Mémoire de stage
présenté par
Jean-Baptiste Gratecap
pour obtenir le diplôme
Mastère spécialisé Forêt, Nature et Société
Promotion 2008/2009
Construire des outils de médiation environnementale : analyse embarquée d’une démarche de modélisation d’accompagnement pour une gestion concertée sur le
territoire du Luberon
soutenu publiquement le 3 mai 2010
à AgroParisTech-ENGREF
Centre de Montpellier
devant le jury suivant :
Dr Etienne Michel, directeur de recherche
Maître de stage INRA
Dr Leroy Maya, enseignant-chercheur
Tuteur ENGREF
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à Michel Etienne qui a su me transmettre ses connaissances
méthodologiques de modélisation et sa science des processus participatifs, tout en m’octroyant une
liberté et une autonomie importante dans mes choix et dans l’animation au cours de la démarche.
Les séances de codage (et de débugage) sur CORMAS, très instructives, m’ont permis d’appréhender
de la meilleure des façons les dynamiques à l’œuvre autour du modèle Luberon. Ce mémoire aurait à
coup sûr été moins complet sans ces discussions quotidiennes autour d’une « mauvaise limonade ».
Merci aussi pour les cours « lutte contre la chaleur à l’usage des parisiens » qui m’ont été dispensés
au cours de ce stage.
Un grand merci à Jacques Lasseur pour sa disponibilité, sa bonne humeur et sa patience lors des
séances répétées de visionnage de cartes pour la procédure d’installation des éleveurs. Les moments
de paramétrage du modèle et d’élaboration du jeu de rôles m’auront permis de m’initier au langage
des zootechniciens (« journée brebis », « taux de raclage »), d’améliorer mes connaissances
méthodologiques lacunaires en modélisation mais aussi de profiter de ses analyses pertinentes sur la
démarche Luberon. Un grand merci aussi pour le prêt des cartes IGN et les conseils avisés sur les
randonnées à faire sur le Luberon.
Je tenais également à remercier toute l’équipe de l’ECODEV à l’INRA d’Avignon pour son accueil
chaleureux malgré mon statut de « semi-clandestin » au début de ce stage. Les cafés sous les
platanes, les parties de pétanques/golf/volley auront grandement amélioré mon séjour à Avignon.
Un merci particulier à Christine, Joëlle et Viviane pour la logistique, à Michel, Martine et Hughes pour
la bibio et surtout à Servane, Guillaume et Pascal pour les conseils.
Je voudrais remercier tout spécialement les « acteurs/partenaires/participants » de la démarche
Luberon. Leur implication dans le processus, leurs analyses pertinentes et les dialogues déployés lors
des temps forts collectifs auront considérablement enrichi mon stage. Un merci tout particulier à
ceux qui auront trouvé le temps pour le paramétrage du modèle, pour l’approfondissement des
scénarios ou encore pour la lecture des interminables présentations décrivant les résultats des
simulations. J’espère ne pas avoir trahi d’une quelconque façon leurs propos dans ce mémoire. Merci
enfin pour les bons moments passés sur les terrasses de Gargas.
Merci à Maya Leroy de l’ENGREF pour son encadrement avisé et son dynamisme, ainsi que pour
l’ensemble des cours dispensés lors de ce mastère. Je souhaite ici lui présenter mes excuses pour le
délai avec lequel ce mémoire lui a été rendu… Merci aussi à Géraldine Derroire pour sa patience lors
du suivi et de l’organisation de la soutenance. Merci enfin à Pierre-Marie Aubert et Sébastien Treyer
pour le voyage au Maroc et pour les connaissances transmises sur la mise en œuvre d’une analyse
prospective.
Merci enfin à mes amis guyanais/nancéens/montpelliérain pour m’avoir accompagné au cours de ce
stage (notamment à Jérémy, Alex et Léa pour m’avoir accompagné jusqu’au bout...), à mes
camarades rouennais et à mes parents. Merci à Marie.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Sommaire
Remerciements ............................................................................................................................ 2
Introduction ................................................................................................................................. 9
I-Présentation de la démarche .................................................................................................... 11
1. Le cadre institutionnel ................................................................................................................... 11
A. Un programme de recherche… ................................................................................................. 11
B. … associé à des institutions locales ........................................................................................... 11
2. Enjeux et problématique du projet. .............................................................................................. 12
II-La modélisation d’accompagnement: fondements et dispositifs ............................................... 13
1. Les fondements théoriques ........................................................................................................... 13
A. Systèmes complexes et gestion de l’environnement ................................................................ 13
1. L’étude de systèmes complexes ............................................................................................ 13
2. L’accompagnement d’un processus de décision dans un système complexe ...................... 14
B. De l’individu au collectif ............................................................................................................ 14
1. Une approche constructiviste des interactions entre acteurs .............................................. 14
2. Une approche collective de la gestion des ressources naturelles......................................... 15
C. Une démarche pour une gestion « patrimoniale » des ressources naturelles ......................... 15
D. Les objectifs de la démarche et le rapport à la décision ........................................................... 16
1. Les objectifs potentiels d’une démarche de modélisation d’accompagnement : une
typologie ........................................................................................................................................ 16
2. Une démarche en amont de la prise de décision .................................................................. 17
3. Une démarche de concertation ............................................................................................. 18
2. La mobilisation d’outils de modélisation....................................................................................... 18
A. Une démarche de modélisation ................................................................................................ 18
B. Les systèmes multi-agents (SMA) .............................................................................................. 19
1. Les bases théoriques ............................................................................................................. 19
2. Un outil souple pour la représentation du système .............................................................. 19
3. La plate-forme CORMAS ........................................................................................................ 20
C. Les Jeux de Rôles ....................................................................................................................... 21
D. Simulations et scénarios : des outils pour se projeter dans le futur ......................................... 21
1. Des trajectoires dans un monde incertain ............................................................................ 21
2. Différents types de scénarios mobilisés dans les démarches ComMod ............................... 22
3. Des facteurs de changement différents ................................................................................ 22
E. Un cadre théorique pour l’appréhension des modèles dans la démarche de modélisation
d’accompagnement ........................................................................................................................... 23
1. Le modèle comme outil d’acquisition de connaissances sur le système modélisé .............. 23
2. Un rôle de médiateur ............................................................................................................ 24
3. Le modèle comme support pour l’analyse d’une situation de coordination ........................ 25
4. L’autonomie de l’objet dans la démarche ............................................................................. 26
5. Un cadre de validation des modèles ..................................................................................... 27
3. Le déroulement d’une démarche de modélisation d’accompagnement ...................................... 28
A. Une structure générale des démarches de modélisation d’accompagnement ........................ 28
1. Définition de la question et de l’objectif de la modélisation d’accompagnement ............... 29
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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2. Définition des éléments de contexte utiles pour le démarrage de l’intervention ................ 29
3. La co-construction d’une représentation commune de la question : le modèle conceptuel 30
4. L’implémentation du modèle conceptuel ............................................................................. 30
5. L’utilisation du modèle : la simulation .................................................................................. 30
6. L’évaluation de la démarche ................................................................................................. 30
7. L’institutionnalisation de la démarche et de ses résultats .................................................... 31
B. Des dispositifs d’interactions entre chercheurs et acteurs pour la création des modèles ....... 31
1. Le principe de co-construction .............................................................................................. 31
2. Une boucle itérative pour la création des modèles .............................................................. 32
3. Des dispositifs combinés pour « ouvrir la boite noire » du modèle ..................................... 32
C. La démarche de modélisation d’accompagnement vue comme une « chaîne de traduction » 34
1. La traduction, un processus de déplacement ....................................................................... 34
2. Un cadre d’analyse intéressant pour le processus de co-construction................................. 34
4. Posture du chercheur dans un processus de modélisation d’accompagnement ......................... 35
A. Une recherche « impliquée » .................................................................................................... 35
1. Le chercheur, un acteur de la démarche ............................................................................... 35
2. Le chercheur : un acteur neutre ? ......................................................................................... 36
B. Un rôle de médiation ................................................................................................................. 37
1. Le chercheur : concepteur/animateur/modélisateur de la démarche ................................. 37
2. Un pouvoir important dans la démarche .............................................................................. 37
C. Le cadre déontologique ComMod ............................................................................................. 38
1. Une mise en discussion continue des hypothèses ................................................................ 38
2. Un objectif de transparence dans la démarche .................................................................... 38
3. Une posture fondamentalement réflexive ............................................................................ 39
III-Définir une politique de terrain : l’acteur et le chercheur dans la démarche ............................. 40
1. Description du stage : une intervention ponctuelle dans le processus ........................................ 40
A. Missions effectuées pendant le stage ....................................................................................... 40
1. Les commandes à l’origine du stage ..................................................................................... 40
2. Un travail de modélisation et d’animation qui s’inscrit dans la continuité .......................... 40
B. Une analyse forcément partielle et partiale du processus ....................................................... 41
1. Une participation ponctuelle dans la démarche ................................................................... 41
2. L’étude du contexte de la démarche dans une analyse « embarquée » .............................. 42
3. Des interactions asymétriques avec les participants à la démarche .................................... 42
2. La posture et les outils de l’animateur/modélisateur ................................................................... 42
A. L’enjeu méthodologique : une co-construction totale.............................................................. 43
1. Une co-construction exhaustive pendant le processus ........................................................ 43
2. Une co-construction aboutie des modèles ........................................................................... 43
B. Une posture d’accompagnement neutre .................................................................................. 44
1. Un animateur/modélisateur à la disposition des partenaires .............................................. 44
2. Notre posture de stagiaire : deux stratégies pour assurer la neutralité ............................... 45
3. Les enjeux propres à cette posture ....................................................................................... 45
C. Des outils et des pratiques pour la co-construction ................................................................. 46
1. Les outils pour une traçabilité de la démarche ..................................................................... 46
2. Des pratiques d’animation .................................................................................................... 47
3. Des pratiques d’implémentation pour une lisibilité du code informatique .......................... 48
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3. Une posture méthodologique réflexive pour l’analyse de la démarche ....................................... 49
A. Une analyse réflexive et embarquée ......................................................................................... 49
1. Une approche ethnographique sur la « démarche-en-train-de-se-faire » ........................... 49
2. Une exigence de symétrie pour l’analyse d’un programme de recherche-action ................ 49
B. Reconstituer la dynamique d’une démarche participative ....................................................... 50
1. L’étude d’un processus .......................................................................................................... 50
2. Une « structuration conjointe des formes sociales et techniques » de la démarche ........... 51
3. Reconstituer le récit de la démarche à travers des configurations d’un réseau ................... 51
C. Les données disponibles : une méthodologie sous contraintes pour appréhender l’individu
derrière le collectif ............................................................................................................................ 52
1. Appréhender le collectif à l’échelle de l’individu .................................................................. 52
2. Des données « officielles » : l’observation des temps forts collectifs................................... 52
3. L’analyse des objets de la démarche : des « différences significatives » dans la construction
des modèles ................................................................................................................................... 53
4. Des données « officieuses » sur les à-côtés de la démarche ................................................ 54
D. Trianguler des données de nature diverses .............................................................................. 55
IV-L’analyse du processus à travers les dispositifs mobilisés ........................................................ 56
1. Ouvrir la boite noire du « collectif » .............................................................................................. 57
A. Description du collectif .............................................................................................................. 57
1. Un forum hybride ? ............................................................................................................... 57
2. Derrière le « collectif », des individus ................................................................................... 58
3. Un collectif à plusieurs niveaux ............................................................................................. 59
4. Un collectif à géométrie variable .......................................................................................... 59
B. Le groupe de pilotage : un cadre idéal pour une démarche de modélisation
d’accompagnement ? ........................................................................................................................ 60
1. Des « partenaires » ................................................................................................................ 60
2. Un cadre idéal pour mener un processus de co-construction .............................................. 61
C. Une gamme variée d’objectifs et d’enjeux mobilisée par le collectif ....................................... 61
1. Une « convergence » problématique .................................................................................... 62
2. Entre exploration et opérationnalité..................................................................................... 62
3. Appréhender le « milieu » ou le « territoire » ? .................................................................... 64
4. Une hiérarchisation souvent limitée des objectifs poursuivis .............................................. 66
2. Description problématisées des modèles créés dans la démarche Luberon ................................ 66
A. Le modèle SMA .......................................................................................................................... 67
1. Présentation générale ........................................................................................................... 67
2. « L’environnement » du modèle ........................................................................................... 68
3. Fonctionnement des composantes biophysiques du modèle ............................................... 73
4. Granularité et fonctionnement des agents ........................................................................... 74
5. Les scénarios dans la démarche Luberon .............................................................................. 75
3. Une analyse dynamique du processus d’accompagnement ......................................................... 80
A. Du modèle conceptuel au modèle informatique ...................................................................... 81
1. Un glissement thématique important ................................................................................... 81
2. Des limites liées aux données mobilisables .......................................................................... 82
3. Des effets de modes ? ........................................................................................................... 82
B. Du SMA au jeu de rôles ............................................................................................................. 82
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1. Les objectifs : deux versions pour un jeu de rôles ................................................................ 82
2. Des remises en cause liées au format ................................................................................... 85
3. L’influence de la modélisation SMA sur le jeu de rôles ......................................................... 88
V-Pratiques de co-construction et produits co-construits dans la démarche Luberon .................... 91
1. Les pratiques des acteurs lors des phases de co-construction ..................................................... 91
A. Les données mobilisées et la cohérence des procédures ......................................................... 91
1. Des données manquantes ou problématiques ..................................................................... 91
2. La nature des données mobilisées ........................................................................................ 93
3. La cohérence des procédures ................................................................................................ 95
B. L’implémentation : une opération neutre ? .............................................................................. 95
1. Des glissements dans l’implémentation ................................................................................ 96
2. Des interférences propres au modélisateur : la construction des points de vue ................. 96
3. L’identification de marges de manœuvre dans les pratiques d’implémentation ................. 97
C. Les phases de validation et de rectification des modèles ......................................................... 98
1. La validation par les partenaires : une confrontation des simulations avec des résultats
attendus......................................................................................................................................... 98
2. Les postures de validation adoptées par les partenaires ...................................................... 99
2. Les différentes casquettes de l’animateur/modélisateur ........................................................... 101
A. Un rôle de pilote ...................................................................................................................... 101
B. Un rôle d’expert ...................................................................................................................... 102
1. L’expertise dans une démarche ComMod : un paradoxe .................................................... 102
2. Une expertise scientifique ................................................................................................... 102
3. Une expertise personnelle .................................................................................................. 103
C. Une participation active à la co-construction ? ....................................................................... 103
D. La légitimité du chercheur par rapport aux partenaires ......................................................... 104
3. Une démarche de co-construction qui s’essouffle ...................................................................... 104
A. L’initialisation de la dégradation ............................................................................................. 105
1. Durée de la démarche et turn-over..................................................................................... 105
2. La recherche d’une représentation réaliste du territoire ................................................... 106
B. Les causes de la dégradation : un double mécanisme de « sédimentation » ......................... 106
1. Une sédimentation des procédures .................................................................................... 106
2. Une sédimentation du modèle ............................................................................................ 106
3. Une transparence problématique ....................................................................................... 107
C. Les impacts sur les produits de la démarche : les formes de dégradation des produits de la co-
construction .................................................................................................................................... 107
1. Une gestion difficile de l’itération au sein de la démarche de co-construction ................. 107
2. Des problèmes potentiels dans l’utilisation du modèle Luberon ....................................... 108
D. Les impacts sur la qualité de la démarche : l’apparition de boucles dégradées de co-
construction .................................................................................................................................... 109
VI- Modélisation d’accompagnement et processus de concertation ............................................ 111
1. Evaluation des « produits dérivés » de la démarche .................................................................. 111
A. La modélisation d’accompagnement comme processus d’apprentissage pour les acteurs ... 111
1. Le modèle comme support d’expression de points de vue et de pratiques sur le milieu .. 111
2. Des mécanismes d’apprentissage individuel par la confrontation au SMA ........................ 112
3. Compléter l’approche experte par le jeu de rôles ............................................................. 112
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B. La modélisation d’accompagnement comme processus de coordination entre acteurs ....... 113
1. La modélisation pour identifier des points stratégiques de coordination .......................... 113
2. La modélisation pour mettre en concordance des stratégies de gestion du milieu ? ........ 114
3. Un processus de co-construction qui génère des blocages dans la dynamique de
coordination ................................................................................................................................ 114
C. La dimension prospective de la démarche .............................................................................. 115
1. Un constat : des scénarios limités ....................................................................................... 115
2. SMA et prospective ............................................................................................................. 116
3. Validité d’une prospective co-construite dans la démarche Luberon ................................ 117
4. Jeu de rôles et dimension prospective ................................................................................ 119
5. Le modèle comme support d’une discussion prospective .................................................. 119
2. Equité, représentativité et légitimité dans la démarche Luberon .............................................. 120
A. Le modèle comme support des réflexions stratégiques ......................................................... 120
1. L’expression d’une arène de négociation............................................................................ 120
2. Des outils plastiques ............................................................................................................ 120
3. Eclairer les stratégies et la posture des participants par l’étude de la démarche .............. 122
B. Des disparités individuelles : des légitimités variables dans le processus .............................. 124
1. Des statuts différents .......................................................................................................... 124
2. Le critère de proximité à l’animateur/modélisateur ........................................................... 124
3. La modélisation : un vecteur de disparités ? ....................................................................... 125
4. La proximité à la démarche de modélisation d’accompagnement ..................................... 126
C. Des disparités thématiques : des mécanismes d’inertie dans la démarche ........................... 127
1. Des produits représentatifs du collectif mobilisé ? ............................................................. 127
2. L’impact de l’évolution du collectif ..................................................................................... 127
3. L’inertie des modèles : une « cristallisation » de la démarche ........................................... 128
D. Un exemple : le traitement des thématiques environnementales dans la démarche Luberon
129
1. L’environnement à l’initialisation de la démarche .............................................................. 130
2. L’environnement dans le modèle Luberon ......................................................................... 130
3. L’arrivée d’un nouvel agent pour le PNR : réalités et limites du développement des
thématiques environnementales ................................................................................................ 131
VII- Discussion: limites de la démarche et pistes de réflexion ...................................................... 133
1. Retour sur le cadre d’analyse mobilisé pour l’analyse d’une démarche de recherche-action ... 133
2. Les limites de la démarche .......................................................................................................... 133
A. Deux pôles en tension dans la démarche Luberon ................................................................. 133
B. Des limites propres à chaque type d’objectifs ........................................................................ 134
1. Le modèle Luberon peut-il constituer un outil d’aide à la décision ? ................................. 134
2. Des limites pour la production de produits dérivés ............................................................ 134
C. Des causes identiques ............................................................................................................. 135
1. Un manque de cohérence dans la démarche. ..................................................................... 135
2. Des difficultés dans la mobilisation de l’outil par le collectif .............................................. 135
3. L’utilisation d’un modèle et ses limites ............................................................................... 135
3. Des axes d’amélioration pour l’accompagnement ...................................................................... 136
A. Comment faire intervenir le modèle informatique ? .............................................................. 136
1. Se limiter à des situations mieux connues .......................................................................... 136
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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2. Réfréner les envies de « réalisme » et d’exhaustivité ......................................................... 136
3. Mobiliser le modèle comme un « laboratoire virtuel » ...................................................... 137
4. Se ménager de véritables moments d’exploration qualitative ........................................... 137
B. La co-construction de la démarche comme projet : construire et gérer plutôt que subir le
processus d’accompagnement ........................................................................................................ 137
1. Mieux hiérarchiser les objectifs .......................................................................................... 137
2. Limiter la longueur de la démarche .................................................................................... 138
3. Gérer le collectif .................................................................................................................. 138
4. Mieux définir les données utilisées ..................................................................................... 138
C. Pour une posture plurielle et adaptative du chercheur dans la co-construction ................... 138
Conclusion ................................................................................................................................ 140
Références bibliographiques ...................................................................................................... 142
Liste des abréviations ................................................................................................................ 145
Liste des figures ......................................................................................................................... 146
Annexes .................................................................................................................................... 147
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
9
Introduction
Face à l’importance grandissante de l’idée d’implication des populations dans les projets de
développement, Leroy (2008) souligne la nécessité d’analyser les pratiques et les dispositifs concrets
basés sur l’idée d’une participation des acteurs locaux :
« L’ambiguïté des discours sur la participation, la rhétorique qui accompagne les projets et
programmes « participatifs » ne devraient néanmoins pas laisser penser qu’il n’y aurait alors aucun
intérêt à étudier les expériences pratiques. Bien au contraire, il nous semble qu’il s’agit d’un défi
majeur pour la recherche en sciences sociales que de développer des analyses approfondies et situées
de ces dispositifs »(Leroy, 2008).
Nous proposons ici de nous intéresser à un programme de recherche-action mené dans le Luberon et
de reprendre à notre compte cette problématique en menant une analyse approfondie de cette
démarche. Le programme en question concerne des thématiques de gestion de l’environnement sur
le massif du Luberon ; il porte plus particulièrement sur les dynamiques propres à l’élevage ovin, et
sur les interactions entre cette activité et les évolutions des espaces naturels et du territoire. Le
dispositif mobilisé par les chercheurs de l’INRA, développé notamment au sein du groupe de
chercheurs ComMod, vise à amener des acteurs locaux à co-construire un modèle informatique et un
jeu de rôles pour développer, entre autres, une vision prospective et collective de la gestion des
ressources naturelles de ce territoire.
Pour analyser la mise en œuvre pratique de ce programme participatif, on choisit de se confronter à
la réalité, au quotidien de ce processus mettant en articulation des chercheurs, des partenaires et
des acteurs locaux, mais aussi des objets ou des dispositifs construits pendant ce processus. Nous
faisons ici l’hypothèse que les interactions qui se développent entre les acteurs, intégrés dans un
collectif, ne permettent pas à eux seuls de saisir pleinement la dynamique de ce programme. Nous
associerons donc à notre analyse l’étude fine et dynamique des objets créés lors de la démarche et
des interactions que ces objets forment avec les différents individus impliqués dans le processus de
concertation. Ces interactions constituent l’objet scientifique analysé ici (Hervé & Laloë, 2009).
Cette analyse se veut également embarquée, donc réflexive et impliquée ; elle vise à rendre compte
des travaux menés dans le cadre de cette démarche, pendant le stage de 6 mois qui a précédé la
réalisation de ce mémoire. Il s’agira de rendre compte d’une méthodologie et d’une éthique propres
à la modélisation d’accompagnement, mais aussi d’aborder les questions soulevées par une mise en
pratique concrète de cette méthodologie dans un cadre de recherche-action.
Après avoir présenté le contexte du stage, nous aborderons les bases théoriques et méthodologiques
mobilisées dans une démarche de modélisation d’accompagnement. Nous décrirons ensuite le cadre
méthodologique que nous mobiliserons pour l’analyse de la démarche Luberon mais aussi la posture
qui a pu guider notre intervention au cours de ce processus.
Pour l’analyse des résultats, nous proposerons une description schématisée du dispositif
engagé dans la démarche, notamment du collectif mobilisé et des outils élaborés. En articulant ces
éléments, nous dégagerons une première analyse dynamique du processus d’accompagnement.
Nous reviendrons ensuite sur la mise en œuvre concrète de la méthodologie de modélisation
d’accompagnement, en confrontant ses principes et hypothèses aux produits, aux pratiques
concrètes des chercheurs, et aux perceptions qu’ont les partenaires des outils développés. Nous
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
10
analyserons enfin la dynamique de participation qui se noue autour du dispositif, à travers l’évolution
conjointe des enjeux mobilisés, de la structuration du collectif et des produits créés.
En discussion, le cadre d’analyse nous permettra de proposer une évaluation située du processus à
l’œuvre dans cette démarche mais aussi de proposer des voies d’amélioration méthodologique pour
la modélisation d’accompagnement.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
11
I-Présentation de la démarche
Nous présentons ici le cadre institutionnel, les porteurs, les enjeux et les objectifs affichés de la
démarche de recherche-action menée dans le Luberon. Il s’agit ici de contextualiser l’intervention de
la recherche dans un cadre d’action local, de reconstituer la demande à la base de la démarche.
1. Le cadre institutionnel
A. Un programme de recherche…
Cette démarche s’inscrit dans le cadre du projet « Transformation de l’élevage et dynamique des
territoires » (projet ADD-Trans). Ce projet, qui se déroule d’octobre 2005 à février 2009, est financé
dans le cadre du programme de recherche « Agriculture et Développement Durable » (ADD) de
l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Le processus mené dans le Luberon s’intègre plus
particulièrement à l’axe de recherche intitulé « Modèles et outils pour une gestion durable des
espaces naturels » (WP5).
L’enjeu de cet atelier, défini dans le rapport final du programme (Gibon & al., 2009) est de mieux
comprendre les interactions entre l’élevage et le territoire, défini comme une « étendue terrestre
utilisée et aménagée par des sociétés humaines » (Brunet & al., 2005):
« L’axe (…) s‘intéresse simultanément aux impacts des transformations de l’élevage sur la dynamique
des ressources naturelles et des paysages, ainsi qu’à la façon dont les modifications du contexte dans
lesquels se situent les territoires conditionnent le futur des activités ».
Cette analyse se base sur un cahier des charges précis ; elle doit mobiliser des outils de modélisation
spatiale pour aborder ces interactions sur la base de scénarios d’évolution des exploitations intégrant
des problématiques d’utilisation du sol :
« La finalité est de développer des modèles permettant de rendre compte des interactions entre les
pratiques agricoles et leur répartition spatiale, la diversité et la dynamique des exploitations et les
dynamiques écologiques et paysagères ».
Pour mener cette étude, les chercheurs doivent se confronter aux acteurs locaux. Le programme a en
effet recours aux exploitants pour mieux comprendre leurs pratiques dans l’espace et la trajectoire
de leur exploitation. Il les mobilise également lors de la phase de construction des scénarios
d’évolution.
Le Luberon a été sélectionné comme terrain dans le cadre de ce programme par l’un des chercheurs
de l’INRA engagé dans la démarche. Il prévoyait déjà l’utilisation d’une modélisation multi-agents
dans un but prospectif.
B. … associé à des institutions locales
Parallèlement au développement du programme de recherche ADD-Trans, le Parc Naturel Régional
du Luberon (PNRL) s’associe avec des institutions de développement de l’élevage, l’Institut de
l’Elevage (IE) et le Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée (CERPAM).
Ces institutions souhaitent faire un état des lieux de l’élevage dans le Luberon dans le cadre d'un
programme Life Vautour Percnoptère initié par le PNRL. Pour mener l’inventaire, elles mobilisent le
chercheur de l’INRA engagé dans le programme ADD-Trans en lui demandant des données. Dans le
même temps, l’un des partenaires membre du CERPAM prend connaissance des travaux sur la
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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modélisation d’accompagnement mené par le groupe de recherche ComMod (Lasseur, comm.pers.).
Le PNR propose enfin l’idée d’une analyse prospective. A ce sujet, il est intéressant de noter les liens
existants entre cette démarche et le processus de concertation développé autour de la Réserve de
Biosphère UNESCO sur le territoire du Lubéron. A ce titre, le PNRL a dû lancer une analyse
prospective pour établir sa charte, ce qui a permis une prise de conscience de l’intérêt de ce type
d’analyse, mais aussi l’établissement de relations entre cette institution et le chercheur de l’INRA
chargé de mener cette étude (Etienne, comm.pers.).
Il y a donc mobilisation conjointe de la recherche et des acteurs locaux autour d’un terrain – le
Luberon - et d’une problématique – mener une analyse prospective sur l’élevage ovin dans ce
territoire. Cette mobilisation est favorisée par le réseau d’interconnaissances déjà important entre le
chercheur de l’INRA et les partenaires des institutions de développement de l’élevage (Lasseur, non
paru).
Le financement du projet par le programme LIFE ayant été refusé, chaque structure impliquée dans
le processus s’est autofinancée.
2. Enjeux et problématique du projet.
L’enjeu défini pour le projet Luberon reprend fidèlement celui du programme de recherche ADD-
Trans. L’objectif est ici de construire des scénarios d’évolution de l’activité d’élevage et de ses
interactions avec les dynamiques du territoire (Lasseur & al., sous presse). La problématique globale
qui structure le projet est d’ailleurs définie en ces termes dans la chronique du projet :
« Quelle est la capacité de l’élevage à être présent là où il sera attendu dans 10 à 15 ans, en matière
d’implication dans des problématiques environnementales et de développement des territoires ? ».
Pour répondre à cette question, la méthodologie de modélisation d’accompagnement, portée par le
groupe de chercheurs ComMod dont fait partie l’un des chercheurs engagé dans le projet, est
mobilisée. Il s’agit de développer de manière conjointe un modèle de simulation des scénarios ainsi
qu’un jeu de rôles permettant de mener cette analyse prospective.
Avant d’envisager une quelconque description de la démarche menée dans le Luberon, il convient de
décrire précisément le cadre théorique et méthodologique dans lequel s’inscrit cette démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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II-La modélisation
d’accompagnement: fondements et
dispositifs
La modélisation d’accompagnement s’inscrit dans la mouvance des projets de développement
centrés autour d’une « participation » des parties prenantes, participation censée légitimer et
optimiser les orientations de gestion qui résultent du processus de prise de décision et qui constitue
aujourd’hui un paradigme dans le champ de l’aide au développement (Leroy, 2008). L’originalité de la
modélisation d’accompagnement par rapport aux autres démarches participatives réside dans les
modalités mêmes de cette « participation ». L’enjeu est ici de faire participer les acteurs à l’ensemble
du processus de réflexion autour des principes de gestion à appliquer sur leur territoire, mais surtout
de fonder ces principes sur les représentations de ces acteurs par le recours à des pratiques de
modélisation.
La démarche de modélisation d’accompagnement, qui constitue un cadre théorique autant qu’un
cadre d’action, a été développé à partir des années 90 par des chercheurs regroupés dans un groupe
interdisciplinaire intitulé ComMod (pour Companion Modelling). Cette démarche est définie en ces
termes par Barnaud (2008) :
« La modélisation d’accompagnement (…) est une démarche participative qui se propose
d’accompagner des processus d’apprentissage collectif et de coordination entre différents acteurs
(chercheurs compris) ayant différentes perceptions d’un problème ou d’une situation, dans le cadre
d’un système complexe de gestion de ressources naturelles renouvelables ».
Nous présenterons succinctement les fondements de cette démarche avant d’analyser les outils et
les dispositifs développés dans le groupe ComMod et de les remettre en perspective grâce aux
questionnements en cours dans ce réseau de chercheurs. On confrontera aussi ce cadre théorique à
une grille de lecture issue de la sociologie de l’innovation, très utile pour l’analyse d’une situation de
coordination entre acteurs divers autour d’une thématique environnementale (Beuret, 2006).
1. Les fondements théoriques
A. Systèmes complexes et gestion de l’environnement
1. L’étude de systèmes complexes
La démarche de modélisation d’accompagnement étudie les interactions entre la société et son
milieu à travers des problématiques de gestion des ressources renouvelables ou de l’environnement.
L’analyse porte donc sur les systèmes socio-écologiques, au sein desquels les dynamiques sociales et
écologiques co-évoluent. Ces systèmes sont considérés comme « complexes » :
« Un système complexe peut être défini comme un système composé de nombreux éléments
différenciés interagissant entre eux. Il se caractérise par l’émergence au niveau global de propriétés
non observables au niveau des éléments constitutifs, et par une dynamique de fonctionnement global
non prédictible à partir de l’observation et de l’analyse des interactions élémentaires » (ComMod,
2009).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Un système complexe est donc caractérisé par des propriétés « émergentes », c'est-à-dire des
propriétés du système qui ne peuvent être déduite d’une analyse de ses composantes (Manson,
2002). Ces différentes composantes sont fortement interdépendantes, ce qui implique qu’un
système complexe ne répond pas d’une manière linéaire aux changements : la disparition d’une de
ces composantes fait ainsi fortement évoluer la nature du système complexe (Legay, 1997 in Laloë &
Chaboud, 2009).
2. L’accompagnement d’un processus de décision dans un système complexe
La démarche développée par les membres du réseau ComMod se base sur un « accompagnement »
visant à instituer un changement dans la dynamique du système. L’intervention de la recherche ne
consiste pas à trouver la meilleure solution technique par rapport à un futur prédictible :
« … l’accompagnement du décision ne consiste pas à tenter de prédire l’état futur du système. Il s’agit
plutôt de comprendre l’organisation dans laquelle il se trouve, d’envisager les orientations désirées,
de favoriser le système d’interactions qui préside au changement, de le suivre en continu et de rendre
explicite l’évolution du système afin de pouvoir proposer des adaptations et d’apprendre
continuellement en observant les effets de ces adaptations » (ComMod, 2009).
Cette intervention se positionne en situation d’incertitude, et part du postulat que les dynamiques
futures du système, fruit d’une « co-évolution » entre les dynamiques sociales et les dynamiques
écologiques, ne sont pas prédictibles. L’objectif est donc « d’accompagner » le processus de prise de
décision afin de favoriser une gestion adaptative des ressources. Une gestion adaptative ne vise pas
une optimisation du système actuel mais cherche plutôt à maintenir la capacité de ce système à
s’adapter aux changements potentiels, qu’ils soient envisagés ou imprévus. Pour assurer cet
accompagnement, les démarches ComMod se veulent elles-mêmes évolutives et adaptatives
(Barnaud, 2008).
B. De l’individu au collectif
1. Une approche constructiviste des interactions entre acteurs
La démarche de modélisation d’accompagnement se base sur une approche constructiviste des
interactions entre acteurs et des acteurs avec leur environnement. Chaque acteur développe ainsi un
« point de vue » sur la réalité du système, c'est-à-dire une reconstruction personnelle de la réalité
perçue :
« Le constructivisme (…) suppose que les connaissances de chaque sujet ne sont pas une simple copie
de la réalité, mais une reconstruction de celle-ci. (…) En fait, le sujet restructure (« reconceptualise »),
en interne, les informations reçues en regard de ses propres concepts » (Piaget, 2003 in ComMod,
2009).
Le postulat de l’approche ComMod consiste à dire que chaque individu construit sa propre
représentation de la réalité (« point de vue ») en fonction de son expérience ou de ses objectifs
(ComMod, 2009). Ces représentations déterminent les interactions entre l’individu et son
environnement ; le changement passe donc en partie par des dynamiques d’apprentissage individuel
qui modifient ces représentations pour favoriser une gestion plus durable des ressources.
Dans une démarche de modélisation d’accompagnement, toutes les représentations diverses de
l’environnement, ainsi que les types de savoirs à la base de ces représentations (savoirs empiriques,
techniques, scientifiques ou institutionnels), sont considérées a priori comme légitime (Daré & al.,
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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2009). Conformément à ce postulat, le savoir scientifique est considéré comme un savoir parmi
d’autres.
Cette approche constructiviste des interactions entre les systèmes sociaux et les systèmes
écologiques se traduit par l’utilisation d’outils spécifiques, notamment les systèmes multi-agents
(SMA) et les jeux de rôles, capables de représenter des comportements divers associés à ces
représentations individuelles.
2. Une approche collective de la gestion des ressources naturelles
Si la prise en compte des interactions dans le système se base sur l’appréhension de points de vue
individuels, la démarche de modélisation d’accompagnement vise à intégrer les différents points de
vue dans une approche collective des problèmes de gestion des ressources à travers la construction
de « représentations partagées » du système, qui se concrétisent notamment dans les modèles créés
(modèle de simulation et jeu de rôles) :
« L’objectif méthodologique de la démarche ComMod est la création d’une interface pour assister la
construction de représentations collectives » (ComMod, 2009).
Cette construction de ces représentations collectives renvoie à la notion même
d’« accompagnement ». Daré & al. (2009) définissent ainsi l’accompagnement comme un
« positionnement de la recherche et de l’animateur de la démarche qui vise à amener
progressivement les différentes parties prenantes à se (re)connaître, à échanger, à partager leurs
arguments et points de vue afin qu’ensemble soit construite une vision commune d’un problème et
élaborée une solution acceptée ».
L’apprentissage développé par la modélisation d’accompagnement n’est pas seulement individuel, il
se veut aussi collectif. Il ne vise pas à « fondre » les différents points de vue en une seule vision du
système, mais recherche plutôt la reconnaissance des points de vue divergents par l’ensemble des
acteurs, préalable nécessaire à l’élaboration d’une « représentation partagée » qui transcende la
diversité de ces points de vue. Cette vision collective du problème de gestion des ressources
constitue une base nécessaire pour limiter les conflits entre acteurs et pour formuler des solutions
pertinentes à l’échelle du système (Barnaud, 2008).
C. Une démarche pour une gestion « patrimoniale » des ressources
naturelles
Les principes de la modélisation d’accompagnement se sont fortement inspirés de l’approche
patrimoniale de la gestion des ressources naturelles, développée notamment par Weber (1996).
Selon Leroy (2008), les approches centrées sur les SMA constituent aujourd’hui la principale
traduction en outil de cette gestion patrimoniale. Nous présentons ici ce cadre de gestion pour mieux
identifier les postulats majeurs que l’on retrouve notamment dans l’approche de modélisation
d’accompagnement
Le développement de ce cadre conceptuel et méthodologique fait suite au constat d’échec des
approches « participatives » a minima prévoyant une conservation du milieu imposée de l’extérieur
mais compensée par des dédommagements ou des incitations (Weber, 1996). Il s’agit ici au contraire
de replacer les populations locales au cœur des stratégies pour la conservation de la nature, en les
impliquant dès la définition des objectifs de ces politiques. Cette implication se fait par l’instauration
d’une négociation aboutissant à la mise en place de contrats entre les acteurs concernés.
L’ensemble de ce processus de « médiation environnementale » (Weber, 1996) vise à créer une
« relation patrimoniale » (Montgolfier et Nataly, 1987 in Leroy & Mermet, 2004) entre le milieu
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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naturel et les acteurs de la « gestion effective », c'est-à-dire les acteurs qui ont, consciemment ou
non, un impact sur la qualité de ce milieu. Il s’agit de responsabiliser ces acteurs par rapport à ce
milieu constitué comme un « patrimoine commun », et de les amener à s’engager sur le long terme
pour la sauvegarde de ce patrimoine. A terme, la prise de conscience devra susciter un
« comportement patrimonial » des acteurs à l’égard de ce milieu. Les divergences de points de vue et
les conflits potentiels sont pris en compte dans la démarche mais devront être dépassés pour aboutir
à un consensus permettant de définir des « objectifs patrimoniaux », un projet commun.
On voit émerger ici l’une des hypothèses fondatrices de ce cadre de gestion : il est possible d’aboutir
à un consensus par un détour ou une projection vers le futur qui permet de contourner les conflits
(Weber, 1996). Cette hypothèse est formulée par Barnaud (2008) :
« S’il est plus difficile à des acteurs aux intérêts divergents de s’accorder sur des actions à court terme,
il peut être plus aisé de les faire s’entendre d’abord sur des objectifs à plus long terme ».
La démarche vise ainsi à créer des objectifs communs sur le long terme, et ensuite de revenir vers le
présent pour construire les instruments de mise en œuvre concrète du projet, en commençant par
une structure de gestion chargée d’exécuter les orientations issues de la négociation patrimoniale.
A travers sa mise en œuvre concrète par la modélisation d’accompagnement, on questionnera ce
cadre conceptuel.
D. Les objectifs de la démarche et le rapport à la décision
1. Les objectifs potentiels d’une démarche de modélisation d’accompagnement : une
typologie
Cette typologie se basera sur plusieurs critères, notamment la nature des produits créés en rapport
avec ces objectifs, les destinataires de ces produits et le contexte de la démarche. En fonction de ces
critères, les objectifs définis par les chercheurs pour une démarche de modélisation
d’accompagnement peuvent être très variables. On peut partir de la distinction faîte par Weil (2000,
in Leroy & Mermet, 2004) qui distingue deux grands types d’objectifs pour l’approche patrimoniale
de gestion de l’environnement : des objectifs à court terme liés à des enjeux de prise de décision, et
des objectifs à long terme liés à des enjeux d’apprentissage.
a. Des objectifs directs (à court terme) d’aide à la décision :
L’objectif de la démarche est ici de créer de l’information ou des moyens de produire de
l’information pertinente à destination des décideurs chargés de la gestion des ressources ou de
l’environnement. Dans cette optique, les produits créés se concrétisent parfois sous la forme de
« scénarios d’aménagement » (Etienne & Le Page, 2002) ou d’itinéraires de gestion pour parvenir à la
préservation de la ressource considérée. Le modèle en lui-même peut parfois être considéré comme
un outil de planification, pour évaluer la qualité technique de différents projets par rapport aux
objectifs de gestion fixés.
b. Des objectifs indirects (à long terme) d’apprentissage
Ces « produits dérivés » de la démarche (Lasseur, non paru) peuvent intervenir à plusieurs
échelles (ComMod, 2005):
- L’apprentissage se fait d’abord au niveau de la perception des participants, par la production de
connaissances sur le système étudié. Cet apprentissage individuel vise avant tout les acteurs de la
gestion effective du système, et a pour objectif de faire évoluer les perceptions de ces individus sur le
système. Cette nouvelle perception produite par la démarche peut créer les conditions de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
17
changements des pratiques. Montgolfier et Natali (1987, in Leroy & Mermet, 2004) parlent ainsi
d’une finalité de développement d’une « conscience patrimoniale » chez les acteurs impliqués
(conscience sur le long terme). Cet apprentissage vise également à développer l’adaptabilité des
acteurs par rapport aux dynamiques incertaines de changement qui pourraient avoir lieu.
La production de connaissances ne concerne pas seulement les acteurs ou les porteurs du projet ; les
chercheurs à l’origine de l’intervention portent eux-mêmes des enjeux particuliers par rapport au
système (Barnaud, 2008). Il s’agit pour eux de développer leurs connaissances par rapport à ce
système, notamment par rapport aux dynamiques sociales à l’œuvre. La production « scientifique »
porte également sur les enseignements méthodologiques qui peuvent être tirés de l’étude d’une
démarche d’accompagnement, notamment sur la posture du chercheur dans l’intervention
(ComMod, 2005).
