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FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

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Département de Lettres Modernes

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MEMOIRE DE MAITRISE

Thème:

RELIGION ET MAGIE

DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN OU LES ROUERIES D’UN INTERPRETE AFRICAIN

D’AMADOU HAMPATE BA

RELIGION ET MAGIE

DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN OU LES ROUERIES D’UN INTERPRETE AFRICAIN

D’AMADOU HAMPATE BA

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Présenté par Sous la direction du

SERIGNE KHALIFA A. WADE PROFESSEUR BASSIROU DIENG

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Année universitaire 2009 - 2010Année universitaire 2009 - 2010

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Je dédie ce mémoire à

- Ma mère Ngoné Pouye, petite physiquement mais dotée d’une volonté d’acier, qui

s’est battue dans la solitude et

Inlassablement pour me donner les moyens de poursuivre mes

études. Qu’Allah fasse qu’elle continue des dizaines d’année encore

à prier pour moi.

- Mon père Assane Wade, pour ses conseils et ses prières ;

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- Ma

femme Seynabou Ndiaye dite Awa Ciss, femme patiente et intelligente, qui sait pro-

diguer de sages conseils ;

- Mes enfants.

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Page 5: Memoire Fin Original

Ils vont

Au professeur Bassirou DIENG qui m’a guidé et a su décupler ma passion pour la

recherche.

Au professeur Mamadou BA, qui n’a ménagé aucun effort pour m’aider dans mes

travaux, en me fournissant moult documents, en me prodiguant d’importants conseils.

A tous les professeurs du Département de Lettres Modernes de la Faculté des Lettres et

Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

A monsieur Niokhobaye DIOUF, proviseur du lycée de Mbao, qui m’a soutenu sans

faille, me faisant croire que  je peux le faire, ce mémoire. Il est un excellent coach, qui

sait pousser son personnel vers l’avant, vers l’excellence.

A Aly Bokar Kane, professeur d’histoire et de géographie au lycée de Mbao, pour ses

conseils si éclairés et son soutien moral.

A Bokar Seck, professeur de lettres modernes au lycée de Mbao, à qui je dis : seuls les

hommes vraiment généreux savent partager la plus précieuse des richesses qu’est le

savoir. Bokar tu fais partie de ceux-là.

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Page 6: Memoire Fin Original

A mon collègue, compagnon d’études et ami Idrissa Wattara. Nos destins semblent liés,

depuis notre entrée à l’UCAD. Merci pour ta franche collaboration.

INTRODUCTION

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        La conscience plus ou moins floue de l'existence d'un monde immatériel, au sommet

duquel trôneraient des divinités, esprits, génies, a marqué l’évolution humaine. Selon le

philosophe roumain Mircea Eliade1"toute culture à sa naissance est religieuse."

        Ainsi, l'ancienneté du sentiment religieux se confond avec celle de l'humanité. Il se

révèle et évolue dès  l'avènement de l'homo sapiens. On retrouve les manifestations les plus

anciennes de cette spiritualité, celle de nos ancêtres, dans les mythes, légendes, contes, mais

également sur les peintures rupestres, œuvres anonymes qui remontent à la nuit des temps.

        Actuellement, le constat de la multiplicité et de la diversité des religions et croyances

est universel et le philosophe Henri Bergson souligne : "On trouve dans le passé, on

trouverait même aujourd'hui des sociétés humaines qui n'ont ni science, ni art, ni

philosophie. Mais il n'y a jamais eu de société sans religion2". La religion est donc l'une des

valeurs les plus répandues sur terre.

       C'est cette prégnance du sacré dans la conscience humaine qui explique son incessante

représentation  dans les productions littéraires orales et écrites de tous les peuples. En effet,

chez les Européens, le merveilleux hante de nombreux contes et fables, qui, eux, sont

inspirés de l‘ancienne littérature orale aux auteurs inconnus, et ceci explique cela. On peut

en citer certaines fables de J. de La Fontaine (« La Mort et le bûcheron », « le Dragon à

plusieurs têtes et  le Dragon à plusieurs queues », etc.), les contes de Charles Perrault (Les

Contes de ma mère l'Oye  qui est un recueil de huit contes de fées).

Le merveilleux et le fantastique s'invitent également dans la littérature romantique

chez Victor Hugo dans sa nouvelle fantastique, Le diable chiffonnier et dans certains de ses

poèmes comme « Les Djinns » ; chez Théophile Gautier avec La cafetière ; chez Guy de

Maupassant qui a produit plusieurs nouvelles fantastiques dont celle intitulée Le Horla ;

chez Aloysius Bertrand qui a rédigé un recueil de poèmes en prose,  Gaspard de la Nuit

où  il évoque les circonstances dans lesquelles il aurait rencontré Satan à Dijon etc.

1 Cité par Stanislas Deprez dans son ouvrage : Mircea Eliade : La philosophie du sacré, Paris, L'Harmattan, 1999, 1602 BERGSON, Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Presses Universitaires de France, 1955

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        Dans la littérature latino-américaine du XXe siècle le surnaturel se retrouve dans les

romans du Mexicain Carlos Fuentes comme Terra nostra et  Christophe et son œuf ; du

Prix Nobel de littérature colombien Gabriel García Marquez Cent ans de solitude (publié en

1967), etc. Ils ont ainsi illustré le nouveau concept de réalisme magique utilisé par la

critique littéraire et la critique d’art depuis 1925 pour rendre compte de productions où des

éléments perçus comme « magiques », « surnaturels » et « irrationnels » surgissent dans un

environnement « réaliste », reconnaissable.

        Chez les Anglais, on note des auteurs de récits fantastiques (nouvelles, romans) tels

que Sheridan Le Fanu (Carmilla 1871), Bram Stoker (Dracula1897), .Oscar Wilde (Le

Portrait de Dorian Gray, 1891).

        Cependant le surnaturel tel que représenté dans la plupart des œuvres littéraires

européennes (françaises et anglaises, en particulier) semble obéir à une esthétique ludique.

L'accent est mis sur le divertissement du lecteur, coupé du monde prosaïque et matérialiste

de tous les jours, il est plongé dans un univers onirique qui lui procure des sensations fortes,

des montées d'adrénaline. Cela donne lieu à des représentions, des créations d'êtres et de

situations hyperboliques, fantasmagoriques : vampires, monstres, cannibalisme, apocalypse,

etc. C'est dans cette optique qu'Anatole France3 dit : "Avouons-le : nous avons tous au fond

du cœur le goût du merveilleux. Les plus réfléchis d’entre nous l’aiment sans y croire, et ne

l’en aiment pas moins. Oui, nous les sages, nous aimons le merveilleux d’un amour

désespéré. Nous savons qu’il n’existe pas".

        Aux antipodes de toute conception ludique du surnaturel, la littérature négro-africaine

intègre celui-ci en tant que valeur, caractéristique des cultures locales, en cela elle rejoint  

la littérature latino-américaine avec son « réalisme magique ». Le magique et le spirituel

participent de la vie négro-africaine au quotidien. C'est pourquoi ils sont présents dans la

plupart des œuvres orales et écrites africaines : contes, mythes, légendes, épopées, romans,

nouvelles et même dans certains poèmes (Birago Diop, Leurres et Lueurs), etc.

3 Cf.  FRANCE, Anatole, La Vie littéraire, Calmann Lévy, 1892

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       Xavier Garnier4, ayant constaté l'omniprésence de cette donnée dans les publications

romanesques africaines, classe celles-ci  selon le mode de présence du surnaturel, du

spirituel dans ces œuvres. On peut noter, d’après lui, trois importantes catégories de romans

négro-africains. En premier lieu, « le roman réaliste irrationnel », appellation contradictoire

voire déroutante mais qui s'explique selon lui par le fait que « si le monde des esprits est

une théorie pour l'anthropologue, il est réel pour le romancier » (p. 16) et il souligne que «

la condition sine qua non du roman réaliste irrationnel est que le (ou les) narrateur(s)

partage(nt) le point de vue traditionnel africain » (p. 19).  Appartiennent à ce genre, les

œuvres d’Elechi Amadi et de Chinua Achebe. En deuxième lieu, « le roman positiviste »

qui  remet en cause la réalité, l’efficacité du magico-religieux. Des auteurs comme Asare

Konadu et David Ananou illustrent ce type romanesque. Enfin, le « roman spiritualiste »

où est valorisé le travail comme instrument du progrès individuel, la notion de destin y

occupe une place centrale, la magie (le sacrifice) est de ce fait employée le plus souvent

pour agir sur le destin, l'incliner favorablement par rapport aux intérêts du héros. Les

œuvres d’Amadou Kourouma (Les Soleils des indépendances) et d'Ahmadou Hampâté Bâ

(L'étrange destin de Wangrin…) entrent dans cette catégorie. 

           La vie et l'œuvre de ce dernier sont marquées par la spiritualité, inspirée de sources

diverses : les religions traditionnelles peule et bambara et l'Islam. Traditionaliste, il a

recueilli auprès de gardiens de l’authenticité culturelle africaine – ces vieux sages placides

et débonnaires parce que remplis à ras bord de sciences multiformes héritées des ancêtres et

sans cesse enrichies au contact de l’expérience quotidienne et que Hampâté Bâ compare si

justement à de vastes bibliothèques dans une célèbre formule – des contes, légendes, récits

épiques, ayant tous un fond spirituel très marqué. Parmi lesquels, notons Kaydara5, Njeddo

Dewal, mère de la calamité : conte initiatique peul6,  La Poignée de poussière, contes et

récits du Mali7 , etc. Amadou H. Bâ a aussi publié, à propos de  la religion islamique, des

ouvrages comme L'Empire peul du Macina8, qui documente sur la vie et l'évolution d'une

4 GARNIER, Xavier,  La magie dans le roman africain, Presses Universitaires de France, Collection Écritures francophones, 19995 BA, Amadou H, Kaydara, Abidjan, Nouvelles Editions africaines-Edicef, 1985, 155 p.6 BA, Amadou H, Njeddo Dewal, mère de la calamité : conte initiatique peul, Abidjan. Nouvelles Editions africaines-Edicef, 1985, 239 p.7 BA, Amadou H, La poignée de poussière : contes et récits du Mali. Nouvelles Editions africaines. 1987.

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des premières théocraties de l'Afrique de l'ouest ; Vie et enseignement de Thierno Bokar9,

qui est une biographie de son maître spirituel musulman et tidjaan10 ; mais aussi des essais

dont le titre est révélateur de la passion mystique de Hampâté Bâ : Aspects de la civilisation

africaine : personne, culture, religion11, qui est un ouvrage où il répond à des questions qui

lui permettent de dévoiler et d’expliciter sa vision du monde, Jésus vu par un musulman12,

etc. 

         Ce goût pour le surnaturel voire le mysticisme se retrouve dans ses œuvres

autobiographiques que sont Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires13 et  Oui, mon commandant

! : Mémoires II14.

       L'étrange destin de Wangrin est une œuvre dont le statut littéraire est difficile à

déterminer. On la classe généralement dans le genre romanesque fictif, alors que, selon son

auteur, ce récit n'est pas le fruit de son imagination. Écoutons-le plutôt : « Ce livre est le

fruit d’une promesse, faite à un homme que je connus en 1912. […] Chaque nuit, après le

dîner, de 20 à 23 heures, parfois jusqu’à minuit, Wangrin me racontait sa vie. […]

Indépendamment de ce que je récoltai ainsi de la bouche même de Wangrin et que je notai

soigneusement, j’eus la bonne fortune, par la suite, d’être amené à servir dans tous les

postes où Wangrin était passé, pouvant ainsi largement compléter mes informations auprès

de tous ceux qui avaient été mêlés sur place à ses aventures. […] J’ai donc fidèlement

rapporté tout ce qui m’a été dit de part et d’autre dans les termes mêmes qui furent

employés. Je n’ai modifié – à quelques rares exceptions près – que les noms propres des

personnes et des lieux, pour mieux respecter l’anonymat souhaité par Wangrin. […] Il

s’agit simplement, ici, du récit de la vie d’un homme.»15

8 BA, Amadou H & DAGET, J., L'empire peul du Macina : (1818-1853) , Nouvelles Editions africaines, Abidjan, 1984.: Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. 306 p. 9 BA, Amadou H., Vie et enseignement de Thierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, Seuil, 198010 Les tidjaan sont les adeptes d’une confrérie soufie islamique de l’Afrique appelée Tidjanisme ou Tidjania.11 BA, Amadou H., Aspects de la civilisation africaine : personne, culture, religion, Paris, Présence africaine, 1972. 140 p)12 BA, Amadou H., Jésus vu par un musulman, Nouvelles éditions africaines, Dakar Abidjan, 1976. 

13 BA, Amadou H., , Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires, Arles, Actes sud, Paris, 1991. 409 p et  Oui, mon commandant ! : Mémoires II, Arles, Actes Sud, 1994. 396 p14 BA, Amadou H., Oui, mon commandant ! : Mémoires II, Actes Sud, 199415 BA, Amadou H., L’Etrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain, Editions 10/18, Département d’Univers Poche, 19è » et 1992, pages 7, 8, 9.

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La rédaction de L'étrange destin de Wangrin rappelle les méthodes de recherche

utilisées par les ethnologues de l’Institut français d’Afrique Noire (I.F.A.N.) où a travaillé

Amadou Hampâté Bâ auprès de son maître Théodore Monod, à savoir : recueil de données,

recoupement de ces données, triangulation. C’est dire que notre auteur tient à ce que ses

lecteurs sachent que, si extraordinaires que soient  les péripéties du destin de Wangrin, elles

relèvent de la pure réalité. Ses convictions religieuses lui interdiraient-elles la création

d’ouvrages fictifs où, pour paraphraser  Honoré de Balzac, il mentirait vrai ? De toute façon

les textes oraux fictifs qu’il a traduits et fait publier sont des produits d’auteurs collectifs et

anonymes.

          Cependant, il ne lui a pas été aisé de faire « avaler la pilule » de la crédulité aux

lecteurs, et il se défend derechef dans la Postface d’une nouvelle édition du roman :

«Depuis la parution de ce livre en 1973, certains malentendus sont apparus çà et là tant sur

la personnalité réelle du héros que sur la nature même de l'ouvrage. Je ne sais pourquoi

certains (et cela en dépit des précisions apportées dans l'Avertissement) s'interrogent : ce

récit est-il une réalité, une fiction, ou un habile mélange des deux ? On admet généralement

l'existence historique de celui qui s'était surnommé lui-même "Wangrin", mais on pense

que j'ai dû "romancer" quelque peu sa vie, y introduisant même, pour corser l'histoire et lui

donner une sorte de signification symbolique, un dosage subtil de tradition orale et

d'événements surnaturels de mon cru. (…) Je le répète donc pour ceux qui en douteraient

encore : tout ce qui se rapporte à la vie même du héros, depuis le récit de sa naissance (récit

reçu de ses  parents), en passant par ses rapports avec le monde animiste traditionnel, les

prédictions, etc., jusqu’à sa ruine après sa faillite commerciale m’a été raconté par Wangrin

lui-même dans une langue bambara souvent poétique, pleine de verve, d’humour et de

vigueur, tandis que son fidèle griot Dieli-Madi l’accompagnait doucement en musique.

Aujourd’hui encore, j’entends avec émotion dans ma mémoire la voix de Wangrin sur ce

fond de guitare. "16                  

           Comme pour confirmer ces propos de Hampâté Bâ des révélations seront faites sur

la véritable identité de Wangrin à la fin de son deuxième roman autobiographique17 par 16 BA, Amadou H., L’Etrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain, Editions 10/18, Département d’Univers Poche, 19è » et 1992, pages pp. 359-36017 BA, Amadou H.,  Oui, mon commandant ! : Mémoires II, Arles, Actes Sud, 1994. 396 p

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Hélène Heckmann dans l’Annexe II. Wangrin, d’après le texte de celle-ci, « s'appelait en

réalité Samba Traoré. » Elle précise, d’après les informations recueillies auprès de sa

famille, que notre héros était « issu d'une famille de chefs traditionnels bambaras de la

région de Bougouni (Mali), il portait plusieurs surnoms : Wangrin, Gongoloma-Sooké, et

surtout Samaké Niambélé, surnom sous lequel il est resté très connu au Burkina, plus

particulièrement à Bobo Dioulasso» et, ajoute-elle, « inutile de dire que personne, au

Burkina, ne se pose de questions sur la réalité de son existence… »

        En dehors de l'ouvrage  de Xavier Garnier18 , qui fait un parcours intéressant et

remarquable de la production romanesque anglophone et francophone, on note la rareté

d'études approfondies sur la représentation littéraire du magico-religieux dans la littérature

africaine. C'est dire l’intérêt d’un tel thème de recherche.

         Mais en fait, quelle est l'importance du sacré, des facteurs spirituels, magiques dans

la trame romanesque de L'étrange destin de Wangrin d'Amadou H. Ba ? Qui est exactement

Amadou H. Bâ et pourquoi existe-il chez lui cette passion pour le spirituel ? Que signifient

et que recèlent exactement les notions de magie et de religion? Quels sont précisément ces

facteurs magico-religieux qui imprègnent le roman ? Quelle place occupent-ils dans

l'intrigue ? Comment influent-ils sur celle-ci ?  Comment les personnages en sont-ils

affectés, influencés, manipulés ? Comment sont-ils instrumentalisés par les personnages ?

Comment interpréter leur présence dans un récit globalement réaliste ? De quelle sorte de

vision du monde, de quels paradigmes, de quelle ontologie procèdent-ils ? Servent-ils

l'écriture, la littérarité du roman ? Comment ? Lui apportent-ils une touche originale ?

Comment ?

         Pour apporter des réponses précises à ces interrogations, surgies au contact de

L'étrange destin de Wangrin, de manière cohérente, nous avons structuré notre étude en

trois parties comprenant chacune plusieurs chapitres. Dans la première partie, nous

parlerons de l'auteur  afin de faire ressortir comment et pourquoi la vie et le parcours

d'Amadou Hampâté Bâ sont profondément, en amont comme en aval, marqués par la

18 GARNIER, Xavier, La Magie dans le roman africain, Paris, P.U.F., Collection Écritures francophones, 1999

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spiritualité, en commençant par ses origines familiales et ethniques pour aboutir à son

éducation. Nous replacerons également l’œuvre dans son contexte historique,

géographique et sociologique pour faire ressortir les caractéristiques religieuses de ce cadre

spatio-temporel. En second lieu, il s’agira d'étudier de plus près, de passer à la loupe tous

les facteurs, faits et pratiques religieux décrits, présentés dans le roman, non sans avoir

précisé, défini, au préalable, la notion de religion. Enfin, nous ferons ressortir la prégnance

de la magie dans le déroulement de l’intrigue, la mentalité et le comportement des

personnages et comment les emprunts aux genres oraux traditionnels la favorisent.

Ainsi, nous espérons apporter notre modeste contribution à l’étude et la

compréhension de la dimension mystique et magique de L'étrange destin de Wangrin; ou

les roueries d'un interprète africain d’Amadou Hampâté Bâ.

 

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PREMIÈRE PARTIE : RELIGION ET

MAGIE DANS LA VIE DE L'AUTEUR ET

DANS LE CONTEXTE HISTORIQUE ET

SOCIOCULTUREL DE L’OEUVRE

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      Amadou Hampâté Bâ est un homme multidimensionnel, difficile à classer, à

caractériser. Sur le plan spirituel, il s’est abreuvé aux sources de l'authentique tradition

africaine, aux valeurs de la religion venue d'Arabie, nourri de l'Islam soufi qu'est la

Tidjania19, ce qui ne l'empêche pas d'être imprégné de l'influence huguenote de Théodore

Monod20 . Dans le domaine intellectuel et moral en plus de la formation coranique, il

bénéficie de l'apport de l'école française, sans oublier son incubation dans l'enseignement

oral traditionnel avec notamment les contes (il était excellent conteur dans son enfance c'est

pourquoi on le surnommait Amkoullel, le petit Koullel21 ) et l'initiation. Il fut chercheur à

l'I.F.A.N.22 s'adonnant avec toute la rigueur scientifique requise à des recherches historico-

ethnographiques en Afrique occidentale française, cela ne modère nullement son penchant

littéraire, son goût pour la belle narration.

19« L’une des principales confréries musulmanes d'Afrique noire et d'Afrique du Nord. Les confréries

(littéralement turuq, “voies”, sing. tarika) ne sont pas des sectes, puisque non extérieures à l'Islam, mais des

sortes de familles spirituelles internes, un peu comme les différents ordres (franciscain, dominicain, etc.) à

l'intérieur de la catholicité. L'Afrique subsaharienne fut islamisée essentiellement par les confréries, qui y

jouent un très grand rôle sur le plan religieux comme sur le plan social, voire politique.  » (Cf. BA, Amadou

Hampâté, Vie et enseignement de Tierno Bokar, annexe “Soufisme et confréries en Islam”.)20 Fondateur de l’institut français d’Afrique noire (I.F.A.N.)21 Koullel ou Soulé Bô fut le plus grand conteur de sa région (cf. Amkoullel, l’enfant peul : mémoires)22 Institut français d’Afrique noire

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         Bref, comme son personnage Wangrin, il est une convergence de contraires, de

paradoxes, lui-même le reconnaît lorsqu'il lance dans une interview23 : "Je suis un sage

lettré, troubadour moderne ou vieux malin." Il ajoutera : "Toute ma vie, je me suis cherché

sans me trouver. Je ne saurais me définir moi-même".

         Dans les lignes qui suivent, il s'agira de voir, dans les origines de Hampâté Bâ, son

éducation, son cursus et aussi dans les caractéristiques historiques et socioculturelles de

l’Afrique de l’Ouest, les faits qui pourraient nous éclairer sur le fait que son roman

L'étrange destin de Wangrin… soit si empreint de spiritualité, de magie et de religion.

CHAPITRE PREMIER : AMADOU HAMPÂTÉ BÂ

: UNE VIE ET UN PARCOURS MARQUÉS PAR

LA SPIRITUALITÉ

      Une spiritualité riche, parce que multiforme et d'origines diverses, se note dans la vie

et l'œuvre d'Amadou Hampâté Bâ. Au préalable, entendons-nous sur le terme "spiritualité".

23 DIALLO, Siradiou, Jeune Afrique, 13 juin 1975

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Dans le Portail de la Spiritualité de Wikipédia24 (13 mai 2010 à 15h 25mn) on la définit

ainsi :

"La spiritualité (du latin spiritus, esprit) définit une aspiration personnelle ou collective, ou l'ensemble

des croyances, pratiques et études qui ont trait à la nature essentielle de l'être vivant, à l'âme, à ce qui

est au-delà des besoins matériels ou des ambitions terrestres, voire à la relation à Dieu dans le cas

d'une spiritualité non athée."

Ce terme fédère donc tout ce qui relève de la religion, du surnaturel, du mysticisme. 

I. SES ORIGINES 

        Ecoutons  Amadou Hampâté Bâ lui-même nous parler de ses origines25:

        "Je suis né en 1901 à Bandiagara (Mali), chef-lieu du pays Dogon et ancienne capitale de l'Empire

Toucouleur du Macina, fondé par El hadji Omar en 1862.

Mon père Hampâté, d'une famille maraboutique et guerrière du pays Poromani, mourut alors que je

n'avais que deux ans. Ma mère Kadidja, fille d'un grand initié peul, Pâté Poullo, épousa en secondes

noces Tidjani Amadou Ali Thiam, chef de la province de Louta, qui devint mon père adoptif."

24 Encyclopédie numérique consultable sur Internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/spiritualité.25 CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ », in Littératures Francophones, Afrique- Caraïbes-Océan Indien, Dix neuf classiques, , CLEF, 1994.

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Ainsi on constate que les origines paternelles et maternelles de Hampâté Bâ  sont fortement

imprégnées de la religion islamique et de celle traditionnelle. En effet son père appartient à

une famille de guides et d’enseignants de l’Islam, appelés marabouts, et Kadidja, sa mère,

est descendante directe d’un grand prêtre de la foi animiste. A propos de ce dernier voici ce

qu’il raconte dans la première partie de son autobiographie26 :

          « Paate Poullo (son grand-père maternel) était un silatigi, c'est-à-dire un grand maître en

initiation pastorale, sorte de prêtre du culte et, à ce titre, chef spirituel de toute sa tribu. Comme tous

les silatigi, il était doué de facultés hors du commun : voyant, devin, guérisseur, il était habile à jauger

les hommes et à saisir le langage muet des signes de la brousse».

Chose remarquable chez Paate Poullo, c’est que, ayant connu El Hadj Omar Tall –

grand chef spirituel musulman et cheikh, guide, de la confrérie Tidjania, fondateur de

l’empire théocratique toucouleur du Macina – et séduit par la sainteté de celui-ci, il s’est

converti à l’Islam et a tout abandonné pour le suivre : « Mon grand-père, continue Amadou

H. Bâ, abandonnant richesses, troupeaux et pouvoir, muni d'un simple bâton de berger, prit

la route pour rejoindre El hadj Omar. »

Cependant, cette conversion ne lui fera point renier son statut traditionnel. Bien au

contraire, car ses pouvoirs de silatigi serviront à El Hadji Omar Tall dans ses campagnes

guerrières. Dans un beau passage d’Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires le narrateur

s’attarde sur les propos de son grand père s’adressant à El Hadji Omar :

« Je suis un silatigi, un initié pullo. Je connais le visible et l'invisible. J'ai, comme on dit, “l'oreille

de la brousse’’ : j'entends le langage des oiseaux, je lis les traces des petits animaux sur le sol et les

26 BA, A. H., Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires, Arles, Actes sud, Paris, 1991. 409 p

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taches lumineuses que le soleil projette à travers les feuillages ; je sais interpréter les bruissements des

quatre grands vents et des quatre vents secondaires ainsi que la marche des nuages à travers l'espace,

car pour moi tout est signe et langage. Ce savoir qui est en moi, je ne peux l'abandonner, mais peut-être

te sera-t-il utile ? Quand tu seras en route avec tes compagnons, je pourrai “répondre de la brousse’’

pour toi et te guider parmi ses pièges. »

C’est un syncrétisme religieux que vivra donc le grand-père d’Amadou Hampâté Bâ

auprès du cheikh. Attitude spirituelle fréquente en Afrique — nous en reparlerons plus loin

en détail — que l’on remarque aussi bien chez Amadou H. Bâ que chez son personnage

Wangrin. D’ailleurs le romancier se définit lui-même comme un silatigi, car il a été initié à

la religion traditionnelle peule.

          Il n’est donc pas étonnant qu’un homme moulé dans un tel cadre familial soit épris de

surnaturel. Et de fait «  en Afrique traditionnelle, l'individu est inséparable de sa lignée, qui

continue de vivre à travers lui et dont il n'est que le prolongement. »27

          Voyons, à présent, comment le spirituel, qui a marqué ses origines, a formé l’enfant,

le jeune et l’adulte Amadou H. Bâ, mais aussi combien ce facteur aura commandé ses

réflexions, ses actes, sa production écrite

II. SON ÉDUCATION :

         Amadou H. Bâ a été formé à plusieurs écoles. Très tôt, puis tout au long de sa vie, il a

recueilli, assimilé des enseignements de  l’école traditionnelle. En outre, il a fréquenté

27 BA, A. H., Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires, op. cit.

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l’école française et  l’école coranique. Ses maîtres sont de différentes obédiences

intellectuelles et religieuses. D’ailleurs, cela pourrait expliquer sa grande ouverture d’esprit

et l’œcuménisme de sa spiritualité. 

        Sur le plan traditionnel il fut solidement formé, par Soulé Bô dit Koullel,

traditionniste et grand conteur très célèbre dans son pays, qui vivait avec lui chez son père

adoptif Tidjani Amadou Ali Thiam, chef de la province de Louta.   Il écoutait

religieusement ce détenteur de la  tradition orale, ce grand-maître de la parole, lorsqu’il se

produisait dans la Cour du Chef, entouré d’un auditoire constitué pour l’essentiel d’adultes.

Koullel contait aux personnes mûres, ensuite comme un médium, enregistreur et

transmetteur, il le relayait auprès des membres de sa classe d’âge. Il se le rappelle : 

« J’étais à l’époque chef d’une association de garçons de mon âge groupant soixante dix jeunes

gens auxquels, tel Koullel au milieu des adultes, je communiquais mon jeune savoir. Je leur répétais

tout ce que j’entendais conter à la Cour de Tidjani, et qui constituait l’enseignement même de la

tradition orale »28.

C’est  cette imitation du grand conteur qui lui vaudra le surnom Amkoullel ou Petit Koullel.

        Excellente manière d’apprendre : une forte capacité d’écoute, puis l’imitation et la

répétition, renforcées par l’intérêt et la passion de l’apprenant. Cette aptitude à recueillir du

savoir, à se placer en situation d’apprentissage, cette mémoire quasi infaillible, développées

précocement, au voisinage des traditionnistes, dont le plus remarquable est Koullel, lui

vaudront l’admiration, l’estime et la confiance de Wangrin, personnage éponyme de son

roman, et qui serait réel, qui lui aurait dit un jour :

28 CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ », in Littératures Francophones, Afrique- Caraïbes-Océan Indien, Dix neuf classiques, op. cit., P.11.

22

Page 23: Memoire Fin Original

« Mon petit Amkoullel, autrefois, tu savais bien conter. Maintenant que tu sais écrire, tu vas noter ce

que je conterai de ma vie »29.   

   

 Cette profonde immersion dans le monde traditionnel lui sera également d’un grand

apport dans son travail de chercheur à l'I.F.A.N., qui lui permit d’enregistrer et de traduire

nombre de produits de la tradition orale ouest africaine. Dans ses œuvres littéraires écrites,

on notera de nombreux et beaux stigmates de l’oralité.

       Notons qu’aux sources de la tradition, il ne s’est pas seulement abreuvé à la fontaine du

conteur. Il a été également instruit et éduqué, sur le plan moral, par sa mère et son père

adoptif.30

Même quand il a été éloigné de sa famille pour poursuivre ses études françaises à

Djenné, son « éducation traditionnelle ne fut pas interrompue, car (il) avait été confié à la

famille du chef peul Amadou Kisso, de Djenné ».31

        Que renfermait l’enseignement traditionnel qu’il a reçu de son enfance au crépuscule

de sa vie ? Avant d’entrer dans les détails, il est à noter qu’Amadou H. Bâ, comme du reste

la plupart de ses camarades d’âge de cette époque, reçut une double initiation, peule et

bambara. C’est l’aspect magico-spirituel de l’éducation immuable héritée des ancêtres.

Celle-ci est la transmission d’ « une  connaissance globale, une connaissance vivante, et

c’est pourquoi les vieillards qui en sont les derniers dépositaires peuvent être comparés à de

vastes bibliothèques ».32

Amadou Hampâté  Bâ entendait de la bouche des détenteurs de la tradition une

extraordinaire variété de textes qu’il énumère lui-même :

29 BA, A. H., L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain , Editions 10/18, Avertissement P. 8. 30 BA, A. H.,, Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires, op. cit.31 CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ », in Littératures Francophones, Afrique- Caraïbes-Océan Indien, Dix neuf classiques, op. cit., P.11.32 BA, A. H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit.  

23

Page 24: Memoire Fin Original

« Contes historiques, contes mythiques, contes initiatiques ou d’enseignement occulte […], contes de

guerre, chroniques historiques, contes égrillards aussi. Il y avait (aussi) des récits généalogiques […],

puis les poèmes récités, chantés ou joués avec accompagnement de musique […], sans parler des

enseignements pratiques, tels que la pharmacopée, par exemple. ».33

On peut ainsi noter des secteurs comme l’histoire, la religion animiste, l’art, la médecine,

etc. Le divertissement (« contes égrillards », chants, musique) est inséparable d’un tel

enseignement. Celui-ci  captive, motive et, par suite, éveille les sens et l’esprit.

