Département des sciences politiques, économiques et sociales
DEA : Développement, Population et Environnement
Les causes de développement du secteur informel au Maroc
Nom : Id Brahim Mohamed
e-mail : [email protected]
Depuis quelques décennies, le contexte économique international est
fondamentalement dominé par des facteurs de crise, ce qui nécessite un mouvement de
restructuration. Ces facteurs ne sont pas l'exclusivité des économies du Sud qui ont
perdu le défi de la modernisation. Ils touchent tout aussi profondément les économies
de l'Est que les économies occidentales. Ils s'accompagnent pour certains de
programmes et pour la plupart d'un désengagement croissant de l'Etat.
Ce contexte a amené les différents acteurs à réfléchir en faveur d'une remise en
question des attitudes dominantes. La crise a bousculé les acquis et a obligé les sociétés à
réfléchir sur de nouvelles ressources jusqu'ici enfouies. La solution proposée - souvent par
les acteurs dominants - est de solliciter le secteur informel. En effet, l’absorption du
secteur informel par l’économie de marché peut apporter une sorte d’énergie au secteur
formel en crise. Cependant, on peut contribuer l’extension des activités informelles à
l’échec des politiques de développement et aux crises du régime d’accumulation.
Le Maroc, qui suit le même modèle “ dominant ” de développement ne fait pas
l’exception. En effet la grande partie de la population travaille et vie en dehors de tout
cadre formel ou légal. Elle travaille dans ce qu’on appelle le secteur informel.
Comme dans la plupart des pays de sud, le marché du travail au Maroc est déséquilibré.
D’une part, l’offre de main d’œuvre excède largement la demande de travail. Ce ci est lié à
plusieurs facteurs. On peut citer, par exemple, le phénomène démographique qui a connu
depuis l’indépendance une évolution croissante et considérable. On trouve, aussi, l’échec
de la politique rurale qui a contribué, quant à elle, à accentuer le phénomène de l’exode
rural et à augmenter plus le nombre des habitants des villes. D’autre part, on assiste à une
demande de travail, limité, une fois, par une stratégie de modernisation incapable
d’engendrer suffisamment d’emplois salariés, et une autre fois, par, des politiques macro-
économiques influencées par un programme d’ajustement structurelles et par un retrait
progressif du rôle de l’état.
Dans ce contexte de crise, le secteur informel apparaît comme un pourvoyeur
d'emplois urbains permettant d'assurer la subsistance aux groupes familiaux en ville. Ces
activités sont présentes dans la quasi-totalité des secteurs de production des biens et des
services destinés souvent à la consommation finale.
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Le secteur informel est souvent considéré comme un secteur résiduel et transitoire,
devant être absorbé par le développement du secteur formel. Les politiques menées à
son égard insistent à intervenir avec une large politique de promotion et avec une
déréglementation progressive qui permettra par la suite, à réduire les coûts de formalité.
Cette vision - de La Banque Mondiale- est la pensée dominante. Elle, est soutenue par
plusieurs auteurs tel qu’; Hernando De Soto. En général, ce sont les genres de politiques
qui sont suivies au Maroc et dans plusieurs pays de tiers-monde.
L’objectif de ce travail, est de mettre un peu de lumière sur les politiques marocaines
de développement depuis, l’époque coloniale jusqu’au lendemain des programmes
d’ajustements structurels et de l’ouverture économique du pays.
Le Maroc, comme plusieurs pays de tiers monde, a adopté depuis, la colonisation, des
politiques de modernisations (passage d’une société traditionnelle à une autre société
moderne) basées sur une monétarisation de l’économie, le souci de l’accumulation
( tant qu’elle, peut permettre la transition vers la modernité et l’industrie), et l’ouverture
économique.
Aujourd’hui, et après environs un demi-siècle de son indépendance, le Maroc n’a
pas encore accueilli les fruits de ses politiques de développement, au contraire, le
Maroc vit une période difficile caractérisée par: une dépendance économique vis -à- vis
de l’étranger, une lourde dette externe qui épuise les ressources du pays, un faible tissu
économique incapable de répondre aux besoins de la société, un an alphabétisation qui
touche plus que la moitié de la population, un taux de chômage élevé qui frappe une
large tranche de la population urbaine et rurale et, en fin par, une pauvreté et une
exclusion sociale de masse. Toutes, sont des crises résultantes non seulement de
l’application des programmes d’ajustement structurelles mais aussi de l’échec du
modèle du développement. Les différentes couches sociales de la société ne sont pas
affectées de la même manière par les crises. Sauf les plus vulnérables subissent plus le
choc. Cependant ces derniers ont leurs propres stratégies de survie.
Cette étude, va être inscrit dans une langue durée car, pendant, toute cette période
de perturbation économique et de crises, le secteur informel évolue constamment et
s’adapte par rapport à la conjoncture économique, aux politiques de modernisation
adoptées par les gouvernements, aux politiques réglementaires, aux restructurations,
aux PAS, et récemment à la libéralisation des échanges internationaux.
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Par conséquent, il est nécessaire de faire le point sur les effets de ces changements sur le
secteur informel dans le but de mieux comprendre son potentiel, ses problèmes et
contraintes.
La Démarche.
Depuis le début des années 1970 les réflexions sur l'informel se sont développées. Des
le départ, le secteur informel était perçu comme un vaste ensemble hétérogène qui
regroupait des catégories d'activités et d'acteurs fondamentalement différents (entre les
petits commerçant, les petits artisans et les petits producteurs de toute sorte de bien et
de service et, ses acteurs appartiennent aux différentes couches sociales de la société).
Ces différents genres étaient abordés derrière un même regard souvent négatif:
concurrent déloyal, marginalité, faible rentabilité, assimilé à du chômage déguisé. Le
secteur informel était alors perçu comme séparé du reste de l'économie. L'intérêt que la
plupart des pays on lui a porté était d'ordre socio-politique: lutte contre le chômage à
moindre coût d'investissement, amortisseur de crise par redistribution de revenus.
La fin des années 80 a vu apparaître, au niveau de plusieurs pays, parmi eux se
trouve le Maroc, un changement d'attitude qui a permis le développement de politiques
d'intervention auprès du secteur informel.
La terminologie elle-même s'est modifiée, préférant le terme d'"entreprises
informelles" ou de "micro-entreprises" au concept de secteur informel. Sous-entendu,
on comprend à partir de la terminologie “ micro-entreprise ” la possibilité de
transformer les petites unités de productions en petites, moyens ou pour quoi pas, en
grandes entreprises.
Cette vision des choses vis-à-vis du secteur informel semble la plus dominante :
Convertir les petites productions et toutes les autres activités du ce secteur informel en
secteur formel. Cette constatation n’a pas comme, souci de donner plus d’élan au
secteur informel mais, seulement à le faire pénétrer dans la logique du capitalisme et de
l’accumulation.
La question qui se pose à ce niveau, est, de savoir, s’il existe autres conceptions et
autres points de vue sur le secteur informel ?
La réponse à cette question, sera, en résumé, l’objet de la première partie de ce
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travail. En effet, considérant le secteur informel comme un système économique
possédant une logique et une dynamique propres, et pouvant offrir une alternative à la
crise croissante de l'économie formelle. Les Institutions internationales comme la BM et
le FMI ont adopté une approche fondée sur la logique productive du secteur informel.
Le rôle du secteur informel est, sa capacité d’absorber la crise du secteur formel par la
création d’emploi et la répartition des revenus. Il n’est considéré que comme un moyen
de subsistance temporaire et transitoire.
Pour le BIT, le secteur informel est un générateur d’emploi, ce qui est bien, mais il
doit être restructuré par des règles formelles et par la mise en place d’une législation
rigoureuse de travail et de contrôle interdisant le travail des enfants (les apprentis) et
l’exploitation des ouvriers. Le BIT est pour une politique qui va dans le même sens que
les bailleurs de fonds, sauf, il préconise de faciliter plus l’accès aux ressources pour le
secteur informel.
Les auteurs marxistes, quant à eux, ont adopté une approche comparable à celle
des libéraux, dans laquelle le secteur informel est considéré comme un secteur résiduel,
perçu comme un secteur exploité par le capital périphérique à travers la fourniture de
biens et de main- d'œuvre bon marché. Dans cette approche, le problème ne se situe pas
au niveau du secteur informel mais dans le modèle de développement dominant à savoir
le capitalisme.
Pour l’état, la vision qui se fait du secteur informel est différente. Le secteur
informel échappe au contrôle de l’état. Les acteurs ou la population du secteur
informel sont considérés comme, des concurrents du secteur formel et constituent un
danger, menaçant la stabilité économique et politique du pays. Donc une intervention
étatique est indispensable pour maîtriser ce secteur et ces acteurs. La meilleure solution,
est de les soumettre par les impôts. Cependant, l’état doit respecter les impératifs des
bailleurs de fonds et du BIT, elle ne peut intervenir que dans des cadres précis. Au
Maroc, l’intervention s’applique à deux niveaux. La première est une politique d’en
haut qui consiste à promouvoir et assister les unités les plus performantes du secteur
informel, par l’octroi des crédits et de l’aide technique et de suivi. La deuxième est une
politique d’en bas qui, intervient dans le but de lutter contre la pauvreté, d’encourager
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l’éducation des femmes et des enfants sans oublier les politiques de promotions mise
en œuvre en faveur du monde rurale.
La Deuxième partie de ce travail est répartie en quatre chapitres. Le premier
chapitre sera consacré à l’analyse de l'évolution du contexte macro-économique au cours
de ces dernières décennies. Cette analyse nous permet par la suite, de mieux appréhender,
dans un deuxième chapitre, le rôle et contributions du secteur informel dans cette
évolution (contributions à l'emploi, au PIB, aux revenus, à la satisfaction des besoins
essentiels, etc.).
Mieux comprendre ce rôle et l'étendue des contributions du secteur à l'économie
nationale devrait, normalement, induire les décideurs politiques à mettre au point les
mesures favorables au développement durable de ce secteur et non seulement à penser à
son intégration graduelle dans le secteur formel.
Le troisième chapitre de ce travail, passe en revue les politiques globales et
sectorielles au cours des dernières années, et analyse leurs effets sur le secteur informel:
problèmes et contraintes découlant de celles-ci, les effets sur la compétitivité du secteur
et sur sa croissance, etc.. En effet les résultats de l’ensemble de ses politiques avaient
des conséquences négatives sur le secteur informel. D’une part il s’étouffe par les
nouveaux arrivés: chaque jour le secteur informel reçoit de nouveaux migrants ruraux,
victimes de l’échec des politiques de développement et reçoit en même temps les
fonctionnaires licenciés et les employés du secteur moderne privé. Ce secteur leur
permet de vivre ou de gagner un revenu supplémentaire. De l’autre coté sa croissance se
limite à cause des politiques d’interventions étatiques défavorables à son propre
développement. Ces interventions peuvent être d’ordre fiscal, monétaire, réglementaire
ainsi que certaines mesures institutionnelles. Les barrières souvent mises devant ce
secteur seraient plutôt le résultat d'un manque de consultations avec les représentants
du secteur qui auraient pu attirer l'attention des décideurs politiques sur les effets
pervers de certaines politiques.
Le quatrième chapitre sera en général consacré aux politiques étatiques
entreprises à l’égard du secteur informel. Les objectives de ces interventions, leurs
handicapes et leurs atouts nous permettront de comprendre l’enjeu du secteur informel
marocain dans l’avenir. A la fin, on peut se demander si les acteurs populaires ont pu
s’adapter avec ces nouvelles situations d’interventions ( adaptation, résistance ou
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intégration ?).
Afin d’expliquer les disparités dans les économies sous développées, la théorie
économique a pendant longtemps privilégié l’approche dualiste. Celle-ci se penche sur le
clivage des économies sous développées en mettant l’accent sur les différences
structurelles existant entre deux secteurs: le secteur traditionnel et le secteur moderne.
Il suffit d’accumuler le capital dans le secteur moderne de l’économie pour assurer
la croissance économique et, partant, garantir le développement. Cependant, les stratégies
de développement adoptées par la plupart des pays du tiers monde, et dont les
soubassements théoriques sont sous-jacents aux modèles théoriques dualistes, se sont
soldées par des échecs: accentuation de l’exode rural, stagnation économique et de
l’emploi, aggravation des disparités sociales et spatiales entre monde rural et urbain, etc,...
Ces problèmes ont permis néanmoins de lever le voile sur des activités qui étaient depuis
longtemps ignorées.
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Chapitre 1 : Le secteur informel : différentes approches
1.1. L’origine du secteur informel
La création du concept de “ secteur informel ” ou secteur non structuré ” dans les
pays du tiers-monde a répondu, dans l’évolution des théories économiques de
développement, à un besoin réel d’appréhension d’un phénomène socio- économique trop
visible pour rester plus longtemps ignoré. Il désigne la partie de l’activité économique
délaissée par la science économique qui ne s’intéressait qu’aux richesses visibles, excluant
de son champ d’analyse toute forme de production et d’échange non conforme au rapport
salarial ou marchand.
Dans les PSD, les activités informelles recouvrent des activités multiples:
activités à petite échelle ou de survie pour les couches urbaines pauvres ou récemment
urbanisées et activités de haut de gamme et artisanales qui participent même parfois à
l’exportation. Leur développement s’explique par l’explosion urbaine et démographique
accélérée, le chômage et la faible prise en charge par le secteur moderne de l’excédent de
main d’œuvre. Le tout débouche sur la prolifération des activités informelles hors du cadre
formel. Leur signification tient donc autant à leur articulation au secteur moderne ou
capitaliste qu’à leur enracinement historique dans les sphères non marchandes, rurales et
les structures sociales.
1.1.1. Définition du secteur informel
Utilisé par des anthropologues au début des années 60, le terme “ informel ” a été
repris par K.Hart en 1971 à la suite d’une étude sur le Ghana. Dès 1972, la mission globale
de stratégie de l’emploi au Kenya conduite par le BIT dans le cadre du Programme
Mondial de l’Emploi en Afrique mettait au point le concept de secteur non structuré (ou
secteur informel) tel qu’il est utilisé aujourd’hui.
Le rapport du BIT au Kenya définit l’informalité économique “ comme une façon
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de faire les choses, avec les caractéristiques suivantes :
1) Facilité d’entrée;
2) Recours aux ressources locales;
3) Propriété familiale des ressources;
4) Activités à petite échelle;
5) Technologies adaptées et à forte intensité de main-d’œuvre;
6) Qualifications acquises en dehors du système scolaire officiel;
7) Marché de concurrence sans réglementation. (Lubel, 1991, p. 5).
Selon le même rapport, les activités de ce secteur sont mal protégées de la
concurrence et ne bénéficient pas des mêmes avantages que le secteur moderne à savoir
l’accès aux crédits et aux techniques avancées et qu’il est possible, par des mesures
adéquates, d’améliorer les perspectives d’emploi et de revenu de ceux qui tirent leur
subsistance des activités du secteur non structuré.
Toutefois, les activités non structurées étaient toujours considérées par définition
comme peu productives, et négligeables sur le plan de la production, sinon sur la
redistribution des revenus. Ce n’est que récemment que l’on commence à en prendre
conscience.
1.2. La place du secteur informel dans la pensée libérale
1.2.1. La dominance des théories libérales dans la formulation des politiques de
développement
Depuis longtemps, la pensée libérale est dominante dans les formulations des
politiques de développement. Son origine remonte à la “ théorie de l’avantage
comparatif ” de David Ricardo selon laquelle chaque nation vend aux autres les biens pour
lesquels les coûts relatifs nationaux sont plus faibles qu’à l’étranger et, achète aux autres
les biens pour lesquels les coûts relatifs nationaux sont plus élevés qu’à l’étranger.
Adoptée, par la suite, par tous les pays qui participent au commerce international,
cette théorie exige la libre entreprise et un bon fonctionnement des marchés (marché du
capital et du travail notamment.). Sans cette exigence, la croissance économique ne peut se
réaliser. Celle-ci, dans cette optique, suit des lois universelles qui permettront
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progressivement la disparition du sous développement par le jeu des forces du marché, et
le cas échéant, l’action de l’Etat. Donc, les marchés doivent être prêts pour accueillir la
croissance et bénéficier au maximum du commerce international. A l’époque, le concept
de “ secteur informel ” n’existait pas, on parlait seulement de pays traditionnels ou de
sociétés traditionnelles, car la colonisation n’avait pas encore implanté au sein des pays
sous développés des secteurs modernes ou des secteurs formels. C’est par la suite que va
apparaître le concept de secteur traditionnel avec la théorie dualiste qui l’oppose au secteur
moderne.
1.2.2. La marginalisation du non marchand
Le libre échange et le libre fonctionnement des marchés fondés sur des rapports
marchands n’ont pu intervenir dans l’ensemble des activités économiques des pays sous
développés. Ainsi, ils n’ont touché que les activités qui sont intégrées dans le secteur
moderne et dans la division internationale du travail (DIT). Dans cette optique, les petites
activités urbaines et l’artisanat ne sont pas concernés car ils n’ont pas suivi les mêmes
transformations et les mêmes tendances qu’ont connu les autres secteurs dits modernes.
Au cours de ces dernières décennies, on remarque un intérêt accru pour les
marchés des petites productions artisanales et les petites activités urbaines. Elles désignent
uniquement un secteur qualifié de ‘traditionnel’ qui permet l’absorption de la main
d’œuvre mais qui ne contribue pas à la croissance économique. Donc, il doit se
transformer à son tour, pour répondre aux exigences de la croissance économique et lui
introduire les mêmes fonctionnements que ceux du secteur moderne qui sont basés sur des
rapports marchands, la concurrence, la productivité et l’accumulation.
Concrètement, les grandes lignes de la pensée libérale sont basées sur la croissance
économique, la concurrence, le libre fonctionnement du marché et l’insertion dans
l’économie mondiale. Ces thèmes se répètent de près ou de loin dans toutes les formules
concernant le développement.
1.2.3. L’échec des théories dualistes et le secteur informel
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Le modèle dualiste de Lewis des années cinquante, a permis la distinction de deux
secteurs: le secteur capitaliste moderne et le secteur traditionnel agricole. Sur le plan
économique, c’est la seule théorie dont on disposait jusqu’à une époque récente pour
expliquer les disparités perçues dans les économies en développement. L’échec de ces
théories a fait émerger l’importance du secteur informel.
1.2.3.1. Les thèses dualistes
La vision dualiste a décomposé l’espace sous-développé en un secteur moderne et
un secteur traditionnel, ce dernier jouant un simple rôle de fournisseur de main d’œuvre.
La définition négative qui en est donnée s’appuie sur des critères en référence et en
opposition au secteur moderne.
Le secteur traditionnel recouvre essentiellement l’agriculture de subsistance qui
n’utilise pas de capital et sa productivité est nulle ou presque nulle, tandis que le secteur
moderne urbain est capitalistique, sa productivité par travailleur est élevée. (Zantman,
1990, p. 47).
La coexistence de deux secteurs, dans les économies sous-développées, est vue de
cette manière: un secteur dynamique obéissant à la logique du capital, disposant de ses
attributs et un secteur traditionnel rétrograde présentant les caractéristiques inverses.
L’absorption de la main d’œuvre venant du secteur traditionnel (ST) par le secteur
moderne (SM) serait la condition du développement. La migration campagne-ville est
expliquée par le processus de l’accumulation du capital qui permet l’absorption de la main
d’œuvre. Dans cette optique, chaque secteur apparaît comme ayant une logique autonome
et ne peut se situer que dans des rapports d’extériorité.
L’échec des thèses dualistes et des politiques de modernisation qui les ont
accompagnées, la montée du chômage, le renforcement des déséquilibres sociaux dans les
sphères urbaines et entre régions urbaines et rurales ont suscité une reconsidération du
problème.
1.2.3.2. le secteur informel entre le SM et le ST : problème de classification
La théorie dualiste n’a pas pris en considération l’existence d’un secteur qui peut se
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situer entre les secteurs moderne et traditionnel ou coexister dans les deux à la fois. Le
secteur agricole, dans les pays du tiers monde, est composé de l’agriculture de subsistance
et de l’agriculture commercialisée; ces deux types d’activités peuvent utiliser un
équipement d’origine à la fois traditionnelle et industrielle. De même, le secteur artisanal
qui peut se présenter dans les deux secteurs est négligé. Cette ambiguïté s’est manifestée
encore plus dans la position que méritent ces activités. Les choix étaient soit de les
absorber dans le secteur moderne soit de les considérer et les classer parmi les activités
traditionnelles. (G.Nihan, 1980, p. 262).
Pour spécifier ces activités qui ne relèvent manifestement ni du secteur moderne ni
du secteur traditionnel, les chercheurs leur ont donné des appellations différentes qui
soulignent qu’elles constituent un phénomène à part.
D’une manière générale, l’apparition de ce concept et de cette problématique est à
rattacher à l’échec en matière d’emploi constaté essentiellement en Afrique à la fin des
années 70 (décennie du développement). Les organismes internationaux proposent aux
pays du tiers monde une autre stratégie de développement consistant à reconnaître et à
promouvoir certaines activités ou pratiques économiques fortement répandues dans les
villes en vue de les classer dans le secteur moderne. Progressivement, les théories de
l’exode rural de Todaro prennent le pas sur le discours dualiste.
1.2.6. l’exode rural et le secteur informel
M.Todaro a proposé un modèle fondé sur l’hypothèse de rationalité économique
des comportements (A.Zantman, 1990, p. 51). Selon celui-ci, les travailleurs choisissent
de rester en milieu rural ou d’émigrer en ville, selon les coûts et les avantages qu’ils tirent
de chacune des situations respectives. Une différence importante entre rémunération rurale
et urbaine entraîne une décision d’émigrer, même si la probabilité d’obtenir un emploi est
limitée.
Dans les PSD, l’emploi dans le secteur moderne se trouve saturé dans la plupart
des cas. Les migrants, dans cette approche, plutôt que de rester dans les milieux ruraux,
choisissent le secteur informel qui apparaît comme un pourvoyeur d’emplois urbains
permettant d’assurer la subsistance du groupe familial en ville ou parfois en campagne. Le
secteur informel est donc perçu, face à la capacité d’offre d’emplois limitée du secteur
formel, comme un secteur qui fourni ses propres emplois et revenus.
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1.3. Les limites de ces approches
Pour créer un modèle de développement inspiré de la théorie de l’exode rural de
Todero, le développement du monde rural dans tous ses composants est une question
primordiale, sinon l’afflux des migrants vers les villes sera un processus sans fin: le
développement du secteur moderne au détriment du secteur vivrier qui occupe un grand
nombre de paysans ne peut qu’aggraver la marginalisation et l’exode rural. De nombreux
économistes et anthropologues réfutent le “ libre choix d’émigrer ”; des enquêtes
démontrent en effet que la modernisation des campagnes, corrélative à celle de l’industrie
urbaine, se traduit par l’expulsion d’une partie de la population rurale: c’est par exemple le
cas du Brésil où, en l’absence d’une réforme agraire, la diffusion d’un capitalisme agro-
alimentaire améliore l’exploitation des grands domaines (en terme de productivité) avec
l’abandon de l’agriculture vivrière, la reprise des “ lopins de terre” concédés à la main
d’œuvre au titre d’un complément de rémunération, et en dernier ressort l’émigration de
celle-là. (A.Zantman, 1990, p. 52).
De plus, les populations venues de la campagne par un choix d’émigrer ne sont
pas absorbées par le secteur moderne. Au contraire, elles travaillent dans le SI où le niveau
des salaires est le plus bas. En fait, la crise dans le tiers-monde est tellement profonde
qu’elle ne permet pas aux marginalisés de faire le choix entre émigrer ou rester sur place.
A partir des années 70, le SI a évolué car on a constaté que loin de disparaître, le SI
s’était renforcé dans le tiers monde, face à la crise et aux défaillances de l’état dans la
gestion du SI. Dès lors, on postule l’existence d’un troisième secteur s’interposant entre le
secteur moderne et le secteur traditionnel et qui, contrairement à l’approche précédente,
jouerait un rôle dynamique. Les analyses des organisations internationales, celles du BIT
essentiellement, considèrent que loin d’être source d’investissement, les inégalités de
revenus limiteraient la demande. «Les nouveaux modèles de croissance ont pris comme
hypothèse que les inégalités de revenus n’étaient pas un facteur de dégagement d’épargne,
mais au contraire limitaient la demande effective. La question posée au niveau de l’emploi
concerne alors le revenu et non seulement le temps de travail tandis que le problème
économique s’est déplacé de la production vers la demande » (Hugon, 1980, p. 237).
Dans un contexte dominé par le discours de la lutte contre la pauvreté et les
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inégalités des revenus existants entre les travailleurs du secteur formel et informel, la
priorité est dirigée vers les questions d’emploi. Le secteur informel est donc considéré
comme une source potentielle de croissance économique et d’emploi, le chômage dans
cette optique, renvoie non à un surplus de main-d’œuvre, mais à des activités
insuffisamment rémunérées. (Hugon, 1980, p. 238).
