
s'établir officiellement sur
un de ses territoires, cette fois-ci,
sur les restes de la Numidie.
Genséric établit la capitale
de son nouvel État alors à Saldae
(Bejaia) qu'il a capturé aux
Romains, et où il fait accoster
les navires vandales qui ont servi
à faire traverser Gibraltar à son
peuple. Genséric fait
alors fortifier sa nouvelle capitale
avant de se lancer dans d'autres
projets d'expansion. Fort
de leur nouvelle puissance, de
leur domination des villes
côtières, et d'une complicité avec
l'intérieur du pays les Vandales
refusent cette fois ci de s'arrêter
en si bon chemin, et
s'attaquent à Carthage en 439,
siège de l'Église catholique
d'Afrique, qu'ils capturent.
Débarrassé de la présence de
l'Église romaine catholique au
Maghreb, le roi Geiséric I des
Vandales commence alors à
construire le royaume des
Vandales et des Alains.
Lançant ses attaques navales à
partir de sa capitale Bejaia,
Genséric s'engage dans la
conquête des grandes îles de la
Méditerranée occidentale. Il
capture rapidement la Sicile,
la Sardaigne, la Corse et les îles
Baléares, grâce à l'immense flotte
navale qu'il avait fait
construire quelques années plus
tôt. Rome, face à ces nouvelles
pressions militaires
Vandales, offrit un accord de
paix à Genséric en échange du
retour de la Sicile dans le giron
de l'Empire. Devenu plus
pragmatique que religieux avec
tant de nouvelles dominions,
Genséric informe en l'an 442,
Valentinien III, empereur romain
d'Occident qu'il accepte
l'offre et restitue la Sicile à
Rome.
Le répit que Genséric offre aux
Romains n'est toutefois que de
courte durée. En 455, ce
dernier se lance dans des
opérations contre l'Empire
romain occidental, et, le 2 juin,
ses
armées pénètrent à Rome. Les
Vandales repartent avec de riches
prises, dont des plusieurs
coffres d'or, des vestiges du
temple de Jérusalem, ainsi que
l'impératrice Licina Eudoxia.
Celle-ci refuse de retourner à
Rome, et épouse Genséric pour
devenir la mère du futur roi
des Vandales : Hunéric. Les deux
filles de l'impératrice, Eudocia et
Placidia, également
prises durant le sac de Rome,
sont libérées en 462 contre une
27 forte rançon payée par
l'empereur byzantin Léon I.
C'est ce pillage de Rome « ville
éternelle », qui est principalement
reproché aux Vandales
pour créer leur mauvaise
réputation, bien que ce pillage ait
été exécuté en bon ordre, sans
aucun sévice contre la
population[réf. nécessaire]. Alors
que le sac de Rome, beaucoup
plus
brutal par les Wisigoths en 410
ne fut pas retenu contre eux.
Dès leur installation en Algérie
ces cavaliers, deviennent des
marins, grâce d'abord à
l'importante flotte construite par
Geiséric qui leur permit de
traverser le détroit de
Gibraltar et de s'y installer. Les
Vandales peuvent dès lors se
permettre de multiplier les
expéditions dans toute la
Méditerranée, jusqu'en Grèce.
Mais leur pillage de Rome est un
modèle de spoliation méthodique,
sans violence gratuite. Ils
garantissent en effet le respect
de la population en échange du
prélèvement des richesses dans
chaque quartier de la ville,
privé de défense. À cet effet, ils
divisent Rome en îlots,
déménageant les trésors de
chaque
îlot en bon ordre et sans verser de
sang. Mais pour les clercs
catholiques médiévaux, Rome
est le centre du Monde. Aussi
transforment-ils pour la postérité
ce pillage en sacrilège, faisant
aux Vandales une réputation de
barbarie. D'où le terme de
vandalisme, alors que les
Vandales ne sont pas plus
barbares que les autres peuples de
cette époque rude et
guerrière. En 468, les Byzantins
envoient une énorme flotte pour
attaquer le royaume des
Vandales, mais ces derniers
réussissent à la détruire presque
entièrement et remportent
ainsi une nouvelle victoire.