- L’apprentissage se fait ensuite au niveau des interactions entre acteurs, par une autonomisation du
collectif impliqué dans la situation de gestion, et par l’émergence d’une nouvelle dynamique de
concertation entre les acteurs impliqués. Il s’agit d’améliorer la « qualité sociologique » de la
situation de gestion en permettant une « reconnaissance mutuelle » entre les parties-prenantes
(ComMod, 2005). La démarche de modélisation d’accompagnement se veut une démarche de
« facilitation » ou « médiation », visant à apporter une aide à la concertation entre les acteurs ; elle
peut également être mobilisée en situation de conflit (aide à la négociation). Certains chercheurs
envisagent enfin de mobiliser la démarche pour renforcer le pouvoir de certains acteurs mis à l’écart
des processus de décision (Barnaud, 2008). A partir de cette démarche de facilitation peuvent se
créer de nouveaux processus collectifs de décision, qui à leur tour pourront modifier la gestion
concrète du système.
2. Une démarche en amont de la prise de décision
L’approche ComMod pour la gestion des ressources ne consiste pas à construire une solution
technique au problème abordé, ce qui aurait peu d’intérêt dans une situation d’incertitudes
(ComMod, 2005) ; elle prône une intervention en amont de la prise de décision. En effet, ces
démarches ne cherchent pas à améliorer directement la qualité de la décision en elle-même mais
plutôt la qualité du processus qui mène à cette prise de décision, ce qui justifie le terme
d’« accompagnement » (ComMod, 2009).
Les membres du Collectif ComMod (2005) considèrent ainsi que les « produits dérivés » (objectifs
indirects) constituent l’apport fondamental de la démarche :
« L’objectif n’est donc pas celui (…) de produire des décisions et des résultats définitifs, mais celui
d’enrichir le processus de prise de décision, que ce soit sous son aspect technique (…) ou sous son
aspect sociologique (…) ».
Selon eux, la modélisation d’accompagnement ne vise pas à créer « un itinéraire de gestion clef en
main des ressources renouvelables » mais plutôt à améliorer les connaissances et la reconnaissance
des acteurs entre eux, et à intégrer ces acteurs au processus de prise de décision.
Conformément à cette posture de distanciation à la prise de décision, certains chercheurs défendent
l’idée de « modèles jetables », qui n’auraient comme fonction que d’améliorer le processus qui
conduit à la décision. L’utilisation des modèles dans un cadre de prise de décision est en effet à la fois
non pertinente (ces modèles ne sont pas faits pour délimiter une solution technique) et surtout
potentiellement dangereuse à cause la relative opacité de ces outils (Becu & al., 2007). L’aspect
« boite noire » des modèles informatiques pose ainsi le problème des manipulations potentielles par
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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les porteurs du projet, ce qui explique la réticence de nombreux membres du réseau ComMod à
s’investir dans cette phase de prise de décision.
Pourtant, dans certaines démarches, les modèles co-construits sont directement utilisés pour
l’amélioration de la décision en elle-même ; la modélisation participe alors à une phase de
planification. C’est le cas par exemple sur le Causse Méjean, où, à la demande des partenaires locaux,
le modèle co-construit a été adapté pour simuler les impacts d’un plan d’aménagement et est donc
devenu un outil d’aide à la décision (Etienne & Le Page, 2002). Il est important ici de comprendre que
les enjeux propres aux chercheurs et les enjeux propres aux acteurs ne sont pas les mêmes, et que
par conséquent l’utilisation qui est faîte des produits de la démarche par les acteurs ne correspond
pas toujours à ce que le concepteur avait imaginé.
3. Une démarche de concertation
La démarche de modélisation, telle qu’elle a été définie théoriquement ici, correspond parfaitement
à une situation de concertation (Beuret, 2006) :
« La concertation se base sur un dialogue horizontal entre les participants, dont l’objectif est la
construction collective de visions, d’objectifs, de projets communs, en vue d’agir ou de décider
ensemble. Il n’y a pas obligatoirement de partage du pouvoir de décision entre les participants et la
décision n’est pas l’objectif premier de la concertation, dont l’intérêt réside avant tout dans le fait de
construire ensemble des objets communs ».
Il s’agit bien ici d’un processus collectif qui rassemble dès la phase de définition des objectifs des
acteurs égaux pour une élaboration commune de projets de gestion. Contrairement à la consultation
qui n’occasionne qu’une simple écoute des points de vue mobilisés, la concertation permet l’échange
de ces points de vue lors de discussions qui débouchent sur des propositions partagées.
Contrairement à la négociation, un processus de concertation ne débouche pas nécessairement sur
une prise de décision (Mermet, 1998).
2. La mobilisation d’outils de modélisation
La démarche de modélisation d’accompagnement mobilise des objets pour permettre
l’accompagnement du processus de concertation. Ces objets se présentent sous la forme de
« modèles ». Ces modèles, dont on retrouve plusieurs formes dans les démarches ComMod, peuvent
être analysés à la fois comme des produits de la démarche mais aussi comme des outils.
A. Une démarche de modélisation
Laloë et Müller (2009) définissent ainsi le modèle :
« Nous dirons qu’un artefact A est un modèle de B dans la mesure où nous pourrons répondre à
certaines questions sur B en observant ou en manipulant A (…). Pour cela, il faut que A présente des
relations d’analogies avec les observables pertinents de B » (Laloë & Müller, 2009).
Selon ces auteurs, la modélisation implique une double opération : elle est à la fois une simplification
(le modèle comme représentation simplifiée de la réalité), une abstraction (puisqu’on ne considère
que certains aspects de B) mais aussi une projection (on utilise A pour voir ce que l’on veut dans B).
La démarche de modélisation d’accompagnement est basée autour d’un objectif majeur de
représentation d’un système complexe. En mobilisant la modélisation, il s’agit de représenter d’une
manière forcément simplifiée les composantes de ce système, les interactions entre ces
composantes et les dynamiques de ce système (Daré & al., 2009). Telle qu’il est défini ici, ce mode de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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représentation ne renvoie pas forcément à une modélisation informatique : le modèle peut prendre
la forme d’un SMA, mais aussi d’un jeu de rôles ou même d’un graphique établissant les interactions
entre les différentes composantes du système (modèle conceptuel). On présente ici les formes
privilégiées que prennent les modèles mobilisés dans les démarches d’accompagnement, leurs
apports respectifs et la façon dont ces outils peuvent être mobilisés.
B. Les systèmes multi-agents (SMA)
La modélisation sous la forme de systèmes multi-agents est une des pratiques les plus répandues
dans les démarches de modélisation d’accompagnement. Elle est notamment celle qui est la plus
mobilisée dans le cadre de la démarche menée dans le Luberon.
1. Les bases théoriques
Le Collectif ComMod (2005) définit ces systèmes comme des « modèles généralement informatiques
capables de représenter un ensemble d’entités autonomes, situées dans un environnement, en
interactions entre elles et avec celui-ci grâce à des capacités de perception, de représentations et
d’action (…). Les SMA mettent en interactions tous ces éléments, ce qui permet de simuler des
dynamiques au niveau du système ».
Ces représentations d’un système permettent donc de simuler :
- Un environnement caractérisé par des dynamiques écologiques. Cet environnement est composé
d’« entités environnementales » de différents niveaux (entités spatiales élémentaires ou agrégats de
ces entités), à partir desquelles on simule les dynamiques écologiques voulues.
- Les comportements d’« agents », c'est-à-dire de robots autonomes habilités à percevoir leur
environnement, à agir sur cet environnement, et à interagir entre eux. Ces agents sont les « entités
sociales » du modèle ; ils peuvent aussi être de différents « niveaux », en représentant au choix un
individu ou un collectif (agrégat d’individus) (Barreteau & Treuil, 2009).
Les SMA sont donc des outils multi-scalaires, permettant de manipuler des entités propres à des
niveaux de représentation différents. On mobilise le concept de « granularité du modèle » pour
identifier ces différents niveaux d’entités sociales ou environnementales (Barreteau & Treuil, 2009):
« Degré de résolution du modèle, degré de détail, de finesse, dans l’espace, dans le temps, les objets
et les processus représentés. C’est un choix clé car il conduit dans des modèles de simulations à choisir
a priori un niveau d’organisation auquel on attribue un rôle plus important dans la dynamique d’un
système ».
La description du modèle SMA utilisé et élaboré dans le cadre de la démarche Luberon devra
mobiliser cette notion de granularité, en identifiant les niveaux d’organisation du modèle et l’impact
de ces niveaux sur la démarche de modélisation.
2. Un outil souple pour la représentation du système
L’utilisation de modèles de type SMA dans les démarches de modélisation d’accompagnement réside
d’abord dans la possibilité de représenter des points de vue et des comportements à des niveaux
variés. En confrontant les pratiques de l’acteur au modèle, on créé des données rendant possible une
intégration des pratiques spécifiques à l’acteur interrogé (niveau individuel). Les comportements des
agents peuvent également être agrégés : l’agent représente alors une entité collective (ex : un
« forestier »). La souplesse des modèles multi-agents permet ainsi de passer d’une échelle micro à
une échelle macro par ce processus d’agrégation (Barreteau & Treuil, 2009).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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La souplesse d’utilisation qui caractérise les SMA permet également de représenter et de connecter
des données d’origines et de natures diverses (Jollivet, 2009), notamment des données
correspondant à des savoirs non scientifiques.
Cette souplesse d’utilisation permet enfin d’adapter le modèle aux représentations changeantes des
acteurs mobilisés, ce qui est fondamental dans une démarche ComMod (Barnaud, 2008) :
« Cette démarche implique une grande flexibilité non seulement du modélisateur mais également de
l’outil de modélisation afin d’adapter le modèle aux représentations et aux préoccupations des
acteurs locaux, lesquels peuvent évoluer au cours du processus d’apprentissage suscité ».
Selon elle, les SMA constituent des outils intéressants par leur souplesse pour cette modélisation
adaptative :
« Il est aisé, par exemple, d’y ajouter ou d’éliminer un agent et de modifier ses processus de décision
ou les dynamiques écologiques de son environnement ».
3. La plate-forme CORMAS
L’élaboration du SMA lors de la démarche Luberon s’est faîte sous la plate-forme de modélisation et
de simulation CORMAS (Common-pool Resources and Multi-Agent Systems), plate-forme élaborée
dans le cadre de la réflexion sur la modélisation d’accompagnement.
Cette plate-forme est dotée d’un automate cellulaire, c'est-à-dire d’un outil conçu pour une
représentation spatialisé de l’environnement. Cette représentation se fait sous la forme d’une grille
(format Raster) constituée d’entités spatiales élémentaires (cellules), auxquelles sont attribuées des
propriétés parfois dépendantes de l’état des cellules voisines (Barreteau & Treuil, 2009). Cette grille
permet un traitement spatialisé de l’information mais aussi une connexion à des bases de données
SIG.
Cette plate-forme permet une représentation d’entités sociales et spatiales à différents niveaux de
granularité. Chacune de ces entités est caractérisée par des attributs (voir annexe 7), des procédures
et des points de vue.
- Les « attributs » permettent de caractériser chacune de ces entités. Pour les entités
spatiales, ces attributs représentent des descripteurs de l’environnement mis à jour au fur et à
mesure d’une simulation (ex : total de la ressource en bois en volume sur pieds pour une cellule). Ces
indicateurs sont partiellement accessibles aux agents du modèle qui peuvent donc interagir avec
l’environnement par l’intermédiaire de ces indicateurs. Les agents sont eux-mêmes dotés
d’attributs : ils représentent des indicateurs qui leur permettent d’interagir avec leur environnement,
ce qui fait évoluer en retour ces attributs (ex : la quantité de fourrage herbacée récoltée sur parcours
par le troupeau).
- Les procédures permettent la mise à jour des entités ou du modèle, et représentent donc
des dynamiques soit cycliques (ex : l’augmentation annuelle de la ressource en bois sur une cellule)
soit ponctuelles (ex : coupe du bois sur une cellule, ressource mise à 0) sur l’environnement ou sur
les agents. Un autre type de procédures propres aux agents permet de représenter les actions de ces
agents (ex : forestier qui coupe du bois sur la cellule). L’ensemble des procédures est assemblé dans
un « ordonnanceur », c'est-à-dire dans une procédure capable d’agencer l’ensemble des procédures
conformément au timing prévu et donc de créer des simulations sous CORMAS.
- Les « points de vue » constituent des indicateurs permettant de visualiser les dynamiques à
l’œuvre dans le modèle. Ces points de vue peuvent être propres aux attributs des entités (ex :
attribut qui donne le volume récolté pendant l’année par le forestier) mais peuvent aussi être
recomposés à partir d’attributs divers (comme la quasi-totalité des points de vue des cellules). La
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présentation des points de vue se fait sous la forme graphique (graphe montrant l’évolution de la
valeur pendant la simulation) ou spatiale (points de vue qui reconstituent la carte et attribuent à
chaque cellule une couleur en fonction d’une légende élaborée par le modélisateur).
C. Les Jeux de Rôles
Le jeu de rôles constitue une forme particulière de modèle. A ce titre, il possède de nombreux points
communs théoriques avec les SMA, puisqu’il constitue lui aussi un outil permettant une
représentation d’un système complexe (Laloë & Müller, 2009) :
« (…) un jeu de rôles peut être vu (…) comme un modèle d’une réalité combinant système biophysique
(…) et système social, et son déroulement comme une simulation et donc la génération d’une
trajectoire particulière du modèle ainsi constitué ».
De nombreux jeux de rôles utilisent d’ailleurs comme support des modèles informatiques,
notamment pour simuler les dynamiques écologiques. Tout comme les SMA, le jeu de rôles est
pourvu de niveaux de granularité différents, que ce soit pour la représentation des entités spatiales
ou sociales.
La principale différence entre es deux types d’outils réside dans la représentation des entités
sociales : là où le SMA mobilise des « agents » autonomes (robots), le jeu de rôles remplace ces
agents par de vrais acteurs, des joueurs chargés d’interagir avec les autres joueurs et avec leur
environnement. Le jeu de rôles est d’ailleurs défini par le Collectif ComMod comme un outil de
« mise en situation » des participants (2009) :
« Modèle réduit permettant la mise en situation de joueurs, à l’aide de différents supports (cartes,
monnaie, autres) et dispositifs les amenant à prendre des décisions d’action répétées dans le temps
en fonction du rôle qui leur est assigné, des contraintes qui leur sont imposées et des interactions
avec leur environnement physique et social. Cette mise en situation hypothétique permet de mieux
comprendre les motivations qui justifient les comportements et de discuter le lien entre le modèle
joué et la réalité. Il s’agit d’une simulation de situations existantes dans le monde réel, mais situé hors
de tout enjeu opérationnel immédiat. Cela permet la prise de distance et la montée en généralité ».
En mobilisant notamment la notion de granularité, on tentera de décrire le jeu de rôles créé afin de
le comparer d’une manière systématique au modèle SMA. Cette comparaison nous fournira de la
donnée pour l’analyse des dynamiques à l’œuvre dans la démarche.
D. Simulations et scénarios : des outils pour se projeter dans le futur
1. Des trajectoires dans un monde incertain
Tout comme l’approche patrimoniale pour la gestion des ressources renouvelables, la modélisation
d’accompagnement mobilise le futur par l’intermédiaire de scénarios, que l’on peut définir comme
des trajectoires d’évolution particulières du système représenté. Les outils décrits plus hauts (SMA et
jeu de rôles) permettent une représentation dynamique du système et peuvent donc être considérés
comme des « modèles de simulation » (ComMod, 2009):
« Un modèle de simulation est un modèle qui, lors de son exécution, représente le comportement
dynamique de son objet de référence, permettant ainsi la communication sur la façon dont l’objet de
référence se développe dans le temps sous des scénarios différents ».
On peut considérer les simulations du modèle SMA ou les sessions de jeu de rôles comme autant de
trajectoires propre à ce système.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Avec l’idée que les systèmes complexes ne peuvent faire l’objet de prévisions, les scénarios ne sont
généralement mobilisés que d’une façon prospective dans la démarche : il ne représente qu’une
trajectoire potentielle de ce système. Dans ce contexte d’incertitudes sur les changements à venir, le
scénario devient un outil de gestion privilégié pour une gestion adaptative plus qu’un outil
d’optimisation pour la décision. Les apports propres à ces outils diffèrent néanmoins en fonction des
types de scénarios produits.
2. Différents types de scénarios mobilisés dans les démarches ComMod
Le statut et les enjeux propres aux scénarios utilisés dans une démarche de modélisation
d’accompagnement peuvent varier :
- Le « scénario de base » constitue une référence pour les scénarios alternatifs (Daré & al., 2009). Il
peut être utilisé pour simuler l’évolution « naturelle » de l’écosystème, sans action anthropique
(Etienne & Le Page, 2002) ou encore pour représenter la prolongation des tendances actuelles dans
la gestion du territoire. Ce type de scénario « tendanciel » fait partie intégrante de la gestion
patrimoniale : il permet de débattre de l’acceptabilité sociale ou écologique de cette tendance et de
mettre en évidence la nécessité de proposer des alternatives de gestion (Weber, 1996).
- A ce scénario de base sont donc comparés des « scénarios alternatifs » (Daré & al., 2009). Le
premier type de scénario alternatif correspond à des scénarios de gestion ou « d’aménagement »
(Etienne & Le Page, 2002), encore appelé « scénarios stratégiques » (Simon & al., 2006). Ces
scénarios ont pour but de présenter les conséquences possibles d’une « alternative de gestion »
définie par l’un des acteurs sur l’ensemble du système ; cette alternative de gestion est jugée par
rapport à des « futurs souhaitables » (Daré & al., 2009). Les scénarios d’aménagement construits
dans le cadre du projet Causse Méjean (Etienne & Le Page, 2002) représentent ainsi une voie de
gestion définie soit par un groupe d’acteurs, soit d’une façon concertée entre différents groupe. Il
s’agit ici de tester la voie de gestion à l’aide d’indicateurs construits pour représenter des ressources
(ex : les milieux ouverts menacés par la dynamique d’enrésinement) ou l’impact sur les différents
agents sur le territoire (éleveurs, forestiers, naturalistes).
A partir du moment où le scénario ne constitue plus une trajectoire pour l’exploration des impacts
potentiels d’une voie de gestion mais une trajectoire idéale pour aboutir à des futurs souhaitables, le
scénario change de statut. Simon & al. (2006) distinguent ainsi les « scénarios exploratoires » des
« scénarios normatifs », construits comme des itinéraires à suivre par rapport aux objectifs fixés à
très long terme. La gestion patrimoniale vise à définir ce chemin d’évolution idéal, les modalités de
gestion qui permettront d’atteindre ce futur souhaitable (Weber, 1996) :
« L’agrément sur des objectifs de très long terme précède et autorise la définition des modalités de
gestion à moyen et à court terme ».
3. Des facteurs de changement différents
Les scénarios sont généralement construits autour d’un « point d’entrée » dans le système
(Promotion-FNS, 2009), c'est-à-dire un facteur déclenchant utilisé pour développer une trajectoire
alternative. Simon & al. (2006) distinguent deux types de facteurs de changement :
- des facteurs internes, c'est-à-dire des facteurs sur lesquels les acteurs présents peuvent
influer. Ces facteurs permettent de représenter des scénarios stratégiques, des voies de gestion
portées par tels ou tels acteurs.
- des facteurs externes, c'est-à-dire des facteurs que les acteurs impliqués dans la gestion
effective du système ne peuvent pas contrôler (ex des facteurs climatiques).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Les scénarios mobilisés dans les démarches ComMod sont construits pour l’immense majorité à
partir de facteurs internes de changement. Ces scénarios de gestion peuvent à la fois permettre une
exploration des trajectoires potentielles du système mais aussi fournir une aide à la décision. Ainsi, le
modèle construit dans le cadre du projet Causse Méjean (Etienne & Le Page, 2002) a permis de
simuler l’évolution du système en cas d’application d’un « plan d’aménagement concerté » conçu par
les acteurs locaux. Cette utilisation de la modélisation comme un support pour l’aide à la décision
pose le problème de l’adéquation toujours limitée entre le modèle et la réalité, mais aussi des
critères de choix (« indicateurs ») qui peuvent être utilisés pour différencier des scénarios entre eux.
L’utilisation de facteurs externes de changement induit un statut légèrement différent du scénario,
qui devient plus exploratoire : en représentant des trajectoires issues de changements non
contrôlables par les acteurs, le collectif se donne les moyens de réfléchir à des modes de gestion plus
flexibles et robustes face à des changements imprévus (Simon & al., 2006). Ce type de scénarios
permet ainsi de développer la capacité d’adaptation des acteurs.
La description des scénarios développés dans le cadre de la démarche prospective menée dans le
Luberon nous permettra d’analyser la façon dont les acteurs ont mobilisé ces outils et l’adéquation
avec les objectifs fixés par les participants.
E. Un cadre théorique pour l’appréhension des modèles dans la
démarche de modélisation d’accompagnement
Pour les chercheurs du réseau ComMod, les modèles, qu’ils soient sous la forme de SMA ou de jeux
de rôles, « ne sont pas des objectifs en soi » de la démarche (Barnaud, 2008). Ils ne constituent pas
de simples produits mais plutôt des outils à part entière, et cela pour plusieurs raisons. Notre volonté
de mobiliser les produits et les outils utilisés dans la démarche de modélisation d’accompagnement
(plus particulièrement les modèles) pour analyser cette démarche implique de réfléchir à un cadre
théorique permettant de définir les différentes façons dont ces objets prennent part aux mécanismes
de coordination entre les participants. Il s’agit ici de considérer les modèles comme des « objets
intermédiaires », c'est-à-dire comme des « entités physiques qui relient les acteurs humains entre
eux » (Vinck, 1999). Quels sont les rôles potentiels de modèles dans une démarche de modélisation
d’accompagnement ?
1. Le modèle comme outil d’acquisition de connaissances sur le système modélisé
a. Une béquille pour penser
Le modèle constitue d’abord une « béquille pour penser » la complexité des systèmes étudiés
(Barnaud, 2008). Alors que la capacité de l’humain à intégrer cette complexité est limitée, l’utilisation
d’outils informatiques permet de croiser de nombreuses dynamiques et donc de faire émerger des
boucles de rétroactions qu’une observation simple du système aurait pu négliger, et donc des
perspectives nouvelles sur le système. Le modèle constitue un outil d’exploration utile par rapport à
un objectif de production de connaissances nouvelles.
b. Un support pour les logiques d’acteurs
Par la confrontation des acteurs au modèle, la démarche de modélisation produit de la connaissance
sur les pratiques et les stratégies de ces acteurs par rapport au système modélisé. Le terme
« stratégie » est utilisé ici au sens faible ; il correspond au concept de « logique d’acteur », c'est-à-
dire au « fondement inféré ex post des régularités de comportement » (Barouch, 1989, in Leroy &
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Mermet, 2004). Les modalités de confrontation et de production de connaissance sont différentes
selon l’outil choisi.
La construction d’un modèle SMA vise à la reconstitution de comportements d’acteurs divers à
travers les « agents ». La confrontation des acteurs à ce cadre de modélisation permet donc de créer
de la donnée pour alimenter le modèle, mais il permet également de formaliser les connaissances
empiriques (donc implicites) des acteurs. Le modèle permet ainsi de catalyser la recherche sur des
systèmes à travers des modalités de confrontation particulières des acteurs au terrain (ComMod,
2005).
Pour le jeu de rôles, l’acquisition de connaissances passe par l’observation des comportements et des
stratégies des acteurs mis en situation (Barnaud, 2008). Cette observation n’est valable qu’à
condition de mettre en place un débriefing pour confronter les dynamiques observées pendant le jeu
à la réalité. Par cette mise en situation, le jeu de rôles met en évidence des pratiques (connaissances
implicites) propres aux acteurs, ce qui n’est pas le cas par l’entretien (Barnaud, 2008).
La dynamique d’apprentissage qui découle de la confrontation au modèle permet aux scientifiques
d’acquérir des données sur les modalités de gestion effective du système étudié. Elle profite
également aux autres participants à la démarche, qui découvrent par l’intermédiaire des modèles les
autres activités présentes sur le territoire ainsi que les stratégies qui les sous-tendent. Le modèle
devient alors l’outil de la reconnaissance mutuelle entre les différents points de vue en présence,
donc un vecteur de médiation entre les participants.
2. Un rôle de médiateur
La justification majeure pour l’utilisation du modèle dans une démarche d’accompagnement par les
chercheurs du réseau ComMod réside dans son rôle de médiation entre les participants. Selon
Barnaud (2008), le modèle est mobilisé comme un outil pour « catalyser » les interactions entre
participants. Cet outil acquiert le statut de « tiers médiateur » ou « d’objet intermédiaire » dans la
démarche. Il est importance ici de mieux comprendre les différents mécanismes qui justifient
l’emploi de ces objets en tant qu’intermédiaires.
a. Une confrontation distanciée avec la réalité
Par définition, le modèle ne constitue qu’une représentation imparfaite de la réalité (Manson,
2002) ; il constitue donc une interface entre les acteurs impliqué dans la démarche de construction et
cette réalité. Par ce rôle d’interface, le modèle devient un outil intéressant pour une gestion
patrimoniale ; il permet en effet une approche dépassionnée du système, intéressante dans un cadre
de gestion des conflits (Weber, 1996).
Dans cette optique, le jeu de rôles apparaît tout à fait adapté. L’aspect ludique de cette « mise en
situation distanciée de la réalité » (Barnaud, 2008) permet de faciliter les échanges en évitant une
discussion portant sur les conflits actuels entre les acteurs. En proposant une vision épurée de la
réalité, le jeu de rôles minimise les tensions sociales et offre la possibilité au collectif d’ouvrir le
champ des possibles dans la recherche de solutions concertée pour la gestion des ressources. Pour
assurer cette « mise en situation distanciée », l’élaboration de l’environnement du jeu de rôles
(plateau de jeu) doit éviter une représentation trop aboutie de la carte de la réalité (Bousquet & al.,
2002).
b. Un outil de gestion concertée
La concertation implique de dépasser le stade de la simple reconnaissance mutuelle entre les
participants pour construire ensemble des projets pour la gestion du système étudié. Le modèle est
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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considéré par les membres du réseau ComMod comme un outil susceptible d’aider à l’élaboration de
ces projets, notamment en permettant l’identification d’interdépendances entre les acteurs. L’intérêt
du modèle dans une démarche de modélisation réside dans les cycles d’ajustements itératifs
nécessaires à l’élaboration du modèle, dans la mise en place d’une « boucle vertueuse » (Pavé,
2005). Cette dynamique de développement du modèle et de réfutation par les participants à la
démarche constitue le socle indispensable pour que ce modèle puisse servir de médiateur :
« Le modèle n’est donc jamais à proprement parler dans un état stable. Il n’est donc jamais validé,
mais ce n’est pas la question : son rôle n’est plus normatif. C’est un médiateur dans le dialogue social
qui permet d’explorer un champ de possibles » (Pavé, 2005).
Le modèle n’a pas pour fonction de « valider » les différents projets de développement mais plutôt
d’accompagner les acteurs en constituant une base de dialogue entre les participants pour
l’exploration de voies de gestion innovantes. C’est ce qui conduit les membres du collectif ComMod à
parler de modèles « jetables » (ComMod, 2009).
L’analyse des outils mobilisés et des pratiques d’interactions des acteurs avec ces objets dans le
processus Luberon nous permettra de valider ou non les apports liés aux modèles dans cette
démarche ComMod. Nous étudierons également la façon dont ces apports s’expriment au cours de la
démarche.
3. Le modèle comme support pour l’analyse d’une situation de coordination
a. Le modèle : un objet potentiellement « engagé »
Un modèle n’est pas neutre et peut ainsi constituer un enjeu de négociation à part entière :
« Le choix des modèles, leur conception sont des enjeux de négociation et peuvent générer des
discussions importantes entre les acteurs concernés par ces modèles, notamment parce que ces choix
vont induire la mise en avant de certains points de vue plutôt que d’autres » (Drogoul, in Barreteau &
Treuil, 2009).
Le modèle constitue un enjeu par l’opération de formalisation qui conduit à sa construction. Selon
Abbot et al. (1998), l’intégration de données dans un SIG conduit à une légitimation de fait de ces
données, notamment auprès des décideurs qui considèrent ce mode de visualisation de la donnée
comme plus crédible. De la même manière, on pourrait considérer qu’un modèle, parce qu’il se
présente sous une forme acceptée comme « scientifique » par les décideurs, permet de légitimer les
données, les représentations ou les enjeux portés par un acteur impliqué dans sa construction. Parce
que la modélisation implique une formalisation des données implémentées, le modèle peut être
considéré comme un outil « d’empowerment » pour certains acteurs locaux (Abbot & al., 1998).
L’aspect « boite noire » du modèle rend possible des manipulations de cet outil par ses concepteurs.
En effet, les phases d’implémentation du modèle nécessitent la connaissance d’un code
informatique, connaissance que les acteurs mobilisés n’ont pas forcément. Ces acteurs ne peuvent
donc jamais se référer à la construction même du modèle, ce qui renforce les possibilités de
manipulation de la démarche.
b. Un support pour les stratégies d’acteurs ?
A partir des constats faits plus hauts, on fait l’hypothèse que la phase d’élaboration du modèle n’est
pas une phase « neutre » et qu’elle constitue un processus de négociation entre les acteurs
impliqués dans la démarche. Ces acteurs souhaitent mobiliser le modèle par rapport à des enjeux
précis (qui ne sont pas forcément explicités pendant la démarche), ce qui a un impact sur la façon
dont ces acteurs investissent la phase d’élaboration de ce produit. On pourrait parler ici de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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« stratégies » d’acteurs dans la construction du modèle, le sens du terme « stratégies » devant être
compris au sens fort (intentionnalité de la stratégie, mobilisation de la démarche et des modèles
avec des buts précis).
Le modèle intègrerait alors des stratégies d’acteurs, et reflèterait ainsi en partie les dynamiques de
coordination à l’œuvre dans la démarche mais aussi hors de la démarche (contexte). Daré (2005, in
Barnaud, 2008) met ainsi en évidence la façon dont les jeux de pouvoir existant dans la réalité
investissent les sessions de jeu de rôles censées pourtant mettre à distance cette réalité.
L’hypothèse du modèle comme support des stratégies d’acteurs a été peu développée dans le
groupe ComMod, notamment parce que l’animateur et le modélisateur se porte en général garant
d’une « neutralité » du modèle, mais aussi parce que le modèle est censé constituer une
« représentation commune » du système. Nous explorerons cette hypothèse à partir d’une analyse
systématique des produits de la démarche
c. Mobiliser le modèle pour une description de la démarche
Dans une démarche de co-construction, le modèle est à la fois l’objet qui permet la coordination
(tiers médiateur), mais aussi (en partie) le produit ou le reflet de cette coordination. Selon Lémery &
al. (1997), les objets mobilisés dans une démarche de coordination entre acteurs concrétisent en
partie une représentation de cette coordination définie à un instant précis de la démarche :
« [Le programme] correspond à un enchainement de jeux d’interactions (…). Il correspond aussi à la
construction et à la stabilisation d’un certain cadre d’action dans lequel ses différents protagonistes
(…) ont progressivement élaboré une certaine définition de qui ils étaient et de ce qu’ils pouvaient
avoir à faire ensemble. Cette définition s’est inscrite dans des formes de relations établies, dans des
schémas d’actions qui se sont matérialisés dans certains objets, et ont acquis par là même une
certaine inertie ».
Parce que ces objets concrétisent en partie une situation d’une démarche de coordination à un
instant « t », il apparaît pertinent de prendre en compte les objets intermédiaires dans l’analyse
sociologique, de les intégrer en tant qu’indicateurs pour décrire ces situations (Vinck, 1999) :
« (…) Nous avons acquis la conviction qu’il convenait de mobiliser davantage ces entités physiques
dans l’enquête et dans l’analyse. Nous faisons l’hypothèse qu’elles permettent de révéler et de
caractériser la nature des échanges et des relations entre les acteurs humains, de dessiner les réseaux
de coopération entre eux mais aussi d’accéder aux investissements et activités en amont, en cours et
en aval de ces échanges. Sens, stratégies, organisation, règles et conventions, lien social… tout cela
émerge lorsque sont pris en compte les objets intermédiaires ».
Par cette notion d’« objet intermédiaire », Vinck (1999) nous invite à considérer l’influence du
processus de coordination sur les modèles, qui en deviennent alors des reflets partiels. Néanmoins,
ces modèles ne peuvent pas être considérés comme des supports complètement neutres vis-à-vis
des intentions des acteurs.
4. L’autonomie de l’objet dans la démarche
La fonction de « médiateur », revendiquée pour le modèle par de nombreux auteurs du réseau
ComMod, implique de « catalyser la construction d’un accord sans en influencer le contenu ». Si le
modèle peut être considéré comme un outil créateur d’interfaces entre les acteurs mobilisés, peut-
on pour autant dire que cet outil n’influence en aucune manière les dynamiques de coordination
entre acteurs ?
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Selon Vinck (1999), la notion d’« objet intermédiaire » implique l’existence d’une « agentivité » de
l’objet :
« Ces objets ne se réduisent pas à de simples dépôts ou cristallisations de conventions passées parce
que régulièrement, ils échappent à cette réduction et introduisent dans l’action des contraintes et des
orientations qui ne s’expliquent pas par le seul jeu des acteurs sociaux et/ou de leurs institutions ».
Ces objets induisent des modifications de la démarche et possède donc une certaine « autonomie »
ou « agentivité ». Cette agentivité ne signifie pas que ces objets déterminent la démarche, et qu’il
existerait une causalité intrinsèque à l’objet ; elle résulte plutôt de ce que les acteurs font de cet
objet, de la façon dont les différents participants entrent en interactions avec cet objet.
Lémery et al. (1997) abondent dans ce sens en mettant en évidence des « irréversibilités » propres
aux objets qui ponctuent des processus de coordination. Il note que les concrétisations successives
de la démarche la solidifient et impliquent donc une certaine inertie de cette démarche. On essaiera
de caractériser cette inertie du processus de coordination, notamment l’inertie propre aux modèles
créés dans une démarche de modélisation d’accompagnement. On envisagera le fait que l’utilisation
d’un modèle puisse orienter la démarche, restreindre les pistes à suivre voire générer des disparités
entre les partenaires. La description systématique des modèles mobilisés dans la démarche
constituera la base de cette analyse.
5. Un cadre de validation des modèles
L’analyse de ces outils de modélisation et de ses rôles potentiels dans la démarche s’avère
nécessaire. Pour mener cette analyse, il peut-être intéressant de mobiliser un cadre de validation des
modèles. On mobilise ici le cadre décrit par Manson (2002), cadre constitué de 5 critères de
validation d’un modèle :
- Pertinence (« correctness ») : le modèle atteint-il ses objectifs ? Parvient-il à reproduire de
manière satisfaisante le comportement et les dynamiques du système représenté ?
- Cohérence (« consistency ») : ce critère rend compte de la cohérence interne du modèle.
Pour être considéré comme cohérent, le modèle concret doit correspondre au modèle conceptuel.
- Simplicité : Toutes choses égales par ailleurs, le modèle le moins compliqué est préférable
parce qu’il limite le nombre d’artefact de modélisation et qu’il rend la compréhension du code plus
simple.
- Généralisation ou universalité : si un modèle est spécifiquement adapté à des conditions
particulières, son universalité sera faible. Le modèle n’est alors pertinent que sur les données pour
lesquelles il a été calibré.
- Capacité d’innovation (“novelty”) : ce critère correspond à la capacité du modèle à générer
des connaissances nouvelles.
Ce cadre de validation est intéressant pour décrire les modèles créés et les comparer avec les
principes de validité d’une démarche de modélisation d’accompagnement. Néanmoins, il est
nécessaire de penser la validité d’un modèle co-construit d’une façon différente de celle d’un modèle
scientifique, avec d’autres procédures (ComMod, 2005). Plutôt que de parler de « validation », terme
qui renvoie à une vision positiviste des connaissances, Barnaud (2008) propose ainsi de parler de
« légitimation », terme qui renvoie au caractère subjectif et contingent des connaissances.
Ces cadres de validation pourront être confrontés aux modalités de production de ces outils par les
acteurs lors de la démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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3. Le déroulement d’une démarche de modélisation
d’accompagnement
Après avoir présenté les outils de la démarche, il est intéressant d’étudier la façon dont ces outils
peuvent être mobilisés lors du déroulement de la démarche.
A. Une structure générale des démarches de modélisation
d’accompagnement
Derrière la variété des outils et des dispositifs, on retrouve souvent une même structure des
démarches de modélisation d’accompagnement. Il s’agit ici de présenter les différentes phases que
l’on peut retrouver dans cette démarche, ainsi que les objets qui permettent de concrétiser l’avancée
du processus de coordination entre les acteurs (Figure 1). Ce cadre général de la démarche est très
largement tiré d’un ouvrage méthodologique et pédagogique pour la mise en œuvre d’une démarche
d’accompagnement (Daré & al., 2009).
Il convient de garder à l’esprit que le processus décrit ici ne constitue pas un schéma immuable.
L’importance relative de chaque étape peut être très variable selon le contexte. De même, la
démarche n’est pas linéaire : les différentes phases décrites ici ne sont pas appelées à se dérouler
dans un ordre stricte et peuvent s’imbriquer ou même se répéter. En effet, le caractère dynamique,
itératif et adaptatif de ce processus fait que certains résultats antérieurs peuvent être ajustés voire
modifiés à l’aune d’évolutions ultérieures.
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La démarche de modélisation d’accompagnement: un cadre général
Inspiré de Daré et al., 2009
Figure 1 : Cadre général pour une démarche de modélisation d’accompagnement
1. Définition de la question et de l’objectif de la modélisation d’accompagnement
Cette première phase de réunions entre les acteurs impliqués (porteurs de projets, parties prenantes
et animateur) permet de reformuler la demande sociale en une « problématique appropriable par
tous » (Daré & al., 2009). Le processus doit aboutir à une question clairement formulée autour de
laquelle va s’articuler le reste de la démarche.
2. Définition des éléments de contexte utiles pour le démarrage de l’intervention
Il s’agit d’une phase d’enquêtes et de recueil de données sur les facteurs exogènes qui pourraient
avoir un impact sur la problématique et sur le déroulement de la démarche. Ces facteurs exogènes
sont caractérisés par 3 dimensions :
- une dimension institutionnelle (les règles en usage)
- une dimension biophysique (attributs du milieu)
- une dimension sociale (attributs de la communauté sociale au sein de laquelle prend place l’arène
d’action). Les jeux de pouvoir à l’œuvre dans ce contexte social peuvent avoir un impact important
sur la démarche (Becu & al., 2007).
La délimitation de ce contexte permet :
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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- d’identifier les acteurs amenés à participer aux phases de concertation et donc de construire le
dispositif de concertation (« stratégie partenariale »)
- de délimiter un « état initial » avant l’intervention.
3. La co-construction d’une représentation commune de la question : le modèle
conceptuel
L’objectif est ici de faire exprimer les diverses représentations du système (représentations
scientifiques, techniques, empiriques) qu’ont les acteurs impliqués et de les formaliser dans une
représentation accessible à tous, qui constituera le modèle conceptuel sur lequel se basera les
phases d’implémentation du modèle. Nous décrirons ici l’une des méthodes utilisées pour construire
ce modèle conceptuel, la méthode ARDI, mobilisée notamment pour le projet Lubéron.
Cette méthode permet d’identifier les Acteurs, les Ressources, les Dynamiques et les Interactions qui
font les enjeux du territoire par rapport à la question posée (Etienne, 2009). Lors d’ateliers collectifs,
le groupe est invité à construire de manière interactive des diagrammes (diagramme des acteurs et
des entités de gestion, diagramme des ressources, diagramme des dynamiques) qui aboutissent à
l’élaboration d’une synthèse - le modèle conceptuel - permettant une représentation du système
mettant en articulation les usagers et les ressources qu’ils mobilisent. Selon Etienne (2009), ces
ateliers collectifs permettent à la fois l’élaboration d’une base collectivement acceptée pour le
modèle informatique et le partage des représentations entre les acteurs convoqués.
4. L’implémentation du modèle conceptuel
Il s’agit ici de traduire le modèle conceptuel en un outil concret et opérationnel. Cet outil peut être
de plusieurs types : jeu de rôles, simulation informatique multi-agents, mobilisation ou non de la
représentation spatiale avec le SIG… Ici, le modélisateur devra adapter les outils aux conditions de
l’intervention. Il pourra également les combiner pour profiter des avantages de chacun.
Cette traduction technique pourra se faire avec ou sans l’intervention directe des acteurs impliqués.
Dans le deuxième cas, le modélisateur devra veiller à traduire sans déformer les représentations des
acteurs mobilisés.
5. L’utilisation du modèle : la simulation
La simulation (qu’elle soit informatisée ou liée à un jeu de rôle) permet dans un premier temps une
évaluation par les participants du modèle crée et de sa transposition technique.
La simulation du modèle permet également de se projeter dans l’avenir. Cette phase sera donc
essentielle dans la construction de l’analyse prospective.
6. L’évaluation de la démarche
L’évaluation constitue une étape fondamentale dans la démarche puisqu’elle permet à la fois de
légitimer la mise en place d’un processus long et coûteux, mais aussi de s’assurer que les principes
déontologiques prônés par la charte ont bien été respectés (ComMod, 2005). Malgré cela, cette
étape peut être très variable : l’évaluation peut se faire avec des données diverses et peut porter sur
de nombreux points différents selon l’orientation initiale de la procédure. Daré et al. (2009)
distinguent 3 points à évaluer :
- « Les processus de création du savoir et d’apprentissage
- Les processus d’interaction et de mobilisation des acteurs impliqués
- Les principes de légitimité et de responsabilité des porteurs de la démarche ».