Composé d’une multitude d’activités qui s’interposent entre le secteur capitaliste et
l’espace non marchand, le secteur informel serait un amortisseur de l’exode rural et
disposerait de potentialités en termes d’accroissement de la production et de création de
revenus. Pourtant, la conception dominante, du moins jusqu’au milieu de la décennie
1980, est celle de la nécessité de sa résorption.
1.4. Les organisations internationales et le secteur informel
Le BIT et la Banque Mondiale ont d’abord insisté sur les éléments de politique
macro-économique qui favorisent directement ou indirectement les grandes entreprises
avec leurs effets discriminatoires à l’égard des petites unités. Si dans l’époque des
politiques d’import substitution (des années 1960-1970) l’industrie s’est réalisée au
détriment du monde rural et des petits artisanats (l’industrie a concurrencé les productions
artisanales locales au sein de ses propres marchés, et a été en partie financée par un surplus
prélevé sur le monde rural ce qui a exercé des effets de régression de celui-ci) sous l’ère
des PAS, la déréglementation et la libéralisation de l’économie ne font qu’aggraver la
situation: plus de chômage, de pauvreté et de précarité sociale. Le SI devait supporter en
grande partie les conséquences de ces politiques.
Au milieu des années 80, une nouvelle conception du SI est développée par les
organismes internationaux: la fonction de ce dernier ne se limite plus à la satisfaction des
besoins essentiels, mais s’étendrait à la formation qu’il dispose, à son apport
technologique, aux revenus qu’il génère et à ses effets d’entraînement sur le reste de
l’économie.
Les recommandations qui en découlent montrent que, pour certains, il faut laisser
jouer les lois du marché, du fait que les désavantages au SI seraient internes aux petites
activités. Pour d’autres, l’Etat devrait activer la promotion du SI par une action d’aide:
l’accès aux institutions de crédit, à la technologie, aux facteurs de production, aux marchés
et à de meilleures compétences. Il faut faciliter l’émergence d’un secteur intermédiaire qui
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jouerait un rôle d’absorption des travailleurs et satisferait les besoins essentiels. Ce rôle est
désormais assigné aux autorités publiques qui appliquent sur le terrain les réflexions des
institutions internationales et des bailleurs de fonds.
1.5. Le rôle de l’Etat et la formalité du secteur informel
Dans le courant libéral, la théorie de Keynes qui préconise l’intervention de l’état
dans les domaines économiques afin de corriger les imperfections du marché, a permis aux
gouvernements plus de liberté d’action. L’initiative publique a favorisé une accélération
rapide dans le processus de modernisation et de rationalisation des structures économiques
des jeunes nations. Cependant, l’échec des politiques de développement basées sur
l’industrie de grandes unités à la fin des années 70 et pendant les années 80, a obligé les
Etats de céder leurs rôles progressivement au secteur privé et à mettre l’accent sur le
développement et la modernisation des petites unités de production, en imitant ainsi,
l’exemple coréen qui s’est inspiré à son tour du processus de développement de l’Europe
de XVII° siècle: il consiste en passage de petites unités de production aux unités de
production plus grandes.
1.5.1. La dominance de l’approche libérale dans l’action de l’Etat
Inspiré de la vision néo-libérale appliquée par la banque mondiale, l’Etat considère
le SI «comme un secteur qui peut s’insérer dans l’économie internationale grâce à la
compétitivité des prix de ses biens et par la sous-traitance avec des entreprises
transnationales. » (Peemans, 1997, p.107).
Dans cette optique, les petits ateliers ne réponderont plus seulement à la demande
locale et interne, mais elles vont dépasseront ces limites pour conquérir des marchés
externes. La production des petits ateliers à une grande échelle doit s’effectuer
simultanément avec la croissance de l’entreprise. La croissance de la taille des petits
ateliers et des petits artisanats en nombre d’effectifs et en capital (capital financier ou
capital technique) est conditionnée par plusieurs facteurs. Premièrement, les petites unités
doivent êtres compétitives en réalisant des profits qui permettent le processus de
l’accumulation. Le recours préalable au crédit auprès des banques officielles est souvent
indispensable. En second lieu, les profits réalisés doivent être utilisés dans des
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investissements rentables intensifs en capital.
Ainsi, l’ouverture économique des petites activités marchandes sur des marchés
plus larges et sur le commerce international exige un changement dans la logique de
fonctionnement du secteur informel. Ce dernier présente ces différentes caractéristiques :
* Il intègre la logique du marché.
* L’acteur dans le SI est à la fois un agent économique et un acteur social.
* Les dimensions économique et sociale sont interdépendantes.
* Il repose sur un système de valeur propre.
* Il fonctionne dans un état de concurrence quasi parfaite (Peemans, 1997, p. 109.).
La modification de ces facteurs est indispensable. De plus, l’Etat trouve que
l’adoption du mécanisme d’accumulation à la place de la logique de la reproduction
sociale dans le secteur informel est la seule valable pour tirer profit du commerce
international.
1.5.2. Les unités les plus performantes constituent la cible des interventions
Les politiques publiques interviennent à deux niveaux: d’en haut, par une
assistance aux unités les plus performantes du secteur informel ou des unités
intermédiaires et d’en bas par la lutte contre la pauvreté et contre l’analphabétisation.
Donc, on constate que seules les unités les plus performantes peuvent bénéficier du
soutien de l’Etat. La stratégie qui consiste à s’appuyer sur le secteur intermédiaire est celle
qui assure à la fois le taux d’accumulation le plus rapide et le taux de croissance d’emplois
à terme le plus élevé. Le restant invalide du secteur informel est exclu, mais il peut
bénéficier des aumônes de l’Etat : « les autorités cherchent à préserver la paix sociale en
distribuant des aliments aux pauvres car les villes se peuplèrent d’habitants susceptibles de
devenir soit des entrepreneurs dynamiques soit de violents activistes révolutionnaires ».
(De Soto, 1994, p. 190).
1.5.3. Les limites de ces stratégies
Les unités de haut de gamme peuvent connaître un développement graduel vers les
entreprises capitalistes car elles bénéficient des avantages étatiques, alors que le reste du SI
est négligé. En plus l’application sur le terrain des intervention étatiques détériore
davantage la situation du SI. En effet, ces politiques se heurtent à certaines difficultés
20
Hugon, (1980, p. 250) montre que les stratégies favorables au SI sont prises dans une
double contradiction:
1) Développer le SI consiste à favoriser les unités les plus performantes, à faire
apparaître les petits entrepreneurs dont la dynamique d’accumulation se fait aux dépens
des activités de bas de gamme et du rôle d’absorption d’emplois.
2) Protéger les travailleurs, faire respecter les lois sociales, intégrer le secteur out law
dans les règles officielles, aboutir à éliminer de nombreuses unités dont la survie n’est
possible que par le non-respect des lois sociales.
1.5.4. La formalité par des acteurs externes
Même si les institutions internationales et les Etats nations considèrent le secteur
informel comme un secteur parasite qui nuit au secteur formel, « L’activité informelle fait
une concurrence déloyale à l’activité légale en s’économisant les coûts de la légalité, et
qu’elle profite en outre gratuitement des services publics obligeant l’Etat à faire peser le
financement budgétaire sur la seule activité formelle » (De Soto, 1994, p. 118). Ces
derniers le considèrent comme un secteur intermédiaire, qui peut jouer un rôle important
dans le développement surtout en matière d’emplois et de revenus.
L’intérêt porté à ces activités a rendu possible le processus d’accumulation dans
quelques unités performantes et exportatrices du SI. Ce constat résulte le plus souvent
d’une action d’intervention étatique et non de potentialités internes au SI.
L’intervention est réalisée par des fonctionnaires qui sont des acteurs externes au
SI (ces derniers ont leurs propres stratégies et objectifs) et parfois « ce sont les élites de
l’économie moderne qui s’est écroulée avec le frein de l’accumulation formelle (frein de
l’aide internationale et de flux d’investissement) qui essayent de récupérer leur place par
l’intermédiaire du secteur informel d’accumulation » (Peemans, 1997, p.112).
Les rares réussites de ces interventions se font souvent au détriment des autres
activités du SI. Ainsi, les unités converties en activités formelles deviennent des unités du
secteur moderne, et les autres, non converties, restent dans la clandestinité et la
domination.
Les auteurs structuralistes, constatent quant à eux, que les activités informelles ne
peuvent trouver leur expression théorique que dans le cadre de la domination.
21
1.6. La place du secteur informel dans la pensée radicale
Ce courant partage avec les libéraux l’idée que l’hétérogénéité de l’espace
économique n’est qu’un phénomène transitoire. Les auteurs marxistes constatent que
l’expansion mondiale des économies européennes et la dynamique du capitalisme sont
intimement liées: d’une part, on assiste de plus en plus à l’extension du commerce à
l’échelle internationale et d’autre part, le capital, par sa nature, a vocation à devenir
universel. Dans ce constat, la poursuite de l’accumulation ne peut résulter que de
l’élargissement préalable des débouchés, ce qui implique les pays tiers comme marchés.
Le secteur informel est perçu comme un marché exploité par le capital
périphérique à travers la fourniture de biens et de main d’œuvre bon marché. Néanmoins il
n’est pas encore entièrement absorbé par le capital.
1.6.1. Quel rapport avec le secteur informel?
Au départ, Le problème de se fournir et d’écouler les marchandises s’est résolu par
les grandes découvertes géographiques qui ont permis l’extension du marché économique
mondial. La saturation de ces espaces et la recherche de nouveaux marchés ont amené
l’économie et le capital à conquérir d’autres marchés par la colonisation. Au lendemain de
l’indépendance des pays sous développés, la mondialisation a connu un grand essor mais
elle n’a pu atteindre, par le biais des firmes multinationales que les secteurs modernes
capitalistes des pays sous développés tels que le secteur primaire (concernant l’agriculture
d’exportation, les richesses maritimes et minières) et quelques secteurs de l’industrie de
transformation et de textile. Le capital appartient dans ce cas à une minorité d’opérateurs
internes et externes et aux firmes multinationales. L’Etat, jusqu’au début des années 1980,
a fait partie de ces opérateurs et a conduit à son tour le processus de la modernisation et de
l’ouverture économique sur le commerce international.
Après la conquête du capital de tous les espaces, le secteur informel reste le plus
résistant car sa logique de fonctionnement n’a laissé aucune chance à la pénétration de la
logique d’accumulation. Actuellement, et avec la globalisation, les acteurs dominants ou
les pôles performants d’une part et le capital d’autre part, ne sont plus des acteurs externes,
ils se sont formés et composés au sein même des pays sous développés. Les acteurs locaux
22
(traditionnels) des activités informelles d’une part et les pôles performants (du secteur
moderne) de l’autre part subsistent tous ensemble dans un même territoire.
L’élargissement de l’espace capitaliste au niveau mondial est arrivé au stade de
la conversion du secteur informel. C’est pour cette raison que tous les efforts se sont
dirigés sur ce secteur afin de le rendre plus accessible par le capital.
1.6.2. La dominance de l’approche sectorielle
Les radicaux rejettent la vision universelle sur le développement, se rendent
compte de plus en plus de la réalité et de la singularité des pays sous développés et tentent
de trouver des stratégies de développement adaptées à chaque cas.
Le point de vu commun des libéraux et des radicaux est concentré sur le dualisme
existant au sein de chaque pays sous développé, c’est à dire d’une part, un secteur moderne
(industriel) et d’autre part, un secteur traditionnel à développer. Mis à part que, les
radicaux distinguent entre le centre (le secteur moderne) et la périphérie (le secteur
traditionnel), cette distinction est basée sur l’inégalité des revenus entre les deux secteurs.
En outre, ils constatent, comme les marxistes, l’exploitation du second secteur par
le premier. Mais « peu d’auteurs retiennent la thèse de Marx ou de Lénine de la survivance
de la petite production marchande (PPM) qui n’aurait pas encore été exploitée par le
capital, mais serait en voie d’absorption progressive.» (Hugon, 1980, p. 252.).
1.6.3. Les approches en terme de domination et de soumission au mode de production
capitaliste
Le secteur informel n’existe, selon les thèses dualistes, que par sa relation avec le
secteur formel capitaliste. C’est par conséquent à partir de cette relation qu’il faut
l’appréhender et non à partir de critères empiriques. Il n’y a pas de rapport d’extériorité,
mais une soumission au capital et une détermination par le capital dont les petites
productions marchandes tirent leur logique et leur dynamique. Plusieurs interprétations
sont proposées.
1.6.3.1. L’approche de la marginalité
23
Dans cette approche, les formes spécifiques d’insertion des économies dépendantes
au capitalisme impulsent le développement au sein de ces pays des pôles marginaux. « Les
actifs constituent soit une réserve de main-d’œuvre dans laquelle le secteur moderne puise
la force de travail dont il a besoin et rejette celle dont il n’a plus d’utilité, soit un lieu de
reproduction au moindre coût de la force de travail. Ces deux caractéristiques permettent
d’exercer une pression à la baisse sur le taux de salaire dans le secteur moderne »
(Nsengiyumva, 1996, p. ?).
L’exclusion en serait le trait permanent: exclusion des mécanismes de production
modernes, exclusion géographique et prolifération des activités refuges. Il existerait un
secteur qualifié de parasitaire, frange de la population en situation de surabondance, qui ne
jouerait pas le rôle d’une armée de réserve par rapport aux besoins du capital.
Ainsi, la marginalité renvoie à la dysfonction, à l’exclusion, à la faiblesse ou à
l’irrégularité des revenus.
1.6.3.2. La problématique de l’articulation des PPM au mode de production capitaliste
(MPC)
L’articulation entre les petites productions marchandes (PPM) et le MPC est prise
dans le cadre de rapport direct entre secteur formel et quelques unités du SI (elle ne
concerne pas les activités de survie).
Dans cette optique, l’intérêt se porte surtout sur l’unité de production et sur la
dépendance des micro-unités au capital. Centrant leur intérêt sur l’artisanat et la PPM, un
certain nombre de travaux se fondent sur l’existence d’un mode de production simple de
marchandises ou d’une PPM, ayant une rationalité particulière, articulée et dominée par la
grande entreprise moderne capitaliste. Les sphères urbaines se caractérisent par la
domination des formes capitalistes sur des micro-unités non capitalistes. C’est davantage
dans leur préservation et leur soumission à sa logique que le capital se révèle le plus
efficace.
La PPM est à l’origine d’un transfert de valeurs vers le secteur dominant qui serait
supérieur a celui découlant de l’exploitation d’une force de travail salariée. Dans ce sens,
on ne peut plus parler de survivance mais de réinterprétation des rapports sociaux anciens
et de création du capital.
24
Dans ses rapports avec le capitalisme marchand, concrétisés parfois par la sous-
traitance des micro-entreprises par les plus grandes, la PPM cède ses produits à un prix qui
est inférieur à la valeur qui y est incorporée. Dans le secteur informel, cela se manifeste
par des nivaux très bas de rémunération du travail et des profits faibles.
Le capitalisme cherche donc à se subordonner l’artisanat qui approvisionne les
grandes unités en produits et en matières premières bon marché, et à la dissoudre du fait de
la concurrence qu’elle lui livre.
1.6.4. Les insuffisances de ces approches : une même vision sectorialiste
Les analyses sur la marginalité des activités informelles ont certes le mérite d’avoir
abordé des activités ne relevant pas que du “ haut gamme ”, mais elles ne s’intéressent
qu’à cette frange spécifique. Dans les pays d’ASEAN, par exemple, la sous-traitance
concerne des entreprises moyennes de (50 à 200 salariés) et non des micro-entreprises
informelles (Lautier, 1994, p.72). La relation de subordination et de dépendance est certes
existante entre les grandes firmes (qui fournissent les matières premières, le capital et la
technique) et les entreprises de sous-traitance (qui fournissent une main d’œuvre moins
cher). On peut même parler de rapport de domination car les seconds ne peuvent parfois
fonctionner sans les premiers.
A partir de là, les entreprises de “ haut gamme ” rencontrent un processus évolutif
tandis que les autres activités du SI ne sont pas concernées.
1.6.4.1. Dynamique du secteur informel : processus d’accumulation ou processus
involutif?
L’un des éléments de controverse autour du SI concerne l’aptitude du SI à se
convertir en secteur moderne d’accumulation. En effet, la plupart reconnait l’existence de
deux types d’unités constitutives du SI: des unités évolutives qui accumulent et des unités
involutives dans l’incapacité de dégager un surplus. Les interprétations à ce sujet
divergent.
La perspective dualiste découpe le SI en deux franges, la frange traditionnelle et la
frange moderne ou intermédiaire, reconnaissant l’existence de potentialités d’accumulation
à cette partie “ transitionnelle ”.
25
La distinction entre ces différentes activités opère par des facteurs techniques
internes et les possibilités d’accumulation peuvent être atteintes par le changement des
caractéristiques internes propres au SI, telles que le faible niveau de qualification de la
main d’œuvre ou son incompétence dans la gestion.
Toutefois, des travaux s’accordent à remettre en cause la thèse du développement
graduel, montrant que le SI possède un rôle social plus que productif et que l’objectif de
maximiser le profit existe même si ce projet n’est pas souvent destiné à l’accumulation.
Lautier, (1994, p. 60) propose cinq facteurs qui peuvent empêcher les activités informelles
d’accumuler.
1) La nature de l’activité qui ne permet pas un changement technique sinon la nature
même de l’activité qui va changer: c’est le cas par exemple de l’activité artisanale.
2) La difficulté d’accès au crédit: le refus des banques qui est souvent lié à l’absence de
garantie offerte par les unités informelles.
3) Les formes de la concurrence entre les unités de productions du SI elles-mêmes d’une
part et entre elles et les entreprises formelles d’autre part. Cette concurrence réduit le
rendement des unités de production et donc, de leurs bénéfices.
4) Le type de rapports sociaux : un changement technique ou de taille rend l’entreprise
plus visible aux yeux des autorités.
5) Une modernisation technique impose souvent un changement de main d’œuvre.
Dans d’autres situations, l’existence d’un surplus ne s’accompagne pas toujours
d’un investissement et d’une accumulation. En effet, la logique des acteurs informels qui,
dans un univers qu’ils ne maîtrisent pas, optent pour des stratégies de minimisation des
risques, en diversifiant les activités, plutôt que pour “ l’accumulation ” et la maximisation
des gains, souvent incertaines. Devant cette incertitude, la solidarité familiale et de groupe
prend l’initiative non pas seulement pour la combler mais aussi pour reproduire la logique
sociale qui permet l’absorption des crises.
Les activités informelles s’intègrent et s’expliquent, en conséquence, par les
diverses stratégies de recherche de complément de revenus des ménages et trouvent leur
signification dans le cadre de la reproduction de la société urbaine.
En définitive, aussi bien pour la vision dualiste que pour l’analyse radicale, le SI
26
ne peut être défini que par ses fonctions économiques: poche de sous emploi, fonction de
substitut à la formation professionnelle, armée industrielle de réserve,... La dynamique du
secteur informel montre toutefois qu’il existe d’autres dimensions explicatives que son
seul rapport au capitalisme.
Considérer les activités informelles, non salariales ou de PPM, comme de simples
catégories en voie de disparition ou comme la résultante d’une simple logique abstraite du
Mode de Production Capitaliste (MPC) procède d’une vision réductrice.
1.6.5. Des activités hétérogènes et multiformes
La complexité et l’hétérogénéité des formes non salariales nous amènent à
relativiser aussi bien la vision déterministe (détermination par le capital) que la vision
multi-critères, étudiant les deux secteurs dans leur rapport d’extériorité.
Cette hétérogénéité, aujourd’hui, n’est plus à démontrer: les activités informelles
urbaines sont d’abord composées d’une multitude de petits métiers qui peuvent s’organiser
et se défaire en fonction de la créativité des agents urbains vivant dans un environnement
instable et précaire. Elles sont constituées aussi d’activités artisanales et d’activités
informelles proches, par leurs caractéristiques, des unités modernes. Ces dernières ne
peuvent être réduites à des activités illégales ou clandestines. Il existe bien une palette
variée d’activités allant des petites unités ayant dépassé le stade de la simple reproduction
à des activités marginales, en passant par le travail à domicile et les activités de
subsistance, d’appoint ou de survie.
Plus particulièrement, on peut distinguer:
Les activités qui connaissent une dynamique évolutive. Elles sont porteuses
d’accumulation et sont potentiellement génératrices d’emplois et de revenus.
Les activités artisanales qui peuvent être de traditions très anciennes et les activités
commerciales faiblement capitalistique, au sein desquelles le procès de production repose
sur le travail du patron et de certaines catégories d’actifs, comme les apprentis.
D’autres activités connaissent une dynamique de type involutif ou de survie.
Numériquement plus importantes que les précédentes, ne disposant pas de capital aussi
27
dérisoire soit-il, les revenus qu’elles distribuent sont faibles, ne dépassant guère le stade de
subsistance. Ces activités obéissent à des logiques sociales et sécuritaires plus qu’à des
logiques économiques d’accumulation.
Selon toute évidence, ce découpage global est loin d’exclure des inférences entre
les différentes strates de l’informel. Son hétérogénéité reste elle-même dynamique, dans le
sens où ces activités peuvent subir des transformations permanentes en fonction du type de
liaison qu’elles entretiennent avec le système économique global.
En effet, si certaines activités découlent du développement du capitalisme, d’autres
sont des réponses et des accommodements devant l’impossibilité d’accéder aux biens et
aux services capitalistes et étatiques et face à l’incapacité de l’état de prendre en charge les
besoins sociaux, il s’agit d’éclairer la diversité des médiations, sans les réduire toutes à
celle du capital, en analysant chaque métier.
1.7. Conclusion : l’autre point de vue sur le secteur informel
Cerner la dynamique des activités urbaines, c’est d’abord les remplacer dans une
perspective historique et globale, c’est les restituer dans le contexte du type de
développement et du régime d’accumulation, caractérisé par une salarisation restreinte.
Les rythmes économiques des sociétés sous développées sont en grande partie
déterminés par le contexte international et ses turbulences. Les politiques mises en œuvre
pour les contrecarrer, provoquent des instabilités et parfois des ruptures dans les anciens
modes de reproduction sociale. Sous cet angle, la dynamique de ces activités est à rattacher
aux politiques d’interventions coloniales et étatiques en milieu rural, aux modes
d’industrialisation et à l’impact social et économique des chocs extérieurs.
Mais si certaines formes sont induites par la crise ou résultent du développement
capitaliste ou de turbulences internationales, d’autres correspondent à un mode spécifique
de régulation, en l’absence d’état providence et face à l’incapacité du secteur moderne à
prendre en charge l’excédent de la force de travail et d’énergie humaine d’une façon
générale. Les activités informelles libérent en quelque sorte l’état de certaines fonctions de
régularisation et de distribution.
Les activités informelles marchandes et les activités non salariales interviennent
28
dans la reproduction et la régulation des formations économiques et sociales sous-
développées, également en interconnexion avec la sphère domestique, le travail non
marchand et les groupes d’appartenance. Dans les PSD existent d’autres modes
d’allocation des ressources que ceux du marché. Les rapports sociaux sont associés à une
structure économique, à de multiples règles et à des organisations non marchandes. La
persistance de ces rapports non salariaux, l’existence de réseaux hors marché constituent
des formes de régulation et de dominance, de réinterprétation des rapports sociaux anciens,
d’accommodement, d’adaptation et de détournements face aux influences nouvelles de la
crise notamment. Certes, « le secteur informel ou la PPM est une réalité économique
originale qui a une longue histoire. Il a préexisté à la colonisation et marginalisé et
diversifié par cette dernière.» (Peemans, 1997, p. 108).
En ce sens, les activités dites informelles constituent une modalité particulière de la
dynamique sociale dans les PSD. Elles sont une réponse de la société à des besoins
nouveaux, des inventions sociales dans un contexte précaire qui amènent les acteurs à
diversifier leurs stratégies d’insertion dans différents marchés.
Enfin, cette démarche revient à re-questionner la problématique et le contenu même
du développement et sa relation à l’économie. Longtemps lié à une approche
évolutionniste et dogmatique, le développement a été considéré quel que soit le système de
pensée, comme un phénomène qui serait universellement immanent. Mais n’est-ce pas
plutôt dans l’excès de développement, entendu comme trajectoire des sociétés guidées par
le modèle occidental, que se situe le problème ?
29
Chapitre 2 : Les modes d’intervention dans le monde rural et
leurs impacts sur le développement du secteur informel
2.1. Préliminaire: La relation Homme-Nature au Maroc avant la pénétration
coloniale
Depuis l’antiquité, et de nos jours encore dans certaines régions, l’économie
marocaine repose sur les activités agro-pastorales et les hommes vivent en étroite
conformité avec leur milieu naturel. Ces activités humaines correspondent aux
caractéristiques géographiques et climatiques du pays: un cinquième du territoire est
constitué de plaines, le reste est composé de montagnes et du désert alors que le climat est 30
méditerranéen et la pluie ne couvre que le 1/5 de l’ensemble du territoire.