       Parallèlement à cette formation multiséculaire et pluriforme, le fils d’Hampâté

fréquentera, dès l’âge de sept ans, l’école coranique de Thierno Bokar, qui, d’après son

disciple, « partageait son temps entre l’enseignement et la prière »34. Son nom complet est

Bokar Salif Tall. Le grand-père et homonyme de celui-ci, Bokar Tall, était le frère aîné du

célèbre El hadji Omar Tall. Il était marabout et ami de son père adoptif, Tidjani Ali

Amadou Thiam.

       Ce sera là le début de sa formation islamique. Ce maître coranique, érudit, sage, ouvert

et tolérant, grand cheikh dans la confrérie tidjaan (voir note 19 page 9), parachèvera la

formation spirituelle d’Amadou Hampâté Bâ. Il le reconnaît comme son unique  maître

dans l’Islam et la voie tidjaan.

        De l’enfance à l’âge adulte, jusqu’à la mort de Thierno Bokar, il fréquente assidûment

la zaouïa35 de son maître spirituel. En effet, l’éducation européenne ne l’empêchera pas de

poursuivre ses études coraniques. Il s’était même enfui, en 1915, de « l’école des otages »36,

après avoir été reçu à l’examen du certificat d’études primaires, pour rejoindre sa mère à

33 CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ », in Littératures Francophones, Afrique- Caraïbes-Océan Indien, Dix neuf classiques, op. cit., P.11.34 BA, A. H., Vie et enseignement de Thierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit.35 Mosquée et école coranique36 Ou « école des fils de chefs ». L’administration coloniale réquisitionnait les enfants des chefs traditionnels et les envoyait à cette école.

24

Page 25: Memoire Fin Original

Kati, bénéficiant ainsi de plusieurs années d’école coranique et d’éducation traditionnelle.

Par la suite, fasciné par l’uniforme des Normaliens, il retournera à l’école française. Après

sa réussite, en 1921, au concours d’entrée à l’école normale William-Ponty, sa mère refuse

qu’il se rende au Sénégal poursuivre ses études et cela lui permet de maintenir ses liens

avec son marabout Thierno Bokar.

Qui plus est,  pendant ses années de service dans l’administration coloniale et loin de

son pays, aux confins de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.), il prit, en 1933,  un

congé de six mois et le passa à se ressourcer auprès de celui qu’il appelait le « Sage de

Bandiagara ». Ainsi put-il assimiler et recueillir les enseignements de ce dernier.

Enseignements riches dans leur variété car épousant les domaines liturgique, ésotérique et

gnostique (soufisme), philosophique, éthique, etc.

        Voici ce qu’il dit du saint homme dans la biographie37 qu’il a écrite sur lui :

« Tout, en lui, était enseignement : sa parole, ses actes, le moindre de ses gestes et jusqu’à ses silences

que nous aimions partager, tant ils étaient paisibles».

Il ajoute que son enseignement  a marqué toute sa vie. Le professeur Lilyan Kesteloot, qui a

été sa collaboratrice à l’U.N.E.S.C.O. (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la

Science et la Culture) de 1968 à 1971, le confirme :

« Ce Thierno Bokar est un mystique qui a réfléchi et spéculé sur les préceptes. Avec Thierno Bokar,

Hampâté découvre peut-être la vraie foi, celle qui va engager sa vie de façon profonde. Il découvre

sans doute aussi l’ésotérisme musulman qu’il explorera plus tard à l’infini ».38        

37 BA, A. H., Vie et enseignement de Thierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit.38KESTELOOT, Lilyan, « «A. Hampâté Bâ, l’homme de foi et l’homme de gnose », inédit.

25

Page 26: Memoire Fin Original

Amadou H. Bâ a su tirer profit d’un tel maître qui «avait épousé « Dame Charité » »,

selon son disciple, qui poursuit : « Que l’on supprime de son enseignement les mots

« Amour » et « Charité » et sa parole s’en trouve décharnée ». Thierno Bokar disait  à ses

disciples :

« La foi est comme un fer chaud. En se refroidissant, elle diminue de volume et devient difficile à

façonner. Il faut donc la chauffer dans le haut fourneau de l’Amour et de la Charité. Il faut tremper nos

âmes dans l’élément vitalisant de l’amour et veiller à garder ouvertes à la Charité les portes de notre

âme. Ainsi nos pensées s’orienteront-elles vers la méditation ».39

En plus, Thierno Bokar était tolérant et ouvert à toutes les religions et croyances,

prônant l’œcuménisme :

« Pour Thierno Bokar, affirme son disciple, il n’existait qu’une seule Religion, éternelle, immuable

dans ses principes fondamentaux, mais pouvant varier dans ses formes d’expression (…) ».40       

 Amadou Hampâté Bâ ne pouvait donc s’empêcher d’être passionné, épris du divin,

mais aussi d’être nimbé d’un humanisme, d’une éthique renforcés par une ouverture

d’esprit et de cœur que seul le grand maître soufi a su lui inculquer au plus profond de son

être.

        C est cette ouverture d’esprit qui explique son grand intérêt pour toutes les formes de

spiritualité. Musulman soufi, il est imprégné des mysticismes peul et bambara, auxquels il 39 BA, A. H., Vie et enseignement de Thierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, Seuil, 1980, P.1040 Ibidem, P.153.

26

Page 27: Memoire Fin Original

a été initié à plusieurs reprises, et même chrétienne, et qui lui valurent plusieurs

publications portant sur les rites des religions traditionnelles africaines et les religions

révélées, notamment le dialogue islamo-chrétien (voir introduction, supra).

          Cela explique également son amitié avec Théodore Monod. Ce dernier évoque leur

rencontre :

« C’est, en effet, vers 1941-1942 que nous avions fait connaissance et qu’était né entre nous la

profonde amitié qui  nous unissait, dans plusieurs domaines d’ailleurs : notre participation commune

aux recherches concernant le passé de l’Afrique de l’Ouest et plus encore peut être, la certitude que

nos convictions religieuses, loin de nous séparer, convergeaient dans une même direction de la façon la

plus évidente et que nous gravissions l’un et l’autre, par des sentiers en apparence différents, la

montagne unique au sommet de laquelle l’attend, au dessus des nuages, la lumière surnaturelle qui doit

éclairer tout homme».41

Cette amitié est donc riche d’échanges intellectuels et surtout spirituels. On note dans

les propos de Monod une singulière concordance entre sa vision œcuménique et celle de

Thierno Bokar qui considérait, voir supra, que les religions procèdent d’une seule essence,

d’une réalité unique. Un tel homme ne pouvait que s’entendre avec le fidèle disciple du

« Sage de Bandiagara ». Par ailleurs Monod le reconnaît :

« Il (Amadou Hampâté Bâ) était musulman et j’étais chrétien. Mais nos convictions religieuses

convergeaient vers la même direction ».

41 BA, A. H., Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires , Actes Sud, 1981 (Cf. Préface )

27

Page 28: Memoire Fin Original

        Mais qui était Théodore Monod, lui qui « aura un très grand ascendant sur Hampâté

(et) reprendra auprès de lui le rôle de Maître laissé vide par la mort de Thierno Bokar »42?

       Comme son ami et disciple, Théodore Monod est issu d’une grande famille, fortement

marquée par la religion. Il est fils de la haute bourgeoisie  protestante française. Il parlait de

« tribu maraboutique » en faisant référence à sa famille, qui comptait plusieurs pasteurs

protestants. Il avait donc reçu une solide formation religieuse. Il faisait partie des tenants de

la tendance libérale du Protestantisme qui, elle, se voulait humaniste, rationaliste et

antidogmatique. Et selon Jean-Louis Triaud43

« Théodore Monod croyait à la convergence de toutes les traditions religieuses. Il fut œcuménique bien

avant l’heure et même, plus que cela, il considérait que toutes les traditions religieuses concouraient au

même but. ».

C’est là une confirmation de cette convergence de vues entre Thierno Bokar, A.

Hampâté et Monod. Un autre aspect vient la renforcer, c’est le fait  que ce dernier, souligne

M. Triaud, avait « une position unitarienne (donc antitrinitaire), finalement proche de la

doctrine islamique sur ce point ».44

       Le fondateur et directeur du grand centre de recherche, qu’est l’Institut Français

d’Afrique Noire (I.F.A.N.), était un ethnologue doublé d’un fervent protestant féru de

gnose et d’ésotérisme. Il initia Hampâté à la doctrine protestante en lui faisant lire la Bible

et d’autres écrits théologiques, ils échangèrent sur leurs connaissances ésotériques. Monod,

qu’Hampâté appelait dans ses correspondances son « cher ami et  maître », lui a beaucoup

apporté.

42 KESTELOOT, Lilyan, «A. Hampâté Bâ, l’homme de foi et l’homme de gnose » 43 TRIAUD, Jean-Louis, D’un maître à l’autre : L’histoire d’un transfert. Ahmadou Hampâté Bâ entre Thierno Bokar et Théodore Monod(1938-1954), Africa Studies Centre Worshop, 17-18 September 2007, P.644 Ibidem, P.7.

28

Page 29: Memoire Fin Original

Sur  le plan intellectuel, il lui a appris les méthodes ethnologiques de recherche et

d’analyse et lui a permis une meilleure compréhension des systèmes sociaux traditionnels.

Autant d’atouts qui lui ont servi dans son abondante production écrite et dans ses activités à

l’U.N.E.S.C.O. Sur le plan spirituel, il lui a fourni, par sa philosophie même, une preuve de

la véracité de la vision œcuménique de Thierno Bokar, qui voit dans toute spiritualité une

expression de la Lumière de Dieu. Monod a fortement enrichi la documentation

théologique et ésotérique de son protégé.

 

** ٭** ٭ **٭

        En définitive, il apparaît qu'Amadou H. Bâ a une personnalité  fortement maculée de

spiritualité du fait même qu’il est un Africain authentique, et, comme tel, a reçu un héritage

immatériel riche, transmis par plusieurs modes éducatifs que sont les œuvres de littérature

orale (contes, légendes, mythes, épopées, chants, proverbes, devinettes, etc.), les rites

d’initiations. Il a eu l’heur de vivre à une époque où l’Afrique gardait encore intacts nombre

de ses us et coutumes, traditions, croyances ; a eu la chance de côtoyer de grands

traditionalistes, maîtres de la parole, très écoutés, à une époque où l’éducation traditionnelle

restait vivante et n’était pas encore supplantée par « l’école des Blancs ».

        On peut noter plusieurs analogies entre Amadou H. Bâ et Wangrin. Ils sont nés dans le

même milieu socioculturel, dans la même aire géographique (Bandiagara pour l’auteur,

Diagaramba45 pour son personnage)  et à la même époque (fin XIXème, début XXème

siècles).  Ils ont reçu la même éducation traditionnelle (immersion et initiation  animiste) ;

ce qui ne les empêche pas d’être musulmans.

        Cependant le syncrétisme est plus marqué chez Wangrin, qui se voue davantage aux

pratiques et rites traditionnels, se faisant parrainer par le dieu Gongoloma Sooké.

45 Anagramme de Bandiagara

29

Page 30: Memoire Fin Original

D’ailleurs, répondant à une question de Quinomel, chef du bureau du personnel à

Goudougaoua, qui lui demandait quelle était sa religion, Wangrin dit : « Je n’en ai pas de

bien définie ». Il ajoute qu’il est «  autant à (son) aise dans la mosquée que dans le bois

sacré des villages animistes».46 Cette réponse est confirmée par sa conduite tout au long du

roman, nous y reviendrons.

        Amadou H. Bâ vit certes un Islam syncrétiste, mais étant plus solidement formé à la

religion musulmane que Wangrin, a une foi plus profonde, renforcée d'une initiation au

soufisme auprès de son maître Thierno Bokar Tall. Cependant, sa foi est œcuménique. M.

Bâ fut un mystique à la quête de la face de Dieu, ouvert à tous les souffles de l’Esprit.

        Comme chez tout Africain authentique, la religiosité est un mode de vie aussi bien

chez Hampâté Bâ que chez Wangrin. Dans la vie quotidienne africaine, tout est acte

d’adoration du Divin. Il n’existe pas de frontière entre le sacré et le profane, tout est sacré.

        C’est dire que la prégnance des facteurs magico-religieux dans  L'étrange destin de

Wangrin…, loin d’être fortuite est la résultante du modelage de l’esprit africain par une

mémoire collective perpétuant une singulière vision du monde, une conception ontologique

multidimensionnelle faisant cohabiter dans un unique cadre spatio-temporel le matériel et

l’immatériel, le naturel et le surnaturel. Le moment est venu d’étudier ce cadre spatio-

temporel, de voir comment historiquement, géographiquement et sociologiquement il est

parcouru de spiritualité.

46 BA, A. H., L'étrange destin de Wangrin ou Les roueries d'un interprète africain, Editions 10/18, Département d’Univers Poche, 1973 et 1992, page 112

30

Page 31: Memoire Fin Original

CHAPITRE DEUX : LA RELIGION ET LA

MAGIE DANS LE CONTEXTE HISTORIQUE ET

SOCIOCULTUREL DE L’ŒUVRE

 

      L’étude des milieux, des ethnies, de leur histoire, de leurs croyances, pourrait apporter

un autre éclairage, en plus de la vie de l’auteur, dont nous venons de parler au précédent

chapitre, sur les diverses manifestations du magico-religieux dans le roman.

      L'étrange destin de Wangrin est un roman dans lequel sont relatées des circonstances

ayant pour cadre temporel le contexte colonial et pour espace le vaste territoire dénommé à

l’époque l’Afrique Occidentale Française (A .O.F.), créé et gouverné par la France de1895

à 1958, composé des  huit colonies françaises que sont la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan

français (devenu Mali), la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Niger, la Haute-Volta (devenue

Burkina Faso) et le Dahomey (devenu Bénin).47 Cependant les trafics des complices

47 KI-ZERBO, Joseph, Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Hatier, Paris, 1978.

31

Page 32: Memoire Fin Original

Wangrin (vente de bœufs volés)  les mènent parfois jusqu'en Gold Coast, une colonie

anglaise (actuel Ghana)48.

        Il est question dans cette œuvre de la biographie de celui-ci, qui fut instituteur devenu

interprète. Wangrin est un de ses surnoms, mais également Gongoloma Sooké. Ce dernier

pseudonyme est significatif à plus d'un titre, on verra, infra, pourquoi et comment. Comme

l’auteur, Amadou H. Bâ, il est malien et a travaillé dans l’administration coloniale. Ils ont

tous deux parcouru, du fait de leurs professions, l’immense A.O.F (Afrique Occidentale

Française). Ils l’ont explorée et se sont pleinement imprégnés de sa diversité culturelle.

Wangrin est de l’ethnie bambara et Hampâté Bâ de celle peule ; mais tous deux sont

polyglottes. Cette maîtrise des langues des divers peuples auprès desquels il sera appelé à

servir sera pour Wangrin, comme d’ailleurs pour Hampâté,  un grand atout dans sa montée

en puissance dans le roman. Mais revenons aux caractéristiques historiques et sociologiques

du cadre géographique du roman.

     L'Afrique Occidentale est une des plus vastes régions du continent noir. Plusieurs

facteurs la caractérisent. Pour les besoins de cette étude, on peut retenir  ceux-ci : la

multiplicité des ethnies et des langues, un passé où beaucoup de grands empires se sont

développés, la survivance des croyances ancestrales, l'importance de l'Islam mais adaptée

aux réalités locales, etc.

 

 

** ٭** ٭ **٭

48 Cf. chapitre 5 de  L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit.

32

Page 33: Memoire Fin Original

I. L’OMNIPRESENCE DU SURNATUREL DANS

LES RECITS HISTORIQUES ORAUX EN

L’AFRIQUE DE L’OUEST

         

        L’Afrique Occidentale est une zone très anciennement habitée. Elle a vu naître et

s’épanouir de grands empires49 : Ghana ou  Wagadou, Mali, Songhaï, Ségou, Djoloff,

Macina, etc. Les peuples de l’Afrique Occidentale ont ainsi depuis très longtemps su faire

preuve de maturité en s’organisant politiquement et militairement. Ils se sont, de ce fait,

intégrés bien avant la colonisation. Les mêmes ethnies et familles se retrouvent dans

plusieurs pays à la fois : au Sénégal vivent des Peuls, des Malinkés, des Bambaras, des

Maures comme au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, etc. Les mêmes

patronymes (Bâ, Mané, Diallo, Ndiaye, Fall, …) se retrouvent presque partout. C'est

pourquoi des gens comme Wangrin ou A. Hampâté Bâ, parlant plusieurs langues, y font

légion.

        Cette intégration inter ethnique constitue le pendant d’une intégration culturelle et

religieuse : d’un bout à l’autre on retrouve les mêmes croyances et rites.  De ce fait à

Diagaramba (Bandiagara) au Soudan (actuel Mali), aussi bien qu’à Goudougaoua

(Ouagadougou) , Yagouwahi (Wahigouya) ou Dioussola (Bobo Dioulasso) en Haute Volta

(Burkina Faso), Wangrin parvint-il à trouver marabouts, sorciers, géomanciens qu’il « fit

travailler »50 pour se protéger de ses ennemis ou rendre le sort favorable.

        Autre caractéristique du cadre géographique, c’est que les peuples africains prennent

connaissance de leur histoire par ce qu'il est convenu d'appeler la tradition orale. Celle-ci se

49 KI-ZERBO, Joseph, Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Hatier, Paris, 1978..

50 BA, A. H., L'étrange destin de Wangrin ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit.

33

Page 34: Memoire Fin Original

compose de récits oraux révélés par des griots et qu'ils tiennent de leurs ascendants.

Écoutons, à ce propos Djeli Mamadou Kouyaté, qui a transmis à Djibril Tamsir Niane

l'épopée de Soundjata :

«  nous sommes les sacs à paroles, nous sommes les sacs qui renferment des secrets plusieurs fois

séculaires […] ; sans nous les noms des rois tomberaient dans l'oubli, nous sommes la mémoire des

hommes ; par la parole nous donnons vie aux faits et gestes des rois devant les jeunes générations. […]

Je tiens ma science de mon père Djeli Kedian qui la tient aussi de son père ; l'Histoire n'a pas de

mystère pour nous... »51.        

Ce sont notamment légendes et épopées qui tiennent lieu de récits historiques. Dedans

l'histoire se confond au mythe. Selon Bassirou Dieng52 l'épopée et le mythe sont « ancrés

dans le fait politique et le sacré ». Des faits extraordinaires sont convoqués pour expliquer

la fondation des royaumes et empires, leur apogée et leur déclin, mais aussi pour légitimer

un pouvoir, une domination, la suprématie, la noblesse d'une lignée. C'est ce que confirme

M. Dieng quand il explicite une des fonctions de l'épopée et du mythe : 

« Tous deux (…) configurent, dans l'itinéraire de chaque héros, une entreprise de légitimation ».

        En guise d'illustration, le célèbre mythe du Wagadou est assez éclairant. Le déclin du

grand et riche empire du Ghana-Wagadou serait la résultante de la violation d'un pacte noué

avec le dieu-serpent nommé Bida. Ce pacte, révélé au roi Dyabé par un oracle se présentant

tour à tour à lui sous forme d'hyène et de vautour, consistait à offrir à Bida une vierge tous

les ans, en contrepartie de l'abondance et de la prospérité qu'il assurerait au Wagadou. Mais

51 NIANE, Djibril Tamsir, Soundjata ou l'épopée mandingue, Paris, Présence Africaine, 1960.

52 DIENG, Bassirou, Société wolof et discours du pouvoir, Presses Universitaires de Dakar, novembre 2008

34

Page 35: Memoire Fin Original

quand on décida de sacrifier la promise de Mamedi-le-taciturne, c'est la fin de Bida et du

Ghana-Wagadou qui s'annonce. Ne pouvant supporter de perdre sa bien-aimée, il commit,

avant qu'elle ne soit dévorée, un acte de rébellion et de profanation en tuant le dieu-serpent

tutélaire. Avant d'expirer ce dernier aurait prédit sept ans, sept mois et sept jours de

sécheresse et la disparition des filons d'or. Ce qui sonna le glas de l'empire du Ghana-

Wagadou.

        Il faut noter que  L'étrange destin de Wangrin… s’ouvre sur un mythe53, relaté

justement par le griot Fodan Seni, « le chantre du dieu Komo, musicien du « dan », danseur

rituel », expliquant l’origine du Noubigou, village natal de Wangrin. S’y croisent divinités

(Sanou, « le dieu-roi de l’or » ; Yooyaayo, le dieu patron de la contrée), esprits (« les

esprits gardiens du massif sud malien », une sorcière (Nganiba), animaux sacrés (le

passereau Tenin-Tourouma, Ninkinanka « l’immense python du mandé »), un arbre

mystérieux (« un vieux « toro » bossu aux fleurs invisibles dont les corolles étaient d’or ».

        Ce mythe préfigure le contenu merveilleux du roman. On retrouvera des divinités, tel

que Gongoloma-Sooke, qui prêteront main forte au personnage principal, « aux marabouts

occultistes » (P71).  Le python sacré Ninkinanka rappelle celui qui a été accidentellement

tué par Wangrin (P.326, 327), ce qui amorça son déclin comme d’ailleurs l’ « assassinat »

du serpent Bida précipita la chute du Wagadou. Si le mythe parle d’un oiseau

extraordinaire, une bizarre « tourterelle au cou cerclé de noir » (pages 338, 339) va sonner

le glas du destin de notre héros.

        Donc ce mythe, qui sert d’introduction au roman, semble légitimer l’atmosphère

mystérieuse qui enveloppe une histoire généralement réaliste et aussi les croyances  des

personnages du récit.

          Qui plus est, en épluchant les récits épiques de chaque royaume et empire d'Afrique

on se rendra compte de l'omniprésence du merveilleux. Celui-ci informe la geste des héros

en lui conférant une dimension intemporelle. Soundjata54 est doté de pouvoirs hors normes,

53cf. BA, A. H., L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit., pages 11 et 12.

54NIANE, Djibril Tamsir, Soundjata ou l'épopée mandingue, op. cit.

35

Page 36: Memoire Fin Original

et c'est surtout grâce à eux, et non pas seulement à ses prouesses militaires, qu'il est parvenu

à vaincre Soumaoro, le « roi-sorcier ». Rappelons aussi la légende de Njaajan Njaay,

fondateur mystérieux, sorti du fleuve, du Walo et du Djoloff ; celle de Biton Coulibaly55

alias Mamari Coulibaly, grand roi de l'empire bambara du Ségou et qui fut doté, par le

génie du fleuve Niger Faro, en faisant tomber, en guise de récompense, une goutte de son

lait dans chaque oreille de Mamary, du pouvoir d'entendre les complots qui se trament

contre lui.

        Ainsi, en Afrique, le surnaturel influe sur les événements historiques. Il configure

aussi les destins individuels. C’est le cas dans Soundjata ou l’épopée mandingue de D. T.

Niane. Le grandiose destin du libérateur du royaume du Manding et fondateur de l’empire

du Mali est prédit bien avant sa naissance par un chasseur.

        Il en est de même dans L'étrange destin de Wangrin… d'Amadou Hampâté Bâ, où le

parcours du héros est tracé d'avance par les dieux. A sa naissance le masque oracle du dieu

Komo prédit son avenir (page 17) :

« Le Komo annonça au père que son fils se singulariserait et brillerait dans la vie, mais qu'il n'avait

point vu sa tombe au cimetière de ses ancêtres ».

Après la circoncision et l'initiation du jeune Wangrin, son Sema (surveillant des

circoncis) lui tient ces propos prémonitoires (page 22) :

55 Cf. Wikipédia, « le royaume de Ségou », 29/06/2010, 21h 25mn.

36

Page 37: Memoire Fin Original

« Je ne connais pas ta fin, mais ton étoile commencera à pâlir le jour où N'tubanin-kan-fin, la

tourterelle au cou cerclé à demi d'une bande noire, se posera sur une branche morte d'un kapokier en

fleur et roucoulera par sept cris saccadés, puis s'envolera de la branche pour se poser à terre sur le côté

gauche de ta route. A partir de ce moment tu deviendras vulnérable et facilement à la merci de tes

ennemis ou d'une guigne implacable».

Le lecteur constatera au fil des pages l'exacte réalisation de ces divinations.

  ** ٭** ٭ **٭

 

        On peut donc dire que l'introduction d'aspects surnaturels dans les divers récits

historiques et littéraires africains est le reflet et l'expression d'un inconscient collectif

modelé depuis des siècles par une spiritualité d'essence animiste. L'animisme étant la

religion primordiale, il est quasi génétique chez les Africains ; d'où leur tendance au

syncrétisme : ils adoptent les religions révélées sans renier les croyances ancestrales.

         Il semble utile de s'arrêter sur cette religion africaine traditionnelle et aussi sur la

notion de syncrétisme tel que vécu en Afrique de l'ouest. Nous le ferons d'abord en faisant

une étude sociologique des peuples qui ont formé les personnalités de l'auteur, Amadou H.

Bâ, et de son héros Wangrin.

 

37

Page 38: Memoire Fin Original

II. LA RELIGION COMME CONSTANTE

CULTURELLE

Il faut rappeler que Wangrin est de l'ethnie bambara et Amadou Hampâté est un peul

qui a vécu à Bandiagara au voisinage des bambaras dont il connaît parfaitement la langue et

la culture.56 D'ailleurs le Peul (l'auteur) et le Bambara (le personnage) ont été initiés au dieu

Komo. Amadou H. Bâ précise :

« J’avais reçu les initiations peule et bambara, qui sont les initiations de base du Mali. »57

Dans la foison d'ethnies de l’Ouest africain, le choix de celles qui ont moulé les

personnalités d’Amadou H. BA et de Wangrin (l'ethnie peule et l'ethnie bambara) semble

pertinent : il s'agira de faire ressortir leurs caractéristiques en vue d'éclairer la texture du

magico-religieux dans le roman.

56 BA, A. H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit., P.11.57CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ », in Littératures Francophones… op. cit., page 11.

38

Page 39: Memoire Fin Original

A. DANS LA SOCIETE BAMBARA

Les Bambaras sont une ethnie d'Afrique de l'Ouest. Ils sont répartis dans plusieurs

Etats (Sénégal, Gambie, Mali, Mauritanie, Guinée, Burkina Faso, Niger, Côte d'Ivoire). Ils

sont majoritaires au Mali où,

« jusqu’au XIXème (…), comme en témoigne le récit de René Caillié, se trouvent confondus sous ce

nom, dans ses diverses variantes (banbara, banmana, bamana), des groupes mandingophones et

d’autres relevant de l’ensemble senoufo (sud du Mali et nord de la Côte d’Ivoire) ».58

L'ethnonyme « bambara » viendrait, d’après les traditionalistes, de l'expression « ban-

mâna » qui signifie « ceux qui ont refusé de se soumettre ». En effet, les royaumes

bambaras de Ségou et de Kaarta, fondés respectivement par les frères Niangolo Koulibaly

et Baramanglo Koulibaly, se distinguèrent par leur farouche résistance à la théocratie

islamique du Macina de Cheikou Ahmadou. Les Bambaras luttèrent, aussi, longtemps

contre Elhadji Omar Tall.

Les marabouts-roi du Macina voulaient convertir à l’islam les peuples animistes,

parmi lesquels les Bambaras se trouvaient en bonne place, car, comme dit Jean Bazin59,

«guerrier errant ou paysan intimement lié à son sol, le Bambara est aussi, dans cet univers

soudanais depuis longtemps imprégné d’islam, l’infidèle par excellence ou même le

“fétichiste’’ expert et redouté ». Cette ethnie, très attachée à ses valeurs, n'a pas été facile à

islamiser. Ce conservatisme est confirmé par la survivance, notée chez les Bambaras

convertis aux religions révélées (islam et christianisme), des pratiques animistes

traditionnelles.

58BAZIN, Jean, « Bambara », in Encyclopaedia Universalis.59 Idem

39

Page 40: Memoire Fin Original

Il n’est donc pas surprenant que Wangrin, le Bambara, alias Samba Traoré60, soit si

friand des pratiques magico-religieuses héritées de ses ancêtres et si peu soucieux d’être un

musulman pratiquant. En fait, il n’a qu’un rapport magique avec l’islam : les marabouts

musulmans, comme le pieux Tierno Siddi61, l’intéressent uniquement du fait qu’il peut les

faire « travailler » mystiquement pour lui. En plus, Wangrin ne s’embarrasse point

d’éthique islamique : il vole, il vend et consomme de l’alcool, il prostitue sa fille adoptive,

il s’adonne à l’adultère.

Le peuple bambara, peuple orgueilleux, imbu de son héritage historique, est doté

d’une culture foisonnante de valeurs. Celles-ci forment un tout : le religieux et le profane,

le ludique et le sacré, la morale et la piété s’emboîtent. Ainsi la spiritualité régit toute la vie

du Bambara, comme d’ailleurs celle de tous les autres peuples africains. L'ethnologue

français Marcel Griaule (1898-1956) définit le fond et la forme du sentiment religieux

africain comme un

« système de relations entre le monde visible des hommes et le monde invisible régi par un Créateur et

des puissances qui, sous des noms divers et tout en étant des manifestations de ce Dieu unique, sont

spécialisées dans des fonctions de toutes sortes».62

Ce « Dieu unique », être suprême, est nommée, chez les Bambaras, « ‘‘ Maa

Ngala’’ (Maître de Tout) ou ‘‘Masa Dembali’’ (Maître incréé et infini) ».63 Il est

transcendant et inaccessible aux humains. C’est pourquoi Il a plusieurs hypostases, ou

avatars, si on se réfère à la théologie hindoue, qui sont des forces ou esprits qui Le

représentent sur terre, auxquels s’adressent directement les hommes. Selon les besoins

qu’on veut satisfaire, on s’adresse à telle ou telle puissance intermédiaire. C’est ainsi que

60 BA, Amadou H., Oui, mon commandant ! : Mémoires II, op. cit. (Hélène Heckmann, Annexe II).61 BA, Amadou H., L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit., pages 87 à 8962 Wikipédia, « Religions africaines traditionnelles » 63 BA, Amadou H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit., P. 114.

40

Page 41: Memoire Fin Original

la vieille matrone chenue invoqua  Nyakuruba, la déesse de la maternité, afin que Wangrin

pût naître dans de bonnes conditions.64Qui plus est, à aucun moment, même dans les

circonstances les plus critiques, Wangrin n’a eu à adresser directement une prière à Maa

Ngala, le Dieu suprême. Il sollicite plutôt son dieu patron, Gongoloma Sooké, ou ses

ancêtres.

La spécialisation des divinités et esprits se retrouve chez les hommes. Ils sont

distingués en groupes ou castes et corps de métiers — qui sont endogamiques, ce qui

permet de pérenniser cette tradition. Les métiers exercés ne sont pas « de simples

occupations utilitaires domestiques ou économiques, mais (…) des œuvres sacrées,

exécutées par des initiés en vue de plaire à Dieu, Maa Ngala ».65 Ainsi, la société bambara

comprend :

Les nobles ou « Tondigi » qui sont des guerriers et dirigeants, le roi est issu de cette

classe sociale. Wangrin appartient à cette caste et, de ce fait, il peut s’offrir les

services d’un griot, comme les rois d’antan. Ce dont il ne se prive point.