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7. L’institutionnalisation de la démarche et de ses résultats
Cette dernière phase doit se confronter à deux enjeux :
- Diffuser et pérenniser les résultats de la démarche en matière d’apprentissage
- Faire que les institutionnels reconnaissent les résultats de la démarche et poursuivent ainsi la
dynamique en enclenchant un processus de développement autonome.
Cette phase est fondamentale car elle permet de légitimer à la fois l’acteur et l’action en leur faisant
« accéder à l’espace public » (Beuret, 2006). Cette transition de la démarche vers l’espace public
suppose un formatage des résultats pour qu’ils soient mis en conformité avec les attentes du
décideur.
Dans le cadre de cette démarche générale, comme se traduit la « participation » des acteurs locaux ?
Lors de quelles phases sont-ils mobilisés ? De quelles façons ? Nous tenterons de répondre à cette
question en présentant des dispositifs mobilisés par les chercheurs pour assurer une « co-
construction » des modèles.
B. Des dispositifs d’interactions entre chercheurs et acteurs pour la
création des modèles
On étudiera ici les dispositifs permettant une participation effective des participants dans la
démarche, c'est-à-dire la façon dont les différents outils sont mobilisés et articulés entre eux pour
créer des interfaces entre les acteurs locaux et les acteurs de la recherche.
1. Le principe de co-construction
Le concept de co-construction mobilisé dans les démarches de modélisation d’accompagnement est
né d’un constat, celui d’une mise à l’écart des acteurs locaux dans les processus de définition des
modalités de gestion des ressources naturelles (Weber, 1996). Dans le schéma classique de la
production d’une expertise par le scientifique, ces acteurs locaux ne sont impliqués que lors de la
collecte des données initiales, notamment par le biais d’entretiens. Le transfert des connaissances
produites se fait ensuite directement du chercheur au décideur, sans que l’acteur local ne soit
mobilisé alors qu’il est le premier concerné par les changements de gestion à venir (Becu & al., 2007).
L’enjeu de la co-construction est de faire participer les acteurs à l’ensemble du processus de réflexion
autour des principes de gestion à appliquer sur leur territoire, mais surtout de fonder ces principes
sur les représentations de ces acteurs. Pour accéder à ces représentations et les mettre en
interactions, il s’agit de mettre en place des boucles de rétroaction continues entre les chercheurs et
les acteurs impliqués à travers des modèles conçus comme des interfaces ; ces boucles constituent la
base de cette co-construction (Becu & al., 2007). Cette implication directe des acteurs locaux dans la
construction des outils de la démarche est ainsi conçue pour permettre la communication avec les
chercheurs et donc pour limiter les interférences liées à la médiation du chercheur.
Pourtant, si le modèle est conçu comme une interface, l’aspect « boite noire » du modèle constitue
un véritable obstacle pour une implication plus importante des participants à la démarche (Becu &
al., 2007). De plus, par son opacité, le modèle peut même devenir un outil de manipulation. Le
principe de co-construction nécessite donc de créer des dispositifs pour ouvrir cette boite noire, afin
de perfectionner l’intégration des représentations dans les modèles mais aussi de limiter au
maximum les possibilités de manipulation des outils.
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La mise en œuvre d’une co-construction est très variable selon les démarches de modélisation
d’accompagnement mais aussi selon les phases du processus. En effet, toutes les phases décrites
plus haut (Figure 1) ne mobilisent pas nécessairement des moments d’interactions entre acteurs et
chercheurs.
2. Une boucle itérative pour la création des modèles
On voit bien ici que la co-construction est un principe sur lequel le chercheur se base pour assoir la
légitimité de l’intervention. La traduction concrète de ce principe réside dans des phases de co-
construction, c'est-à-dire des moments d’interactions directes entre les chercheurs impliqués dans
l’intervention et des acteurs réunis en collectif pour participer à un processus d’élaboration d’un
modèle.
Il s’agit ici de présenter ce processus afin d’identifier les phases de co-construction et la façon dont
les représentations des acteurs sont mobilisées. La création des modèles dans les démarches de
modélisation d’accompagnement résulte d’un processus cyclique dans lequel on peut en général
distinguer trois phases itérative (Becu & al., 2007, Barnaud, 2008) :
- Le chercheur réalise des enquêtes de terrain pour récolter des données de base sur le
système étudié, puis il les analyse. Cette phase lui permet de se construire une première
représentation sur ce système.
- A partir de ces données et de sa propre représentation du système, le chercheur conçoit un
modèle (SMA ou jeu de rôles). Le premier modèle lors de la démarche est construit en totalité par le
chercheur, ce qui lui permet d’expliciter ses propres présupposés théoriques et sa perception du
terrain (ComMod, 2005).
- Le chercheur mobilise enfin un dispositif à partir duquel il confrontera le modèle créé aux
points de vue des acteurs sur le système. La confrontation se fait généralement à travers la
présentation de simulations (phase de simulations participatives) ou à travers un jeu de rôles. Cette
confrontation va permettre de présenter aux acteurs les hypothèses de construction du modèle
initial ; les acteurs vont alors valider, ajuster ou rectifier le modèle présenté.
Suite à cette confrontation, le cycle se répète pour aboutir à une nouvelle version plus aboutie du
modèle, elle-même soumise à une nouvelle phase d’interaction avec les acteurs. L’ensemble de ces
versions constituent une « famille de modèle », trace des interactions successives entre le
modélisateur et les acteurs (ComMod, 2005). Dans ce processus, la validation et la calibration du
modèle résulte du cycle itératif d’interactions avec les acteurs ; elle est donc qualitative. Les acteurs
identifient des défauts dans le modèle mais apportent aussi un sens à des résultats en les comparant
à la structure du modèle(Manson, 2002).
Le cycle de création des modèles présenté ici constitue la procédure d’interaction avec les acteurs la
plus utilisée dans les démarches ComMod. Elle implique une phase de co-construction assez tardive
dans le processus, puisque que ceux-ci ne sont mobilisés que lors de la phase de validation. Elle
comporte un risque majeur, mis en évidence par Barnaud (2008) : dans cette boucle, la
représentation par le chercheur précède la représentation par les acteurs et peut donc influencer
cette représentation, surtout si les acteurs n’osent pas remettre en cause une conception du
scientifique considérée comme plus « vraie ».
3. Des dispositifs combinés pour « ouvrir la boite noire » du modèle
Deux outils de confrontation avec les acteurs sont mobilisés dans les démarches ComMod (Becu &
al., 2007) : le jeu de rôles et les simulations à partir de modèles SMA. De nombreux dispositifs
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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associent ces deux outils pour parvenir à une implication plus importante des acteurs dans la
démarche. Cette combinaison est possible grâce à la similarité des représentations des modèles
conceptuels sur lesquels reposent les modèles SMA et les jeux de rôles (Figure 2).
Jeux de rôles Systèmes multi-agents
Joueurs Agents
Rôles Règles
Plateau de jeu Interface
Session de jeu Simulation
Tour de jeu Pas de temps
Figure 2 : Jeux de rôles et systèmes multi-agents, une représentation similaire d’un système socio-écologique (tiré de
Bousquet & al., 2002).
Les objectifs poursuivis sont différents en fonction des dispositifs employés (Bousquet & al., 2002).
On peut ici distinguer 3 types de dispositifs :
- De nombreuses démarches prévoient un dispositif dans lequel le jeu de rôles complète la
création du modèle et constitue le mode de confrontation principal avec les acteurs. Dans
l’expérience SHADOC menée au Sénégal (Barreteau & al., 2001, in Bousquet & al., 2002),
l’élaboration du modèle se fait uniquement par des allers-retours entre les chercheurs et le terrain
(deux premières phases du cycle itératif) et précède le jeu de rôles. Par l’organisation de ces sessions
de jeu de rôles, les chercheurs ont voulu à la fois restituer les travaux de modélisation réalisés, mais
aussi valider socialement ce modèle, en observant les comportements et les stratégies des joueurs
mis en situation. Ce dispositif répond à un objectif d’acquisition de connaissances portant sur les
dynamiques sociales. On observe d’ailleurs une certaine dissymétrie entre des données biophysiques
préconstruites par les chercheurs et des données sociales qui peuvent être soumises à réfutation.
- Contrairement à l’expérience SHADOC, d’autres démarches ont souhaité mobiliser les
acteurs plus tôt dans la démarche, dès l’élaboration du modèle. L’expérience SelfCormas (Bousquet
& al., 2002) utilise ainsi un « pré-modèle » le plus minimaliste possible pour mettre en situation les
acteurs lors de réunion visant la création d’un jeu de rôles. La démarche mise en place par Becu & al.,
(2007) prévoit elle de confronter directement les acteurs à la construction du modèle (élaboration
des hypothèses de base ou des scénarios), sans passer par l’interface que constitue le jeu de rôles.
Dans ces expériences, l’enjeu n’est pas forcément de créer un modèle pertinent mais plutôt d’utiliser
ce modèle comme catalyseur des discussions sur la gestion des ressources.
- Les expériences menées sur le Causse Méjean (Etienne & Le Page, 2002) et dans la
périphérie de Nîmes (Souchère, 2007) sont basées sur un schéma hybride, proche de celui adopté
dans la démarche Luberon. La construction du modèle se fait conjointement par les chercheurs et
certains acteurs, principalement des techniciens, dans le cadre d’un partenariat entre chercheurs et
experts locaux (premier collectif). Un jeu de rôles est ensuite conçu pour élargir le collectif à de
nouveaux acteurs dans un objectif de sensibilisation auprès de ces participants. Le jeu de rôles
développé dans l’expérience Méjean est autant un outil de médiation qu’un support pédagogique
pour confronter les acteurs locaux à une représentation de la dynamique d’enrésinement construite
par les chercheurs. De la même façon, l’expérience « NîmesEtPasleFeu » visait entre autres à
sensibiliser des élus aux risques d’incendie de forêt.
La majorité des dispositifs de modélisation d’accompagnement présentés ici mettent en œuvre une
utilisation généralement ponctuelle et partielle de la co-construction. Développer un cadre de co-
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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construction systématique, à la fois plus exhaustif et plus abouti, constitue l’objectif méthodologique
majeur de la démarche menée dans le Luberon.
C. La démarche de modélisation d’accompagnement vue comme une
« chaîne de traduction »
Envisager une démarche aboutie de co-construction d’un modèle nécessite de mieux décrire les
moments concrets qui peuvent être investis par ce mécanisme. Les comptes-rendus scientifiques
réalisés sur la démarche ComMod se concentrent en général sur la description des phases de co-
construction, c'est-à-dire sur la façon dont les acteurs non-scientifiques participent à l’élaboration du
modèle. Elles laissent ainsi le plus souvent de côté les phases de création effective du modèle par le
chercheur, comme par exemple les phases de codage informatique, ce qui laisse penser que cette
phase serait neutre.
Nous souhaitons investir cette phase en proposant un cadre d’analyse ; pour cela, on mobilise la
notion de « traduction », issue des travaux menés en sociologie de l’innovation.
1. La traduction, un processus de déplacement
La construction d’un modèle en partenariat avec des acteurs s’apparente à un ensemble de
« traductions », effectuées par les différentes entités impliquées dans la démarche. La traduction est
définie par Barbier (2003) comme « un processus de médiation qui met en mots ou en choses un
référent non complètement descriptible au nom duquel on parle de façon non exhaustive ». Ce
déplacement, ou « mobilisation » (Callon, 1986), est mise en œuvre par une entité qui se pose alors
en « porte-parole » du référent traduit :
« Traduire c’est déplacer (…) mais c’est également exprimer dans sa propre langue ce que les autres
disent et veulent, c’est s’ériger en porte-parole » (Callon, 1986).
Nous proposons de décrire une partie des « chaînes de traduction » (Barbier, 2003) qui se déploient
au cours d’une démarche de modélisation d’accompagnement, notamment celles qui tournent
autour de la construction et de la mobilisation du modèle.
2. Un cadre d’analyse intéressant pour le processus de co-construction
La démarche de modélisation d’accompagnement implique un double processus de « mobilisation »
entre les modèles produits et les acteurs intégrés à la démarche : la construction du modèle mobilise
à la fois de l’expertise, des données et des perceptions sur le milieu et les activités modélisés. En
retour, on fait l’hypothèse que les acteurs mobilisent le modèle dans le cadre d’objectifs ou d’enjeux
qui leur sont propres.
Ces processus de déplacement nécessitent une série de transformations, que l’on peut considérer
comme une chaîne de traductions associant des acteurs et des objets qui concrétisent ces opérations
de traduction et qui les orientent en retour. Pour la création du modèle, l’expertise et les perceptions
des acteurs doivent être « traduites » en code informatique par le modélisateur ; le modèle est lui
aussi transformé voire construit par rapport aux objectifs que se sont fixés les acteurs dans la
démarche. C’est bien ce double mouvement de mobilisation, constitué de traductions successives,
que nous souhaitons analyser :
- Voir comment la construction du modèle mobilise les acteurs, et donc suivre la série de
traductions qui s’étend des « données » du modèle jusqu’au code informatique. Pour cela, on devra
analyser le rôle d’intermédiaire, de médiateur, de l’animateur puis du modélisateur, en observant les
pratiques, les objets et les résultats des différentes opérations de traduction qu’il met en œuvre. Ces
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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procédures sont-elles représentatives de l’expertise des acteurs sur le système ? Les traductions
sont-elles fidèles ?
- Analyser à la fois les pratiques par lesquelles les acteurs mobilisent le modèle et les enjeux
qui justifient cette mobilisation.
Ces pratiques de mobilisation peuvent être contestées lors de « controverses » (Callon, 1986), c'est-
à-dire des processus de « dissidence » ; ces processus se produisent lorsque la représentativité des
différents porte-paroles impliqués dans les processus de mobilisation, notamment les modèles, est
remise en cause. Nous étudierons la façon dont se manifestent ces « controverses » dans la
démarche et ce qu’elles permettent de déduire, à la fois sur la validité de la démarche et sur les
diverses postures adoptées par chaque acteur. Par l’analyse de ces controverses et de ces processus
de dissidences, on tentera de décrire les façons dont se construisent la « représentativité » et la
« légitimité » des acteurs et des objets mobilisés dans la démarche.
4. Posture du chercheur dans un processus de modélisation
d’accompagnement
Parce que la mise en œuvre d’une démarche de modélisation d’accompagnement vise à impulser des
processus de changements dans la gestion effective des ressources naturelles, cette mise en œuvre
implique une intervention du chercheur dans le cadre d’action. Définir les principes de la
modélisation d’accompagnement nécessite donc de faire intervenir un cadre théorique, un cadre
méthodologique mais aussi un cadre déontologique destiné à borner l’intervention du chercheur
dans ce contexte. Pour expliciter ce cadre déontologique, les chercheurs du réseau ComMod se sont
pourvus d’une « charte » (ComMod, 2005). Malgré cette charte, les débats relatifs à la posture du
chercheur dans une démarche de modélisation d’accompagnement restent importants au sein du
groupe ComMod. On tentera ici de mettre en évidence les difficultés déontologiques propres aux
rôles du chercheur et d’expliciter les postures diverses qui peuvent être adoptées pour faire face à
ces difficultés.
A. Une recherche « impliquée »
La démarche de modélisation d’accompagnement se veut à la fois « réfutable » dans le cadre
classique d’évaluation par la communauté scientifique (questionnement théorique et
méthodologique), mais aussi « impliquée », c'est-à-dire soumise à des remises en cause provenant
des acteurs de terrain (questionnement pragmatique) (ComMod, 2005).
1. Le chercheur, un acteur de la démarche
Le chercheur chargé de concevoir et souvent de mettre en œuvre l’intervention sur le terrain adopte
deux postures au cours de la démarche (Barnaud, 2008) :
« Il est tout d’abord chercheur, avec des objectifs de recherche, comme par exemple, mieux
comprendre le système et/ou améliorer la démarche d’accompagnement. Mais il se positionne
également comme un acteur du système, avec des objectifs de modification de ce système :
modifications des perceptions, des interactions ou des actions des acteurs de terrain ».
La première posture correspond à celle du chercheur au sens classique, chargé de produire de la
connaissance. Les objectifs portés par le chercheur sont néanmoins variés ; on peut ainsi relever 2
enjeux scientifiques distincts propres à l’observation d’une démarche de modélisation
d’accompagnement :
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
36
- Le scientifique peut chercher à produire de la donnée sur le système, plus particulièrement
sur les pratiques et les stratégies mobilisées par les acteurs de la gestion effective de ce système.
L’observation des sessions de jeu de rôles constitue une phase permettant de produire ce type de
données, à la fois parce qu’elle permet de mieux décrire les pratiques des acteurs sur le milieu, mais
aussi parce qu’elle donne des indications sur les jeux d’acteurs à l’œuvre dans la situation de gestion
actuelle (contexte social de l’intervention). Daré & al. (2005, in Barnaud, 2008) utilise ainsi le jeu de
rôles comme un « outil d’investigation sociologique ».
- Le chercheur cherche également à produire de la donnée sur le processus
d’accompagnement en lui-même, en analysant d’une manière réflexive la méthodologie employée et
les résultats de ce processus. Notre analyse se positionnera dans cette optique : on restera centré sur
la démarche sans aborder directement ni le contexte écologique ni le contexte social de
l’intervention.
Le chercheur adopte une seconde posture dans la démarche de modélisation d’accompagnement,
celle d’acteur du système (Becu & al., 2007) .
« In a ComMod process, researchers are no longer silent observers but become stakeholders
themselves, as they interfering with the system”.
En effet, en se fixant des objectifs de facilitation pour l’amélioration de la gestion, le scientifique
impulse indirectement des changements dans le système, par l’intermédiaire de l’évolution des
pratiques des acteurs locaux ou des décisions prises par les décideurs consécutivement à la
démarche.
2. Le chercheur : un acteur neutre ?
La question de la neutralité du chercheur dans la démarche est sujet à controverse entre les
membres du Collectif ComMod (Daré & al., 2009). Cette question porte principalement sur
l’appréhension des jeux de pouvoir qui constituent le contexte social de l’intervention. En effet, ces
jeux de pouvoir sont nécessairement transposés dans la démarche, ce qui implique des « asymétries
de pouvoir ». Daré et al. (2009) distinguent plusieurs « stratégies partenariales » vis-à-vis de ces
asymétries, que l’on résumera ici en trois postures :
- Une posture de neutralité de type « laisser-faire » : dans cette situation, le chercheur laisse
délibérément les jeux de pouvoir se reproduire en refusant d’intervenir pour plus d’équité dans la
démarche.
- Une posture de neutralité « dialogique » : le chercheur intervient seulement en répartissant
la parole de manière égale entre les participants au processus.
- Une posture de « non-neutralité » : le chercheur tient compte des asymétries de pouvoir et
tente de les compenser en renforçant le poids des points de vue des acteurs les moins influents dans
le processus.
Cette posture est fortement dépendante de la perception qu’a le chercheur par rapport au contexte
social (Daré & al., 2009) : si il ne perçoit pas d’asymétries de pouvoir majeurs, le chercheur aura
plutôt tendance à adopter une posture de neutralité vis-à-vis de ces jeux de pouvoir. Au contraire, s’il
considère que les asymétries de pouvoir sont importantes, il pourra adopter une posture visant à
renforcer l’impact des acteurs les plus faibles dans la démarche. Plus qu’une recherche
« impliquée », certains auteurs proposent une recherche « engagée », qui fonde sa légitimité sur la
transparence faîte à propos de cette posture (Barnaud, 2008):
« L’animateur et le concepteur d’une démarche ComMod doivent-ils, pour être légitimes, être neutres
face aux conflits d’intérêts caractérisant les systèmes dans lesquels ils interviennent ? Si, pour
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
37
certains, cette neutralité est une condition sine qua non à la réussite d’une démarche, d’autres
s’interrogent : une telle neutralité est-elle possible ? Le concepteur d’une démarche n’a-t-il pas
nécessairement son opinion sur le système ? ».
La question de la neutralité du chercheur ne peut sans doute pas se résumer à une posture. Il nous
paraît important de prendre en compte l’impact des caractéristiques individuelles du chercheur (les
savoirs qu’il mobilise, les enjeux qu’il porte, ses activités, ses centres d’intérêts…) dans la démarche.
B. Un rôle de médiation
La nécessité de définir un cadre déontologique pour le chercheur dans les approches ComMod ne
résulte pas seulement de son statut d’acteur à part entière. Elle découle également du pouvoir
important que lui confère sa position dans la démarche.
1. Le chercheur : concepteur/animateur/modélisateur de la démarche
Le chercheur impliqué dans une démarche de modélisation d’accompagnement cumule
généralement plusieurs rôles et intervient à tous les stades du processus :
- Il conçoit la démarche, en choisissant généralement les méthodologies et les outils
employés.
- Il assure également le rôle d’animateur du processus, ce qui implique des opérations de
traduction multiples : lors des réunions collectives avec les acteurs, le chercheur est chargé de
collecter les avis et remarques faîtes par les participants, mais aussi de les synthétiser et de les
retranscrire dans des documents permettant d’assurer une traçabilité de la démarche. Cette
opération implique un formatage certain et peut impliquer des distorsions. En tant qu’animateur de
la démarche, il peut aussi être chargé de mobiliser les acteurs pour les réunir. Cette fonction
d’animation peut parfois être assurée par les porteurs du projet.
- En tant que modélisateur, le chercheur assure enfin la traduction des remarques énoncées
lors des réunions en procédures informatiques. Il est également chargé de restituer les avancées du
travail de modélisation, par la production de simulations. Ces opérations semblent très peu explorées
dans la littérature, comme si ces traductions allaient de soi.
2. Un pouvoir important dans la démarche
Le recours au principe de co-construction ne doit pas masquer le rôle charnière du
chercheur/animateur/modélisateur dans la démarche. Par son statut, le chercheur intervient en effet
à tous les stades de la démarche et est responsable de nombreuses opérations de traduction, ce qui
lui donne la possibilité d’influencer fortement la démarche, à la fois pendant les temps forts collectifs
et lors des phases d’implémentation. Le chercheur créé l’immense majorité des objets produits et
mobilisés lors de la démarche (modèles, comptes-rendus…).
Cette position charnière dans la démarche implique un risque de manipulation majeur de la
démarche par le chercheur. Ce risque est accru par certaines caractéristiques de la démarche
ComMod, notamment par l’opacité du code informatique qui constitue généralement la base de la
construction des modèles utilisés dans ces démarches. Cette position dominante sur le processus est
enfin renforcée par son statut même de scientifique (ComMod, 2009) :
« Dans de nombreux cas, la connaissance qu’il [le chercheur] apporte dans le processus n’a pas le
même statut que les autres connaissances ; elle a en général été validée par la connaissance
scientifique. Elle est en tout cas perçue comme telle ».
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C. Le cadre déontologique ComMod
Face à ce risque de manipulation de la démarche, les membres du réseau ComMod se sont dotés
d’une charte conçue comme une doctrine réfutable et évolutive (ComMod, 2005). Nous présentons
ici les principes majeurs de cette charte ainsi que les règles d’actions qui en découlent.
1. Une mise en discussion continue des hypothèses
La mise en œuvre d’une démarche de modélisation d’accompagnement nécessite une réfutation
continue et exhaustive des hypothèses mobilisées lors de la modélisation. Cette réfutation se fait par
la confrontation au « terrain », principalement par la présentation et la discussion de ces hypothèses
lors des réunions avec les acteurs locaux. Cette réfutabilité systématique implique notamment que
les points de vue scientifiques mobilisés par les chercheurs peuvent être remis en cause par des
points de vue associés à des savoirs différents (savoirs techniques, savoirs empiriques…), et donc que
ces points de vue sont considérés comme aussi légitimes.
Ici c’est bien la discussion collective qui constitue le principe de légitimation dans la démarche de
modélisation ; le collectif ComMod (2009) pose ainsi comme principe d’action le fait d’« interdire des
choix ayant des conséquences pour des absents sans que ceux-ci soient impliqués ».
2. Un objectif de transparence dans la démarche
L’objectif de transparence découle naturellement de l’exigence de réfutabilité. En effet, pour que
toutes les hypothèses de la démarche soient réfutables, aucune de ces hypothèses ne doit rester
implicite lors de l’intervention.
La transparence est d’abord une exigence déontologique incontournable envers la communauté
scientifique chargée de juger les théories et les pratiques propres à ce type de démarche. Elle est
ensuite nécessaire envers les acteurs de terrain, étant donné les possibilités de manipulation de la
démarche mentionnées ci-dessus. Il est possible de distinguer plusieurs domaines de transparence :
- La transparence doit d’abord concerner l’élaboration du modèle ; elle doit permettre de
mettre en évidence les hypothèses de construction du modèle, en les explicitant et en les
mémorisant de manière systématique (Barnaud, 2008). L’exigence de transparence implique donc de
mettre en place des procédures pour d’établir une « traçabilité » de la démarche.
- Elle doit également porter sur la façon dont ces hypothèses peuvent être traduites lors de la
conception concrète du modèle. Le chercheur doit ainsi éviter l’aspect « boite-noire » de la
modélisation en confrontant le plus systématiquement possible les participants à l’aspect technique
de la création du modèle, par exemple à l’écriture du code informatique. En permettant aux
participants de garder à l’esprit les hypothèses et les mécanismes sous-jacents qui permettent le
fonctionnement du modèle, le chercheur pourra mieux afficher le domaine d’utilisation de ces outils
(ComMod, 2009).
- Barnaud (2008) identifie enfin une autre exigence de transparence, qui ne concerne plus la
phase de construction des modèles mais les hypothèses qui établissent la posture
d’accompagnement. L’animateur/modélisateur de la démarche doit établir la façon dont il souhaite
intervenir dans la démarche, notamment en explicitant sa posture par rapport à sa neutralité.
Pour assurer cette transparence, le Collectif ComMod (2009) met en avant la nécessité de créer des
pratiques, des procédures, des outils, donc des dispositifs spécifiques. Nous étudierons les dispositifs
mobilisés pour la démarche Luberon.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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3. Une posture fondamentalement réflexive
La réflexivité fait partie intégrante de la posture ComMod. L’analyse de ses pratiques et de l’impact
du processus de recherche sur le terrain est nécessaire, ce qui suppose la définition préalable
« d’objectifs définis » pour la démarche, mais aussi « d’indicateurs quantifiables » pour mener une
véritable démarche de validation ex-post (ComMod, 2005). La prise en compte de l’impact de
l’intervention sur le terrain devra notamment s’intéresser à la façon dont le processus peut interférer
avec le contexte sociopolitique, ce qui implique une responsabilisation du chercheur par rapport aux
dynamiques à l’œuvre sur le terrain (Becu & al., 2007). Cette responsabilisation suppose une
réflexivité continue pendant le processus même, pas seulement lors de la phase de validation ou
d’évaluation de la démarche. Le Collectif ComMod recommande en effet d’abandonner la procédure
si le contexte social ou la participation l’exige (2009). Cette réflexivité continue permet également
d’ajuster au quotidien sa posture d’accompagnement pour mieux la mettre en conformité avec ses
objectifs.
L’étude réflexive les pratiques quotidiennes de modélisation et d’animation mobilisées par le
chercheur/animateur/modélisateur constitue un enjeu majeur du stage par rapport aux partenaires,
mais aussi un objectif de recherche.
Comment se traduisent ces principes et ce cadre déontologique dans les pratiques des chercheurs ?
Quels sont les outils que l’on peut mobiliser, notamment pour assurer cette réflexivité quotidienne
nécessaire ?
Les travaux du réseau ComMod étudiés dans le cadre de cette analyse bibliographique portent en
grande partie sur les apports ou les limites de la démarche eu égard aux objectifs définis. Les auteurs
se sont également beaucoup intéressés aux difficultés de mise en œuvre propres au contexte social
de l’intervention. D’autres thématiques semblent avoir été moins abordées : on note ainsi que peu
de travaux retranscrivent les processus concrets et quotidiens de traduction mobilisés par les
chercheurs, notamment les opérations d’élaboration des produits qui servent de base à la
modélisation d’accompagnement. Lever cet implicite des pratiques concrètes qui se déploient dans
la démarche me semble fondamental pour faire la transparence sur le contenu réel des interactions
entre chercheurs et acteurs dans un processus de modélisation d’accompagnement.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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III-Définir une politique de terrain :
l’acteur et le chercheur dans la
démarche
L’exigence de réfutabilité (ComMod, 2005) implique la définition d’une « politique de terrain »
(Olivier de Sardan, 1995). Cette politique de terrain se veut duale pour le chercheur impliqué dans
une démarche de modélisation d’accompagnement : il s’agit dans un premier temps de définir notre
politique de terrain (et les outils associés) en tant qu’animateur et modélisateur, et donc d’éclairer
notre posture pendant le stage, notre insertion en tant qu’acteur de démarche de modélisation
d’accompagnement. Définir une politique de terrain implique également de délimiter les principes
qui pourront régir notre « stratégie scientifique ». Il s’agit notamment de développer la
méthodologie employée, les données récoltées et la façon de les mobiliser dans un objectif
scientifique de description d’un processus éminemment évolutif et adaptatif.
1. Description du stage : une intervention ponctuelle dans le
processus
Avant de définir la posture adoptée pendant la démarche, il s’agit de contextualiser brièvement mon
intervention et mes travaux dans la démarche Luberon, et donc de décrire le stage effectué à l’INRA
de mai à novembre 2009.
A. Missions effectuées pendant le stage
1. Les commandes à l’origine du stage
Deux commandes sont à l’origine de ce stage. La commande de l’ENGREF réside principalement dans
la mise en œuvre d’une analyse réflexive sur une démarche participative de gestion de
l’environnement. La commande de l’INRA consiste quant à elle à participer à la démarche en tant que
modélisateur et animateur, afin notamment de faire avancer l’élaboration du modèle SMA mais aussi
de créer un jeu de rôles dérivé de ce modèle. La production de données pour la description et
l’analyse de la démarche constitue également un objectif à part entière de l’approche ComMod,
notamment pour permettre de tester et d’améliorer la démarche de modélisation
d’accompagnement.
L’élaboration du modèle SMA étant déjà avancée à l’initialisation du stage, notre rôle consiste
principalement à le tester et à le valider, mais aussi à le compléter conformément aux demandes des
acteurs. Les phases d’implémentation dans le modèle (écriture du code informatique) occupent ainsi
la part la plus importante de notre temps, notamment si on les compare aux phases d’interactions
directes avec les acteurs locaux, très ponctuelles.
2. Un travail de modélisation et d’animation qui s’inscrit dans la continuité
La démarche de modélisation d’accompagnement menée dans le Luberon est caractérisée par un
chevauchement des pratiques relatives à l’animation et à la modélisation. En effet, l’un des deux
chercheurs ayant participé à la conception de la démarche assurait seul ces fonctions avant notre
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
41
arrivée, et était donc chargé à la fois d’animer les temps collectifs mais aussi d’implémenter les
données issues de ces temps collectifs dans un modèle informatique. Notre rôle dans la démarche
consiste principalement à le relayer et à l’assister pour faire avancer une démarche qui s’éternise.
Afin d’assurer les fonctions de modélisation, une formation au code informatique est nécessaire ; elle
est assurée directement par le modélisateur, à partir d’une étude du modèle SMA créé lors de la
démarche, ce qui m’offre en même temps la possibilité de me familiariser avec le modèle et les
travaux précédemment réalisés. Elle est complétée par une observation continue de la posture et
des pratiques de ce chercheur par rapport aux moments d’interactions avec les acteurs, observation
assortie de conseils de ce même chercheur. Au fur et à mesure, cette expérience me permet
d’assurer une partie des fonctions d’animation, notamment lors de la phase de validation du modèle
SMA.
En tant que modélisateur et animateur de la démarche, le chercheur ne porte pas d’objectifs
« thématiques » de recherche, comme par exemple celui d’utiliser le modèle ou le jeu de rôles pour
créer de la connaissance sur le système modélisé. Ses objectifs sont principalement
méthodologiques, et correspondent plutôt bien à l’objectif de réflexivité inhérent à la commande de
l’ENGREF.
En s’intégrant à la démarche pour l’assister, nous reprenons naturellement les fonctions assurées par
le chercheur, tout en adoptant ses objectifs, sa méthodologie, ses outils et donc sa posture
d’intervention.
B. Une analyse forcément partielle et partiale du processus
L’analyse de la démarche menée ici est forcément relative à mon intervention dans le processus. Il
s’agit de voir ce que le contexte et le déroulement du stage induisent comme limites ou comme
opportunités pour mener à bien cette analyse. Il s’agit également de comprendre la façon dont nous
avons adapté notre stratégie scientifique à ce contexte.
1. Une participation ponctuelle dans la démarche
Le stage de 6 mois effectué à l’INRA ne représente qu’une durée limitée par rapport à l’ensemble de
la démarche, initiée dès 2005. Ceci représente un problème important, d’abord lors du stage en lui-
même. L’insertion dans cette démarche demande un travail important de « mise à jour » et
d’absorption des antécédents avant d’être vraiment opérationnel. Ce problème constitue également
une limite importante pour procéder à l’évaluation de la démarche. La production de données sur les
phases précédentes de la démarche (chroniques et journal de bord) ainsi que les discussions avec les
chercheurs impliqués permettent néanmoins de reconstituer une partie du processus.
Pour remédier à cette intervention limitée dans le temps, l’analyse se concentrera principalement
sur les phases auxquelles on a directement participé, sans pour autant négliger les facteurs
d’évolution de la démarche propres aux phases antérieures.
Le retard pris par la démarche ne permet une observation complète de la phase
d’institutionnalisation du processus, ce qui constitue une limite majeure à notre analyse. En effet,
cette observation est nécessaire pour avoir une idée de l’impact de la démarche sur le système mais
surtout pour analyser la façon dont les différents partenaires impliqués dans la co-construction
mobilisent l’outil dans ce contexte. Le début de réflexion auquel nous avons pu participer nous
permet malgré tout d’avoir une idée partielle des opérations de mobilisation à venir.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
42
2. L’étude du contexte de la démarche dans une analyse « embarquée »
Le travail nécessaire à la mise en œuvre de la démarche ne permet pas de mener des investigations
parallèles afin de récolter de la donnée sur le contexte social propre à la gestion des ressources
naturelles dans le Luberon. En effet, les travaux d’implémentation et de création d’outils pour
assurer le suivi et l’animation de la démarche ne m’offrent pas la possibilité de m’informer sur les
autres actions entreprises par les institutions et les acteurs mobilisés, ou encore de mener des
entretiens semi-directifs permettant de décrire ce contexte social. Au final, l’ensemble des données
récoltées est issu exclusivement de l’observation du processus, et permettent une très bonne
connaissance des modèles et des modalités de concrétisation qui ont abouti à ces modèles. A partir
de ce constat, l’analyse, qui prévoyait au départ de mobiliser ce contexte, se concentre
principalement sur le déroulement de la démarche, plus particulièrement sur les pratiques
quotidiennes qui la constituent.
Le bien fondé de l’analyse embarquée du processus repose sur l’idée que l’observation de la
démarche permet à elle seule de produire des données pertinentes sur le contexte social (Daré & al.,
2005, in Barnaud, 2008). De plus, on peut penser qu’en l’absence d’asymétries flagrantes de pouvoir
dans le collectif mobilisé, ce contexte social a un impact moindre sur la démarche que pour d’autres
démarches mises en œuvre dans des contextes plus déséquilibrés et conflictuels, pour lesquelles
l’analyse des jeux de pouvoir constituait un préalable incontournable (Becu & al., 2007, Barnaud,
2008). La chronique du processus ne mentionne d’ailleurs pas la mise en place d’une telle opération
de décryptage.
La prise en compte des interactions du processus avec son contexte social se fera donc au travers le
prisme de la démarche, plus particulièrement par l’intermédiaire d’acteurs mobilisés dans plusieurs
arènes qu’ils contribuent ainsi à connecter. On étudiera donc la façon dont les résultats de cette
démarche sont potentiellement mobilisés dans d’autres arènes, mais aussi les influences potentielles
de ces autres processus sur le déroulement du programme Luberon.
3. Des interactions asymétriques avec les participants à la démarche
Le cadre de mon stage peut également être considéré comme un biais dans mon intervention dans la
démarche. En effet, en travaillant à l’INRA, je suis en contact quotidien avec les deux chercheurs
impliqués dans le programme Luberon, ce qui induit forcément un certain déséquilibre par rapport
aux autres participants. Ainsi, de nombreux points d’explication du fonctionnement de la démarche
sont tirés des observations personnelles de ces deux chercheurs, sans lesquelles l’analyse de la
démarche aurait perdu de sa richesse.
L’ensemble des biais énumérés ici rend nécessaire la production d’un cadre méthodologique
permettant de prendre du recul pour retrouver un peu d’objectivité au sein d’une posture
résolument « embarquée » dans la démarche.
2. La posture et les outils de l’animateur/modélisateur
Grâce aux nombreuses discussions avec l’animateur/modélisateur de la démarche et à l’étude de son
positionnement lors des TFC, nous proposons ici de faire la transparence sur la « posture
d’accompagnement » (Barnaud, 2008) adoptée pendant la démarche, c'est-à-dire la façon dont
l’animateur/modélisateur définit son rôle par rapport aux acteurs. On décrira également les outils et
les pratiques qui permettent de mettre en œuvre cette posture.
Gratecap Jean-Baptiste
A. L’enjeu méthodologique
Pour la démarche développée dans le Luberon, les chercheurs de l’INRA ont souhaité associer
systématiquement certains participants aux différentes étapes de la démarche. Ces participants
étaient d’ailleurs identifiés comme des «
« porteurs d’enjeux ». L’enjeu méthodologique de la démarche était de mettre en œuvre une co
construction la plus exhaustive et la plus aboutie possible avec ces partenaires.
1. Une co-construction exhaustive pendant
La co-construction du processus menée dans le Luberon se veut exhaustive, en permettant aux
partenaires d’investir l’ensemble des phases de la démarche et donc de se constituer une démarche
« à la carte ». Ainsi, la définition des objectifs d
tout comme l’identification des acteurs à mobiliser ou des outils à construire. L’ensemble de ces
choix est arrêté lors de discussion collectives réunissant l’ensemble des partenaires, les «
collectifs » (TFC).
2. Une co-construction aboutie
L’élaboration des modèles mobilisés dans la démarche résulte également d’un processus de co
construction qui se veut le plus abouti possible, en impliquant les partenaires de la récolte des
données à la validation du modèle (
Figure 3 : le processus it
La volonté de l’animateur est de confronter le plus souvent possible les partenaires à la conception
concrète des modèles, notamment à l’écriture du code informatique mais aussi à l’élaboration des
supports du jeu de rôles (notamment le plateau de jeu). On
contrairement à de nombreuses démarches de modélisation d’accompagnement, la validation avec
Mémoire FNS 2009
43
L’enjeu méthodologique : une co-construction totale
Pour la démarche développée dans le Luberon, les chercheurs de l’INRA ont souhaité associer
systématiquement certains participants aux différentes étapes de la démarche. Ces participants
étaient d’ailleurs identifiés comme des « partenaires » plus que comme des «
». L’enjeu méthodologique de la démarche était de mettre en œuvre une co
construction la plus exhaustive et la plus aboutie possible avec ces partenaires.
exhaustive pendant le processus
construction du processus menée dans le Luberon se veut exhaustive, en permettant aux
partenaires d’investir l’ensemble des phases de la démarche et donc de se constituer une démarche
». Ainsi, la définition des objectifs de la démarche résulte directement des partenaires,
tout comme l’identification des acteurs à mobiliser ou des outils à construire. L’ensemble de ces
choix est arrêté lors de discussion collectives réunissant l’ensemble des partenaires, les «
construction aboutie des modèles
L’élaboration des modèles mobilisés dans la démarche résulte également d’un processus de co
construction qui se veut le plus abouti possible, en impliquant les partenaires de la récolte des
s à la validation du modèle (Figure 3).
: le processus itératif de co-construction idéal pour la démarche Luberon.
La volonté de l’animateur est de confronter le plus souvent possible les partenaires à la conception
concrète des modèles, notamment à l’écriture du code informatique mais aussi à l’élaboration des
supports du jeu de rôles (notamment le plateau de jeu). On peut également noter que,
contrairement à de nombreuses démarches de modélisation d’accompagnement, la validation avec
Mémoire FNS 2009-2010
Pour la démarche développée dans le Luberon, les chercheurs de l’INRA ont souhaité associer
systématiquement certains participants aux différentes étapes de la démarche. Ces participants
» plus que comme des « acteurs » ou des
». L’enjeu méthodologique de la démarche était de mettre en œuvre une co-
construction du processus menée dans le Luberon se veut exhaustive, en permettant aux
partenaires d’investir l’ensemble des phases de la démarche et donc de se constituer une démarche
e la démarche résulte directement des partenaires,
tout comme l’identification des acteurs à mobiliser ou des outils à construire. L’ensemble de ces
choix est arrêté lors de discussion collectives réunissant l’ensemble des partenaires, les « temps forts
L’élaboration des modèles mobilisés dans la démarche résulte également d’un processus de co-
construction qui se veut le plus abouti possible, en impliquant les partenaires de la récolte des
pour la démarche Luberon.
La volonté de l’animateur est de confronter le plus souvent possible les partenaires à la conception
concrète des modèles, notamment à l’écriture du code informatique mais aussi à l’élaboration des
peut également noter que,
contrairement à de nombreuses démarches de modélisation d’accompagnement, la validation avec
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
44
les acteurs ne concerne pas seulement les dynamiques sociales ou les stratégies individuelles ; les
partenaires ont également été invités à co-construire la partie écologique du modèle.