La population marocaine (composée de berbères et d’arabes) a maintenu les
traditions et les coutumes qui régissent sa vie sociale et qui correspondent à son milieu
naturel: les cadres sociaux traditionnels enserrent les individus dans un étroit réseau de
prescriptions. A la base, la cellule familiale regroupe plusieurs foyers apparentés sous une
autorité, l’autorité de l’ancien aux pouvoirs indiscutés. Les campements de nomades et les
villages de sédentaires sont formés de juxtapositions de quartiers correspondant à autant de
familles patriarcales; ils sont administrés par assemblée de famille qui charge un élu
d’exécuter leurs décisions.
Il existe une véritable symbiose entre le sédentaire et le nomade, codifiée par la
tradition et source d’une étroite collaboration: les échanges se concluent la plupart du
temps sur base du troc (des produits agricoles tels que l’orge sont changés contre des
moutons, des dattes ou encore des tapis ou vêtements).
2.1.1. La période pré-coloniale
La population marocaine combine, en proportion variable, l’agriculture et
l’élevage. Les sédentaires des plaines pratiquent l’assolement biennal: après les récoltes de
blé dur ou d'orge, le sol est abandonné en jachère aux troupeaux.
Les familles, dans ces communautés paysannes, possèdent la terre en propriété
indivise: chaque feu en exploite l'étendue nécessaire à sa survie, tandis que les jachères
constituent des pacages collectifs.
Le Maroc vit donc principalement d’une économie agro-pastorale organisée pour
assurer l’existence d’une multitude de communautés: familles, douars, tribus,.. Les
activités industrielles sont surtout concentrées dans les milieux urbains. L’ensemble de ces
activités répond aux besoins locaux et du commerce externe et transsaharien. Chaque unité
sociale produit les quantités de biens nécessaires à sa survie: de petits ateliers fonctionnent
dans les villages et surtout dans les villes, où des corporations sont spécialisées dans le
travail du cuir, du tissu, des étoffes ou des métaux. Ce genre d’activités existe jusqu’à nos
jours dans les médinas de Fez, Mekhnès, Rabat, Taroudant et Marrakech, par exemple.
La pénétration coloniale a bouleversé les modes de vies des communautés et ses
31
existences traditionnelles. L’introduction des rapports marchands capitalistes, de nouveaux
acteurs sur la scène économique et politique, de nouvelles techniques et la généralisation
de l’usage de la monnaie ne pouvaient se faire sans affecter profondément la société
marocaine.
2.2. Les politiques d’interventions coloniales et leurs impacts sur la société
L’étude du secteur informel est liée à l’étude du processus de migration des
campagnes vers les villes. L’analyse de l’origine de la migration est indissociable des
formes de rupture intervenues dans les modes de régularisation des communautés
paysannes, consécutives à la pénétration coloniale. En effet, la migration vers les villes
dans les pays du tiers monde, ne sont pas, comme en occident, liée à une révolution
agricole: leur genèse et leur essor sont indissociables des pratiques coloniales.
En effet, les mouvements de population vers les villes génèrent des contraintes qui
aggravent les déséquilibres sociaux des agglomérations des pays du Sud: détérioration des
conditions de logement, de santé, d’emploi et développement spontané de bidonvilles.
2.2.1. La politique coloniale dans les campagnes marocaines
Au début de la colonisation du Maroc, les premières préoccupations des français
sont de mettre en place une agriculture moderne capable d’enraciner une population de
colons. La première nécessité est donc de libérer de toute revendication une vaste
superficie des sols les plus fertiles.
Pour ce faire, diverses mesures sont mises en œuvre par l’administration:
mobilisation des terres domaniales, expropriation, cantonnement, séquestre, mainmise
totale ou partielle sur les biens déclarés vacants (sans maître) ou exploités sans titres
authentiques.
De leur coté, les colons privés procèdent à des achats d’autant plus massifs que les
autochtones ne sont pas encore familiarisés avec les pratiques marchandes.
Au terme de cette période, de vastes transferts fonciers ont été réalisés: le total des
terres détenu par les colons officiels et les colons privés atteignait 1.030.000 hectares.
L’ensemble de ces hectares fut réparti entre moins de 14.000 colons.
32
La colonisation, après avoir stabilisé ses colons dans les terres, a commencé à
pratiquer une exploitation rentable. L’agriculture coloniale s’est donc orientée vers la
création de grands vignobles, la plantation de vergers d’agrumes et l’extension des cultures
maraîchères de primeurs.
Mais le marché intérieur n’était pas capable d’absorber d’importantes quantités de
cultures. Seules des cultures d’exportation, destinées au marché métropolitain, pouvaient
procurer les profits attendus. Quant à l’agriculture autochtone, elle n’était pas en mesure
de bénéficier d’un tel exemple. De plus, elle souffrait de la concurrence. L’agriculture
européenne s’est ainsi progressivement développée aux dépens de l’agriculture autochtone.
La juxtaposition du secteur moderne au secteur traditionnel ainsi que le rapport ville-
campagne commençaient à prendre forme.
2.2.1.1. Les transformations du mode de vie et le développement des rapports marchands
L’expropriation des terres à des paysans a provoqué de graves déséquilibres
sociaux et économiques. Les communautés expulsées n’avaient d’autre choix que de se
déraciner et de se disperser. La mise en culture des pâturages avait privé les pasteurs de
leurs campements qui renoncèrent par la suite à leur transhumance. Le remplacement des
céréales par la vigne a réduit aux troupeaux leurs ressources nutritives: les chaumes. Avec
de telles mesures, la décadence de l’élevage était une chose inévitable.
Pour les autres activités économiques des autochtones, l’introduction libre des produits
industriels de l’extérieur contraignit l’artisanat et les petites industries locales de se retirer
de plusieurs marchés. Le commerce transsaharien des tribus disparut et leur mode de vie
de commerçants de longue distance se transforma: ils devinrent des ouvriers salariés ou
des saisonniers. Ainsi, « La famille traditionnelle perd sa fonction de cellule de production
au profit d’entreprises capitalistes qui généralisent le salariat pour certaines couches
paysannes et artisanales obligées de rejoindre les classes ouvrières. Le fait que la
production économique sorte du cadre familial provoque la prolétarisation des dépossédés
tandis que l’exode rural et l’émigration vers l’Europe accentuent l’effet de déstructuration
de la cellule familiale traditionnelle. Le patrimoine familial qui servait de support matériel
à la paternité (filiation et alliance) et la solidarité perd de son importance. Sur le plan
culturel, le modèle familial hiérarchisé et patriarcal, élargi et autoritaire n’est plus la
référence unique »(M. Kerrou et M. Kharoufi, 1994, p.28, cité par Ajbilou, 1998, p. 7).
33
2.2.2. L’accélération de la mobilité entre les différents secteurs et entre ville et campagne
Avant l’époque coloniale, la mobilité ne concernait qu’une partie de la société. Les
nomades constituaient une composante impartiale des sociétés nord-africaines ou
sahariennes. Ce phénomène répondait aux besoins de l’ensemble de la communauté. Les
nomades jouaient un rôle économique en effectuant une partie du commerce transsaharien.
Avec leurs troupeaux, ils parvenaient aussi à répondre aux besoins des communautés
sédentaires en matière de viande, de laine et d’habillement.
La colonisation avait des besoins croissants en main d’œuvre pour exploiter des
terres dont la superficie augmentait rapidement chaque année. La vigne, en effet, demande
beaucoup de main d’œuvre et d’efforts (huit fois plus que pour le blé). Le développement
des cultures maraîchères et des cultures fruitières en demande encore plus.
Au début, la mobilisation s’est heurtée à la résistance des organisations
coutumières et aux formes traditionnelles et le manque de main d’œuvre fut partout
déploré par les colons. Mais la pénétration accélérée des rapports marchands a engendré
une plus grande mobilité dans la société marocaine.
Les appels de main d’œuvre ont déclenché des courants migratoires vers les
régions en voie de colonisation (plaines et collines vidées des anciens détenteurs), les uns
se sont installés définitivement sur leur lieu de travail, les autres préférant une navette
saisonnière.
Les courants migratoires se sont renforcés avec le développement de quelques
industries, la création de l’infrastructure de circulation et la croissance des villes. En 1947,
la population urbaine marocaine a augmenté de 1 million d’habitants; son pourcentage est
passé de 16% à 22% du total. (Isnard, 1966,p55).
Les migrations ont, notamment, permis une large diffusion de l’économie
monétaire: celle-ci a pu pénétrer dans les endroits les plus reculés grâce aux envois et aux
apports d’argent des travailleurs. Ainsi, le salariat a pu se développer dans une société qui,
jusque-là, pratiquait en matière de louage de services: le khemassat ( cette pratique
consiste en une sorte de “ contrat ” dans lequel un associé apporte un des cinq facteurs
nécessaires à la production et bénéficie en contre partie du cinquième de la récolte) et la
34
khoubza (qui consiste dans un contrat, en général oral, par lequel le bailleur fournit la terre
et une partie des frais de campagne, le preneur son travail et une autre partie de frais, dont
le plus souvent la traction.) (El Khyari, 1987, p.178 et187).
Le travail dans les villes, dans les mines et sur les chantiers, était recherché, parce
qu’il offrait une meilleure paie et moins d’arbitraire. Craignant la concurrence qui pouvait
les priver de main d’oeuvre ou les contraindre à augmenter les salaires, les colons
s’employèrent à retarder l’industrialisation.
A partir de 1930, l’agriculture qui embauchait les plus gros contingents, est entrée
dans une série de crises. L’offre d’emplois a diminué. Pendant les années de combats,
l’insécurité des campagnes a chassé beaucoup de paysans qui ont cherché refuge dans les
villes. L’accession à l’indépendance a provoqué une nouvelle accélération: dans les villes
évacuées par les Européens, il y a des emplois à prendre et surtout, des logements à
occuper.
A ce moment, l’exode rural s’intensifiait sous la poussée démographique: en
désespoir de causes, les émigrants s’accumulaient dans les villes où, en l’absence
d’industrie, le marché du travail était très restreint. Ainsi, s’est déclenché un processus de
sous- prolétariat urbain, chaque année plus nombreux, entassé dans les bidonvilles des
grandes cités comme Rabat et Casablanca.
2.3. Conclusion
La colonisation n’a pas laissé d’autre choix aux populations rurales:
l’expropriation des terres, le travail forcé, les impôts obligatoires, l’accélération des
rapports marchands et la pression démographique font que les besoins monétaires
deviennent de plus en plus incompressibles. Une partie de la main d’œuvre rurale se
trouve dans des zones plus éloignées. Le système des migrations se fait au détriment de la
production vivrière.
Ainsi, en un demi-siècle, la société marocaine, ébranlée par l’impact de la
colonisation française, a dû affronter les problèmes de son propre développement. Les
défis sont multiples: la croissance démographique connaît un rythme croissant, la
généralisation des pratiques marchandes a provoqué la décadence des genres de vie qui
assuraient autrefois la subsistance des communautés et une partie de plus en plus
nombreuse de la population, prolétarisée, doit tirer ses ressources des salaires que versent
35
les secteurs modernes de l’économie. Ceux-ci ne peuvent pas absorber l’excès de main
d’œuvre et une population marginale, entassée dans les villes, attend impatiemment la
multiplication des emplois.
2.4. La politique agricole du Maroc indépendant et la marginalisation de la
paysannerie
Dans un pays méditerranéen comme le Maroc, où les ¾ de la population vivaient
dans les campagnes (jusqu’aux années 1960), le problème le plus pressant est celui que
pose l’agriculture: la réforme de ses structures et la modernisation de ses techniques
doivent permettre aux nombreux paysans d’accroître leurs productions afin d’améliorer
leurs conditions d’existence et de satisfaire aux besoins du pays.
Le secteur agricole a occupé depuis l’indépendance une place importante dans les
politiques économiques du Maroc. Celle-ci découle tant de l’importance des effectifs de la
population rurale dont l’agriculture constitue la source principale de revenus que du rôle
que ce secteur joue dans la formation du PIB et des échanges extérieurs.
Cet intérêt acquis de l’héritage colonial se traduit par la volonté de continuer les
politiques coloniales agricoles et d’asseoir les bases d’un capitalisme agraire.
Les moyens utilisés à cette fin consistent dans le renforcement d’une oligarchie
terrienne bénéficiant d’avantages de toute nature (subventions, aides, politiques des prix,
crédit agricole,...).
Les conséquences de cette stratégie, si elles sont bénéfiques pour une minorité, ont
été parfois désastreuses pour d’autres (paupérisation croissante de la population rurale,
exode rural,...).
2.4.1 La politique agricole du Maroc indépendant
Depuis l’indépendance, l’agriculture a toujours constitué une priorité dans les
différents plans de développement. La politique agricole qui exprime cette priorité se
confond avec la politique dite des barrages.
La politique agricole de l’Etat a voulu atteindre les objectifs suivants :
36
Le développement du secteur agricole, pour dégager un surplus alimentaire permettant
d’entretenir la population urbaine;
Le développement de l’agriculture, pour augmenter le revenu des paysans et, par la
suite, dégager une épargne qui contribue au financement des investissements
industriels;
L’encouragement des exportations agricoles qui permettent de financer l’importation
de biens d’équipement nécessaires à l’industrie.
Les mesures prises en considération sont plus techniques que structurelles car,
pendant les premières années de l’indépendance, l’Etat, par ces politiques profondes
d’intervention, a réalisé moins de réformes agraires que de réformes agricoles.
En effet, les politiques agricoles se sont penchées sur les points techniques
suivants:
Premièrement, elles soutiennent la constitution d’assises foncières au profit des formes
melk de production agricole (des propriétés privées), qui seront la base de l’accumulation
privée du capital dans l’agriculture.
Deuxièmement, elles mettent en pratique des politiques de modernisation agricole
par le biais de l’irrigation, et essentiellement par la grande hydraulique, en, favorisant les
grands périmètres.
Enfin, elles soutiennent les formes melk de production agricole par l’octroi d’aides
et de subventions.
Afin de comprendre les transformations qu’ont subit les paysans dans leur milieu, il
est important de comprendre comment fonctionnait la propriété foncière agricole au
Maroc. En effet, avant le bouleversement du monde rural, la forme melk (privée) ne
constituait qu’une parmi plusieurs autres formes de propriété.
2.4.1.1. Le régime des terres
Après l’indépendance, les régimes des terres ont changé et la forme melk de
propriété foncière est devenue la plus répandue.
On peut classer les terres en trois grandes catégories : les terres melk ou
d’appropriation privée, les terres domaniales et les terres collectives.37
Les terres melk couvrent 8 millions d’hectares dont 5 à 6 millions sont cultivés
chaque année. Les estimations globales effectuées par la commission du plan en 1959 et
divers sondages, ont révélé que 40% des chefs de foyers ruraux ne possèdent rien ou
possèdent à peine un demi-hectare, tandis que moins de 10% détiennent plus de 60% des
terres (Isnard, 1966, p. 97).
Les terres domaniales concernent le domaine privé de l’Etat, elles groupent des
forêts et des terres cultivables provenant de confiscations, d’achats et de marécages
asséchés; elles sont généralement louées.
Quant aux terres collectives, elles comprennent les collectifs détenus par des
communautés agricoles ou pastorales, les terres consacrées à des fondations pieuses
habous et les terres guich concédées autrefois aux tribus guerrières en échange du service
militaire.
L’ensemble constitue une masse considérable de terres, de plusieurs millions
d’hectares, en partie cultivable, dans laquelle une réforme agraire pourrait largement
puiser.
Pour les dirigeants, un développement agricole ne peut se produire que par et dans
les propriétés privées (melk.).
2.4.2. La réforme agricole et la constitution d’assises foncières au profit des propriétaires
privés
Dans sa stratégie d’extension des rapports de production capitalistes dans
l’agriculture marocaine, l’Etat, par le biais de la politique agricole, réserve un soutien
économique et politique de première importance aux formes melk. Le devenir des terres
fertiles coloniales était le noyau la plus important dans le renforcement de la constitution
de cette assise foncière.
A la proclamation de l’indépendance, la colonisation européenne comptait près de
6.000 exploitations couvrant 1.017.000 hectares dont 728.000 appartenaient à la
colonisation privée et avaient été acquis par achats de terres melk. Le reste, soit 289.000 38
hectares avait été concédé par les autorités du protectorat à 1.634 colons officiels : ils
étaient, à l’origine, des biens domaniaux, des biens habous ou des biens ghich (Isnard,
1966, p. 99).
La lenteur qui a caractérisé le processus de récupération des terres de
colonisation a permis l’émergence d’une minorité foncière renforçant son assise du capital
en s’accaparant la moitié du million d’hectares récupérés entre 1956 et 1973.
Les terres de colonisation ont connu, selon les circonstances, trois destinations.
1) Les terres de la colonisation privée ont été achetées par des particuliers marocains.
Celles-ci étaient juridiquement plus difficiles à récupérer : l’Etat n’avait prévu un droit
de préemption que sur les terres d’une superficie supérieure à un certain seuil. En fait,
ce sont de riches particuliers marocains qui, depuis l’indépendance, ont acquis une
partie des exploitations européennes.
2) La gestion des terres de la colonisation officielle a été sous la responsabilité des offices
d’Etat. Ces dernières les ont confiées à des gérants qui ne possédaient pas les
compétences d’une bonne gestion.
3) Le peu de terres restantes ont été distribuées dans le cadre de la réforme agraire.
Evolution de l’affectation du secteur agricole colonial ( 1956-1980)
Période Colons Etat ou réforme Agraire
Privés marocains
1956
1963-65
1973
1980
1.020.000
455.621
__
__
__
292.000
657.188
491.927
__
272.379
262.812
498.872
Source : (Khyari, 1987, p. 247).
Ce bilan appelle plusieurs remarques: En 1963, l’Etat a décidé de la reprise des
terres de colonisation officielle portant sur 292.000 hectares uniquement, alors que les
terres de la colonisation privée n’ont fait l’objet de mesures générales de récupération
qu’en 1973.
39
Suivant la voie libérale, l’Etat a toléré une liberté totale aussi bien aux étrangers
qu’aux nationaux en matière de transactions. La moitié du secteur colonial, soit 500.000
hectares à peu près, a été “ rachetée ” par des privés marocains;
La petite et moyenne paysannerie qui attendaient beaucoup de la récupération des
terres qui lui avaient été dépossédées n’ont en fait bénéficié que très faiblement de cette
mesure: la part de cette accumulation qui est revenue aux paysans et à quelques ouvriers
est restée très limitée en superficie. Elle n’a pas dépassé les 10% du total.
Les terres récupérées au début des années 70 qui n’ont pas fait l’objet de
distribution ont été confiées à deux sociétés publiques crées respectivement en 1972 et
1973 à cet effet: la SODEA (société de développement des exploitations agricoles) pour la
gestion des terres complantées, et la SOGETA ( société de gestion des terres agricoles)
pour l’exploitation des terres nues. Ces sociétés étaient en possession de quelques
centaines de milliers d’hectares qu’elles n’exploitaient pas entièrement, puisqu’elles
louaient certaines parcelles.
Toutefois, depuis la fin des années 70, la bourgeoisie agraire privée déclare la
guerre au secteur public agricole désirant son démantèlement. Pendant les années 80, cette
classe a pu augmenter son actif foncier agricole par le biais des politiques de privatisation.
Ainsi, dans le cadre de sa politique libérale, la contribution de l’Etat dans la
privatisation du secteur publique agricole consiste non seulement dans le renforcement de
la base foncière au profit des formes melk de production agricole, mais aussi dans la
réalisation des conditions générales de l’accumulation du capital dans l’agriculture
(barrages, subventions, crédits, canaux d’irrigation, routes...)
2.4.3. La politique des barrages et le renforcement de l’agriculture moderne marchande
Au lendemain de l’indépendance, la politique agricole officielle a opté pour la
mise en valeur des potentialités dont dispose le pays sur base des actions engagées par le
protectorat. Il s’agit de développer des périmètres irrigués pour créer les bases d’une
agriculture moderne, intégrée au marché: en amont, par les approvisionnements en biens
d’équipements et en consommation intermédiaire et en aval, par les exportations, la
spécialisation et la stimulation des industries agro-alimentaires.
La priorité accordée au secteur agricole s’est enracinée essentiellement dans la
politique de l’irrigation et de la grande hydraulique.
40
2.4.3.1. Les grandes hydrauliques et l’irrigation
C’est à l’époque coloniale que l’office d’irrigation de Beni Amir a entamé la
construction de barrages au Maroc. Après l’indépendance en 1960, cette office a changé
de nom pour devenir l’ONI (office national de l’irrigation), après cette date, elle devient
l’OMVA (office de mise en valeur agricole) puis, en 1966, l’ORMVA (offices régionaux
de mise en valeur agricole). Sa mission était de réaliser la mise en valeur moderne de
zones agricoles par la construction de barrages, l’équipement des périmètres irrigués,
l’encadrement des agriculteurs et enfin, par des actions de vulgarisations rurales et
d’appuis.
En 1989, la superficie irriguée par ces procédés modernes est de 532.000 hectares,
dont 350.000 pour la grande hydraulique, sur 1,5 millions d’hectares potentiellement
irrigables (Khrouz, 1992, p. 121).
Les neuf périmètres irrigués sont encadrés par les ORMVA. Sept d’entre eux sont
situés dans des régions qui profitent de régimes pluviométriques favorables et à forte
possibilité d’irrigation. L’irrigation dans ces périmètres se fait par tous les moyens
modernes possibles: la canalisation des eaux de grands barrages, des eaux des digues de
retenue, la restauration d’anciennes conduites et le pompage. La grande partie de
l’agriculture concentrée dans ces périmètres est destinée à l’exportation.
Les deux périmètres restants sont situés dans des régions pré-désertiques et
désertiques, pauvres, où toute agriculture ne peut être intensive que par l’irrigation, le
travail et les soins. L’intervention étatique pour la modernisation de l’agriculture dans ces
deux périmètres n’a pas modifié les données fondamentales de l’agriculture, marquée par
l’exode rural et la polyculture vivrière comme seules réponses aux aléas naturels.
L’arboriculture moderne marchande constitue toutefois une exception. En effet, elle est
irriguée par des techniques modernes qui se sont développées depuis une quinzaine
d’années. Elle est le fait surtout des habitants non ruraux attirés par la rentabilité.
L’agriculture irriguée occupe donc 10% des superficies agricoles et crée
45% de la PIB agricole totale. Ce sont les investissements de l’Etat qui lui ont permis
d’être performante, d’autant plus qu’elle est subventionnée par la collectivité à travers le 41
soutien aux prix des matières premières, de l’eau, des intrants et l’exonération fiscale.
Structure des investissements pour le développement de l’agriculture (1968-72) et (1973-77) en millions de DH courants
Rubriques 1968 - 1972 1973 - 1977Valeur % Valeur %
Irrigation (a) 1 760 69,6 3 510 69,5Zones en sec (b) 475 18,8 1 049 20,8
Elevage 105 4,1 192 3,8Recherche
agronomique52 2,1 83 1,7
Enseignement agricole
47 1,8 48 0,9
Conservation foncière
52 2,1 86 1,7
Affaires économiques et Répression des
fraudes
39 1,5 81 1,6
Total 2 530 100 5 040 100
Source: BIRD, Maroc, Rapport sur le secteur agricole et les perspectives de développement des zones bour 15 avril 1977.
(a) y compris barrages, mais sans PMH (Petits et Moyens Hydraulique)(b) y compris PMH
A partir de ce tableau, on remarque que les dépenses engagées pour le
développement du secteur agricole sont destinées pour 70% à la grande hydraulique
pendant la période 1968-1977, alors que les zones de culture en sec ne bénéficient que
de 20% du total de l’enveloppe financière (Al Khyari, 1987, p. 286).
Entre 1965 et 1985, l’agriculture a reçu en moyenne 28.6% des investissements
publiques totaux. La part des barrages est de 9%, celle de l’équipement de périmètres de
11%. Il s’agit là d’investissements effectivement réalisés depuis 1985 (Khrouz, 1992, p.
122).
L’Etat continue ses investissements dans la réalisation des grands ouvrages
hydrauliques (tous les deux ans) mais à un rythme beaucoup plus lent, depuis la mise en
pratique des P.A.S.
2.4.3.1.1. Les conséquences des politiques d’investissement agricole
42
Les investissements dans l’agriculture et dans l’irrigation profitent essentiellement
aux cultures industrielles et commerciales (le coton, la canne à sucre, les agrumes, les
fourrages et le maraîchage). Quant à l’agriculture vivrière, elle stagne. Les cultures
céréalières ne bénéficient que d’une faible irrigation et sont laissées aux zones bours (des
terres non irriguées) fortement dépendantes des aléas climatiques.
De même, les cultures irriguées nécessitent des investissements coûteux qui pèsent
lourdement sur le budget de l’Etat et qui sont supportés par une grande masse de paysans
qui n’en tire pas profit. Ces investissements destinés au profit des cultures de rente, au lieu
d’être des pôles qui induisent et poussent au développement de l’ensemble du monde rural,
ont accentué les inégalités et les déséquilibres sociaux dans les campagnes marocaines.
L’inégalité engendrée par la mauvaise répartition des moyens de production et des
revenus dans la campagne s’est aggravée car, au fur et a mesure que progresse
l’aménagement des périmètres irrigués, la concentration de la propriété foncière la suit.