Vandales en Algérie (477-
533)À la mort de Genséric Ier,
fondateur du royaume en 477 qui
régna près d'un demi-siècle sur
son peuple, les Vandales
commencent leur déclin. Son fils
Huneric qui prend la succession
exerce des pressions sur les
catholiques, particulièrement
durant les derniers mois de son
règne en 483 et 484 où il interdit
carrément la pratique du
catholicisme. Gunthamund qui
lui succède en 484 revient sur les
décisions de son prédécesseur et
autorise les Catholiques
à pratiquer librement en échange
de la traditionnelle dîme.
Toutefois son règne est marqué
par une perte d'influence pour les
Vandales, qui perdent des
territoires en Méditerranée et
qui se font attaquer par certaines
tribus berbères qui n'apprécient
plus leur présence.
Thrasamund lui succède en 496
et règne jusqu'en 523 sans
pouvoir pour autant remettre
sur pied le royaume.
Hilderic arriva au pouvoir en l'an
523, mais se désintéressait tant de
la guerre lui-même,
qu'il laissa son général Hoamer
s'en charger. Ce dernier perd une
bataille contre des tribus
de l'intérieur du pays en 530, et
cela provoque une lutte de
pouvoir au sein de la famille
royale. Gélimer s'empare alors du
pouvoir et jette le roi Hilderic et
son général Hoamer en
prison.
Trois ans plus tard, l'empereur
byzantin Justinien Ier profite du
fait que la majorité de la
flotte vandale soit en Sardaigne
occupée à réprimer une rébellion,
pour déclarer la guerre à
ces derniers. Il envoie le brillant
général Bélisaire au combat. Le
13 septembre 533, 11000
Vandales sous le commandement
de leur roi Gélimer firent face
aux 17000 hommes de
l'armée de Byzance à la bataille
de Ad Decimium. Les Vandales
perdirent la bataille et
Carthage tomba aux mains des
Byzantins. Un mois plus tard,
c'était au tour de la première
ville du Maghreb central d'être
perdue par les Vandales aux
Byzantins. Le 15 décembre 533
les Vandales et les Byzantins
s'affrontèrent de nouveau à 30
kilomètres de Carthage et les
Vandales perdirent de nouveau la
bataille. Les Byzantins
s'emparèrent alors de Hippone
(Annaba). Les Vandales ne sont
plus les mêmes. Habitués au
confort, voire au luxe, ils ont
peu à peu perdu leur qualité
guerrière, et la célèbre cavalerie
vandale, autrefois tant
redoutée, est en grande partie
détruite. Gélimer parvient à
s'enfuir tandis que les
survivants vandales, mis en
esclavage, sont en grande partie
déportés, tandis que quelques
milliers sont enrôlés de force
dans les armées de l'Empire. En
534, Gélimer, se rendit à
Belisarius, et remit le royaume à
l'Empire byzantin. Gelimer fut
envoyé à Byzance et finit
ses jours en Galatie. Ce fut la fin
du royaume des Vandales et des
Alains.
Les Vandales survivants qui
échappent à la capture
parviennent à trouver refuge dans
l'intérieur du pays, chez des
tribus berbères alliées (surtout
dans les hauteurs
constantinoises), tandis qu'une
répression terrible frappe les Juifs
dont une partie émigre
avec eux dans l'intérieur. Ces
Juifs y propagent alors leur
religion parmi les tribus
montagnardes et sahariennes
ainsi que parmi les derniers
Vandales.
A SUIVRE ... Domination
byzantine (534- 647)
28
Israël, en marche vers le fascisme ? Par Hassane Zerrouky
En janvier dernier, Gidéon Levy, éditorialiste
d’Haaretz (quotidien de gauche israélien),
caractérisait l’année 2015 comme l’annonce du
«début d’un fascisme israélien désormais dénué du
moindre faux semblant». Année au cours de laquelle
ont été recensés plus de 120 actes de violence raciste
perpétrés par des groupes d’extrême droite politico-
religieux envers les civils palestiniens. Pour le
cinéaste israélien Avi Mograbi, Israël est un Etat
«nationaliste, xénophobe et fasciste» (sur France
Culture le 17 mars dernier).