Les griots ou « Dyeli », historiens, enseignants, conteurs, poètes. Dans le roman

deux bardes se distinguent : Kountena, facilitateur et médiateur entre Wangrin et les

notabilités traditionnelles et les marabouts, et, plus tard, Dieli Maadi.

Les artisans appelé Nyamakala. Parmi eux on note les   forgerons « Noumou » dont

A. H. Bâ (Aspects de la civilisation africaine) dit : « (leur) ancêtre entra (le premier)

en rapport avec les esprits des trois feux : feu du bois vert, feu du sein de la terre et

feu du ciel. Il apprit d’eux à extraire le fer et à le transformer en outils (…). Le

forgeron devint un demi-dieu, un créateur, capable d’entrer en rapport avec

l’invisible ». D’où ses fonctions cultuelles, voire rituelles : il est chargé de la

circoncision et de l’initiation au Komo, c’est pourquoi le forgeron est dénommé le

64 BA, Amadou Hampâté, L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit., pages 14, 15.65 BA, Amadou Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., P. 124.

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Page 42: Memoire Fin Original

« komotigui », (maître du dieu Komo). Son atelier est un sanctuaire où est rendu

hommage, par la transformation du fer, à Masa Dembali.66 Le  Sema (initiateur au

Komo) (voir page 22) de Wangrin est forgeron67.

Les autres « Nyamakala » sont les tisserands dont les trente-trois pièces du métier à

tisser recèlent une symbolique spirituelle, religieuse et magique très importante68, les

cordonniers, les boisseliers, etc.

En bas de l’échelle se trouvent les captifs ou esclaves appelés « dyon ». Ils sont

présents dans L'étrange destin de Wangrin... Ce sont les « deux mille huit cent

douze captifs de Brildji »(P160). Leur maître, Brildji Madouma Thiala, fut un riche

marabout, chef de la province de Witou et de Gouban. Ils lui vouèrent une fidélité

infinie, qui se confirma même après sa mort (cf. chapitre 12 « Le guet-apens »).

La société bambara est donc essentiellement animiste, malgré sa conversion

majoritaire, tardive et difficile à l’islam. Cette brève étude aura permis de mieux cerner la

personnalité de Wangrin : son comportement, ses choix, son goût pour les pratiques

fétichistes et magiques, sa négligence de la praxis et de l’éthique islamique. De fait, Samba

Traoré est un bambara authentique, car il est né, formé et moulé dans la culture bambara.

Cela ne le rend pas pour autant ostraciste et imperméable aux autres souffles ethniques : il

parle couramment cinq langues et est imprégné des autres cultures, notamment celle foulbé

(cf. L'étrange destin de Wangrin…, P. 112). D’ailleurs la plupart des marabouts occultistes

qu’il consulte appartiennent à l’ethnie peule. Son ennemi mortel, Romo Sibedi, est un peul

66 BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., P. 127.67 BA, A. Hampâté, L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit., (voir page 338 : « Numu-Sama, l’initié forgeron »).68 BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p. 124, 125. 

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Page 43: Memoire Fin Original

né dans le même terroir que lui (le Noubigou). L’auteur également, Amadou H. Bâ, faut-il

le rappeler, est un peul. D’où l’intérêt de connaître ce peuple.

B. DANS LA SOCIETE PEULE

Le peuple peul est disséminé à travers toute la zone sahélo soudanienne : Afrique de

l’ouest, nord Cameroun, Tchad, Centrafrique, Soudan. Pour ce qui est de l’ethnonyme,

voici un constat fait par Pierre Francis Lacroix69:

« Ayant emprunté (et déformé) le nom que leur donnent les Wolofs, les Français dénomment Peuls

(…) ceux qui s’appellent eux-mêmes Fulbe (singulier Pullo) que les Anglo-Saxons, après les

Haoussas, nomment Fulanis ».

Les Peuls sont traditionnellement un peuple de pasteurs de bovidés. Leur langue, le

pulaar, est l’une des plus parlées en Afrique occidentale. Peuple nomade de nature, les

exigences de la modernité ont rendu sédentaire la grande majorité des Fulbe. Ainsi se sont-

ils métissés avec les ethnies locales.

 Leur culture est fondée sur des principes moraux et spirituels. Le « pullaagu » est un

condensé de valeurs considérées comme socle de l’identité peule. Il se décline en plusieurs

critères : le discernement (« hakkille »), la résignation ou stoïcisme (« munyal ») —

stoïcisme dans le sens de « courage pour supporter la douleur, le malheur, les privations,

69 Article « Peul » in Encyclopaedia Universalis.

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Page 44: Memoire Fin Original

avec les apparences de l’indifférence »70 —, la réserve (« semteende »), etc. Le non respect

de ces préceptes, garants de l’harmonie et de la survie du groupe, peut entraîner le blâme et

la déconsidération, voire l’exclusion de la communauté.

Comme les autres peuples de l’Afrique de l’ouest, la société peule est subdivisée et

hiérarchisée en castes, corps de métiers et classes sociales. La structure sociale fulbe est

quasi identique à celle des Bambara, seules les dénominations changent (voir supra).

Cependant, les Fulbe ont une vision du monde particulière. En effet, d’après Lilyan

Kesteloot (confer son article intitulé « Avant de lire Kaïdara », IFAN-DAKAR, Avril

1994) :

« Chez les Peuls, le monde est divisé en trois pays : le pays de clarté où logent les vivants, le pays de

pénombre où se meuvent les esprits, génies et autres forces surnaturelles, et le pays de nuit profonde,

séjour des morts et des futurs naissants ».

Au sommet de ces dimensions trône le dieu suprême inaccessible nommé Geno ou Dundari,

aucun culte direct ne lui est rendu. Il a plusieurs émanations71 qui sont l’objet de prières,

rites, sacrifices de la part des humains : Kaïdara, dieu de l’or et de la connaissance ; les

divinités de l’élevage, du cheptel (Kumen) ; Kondoron le dieu de la chasse ; les génies de

l’eau, des fleuves, des mares (Tyamaba), etc.

Cette religion traditionnelle a ses prêtres initiateurs, les silatigi. Comme les ngangas 72

du Cameroun, ils sont dotés d’une « double vue », ils voient et entendent le monde

supranaturel, «  pays de pénombre et de nuit profonde ». Ils sont à la fois prêtres,

70 Dictionnaire le Robert71 - BA, A. Hampâté, Kaïdara, récit initiatique Peul, 1969, éd. Les Belles Lettres, Paris ;Contes initiatiques peuls, éd. Stock, 1994, Paris; Koumen, texte initiatique des pasteurs peuls, éd. G. Dieterlen, Mouton, 1961, Paris; L'Éclat de la grande étoile, éd. Les Belles Lettres, 1976, Paris72 Sorciers, cf. DE ROSNY, Eric, Les yeux de ma chèvre, Paris, Plon Terre humaine, 1981

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Page 45: Memoire Fin Original

guérisseurs, magiciens, occultistes. Rappelons qu’Amadou Hampâté Bâ est petit-fils de

silatigi (Pâté Pullo73) et silatigi lui-même, car il a été plusieurs fois initié aux mystères de la

religion peule (voir supra, chapitre premier).

Wangrin aura souvent recours aux occultistes peuls pour parvenir à ses fins 74.

Ecoutons ce qu’il pense des Peuls :

 « Un Peul est toujours doublé d’un génie. Qui voit un Peul sans voir son double n’a rien vu. »75.

Et d’après la mythologie peule, les fulbe auraient une origine divine : leur ancêtre Ilo

Yaladi serait le jumeau du dieu-python Tyamaba76.

Cependant, sans abandonner ce legs spirituel de leurs lointains ancêtres, les Peuls ont

majoritairement adopté la religion musulmane77. Ils ont même été les principaux

propagateurs de cette religion :

« L’islam, qui était présent dans certaines communautés peules dès le XIVè siècle au moins, constitua

le moteur de transferts de force entre les Peuls et leurs voisins, transferts qui résultent de “guerres

saintes’’ menées à l’appel de personnages religieux, Karamoko Alfa en Guinée, Ousmân Foduye

(Ousmane dan Fodio) au Nigeria, Sékou Ahmadou et El hadji Omar au Mali, contre les suzerains

musulmans déclarés “infidèles’’ ou des chefs et des populations non peuls (voire parfois peuls)

demeurés animistes »78.

73BA, A. Hampâté, Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires, op. cit.74 BA, A. Hampâté, L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit.75 Ibidem, page 19976 Ibidem, page 199 et note 16877 Wkipedia, « Les Peuls », 19/07/10, 11h 32 mn78 LACROIX, Pierre Francis, article « Peul », in Encyclopaedia Universalis

45

Page 46: Memoire Fin Original

**٭

En somme, chez les Peuls comme chez les Bambara, le spirituel se confond au mode

de vie. Les pratiques cultuelles traditionnelles sont restées vivaces.

** ٭** ٭ **٭

On se rend compte, à travers cette étude portant sur l’auteur et le contexte historico-

culturel de l’œuvre, que la religion, sous toutes ses formes, qu’elle soit animiste ou révélée,

est une forte constante en Afrique. Elle est vécue au quotidien et n’est limitée à aucune

sphère. A ce titre, les concepts de profane et de sacré ne sont pas d’Afrique. En Afrique, et

ce même en ces temps dits modernes, le matériel n’existe pas isolé du spirituel.

La religion a plusieurs fonctions. L’Africain y recourt par devoir social : se sentir

membre d’une communauté. Elle lui apporte quiétude et tranquillité en lui fournissant des

réponses satisfaisantes à ses interrogations métaphysiques et historiques. Enfin, elle est un

moyen pour rendre favorable le destin.

.

46

Page 47: Memoire Fin Original

47

Page 48: Memoire Fin Original

DEUXIEME PARTIE :

MANIFESTATIONS ET ASPECTS DU

RELIGIEUX DANS L'étrange destin

de Wangrin

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Page 49: Memoire Fin Original

Le religieux revêt plusieurs caractéristiques dans L'étrange destin de Wangrin. Il

s’agit de l’animisme et des religions révélées que sont l’islam et le christianisme. Mais,

dans la pratique des personnages, le syncrétisme se dévoile. On essayera d’abord de

s’interroger sur la notion de religion avant de s’intéresser à la représentation du religieux

dans le texte.

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Page 50: Memoire Fin Original

CHAPITRE PREMIER : DE LA NOTION DE

RELIGION

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Page 51: Memoire Fin Original

Etymologiquement, d’après Le Grand Robert de la langue française79, le terme

« religion » vient du latin « religio » qui signifie "attention scrupuleuse", et, par suite,

"respect, vénération". D’autres étymologies comme « religare » (relier), « relegere »

(recueillir, rassembler) sont évoquées mais nous retiendrons la première qui semble plus

pertinente et que confirme J. Lachelier80 :

"Religio paraît être d'une manière générale, en latin, le sentiment avec crainte et scrupule,

d'une obligation envers les dieux."

Le terme religion implique donc l’adoration d’une puissance, d’une force transcendante,

considérée comme sacrée.

Pourtant, la notion de religion a plusieurs acceptions qui sont parfois divergentes. En

effet, les vécus religieux sont aussi nombreux et divers que les êtres humains. Chaque

groupuscule, chaque groupe, chaque société, chaque ethnie, chaque culture a au moins une

forme de religion qu’elle soit « révélée » ou animiste, que ce soit une théosophie de secte,

de club ou de société secrète. Qui plus est, le vécu religieux est d’ordre interne, psychique,

relevant beaucoup plus de la subjectivité que de l’objectivité.

Dans cette optique, Raoul Mortier81 relève différentes approches du terme religion. Il

dégage deux points de vue. D’abord, la conception sociologique ou anthropologique, qui

est externe au fait religieux parce que se voulant scientifique et objective. Elle voit la

religion comme une manière de codifier, d’organiser les relations entre humains, d’une

part, et entre eux et leur environnement, d’autre part. Bergson82 partage ce point de vue

lorsqu’il avance :

79 Le Grand Robert de la langue française, Tome VIII, p. 199-20080 LACHELIER, J., in LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Paris, 1992 81 ? MORTIER, Raoul, Dictionnaire Encyclopédique Quillet, Librairie Aristide Quillet, Paris (VIIè)82BERGSON, Henry, Les deux sources de la morale et de la religion, version numérique, sur le lien http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html; p. 66

51

Page 52: Memoire Fin Original

« La religion est une réaction défensive de la nature contre le pouvoir dissolvant de l'intelligence ».

En effet, la religion joue le rôle de garde-fou, de blocus face à l’intelligence humaine

toujours encline à la satisfaction de ses intérêts égoïstes. La religion est une force émotive,

« infra-rationnelle »83 qui est seule à même de contrebalancer la toute puissante

intelligence humaine et de fonder une morale et une éthique sociale garantissant la

pérennité et l’harmonie du groupe.

Le second point de vue, dégagé par Mortier, est celui des croyants, il est interne. A

leurs yeux, ni la science, ni la philosophie ne peuvent apporter de réponses satisfaisantes

aux interrogations sur le sens de l’existence. Seule la foi peut procurer des réponses

satisfaisantes.

Marie-Line Bretin84 classe les religions selon leur conception du sacré, du divin, de la

transcendance. Ainsi, elle relève notamment les « religions théistes comprenant les divers

monothéismes, qui affirment l’existence d’un dieu unique (le judaïsme, le christianisme et

l’islam), les polythéismes, qui croient en plusieurs dieux ». La religion traditionnelle négro-

africaine, appelée très souvent animisme par les anthropologues et par Amadou Hampâté

Bâ dans son ouvrage intitulé Aspects de la civilisation africaine, est sans aucun doute

polythéiste, vu la multiplicité de ses dieux. Nous y reviendrons.

Dans tous les cas la religion se décline en un triptyque : une divinité pouvant revêtir

plusieurs formes (esprit, idole, force transcendante, etc.), un culte (ensemble, de prières,

d’invocations, de rites, de pratiques, d’attitudes, de comportements en direction de la

divinité), des pratiquants ou adeptes.

83 BRETIN, Marie-Line, Cours de philosophie, 2ème édition, Paris, Vuibert, juillet 2006. 84 Ibidem. 

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Page 53: Memoire Fin Original

Le sacré est intrinsèquement lié au fait religieux. C’est, précise Marie-Line Bretin85,

« ce qui est mystérieux et le plus souvent inaccessible à l’homme, ce qui échappe à sa

compréhension et devient tabou, interdit, inviolable, terrifiant, mais aussi digne d’un

respect absolu». L’homo religiosus vit émotivement le sacré comme « le sentiment du

mysterium tremendum, du mystère qui fait frissonner »86. Et R. Otto de le décrire, par le

menu :

« Le sentiment qu’il (le sacré) provoque peut se répandre dans l’âme comme une onde paisible ;

c’est alors la vague quiétude d’un profond recueillement. […]

« Il peut aussi surgir brusquement de l’âme avec des chocs et des convulsions. Il peut conduire à

d’étranges excitations, à l’ivresse, aux transports, à l’extase. Il a des formes sauvages et démoniaques.

Il peut se dégrader et presque se confondre avec le frisson et le saisissement d’horreur éprouvé devant

les spectres. Il a des degrés inférieurs, des manifestations brutales et barbares, et il possède une

capacité de développement par laquelle il s’affirme, se purifie, se sublimise. Il peut devenir le

silencieux et humble tremblement de la créature qui demeure interdite… en présence de ce qui est,

dans un mystère ineffable, au-dessus de toute créature ».87

Chez les Bambaras, les Bozos, selon Amadou H. Bâ88, le sacré, traduit par les mots

« nyama » ou « do », est « une force active qui se cache dans l’être ou l’objet qu’elle habite,

(…) une manifestation émanée du Sacré-très-haut. ». Cet être ou objet est entouré de

vénération, de respect, de crainte révérencielle, sinon, poursuit M. Bâ, la force sacrée 

sévira « contre quiconque entrerait imprudemment en contact avec elle ». C’est pourquoi il

existe beaucoup de tabous et d’interdits dans les sociétés africaines marquées par

l’animisme. Nous verrons comment le non respect de ces interdits, de ce sacré, même

involontaire, par Wangrin lui attirera malchance et malheurs.

85 Ibidem, p. 358 86 OTTO, R., Le Sacré (1917), trad. A. Jundt, Paris, Payot, 1949, p. 2887 Ibidem, p. 28.88BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p.120-121

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Page 54: Memoire Fin Original

La religion est donc une institution sociale qui fait vibrer l’émotivité, la foi du croyant

qui voue respect, crainte et adoration à un ou plusieurs êtres transcendants (divinités et

esprits), donnés comme réels, mais aussi aux objets, lieux, humains, animaux considérés

comme réceptacles, habitacles de ces dieux. Cette foi est aussi une espérance et un moyen

d’agir sur le monde et le destin du croyant lui-même. Espérance d’une vie de félicité

éternelle après la mort, que seul un rapport étroit et harmonieux avec la ou les divinité (s)

peut garantir. Espérance qui confère à l’existence une finalité, donc un sens. Cependant, la

religion, en tant que moyen d’infléchir le destin, les circonstances de la vie, rejoint la

magie : ce sera l’objet de la troisième partie.

Dans L'étrange destin de Wangrin…, deux religions révélées sont présentes et

illustrent la coexistence de deux cultures antagonistes : le christianisme, religion

européenne, et l’islam, religion locale. Cette dernière, même si elle est souvent pratiquée

avec ferveur, est teintée de croyances animistes. Ce syncrétisme n’empêche pas l’existence

de poches de résistance face aux religions venues d’ailleurs. Poches qui sont le creuset de

l’animisme authentique. Donc cohabitent trois religions dans le roman. L’islam et

l’animisme évoluent harmonieusement, sans conflit, tout au moins, cela est dû à la

« souplesse » de l’islam qui, selon A. H. Bâ, « n’a pas plus de couleur que l’eau. C’est ce

qui explique son succès : il se colore aux teintes des territoires et des pierres »89. Le

christianisme, religion du colonisateur, n’est pas accepté par la plupart des autochtones. Il

est presque uniquement circonscrit à la sphère des Européens et des Métis.

89 BA, A. H., Thierno Bokar, le Sage de Bandiagara, Paris, Présence Africaine, 1957.

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Page 55: Memoire Fin Original

CHAPITRE DEUX : LE CHRISTIANISME

DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

La religion chrétienne fut utilisée par les Français comme instrument de domination

coloniale et d’assimilation culturelle de ses sujets. Les missionnaires accompagnèrent les

armées d’occupation. Leur rôle était d’instaurer une nouvelle école qui enseigne aux petits

55

Page 56: Memoire Fin Original

Africains une nouvelle civilisation et une foi nouvelle. Le premier type d’école implanté

par les Français en Afrique portait le nom évocateur d’Ecole des otages, où étaient envoyés

de force les fils de chefs et de notables locaux. Ecoutons Wangrin évoquer son séjour dans

un établissement de ce genre :

« Les petits élèves de l'école des otages et de l'orphelinat des métis assistaient en effet à la messe

chaque dimanche, les premiers pour recevoir bonbons et friandises que les prêtres distribuaient parfois

à leurs catéchumènes, les seconds parce qu'ils y étaient obligés. Le catholicisme était en effet regardé

comme la religion officielle de leurs pères, bien que ceux-ci fussent considérés comme « inconnus »

par l'état civil. »90.

Les enfants africains recevaient ainsi un enseignement religieux. Les sucreries étaient

un appât que les habiles prêtres utilisaient pour que les « fils d’otages » assistassent aux

messes, occasions d’imprégnation spirituelle, voire d’évangélisation. Ferdinand Oyono,

dans Une vie de boy, évoque cette pratique. Il parle de « l’homme blanc aux cheveux

semblables à la barbe de maïs, habillé d’une robe de femme, qui donnait de bons petits

cubes sucrés aux petits Noirs »91.

Les métis, quant à eux n’ont pas le choix, ils sont «  officiellement » chrétiens, car

engendrés en partie par des Européens. Même s’ils ne sont pas reconnus par leurs pères

blancs, le pouvoir colonial décide paradoxalement d’en faire des Européens de cœur. Et,

pour ce faire, quoi de plus efficace que la religion ? Celle de leurs mères noires importe très

peu. Ces êtres hybrides vont ainsi vivre écartés de la culture maternelle, qui est celle du

pays qui les a vus naître, celle de leurs ancêtres. Cette situation produit un drame, que nous

décrit Abdoulaye Sadji dans son roman Nini, mulâtresse du Sénégal92.

90 BA, Amadou Hampâté, L'étrange destin de Wangrin; ou Les roueries d'un interprète africain, op. cit., p. 30 91OYONO, F., Une vie de boy, Julliard, 1956, p.16

92 SADJI, A., Nini, mulâtresse du Sénégal, Présence africaine, 1988 - 252 pages

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La présence régulière à ces messes du dimanche, avions-nous dit, marque les jeunes

cerveaux des élèves noirs issus de familles musulmanes ou animistes ou des deux à la fois.

C’est pourquoi Wangrin, devenu adulte, garde encore en mémoire des passages des

sermons du prêtre :

« Ce prêtre barbu avait déclaré un jour : “ Réjouissez-vous, mes enfants. Jésus, notre Dieu, Seigneur et

sauveur, a dit : “Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers." ’’ Pour Wangrin,

la promesse de Jésus venait de s'accomplir, à son égard tout au moins. Il se demanda s'il ne devrait pas,

à l'avenir, réviser ses préjugés défavorables à l'égard de la religion chrétienne»93.

Affecté au cercle de Diagaramba comme instituteur, Wangrin se présenta au bureau

du commandant, mais celui-ci décida de le faire attendre, et de le recevoir après tous les

visiteurs. Pour se consoler de cette déconvenue, il se remémora cette parole de Jésus. Ainsi

la théologie catholique faisait-elle partie du bagage intellectuel et culturel de Wangrin.

Cependant, comme le confirme la dernière phrase de la citation, la religion catholique n’a

pas réussi à s’implanter dans l’âme de Wangrin et celles de ses condisciples. Elle faisait

non seulement l’objet de préjugés mais de rejet :

« Comme tous les élèves de l'École des otages, Wangrin avait eu coutume, en entrant dans l'église, de

faire le signe de la croix en prononçant une formule spéciale et quelque peu sacrilège. En effet la

traduction correcte en bambara de la formule sacramentelle :

« Au nom du Père,

du fils

et du Saint-Esprit

93 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin, op. cit., p. 30

57

Page 58: Memoire Fin Original

Ainsi soit-il. »

aurait dû être :

« Faa

ni den

ni hakili-senu

i togo la amen. »

Mais les élèves, qui étaient tous fils d'animistes ou de musulmans, avaient malicieusement inventé la

formule suivante, qu'ils murmuraient en faisant le signe de la croix :

« Naa keera min ye

nne

nin

taa-la. »

c'est-à-dire :

« Quoi que ce soit,

moi,

ma participation

n'y sera. »94

94 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin …, op. cit., p. 30 - 31

58

Page 59: Memoire Fin Original

On note ici que la langue locale, incomprise par le colonisateur, est utilisée comme

instrument de résistance culturelle, face à l’agression religieuse des Blancs. Nous avons vu,

dans la première partie, au chapitre deux, combien les Bambaras sont attachés à leurs

valeurs et combien ils sont conservateurs. Ce n’est donc pas étonnant que ce soient les

adultes qui aient appris aux élèves « qui étaient tous fils d'animistes ou de musulmans »

cette habile manière de fermer leurs âmes vierges et immatures à cette nouvelle foi que les

nouveaux maîtres veulent imposer.

Le dogme chrétien renié ici est la trinité95. Ce rejet s’explique sans doute par la posture

de l’islam par rapport à cette notion et son ignorance par la religion traditionnelle locale.

En effet celle-ci reconnaît l’existence d’un Dieu suprême, inaccessible, transcendant,  Maa

Ngala (Maître de Tout)96 qui est représenté auprès des hommes par une multitude de

divinités subalternes : il n’existe pas un Dieu suprême unique décliné en « trois hypostases

égales : Père, Fils et Esprit Saint » (cf. note 99). Le maître de tout, Maa Ngala, n’a pas

d’alter-ego, de pair, ni de jumeau.

L’islam, quant à lui s’oppose clairement, dans ses textes, à toute notion de trinité.

Plusieurs versets du Coran en parlent en des termes parfois durs, promettant le châtiment à

ceux qui y croient. A titre d’exemple, citons ces deux versets :

« Ô gens du Livre (Chrétiens), n'exagérez pas dans votre religion, et ne dites de Dieu que la

vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n'est qu'un Messager de Dieu, Sa parole qu'Il envoya à Marie, et

un souffle (de vie) venant de Lui. Croyez donc en Dieu et en Ses messagers. Et ne dites pas “Trois’’.

Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Dieu n'est qu'un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un

enfant. C'est à Lui qu'appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et Dieu suffit comme

protecteur »   (Sourate 4, verset  171) ;

95 « La Trinité chrétienne, dans les principaux courants du christianisme, désigne Dieu, unique, en trois hypostases, Père, Fils et Esprit Saint, égales et participant à une même essence (consubstantialité ou homoousia).L'énoncé du dogme de la Trinité se présente comme la conséquence de ce qui est dit du mystère de Dieu dans les Écritures : dans l'Ancien Testament, Dieu a révélé son existence et son unicité  ; dans le Nouveau Testament ont été affirmés la divinité de Jésus-Christ et le caractère personnel de l'Esprit-Saint. » (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Trinité_chrétienne, le 15/08/10, 12 :31.)96 Voir la première partie, chapitre deux.

59

Page 60: Memoire Fin Original

« Ce sont certes des mécréants, ceux qui disent : “En vérité, Dieu est le troisième de trois’’. Alors

qu'il n'y a de divinité qu'Une Divinité Unique ! Et s'ils ne cessent de le dire, certes, un châtiment

douloureux touchera les mécréants d'entre eux» (Sourate  5, verset  73,).97

N’est-ce pas la crainte de ce « châtiment douloureux » qui fait que les enfants musulmans

– qui ont appris et vont continuer à apprendre leur religion à l’école coranique de leur

village (voir biographie de l’auteur, A. H. Bâ, dans la première partie) – prennent leurs

distances vis-à-vis de la trinité en subvertissant dans leur langue maternelle, incomprise par

les prêtres blancs, la formule qui accompagne le signe de la croix ?

Le christianisme, c’est, officiellement, pour les autorités coloniales françaises, le

catholicisme. Celui-ci est enseigné, nous le savons, dans les écoles des colonies. Les

églises et paroisses qui naissent sont d’obédience catholique. Mais A. H. Bâ, nous montre

que la France comprend une autre mouvance chrétienne : le protestantisme. Il semble ainsi

flétrir le monolithisme, l’ostracisme religieux qui aveugle le pouvoir français. Est-ce par

reconnaissance pour son ami et bienfaiteur Théodore Monod98, qui est lui-même huguenot ?

C’est d’ailleurs ce handicap, ce fanatisme, qui fait que les autorités françaises considèrent

les Africains comme un peuple sans religion et primitif qu’il faut sortir des ténèbres grâce à

l’assimilation culturelle et à l’évangélisation.

Hampâté Bâ évoque le protestantisme en esquissant le portrait psychologique de

l'inspecteur des affaires administratives venu auditer le cercle de Diagaramba, suite à une

dénonciation anonyme à propos de vol de bœufs dans lequel Wangrin et l’adjoint du

commandant de cercle sont impliqués :

97 Ces deux versets du Saint Coran peuvent être lus dans ce lien : http://www.aimer-jesus.com/coran_trinite.php98 Voir la première partie de ce mémoire, pages 19 -20.

60

Page 61: Memoire Fin Original

« Né d'une famille protestante et petit-fils d'un duc, il avait un nom : Charles de Brière, et un idéal :

servir l'humanité en reconnaissant à tous les hommes des droits égaux inviolables, spirituels et

sociaux »99.

Cette admirative esquisse rappelle l’estime sans bornes qu’Amadou Bâ vouait à

Théodore Monod qu’il appelait « son cher ami et maître ». En effet, comme ce dernier (à

propos de Monod nous vous renvoyons à la première partie de ce travail), l’inspecteur avait

une grande largesse de cœur et d’esprit, « reconnaissant à tous les hommes des droits égaux

inviolables, spirituels et sociaux ». Et ce, contrairement à l’écrasante majorité des

colonisateurs. C’est là un hommage à Monod et, par delà, une habile critique du système

colonial.

Le catholicisme est donc la religion officielle du système colonial. En effet, ses

autorités figurent en bonne place dans le schéma protocolaire : arrivés à Dakar, les

nouveaux administrateurs des colonies, en attente de leur affectation, devaient rendre des

visites aux autorités, et l'évêque de Dakar figure en bonne place  dans « l'ordre de

préséance »100.C’est pourquoi, dès son arrivée à Dioussola, avant de prendre fonction,

Wangrin, rend « des visites de courtoisie a toute la notabilité », notamment l'évêque

catholique101.

En fait, l’église catholique était si puissante que « les pères blancs créaient parfois

beaucoup de difficultés aux administrateurs non chrétiens »102 tels qu’Henri Tolber, qui

« n'aimait pas les prêtres»103. La seule faute de ces autorités semble de ne pas partager la

foi de ces prêtres. Ces derniers sont conscients que sans l’appui des puissants commandants

de cercle et autres pontes de l’administration coloniale, il leur sera difficile de mener à bien

leur mission évangélisatrice. C’est donc tout bénéfice pour eux de mettre la pression sur les

99 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin …, op. cit., p.73100 Ibidem, p. 203.101 Ibidem, p. 223.102 Ibidem, note 191, p.375.103 Ibidem, p. 239.

61

Page 62: Memoire Fin Original

autorités qui ne leur sont pas favorables, quitte à manigancer afin de les faire affecter ou

révoquer.

Mais l’habile Wangrin a su tirer profit de la posture privilégiée des autorités

catholiques dans le système colonial. Il parvient à obtenir l’arbitrage du «révérend père

supérieur de la mission de Meba » lorsque le commandant de cercle de Yagouwahi voulait

l’incarcérer injustement :

« En sortant du bureau (du commandant de cercle de Yagouwahi, qui l’a menacé de l’emprisonner

s’il ne quittait pas le cercle avant seize heures) Wangrin s'en fut trouver le révérend père supérieur de

la mission catholique de Meba. Il lui fit connaître l'intention du comte du Pont de la Roche de le mettre

arbitrairement en prison [...] »104.

Le rusé personnage, ayant préparé ainsi psychologiquement le prélat, va pouvoir en

faire son avocat face à l’injustice dont il sera victime :

«  Dès son incarcération, Wangrin envoya un mot au révérend père supérieur de la mission de

Meba pour l'informer qu'il avait effectivement été emprisonné, comme il lui en avait exprimé la crainte

[…] »105.

En effet, l’autorité ecclésiastique, éprise de justice, défenseur du faible face au

puissant, car conscient d’être missionnaire de Dieu, ne pouvait rester indifférent face à

l’acte arbitraire du commandant, même si Wangrin n’est pas chrétien :

104 Ibidem, p. 212-213105 Ibidem, p. 212-213

62

Page 63: Memoire Fin Original

« Le lendemain, le révérend père supérieur, vint trouver le commandant. Ce dernier confessa au

prêtre combien il était navré que son imbécile de brigadier eût appliqué à la lettre une mesure dictée

dans un moment de colère. [...]

Le prêtre se rendit à la prison et demanda à Wangrin de laisser tomber cette affaire  »106 (ce que fit

Wangrin).