Cette situation a poussé surtout la fraction la plus démunie à se prolétariser,
alimentant l’exode rural vers les villes dans l’espoir d’échapper à la discrimination.
La politique agricole n’a pas uniquement préparé les terres pour l’exploitation: elle
a octroyé d’autres subventions aux grands propriétaires.
2.4.4. Les politiques d’aide à l’agriculture
Un autre aspect de l'intervention de l'Etat concerne les diverses aides (crédits,
primes, subventions, aménagements fiscaux,...) appliqués pour la constitution d’assise
foncière au profit des formes melk de production agricole.
Au tournant des années 70, les incitations de l’Etat et les avantages octroyés à
l’agriculture sont regroupés dans le code des investissements agricoles (CIA). Celui-ci
prévoyait un certain nombre de subventions aux agriculteurs, mais son action est sélective:
elle concerne presque exclusivement les périmètres irrigués qui absorbent l’essentiel des
formes melk de production agricole. Le caractère sélectif de ces subventions touche tous
les domaines (engrais, semences, matériel agricole,...).
Le soutien du prix des engrais est une mesure qui a commencé en 1974, avec la
prise en charge par l'Etat de l'organisation d'une activité qui obéissait à la pénurie, au 43
rationnement et aux spéculations. L'augmentation des prix des engrais sur le marché
international à la suite de la flambée des cours mondiaux du phosphate en 1973, a poussé
l'Etat à isoler le marché national des fluctuations extérieures. Cette protection du marché
lui a coûté cher car le différentiel entre les prix de revient des importateurs et le prix de
vente à l’agriculteur est supporté pour 50% (Khrouz, 1992, p. 124).
Cette compensation a permis, d’un côté, d’encourager l’utilisation des engrais et de
diminuer la pression de spéculations au profit des paysans, mais d’un autre côté, elle a joué
dans le sens des différenciations sociales entre l’agriculteur riche et l’agriculteur paysan
vivrier (le prix d’achat des engrais était le même pour les deux catégories).
Les subventions accordées par l’Etat pour la restructuration du secteur agricole en
vue de répondre aux exigences du marché mondial ont concerné aussi les semences
sélectionnée. Depuis 1974, l’Etat prend en charge la réorganisation de la production et de
la distribution de ces semences.
Le Maroc importe la quasi-totalité de ses semences, exception faite des céréales, de
la canne à sucre et des arbres fruitiers. Les besoins en semences sont couverts à raison de
25% pour le blé tendre, 12% pour le blé dur et 3% pour l’orge. Les agriculteurs qui
achètent les semences sélectionnées sont contraints d’acheter des engrais. Les semences ne
sont utilisées que dans les régions irriguées ou dans des bours favorables détenues par les
grands propriétaires.
Un autre avantage accordé aux grands propriétaires terriens est celui des
subventions des machines agricoles. Depuis 1982, les importations de matériel agricole
sont exonérées des droits de douane et des taxes.
Les prix d’achat sont subventionnés à raison de 30% pour les groupements et 20%
pour les particuliers. Ce soutien au machinisme agricole coûte à l’Etat plus de 20 millions
de dirhams par an (Kharouz, 1992, p.125).
L’augmentation du parc des machines agricoles, que ce soit chez les centres de
travaux qui les louent, chez les grands et moyens exploitants ou chez les coopératives, a
rendu la situation des petits paysans plus difficile.
En effet, l’introduction de la technique a des effets sur le marché de l’emploi dans
le milieu rural. La force de travail paysanne, qu’elle soit permanente ou saisonnière, a été
remplacée par la machine. De plus, ce genre de subvention a permis aux grands
44
propriétaires de réduire leurs coûts d’exploitation, ce qui a engendré des pertes chez les
petits paysans qui ne pouvaient résister à la concurrence. “ Le résultat de cette percée
technologique, reposant sur une petite minorité d’agents économiques agissant dans un
contexte très internationalisé est à la fois une croissance des surplus agricoles et une
poussée nouvelle vers la marginalisation de larges couches de la paysannerie ” (Peemans,
1995, p. 96). En effet, l’introduction massive des machines agricoles a entraîner une
augmentation du nombre de chômeurs dans les campagnes, et, par la suite, la diminution
de leur niveau de vie en rapport avec la disparition de plusieurs activités dont l’élevage.
Un autre aspect du traitement préférentiel de l’Etat vis-à-vis du capital agraire est
la modeste contribution des agriculteurs à l’impôt.
En effet, bien que les formes melk de production agricole tirent l’essentiel des
avantages des investissements étatiques dans l’agriculture, elles ne contribuent que peu à
leur financement.
La sous-imposition du secteur agricole est manifeste. L’imposition est calculée sur
base du revenu virtuel et non du revenu réel. Ayant les mêmes fondements que les
subventions publiques réalisées, la sous-imposition est aussi sélective, car elle concerne
plus les cultures commerciales et agro-industrielles que les cultures vivrières.
Il est à noter que l’agriculture dans son ensemble est exonérée d’impôts depuis
1984, sans distinction entre grandes exploitations spéculatives et petites exportations
vivrières.
2.4.4.1. Le crédit agricole
Si le crédit agricole, durant la période coloniale, a joué un rôle déterminant dans le
développement du secteur colonial européen, il a été par contre sans effet positif sur le
secteur “ traditionnel ”, condamnant une grande masse de paysans à la marginalisation.
La politique du crédit agricole, tout comme les autres composantes de la politique
agricole, revêt un caractère bipolaire favorisant nettement le grand capital agraire, au
détriment de la grande masse des paysans.
En 1961, l’Etat a réalisé des efforts considérables pour faire du crédit agricole un
organisme mieux adapté aux mutations de l’agriculture. Il est organisé sous forme
pyramidale avec une Caisse nationale (CNCA: la Caisse Nationale du Crédit Agricole) qui 45
regroupe les services centraux, des Caisses régionales (CRCA) dans les principales villes
et des caisses locales qui s’occupent des attributions aux petits exploitants (CLCA) dans
les plus petites du Maroc (Khrouz, 1992, p.126).
Chacune de ces structures correspond à un type de demande et à un profil
d’exploitant. La base est la garantie foncière.
Le crédit agricole a pu diversifier, conformément aux exigences des bailleurs de
fonds ( 50 à 55 % des ressources proviennent du marché financier international et
notamment de la BIRD et AID sous forme de lignes de crédit), ses opérations pour
toucher un grand nombre d’activités agricoles et rurales. Ainsi, l’agro-industrie, les ateliers
ruraux et l’habitat rural font partie des opérations classiques.
Répartition des crédits distribués par organisme (1970-1980)
1970/71 – 1974/75 1975/76 – 1979/80 1979/1980
Siège CentralC R C AC L C A
En mil. DH En % En mil. DH En % En mil. DH En %
270,1169,863,24
53,733,712,6
458,22378,56183,46
44,937,118,0
451,7495
242,2
38,041,620,4
Total : 503,14 100 1.020,40 100 1.188,9 100
Source : la Commission, issue du Colloque Agricole de Marrakech, en arabe.
D’une période à l’autre la masse totale des prêts octroyé a doublé, celle qui relève
des CLCA a presque triplé (2,9 fois). Ce pendant malgré ce taux de croissance supérieur à
la moyenne, celles-ci n’ont pu disposer que de 12,6% des crédits pendant 1970/71 –
1974/75, 18% pour le suivant et 20,4% pour 1979/80.
Ainsi, l’essentiel des prêts ont été accaparés et continuent à l’être, par la grosse et
la moyenne paysannerie (El Khyari, 1987, p.337).
Le crédit agricole ne touche que peu d’agriculteurs (moins de 32%) du fait de ses
exigences en garantie foncière et solvabilité financière. Les grands et moyens paysans
réputés solvables accaparent l’essentiel des prêts octroyés par le crédit agricole publique en
46
renforçant les inégalités sociales dans la campagne. De plus, les petits paysans qui
souhaitent augmenter leurs productions trouvent dans le CA un moyen pour le réaliser, le
résultat en a été l’accroissement de l’endettement et la baisse des revenus des ruraux. Les
différents recours possibles pour faire face aux remboursements, sont la quête de l’argent
dans les travaux temporaires en ville ou l’endettement à des taux usuraires (qui finit
souvent par l’expropriation), ce qui a pour effet de les précipiter vers d’autres activités et
notamment celles des villes.
2.4.5. Les conséquences de la politique agricole: marginalisation et émigration
Dans le milieu rural marocain, la répartition de la propriété reflète le degré de
l’inégalité qui existe entre les couches de la paysannerie.
La mobilité rural-urbain n’a guère fléchi, au contraire, elle a prit une vitalité
nouvelle. Ce renforcement est largement lié aux politiques d’intervention en milieu rural et
aux distorsions qu’elles ont provoqué. Au total, c’est dans ce contexte de paupérisation des
campagnes, découlant d’une politique agricole peu employante, que le paysan se trouve
dans l’obligation de chercher d’autres ressources de revenus que l’exploitation des terres.
Pour assurer leur subsistance, les petits paysans sont obligés de recourir à des
“ bouts d’emplois ” en tant que salariés dans les divers secteurs d’activités économiques
(agriculture, industrie, chantiers… ,.). Ils exercent aussi des activités de subsistance
(comme gardiens de fermes ou ils élèvent quelques têtes de bétail dans leurs maisons) ou
émigrent vers les villes, définitivement ou provisoirement, à la recherche d’emplois.
2.5. Conclusion
A l’issue de ce chapitre, il s’avère que la politique étatique dans l’agriculture est
préférentielle. Elle se base sur la consolidation et le renforcement des formes melk pour
assurer le développement du capitalisme agraire dans la campagne marocaine.
Les principales composantes de la politique agricole sont l’encouragement
aux investissements privés dans l’agriculture, l’octroi de facilités, de subventions et de
dons, la sous-imposition du capital agraire et la politique du crédit agricole. Finalement,
l’ensemble des investissements et des équipements (réalisés par l’Etat en matière
47
d’irrigation) a amené à renforcer la propriété privée et la consommation des moyens de
production entre les mains d’une minorité de propriétaires fonciers. En contrepartie, on
assiste à une marginalisation croissante de la majorité de la population rurale et à sa
prolétarisation, ce qui a engendré un exode rural important vers les villes.
Celui-ci, aggravé par une forte pression démographique, transforme le sous-emploi
rural en chômage ouvert urbain. Ne pouvant s’occuper dans l’industrie, étant donné le
potentiel d’offre d’emploi de celui-ci, ces populations émigrantes vont chercher du travail
dans des activités de survie, parfois en marge de toute réglementation, créant un autre
mode de vie qu’on appelle le secteur informel.
Chapitre 3 : La croissance démographique au Maroc: blocage
économique et développement du secteur informel?
La variable démographique constitue un indicateur majeur du niveau de
développement d'une économie donnée. Mais, “ la majorité partage la vue pessimiste: la
croissance de la population est un facteur majeur du sous développement, en empêchant la
hausse du taux d’investissement condition de la croissance de la modernisation ”
(Peemans, 1995, p.74). La croissance démographique est considérée donc, comme
favorable et facteur de développement quant elle suit le niveau de croissance économique; 48
c'est le cas dans les pays développés, tout comme elle peut être considérée comme
handicap et obstacle au développement quand le tissu économique ne permet pas de
répondre aux besoins d’une population qui croît continuellement (investissement, emploi
et revenu); c'est le cas des économies sous développées parmi lesquelles se trouve
l'économie marocaine.
Dans ce sens, les pays qui veulent sortir du sous développement doivent
nécessairement maîtriser leur croissance démographique par le biais des programmes de
contrôle de natalité. Autrement dit il, la réduction du taux de croissance de la population
est dépendante de la réussite de la fameuse transition démographique. Cette dernière
“ désigne le passage à l’occasion d’un processus de modernisation globale, et au bout d’un
certain délais, d’un régime traditionnel d’(équilibre démographique) à mortalité et à
fécondité fortes à un régime moderne d’(équilibre) à mortalité et fécondité basses ”
(Chesnais, 1986) par (Peemans, 1995, p.77).
Depuis l’indépendance, le Maroc a tenté différentes mesures pour contrôler sa
natalité, mais les résultats obtenus sont insignifiants et la population continue de
s’accroître. La croissance démographique a engendré des mouvements de masse entre
secteurs économique et entre campagne et ville. Dans le milieu urbain la croissance de la
population active alimenté par l’exode rural a mis plus d’impression sur le secteur
moderne de l’économie marocain. Ce dernier incapable de créer de nouveaux emplois
pousse la population au secteur informel.
Avant d’aborder les politiques qui ont été adoptés dans ce domaine, il est
indispensable de connaître l’évolution de la population marocaine.
3.1. L’évolution de la population marocaine et les raisons d’intervention
Tout d’abord, notons que les sources statistiques au Maroc sont peu nombreuses et
de qualités inégales: elles se limitent à quatre recensements qui ont eu lieu en 1960, 1971,
1982 et en 1994 l (le prochain recensement général aura lieu l’an 2002)
et à quelques enquêtes sur l'emploi urbain.
La forte croissance démographique au Maroc a débuté au cours de la période
coloniale. Depuis lors, elle n’a pas cessé d’augmenter.
49
Evolution de la population légale par milieu de résidence
Urbain Rural Urbain +Rural1960 3 389 613 8 236 857 11 626 4701971 5 409 725 9 969 534 15 379 2591982 8 730 399 11 689 156 20 419 5551994 13 407 835 12 665 882 26 073 717
Sources : Recensement Général de la Population et de l’Habitat Direction de la Statistique de (1960, 1971, 1982 et de 1994)
De ces recensements, on peut retirer quelques constatations sur la population
marocaine et son évolution. La population marocaine est passée de 11.6 millions
d’habitants en 1960 à 15.3 millions en 1971 avec un taux de croissance de 2.95% entre les
deux périodes. En 1982, la population marocaine a franchi les 20 millions pour atteindre
en 1994 les 26 millions. Il s’agit d’une progression d’un peu plus de 3% entre 1971 et
1982. Pour la période 1982-1994 Le taux de croissance n’a pas changé puisqu’il a
toujours resté élevé (3%).
Concernant les populations des milieux urbain et rural, en 1960, la part des ruraux
représentait 65% de la population totale. A partir des années 80, la population citadine a
franchi les 50% et la population rural commence à perdre son importance. En 1994 les
habitants des villes deviennent plus nombreux que les ruraux.
Aujourd’hui, l’ensemble de la population marocaine est entrain de s’urbaniser
alors qu’i y a quelques décennies, le Maroc était un pays agricole caractérisé par
l’importance de sa population rurale.
3.1.1. Les raisons de l’intervention dans le domaine démographique
La croissance rapide de la population marocaine constatée depuis les années 60 a
été considérée par le planificateur comme le goulot d’étranglement essentiel qui entrave le
processus de développement économique et social. Elle est également considérée la
principale responsable des problèmes posés à l’économie nationale et du décalage
croissant entre besoins et créations de ressources au sein de cette économie
50
En effet, la politique libérale suivie par le Maroc constate que la croissance rapide
de la population a de graves conséquences sur l’évolution économique et sociale du pays et
ce, à plusieurs niveaux. Citons notamment:
Tout d’abord, l’augmentation du nombre d’ individu dans un ménage réduit la part
des revenus du chef du foyer réservée à chacun des membres. La réduction du revenu au
sein du même ménage réduit la possibilité d’épargner. Par conséquence, la limitation
d’épargne au sein de plusieurs foyers rend la possibilité d’accumuler au niveau national
plus limitée,
Deuxièmement, la réduction de la capacité d’accumulation globale au sein de la
société est accentuée par l’augmentation des dépenses pour les investissements collectifs
improductifs tels que les logements, les hôpitaux, les écoles, et d’autres infrastructures.
L’importance de ces dépenses rend le processus de progression et de développement plus
lent.
Ensuite, une grande population a besoin des produits de première nécessité d’ou,
une pression de plus en plus forte sur la production de biens de consommation et surtout
sur les produits agricoles. Pour répondre à ces besoins, le recours à l’importation devient
un impératif qui accentue le déficit commerciale et, par la suite, la dépendance vis-à-vis de
l’étranger.
Enfin, la croissance démographique rapide entraîne une offre excessive de main-
d’œuvre plus importante que la demande et la pression de la population sur les terres
agricoles provoque l’accentuation de l’exode rural.
Afin de faire face à ces problèmes, les responsables marocains se sont précipités
sur la mise en application de mesures susceptibles de stopper la croissance démographique.
En effet, ils ont opté pour la politique de la limitation préalable des naissances.
3.2. les politiques de planification familiale et leurs échecs
La planification familiale s’est inscrite à partir de 1968 dans les plans de
développement marocain comme une priorité majeure de l’action économique et sociale
de l’Etat. L’application directe des planifications familiales pendant le plan quinquennal
de 1968-1972 a croisé un refus de la part des principaux partis politiques d’opposition et
de la majorité des religieux qui considèrent cette mesure comme anti-islamique. De plus, 51
la population marocaine n’était informée ni sur les causes, ni sur les objectifs, de mener
une politique de limitation des naissances.
Les résultats de cette campagne restent insignifiants malgré l’application du
relèvement de l’âge légal du mariage qui passe de 15 ans à 18 ans pour la femme et de 18
ans à 21 ans pour l’homme et la limitation des allocations familiales au troisième enfant,
alors qu’elles étaient versées jusqu’au sixième. (Lahlou, 1992, p.21).
Le plan de 1973-1977 a pris des mesures plus impératives et urgentes pour
rattraper l’échec du premier programme de planification familiale. Pour y parvenir, les
efforts ont été placés dans l’attente de la réduction familiale du taux brut de natalité
jusqu’à 43% en 1977. (Lahlou, 1992, p.76). Le caractère impératif et insistant de ce
dernier programme n’a pas pu non plus convaincre les habitants de réduire leur naissances
et la population marocaine continue de s’accroître.
Un changement de stratégie s’est donc avéré urgent. C’est pour cette raison que
dans le plan de 1978-1980, la politique de planning familial a emprunté un autre voie. La
stratégie adoptée permet de préparer psychologiquement la population à accepter le
planning familial. Mais, de telles mesures ne peuvent donner des résultats que dans le long
terme: un changement des comportements nécessite d’abord un changement dans des
institutions étatiques qui permettrait à la fois une laïcisation progressive et un
remplacement des comportements dits traditionnels par des comportement calculateurs et
rationnels des acteurs ciblés. La meilleurs voie à suivre pour atteindre cette objectif est
donc d’assurer l’éducation des générations montantes et plus particulièrement celle des
jeunes filles, et de lancer de vastes programmes d’éducation, d’information et de
motivation de la population pour la préparer psychologiquement à pratiquer la
planification familiale.
3.2.1. Le changement de priorité et l’échec des politiques de planning familiale
Avec la crise des années 1980, l’Etat a changé de priorité. Les contraintes des
P.A.S et le besoin de résoudre les problèmes de l’endettement, l’emploi, l’équilibre
économique et l’amélioration du niveau de vie de la population ont pris la place de
l’objectif fixé à long terme concernant la préparation psychologique à pratiquer le
planning familial.
52
Dans le même sens, les plans de 1981-1985 et de 1988-1992 ne s’intéressent pas à
l’exécution du programme dessiné par le plan de 1978-1980 mais ils se penchent
uniquement sur la résolution des problèmes des autres secteurs jugés plus urgents par les
bailleurs de fonds
Dès lors, le planning familial ne constitue plus une priorité pour les autorités et le
problème démographique s’est vu rattacher aux fonctions du ministère de la Santé
Publique. Le concept de planning familial a été remplacé par le concept “d’espacement
des naissances ”.
La croissance démographique reste jusqu'à nos jours très élevée par rapport à
d’autres pays qui ont les mêmes principes culturels et religieux tels que le Maroc comme
la Tunisie et la République Arabe Unie. Les choix de politiques dans ce domaine reste trop
limités et les stratégies établies depuis des décennies n’ont pas été appliquées. Aussi, le
taux d’analphabétisme reste toujours élevé et dépasse 50% dont 70% des analphabètes se
trouvent en milieu rural. Il faut noter aussi que la scolarisation concerne toujours les
garçons que les filles.
3.2.1.1 Les raisons d’une minime réussite et d’un énorme échec en matière de limitation
de naissances
L’échec de la politique de limitation des naissances a été généralisé au niveau
national. Par exception, la couche sociale composée des fonctionnaires a pu réduire ses
naissances. Les raisons de cette réussite sont multiples, elles peuvent être:
- La proximité des fonctionnaires des sources de diffusion des politiques étatiques de
modernisation ;
- Leur épanouissement aux sein des institutions modernisatrices et leurs sentiment de
participation dans les choix politiques du pays.
- Leur niveau de revenus même s’il n’est pas toujours élevé, reste néanmoins régulier.
- Et enfin, leur niveau d’instruction est élevé par rapport au niveau général d’instruction
du restede la société.
Ces constats nous permettent de comprendre que seuls ceux qui sont proches du
pouvoir peuvent être concernés par sa politique alors que la majorité de la population ne
53
participe pas aux grands choix économiques et sociaux du pays. La majorité non
concernée suit donc son mode de vie normal en matière de procréation comme pendant la
période coloniale. Les raisons de maintenir leurs taux de natalité toujours élevé peuvent
être expliquées (sans parler de motivations religieuses et culturelles) par l’in-confiance des
individus en l’appareil politique, économique et sociale de l’Etat. Les descendants
constituent une sorte de sécurité pour les parents face aux aléas de l’avenir.
Au Maroc le nombre grandissant des jeunes qui quittent leurs écoles pour travailler
dans le secteur informel le font non uniquement pour répondre à leurs propres besoins
mais souvent pour participer à maintenir ou à améliorer le niveau de vie de leurs familles.
3.3. Conclusion
La croissance démographique au Maroc a commencé depuis la période coloniale.
Depuis lors cette dernière n’a cessé d’accroître. Les politique de contrôle de naissance
n’ont commencé que pendant les années 1960. En effet, la croissance démographique est
considérée comme frein au développement c’est pour cette raison que l’intervention direct
de l’Etat a tenté tous les moyens pour stopper cette croissance mais sans atteindre des
résultats satisfaisantes.
Le retrait de l’Etat au début des années 1980 (en respectant les impératifs des PAS)
dans plusieurs domaines et notamment celui de contrôle de la croissance démographique a
obligé l’Etat de prendre d’autres politiques. En effet, la préparation psychologique de la
population pour accepter la limitation de naissances est l’une des intervention indirecte qui
s’inscrit dans le cadre de ces politiques.
Toute fois la marginalisation qu’a subit les paysans dans le milieu rural, l’exode
rural et la paupérisation de la majorité des habitants urbain font limite a cette stratégie:
dans un contexte de crises prolongées, les acteurs du secteur informel font plus de
confiance à leur propre mode de vie et à leur descendants qu’aux politiques Etatiques de
modernisation. On peut dire alors “ vu ces contraintes simultanées de paupérisation et de
monétarisation plus fortes, on peut penser que ce secteur informel joue un rôle important
dans le maintien d’un taux de croissance démographique élevé ” (Peemans, 1995, p. 94-
95)
54
Chapitre 4 : La faiblesse du secteur industriel et sa contribution
dans l’expansion des activités informelles
Dans les pays du Sud, quelque soit leur niveau de développement, leurs
dynamiques et leurs divergences, la progression de l’industrialisation s’est réalisée plus
ou moins jusqu’au début des années 1980, années marquées par un net ralentissement et
même une désindustrialisation.
La colonisation avait légué un modèle de croissance de type agro-minier où
prédominait un secteur primaire de production et une faible diversification. A cette
époque, des activités industrielles s’étaient créées, dominées par l’initiative des groupes
privés français. Elles ce sont cantonnées à la transformation des produits de pêche, de
l’élevage ou de sol.
Au lendemain de l’indépendance, le développement économique s’est tourné
vers la mise en place d’une industrie endogène. L’objectif de celle-ci devait être atteint
par la mise en place de structures de base, approvisionnées par les matières premières
locales et autour desquelles devaient se greffer des unités de transformation. Ces choix
55
nécessitaient des efforts d’investissement importants et des moyens énormes de
financement.
Malheureusement, ces ambitions d’industrialisation ont été vite remises en
question avec les rectifications du plan quinquennal (1960-1964). Dorénavant, la
trajectoire suivie par la politique industrielle de l‘Etat est mouvante et fluctue en
fonction des objectifs et des idéologies que véhiculent les programmes
d’industrialisation.
Depuis les années 1970, l’industrie, occupe la troisième place derrière
l’agriculture et le tourisme dans les politiques de l’Etat. La négligence du secteur
industriel a rendu la résolution du problème de l’emploi plus difficile, et l’insertion de
l’économie dans la division internationale du travail plus réduite.
En effet, l’incapacité du secteur industriel à procurer du travail à la masse de
ruraux émigrés vers les villes et aux citadins, pousse ceux-ci à s’occuper dans des petits
métiers qui prolifèrent ainsi dans les villes du pays.