Le 4 mai dernier, le chef d’état-major adjoint de
l’armée israélienne, le général Yaïr Golan, osait la
comparaison avec l’Allemagne hitlérienne : «Une
chose m’effraie. C’est de relever les processus
nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en
général et plus particulièrement en Allemagne, il y a
70, 80 et 90 ans. Et de voir des signes de cela parmi
nous en cette année 2016.» Son propos a provoqué un
torrent d’indignation, comme si la société israélienne
était prémunie contre le fascisme parce que plusieurs
millions de juifs ont été gazés par les nazis allemands.
En 2014, dans le Haaretz daté du 10 mai, le romancier
Amos Oz alertait déjà sur des mouvements
extrémistes juifs qualifiés de «néo-nazis» qui
«bénéficient d’un soutien de nombre de nationalistes
et même de législateurs racistes, ainsi que de rabbins
qui leur fournissent, de mon point de vue, une
justification pseudo-religieuse». Un mois après, sur le
site de l'Union juive française pour la paix (UJFP), le
militant pacifiste franco-israélien Michel
Warschawski relevait qu’«Israël 2014 n’est plus
seulement un Etat colonial qui occupe et réprime les
Palestiniens, mais aussi un Etat fasciste, avec un
ennemi intérieur contre lequel il y a de la haine ».
Depuis, les choses sont allées en s’aggravant car ces
dérives, qui inquiètent des intellectuels israéliens et
une bonne partie de la société civile israélienne, ne
sont pas des actes isolés, 11 000 attaques contre des
Palestiniens ayant été recensées entre 2004 et 2014.
C’est, ajoutait Warschawski, «le résultat d’une
fascisation du discours politique et des actes qu’il
engendre».
Un discours rarement évoqué, sinon minimisé, en
France et en Europe sous prétexte de ne pas alimenter
l’antisémitisme, alors que par ailleurs le moindre
propos jugé antisémite tenu par un leader palestinien
est vite médiatisé. Elles sont également encouragées
par le fait que 85% des plaintes palestiniennes contre
les actes de violence raciste sont classées sans suite
par la justice israélienne (dixit l’ONG israélienne de
défense des droits de l’Homme, Yesh Din, citée par la
RTBF (Radiotélévision belge). Ces violences sont le
fait de groupes organisés identifiés – «les jeunes des
collines», «le prix à payer», «la Ligue de défense
juive» de Meir Kahane qui avait projeté de faire
exploser l’esplanade des mosquées de Jérusalem, et de
supporters du club de football du Beitar de Jérusalem,
affirmant la «suprématie juive» !
Plus grave, ces propos racistes sont tenus au plus haut
niveau du pouvoir israélien. A commencer par le vice-
ministre de la Défense, le rabbin Eli Ben-Dahan, pour
qui «les Palestiniens sont des animaux. Ils ne sont pas
humains, ils ne sont pas autorisés à vivre» (Le Haaretz
du 10 mai 2015). Ou par la ministre de la Justice,
Ayelet Shaked, qui écrivait le 30 juin 2014 sur sa
page Facebook : «Derrière chaque terroriste, il y a des
dizaines d’hommes et de femmes sans lesquels aucun
acte terroriste ne peut se faire (…) Elles devraient
disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles
ont élevé les serpents. Sans quoi d'autres petits
serpents y seront élevés à leur tour», avant d’ajouter à
l’intention des soldats israéliens : «leur sang (celui des
civils palestiniens) ne doit pas être sur votre
conscience» ( Mediapart du 15 mai 2015).