Dans cette démarche, tous les points de vue des partenaires sont considérés a priori comme
valables. Ce qui légitime ces points de vue et leur permet d’intégrer le modèle, c’est la confrontation
aux autres points de vue des partenaires. La contradiction constitue l’un des modes principaux de
validation du modèle.
B. Une posture d’accompagnement neutre
1. Un animateur/modélisateur à la disposition des partenaires
Dans cette démarche, l’animateur-modélisateur met à la disposition du collectif des outils et des
compétences et cherche à interférer le moins possible avec les décisions prises lors de la conception
du modèle, mais aussi lors de son utilisation. Lui-même n’a pas d’avis à donner, il est simplement là
pour assurer l’animation de la démarche, sans imposer son point de vue, même si les données
utilisées ou les résultats produits lui semblent contraire à ses connaissances. Cette position est
continuellement rappelée par l’animateur dans le cadre des réunions. On peut préciser la posture
adoptée en fonction de trois « leviers » actionnables par l’animateur d’une démarche de
concertation (Beuret, 2006).
a. L’animation du dialogue
Dans une démarche de modélisation d’accompagnement, le dialogue se déploie autour du modèle,
considéré comme un médiateur. Le concepteur de la démarche Luberon choisit donc de se
positionner en tant qu’interface entre les acteurs et le modèle. Son premier rôle est de permettre la
traduction de la perception de l’acteur énoncée pendant le TFC, en amenant l’acteur à une
formulation plus formalisée et « prête à l’emploi » de cette perception. Dans la dynamique de co-
construction, une attention toute particulière a été apportée aux « points de vue » du modèle, c'est-
à-dire aux indicateurs construits avec les partenaires pour représenter d’une manière qui leur semble
pertinente une dynamique paysagère, une dynamique d’action ou une dynamique de production
(Etienne & Le Page, 2002).
Au fur et à mesure, l’objectif est de transférer cette compétence de traduction aux participants, afin
qu’ils s’habituent à énoncer une représentation dans le langage adéquat.
Ce rôle d’interface entre le modèle et les acteurs consiste également à rappeler ce qu’il y a déjà dans
le modèle, et donc de préserver une certaine cohérence dans son élaboration.
b. La conduite de la démarche de concertation
L’animateur de la démarche se veut très en retrait dans la démarche, ce qui implique de laisser aux
partenaires la possibilité de faire des choix stratégiques qui engagent le processus. L’animateur ne
s’implique pas dans l’évolution du réseau de participants ou encore dans l’utilisation qui pourra être
faîte des outils produits pendant la démarche. Lors de la création du jeu de rôles, la volonté du
chercheur-modélisateur est ainsi d’offrir aux institutions engagées la possibilité de mettre en place
ce jeu de la manière dont elles le souhaitent, plutôt que de porter lui-même le projet pour acquérir
des connaissances sur ce système. Son refus de s’impliquer dans l’organisation des restitutions de
résultats du modèle SMA et dans les sessions de jeu de rôles montre bien que
l’animateur/modélisateur souhaite adopter une posture de neutralité dans la démarche, afin de
responsabiliser au maximum les acteurs mobilisés.
c. La recherche de solutions
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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L’animateur ne propose pas de solutions mais il catalyse l’émergence de ces dernières par
l’intermédiaire de la construction des modèles.
2. Notre posture de stagiaire : deux stratégies pour assurer la neutralité
Conformément aux choix méthodologiques et pratiques faits par l’animateur de la démarche, nous
optons nous-mêmes pour une posture de neutralité passive, de type « laisser-faire » (Daré & al.,
2009). En l’absence d’informations préalables sur la situation de gestion dans le Luberon, nous
choisissons de répondre à toutes les sollicitations des acteurs, sans rechercher une égalité dans le
temps de parole ou dans les procédures implémentées ; concrètement, si l’un des partenaires
souhaite développer un aspect du modèle en nous mobilisant en dehors des temps forts collectifs,
nous répondons à sa sollicitation en nous mettant à sa disposition. Si des décisions sont prises sans
l’aval des autres partenaires, notre rôle est alors de retranscrire ces décisions et de les mettre en
discussion lors du prochain TFC.
Cette posture n’est pas réellement préméditée ; elle constitue simplement la façon dont nous nous
sommes positionnés par rapport aux objectifs de neutralité voulus par le concepteur de la démarche.
On remarque néanmoins une différence fondamentale de positionnement entre nous deux : là où le
concepteur choisit de privilégier les discussions collectives lors des TFC pour l’élaboration du modèle,
et adopte de fait une posture de neutralité « dialogique », nous nous engageons dans des réunions
« bilatérales » avec certains acteurs de la démarche, tout en faisant la transparence sur le contenu de
ces discussions à travers des comptes-rendus. A partir d’une même exigence de neutralité et de
passivité, deux postures distinctes émergent, sans forcément que la construction de la posture
« dérivée » que nous adoptons ne soit consciente. Seule une analyse réflexive de notre rôle dans la
démarche nous permet d’identifier a posteriori ce glissement, à travers notamment l’étude des
chroniques et des discussions avec le concepteur.
Avec du recul, nous adoptons sans doute cette posture parce qu’elle nous semble la plus
intéressante pour analyser les formes de mobilisation des acteurs par rapport à la démarche. On
peut donc dire ici que notre stratégie de recherche influence notre intervention dans la démarche.
L’autre avantage de cette posture est de permettre un certain « rééquilibrage » par rapport aux
acteurs non-scientifiques ; les nombreuses situations d’interactions avec les deux chercheurs de
l’INRA rendent de toute façon impossible la mise en place d’une « neutralité dialogique ». Nous
verrons plus tard que cette posture de type laisser-faire a pu avoir un impact important sur la
démarche.
3. Les enjeux propres à cette posture
Cette posture de co-construction totale est intéressante à plusieurs titres : en responsabilisant au
maximum le participant et en lui laissant le maximum de liberté, que ce soit dans la construction du
modèle ou dans la conduite du processus de concertation, celui-ci se retrouvera dans les outils
construits et en aura une compréhension accrue. Par ce dispositif, les membres du groupe de co-
construction acquièrent un statut hybride, à la fois concepteur et acteur dans la démarche. La
distinction classique entre les chercheurs/concepteurs et les acteurs du système étudié n’est plus
réellement pertinente, notamment parce que les acteurs sont mobilisés dès la phase de définition
des objectifs et décident de l’utilisation finale des outils créés.
Cette posture de neutralité passive implique une confrontation directe entre des acteurs locaux et un
modèle informatique abstrait. Cette confrontation pose d’abord des problèmes de mise en œuvre
concrète. Elle demande une certaine « flexibilité » de l’outil de modélisation (Barnaud, 2008), celui-ci
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
46
devant s’adapter aux évolutions de représentations des acteurs impliqués mais aussi à l’évolution du
collectif lui-même. Elle suppose également d’observer les perceptions du modèle co-construit par les
acteurs (Becu et al., 2007).
Nous étudierons la mise en œuvre concrète des pratiques de co-construction, mais aussi la
mobilisation du modèle par les partenaires et les résultats obtenus. A terme, il s’agit d’analyser la
validité et la pertinence de cette posture dans la démarche de modélisation d’accompagnement
menée dans le Luberon.
C. Des outils et des pratiques pour la co-construction
Il s’agit ici de rendre compte des pratiques et des outils mobilisés par le
chercheur/modélisateur/animateur par rapport à deux enjeux majeurs :
- permettre une transparence du modèle, enjeu envers les partenaires.
- permettre une réflexivité sur le travail de co-construction, enjeux envers la communauté
scientifique.
L’observation des opérations de traduction menée par le chercheur semble nécessaire, notamment
l’observation de la phase de création concrète du modèle informatique. Les phases
d’implémentation du modèle sont en effet peu explorées dans la littérature ComMod et restent donc
relativement opaques.
Si les outils présentés ici sont pour la plupart « standards » dans une démarche de modélisation
d’accompagnement, la formalisation des pratiques décrites ci-dessous relève de l’observation de
l’activité de l’animateur/modélisateur de la démarche Luberon.
1. Les outils pour une traçabilité de la démarche
La mise en œuvre d’une « traçabilité de la démarche » (Daré et al., 2009) se fait par l’intermédiaire
d’objets spécifiques mobilisés pour assurer et mémoriser la traduction entre les acteurs et le
chercheur. Ces outils constituent également une source de données pour l’analyse réflexive de
l’intervention du chercheur dans la démarche.
a. Des outils de description des interactions chercheurs/acteurs
La co-construction des modèles de la démarche Luberon mobilise des documents de synthèse
élaborés par le modélisateur. Les « relevés de décision » (voir par exemple l’annexe 3) sont conçus
pour traduire et enregistrer les décisions prises lors des temps forts collectifs et sont donc diffusés à
tous les acteurs après la réunion ; ces relevés constituent un document de base lors de l’écriture du
code informatique par le modélisateur. A posteriori, ils permettent également d’expliciter les
hypothèses à la base du modèle informatique.
Parallèlement à ces relevés de décision sont élaborés des « supports de réunions », c'est-à-dire des
documents permettant de présenter les avancées et les limites des choix de modélisation effectués
lors des réunions précédentes. Ils sont également conçus pour rendre compte de la traduction en
procédures informatiques effectuée par le modélisateur. Enfin, ils permettent de mettre en avant les
résultats produits (simulations) à travers les points de vue demandés lors des réunions précédentes.
Ces supports servent pour la validation du modèle par les partenaires. Tout comme les relevés de
décision, ils sont transmis aux partenaires et sont collectés et classés afin de garantir la traçabilité.
A travers ces documents standardisés, le chercheur se donne les moyens de retranscrire les boucles
itératives d’interactions chercheurs/acteurs dans des documents officiels.
b. Des outils de description dynamique des modèles
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
47
Le Collectif ComMod (2005) mentionne ainsi la nécessité de conserver au cours de la démarche une
« famille de modèles, trace des interactions successives entre modélisateurs et terrain ». La méthode
ARDI prévoit aussi de noter au fur et à mesure de la démarche les évolutions auxquelles sont
soumises les différentes versions du modèle conceptuel (Etienne, 2009). L’enregistrement
systématique de ces interactions successives à travers les relevés de décision et les supports de
réunion permet de reconstituer ces « itinéraires méthodologiques » (Lardon, 2005).
Le lexique est un outil majeur pour le modélisateur. Cet outil est conçu à la base pour décrire le
modèle (les procédures, les agents et leurs attributs…) afin d’être transmis aux partenaires pour
permettre la transparence des choix de construction des modèles. Il est également intéressant pour
appréhender le processus d’élaboration des modèles : pour chaque item intégré dans ces lexiques,
on y ajoute un descriptif contextualisé qui permet d’en reconstituer la dynamique. Ainsi, au fur et à
mesure de la conception du modèle, les ajouts, les retouches et les corrections effectués sur ces
items ont été notés afin d’appréhender leurs évolutions au cours de la démarche. Les acteurs à
l’origine de ces évolutions ont également été notés pour mieux caractériser leur mobilisation dans la
co-construction. Utilisé de cette manière, le lexique permet de reconstituer le palimpseste que
forment les nombreux cycles d’interactions à la base de la co-construction.
c. Des outils de suivi de la démarche
Le suivi de la démarche peut également se faire sous la forme d’un journal de bord, d’une
« chronique » (Daré & al., 2009), qui constitue l’une des principales sources de données mobilisables
dans un objectif de réflexivité du chercheur par rapport à la démarche. Il existe ainsi une chronique
(en format Word ou Excel) mise à jour pour le projet Lubéron qui renseigne sur :
- le contexte de la réunion : durée, organisateur, participants, animateur, langue utilisée,
lieu ;
- ses objectifs (ordres du jour) : objet, type d’activités ;
- les supports : supports mobilisés ou produits (supports de réunions et relevés de
décision…) ;
- la phase ComMod correspondante.
La chronique sous format Excel permet d’élaborer des données statistiques pour décrire la démarche
(Figure 5).
2. Des pratiques d’animation
Bousquet et al (2002) notent la difficulté de confronter directement les acteurs au code informatique
et à sa signification. Les pratiques d’animation mobilisées par le concepteur de la démarche Luberon
visent à permettre cette confrontation.
La méthode ARDI mobilisée par l’animateur intègre ainsi l’utilisation de « phrases logiques » pour
traduire les diagrammes conceptuels et les retranscrire dans le modèle informatique (Etienne, 2009).
Ces phrases logiques servent d’interface entre les diagrammes co-construits avec les acteurs et le
modèle sur lequel le chercheur est le seul à intervenir :
« Quand l’animateur souhaite réduire au maximum l’effet boite noire du modèle, et souhaite une
réelle appropriation du modèle par l’ensemble des participants, il peut proposer des exercices de co-
construction basés sur des phrases logiques (…). Ces phrases logiques vont permettre aux participants
d’expliciter leurs pratiques ou leurs perceptions des pratiques des autres (…). La personne (…) va
expliciter cette action sous la forme de phrases clairement structurées (…) ».
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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L’animation des phases collectives consiste donc ici à amener l’acteur à expliciter les règles qu’il veut
intégrer au modèle, donc de les « pré-formater » pour l’implémentation. Ces phrases logiques sont
directement intégrées dans les relevés de décision. Ce pré-formatage limite les distorsions
potentiellement engendrées par l’écriture du code informatique et permet une traduction des
représentations la plus conforme possible. Grâce à ces moments d’explicitation par les phrases
logiques, les partenaires s’initient à la pratique de la modélisation. Il devient alors possible de les
confronter directement au code informatique, procédure d’animation que se révèle très féconde
dans les phases de validation.
Cette méthode demande une certaine expérience de la modélisation : sans cela, l’animateur ne
pousse pas l’acteur à bien définir la règle à implémenter. Dans ce cas, le modélisateur devra lui-
même compléter la règle, ce qui limite la transparence et la représentativité du modèle créé.
L’ensemble des pratiques décrit ici présente un idéal de co-construction (Figure 3). Il est nécessaire
de le confronter à la réalité des boucles itératives de construction des modèles.
3. Des pratiques d’implémentation pour une lisibilité du code informatique
La stratégie d’animation décrite ci-dessus est relayée lors de l’implémentation par des pratiques
permettant de préserver une certaine « lisibilité » du code informatique.
Le modélisateur se doit tout d’abord d’éviter les chiffres « en dur » dans le code informatique ; en
effet, ces chiffres ne renvoyant à aucune donnée bien identifiée deviennent complètement illisibles à
mesure que le modèle se complexifie, ce qui induit des problèmes de transparence du code. Le
modélisateur doit ainsi toujours s’assurer que le lien entre le code et les données sous-jacentes soit
visible, ce qui simplifie les opérations de lecture du code dans les moments collectifs, notamment
lors des phases de validation.
Le modélisateur doit également réfléchir à une implémentation « logique », c'est-à-dire conforme à
la représentation exprimée par l’acteur. Le modélisateur de la démarche Luberon choisit ainsi
d’intégrer l’attribut « territoire » du forestier, sans que ce territoire ne soit directement utilisé dans
le reste des procédures. Cela lui permet également d’anticiper sur la transposition du modèle SMA
en jeu de rôles.
Le modélisateur assure enfin la vérification du code informatique, l’exactitude de sa construction
(Manson, 2002). Cette opération de vérification doit permettre le bon fonctionnement du
programme informatique implémenté, en identifiant notamment les nombreux bugs pouvant
potentiellement se glisser dans une représentation d’un système complexe. En effet, les nombreuses
connexions existantes entre les différents modules du modèle informatique nécessitent des tests
nombreux. On constate d’ailleurs que la recherche des erreurs de codage constitue une voie
d’identification privilégiée des manquements dans l’élaboration du modèle.
Toutes ces pratiques demandent une certaine expertise dans le codage. Elles nécessitent également
un suivi quotidien, sous la forme d’un cahier permettant de consigner l’ensemble des choix et des
justifications qui précèdent la création du code informatique. Cet objet constitue à la fois le garant
d’une traçabilité des opérations d’implémentation, mais aussi un outil de réflexivité donnant
l’opportunité d’analyser les opérations de traduction successivement réalisées par le chercheur dans
une démarche de co-construction.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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3. Une posture méthodologique réflexive pour l’analyse de la
démarche
La démarche d’analyse scientifique menée ici ne se contente pas d’étudier les pratiques se déployant
dans une démarche de co-construction. Elle vise également à rendre compte de la dynamique de
cette démarche, à travers l’étude d’un processus de concertation où interviennent des acteurs et des
objets. Nous présenterons ici notre posture de recherche et les données mobilisées pour l’analyse de
cette dynamique.
A. Une analyse réflexive et embarquée
1. Une approche ethnographique sur la « démarche-en-train-de-se-faire »
L’analyse dynamique de la démarche se veut profondément réflexive étant donnée notre
participation effective à la démarche. Nous avons choisi d’utiliser cette posture « embarquée »,
d’observation participante, pour mener une analyse des « activités quotidiennes » (Lémery & al.,
1997) d’un programme participatif en train de se faire. On mobilisera pour cela une approche
« ethnométhodologique », méthode inspirée des travaux effectués dans le domaine STS sur les
activités scientifiques (Barbier, 2003) :
« Parce que les activités de recherche impliquent des situations variées où se joue la production de
faits et d’énoncés, l’ethnométhodologie constitue une ressource méthodologique de première
importance pour l’enregistrement de ces situations ».
L’apport principal de cette démarche embarquée est qu’elle limite les pratiques de reconstitution a
posteriori de la démarche. En effet, les entretiens ne rendent compte qu’« après coup » des
pratiques mobilisées par les acteurs (Barbier, 2003) :
« Comment se fait-il que les réalités des pratiques scientifiques se transforment en énoncés qui disent
comment la science se fait. Nous considérons l’immersion prolongée d’un observateur extérieur dans
les activités quotidiennes des chercheurs comme l’un des meilleurs moyens par lequel cette question
et d’autres similaires peut trouver une réponse » (Latour etWoolgar, 1979, in Barbier, 2003).
De même, les résultats de la démarche que sont les produits créés constituent souvent une base
pour la reconstitution a posteriori des choix réalisés par les concepteurs de la démarche. La
description ne rend pas compte de la teneur même de ces choix, des hésitations ou des controverses
propres aux phases de création de ces produits. Nous tacherons de rendre compte de ces processus
de choix ou d’hésitations par une étude dynamique des phases de modélisation, parce que nous
considérons que ces processus rendent compte à leur manière de controverses propres à la
démarche ou au contexte de gestion dans lequel cette démarche intervient.
2. Une exigence de symétrie pour l’analyse d’un programme de recherche-action
L’exigence de « symétrie » concerne la description des pratiques propres à une démarche
participative ; elle implique d’utiliser la même approche pour décrire des pratiques mises en œuvre
par les « acteurs » et des pratiques mises en œuvre par les chercheurs :
« Nous proposons de rendre compte, de manière symétrique, des activités et des raisonnements
pratiques auxquels un programme de recherche-action donne lieu. Par symétrie, nous entendons ici :
suivre les pratiques, et les discours justificateurs des pratiques, de l’ensemble des acteurs concernés,
en mettant sur le même plan, de ce point de vue, les chercheurs et les autres participants au
programme » (Lémery & al., 1997).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
50
L’intérêt de cette approche symétrique réside dans notamment dans la phase d’évaluation du
programme :
« Il s’agit notamment d’éviter que les réussites du programme étudié ne soient attribuées qu’au
dispositif mis en place par les chercheurs, les échecs étant imputés à l’envahissement du social ou du
politique que représenteraient seuls les intérêts particuliers des autres partenaires… » (Lémery & al.,
1997).
Les comptes-rendus des démarches ComMod portent souvent sur les déterminants sociaux pouvant
avoir un impact sur le bon déroulement d’une démarche de modélisation d’accompagnement (Becu
& al., 2007) ; ils mettent généralement en avant les moyens méthodologiques permettant de pallier à
cet « envahissement » du social dans le programme participatif. Au contraire, l’impact des choix
réalisés par les chercheurs sur le processus de concertation et sur le contexte social est moins
abordé.
En choisissant de décrire l’ensemble des pratiques se déployant au cours d’un programme
participatif et en produisant des données sur ces pratiques quotidiennes, il devient possible d’évaluer
de manière symétrique ce programme, en évitant une observation de surface où seuls les moments
d’interactions directes entre acteurs et chercheurs sont mobilisés pour la description (Olivier de
Sardan, in Barnaud, 2008). En effet, les démarches de modélisation d’accompagnement se font aussi
dans des phases individuelles, notamment celles où le modélisateur est chargé de mobiliser les
travaux collectifs pour élaborer les modèles. Les descriptions scientifiques des démarches ComMod
par leurs concepteurs font généralement l’impasse sur ces phases individuelles, sur les « activités
intimes » (Barbier, 2003) du chercheur, ce qui revient à considérer ces pratiques comme « hors du
monde ». En nous imposant cet objectif de symétrie, nous souhaitons faire la transparence sur ces
pratiques afin de mener une évaluation de leur impact dans le processus.
B. Reconstituer la dynamique d’une démarche participative
1. L’étude d’un processus
Beuret définit la concertation comme un « itinéraire » (2006) ; selon lui, cet itinéraire peut être
décomposé en phases, notamment par l’identification d’événements « charnières » :
« L’itinéraire de concertation représente le cheminement effectivement suivi par la concertation en
terme de contenu comme de forme (…). Il est décomposable en phases qui peuvent soit se superposer
pendant un certain temps soit se succéder, suite à un événement que nous appellerons
« charnière »».
Nous adopterons cette perspective pour mener l’analyse dynamique du processus de concertation se
déployant dans le cadre de la démarche de modélisation d’accompagnement. Nous identifierons
d’abord les phases de la démarche auxquelles nous avons participé, en mobilisant différents
descripteurs qui nous semblent pertinents. Beuret identifie 3 types de descripteurs permettant de
caractériser ces phases :
- L’objet des discussions, les thématiques abordées, le contenu des échanges entre les
acteurs.
- Le dispositif participatif : le nombre et la nature des participants, le « collectif » mobilisé
dans la démarche.
- L’émergence d’accords. Dans une démarche de modélisation d’accompagnement, les
modèles créés concrétisent ou reflètent ces accords. Nous mobiliserons donc la description de ces
objets dans la démarche, le dispositif technique sur lequel repose cette démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
51
Avant de reconstituer l’itinéraire de concertation, on analysera séparément ces pôles, en étudiant
dans un premier temps le collectif et les enjeux portés par les acteurs, puis les modèles produits,
objets dans lesquels se concrétise le processus. L’étude parallèle de l’évolution de ces pôles nous
renseigne sur la dynamique de la démarche. Pourtant, elle ne suffit pas à rendre pleinement compte
de cet itinéraire. Pour cela, on analysera principalement les modalités d’articulation entre ces pôles.
2. Une « structuration conjointe des formes sociales et techniques » de la démarche
Les démarches de modélisation d’accompagnement mobilisent donc à la fois des acteurs mais aussi
des outils et des méthodologies. Plutôt que d’analyser les acteurs humains dans un processus de
concertation, on choisit d’articuler de manière systématique ces acteurs avec les outils et méthodes
qu’ils mobilisent, en partant de l’hypothèse que ces outils ne sont pas neutres et entrent en
interactions avec les individus, ce qui implique que l’analyse du réseau d’acteur ou du contexte social
ne suffit pas à saisir la démarche. L’analyse porte donc sur ce que Barbier appelle des « situations »
(2003) :
« (…) les travaux ethnographiques et ethnométhodologiques font sortir l’étude des pratiques (…) du
strict plan de la sociologie, l’objet n’étant plus l’acteur humain placé au centre (ici le chercheur) mais
les situations dans lesquelles et par lesquelles la science se fait ».
Plutôt que de dissocier les éléments sociaux des éléments matériels de la démarche pour expliquer
les acteurs, il s’agit de « décentrer l’acteur humain pour placer au centre de l’étude la structuration
conjointe des formes sociales et technique » (Barbier, 2003).
L’analyse de ces structurations se doit de dépasser la démarche analytique qui consiste à étudier
parallèlement la participation et les outils créés. Pour mener cette analyse, on mobilise une étude
dynamique des réseaux qui forment la démarche.
3. Reconstituer le récit de la démarche à travers des configurations d’un réseau
Pour mener à bien l’étude de la démarche, on utilise le facteur temporel pour reconstituer les
« configurations successives » (Becu & al., 2007) de la démarche et du réseau qui la constitue. Ce
réseau articule les acteurs concernés, leurs intérêts et leurs interactions, mais aussi les objets
mobilisés et les pratiques des différents acteurs par rapport à ces objets.
Pour reconstituer a posteriori ces structurations et les opérations de traductions qui les ont créées,
on s’appuiera notamment sur les objets qui concrétisent ces structurations. C’est ce que Barbier
conceptualise sous l’expression « lecture sémiotique des réseaux » à propos d’un récit d’innovation
(2003) :
« Conduire l’analyse du script d’une innovation, c’est ainsi remonter de l’artefact qui ponctualise
l’innovation vers les opérations de traduction (…). Ce que le « sociotechnicien » des réseaux étudie, ce
sont les traces laissées par la trajectoire du réseau dans des objets (…) et dans des mises en mots
(…) ».
La création de modèles, à la base de la démarche de modélisation d’accompagnement, constitue un
véritable atout pour mener à bien cette analyse dynamique de ces structurations de réseau. En effet,
le modèle « concrétise » en partie la démarche, ce qui permet de la suivre à la trace au fil des
différentes versions créées. Nous extrairons de la démarche des versions de modèles qui nous
semblent importantes afin de reconstituer les différents processus de traduction qui mènent d’une
version à l’autre. Les phases d’élaboration de ces versions constituent des moments que l’on
considère comme « charnières » dans le processus et qui nous servirons donc à délimiter des phases
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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pour l’analyse dynamique de la démarche. A partir de cette analyse, on cherchera à identifier les
facteurs qui déclenchent l’évolution du processus.
C. Les données disponibles : une méthodologie sous contraintes pour
appréhender l’individu derrière le collectif
Il s’agit ici d’analyser les données mobilisées et la façon de les articuler pour mener l’étude de ces
structurations du réseau.
1. Appréhender le collectif à l’échelle de l’individu
Il semble difficile d’envisager une analyse critique de cette démarche de concertation sans ouvrir la
boite noire du « collectif ». On fait l’hypothèse ici que la démarche ne peut être comprise sans
appréhender les acteurs à l’échelle de l’individu. Les acteurs ne sont pas de simples agents ou
représentants d’institutions ; leur trajectoire personnelle (activités, centres d’intérêts…) peut
interférer avec le processus. L’exigence de symétrie nous invite à considérer les chercheurs de la
même façon que les autres acteurs.
Pour appréhender cette échelle, les entretiens individuels semi-directifs sont souvent utilisés. Or, le
cadre de notre stage rend difficile l’utilisation de cette méthodologie avec les participants, d’abord
par manque de temps, ensuite parce que cela pourrait interférer avec les objectifs propres à la co-
construction.
Plus qu’accéder à ce que les acteurs « ont dans la tête », on tentera de définir la posture adoptée par
ces acteurs dans la démarche. Pour accéder à cette posture, l’ethnométhodologie (analyse
embarquée du processus) fournit des données intéressantes : elle « apporte (…) un point de vue sur
l’acteur (…) qui consiste à saisir l’acteur en temps réel aux prises avec l’exposabilité de sa
compréhension et de sa propre création du monde » (Button eds., 1991, in Barbier, 2003). Au lieu de
reconstituer l’intervention de chaque individu a posteriori par le biais d’entretiens individuels, on
tentera de définir les pratiques des acteurs dans la démarche et surtout de les connecter à leur
« point de vue » sur la démarche, à la façon dont ils justifient ces pratiques. Il s’agit ici de définir leur
« exposabilité » (accountability), soit un ensemble de justifications propre à leurs modalités
d’implication dans le processus.
Ces éléments de justifications ne sont pas forcément énoncés de manière explicite lors des temps
forts collectifs. Pour pallier à ce biais, on tachera de mobiliser des données « officieuses » sur la
démarche, exprimées dans des cadres plus intimes.
2. Des données « officielles » : l’observation des temps forts collectifs
Les données « officielles » de la démarche correspondent à l’observation des « temps forts
collectifs » (retranscription des débats, relevés de décision), au journal de bord et aux éléments de
communication de la démarche, c'est-à-dire à l’ensemble des moments ou des outils par lesquels les
chercheurs interagissent avec l’ensemble du groupe de co-construction.
Le discours tenu lors des temps forts collectifs constitue une première source fondamentale de
données, puisque l’acteur y est amené à expliciter ses objectifs (qui correspondent en général à ceux
de son institution). Ce discours est enregistré, ce qui nous a permis d’effectuer quelques
retranscriptions de réunions ; pour les temps forts collectifs non retranscrits, les notes prises lors de
la réunion tiendront lieu de données.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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L’enregistrement de ces réunions passe également par une observation des attitudes des acteurs.
Ces attitudes non-verbales peuvent également exprimer des points de vue de l’acteur sur la situation
et seront donc considérées comme des données.
Nous faisons l’hypothèse que l’observation des phases collectives peut s’avérer riche pour l’analyse
des stratégies des différents participants. Plus que des entretiens individuels, elle permet d’aborder
directement les interactions entre les participants, et facilite la « mise en réseau » des individus et
des institutions engagés.
L’étude des chroniques de la démarche permet de mettre en perspective les données récoltées lors
des temps forts collectifs. En analysant conjointement ces chroniques et les retranscriptions de
réunions, on peut suivre la co-évolution du dispositif participatif et des problématiques abordées
tout au long de la démarche. Elles permettent également d’évaluer en partie les évolutions des
représentations et des connaissances des acteurs, de leurs interactions et de leurs projets liées à la
démarche. Néanmoins, pour obtenir ces résultats, elles doivent être complétées par d’autres
données (Lardon, 2005).
3. L’analyse des objets de la démarche : des « différences significatives » dans la
construction des modèles
Les données issues de l’observation des phases collectives sont à mettre en relation avec les données
liées aux objets de la démarche. Certains de ces objets constituent en eux-mêmes des sources de
données : c’est le cas par exemple des objets médiateurs entre le modèle et les participants, les
relevés de décision (qui résument les demandes faîtes par les partenaires lors des temps forts
collectifs) et les supports de réunions.
Ces comptes-rendus permettent d’abord d’explorer le rôle de traducteur du modélisateur ; ils
constituent également des données qui prolongent et qui complètent le corpus issu de l’observation
des temps forts collectifs pour l’analyse dynamique du processus de concertation. Le cahier de suivi
mis en place pour permettre une traçabilité des pratiques du modélisateur constituera lui aussi une
source de données, notamment pour l’analyse de l’impact du modélisateur sur la démarche. On note
ici que les objets conçus au départ pour la transparence de la procédure de modélisation deviennent
des sources de données que l’on mobilisera pour mener cette analyse.
Plus que l’analyse des objets de médiation entre le modèle et les acteurs, c’est le modèle lui-même
que l’on peut mobiliser pour l’étude du processus de concertation. On utilisera pour cela des outils
de description des modèles élaborés lors de la démarche :
- Les lexiques (voir annexe 7) constituent des documents dynamiques qui nous permettent
d’enregistrer la façon dont chaque acteur s’est investi dans l’élaboration du modèle. Par exemple, les
points de vue construits dans le modèle sont associés dans le lexique aux personnes les ayant
demandés, ce qui nous permet de reconstituer en partie la façon dont les acteurs mobilisent les
modèles en fonction de leurs objectifs. De même, l’évolution de certaines procédures peut refléter
des dynamiques importantes de la démarche. Parce que ces lexiques recontextualisent l’élaboration
des procédures constitutives du modèle, ils peuvent constituer une source de données pour l’analyse
de ce processus.
- Les modèles conceptuels permettent de reconstituer à partir du code informatique l’état à
un instant t du modèle, en identifiant des modules et les interactions existantes entre ces modules.
La succession de ces graphiques nous permettra d’évaluer les évolutions de la famille de modèles.
- La notion de granularité des modèles constitue un cadre théorique pour la description du
modèle informatique. En effet, en reconstituant les différents « niveaux » des modèles créés, on
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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identifiera des choix stratégiques, des points clés dans la construction des modèles (taille de la
cellule, agents mobilisés…). On fait ici l’hypothèse suivante : la façon dont les acteurs s’investissent
dans ces débats sur ces choix charnières du processus peut nous renseigner sur les stratégies,
explicite ou non, que ces acteurs mobilisent dans la démarche.
En effet, chaque participant a une idée précise de la façon dont il pourra mobiliser les produits de la
démarche (modèle, résultats des simulations, scénarios, jeu de rôles). En fonction de ces utilisations
potentielles, le modèle ne sera pas développé de la même façon, ce qui pourrait induire une certaine
concurrence entre ces modes de mobilisation de l’outil. Notre politique de terrain sera donc de
repérer les différentes orientations stratégiques entre participants :
« Il ne s’agit donc plus de « recouper » ou de « vérifier » des informations pour arriver à une « version
véridique », mais bien de rechercher des discours contrastés (…), de s’appuyer sur des variations
plutôt que de vouloir les gommer ou les aplatir, en un mot de bâtir une stratégie de recherche sur la
quête de différence significatives » (Olivier de Sardan, 1995).
Ces différences significatives peuvent être mises à jour quand on aborde des points clés des phases
de modélisation : certains choix cristallisent ainsi les débats et peuvent donc être considérés comme
« stratégiques » dans le processus. L’analyse de ces points clés dans le processus de co-construction,
à travers notamment l’étude des lexiques et de la granularité des modèles, nous paraît fondamentale
pour mieux appréhender les discours des acteurs.
4. Des données « officieuses » sur les à-côtés de la démarche
Malgré l’analyse de la posture de chaque acteur qui peut être faîte à partir de l’analyse des modèles,
le fait que la majorité des données proviennent des temps forts collectifs constitue une limite pour
bien prendre en compte la dimension stratégique de la démarche. Olivier de Sardan (in Barnaud,
2008) dénonce ainsi « le manque de prise en compte de ce qui se passe en « coulisses », entre deux
ateliers ».
Les « à-côtés » de la démarche officielle (discussions, mails…) constituent une source de données
prépondérante. Ces échanges plus informels ou officieux, consignés systématiquement dans notre
cahier de suivi, sont très éclairants pour comprendre les motivations plus personnelles des
participants mais aussi l’état des relations interpersonnelles entre ces individus (notamment les
désaccords latents lors des TFC). Comprendre ces relations apparaît nécessaire dans une démarche
construite autour d’un réseau d’interrelations déjà solidifié au début du processus (Lasseur, non
paru).
Pour accéder à ces données, il est important de maximiser les moments « externes » aux TFC en
allant directement rencontrer les acteurs dans un cadre différent, ce qui explique en partie la posture
de disponibilité totale adoptée pendant le stage. La possibilité de ces rencontres extérieures au
processus est cependant largement dépendante des disponibilités de chacun et des opportunités. De
plus, la volonté du concepteur de limiter les phases « non-collectives » rend rare ce type de
rencontres.
Le problème réside ici dans la dissymétrie des données informelles obtenues : le fait d’être stagiaire à
l’INRA me permet ainsi d’échanger de manière quotidienne avec les chercheurs impliqués dans la
démarche. Au contraire, pour d’autres participants, je n’ai aucun contact hors des TFC. La
triangulation entre les différentes sources de données permettra sans doute de limiter le biais lié à
cette dissymétrie.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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D. Trianguler des données de nature diverses
Les données mobilisées pour l’analyse de l’itinéraire de concertation sont très diversifiées ; elles
peuvent être classées en 4 types :
- Données sur la participation
- Données discursives
- Données sur l’objet
- Données hybrides entre les discours et le modèle
Ces données forment un corpus assez hétérogène, allant de données assez formalisées (journal de
bord et comptes-rendus des réunions), à des données faisant appel à de l’observation ou à des
discussions informelles.
Pour analyser l’articulation dynamique entre le collectif et les outils/produits de la démarche, il
s’agira de combiner ces différentes sources de données, de « trianguler » les différentes
informations, pour renforcer la plausibilité des résultats produits (Olivier de Sardan, 1995). La
triangulation des résultats est notamment utilisée par Becu et al. (2007) pour l’analyse ex-post d’une
démarche de modélisation en Thaïlande ; selon eux, cette triangulation est nécessaire pour obtenir
des résultats plus robustes sur un processus de recherche très dynamique et adaptatif,
particulièrement lorsque les participants à ce processus évoluent.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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IV-L’analyse du processus à travers les
dispositifs mobilisés
La Figure 4 montre l’évolution parallèle des phases de la démarche Luberon, du collectif mobilisé et
des produits créés. Afin de mieux saisir le déroulement du processus et d’identifier des phases
charnières (Beuret, 2006), nous décrirons les évolutions du collectif et les modèles mobilisés dans la
démarche. L’analyse du processus résulte ici de la comparaison :
- des discours ainsi que de leurs évolutions au cours de la démarche
- des outils (SMA vs jeu de rôles) ainsi que de leurs évolutions au cours de la démarche
- des discours avec les outils, en posant ici comme hypothèse que ces deux composantes
coévoluent au cours de la démarche.
Déroulement de la démarche
Phases de la démarche Collectif engagé Produits
Sept 2005 Initialisation de la démarche
Comité de pilotage : - 3 experts élevage - 1 gestionnaire du PNR - 2 chercheurs de l’INRA
- Montage institutionnel - Montage financier - Problématique - Méthodologie
Août 2006 Co-construction modèle conceptuel
Comité de pilotage Modèle conceptuel : représentation commune du système
Janvier 2007 Co-construction modèle informatique. Cycle itératif, différentes phases : - collecte de données - conception - implémentation - simulation - validation…
Comité de pilotage + experts mobilisés ponctuellement
Modèle SMA. - Création d’un environnement (simulation d’installation des éleveurs…). - Création d’agents, de leurs attributs et de leurs procédures. - Développement des scénarios (baisse des revenus des éleveurs, bois-énergie…)
Mai 2008 Comité de pilotage élargi aux experts forestiers
Avril 2009 Evolution du comité de pilotage : - nouvel agent du PNR - stagiaire INRA
Juin 2009 Co-construction parallèle du modèle SMA et du jeu de rôles
Comité de pilotage + 4 éleveurs mobilisés pour l’élaboration ou les tests du jeu de rôles
Modèle SMA. Jeu de rôles : - Modèle conceptuel : objectifs du jdr, joueurs, rôles, représentation de l’espace et du temps… - Modèle informatique - Supports de jeu concrets Elaboration et tests de prototypes réalisés par les chercheurs.
A venir (fin du stage début novembre 2009)…
Institutionnalisation du processus : - Présentation des résultats des simulations - Sessions de jeu de rôles
Elargissement du collectif : éleveurs, forestiers, élus, naturalistes…
A élaborer : - documents de présentation des résultats des scénarios - version définitive du jeu de rôles avec débriefing
Figure 4 : Tableau récapitulatif de l’ensemble de la démarche. Une coévolution entre les produits de la démarche et le
collectif engagé.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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1. Ouvrir la boite noire du « collectif »
Analyser le quotidien d’une démarche de modélisation d’accompagnement nécessite d’ « ouvrir la
boite noire du collectif », c'est-à-dire de décrire finement l’évolution de ce collectif en rejetant la
notion d’ « acteurs » (Etienne, comm. pers), trop imprécise pour rendre compte des formes variées
et évolutives de mobilisation des personnes engagées dans le processus. Arriver au niveau de
l’individu nous semble fondamental pour rendre compte de la dynamique d’un tel programme
participatif.
A travers l’analyse de données quantitatives et qualitatives (discours), nous décrirons la participation
dans la démarche Luberon, c'est-à-dire les personnes impliquées mais aussi leurs modalités
d’engagement.
A. Description du collectif
1. Un forum hybride ?
Pour cette description, on utilise tout d’abord les données officielles sur la participation (chroniques
et journal de bord). Ces données, communes à de nombreuses démarches ComMod, permettent
d’identifier des caractéristiques majeures du collectif engagé dans la démarche par l’utilisation de
descripteurs propres aux acteurs mobilisés.
0
2
4
6
8
10
12
14
TFC1TFC2
TFC3TFC4
TFC5TFC6
TFC7TFC8
TFC9
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TFC12
TFC13
TFC14
TFC15
TFC16
TFC17
TFC18
TFC19
TFC20
TFC21
TFC22
TFC23
TFC24
TFC25
TFC26
TFC27
TFC28
TFC29
TFC30
TFC31
TFC32
politique
informatique
incendie
forêt
foncier
environnement
élevage
chasse
anthropologie
animation
agriculture
administration
accompagnement
Figure 5 : « spécialités » des acteurs mobilisés lors des temps forts collectifs de la démarche
L’analyse des « spécialités » mobilisées dans la démarche (Figure 5) montre une domination nette de
la thématique « élevage », notamment au début de la démarche. Cette dominante va de pair avec
une certaine « surreprésentation » des problématiques d’élevage, notamment par rapport aux
thématiques environnementales, absentes dans ce graphique. La foresterie est également laissée de
côté lors des phases initiales de la démarche. Elle est ensuite intégrée, ce qui pose malgré tout le
problème des disparités de connaissances des acteurs par rapport au suivi du processus. Deux
réunions sont dominées par des acteurs « forestiers » ; elles correspondent à une démarche parallèle
impliquant certaines personnes du processus Luberon. Cette démarche utilise également la
modélisation pour planifier un projet de développement sur le bois-énergie. Les échanges
d’informations entre les deux démarches et la présence d’acteurs communs font que nous intégrons
ces réunions dans le descriptif de la démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Figure 6 : types de savoirs mobilisés lors des temps forts collectifs de la démarche Luberon
L’analyse des savoirs mobilisés (Figure 6) montre une domination nette des savoirs techniques.