4.1. Le mode d’industrialisation au Maroc
Après le rejet des propositions et des choix véhiculés par le plan quinquennal
(1960-1964) à la suite d’un changement d’équipe gouvernementale, l’entrée en scène des
organismes internationaux (Banque Mondiale et FMI) et l’affirmation d’options
économiques libérales, les plans qui ont suivi ont accordé la priorité à l’agriculture et au
tourisme (El Malki, 1989, p. 14)
Bien qu’elle garde la dernière place dans les priorités des politiques étatiques de
développement, l’industrie occupe toujours le régime dans la mesure où elle peut
résoudre le problème de l’emploi et des revenus.
L’agriculture et le tourisme sont des secteurs importants, mais ils fluctuent en
fonction de leur environnement: l’agriculture, en grand partie, est dépendante des aléas
climatiques et le tourisme dépend de la situation économique des pays étrangers et des
comportements des touristes.
La politique d’industrie au Maroc combine l’industrie de substitution aux
56
importations et l’industrie orientée vers l’exportation. Les traits caractéristiques de cette
industrialisation sont le faible accès aux marchés internationaux en l’absence de
compétitivité, le faible degré d’intégration et la dépendance à l’égard des marchés
internationaux pour l’achat des matières première, ce qui accroît la dépendance à
l’égard du secteur primaire exportateur.
La combinaison introvertie de l’industrie trouve son origine dans la politique
industrielle qui, jusqu’à la fin des années 1960, s’est appuyée sur la substitution aux
importations comme orientation dominante. Ce choix industriel a été officiellement
abandonné au profit d’une politique ouvertement libérale en 1973. En effet, à partir de
cette date, elle se fonde plutôt sur les exportations et la contrainte externe. Dans les
deux cas, l’extension du salariat est restée trop limitée.
4.2. La politique industrielle de substitution aux importations
Après quelques années d’hésitations au lendemain de l’indépendance, le Maroc
a adopté la planification, reconnaissant la nécessité d’une coordination de l’économie.
L’intervention de l’Etat dans cette entreprise est importante le rôle de l’Etat
devait être plus ambitieux: la planification centrale ainsi qu’un secteur public important
devaient permettre un contrôle politique plus étendu des conditions globales du
développement. Ce rôle attribué à l’Etat suscitait de toute manière l’intérêt pour les
expériences d’industrialisation rapide dans le cadre d’une planification étatique, c.-à-d.
les expériences soviétique et chinoise (Peemans , 1995, p. 79)
Le premier plan quinquennal au Maroc de (1960-1964) vise, dans le domaine
industriel, la mise en place d’une industrie nationale de base, financée essentiellement à
partir des ressources internes. Il prévoit un taux de croissance du produit global de
6,2%. Mais, les investissements bruts envisagés (1600 millions de dirhams, en
moyenne, par an), ne peuvent permettre qu’une croissance économique à peine égale à
la croissance démographique (Isnard, 1966, p. 91).
Jusqu’à la fin des années 60, la politique industrielle est marquée par une
stratégie de remplacement des importations. L’accent est alors mis sur les biens de
première nécessité ( produits alimentaires, textiles), sur la chimie (destinée à la
consommation finale), la para-chimie, matériaux de construction ou encore sur les
57
industries de montage. Sous la responsabilité de l’Etat, ces activités nationales sont
fortement protégées par les barrières douanières afin de résister à la concurrence
étrangère.
En effet, le plan prévoit, en faveur des entreprises de production, des mesures
d’encouragement d’ordre douanier ou fiscal, des garanties d’exportation, des bénéfices
et l’octroi de primes d’équipement.
L’Etat a élevé ses tarifs douaniers et adopté un régime protecteur: aux 12,5% de
droits atteignant uniformément jusqu’ici toutes les importations, il a substitué une
nouvelle tarification, de 20% en moyenne, mais frappant faiblement les matières
premières et les biens d’équipement et plus fortement certain biens de consommation.
Parallèlement à l’exécution de son plan, le Maroc a décidé, dans le cadre du
service civil obligatoire (ou la promotion nationale), d’utiliser les forces de travail
jusqu’ici inactives, dans des opérations de développement: défense et restauration des
sols, ouverture de routes, fixation de dunes, suppression de bidonvilles...
En 1963, le nombre de journées de travail inemployées s’élevait à 500 millions,
moitié dans les villes, moitié dans les campagnes: la Promotion Nationale n’a pu en
utiliser que le tiers.
Pendant la période d’application de ce premier plan, le manque de moyens de
financement représente un frein à la réalisation des grands projets. L’épargne publique
et privée ne peuvent répondre aux besoins de l’économie.
Face à cet handicap, et pour financer ses investissements, les autorités
considèrent le capital privé étranger comme partie intégrante de l’économie nationale et
disposé à collaborer à son essor: ils persistent cependant à lui faire confiance dans le
financement de ses projets.
Désormais, l’essentiel des biens capitaux dépendent de l’extérieur. Les
investissements et les biens d’équipement de base de l’industrie et de l’agriculture
importés ont pesé lourdement sur les dépenses de l’Etat. L’exportation qui peut réduire
le déséquilibre de la balance commerciale reste faible, et dépend des aléas du marché
extérieur.
4.2.1. L’échec du modèle d’accumulation par substitution aux importations
58
Aucune des mesures de l’import substitution n’a apporté les résultats attendus:
l’investissement net n’a pas dépassé 40% du montant prévu par la perspective
quinquennale. Le taux de croissance du PIB n’a pu s’élever au-delà de 2% par an, ce
qui est en-dessous du taux de croissance démographique. Le taux de croissance
industriel a été lui aussi insuffisant (3% en moyenne annuelle de 1963 à 1968). De plus,
le nombre de projets mis sur pied a été bien modeste. De ce fait, la part de l’industrie
dans le PIB est restée faible et son intégration aux autres secteurs économiques est
demeurée lâche (Jaidi, 1992, p, 91).
De son côté, le secteur marocain privé s’est montré très réservé dans ses
investissements: on compte seulement 9% pour la participation des privés nationaux; la
grande partie des investissements est supportées par l’Etat et par des crédits externes.
L’expérience marocaine dans le modèle d’accumulation par substitution aux
importations a connu des limites. La plus importante découle de la grande faiblesse du
pouvoir d’achat car le rapport salarial ne s’est pas approfondi de manière significative
dans le système productif et la création d’emplois nouveaux ne satisfait pas une
demande (140.000 par an entre 1960 et 1967) amplifiée par la pression démographique
et l’exode rural (El Malki, 1989, P. 17).
Ce dysfonctionnement a engendré une absence de cohésion entre normes de
production et normes de consommation. C’est pour cette raison que l’on parle de
l’étroitesse du marché intérieur caractérisé par un degré élevé d’inégalité dans la
répartition des revenus (entre 1960 et 1971), la part dans les dépenses de consommation
revenant aux 10% des ménages les plus riches est passée de 25 à 37%, alors que celle
des 10% les plus pauvres est tombée de 3.3 à 1,2% (El Malki, 1989, p. 19).
La situation économique du pays stagne et se heurte donc au déficit du
commerce extérieur et à un endettement de plus en plus explosif qui ont pour
conséquence la réduction des investissements.
En 1963, le plan quinquennal 1960-1964 est abandonné. Une enquête générale
sur l’économie du pays fut confiée, à la demande du gouvernement, à une mission de la
BIRD. Cette dernière a élaboré un plan économique modeste de 3 ans (1965-1967) qui
prévoit une augmentation annuelle de la production de 3,5%, taux qui dépasse à peine
l’accroissement de la population.
59
Ce plan n’a rien changé aux modes de financement et laisse en place les
structures existantes. Cependant, il est centré autour de trois grandes options:
l’agriculture, le tourisme et la formation professionnelle. Son financement doit être
assuré, à raison de 1,525 de dirhams, par l’aide étrangère (Isnard, 1966, p. 93).
C’est ainsi que « la plupart des Etats qui avaient entamé des politiques
ambitieuses de construction d’une industrie nationale, se sont trouvés, en dépit de taux
de croissance élevés, confrontés à un ensemble de tension internes aggravées par la
modernisation: la structure de l’emploi étant très en retard par rapport à la structure du
P.I.B., cela se traduisait par des inégalités plus fortes de revenus entre couches sociales,
entre campagne et ville, etc » (Peemans, 1995, p. 82).
Les résultats négatifs de ces politiques (caractérisées par de faibles gains de
productivité, une surcapacité de production dans un marché restreint et une incapacité
de développer la salarisation) contraint l’industrie de se tourner vers l’extérieur: vers la
CEE ou vers un marché plus grand. Les orientations de la politique économique se
traduisent par l’adoption de nouvelles priorités à partir de 1973 dont principalement la
recherche de débouchés extérieurs et l’insertion dans la DIT.
4.3. Le mode d’industrialisation basé sur l’exportation au Maroc
Après l’échec de la première politique industrielle « la poursuite de la
modernisation nationale dans les termes antérieurs n’était plus possible. Il fallait soit
établir un nouveau consensus sur des transformations internes radicales, soit réinsérer
l’économie pleinement dans l’accumulation internationale, en la soumettant plus
étroitement aux normes et contraintes de cette dernière. » (Peemans, 1995, p. 82).
Le Maroc a choisi la deuxième voie et la politique d’ouverture sur le marché
international est définitivement institutionnalisée par le plan 1973-1977.
La politique de promotion des exportations, qui concrétise cette ouverture,
résulte non seulement des contradictions économiques et sociales du régime
d’accumulation précédent mais elle s’inscrit également dans le cadre des nouveaux
rapports économiques internationaux liés à l’endettement et à l’intervention du FMI et
de la Banque Mondiale.
L’industrie d’exportation répond ainsi au souci du Maroc de se faire une place
dans la DIT. En effet, dès 1973 , l’Etat fait de la croissance des industries exportatrices
60
une nécessité et une condition du décollage économique, sans négliger pour autant les
industries substitutives aux importations.
Cette politique sera confirmée dans les plans qui vont suivre : (1978-85), (1981-85),
(1988-92),..
Les planificateurs considéraient que cette industrie basée sur l’exportation était
nécessaire en raison :
de l’étroitesse du marché national dans un certain nombre de branches industrielles;
de la nécessité de se procurer des devises pour financer l’industrie de substitution;
de la nécessité de créer des emplois industriels en plus grand nombre que ne le
pourrait la seule substitution des importations;
de valoriser les matières premières aussi bien agricoles, halieutiques que minières.
4.3.1. Les caractéristiques de cette industrie
La stratégie de promotion aux exportations se différencie de la précédente par la
nature de la demande finale. Dans le cas de l’industrialisation par substitution
d’importation, cette demande est interne, et suppose la croissance du pouvoir d’achat
interne, dans le second cas, au contraire, la demande est ailleurs et provient de
l’extérieur. Afin de rester compétitive sur les marchés extérieurs, l’industrie extravertie
repose sur une compression des salaires et une législation du travail restrictive.
L’extension de l’industrie manufacturière repose désormais sur les industries de
main d’oeuvre pour lesquelles le Maroc est censé posséder des avantages comparatifs,
compte tenu des bas salaires. Sous l’impulsion de la Banque Mondiale et du FMI cette
tendance va s’accélérer à partir de 1983, date à partir de laquelle le régime
d’industrialisation tiré par le marché extérieur se structure.
Il s’agit de favoriser les industries pour lesquelles le Maroc dispose d’avantages
comparatifs (textiles, habillements, chaussures, et quelques industrie de transformation).
Pour ce faire, l’Etat a adopté en 1973 la politique de la marocanisation. Cette
politique a permis l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs. En effet, on assiste
alors à la consolidation de la dimension des entrepreneurs de la première génération, à une
reconversion des cadres techniques de l’administration vers le privé et à une pénétration
dans le monde des affaires industrielles de quelques éléments issus des classes moyennes.
61
La politique d’ouverture a des effets contestables, tant au niveau de la croissance
du PIB, de la dynamique de l’industrie que sur l’extension réduite de la salarisation
dépendante du régime d’exportation.
4.4. Les limites de l’industrie basée sur les exportations
4.4.1. La diversification réduite de l’industrie d’exportation et sa faible contribution dans
le PNB
En 1977, la part de l’industrie dans la composition du PNB s’élève à 33.2 %. Elle
représente en moyenne 11% de la PIB, ce qui est caractéristique d’un pays sous développé
(El Malki, 1989, P. 41). Cette accroissement est dû principalement à la promulgation du
nouveau code des investissements accordant des avantages substantiels à plusieurs
branches tournées vers l’exportation. Le taux d’utilisation de la capacité de production des
activités d’exportation a augmenté de 60 à 80% entre la fin des années 60 et le début des
années 70.
La composition de la gamme des produits d’exportations, est trop restreinte. Et «Si
le Maroc fait partie, depuis quelques années, de cette nouvelle vague de pays du Tiers-
monde exportateurs de produits industriels, la structure de ses exportations en ces produits
ne correspond pas à celle de la plupart des pays qualifiés de semi-industriels. Les articles
exportés sont essentiellement d’origine agricole ou minérale subissant quelques opérations
de transformation (chimie et parachimie : 46 %, textiles et cuir : 31%, agro-alimentaire :
17% » (Jaidi, 1992, p. 106)
Cependant, il est révélateur de constater que les branches les plus dynamiques sont
celles qui ont des liens soit en amont, soit en aval avec le secteur d’exportation (industrie
de transformation des métaux, industries textiles). Les autres branches, ont connu une
baisse dans la progression de leurs activités (industrie des corps gras), ou bien continuent
de régresser (industrie du cuir et des chaussures).
4.4.2. La dépendance du secteur d’exportation et sa fluctuation en fonction des contraintes
62
externes
En 1977, la dernière année du plan quinquennal de 1973 -1977, les retombées de la
première crise pétrolière sur le Maroc ont révélé la faiblesse du tissu industriel et sa forte
dépendance vis à vis des marché extérieurs. A cette date, le taux de croissance économique
est tombé à 1% contre 9.8% en 1976 (El Malki, 1989, p. 115).
Les mesures anti-crise adoptées par les pays capitalistes, qui sont en grande partie
des mesures protectionnistes, remettent en cause et à sens unique les bases et les règles de
la dépendance imposée au tiers monde. Elles se sont traduites par le contingentement de la
main d’oeuvre immigrée et des productions industrielles concurrentielles (textiles, produits
alimentaires, acier...). Le protectionnisme de la CEE et particulièrement celui de la France
(le meilleur partenaire économique et politique du Maroc) à l’égard du Maroc est lourd de
conséquences d’autant plus que ce dernier a fait de l’exportation de la main d’oeuvre et
des produits textiles des composantes importantes de son modèle de croissance.
La politique d’industrie d’exportation trouve donc ses limites et notamment dans la
fragilité commerciale de l’économie du pays. La structure des exportations n’a pas connu
de changements significatifs, la faiblesse de la compétitivité de la production industrielle
sur les marchés internationaux favorise les exportations de produits primaires (produits à
base de phosphates et d’agriculture).
4.4.3. La concentration géographique limitée de l’industrie
La répartition géographique industrielle héritée du protectorat est caractérisée par
une très forte concentration des usines essentiellement dans l’agglomération de
Casablanca. La politique suivie dans le domaine industriel après l’indépendance n’a
remédié que partiellement à ce problème.
Pendant la période coloniale et les premières années de l’indépendance, la
concentration industrielle dans les grandes villes du Maroc (Casablanca, Rabat et Kenitra)
a incité la population, dans une première phase, à se diriger vers ces zones. Depuis
l’indépendance, c’est la concentration massive des populations dans les zones urbaines qui,
dans une seconde phase, attire les industries en raison de l’importance du marché de la
consommation.
63
L’industrie au Maroc est spécifiquement un phénomène urbain. Elle est
caractérisée par une forte concentration de la production et de l'emploi dans des espaces
géographiquement déterminés (le littoral atlantique et principalement dans l’axe Kenitra et
Casablanca); par la prédominance des industries de transformation (agro-alimentaire,
textiles...), et enfin par un faible impact sur l’emploi.
Malgré l’effort de régionalisation, les avantages et incitations octroyés par le code
des investissements industriels, la politique de régionalisation a débouché plus sur une
localisation dans les milieux urbains que dans les régions. Le littoral atlantique continue à
drainer l’essentiel de l’investissement et en particulier celui du secteur privé, pour qui la
présence d’un marché potentiel de consommation et d’une infrastructure constituent les
principaux motifs d’investissement.
4.4.4. Manque d’entreprises structurées et expansion du secteur tertiaire
La fragilité des structures de l’industrie marocaine a un autre aspect. En effet, la
précipitation dans la construction des entreprises depuis l’indépendance a rendu l’industrie
du pays non enracinée et déstructurée. En 1973, une enquête a montré que sur l’ensemble
des entreprises existantes, seulement 17% datent de la période coloniale et 60% ont été
créées depuis l’indépendance (Jaidi, 1992, p. 105).
En plus de la jeunesse des entreprises marocaines, d’autres facteurs liés à la
structure économique et sociale du pays jouent dans le même sens: c’est le cas de la
pénurie de main d’oeuvre qualifiée et la faible utilisation de la capacité de production. Ces
insuffisances ont permis le développement rapide du secteur tertiaire.
En fait, le secteur tertiaire a connu depuis 1977 un essor remarquable avec un taux
de croissance voisin de 7%. A l’heure actuelle, les activités tertiaires continuent de
représenter environ la moitié de la PIB. Cette situation est jugée normale pour une
économie développée mais pour une économie sous développée comme celle du Maroc,
c’est le contraire. En effet, le secteur tertiaire est alimenté principalement par les exclus de
la production. La croissance démographique, l'exode rural et la faiblesse du tissu industriel
à absorber la masse de main d'oeuvre ont fait du secteur tertiaire un secteur déversoir.
4.5. L’industrie et l’emploi
64
L’impact de l’industrie sur l’emploi reste globalement faible et manifeste une
tendance à la concentration dans les industries de transformation qui continue à occuper
une place dominante sur la scène industrielle. Cette industrie absorbe directement à peine
5% de la population active (Jaidi, 1992, p. 104). Cet indicateur confirme la tendance à la
baisse du salariat.
Pour l’année 1975, sur une population estimée à 17.5 millions, 4.7 millions sont
considérés comme des personnes actives. Et selon les données du sondage effectué en
1971, le nombre total de chômeurs serait de 900.000 (400.000 en milieu urbain et 500.000
en milieu rural). ce qui donne un taux de chômage officiel de 22.5% pour la même année
(El Malki, 1989, p. 83). Ces statistiques correspondent aux premières années de
l’application de la politique industrielle basée sur l’exportation. Autrement dit, on peut
qualifier ce taux de chômage élevé à l’échec de la première politique industrielle basée sur
l’import substitution. Or, la politique industrielle d’exportation adoptée depuis des
décennies n’a rien changé dans la structure du marché de l’emploi.
Récemment encore, le taux de chômage dans le milieu urbain, comme nous
l’indique le tableau ci-dessous, reste encore très élevé et représente 22 % de la population
active (c’est à dire le même taux de chômage enregistré en 1971).
Taux de chômage en milieu de résidence (Année 1999)
Milieu en % Hommes femmes Total
Rural + Urbain 14,2 13,3 13 ,9
Rural 7 2,1 5,4
Urbain 20,3 27,6 22
Sources: La Direction de la Statistique, 1999.
En effet, ces résultats, à côté des données sur l’industrie, paraissent logiques.
L’industrie participe uniquement à 11% dans la structure de la PIB. Ce faible pourcentage
par rapport à celui de l’agriculture (l’agriculture prédomine par une part de 30% de la PIB)
nous montre que l’industrie est impuissante à absorber une partie toujours grandissante de
la population active. La faiblesse du tissu industriel fait du secteur publique le principal
créateur d’emplois sur le marché urbain. 65
4.5.1. Le rôle de l’Etat dans la création d’emplois
En 1977, les autorités, devant un secteur industriel incapable de créer des emplois,
a mis en place encore une autre fois, un programme (dans le cadre de la promotion
nationale) complémentaire d’investissements peu capitalistique et fortement utilisateur de
main d’œuvre, avec l’espoir de réduire le déficit de la balance de l’emploi à 300.000
chômeurs pour 1977.
Le programme s’est soldé par un échec: la promotion nationale n’a procuré que
10.7 millions de journées de travail contre 11.4 millions en 1974.
Notons que pendant les années 70, l’intervention de l’Etat a été considérable dans
la formation de cadres et la création d’emplois. Sur plus de 71.000 emplois salariées créés
en moyenne par an de 1978 à 1980, la contribution de l’administration reste prépondérante
(40%). Celle des secteurs secondaire et tertiaire marchand est de 50% (25% chacun), en
moyen. Celle du primaire, enfin, ne dépasse pas 10% (El Malki, 1989, p. 154).
L’emploi salarié de 1975 à 1980 Unité salarié de 1975 à 1980
1975 1978 1980 Emplois nouveauxpar an de
1978 à 1980
Taux annuel1978 -1980
Taux annuel1975 -1980
primaire 410,9 429,6 442,5 6,5 1,5 1,5Secondaire 394.3 400,5 435,4 17,4 4,3 4,7Tertiaire
marchand321,0 375,1 412,7 18,8 4,9 5,3
Administrations 352,3 495,6 552,4 28,4 5,6 12,1Total 143,5 170,8 1843 71,1 4,1 5,9
Sources : Plan Triennal 1978-80, vol. I, p. 173.
Depuis le début des années 80, l’état du marché de l’emploi s’est détériorée. Le
désengagement de l’Etat de plusieurs secteurs, y compris celui de l’emploi, a diminué le
nombre de postes de travail occupés et a réduit le recrutement dans la fonction publique
(dans les années 70, l’Etat engageait chaque année 40% des demandeurs d’emploi).
66
Ajoutons à cela la faiblesse du tissu industriel en matière de création d’emplois, avec la
réduction progressive des subventions octroyées aux entreprises qui s’est accentuée.
Cette faible création d’emplois dans l’industrie trouve en partie son explication
dans l’élévation du coût moyen par emploi crée, c’est-à-dire de l’usage d’une technologie
à haute intensité capitalistique.
4.5.2. Les bas salaires: une caractéristique de l’industrie basée sur l’exportation
Le Maroc, souhaitant occuper une place dans la DIT, a trouvé dans la politique des
bas salaires une composante de son avantage comparatif. Pour rester compétitif sur le
marché internationale les produits exportées doivent être le moins cher possible. Le coût
du capital technique ne peut être réduit car il est déterminé par des marchés externes.
Ainsi, pour compresser le prix de revient d’un produit d’exportation, la baisse du coût
salariale reste la seule solution. De plus, dans les conditions de l’accumulation capitaliste
dépendante, le salaire versé aux travailleurs est perçu non pas à la fois comme coût et
comme créateur d’une demande interne mais uniquement comme coût, la demande étant
tributaire des exportations, des dépenses publiques, et des dépenses des couches aisées de
la population. Ainsi conçu, le salaire-coût doit être réduit au strict minimum.
De là découle le faible niveau de vie salariale. La pratique de la surexploitation de
la force de travail se répercute sur le salaire réel, et, partant sur le niveau de vie de la classe
ouvrière.
La hausse permanente des prix et la réduction croissante des produits
subventionnés, ajoutées à l’absence d’application de la législation sur les salaires par un
grand nombre d’entreprises, contribuent amplement à la dégradation des conditions de vie
de la force de travail.
Dans ces conditions, une concurrence intense s’installe entre la main d’œuvre
employée et les chômeurs. Le problème fondamental qui se pose alors à cette force de
travail n’est pas tant de refuser de travailler à un salaire inférieur ou égal dans le meilleur
des cas au salaire minimum garanti, mais surtout de parvenir à décrocher un emploi à
n’importe quel prix et à le garder. Cette population, constamment menacée par le
chômage, s’inquiète donc plus de l’accès à l’emploi et de la sécurité de celui-ci que de
l’importance du salaire.
67
4.6. L’explosion urbaine et la marginalisation de la population
L’explosion urbaine est un fait majeur qui a caractérisé les villes marocaines
surtout après l’indépendance. Mais elle débuta sous l’occupation coloniale (française et
espagnole). Ainsi, en 1921, Casablanca contient à elle seule 97.000 habitants dont 62.000
marocains (Benkirane, 1993, p. 4).
Le processus d’urbanisation moderne a connu une expansion quasi exponentielle
au lendemain de l’indépendance, créant ainsi une situation totalement nouvelle
caractérisée par la massification du phénomène urbain. Conséquence de la croissance
naturelle, et de l’exode rural, l’urbanisation anarchique se déroule dans de mauvaises
conditions.
Cependant, l’industrie est caractérisée par une faible capacité dans la création
d’emplois, une absence d’effet d’entraînement sur les autres secteurs, et des impact
négatifs sur l’urbanisation puisque, en activant la mobilité de la population, elle contribue
à l’aggravation des déséquilibres régionaux. Il en découle une marginalisation croissante
de la population urbaine dont les principaux indices sont le chômage croissant, le sous-
emploi, et le développement de l’habitat précaire.
Aussi, les limites du modèle d’accumulation, dont l’urbanisation anarchique est un
indicateur, se traduisent par la prolifération des métiers de survie par lesquels toute une
population démunie trouve moyen d’assurer sa subsistance.