L’attitude de respect quasi révérenciel que le commandant a pour le prélat, auquel il

« confessa » sa faute, confirme le fait que l’église catholique, dans les colonies, se

positionne en alter ego du pouvoir politique, même si la laïcité est devenue

constitutionnelle en France. Cela est un paradoxe noté jusqu’à nos jours, surtout lorsqu’on

entend certains hommes politiques européens dire que l’Europe est une terre chrétienne —

légitimant ainsi leur refus de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne — ou que la

France serait la fille aînée de l’Eglise.

Même s’il sait, au besoin, et par opportunisme, solliciter l’appui de l’Eglise, Wangrin

n’en prend pas moins ses distances avec cette religion, qu’il a rejetée depuis l’école des

otages avec ses condisciples. C’est ainsi qu’il confie au commandant Henry Tolber, qui

n’est pas chrétien :

« Et soit dit entre nous, ce n'est pas moi qui irai le dimanche à l'église me confesser et recevoir la

communion. Je ne tiens nullement à dépendre inconditionnellement des ''grandes barbes '' et ''chapelets

au cou'' ».107

La dénomination des prêtres catholiques perce à travers ces deux dernières

expressions stéréotypées à l’allure péjorative. Ce qui dénote du mépris de notre héros

bambara.106 Ibidem, p. 212-213107 Ibidem, p.239.

63

Page 64: Memoire Fin Original

*********

Par conséquent, le christianisme se réduit essentiellement au catholicisme. Il a des

rapports avec le pouvoir politique. Ceux-ci sont tantôt complémentaires pour l’atteinte des

objectifs assimilationnistes, tantôt conflictuels quand l’Eglise sent ses intérêts menacés. Les

indigènes, eux, déjà musulmans ou animistes, dans leur majorité organisent la résistance

culturelle et religieuse, à l’image des écoliers et de Wangrin.

CHAPITRE TROIS : L’ISLAM DANS

L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

L’islam est beaucoup plus anciennement implanté que le christianisme en Afrique de

l’ouest. Des populations de cette région l’ont embrassé depuis le Moyen Age. Il a

longtemps cohabité avec les croyances traditionnelles et s’est même greffé parfois à elles.

Le syncrétisme islamo-animiste est une constante en Afrique occidentale même si on note

64

Page 65: Memoire Fin Original

souvent une opposition principielle entre l’islam et les religions africaines. C’est dans cette

perspective que s’inscrit l’étude des faits islamiques dans L’étrange destin de Wangrin…

Contrairement à l’église catholique, l’islam n’est pas pris en compte dans la

nomenclature hiérarchique de l’administration coloniale. Il n’est pas religion officielle pour

un système qui porte en bandoulière une prétendue mission civilisatrice sous-tendue par la

foi chrétienne. L’islam est pourtant majoritairement adopté par les populations locales. Il a

fortement, et cela depuis des centaines d’années, moulé les mentalités, les comportements,

certaines pratiques coutumières indigènes.

Les parlers locaux sont enrichis d’expressions arabo-islamiques qui sont souvent

modifiées et adaptées aux accents et modes d’élocution des Africains. En atteste la formule

de salutation très courante en Afrique de l’ouest, et que l’on retrouve à moult reprises dans

L’Etrange destin de Wangrin: « Salamale-kum ! La paix sur vous ! »108. C’est l’auteur qui

traduit pour le public étranger, notamment européen. Même un Arabe musulman,

fraîchement arrivé en Afrique de l’ouest, n’aurait peut-être pas compris, car cette formule

est différente de l’expression originelle arabe qui est « Assalamu alay kum ». Après les

salutations, on dit au visiteur « Similla ! »109. Ce terme est un diminutif et une africanisation

du premier verset du Coran, que tout musulman doit prononcer en entrant dans un lieu ou

en en sortant et en commençant un acte, à savoir : « Bismi llaahir rahmanir rahimi » qui

signifie « Au nom de Dieu le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux »110.

Il en est de même de certaines exclamations faites pour approuver la véracité d’une

affirmation ou pour marquer sa satisfaction ou son admiration par rapport à une action.

Wangrin s’exclame « Wallaye ! Wallaye ! »111 , témoignant ainsi sa joie à Diofo, le chef des

esclaves de feu Brildji, envoyé par Loli, qui lui a apporté beaucoup d’or, lui en promettant

plus, si le cadavre de son maître n’est pas exhumé. «Wallaye » se constitue de deux mots

arabes : « wa » (و) et « Allah » (هللا). C’est, selon la tradition islamique, une formule de

serment signifiant « au nom de Dieu » ou « par le Dieu tout puissant ».108 Ibidem, p. 171109 Ibidem, p. 171.110 Le Saint Coran, traduction et commentaire de Muhammad Hamidullah avec la collaboration de M. Léturmy, Amana Corporation, 1989.111 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 172.

65

Page 66: Memoire Fin Original

L’islam qui est ainsi visible dans la langue courante, régit les actes, les pensées des

fidèles, voire leurs coutumes et traditions. En premier lieu, notons l’utilisation du caractère

sacré du Coran pour sceller une nouvelle alliance :

« Abougui Mansou tendit les deux mains vers Wangrin et lui dit : “ Mets tes mains dans les miennes.’’

Wangrin s'exécuta avec beaucoup d'humilité. Abougui Mansou récita le premier chapitre (ou

« sourate ») du Coran appelé Fatiha, « l'Ouvrante ». C'était là le scellement de leur pacte de mutuelle

assistance... »112.

Abougui Mansou est un « vieux Jaawanndo » réputé pour son intelligence et sa ruse.

Lui et Wangrin seront des alliés fidèles aussi bien dans les moments de bonheur et

d’abondance que dans les difficultés. Eux, ils parviendront à tromper la vigilance de

l’administration coloniale en majorant habilement, en leur faveur, les quantités de bœufs

réquisitionnées pour l’effort de guerre. Cette fidélité mutuelle, sans faille, serait-elle la

résultante de ce pacte scellé au nom d’Allah ? En tout cas l’Africain, « homo religiosus »

par excellence ne plaisante pas avec le sacré, ce « mysterium tremendum »113 ou mystère qui

fait trembler, suscite la peur. Wangrin est loin d’être un incrédule : c’est un croyant

opportuniste qui cherche à capter l’assistance et la miséricorde de Dieu où qu’il peut les

trouver, même dans l’animisme, nous y reviendrons.

En second lieu, la foi musulmane s’exprime à plusieurs reprises dans le roman par

une sorte de fatalisme, un abandon à la volonté d’Allah, comme ici :

« Mais le Seigneur Allâh fait ce qu'il veut. »114

112 Ibidem, p. 42.113 OTTO, R., Le Sacré op. cit., p. 28114BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 151 : Wangrin s’adressant à la famille éplorée de Brildji

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Page 67: Memoire Fin Original

« Alhamdu lillâh ! Dit Diofo. Cet appel est pour nous un heureux augure. L'avenir, par la grâce du

Seigneur, ne saurait plus nous réserver que bonheur et satisfaction»115.

Cette fois-ci la formule arabe « Alhamdu li llâh » est correctement prononcée. Elle

consiste à témoigner sa gratitude, sa reconnaissance à Dieu. La dernière phrase dénote de la

prédétermination des circonstances futures par Dieu considéré comme Omniscient et

Omnipotent. Pour le musulman, Allah est à l’origine tout ce qui advient. Le hasard n’existe

pas et la chance n’est que la manifestation d’une intervention divine favorable. C’est donc

normal de remercier Dieu quand Sa générosité se manifeste. De plus, la foi de Diofo se

mêle de superstition, car le fait que, dès la fin de son propos, l’appel du muezzin retentisse

est interprété par lui comme un heureux présage, une annonce de ce qui a été déjà décidé

par Dieu.

Mais le fatalisme — posture mentale qui, selon l’Encyclopédie Larousse, « considère

tous les événements comme irrévocablement fixés à l'avance par une cause unique et

surnaturelle » — chez Diofo n’exclut pas l’action, l’engagement dans le but de changer le

cours des événements.

C’est pourquoi Diofo et son camp sont prêts à tout pour empêcher l’exhumation de

Brildji : corrompre Wangrin, se battre à mort. Aussi ordonne-t-il aux nombreux autres

esclaves :

« Je vous demande à tous de me laisser faire. Apprêtez les poudres, mais n’y mettez pas le feu sans

mon ordre »116.

115 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.165116 BA, A. H., op. cit., p. 165

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Page 68: Memoire Fin Original

De fait, même si l’islam parle de prédestination, cela ne signifie point qu’il faille se

croiser les bras et attendre passivement la volonté de Dieu. La soumission à Allah,

n’exempte pas de l’action, elle doit l’accompagner. C’est ce que confirme M.

Hamidullah117 :

« Ce qu’on nomme le “Fatalisme’’ en parlant de l’islam est à l’opposé de l’immobilisme. Le destin de

l’homme lui étant caché, l’homme a le devoir de faire face aux revers répétés, et de ne pas se chagriner

devant l’impossible, mais de dire alors c’est la volonté du Seigneur ! ».

Et Hamidullah de d’interroger :

«Qui ne sait que c’est la croyance en cette omnipotence divine conjuguée à la nécessité de l’effort

humain, qui, loin de les rendre inertes, poussa les premiers musulmans à une activité et à une

expansion dont la rapidité n’a encore été égalée par personne ? »118. 

Diofo a bien intériorisé les enseignements de sa religion. Mission accomplie, il

s’exclame, s’adressant au fils de son maître :

«  O Loli ! Sacrifie à Allâh le plus que tu pourras ! Ton père dormira dans sa tombe. Il ne sera vu

qu’au jour de la résurrection, parmi les élus odoriférants. (…) Seul le son de la trompette d’Azraael

sortira Brildji de sa tombe »119.

117 Le Saint Coran, op. cit., p.283118 Le Saint Coran, op. cit., p.283119 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 172.

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Page 69: Memoire Fin Original

En examinant de très près ces propos, on peut faire plusieurs remarques. D’abord, la

dévolution fataliste à Dieu d’une victoire acquise à coups de plusieurs dizaines de grammes

d’or. Ensuite le sacrifice vu comme moyen de rendre grâce à Dieu. Mais quel sacrifice ?

S’il s’agit de donner ses biens aux démunis comme aumône, cela est permis et recommandé

par l’islam. Mais quant à l’immolation de bêtes en guise de sacrifice, elle n’est reconnue

par le Coran qu’à une seule occasion : la tabaski120. Alors serait-ce ici encore une

survivance de l’animisme ? Enfin, dernière remarque, la récurrence, dans le discours de

Diofo, de termes et notions issus des textes sacrés de l’islam (« Allâh », « jour de la

résurrection », « la trompette d’Azraael »), qui dénote des liens étroits entre lui et son

maître Brildji, marabout et chef de province.

Ce dernier possède « deux mille huit cent douze captifs »121 et cela pose la question de

l’esclavage du point de vue islamique. Selon l’historien français Jacques Heers122 le

Coran, à l'instar des textes sacrés d'autres religions, n'interdit pas l'esclavage, il le tolère

tout en lui imposant des limites. C'est une pratique culturelle, une institution traditionnelle

aussi bien ancrée chez les Bédouins d’Arabie que chez les Africains, donc difficile à abolir.

Elle survit encore dans la Péninsule Arabique123, et dans certaines communautés

musulmanes d’Afrique, surtout chez les Maures et les Peuls (comme dans le roman : Brildji

est de l’ethnie peule).

Le Coran comme la Sunna124 insistent fortement sur la bienveillance à accorder aux

esclaves et sur le mérite qu'il y a à les émanciper. Citons à ce sujet Muhammad

Hamidullah :

120 Appelée en arabe « Aid el kébir » : la grande fête. Chaque fidèle le célébré en immolant un mouton, après une prière communautaire.121 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.160.122 Heers, Jacques, Les Négriers en terre d'islam, Perrin, coll. « Pour l'histoire », Paris, 2003, p. 9.123 CHAUMONT, Éric, article « Esclave, Esclavage », in Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 270-272124 « Sunna : tradition de l’islam rapportant les faits, gestes et paroles (hadith) de Mahomet, considérée comme complétant le Coran, et constituant immédiatement après lui la source de la Loi. », Dictionnaire Universel, 3è Edition, Paris, Hachette Edicef, 1995

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Page 70: Memoire Fin Original

« Le Coran connaît de nombreuses lois pour l’adoucissement ou la suppression de l’esclavage : voir

IV, 92 ; V, 89 ; LVIII, 3, la manumission à titre d’expiation ; IX, 60, l’aide gouvernementale ; XXIV,

33, l’autorisation donnée à l’esclave de gagner sa valeur et de se racheter ; XLVII, 4, la libération des

prisonniers de guerre. De plus, l’égalité de l’affranchi et du libre de naissance a permis, au sein de

l’islam, des dynasties de rois fraîchement libérés de l’esclavage, comme les Mamelouk d’Egypte, les

Ghulâmân de l’Inde… »125.

Les esclaves en Afrique, à quelques exceptions près, sont traités par les maîtres

comme membres de leur propre famille. C’est ce qui explique la fidélité sans faille de

Diofo et ses frères de condition vis-à-vis de Brildji. Fidélité que la mort ne peut effacer.

Ainsi, à l’annonce de la décision de Wangrin d’exhumer Brildji, ils sont prêts à tout pour

s’opposer à pareil acte considéré comme sacrilège. Ces paroles touchantes de Diofo

dénotent comme une fusion charnelle entre le maître et ses esclaves :

« Depuis le décès de feu Brildji, la vie sent mauvais pour nous. Il ne sied pas à notre fidélité de lui

survivre. Notre sang aurait dû servir à pétrir l'argile qui recouvre la niche de sa tombe. Mais, hélas ! la

religion musulmane, que nous avons embrassée à la suite de notre maître et pour lui plaire, interdit le

sacrifice humain et le suicide. Nous sommes cependant décidés à faire mourir quiconque tenterait de

découvrir le lieu où repose Brildji »126.

Nous avons ici une confirmation de l’adoucissement de l’esclavage par l’islam. Et

Diofo le regrette ! Dans les temps antéislamiques comme dans les sociétés non musulmanes

d’Afrique, l’esclave n’existait que parce qu’il avait un maître, sa vie étant la propriété de

celui-ci, il était logique qu’il l’accompagnât dans la tombe.

Une autre remarque intéressante dans ces propos de Diofo, c’est que les esclaves de

Brildji n’ont pas embrassé l’islam par conviction, mais pour plaire à leur maître. Leur statut

125 Le Saint Coran, op. cit., page 594. 126 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.160.

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Page 71: Memoire Fin Original

exclut la liberté de culte. De plus, en s’exprimant aussi passionnément, le chef des captifs

connote une fusion entre le maître et lui. Diofo n’existe pas en tant qu’individu autonome

mais reflet, clone psychosomatique de Brildji.

Il existe une différence de points de vue entre la loi islamique et les coutumes locales

sur la question de la succession – comme d’ailleurs sur celle de l’esclavage (voir supra).

La mort du chef de province Brildji entraîna une lutte souterraine sans merci entre son fils

Loli et son frère puîné Karibou pour l’héritage de son pouvoir et de son immense fortune.

L’islam et la tradition ont servi aux argumentaires des camps en opposition. Celui de Lolli

se range du côté de la loi musulmane, plus conforme à ses intérêts : le fils hérite de son

père. Mais celui du frère de Brildji, quoique d’obédience islamique, préfère invoquer la

tradition : succession de l’aîné par son puîné

Wangrin sut profiter de cette situation rusant et manipulant les deux camps, ce qui lui

permit de beaucoup s’enrichir. Pour se tirer finalement d’affaire il imposa habilement

l’application de la loi islamique et de la coutume traditionnelle, donnant une part

d’héritage à chacun des adversaires, avec la complicité de l’autorité coloniale. Ainsi,

s’adressant à Karibou Sawali, Wangrin dit :

«Le commandant Réardris m’a donc fait part de la décision du gouverneur de te donner le

commandement de la province, à l’exclusion de la fortune de Brildji qui sera attribuée, en totalité, à ses

héritiers, avec Loli comme responsable et gérant.

 Au cas où tu exigerais l’application de la tradition instituée par les Peuls rouges Thiala, il

t’opposerait la loi musulmane, que tu as embrassée ― à moins que tu n'abandonnes publiquement ta

foi, ce qui te mettrait dans la pire des situations »127.

127 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.197.

71

Page 72: Memoire Fin Original

Selon la tradition peule, explique Amadou H. Bâ dans le roman (page 193), c’est le

frère puîné qui succède à son frère aîné au pouvoir, héritant aussi de ses biens et de ses

femmes. Mais la loi coranique met en avant les enfants du défunt, s’ils sont vivants, pour

uniquement ce qui concerne le partage de ses biens (voir Coran : IV, 7, 33,176 : V, 5 ; VIII,

75). Elle est muette sur la transmission du pouvoir politique, c’est d’ailleurs ce qui explique

les guerres intestines entre des descendants du prophète et ses califes. Profitant de ce vide

juridique, Wangrin parvient à faire ce partage presque équitable.

Une autre incidence de la religion musulmane dans la vie locale, c’est l’office

islamique qui rythme la vie quotidienne. Ainsi à plusieurs reprises les appels à la prière

psalmodiés par les muezzins ponctuent la narration, interrompent les prises de parole et font

réagir les personnages (voir supra).Aussi, Hampâté Bâ se plaît-il à transcrire et traduire un

extrait de ces sempiternels appels :

« Au moment même où Diofo finissait de parler, on entendit :

« Allaahou akbar ! Allaahou akbar ! »

C'était la belle et puissante voix du muezzin de la grande mosquée de Witou. Du haut du minaret, son

appel psalmodié invitait les fidèles à se préparer à la prière rituelle musulmane, faite pour bien disposer

le corps, tranquilliser l'âme et apporter la paix aux esprits accablés par le sort.

« Allaahou akbar ! Allaahou akbar !...

Dieu est incommensurable !

Il est le seul Dieu

et Muhammad est son apôtre... »128.

128 Ibidem p. 173.

72

Page 73: Memoire Fin Original

Ici, c’est la foi du disciple de Thierno Bokar qui parle sans retenue. N’oublions pas

que Hampâté a des racines et une éducation fortement marquées par l’islam (cf. chapitre

premier).

Les moments des prières canoniques servent souvent à déterminer les heures de

rendez-vous. Comme ici :

« Je te donne rendez-vous chez moi, ce soir, après la prière Saafo » (c’est Wangrin qui parle à Bila

Kouttou, le planton du commandant du cercle de Dioussola)129.

« Tierno Siddi ajouta : Quand le muezzin lancera son premier appel à la prière de l'après-midi, tu te

rendras au bord de la rivière Maayé »130.

En instituant cinq offices religieux à des heures fixes, dans la journée et dans la nuit,

l’islam a créé, dans des sociétés ignorant la pendule, une horloge communautaire servant de

repère aux individus. Les appels des muezzins, comme les coups de gongs des pendules,

marquent les étapes importantes de la marche inéluctable du temps. Ce temps si étroitement

lié à notre cadre vital et donc indispensable à toutes nos activités. C’est pourquoi le Coran

lui consacre plusieurs chapitres ou sourates : S. 103 (le temps), S.93 (le jour montant), S. 92

(la nuit), S. 91 (le soleil)…

Parler de prière musulmane amène à s’intéresser à la figure de l’imam. C’est le

dirigeant des différents offices religieux, comme le prêtre ou le pasteur de la religion

chrétienne. Mais à la différence de ceux-ci, n’importe quel fidèle peut jouer le rôle d’imam

s’il maîtrise les textes sacrés. Un groupe d’individus, pour accomplir une prière collective,

peut se choisir ponctuellement un imam. Mais il existe des imams institutionnalisés, qui

sont de véritables autorités religieuses. Imam Souleymane en fait partie. Wangrin fait usage

129 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.227. A la note 185 Hampâté Bâ explique le terme Saafo : « Dernière prière que célèbre le musulman avant de se coucher ». 130 Ibidem p. 88.

73

Page 74: Memoire Fin Original

de son pouvoir pour manipuler Karibou – qui l’a déjà payé pour l’exhumation de son frère

– et le persuader à y renoncer. Voici comment le protégé de Gongoloma-Sooké va faire

entrer l’imam dans son jeu :

« O imam, lui dit-il (Wangrin), j'ai une pénible tâche à accomplir qui consiste à exhumer le corps de

Brildji afin de constater qu'il n'a pas été assassiné. Je n'ai jamais, de ma vie, entendu parler de

l'accomplissement d'une œuvre aussi macabre. […]

Aussi voudrais-je te demander d'accompagner Loli et Diofo qui conduiront une délégation auprès de

Karibou, pour le prier de venir me demander de surseoir à l'exhumation prescrite par les blancs-blancs,

chefs du pays.

― O Wangrin, répondit l'imam, l'islam et la tradition peule ignorent l'exhumation. Un double devoir

m'astreint donc de m'élever contre cette opération. C'est avec plaisir que j'accompagnerai Loli auprès

de son oncle dans le but que tu suggères»131.

L’imam accomplira à merveille sa mission, le terrain ayant été déblayé par Wangrin,

qui avait raconté à Karibou que l’imam avait perdu connaissance quand il lui fit part de sa

décision d’exhumer Brildji, à cause de l’énormité d’un tel sacrilège : une histoire bien sûr

inventée de toutes pièces par le manipulateur.

L’imam est respecté dans les sociétés musulmanes car il est une figure sacrée. Il

actualise plusieurs fois par jour le culte du Dieu unique. Il se place en avant, en tête de sa

communauté, face à Lui. La lumière, le pouvoir du « Sacré-très-haut », pour reprendre

Amadou H. Bâ, suinteraient de lui, attirés, comme l’aimant attire la limaille de fer, par ses

prières, à toutes les grandes occasions : prières officielles et canoniques, mariages,

funérailles (prière sur le mort avant son inhumation), baptêmes, etc. Son rôle n’est donc pas

seulement d’officier ou de prêcher. Il est adjuvant à l’Etat-civil, lui qui légitime et scelle les

unions et légalise les divorces, accueille les nouveau-nés, raccompagne les morts, … De ce

131 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.177.

74

Page 75: Memoire Fin Original

fait, qui mieux que lui peut servir de médiateur social ? Il est donc tout naturel qu’à des

instants aussi critiques que ceux qu’il a provoqués par cupidité132, Wangrin fasse appel à

l’imam Souleymane.

Revenons à la réponse de l’imam à Wangrin. En évoquant «  l'islam et la tradition

peule » et en disant : « Un double devoir m'astreint donc de m'élever contre cette

opération », ne dévoile-t-il pas un syncrétisme religieux ? Difficile de dégommer

entièrement les valeurs et paradigmes qui ont informé, depuis des siècles, voire des

millénaires, l’esprit des ancêtres, et le nôtre.

La représentation littéraire de l’islam dans L’Etrange destin de Wangrin… de

Hampâté Bâ fait une part importante à l’utilisation belliqueuse de références coraniques,

dans le discours des personnages. Savourons le dialogue hautement épique entre les deux

protagonistes principaux.

A la grande surprise de son collègue Romo, qui lui a offert une hospitalité faste,

Wangrin, au lieu de le remercier, déclenche des hostilités qui le poursuivront toute sa vie :

Romo Sibedi : « As-tu jamais vu quelqu'un entrer au paradis et en sortir ?

- Oui, répondit Wangrin. S'il faut croire la tradition, notre père Adam et son épouse maman Ève

vivaient au paradis. Mais ils en sont sortis...

- Doucement, Wangrin ! Ils n'en sont pas sortis de leur plein gré. C'est un ange-gendarme, armé de

lames de feu, qui les a forcés à quitter l'Éden. 

- Mon frère Romo, apprends que l’histoire est un perpétuel recommencement. Les actions tournent et

reviennent périodiquement. Elles ne font que changer d’acteurs. C’est ainsi que, dans quelques

132 L’exhumation de Brildji n’a nullement été ordonnée par l’autorité coloniale, c’est une ruse de Wangrin pour manipuler les camps qui se disputent l’héritage de Brildji, afin de se faire soudoyer grassement. Ce qu’il a réussi.

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Page 76: Memoire Fin Original

semaines, se reproduira à Yagouwahi ce qui s’est passé dans l’Eden entre Adam et l’ange-

gendarme»133.

Ces allusions aux écritures islamiques, ne sauraient légitimer une telle ingratitude. Elles

ont un effet de grossissement du cynisme monstrueux de Wangrin. Pour ce dernier tous les

moyens, licites et illicites, décents et indécents, sont bons pour devenir riche. C’est

pourquoi Romo disait de lui  qu’il « était un démon logé dans un corps humain »134.

D’autres emplois de concepts coraniques tels que l’enfer sont notés dans le roman. On

y voue son ennemi. Wangrin passant le service à Romo Sibedi :

« Ce bureau sera pour toi le septième gouffre de l'enfer »135.

La géhenne sert d’épouvantail à Wangrin pour persuader Karibou Sawali qui veut

s’entêter à transgresser la loi islamique. Il fait dire ceci à l'imam Souleymane :

« les enfers septièmes seront la demeure de celui qui prendra plaisir à voir exhumer un cadavre»136.

Enfin, l’islam est instrumentalisé par Wangrin, au service de ses roueries. Pour

voler le courrier compromettant remis à l’émissaire du comte de Villermoz, l’agent de

133 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin… op. cit., p. 104-105.134 Ibidem p. 248 .135 Ibidem, p. 241.136 Ibidem, p. 176.

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Page 77: Memoire Fin Original

Wangrin, sans doute sur le conseil de son rusé employeur, précède celui-ci et

l’interpelle en ces termes :

« Louange à Allâh qui a dit à son envoyé : ''Si je ne craignais que la famille d'un voyageur

solitaire égaré ne crie vers moi : O Dieu, où as-tu mis notre parent ?... Je jure par ma face et mon

Pouvoir que je perdrais tout homme voyageant sans compagnon de route...''  Je me suis rappelé cette

parole du Seigneur et j'ai eu peur de continuer seul mon voyage. Je vais vers Zadoun examiner les

bœufs de ma famille, qui sont actuellement en transhumance. J'espère que tu m'accepteras comme un

compagnon qu'Allâh a placé sur ton chemin»137.

Et Worde Addu, le voleur, ayant mis en confiance son compagnon en flattant sa

foi, profitera de la première occasion pour dérober le paquet qui accusait Wangrin

dans l’affaire des bœufs.

Ici ce sont les Ecritures saintes qui facilitent la ruse. Nous avons vu

précédemment comment la figure de l’imam (imam Souleymane) est manipulée. A

défaut d’obtenir la réaction souhaitée chez l’homme religieux, Wangrin affabule,

invente un récit à même de persuader son interlocuteur. On peut trouver une autre

illustration de ce procédé dans le passage suivant (Wangrin parlant au commandant

Réardris, chargé de liquider l’affaire de la succession de Brildji) :

« Aussi suis-je allé demander conseil au vénérable Baliba Woliha, premier conseiller musulman du

grand roi Romobana. Il m'a fait une suggestion qui me semble représenter la meilleure solution pour

nous sortir de cette impasse.

137 Ibidem, p. 79.

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Page 78: Memoire Fin Original

« Baliba Woliha propose que la chefferie de la province soit attribuée à Karibou, tandis que les

biens laissés par Brildji iront à son fils Loli et à ses frères. Quant aux veuves de Brildji, elles

épouseront qui elles voudront »138.

Dans la note 166, l’auteur dévoile que ce qui précède est une création de Wangrin.

*******٭

En somme, l’islam est profondément intériorisé par les personnages de L’Etrange

destin de Wangrin... Leur foi transparaît à  travers leur discours et leurs actes. S’adaptant à

merveille à leur identité culturelle, la religion musulmane n’en corrige pas moins certaines

traditions locales.

Conscient de la primauté de celle-ci dans une société qui lui est presque totalement

acquise, Wangrin a su s’en servir avec dextérité.

Le triptyque spirituel propre à cette contrée de l’ouest africain, cadre spatial du roman,

est complété par la religion traditionnelle, dénommée « animisme » par l’auteur et par des

anthropologues.

138 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 194

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Page 79: Memoire Fin Original

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Page 80: Memoire Fin Original

CHAPITRE QUATRE : LA RELIGION

AFRICAINE TRADITIONNELLE DANS

L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

La religion africaine traditionnelle se dévoile dans le roman à travers des survivances

et des pratiques qui relèvent de la magie. Mais que dénote exactement cette forme de

spiritualité ? En quoi se distingue-t-elle des deux autres avec lesquelles elle cohabite ?

Elle est dénommée animisme par beaucoup d'historiens et d'ethnologues, à commencer

par l'auteur. A la fin du XIXe siècle l'anthropologue Edward B. Taylor139 emploie ce terme

pour désigner les croyances des peuples « primitifs ».

Issu du latin animus, signifiant âme, animisme est expliqué par Amadou H. Bâ en ces

termes :

« Tout est lié. Tout est vivant. Tout est interdépendant ».

Il se livre ensuite à une véritable exégèse de cette forme de spiritualité : 

139 TAYLOR, Edward B., La civilisation primitive (Primitive Culture, 1871, traduit de l'anglais sur la

deuxième édition par Pauline Brunet et Edmond Barbier), C. Reinwald et Cie, Paris, 1876-78, 2 vol.

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Page 81: Memoire Fin Original

 «L'homme africain est un croyant né. Il n'a pas attendu les Livres révélés pour acquérir la

conviction de l'existence d'une Force, Puissance-Source des existences et motrice des actions et

mouvements des êtres. Seulement, pour lui, cette force n'est pas en dehors des créatures. Elle est en

chaque être. Elle lui donne la vie, veille à son développement et, éventuellement, à sa

reproduction »140.

La religion africaine traditionnelle reconnaît, d’après ces propos, l’existence d’un Dieu

suprême, à l’instar des religions dites révélées. Cependant, à la différence du Dieu celles-ci,

celui de l’animisme n’est pas transcendant mais immanent à chaque créature. Les Africains

tenants des croyances traditionnelles, vivent donc l’immanentisme qui, d’après le

dictionnaire Le Robert, est une « doctrine qui affirme l’immanence de Dieu ou d’un absolu

quelconque à la nature ou à l’homme ».

Dans le passage suivant Hampâté Bâ emploie le terme animisme et l’explique :

« L'ensemble de ces croyances a reçu le nom d' “ animisme’’ de la part des ethnologues

occidentaux, parce qu'effectivement le Noir attribue une âme à toute chose, âme-force qu'il cherche à

se concilier par des pratiques magiques, et parfois par des sacrifices»141.

Dans L’étrange destin de Wangrin… il emploie plusieurs fois « animiste (s) » pour

désigner la religion traditionnelle et ses pratiquants ou pour qualifier certaines pratiques.

C’est le cas lorsque Wangrin raconte des conseils que lui prodiguait sa mère au

commandant de Bonneval :

140 BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p.119-120.

141 BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p.119-120.

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Page 82: Memoire Fin Original

« - Ta mère serait une bonne chrétienne, Wangrin.

- Ma mère est une bonne animiste, mon commandant.

- La morale et le courage ignorent la frontière des races et des religions, mon ami»142.

Dans la postface du roman il parle de « monde animiste traditionnel » (p. 360).

Cependant, le mot « animisme » ne saurait à lui seul décrire la complexité de la

spiritualité négro-africaine authentique. Comme l’affirme si justement L. V. Thomas, selon

qui l’Africain a initié un ensemble de démarches qui relèveraient "successivement ou

simultanément " du fétichisme, du naturisme, du totémisme, du mânisme, de l'animisme et

du paganisme. "Mais aucune  de ces dimensions, même aperçue dans le sens profond, ne

saurait à elle seule esquisser un tableau approximatif du sacré"143.