Propos en droite ligne de ceux tenus par le passé :
«Les Palestiniens devraient être écrasés comme des
sauterelles... leurs têtes fracassées contre des rochers
et des murs», déclarait en 1988 l’ex-Premier ministre
israélien Yitzhak Shamir (New York Times 1er avril
1988). Vingt ans auparavant, en 1948, le chef de la
diplomatie israélienne Moshe Sharett, s’exprimant sur
ces centaines de milliers de Palestiniens chassés de
leurs villages, affirmait que «la majorité» d’entre eux
«deviendra un rebut du genre humain et se fondra
dans les couches les plus pauvres du monde arabe»
(l’Humanité du 14 mai 2008).
Un «rebut du genre humain» ? Quoi d’étonnant dès
lors que des enfants palestiniens soient tués chaque
jour qui passe ou que le soldat franco-israélien, Elor
Azaria, qui comparait en prévenu libre depuis lundi
devant un tribunal de Jaffa pour avoir achevé le 24
mars dernier d’une balle dans la tête un jeune
Palestinien soit salué comme un héros par une bonne
partie de la société israélienne.
H. Z.
29 L'antisémitisme, arme d'intimidation massive L'antisionisme a beau se définir comme un refus raisonné du sionisme, l'admettre comme tel serait encore faire un
compromis avec l’inacceptable. Empreint d’une causalité diabolique, l’antisionisme est moralement disqualifié, mis
hors jeu en vertu de l’anathème qui le frappe.
Dans un monde où le
ressassement médiatique tient
lieu de preuve irréfutable,
certains mots sont des mots-
valises, des signifiants
interchangeables dont l’usage
codifié à l’avance est propice à
toutes les manipulations. De
perpétuels glissements de sens
autorisant le passage insidieux
d’un terme à l’autre, rien ne
s’oppose à l’inversion maligne
par laquelle le bourreau se fait
victime, la victime se fait
bourreau, et l'antisionisme
devient un antisémitisme, comme
l'a affirmé Manuel Valls, premier
chef de gouvernement français à
avoir proféré une telle insulte. Au
moment où « l’intifada des
couteaux », en outre, est
renvoyée par certains à la haine
ancestrale pour les juifs, il n'est
pas inutile de se demander
pourquoi cette assimilation
classique et néanmoins
frauduleuse occupe une fonction
essentielle dans le discours
dominant.
Depuis soixante-dix ans, tout se
passe comme si l’invisible
remords de l’holocauste
garantissait à l’entreprise sioniste
une impunité absolue. Avec la
création de l’Etat hébreu,
l’Europe se délivrait
miraculeusement de ses démons
séculaires. Elle s’octroyait un
exutoire au sentiment de
culpabilité qui la rongeait
secrètement pour ses turpitudes
antisémites. Portant sur ses
épaules la responsabilité du
massacre des juifs, elle cherchait
le moyen de se débarrasser à tout
prix de ce fardeau.
L'aboutissement du projet
sioniste lui offrit cette chance.
En applaudissant à la création de
l’État juif, l'Europe se lavait de
ses fautes. Simultanément, elle
offrait au sionisme l'opportunité
d’achever la conquête de la
Palestine.Ce rachat par
procuration de la conscience
européenne, Israël s’y prêta
doublement. Il reporta d'abord sa
violence vengeresse sur un
peuple innocent de ses
souffrances, puis il offrit à
l’Occident les avantages d'une
alliance dont il fut payé en retour.
L’un et l’autre liaient ainsi leur
destin par un pacte néo-colonial.
Le triomphe de l’Etat hébreu
soulageait la conscience
européenne, tout en lui procurant
le spectacle narcissique d’une
victoire sur les barbares. Unis
pour le meilleur et pour le pire,
ils s’accordaient mutuellement
l’absolution sur le dos du monde
arabe en lui transférant le poids
30 des persécutions antisémites. En
vertu d’une convention tacite,
Israël pardonnait à l’Europe sa
passivité face au génocide, et
l'Europe lui laissait les mains
libres en Palestine.
Son statut exceptionnel, Israël le
doit à ce transfert de dette par
lequel l'Occident s'est défaussé de
ses responsabilités sur un tiers.