4.6.1. L’évolution de la population urbaine au Maroc
L’urbanisation accélérée est un phénomène social généralisé dans les pays du tiers
monde. Dans les conditions de sous développement, elle n’est pas l’expression de la
croissance économique et de la modernisation, car au lieu d’accompagner
l’industrialisation à l’image des pays développés, l’urbanisation la précéde. (En trente ans,
de 1920 à 1950, la population urbaine du Maroc est passée de 1/10 à 1/4 de l’ensemble,
évolution que la population urbaine de la France avait mis 150 ans à parcourir, de 1700 à
1850) (Benkirane, 1993, p. 13).
Ce phénomène dérive, d’une part, d’une forte poussée démographique, et d’autre
part, de l’exode rural. Au Maroc, la population urbaine représente, en 1994, 50% de la
68
population totale dont 1/3 habitent la seule ville de Casablanca, alors que la population
urbaine en 1960 ne représentait que 25% (Direction de la Statistique, 1994).
La concentration de la population dans les grandes villes marocaines est un résultat
de la mobilité qui s’est produite depuis la colonisation.
4.6.1.1. L’urbanisation à l’époque coloniale
L’explosion urbaine a pris naissance dans l’entre deux guerres. L’exode rural est le
caractère principal de cette explosion. En fait, la colonisation agraire menée de manière
extensive et la construction de villes nouvelles ont contribué à ce phénomène; les petits
propriétaires terriens voient leurs terres expropriées, rassemblées et constituées en vaste
domaines qui transforment une agriculture de subsistance en instrument de production à
grande échelle. S’ils ne se convertissent pas en ouvriers ruraux ou ne s’adonnent pas au
métayage, ils émigrent massivement en ville où l’édification de quartiers européens
nécessite une main d’oeuvre abondante et bon marché. D’où l’emplacement des
bidonvilles spontanés qui se situent en général près des lieux nouvellement construits.
De 1936 à 1952, le mouvement vers les villes prend encore plus d’ampleur, en
raison des années de sécheresse (1936, 1937, 1939 et 1945) et de la reprise de
l’investissement urbain après la seconde guerre mondiale ( Benkirane, 1993, p. 4).
Dans cette perspective et en l’absence d’une réforme agraire qui permettrait de
maintenir les paysans dans leur sol et par conséquent, de réduire le phénomène d’une
urbanisation croissante, la ville apparaît pour le rural sans emploi et prolétarisé un lieu
privilégié, où il y a le plus de chances de s’occuper et de gagner sa vie.
4.6.1.2. L’urbanisation après l’indépendance
Après l’indépendance, le phénomène d’urbanisation a pris une ampleur plus
importante. Les déséquilibres nés de l’opposition ville-campagne à l’époque du protectorat
se sont accentués. Ils ont provoqué dans certaines régions une hémorragie importante ( en
1965, l’émeute sanglante de Casablanca a inscrit le mouvement urbain dans un type
nouveau de dynamique sociale). Entre 1960 et 1971, le taux d’urbanisation est passé de
29,15 % à 35,2 % (Benkirane, 1993, p. 7)
Les autorités marocaines ne commencent à mesurer l’ampleur de l’urbanisation et
69
ses implications socio-politiques que depuis le début des années 80. Les émeutes de 1981
et de 1984 sont à la base de cet intérêt porté au problème des milieux urbains. Suite à ces
événements, la Banque Mondiale a effectué des études socio-économiques et a proposé la
restructuration des principales zones sous-intégrées, la solidification progressive des
bidonvilles et enfin l’amélioration du niveau de vie des populations pauvres.
Dans des situations pareilles, la prolifération des petites activités dans le milieu
urbain est l’une des réponses qu’inventent les migrants pour atténuer les retombées de leur
marginalisation.
4.6.2. L’explosion urbaine et le secteur informel
L’explosion urbaine est donc le fait d’une société rurale en pleine phase de
déstructuration et d’expansion démographique mal contrôlée. La ville est en passe de se
ruraliser car dans les conditions d’une croissance urbaine démesurée, le marché de
l’emploi subit de vives pressions que la croissance économique ne parvient à résoudre
qu’en partie.
Ainsi, le nombre de chômeurs urbains ne cesse d’augmenter d’année en année, (en
1999, le taux de chômage dans le milieu urbain est de 22%) et la prolifération des activités
de survie (petits vendeurs ambulants, cireurs, gardiens de voitures, réparateurs...) camoufle
l’extension réelle du chômage.
Comme l’industrialisation a de faibles impacts sur l’emploi, les migrants créent des
occupations diverses et des types d’activités conformes à leurs moyens et à leur degré de
qualification. L’éventail des professions exercées est vaste et hétérogène, et concerne
toutes les activités de faible productivité.
Une frange importante de la population urbaine est marginalisée. Les indices en
sont notamment la prolifération de la délinquance, le manque de logements décents et
salubres, le sous-emploi et la destruction de la famille.
4.7. conclusion
Le modèle d’accumulation du capital dans le secteur industriel révèle la fragilité de
celui-ci quant à son rôle dans la dynamisation de l’activité économique. On le conçoit bien
quand on analyse la structure du secteur industriel qui reste marqué par la prédominance
des industries légères de transformation dont une partie est destinée au marché local pour
70
répondre aux besoins de certaines couches sociales tandis que l’autre partie est tournée
vers l’exportation, répondant à une demande externe fluctuante.
De plus, l’industrie marocaine est peu diversifiée et ne concerne qu’un nombre
restreint de produits primaires ou de produits de transformation comme le textile, l’agro-
alimentaire et des produits chimiques extraits du phosphate, malgré les efforts de
régionalisation concentrée dans des espaces géographiquement déterminés: l’axe du littoral
atlantique, et essentiellement l’agglomération de Casablanca. Cette concentration reflète la
faiblesse du secteur industriel à mobiliser la force de travail qui reste encore mal exploitée.
En général, l’industrie marocaine de promotion aux exportations est un modèle
dont la croissance est fragile parce qu’elle est déterminée par des impulsions exogènes qui
restent difficiles à prévoir et à maîtriser. L’extérieur ne peut constituer un facteur
privilégié de développement économique. La croissance de ce modèle est quantitative
parce que les principales caractéristiques de l’économie marocaine qui sont celles d’une
économie dépendante, loin de se modifier, se renforcent. Ainsi, L’idée est que, depuis
l’indépendance, la faiblesse de la salarisation et de la création de l’emploi sont restées des
caractéristiques qui ont marqué le secteur industriel marocain.
En ce qui concerne l’explosion urbaine au Maroc, l’urbanisation, comme dans
d’autres pays du tiers monde, a précédé l’industrialisation. Ce phénomène s’est traduit par
un certain nombre de déséquilibres qui façonnent, aujourd’hui encore, le paysage urbain.
Le plus important est le déséquilibre entre l’offre et la demande de travail. Le
secteur industriel devant absorber l’excédent de main d’œuvre provenant des autres
secteurs (notamment agricole et artisanal), n’offre que peu d’emplois ( caractérisés par des
salaires bas en raison de l’importance de la demande de travail). La conséquence en est
non seulement le chômage ouvert, mais aussi la prolifération du tertiaire et surtout des
activités relevant du secteur informel qui absorbent une large part de la main d’œuvre.
Le niveau élevé du chômage, auquel il faut ajouter les conditions précaires de
logement d’une frange importante de la population urbaine ou urbanisée, traduisent à des
degrés divers la situation du monde urbain. Dans les villes marocaines, l’écart grandissant
entre l’offre et la demande de logements s’est traduit par le développement de l’habitat
informelle non réglementaire prenant des formes variées: bidonvilles, quartiers
clandestins,..
71
Chapitre 5 : Les Politiques d’Ajustement Structurel et leurs
impacts sur le secteur informel
Pour la majorité des pays en voie de développement, la décennie 1980 est
considérée comme celle de l’endettement excessif et des programmes d’ajustement
structurel (PAS).
La fin des années 1970 et le début des années 1980 marquent un retournement de
la situation prévalant jusque là, dans les pays sous développés. La plupart d’entre eux ont
été préservés de la crise qui a secoué les pays industrialisés durant les années 1970,
connaissant même des taux de croissance spectaculaires. Les principaux bouleversements
qu’a connu l’économie mondiale ont constitué un catalyseur de la crise dans ces pays.
Le Maroc du début des années 1980, comme bon nombre de pays sous-
développés, a subi les turbulences générées par les problèmes de la dette extérieure et a
appliqué des mesures d’austérité.
Depuis le début des années 1980, les faillites financières ont conduit les Etats, sous
la pression des organismes internationaux et les bailleurs de fonds, à libéraliser
progressivement les économies: désengagement de l’Etat de certaines activités,
libéralisation des prix, mesures en faveur des investissements étrangers, dévaluation des
monnaies nationales,...
Au-delà des résultats économiques, souvent discutables, les coûts sociaux des
programmes d’ajustement structurel (PAS) sont plus contestés. Le contre coûts de la crise
et les effets négatifs des PAS se sont accompagnés d’un changement d’optique des
organismes internationaux et la vision à l’égard du secteur informel a considérablement
changé. La dégradation et la déréglementation que connaissent la plupart des PSD ont
conduit les organismes internationaux à déplacer le discours sur la pauvreté et l’emploi
vers les possibilités d’émergence de micro-unités pouvant se substituer à la grande
industrie et au secteur public. Chargé jusque là de connotations négatives, le secteur
informel est considéré rapidement comme une solution miracle. Devant les effets de
l’endettement et de l’ajustement, il est doté de toutes les vertus positives, il n’est pas
important de le formaliser mais de l’appuyer.
Quelles sont les principales mesures préconisées par les PAS au Maroc? Nous
allons voir comment certaines mesures telles que les pressions financières, la dévaluation,
72
le retrait de l’Etat du système productif et de la sphère sociale et la réduction des transferts
étatiques ont des conséquences sur le volume et les formes d’emploi, sur les niveaux de
vie et sur les modalités d’insertion dans les activités informelles. L’accélération de
l’informalité qui en découle réduit les possibilités d’insertion dans le marché formel.
5.1. Le contexte et le contenu des programmes d’ajustement structurel
Les causes de l’endettement ainsi que le contexte national et international ont
contribué à la crise et à la mise en application des PAS.
5.1.1. Le contexte
Suite à la première crise pétrolière, les années 1970 sont marquées par une
élévation du rythme des investissements due à l’accroissement des ressources budgétaires
lié à la hausse du prix du phosphate (dont le Maroc est le premier exportateur au niveau
mondial).
La croissance économique, en moyenne de 7,5% par an, est impulsée par
l’expansion du secteur public (avant les PAS, l’Etat jouait le rôle de leader dans les
domaines économique et social). La politique financière qui l’a accompagnée, est rendue
possible par la hausse du coût du phosphate, principale ressource d’exportation, dans un
premier temps, puis, dans un seconde phase, par le recours à l’emprunt extérieur, quand
les cours s’effondrent. L’année 1976 marque en effet un coup d’arrêt des investissements
et l’appel massif au financement extérieur.
Evolution sectorielle des investissements agréés par la commission des investissements
(1973-1980) - Millions de DH.
1973-1977 1978-1980
Agro-alimentaire
Textiles et Cuir
chimie-Parachimie
Métallurgie, mécanique et
électrique
1512
1465
3844
678
842
819
1342
783
Total 7499 378673
Source : Annuaires statistiques du Maroc.
Le volume des investissements a crû à un rythme faible durant les années 1965-
1973, puis s’est nettement accéléré durant la période de 1973 à 1977. Ce changement de
rythme exprime une plus grande mobilisation des ressources dégagées des produits
primaires d’exportation au profit de l’industrie à travers les programmes de l’Etat et la
mise en œuvre de la marocanisation. L’émergence de la crise en 1978 a affecté la
dynamique de l’investissement. Durant la période 1973-1977, la part des industries de
transformation dans le total des investissements s’est élevée à 29% dont 15% pour le
secteur public. En 1981, cette contribution est tombée à 19,6% dont 11,6% pour la
participation de l’Etat (Jaidi, 1992, p. 103).
Le début des années 80 manifeste un renversement de la conjoncture qui a prévalu
durant les années 70. Les équilibres financiers déjà précaires sont mis à rude épreuve par la
crise d’insolvabilité.
5.1.2. Le déséquilibre de l’économie marocaine
Les causes des déséquilibres financiers sont aussi bien endogènes qu’exogènes.
5.1.2.1. Les facteurs externes
La conjoncture économique internationale du début des années 1970, marquée par
l’excès de liquidités internationales facilitées par le recyclage des pétrodollars, et par une
inflation généralisée qui a fait baisser les taux d’intérêt, a beaucoup favorisé le recours au
financement extérieur. Toutefois, la seconde moitié des années 70 est caractérisée par des
perturbations importantes au niveau national et international.
Au niveau international, le cours des phosphates chute à partir de 1976, le
protectionnisme commence à gagner les marchés européens, les taux d’intérêts et les cours
de dollar augmentent. Parallèlement, les cours mondiaux de certaines matières premières
importées par le Maroc (énergie, céréales, sucre, huiles...) connaissent une hausse
aggravant le déficit de la balance commerciale du pays.74
L’ensemble de ces éléments ont eu pour effet, à la fin des années 70, d’alourdir la
charge de la dette. En 1982, le déficit budgétaire représente 12,6% du PIB, celui des
opérations courantes atteint 12,7% et le montant de la dette extérieure dépasse les 11
milliards de dollars (Jaidi, 1992, p. 107).
5.1.2.2. Les facteurs internes
Sur le plan interne et durant la période 1968-1978, la politique économique
marocaine est caractérisée par une forte intervention étatique, en vue de relancer la
croissance économique et de construire la base d’une économie extravertie. En 1974-1975
la hausse des prix du phosphate et des matières premières au niveau mondial a incité les
autorités à réviser les priorités du plan en cours (1973-1977). Cette période est caractérisée
par le lancement de plans sectoriels (cimentier, phosphatier, sucrier, barrages,..)
nécessitant des investissements capitalistiques financés par les rendements des phosphates
et par l’épargne extérieure rendue facile, par la forte liquidité internationale de la période.
Toutefois, l’exécution du plan quinquennal 1973-1977 s’est heurtée à une série
d’obstacles et à des déséquilibres financiers.
Le cours élevé des phosphates n’a pas duré, et à partir de 1976, une chute des prix
s’est amorcée. Ne pouvant comprimer les dépenses, et revenir facilement sur les
investissements et sur les subventions alimentaires, un gonflement du déficit budgétaire
s’est amorcé.
L’aggravation du déficit de la balance des paiements traduit la baisse des cours des
matières premières, la manque de dynamisme des industries d’exportation, et la montée du
protectionnisme sur les marchés extérieurs.
Les premiers signes d’essoufflement du modèle de croissance (basé sur
l’exportation) qui a fonctionné tout au long de la décennie 70, sont apparus à partir de
1978. L’accumulation des problèmes financiers et monétaires engendrés par l’exécution
du plan quinquennal 1973-1977, avait rendu nécessaire la mise en place d’un plan de
stabilisation (1978-1980) présenté comme un plan de transition anti-crise.
Les mesures de stabilisation ont visé le redressement de l’équilibre monétaire et
financier par la promotion des exportations et la limitation des importations ainsi que par
l’application d’une politique budgétaire restrictive marquée par l’accroissement des
75
charges fiscales, une chute des investissements publiques et une grande marginalisation
des investissements sociaux.
L’austérité imposée par le plan de stabilisation n’a pas réduit pour autant les
déséquilibres financiers et monétaires. Le montant de la dette a atteint, en 1980, 47.1% du
PNB (Khader, 1995, p. 50).
Le programme de transition s’est révélé peu opérationnel, et l’ampleur des
déséquilibres nécessite des mesures plus rigoureuses à partir de 1982 dans le cadre d’un
“ programme d’ajustement structurel ” élaboré par les soins de la Banque Mondiale et du
FMI.
5.1.3. Le contenu des politiques d’ajustement structurel
Privé de ressources, l’Etat a sollicité les organismes internationaux et ses bailleurs
de fonds. En 1983, les cycles de rééchelonnement de la dette et des programmes de
stabilisation et d’ajustement ont été entamés. Ces programmes sont conditionnés par des
plans de réorganisation de l’économie. Ils combinent différentes mesures: des plans de
relance sectoriels, la réduction des déficits de trésor et du compte extérieur, des mesures à
caractère structurel visant la restructuration du secteur publique, la libération du commerce
extérieur, la réforme du système fiscal et l’émergence d’un secteur privé qui doit être
encouragé par les mesures de privatisation.
Liberté des échanges, croissance tirée par les exportations, remise en cause de
l’intervention de l’Etat dans le domaine économique et social et recherche d’une
régulation par le marché en constituent les principales lignes.
Dans le cas du Maroc, la politique d’ajustement structurel comprend deux volets:
des mesures à court terme pour réduire la demande globale et des mesures à moyen et à
long terme impliquant des actions sur l’offre.
5.1.3.1. Le premier aspect : réduction de la demande globale
Le premier aspect comporte des mesures visant à réduire le déficit par une
restriction draconienne de la demande intérieure (austérité budgétaire, compression des
importations, limitation des crédits) et par la mobilisation de recettes supplémentaires (il
s'agit de promotion des exportations).
76
Les mesures de réduction de l’excès de la demande globale consistent à agir sur la
demande excédentaire découlant du déficit publique. L’idée sous-jacente est qu’un
financement du déficit par des crédits provoque une hausse des prix par la création
monétaire, de même qu’il provoque des effets d’éviction sur le secteur privé entravant les
investissements qui devraient lui être alloués. Ces mesures consistent en une réduction des
dépenses publiques, l’abolition ou la réduction des subventions aux biens de
consommation, la réforme de la fiscalité par création ou extension de certaines taxes
(TVA, IGR) et la hausse des tarifs des entreprises publiques.
Les mesures de réduction des dépenses de fonctionnement comportent, en outre,
une application immédiate consistant en une compression de la masse salariale (gel des
salaires) et une réduction de l’emploi.
5.1.3.2. Le second aspect: l’action sur l’offre
Cette deuxième mesure se réfère à la relance de l’offre dont les vecteurs sont la
politique des prix et des réformes structurelles de l’économie. Dès 1984, les organismes
financiers internationaux estimaient que « le Maroc ne pourra redresser son économie et
retrouver sa solvabilité qu’au prix d’une réforme structurelle radicale qui lui permettra de
produire efficacement des biens et services tant pour le marché que pour l’exportation »
(Jaidi, 1992, p. 110).
Ces mesures visent à accroître l’incitation du système productif par la dévaluation
de la monnaie et l’élimination du contrôle des prix et des marchés, et par la libération du
commerce extérieur (baisse des droits de douanes, assouplissement des contrôles,..) et la
promotion des exportations qui permettent l’apport de devises étrangères pour faire face
aux besoins de l’économie et au service de la dette.
Au Maroc, la libération du commerce extérieur prend la forme d’une libéralisation
quasi intégrale des importations: la liste C (produits interdits) du Programme Général à
l’Importation a été supprimée et la liste A (produits libres) représente désormais 78% de
l’ensemble des positions et 88% de la valeur des importations.
Par ailleurs, l’obligation de licence d’exportation a été supprimée pour la totalité
des produits.
Dans le cadre de son engagement avec le GATT en 1987, le Maroc a adopté une
nouvelle loi sur le commerce extérieur abrogeant les anciens textes et établissant les règles
77
du jeu en matière de protection de la production nationale et de recours aux procédures de
sauvegarde. Le nouveau texte affirme les principes de libération des importations et des
exportations sous réserve de certaines limites: sécurité, moralité et surtout préservation de
la position financière extérieure du pays. La protection ne peut être accordée que
lorsqu’elle justifie une rentabilité économique.
Les mesures préconisées concernent aussi le secteur publique où un programme de
privatisation est prévu.
5.1.3.2.1. La privatisation des entreprises publiques
En effet, il s’agit de limiter la base économique des appareils de l’Etat au profit de
la société civile. Les nécessités de rééchelonnement ont conduit les organismes
internationaux à prêcher le retour aux lois du marché afin de réduire les déséquilibres
financiers.
La privatisation des entreprises publiques est recherchée aussi à travers le
renforcement des mécanismes de marché et la réduction des distorsions des prix. Celle-ci
est alors considérée comme axe central de la politique de la libération des entreprises
publiques. Ces dernières sont jugées défaillantes à cause de leur mauvaise gestion, leur
gaspillage et leur lenteur.
Le désengagement de l’Etat, qui en dérive, passe par une compression de ses
activités dans les domaines économiques et sociaux et par une réaffectation des ressources
en faveur du secteur privé. La démarche vise à réduire, voire à supprimer, les incidences
"négatives" de l’action de l’Etat sur le fonctionnement "naturel" de l’économie. Selon les
adeptes de ces programmes, il suffit de transférer l’initiative aux intérêts privés et qu’un
marché libre et concurrentiel soit crée, pour résoudre la crise.
5.1.3.2.2. Les mesures sectorielles de relance
Dans le secteur industriel, l’objectif visé est de réaliser une croissance tirée par les
exportations. Cette orientation n’est pas nouvelle, elle remonte au milieu des années 70 où
les organismes internationaux l’ont préconisé pour les acteurs modernisateurs publiques.
Toutefois, depuis 1983, on assiste à une incitation renouvelée aux industries d’exportation
78
mais cette fois-ci, à l’initiative du secteur privé. Une telle restructuration suppose un
assouplissement, sinon l’élimination des biais anti-exportations (baisse des droits des
douanes, assouplissement des contrôles...), par la libéralisation des échanges. Elle est
censée rétablir la compétitivité des entreprises.
Si les programmes de stabilisation et d’ajustement ont réussi à rétablir les grands
équilibres macro-économiques et à réaliser, dans certains domaines des performances
économiques incontestables (avec tout de même la persistance des déséquilibres de la
balance des paiements et l’aggravation de l’endettement extérieur); les résultats obtenus
sont considérés par les instances financières internationales comme probants et
performants.
La cure d’austérité semble porter ses fruits: le Maroc a pu capitaliser, en l’espace
d’une décennie, un certain nombre d’acquis importants, dont le redressement des
équilibres financiers, la libéralisation et l’ouverture sur l’extérieur, la sortie du
rééchelonnement, le renforcement de la capacité de résistance de l’économie aux
incertitudes relatives à la conjoncture internationale et le regain de confiance de la
communauté financière internationale (Khader, 1995, p. 65).
Les différentes mesures prises par les politiques d’ajustement, au-delà de ces
performances financières, ont un impact qui n’est pas négligeable sur les plans
économique et social.
5.2. L'impact des politiques d’ajustement
Les PAS adopté par le Maroc en 1982 est entré en vigueur avec la loi de finance de
1983. Son objectif premier, le contrôle de la crise financière par la correction des
déséquilibres, passe par la réduction des dépenses de l’Etat et de son intervention. Ces
mesures ont engendré des coûts sociaux contéstables.
5.2.1 les coûts sociaux des programmes d’ajustement structurel
Les coûts sociaux des PAS n’ont fait l’objet de débats que quelques années après
leur application. Depuis 1986, en effet, certains organismes internationaux "découvrent"
les incidences néfastes des PAS, tant au niveau de l’emploi que de la pauvreté, insistant
79
sur la nécessité d’un "ajustement plus social". Les bailleurs de fonds et les gouvernements
prennent conscience des risques de déstabilisation qui en découlent. Ces effets sociaux, de
moins en moins maîtrisables en milieu urbain, tendent à accélérer une crise qu’on a pensé
résoudre à travers les simples réequilibrages financiers. Dès lors, l’examen de ces
incidences en milieu urbain doit être abordé non seulement en termes d’emploi et de
chômage, mais également en termes de dégradation des revenus et des niveaux de vie.
5.2.1.1 Les effets négatifs des PAS sur l’industrie et l’emploi
Dans l’ensemble les incidences des PAS ont été négatives, tant sur le plan
économique que social.
Sur le plan économique, les résultats ne sont guère probants. La baisse du PIB a été
manifeste et sa progression n’a pas dépassé 2,8% pendant la période 1980-1986, (taux
nettement inférieur à celui de la période 1973-1979: 7,6%) alors que le taux de croissance
démographique avoisine les 3% par an. De plus, ce mouvement s’est accompagné d’une
chute des investissements de l’Etat (de10,6% du PIB en 1982 à 4,5 en 1985). Cette
détérioration a affecté de nombreux secteurs aussi bien publiques que privés et les micro-
unités industrielles du SI.
De même, les dévaluations, considérées comme l’élément clef pour accéder à de
nouveaux crédits, n’ont eu qu’un impact limité sur les exportations, surtout quand celles-ci
concernent une gamme restreinte de produits de base, dont le prix est directement
déterminé en devises sur les marchés étrangers, comme c’est le cas pour le phosphate, par
exemple. Dans ce cas, une dévaluation n’infléchit pas la demande externe qui reste
conditionnée par la conjoncture économique dans les pays importateurs, conjoncture
marquée parfois par des mesures protectionnistes (par exemple, les exportations des
produits agricoles marocains sont soumis aux contraintes de la politique agricole commune
européenne).