En fait les croyances religieuses d’Afrique, si nous reprenons la classification de

Marie-Line Bretin144, peuvent être rangées dans la catégorie polythéisme. Chez beaucoup

de peuples africains, plusieurs dieux font l’objet d’une adoration. On pourrait d’ailleurs

dégager plusieurs similitudes entre la religion africaine et l’hindouisme145. Celui-ci compte

plusieurs dieux : Brahma, Vishnu, Shiva, Krishna, Surya, Indra, Chandra, Agni, etc.

Comme dans la spiritualité africaine, tous les dieux émanent d'une seule force cosmique

créatrice : Brahman. Il est la Réalité Ultime, l'Âme Absolue ou Universelle, comme le Maa

Ngala ou Masa Dembali des Bambaras, le Geno ou Dundari des Peuls. Les croyants

hindouistes comme ceux africains ont leurs dieux personnels, plus accessibles, qu’ils

invoquent et à l’endroit de qui ils procèdent à des offrandes, sacrifices et danses. Ces déités,

dans les deux religions peuvent être incarnées par des animaux (l’antilope noire ou la

vache, chez les hindouistes), des plantes ou des cours d’eau (comme le Gange).

142 BA, A. Hampâté, L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 221-222.143 THOMAS, L. V., " Courte analyse des religions négro-africaines traditionnelles (l’exemple de l'Afrique anglophone, orientale et australe)", in Notes Africaines, n°117, janv. 1968, p. 1.144 BRETIN, Marie-Line, Cours de philosophie, op. cit. 145 A propos de l’hindouisme voir : http://bharat.pagesperso-orange.fr/hindouisme/index.htm et http://fr.wikipedia.org/wiki/Hindouisme 

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Page 83: Memoire Fin Original

La dernière similitude que nous relèverons c’est que toutes les deux proviennent

d’une tradition orale très ancienne et qu’ils n’ont, contrairement à l’islam, le christianisme

et le judaïsme ni prophètes ni dogmes. « Les religions africaines sont plutôt vécues que

pensées », dit le professeur Bassirou Dieng146.

I. L’ONTOLOGIE TRADITIONNELLE

AFRICAINE 

La religion africaine traditionnelle est d’abord une ontologie. L’Africain conçoit l’être

humain comme un concentré de forces, de doubles. Ceux-ci entrent parfois en conflit ou

simplement discutent, comme ici chez Wangrin :

« Son “double espoir’’ lui susurra : “Wangrin, ne t’en fait pas. Un homme qui roule sur des millions et

des lingots d’or comme toi ne saurait connaître l’injure du sort.’’

Son “double objectif’’ ripostait en chuchotant avec fermeté : “Wangrin, tu as amorcé une pente

glissante…’’ »147.

A la page 327 de L’étrange destin de Wangrin…148, le lecteur peut constater que le

« double » n’est pas seulement logé dans la personne, il habite, par une vertu de bilocation,

146 DIENG, B., Société wolof et Discours du pouvoir, op. cit., p. 110.147 Ibidem, p. 325.148 Op. cit.

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Page 84: Memoire Fin Original

en même temps le « Tana » ou animal sacré. Ainsi est-il proscrit à tout homme de tuer son

« Tana », au risque que « par voie de conséquences occultes les pires choses » ne lui

adviennent. En commettant une telle bévue, Wangrin s’est définitivement livré à l’emprise

de la malchance.

Dans son essai, Aspects de la civilisation africaine149, Hampâté Bâ explique cette

vision de la personne humaine chez les animistes :

« La tradition enseigne en effet qu’il y a d’abord Maa, la Personne-réceptacle, puis Maaya, c’est-à-

dire les divers aspects de Maa contenus dans le Maa réceptacle. Comme le dit l’expression bambara  :

“ Maa ka Maaya ka ca a yere kono ’’ : “ Les personnes de la personne sont multiples dans la

personne.’’ ».

II. LES DIVINITES 

La personne principale de l’homme est appelée par les Bambaras Maa, cette

dénomination se retrouve dans le nom du Dieu suprême Maa-Ngala. Cela « lui confère

l’esprit et le fait participer à la Force Suprême »150 dont il devient l’interlocuteur privilégié.

Mais le croyant animiste ne s’adresse directement au Dieu suprême que très rarement.

La mythologie traditionnelle est pleine de divinités aux fonctions et aux caractéristiques

bien tranchées. Selon le but que l’on veut atteindre, on invoque tel ou tel dieu. Le croyant

149 BA, A. Hampâté, Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p. 11.150 Ibidem p 15.

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Page 85: Memoire Fin Original

est dans une relation magique avec les forces surnaturelles. Il suscite leur action en agissant

sur elles par le biais du verbe, du geste et du sacrifice.

Amadou Hampâté Bâ se plaît à recenser, dans L’étrange destin de Wangrin…151 les

divinités du panthéon local. On note en premier lieu Maa-Ngala, le Dieu suprême, comme

dans ces propos :

« Maa-Ngala et ses agents principaux et subalternes sont avec vous »152.

Parmi « ses agents principaux et subalternes » Hampâté cite :

« Sanou, le dieu-roi de l’or »153 ;

« Yooyayo,dieu partenaire de Nganiba (la grande sorcière), le patron de cette partie

sud du pays »154 ;

« les esprits gardiens du massif sud malien »155 :

« Nyakuruba, la déesse de la maternité »156 invoqué par la matrone chenue lors de

l’enfantement de Wangrin ;

Le dieu Komo157, « dieu des forgerons » ;

Les « petits dieux des garçons non circoncis, Tieblenin et Ntomo »158 ;

151 Op. cit.152 BA, A. Hampâté, L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 284.153 Ibidem, p.12.154 Ibidem, p.12.155 Ibidem, p. 12.156 Ibidem, p. 14.157 Ibidem, p.17. et la note 9, p. 367.158 Ibidem, p.18.

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Page 86: Memoire Fin Original

Le « petit dieu » des adoloscents circoncis, Ntomo-Ntori159 ;

Gongoloma-sooké, le « dieu fabuleux »160, dieu-patron de Wangrin.

Ces déités sont non seulement spécialisées mais ne sont pas du même sexe ni de la

même catégorie d’âge. En tant que femelle, Nyakuruba est à même de jouer aux sages-

femmes. Les enfants, eux, ont leurs « petits dieux » qu’ils pourront sans doute associer à

leurs jeux. Il y a là, un panthéon aux caractéristiques anthropiques à l’instar de celui de la

Grèce antique161.

Les hommes peuvent rejoindre le monde des divinités et devenir eux-mêmes des

dieux. Ce sont les ancêtres du clan, qui, grâce à des rites funéraires particuliers effectués

par leurs descendants, changent de statut pour accéder à celui d’esprits tutélaires. Amadou

H. Bâ explique cette mutation :

« Les anciens, en mourant, deviennent des “ esprits tutélaires’’, à condition que leur postérité ou leur

pays aient rendu à leur dépouille les honneurs funéraires traditionnels dus aux morts : cérémonies du

1er, du 3e, du 7e et du 40e jour après leur mort ».

Il poursuit :

« La mort permet à l’âme de retrouver sa fluidité astrale, une fois débarrassée de son poids charnel qui

la maintient à fleur de terre. […] Une fois désincarnée, l’âme trouve une base valable d’où elle peut

159 Ibidem, p.18.160 Ibidem, p.20.161 A propos de la mythologie grecque, consulter : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mythologie_grecque

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Page 87: Memoire Fin Original

s’envoler à chaque appel pour écarter le danger qui menace l’individu ou la collectivité de sa

lignée »162.

Un temple, bois sacré, est érigé par chaque clan ou famille pour abriter les mânes des

ancêtres et pour effectuer prières et sacrifices auprès d’eux. Wangrin, se trouvant dans des

situations difficiles, nous y reviendrons, fera plusieurs fois appel à ses ancêtres.

III. ETRES ET CHOSES SACRES 

Les dieux et les esprits des ancêtres de la religion traditionnelle africaine ont des

adjuvants palpables. Ce sont des animaux, des végétaux, des minéraux, des masques et

même des humains censés investis de leurs vertus. Ces êtres sont considérés comme sacrés

et reçoivent les offrandes, sacrifices et prières adressées aux esprits divins qui les habitent.

Ce sont des temples inertes ou vivants, des totems163. Ils sont l’objet de rituels d’approche

et d’interdits. L’adjuvant humain, communément appelé sorcier, intercède, par son verbe et

ses danses rituelles, auprès du monde invisible, en faveur de solliciteurs malades, dans le

besoin, en quête d’une situation meilleure.

Pour ce qui est des végétaux sacrés, plusieurs types se présentent dans le roman. Le

« vieux  toro bossu »164, arbre mystérieux « aux fleurs invisibles dont les corolles étaient

d’or », est un des symboles du mythe qui ouvre le roman. Dans ce végétal sont réunis le

162 BA, A.H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p. 118-119.163 Ce culte des totems est appelé totémisme. A propos du totem, le Dictionnaire Le Robert précise que c’est un  : « Animal (quelquefois végétal ou très rarement chose) considéré comme l’ancêtre et par suite le protecteur du clan, objet de tabous et de devoirs particuliers ».164 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.12.

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Page 88: Memoire Fin Original

sublime (les fleurs en or) et le hideux (la forme bossue de l’arbre). Cela lui confère un

aspect monstrueux qui s’harmonise dans son environnement peuplé d’êtres bizarres.

Ce « toro » préfigure et annonce le kapokier165 en fleurs sur lequel sera perchée la

tourterelle qui annoncera à Wangrin la fin de sa période faste. Ce kapokier a une branche

morte et c’est sur celle-ci que se perche l’oiseau. C’est là une monstruosité de la nature

assez significative. La vie (les fleurs) et la mort (la branche sèche) cohabitent dans un arbre.

Arbre qui devient ainsi un lien entre les mondes parallèles, la dimension visible et celle

invisible. Il traduit également le manichéisme des deux mondes où le Mal et le Bien sont en

perpétuel affrontement. Le choix de la branche morte par le volatile prédit la victoire du

Mal dans l’univers individuel de Wangrin. Son destin sera désormais contrôlé par les forces

du mal.

Un autre arbre fétiche est invoqué dans une formule incantatoire :

« kothiema sunsun

baatiema sunsun

sunsun fla ani sunsun».

L’auteur traduit :

« Diospiros au milieu d’un lac

diospiros au milieu d’un fleuve

165 Ibidem, p. 337.

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le double diospiros et le diopiros unique »166.

Nous sommes en pleine magie. Mais retenons que l’auteur précise, dans la note 133 du

roman, que « le diospiros est un arbre sacré. Les Peuls y coupent leur bâton rituel ».

Des animaux sacrés cohabitent harmonieusement avec ces végétaux. C’est le cas des

deux volatiles que sont « Tenin-Tourouma » le passereau et « N’tubanin-kan-fin » la

tourterelle qui ont respectivement leur « toro » et  kapokier. Le caractère extraordinaire du

premier est ainsi rendu par le narrateur :

« L’oiseau portait à la tête une touffe de plumes et, dans l’estomac, un petit caillou blanc de longévité

et de prospérité »167.

Le second est « la tourterelle au cou cerclé de noir ». Cette couleur ajoute au caractère

lugubre de l’oiseau. En effet c’est pour le héros du roman

« l’oiseau fatidique qu’ (il) ne devait pas voir dans ces conditions »168.

L’arbre et l’oiseau ont mystiquement une signification analogue : ils sont un trait

d’union entre le naturel et le supranaturel. Les bouddhistes n’ont-ils pas leur figuier sacré ?

L’arbre plonge ses racines dans les profondeurs de la terre (le monde visible) et élève ses

branches haut dans le ciel (le monde invisible). Son tronc est le fil conducteur entre les

166 Ibidem, p. 157.167 Ibidem, p. 12.168 Ibidem, p. 338

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deux dimensions et sa sève transmet les messages qui, en permanence, sont émis de part et

d’autre. L’oiseau, messager du divin, a la faculté de passer d’un univers (la terre) à

l’autre(le firmament).

Des poissons169 sacrés évoluent tranquillement dans un cours d’eau à Dioussola.

Personne n’ose les pêcher. On leur donne plutôt à manger, en guise d’offrande rituelle.

C’est ce que fit Wangrin dès son arrivée dans la ville. La réaction appréciative des

« anciens du pays », qui s’en suit, dénote de leur foi, eux qui sont les gardiens du temple

animiste et, peut-être, futurs ancêtres mystiques.

Le lecteur peut noter la présence dans le récit de deux reptiles. Ninkinanka170,

« l’immense python du Mandé », qui serait à l’origine des lits des fleuves et rivières de la

sous région qu’il aurait excavés à l’aide de ses « trois cents soixante-cinq anneaux qui

composaient son immense squelette ». Ninkinanka est un animal mythique vecteur de bien

et de prospérité. En cela, il ressemble au légendaire serpent Bida du Wagadou171 qui, selon

la légende, assurait la richesse aurifère de l’empire du Ghana. Ce rapport du serpent totem

avec l’or nous renvoie au serpent du père de Camara Laye172, qui, selon le narrateur,

l’aidait, en l’inspirant, dans la transformation du métal précieux en bijoux.

Wangrin, dans sa série de déconvenues, tua accidentellement son « animal interdit ».

Il s’agit d’un python sacré qui était « à la fois l’interdit de son clan et le dieu protecteur du

pays qu’il traversait »173. Comme la mort de Bida, l’ « assassinat » de ce reptile entraînerait

infailliblement le malheur chez le fautif et dans la région. C’est par crainte de ces malheurs

potentiels que les anciens firent exécuter des sacrifices, aux frais de Wangrin.

D’autres types de reptiles vénérés existent dans le roman : des caïmans sacrés174. Dans

beaucoup de familles africaines il y a encore des reptiles sacrés. Des villes seraient placées

169 Ibidem, p.223.170 Ibidem, p. 12.171 Voir supra, page 21.172 LAYE, C., L’enfant Noir, Presses-Pocket, Paris, 1976 ;173 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.327.174 Ibidem, p. 27.

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Page 91: Memoire Fin Original

sous la protection de ces animaux. Ne parle-t-on pas de « Bar-Mboose », caïman protecteur

de Kaolack, au Sénégal ?

Le sanctuaire du dieu, nous l’avons dit plus haut, peut être un humain. C’est quelqu’un

doué de pouvoirs surnaturels. Il est sorcier. Et par le biais du masque, il incarne une divinité

bien définie. Le Komo, rappelons-le, est le dieu des forgerons. Seuls les maîtres de la forge

sont habilités à le manifester sur terre. A la naissance de Wangrin :

« Le dieu Komo sortit du bois sacré et vint s’exhiber dans la cour du père de Wangrin. C’était sa

manière de recevoir l’enfant au sein de la communauté »175.

Il s’agit d’un masque dansant du Komo. Il prédira exactement le destin de Wangrin.

Mis en communion spirituelle avec le dieu, par le biais du masque et des roulements du

tam-tam, le forgeron ne serait plus lui-même. Tout ce qu’il dirait serait la parole du dieu. Il

est dans une transe qui rappelle celle des « saltige » ou sorciers lors des « xoy »176 sérères

du Sénégal ou celle des « nganga » du Cameroun que le père Eric de Rosny177 a nous

décrits.

Les choses inertes peuvent contenir l’esprit du dieu, comme la petite pierre de

Wangrin.

« (Elle) symbolise le lien qui l’unissait à Gongoloma-Sooké »

175 Ibidem, p. 17.176 « xoy » : séance de prédiction organisée à la veille de chaque saison des pluies, regroupant dans le Sine (Sénégal) les plus grands saltige (sorciers-devins-guérisseurs) sérères.177DE ROSNY, E., Les yeux de ma chèvre, op. cit.

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Page 92: Memoire Fin Original

Il l’invoque à travers le minéral :

« O caillou ! Tu symbolises la première force du cosmos. Tu contiens du fer, lequel contient du feu.

Tu es, ô caillou, l’habitat de l’esprit de Gongoloma-Sooké, mon dieu protecteur (…) »178.

Le caillou, par sa dureté et sa contenance (fer et feu) est une force même s’il est inerte.

L’inertie n’est-elle pas elle-même une grande force ? Qui plus est, cette pierre, météorite

venant des confins intersidéraux, est un condensé, un synopsis de l’univers. Ainsi, rien

n’est plus à même de servir d’habitacle symbolique à un esprit divin, de la dimension de

Gongoloma-Sooké 

« le berger des étoiles (qu’il) faisait paître dans les plaines de l’espace sans fin et sans orientation. La

Voie lactée constituait le gros de son troupeau »179.

IV. LES ESPACES SACRES 

Le sacré, même s’il irradie toutes les activités humaines, n’en possède pas moins des

espaces spécifiques, réservés. Ces lieux sont entourés du même respect craintif que celui

178 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.256.179 Ibidem, p.20..

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Page 93: Memoire Fin Original

accordé aux puissances occultes censées les habiter. Toute transgression, toute omission ou

négligence des rites nécessaires pour y accéder est sanctionnée par les dieux.

Ces temples de la religion traditionnelle ne sont point perçus par les croyants de la

même manière que les fidèles des religions révélées perçoivent leurs mosquées et leurs

églises. Le plus souvent, ceux-là sont des lieux de magie opératoire – ils ont souvent un

aspect lugubre – où se pratiquent des sacrifices d’animaux, dont le sang coule sur le sol,

sur les objets sacrés. On frissonne en y entrant.

Plusieurs types de ces espaces religieux nous sont offerts dans L’étrange destin de

Wangrin…: la pièce ou chambre secrète, le bois sacré, les cours d’eau sacrés.

Un « thiè-so » est aménagé dans les maisons, par le chef de famille, pour les besoins

de leurs pratiques et conversations secrètes que ni femmes, ni enfants, ni autres indiscrets

ne doivent voir ou entendre. Ainsi, dès l’annonce de la naissance de son garçon, par la

vieille matrone chenue :

« Le père de Wangrin se précipita dans sa maison d'homme (l’auteur explique dan la note 7 : ''Maison

réservée au chef de famille où personne n'entre sans y être appelé. C'est en même temps un magasin et

parfois un autel aux mânes des ancêtres. ''). Il sortit un fétiche [...] »180.

Il y opère un rituel magique sur lequel nous nous attarderons dans la prochaine partie.

Wangrin aura un « thiè-so » dans chaque demeure qu’il aura au cours de ses

pérégrinations et affectations, comme à Bandiagara :

180 Ibidem, p. 16.

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Page 94: Memoire Fin Original

« La deuxième cour desservait le ''thiè-so'' ou maison d'homme de Wangrin (…). (Il) était composé de

plusieurs pièces : une grande salle de causerie, une salle de travail, une pièce secrète (la note 38 précise

: ''pièce où l'homme dépose ses fétiches et gris-gris ainsi que les canaris à philtre et tout ce qui touche à

l'occultisme'')»181.

La pièce secrète est le lieu ou se prépare et se mène le combat des forces occultes

manipulées par Wangrin et ses adversaires africains, au premier rang desquels se place

Romo Sibedi. Ce dernier, au lieu d’aller directement l’appréhender pour le mettre en prison,

fait un passage dans la sienne.

«  Une fois dans sa ''maison d'homme'', il déplaça son grand vase à eau et creusa la terre sous

l'emplacement du vase. Il déterra une boîte de plomb. Il l'ouvrit et en sortit une clef en cuivre de

fabrication africaine. Elle avait sept dents : deux en fer noir, deux en cuivre rouge, deux en argent et

une en or.

Il avança vers une porte se trouvant dans sa chambre et ouvrant dans une pièce plus secrète où il

entreposait ses fétiches.

Se servant de sa main gauche, il introduisit la clef dans la serrure en forme de statuette. De sa

main droite, il tira la porte dont le battant était fait de trois larges planches en bois de caïlcédrat et

pénétra dans la pièce, le dos tourné vers celle-ci. […]

Il sortit de la pièce de la même façon qu'il y était entré (...) »182.

Ici se manifeste tout un rituel d’approche du lieu sacré. Romo manipule une multitude

de symboles. Le grand vase à eau est signe de féminité et donc de fécondité. Ce que précise

l’auteur dans Aspects de la civilisation africaine : « la poterie est traditionnellement

réservée aux femmes, en raison du symbolisme féminin de tout ce qui est creux et, partant,

181 Ibidem, p. 53.182 Ibidem, p. 296-297 ;

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Page 95: Memoire Fin Original

récipient ». La clef enterrée dessous se charge de la vertu et de l’énergie féconde du vase.

La boîte de plomb, métal lourd et sombre, associée à l’enterrement de cette même boîte

constituent un signe complexe qui pourrait connoter une triple obscurité protégeant la

précieuse clef et par suite la pièce secrète, comme le fœtus dans l’utérus. Cette clef est en

cuivre, métal de la couleur du sang, de la vie. Elle compte sept dents. Le chiffre sept traduit

l’infinité. La nuit (« fer noir ») y coexiste avec le jour (« argent » : métal blanc), la vitalité

(« cuivre rouge ») avec la prospérité (« or »).

Le bouleversement de la norme en cours dans le monde (l’utilisation de la main

gauche pour ouvrir la porte et le fait d’entrer à reculons) semble indiquer que Romo, en

s’introduisant dans sa pièce secrète, accède à un autre univers, celui des forces occultes.

Outre ce sanctuaire personnel il existe le bois sacré qui est un lieu de culte collectif.

C’est le tabernacle des mânes des ancêtres. Chaque clan a son bois sacré et même parfois

chaque famille. Entre l’ancêtre et sa descendance existent des liens sanguins et affectifs très

forts. C’est pourquoi, l’Africain est plus enclin à le solliciter que d’invoquer les autres

forces. Cependant, le bois sacré est non seulement investi par les mânes ancestraux, mais

aussi par les autres divinités du village on l’apprend dans ce passage :

« Le dieu Komo sortit du bois sacré »183.

La visite de ce lieu doit être le premier acte de tout membre du clan de retour au

village après un voyage ou une longue absence. Malheureusement pour lui, Wangrin a

oublié de sacrifier à ce rituel. La joie des siens de le revoir et la fête organisée à l’occasion

de son retour ont entraîné cet oubli. Oubli qui lui sera fatal. Il le sait et en conçoit une

profonde angoisse. Aussitôt prend-il conscience de sa faute qu’il s’écrie pathétiquement :

183 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 17.

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Page 96: Memoire Fin Original

« Oh ! Anciens ! Vous et moi, nous avons tous fauté. Nous avons manqué au plus grand des

devoirs. Pour moi, avant de me mettre à l’ombre, avant de boire ou de manger quoi que ce soit, je

devais aller avant tout sacrifier au bois sacré. Et vous, vous deviez me rappeler à l’ordre.

Que va-t-il nous arriver à vous et à moi ? Comment réparer mon manquement ? ».184

Le ton du personnage est familier. Il est conscient de s’adresser à des humains auxquels

il est lié par le sang. La faute n’est pas individuelle. Les ancêtres, qui n’ont pas à temps

rappelé leur petit-fils à l’ordre, ont leur part de responsabilité. D’où l’emploi du pronom

personnel « nous ».

Il ne lui reste plus qu’à tenter d’apaiser la colère de ses ancêtres. C’est ce que «  le

maître du couteau »185 lui propose :

« Nous allons procéder, au bois sacré, à un sacrifice rétrospectif aux mânes des ancêtres pour atténuer

nos fautes »186.

Même le prêtre ou « maître du couteau » fait partie des fautifs. En fait, l’individu isolé

n’existe pas. Tout succès est collectif, c’est aussi le résultat du travail de la mère et des

prières des parents et anciens. Tout échec, toute faute le sont également. Et la punition qui

en découlerait serait subie non pas seulement par le fautif au premier chef, mais par la

communauté entière. L’auteur précise cette singulière vision du monde dans la note 237 ,

suite à la mort accidentelle, sous les pneus de la torpédo de Wangrin, d’un serpent-dassiri  :

184 Ibidem, p. 323.185 Dans la note 234 l’auteur explique : « Maître du couteau : prêtre et sacrificateur en chef d’une localité dans la tradition animiste de l’Afrique occidentale. »186BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 324.

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Page 97: Memoire Fin Original

''Le dassiri est un animal consacré, protecteur d'un lieu déterminé, qu'il ne faut jamais tuer sous peine

de détruire l'alliance conclue entre l'ancêtre fondateur du village et l'animal protecteur, et d'attirer des

malheurs sur la région''187.

Donc, cette erreur de Wangrin pourrait être fatale pour toute la région.

Mais le « sacrifice rétrospectif » sera un échec, car

« sur trois poulets et sept noix de cola offerts rituellement, les mânes des ancêtres n’acceptèrent qu’une

moitié de noix de cola »188.

La colère des ancêtres ne s’apaisera pas puisque que le destin de Wangrin doit

inéluctablement s’accomplir.

Le bois sacré occupe donc une place centrale dans le culte animiste. Temple,

cathédrale de verdure, lieu naturel, c’est la résidence terrestre des dieux et des ancêtres

sacralisés. « Forclos à tout rire de femme et à tout sourire qui se fane »189, il est pourtant

proche et facilement accessible voire familier aux humains et aux animaux, contrairement

aux lieux de culte des religions révélées faits de pierres, de ciment et défendus par de

lourdes portes en bois ou métal. Il passe avant tous les espaces sacrés. C’est pourquoi,

comme nous venons de le voir, tout membre de la communauté, avant de prendre du répit,

après un voyage, doit s’y recueillir.

D’autres sanctuaires naturels existent. Ce sont les cours et étendues d’eau : les rivières,

marigots, fleuves, lacs et même l’océan. Au Sénégal, chaque localité du littoral atlantique a

son dieu tutélaire, résidant, avec sa famille, dans l’onde salée : Dëk Daur à Saint-Louis, 187 Ibidem, p. 378 ;188 Ibidem, p. 324..189 SENGHOR, Léopold Sédar, « Prière aux masques » in Chants d’Ombre, Paris, Seuil, 1945.

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Page 98: Memoire Fin Original

Njare Njëw à Yoff, Kumba Lamb à Rufisque, Mama Ngeej à Joal, etc. Les agglomérations

urbaines et villages riverains de fleuves ou de lacs ont aussi leurs esprits d’eaux.

Dans L’étrange destin de Wangrin… il est fait état notamment de ''Mare aux

caïmans sacrés'' » à Diagaramba appelée « Iwaldo »190 , de «  cours d'eau sacré qui

traversait la ville » de Dioussola191. Ces eaux sont sacrées du fait de leur contenu : caïmans,

pythons ou boas (« dassiri »), poissons. Animaux qui sont l’incarnation des ancêtres ou des

esprits. La sacralité des eaux est donc un transfert symbolique : le résident rend respectable

et vénérable la résidence. Ce principe ne s’applique point au bois sacré et à la pièce secrète.

Ces temples sont par eux-mêmes des sanctuaires du fait du choix délibéré des croyants, de

l’intentionnalité qui a présidé à ce choix et des autels qui y sont installés, dressés, pour

communiquer voire communier avec les forces transcendantes.

V. LE CULTE ET LES RITES TRADITIONNELS 

La religion traditionnelle a son propre mode d’adoration des puissances spirituelles.

Le croyant cherche à atteindre la déité ciblée et à la faire agir ou réagir en sa faveur. La

spiritualité africaine n’est pas une mystique, une simple recherche de Dieu pour la paix de

l’âme, la béatitude ou l’extase. Ce n’est ni une sorte de soufisme ni de gnosticisme. Le

nirvana, le zen bouddhiste y est totalement ignoré, de même que le paradis et l’enfer des

religions révélées. Mais la survivance de l’âme après l’extinction du corps est une donnée

importante de la religion traditionnelle africaine comme l’évoque le poète Birago Diop : 

190 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 27.191Ibidem, p.223 ;

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Page 99: Memoire Fin Original

 « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis

Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit,

Les morts ne sont pas sous la terre.

Ils sont dans l'arbre qui frémit,

Ils sont dans le bois qui gémit,

Ils sont dans l'eau qui coule,

Ils sont dans l'eau qui dort,

Ils sont dans la case, ils sont dans la foule.

Les morts ne sont pas morts »192 .

Les morts seraient même capables de venir en aide aux vivants ; c’est le cas des

mânes des ancêtres. Wangrin leur adresse cette prière (la prière est le premier mode

d’adoration et de vénération) :

« O mânes des miens ancêtres, vous qui êtes au royaume des forces, venez une fois de plus à mon

secours.

« Dans mes veines court votre sang. Il a coulé de vos artères dans celles de mon père, puis dans

les miennes. Digne ou indigne, je suis de vous.

192 DIOP, Birago, Leurres et Lueurs, Présence Africaine, Paris,1960.

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Page 100: Memoire Fin Original

« Soufflez en moi la vertu qui permet au caméléon de changer constamment ses couleurs selon

l’ambiance afin de passer inaperçu.

« Insufflez en moi la douceur et la tendresse de l’agneau qui me permettront de plaire à tous et de

mieux réaliser mes affaires.

« Mais aussi, grands ancêtres ! guerriers farouches ! armez-moi des griffes du lion et du léopard

afin que je puisse déchirer sans pitié et sans quartier ceux qui se mettraient en travers de ma route et

qui chercheraient à faire dévier le cours de mes gains vers une caisse autre que la mienne… »193.

De la même manière, Senghor adresse une prière à ses ancêtres dans son poème

intitulé « Prière aux Masques »194. Comme Wangrin qui rappelle de prime abord les liens de

sang qui l’unissent à ses ancêtres (« Dans mes veines court votre sang. Il a coulé de vos

artères dans celles de mon père, puis dans les miennes ») le poète Senghor déclame :

« Vous distillez cet air d’éternité où je respire l’air de mes pères ».

Dans les deux cas la prière suit un schéma classique : les louanges dithyrambiques,

l’expression des besoins et une chute ou clausule (les trois points de suspensions montrent

que l’auteur a élidé celle-ci).

La prière de Wangrin révèle que la religiosité africaine traditionnelle est vitaliste.

Dans sa confrontation avec le sacré, l’Africain vise à puiser dans la force transcendante de

quoi renforcer sa vitalité ; ce qui lui permet d’être plus fort que ses ennemis et de maîtriser

son destin, qu’il envisage désormais sous un angle optimiste. Une telle attitude relève de la

magie, selon Bergson195.

Les rituels religieux sont pratiqués à toute occasion importante : naissance,

funérailles, mariage, circoncision, semailles, fêtes des récoltes, jeux gymniques, etc.

193 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 231.194 SENGHOR, Léopold Sédar, « Prière aux masques » in Chants d’Ombre, Seuil, Paris, 1945.195 BERGSON, H., Les deux Sources de la morale et de la religion, op. cit.

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Page 101: Memoire Fin Original

En effet, la naissance du héros de L’étrange destin de Wangrin… est l’occasion

d’invocations de Nyakuruba, la déesse de l’accouchement, et par la matrone et par le père

de Wangrin, avant que ce dernier ne sectionne le cordon ombilical (voir pages 14 à 17). La

danse du masque du dieu Komo, qui est un initié forgeron, au rythme du tam-tam souhaite

la bienvenue au nouveau-né, dans le monde des vivants. Cela ressemble à un baptême

mystique.

La circoncision (ou l’excision) est en elle-même un culte. Elle permet de différencier

symboliquement les sexes mâles et femelles. De ce fait, l’Homme entre en résonance avec

l’harmonie naturelle. Aux garçons, après la coupure du prépuce, sont enseignées les valeurs

viriles. Aux filles, après l’excision, les principes de la féminité. Wangrin ne sera pleinement

homme qu’après sa circoncision :

« Son père en profita pour le faire circoncire et initier au dieu Komo, ce qui lui conférait le statut

d’homme. Dès lors, son père accepta de traiter en sa présence de problèmes secrets ou intimes, et parla

clairement devant lui du symbolisme des masques, de la sexualité, etc. »196.