Lasseur (non paru) décrit et justifie cette orientation en ces termes :
« On privilégie une vision globale du système : les participants seront alors des « techniciens » du
territoire dont l’expérience locale légitime leur convocation pour parler au nom des acteurs qu’ils
côtoient au quotidien ».
Ces experts sont ainsi chargés de représenter les acteurs locaux, notamment les éleveurs, qui ne sont
mobilisés qu’à la fin de la démarche pour l’élaboration et les tests du jeu de rôles (« savoirs
empiriques »). Ce jeu est d’ailleurs étudié pour tester la représentation de l’activité élevage ovin
proposée par les experts, en la confrontant aux représentations des acteurs locaux. La question de la
qualité de cette représentation - les experts techniques sont-ils réellement capables de parler au
nom de tous les acteurs locaux impliqués dans les activités qu’ils représentent ? - est donc
explicitement abordée dans la démarche.
Néanmoins, la démarche ne mobilise pas un « forum hybride » (Callon & al., 2001, in Beuret, 2006) :
un collectif est relativement homogène et ne peut être considéré comme pleinement représentatif
du système que l’on cherche à modéliser et des questions posées. Il s’agit plutôt d’une co-
construction « à dires d’experts », principalement construite autour de thématique élevage.
L’absence d’acteurs porteurs de savoir institutionnel constitue une caractéristique importante de la
démarche. De même, la question de l’intégration des thématiques « secondaires » (gestion forestière
et biodiversité) dans la démarche reste en suspend.
2. Derrière le « collectif », des individus
Conformément à notre souhait de mener une étude fine du processus de participation, l’analyse du
collectif ne peut se limiter à la présentation des résultats faîte plus haut. Ces outils - journal de bord
et chroniques - intègrent difficilement les modalités diverses d’engagement des individus dans la
démarche. En effet, les orientations personnelles et la notion de multi-appartenance viennent
brouiller les pistes.
Appréhender l’acteur au niveau de l’institution qu’il représente ne semble pas suffisant. En effet,
deux agents d’une même institution peuvent ainsi avoir des avis tout à fait divergents dans la
dynamique de co-construction. Le changement de l’agent du PNR mobilisé dans la démarche (Figure
4) semble ainsi avoir un impact fort sur la démarche.
0
2
4
6
8
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TF
C1
TF
C2
TF
C3
TF
C4
TF
C5
TF
C6
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C8
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C9
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C11
TF
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TF
C13
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C16
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TF
C19
TF
C20
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C21
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C23
TF
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TF
C25
TF
C26
TF
C27
TF
C28
TF
C29
TF
C30
TF
C31
TF
C32
apcommodien
commodien
scientifique
institutionnel
technique
empirique
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Il nous faut donc analyser le collectif à l’échelle de l’individu. Les outils mobilisés pour la description
de la participation dans les démarches ComMod montrent ici leurs limites ; ils ne prennent ainsi pas
en compte les acteurs « multicasquettes », capables de porter des enjeux divers lors des phases
collectives grâce à des connaissances variées. Ainsi, l’un des agents du PNR engagé dans le processus
se positionne à la fois comme naturaliste et comme expert forestier. Selon (Beuret, 2006), ces « êtres
équivoques », situés à l’interface entre plusieurs mondes, sont des traducteurs privilégiés dans une
démarche de concertation. Néanmoins, nous verrons aussi que ces acteurs multicasquettes
interrogent fortement le cadre de la démarche de modélisation d’accompagnement.
3. Un collectif à plusieurs niveaux
On propose ici une typologie non exhaustive des modalités d’engagement des acteurs dans le
processus :
- Un groupe de 6 personnes constitue le noyau dur de la démarche et rassemble les
principaux porteurs du projet. Principalement composé d’experts travaillant sur les activités
d’élevage ovin, ce « groupe de pilotage » définit la problématique et participe activement à la
construction du modèle, des scénarios et du jeu de rôles. La formation de ce groupe est basée sur un
réseau d’interconnaissances fortes entre chercheurs de l’INRA, agents d’institutions de conseil pour
l’élevage ovin, et agents du PNR (Lasseur, non paru). Les acteurs non scientifiques sont d’ailleurs
désignés comme des « partenaires » ce qui montre bien leur implication dans la démarche.
- Des experts sont mobilisés ponctuellement pour améliorer le modèle ou pour obtenir des
données. Ils ne participent pas directement à la co-construction.
- Des acteurs locaux seront mobilisés par les membres du groupe de pilotage lors des phases
d’institutionnalisation du processus (sessions de jeu de rôles et présentation des résultats des
scénarios).
Cette typologie grossière qui ne permet pas de résumer la participation au sein de la démarche. Il
existe en effet des acteurs intermédiaires, qui ne rentrent pas dans les catégories définies plus haut.
C’est le cas par exemple des forestiers ; ces acteurs sont mobilisés au départ en tant qu’experts, pour
améliorer la modélisation des dynamiques forestières. Pourtant, ils intègrent le comité de pilotage et
participent activement à la co-construction du processus. De même, les éleveurs mobilisés lors des
phases de tests du jeu de rôles sont amenés lors des temps forts collectifs à exprimer leurs attentes
par rapport à la démarche.
4. Un collectif à géométrie variable
L’analyse des modes d’engagement des acteurs met en évidence des évolutions importantes de la
structure du collectif (Figure 4), qui peuvent être soit maîtrisée soit subie. Il s’agit ici d’identifier les
facteurs qui font évoluer ce collectif.
L’objectif de co-construction ne concerne pas que la modélisation ; il porte sur l’ensemble de la
démarche, notamment sur le choix des acteurs à impliquer. Le groupe de pilotage est autonome et a
donc la possibilité de mobiliser des acteurs en fonction de manques qui apparaîtraient au fur et à
mesure de la démarche ; c’est ce qui explique l’apparition des forestiers suite à la phase
d’élaboration du modèle conceptuel. Cette phase met en effet en évidence les interdépendances
fortes de l’élevage avec les thématiques forestières ainsi que les lacunes préjudiciables pour la
construction du modèle. A partir de cette prise de conscience collective, le concepteur de la
démarche propose l’intégration des acteurs forestiers lors d’un TFC :
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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« Après dans la phase de validation, il y a un certain nombre d’experts qu’on va choisir parce qu’il
manque du monde autour de la table à mon avis déjà avec les experts de la forêt ».
La mobilisation d’éleveurs lors de la construction du jeu de rôle résulte elle aussi d’une décision
collective du groupe de pilotage, les experts souhaitant confronter leurs représentations sur les
systèmes d’élevage à des représentations empiriques. Le comité de pilotage est donc responsable
des principales évolutions du collectif dans cette démarche co-construite.
Si certaines évolutions sont contrôlées, d’autres sont indépendantes de la volonté des membres du
groupe de pilotage. Ainsi, des problèmes relationnels entre deux agents d’une institution forestière
débouchent sur le retrait d’un de ces agents de la démarche. Le turn-over dans les institutions
mobilisées a également un rôle dans l’évolution du collectif ; suite au changement d’affectation de
l’agent du PNR engagé dans la démarche, d’autres agents sont chargés de représenter cette
institution. Nous verrons que ces évolutions de personnels ont un impact fort sur la démarche
Luberon.
Loin d’être un groupe monolithique, bien établi et facilement identifiable, le « collectif » mobilisé
dans le Luberon est un ensemble à géométrie variable, qui a connu différentes structurations au
cours du projet.
B. Le groupe de pilotage : un cadre idéal pour une démarche de
modélisation d’accompagnement ?
Après avoir abordé le collectif dans son ensemble, nous nous intéresserons plus particulièrement au
groupe de pilotage de la démarche.
1. Des « partenaires »
Le groupe de pilotage, composé en général de 6 personnes, participe à l’ensemble de la démarche de
co-construction, depuis la définition de la problématique jusqu’à l’élaboration des documents de
présentation des résultats. En l’absence de contacts directs entre les concepteurs de la démarche et
le terrain (pas de récolte de données, pas d’entretiens…), ces partenaires ont un rôle de médiation :
toutes les données mobilisées pour la construction des modèles doivent transiter par ce groupe.
La composition de ce groupe est la suivante :
- Un gestionnaire territorial chargé de l’environnement au PNRL. A cause de changements de
personnel au PNRL, plusieurs agents se succèdent au cours de la démarche.
- Des membres de structures de développement de l’élevage : CERPAM (Centre d’Etudes et
de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée, 2 personnes) et Institut de l’Elevage (1 personne).
- Les deux chercheurs de l’INRA chargés d’encadrer la démarche, assisté par un stagiaire sur
la fin de la démarche (Figure 4). Ces chercheurs peuvent avoir des postures très différentes dans la
démarche, ce qui induit parfois un statut ambigu de la recherche (Lémery & al., 1997). Le premier est
membre du réseau ComMod et est en charge de la mise en œuvre méthodologique de la
modélisation d’accompagnement, ce qui induit l’animation des réunions et la réalisation des modèles
(notamment des modèles informatiques et du jeu de rôles). Le second participe à la définition du
projet de recherche initial et mobilise la méthodologie de modélisation d’accompagnement pour
acquérir des connaissances sur les systèmes d’élevage. Il participe directement aux phases de co-
construction et peut donc être à la fois considéré comme l’initiateur de la démarche et un partenaire.
Pour autant, son statut de chercheur et ses contacts constants avec le chercheur chargé de la
modélisation font de lui un « apprenti commodien » (journal de bord du projet). Cet acteur a donc un
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
61
statut très ambigu, puisqu’il est mobilisé à la fois pour l’encadrement de la démarche (mobilisation
des partenaires locaux à l’initialisation de la démarche, organisation des réunions…), pour l’expertise
(production de données pour le modèle) et pour la production de connaissances scientifiques
(porteur d’enjeu dans la démarche).
2. Un cadre idéal pour mener un processus de co-construction
Le groupe de pilotage décrit ci-dessus constitue a priori un contexte idéal pour la co-construction, et
cela pour plusieurs raisons :
- Les acteurs mobilisés dans le groupe de pilotage sont tous porteurs de savoirs techniques,
savoirs a priori proches du savoir scientifique. Cette proximité rend possible la mise en œuvre
d’opérations de traduction sans doute moins difficiles qu’avec des porteurs de savoirs empiriques,
moins accoutumés à l’expression scientifique ou aux pratiques de modélisation.
- Contrairement à de nombreuses démarches menées dans des contextes très différents
(Barnaud, 2008, Becu & al., 2007), le groupe mobilisé est très homogène (même langue parlée,
mêmes types de savoirs, peu de rapports hiérarchiques). A première vue, il n’existe pas de « limite
horizontale » (Barnaud, 2008) pour cette démarche participative, pas d’asymétries de pouvoir qui
pourraient aboutir à une manipulation de la démarche par les plus puissants.
- Les interconnaissances préexistantes créent un cadre de concertation caractérisé par une
confiance apparente forte. L’observation des temps forts collectifs ne met pas en évidence
l’existence de conflits d’intérêts déclarés au sein du groupe.
- La légitimité de l’animateur, très forte grâce à ses relations bien établies avec les
participants et à ses nombreux travaux sur le Luberon, contribue à stabiliser les débats lors des
temps forts collectifs.
- Le caractère non-opérationnel et très exploratoire de la démarche limite également le
développement des conflits.
Ces conditions favorables permettent le développement d’un processus de concertation équitable,
qui offre à chacun de ses protagonistes une chance égale de faire entendre ses intérêts (Barnaud,
2008). Le déroulement de ces temps forts collectifs montre qu’aucun des participants n’a de
problèmes pour s’exprimer. Dans ces conditions, la question de la représentativité ou de la légitimité
des participants semble basée sur l’appartenance à ce réseau d’interconnaissances et n’est jamais
explicitement remise en cause au cours de la démarche officielle.
Ce groupe de pilotage est intéressant pour tester la méthodologie de la modélisation
d’accompagnement : il peut être apparenté à un groupe « témoin » pour la co-construction, au sein
duquel de nombreux biais (disparités d’éducation, de pouvoir, manipulation du processus par le
porteur…) sont a priori absents. Les questions d’équité, de représentativité et de légitimité semblent
« aller de soi » si on se contente d’une observation simple des temps forts collectifs. Pour dépasser
cette observation initiale, nous nous appuierons sur l’étude des différences significatives observées
lors des choix majeurs des phases d’élaboration des outils.
C. Une gamme variée d’objectifs et d’enjeux mobilisée par le collectif
Conformément aux principes de la co-construction, la définition des enjeux et des objectifs de la
démarche résulte des partenaires. Nous étudierons ici la façon dont ces enjeux et ces objectifs sont
portés par les participants.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
62
1. Une « convergence » problématique
Beuret (2006) pointe l’importance de l’existence d’une « convergence » dans une démarche
concertation :
« Une réelle concertation suppose, au préalable, d’avoir assuré la convergence des participants
autour de la définition de l’objet dont il est question, du problème posé, des objectifs poursuivis, via
des opérations de traduction ».
L’étude de la démarche menée dans le Luberon fait apparaître une convergence problématique
autour des objectifs et des enjeux poursuivis par les partenaires, et cela dès la définition de la
problématique par les partenaires (voir partie 1). Cette problématique est, de l’aveu même de
l’animateur / modélisateur, peu définie :
« Une question aussi générale je n’ai jamais eu ça ».
Cette problématique incorpore des concepts très équivoques, que Beuret (2006) définit comme des
concepts « passerelles ». Elle mentionne ainsi des « problématiques environnementales », sans
préciser les enjeux à traiter ou les indicateurs à mobiliser pour évaluer les scénarios construits.
L’utilisation très répandue du concept de « paysage » au cours de la démarche renvoie bien à la
difficulté de définir les objectifs environnementaux poursuivis. De même, le terme « territoires »
peut prendre des acceptions totalement différentes en fonction des acteurs.
Si ces termes « passerelles » permettent de ménager des espaces de compromis pour les partenaires
(Beuret, 2006), ils peuvent néanmoins générer des malentendus persistants voire masquer des
approches différentes du processus qui remettent en cause la convergence entre les acteurs. Nous
faisons donc ici l’hypothèse que cette convergence n’est pas totalement effective, ce que nous
tenterons ici de prouver en mettant en évidence la diversité des approches se déployant au sein de la
démarche Luberon.
2. Entre exploration et opérationnalité
L’étude des retranscriptions des TFC et des documents produits au cours de la démarche montre
l’existence d’une tension permanente entre deux approches, l’une exploratoire et l’autre plus
opérationnelle.
a. Des « produits dérivés »
La première approche est conforme à la charte ComMod en mettant l’accent sur les « produits
dérivés » de la démarche ; elle est notamment portée par les chercheurs impliqués dans la démarche
(Lasseur, non paru). Les produits dérivés identifiés par les membres du groupe de pilotage sont les
suivants :
- L’analyse prospective doit permettre aux acteurs impliqués d’améliorer leur capacité à anticiper le
mouvement, à envisager le futur (Lasseur, non paru). Cet enjeu prospectif est mentionné dès
l’initialisation de la démarche dans un relevé de décision :
« Analyser comment on est capable de rendre compte du rapport au changement et développer des
méthodologies permettant d’accompagner ce changement, l’interaction avec des utilisateurs
permettant de tester des orientations contrastées et de mettre au point ces méthodologies ».
- Cette démarche doit également avoir un impact sur le collectif, en permettant un partage des
connaissances autour de l’élevage dans le PNRL. Cette reformulation passe notamment par la
confrontation des représentations diverses des acteurs et doit aboutir à la construction d’indicateurs
interdisciplinaires pour appréhender le milieu. Il s’agit ici de sortir d’une vision sectorielle de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
63
l’élevage, en renforçant « les capacités des acteurs (éleveurs en particulier) à interagir avec d’autres
acteurs » (Lasseur, non paru). Cet enjeu figure également dans un relevé de décision :
« Prendre du recul sur la mise en place d’opérations de gestion de territoire par l’élevage, mieux
intégrer les dimensions pluri-acteurs de ces opérations et valider un mode opératoire pour la mise en
place de ces opérations ».
- La validation ou l’acquisition de connaissances sur les systèmes étudiés, par la reformulation liée à
la modélisation, constitue également un type de produits dérivés identifié pour la démarche Luberon
(Lasseur, non paru) . Cet enjeu est lui aussi mentionné dans le relevé de décision :
« Mieux intégrer la dimension systèmes d’élevage dans les relations aux questions d’utilisation du
territoire et d’implication dans des opérations de gestion de l’espace.
Valider les connaissances que l’on met en œuvre dans ces opérations et identifier les connaissances
qui manquent ou manqueront à l’avenir ».
- L’acquisition de connaissances méthodologiques sur la démarche de modélisation
d’accompagnement est aussi considérée comme un enjeu à part entière, principalement pour
l’animateur / modélisateur. Celui-ci souhaite en effet profiter de la mise en œuvre de la démarche
dans le Luberon pour tester une posture particulière d’accompagnement, basée sur une co-
construction absolue et exhaustive. Cet enjeu est explicitement mentionné par le chercheur lors du
processus :
« Ca m’intéresse moi en tant que chercheur une utilisation de ce modèle que moi je n’avais pas
envisagé. J’ai fait une démarche avec vous que je connais bien et à un certain moment vous allez
envisager d’utiliser l’outil qu’on a construit ensemble d’une façon différente que ce que moi j’ai eu
l’habitude de pratiquer jusqu‘à maintenant et du coup d’essayer de comprendre pourquoi et est ce
que ça remet en cause ce que j’ai fait, je teste le modèle quoi ».
Ce dernier point mis à part, ces objectifs sont largement partagés par les participants non-
chercheurs, en particulier par les membres des institutions de conseils aux éleveurs. Les relevés de
décision et les discours montrent que la majorité des partenaires engagés dans le groupe de pilotage
adoptent cette approche exploratoire, sans pour autant négliger les apports opérationnels de la
démarche.
b. Des enjeux plus opérationnels
Les apports opérationnels clairement identifiés au cours de la démarche sont de deux types :
- Certains partenaires du groupe de pilotage souhaitent développer un modèle SMA afin d’en faire un
outil assez générique pour « tester » des programmes d’actions à l’échelle du territoire. L’idée
consiste ainsi à créer un support permettant d’« analyser la validité à moyen et long terme » des
investissements en faveur de l’élevage (Lasseur, non paru). Cette idée est principalement portée par
le premier agent du PNR impliqué dans la démarche :
« L’outil est intéressant si on peut aller à la mise en place de programme ou du moins si ça peut nous
aider à la mise en place de programme. Ce sera très lié au choix de territoire qu’on fait. En ce qui me
concerne ça va traduire notre volonté (…) de faire en sorte que cet outil nous aide dans le quotidien ».
Le modèle SMA doit s’intégrer dans le cadre d’une gestion adaptative du territoire. Un agent du CRPF
envisage ainsi l’utilisation du modèle comme un « outil de suivi » pour tester l’impact de différents
projets sur le territoire au fur et à mesure que ces projets sont conçus.
Pour l’agent du PNR, la possibilité de créer un outil d’aide à la décision constitue une condition sine
qua none de sa participation à la démarche. Au contraire, l’animateur/modélisateur ne souhaite pas
participer à la mise en œuvre de ce suivi : s’il ne rejette pas catégoriquement cet enjeu opérationnel,
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
64
il insiste sur la nécessaire autonomie des partenaires par rapport à l’utilisation de l’outil. Les
positions de chacun sont clairement résumées dans l’un des relevés de décision de la phase
d’initialisation :
Une des attentes formulée est de fournir une aide directe à l’action concrète sur une opération de
gestion du territoire impliquant l’élevage qui permet aussi de justifier (…) le temps passé dans ce
projet (…). Par rapport à cette attente est posée la limite de l’implication du chercheur ; cette finalité
suppose à terme une autonomie des opérateurs qui souhaitent l’utiliser.
- Un deuxième enjeu lié à la prise de décision émerge lors de l’élaboration du jeu de rôles, sans que
cela ne soit clairement mentionné dans le relevé de décision mentionné plus haut. Le jeu de rôles est
ainsi conçu en partie comme un instrument « d’éducation » ou de « sensibilisation », notamment à
l’attention des élus. Si cet objectif n’est pas explicitement mentionné lors de l’initialisation de la
démarche, nous verrons que chaque partenaire est susceptible à moment à un autre de mobiliser les
outils créés pour déclencher une prise de conscience chez des acteurs divers.
L’analyse des enjeux portés lors de la démarche met en évidence deux types d’objectifs qui
cohabitent. Ceci pose un problème certain lors de l’élaboration des modèles tout au long de la
démarche. En effet, envisager la création d’un outil d’aide à la décision implique de créer un modèle
« valide », capable de simuler correctement la dynamique du système. Au contraire, la mise en
œuvre d’une analyse prospective exploratoire donne une marge de manœuvre beaucoup plus
importante quant à la représentation de ce système.
3. Appréhender le « milieu » ou le « territoire » ?
Le programme de recherche à l’initialisation de la démarche se place dans une optique de
développement durable, soucieux à la fois des dynamiques écologiques (fermeture du paysage et
préservation de la biodiversité) et des dynamiques socio-économiques (déprise rurale, question du
maintien d’une activité sur un territoire). Nous verrons ici que cette approche se décompose
concrètement en plusieurs approches plus ou moins compatibles au sein de la démarche, ce que
montre l’analyse de la problématique initiale. Des enjeux variés se cristallisent notamment autour du
terme « territoire », auquel on attribue des significations variables selon les acteurs mais aussi selon
les phases du processus. On peut dégager ici deux types d’objectifs dans cette démarche : lutter par
l’élevage contre la dégradation des milieux (notamment la fermeture du paysage) ou lutter pour
maintenir des éleveurs sur le territoire.
a. Maintenir le paysage
La première approche (Figure 7) identifie le maintien d’un « milieu » comme un objectif prioritaire,
comme le mentionne un agent d’une institution de conseil à l’élevage :
« L’objectif, la réflexion sur laquelle on travaille nous c’est plutôt… le maintien des éleveurs sur le
milieu… cette capacité de l’élevage à contribuer à maintenir le milieu ».
Ici, le maintien des éleveurs sur le territoire n’apparaît pas comme un objectif en soi de la démarche
mais plutôt comme un facteur permettant d’atteindre un objectif de lutte contre la fermeture du
paysage. Ainsi, le maintien de l’éleveur ne suffit pas, encore faut-il que cet éleveur ait un impact sur
la préservation des milieux ouverts grâce à un calendrier de pâturage et un territoire approprié. Ce
qui est pris en compte ici n’est pas le maintien des éleveurs mais plutôt le maintien de la capacité de
l’élevage à maintenir le milieu, ce qui n’est exactement équivalent.
Cette orientation ne met pas entièrement de côté la problématique de la déprise territoriale induite
par la disparition des éleveurs : la mise en évidence de la multifonctionnalité de l’élevage doit en
Gratecap Jean-Baptiste
retour permettre une rétribution pour services environnementaux, rétribution qui participera donc
au maintien des éleveurs sur le territoire.
Figure
b. Maintenir des
La question prospective du maintien d’une activité d’élevage sur le territoire concerné
uniquement mobilisée pour sa contribution à la préservation d’un milieu
problématique en soi dans la démarche, portée par de nombreux participants (
par exemple d’un éleveur invité à participer à l’élaboration du jeu de rôles, qui souhaite mobiliser cet
outil pour questionner la faisabilité de nouvelles installations d’éleveurs sur le territoire
« L’intérêt, c’est de tester l’implantation de nouveaux agriculteurs sur le territoire, pour qu’ils n’aillent
pas au casse pipe… ».
Cette question de l’avenir et du renouvellement des éleveurs sur le territoire du Luberon est
clairement intégrée dans la réflexion menée dans
institutions de conseil pour l’élevage souhaitent ainsi
SMA et les scénarios, pour aborder cette question des perspectives d’avenir pour cette activité.
Figure 8 : Un objectif de maintien des exploitations d’élevage sur le territoire
Mémoire FNS 2009
65
retour permettre une rétribution pour services environnementaux, rétribution qui participera donc
tien des éleveurs sur le territoire.
Figure 7 : Un objectif de maintien du paysage
Maintenir des activités d’élevage sur le territoire
La question prospective du maintien d’une activité d’élevage sur le territoire concerné
uniquement mobilisée pour sa contribution à la préservation d’un milieu ; elle constitue une
problématique en soi dans la démarche, portée par de nombreux participants (Figure
par exemple d’un éleveur invité à participer à l’élaboration du jeu de rôles, qui souhaite mobiliser cet
outil pour questionner la faisabilité de nouvelles installations d’éleveurs sur le territoire
de tester l’implantation de nouveaux agriculteurs sur le territoire, pour qu’ils n’aillent
Cette question de l’avenir et du renouvellement des éleveurs sur le territoire du Luberon est
clairement intégrée dans la réflexion menée dans le cadre du groupe de pilotage. Les membres des
our l’élevage souhaitent ainsi mobiliser les outils élaborés, notamment le
SMA et les scénarios, pour aborder cette question des perspectives d’avenir pour cette activité.
: Un objectif de maintien des exploitations d’élevage sur le territoire
Mémoire FNS 2009-2010
retour permettre une rétribution pour services environnementaux, rétribution qui participera donc
La question prospective du maintien d’une activité d’élevage sur le territoire concerné n’est pas
; elle constitue une
Figure 8). C’est le cas
par exemple d’un éleveur invité à participer à l’élaboration du jeu de rôles, qui souhaite mobiliser cet
outil pour questionner la faisabilité de nouvelles installations d’éleveurs sur le territoire :
de tester l’implantation de nouveaux agriculteurs sur le territoire, pour qu’ils n’aillent
Cette question de l’avenir et du renouvellement des éleveurs sur le territoire du Luberon est
le cadre du groupe de pilotage. Les membres des
mobiliser les outils élaborés, notamment le
SMA et les scénarios, pour aborder cette question des perspectives d’avenir pour cette activité.
: Un objectif de maintien des exploitations d’élevage sur le territoire
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
66
Si ces deux enjeux existent bien dans la démarche Luberon, il est difficile de clairement identifier au
sein du groupe de pilotage des porteurs qui se positionneraient frontalement en faveur d’une des
deux problématiques mentionnées ici. On note ainsi chez de nombreux acteurs (y compris les
chercheurs) une oscillation permanente entre les deux pôles, une réelle volonté d’aborder dans une
même approche à la fois la question des dynamiques écologiques issues de l’élevage et la question
de la viabilité à venir des exploitations.
Si ces deux approches se rejoignent sur la nécessité de maintenir des éleveurs, elles n’en sont pas
moins difficiles à faire cohabiter : pour l’une, ce maintien est un facteur alors que pour l’autre elle est
un objectif à part entière. Nous verrons que l’analyse des produits de la démarche met en évidence
des déséquilibres dans la mobilisation effective de ces problématiques.
4. Une hiérarchisation souvent limitée des objectifs poursuivis
Hervé & Castella (2009) insistent ainsi sur la nécessité de définir précisément les objectifs et les
enjeux d’une démarche de modélisation afin d’expliciter ses choix de construction :
« Il apparaît clairement que, selon l’objectif du projet de modélisation, la question posée et les
données disponibles, plusieurs constructions de modèles sont possibles, intégrant espace, temps et
acteurs à l’interface entre natures et sociétés. Du fait même de cette diversité, il est indispensable
d’expliciter l’hypothèse résultant d’une construction théorique de l’objet à modéliser. Cet effort
théorique préalable n’est pas toujours fait. Il en résulte un objectif flou et une difficulté de justifier les
choix de modélisation effectués » (Hervé & Castella, 2009).
A travers la description du collectif et des enjeux successivement portés au cours de la démarche, on
met en évidence une certaine superposition des objectifs en fonction des participants et des phases
de la démarche, ce qui fait que certains choix restent en suspend. Ce flou peut résulter de deux
facteurs principaux :
- Cette démarche est initiée par la recherche, et ne résulte pas d’une demande bien
identifiée de la part des acteurs ou encore d’un conflit majeur sur le territoire.
- L’évolution du collectif mobilisé implique une redéfinition constante des objectifs par
l’incorporation des enjeux portés par les nouveaux arrivants.
Nous verrons que ce flou relatif pose problème lors de l’élaboration des modèles.
2. Description problématisées des modèles créés dans la
démarche Luberon
Conformément à notre hypothèse selon laquelle les choix effectués lors de la construction des
modèles informent la façon dont les participants se positionnent au sein de la démarche, nous
proposons ici de décrire les objets créés au cours du processus, à travers leurs principales
caractéristiques (granularité, fonctionnement…). Il s’agira également d’éclairer la façon dont ces
caractéristiques majeures ont été élaborées et discutées dans le cadre de la démarche, c'est-à-dire
les choix majeurs qui sous-tendent la création des modèles présentés ici. Plus qu’une simple
description, il s’agit ici de remettre en perspective ces caractéristiques en les associant aux choix
majeurs réalisés.
L’élaboration du jeu de rôles étant fortement liée à celle du modèle SMA, on décrira principalement
le modèle scénarios avant de s’intéresser à la façon dont le jeu de rôles est dérivé du SMA. Il est
important de noter qu’on ne décrit pas ici une version finalisée et solidifiée des outils produits dans
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
67
le cadre de la démarche mais leur version mise à jour en novembre, date à laquelle le stage s’est
terminé.
A. Le modèle SMA
1. Présentation générale
L’objectif du modèle SMA est de permettre de simuler et de présenter les résultats de différentes
modalités de projection dans le futur (scénarios). La Figure 9 permet de prendre connaissance des
principales caractéristiques du modèle Luberon. La Figure 10 représente la structure simplifiée du
modèle Luberon.
Eléments de description d’un modèle Modèle Luberon
Représentation de « l’environnement » Environnement réaliste, représenté sous le format raster
Territoire modélisé 22 communes du PNR du Luberon intégrant les massifs du Petit et du Grand Luberon
Taille de la cellule 2,25 ha
Durée des simulations 10 ans
Pas de temps mois
Agents (seuls les agents actifs dans le modèle sont mentionnés)
31 éleveurs répartis en 8 types 1 exploitant forestier 1 agent de l’ONF
Principaux scénarios implémentés Scénario tendanciel Scénario changement climatique Scénario baisse des revenus de l’élevage Scénario bois-énergie
Figure 9 : « Fiche signalétique » du modèle Luberon. Ce tableau récapitule l’ensemble des choix majeurs faits lors de la
conception du modèle Luberon. En rouge, les éléments ayant connu une évolution importante lors de la transposition en
jeu de rôles.
Gratecap Jean-Baptiste
Figure 10 : Représentation simplifiée de la structure du modèle Luberon
2. « L’environnement » du modèle
a. Un modèle spatialisé
Le logiciel CORMAS intègre un automate cellulaire, c'est
d’introduire une représentation spatialisée des simulations. Le modèle SMA s’appuie sur cette grille
pour permettre de créer de la donnée nouvelle par l’analyse spatiale et de visualiser les résultats des
scénarios produits.
Le choix de mener une analyse spatialisée constitue une caractéristique majeure des modèles, qui a
un impact sur l’ensemble de la démar
intégration de phénomènes spatiaux tels que l’évolution des formations végétales sur le territoire.
Elle permet également de mettre en avant des zones sur lesquels pourraient se superposer des
pratiques concurrentes, et donc de mettre en évidence des conflits d’usage potentiels entre les
agents introduits dans les modèles. Cette spatialisation
de capter et de représenter certains jeux d’acteurs
La citation suivante, tirée d’un relevé de décision rédigé lors du choix du territoire à représenter,
montre que la démarche s’oriente clairement à ce moment ver
conformément aux thématiques que souhaitent développer les participants
« Doit-on ajouter aux enjeux « DFCI
la biodiversité dans les agrosystèmes et
Mémoire FNS 2009
68
: Représentation simplifiée de la structure du modèle Luberon (voir légende en annexe
» du modèle
Un modèle spatialisé
Le logiciel CORMAS intègre un automate cellulaire, c'est-à-dire une grille de pixel permettant
d’introduire une représentation spatialisée des simulations. Le modèle SMA s’appuie sur cette grille
permettre de créer de la donnée nouvelle par l’analyse spatiale et de visualiser les résultats des
Le choix de mener une analyse spatialisée constitue une caractéristique majeure des modèles, qui a
un impact sur l’ensemble de la démarche. En effet, cette représentation permet une bonne
intégration de phénomènes spatiaux tels que l’évolution des formations végétales sur le territoire.
Elle permet également de mettre en avant des zones sur lesquels pourraient se superposer des
concurrentes, et donc de mettre en évidence des conflits d’usage potentiels entre les
agents introduits dans les modèles. Cette spatialisation a également des limites
de capter et de représenter certains jeux d’acteurs et les régulations politiques (Abbot & al., 1998)
La citation suivante, tirée d’un relevé de décision rédigé lors du choix du territoire à représenter,
montre que la démarche s’oriente clairement à ce moment vers une représentation spatialisée,
conformément aux thématiques que souhaitent développer les participants :
DFCI » et « biodiversité des milieux naturels » des questions autour de
biodiversité dans les agrosystèmes et des attentes sociales et de développement local vis
Mémoire FNS 2009-2010
légende en annexe 1).
dire une grille de pixel permettant
d’introduire une représentation spatialisée des simulations. Le modèle SMA s’appuie sur cette grille
permettre de créer de la donnée nouvelle par l’analyse spatiale et de visualiser les résultats des
Le choix de mener une analyse spatialisée constitue une caractéristique majeure des modèles, qui a
che. En effet, cette représentation permet une bonne
intégration de phénomènes spatiaux tels que l’évolution des formations végétales sur le territoire.
Elle permet également de mettre en avant des zones sur lesquels pourraient se superposer des
concurrentes, et donc de mettre en évidence des conflits d’usage potentiels entre les
a également des limites : elle ne permet pas
(Abbot & al., 1998).
La citation suivante, tirée d’un relevé de décision rédigé lors du choix du territoire à représenter,
s une représentation spatialisée,
des questions autour de
attentes sociales et de développement local vis-à-vis de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
69
l’élevage ? L’idée qu’il faut rester sur les milieux naturels et des attentes spatialisées semblait
l’emporter. L’intégration d’enjeux « socio » serait subordonnée à leur expression claire ».
L’idée selon laquelle la spatialisation constitue un choix qui engage le collectif dans certaines
thématiques plutôt que d’autres est présente ici. Néanmoins, des interrogations quant à la
pertinence de ces orientations viendront remettre en question le choix initial de la spatialisation.
b. Le territoire représenté
Le choix de l’environnement spatial du modèle Luberon a fait l’objet de discussions majeures entre
les participants, discussions retranscrites en partie dans les deux premiers relevés de décision
recensés. Cette question apparaît comme un enjeu fondamental au regard des thématiques qui
seront abordées et de l’utilisation que l’on pourra faire du modèle, ce que comprend très rapidement
le premier agent du PNR impliqué dans la démarche :
« L’outil est intéressant si on peut aller à la mise en place de programme ou du moins si ça peut nous
aider à la mise en place de programmes. Ce sera très lié au choix de territoire qu’on fait. En ce qui me
concerne ça va traduire notre volonté de faire en sorte que cet outil nous aide dans le quotidien. J’ai
ma petite idée sur le territoire… ».
Le choix de ce territoire porte sur deux problématiques :
- Quel territoire ? A quelle échelle ?
- Quelle représentation du territoire ? Doit-on se baser sur un environnement fictif et stylisé
ou sur une représentation réaliste d’un territoire défini ?
- La délimitation du territoire
L’environnement du modèle SMA représente 22 communes du Luberon et englobe le massif du Petit
Luberon et le versant nord du Grand Luberon (Figure 11). Ce territoire intègre 60000ha soit 1/3 du
PNRL ; il représente trois types « d’agencements paysagers »(Lasseur & al., sous presse). Le premier
est majoritairement composé d’espaces naturels (pelouses, garrigues, matorrals et forêts). Le second
est dominé par des cultures pérennes tandis que le troisième constitue une mosaïque paysagère
intégrant à la fois des espaces naturels et des espaces cultivés (principalement des cultures
annuelles).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
70
Figure 11 : Carte du Parc Naturel du Luberon. En rouge, le territoire choisi pour la modélisation. Sources : PNR Luberon.
Lors de l’initialisation de la démarche, 2 possibilités sont envisagées pour délimiter le territoire.
L’agent du PNR souhaite se focaliser sur le Petit Luberon, conformément à son objectif
d’opérationnalité :
« Je propose de travailler sur le petit Luberon pour être cohérent par rapport à ce que j’ai dit tout à
l’heure par rapport à l’applicabilité de l’outil. C’est que dans le petit Luberon on va engager la phase
d’animation du document d’objectif Natura 2000 sur le massif du Luberon. Donc j’aimerais que l’outil
puisse éventuellement nous aider dans cette phase d’animation ».
Ce participant justifie son choix par l’abondance des données utilisables, par l’existence d’une zone
Natura 2000 et par la possibilité de traiter les enjeux DFCI. Ici il est clairement question de traiter
exclusivement les apports potentiels de l’élevage sur le paysage et sur la biodiversité, notamment à
travers certains enjeux comme l’existence de « pelouses patrimoniales » ; au contraire, ce choix de
territoire limite la réflexion sur la problématique du maintien des éleveurs sur le territoire, ce qui est
assumé par ce participant :
« Et après en choisissant ça si je caricature j’ai tendance à dire que ce soit une brebis de Crau ou une
brebis d’un élevage Luberon à la limite je m’en fous je simplifie… je me focalise sur biodiversité et
DFCI et j’évacue la question (…) du tissu rural ».
Les différents porteurs des enjeux « élevage » rejettent cette première délimitation et proposent
d’élargir la zone concernée, ce qui permet de fixer le territoire aux limites utilisées ensuite au cours
de la démarche (Figure 11). Ils justifient cet élargissement par la nécessité d’introduire plus de
diversité :
- Diversité des types d’agencements paysagers (Lasseur & al., sous presse), afin de représenter des
modes d’agencements variés pour la répartition des espaces de cultures et des espaces naturels. Il
s’agit ici notamment de réintégrer les zones de plaines cultivées dans l’analyse, en partant du constat
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
71
que l’accessibilité des troupeaux aux ressources de ces espaces est un élément stratégique pour les
éleveurs.
- Diversité des formes d’élevage : si le Petit Luberon, est principalement utilisé en estive par des
troupeaux extérieurs au territoire, une délimitation plus large permettrait d’intégrer dans l’analyse
un ensemble représentatif de la diversité des types d’élevage.
Ce choix de territoire élargi semble conforme à une volonté de mener une approche territorialisée
des dynamiques de l’élevage ovin, sans se limiter aux impacts environnementaux du pâturage sur les
espaces non cultivés. Inversement, le choix de modéliser à une échelle large augmente fortement la
quantité de données à récolter et limite la représentation des dynamiques écologiques associées à
l’élevage. Lors de la définition du territoire à modéliser, l’animateur relève à juste titre la difficulté de
dégager des indicateurs environnementaux valides à l’échelle choisie, notamment en rapport avec
certaines thématiques (lien entre élevage et espaces cultivés) :
« Moi par contre je ferais une critique aux propositions des autres [les porteurs d’enjeux « élevage »]
c’est qu’il n’y a que des critères d’élevage dans leur territoire et il n’y a aucun critères
environnementaux. Quels sont les enjeux sur les territoires que vous proposez ? ».
L’intégration puis l’abandon de l’attribut « isPatrimonial » (voir annexe 7) confirme la difficulté
qu’ont les acteurs lors de la définition de critères de biodiversité à cette échelle.
La délimitation du territoire représenté dans le modèle constitue clairement un moment stratégique
de la démarche ; nous verrons ultérieurement comment le choix réalisé a un impact majeur sur
l’ensemble du processus.
- Une représentation réaliste mais incomplète
A propos des modalités de la représentation, deux approches concurrentes se distinguent lors de ces
réunions :
L’animateur : Quand j’écoute [un des experts sur l’élevage] je me dis tiens c’est quelqu’un avec qui on
pourrait très bien travailler sur des territoires virtuels et passer son temps à changer la configuration
des territoires virtuels (…) du coup, aller vers un territoire concret dans son cas n’est pas nécessaire.
Agent du PNR : Alors que moi à l’inverse aller dans un territoire concret quand je parle un peu de
trouver des outils de soutien à nos actions…
La première approche, plus exploratoire, privilégie une représentation abstraite d’un territoire.
L’environnement ainsi créé est déconnecté de la réalité (pas de noms de communes…) tout en
permettant une représentation pertinente des principales dynamiques. Elle est portée notamment
par cet expert, qui souhaite développer une approche prospective en testant notamment les
interactions entre les évolutions du territoire et l’activité d’élevage. Cette approche a le mérite de
s’abstraire de la nécessité de fournir des données bien localisées, puisque la construction de
l’environnement résulte de dires d’experts.
La seconde approche, plus opérationnelle, est portée notamment par l’agent du PNR, mais
également par certains agents des institutions d’élevage : elle privilégie une représentation réaliste
du territoire, donc plus « objective », qui permettrait de simuler précisément des projets concrets
(ex : la mise en place d’un réseau de chaleur).
Au final, faute de données suffisantes, la représentation du territoire implémentée dans le modèle
Luberon ne tranche pas réellement entre ces deux options. L’environnement modélisé sous CORMAS
se veut réaliste, en reprenant des données spatialisées fournies par le SIG du PNR, et en ne
changeant pas le « fond de carte ». Ainsi, l’identification des zones sur la carte reste possible.
Néanmoins, cette représentation met en évidence des lacunes importantes dans les données
nécessaires à l’élaboration de l’environnement. Pour combler ces lacunes, de la donnée est créée à
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
72
dires d’experts. Nous verrons que cette dualité de l’environnement (à la fois réaliste et construit dans
le cadre de la démarche) est à l’origine de dysfonctionnements et de malentendus importants dans la
démarche Luberon.
c. Granularité et format de l’environnement
Le collectif s’appuie donc sur une représentation spatialisée de l’environnement. Cette
représentation se fait par l’intermédiaire d’un automate cellulaire intégré dans le logiciel Cormas.