En effet, on assiste à un déficit financier de l’Etat induisant un recul des
investissements et un ralentissement de l’activité dans les branches des textiles, du cuir,
des industries mécaniques et électriques. Le recul des investissements a trouvé un nouvel
élan avec les dévaluations. Ces dernières s’accompagnent d’une hausse des prix des
80
importations qui ont des effets négatifs sur l’approvisionnement en matières premières
(énergie) et produits semi-finis. La hausse des prix des biens d’équipement provoque un
ralentissement dans la production industrielle.
Donc, l’industrie marocaine, déjà fragile, rencontre deux nouveaux handicaps : le
premier est l’effondrement des investissements étatiques (résultant de son désengagement)
et le deuxième est la réduction, à l’échelle nationale, du niveau des investissements
publiques et privés (les dévaluations ont rendu les importations plus chères).
De ce fait, l’industrialisation souffre de blocages provoqués par les mesures de
restriction imposées par les PAS mais également du processus de réduction des revenus et
de la demande, découlant des mesures d’austérité. Cette évolution, appelée à
s’approfondir, tendra à renforcer les formes de production non capitalistes.
5.2.1.2. Les distorsions au niveau de l’emploi
Dans un contexte de désindustrialisation, la compression de la demande, les
incidences sur le volume et le mode d’emploi ne peuvent être que négatifs, d’autant plus
que les mesures de libéralisation et de privatisation ont accéléré ce mouvement.
Les mesures de restructuration des entreprises publiques, et notamment la
privatisation, ont provoqué des licenciements et une réduction salariale.
Dès 1983, le blocage du recrutement automatique dans la fonction publique et la
compression des effectifs dans les entreprises publiques sont amorcés. En 1984, la
réduction du personnel dans la fonction publique a atteint 5000 actifs, les effectifs ont
stagné pour chuter à nouveau en 1990. Pour les départs volontaires concernant uniquement
les actifs du Ministère de l’éducation, 20.000 professeurs devraient quitter leur travail en
été 1995 (Khader, 1995, p. 73).
Il va de soi que les PAS ont touché prioritairement les principaux secteurs
régulateurs de l’emploi consacrés aux diplômés: l’administration et le secteur para-
publique. Les coupures dans les dépenses de fonctionnement de l’Etat et les réductions
salariales dans les secteurs publiques et privés ont largement contribué à accroître le
nombre de chômeurs dans les zones urbaines. Le taux de chômage est passé de 12% en
1981 à 16% en 1986 et à 20% en 1987. En 1999, il atteint les 22%. (Direction de la
Statistique)
81
Cependant, la libéralisation des prix s’est accompagnée d’une hausse du coût de la
vie. La hausse des prix agricoles et des produits de base (suite à l’annulation des
subventions) qui en a résulté, conjuguée à la stagnation des salaires, débouche sur une
régression des niveaux de vie et de la consommation.
L’enquête nationale sur le niveau de vie de 1990-1991 révèle que le nombre de
ménages pauvres demeure important avec 3,9 millions de personnes en 1991. Au niveau
de la répartition, les dépenses des 10% des ménages les plus aisés représentent encore 14
fois les dépenses des 10% des ménages les plus pauvres alors que ce rapport était de 29 en
1970 et de 16 en 1985 (Khader, 1995, p. 73).
Le secteur privé, après qu’on lui ait attribué le rôle de locomotive de
développement, n’a pu résoudre le problème de l’emploi et sa participation reste encore
modeste.
5.2.1.3. Le secteur privé et l’emploi
Dans le secteur privé, les politiques macro-économiques, par des effets
d’entraînement, ont des incidences considérables sur l’emploi. La restructuration des
entreprises publiques et les déséquilibres qui en découlent, se sont répercutés sur les
entreprises du secteur privé, provoquant dans ce contexte leur arrêt partiel ou total.
En effet, dans le but de comprimer la demande globale interne et de réduire ses
dépenses, l’Etat a procédé à la diminution des subventions aux différents secteurs et aux
produits alimentaires de base. Pour augmenter ses recettes et combler le vide laissé par
l’annulation et la réduction des taxes douanières, l’Etat a augmenté les impôts indirects
(IGR et la TVA).
Dans une situation pareille, les détenteurs de moyens et faibles salaires se rendent
compte que leur salaires réel se dégrade. L’impact de ces mesures se manifeste par une
diminution de la demande interne. Ainsi, les entreprises qui produisent essentiellement
pour un marché restreint local et subissant le poids de la concurrence des produits importés
se trouvent dans l’obligation de réduire leurs capacités de production, ou de compresser
leur personnel, de procéder à des licenciements ou enfin de réduire la durée de travail.
Mais au-delà des licenciements, c’est la réduction des horaires de travail
82
temporaire qui se développe, accentuant de la sorte la précarité des actifs et favorisant la
double activité dans le secteur informel.
Ainsi, même quand elles ne s’accompagnent pas de licenciements, les PAS
impliquent une modification de la structure interne de la main d’oeuvre par la substitution
d’une main d’oeuvre temporaire à une main d’oeuvre permanente. Dans ce cas, non
seulement l’emploi recule, mais il se complexifie, générant des modes de réinsertion qui se
manifeste par la simultanéité de l’emploi dans le secteur formel et informel.
5.3. Conclusion
Partant du principe d’un marché autorégulateur, les programmes d’ajustement
structurels affectent directement la dynamique de l’emploi. En effet, le retrait de l’Etat des
secteurs principaux (économique et social), la réduction des dépenses publiques sociales et
les subventions ont engendré un ralentissement du taux de croissance économique et une
diminution du pouvoir d’achat. Le pari sur le seul secteur moderne privé ne peut répondre
à la satisfaction des besoins de l’ensemble de la population. En effet, avec les PAS on
assiste à une dépendance économique vis-à-vis de l’étranger, à une lourde dette externe
qui épuise les ressources du pays, à un faible tissu économique incapable de répondre
aux besoins de la société, à un taux de chômage élevé qui frappe une large tranche de la
population urbaine et rurale et, enfin, à une pauvreté et une exclusion sociale de masse.
Les répercutions des PAS sur le secteur informel sont considérables. C’est ce que nous
allons voir dans le prochain chapitre.
83
Chapitre 6 : Les politiques d’ajustement et la position du secteur
informel
Les limites des politiques d’ajustement ont entraîné le développement du pays à
un double niveaux : d’une part, elles privilégient la dimension financière contre toute
croissance effective, et d’autre part, elles ne font qu’insérer davantage l’économie
nationale dans la DIT, en fonction des exigences de l’accumulation mondiale.
Le processus d’ajustement débouche donc sur l’émergence d’une économie à trois
vitesse :
économie tournée vers l’exportation de plus en plus compétitive;
économie tournée vers le marché local;
économie de survie. (El Malki. )
Cette dernière s’est beaucoup renforcée durant la décennie 80, et a permis sa
dynamique, par la souplesse de ses modalités de fonctionnement et ses potentialités
importantes à rendre la crise plus supportable.
6.1. La dynamique du secteur informel et les genres d’emploi informel au Maroc
L’étude des caractéristiques du SI révèle l’hétérogénéité des activités qui le
composent. Celle-ci vont des activités requérant un certain degré de qualification et un
fond de départ assez important (c’est le cas de l’artisanat de fabrication et de réparation)
aux petites activités de survie.84
Ces dernières ont connu une grande prolifération. Elles se caractérisent par la
multiplication des tâches et la pulvérisation des activités de manière à assurer de l’emploi à
un nombre grandissant de demandeurs de travail.
La crise aide à favoriser le foisonnement de petits métiers qui assurent soit un
revenu principal à ceux qui les exercent, soit des revenus d’appoint. Pour subsister, la main
d’œuvre exerçant dans le secteur informel change souvent d’occupations, et multiplie les
tentatives d’amélioration de son statut selon les aléas de la conjoncture.
Aussi, les individus ayant réussi à trouver un emploi dans le secteur formel de
l’économie, n’hésitent pas à s’adonner à des occupations dans les activités informelles en
vue de s’assurer un revenu d’appoint.
Ainsi donc, face à la montée du chômage, et aux capacités limitées d’offre de
travail dans le secteur structuré de l’économie dues à l’application des ajustements,
l’économie de survie devient de plus en plus florissante, et tire son dynamisme de
l’essoufflement de l’économie formelle. Il est alors reconnu que sous les effets de la crise
qui a marqué l’économie marocaine, le secteur informel grandit et le non marchand se
développe.
L’économie de survie permet à une frange importante de la population de briser sa
marginalité et de s’intégrer à la société par le biais du travail et, partant, des revenus
qu’elle retire de ces activités.
Un autre aspect, particulièrement nouveau, et qui prend de l’importance est la
multiactivité. En réponse à la baisse réelle des salaires et du pouvoir d’achat d’une grande
partie de la population occupée dans le secteur structuré de l’économie, les travailleurs
adoptent une stratégie de répartition de leur temps entre deux ou plusieurs formes
d’activités économiques qui leur procurent des revenus d’appoint.
Dans le cadre de ces stratégies de survie adoptées par les ménages et les individus,
le travail des enfants et des femmes prend de l’importance dans la société urbaine, et
intervient de manière active dans la formation du revenu de la famille.
6.1.1. Les activités de survie: des activités les plus répandues dans le secteur informel
L’une des caractéristiques de ces activités largement répandues dans la société
marocaine est la parcellisation des tâches et des marchandises, qui apparaît comme un
facteur de multiplication des emplois. Les petits métiers de commerce, de transports ou de
85
services n’exigent généralement ni qualification, ni capitaux, et ne présentent donc pas
d’entraves à leur occupation. Il est alors facile aux nouveaux migrants et aux jeunes
citadins sans travail de s’improviser marchands, ambulants ou encore ramasseurs de
produits récupérés.
La force de travail qui s’adonne à ces activités n’hésite pas à accepter n’importe
quel emploi qui peut se présenter: emploi occasionnel ou journalier, rémunération
forfaitaire ou salariale ou autre,...
Elle est caractérisée par une mobilité professionnelle extrême, en quête permanente
d’un travail plus rémunérateur et plus stable.
La situation de l’emploi dans les villes du Maroc est très mouvante et dynamique.
Ces petites activités répondent à une demande de biens de services extrêmement
dynamique émanant d’une grande majorité de la population qui désire satisfaire ses
besoins alimentaires, vestimentaires, de logement, et autres. Le cumul de plusieurs
emplois, et la recherche permanente d’un travail encore plus rémunérateur par les actifs,
apparaissent comme des solutions informelles à la dégradation de la situation de l’emploi
dans la société marocaine.
6.1.2. Le travail informel et les revenus d’appoint
Le fait nouveau et caractéristique de la société marocaine qui prend de plus en plus
d’importance, est l’exercice par certains salariés du secteur formel, d’activités
complémentaires informelles, sources de revenus d’appoint.
En effet, face à la rigidité des structures salariales, qui a engendré une baisse réelle
des salaires durant les années 80, et à la diminution du pouvoir d’achat d’une grande partie
de la population marocaine (qui a de plus en plus de difficultés à satisfaire ses besoins
essentiels et ceux de leur famille), certaines catégories de salariés aussi bien du secteur
publique que du secteur privé pratiquent une activité informelle pour atténuer les
retombées de la crise. La recherche d’une source de revenus d’appoint devient une
nécessité.
De même, dans une société où l’influence du modèle occidental de consommation
n’est pas négligeable, les besoins deviennent plus variés et plus pressants.
Ainsi, la détérioration du pouvoir d’achat et l’effet de fascination du modèle
occidental de consommation sur les titulaires de revenus fixes favorisent à certains degrés
86
le phénomène de la pluriactivité. Dans cette catégorie, le salaire ne permet pas de répondre
à la transformation des besoins que fait naître le mode de consommation largement en
vigueur dans le pays. Pour assurer le maintien de leur niveau de vie, différentes catégories
de travailleurs inventent leur propre système de revenus.
La nature de l’activité d’auto-emploi dépend de la spécialisation des individus et
/ou de l’importance des fonds dont ils disposent.
Ainsi, ceux qui disposent d’une qualification technique (plombier, électricien,
mécanicien,...) ajoutent un supplément de revenus à une rémunération insuffisante en
travaillant à leur domicile, ou même dans un petit atelier où ils se mettent au travail les
soirs et les fins de semaines. Pour cette catégorie, le capital de départ ne représente pas un
handicap majeur à l’exercice d’une activité supplémentaire.
D’autres, comme les enseignants du primaire et du secondaire, voire même du
supérieur, arrondissent leurs fins de mois en donnant des cours supplémentaires à domicile
ou dans des écoles privées, en dehors de leurs horaires ordinaires. Le plus souvent, ces
rémunérations ne sont pas déclarées et échappent au contrôle fiscal.
Enfin, certains, de par leurs fonctions et leurs connaissances techniques, montent
de petites affaires, généralement des commerces, au nom d’un membre de leurs familles
(car la fonction publique interdit aux travailleurs d’occuper un emploi complémentaire
dans un autre secteur) ou s’associent avec des gens du métier. D’autres sont devenus
maîtres dans la spéculation sur des marchandises très variées: voitures, maisons, bétail.
Ce phénomène de la pluriactivité s’est beaucoup étendu et n’épargne aucune
région du pays.
L’austérité des années 1980, au nom de l’efficacité économique, a sacrifié la
justice sociale ce qui risque de se traduire par l’accentuation de l’inégalité de la répartition
et de peser lourdement sur les conditions de vie des masses, lesquelles adoptent des
stratégies de survie originales pour apaiser les retombées de la crise.
6.2. Les effets redistributifs des PAS: Incidences sur les micro-unités et les groupes
les plus pauvres
En dépit de l’amélioration de quelques indicateurs (diminution des déficits internes
et externes, rééquilibrage), les coûts sociaux des PAS au bout d’une dizaine d’années de
mise en application, sont révélés au grand jour. La non prise en considération des réalités
87
socio-culturelles, la détérioration de la situation sociale, en particulier la montée du
chômage urbain et l’exclusion, ont donnée lieu à de nouvelles orientations depuis 1985. En
effet, c’est à partir de ce moment qu’on intègre la dimension sociale dans les politiques
d’ajustement.
Le retrait de l’Etat des secteurs sociaux, la réduction des transferts étatiques ou les
modifications des prix relatifs affectent (positivement ou négativement) les différents
secteurs et en particulier les micro-unités de l’informel, les différentes catégories sociales
et, en particulier, les plus pauvres. Ces effets, déterminent à leur tour des modes et des
logiques complexes d’insertion dans les activités informelles.
6.2.1. Les programmes économiques et le non respect du socio-culturel
D’une façon générale, on a constaté que les niveaux de croissance atteints sont
généralement faibles, les bilans, négatifs dans du secteur social. L’absence de prise en
considération des structures sociales génère des effets contrastés.
Les analyses des grandes instances internationales (BM, FMI...) font abstraction de
nombreuses déterminations, composantes et normes propres aux pays en développement.
L'articulation entre les logiques sociales et les logiques économiques qui donnent sens aux
comportements économiques constitue un domaine totalement ignoré.
Dans leur souci premier d’établir des modèles, les institutions internationales ne
peuvent intégrer les logiques sociales et la dimension culturelle des motivations et des
actes économiques. Dès lors, ils s’enferment dans la théorie du marché, les modèles
macro-économiques, imposent une démarche qui ignore la diversité des formes
d’organisation économique non instituées par le marché telles que les rapports non
économiques de dépendance, de pouvoir et de solidarité qui organisent les modes de
régulation.
Cette absence de prise en compte des réalités socio-culturelles, qui s’appuie sur le
postulat d’un marché auto-régulateur relève d’un cadre qui ne peut éclairer la réalité des
pays en développement.
6.2.2. La réduction des transferts étatiques et leurs incidences sur les logiques
redistributives de groupes
88
Pendant longtemps, on s’accordait à penser que le salut économique des PSD
passait par l’Etat. Pendant les années 80, on est passé aux grandes privatisations.
L’intervention de l’Etat, considérée comme excessive, est remise en question par les
institutions internationales, alors que l’intervention privée est présentée à la fois comme
moyen et condition de l’ajustement. Le retrait de l’Etat a touché à la fois l’entreprise
publique et les secteurs sociaux, débouchant sur une réduction des transferts étatiques.
En effet, les dépenses sociales passent de 27% à 25,8% entre 1983 et 1986 dans
l’ensemble des dépenses publiques. De même, leur part dans le PIB a diminué de 8,3% à
7,2%. En termes réels, les dépenses sociales d’éducation par habitant ont diminué de 11%
de 1983 à 1989, alors que les dépenses de fonctionnement du ministère de la santé par
habitant ont baissé de 8% entre 1982 et 1986 (Khader, 1995, p. 73)
Par ailleurs, les résultats montrent que les composantes les plus touchées par ce
déclin sont les dépenses pour l’éducation et la santé. Ces deux secteurs bénéficient
auparavant de 77% de l’ensemble des dépenses sociales.
Au Maroc, la baisse des transferts étatiques a pris plusieurs formes.
Pour ne considérer que les salaires des enseignants, ceux-ci ont connu une réduction
remarquable; entre 1980 et 1986, le salaire réel d’un instituteur a baissé de 16%, celui
d’un professeur du premier cycle de 21% (Khader, 1995, p. 73).
Le recul des transferts publiques indirects aux ménages: ils concernent les subventions
aux produits de première nécessité et les dépenses sociales.
Ce déclin des subventions alimentaires touche essentiellement les ménages les plus
pauvres. Or, ces subventions représentent 20% de leurs dépenses (au lieu de 2 à 3% pour
les ménages les plus riches), alors que ce sont les ménages les plus aisés qui en bénéficient
le plus.
Incontestablement, la baisse de ce type de transferts a des répercussions sur les
niveaux de vie et les modes de consommation.
Au total, c’est la situation des ménages pauvres urbains qui s’est le plus détériorée,
et particulièrement des familles dont le chef travaille dans le SI en raison de la régression
de celui-ci et de l’absence de transferts.
6.3. L’absence des transferts et le développement des activités précaires de survie
La réorientation des revenus par l’intervention des organismes internationaux, les
89
compressions de personnel, la réduction des transferts étatiques et des revenus officiels,
remettent en cause le système de transfert à l’intérieur des groupes familiaux et des
communautés ainsi que les logiques redustributives de groupes, puisque ces revenus sont
redistribués selon le principe de devoir communautaire et d’appartenance de groupe.
“Lorsque la machine économique échoue à fonctionner positivement pour les individus,
ceux-ci trouvent dans le cadre familial et parental un abri et un support ” écrit le CERED,
(1996) cité par (Ajbilou,1998, p. 10)
Dans ce cadre, les inégalités de revenus dans le secteur informel sont atténuées par
les mécanismes redistributifs et les obligations de transferts imposées par la communauté
ou le groupe d’appartenance. La complexité du normatif et la force du contrôle social
contraignent les membres de groupes de se plier à certaines obligations, au risque de se
faire exclure. Or, la crise économique et budgétaire introduit des turbulences aux
conséquences assez graves dans ce système.
La réduction des revenus des employés du secteur formel peut éliminer certains
agents des réseaux communautaires, en raison des difficultés qu’ils éprouvent à remplir
totalement leurs obligations, leur revenu suffisant à peine à subvenir aux besoins de leur
familles restreintes.
Dès lors, le système de solidarité se trouve de plus en plus perturbé. D’autant plus,
que, ne pouvant plus assurer leurs obligations sociales, les agents ne peuvent réclamer
leurs droits et en particulier l’aide reçue du milieu rural.
6.3.1. La régression des revenus et leurs effets sur le mode de vie informel
Au Maroc, comme nous l’avons vu plus haut, dans un contexte d’austérité
économique, la baisse des salaires a été constante. Liée essentiellement à la dépréciation de
la monnaie et à la réduction des transferts étatiques, cette diminution salariale a contribué à
la détérioration des revenus des ménages urbains. Le monde rural constitue de moins en
moins une source de transferts, en raison de l’augmentation de la pauvreté qu’il a connu
avant et depuis la mise en application des PAS. Ainsi, la pression sur les urbains se fait de
plus en plus forte, acculant certains agents à refuser les obligations et, phénomène plus
problématique, à remettre en cause les logiques redistributives de groupes et les
mécanismes de solidarité prévalant jusque là.
Dans un tel contexte, les pratiques sécuritaires se trouvent largement mises en
90
cause et on peut même se demander si le rôle régulateur du secteur informel n’atteint pas
ses limites. Au-delà de la recherche de compléments de revenus dans le SI et de la pratique
de la pluriactivité, il en découle un désinterêt pour le travail salarié, une perte de sens de
celui-ci, car il ne permet plus d’assurer les obligations sociales et la redistribution.
En somme, au cours des années 80, la compression des salaires et du personnel, la
régression des niveaux de vie de certaines catégories urbaines, en plus du déclin de
l’emploi et sa désalarisation, les nouvelles modalités d’insertion des urbains, impulsent des
pratiques de recherche de compléments de revenu, faisant basculer nombre d’urbains dans
le SI. En tentant d’adopter des stratégies de survie afin de s’ajuster, les groupes
vulnérables renforcent de la sorte le bas de gamme de l’informel : développement de la
multi-activité dans différents métiers ou mobilisation du travail des femmes et des enfants
dans les services domestiques ou l’artisanat. Dans l’ensemble, les PAS affectent les
groupes les plus pauvres, sans pour autant renforcer la catégorie capitalistique des micro-
unités.
Si le SI constitue le déversoir des rejetés du secteur moderne, ou le lieu d’exercice
d’une autre activité, la question centrale est de savoir quelle catégorie d’emplois s’y
développe et si les activités informelles peuvent se substituer au secteur moderne en
périodes de crise.
6.4. Le secteur informel : un secteur porteur de développement?
6.4.1. Le changement d’attitude à l’égard du secteur informel
L’un des éléments essentiels qui fondent l’intérêt porté au SI est le changement
d’attitude adopté à son égard depuis le milieu des années 80 par les organismes
internationaux. En effet, face aux crises internes et externes, à la montée des activités
informelles et à la dégradation des niveaux de vie, on ne pouvait continuer d’ignorer ces
activités. De la négation on est ainsi passé à la reconnaissance.
Négligé auparavant, le SI est considéré à présent comme pouvant être le ferment
du développement et non plus comme pouvant uniquement satisfaire les besoins essentiels.
Ce qui était censé poser problème est désormais perçu comme solution par les capacités du
SI à créer des emplois, des revenus et des unités innovantes et performantes.
Dans les premières conceptions, on voyait dans ces activités, un moyen d’éviter
91
un chômage important et le terme d’informel avait tout simplement remplacé le terme de
‘traditionnel’. Actuellement, les activités informelles se présentent comme une alternative
à l’incapacité du secteur moderne à absorber la main d’œuvre urbaine.
6.4.2. Une dynamique de création de différents types d’emplois
Compte tenu des flexibilités salariales dans le secteur informel en période de crise,
la demande sur le marché du travail informel augmente et s’accentue par la mobilité des
travailleurs débauchés du secteur moderne vers le SI. De cette mobilité résulte une
pression à la baisse des salaires qui engendre à son tour une hausse de l’emploi dans le SI.
En somme, le secteur informel se présente comme substitut à l’emploi formel.
Or, le secteur informel à lui même des capacités d’accueil limitées qu’il ne peut
dépasser. Dans ce cas, ce sont bien les activités de survie qui se développent, on ne peut
réellement parler de création d’emplois puisque c’est par l’éviction d’emploi informels
que se gonfle une frange de celui-ci, comme l’observation peut le montrer au Maroc.
6.4.3. Une substituabilité limitée et l’extension du secteur tertiaire informel
Nous avons vu ci-dessus que les problèmes qu’a rencontré le secteur privé pendant
la période des ajustements étaient des problèmes de financement, d’insuffisance de la
demande interne liée à la dégradation du pouvoir d’achat, de concurrence des produits
externes et enfin de pénurie d’entrepreneurs privés (car jusqu’au début des PAS, l’Etat
était le seul entrepreneur dans le domaine économique). De la même manière, les micro-
unités ou les activités du secteur informel n’ont pas échappé aux effets négatifs de la crise.
On doute que les politiques d’ajustement puissent provoquer un transfert de
l’emploi de l’industrie formelle vers la micro-industrie informelle. La tendance est plutôt à
une désindustrialisation, aussi bien dans la grande que dans la petite unité, qui, sous l’effet
de la crise et des restructurations qui en découlent, connaît une aggravation des pertes
d’emploi et des faillites des petits ateliers.
La capacité d’absorption de la main d’œuvre par le SI s’amoindri et la substitution
de l’emploi industriel informel à l’emploi formel ne saurait être généralisable.