Un dieu patronne la circoncision, c’est le Komo, représenté par le Sema197, maître du

couteau. Cet initié forgeron opère sur les plans physique et mystique : avec son couteau il

opère et ensuite initie au Komo.

Le sacrifice est une pratique centrale dans le culte traditionnel et d’ailleurs de la

plupart des autres religions. Son étymologie latine « sacrificium »198 est une contraction

de » sacer », sacré, et « facere », faire ; ce qui signifie : action de faire une œuvre sacrée.

Le Dictionnaire Le Robert définit ainsi le sacrifice :

196 BA, A.H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 19.197 Ibidem, p. 22.198 Dictionnaire Le Littré

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Page 102: Memoire Fin Original

« Offrande rituelle à la divinité, caractérisée par la destruction (immolation réelle ou symbolique d’une

victime, holocauste) ou l’abandon volontaire (oblation des prémices) de la chose offerte».

Le sacrifice n’est donc pas uniquement l’immolation d’une hostie ou victime. Il peut

consister en l’offrande, l’oblation de biens matériels, d’aliments, etc.

Selon Bergson, il a deux fonctions : « acheter la faveur du dieu et à détourner sa

colère »199. C’est dans cette optique qu’elle précède et accompagne la prière.

« On sert toujours à boire à l’âme de l’ancêtre avant de lui poser une question ou de lui demander un

service »200, dit Amadou Hampâté Bâ.

Plusieurs fois Wangrin effectua des sacrifices à son dieu Gongoloma-Sooké, à ses

ancêtres, aux poissons sacrés…pour réaliser ses ambitions. Il immola poulets, bœufs,

moutons. Il offrit des noix de cola, de la nourriture aux nécessiteux. Quand il eut énervé les

mânes de ses ancêtres, tué le python sacré, il fit des sacrifices pour apaiser ancêtres et

dieux.

Pratique cultuelle, le sacrifice est aussi magique dans sa visée, nous reviendrons sur ce

point.

*************

199 BERGSON, H., Les deux Sources de la morale et de la religion, op. cit.200 BA, A.H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p.118.

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Page 103: Memoire Fin Original

En résumé, L’étrange destin de Wangrin… est assurément, comme le veut Xavier

Garnier201, un roman spiritualiste. Trois traditions religieuses s’y côtoient et marquent de

part en part la vie, l’itinéraire, la mentalité et les actes des personnages.

La religion africaine traditionnelle est improprement appelée animisme : ce terme,

nous l’avons vu, ne reflétant pas toutes ses réalités et tous ses aspects. A l’instar de

l’hindouisme, c’est plutôt un polythéisme.

Elle occupe une place de choix dans L’étrange destin de Wangrin… en raison de ses

survivances et du fort conservatisme du peuple bambara, auquel appartient le héros. Elle

cohabite sans heurts avec l’islam dans un harmonieux syncrétisme que rien ne semble

offusquer.

Cependant, comme l’islam, elle est très souvent liée, dans son observance locale, à la

magie.

201 GARNIER, Xavier, La magie dans le roman africain, op. cit.

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Page 104: Memoire Fin Original

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Page 105: Memoire Fin Original

TROISIEME PARTIE : LA MAGIE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

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Page 106: Memoire Fin Original

Le récit de la vie de Wangrin qu’entreprend Amadou H. Bâ, alias Amkoulel, disciple

du célèbre conteur Koulel, nous fait explorer un monde pittoresque et captivant où des faits

ordinaires côtoient des pratiques bizarres qui interpellent et cherchent à faire intervenir des

forces, des êtres supranaturels. Le monde terrestre, connu, semble se doubler d’une

dimension éthérée, impalpable. Celle-ci semble receler un univers immense, aux

potentialités infinies.

Cet aspect irrationnel du roman est le reflet de la vie locale. La magie fait partie

intégrante de l’existence africaine. Rien ne semble pouvoir changer cet état de fait. Ni les

siècles de colonisation et d’assimilation à la culture occidentale, ni la modernité post

indépendance avec ses écoles et universités et ses nouvelles technologies, n’ont pu rendre

l’Africain totalement rationnel et matérialiste. Sous le vernis de la modernité se cache un

fond prélogique.

La magie se rencontre presque à chaque détour de page. Elle s’intègre et s’harmonise

avec les rites religieux. Ce qui est religieux est magique dans le procédé ou dans

l’intentionnalité et ce qui est magique est sacré en participant de la spiritualité. Il

conviendrait toutefois d’interroger ce concept de magie qui informe la religiosité des

personnages du roman, avant d’en analyser la plastique et les fonctions.

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Page 107: Memoire Fin Original

CHAPITRE PREMIER : DE LA NOTION DE

MAGIE 

I. DEFINITION DU CONCEPT DE MAGIE

Selon le Dictionnaire Le Robert la magie est

«  L’art de produire, par des procédés occultes, des phénomènes inexplicables ou qui semblent tels ».

Une telle définition cadre plus avec ce qu’on pourrait appeler la magie de cirque ou magie-

spectacle. La magie est souvent conçue comme une technique sibylline par laquelle un

adroit manipulateur parvient à produire des tours surprenants, devant un public ébaubi.

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Page 108: Memoire Fin Original

La conception de Marie-Line Bretin est plus en concordance avec la présente étude.

Selon elle :

« La magie est la croyance en la possibilité d’agir sur la réalité matérielle et d’obtenir un résultat en

court-circuitant les voies et les moyens rationnels ou alors même qu’il n’existe pas de voie ou de

moyen rationnel pour obtenir ce résultat. La magie intervient lorsque la technique et la connaissance

rationnelle sont insuffisantes, dangereuses ou interdites»202.  

Le terme « magie » est défini moins comme une technique et des effets que comme la

manifestation d'une « croyance », d'une attitude mentale.

La magie est une mentalité particulière, un mode singulier d’appréhension du réel.

L’approche des circonstances, des événements, leur interprétation ne relèvent plus d’une

posture purement rationnelle. Les effets physiques ne découleraient plus d’une causalité

naturelle. L’agir a besoin toujours d’un pilier de soutènement occulte. C’est pourquoi,

explique Mme Bretin,  le croyant (doté d’une conscience religieuse) ne se limite point aux

moyens rationnels ou profanes pour réaliser ce qu’il désire, « il leur adjoint une prière ou

un procédé magique, un rite sacré qui, à ses yeux, seront aussi déterminants que les

techniques rationnelles » perçues comme insuffisantes, peu fiables, aux résultats aléatoires.

Certains anthropologues emploient le concept de pensée magique 203 pour traduire une

telle philosophie de l’existence, autre forme de rationalité à côté de la science selon Lévi-

Strauss :

« La pensée magique, cette “gigantesque variation sur le thème du principe de causalité’’, disaient

Hubert et Mauss, se distingue moins de la science par l’ignorance ou le dédain du déterminisme que

202BRETIN, Marie-Line, Cours de philosophie, op. cit.203 A ce propos, voir : LEVY-BRUHL, Lucien, La Mentalité primitive, Alcan, 1922.

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Page 109: Memoire Fin Original

par une exigence de déterminisme plus impérieuse et plus intransigeante, et que la science peut, tout au

plus, juger déraisonnable et précipitée. Entre magie et science, la différence première serait donc, de ce

point de vue, que l’une postule un déterminisme global et intégral, tandis que l’autre opère en

distinguant des niveaux dont certains, seulement, admettent des formes de déterminisme tenues pour

inapplicables à d’autres niveaux.»204

La pensée magique se pose donc comme une forme d’approche du réel, qui, même si

elle est différente de la démarche scientifique, a ses propres critères qui s’avèrent

satisfaisants à ceux qui la vivent. L’important, c’est de comprendre et d’expliquer les

phénomènes de la vie. Si la science se donne des limites, la magie quant à elle puise ses

ressources et arguments aussi bien dans le réel que dans l’inconnu ou le surnaturel.

II. LE RAPPORT ENTRE LA MAGIE ET LA

RELIGION

La magie serait la première forme de religion, d’après Frazer205. Cependant, elle

subsiste dans et avec toutes les religions, mêmes les plus récentes, c’est le revers de la

médaille religieuse. La religion est par excellence un champ d’occultation du réel. Elle est

une navette qui fait explorer un univers mystérieux. De fait, le mystère est le matériau de

base de la religion qui actualise, dans ses prières et rites, cette philosophie irrationnelle

qu’est la pensée magique.

204 LEVI-STRAUSS, C., La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 23 205 FRAZER, Le Rameau d'or, Paris, Robert Laffont, 1890.

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Page 110: Memoire Fin Original

Le passage suivant de l’ouvrage, de Marie-Line Bretin est suffisamment explicite à

ce propos :

« Celui qui prie […] est à la recherche d’un pouvoir qui n’est pas celui des voies profanes, que

sont la science et la technique. Ce pouvoir provient, comme celui de la magie, d’une source

mystérieuse, souvent entièrement concentrée dans le personnage d’un Dieu. Elle peut aussi être déjà

plus diluée, répartie dans plusieurs dieux, chacun ayant ses spécialités. […] En priant, le croyant ne fait

rien d’autre que de participer à un rite magique, dans lequel la puissance mystérieuse, entièrement

dévolue au divin, peut cependant être médiatiquement au service de telle ou telle intention du

croyant. […] Le paysan qui, en semant, adresse une prière à la puissance divine, adjoint à son savoir-

faire profane un rituel religieux de nature magique, afin de renforcer les effets de la technique

profane»206.

De surcroît, les doctrines religieuses, fournissent aux croyances et pratiques magiques

une idéologie clairement documentée (divinité, anges, démons, …) sur laquelle elles

peuvent s'appuyer. On retrouve également des symboles, écrits et accessoires religieux

parmi l’attirail du magicien, sorcier, marabout : talismans, amulettes, grigris, fétiches,

chapelets, etc.

Ainsi la différence n’est pas aussi nette qu’on pourrait le croire entre la magie et la

religion. Les deux relèvent d’une même vision, d’un mode particulier d’appréhension du

réel : la pensée magique – creuset de l’intuition et de l’émotion, donc de l’irrationnel.

********

Nous ne nous attarderons pas sur les jugements de valeur en rapport avec la magie,

lorsque qu’on juge, par exemple, la pratique magique d’après l’intentionnalité du praticien :

206 BRETIN, Marie-Line, op. cit.

110

Page 111: Memoire Fin Original

magie noire ou goétie et magie blanche ou théurgie. En Afrique, le sorcier, marabout ou

guérisseur, selon les impératifs de l’instant, peut faire du bien ou punir sévèrement, il peut

guérir et tuer ensuite ou en même temps (le meurtre peut être la condition de la guérison du

patient “ensorcelé’’). Les forces surnaturelles ne sont pas distinguées en Afrique

traditionnelle en esprits du bien et en démons. Comme dans l’être humain, en chaque

divinité ou esprit cohabitent le bien et le mal.

Nous ne nous arrêterons pas davantage sur le débat portant sur la réalité de la magie

Pour expliquer l’efficacité des pratiques magiques, telles que les guérisons miraculeuses,

Hubert et Mauss avancent le concept de mana207, qui serait un fluide et un potentiel produits

inconsciemment par la société qui croit à la magie. Les effets de la magie seraient, d’après

eux, à rapporter à une hystérie collective.

Notre propos sera, dans les lignes qui suivent, d’interroger la présence de faits

magiques dans une œuvre littéraire : L’étrange destin de Wangrin…. Il s’agira de voir

comment ils servent l’intrigue et le mode d’écriture.

207 Terme mélanésien.

111

Page 112: Memoire Fin Original

CHAPITRE DEUX : PENSEE MAGIQUE ET PRATIQUES MAGIQUES DANS LE ROMAN

112

Page 113: Memoire Fin Original

Nous nous conformons à l’acception de la notion de pensée magique208, telle que

formulée par Lévi-Strauss (voir supra) : mode particulier d’interprétation du monde, qui se

distingue de la rationalité scientifique. Si pour la science, le champ d’explication causal se

circonscrit au monde visible, pour la pensée magique les véritables causes se situent au

plan invisible, surréel. L’Africain, « croyant né » comme dit A. Hampâté Bâ, soupçonne

toujours derrière le donné le caché. Tout lui parle dans le monde. Ces vers de Baudelaire

traduisent son état d’esprit :

« La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers une forêt de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers»209.

Tout est donc signe et symbole dans l’univers africain. Rien n’est fortuit. Des forces

tapies dans les tréfonds de la surnature tirent les ficelles de la vie et font jouer les

circonstances et événements. Cela infère chez le croyant une attitude superstitieuse.

Attitude superstitieuse notée chez la plupart des personnages de L’étrange destin de

Wangrin.

208 Les psychologues et psychanalystes ont une autre définition de la pensée magique : « Dans leur monde imaginaire, les enfants se donnent l'illusion d'un pouvoir magique. Ce mode de pensée marque, selon Sigmund Freud, une étape indispensable à notre développement : le moyen d'accepter les dures lois de l'existence, à commencer par la conscience de notre impuissance, et l'interdit de certains désirs.  » (cf. http://www.scienceshumaines.com/obsession-et-pensee-magique_fr_2968.html (30/08/2010. 11H 50) ; “La pensée magique est une expression qui désigne la croyance que certaines pensées pourraient provoquer l'accomplissement des désirs ou empêcher des événements ou des problèmes. Ce type de pensée est traité par la médecine comme un symptôme d'immaturité (ce type de pensées existe dans l'enfance) ou de déséquilibre psychologique. ». (Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Pens%C3%A9e_magique 30/08/10 11H 55).

209BAUDELAIRE, Charles, Les fleurs du mal, Presses de la Renaissance, 1979

113

Page 114: Memoire Fin Original

I. LA SUPERSTITION :

La superstition est une forme de pensée magique.

« Elle désigne la croyance que certains actes ont toujours une conséquence positive ou négative, que

certains objets, animaux ou personnes portent systématiquement bonheur ou malheur, que certains

phénomènes sont des présages automatiquement suspicieux ou funestes, et ce pour des raisons que la

personne superstitieuse ne saurait expliquer, ou pour des raisons considérées comme irrationnelles »210.

Les superstitions sont conçues et partagées par le milieu social. Elles sont spécifiques

à chaque culture. D’ailleurs toutes les civilisations, même les plus avancées

scientifiquement et technologiquement, en comptent des dizaines. On note chez les

Européens la crainte du nombre 13, l’interdiction d’ouvrir un parapluie dans un bâtiment

couvert, etc.

Dans L’étrange destin de Wangrin…, les augures et présages sont multiples, ainsi que

les interdits et tabous.

Au début du roman, la nature par sa chaleur torride, augure de la naissance d’un

garçon. La chaleur est signe de virilité et son contraire, la fraîcheur, symbole de féminité.

Elle était particulière le jour de la venue au monde du héros :

210 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Superstition

114

Page 115: Memoire Fin Original

« C’était l’époque la plus chaude de l’année, et il faisait plus chaud, ce dimanche-là, qu’en aucun des

jours précédents»211.

Un homme comme Wangrin, au destin exceptionnel, ne pouvait naître incognito. La

nature elle-même, porte-parole des dieux se devait de signaler aux vivants la survenue de

cet événement. Comme ce fut le cas des héros légendaires tels que Soundjata. Ce présage

est suggéré par le narrateur, comme pour avertir le lecteur africain qui est au fait des

superstitions locales.

Ce même narrateur intervient directement dans le récit pour expliquer, sans doute à un

lecteur non africain, la notion de présage telle qu’elle est vécue en Afrique. Wangrin revient

de la province de feu Brildji, après avoir habilement manœuvré les parties en conflit pour la

succession de ce dernier, et s’être beaucoup enrichi.

« Au moment où Wangrin passait non loin de la rôtisserie, située à quelques pas de l’abattoir, il trouva

une nuée de vautours perchés sur la terrasse du hangar de la boucherie. A son approche, les rapaces

s’envolèrent en battant lourdement des ailes. Ils allèrent se poser, dispersés, sur les grands caïlcédrats

plantés tout autour de la résidence.

Wangrin vit là un avertissement. En dépit de son courage léonin, Wangrin, comme d’ailleurs tous les

Africains de son époque, croyait fermement aux présages tirés des événements. Le hasard ou

l’événement fortuit n’existait pas dans son esprit. Tant pis pour celui qui refuse de se mettre à l’écoute

des avertissements que les forces supérieures, qui gouvernent l’univers, donnent parfois sans paroles

audibles… »212.

211 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 13.212 Ibidem, p. 186.

115

Page 116: Memoire Fin Original

L’objet ou signifiant du mauvais présage ce sont des oiseaux d’un certain type : des

rapaces, des vautours, volatiles noirs, au cou et à la tête nus et dévoreurs de cadavres. Dans

l’imaginaire populaire, ils représentent le mal.

D’ailleurs dans la mythologie grecque, selon le dictionnaire Le Littré, c’est cet oiseau

qui « rongeait éternellement le foie de Prométhée, et qui est devenu l'emblème des remords

et des soucis »213.

Ces vautours que Wangrin croisa sur sa route sont donc annonciateurs de soucis voire

de problèmes majeurs. Le déplacement des vautours de «la terrasse du hangar de la

boucherie » vers « les grands caïlcédrats plantés tout autour de la résidence » (du

commandant de cercle, sans doute) est un message qui signifie clairement d’où viendraient

les problèmes annoncés. Le caïlcédrat n’est pas un arbre ordinaire, c’est la résidence des

esprits, selon Hampâté Bâ (cf. note 225, page 378 du roman). Le choix des caïlcédrats par

les vautours comme perchoir montre l’implication des « forces supérieures, qui gouvernent

l’univers », ce qui rend cette annonce encore plus sérieuse.

N’tubanin-kan-fin, la tourterelle au cou à demi cerclé de noir, est également pour

Wangrin un « oiseau de mauvais augure ». Cela rappelle les augures de Rome antique, qui

étaient des devins « dont la charge était de tirer des présages du vol et du chant des

oiseaux »214.

« Wangrin leva la tête. Ses yeux aperçurent l’oiseau juste au moment où il s’envolait de son perchoir

pour aller se poser sur le côté gauche de la route. […] Hélas ! C’était là l’oiseau fatidique que Wangrin

ne devait pas voir dans ces conditions, et moins encore entendre crier sept fois. »215   

213 Dictionnaire le Littré,op. cit.214 ibidem215BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 338.

116

Page 117: Memoire Fin Original

Le symbolisme de la gauche est évident dans cet extrait. Chez les Romains de

l’Antiquité, « si le vol de l’oiseau passait à droite de l'observateur (dexter), les dieux étaient

favorables ; s'il passait à sa gauche, sinister (qui a donné notre mot « sinistre »), les dieux

étaient défavorables »216.

L’itération du message des dieux se traduit par la reprise des cris de la tourterelle et le

chiffre sept. Sept est un chiffre mystique signifiant ce qui est innombrable, incomptable.

Ainsi l’avertissement a un caractère à la fois pressant et strident. L’annonce de la punition

devient elle-même punition en ce sens qu’elle perturbe la tranquillité du destinataire du

message. Et cela, d’autant plus que le présage a été prédit, il y a longtemps de cela, comme

devant sonner le glas de la richesse de Wangrin. Son effet a été immédiat :

« Wangrin se sentit inondé par une sueur abondante et moite sortant de tous les pores de sa peau. Une

crispation involontaire le raidit du sommet de son crâne à son tendon d’Achille »217.

Lorsque la pensée magique est profondément incrustée dans le subconscient, elle

produit des effets psychosomatiques. C’est une force possessive qui guide pensées et actes,

provoquant des désordres psychomoteurs mais aussi des guérisons miraculeuses. C’est en

elle que se fonde, en bonne partie, le pouvoir des sorciers, guérisseurs et marabouts.

D’autres présages et augures peuvent être relevés. Nous avons parlé au chapitre réservé

à la religion islamique de l’appel du muezzin conçu comme de bon augure lorsqu’elle

souligne la fin d’une parole ou la coupe.

Le héros, Wangrin, et beaucoup d’autres personnages du roman sont donc

superstitieux. Les superstitions ne leur sont pas propres. Elles sont le produit de

l’inconscient collectif, de leur culture. N’importe quoi n’est admis comme présage ou

216 Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Augure217BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 338.

117

Page 118: Memoire Fin Original

augure. Il existe un symbolisme constitué de signes conventionnels. L’interprétation du

code dépend du niveau intellectuel, de l’âge, à savoir du degré d’initiation de la personne.

Et Wangrin est un grand initié et maître chasseur. Et comme l’affirme l’auteur :

« Tous les chasseurs initiés savent que la tourterelle est la messagère des dieux de la brousse. Aussi,

dès qu’elle lance son premier cri, le chasseur cesse-t-il toute action pour se mettre attentivement à

l’écoute. En même temps, il cherche à voir l’oiseau pour l’identifier, le situer dans l’espace, voir quels

sont sa taille, sa livrée, la nature de son perchoir et la trajectoire de son vol … »218 .

Mais les présages ne mettent-ils pas en question le libre arbitre, la liberté de choix et

d’action de l’homme ? Ils participent d’une rationalité d’ensemble qui tisse l’intrigue du

roman d’Hampâté Bâ, dont le pivot est la notion de destin.

II. MAGIE ET DESTIN

L’étrange destin de Wangrin… est un roman à structure circulaire. Le lecteur n’est

jamais surpris par ce qui arrive, par les événements et péripéties. Ce mode d’écriture peut

se révéler intéressant pour le lecteur. En effet, selon Amina A. Bekkat :

218 Ibidem, p.339.

118

Page 119: Memoire Fin Original

« Le lecteur déjà informé de la suite des événements peut alors faire des haltes et réfléchir sur

l’histoire elle-même, comme l’invitent à le faire les autre éléments de la tradition orale, déposés çà et

là et qui peuvent paraître comme des expansions ou des résumés des actions : les paraboles et les

proverbes »219.

A. LA PREDESTINATION DE LA VIE DE WANGRIN

Dès le début, une prophétie fixe l’avenir, la fin du héros ; ainsi, dès sa naissance :

« Le Komo annonça au père que son fils se singulariserait et brillerait dans la vie, mais qu’il n’avait

point vu sa tombe au cimetière de ses ancêtres. Cette prédiction laissait entendre que Wangrin mourrait

à l’étranger, loin du pays natal »220.

Une seconde prédiction, plus détaillée, est faite des années plus tard, à l’occasion de

l’initiation du jeune Wangrin, rappelant et confirmant celle-là. Le même dieu, le Komo,

incarné par un maitre-initié forgeron, en serait l’inspirateur :

« Lorsque Wangrin avait été initié au Komo après sa circoncision, son Sema (surveillant des jeunes

circoncis), Numu-Sama, qui avait dressé le thème géomantique de tous les circoncis, lui avait déclaré :

« Toi, mon cadet, tu réussiras dans ta vie (…). Je ne connais pas ta fin, mais ton étoile commencera à

219 BEKKAT, Amina A., « L’Etrange destin de Wangrin ou les roueries d’un auteur africain », Revue sur les cultures et littératures nationales d’expression française, Alliance française de Lecce, 2003220 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 17.

119

Page 120: Memoire Fin Original

pâlir le jour où N’tubanin-kan-fin, la tourterelle au cou cerclé à demi d’une bande noire, se posera sur

une branche morte d’un kapokier en fleur et roucoulera par sept cris saccadés, puis s’envolera de la

branche pour se poser à terre, sur le côté gauche de ta route. A partir de ce moment tu deviendras

vulnérable et facilement à la merci de tes ennemis ou d’une guigne implacable»221.

Le récit qui suit cette voyance est un ensemble d’indices, de signes, dont l’addition

figure le destin « étrange » du héros, tel que tracé par le dieu Komo. Rien ne pourra faire

dévier le destin de Wangrin de sa trajectoire immuable en deux parties : une phase

ascendante et une phase descendante.

En pleine montée en puissance, ou en fortune, les agissements ouverts ou occultes de

ses ennemis, de quelque bord qu’ils soient (les Noirs ou les chefs blancs), si puissants

soient-ils, n’ont aucun effet sur Wangrin et sur ses intérêts. Mais quand son destin a décidé

de descendre l’autre versant de la montagne, aucun sacrifice, aucune prière de la part du

protégé de Gongoloma-Sooké et de ses marabouts, sorciers ou occultistes, ne peuvent le

stopper.

Pourtant, la connaissance de son avenir n’empêche pas Wangrin de recourir

fréquemment à des magiciens pour parvenir à ses fins. Il agit comme quelqu’un de

totalement libre, dont l’existence n’a pas été prédéterminée.

«C’est qu’il (le destin), dit Xavier Garnier, existe dans un temps qui ne connaît pas le présent. Il est

toujours soit avant (en tant que prédit) soit après (en tant qu’accompli)»222.

221 Ibidem, p. 22.222 GARNIER, Xavier, La magie dans le roman africain, op. cit.

120

Page 121: Memoire Fin Original

La liberté de Wangrin résidera dans l’oubli de son destin. Il ne se le rappellera

qu’après coup, lorsqu’il se réalisera et le transformera en une loque humaine. L’auteur, qui

lui survivra, confirmera sa mort loin de son pays natal, comme prophétisée par le Komo.

Donc, Wangrin, même s’il croit aux mystères de la religion de ses ancêtres, agit en

toute liberté, quand bien même sa destinée est toute tracée, usant de ruses et de pratiques

magiques.

B. PREDICTIONS ET ITINERAIRE DE WANGRIN 

La première des pratiques magiques, la voyance, intervient comme signal d’alerte,

adjuvant et balise à la magie opératoire et à l’action du héros.

Ayant appris que « la France est à la veille d’entrer en guerre contre l’Allemagne qui

vient de violer la neutralité de la Belgique »223Wangrin, accompagné de son ami et père

adoptif Abougui Mansou, consulte le marabout Tierno Siddi, écoutons-le :

« Nous sommes venus te voir afin que tu consultes l’oracle et nous dises s’il y aura ou non la guerre et

si notre bonheur personnel comme celui de notre ville ne sont pas menacés»224.

223 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 58.224 Ibidem, p. 59.

121

Page 122: Memoire Fin Original

Pour consulter l’oracle, le marabout les invite à l’accompagner dans son

« worwordu », équivalent, chez les Peuls, du « thiè-so » bambara, dont nous avons parlé

plus haut. Cet antre isolé et secret sera plus propice à la manifestation des forces occultes,

qui seront interrogées par le marabout.

Arrêtons-nous un instant sur cette figure. Le marabout apparaît avec l’islamisation des

peuples africains. C’est un érudit musulman. Sa vaste connaissance de la religion islamique

en fait un enseignant, parfois un imam. Mais le marabout, c’est aussi et surtout un expert en

sciences occultes, sondeur de l’invisible. C’est pourquoi, selon Bassirou Dieng, il est

«intercesseur des hommes près des forces invisibles »225 . En cela, il occupe la place du

sorcier et du guérisseur.

Le marabout sait manier avec aisance aussi bien les symboles traditionnels que ceux

islamiques. Qui plus est, précise Bassirou Dieng :

« C’est autour de ce noyau (le marabout) que s’élaborent les motifs privilégiant un syncrétisme ou telle

forme particulière de croyance traditionnelle »226.

Ainsi, Tierno Siddi trace des « signes cabalistiques » (dixit l’auteur) sur une tablette

en cuivre, comme le « vieux géomancien haoussa »227sur du sable. Tous deux se

concentrent intensément afin de les déchiffrer. Seulement, le premier use de clefs de

décodage islamiques : il parle d’anges, dont il donne les noms arabes, du prophète

« Seydina Issa » (Jésus), d’Allah.

De la longue prophétie de Tierno Siddi, retenons ce passage :

225 DIENG, B., Société wolof et discours du pouvoir, op. cit., p. 113226 Ibidem, p. 114.227 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 312.

122

Page 123: Memoire Fin Original

« Quant à toi, Wangrin, tu n’iras pas à la guerre, et tu verras sa fin. Elle sera pour toi l’occasion de

gagner beaucoup d’argent »228.

L’ambitieux Wangrin, mis ainsi en confiance, fait des offrandes somptueuses au

marabout. Désormais, rien ne l’arrêtera. Son acolyte, Abougui Mansou, et lui mettent en

place un habile système de détournement et de trafic de bovins. La négligence du sous-

commandant de Villermoz permet à Wangrin de majorer les quantités de bêtes

réquisitionnées pour l’effort de guerre.

Ainsi, la magie agit comme facteur de renforcement de l’audace du héros qui a la

conviction que « la bonne aventure », à lui prédite, se réalisera. C’est donc un facilitateur

de réussite. Psychologiquement, la voyance optimiste décuple l’énergie du héros. Elle de-

vient une prophétie auto-réalisante : les psychosociologues parlent d’effet pygmalion. A

propos de ce dernier, les psychologues David Trouilloud et Philippe Sarrazin expliquent :

« (Les) impressions, croyances, perceptions ou autres attentes (expectations) que nous avons à l’égard

d’une personne peuvent orienter nos pensées et nos comportements envers elle, et en retour influencer

les pensées et comportements de celle-ci»229.

Wangrin n’est pas le seul personnage à recourir aux forces surnaturelles. A l’annonce

de l’arrivée d’un inspecteur des affaires administratives à Diagaramba, les employés du

cercle, inquiets, s’adressent aux praticiens de la magie :

228 Ibidem, p. 61.229 Voir note de synthèse : « Les connaissances actuelles sur l’effet Pygmalion : processus, poids et modula-teurs » in http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/38/88/39/PDF/Trouil_Sar_RFP_2003.pdf

123

Page 124: Memoire Fin Original

«(…) ce fut une véritable aubaine pour les marabouts occultistes aussi bien que pour les géomanciens,

sorciers et diseurs de bonne aventure. Chaque fonctionnaire, pour garantir sa situation, leur demandait

quelque prière ou cérémonie protectrice et les payait en conséquence»230.

Cela s’explique par le fait que l’Africain est quelqu’un qui a une singulière vision de

l’existence. Il croit partager son espace vital avec des forces qui, même s’il ne les voit pas,

influent, à ses yeux, sur le cours des événements.

Cependant, à l’endroit de Wangrin, les pronostics des voyants ne sont pas toujours

positifs. Cela lui advient lorsqu’il amorce une décadence inéluctable. Comme les

prédictions optimistes, celles pessimistes influent sur l’état d’esprit et le comportement du

héros. C’est le cas quand  Wangrin, « parvenu au zénith de sa gloire et au comble de sa

fortune » (page 311), contre toute attente donc, entend une prédiction sinistre de la part

d’un géomancien haoussa :

« Le vieil homme regarda longuement les figures qu’il venait d’imprimer sur le sable. Il remua la tête

doucement…

« Pourquoi remues-tu la tête ? le questionna Wangrin.

- Je ne vois rien de bon, répondit-l. je vais recommencer… »

Il étala de nouveau son sable et y imprima un thème.

« Cela va-t-il mieux ? demanda Wangrin.

230 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 71.

124

Page 125: Memoire Fin Original

- Non, ça se gâte davantage. Et ce qu’il y a d’inquiétant, c’est que je ne vois aucun sacrifice à accomplir

pour faire dévier la catastrophe qui apparaît avec une constance déroutante dans toutes les « maisons »

essentielles du thème. […] Je vois ton soleil marcher vers une éclipse totale…

- Regarde quand même une dernière fois ! »

Le géomancien étala son sable, imprima ses signes et se pencha dessus longuement…

« Alors, que dit l’oracle ? plaisanta Wangrin.