L’utilisation de cette grille associée à un logiciel SIG (ArcView) permet l’importation de données
géoréférencées au format raster. Les données tirées du SIG du PNR constituent ainsi la base de la
représentation spatiale du territoire modélisé, en fournissant notamment les données d’occupation
du sol pour les différents pixels de la grille (voir annexe 7).
La granularité spatiale du modèle est relativement simple : en effet, le fonctionnement du SMA est
basé sur l’entité spatiale élémentaire, à savoir la cellule. La taille du pixel choisi est de 2,25 ha
(150x150m), ce qui correspond au champ, considéré comme l’objet spatial le plus fin devant être
représenté dans le modèle (mentionné dans un relevé de décision).
L’étude du lexique des entités spatiales (voir annexe 7) met en évidence le peu de stratification
spatiale du modèle Luberon. De nombreux SMA construits dans le cadre des travaux ComMod
utilisent ainsi des processus d’agrégation des entités spatiales élémentaires pour construire des
entités plus larges, considérées comme plus pertinentes pour la mise en œuvre concrète de la co-
construction. Ici, le niveau cellulaire est le seul niveau réellement fonctionnel au sein du modèle
Luberon, le niveau communal ne servant qu’à collecter certaines statistiques. Des niveaux
intermédiaires ont fait l’objet de réflexion mais ont été abandonnés ; c’est le cas par exemple des
« unités pastorales ».
d. L’élaboration de l’environnement : les données spatiales utilisées
L’utilisation d’un automate cellulaire pour la représentation du territoire implique de disposer de
données sous format raster, qui constituent l’« environnement » du modèle, c'est-à-dire l’ensemble
des couches d’informations spatiales à l’initialisation du modèle (avant le déroulement des
simulations). Ces données spatialisées permettent d’attribuer, pour chaque cellule et pour chaque
attribut des cellules, une valeur rendant possible l’élaboration de cartes du territoire (voir annexes 8
et 9).
La majeure partie des données spatialisées utilisées pour créer l’environnement du modèle Luberon
provient principalement du SIG du PNRL. Ces données, plus ou moins retouchées, ont permis par
exemple l’élaboration de cartes de base (altitude…) ou encore la localisation de certains espaces,
comme les zones Natura 2000.
Si la donnée tirée du SIG du PNRL constitue la base de la construction de l’environnement, le
déroulement du processus de modélisation met en évidence des manques importants. En effet,
certaines couches d’informations fondamentales pour la représentation des dynamiques choisies ne
sont pas disponibles ou n’existent tout simplement pas. Pour pallier l’absence de ces couches
d’informations essentielles à la modélisation, le groupe s’évertue à reconstituer ces couches. C’est le
cas par exemple de la distribution spatiale des exploitations d’élevage ovin sur le territoire, qui
nécessite l’élaboration de règles permettant une répartition spatiale la plus proche possible de la
« réalité », c'est-à-dire de la représentation qu’ont les différents participants (voir annexe 2).
La distinction entre les données spatiales provenant du SIG du PNR et celles construites dans le cadre
de la démarche n’est pas toujours simple à faire : nous verrons plus bas que la carte d’occupation du
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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sol résulte d’un long processus de co-construction visant à transformer les données initiales afin de
les faire correspondre aux dynamiques modélisées (voir annexe 4).
Le choix d’un territoire réaliste conditionne le reste de la démarche. En effet, sa modélisation
nécessite un ensemble de données, dont une partie n’existe tout simplement pas. Comme nous le
verrons plus bas, les procédures visant à créer ces données et le calibrage qu’elles nécessitent ont un
impact majeur sur le fonctionnement de la démarche de co-construction.
3. Fonctionnement des composantes biophysiques du modèle
Grâce à l’automate cellulaire, il a été possible de faire évoluer l’environnement modélisé, par le biais
de différents « modules », c'est-à-dire des sous-modèles intégrés dans le modèle sous la forme d’une
ou de plusieurs procédures. Ces modules font évoluer des indicateurs sur chaque cellule concernée.
On décrira ici sommairement le fonctionnement des modules principaux. Les procédures utilisées
sont décrites plus en détails dans la légende du schéma « représentation simplifiée du modèle
Luberon » (voir annexe 1).
a. Représentation des dynamiques végétales
Les trajectoires et les temps de transition d’un état de la végétation à l’autre ont été reconstitués à
dires d’experts dans le cadre des temps forts collectifs. Chaque cellule d’espace naturel est dotée à
l’initialisation d’une occupation du sol (pelouse, garrigue, matorral et forêt) et d’un âge. A mesure
que la simulation avance, l’âge augmente et l’occupation du sol est amenée à évoluer. Les
participants reconstituent ces dynamiques par l’intermédiaire de « matrices de transition », en
identifiant des temps de transition d’une formation végétale à l’autre :
Ex : si une pelouse a 10 ans, elle devient une garrigue de 1 an.
L’évolution de l’âge des formations végétales obéit à ces matrices sauf si la cellule est pâturée,
incendiée ou débroussaillée (voir procédure encroach dans l’annexe 1). Là aussi, des règles ont été
définies. Ainsi, si le pâturage est suffisamment accentué sur une cellule, l’âge de cette cellule recule,
ce qui peut par exemple permettre à une cellule de pelouse en phase d’embroussaillement de rester
en pelouse. De cette façon, les dynamiques d’ouverture et de fermeture de paysage sont modélisées,
ce qui confère une importance capitale à ces procédures. Une gamme complète de points de vue
spatiaux a été créée au cours de la démarche pour mesurer les évolutions du paysage.
b. Evolution des ressources pâturables
Plusieurs procédures propres à l’évolution des ressources pâturables en fonction du climat ont été
créées par les participants à la démarche (voir les procédures majProdHerbe, majProdLigneux et
grassGrowth dans l’annexe 1). Il s’agissant d’attribuer à chaque cellule d’espace naturel et de terres
cultivées pour le fourrage des coefficients de production de ressources, exprimés en journées brebis
par ha.
Plus que sur le fonctionnement de ces procédures, on souhaite attirer ici l’attention sur la place
centrale de ces procédures dans le modèle. En effet, la modélisation du pâturage (emprise
territoriale, apparition de déficits…) repose sur la production des ressources sur les parcours et les
terres cultivées. Un travail de calibrage complexe a ainsi été mené pour faire coïncider les besoins du
troupeau et les taux de prélèvement de la ressource, modélisés à partir des calendriers de pâturage,
avec l’évolution des ressources sur les différents types d’occupation du sol (Lasseur & al., sous
presse).
Les difficultés propres à ce calibrage sont renforcées par l’hétérogénéité des données utilisées dans
ces procédures (Lasseur, comm. pers.). Ainsi, les données d’évolution des ressources herbacées en
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
74
fonction du climat et les données de productivité des fourrages sont tirées respectivement de
références bibliographiques et de référentiels locaux (Lasseur & al., sous presse). En revanche, les
chiffres de productivité annuelle des différents types de pâturage ont été construits à dires d’experts,
à partir d’observations de terrains.
c. Evolution des ressources en bois
L’évolution de la ressource en bois disponible pour la coupe (volume sur pieds, attribut potFor, voir
annexe 7) est modélisée dans les procédures initProdForestiere et majProdForestiere (voir annexe 1).
Elle dépend de la formation végétale, de l’espèce arborescente présente sur la cellule et de l’âge du
peuplement dominant.
Le volume sur pieds par cellule est un élément important du modèle, notamment dans le scénario
« bois-énergie » : il détermine la surface de coupe nécessaire pour atteindre les objectifs en matière
d’approvisionnement en bois, objectifs déterminés à dires d’experts sous la forme d’une demande
annuelle. Cette surface à couper, identifiée par le point de vue surfCoupeTotal, constitue un résultat
majeur pour les agents du PNR mobilisés dans cette démarche.
Les procédures attribuant à chaque cellule un volume sur pieds résultent d’un ensemble de données
de bases adaptées au modèle par un expert du CRPF. Les données concernant l’âge des peuplements
dominants n’existant pas, il a donc fallu attribuer à chaque cellule un âge initial à partir d’une
fourchette d’âge propre à chaque formation végétale, fourchettes établies à partir de données de
l’IFN (voir annexe 4.e). Les données d’accroissements moyens par espèces dominantes sont dérivées
de données de l’IFN d’accroissements courants, ce qui limite leur pertinence. L’adaptation des
données existantes aux données nécessaires à la démarche de modélisation pose ainsi de nombreux
problèmes de calibrage, qui constituent une part importante des discussions qui peuvent se déployer
au cours des temps forts collectifs.
4. Granularité et fonctionnement des agents
On décrit ici les procédures d’initialisation et de fonctionnement des agents (ou entités sociales) du
modèle Luberon, ainsi que les principaux indicateurs et points de vue que ces entités mobilisent. On
ne mentionnera ici que les entités « actives » dans le modèle, c'est-à-dire celles qui ont un impact sur
son fonctionnement par l’intermédiaire de procédures propres1.
a. Les éleveurs
Les éleveurs intégrés au modèle SMA sont au nombre de 31 et sont répartis en 8 types construits à
partir de dires d’experts. La typologie des types d’éleveurs est élaborée en fonction de différents
critères dans le cadre de la démarche (Lasseur & al., sous presse) :
- des critères de structure des élevages, à travers l’orientation de production, la taille du
troupeau, la part relative des espaces cultivés par rapport aux parcours et la taille des unités formant
le territoire de l’éleveur.
- des critères de fonctionnement des élevages, à travers la mobilité des différents types
d’éleveurs sur les parcours et le calendrier de pâturage.
1 Ainsi, l’agent « ONF » a un impact direct sur l’environnement du modèle par l’intermédiaire de la procédure debroussailler. Certains agents, comme les entités « PNR » et « CERPAM » n’ont au contraire qu’un rôle passif dans le modèle Luberon, en se contentant de collecter des statistiques sur l’évolution du territoire par l’intermédiaire de points de vue. Ils ne seront pas mentionnés ici.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
75
Ce calendrier (voir annexe 5), construit par les experts, donne pour chaque mois les besoins du
troupeau en pâturage et en alimentation en bergerie, les unités à pâturer et les modalités du
pâturage (taux de raclage sur parcours).
La dynamique de l’exploitation peut être évaluée à travers certains points de vue considérés comme
des marqueurs importants par les participants. Ces marqueurs concernent principalement la
disponibilité des ressources sur parcours. En effet, les surfaces cultivées par type d’éleveurs sont
calculées à la base pour permettre d’assurer les besoins en pâturage sur champs et en
complémentation, même si des déficits de ressources peuvent apparaître lors des années
climatiques défavorables. Les déficits qui apparaissent sur parcours (attribut et sonde
deficitParcours) sont ainsi les résultats les plus importants pour les éleveurs.
Si le stock de complément n’est pas assez important pour compenser ces déficits, les éleveurs
doivent alors acheter du complément. Cet achat devient alors un indicateur important de la viabilité
de l’inscription territoriale de l’éleveur (attribut et sonde achatComplement).
b. Les forestiers
Le modèle génère deux types de forestiers, un forestier de l’ONF et un exploitant. On note ici que si
la diversité des éleveurs est représentée à travers 8 types et 31 exploitants, la modélisation des
forestiers bénéficie de moins de détail puisque seul un agent est représenté pour chaque type
d’entité sur l’ensemble du territoire.
L’exploitant forestier met en œuvre les coupes de bois, à travers les procédures
alimenterReseauChaleurResineux, exploiterBoisChauffage, couperRas et eclaircir (voir annexe 1).
Deux types d’exploitation pour le bois sont modélisés ; la première permet la récolte du bois de
chauffage et est intégrée à l’ensemble des scénarios modélisés dans le modèle Luberon ; la seconde
permet la récolte de bois-énergie et ne concerne que le scénario « Bois-énergie ».
Ces deux types d’exploitation se font sur des parcelles et avec des modalités différentes, co-
construites avec les experts forestiers mobilisés dans la démarche mais aussi avec certains agents du
PNR. Les demandes de bois pour le territoire sont définies à dires d’experts faute de données, les
quantités de bois de chauffage exploitées sur le territoire modélisés étant en effet très mal connues.
La dynamique de l’exploitation forestière sur le territoire peut être évaluée à partir de certains points
de vue. La récolte annuelle en bois pour les deux types d’exploitation (indicateurs recolte et
recolteBC) permet ainsi de voir si cette récolte satisfait tous les ans la demande au niveau du
territoire.
L’agent « ONF » est chargé de la mise en œuvre des débroussaillements DFCI (procédure
debroussailler) et des débroussaillements sur les zones en MAET (procédure debroussaillerN2000).
Il assure également une mission de suivi à travers certains points de vue. La surface annuelle passée
en coupe permet d’avoir un premier indicateur sur l’impact potentiel de ces coupes sur le paysage.
Le suivi des volumes sur pieds encore disponibles par type d’essences permet quant à lui de détecter
une éventuelle décapitalisation des stocks de bois à l’échelle du territoire (attributs
volPiedsExploitable).
5. Les scénarios dans la démarche Luberon
a. Principes de création des scénarios
Les scénarios produits au cours de la démarche Luberon sont issus d’un processus de co-construction
en deux étapes :
- L’élaboration des scénarios se veut d’abord qualitative (Lasseur, non paru) :
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
76
« Un exercice de prospective a été proposé en laissant libre choix aux membres du groupe d’imaginer
les grands changements à venir autour des activités forestières ou d’élevage ».
Ainsi, chaque participant du groupe de pilotage est libre de proposer une piste de scénario qui sera
ensuite explorée au cours d’une deuxième phase ;
- La construction des scénarios se veut ensuite plus quantitative, puisqu’il s’agit de traduire
en procédures les évolutions identifiées par les participants. Le document « scénario élevage »,
reproduit en annexe 3, rend compte de cette transition entre le descriptif du scénario et sa
traduction concrète, nécessaire avant l’implémentation. Une fois implémenté, les scénarios prennent
la forme de simulations du modèle SMA.
b. La granularité temporelle des scénarios
Les simulations se déroulent sur un horizon temporel de 10 ans, soit 120 mois, puisque le niveau
mensuel a été choisi comme pas de temps dès le début de la démarche. Ces choix de granularité
temporelle du modèle Luberon sont stratégiques : ils résultent à la fois de compromis entre
participants, mais aussi de compromis entre les participants et des contingences plus techniques
liées à la modélisation. A ce titre, cette granularité temporelle est parfois remise en cause par les
participants.
Ainsi, certains porteurs des thématiques « élevage » mentionnent les limites relatives au pas de
temps mensuel, considéré comme insuffisant pour simuler des dynamiques comme l’estive ou
encore la construction du calendrier de pâturage par un éleveur. La quinzaine aurait été selon eux
plus un pas de temps plus adapté, mais aussi plus lourd à manipuler dans le cadre de la modélisation.
Les forestiers notent quant à eux la difficulté de raisonner un aménagement forestier sur une durée
aussi courte que la décennie.
c. Les principaux scénarios construits dans la démarche Luberon
Les scénarios élaborés dans la démarche Luberon sont constitués d’un ensemble de modules, eux-
mêmes formant un ensemble de procédures et de points de vue. On appelle « modules » les
variantes possibles des simulations qui peuvent se développer autour d’une base commune à tous
les scénarios (principalement les procédures simulant l’évolution du climat, de la végétation et de
l’occupation du sol). On présentera ici les principaux scénarios à partir des modules qui les
composent et qui peuvent faire varier les éléments d’incertitude que l’on veut tester. Pour chaque
scénario, on mentionnera les composantes du modèle qui sont impactées et les points de vue à
partir desquels les participants peuvent apprécier ces impacts. On note ici que certains modules
encore peu utilisés sont pour l’instant laissés de côté (module « débroussaillements Natura 2000 »,
module « rapaces »).
- Scénario de base / tendanciel
Ce scénario permet de créer des simulations « témoins » à partir desquelles pourront être évalués les
autres scénarios. Malgré l’apparente simplicité de cet objectif, les partenaires ne parviennent pas à
bien le définir, puisque deux objectifs bien distincts cohabitent. Doit-on considérer ce scénario
comme un scénario de base représentant une unique activité ayant un impact territorial, à savoir
l’élevage, ou plutôt comme un scénario tendanciel, capable de simuler l’évolution du territoire dans
l’état actuel des pratiques ayant un impact sur le milieu ?
La première option a été longtemps favorisée : en effet, lors des phases de calibrage, ce scénario
constitue un scénario de référence permettant d’isoler la composante « élevage », à partir de
procédures permettant de simuler les dynamiques de pâturage qui ont un impact sur les évolutions
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
77
de l’occupation du sol (points de vue spatiaux), ainsi que les dynamiques des exploitations (points de
vue propres aux déficits d’alimentation des troupeaux). Les autres pratiques sur le milieu (gestion
forestière…) ne sont pas intégrées. Ce scénario permet notamment de faciliter la lecture des
résultats pour mieux paramétrer les procédures propres à l’évolution des ressources et du pâturage.
Il intègre le module de débroussaillements DFCI.
La seconde option est adoptée plus récemment ; plus ambitieuse, elle vise à construire un scénario
« tendanciel ». Concrètement, l’élaboration de ce scénario nécessite d’ajouter les modules
considérés comme reflétant des pratiques actuellement mises en œuvre sur le Luberon. Pour
l’instant, seul le module « exploitation de routine en bois de chauffage » est réellement intégré, ce
qui permet malgré tout l’utilisation de nouveaux points de vue spatiaux permettant de visualiser les
zones de conflits potentiels entre l’élevage et l’activité forestière (zone de mise en défens).
Les difficultés d’élaboration de ce scénario mettent en évidence la difficile définition de la
« tendance » : doit-on par exemple considérer l’incendie comme un élément tendanciel propre à
l’écosystème, ou plutôt comme une composante trop ponctuelle dont l’impact devrait-être testé
dans un scénario à part ? Si les avis divergent sur cette question, l’idée de différencier le scénario
« tendanciel » d’un scénario « tendanciel + module incendie » l’emporte.
De la même façon, le module de « débroussaillements Natura 2000 » n’est pas intégré dans ce
scénario mais est considéré comme un scénario à part, malgré l’existence de mesures agro-
environnementales sur la zone modélisée.
- Scénario « changement climatique »
Ce scénario reprend les bases du scénario tendanciel en y rajoutant les procédures propre au module
« changement climatique ». Ces procédures ont un impact sur les probabilités de pousse de l’herbe,
des cultures fourragère et des céréales. Elles n’influencent en revanche pas l’évolution des
ressources forestières et la dynamique des formations végétales.
Ce qui est testé ici, c’est la capacité des éleveurs à maintenir un niveau de pâturage suffisant malgré
des changements climatiques qui ont un impact sur la ressource herbacée. Les indicateurs mobilisés
ici sont des indicateurs de déficit de pâturage.
- Scénario « baisse des revenus des éleveurs » (voir annexe 3)
Ce scénario reprend les bases du scénario tendanciel en y rajoutant les procédures d’adaptation des
exploitations aux évolutions du marché de la viande ovine. La baisse des revenus implique une
réorganisation de l’élevage sur le territoire, avec des éleveurs qui abandonnent et d’autres qui se
réorganisent. Certains passent en filière courte pour obtenir une meilleure valorisation de l’agneau.
Ce scénario a deux intérêts dans la démarche :
- Il permet aux participants de réfléchir puis de construire une trajectoire potentielle
d’évolution des populations d’éleveurs et de brebis sur le territoire en cas d’évolution des cours de la
viande. Certains indicateurs chiffrés (nbEleveurs) sont ainsi mobilisés pour analyser les diverses
trajectoires des éleveurs et la qualité de la représentation proposée par les porteurs des thématiques
« élevage ».
- Il offre la possibilité d’étudier les impacts potentiels d’une telle baisse sur l’emprise
territoriale des éleveurs, et donc sur les dynamiques d’évolution des formations végétales en
l’absence de pâturage (points de vue spatiaux).
- Scénario « bois-énergie »
Ce scénario reprend les bases du scénario tendanciel en y rajoutant les procédures propres à
l’exploitation de bois-énergie. Il permet de tester les impacts potentiels sur le territoire d’un projet
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
78
concret, l’installation d’une centrale de co-génération à Apt. Dans le modèle, ce projet implique la
création d’une demande en bois-énergie à mobiliser sur le territoire. Les modalités de la récolte à
mettre en œuvre à l’échelle du territoire pour remplir cette demande sont mentionnées en annexe 1.
Les objectifs de ce scénario sont nombreux et peuvent parfois différents selon les partenaires. Il
s’agissait notamment:
- d’évaluer si l’ensemble de la forêt permettait d’alimenter la demande en bois-énergie, et
donc de tester la durabilité des prélèvements2 ;
- d’analyser l’impact potentiel de ces coupes sur le paysage, en localisant les grandes
parcelles passées en coupes rases ;
- d’analyser l’impact potentiel sur l’accessibilité des éleveurs aux parcours forestiers, en
localisant les espaces de parcours mis en défens à cause des coupes (par l’intermédiaire du pov
coupeEleveur). L’objectif était au final d’identifier des éleveurs pour lesquels les mises en défens
pouvaient occasionner des pertes de ressources pâturables mobilisables, et donc d’identifier des
déficits de pâturage directement liés à l’exploitation forestière.
d. La diversité des scénarios modélisés
La description des scénarios présentés plus hauts nous permet de dégager certains points importants
sur la dimension prospective de la démarche. Conformément aux objectifs divers mentionnés plus
haut, le statut et les objectifs associés aux scénarios construits sont multiples.
- Le statut des « points d’entrée » pour les scénarios construits
On remarque tout d’abord la cohabitation de deux types de modules au sein des scénarios modélisés
dans le cadre de la démarche Luberon. Les « points d’entrée » (Promotion-FNS, 2009) dans le
système peuvent ainsi être de deux sortes :
- Les scénarios « changement climatique », « incendie » ou encore « baisse des cours » sont
construits autour de facteurs externes, non maîtrisables par les acteurs locaux ; l’objectif est alors de
tester la résilience potentielle du système face à des changements probables, plus particulièrement
d’explorer la capacité des éleveurs à s’adapter à ces évolutions. Le scénario « baisse des cours »
constitue sans doute le scénario exploratoire le plus intéressant dans une perspective de
concertation avec les acteurs locaux. En effet, en présentant une véritable trajectoire d’évolution des
différents types d’éleveurs, il propose un cadre pertinent pour mener une discussion avec ces
acteurs. Les facteurs les plus pertinents à considérer pour analyser la viabilité des exploitations par
rapport à ce changement nous semblent particulièrement intéressants à analyser.
- Les scénarios « bois-énergie » et Natura 2000 sont construits différemment : ils constituent
des scénarios stratégiques (Simon & al., 2006) qui permettent de tester des choix potentiels de
gestion, sur lesquels les acteurs mobilisés peuvent influer. Ainsi, le scénario « bois-énergie » offre
l’opportunité aux agents du PNR de tester différentes modalités de récolte et d’analyser ces
modalités par rapport à des indicateurs paysagers.
L’intérêt de cette description réside dans la cohérence qui se dégage entre les objectifs poursuivis
par les divers partenaires et les outils qu’ils créent, notamment les scénarios. L’opposition (certes
simpliste) entre des partenaires partisans d’une approche exploratoire et d’autres plus orientés vers
des objectifs de gestion se retrouve ainsi nettement dans les types de scénarios mobilisés.
- Un statut encore flou pour certains modules
2 Certains indicateurs chiffrés permettent par exemple d’identifier des dynamiques de décapitalisation potentielle à l’échelle du territoire
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
79
Si les scénarios listés précédemment sont bien identifiés et ont bénéficié de nombreuses heures de
développement, d’autres modules sont développés sans que leur statut et leur utilisation ne soit
réellement définis par le groupe de co-construction. C’est le cas notamment des deux modules à
dominante environnementale, à savoir le module « Natura 2000 » et le module « rapaces ».
Le premier ensemble de procédures vise à modéliser le fonctionnement des MAET sur certains
espaces, en introduisant des règles de débroussaillement sur des espaces en milieu ouvert prioritaire
pâturé par les troupeaux. D’abord développé comme un « scénario » à part entière pour étudier les
réorganisations territoriales liées aux incitations, ce module est progressivement intégré au scénario
tendanciel, certains participants arguant du fait que ces débroussaillements sont actuellement mis
en œuvre.
Le groupe connait des difficultés lors du développement du module, liées notamment à la répartition
des éleveurs sur le territoire : en effet, les crêtes du Grand Luberon, situées en zone MAET dans la
réalité, ne sont pas pâturées dans le modèle (voir annexe 9). La modélisation de ces mesures se
heurte au manque de réalisme de la cartographie initiale des territoires des éleveurs, ce qui pose
problème pour définir clairement le statut et le contenu de ce module.
Le module « rapaces » vise à modéliser les impacts potentiels de l’exploitation forestière en bois-
énergie sur des populations de circaètes implantées sur certaines cellules de l’environnement (voir
procédure majRapaces dans annexe 1). Les procédures liées à ce module additionnel au scénario
« bois-énergie » ont été développées dans le cadre du jeu de rôles pour ensuite être introduites
tardivement dans le modèle SMA. Elles ne bénéficient donc pas d’un processus de co-construction
complet, puisque peu de simulations ont été produites pour les confronter aux représentations des
acteurs et pour les valider. L’absence de données clairement établies sur la dynamique de population
des circaètes sur le territoire, notamment sur leur nombre, limite la solidité de ce module. La
question des modalités d’utilisation de ces procédures reste à l’heure actuelle sujette à polémique.
- Des scénarios sectoriels
On a noté plus haut l’opposition entre des scénarios exploratoires visant à tester la résilience du
système et des scénarios de gestion. Les différences entre les scénarios tiennent aussi à leur
thématique dominante et aux personnes qui portent l’élaboration des modules correspondant. Ainsi,
à un scénario « élevage » (« baisse des cours ») développé par les agents des institutions de conseil
pour l’élevage et par le chercheur de l’INRA s’oppose un scénario « bois-énergie » (avec module
« rapaces ») plus orienté vers la gestion forestière, développé par les agents du PNR et du CRPF. Le
scénario « changement climatique » est développé quant à lui uniquement par les acteurs de
l’élevage, puisque cette évolution n’a pas d’impact direct sur les ressources en bois.
Au final, les scénarios créés sont assez sectoriels, avec une opposition nette entre les scénarios
« élevage » et le scénario de gestion forestière. Contrairement à la démarche menée sur le Causse
Méjean pour laquelle les scénarios de gestion portés par les différentes institutions étaient construits
puis combinés (Etienne & Le Page, 2002), les croisements entre scénarios sont peu nombreux, ce qui
peut être lié à la nature diversifiée des facteurs de changement mais aussi au manque de temps pour
réaliser pleinement cette hybridation.
Certains croisements sont malgré tout effectués : ainsi, le point de vue spatial coupeEleveur localise
les zones de coupe mises en défens sur le territoire des éleveurs. Pour autant, si les participants
envisagent la création de « coupe sylvopastorale » permettant une amélioration de la ressource
pastorale sur ces espaces, les voies de gestion de ces situations de conflit ne sont pas approfondies ni
implémentées dans le modèle faute de temps. L’hybridation des différentes thématiques apparaît
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
80
ainsi ponctuellement, sans que cette hybridation ne soit systématiquement explorée dans le cadre
de la démarche.
L’étude des choix de construction du modèle SMA met en avant la cohérence entre les discours des
acteurs et les choix réalisés au cours de la démarche de modélisation. L’hypothèse selon laquelle
l’analyse des objets et dispositifs produits au cours d’une démarche participative est nécessaire à sa
compréhension apparaît validée. La diversité des approches portées par les participants se retrouve
ainsi dans la structure même du modèle, que ce soit dans sa granularité spatiale ou temporelle, dans
le degré de réalisme proposé ou encore dans les différents scénarios produits.
L’analyse de ces choix de construction pourrait être faîte de la même façon pour le jeu de rôles
élaboré dans le cadre de la démarche Luberon. Pour autant, en raison de l’absence de données
précise sur cette construction et surtout d’observations des sessions de jeu, on préfèrera étudier ce
jeu de rôles dans une perspective dynamique, qui s’applique à retranscrire la transition du SMA vers
le jeu de rôles.
3. Une analyse dynamique du processus d’accompagnement
La description du modèle Luberon porte principalement sur la version actuelle, définie à un instant t,
plutôt que sur le processus de construction en lui-même. Si cette description a permis de mettre en
évidence une certaine cohérence entre les discours et les choix de construction portés par les
différents acteurs du groupe de pilotage, elle ne permet pas en revanche d’analyser les évolutions de
ces choix en interaction avec les évolutions du collectif, collectif qui implique ponctuellement
d’autres acteurs que ceux du groupe de pilotage. Il s’agit ici d’étudier cette co-évolution (Figure 4),
en proposant une lecture dynamique du processus.
Selon Lasseur (non paru), la démarche suivie dans le Luberon s’apparente à « un processus long et
non-linéaire avec de fréquentes opportunités de suivre des pistes différentes en fonction de
différentiels d’investissement de tel partenaire « tirant la problématique » sur ses champs
d’investigation ou tel autre prenant de plus en plus de distance… ».
Il nous semble intéressant de nous pencher sur ce « cheminement », sur les « pistes » suivies par la
démarche lors de phases ou d’événements identifiés comme « charnières ». L’enchaînement entre
les phases identifiées ici n’est pas nécessairement linéaire mais vise plutôt à mettre en évidence
l’évolution des choix réalisés lors de la création des différents produits de la démarche. L’implication
et l’investissement différenciés des acteurs quant à la création de ces produits seront
particulièrement étudiés.
L’analyse du processus se base sur une sélection de modèles qui concrétisent des configurations
successives de la mobilisation des acteurs, des intérêts qu’ils portent et des interactions entre eux
(Lémery & al., 1997) . On décrira ces modèles à partir de points que l’étude du SMA a permis
d’identifier comme étant stratégiques (taille du pixel, granularité temporelle, niveau de réalisme…).
Ces éléments de description nous servent d’indicateurs pour évaluer les dynamiques à l’œuvre lors
des phases de transition d’un modèle à un autre.
Gratecap Jean-Baptiste
A. Du modèle conceptuel au modèle informatique
Figure 12 : Modèle conceptuel ARDI co-
renvoient aux acteurs, les cadres verts aux ressources et les différentes flèches aux interactions (procédures dans le modèle
N’ayant pas participé à l’initialisation de la démarche, la comparaison entre le modèle conceptuel
construit avec la méthode ARDI (
comparaison thématique. Il s’agit principalement de voir la façon dont ce modèle conceptuel a été
implémenté et s’il existe des différences notables avec la dernière version en date du modèle
informatique.
1. Un glissement thématique important
L’étude du modèle conceptuel initial montre un glissement thématique important
le modèle informatique, la question de la viabilité des exploitations se limite principalement à l’étude
des déficits en ressources pâturables, le modèle conceptuel présent
complète pour analyser la dynamique de ces exploitations. L’éleveur est ainsi connecté à de
nombreux acteurs différents (le maire, l’agriculteur, le propriétaire foncier), ce qui n’est pas le cas
dans le modèle informatique où le
cultivés ou de subventions sont évacuées. Les mécanismes de mise à disposition des terres par les
agriculteurs pour le pâturage ne sont ainsi pas modélisés.
L’étude comparative des deux schémas
de co-construction autour d’une thématique dominante, à savoir l’impact de l’élevage sur les
« paysages », c'est-à-dire les formations végétales. Au contraire les éléments politiques (maire,
mécanismes d’aides publiques…) sont évacués. Au final, on note que seuls les acteurs ayant un
impact direct sur les ressources (éleveurs et forestiers) sont implémentés
Mémoire FNS 2009
81
u modèle conceptuel au modèle informatique
-construit avec le groupe de pilotage au début de la démarche. Les cadres blancs
renvoient aux acteurs, les cadres verts aux ressources et les différentes flèches aux interactions (procédures dans le modèle
N’ayant pas participé à l’initialisation de la démarche, la comparaison entre le modèle conceptuel
I (Figure 12) et la structure du modèle SMA (Figure
comparaison thématique. Il s’agit principalement de voir la façon dont ce modèle conceptuel a été
implémenté et s’il existe des différences notables avec la dernière version en date du modèle
Un glissement thématique important
le conceptuel initial montre un glissement thématique important
le modèle informatique, la question de la viabilité des exploitations se limite principalement à l’étude
des déficits en ressources pâturables, le modèle conceptuel présente une vision beaucoup plus
complète pour analyser la dynamique de ces exploitations. L’éleveur est ainsi connecté à de
nombreux acteurs différents (le maire, l’agriculteur, le propriétaire foncier), ce qui n’est pas le cas
dans le modèle informatique où les questions de dépendance territoriale par rapport aux espaces
cultivés ou de subventions sont évacuées. Les mécanismes de mise à disposition des terres par les
agriculteurs pour le pâturage ne sont ainsi pas modélisés.
L’étude comparative des deux schémas montre bien une dynamique de cristallisation du processus
construction autour d’une thématique dominante, à savoir l’impact de l’élevage sur les
dire les formations végétales. Au contraire les éléments politiques (maire,
smes d’aides publiques…) sont évacués. Au final, on note que seuls les acteurs ayant un
impact direct sur les ressources (éleveurs et forestiers) sont implémentés
Mémoire FNS 2009-2010
construit avec le groupe de pilotage au début de la démarche. Les cadres blancs
renvoient aux acteurs, les cadres verts aux ressources et les différentes flèches aux interactions (procédures dans le modèle).
N’ayant pas participé à l’initialisation de la démarche, la comparaison entre le modèle conceptuel
Figure 10) se limite à une
comparaison thématique. Il s’agit principalement de voir la façon dont ce modèle conceptuel a été
implémenté et s’il existe des différences notables avec la dernière version en date du modèle
le conceptuel initial montre un glissement thématique important : en effet, si dans
le modèle informatique, la question de la viabilité des exploitations se limite principalement à l’étude
e une vision beaucoup plus
complète pour analyser la dynamique de ces exploitations. L’éleveur est ainsi connecté à de
nombreux acteurs différents (le maire, l’agriculteur, le propriétaire foncier), ce qui n’est pas le cas
s questions de dépendance territoriale par rapport aux espaces
cultivés ou de subventions sont évacuées. Les mécanismes de mise à disposition des terres par les
montre bien une dynamique de cristallisation du processus
construction autour d’une thématique dominante, à savoir l’impact de l’élevage sur les
dire les formations végétales. Au contraire les éléments politiques (maire,
smes d’aides publiques…) sont évacués. Au final, on note que seuls les acteurs ayant un
impact direct sur les ressources (éleveurs et forestiers) sont implémentés dans le modèle
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
82
informatique ; au contraire, les acteurs ayant un impact sur les pratiques des éleveurs ne sont pas
intégrés.
On peut penser ici que le choix de la structure spatialisée du modèle a eu un impact important sur
cette cristallisation ; en effet, il est plus simple de modéliser une dynamique d’embroussaillement sur
un automate cellulaire que des processus d’adaptation des exploitations aux changements. Le choix
de l’outil pourrait orienter ici le choix de la problématique, tout simplement parce que l’outil ne
permet une bonne représentation de certaines dynamiques (Abbot & al., 1998).
2. Des limites liées aux données mobilisables
Les données mobilisables peuvent également expliquer les évolutions thématiques observées entre
le début de la démarche et la réalisation effective du modèle informatique. Ainsi, certaines
thématiques environnementales ne sont pas traitées faute de données ou de connaissances
suffisantes ; c’est le cas par exemple de la question de la biodiversité liée aux plantes messicoles dans
les prairies mésophiles, portée notamment par un agent du PNR :
Agent du PNR : Je ne peux pas te dire aujourd’hui si l’élevage disparaît sur Caseneuve ça met en péril
de façon précise telle espèce parce que je pense que tout simplement on n’a pas suffisamment de
données là-dessus. On a au PNR plus de données sur le pastoralisme de milieux ouvert et bio diversité
que sur agro-ecosystème et biodiversité. (…).
L’animateur : S’il n’y a pas les connaissances on ne va pas pouvoir les représenter dans un modèle.
De la même façon, le rôle de chasseur est mentionné dans le schéma conceptuel sans être
implémenté dans le modèle faute de connaissances chez les experts mobilisés (voir annexe 6.d). Ici
c’est bien la disponibilité de la donnée qui conditionne la représentation dans le modèle SMA.
3. Des effets de modes ?
On note l’apparition de l’acteur « loup » sur le schéma conceptuel ; l’implémentation de cet agent
dans le modèle informatique est envisagée au début de la démarche, ce que confirme la présence
d’une entité « loup » dans le modèle informatique. Pour autant, cette piste n’est pas explorée par les
membres du groupe de pilotage. Ce phénomène d’apparition ou de disparition de thématiques
ponctuelles au cours de la démarche peut être lié à des effets de modes.
B. Du SMA au jeu de rôles
Barnaud (2008) met en évidence la possibilité d’établir un « parallèle » entre le SMA et le jeu de
rôles, notamment lors d’une utilisation conjointe de ces outils. On se propose ici de reprendre ce
parallèle pour analyser l’étape charnière d’élaboration du jeu de rôles et le « degré de filiation »
entre le SMA et ce jeu de rôles (Figure 13).
1. Les objectifs : deux versions pour un jeu de rôles
Lors des réunions d’élaboration du jeu de rôles auxquelles sont intégrés deux éleveurs en plus du
groupe de pilotage (mai 2009, voir Figure 4), deux versions de jeux de rôles se dégagent :
- La première s’oriente vers un objectif d’acquisition de connaissances ; le relevé de décision
mentionne ainsi la possibilité d’analyser les « critères et seuils de décision permettant l’apparition de
nouvelles formes d’activité d’élevage sur le territoire naturel » ou encore l’« adaptation de divers
types d’éleveurs à de nouvelles conditions de production ».
- La seconde repose sur la possibilité d’utiliser le jeu de rôles comme un outil de sensibilisation.
L’agent du PNR souhaite ainsi « faire partager les enjeux environnementaux du PNR ».
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
83
En fonction de ces objectifs divergents, la construction et le fonctionnement du jeu de rôles ne
seront pas les mêmes. On présentera ici les deux versions envisagées et les dispositifs associés, avant
de s’intéresser aux modalités de choix entre ces deux versions.
Eléments de description d’un jeu de rôles Jeu de rôles Luberon
Supports Un modèle informatique Un plateau de jeu concret
Représentation de « l’environnement » Environnement « reconstitué »
Territoire modélisé 3 communes fictives mais représentatives d’une configuration
Taille de la cellule 2,25 ha
Durée des simulations 12 ans (4 tour de jeu)
Pas de temps mois
Durée du tour 3 ans
Rôles / Joueurs (les rôles sont prévus pour être joués par de « vrais » joueurs)
4 éleveurs 1 forestier 1 naturaliste 1 maire
« Surprises » implémentées (scénarios intégrés dans la partie)
Scénario changement climatique de base dans le modèle informatique Scénario bois-énergie Evolution des territoires des éleveurs
Figure 13 : « Fiche signalétique » du jeu de rôles Luberon. Ce tableau récapitule l’ensemble des choix majeurs faits lors de
la conception de ce jeu de rôles. En rouge, les éléments ayant connu une évolution importante par rapport au modèle
SMA.
a. Un jeu orienté vers l’acquisition de connaissances
La première orientation, portée principalement par l’un des chercheurs de l’INRA et par les agents
des institutions de conseil pour l’élevage, repose sur la volonté de valider les connaissances
formalisées dans le modèle SMA à partir d’une mise en situation des éleveurs. Il s’agit de tester,
d’améliorer ou de revoir les connaissances expertes mobilisées dans la démarche sur le
fonctionnement des élevages ovins (mobilité, types de parcours utilisés, calendrier de pâturage…).
Cet objectif repose sur un dispositif de jeu particulier, dans lequel chaque joueur joue son propre
rôle. En effet, l’observation des choix réalisés par un maire jouant le rôle d’un éleveur ne permet pas
d’en déduire des régularités de comportement propres aux éleveurs. Au contraire, si l’éleveur est mis
en situation pour jouer son propre rôle, il devient possible « de mieux comprendre les motivations qui
justifient les comportements et de discuter le lien entre le modèle joué et la réalité » (ComMod,
2009). Ce dispositif repose sur l’hypothèse que l’on peut accéder aux pratiques et aux stratégies d’un
groupe à partir de leurs comportements dans le jeu ; le manque de données d’observation des
sessions ne nous permet pas d’apporter des éléments de validation ou de rejet de cette hypothèse.
La mise en œuvre de cet objectif nécessite un dispositif offrant un maximum de liberté aux joueurs ;
si les choix disponibles au cours de la partie sont trop restreints, l’observation des comportements et
des critères de décision ne pourra être considérée comme pertinente.
b. Un jeu orienté vers la sensibilisation
La seconde orientation, portée par l’agent du PNR mais aussi par l’un des éleveurs ayant participé au
temps forts collectifs, repose sur un objectif de sensibilisation des participants. Pour l’agent du PNR,
le jeu de rôles pourrait ainsi permettre de sensibiliser les élus aux problématiques
environnementales portées par son institution. L’éleveur envisage quant à lui une utilisation du jeu
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
84
de rôles pour sensibiliser les différents acteurs (maire, forestier, naturaliste…) « à la problématique
de l’élevage », plus particulièrement aux contraintes des éleveurs. Il s’agit ici de faire prendre
conscience des contraintes propres à chaque catégorie d’acteurs pour améliorer les interactions
entre les participants. En revanche, l’apport en termes de connaissances scientifiques pour la
compréhension des stratégies des acteurs est faible.