Parce qu'il fut l'antidote au mal
absolu, qu'il plongeait ses racines
dans l'enfer des crimes nazis,
Israël ne pouvait être que
l'incarnation du bien. Mieux
encore qu'une sacralité biblique
aux références douteuses, c'est
cette sacralité historique qui
justifie l'immunité d'Israël dans la
conscience européenne. En y
adhérant implicitement, les
puissances occidentales
l'inscrivent dans l'ordre
international. Le résultat est
indéniable : avalisée par les
maîtres du monde, la profession
de foi sioniste devient loi d'airain
planétaire.
L’invocation du sacré
démonisant toujours son
contraire, cette sacralité d'Israël
ôte alors toute légitimité aux
oppositions qu’il suscite.
Toujours suspecte, la réprobation
d'Israël frôle la profanation.
Contester l’entreprise sioniste est
le blasphème par excellence, car
c'est porter atteinte à ce qui est
inviolable pour la conscience
européenne. C'est pourquoi le
déni de légitimité morale opposé
à l’antisionisme repose sur un
postulat simplissime dont
l’efficacité ne faiblit pas avec
l’usage : l’antisionisme est un
antisémitisme. Combattre Israël,
ce serait, par essence, haïr les
juifs, être animé du désir de
rejouer la Shoah, rêver les yeux
ouverts de réitérer l’holocauste.
L'antisionisme a beau se définir
comme un refus raisonné du
sionisme, l'admettre comme tel
serait encore faire un compromis
avec l’inacceptable. Empreint
d’une causalité diabolique,
l’antisionisme est moralement
disqualifié, mis hors jeu en vertu
de l’anathème qui le frappe. On a
beau rappeler que la Palestine
n'est pas la propriété d'une ethnie
ou d'une confession, que la
résistance palestinienne n'a
aucune connotation raciale, que
le refus du sionisme est fondé sur
le droit des peuples à
l'autodétermination, ces
arguments rationnels n'ont
aucune chance d'être entendus.
L'antisionisme s'inscrit depuis un
siècle dans le champ politique,
mais il se voit constamment
opposer une forme d'irrationalité
qui n'a décidément rien de
politique.
L'assimilation frauduleuse de
l'antisémitisme et de
l'antisionisme, il est vrai, procure
deux avantages symboliques. Le
premier est à usage interne. Cette
assimilation limite drastiquement
la liberté d’expression, elle
tétanise toute pensée non
conforme en l’inhibant à la
source. Elle génère une
autocensure qui, sur fond de
culpabilité inconsciente, impose
par intimidation, ou suggère par
prudence, un mutisme de bon aloi
sur les exactions israéliennes.
Mais cette assimilation
mensongère est aussi à usage
externe. Elle vise alors à
disqualifier l’opposition politique
et militaire à l’occupation
sioniste. Cible privilégiée de cet
amalgame, la résistance arabe se
voit renvoyée à la haine supposée
ancestrale qu'éprouveraient les
musulmans pour les juifs.
Ce qui anime les combattants
arabes relèverait d'une répulsion
instinctive pour une race maudite,
et non d'une aspiration légitime à
la fin de l’occupation étrangère.
La chaîne des assimilations
abusives, en dernière instance,
conduit à l’argument éculé qui
constitue l’ultime ressort de la
doxa : la "reductio ad hitlerum",
la souillure morale par
nazification symbolique, dernier
degré d’une calomnie dont il
reste toujours quelque chose.
Terroriste parce qu’antisioniste,
antisioniste parce qu’antisémite,
la résistance arabe cumulerait
donc les infamies.
Les attaques au couteau ne
seraient pas l'effet explosif d'une
humiliation collective, dit-on,
mais le fruit de la haine
inextinguible pour les juifs. Seule
force qui ne cède pas devant les
exigences de l'occupant, la
résistance, pour prix de son
courage, subira alors le tir croisé
des accusations occidentales et
des brutalités sionistes. Et comme
si la supériorité militaire de
l'occupant ne suffisait pas, il faut
encore qu'il se targue d'une
supériorité morale dont ses
crimes coloniaux, pourtant,
attestent l'inanité.
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