- Rien de bon », répliqua le géomancien, qui se mit à suer à grosses gouttes. Ce que voyant, Wangrin

éclata de rire. […]

Wangrin éclata encore de rire.

Le vieux haoussa, tout comme si le rire de Wangrin venait de l’exciter, éclata soudain de rire lui aussi,

et si fortement qu’une partie de son grand turban se défit et traîna jusqu’à terre comme une longue

queue.

Cette subite manifestation de gaîté de la part du vieux qui, quelques instants auparavant, était plongé

dans une angoisse qui le faisait suer à grosses gouttes, intrigua Wangrin. Il arrêta de rire et fixa le

vieillard, qui lui parut bien mystérieux. Mais avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir la bouche, le vieux

Haoussa avait rapidement ramassé la traîne de son turban et, le dos courbé, tête baissée, était sorti et

s’était perdu dans la foule du petit marché qui se tenait non loin de chez Wangrin»231.

Ici, la narration a fait place nette à la théâtralisation. Mode de représentation littéraire seule

apte à rendre au lecteur toute l’intensité émotive de ce temps fort du roman. Les paroles,

gestes et réactions des deux protagonistes sont offerts tout bruts au lecteur. C’est pourquoi,

il nous a semblé important de reproduire ce long extrait.

Cette séance de voyance marque sur le plan temporel et dans la structure même du

récit, le moment où le « soleil » au zénith de Wangrin va commencer à décliner vers le

couchant. Les doutes et l’attitude ironique et sceptique de celui-ci ne dureront qu’un court

231 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.312, 313, 314.

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Page 126: Memoire Fin Original

instant. Il fait rechercher le géomancien pour « un nouvel entretien », mais en vain. Cela

l’angoisse et trouble toute sa quiétude au point qu’il « se coucha très tard et dormit peu

cette nuit-là». En plus de la prédiction, n’est-il pas rendu inquiet par l’image satanique du

géomancien riant et laissant traîner une partie de son turban comme une queue ?

C’est la persistance de cette agitation psychologique qui mènera notre héros à Dakar,

dans le but de changer d’air et de se reposer. De fâcheuses suites découleront de ce

voyage.

Deux de ces conséquences seront « l’oubli fatal » (page 323) de se recueillir dans le

bois sacré immédiatement après son arrivée dans son village natal, de retour de Dakar, et

l’omission de son « borofin »232 qui contient sa pierre d’alliance avec Gongoloma-Sooké et

qu’il devait toujours avoir avec lui en voyageant. Négligences involontaires qui lui

vaudront la colère de ses ancêtres qui feront prédire ceci par le sorcier Sorimori appelé

« maître du couteau », en confirmation de ce que Wangrin a déjà entendu du géomancien

haoussa :

« Mon petit Wangrin, à partir de maintenant, il faut t’attendre à recevoir de grands coups du sort. Sois

fort et ferme»233.

Tout s’accélère à partir de ce moment. Wangrin est comme pris dans un engrenage. En

effet, quittant son village, fort perturbé, il conduit distraitement sa torpédo à toute allure et

tue son animal totem, un python sacré.

232 Petit sac en peau de chat noir.233 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.324.

126

Page 127: Memoire Fin Original

A ces multiples divinations ou prédictions, qui relèvent de la magie théorique voire

spéculative, répondent en écho des pratiques de magie opératoire dont l’objectif est de

modifier le cours des circonstances, des événements.

C. SACRIFICES, PRIERES ET DESTIN DE WANGRIN

La magie est une « pratique consistant à agir sur les signes pour tenter de « rectifier la

destinée »234. Wangrin est parvenu plusieurs fois, grâce à l’aide d’occultistes, à se tirer de

situations difficiles, voire périlleuses.

Devant se rendre à Dakar pour son procès l’opposant au comte de Villermoz,

conscient du danger qui le guette dans une affaire opposant un indigène à un

administrateur blanc qui est soutenu, de surcroît, par ses compatriotes racistes, il se rend

auprès de son marabout Tierno Siddi. Mais ce dernier, sachant Wangrin coupable dans

« l’affaire des bœufs », décide seulement de prier pour lui par compassion, par charité.

Grâce à ses prières, conjuguées à l’habileté du héros qui a su produire au dernier moment

les preuves qui chargent le comte de Villermoz, Wangrin a vu se réaliser cette promesse du

marabout :

« La grâce d’Allâh et son pouvoir aidant, tu reviendras sain et sauf de ton expédition… »235.

234 GARNIER, X., La magie dans le roman africain, op. cit.235 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin, op. cit., p.89..

127

Page 128: Memoire Fin Original

Mais la prière de Tierno Siddi a surtout sur Wangrin un pouvoir autosuggestif.

D’emblée, celui-ci est mis en condition. Sa crédulité est fouettée, renforcée par les épreuves

que le marabout lui fait subir. En effet, le marabout lui recommande des actions difficiles et

mystérieuses : se rendre au milieu du jour au bord de la rivière Maaye, d’y rester jusqu’au

coucher du soleil, de  prendre sept poignées de sable pur avec la main gauche « au premier

chant du coq avant le coucher du soleil », sept autres avec la main droite « au deuxième

chant du coq », de mélanger tout dans une calebasse neuve « au troisième chant du coq »,

de rester « à jeun durant toute l’opération ». Ensuite, le marabout ayant écrit un mot arabe

sur ce sable, demande à Wangrin, épreuve supplémentaire, de le fixer en « clignant les

paupières le moins possible » tout en restant parfaitement immobile, pendant que Siddi prie

longuement ; Wangrin en est sorti ankylosé !

En obéissant scrupuleusement à Tierno Siddi, et en acceptant volontairement de

surmonter ces étranges épreuves, notre héros renforce au plus profond de son être sa foi au

pouvoir du marabout de le tirer d’affaire. C’est pourquoi :

« Chaque fois qu’il touchait le sachet de sable béni (que Tierno Siddi lui a remis) qu’il portait

constamment en bandoulière, une assurance mystérieuse parcourait tout son être et les menaces qui

envahissaient son esprit se dissipaient comme un mauvais rêve que le réveil fait disparaître »236.

Dans son parcours, Wangrin recourt sans cesse aux forces magiques, même-si sa

prodigieuse intelligence, prolifique en ruses roueries et tours, se révèle le principal artisan

de ses succès. C’est que l’action magique et la ruse n’agissent pas sur le même niveau,

comme le confirme Xavier Garnier :

236 Ibidem, p. 90.

128

Page 129: Memoire Fin Original

« La réussite matérielle de Wangrin est rendue possible par l’emploi de ruses, roueries, voire

fourberies. Mais Wangrin est extrêmement attentif à mettre de son côté les marabouts puissants, pour

obtenir l’aide des forces occultes. Celles-ci accompagnent la réussite sociale de Wangrin sans en être

la cause objective»237.

Voulant prendre la place de Romo Sibedi, il recourt à deux moyens : la ruse et la

magie. Il manipule adroitement les administrateurs blancs, notamment Quinomel, le chef du

personnel à Goudougaoua (voir pages 110, 111 et 112 du roman). Cependant :

« Il alla visiter les trois grands marabouts Abaldi, Madaou et Oulmaye, qui résidaient dans la ville, et

les fit travailler pour lui. Le premier, réputé pour ses connaissances en sciences occultes, devait nouer

magiquement la langue de Romo et de son commandant de cercle et les empêcher de réagir contre la

mutation de Romo. Quant aux deux autres, ils devaient prier en vue de bien disposer les chefs blancs

de qui dépendait le pouvoir de décider la mutation de Wangrin à Yagouwahi »238.

La prière vient en adjuvant à l’action du héros, qu’elle complète. Elle lui permet

d’obtenir ce que sa seule volonté ne peut lui offrir. Elle apparaît comme une garantie de

réussite. Aussi, la mutation de Wangrin au juteux poste d’interprète de Yagouwahi fit-elle

« l’effet d’une bombe ». Et le narrateur d’ajouter « jamais nouvelle n’avait autant surpris

tout Yagouwahi ». Le marabout Abaldi a-t-il réussi à « nouer magiquement la langue de

Romo er de son commandant » ? Toujours est-il qu’ils réagirent assez mollement : « Placé

devant le fait accompli, le commandant de cercle ne put qu’accepter sans répliquer (c’est

nous qui soulignons) la décision du haut lieu »239.

On note différentes formes de prière dans le roman. Nous venons de voir l’invocation

des puissances mystiques par le verbe, pratiquée par les marabouts. Wangrin lui-même prie.

237 GARNIER, X., La magie dans le roman africain, op. cit238 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.113.239 Ibidem, p. 113.

129

Page 130: Memoire Fin Original

Il lui arrive souvent de se retirer sur le toit de sa maison pour invoquer ses ancêtres, comme

ici :

« Ô mânes des miens ancêtres, vous qui êtes au royaume des forces, venez une fois de plus à

mon secours. ( …) »240.

Cette prière précède l’action du héros. Servant à Dioussola, Wangrin s’apprêtait à tirer

un maximum de profit « de la campagne des “produits de cueillette’’ » en créant une

société qu’il déclare sous le nom de son frère Faboukary, trompant une fois encore

l’administration coloniale (cf. pages 231 à 237). Donc, comme toujours, dans le roman

d’Hampâté Bâ, la magie et la ruse cheminent ensemble, l’une renforçant l’autre.

Cette prière est sanctionnée d’un rêve prémonitoire, témoignant que Wangrin a été

entendu par ses ancêtres :

« Il rêva que sa femme avait mis au monde une fille qui avait une tête en argent couverte de cheveux

en or, lui tombant jusqu’au bas des reins. Il en déduisit que l’époque serait fructueuse pour ses

finances »241.

Encore une annonce de la suite du roman. Le lecteur ne sera pas surpris de la fortune

colossale qu’accumulera le héros grâce à sa société ; ce qui lui permettra de démissionner

de sa profession d’interprète, et de s’installer à son propre compte, se rendant moins

vulnérable aux manipulations et attaques de ses ennemis tapis dans l’administration

coloniale.

240 Ibidem, p. 231.241 Ibidem, p. 231.

130

Page 131: Memoire Fin Original

La prière peut prendre aussi l’aspect d’une chose concrète : philtre, gris-gris, etc. Pour

se protéger du commandant Jacques de Chantalba, ami de ses ennemis mortels que sont

Romo et le Comte de Villermoz, Wangrin doit parvenir à lui faire boire un liquide magique,

comme le lui recommande son marabout :

« Il faudrait qu’à son arrivée tu réussisses à lui faire absorber un philtre que je vais préparer. Si ce

liquide entre d’une manière ou d’une autre, dans son estomac, il ne pourra plus cacher son jeu contre

toi. Or un homme prévenu équivaut à un homme immunisé»242.

A travers le philtre sont censées agir des puissances occultes, capables d’infléchir la

volonté de celui ou de celle qui l’absorbe.

L’eau, sans être breuvage, mais utilisée en bain ou aspersion, peut être employée dans

l’œuvre magique. Spécialement préparée, elle recèlerait des vertus surnaturelles, mystiques,

particulières, elle agirait comme un gris-gris. L’eau magique, le gris-gris, le fétiche ou

l’amulette sont une prière non verbale, concrète voire symbolique. Romo use de tous ces

éléments à la fois avant d’aller arrêter Wangrin :

« Il se déshabilla, se lava rituellement avec l’eau extraite des sept canaris, puis se garnit de

tous ses gris-gris, les uns autour de la taille, d’autres autour des bras, d’autres encore en

bandoulière. Par-dessus le tout, il revêtit son « sigi doloki », sorte de blouse magique en peau

de buffle, portée les guerriers et censée rendre invulnérable »243.

242 Ibidem, p. 260.243 Ibidem, p. 297.

131

Page 132: Memoire Fin Original

L’utilisation de ces objets magiques, notamment de la « blouse magique en peau de

buffle », relève d’une conception vitaliste du monde, que Cheikh Anta Diop explique en ces

termes : « Tout l’univers ontologique est rempli par une hiérarchie de forces vitales qui ont

la propriété d’être additives. Les forces vitales d’un individu peuvent augmenter avec le

port d’un croc de fauve ou diminuer à la suite de l’effet négatif d’une pratique magique »244.

Ainsi le port de la peau de buffle est censé donner à Romo la puissance et l’énergie de cet

animal.

Le sacrifice est une autre forme de communication avec la force sacrée, donc prière. Il

est une forme d’invocation non verbale en ce sens qu’il est geste et acte. Il revêt diverses

formes et fonctions. Ses formes s’entendent dans cette définition du Dictionnaire Le

Littré245 : « offrande faite à Dieu avec certaines cérémonies et consistant en des victimes ou

des dons ». Ainsi le sacrifice peut-il consister à offrir à la divinité la vie d’un être vivant

(victime) ou à faire aumône de ces mêmes êtres vivants, sans les tuer, d’aliments, d’autres

biens.

Le sacrifice a essentiellement deux fonctions : il peut être soit propitiatoire, soit

expiatoire. Le sacrifice propitiatoire doit rendre propice, favorable la puissance mystique.

C’est pourquoi les marabouts de Wangrin le lui prescrivent toujours. Notre héros lui-même,

initié animiste, sait comment en user en bon escient, sans l’aide d’un marabout ou sorcier :

«  C’est pourquoi, caillou ! Habitat de Gongoloma-Sooké ! je te commande par “Kothiema sunsun ’’ et

“Bathiema sunsun’’ d’ouvrir grandes les petites portes invisibles de ta peau pétrifiée afin que j’y fasse

goutter le sang de ce poulet noir, symbole de la nuit de peine qui s’annonce pour moi »246.

244DIOP, Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie Présence africaine, 1981,pages 405, 406 245LITTRE, Emile, Dictionnaire Le Littré, op. cit.246 BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.256, 257.

132

Page 133: Memoire Fin Original

Nous nous souvenons de l’offrande de la pintade faite par Wangrin pour écarter un

mauvais présage, de retour de la province de Brildji. En plus, à plusieurs reprises, Wangrin

doit faire des offrandes aux pauvres, afin que les prières des marabouts soient exaucées.

Voici, à titre d’exemple, une recommandation de Moulaye Hamidou :

« - Tu nourriras durant un mois sept orphelins et sept veuves sans ressources. Tu les habilleras

somptueusement »247.

Mais le sacrifice propitiatoire est aussi dont de soi, effort, acceptation volontaire de souffrir, comme le

suggère le marabout Moulaye Hamidou :

« Tu jeûneras toi-même durant sept jours en t’abstenant absolument de tout rapport sexuel »248.

Les sacrifices ont opéré efficacement tant que Wangrin était dans sa phase ascendante.

Ce qui n’est pas le cas des sacrifices expiatoires, qui visent à effacer une faute, volontaire

ou non. Ils sont illustrés par deux événements : lorsque Wangrin tua accidentellement le

python et lorsqu’il oublia de saluer les mânes de ses ancêtres avant de faire quoi que ce soit

dans son village natal, où il est revenu après une longue absence. Les deux ne sont pas

acceptés ; il fallait nécessairement que le destin de Wangrin s’accomplît.

En réalité, si elle arrive parfois à rendre favorable le sort ou à écarter le danger, on note

que l’action magique est impuissante face au destin global du héros. « Le destin a cette

supériorité sur la magie de n’être jamais mis en échec » dit fort justement Xavier Garnier249.

En effet, lorsque son inévitable décadence s’amorce, Wangrin commet des erreurs, des

omissions qu’aucun sacrifice, qu’aucune prière ne peut réparer.

247 Ibidem, p.201.248 Ibidem, p.201.249 GARNIER, X., La magie dans le roman africain, op. cit

133

Page 134: Memoire Fin Original

D’emblée, le géomancien haoussa lui avoue n’avoir rien vu qui puisse dévier

favorablement le futur malheureux qui s’annonce. La voyance a pour fonction, non

seulement d’avertir, mais aussi de découvrir les sacrifices, offrandes, procédés magiques à

même d’écarter le mauvais sort ou d’attirer la bonne fortune. Mais à l’occasion de la

consultance du vieux Haoussa, elle se contenta d’avertir. Une bizarrerie inédite qui émut

fortement le devin lui-même, « qui se mit à suer à grosses gouttes »250.

En définitive, le récit d’Hampâté Bâ est fortement parcouru de pratiques magiques.

Celles-ci sont variées. Elles relèvent moins d’une volonté de créer l’étonnement et la

surprise chez le lecteur, comme dans certains romans ou nouvelles fantastiques, que d’une

relation, d’une peinture réaliste de faits culturels, qu’un narrateur objectif ne saurait passer

sous silence. Ne parle-t-on pas de réalisme magique ? A ce propos, l’auteur explique :

« Une autre chose qui gêne parfois les Occidentaux dans les récits africains est

l’intervention de fréquente de rêves prémonitoires, de prédictions et autres phénomènes de

ce genre. Mais la vie africaine est tissée de ce genre d’événements qui pour nous font partie

de la vie courante et ne nous étonnent nullement […] Ne pas mentionner ce genre de

phénomènes au cours du récit n’aurait pas été honnête de ma part, puisqu’ils faisaient et

font encore sans doute, dans une certaine mesure, partie de nos réalités vécues»251.

Comme nous l’avons montré, la magie fait partie intégrante d’une philosophie, d’une

spiritualité informées par une conception multiséculaire de l’existence, héritée des lointains

ancêtres, de l’Egypte antique dira Cheikh A. Diop dans son ouvrage intitulé Civilisation ou

barbarie252.

250BÂ, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p.312.251 BA, A. H., Amkoullel, l’enfant peul, Arles, Actes Sud, 1991252 DIOP, Cheikh Anta, Civilisation ou barbarie, op. cit.

134

Page 135: Memoire Fin Original

Cette atmosphère surnaturelle qui se dégage de L’étrange destin de Wangrin n’est-elle

pas caractéristique des genres oraux traditionnels ? Dans quelle mesure donc la technique

narrative de Bâ est-elle redevable à la littérature orale ?

135

Page 136: Memoire Fin Original

CHAPITRE TROIS : L’ORALITE : TERRAIN DE

PREDILECTION DU SURNATUREL

L’Afrique noire est riche d’une littérature orale très ancienne. Les genres sont

multiples et échappent souvent à la taxonomie des critiques et ethnologues occidentaux. Par

exemple, dans le conte africain on peut retrouver la poésie (sous forme de chant), le

discours et la réflexion (commentaire des actes des personnages, proverbes et maximes…),

etc.

Mais il existe une constante dans tous les récits oraux, en Afrique, c’est

l’omniprésence du surnaturel. K. Echenim affirme à juste titre que le monde de l’oralité

est :

136

Page 137: Memoire Fin Original

« Un monde où les fantômes côtoient les hommes, où les génies interviennent pour donner du poids

positif aux vicissitudes de l’homme, où les dieux sont toujours prêts à prendre parti en cas de litige. Ce

monde est caractérisé par la communication permanente entre les règnes animal, végétal et minéral, et

entre le naturel et le surnaturel »253

C’est pourquoi les multiples occurrences du magique dans L’étrange destin de

Wangrin ne pouvaient manquer de susciter des interrogations pour savoir ce que ce roman

doit à l’oralité.

I. LA PAROLE MAGIQUE

La parole a toujours été un instrument indispensable à la religion et à la magie.

Les rites, cérémonies, exercices, pratiques spirituels, spirites, mystiques, occultes sont

toujours accompagnés de formules déclamées ou chantées avec ferveur. La prière, parole

magique, parole performative, en ce sens qu’elle anticipe le résultat désiré, est

fondamentale dans l’univers magico-religieux.

253ECHENIM, K., «  De l’oralité dans le roman africain », in  Peuples noirs, peuples africains, 24 nov-

décembre 1981.

137

Page 138: Memoire Fin Original

Cette parole magique agit sur celui qui la récite et aussi celui qui l’entend,

surtout lorsque ce dernier en est expressément visée. C’est ainsi que Wangrin, surprenant

Diofo en pleine nuit, caché derrière un arbre pour le surprendre, ne trouve rien d’autre

qu’une formule magique pour se donner du courage et impressionner son adversaire.

Relisons cet intéressant passage :

« N’avance plus ! cria Wangrin, sinon ta mère aura accouché d’un cadavre prématuré. Reste où

tu es et dis-moi qui tu es. Serais-tu une marcotte de cet arbre transformé en homme-diable, je te tuerais

par la vertu de mon Korté. Il me suffirait de propulser ses effluves meurtriers au moyen des paroles

magiques que voici :

“Kothiema sunsun

Baathiema sunsun

Sunsun fla ani sunsun»254.

La parole magique est efficace à condition d’avoir une certaine intonation, un rythme

syncopé, comme celui du tam-tam, du cœur qui bat. La répétition du mot « sunsun », qui

est lui-même un dédoublement de la syllabe phonique « sun », confère à la formule cet

effet. Les mots magiques (voces magicae) sont souvent des "mots barbares", des

onomatopées, une suite de voyelles… La formule incantatoire n’a pas besoin d’être

compréhensible. Pour être opérante, elle doit tétaniser l’intelligence et la raison. Voici la

traduction par l’auteur de l’incantation sibylline de Wangrin :

« Diospiros au milieu du lac

254 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 157.

138

Page 139: Memoire Fin Original

Diospiros au milieu d’un fleuve

Le double diospiros et le diospiros unique »255.

Bien que nous sachions, par une note de l’auteur, que le diospiros est un arbre, cette

formule n’en demeure pas moins mystérieuse. Qu’est qu’un arbre dans un fleuve ou un lac

peut avoir à faire dans un guet-apens ?

Cependant la parole magique peut prendre les allures d’un beau poème chanté et

compréhensible. La divinité invoquée doit être séduite par les belles et touchantes sonorités

de la prière. C’est le cas dans cette prière psalmodiée par la matrone durant l’accouchement

de Wangrin :

« Wooy wooy o ! Nyakuruba presse fort !

L’enfantement est laborieux Nyakuruba.

L’enfantement d’un garçon est laborieux, Nyakuruba.

Presse fort !

Waay waay o ! Nyakuruba, presse fort !

L’enfantement est laborieux, Nyakuruba

L’enfantement d’une fille est laborieux, Nyakuruba.

255 Ibidem, p. 157.

139

Page 140: Memoire Fin Original

Presse fort !

Eeh eeh, Nyakuruba ! Presse fort.

L’enfantement est laborieux, Nyakuruba.

L’enfantement de deux bébés est laborieux, Nyakuruba.

Presse fort !

Presse fort tous les accouchements, Nyakuruba, presse fort !

Presse fort mon travail d’accouchement, Nyakuruba presse fort»256.

Rappelons que Nyakuruba est la déesse de la maternité dans le panthéon bambara.

Son nom répété à intervalles réguliers fonctionne comme un leitmotiv rythmique qui

renforce l’effet de l’anaphore « presse fort » et des onomatopées et assonances (Wooy

wooy o, Waay waay o, Eeh eeh) .

Enfin, la parole magique, utilisée dans les prédictions, a une tournure particulière.

Elle est métaphorique. Les devins, dans la lecture des signes du futur, ont tous en commun

un langage imagé qui leur est propre. Ainsi « le Komo annonça au père que son fils se

singulariserait et brillerait dans la vie, mais qu’il n’avait pas vu sa tombe au cimetière de

ses ancêtres». L’auteur a besoin d’expliquer au lecteur la dernière partie de cette

prophétie : « cette prédiction laissait entendre que Wangrin mourrait à l’étranger, loin du

pays natal » (p. 17). Numu-Sama faisant une voyance au jeune Wangrin emploie cette

image : « ton étoile commencera à pâlir… » (p. 22). Une image semblable est donnée par le

géomancien haoussa : « je vois ton soleil marcher vers une éclipse totale » (p. 312).

256 Ibidem, p. 14, 15.

140

Page 141: Memoire Fin Original

Le rêve prémonitoire de la bergère peule (pages 199,200) est rempli de symboles que

seul un devin comme Moulaye Hamidou sait interpréter, puisqu’il « avait son grimoire en

tête »257 :

« Wangrin, la fumée noire sortant d’une cheminée pour se répandre signifie difficultés et embûches

dans le ciel de ta vie. Il te faudra lutter durement pour te garantir des pluies d’ennuis qui vont

commencer à tomber sur toi.

Un ennemi farouche, fort, armé et bien décidé essaiera de démolir le barrage de forces occultes qui

constituait jusqu’ici ton appui et ta protection. C’est ce que signifie l’attaque de la dune derrière

laquelle tu étais tapi quand le blanc-blanc, débarqué de la mystérieuse « pirogue de fumée », t’a

interpellé… »258

L’occultiste emploie des métaphores : « le ciel de ta vie », « pluies d’ennuis ».

Notons ces intéressantes images dans les propos du voyant Kalalempo Kompari

prédisant l’arrivée du comte de Villermoz : « il aimera Romo si bien qu’ils boiront dans la

même calebasse. Et te haïra si fort qu’à chaque ordure qu’il verra sur la route il s’écriera :

“C’est encore Wangrin qui s’est soulagé là !’’ » (p. 259).

Donc, prière, incantation, moyen de décodage des signes précurseurs de l’avenir, la

parole magique a une plastique qui lui est propre. Il faut être initié pour savoir la manier, à

l’instar de Wangrin et des occultistes. Elle sied à merveille à un récit qui doit beaucoup aux

formes orales.

257 Ibidem, p.201.258 Ibidem, p.201.

141

Page 142: Memoire Fin Original

II. EMPRUNTS AUX FORMES ORALES

TRADITIONNELLES

L’étrange destin de Wangrin… d’Hampâté Bâ est un savant mélange de

l’esthétique d’un genre écrit d’origine européenne et de la technique du conteur africain.

Cette phrase attribuée à Wangrin par l’auteur le confirme : « Mon petit Amkullel,

autrefois, tu savais bien conter. Maintenant que tu sais écrire, tu vas noter ce que je

conterai de ma vie»259

C’est pourquoi le professeur Samba Dieng considère L’Etrange destin de

Wangrin… comme un conte historique : « ce genre résultant de la juxtaposition du conte et

de l’histoire»260. Cette œuvre a donc dans son style quelque chose relevant du conte. Mais

elle a aussi des caractéristiques de l’épopée, comme le fait remarquer M. Dieng : « Le

conteur atteint le paroxysme de son art grâce à un souffle épique qui sous-tend le texte du

début à la fin car Wangrin est un héros épique»261. Qui plus est, le récit d’Hampâté Bâ ne

manque pas d’éléments relevant du mythe et de la légende.

C’est cette richesse de L’étrange destin de Wangrin… qu’il s’agira de faire

ressortir dans les lignes qui suivent. Richesse et beauté dues aux multiples apports de la

tradition orale africaine. L’auteur n’a-t-il pas dit que ce qui fait la beauté d’un tapis c’est la

diversité de ses couleurs ?

259 Ibidem, p. 8260 DIENG, Samba, « l’Etrange destin de Wangrin, essai d’interprétation » in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dakar, n° 15, 1985, p. 164.261 Ibidem.

142

Page 143: Memoire Fin Original

A. CARACTERISTIQUES DU CONTE INITIATIQUE DANS

L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

L’étrange destin de Wangrin… est un récit de voyages et d’aventures. Le personnage

principal est extrêmement mobile et parcourt des centaines de kilomètres dans tout le vaste

territoire de L’Afrique Occidentale Française.

L’on est sans ignorer l’importance du voyage  dans les contes initiatiques. Dans ceux-

ci, le héros se déplace beaucoup, quitte son terroir pour mener une quête262. Quête du

savoir, de la connaissance, de la sagesse. C’est le cas de Hamadi dans le conte initiatique

intitulé Kaydara263.

Certes, l’ambition de Wangrin semble se réduire à amasser des biens matériels. Mais

cela n’est que la partie superficielle de la quête du héros. Comme le précise Amadou H. Bâ

« en Afrique, au côté visible et apparent des choses, correspond toujours un aspect invisible

et caché… De même que le jour sort de la nuit, toute chose comporte un aspect diurne et un

aspect nocturne, une face apparente et une face cachée »264.

262 PROPP, Vladimir, Morphologie du Conte, Paris Seuil, 1970, 246 pages263 BA, A. H., op. cit.264 BA, A. H., Aspects de la civilisation africaine, op. cit., p. 25,26.

143

Page 144: Memoire Fin Original

En effet, son itinéraire est riche d’enseignements. Il aura beaucoup appris de la vie. Et

cette maturité intellectuelle voire spirituelle lui permet d’accepter sa nouvelle situation

d’être misérable avec philosophie.

« Les biens de Wangrin furent vendus aux enchères. Il assista à cette opération avec une indifférence

qui étonna tout le monde. Il ne cessa de plaisanter et de rire et, surtout, d’encourager les Africains qui

n’osaient acheter les biens d’un des leurs, vendus à la suite d’un malheur »265.

D’autres en passant, comme lui, de l’opulence au dénuement le plus complet se

seraient suicidés, où s’emmureraient dans une tristesse inconsolable.

Wangrin a donc acquis une richesse plus importante que l’or : la sagesse. Il se

positionne donc en enseignant. Il disait :

« Posez-moi des questions sur la vie ! je vous répondrai, car je suis un grand voyageur. J’en connais

les grandes routes, les montagnes, les cavernes, les forêts, les cours d’eau et les déserts. J’en connais

les villes, villages et hameaux, j’en connais les rues, ruelles et venelles. Profitez de mon expérience et

posez-moi des questions pendant que je vis encore. »266

Et c’est dans cette optique que Wangrin a demandé à Amadou H. Bâ d’écrire le récit

de sa vie qui, dira-t-il, « non seulement divertira les hommes, mais leur servira

d’enseignement »267. Initié dès sa jeunesse, puis réinitié par son long voyage parsemé

d’embûches, Wangrin peut se prévaloir du statut de sage africain, d’éducateur.

265 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 345.266 Ibidem, p. 347267BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 8.

144

Page 145: Memoire Fin Original

Dans sa quête, le héros du conte initiatique est en contact avec des forces

surnaturelles. Comme Hamadi dans Kaydara268, qui se meut dans « le monde de la

pénombre » où il côtoie esprits et divinités, Wangrin collabore avec ceux-ci. Il a son dieu-

patron (Gongolooma Sooké), les mânes de ses ancêtres l’assistent et il met à son service

divers occultistes.

Dans le conte, les éléments de la nature, animaux, végétaux et minéraux participent

pleinement aux péripéties du récit. C’est aussi le cas dans L’étrange destin de Wangrin…269

où des oiseaux, un python, un arbre sont des actants270. N’tubanin-kan-fin, « la tourterelle

au cou cerclé à demi de noir », annoncé dès le début du récit, viendra s’acquitter à

merveille du rôle qui lui est assigné par le dieu Komo, au moment et à l’endroit exacts

qu’il fallait. Il lui incombait de sonner le glas de l’ascension de Wangrin, en roucoulant sept

fois « sur la branche morte d’un kapokier en fleur » avant d’aller se poser sur le côté gauche

de la route de celui-là.

Auparavant, durant les moments fastes de Wangrin, des vautours271, messagers des

esprits, lui auront parlé symboliquement. Il a su comprendre le message et procéder au

sacrifice propitiatoire requis pour éloigner les malheureuses circonstances qui l’attendaient

chez le commandant.

La pierre d’alliance avec son dieu-patron, Wangrin s’adresse à elle comme à un être

doté de conscience :

« O caillou ! Tu symbolises la première force du cosmos. Tu contiens du fer, lequel contient du feu.