Cette orientation nécessite un dispositif différent, dans lequel les participants jouent un rôle qui n’est
pas le leur dans la réalité. On voit bien ici que le dispositif choisi (faire jouer aux participants leur
propre rôle ou faire jouer des participants « candides ») conditionne fortement les résultats
potentiels des sessions de jeu.
c. L’élaboration de rôles d’ « experts »
Au final, la version actuelle du jeu Luberon mobilise des joueurs dans leur propre rôle (première
option). L’accent a été mis principalement sur l’acquisition de connaissances plutôt que sur la
sensibilisation. L’objectif est de voir comment se traduit concrètement cette orientation.
L’enjeu pour les concepteurs du jeu consiste à créer des rôles assez libres pour permettre au joueur
de coller au plus près à ses pratiques et à ses critères de décision. Cette option fait que le rôle de
l’éleveur est très spécialisé, ce qui rend difficile l’adaptation du jeu pour un joueur candide. Ainsi, on
demande au début du jeu à l’éleveur de i) constituer son territoire d’exploitation en choisissant
notamment les zones de parcours ii) d’établir un calendrier de pâturage, en choisissant notamment
les types d’espaces à pâturer ainsi que les rations à attribuer en fonction des mois et des troupeaux.
Au final, faire jouer le rôle de l’éleveur à un joueur naïf est difficilement envisageable.
De la même façon, le rôle de l’animateur Natura 2000 est construit pour laisser un maximum de
marges de manœuvre au joueur, ce qui limite la participation de non-experts. Celui-ci doit par
exemple définir au début du jeu les enjeux environnementaux qu’il considère comme étant les plus
importants. La difficulté pour les concepteurs consiste à anticiper l’ensemble de la gamme de choix
potentiels afin d’implémenter les points de vue correspondant dans la version informatique du jeu.
Ainsi, si le joueur considère que la protection des rapaces est un enjeu majeur, le maître du jeu doit
être capable de lui fournir un point de vue qui localise les zones d’habitat des rapaces en question.
d. Un choix implicite
Si le premier temps fort collectif dégage les deux orientations potentielles du jeu de rôles, la version
actuelle du jeu est plus orientée vers l’acquisition de connaissances. Il s’agit d’analyser ici le
processus de décision qui aboutit à cette version.
Suite à la première réunion de cadrage, les chercheurs de l’INRA (dont nous faisons partie) sont
chargés de créer un prototype du jeu de rôles qui permettra de proposer une première traduction
concrète des décisions prises lors du temps fort collectif. Ces chercheurs choisissent explicitement de
privilégier l’option « acquisition de connaissances ». La volonté de tester les orientations prises dans
le SMA implique de remplacer les agents du modèle par de vrais joueurs, aptes à dire si la
représentation proposée est pertinente ou non. Ainsi, la précision de la caractérisation des types
d’élevage dans le modèle SMA se retrouve telle qu’elle dans les formulaires du jeu, ce qui implique
un déséquilibre initial entre les rôles d’éleveurs et les autres rôles, beaucoup moins développés.
Au contraire, l’option « sensibilisation » telle que souhaitait la développer certains partenaires est
clairement minorée. L’animateur/concepteur du jeu de rôles refuse d’emprunter cette voie et
dénonce le risque de manipulation : en effet, faire jouer des acteurs « candides » implique de flécher
beaucoup plus le rôle et donc de limiter les marges de manœuvre du joueur. Concrètement, plutôt
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
85
que de laisser le choix des enjeux environnementaux au naturaliste, ces choix sont imposés, ce qui
laisse la possibilité aux concepteurs du jeu de mettre en avant tel ou tel enjeu plutôt qu’un autre.
On note ici le problème de transparence posé par ce choix. Ainsi, les membres du comité de pilotage
ne prennent conscience de la tournure qu’a prise le jeu que lors du temps fort collectif suivant :
Agent conseil élevage : Ce n’est pas pour que le maire se mette à la place de l’éleveur…
Chercheur élevage : IL faudra sans doute pour arriver à cela une version très simplifiée…
Agent PNR : Moi je suis incapable de faire l’éleveur… il me faut beaucoup plus d’informations, du coup
ça prend un 1/2h de lecture…
Agent conseil élevage : Je ne sais pas mais j’imagine que le but ça peut être que les gens qui ne sont
pas éleveurs prennent conscience des contraintes des éleveurs pour mettre en place un système.
Agent PNR : C’est seulement par la discussion (…) Par contre le système d’élevage je ne vais pas
rentrer dedans…
Ainsi, l’idée de faire jouer à des novices les rôles d’éleveurs est abandonnée. La sensibilisation des
acteurs aux contraintes des éleveurs passe alors par les moments d’interaction directe entre joueurs.
Le choix du dispositif du jeu de rôles s’inscrit dans la lignée de la démarche de modélisation. Les
participants cherchent à créer un outil complémentaire au SMA, qui permette de tester avec de vrais
acteurs les procédures intégrées dans le SMA. Pour autant, le passage au jeu de rôles ne peut se
borner au seul objectif d’acquisition de connaissances. La possibilité de faire discuter au travers du
jeu de rôles les acteurs chargés de la gestion du territoire constitue un objectif clairement intégré par
les participants, ce dont témoignent les nombreux ajustements nécessaires au format choisi.
2. Des remises en cause liées au format
La transition du format « SMA » au format « jeu de rôles » implique nécessairement une adaptation
des caractéristiques du modèle à celles du support (Figure 13). Le passage au jeu de rôles nécessite
de s’adapter à un ensemble de contraintes rappelées constamment par l’animateur au cours de la
phase de co-construction. Nous exposons ici certains « principes » tirés de l’observation des
pratiques de l’animateur de la démarche, ainsi que les implications concrètes issues de ces principes.
a. Une « mise en situation distanciée » : la question du plateau de jeu
La question de la représentation du territoire se pose nécessairement, que se soit pour la
construction d’un modèle SMA ou dans un jeu de rôles. Néanmoins, le changement d’outil induit une
révision des critères de choix. Si le modèle SMA peut se baser sur une représentation réaliste d’un
territoire, l’environnement des jeux de rôles construits dans le cadre du réseau ComMod est souvent
simplifié et stylisé, afin de permettre une « mise en situation distanciée » (Bousquet & al., 2002).
L’élaboration de l’environnement du jeu de rôles (plateau de jeu) doit ainsi éviter une représentation
trop aboutie de la réalité tout en restant reconnaissable.
Ce type de représentation permet au joueur de s’abstraire de la réalité qui peut parfois « polluer » la
partie et les échanges entre acteurs. Les modélisateurs développent donc un territoire plus simple
que celui du SMA, basé sur 3 communes fictives représentatives de la diversité des configurations
spatiales (répartition espaces cultivés/espaces naturels) pour l’ensemble de la zone (Figure 14).
Néanmoins, cette simplification est mal vécue par les tenants d’un territoire réaliste. Certains
membres du comité de pilotage souhaitaient ainsi utiliser la carte du SMA en extrapolant les choix
réalisés par les joueurs à l’ensemble du territoire.
La compréhension du plateau de jeu par l’ensemble des joueurs nécessite i) une représentation
simplifiée, basée notamment sur un nombre limité de catégories d’occupation du sol ii) des
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
86
catégories reconnaissables pour tous les joueurs présents. Cette simplification doit néanmoins tenir
compte des représentations propres aux différents rôles : ainsi, il peut être important de conserver
une certaine complexité pour bien représenter les différents territoires des acteurs.
Ces deux exigences entrent en contradiction lors de l’élaboration de la légende des types
d’occupation du sol. Si le passage au jeu de rôles entraîne une simplification de la typologie (passage
de 26 à 15 catégories), cette simplification est insuffisante pour permettre une lecture simple de la
carte par l’ensemble des joueurs. Ces difficultés de lecture sont soulignées par les éleveurs mobilisés
et par l’animateur qui trouve la carte trop complexe.
Pourtant, les partenaires souhaitent conserver la complexité malgré les problèmes de lecture.
L’ensemble des catégories d’espaces naturels est ainsi conservé, afin de pouvoir caractériser
finement les choix de parcours des éleveurs en fonction des mois. Pour les espaces cultivés, une
simplification est envisagée mais on conserve au final de nombreuses catégories pour tester
l’attractivité des différents sièges d’exploitation proposés.
b. Créer des espaces d’interactions entre les joueurs
Le jeu de rôles élaboré au cours de la démarche Luberon est basé sur une alternance de phases
individuelles et collectives. Les phases collectives reposent sur des interactions directes entre
joueurs, autour de « phases de négociation ».
Le calibrage de ces phases collectives est une phase importante de l’élaboration du jeu de rôles. En
effet, si le jeu ne créé pas de dépendances entre les joueurs, les interactions entre acteurs pourraient
être limitées, ce qui remet en cause les mécanismes d’apprentissage collectif recherchés par le
collectif ComMod. Par exemple, les tests réalisés avec le prototype du jeu de rôles montrent que les
zones de parcours prévues sur la carte étaient trop nombreuses, ce qui permet à chaque éleveur de
s’installer sans qu’une quelconque compétitivité ne s’instaure. Pour obliger les éleveurs à échanger
entre eux et à argumenter sur le choix de leurs parcours, une réduction des zones disponibles est
envisagée.
De la même façon, la question des interactions entre joueurs joue lors de la création des zones
accessibles aux parcours et des dessertes forestières. Les concepteurs de la carte s’arrangent ainsi
pour limiter l’accessibilité de certaines zones pour favoriser des potentiels conflits d’usage sur
d’autres espaces recherchés à la fois par les forestiers et les éleveurs. Ces concepteurs souhaitent
ainsi mettre en débat la question de la mise en défens des terrains passés en coupe. Ainsi, des choix
de construction du jeu de rôles peuvent être mis en œuvre en vue de « forcer » certaines discussions
entre les acteurs.
Gratecap Jean-Baptiste
Figure 14 : Carte d’occupation du sol à l’initialisation du jeu de rôles / plateau de jeu.
c. La mobilisation des joueurs
L’implication de joueurs plutôt que d’agents informatiques
intégrés dans le jeu. En effet, il faut pouvoir, pour chaque partie, mobiliser autant de joueurs qu’il y a
de rôles, ce qui nécessite de faire des choix. Ainsi, de 31 éleveurs répartis en 8 types, on passe à 4
éleveurs de types différents, auxquels on ajoute un «
représenter les éleveurs extérieurs qui pâturent le Petit Luberon.
La mobilisation des joueurs ne limite pas seulement le nombre d’agents amenés à interagir sur le
territoire. Par exemple, les partenaires engagés dans l’élaboration du jeu envisagent à un moment la
possibilité pour un joueur d’abandonner ses activités d’élevage, afin d’aborder la question des
changements qui pourraient éventuellement pousser un éleve
d’adaptation est intégrée dans le modèle SMA mais ne peut être retenue dans le jeu de rôles
effet, il est difficile de demander à un joueur de se déplacer pour ensuite sortir du jeu avant la fin. Ici,
les enjeux thématiques du jeu de rôles (tester les différentes voies d’adaptation aux changements) se
heurtent aux contraintes propres à ce support.
Mémoire FNS 2009
87
: Carte d’occupation du sol à l’initialisation du jeu de rôles / plateau de jeu.
La mobilisation des joueurs
L’implication de joueurs plutôt que d’agents informatiques limite nécessairement le nombre de rôles
intégrés dans le jeu. En effet, il faut pouvoir, pour chaque partie, mobiliser autant de joueurs qu’il y a
de rôles, ce qui nécessite de faire des choix. Ainsi, de 31 éleveurs répartis en 8 types, on passe à 4
eurs de types différents, auxquels on ajoute un « robot » (un agent informatique) chargé de
représenter les éleveurs extérieurs qui pâturent le Petit Luberon.
La mobilisation des joueurs ne limite pas seulement le nombre d’agents amenés à interagir sur le
territoire. Par exemple, les partenaires engagés dans l’élaboration du jeu envisagent à un moment la
possibilité pour un joueur d’abandonner ses activités d’élevage, afin d’aborder la question des
changements qui pourraient éventuellement pousser un éleveur à cette extrémité. Cette voie
d’adaptation est intégrée dans le modèle SMA mais ne peut être retenue dans le jeu de rôles
effet, il est difficile de demander à un joueur de se déplacer pour ensuite sortir du jeu avant la fin. Ici,
iques du jeu de rôles (tester les différentes voies d’adaptation aux changements) se
raintes propres à ce support.
Mémoire FNS 2009-2010
: Carte d’occupation du sol à l’initialisation du jeu de rôles / plateau de jeu.
limite nécessairement le nombre de rôles
intégrés dans le jeu. En effet, il faut pouvoir, pour chaque partie, mobiliser autant de joueurs qu’il y a
de rôles, ce qui nécessite de faire des choix. Ainsi, de 31 éleveurs répartis en 8 types, on passe à 4
» (un agent informatique) chargé de
La mobilisation des joueurs ne limite pas seulement le nombre d’agents amenés à interagir sur le
territoire. Par exemple, les partenaires engagés dans l’élaboration du jeu envisagent à un moment la
possibilité pour un joueur d’abandonner ses activités d’élevage, afin d’aborder la question des
ur à cette extrémité. Cette voie
d’adaptation est intégrée dans le modèle SMA mais ne peut être retenue dans le jeu de rôles ; en
effet, il est difficile de demander à un joueur de se déplacer pour ensuite sortir du jeu avant la fin. Ici,
iques du jeu de rôles (tester les différentes voies d’adaptation aux changements) se
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
88
d. Assurer une dynamique de jeu
Contrairement au SMA qui permet de faire cohabiter des granularités variées dans la représentation
des différents agents, le niveau de précision des différents rôles doit être proche afin d’éviter qu’un
des joueurs ne s’ennuie au cours de la partie. La nécessité de maintenir une certaine dynamique pose
un problème important lors de l’élaboration du jeu de rôles. En effet, les réunions de test du
prototype du jeu mettent en évidence une certaine dissymétrie entre la représentation de l’élevage
et les autres activités : les actions prévues pour les éleveurs sont beaucoup plus nombreuses et
complexes que pour les autres rôles, notamment pour le maire et pour le naturaliste qui s’ennuient
en attendant que les éleveurs aient fini de remplir leur calendrier de pâturage.
La nécessité de combler l’attente dans certains rôles constitue une contrainte majeure : ainsi, lors de
la première réunion d’élaboration du jeu de rôles, il est prévu de créer 3 rôles de forestiers (un
propriétaire privé, un agent de l’ONF et un exploitant). Dans la version actuelle du jeu, ces trois
agents sont fondus en un seul, afin d’étoffer un peu plus le rôle. La question des pratiques propres à
l’exploitant forestier est ainsi perdue, ce qui limite sans doute la pertinence de la représentation des
activités forestières. De la même façon, la nécessité d’accélérer l’élaboration des calendriers de
pâturage par les éleveurs oblige les concepteurs à limiter les informations à récolter sur la répartition
des différents types de rations :
L’animateur : Si l’éleveur se concentre sur son calendrier de pâturage, ça limite les interactions (…).
Agent du PNR : Par rapport à l’usage que le Parc voudrait faire du jeu, c’est plus de discuter
d’interactions entre différents acteurs du territoire que l’organisation des pratiques pastorales…
enfin, c’est le point de vue du Parc du Luberon, pas celui de l’Institut de l’élevage…
Agent conseil élevage : La construction du calendrier du pâturage, nous ça fait partie de nos
questions (…) c’est celui qu’on a mis dans le modèle (…) on a besoin de le valider un peu… (…) Peut-
être effectivement ça permet de rentrer plus vite…
Ici, les concepteurs limitent sciemment l’acquisition potentielle de connaissances sur l’élevage afin
de favoriser la dynamique d’échanges entre les différents joueurs. La coexistence de plusieurs
objectifs limite la cohérence du jeu de rôles.
3. L’influence de la modélisation SMA sur le jeu de rôles
Il s’agit ici de voir si le changement de format et l’évolution du collectif mobilisé pour l’élaboration du
jeu de rôles peuvent induire une certaine ouverture de la démarche, ou si au contraire l’influence des
travaux précédents imprègne l’ensemble de cette phase.
a. Une dynamique d’ouverture thématique
Les réunions d’élaboration du jeu de rôles voient l’intégration de nouveaux participants,
principalement des éleveurs. Cette évolution limitée du collectif s’avère importante dans la
démarche, puisqu’elle coïncide avec une remise en cause des choix réalisés lors de l’élaboration du
modèle SMA, qui prend la forme d’un élargissement thématique important.
Ainsi, lors de la première réunion d’élaboration du jeu de rôles, l’un des éleveurs invité remet en
cause l’approche centrée sur le paysage adoptée jusque là, et revient à l’idée de territoire :
« Moi, l’idée de base, c’est le territoire ».
Dans son discours, le « territoire » est perçu comme un espace de vie et d’emploi, ce qui l’amène à se
concentrer sur les déterminants économiques permettant de maintenir les éleveurs sur place, voire
même d’en installer de nouveaux. Conformément à cette perception, cet acteur propose de
nouveaux scénarios à développer, autour de facteurs pouvant avoir des impacts négatifs ou positifs
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
89
sur la population d’éleveurs sur le territoire : il propose ainsi de modéliser l’arrivée du prédateur (le
loup), le temps de travail (rôle de la pluriactivité sur la viabilité d’une exploitation), la question de la
reprise des exploitations… Traiter ces thématiques suppose de développer de nouveaux indicateurs,
comme par exemple du calcul économique à l’échelle de l’exploitation, mais aussi d’intégrer de
nouveaux acteurs dans la démarche d’élaboration du jeu de rôles (maire, agriculteur, chasseur…).
b. Une intégration très limitée dans le jeu de rôles
Si l’intervention de ces éleveurs permet une certaine ouverture thématique dans la démarche, le
temps et les ressources disponibles pour le développement de ces voies sont insuffisants. Le groupe
envisage ainsi de mobiliser les chasseurs pour participer aux sessions de jeu, avant de se raviser
devant l’impossibilité de développer ce rôle dans le temps imparti :
« Du coup, on ne fait pas jouer les chasseurs parce qu’ils ne sont pas dans le modèle » (agent PNR).
L’absence d’une personne ressource sur la chasse dans la démarche rend difficile l’implémentation
de ce rôle, malgré un certain consensus sur la nécessité d’intégrer ces acteurs dans la discussion.
Dans ces conditions, le jeu de rôles doit s’appuyer sur le modèle : au lieu de reconstruire l’ensemble
des procédures nécessaires au fonctionnement du jeu, il est plus simple de les importer du modèle
SMA.
c. Les limites propres aux nouvelles procédures
Le jeu de rôles dérive donc clairement du SMA et conserve ainsi les orientations précédemment
définies pendant la création des diverses procédures. Pour autant, certains éléments sont
développés spécifiquement pour le jeu de rôles : c’est le cas par exemple du rôle du maire ou de
l’enjeu « rapaces »3. Pour autant, la façon dont sont représentés ces éléments dans le jeu de rôles est
problématique.
Les participants à l’élaboration du jeu soulignent tous l’importance du rôle du maire. Néanmoins, en
l’absence d’un élu capable de décrire les interactions entre un maire et les autres types d’acteurs
représentés, l’élaboration de ce rôle pose de nombreux problèmes de jouabilité, à commencer par le
peu d’actions potentiellement réalisables par le joueur. Ensuite, l’absence d’indicateurs propres à ce
rôle limite fortement sa pertinence. L’animateur des sessions de construction le souligne bien :
« Quand il y a des élus, il faut de l’argent ».
Sans système monétaire ou représentation des dynamiques d’urbanisation, le maire manque de
leviers d’action dans le jeu, ce qui appauvrit le rôle. Les limites du modèle SMA quant à la
représentation des enjeux politiques sont transposées dans le jeu de rôles.
De la même façon, la représentation de l’enjeu « rapaces », proposée par l’agent du PNR, souffre de
déficiences. Ces déficiences sont liées à la provenance des données, et à la difficulté de valider ces
données dans le cadre d’une dynamique de co-construction. Le manque de temps et l’absence d’un
expert apte à décrire les dynamiques des populations de circaètes sur le territoire font que ces
données sont sujettes à caution, ce qui met en danger le réalisme et la crédibilité de la démarche :
Agent PNR : Il y a des vautours et des circaètes (…) En gros on va mettre une demi-douzaine de…
Animateur : Une demi-douzaine sur 3 communes ! (…) Tu penses qu’il y a combien de couples de
rapaces sur le territoire ?
Agent PNR : Si tu veux on n’en met que 5…
3 Les procédures propres à l’enjeu « rapaces » sont développées pour le jeu de rôles avant d’être réintégrées dans le modèle SMA.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
90
Animateur : Non, ce que je veux c’est qu’on en mette un nombre qui ne provoque pas dès le début du
jeu un gars qui dise « mais vous avez vu ça où vous ? » (…) Je vous demande juste de faire attention
aux chiffres… On ne peut pas se permettre de balancer des chiffres au hasard.
L’analyse dynamique du passage du modèle SMA au jeu de rôles met en évidence une certaine
inertie de la démarche. En effet, si l’ouverture du collectif et les contraintes propres au jeu de rôles
empêchent une transposition directe du SMA, ce jeu conserve les caractéristiques majeures du
modèle Luberon. Les contraintes de temps et l’absence de personnes ressources sur certaines
thématiques limite le développement d’un jeu de rôles plus ouvert que ne l’est le modèle SMA.
Au final, on note l’existence d’un double mouvement d’ouverture/fermeture dans la démarche : si
les discussions préalables à la création effectives des outils (modèle SMA et jeu de rôles) permettent
une discussion large autour des thématiques territoriales (voir la phase ARDI et les réunions de
préparation pour le jeu de rôles), les phases de création des outils induisent nécessairement un
rétrécissement et une sélection des enjeux à représenter (comme par exemple la cristallisation du
jeu de rôles sur l’enjeu d’acquisition de connaissances auprès des éleveurs). Cette sélection semble
très corrélée à l’outil choisi pour la représentation.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
91
V-Pratiques de co-construction et
produits co-construits dans la
démarche Luberon
« On n’est pas dans une co-construction œcuménique ».
Ce constat formulé par l’un des concepteurs de la démarche met en évidence le fossé qui existe
entre les principes méthodologique de modélisation d’accompagnement et les pratiques concrètes
de co-construction. L’objectif est ici de confronter ces principes et ces pratiques en observant les
interfaces qui se créent entre les acteurs mobilisés et les outils qui constituent les résultats concrets
de la démarche.
L’un des 4 préceptes de la charte ComMod porte sur la nécessité d’une validation de la démarche
(Collectif, ComMod, 2005). L’objet de la validation n’est pas le modèle en lui-même ; il ne s’agit pas
d’évaluer ici la pertinence des résultats simulés mais plutôt la démarche de co-construction à
travers :
- les pratiques déployées par les participants ;
- les pratiques d’implémentation et la posture propres au modélisateur chargé de traduire les
phases collectives de co-construction en procédures informatiques ;
- les produits concrets de la co-construction, en les confrontant aux objectifs annoncés de la
démarche et au cadre d’analyse proposé par Manson (2002).
Cette démarche de validation, forcément relative à l’observation effectuée pendant la période de
stage, s’appuiera sur la description des modèles, du collectif et sur l’analyse dynamique de la
démarche proposés en partie IV. Les procédures d’élaboration décrites ici sont majoritairement
issues de la démarche de co-construction du SMA.
1. Les pratiques des acteurs lors des phases de co-construction
L’analyse des pratiques mobilisées par les différents acteurs de la co-construction (participants et
modélisateurs) se basera sur les différents moments de la démarche (Figure 3) :
- la récolte de données et la création des procédures par les participants ;
- l’implémentation par le modélisateur ;
- la validation des résultats par les participants.
A. Les données mobilisées et la cohérence des procédures
La volonté, affichée dans la démarche, de se baser sur une représentation réaliste du territoire
implique de mobiliser un ensemble important de données. La notion de « données » renvoie ici à la
fois aux informations mobilisées avant la création des procédures (données brutes) et aux
informations qui composent les procédures intégrées dans le modèle.
1. Des données manquantes ou problématiques
La question de l’accessibilité aux données nécessaires à la construction du modèle constitue une
question stratégique qui conditionne en partie la réussite de la démarche. En choisissant de créer un
modèle « réaliste », les partenaires renforcent la dépendance de la co-construction à l’existence de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
92
données valides. Au final, l’analyse dynamique de la démarche montre que le processus se heurte
souvent au manque de données ou à la mobilisation de données problématiques. On propose ici une
typologie rapide des problèmes liés aux données.
a. Des données inexistantes
Certaines données sont tout simplement inexistantes, comme par exemple les indicateurs pour
caractériser le rôle de l’élevage par rapport à la biodiversité en plantes messicoles dans les prairies
mésophiles.
b. Des données non accessibles
Certaines données existent mais ne sont pas mobilisables, notamment pour des raisons de droits.
Ainsi, l’un des participants à la démarche dispose d’une cartographie de la desserte forestière sur le
Luberon mais ne souhaite pas communiquer cette information, ce qui limite fortement la pertinence
du scénario bois-énergie.
c. Le manque d’expertise
Le manque de données peut provenir d’un dispositif participatif trop limité. Ici, ce ne sont pas des
données quantitatives ou spatialisées qui manquent mais plutôt l’expertise nécessaire à la création
des procédures. Le dispositif participatif comporte de nombreux spécialistes de l’élevage et permet
de mettre en place une démarche de co-construction riche sur ces aspects, notamment sur la
création des calendriers de pâturage (voir annexe 5). Au contraire, le faible nombre d’experts
forestiers ou de naturalistes mobilisés limite la pertinence de certaines données insuffisamment
discutées au cours de la démarche. C’est le cas par exemple des procédures liées à la modélisation
des rapaces, pour lesquelles l’avis d’un spécialiste permettrait de consolider ou de rectifier les
données fournies par l’agent du PNR.
d. Des données remises en cause
Certaines données sont mobilisées mais restent sujettes à caution tout au long de la démarche. Ainsi,
la carte d’occupation du sol utilisée dans le modèle (voir annexe 8) est remise en cause par les
différents partenaires à cause de son manque de réalisme. La catégorie d’occupation du sol
« garrigue » pose ainsi un problème important, puisque ce terme renvoie à deux représentations
différentes entre des spécialistes de l’élevage et l’inventaire de l’IFN utilisé pour la cartographie. De
la même façon, la répartition des zones de pelouses sur le Petit Luberon proposée par la
cartographie de l’IFN ne correspond pas à la représentation de l’agent de PNR : selon elle, cette
cartographie sous-estime fortement l’emprise réelle des pelouses en les classant dans la catégorie
« garrigues », ce qui pose problème pour la représentation des mesures MAET sur le territoire.
Pour compenser, certains partenaires demandent des modifications de la carte d’occupation du sol,
notamment en augmentant artificiellement les zones en pelouses ou en garrigue. Les zones classées
en « maquis boisé en chêne pubescent » dans l’inventaire de l’IFN sont ainsi transformées en
« garrigues ». Ces bricolages posent deux types de problèmes : i) ils nécessitent des ajustements
constants des procédures de dynamique des formations végétales ii) si le modélisateur ne les
mémorise pas correctement, ils provoquent des erreurs de codage préjudiciables au bon
déroulement des simulations.
e. Un manque de réflexivité sur des données disponibles
La mobilisation des données par les partenaires ne s’accompagne pas assez d’une réflexion sur la
production en amont de ces données, ce qui provoque des erreurs d’appréciation et limite la
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
93
création d’une représentation partagée de l’environnement. L’élaboration de la carte de l’occupation
des sols à partir des données du PNR et de l’IFN souffre clairement d’une méconnaissance des
méthodologies, de l’échelle spatiale ou encore des modalités de discrétisation des classes choisies
pour construire ces couches de SIG. Ainsi, lorsqu’un expert souhaite ajuster le niveau de ressources
au taux de recouvrement moyen d’une classe de végétation, les différents partenaires prennent
conscience de leur méconnaissance de la méthodologie employée par l’IFN pour différencier une
« garrigue » d’un « matorral ».
Ce problème dans la mobilisation des données met en évidence l’une des limites de l’utilisation
d’une représentation « réaliste » de l’environnement. En se basant sur une représentation fictive co-
construite, les participants peuvent ajuster l’environnement du modèle à leurs représentations.
2. La nature des données mobilisées
La modélisation constitue une méthodologie capable d’agréger des « données de provenances et de
natures diverses » (Jollivet, 2009). On se propose ici d’analyser la variabilité de la nature des données
mobilisées par les partenaires dans le cadre de cette démarche de co-construction. Cette analyse
typologique permet de rendre compte des différents degrés de validité scientifique, de légitimité 4et
de transparence propres aux données utilisées. Si les liens entre les données mobilisées et les
données existantes constituent une première manière de différencier différents types
d’informations, les modalités d’élaboration des données permettent de préciser cette typologie, en
différenciant des données co-construites et des données produites individuellement. Pour définir ces
types, on se base sur les lexiques qui renseignent sur les sources des données mobilisées lors de la
co-construction (voir annexe 7).
a. Des données brutes
Les partenaires utilisent des données « brutes » pour la réalisation du modèle. Ces données sont
principalement issues de travaux scientifiques ou d’inventaires systématiques réalisés par des
institutions de développement. Les informations spatialisées importées directement du SIG du PNR
(ex de la carte du foncier ou de localisation des zones Natura 2000) constituent le meilleur exemple
de ces données non retouchées.
L’origine de ces données leur confère une certaine validité : la possibilité de se référer à des
références bibliographiques constitue un gage de légitimité scientifique. Néanmoins, de par cette
légitimité, ces données sont peu remises en cause au cours de la démarche, ce qui en limite
nécessairement la légitimité et leur transparence. L’absence d’informations sur les modalités
d’élaboration de certaines cartographies issues du SIG du PNR pose ainsi problème.
L’analyse de la construction du modèle SMA montre qu’au final, l’importation de données brutes
constitue une procédure relativement minoritaire ; les données utilisées sont souvent transformées
pour être intégrées dans le SMA.
b. Des données dérivées
Certaines données issues de travaux scientifiques ou d’inventaires sont transformées pour intégrer le
SMA. La variété des données de base et des procédures de transformation des données explique les
difficultés rencontrées pour caractériser ce type d’informations.
4 La notion de « légitimité » renvoie ici au mode d’élaboration de la donnée : les données issues d’un processus de transformation réalisé par un seul partenaire ne sont pas discutées et souffrent d’un déficit de légitimité. Au contraire, les données co-construites au cours des temps forts collectifs et enregistrées dans les relevés de décision ont une légitimité forte dans la démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
94
L’intégration de la variabilité climatique dans le modèle SMA constitue un exemple pour lequel les
données de base et le processus de transformation garantissent une validité scientifique et une
légitimité fortes. En effet, la donnée brute est issue de relevés climatologiques quotidiens à la station
de St Saturnin les Apt (données CIRAME). Le modélisateur transforme ensuite ces données en
utilisant un modèle scientifique capable d’identifier les « jours actifs » (avec une pousse de l’herbe). Il
présente enfin aux partenaires les résultats, sous la forme de graphes figurant le nombre de jours
actifs au printemps ou l’automne pour les années passées. A partir de ces graphiques, les partenaires
délimitent collectivement différents profils climatiques annuels types, profils qui seront ensuite
intégrés dans le modèle. Ainsi, ce processus de création de données est élaboré sur des bases
scientifiques (données climatologiques avec une référence locale, utilisation d’un modèle
scientifique) tout en permettant aux acteurs d’en amender les résultats au cours d’un temps fort
collectif, ce qui garantit une validité et une légitimité des résultats.
Le processus de création des données spatialisées pour les volumes sur pieds et les âges des
peuplements forestiers (voir annexe 4.e) constitue un exemple inverse, pour lequel la validité et la
légitimité des résultats est problématique. En effet, en l’absence de données de base spécifiques au
territoire (peu d’inventaires sur ces espaces peu utilisés), la validité scientifique des données
reconstruites est forcément problématique. Cette transformation est faîte par l’un des experts
forestiers à partir de données de l’IFN établies à l’échelle des régions IFN, ce qui pose déjà le
problème de la validité de ces données sur le territoire considéré. Les données d’accroissement
courant obtenues sont ensuite intégrées dans le modèle en tant qu’accroissement moyen (volume
sur pieds divisé par l’âge du peuplement), ce qui induit une surestimation forte de ces
accroissements et qui limite fortement la pertinence des âges obtenus pour les différentes
formations végétales. Suite à ce constat, l’expert forestier créé un coefficient multiplicateur propre à
chaque type de peuplement afin d’obtenir un âge plus conforme à la réalité.
Contrairement aux données climatologiques, les données utilisées pour modéliser la dynamique des
peuplements forestiers et leurs modalités d’intégration dans le SMA sont problématiques. Elles
s’apparentent à une série de « bricolages », mobilisés tour à tour par l’expert et le modélisateur, qui
limitent au fur et à mesure la transparence des procédures créés. Lorsqu’on présente l’état des
procédures concernées à l’expert forestier, il note l’aspect bancal de leur construction et les
problèmes de transparence qui en découlent :
« Cette règle là, il ne faudra pas la dire ! ».
c. Des données créées à dires d’experts
Certaines données sont créées à dires d’experts au cours de la démarche, sans que des résultats
d’études précédentes ne puissent fournir une base tangible à la modélisation et établir une
quelconque validité scientifique. Ces données sont utilisées pour l’analyse prospective mais aussi
pour compenser des données manquantes, comme par exemple les données de récolte en bois sur le
territoire. Leur légitimité et leur transparence dépend essentiellement de leurs modalités de création
: aux données co-construites lors des temps forts collectifs s’opposent des données établies
individuellement, sans que la confrontation avec d’autres acteurs ne puissent les consolider.
Les données prospectives permettant de simuler une trajectoire d’évolution des éleveurs dans le
scénario « baisse de cours » (voir annexe 3) sont co-construites au cours des temps forts collectifs et
résultent donc de la confrontation entre plusieurs avis d’experts, ce qui leur confère une légitimité
forte mais aussi un haut niveau d’incertitudes. Ainsi, le nombre annuel maximal de brebis passant en
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
95
vente directe a été fixé « au doigt mouillé » par les différents experts réunis, sans qu’aucune donnée
issue d’études ne soit mobilisée.
En l’absence de validation scientifique, la transparence de ces données est fondamentale pour
présenter le résultat des scénarios. Leur légitimation passe donc la mémorisation de ces informations
et par leur remise en cause lors des réunions de présentation des résultats. Les règles du scénario
« baisse des cours » sont ainsi décrites dans un relevé de décision (voir annexe 3), ce qui permettra
de les mettre en discussion auprès d’éleveurs, notamment grâce au jeu de rôles.
On distingue ces données co-construites de données produites individuellement par certains
participants pour lesquelles la légitimité est beaucoup plus problématique. Les procédures de
modélisation des populations de rapaces et de leurs interactions avec les règles de gestion forestière
font ainsi l’objet d’un débat entre l’agent du PNR et celui du CRPF mais ne sont au final pas validées
par l’ensemble des partenaires. En effet, l’agent du PNR transmet directement au modélisateur les
règles proposées au cours de la réunion pour initier l’implémentation, sans en informer
parallèlement les autres acteurs, ce qui limite fortement la légitimité de ces règles.
3. La cohérence des procédures
Au final, il est difficile de distinguer clairement des procédures validées scientifiquement de
procédures créées à dires d’experts : la quasi-totalité des procédures intègrent des données de
natures variées, ce qui pose de nombreux problèmes de cohérence interne.
C’est le cas par exemple de la procédure régulant les niveaux de ressources disponibles sur parcours :
là où l’évolution des ressources herbacées au cours de l’année est tirée d’une référence scientifique
fournie par le modélisateur, les données pour la production sur les différents types de parcours sont
établies à dires d’experts, à partir d’observations de terrains.
De plus, si les premières données sont tirées de travaux en écologie, les secondes renvoient à des
travaux de pastoralistes, ce qui induit des différences à l’origine de défauts d’implémentation. La
définition de l’attribut « feuille » (ressource pastorale ligneuse par cellule, voir annexe 7) souffre
clairement de cette distinction : là où l’implémentation initiale considérait ce potentiel comme une
phytomasse (c'est-à-dire l’ensemble des feuilles présentes sur la parcelle), le pastoraliste considère
uniquement le niveau de ressource, c'est-à-dire les feuilles réellement accessibles pour les
troupeaux. Seule la confrontation directe des partenaires au code informatique permet de mettre en
évidence cette distorsion et de régler le problème de la surestimation des ressources ligneuses.
La multiplicité des modalités de mobilisation des données pour la création des procédures limite
fortement les exigences de pertinence et de cohérence proposées par Manson (2002). Dans une
situation où la majorité des données produites sont caractérisées par des niveaux d’incertitudes
variés mais généralement importants, il est difficile d’effectuer le calibrage du modèle.
B. L’implémentation : une opération neutre ?
La validation d’un modèle co-construit nécessite de mobiliser des critères d’évaluation
supplémentaires, notamment la fidélité des opérations de traduction opérées par le modélisateur.
Malgré les outils et les procédures dont les modélisateurs se dotent pour aboutir à cette traduction
(utilisation de phrases logiques, techniques d’animation…), l’examen des pratiques quotidiennes
mobilisées par les animateurs/modélisateurs et des produits créés met en évidence des points de
distorsion entre la demande des partenaires et la réalisation effective des modèles.
Ces biais sont révélés grâce au fonctionnement de certains garde-fous prévus dans la démarche,
comme par exemple la construction des lexiques, le travail en équipe ou encore la confrontation
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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directe des acteurs au code informatique. L’expérience du modélisateur lui permet également
d’avoir du recul sur ses choix de construction et sur leur concordance avec la demande des acteurs.
On tâchera ici de rendre compte de ces distorsions mais aussi de les expliquer en mobilisant les
pratiques des modélisateurs et celles des partenaires.
1. Des glissements dans l’implémentation
Les temps de confrontation des experts avec la réalité du code informatique mettent en évidence
l’existence d’écarts entre la procédure telle qu’elle est imaginée par l’expert et l’implémentation
réalisée par le chercheur. C’est ce que note un des participants à la démarche :
« C’est bien de re-rentrer dans les documents d’élaboration du modèle pour voir la différence avec le
modèle (ce qui a été vraiment implémenté) ».
Cette distorsion ne provient pas spécifiquement du chercheur ou du partenaire mais résulte plutôt
de non-dits ou de malentendus entre ces deux acteurs. Ainsi, l’expert forestier chargé de fournir des
données sur les volumes sur pieds déplore l’utilisation de ces données par le modélisateur :
« Si j’avais su qu’il utiliserait mon tableau comme ça… ».
L’écart entre la procédure imaginée et la procédure implémentée grandit à mesure que le processus
avance et que la mémorisation par les partenaires et le modélisateur des choix précédemment
réalisés devient difficile. La question du déclenchement du « raclage + » montre bien cet écart. Cette
procédure provoque une augmentation du taux de raclage si les ressources disponibles en parcours
sont insuffisantes. Dans une version précédente du modèle, le « raclage + » se déclenche si les
disponibilités sur parcours sont insuffisantes pour combler 70% des déficits. Ce qui est modélisé ici
correspond à la capacité des brebis à accepter une restriction alimentaire. Or, cette idée de
restriction alimentaire n’a pas été bien mémorisée et n’est pas implémentée dans le reste du
modèle, ce qui fausse les résultats. Seule la confrontation directe entre les partenaires et le code
informatique permet d’identifier cette incohérence qui n’en était pas une au départ.
2. Des interférences propres au modélisateur : la construction des points de vue
Contrairement aux « glissements » observés plus hauts, ces biais de traduction sont spécifiques au
modélisateur. Ils sont liés à notre défaut d’expérience dans la pratique de la co-construction et ne
pourraient sans doute pas être détectés sans la réflexivité offerte par la construction des lexiques et
le travail en équipe. Ces interférences concernent principalement les mécanismes d’élaboration des
points de vue, c'est-à-dire des indicateurs à partir desquels les différents acteurs peuvent
appréhender le fonctionnement du modèle. On dressera ici une typologie de ces points de vue
élaborés par le modélisateur afin de traiter les interférences potentielles qu’ils permettent.
a. Des points de vue de base
Ces pov retranscrivent une donnée « brute », souvent transmise par l’un des participants, non-
retouchée par le modélisateur. Ces pov ne sont pas pour autant totalement « bruts », puisque le
modélisateur ou les participants peuvent intervenir par le biais de la sémiologie graphique
(élaboration visuelle de la carte, voir annexe 6.a). Ainsi, de par notre cursus de géographe, nous
avons été amenés à changer la sémiologie graphique du pov « altitude » qui avait été pourtant
élaborée avec les acteurs, sans réaliser que cette interférence remettait en cause la dynamique de
co-construction.
b. Des pov co-construits
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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Ces pov sont issus d’une demande directe d’un des acteurs ou de plusieurs acteurs, formulée lors des
temps-forts collectifs. Logiquement, seuls ces pov devraient être présentés lors de ces temps forts
collectifs.
c. Des pov « tests »
Ces pov sont mobilisés par le modélisateur lors de la construction technique du modèle. Ces points
de vue peuvent être conçus notamment pour identifier un bug dans le code informatique. En cas
d’incohérences dans le modèle, ces points de vue peuvent être utilisés lors des TFC sous la forme de
pov démonstratifs.
d. Des points de vue démonstratifs
Ces points de vue sont conçus par le modélisateur pour mettre en avant lors des temps forts
collectifs une incohérence ou une contradiction dans le modèle. Ces points de vue doivent permettre
d’améliorer le modèle en créant une discussion entre les participants, et font donc partie-intégrante
du cycle d’itérations à la base d’une démarche d’accompagnement.
e. Des points de vue personnels,
Ce sont les pov que le modélisateur met en avant de lui-même, ce qui remet en cause le principe de
co-construction. Le modélisateur devance inconsciemment la demande réellement formulée par les
participants en complétant les pov demandés. Lors de la construction de pov de dynamique de la
végétation, le modélisateur rajoute ainsi l’incendie comme facteur d’évolution du paysage sans que
ce facteur ne soit explicitement mentionné par les participants, plus intéressés par les déterminants
anthropiques ayant un impact sur cette dynamique.