Certes, il existe un commerce informel à deux vitesses: celui qui attire les franges
disposants d’un capital important et qui peut induire des revenus assez élevés, (des micro-
92
entreprises de haut de gamme) et celui qui constitue le refuge des actifs les plus démunis
(les micro-entreprises de bas de gamme). Or, il s’avère bien que ce ne sont pas les activités
de production mais plutôt les micro-services et le micro-commerce de détail qui ont
tendance à se développer, là où les revenus sont bas et l’échelle des activités beaucoup plus
petite. Ces dernières, contrairement aux unités industrielles, sont peu exigeantes en capital
et en qualification particulière; c’est pour cette raison que le micro-commerce de détail
aspire les plus démunis, notamment des jeunes. Pour une autre raison, les classes dimunies
sous le besoin urgent d’argent, se dirigent vers des secteurs (de commerce ou de service)
qui leur permettent de répondre immédiatement à leurs besoins car le secteur des métiers
prend plus de temps pour produire et liquider les produits: le gain n’est pas immédiat.
Ainsi, la tertiarisation de l’emploi salarié semble s’étendre à l’emploi indépendant
informel. En conséquence, la profondeur de la crise et sa complexité dévoile l’incapacité
des activités informelles à donner naissance à des unités capitalistes performantes et
créatrices d’emplois pouvant constituer une base de développement. Si certains exemples
existent, ils restent peu significatifs. En effet, si les activités informelles peuvent apporter
certaines réponses et amortir certains chocs, celles-ci ne sont pas suffisantes et, surtout,
elles ne sont pas substituables à la crise de l’emploi industriel.
6.5. L’intervention étatique: le secteur informel, nouvel enjeu?
A partir de la moitié des années 1980, une nouvelle conception de l’informalité et
un changement de discours et d’attitude dominent. Ce changement se situe à deux niveaux
essentiels: les nouvelles qualités attribuées au SI (créateur d’emplois et générateur de
revenus) et le rapport avec l’Etat.
6.5.1. L’intervention de l’Etat dans le secteur informel
On a vu que les appréciations divergent en ce qui concerne la capacité des activités
informelles à générer un surplus accumulable. Ces appréciations ont conduit à des visions
différentes quant à la nécessité ou non de l’intervention de l'Etat. Par ailleurs, plusieurs
hypothèses suggèrent que ce sont certains obstacles d’ordre interne et propres au secteur
informel, tels que la faiblesse de la productivité ou inadaptation de la technologie, qui
93
bloquent toute évolution. Aujourd’hui, tandis qu’on semble redécouvrir les vertus du SI,
l’intervention semble se justifier par ses potentialités à générer des emplois, des revenus et
des productions. Il importe donc de le faire bénéficier des avantages du secteur moderne
notamment en matière de financement.
Mais toute l’ambiguïté réside dans le fait qu’on affirme à la fois le caractère
dynamique d’un phénomène qui s’est développé en dehors de l’intervention étatique, et la
nécessité d’intervenir.
Une action sur le SI, supposé dynamique, ne risque t-elle pas de freiner ce dynamisme?
6.5.1.1. Une politique de promotion du secteur informel au Maroc
Au Maroc, il n’existe pas réellement de promotion du secteur informel. Non
seulement une confusion entre activité de survie, de petite production et petites et
moyennes entreprises existe, mais les petites activités urbaines semblent délibérément
délaissées.
L’objectif s’est focalisé sur l’artisanat et les petites et moyennes entreprises
(PME), alors que l’intervention des pouvoirs publiques et des organismes financiers en
faveur des petites unités reste très insuffisante, inadaptée voire inexistante.
L’intervention a pris, selon la conjoncture, soit la forme d’encouragement à
l’artisanat, soit de promotion des PME où s’est concrétisée par des mesures financières à
l’égard des jeunes diplômés sans travail dans le cadre du "crédit jeunes promoteurs". En
aucun cas, l’intervention de l'Etat et les organismes financiers ne touchent les principaux
agents du SI. Ce n’est que récemment, que, sur proposition de la B.M et afin de consolider
l’expansion de l’emploi enregistré dans le SI, de nouvelles formes de financement sont
prévues. Elles concernent le financement des petites unités par des petits crédits ou des
micro-crédits.
6.5.1.2. Les mesures d’encouragement à l’artisanat
Contrairement aux autres pays maghrébins, l’artisanat au Maroc n’a pas connu la
même désagrégation et c’est sans doute plus qu’ailleurs qu’il a résisté. Au cours des
années 70, et dans le cadre de l’encouragement du secteur touristique, un ensemble de
mesures sont mises en oeuvre par le code des investissements, incitant les petites unités
artisanales au regroupement en associations professionnelles ou à la pratique des
94
ensembles artisanaux.
En contrepartie, une assistance est apportée, dont l’aspect le plus important est
l’obtention de crédits. Sont prévus, en outre, d’autres aspect promotionnels tels que des
exemptions fiscales et des exonérations d’impôts pour certains métiers, comme la
baboucherie, la maroquinerie et le tissage.
Néanmoins, en dépit des taux d’intérêt très faibles, la pratique des ensembles
artisanaux ne s’est guère répandue. Au-delà des difficultés liées à la préparation des
dossiers, au suivi des projets, aux garanties nécessaires pour bénéficier d’un crédit, seules
certaines branches de l’artisanat comme le tapis ont bénéficié de crédits, branches avant
tout fortement exportatrices. Et c’est sans doute l’encouragement à l’exportation qui a
motivé un tel intérêt pour certaines unités. De la sorte, celles-ci unités bénéficient de deux
avantages: le premier est l’avantage accordé aux entreprises exportatrices et le deuxième
consiste dans les promotions que reçoivent les petites unités de production dans le cadre de
la promotion du secteur informel.
Il faut mentionner que ce ne sont pas toutes les unités artisanales qui sont
concernées par les aides gouvernementales ou des organismes. Seules les unités qui
disposent d’un patrimoine solide, d’un autofinancement de départ, ou de dossiers
techniques bien préparés bénéficient de certains avantages. Les modalités et montants des
crédits octroyés ne s’adaptent ni au profil ni à la taille des unités concernées et supposent
une relation salariale en contradiction avec la logique de fonctionnement des micro-unités.
En somme, le principal effet de cette politique de crédit bon marché n’est pas tant
d’en faire bénéficier l’artisanat "informel" mais d’encourager avant tout les unités
exportatrices qui ne peuvent être considérées comme issues du SI.
Les mêmes ambiguités se trouvent dans les politiques de promotion des PMI ou
PME.
6.5.1.3. La petite et moyenne entreprise: une nouvelle priorité
Dans le contexte de crise de l’emploi qui a marqué les années 1980, l’intérêt des
politiques d’intervention s’est concentré sur la promotion des PME avec une priorité aux
petites entreprises industrielles (PMI) et la création d’emploi. Cette option va se préciser à
partir de 1988. En fait, là aussi, une confusion règne entre SI et PME et les mesures
conçues sont dirigée plutôt vers ce segment précis (PME, PMI) à condition qu’il soit
95
créateur d’emplois.
Dans cette perspective, le code des investissements de 1983 délimite un statut
spécifique des PME avec un certain nombre d’éléments favorables, mais qui restent
fondamentalement inadaptés aux activités des micro-entreprises: prime de 5000 DH par
emploi stable crée, exonération des droits d’importation du matériel et outillage en cas de
création de PMI hors Casablanca, exonération de la TVA et des patentes et taxes pendant
cinq ans et subvention du terrain industriel constituent les principales mesures de
promotion. Outre la prime à la création d’emplois, les politiques d’aide s’adressent
également aux jeunes diplômés sans travail, pour lesquels des facilités de financement sont
prévues, les incitant à créer leur propre entreprise.
Dans ce cas aussi, les différents aspects et modalités de l’intervention étatique, le
caractère sélectif de "l’aide" (sous forme de crédit), excluent les vrais participants précaires
du secteur informel.
Le même code des investissements spécifie le profil des entreprises concernées:
celles dont le programme d’investissement comporte des équipements pour une valeur
minimale de 100.000 dirhams hors taxe. Autrement dit, ce sont uniquement les petites
activités de haute gamme qui sont concernées par la promotion.
6.5.1.4. L’exclusion des petites unités de bas de gamme et de survie des programmes de
subvention
Ces mesures restent fondamentalement en contradiction avec la logique des micro-
unités, faiblement capitalisées et reposant avant tout sur l’utilisation d’une main d’oeuvre
instable. Ajoutons que les mesures mises en place ne sont pas d’application aisée: les
programmes d’investissement doivent être déposés auprès de l’administration qui veille à
ce que ceux-ci correspondent à un type de production répondant à des normes agréées par
le ministère de l’industrie.
Or, le type de production des activités des micro-unités ne peut répondre à une
telle logique. Les petits patrons et leurs jeunes salariés, désirant s’installer à leur propre
compte se trouvent de la sorte exclus de l’ensemble de ces mesures non seulement en
raison de la difficulté de leur application, mais surtout parce qu’elles supposent un cadre
institutionnel régit et mû par une relation salariale qui contredit la dynamique interne des
activités informelles.
96
Il s’est avéré que les bénéficiaires effectifs de l’aide sont extérieurs à ce "secteur"
en raison des relations personnelles et de clientélisme entretenues avec l’administration qui
sont souvent les conditions d’attribution de cette aide. Dans ce contexte, on doute que
l’impact sur l’emploi ait été positif. Au total, si certaines actions existent sur des segments
spécifiques, celles-ci ne visent pas à modifier les mécanismes qui engendrent ou
contribuent à l’extension des activités informelles...
Nous avons vu ci-dessus que l’intervention directe de l’Etat dans la promotion du
SI ne concerne en grande partie que les activités de haut de gamme ou celles
d’exportation. Les activités de survie ou de bas de gamme, qui occupent le plus grand
nombre de la population urbaine ont connu aussi quelques interventions indirectes de la
part du gouvernement et des organismes.
6.5.1.5. Les aides indirectes aux acteurs des activités informelles de survie
Actuellement, l’Etat et les organismes internationaux considèrent que les
personnes qui exercent dans le SI de bas de gamme n’ont pas de qualification et sont tous
issus des milieux pauvres ou de l’exode rural. La revue de la Banque Mondiale de mai
2000 estime à 19% désormais la part de la population vivant en dessous du seuil de
pauvreté- soit un dollar par jour et par personne- contre 13% en 1991. Le nombre d’exclus
a augmenté de 50% au cours de cette période. Classé au 126ème rand (sur 174) par les
indicateurs de développement du PNUD, le Maroc souffre d’une dégradation profonde des
conditions d’hygiène, de vie, et de santé, notamment chez les enfants ; le taux
d’analphabétisme est de 50% au total et de 70% chez les femmes. 18% seulement de la
population rurale marocaine a accès à l’électricité, et environ 14% à l’eau potable
(Charasse, 2000-2001, p.88).
C’est cette situation sociale dégradée marquée dans les PSD qui a obligé le retour
de l’Etat sur la scène sociale. En effet, depuis la constatation des effets négatifs des PAS
sur le secteur social, l’Etat a mis l’accent sur l’amélioration du niveau de vie des
populations les plus défavorisées par son intervention dans les secteurs de santé,
d’éducation, d’infrastructure de base et dans le monde rural.
Le Maroc et les organismes internationaux constatent que l’amélioration du niveau
de vie des populations permet de réduire la pauvreté et l’exclusion. L’intervention de
l’Etat concerne tout d’abord l’alphabétisation. Actuellement, on remarque ce phénomène
97
dans toutes les régions du pays. Il vise en grande partie la population adulte On donne des
cours dans les mosquées, par la radio et à la télévision. Tous les moyens sont mis en œuvre
pour toucher le maximum de gens possible. Cette opération, qui concerne plus les femmes
que les hommes, peut être inscrite dans le cadre d’une politique de l’intégration de la
femme dans le développement du pays. Les responsables espèrent que la participation de
la femme permettra un changement dans la structure familiale traditionnelle. Le caractère
patriarcal de la famille est donc en train de se convertir pour devenir participatif. Avec ce
changement, la femme peut jouer son rôle en la matière de limitation des naissances.
Comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre, on peut qualifier cette
intervention de continuité des interventions étatiques entamées pendant les années 60 dans
le cadre de la préparation psychologique de la population en faveur de la limitation des
naissances.
Ensuite, avec l’aide octroyée au monde rural dans les domaines de fourniture d’eau
potable, d’écoles et d’hôpitaux, on vise le maintien des paysans dans leur milieu et la
diminution de l’exode rural qui constitue un facteur d’expansion du secteur informel.
Ces politiques, suggérées par les organismes internationaux et appliquées par le
Maroc, ne peuvent à long terme résoudre le problème de l’emploi et de la pauvreté dans le
pays. En fait, les politiques étatiques axées sur la satisfaction “ des besoins essentiels ” par
l’octroi des aides ne sont adoptées que pour sortir de la crise actuelle, l’important étant
d’assurer un développement solide qui permettrait à la population de satisfaire elle-même
ses propres besoins.
6.6. Les raisons et modes d’intervention de l’Etat
L’importance du secteur informel en matières économique et sociale (il génère des
revenus, crée de l’emploi et produit des biens et services pour une population importante)
et l’importance de la masse populaire qu’il occupe (il peut occuper les 2/3 de la population
urbaine en période de crise) font de lui un secteur qui mérite notre attention. Toutefois, on
se demande pour quelle raison l’Etat veut intervenir dans le SI alors qu’il remplit ses
fonctions et apaise les charges de celui-ci.
98
6.6.1. Les arguments de type économique: fiscalité et réglementation
Rappelons d’abord que l’intérêt pour les politiques de développement et
l’intervention de l’Etat ne touchent que les petites entreprises manufacturières et, dans une
moindre mesure, celles des services. Il ne touche presque pas les petites activités précaires
et commerciales. Or, les activités de haute gamme, vu leur nombre restreint et leur
incapacité à créer de l’emploi éjectent des emplois au même titre que le secteur moderne,
puisqu’elles suivent suit le même mouvement.
L’intervention de l’Etat pourrait se justifier par des raisons d’ordre fiscal qui
pousseraient au non-respect des lois et de la réglementation. L’absence de contrôle sur le
SI, de l’enregistrement inciterait l’Etat à normaliser pour imposer. D’une manière
générale, cette question fait l’objet d’un débat sur les avantages et les inconvénients que
tireraient les activités informelles de leur informalité et si le coût de la formalité excède ou
non ses avantages.
Dans le discours libéral qui s’impose (De. Soto), l’extension des activités
informelles n’est que l’expression de l’existence d’un Etat trop présent et rigide (un Etat
mercantile), qui entrave le libre jeu du marché. Le fonctionnement bureaucratique
s’accompagne de pratiques parallèles faisant basculer des pans entiers de l’économie dans
l’informel. L’excès de réglementation dissuaderait les micro-entrepreneurs de légaliser
leur situation, notamment en s’abstenant de s’inscrire aux multiples registres: registres
fiscaux, de la sécurité sociale, registre de commerce, ... La pression fiscale et para-fiscale
limite l’investissement, incitant au recrutement d’une main d’oeuvre informelle.
En somme, l’extension des activités informelles serait, selon (De Soto) liée à
l’excès de droit et non pas à son irrespect.
Pour l’auteur, les activités informelles, payant cher le coût de l’informalité
(exclusion des marchés de crédit notamment), il s’avérerait nécessaire de modifier la loi, et
de déréglementer et d’ajuster le droit et la codification étatique à l’informel ou d’éliminer
les lois inappropriées (abolition des obligations en matière de licence). Bref, le rôle positif
de l’Etat est limité voir même inexistant.
Face à l’excès de réglementation, les travailleurs informels deviennent des
illégaux. Le non-respect des codes étatiques de la part des micro-entrepreneurs peut être
volontaire comme il peut être le reflet de l’ignorance de la codification étatique. De même,
99
le non-respect des codes étatiques de la part du micro-entrepreneurs ne peut être considéré
comme signe d’illégalité en raison de l’inadaptation des lois et de la réglementation (qui
sont empruntées des autres sociétés) mise en place par l’Etat.. Comme le remarque
Lautier, (1991, p.56) « l’impossibilité, pour l’Etat, d’imposer la réglementation étatique
est non seulement technique (absence de comptabilité, refus du contrôle administratif)
mais elle est aussi sociale.»
Si l’intervention ne vise pas un changement économique ou réglementaire, elle
peut prendre une autre forme.
6.6.2. L’intervention de l’Etat dans un but politique
La crise qui a ébranlé les PSD s’est accompagnée d’un recul de l’Etat dans le
domaine économique. Son objectif à court terme est de gérer les régulations et les
évolutions de ses rapports externes et les tensions internes, qui peuvent remettre en cause
la cohésion sociale. Au début des années 80, le secteur informel a pris une ampleur
considérable dans les grandes villes du pays. Les autorités ont été jusqu’à utiliser la force
pour faire disparaître et interdire ces activités mais, la situation sociale précaire de la masse
populaire rend l’intervention de l’Etat inefficace. La grève de la faim de 1981: il avait en
effet été décidé d’augmenter dans le cadre de la suppression des subventions la farine de
40%, le sucre de 40 à 50%, l’huile de 28%, le lait de 14% et le beurre de 76% (Santucci,
1992, p. 403), était une alerte à l’Etat pour prendre soin des populations touchées par la
crise et tolérer le SI.
Aujourd’hui, dans les zones urbaines, on trouve encore une explosion de toutes
sortes d’activités informelles devant l’absence d’intervention des autorités.
On peut penser que ce qui explique la tolérance à l’égard du SI serait justement le
fait que l’Etat est dans l’incapacité de faire respecter la loi pour ne pas rendre la situation
sociale explosive. En fait, certaines activités informelles, par leur fonction de régulation et
de redistribution, peuvent rétablir un certain équilibre en terme d’emplois et de revenus (et
donc de stabilité). Ces activités ne se réalisent pas contre le pouvoir de l’Etat, elles ne le
remettent pas en cause mais le libère de certaines fonctions régulatrices dont il est
incapable de s’acquitter.
100
6.7. Conclusion
Le SI assure une multitude d’activités. En effet, les retombées des PAS ont
poussé les individus à exercer toutes sortes de métier informel. Mais, à côté des activi-
tés qui assurent le revenu d’appoint aux fonctionnaires ou aux employés du secteur mo-
derne, on a constaté surtout la prolifération des activités de survie. En effet, les PAS
n’avaient pas uniquement des effets négatifs sur le secteur privé et publique moderne :
la suppression des subvention étatiques aggravée par la diminution du pouvoir d’achat
de la population (donc baisse de la demande) a dégradé la position de ces derniers et de
leurs employés.
Le SI est touché aussi par la crise. En effet, le nombre d’arrivés qui augmente
chaque année, la réduction des subventions alimentaires, la baisse des transferts des em-
ployés du secteur moderne ont réduit les revenus réels dans ce secteur ce qui a mis en
péril la logique sociale de solidarité qui régit les individus et les groupes.
L’Etat dans ce contexte, intervient par la promotion des activités les plus
performantes du SI (les PMI, PME, l’artisanat et quelques activités qui participent au
commerce extérieur) au détriment des autres. L’Etat tolère quelques activités de survie
sans les aider et octroie des aides aux plus pauvres. De toute manière, la conversion du
SI en SF n’a pas comme souci de donner plus d’élan au secteur informel mais
seulement de le faire pénétrer dans la logique du capitalisme et de l’accumulation.
101
CONCLUSION GÉNÉRALE
Dans le premier chapitre de ce travail, nous avons vu comment chaque courant
de pensée perçoit le secteur informel. Pour le courant libéral dominant, on constate que
le secteur informel est un générateur d’emplois et de revenus, mais il doit être
restructuré par des règles formelles et il faut lui faciliter l’accès aux ressources. L’idée
sous-jacente de ce courant est de convertir le secteur informel en secteur formel pour
qu’il devienne un secteur marchand d’accumulation.
Les auteurs structuralistes et radicaux, quant à eux, considèrent le secteur
informel comme un secteur résiduel exploité par le capital périphérique à travers la
fourniture de biens et de main d’œuvre bon marché. Dans cette approche, le problème
ne se situe pas au niveau du secteur informel mais dans le modèle de développement
dominant à savoir le capitalisme.
Dans l’ensemble de ces pensée, le SI est étudié dans le cadre de la dualité
(moderne-traditionnel, formel-informel, ou centre-périphérie).
La vision de l’Etat concernant le secteur informel est différente. En effet, celui-
ci échappe au contrôle de l’état. La meilleure solution, est de le soumettre par les
impôts. Cependant, l’Etat doit respecter les impératifs des bailleurs de fonds, et tolérer
en même temps les activités de survie. Il ne peut intervenir que dans des cas
précis comme la promotion des activités informelle de haut de gamme et de l’artisanat
d’exportation.
A partir du deuxième chapitre, on a tenté de mesurer les conséquences des choix
économiques et sociaux fondamentaux sur la population urbaine. Tout d’abord, on a
constaté que l’intervention coloniale dans le monde rural a basculé le mode de vie des
paysans et a engendré une mobilité de masse de celles-ci vers d’autres secteurs et vers les
villes. Après l’indépendance, l’échec de la politique agricole et ses retombées sur la
population rurale ont poussé un certain nombre d’habitants à quitter leur milieu pour
s’installer en ville où ils espèrent trouver une amélioration de leur situation. Ensuite, on a
vu comment le secteur informel contribue à maintenir son taux de croissance
102
démographique et les politiques mises en place pour réduire l’effet de celui-ci.
L’explosion urbaine, la faiblesse de l’industrialisation et son impact très limité sur
l’emploi sont traités dans le quatrième chapitre. Les conséquences de l’échec de
l’industrialisation sont essentiellement le chômage urbain croissant, le sous-emploi,
l’exploitation des salariés et les conditions d’habitat précaires. Les possibilités d’emploi
étant très limitées dans le secteur moderne de l’économie, ces masses marginalisées
cherchent à s’intégrer à la société en multipliant les activités économiques desquelles elles
tirent leur subsistance.
Dans le chapitre cinq, nous avons vu que les politiques d’endettement et les
déséquilibres financiers révèlent non seulement la faiblesse des surplus internes et des
ressources extérieures à financer l’économie, mais aussi l’impossibilité de poursuivre le
type de régulation prévalant jusque là. Dans tous les cas, la crise et les PAS ont des effets à
la fois sur le volume de l’emploi, sur les modes d’insertion des jeunes, sur les micro-unités
et les niveaux de vie, faisant basculer de nombreux agents dans les activités informelles.
Dans ce contexte, face à l’épuisement du rôle régulateur de l’Etat, son incapacité à
prendre en charge les besoins sociaux de santé, de logement, de formation..., et face à la
quasi absence d’organismes capables de prendre en charge la reproduction de la force de
travail humaine, les activités informelles de petite production marchande, de commerce ou
de service et la sphère domestique sont appelées à assurer cette fonction.
Elles correspondent à un ensemble de pratiques sociales et de comportements
économiques assurant la socialisation du travail, sans que l’Etat soit appelé à intervenir
directement. Dans ce contexte, on peut dire qu’elles libèrent l’Etat de certaines fonctions
en développant des modes de vivre à faible coût, assurant la reproduction de la main
d’oeuvre.
Mais le SI s’étouffe par les nouveaux arrivés: chaque année, il reçoit de nouveaux
migrants ruraux, victimes de l’échec des politiques de développement et reçoit en même
temps les fonctionnaires licenciés, les nouveaux diplômés et les employés du secteur
moderne privé (Ce secteur leur permet de vivre ou de gagner un revenu
supplémentaire). D’un autre coté, sa croissance est limitée, à cause des politiques
d’intervention étatiques défavorables à son propre développement. A ce propos,
rappelons que l’intervention étatique considère le secteur informel comme un secteur
résiduel et transitoire, devant être absorbé et réglementé. Pour cette raison, l’Etat a
appliqué l’intervention à deux niveaux: La première intervention est une politique
103
« d’en haut » qui consiste à promouvoir et à assister les unités les plus performantes du
secteur informel, par l’octroi de crédits, d’une aide technique et de suivis. La deuxième
est une politique « d’en bas » qui intervient dans le but de limiter l’ampleur du SI par la
lutte contre la pauvreté, l’encouragement de l’éducation des femmes et des enfants sans
oublier les politiques de promotion du monde rural qui visent à réduire l’exode rural.
Aujourd’hui, et après environ un demi-siècle d’indépendance, le Maroc n’a pas
encore cueilli les fruits de ses politiques de développement. Au contraire, il vit une
période difficile, caractérisée par une dépendance économique vis-à-vis de l’étranger,
une lourde dette externe qui épuise les ressources du pays, un faible tissu économique
incapable de répondre aux besoins de la société, une analphabétisation qui touche plus
de la moitié de la population, un taux de chômage élevé qui frappe une large tranche de
la population urbaine et rurale et, enfin par, une pauvreté et une exclusion sociale de
masse. Toutes ces crises résultent non seulement de l’application des programmes
d’ajustement structurel mais aussi de l’échec du modèle de développement.
La dynamique du secteur informel, sa capacité d’absorption d’une main d’œuvre
abondante et sa contribution dans la répartition des revenus dans une société marquée
par une flagrante inégalité sociale devront, normalement, encourager les décideurs
politiques à mettre au point les mesures favorables au développement de ce secteur
plutôt que de penser seulement à son intégration graduelle dans le secteur formel.
104
BIBLIOGRAPHIE
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Lecture en cours : Lautier Bruno. L’économie informelle dans le tiers monde.
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