Tu es, ô caillou, l’habitat de l’esprit de Gongoloma-Sooké , mon dieu protecteur (…)

268 Op. cit.269 Op. cit.270 GREIMAS, A. J., Sémantique structurale : recherche et méthode, Presses universitaires de France, 1986 - 262 pages. 271 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 186

145

Page 146: Memoire Fin Original

C’est pourquoi, caillou ! habitat de Gongoloma-Sooké ! je te commande par “Kothiema sunsun’’ et

“Baathiema sunsun’’, d’ouvrir grandes les petites portes invisibles de ta peau pétrifiée afin que j’y

fasse goutter le sang de ce poulet noir…»272.

Rappelons ces autres actants : le kapokier en fleur, support magique de la tourterelle,

le « dassiri » ou python totem qu’il fallait que Wangrin tue dans sa série inéluctable

d’erreurs devant le mener à sa fin tragique.

Mais Wangrin savait que cette fin lui arriverait. Elle lui a été prédite après sa

circoncision. Tout son parcours devait consister à vérifier les pronostics sur son destin. Ces

prédictions apparaissent comme des mises en abyme, des prolepses. Elles ont cependant

leur importance sur le plan narratif. Elles agissent sur le lecteur en exacerbant son attente,

comme le dit Amina A. Bekkat273 « les moments forts de l’action sont attendus et redoutés

avant de se produire ». En outre, les prolepses constituent des pauses qui permettent au

lecteur de s’arrêter pour réfléchir sur les événements et les nombreux proverbes.

Ces derniers sont des emprunts de la littérature orale. En Afrique de l’ouest, leur

maniement est preuve de sagesse et d’habileté oratoire. Le traditionnaliste et initié qu’est

Amadou H. Bâ – et à travers lui, Wangrin – ne pouvait qu’enrichir son récit de ces

« pensées en boîte » pour reprendre M. Mamoussé Diagne274. Mais, dans le récit, le

proverbe, précise Mme Bekkat, « n’a pas seulement une valeur décorative, ce n’est pas

uniquement un ornement de style que l’on peut aisément supprimer sans perturber le cours

de l’histoire. Il est étroitement lié au discours narratif ». En effet, les proverbes tracent le

code de conduite du héros, qui s’appuie sur eux pour justifier son action. Par exemple,

avant de se rendre à Dakar pour son procès, Wangrin s’adresse au marabout Tierno Siddi en

employant un proverbe : 

272 Ibidem, p.256, 257.273 BEKKAT, Amina A., « L’Etrange destin de Wangrin ou les roueries d’un auteur africain », Revue sur les cultures et littératures nationales d’expression française, Alliance française de Lecce, 2003274 DIAGNE, Mamoussé, Critique de la raison orale, les pratiques discursives en Afrique noire, Paris Karthala,2005

146

Page 147: Memoire Fin Original

« O mien marabout, comme dit le proverbe : “A quoi sert de lier amitié avec un singe, sinon pour lui

demander, le jour où l’on voit son bâton accroché dans les branches, de le décrocher ?’’ »275.

Autres traits oraux, les paraboles et contes, récits dans le récit, parsèment le roman

d’Hampâté Bâ. Sous eux se cachent des enseignements. Elles sont souvent des déductions

d’actions, de faits de la diégèse. On peut en recenser plusieurs : “Le singe et le serpent’’ (p.

67), “L’âne du vieux Dioula’’ (106, 107, 108), “Le conte de la mégère Niédjougou’’ (225),

etc. La dernière parabole montre que le destin est immuable et que les actions des

adversaires, si puissants soient-ils, ne peuvent rectifier son cours.

La structure du roman est analogue à celle du conte, par sa circularité 276 : situation

initiale, situation finale s’identifient (celle-ci confirme la prophétie de départ sur le destin

de Wangrin). M. Makonda confirme cette analyse :

« Pour réaliser sa quête, le héros doit quitter un espace initial (Noubigou), pour se rendre dans un

« ailleurs », où ont lieu les épreuves décisives (Diagaramba, Goudougaoua, Yagouwahi, Dioussola,

etc.), avant de retourner à l’espace initial où il reçoit la sanction de ses exploits. Bien sûr, le parcours

de Wangrin ne comprend pas un retour final à Noubigou, mais nous avons vu que le « rapatriement »

s’effectue de manière symbolique à travers l’organisation de ses obsèques par Romo Sibedi»277.

Le schéma actanciel de Greimas278 peut être appliqué à L’étrange destin de Wangrin...

Ainsi, Wangrin est le sujet de l’action ; l’objet est la recherche de biens matériels, en

surface, et, en profondeur, celle de la sagesse (apprentissage de la vie) ; le destinateur ou le 275 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 87.276 Cf. PROPP, V., op. cit.277 MAKONDA, Antoine, L’étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampâté Bâ, étude critique, Nathan, Paris, 1988, p. 24. 278 GREIMAS, A. J., Sémantique structurale : recherche et méthode, op. cit.

147

Page 148: Memoire Fin Original

commanditaire de l’action est la puissance suprême, le dieu Komo qui a prédestiné la vie de

Wangrin ; les opposants sont Racoutié, Romo, de Villermoz et leurs acolytes, mais aussi la

tourterelle N’tubanin-kan-fin qui n’apparaît que pour lui annoncer une période néfaste

inévitable, etc. Les adjuvants sont les compagnons et alliés de Wangrin mais aussi les

marabouts et sorciers, le dieu Gongoloma Sooké, les mânes de ses ancêtres et même les

vautours qui l’ont prévenu d’un malheur imminent, etc. ; les destinataires sont les pauvres

aidés par Wangrin, mais aussi son auditoire qui l’interroge sur la vie et sur son existence

(voir chapitres 34 et 35 du roman) et les lecteurs de L’étrange destin de Wangrin… :

Schéma actanciel 

Quête

148

Adjuvants : Gongoloma-Sooké, Aguibou Mansou, Marabouts et sorciers, Mânes des ancêtres,Vautours,Ténin Belle Bichette, etc.

Opposants :Racoutié, Romo, Comte de Villermoz et alliés,Le « dassiri »Ntubanin-kan-fin, le KapokierMme TerreauL’alcool

Destinateur : Dieu Komo

Destinataires :Wangrin,Pauvres/Audi-toire, Lecteurs

Objet :Richesse/Sagesse

Page 149: Memoire Fin Original

Enfin, comme un conteur voulant susciter l’intérêt de son auditoire sans le lasser,

Amadou H. Bâ a su jouer habilement avec le temps et la durée de son récit. Ainsi, selon

Makonda, on note « deux rythmes inégaux : extrêmement rapide (quelques pages) pour la

période initiatique de Wangrin, et beaucoup plus lent pour le récit de ses « roueries », ce

qui est normal si l’on considère que c’est le récit de son ascension et de sa chute qui est

“ riche d’enseignements’’»279.

L’étrange destin de Wangrin a donc beaucoup de ressemblances avec le genre oral

qu’est le conte. Wangrin parcourt comme Hammadi dans Kaydara, conte initiatique peul280

un long itinéraire dont l’aboutissement est l’acquisition de la connaissance de la vie. Des

éléments d’analyse du récit élaborés par Vladimir Propp et Greimas peuvent être appliqués,

279 MAKONDA, Antoine, L’étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampaté Bâ, étude critique, op. cit.280 BA, A. H., Kaydara, conte initiatique peul, op. cit.

149

Héros/sujet : Wangrin

Page 150: Memoire Fin Original

comme nous l’avons fait, au récit de la vie de Wangrin. Mais le narrateur et traditionnaliste

qu’est Amadou H. Bâ ne pouvait manquer de donner à son récit une plastique épique.

B. LES TRAITS EPIQUES DE L’ETRANGE DESTIN DE

WANGRIN

Conçue pour célébrer les hauts faits de héros, prédestinés et adoptés par de

puissantes divinités, aux prises avec des adversaires tenaces (hommes, dieux et forces

magiques), l’épopée est à l’origine un genre poétique, chanté avec accompagnement

musical. Les caractéristiques suivantes s’y retrouvent : l’héroïsme, la prédestination,

l’adversité incarnée par l’antihéros, le surnaturel, le combat (physique et verbal), la poésie.

Nous verrons comment elles apparaissent dans le roman de Hampâté Bâ.

Les conditions de narration de sa propre vie par Wangrin et de recueil de ce récit

par Amadou H. Bâ rappellent celles mises en œuvre dans la transmission de l’épopée :

« Chaque nuit après le dîner, de 20 à 23 heures, parfois jusqu’à minuit, Wangrin me racontait sa vie.

La conversation se déroulait au son d’une guitare, dont jouait excellemment et infatigablement Dieli-

Madi son griot»281.

281 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 8.

150

Page 151: Memoire Fin Original

En effet, dit M. Bassirou Dieng282, « la narration épique se présente comme une

partition à trois composantes : le narrateur, le musicien-chanteur et l’auditoire». C’est qu’en

Afrique narration et musique vont souvent de concert. Il n’est donc pas étonnant que

L’étrange destin de Wangrin soit agrémenté de chants tout au long du récit. Ainsi, dès le

début du récit, la matrone accompagne l’enfantement du héros d’une longue mélopée-prière

à la déesse de la maternité, Nyakuruba (voir pages 14 et 15). Les charmes et agréments des

villes que sont Diagaramba (page 24) et Goudougaoua (page204) sont célébrés par les

griots. Sous le charme de la belle Tenin, Bouraboura, psalmodie une chanson d’amour

(pages 286, 287). Le chant peut se faire blasphématoire, avec les élèves de l’école des

otages qui parodient la formule chrétienne de la trinité (voir page 31). Un couplet de l’appel

du muezzin est repris avec plaisir et exaltation par le narrateur (voir page 173). Le chant

entre dans la lutte sans merci entre Romo et Wangrin : pour se moquer de celui-là, surpris

et désemparé par sa démission, le héros fredonne « le refrain trivial des Korojuga, bouffons

de la couronne de Ségou » (cf. page 244).

Mais pour supporter les coups du destin sans fléchir, Wangrin chante. Ainsi, après la

prédiction lugubre du géomancien haoussa, il déclame :

« Koro Koonin, ohé ! ohé ! Aîné,

Va te reposer en paix,

Grand vaillant.

Le jour de Nonngon tu mourus

sans honte,

Grand vaillant.

Tu mourus en beauté,

282 DIENG, B., Société wolof et discours du pouvoir, op. cit. p. 290.

151

Page 152: Memoire Fin Original

Va te coucher en paix,

toi qui n’as jamais tourné le dos »283.

Pour supporter l’angoisse qui l’étreint après l’oubli de son borofin, petit sac en peau

de chat noir contenant sa pierre d’alliance avec Gongoloma-Sooké, son dieu-patron, il

psalmodie la « chansonnette composée, dit le narrateur, en l’honneur de l’empereur de

Ségou » (voir pages 325, 326). Les deux chants que nous venons d’évoquer montrent que le

narrateur met son personnage au même niveau que les héros épiques : dans le premier,

Wangrin est identifié à un « grand vaillant » qui doit mourir « en beauté », le second le

rapproche de « l’empereur de Ségou ».

Pourtant, à bout de nerfs, il se lamente pathétiquement et en poésie : après la perte

irrémédiable de sa pierre d’alliance (page 335) et après avoir vu l’oiseau fatidique,

Ntubanin-kan-fin (page 340). Dans ce dernier cas on peut relever ce chant :

« O destin ! tu es une ombre bizarre,

Quand on veut te tuer,

tu fuis,

Quand on te fuit,

tu suis »284.

283 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 314.284 Ibidem, p. 340.

152

Page 153: Memoire Fin Original

Il est chanté auparavant par les griots parce qu’il est «  le premier Soudanais à avoir

employé deux Européens » (cf. pages 329, 330). Enfin, dans sa vie d’ivrogne, Wangrin

« aimait lui-même chanter les couplets de cabaret de Ségou et de Noubigou » (page 343).

En insérant des chants et textes poétiques dans son roman, Amadou H. Bâ laisse libre

cours à son talent de conteur, se faisant plus que jamais héritier du grand griot narrateur

Koullel. En Afrique, contes et épopées sont scandés de chansons, de déclamations

poétiques, accompagnées souvent de musique. Ce sont des moments où l’attention de

l’auditoire se repose, se récrée pour pouvoir repartir plus vive. Ce sont également des

moments où la fibre héroïque et esthétique des auditeurs est délicatement secouée et vibre

fortement. Ce sont ces effets réalisés dans une situation d’oralité, que semble chercher à

produire l’écrivain Hampâté Bâ sur ses lecteurs.

Une autre ressemblance entre le roman de Bâ et l’épopée, c’est la notion de destin.

Selon Xavier Garnier285 une des similitudes fondamentales entre le récit de la vie de

Wangrin et l’épopée de Soundjata, c’est que tous deux reposent sur celui-ci. Wangrin et

Soundjata sont marqués par la prédestination, révélée par les devins, de leur vie. En plus

tous deux ont recours aux forces surnaturelles dans leurs luttes.

Mais Wangrin est-il véritablement un héros ? Cette réflexion, à ce propos, de

Makonda286 nous semble édifiante :

« Le récit (narration, espace-temps) est tout entier organisé en fonction des aventures de Wangrin, dont

la forte personnalité domine toutes les péripéties de l’action. […] Pour supporter tout seul le poids des

péripéties d’un roman aussi dense, il faut les larges et fortes épaules d’un héros. Et Wangrin en est un  :

sur les plans physique, intellectuel et moral, il fait preuve d’aptitudes hors du commun. […] Il est un

dernier point qui contribue à asseoir le caractère héroïque du personnage : c’est le rôle de la fatalité

dans le déroulement de sa vie. »

285 GARNIER, X., La magie dans le roman africain, op. cit.286 MAKONDA, Antoine, L’étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampaté Bâ, étude critique, op. cit.

153

Page 154: Memoire Fin Original

En effet, Wangrin est doté d’une intelligence prodigieuse qui lui donne une grande

longueur d’avance sur ses adversaires. Il a plusieurs fois démontré ses capacités physiques

en terrassant Racoutié, en prenant le dessus sur les « quatre captifs, bâtis en hercules, armés

chacun d’un gros casse-tête en bois » chargés de le tuer (voir pages 159 à 162), etc. Sur le

plan moral il est exceptionnel : il tient toujours ses promesses, il vole aux riches et est très

généreux envers les pauvres comme Robin des Bois, il est extrêmement courageux (cf. le

chapitre intitulé « le guet-apens » et l’épisode de la chasse à la panthère noire, chapitre 33).

Et comme tout bon héros Wangrin a son destrier qui est sa torpédo. Avec cette voiture,

il parcourt à grande vitesse les routes et contrées comme un aventurier.

Tout héros épique doit avoir en face un antihéros de son envergure. C’est le cas de

Soumaoro contre Soundjata. Wangrin, dans sa quête, doit s’opposer à un terrible antihéros

constitué, pour être à sa hauteur, de la paire Romo-de Villermoz. Dans leurs luttes épiques

les moyens magiques occupent une place de choix, comme entre Soundjata et Soumaoro.

Autre arme employé dans la plupart des épopées africaines par les héros et antihéros,

c’est la parole épique au service du combat verbal. Selon le professeur Bassirou Dieng :

« le dialogue est, sans nul doute, le support du pathos dans l’épopée. Il véhicule les émotions qui

agitent les acteurs»287.

Wangrin et Romo ont eu plusieurs affrontements verbaux. Comme, quand Wangrin

lui déclare ingratement la guerre après avoir joui de son hospitalité. Relevons cet extrait de

ce dialogue épique :

287 DIENG, B., Société wolof et discours du pouvoir, op. cit, p. 281.

154

Page 155: Memoire Fin Original

« Tu ne saurais donc m’en vouloir (dit Wangrin) si je fais tout mon possible pour revenir servir ici en

ton lieu et place.[…]

- Serais-tu armé de flammes, Wangrin, s’écria Romo qui avait enfin repris ses esprits, que je les

éteindrais. Certes, tu ne peux être que l’enfant naturel d’une femme troussée dans la paille par des

canailles, et pour rien encore !

- Ohé, Romo ! ne salis pas ta bouche en m’injuriant. Il vaut mieux pour toi te mettre sur tes gardes

contre moi, Wangrin, dit “Gongoloma-Sooké’’.[…]

Ce qui comptera dans notre compétition pour la place d’interprète à Yagouwahi, ce sont mes astuces,

mon aplomb et mes pouvoirs occultes »288.

Les « pouvoirs occultes » sont brandis par le héros pour menacer son adversaire.

N’est-ce pas le fait que Romo prit à la légère cette mise en garde qui favorisa le succès de

son ennemi ?

La passation de service entre Romo et Wangrin est l’occasion de pugilats entre les

protagonistes qui à défaut de se battre ouvertement, le font en sourdine au moyen

d’insultes.

L’affrontement physique n’est pas absent dans le roman. On se souvient de la lutte

entre Racoutié et Wangrin, sur la place de Diagaramba et aussi de la puissante gifle que ce

dernier donna à Romo venu l’arrêter dans sa boutique.

Inutile de revenir sur le surnaturel, dont nous avons longuement fait état dans cette

étude, qui rapproche encore L’étrange destin de Wangrin… au récit épique.

288 BA, A. H., L’étrange destin de Wangrin…, op. cit., p. 104-107.

155

Page 156: Memoire Fin Original

********

L’étrange destin de Wangrin… est donc une œuvre littéraire qui, quoique apparentée

au roman, doit beaucoup aux genres oraux africains. Hampâté Bâ y déploie à merveille ses

talents de conteur, lui qui se targuait d’être l’héritier du grand narrateur traditionniste

Koullel289. Le conte initiatique, avec ses éléments de mythe et de légende, l’épopée, récit

historique, dont l’objet est de vanter la geste d’un héros hors normes, forment ensemble la

plastique qui fonde l’originalité de cette œuvre. Dans cette dernière, la prégnance de la

magie aussi bien dans le procès du récit que dans la psychologie et la praxis des

personnages est permise non seulement par le contexte culturel mais aussi par le mode de

narration choisi, qui, aux antipodes de celui des romans européens classiques, reprend celui

de nos conteurs et griots.

289 Cf . l’œuvre autobiographique de A. H. Bâ intitulée Amkoullel, l’enfant peul, op., cit.

156

Page 157: Memoire Fin Original

CONCLUSION

Cette étude aura permis de mettre en lumière plusieurs données liées à la

représentation littéraire de la religion et de la magie dans L’étrange destin de Wangrin.

En premier lieu, il est constant que le religieux informe ce roman. La narration puise

forces et ressources dans ce phénomène qui se caractérise par l’extrême diversité de ses

variantes (chaque individu a sa propre manière de vivre sa religiosité), points de vue et

pratiques. En effet, trois grandes obédiences spirituelles s’y côtoient : le christianisme,

l’islam et la religion traditionnelle. Chacune d’elles manifeste ses particularités, qui percent

à travers les rôles, actes, paroles et, donc, la psychologie des personnages.

Dans le roman le christianisme, pour l’administration coloniale, se réduit au

catholicisme. Religion de la puissance colonisatrice, outil au service de la politique

assimilationniste, enseigné dans les écoles, celui-ci rencontre une forte résistance auprès

des élèves animistes et musulmans de l’Ecole des Otages. Wangrin a des préjugés

157

Page 158: Memoire Fin Original

défavorables vis-à-vis du catholicisme, même si, par opportunisme, il a su mobiliser le

soutien d’un prélat dans des moments difficiles.

Pour ce qui est de l’islam, très anciennement implanté, il s’est fondu dans la culture

locale. Il se manifeste partout : dans les parlers locaux, les mentalités et comportements,

etc. Il rythme, par ses heures de prières, la vie quotidienne. Wangrin, musulman en surface,

manipule les imams pour servir ses roueries.

La religion traditionnelle, appelée, nous avons montré pourquoi, animisme, est en

réalité un polythéisme que l’on peut rapprocher de l’hindouisme. Ses manifestations dans le

roman sont nombreuses. Elle a ses lieux de culte, ses rites, ses interdits, etc. Le plus

souvent, ses pratiquants sont des musulmans, qui ne se gênent point de pratiquer le

syncrétisme religieux.

En second lieu, on note que le syncrétisme islamo-animiste est une conciliation de

pratiques et de points de vue relevant du legs religieux traditionnel et de l’islam. Ce

syncrétisme a moulé le moi profond de la plupart des protagonistes du récit, même les

imams et marabouts qui sont censés enseigner et protéger l’authenticité de l’islam.

Cependant, ce syncrétisme n’est pas une fusion harmonieuse des deux traditions

religieuses : il est maintes fois arrivé dans le roman que les principes islamiques

contredisent les coutumes et pratiques locales. Et à chaque fois, le personnage en situation

doit choisir ; il penche souvent pour les règles et lois qui se conforment à ses intérêts

personnels (voir la deuxième partie, chapitre trois) sans renier toutefois aucune forme de

religion. L’opportunisme religieux est une réalité dans L’étrange destin de Wangrin.

En troisième lieu, il s’avère que la magie est intrinsèquement liée à la religion. En

fait, nous l’avons amplement démontré supra, religion et magie sont configurées par une

rationalité identique (conceptualisée par des ethnologues comme Lévi-Strauss sous

l’appellation de pensée magique) : elles adjoignent à la réalité objective une dimension

occulte, ou surréelle, dans laquelle des explications des phénomènes, des circonstances de

la vie prennent leur source. Et, en conséquence, toutes deux tentent de manipuler les

événements et d’agir sur le destin. Nous nous souvenons de la manière fort pertinente dont

158

Page 159: Memoire Fin Original

Marie-Line Bretin démontre que la prière est un acte de magie (voir chapitre premier de la

troisième partie).

En quatrième lieu, il apparaît que le magico-religieux a fortement marqué le style

d’Amadou Hampâté Bâ. L’oralité se prête mieux à un récit aussi imprégné de surnaturel.

D’où les multiples emprunts d’Amkoullel (l’auteur) aux genres oraux traditionnels : le

conte, la légende, le mythe, l’épopée.

Ainsi L’étrange destin de Wangrin nous est apparu dans notre analyse comme un

roman hybride qui intègre des caractéristiques relevant à la fois du conte initiatique et de

l’épopée. Le personnage principal a son destin déjà tracé par les dieux. Son itinéraire

parsemé d’obstacles aboutira chez lui à la connaissance de l’existence, qu’il enseignera à

son auditoire au terme de son parcours. Par ailleurs, Wangrin est assurément un héros

épique compte tenu de son destin exceptionnel et des capacités hors du commun dont il est

doué. En tant que tel, des antihéros lui barrent la route, conjuguant parfois leurs forces.

Mais, nous l’avons démontré dans la première partie, cinquième remarque, le fait

qu’une place de choix soit faite dans ce roman au magico-religieux n’est pas surprenant.

Amadou Hampâté Bâ est un passionné de spiritualité et d’occultisme, toute son importante

production écrite en témoigne. De plus, il a puisé aussi bien aux sources de l’islam qu’à

celles de la religion de ses ancêtres : il est issu d’une famille où sont nés de grands chefs

religieux musulmans (dont Elhadji Omar Tall) mais aussi animistes (comme le silatigi

Paaté Pullo).

Qui plus est, le contexte socioculturel du roman est parcouru par le sacré. A l’époque

de Wangrin (fin XIXe – début XXe siècles), l’authenticité de la civilisation africaine n’était

pas encore fortement atteinte, la religion traditionnelle était vivante et pratiquée

quotidiennement par de nombreux fidèles.

L'étrange destin de Wangrin est donc réaliste, même s’il contient des faits

appartenant au monde surnaturel. Il ne fait que refléter la réalité africaine où le sacré et le

profane se côtoient au quotidien, dans toutes les sphères de la vie sociale. Le même mode

159

Page 160: Memoire Fin Original

narratif se retrouve dans les romans du Colombien Gabriel Garcia Marquez (Prix Nobel de

Littérature). Des critiques littéraires l’ont désigné sous le concept de réalisme magique ou

réalisme merveilleux.

L'étrange destin de Wangrin fait un état des lieux, des photographies d'ensemble et de

détail, de la vie religieuse africaine durant la période coloniale, montrant les pratiques

magiques et la texture du  sacré dans l'espace de l'Afrique Occidentale Française de

l'époque. En ce sens c’est un témoignage, un précieux document historique et ethnologique.

A. Hampâté Bâ nie avoir inventé le récit de la vie de Wangrin. Mais c’est comme

dans l’autobiographie, le narrateur ne peut être totalement fidèle à la vérité. L'étrange

destin de Wangrin est certainement un roman où l’auteur a su combiner de manière

cohérente les personnages, leurs actions, les lieux, les temps pour obtenir un univers qui,

même identique au réel, n’est pourtant pas le réel authentique. Il a su, comme le dit si bien

Garnier290, ajouter du réel au réel, afin de donner du sens au réel.

A travers ce modeste travail, nous avons essayé d’apporter une contribution à la mise

en lumière du magico-religieux dans L'étrange destin de Wangrin. D’autres études

pourraient être entreprises ayant trait, par exemple, à la représentation du magico-religieux

dans l’ensemble de l’œuvre littéraire d’Amadou Hampâté Bâ ou comparant la

représentation de la religion et de la magie dans les productions littéraires de plusieurs

auteurs africains et même latino américains (comme le colombien Gabriel Garcia

Marquez).

290 GARNIER, X., op. cit.

160

Page 161: Memoire Fin Original

BIBLIOGRAPHIE

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BEKKAT, Amina A., « L’Etrange destin de Wangrin ou les roueries d’un auteur africain », Revue sur les cultures et littératures nationales d’expression française, Alliance française de Lecce, 2003

CHEVRIER, Jacques, « Amadou Hampâté Bâ » in Littératures francophones, CLEF, 1994

DIAGNE, Mamoussé, Critique de la raison orale, les pratiques discursives en Afrique noire, Paris Karthala,2005

DIENG, Bassirou, Société wolof et discours du pouvoir, Presses Universitaires de Dakar, novembre, 2008

DIENG, Samba « l’Etrange destin de Wangrin, essai d’interprétation » in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dakar, n° 15, 1985, p. 164.

DIOP, Birago, Leurres et Lueurs, Présence Africaine, 1960.

ECHENIM, K., «  De l’oralité dans le roman africain », in  Peuples noirs, peuples africains , 24 nov-décembre 1981.

FRANCE, Anatole, La Vie littéraire, Calmann Lévy, 1892

168

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GARNIER, Xavier,  La magie dans le roman africain, Presses Universitaires de France,

Paris, 1999, 162 pages.

GREIMAS, A. J., Sémantique structurale : recherche et méthode, Presses universitaires de France, Paris, 1986, 262 pages.

KESTELOOT, Lilyan, « «A. Hampâté Bâ, l’homme de foi et l’homme de gnose ».

LAYE, C., L’enfant Noir, Presses-Pocket, 1976 

MAKONDA, Antoine, L’étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampaté Bâ, étude critique, Nathan, Paris, 1988, p. 24.

NIANE, Djibril Tamsir, Soundjata ou l'épopée mandingue, Présence Africaine, 1960.

OYONO, F., Une vie de boy, Julliard, 1956

169

Page 170: Memoire Fin Original

PROPP, Vladimir, Morphologie du Conte, Paris Seuil, 1970, 246 pages

SADJI, A., Nini, mulâtresse du Sénégal, Présence africaine, 1988 - 252 pages

SENGHOR, Léopold Sédar, « Prière aux masques » in Chants d’Ombre, Seuil, 1945.

TRIAUD, Jean-Louis, D’un maître à l’autre : L’histoire d’un transfert. Amadou Hampâté Bâ entre Thierno Bokar et Théodore Monod (1938-1954), Africa Studies Centre Workshop, 17-18 September 2007.

V. WEBOGRAPHIE

http://fr.wikipedia.org/wiki/spiritualité.

Wikipédia, « le royaume de Ségou », 29/06/2010, 21h 25.

170

Page 171: Memoire Fin Original

Wikipédia, « Religions africaines traditionnelles »

Wkipedia, Les Peuls, 19/07/10, 11h 32 mn

BERGSON, Henry, Les deux sources de la morale et de la religion, version numérique, sur le lien http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Trinité_chrétienne, le 15/08/10, 12 :31.)

http://www.aimer-jesus.com/coran_trinite.php

: http://bharat.pagesperso-orange.fr/hindouisme/index.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Hindouisme

 http://fr.wikipedia.org/wiki/Mythologie_grecque

http://fr.wikipedia.org/wiki/Superstition

http://fr.wikipedia.org/wiki/Augure

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/38/88/39/PDF/Trouil_Sar_RFP_2003.pdf

171

Page 172: Memoire Fin Original

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 2

PREMIÈRE PARTIE : RELIGION ET MAGIE DANS LA VIE DE L'AUTEUR ET DANS LE CONTEXTE HISTORIQUE ET SOCIOCULTUREL DE L’OEUVRE 2

CHAPITRE PREMIER : AMADOU HAMPÂTÉ BÂ : UNE VIE ET UN PARCOURS MARQUÉS PAR LA SPIRITUALITÉ 2

I. SES ORIGINES 2

II. SON ÉDUCATION  2

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Page 173: Memoire Fin Original

CHAPITRE DEUX : LA RELIGION ET LA MAGIE DANS LE CONTEXTE HISTORIQUE ET SOCIOCULTUREL DE L’ŒUVRE 2

I. L’OMNIPRESENCE DU SURNATUREL DANS LES RECITS HISTORIQUES ORAUX EN L’AFRIQUE DE L’OUEST 2

II. LA RELIGION COMME CONSTANTE CULTURELLE 2

A. DANS LA SOCIETE BAMBARA 2

B. DANS LA SOCIETE PEULE 2

DEUXIEME PARTIE : MANIFESTATIONS ET ASPECTS DU RELIGIEUX DANS L'ÉTRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

CHAPITRE PREMIER : DE LA NOTION DE RELIGION 2

CHAPITRE DEUX : LE CHRISTIANISME DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

CHAPITRE TROIS : L’ISLAM DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

CHAPITRE QUATRE : LA RELIGION AFRICAINE TRADITIONNELLE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

I. L’ONTOLOGIE TRADITIONNELLE AFRICAINE 2

II. LES DIVINITES 2

III. ETRES ET CHOSES SACRES  2

IV. LES ESPACES SACRES  2

V. LE CULTE ET LES RITES TRADITIONNELS  2

TROISIEME PARTIE : LA MAGIE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

CHAPITRE PREMIER : DE LA NOTION DE MAGIE  2

I. DEFINITION DU CONCEPT DE MAGIE 2

II. LE RAPPORT ENTRE LA MAGIE ET LA RELIGION 2

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Page 174: Memoire Fin Original

CHAPITRE DEUX : PENSEE MAGIQUE ET PRATIQUES MAGIQUES DANS LE ROMAN 2

I. LA SUPERSTITION  2

II. MAGIE ET DESTIN 2

A. LA PREDESTINATION DE LA VIE DE WANGRIN 2

B. PREDICTIONS ET ITINERAIRE DE WANGRIN  2

C. SACRIFICES, PRIERES ET DESTIN DE WANGRIN 2

CHAPITRE TROIS : L’ORALITE : TERRAIN DE PREDILECTION DU SURNATUREL 2

I. LA PAROLE MAGIQUE 2

II. EMPRUNTS AUX FORMES ORALES TRADITIONNELLES 2

A. CARACTERISTIQUES DU CONTE INITIATIQUE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

B. LES TRAITS EPIQUES DE L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN 2

CONCLUSION 2

BIBLIOGRAPHIE 2

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