Ces interventions problématiques du modélisateur dans le processus sont très difficiles à percevoir.
Selon le modélisateur, les participants acceptent parfois ces pov sans prendre conscience de
l’interférence du modélisateur :
« Si tu leur propose un point de vue avec l’incendie, ils vont te dire oui, mais ce n’est pas le point de
vue qu’ils avaient demandé ».
L’aide d’un autre modélisateur engagé dans la démarche, qui permet une validation mutuelle des
choix d’implémentation, s’avère utile pour identifier ces interférences.
3. L’identification de marges de manœuvre dans les pratiques d’implémentation
Le processus de co-construction offre des marges de manœuvre qui permettent l’intervention du
modélisateur dans les procédures. C’est notamment le cas lorsqu’une procédure nécessite une
quantité importante de petits réglages. La création d’une carte d’occupation des sols à partir des
données du PNR et de l’IFN implique ainsi une multitude de choix de modélisation permettant par
exemple de transposer certaines catégories IFN dans la nomenclature co-construite avec les
partenaires (voir annexe 4.a). A ce niveau de détails, une co-construction idéale, associant neutralité
stricte du modélisateur et transparence, devient très difficile.
La position du modélisateur dans le processus de création du modèle constitue également une
marge de manœuvre puisqu’elle lui donne la possibilité de trancher par rapport à des améliorations
proposées par les partenaires. L’un des experts demande ainsi à créer artificiellement des pixels en
pelouse pour compenser les manques observés sur la carte d’occupation. Au final, cette idée n’est
pas intégrée dans le modèle, les modélisateurs considérant cette procédure comme étant peu
rigoureuse.
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Cette position du modélisateur provoque parfois des situations problématiques dans la dynamique
de co-construction. Le choix d’implémenter ou non les procédures « rapaces » proposées par l’agent
du PNR met le modélisateur dans une situation paradoxale : si le principe de co-construction le
conduit à implémenter ces règles, l’absence d’une validation collective et experte de ces règles peut
être considérée comme un obstacle à leur implémentation. Ce dilemme se matérialise dans les choix
faits par les deux modélisateurs : si le premier choisit d’implémenter ces procédures, le second
désapprouve ce choix.
L’existence de marges de manœuvre met le modélisateur en porte à faux par rapport aux
partenaires. En effet, le cadre de co-construction tel qu’il est mobilisé par les modélisateurs de la
démarche Luberon bute sur ces marges, qui mettent au final le chercheur dans une posture
complexe.
C. Les phases de validation et de rectification des modèles
Après avoir analysé les deux premières phases du cycle itératif de co-construction (Figure 3), il s’agit
de comprendre quelles sont les spécificités des pratiques déployées par les différents acteurs lors de
la phase de validation ou de rectification du modèle dans une démarche de co-construction. Nous
traiterons ici principalement du processus de validation portant sur les simulations produites par le
modèle SMA.
1. La validation par les partenaires : une confrontation des simulations avec des
résultats attendus
Manson (2002) distingue deux principes de validation d’un modèle :
- Une validation structurelle : il s’agit de voir ici si le modèle informatique représente bien le
modèle conceptuel.
- Une validation des résultats : les résultats sont-ils conformes aux dynamiques du système
représenté ?
On analyse ici les pratiques des acteurs mobilisés dans la démarche par rapport à ces deux types de
validation. La validation du modèle par des acteurs extérieurs à la démarche, peu pratiquée au cours
du stage, ne sera pas étudiée ici.
a. Une validation par les résultats qui domine
La validation du modèle Luberon se fait principalement au cours des TFC, par une présentation et
une discussion sur les résultats produits par le modèle. Cette validation ne constitue pas un
processus purement scientifique : ainsi, les partenaires ne confrontent pas les résultats des
simulations à des données de référence propres à des trajectoires passées des indicateurs mobilisés
dans le modèle. La validation se fait plutôt à dires d’experts, par une confrontation des résultats aux
perceptions qu’ont les acteurs des dynamiques modélisées. Il s’agit de voir si la dynamique
modélisée est pertinente selon les partenaires, mais aussi de voir si le comportement de l’agent est
conforme à celui de l’acteur qu’il représente.
b. Une validation structurelle épisodique
Les procédures propres à ce type de validation (lexiques, notices de description des procédures,
confrontation des acteurs avec le code informatique…) sont décrites plus hauts. L’étude de la
structure du modèle nécessite un investissement de la part du modélisateur, qui doit produire des
documents pour assurer une transparence, mais aussi un investissement de la part des partenaires,
qui doit permettre une confrontation continue entre ces partenaires et le modèle.
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Le cadre de la démarche menée dans le Luberon ne permet sans doute pas une validation
structurelle efficace de l’ensemble du modèle. En effet, les partenaires ne consultent pas les
documents produits faute de temps prévu en dehors des TFC (voir annexe 4). La confrontation au
code informatique lors des TFC constitue une phase de validation structurelle efficace mais n’est
mise en œuvre que ponctuellement. Le faible temps imparti lors de ces réunions ne permet pas au
modélisateur de donner une vue d’ensemble sur le fonctionnement du modèle. Enfin, l’espacement
temporelle entre les réunions rend difficile la mémorisation des travaux précédents nécessaire pour
une validation continue de la structure du modèle. Au final, la confrontation ponctuelle des
partenaires avec le modèle (réunions trop espacées, pas de travail hors des réunions) est
préjudiciable pour une validation structurelle du modèle.
c. La validation par les résultats précède la validation structurelle
Si les résultats produits ne sont pas conformes à ceux attendus, alors les procédures impliquées sont
décrites et discutées : la validation par les résultats précède ici une validation structurelle ponctuelle.
Ainsi, la confrontation des partenaires aux résultats met en évidence une mauvaise répartition des
déficits sur parcours ; à partir de ce constat, l’ensemble des procédures de pâturage et de production
des ressources sont reprises et les participants peuvent alors appréhender les erreurs dans la
modélisation à l’aide des traductions proposées par le modélisateur : celui-ci explique le code
informatique et propose des séries de tests permettant de mieux décrire le fonctionnement du
modèle. Ainsi, en confrontant les déficits sur parcours avec le calendrier de pâturage, il met en
évidence la surestimation des ressources ligneuses : lorsque les troupeaux ont un fort taux de
pâturage leur donnant accès à cette ressource, les déficits sont inexistants, tandis que les troupeaux
n’ayant pas accès à cette ressource connaissent des déficits importants. Suite à ce constat, les
partenaires peuvent proposer des révisions pour limiter les ressources ligneuses.
Les procédures de validation structurelle ne sont mises en œuvre que lorsque les résultats ne sont
pas conformes à la représentation que les partenaires ont des dynamiques modélisées. Ceci pose
problème : un modèle peut générer des résultats valides sans pour autant être pertinent au niveau
de sa structure (Manson, 2002). Cet effet « boite noire » du modèle, induit par les difficultés
d’appréhension de sa complexité, limite peut-être l’efficacité du processus de validation telle qu’il est
mis en œuvre pour le modèle SMA.
2. Les postures de validation adoptées par les partenaires
Les difficultés propres à la traduction d’un modèle complexe et l’investissement ponctuel des
partenaires ne sont pas les seuls facteurs qui limitent la pertinence du processus de validation et de
rectification dans la démarche Luberon. La posture de certains acteurs lors de ces phases renforce
ces difficultés : si certains participants acceptent la confrontation itérative avec le modèle nécessaire
à son amélioration, d’autres la refusent en se concentrant sur les résultats produits plus que sur la
validité de la structure du modèle. A une posture « scientifique » s’oppose une posture « réaliste ».
On analyse ici ces « postures » qui correspondent à des modes d’appréhension et d’interactions
différents des acteurs avec l’outil « modèle ».
a. Une posture « scientifique » d’exploration des résultats
Face à des résultats non conformes, certains acteurs du processus Luberon adoptent une posture
scientifique d’analyse du problème et de rectification des procédures incriminées : ils acceptent
l’idée de se replonger dans le fonctionnement du modèle afin d’identifier les dysfonctionnements.
De la même façon, ces partenaires adoptent une attitude active par rapport aux résultats de la
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
100
modélisation en mobilisant le modèle comme un « laboratoire virtuel » (Laloë & Müller, 2009). Par la
mise en place d’expérimentations basées sur la répétition des simulations, ces acteurs souhaitent
créer de l’information : le modèle dépasse ici son le statut de représentation de la réalité et devient
un sujet d’expériences (Laloë & Müller, 2009).
Afin de tester le modèle, des procédures d’exploration systématique des résultats sont parfois mises
en œuvre : ainsi, l’agent du PNR souhaite faire varier la donnée « demande en bois-énergie » en
entrée afin de tester l’impact des coupes nécessaires sur le paysage et les ressources en bois. Une
série de simulations est donc proposée afin d’identifier une demande maximale, au-delà de laquelle
les coupes entrainent une décapitalisation des ressources en bois.
La procédure d’installation des éleveurs sur le territoire (voir annexe 2) donne lieu à une véritable
expérience : à partir des résultats de 50 simulations et d’un enregistrement des résultats, le
chercheur souhaite produire une carte d’attractivité des différents espaces du territoire pour
l’utilisation par l’élevage. Des procédures d’exploration systématique sont mises en œuvre, en
identifiant notamment les configurations pour lesquelles la procédure ne parvient pas à son terme
faute de place. A partir de ces simulations incomplètes, le chercheur peut identifier des espaces de
forte compétitivité.
Mise à part l’analyse de l’emprise territoriale de l’élevage proposée par ce chercheur, on note que les
partenaires n’adoptent pas une méthodologie pour une exploration systématique des résultats. Peu
d’analyses de sensibilité sont ainsi menées pendant cette démarche. Ce type d’analyses aurait pu
être mobilisé pour tester certaines variables définies à dires d’experts, or ce n’est pas
nécessairement le cas : là où les demandes en bois sont systématiquement testées dans les scénarios
« bois-énergie », d’autres variables restent fixées malgré le fort niveau d’incertitude. C’est le cas par
exemple du « nombre maximal de brebis passant en vente directe » dans le scénario « baisse des
cours ».
b. Une posture « réaliste » : l ’apparition de « bricolages »
Le chercheur spécialisé dans les questions d’élevage relève l’existence d’une posture particulière
chez certains partenaires dans la démarche de modélisation :
« De toute façon, tout le monde n’a pas envie de bien comprendre le modèle ».
Ce chercheur dénonce ici les participants qui refusent la confrontation directe avec le modèle
(validation structurelle) et qui ne prennent en compte que les résultats des simulations pour juger de
la validité de ce modèle. Se pose ici le problème de la perception différenciée du modèle qu’ont les
différents acteurs. Certains partenaires manquent en effet de recul par rapport à cet outil, ce qui
provoque des comportements qui mettent en péril la validité de la démarche.
On relève ainsi chez certains acteurs une confusion problématique entre le modèle et la réalité
(Hervé & Laloë, 2009). Chez ces acteurs, les dysfonctionnements du modèle observés par le biais des
résultats des simulations doivent être rectifiés coûte que coûte pour que le modèle colle à cette
réalité perçue. Cette rectification ne passe pas par une évolution de la structure des procédures mais
plutôt par une série de « bricolages » peu académiques. Un des experts sur l’élevage propose ainsi
d’augmenter de 20ha les parcours disponibles pour régler le problème des déficits en pâturage. De
cette façon, les résultats produits par les simulations seraient plus crédibles sans néanmoins que
l’origine du déficit initial ne soit clairement établie.
De la même façon, les résultats de la procédure d’installation des éleveurs, jugés peu conformes à la
réalité, sont remis en cause par certains participants ; l’absence d’éleveurs sur les crêtes du Grand
Luberon est souvent mentionnée. Au lieu de proposer de revoir cette procédure d’installation, en
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
101
introduisant de nouveaux critères favorables à l’utilisation de ces espaces par les troupeaux (par
exemple, une prime pour l’utilisation de ces zones à enjeux environnementaux), l’un des partenaires
demandent une rectification « à la main » de la carte initiale, en installant artificiellement des
éleveurs sur les pixels situés dans les zones concernées (voir annexe 6.c).
c. La place de la méthode scientifique dans un processus ComMod : des
chercheurs en porte-à-faux
Le cadre de validation co-construite du modèle Luberon met les chercheurs dans une situation
inconfortable : cette validation basée sur l’expertise se heurte aux exigences de la rigueur
scientifique, ce que montrent bien les réserves exprimées par le chercheur centré sur les questions
d’élevage lors du choix de la carte d’installation des éleveurs. Conformément à la procédure de
validation, ce chercheur mobilise sa connaissance du terrain et compare sa perception de l’emprise
territoriale de l’élevage avec les résultats des simulations. Au final, en l’absence de données sur cette
question, la sélection des cartes les plus pertinentes constitue une procédure subjective :
« J’aime bien celle-ci, elle me plaît »
Pour autant, cette procédure peu formelle ne convient pas totalement à ce chercheur :
« Moi, je trouve qu’on n’est pas au clair sur nos critères de choix. Ça me gène un peu… ».
Plus fondamentalement, les pratiques déployées par les experts lors des phases de validation et de
rectification du modèle interrogent la démarche de modélisation d’accompagnement,
principalement portée par les scientifiques. Ces pratiques de bricolages visant une représentation de
la réalité du terrain ne sont pas nécessairement compatibles avec une rigueur scientifique dans la
démarche, avec les « exigences formelles » de la technique de modélisation (Jollivet, 2009). Ce
constat d’une confrontation parfois difficile entre une méthodologie scientifique et des participants
détenteurs de savoirs hybrides pose la question de la validité de la démarche de modélisation
d’accompagnement et de sa capacité à dépasser ce point névralgique. Comment co-construire un
modèle avec des acteurs ne souhaitant pas se plier à des procédures de validation académique ?
Peut-on traduire l’intégralité des savoirs mobilisés en énoncés scientifiques ?
2. Les différentes casquettes de l’animateur/modélisateur5
Le chercheur mobilisé dans une démarche de modélisation d’accompagnement à travers les
pratiques de modélisation et d’animation adopte plusieurs points de vue au cours du processus. Par
ce qu’il peut apporter à la démarche, son rôle dépasse la stricte neutralité. On cherchera ici à éclairer
les relations des animateurs/modélisateurs de la démarche avec les acteurs et les dynamiques
modélisés.
A. Un rôle de pilote
La position d’interface entre les TFC et les phases de modélisation confère au chercheur un rôle de
pilote de la démarche, rôle qui ne cesse de devenir plus important à mesure que les modèles se
complexifient. Pour décrire ce rôle de pilote, il est nécessaire de revenir sur les pratiques mobilisées
par le chercheur.
5« L’animateur/modélisateur » mentionné ici renvoie indifféremment aux deux personnes chargées de réaliser ces opérations au sein de la démarche Luberon (un chercheur et un stagiaire). La problématique de l’expertise concerne néanmoins plus particulièrement le chercheur.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
102
Les pratiques d’écriture du code informatique s’accompagnent de nombreuses procédures de
vérification de ce code, par exemple la création de pov « tests ». Ces phases de vérification
permettent au modélisateur d’étudier le modèle en profondeur et d’en identifier les manques : la
vérification du modèle et la validation de la cohérence de sa construction sont ainsi deux phases
profondément liées (Manson, 2002).
Les incohérences détectées par le modélisateur sont ensuite mises à l’ordre du jour par l’animateur
lors du TFC suivant. Le travail de préparation des réunions consistent ainsi entre autres à créer des
points de vue démonstratifs pour mettre en évidence les incohérences. Par exemple, le pov
« IFNPNR » permet au modélisateur de pointer les discordances entre la carte proposée par le PNR et
celle de l’IFN. En diffusant ce point de vue, l’animateur/modélisateur met à l’ordre du jour la
construction de la carte d’occupation du sol de l’environnement Luberon (voir annexe 4).
Ce rôle de pilote apparaît tout à fait essentiel pour faire vivre la dynamique itérative de co-
construction. Néanmoins, il offre la possibilité à l’animateur/modélisateur d’identifier lui-même les
manques du processus et donc de l’orienter dans les directions qu’il juge les plus pertinentes. Ainsi,
l’un des modélisateurs accepte la représentation d’une thématique « rapace » dans le modèle sans
que les modalités de cette représentation n’aient été pleinement validées lors d’un TFC. Son choix
est guidé par sa volonté de développer les interactions entre le forestier et le naturaliste dans le jeu
de rôles. Si ce choix est intéressant au niveau de l’ « efficacité » de la démarche d’accompagnement,
il peut être remis en cause sur le plan déontologique. La limite entre un pilotage légitime et un
pilotage plus orienté de la démarche n’est pas facile à situer.
B. Un rôle d’expert
1. L’expertise dans une démarche ComMod : un paradoxe
A propos de l’intégration de la catégorie d’occupation du sol « genêt » intégrée dans la légende
d’une carte par un autre modélisateur, l’animateur de la démarche Luberon considère cette
catégorie comme « quelque chose qu’a rajouté le cartographe alors qu’on ne lui avait pas
demandé ». Il explicite alors sa posture :
« Dans la procédure normale, on représente ce que vous avez demandé (…). C’est vrai, moi je connais
bien le coin, ça [les formations à genêts] existe mais ce n’est pas dans la procédure ».
Cette situation éclaire l’un des paradoxes de la modélisation d’accompagnement, particulièrement
prégnant dans cette démarche : à la « procédure normale » s’oppose un processus de co-
construction dans lequel le chercheur intervient directement pour garantir une certaine pertinence
des dynamiques modélisées. Dans ce deuxième cas, l’animateur/modélisateur adopte un rôle
d’expert.
2. Une expertise scientifique
L’expertise est d’abord scientifique ; l’animateur apporte des connaissances issues de ses champs de
recherche personnels, que ce soit par le biais de procédures issues de ses propres travaux
(modélisation climatique et lien avec l’évolution des ressources) ou encore par une participation
directe aux discussions en TFC. C’est par exemple le cas pour l’intégration de la catégorie « mélange
pin-chêne » dans les matrices de transition :
« Logiquement, c’est le chêne qui doit prendre le dessus sur le pin, le pin a besoin de lumière tandis
que le chêne est plus longévif ».
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
103
Ici, l’animateur utilise son expertise d’écologue mais les acteurs gardent le pouvoir de décider, même
si la pertinence scientifique de leur décision est moindre que celle proposée.
3. Une expertise personnelle
L’expertise est ensuite liée aux connaissances personnelles de l’animateur, ce qui complique
beaucoup la posture du chercheur dans la démarche :
« Ne pas imposer ses points de vue est d’autant plus difficile que je connais bien le coin ».
Le chercheur participe ainsi directement aux discussions lors des TFC en mettant en avant sa bonne
connaissance du territoire, par exemple lors d’une discussion portant sur la gestion des stocks chez
les exploitants de bois de chauffage (voir annexe 6.b).
Cette posture d’expert est renforcée par la présence d’un deuxième animateur/modélisateur dans la
démarche. La prise de recul offre la possibilité à ce chercheur de s’impliquer plus directement dans le
processus d’élaboration du modèle :
« Moi je n’ai rien eu à faire, c’était plus confortable, j’ai pu être plus actif ».
Au final, la construction du modèle montre l’influence ponctuelle mais réelle de
l’animateur/modélisateur. La question de la légitimité de cette expertise reste posée. La mobilisation
d’un chercheur « naïf » par rapport aux thématiques étudiées permet sans doute de limiter
l’influence de l’animateur/modélisateur sur la démarche (Etienne, comm. pers.). Néanmoins, sans
expertise, le chercheur ne peut constituer un garde-fou quant à la modélisation de dynamiques peu
pertinentes.
C. Une participation active à la co-construction ?
Plusieurs exemples mettent en évidence une participation directe mais ponctuelle des
animateurs/modélisateurs dans la démarche Luberon. Cette participation ne se limite pas à l’apport
d’une expertise, puisque le chercheur devient le porteur d’une thématique particulière. Cette
intervention se ressent plus particulièrement dans la création du jeu de rôles.
L’animateur/modélisateur intervient directement dans le jeu de rôles en modifiant le rôle du
forestier afin de permettre une sensibilisation des joueurs aux difficultés de gestion d’une coupure
de combustible DFCI. En l’absence de l’expert DFCI, le chercheur porte lui-même cette thématique
sur laquelle il a lui-même beaucoup travaillé. La modification des règles se fait directement dans le
modèle informatique : ainsi, le chercheur implémente de lui-même une vitesse accrue pour
l’embroussaillement des zones débroussaillées, afin de mettre l’accent sur la nécessité d’un entretien
constant.
De la même façon, la catégorie d’occupation du sol « cèdres » est maintenue sur le plateau de jeu
sans que cela ne résulte d’une demande expresse des participants. Cette catégorie est introduite
directement par les modélisateurs, qui souhaitent ainsi tester la perception des agents du PNR par
rapport à cette espèce introduite.
Avec du recul, l’analyse de la démarche montre que les sensibilités propres à chaque chercheur
s’expriment dans l’élaboration des outils. Si c’est bien un agent du PNR qui propose le
développement de la thématique « rapaces » dans les modèles, son intégration résulte d’une volonté
propre au modélisateur de développer les thématiques environnementales, peu mises en avant
pendant la démarche.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
104
D. La légitimité du chercheur par rapport aux partenaires
On analyse ici la perception des partenaires par rapport aux interventions du chercheur dans la
démarche. Les liens préexistants entre ce chercheur et les autres participants semblent avoir un
impact majeur sur cette perception.
Ainsi, le fait que la démarche Luberon soit basée sur un réseau d’interconnaissances fortes fonde la
légitimité du chercheur : ses travaux précédents réalisés en collaboration et sa connaissance
personnelle du terrain font que son expertise est peu remise en cause, ce qui renforce ses marges de
manœuvre.
Pourtant, la légitimité de l’expertise fournie par l’animateur est parfois contestée. La participation de
l’animateur au débat sur l’élaboration du rôle de forestier est ainsi dénoncée par l’agent du PNR
chargé des questions forestières. Ici, ce partenaire dénonce clairement l’apport de connaissances
personnelles dans le débat (voir annexe 4.b).
La lecture des pratiques quotidiennes de modélisation et d’animation met en évidence les difficultés
propres à la posture de neutralité prônée par le concepteur de la démarche. Celui-ci est clairement
positionné en porte-à-faux entre son statut d’expert, ses interventions nombreuses lors des réunions
et les impératifs de la co-construction. A mesure de l’enlisement relatif du processus et du
développement d’une certaine lassitude, ce chercheur reconnaît les difficultés propres au maintien
d’un cadre déontologique absolu :
« Moi de toute façon, je suis le codeur frénétique… je freine de plus en plus et je suis de moins en
moins éthique ».
Il semblerait qu’il existe une interaction forte entre la qualité et la dynamique de co-construction et
l’implication de l’animateur/modélisateur. Nous étudierons ici cette dynamique, qui croise les
pratiques des acteurs et les produits créés.
3. Une démarche de co-construction qui s’essouffle
L’étude des dysfonctionnements dans le processus de co-construction met en évidence une
désagrégation progressive de ce processus6. Nous tâcherons ici de décrire les mécanismes qui
participent à la création d’un « cercle vicieux » de la co-construction (Figure 15).
6 Cette désagrégation est observée au cours du stage ; elle ne présume pas forcément de la qualité de la co-construction lors des phases préalables de la démarche.
Gratecap Jean-Baptiste
Figure 15 : Le cercle vicieux
A. L’initialisation de la dégradation
On décrit ici les caractéristiques in
dégradation de la co-construction.
1. Durée de la démarche et turn
La démarche menée sur le Luberon est initialisée depuis bientôt 5 ans. Calibrée au départ pour se
superposer à un programme de recherche de 3 ans, les phases d’institutionnalisation n’ont toujours
pas débutée à ce jour.
La durée importante de la démarche semble être à l’origine d’une certaine accumulation des
problématiques et de leurs traductions dans le modèle observée p
- A mesure que la démarche avance, les thématiques portées par les participants évoluent
ainsi, l’enjeu « loup » apparaissait important aux partenaires au début de la démarche mais n’est pas
implémenté aujourd’hui dans le modèle. D’aut
exemple l’enjeu « rapaces ».
- La durée de la démarche implique un fort turn
représenté successivement par 3 agents différents.
Mémoire FNS 2009
105
Le cercle vicieux de la dynamique de co-construction pour la démarche Luberon
lisation de la dégradation
On décrit ici les caractéristiques initiales de la démarche qui semblent être à l’origine d’une certaine
construction.
Durée de la démarche et turn-over
La démarche menée sur le Luberon est initialisée depuis bientôt 5 ans. Calibrée au départ pour se
amme de recherche de 3 ans, les phases d’institutionnalisation n’ont toujours
La durée importante de la démarche semble être à l’origine d’une certaine accumulation des
problématiques et de leurs traductions dans le modèle observée pendant le stage
A mesure que la démarche avance, les thématiques portées par les participants évoluent
» apparaissait important aux partenaires au début de la démarche mais n’est pas
implémenté aujourd’hui dans le modèle. D’autres enjeux conjoncturels sont apparus, comme par
La durée de la démarche implique un fort turn-over dans les participants : ainsi, le PNR est
représenté successivement par 3 agents différents.
Mémoire FNS 2009-2010
construction pour la démarche Luberon
itiales de la démarche qui semblent être à l’origine d’une certaine
La démarche menée sur le Luberon est initialisée depuis bientôt 5 ans. Calibrée au départ pour se
amme de recherche de 3 ans, les phases d’institutionnalisation n’ont toujours
La durée importante de la démarche semble être à l’origine d’une certaine accumulation des
endant le stage :
A mesure que la démarche avance, les thématiques portées par les participants évoluent :
» apparaissait important aux partenaires au début de la démarche mais n’est pas
res enjeux conjoncturels sont apparus, comme par
over dans les participants : ainsi, le PNR est
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
106
Ces processus provoquent au final une accumulation des procédures dans le modèle, qui se
complexifie à mesure que la démarche avance.
2. La recherche d’une représentation réaliste du territoire
On l’a vu plus haut, la démarche est guidée en partie par la volonté de créer une représentation
réaliste du territoire et des dynamiques qui s’y déploient. Or, l’analyse des données mobilisées lors
de la construction du modèle montre des déficits importants de connaissances sur ces thématiques.
Cette disjonction pose problème lors des phases de calibrage du modèle : les partenaires souhaitent
rendre compte de la complexité des dynamiques sans forcément avoir les données pour le faire.
Ainsi, les partenaires veulent modéliser des types de pâturage différenciés, à travers notamment le
taux de pâturage qui traduit une utilisation différenciée des parcours. Or, ces partenaires manquent
de données pour connecter ces niveaux d’utilisation des parcours avec des niveaux de ressource
réellement prélevés, ce qui explique en partie les difficultés de calibrage observées lors de la
représentation du pâturage. La recherche d’une représentation réaliste implique au final une
démultiplication du temps nécessaire à l’élaboration d’un modèle valide, ce qui explique aussi la
relative stagnation de la démarche de modélisation observée pendant le stage.
B. Les causes de la dégradation : un double mécanisme de
« sédimentation »
La durée de la démarche et l’orientation choisie créent une dynamique de complexification
progressive du modèle. Cette complexification se traduit par un double mécanisme de
« sédimentation » dans le code informatique.
1. Une sédimentation des procédures
On a noté plus haut le manque de cohérence de certaines procédures dans le modèle. Ce manque de
cohérence est lié aux modalités de construction des procédures, qui résultent d’une accumulation
d’informations parfois contradictoires.
En effet, pour qu’une procédure conserve une certaine cohérence, il faut s’assurer que la moindre
modification s’intègre bien et ne remet pas en cause les choix de modélisation précédents. L’ajout
continu de modifications produit par la dynamique itérative d’élaboration du modèle implique une
sédimentation de ces modifications, sédimentation renforcée par la longueur de la démarche et par
la difficulté de mémoriser l’ensemble des choix de construction déjà effectués.
Cette accumulation d’informations au sein des procédures pose également le problème des erreurs
de codage qui peuvent fausser le résultat des simulations. A mesure que les procédures se
complexifient, ces erreurs d’implémentation sont de plus en plus difficiles à détecter. Ainsi, certains
résultats de simulations présentés lors des TFC sont inexacts, ce qui fait perdre du temps dans la
démarche. Au final, cette sédimentation issue d’une durée excessive de la démarche contribue à sa
relative stagnation.
2. Une sédimentation du modèle
Le même phénomène peut être décrit à l’échelle du modèle : à mesure que la démarche progresse,
les participants identifient des manques dans la modélisation et cherchent à compléter ces vides
pour renforcer le réalisme de la représentation. De la même façon, l’ajout de nouvelles thématiques
implique une adaptation des nouvelles procédures à l’ensemble du modèle.
Gratecap Jean-Baptiste
La volonté de développer une thématique «
évidence les limites des procédures d’attribution des âges des peuplements forestiers. Selon le
experts présents, les âges obtenus à partir des accroissements courants et des volumes sur pieds de
l’IFN sont sous-estimés. Pour rehausser ces âges, de nouveaux bricolages sont mis en œuvre. Ces
bricolages complexifient fortement la structure du code in
validité structurelle du modèle au détriment de la validité des résultats obtenus lors des simulations.
Ce processus d’ajustement demande du temps
valable, puisque l’itération amplifie les défauts de la donnée initiale.
L’accumulation de procédures dans le SMA renforcent les interactions entre les différents modules et
créée des interférences entre ces procédures. A mesure que ces procédures se déposent dans le
modèle, il devient de plus en plus difficile d’avoir une vision claire de ces interactions et d’en rendre
compte.
3. Une transparence problématique
Ce double mécanisme de sédimentation limite de fait la transparence du modèle. A
modèle se complexifie, l’accumulation des informations fait qu’
toutes les décisions prises par le modélisateur
de modélisation par les acteurs devient de plus en plus limitée à mesure que la démarche s’éternise.
C. Les impacts sur les produits
dégradation des produits de la co
Cette dynamique conjointe de sédimentation et de baisse de la transparence limite la pertinence de
la structure du modèle et rend problématique l’utilisation des résultats par les partenaires
1. Une gestion difficile de l’itération au sein de la démarche de co
L’étude de la démarche Luberon met en évidence une gestion difficile de l’itération lors de la co
construction. Cette itération mène à l’élaboration d’un modèle de moins en mo
structurel (Figure 16).
Figure 16 : Une itération problématique dans la démarche de co
Mémoire FNS 2009
107
La volonté de développer une thématique « vieille forêt » dans le modèle met par exemple en
évidence les limites des procédures d’attribution des âges des peuplements forestiers. Selon le
experts présents, les âges obtenus à partir des accroissements courants et des volumes sur pieds de
estimés. Pour rehausser ces âges, de nouveaux bricolages sont mis en œuvre. Ces
bricolages complexifient fortement la structure du code informatique et limitent de plus en plus la
validité structurelle du modèle au détriment de la validité des résultats obtenus lors des simulations.
demande du temps mais ne permet pas de construire une donnée
ation amplifie les défauts de la donnée initiale.
L’accumulation de procédures dans le SMA renforcent les interactions entre les différents modules et
créée des interférences entre ces procédures. A mesure que ces procédures se déposent dans le
devient de plus en plus difficile d’avoir une vision claire de ces interactions et d’en rendre
Une transparence problématique
Ce double mécanisme de sédimentation limite de fait la transparence du modèle. A
ccumulation des informations fait qu’il devient impossible d’expliciter
le modélisateur (Barnaud, 2008). De plus, la mémorisation des choix
de modélisation par les acteurs devient de plus en plus limitée à mesure que la démarche s’éternise.
Les impacts sur les produits de la démarche : les formes de
dégradation des produits de la co-construction
Cette dynamique conjointe de sédimentation et de baisse de la transparence limite la pertinence de
la structure du modèle et rend problématique l’utilisation des résultats par les partenaires
ne gestion difficile de l’itération au sein de la démarche de co-construction
L’étude de la démarche Luberon met en évidence une gestion difficile de l’itération lors de la co
construction. Cette itération mène à l’élaboration d’un modèle de moins en mo
: Une itération problématique dans la démarche de co-construction
Mémoire FNS 2009-2010
» dans le modèle met par exemple en
évidence les limites des procédures d’attribution des âges des peuplements forestiers. Selon les
experts présents, les âges obtenus à partir des accroissements courants et des volumes sur pieds de
estimés. Pour rehausser ces âges, de nouveaux bricolages sont mis en œuvre. Ces
formatique et limitent de plus en plus la
validité structurelle du modèle au détriment de la validité des résultats obtenus lors des simulations.
de construire une donnée
L’accumulation de procédures dans le SMA renforcent les interactions entre les différents modules et
créée des interférences entre ces procédures. A mesure que ces procédures se déposent dans le
devient de plus en plus difficile d’avoir une vision claire de ces interactions et d’en rendre
Ce double mécanisme de sédimentation limite de fait la transparence du modèle. A mesure que le
il devient impossible d’expliciter
De plus, la mémorisation des choix
de modélisation par les acteurs devient de plus en plus limitée à mesure que la démarche s’éternise.
e : les formes de
Cette dynamique conjointe de sédimentation et de baisse de la transparence limite la pertinence de
la structure du modèle et rend problématique l’utilisation des résultats par les partenaires.
construction
L’étude de la démarche Luberon met en évidence une gestion difficile de l’itération lors de la co-
construction. Cette itération mène à l’élaboration d’un modèle de moins en moins valide sur le plan
construction
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
108
A mesure que les procédures s’accumulent, les modifications du modèle deviennent de plus
complexes. Si le SMA est un outil relativement plastique, les modifications n’en demandent pas
moins demandent un travail important de la part du modélisateur. Au bout d’un moment, les choix
précédemment effectués dans la démarche rendent difficiles les améliorations proposées par les
acteurs, faute de données ou de temps disponible pour l’implémentation. Certains blocages
apparaissent alors dans la dynamique d’itération.
La création de la couche d’information spatialisée sur les âges des peuplements constitue un
exemple intéressant de ces blocages : la création de cette couche demande au modélisateur un
calibrage important à partir des données fournies. Une fois ce calibrage effectué, il est difficile de
revenir sur cette donnée sans refaire totalement cette démarche, ce qui limite fortement
l’amélioration du modèle. Lorsque les experts forestiers identifient le problème de sous-estimation
généralisée de ces âges, la procédure ne peut être refaite, ce qui contraint fortement la liberté des
partenaires dans la formulation d’une solution. Améliorer le modèle en situation de blocage
nécessite de mettre en œuvre un bricolage des procédures déjà existantes, ce qui limite fortement la
validité structurelle du modèle et renforce les difficultés d’adaptation du modèle à de futurs
évolutions.
2. Des problèmes potentiels dans l’utilisation du modèle Luberon
Les problèmes de validité et de transparence mentionnés plus hauts posent problème lors de
l’institutionnalisation des résultats de la démarche. La question posée concerne la transposition du
modèle, considéré comme un « objet conceptuel », en un outil, c'est-à-dire un objet amené à être
utilisé. On détaille ici les limites propres à l’utilisation du modèle Luberon dans le cadre des objectifs
qui lui ont été assignés à l’initialisation de la démarche.
a. Le modèle Luberon comme outil de concertation
L’institutionnalisation prévue pour le modèle Luberon est basée sur la présentation des résultats des
simulations à des acteurs locaux. Ces résultats doivent constituer des éléments de réflexion ; à partir
de ces résultats, les participants seront amenés à discuter à propos de l’avenir du territoire et des
potentialités d’adaptation des élevages.
On peut s’interroger aujourd’hui sur la viabilité de cette phase d’institutionnalisation en l’état actuel
du modèle. Les défauts de transparence et la complexité du modèle posent problème : si même les
partenaires n’ont pas les idées claires sur les choix de construction qu’ils ont eux-mêmes opéré, il
paraît difficile de communiquer les résultats de la modélisation. Il est en effet problématique
d’envisager une présentation qui ne rendrait pas compte des principaux choix pour les mettre en
débat.
La construction du modèle à dires d’experts renforce ces difficultés d’institutionnalisation : en effet,
certains des indicateurs utilisés ne sont pas directement accessibles pour des acteurs profanes (à
quoi correspond une « journée brebis » ?). Au final, ces réunions nécessitent une opération de
traduction importante des résultats des simulations.
b. Le modèle Luberon comme outil de suivi.
L’agent du PNR ou l’expert forestier envisagent l’utilisation du modèle comme outil de suivi. Ce type
d’utilisation nécessite la création d’une interface grâce à laquelle les agents des institutions de
développement pourront tester de nouvelles options de gestion.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
109
En l’état actuel du développement du modèle, ce type d’utilisation est absolument impossible à
mettre en œuvre : en effet, la manipulation du code informatique fait que l’implémentation de
nouvelles modalités de gestion est totalement dépendante des chercheurs. Les ingénieurs de
développement mobilisés n’ont pour l’instant pas la technicité nécessaire pour faire fonctionner le
modèle en l’état.
La relative complexité du modèle (et sa faible transparence), issue de plusieurs années de co-
construction avec des experts et d’une sédimentation importante des procédures, rend elle aussi
impossible cette adaptation, notamment à cause des erreurs de codage qui se multiplient dès que
l’on implémente de nouveaux modules. Par le niveau d’expertise demandé (à la fois sur le modèle
complexe, la démarche et la manipulation de l’outil), la modélisation SMA s’intègre difficilement
dans le cadre d’une gestion adaptative du territoire.
En l’état actuel des choses, seul le jeu de rôles peut-être considéré comme un outil que l’on peut
confronter à des acteurs extérieurs à la démarche. Certaines limites observées pour le modèle
restent valable, notamment sur la transparence des choix de modélisation.
D. Les impacts sur la qualité de la démarche : l’apparition de boucles
dégradées de co-construction
La complexification croissante du modèle implique une augmentation parallèle des marges de
manœuvre de l’animateur/modélisateur. Ces marges de manœuvre aboutissent à la formation de
cycles dégradés de co-construction : lors de ces cycles ponctuels, le modélisateur dirige le cycle de
co-construction, en proposant notamment les modifications du modèle susceptibles de l’améliorer.
Les TFC ne constituent alors qu’une phase de validation de ces modifications impulsées par le
modélisateur. Les résultats présentés plus haut nous permettent de décrire les processus de création
de ces itérations.
A mesure que le modèle se fait de plus en plus opaque, le modélisateur devient la seule personne à
en avoir une vision un tant soit peu globale, ce qui lui confère un rôle de plus en plus important dans
la démarche. En identifiant les incohérences issues des dynamiques de stratification, ce modélisateur
est obligé d’établir de lui-même l’agenda du prochain TFC afin de corriger ces incohérences.
La complexité du modèle provoque des blocages dans la dynamique itérative de co-construction.
Pour surmonter ces blocages, le modélisateur est amené à faire évoluer de lui-même le modèle. Les
difficultés rencontrées lors des procédures d’installation des éleveurs sur le territoire le conduisent
ainsi à abandonner l’idée de modéliser les unités de pâturage. Aujourd’hui, cette procédure
d’installation (voir annexe 2) construit le territoire des éleveurs cellule par cellule et ne considère
plus les unités de pâturage, ce qui peut conduire le modèle à installer certains éleveurs sur des
cellules isolées. Le modélisateur choisit ici d’abandonner un choix de construction demandé par les
partenaires afin de simplifier le modèle et de produire des simulations.
Certains blocages amènent le modélisateur à mobiliser directement son expertise pour faire avancer
la construction du modèle. La phase de calibrage rendue nécessaire par les problèmes de cohérence
de la modélisation du pâturage constitue un bon exemple de ce type d’intervention. Ici, c’est
l’enlisement de la démarche de co-construction et la lassitude du modélisateur qui provoquent la
dégradation de la co-construction :
Expert élevage : Par contre je ne sais pas ce que ça représente au niveau du codage et du temps que
va mettre à tourner le modèle pour faire ça… Tu vas passer 3 fois sur tous les pixels de la même
unité…
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
110
Animateur : Non mais attendez c’est complètement débile ce que vous faîtes…
(blanc)
Expert élevage : On essayait de régler le problème d’une ressource ligneuse 10 fois trop importante
(…).
Animateur : On va y réfléchir…
Ici, le modélisateur coupe court à un cycle de co-construction stérile. Cette intervention pose un
problème éthique important, renforcé par l’expertise du modélisateur sur la question :
Il faut que j’arrête de vouloir faire faire aux gens le modèle de pâturage que j’ai en tête.
Les difficultés observées pendant le stage limitent la qualité de la co-construction en tant que
produits mais aussi en tant que processus. L’analyse des produits de la démarche met en évidence la
cohérence et la transparence problématique du modèle SMA. Ces défauts mettent à leur tour en
péril le déroulement du processus de co-construction, que l’on peut observer au cours des TFC. Par
l’analyse croisée des modèles et des discours de la démarche Luberon, les interactions existantes
entre les produits concrets et la qualité de la démarche de co-construction apparaissent clairement.
La viabilité de l’utilisation du modèle SMA peut être remise en cause : on constate pour l’instant un
décalage clair entre les attentes initiales et les réalisations concrètes du programme, notamment en
matière de gestion, ce que l’on retrouve dans de nombreuses démarches participatives (Lémery &
al., 1997).
Les constats réalisés plus hauts nous permettent-ils néanmoins de remettre en cause la validité du
modèle et de la démarche ? Il est nécessaire pour compléter notre approche d’évaluation de prendre
en compte les « produits dérivés » de la démarche, c'est-à-dire les processus d’apprentissage qui se
déploient autour des modèles et entre les participants à la démarche. Les limites concrètes
observées plus haut ont-elles un impact sur la qualité de la dynamique de concertation initiée au sein
de la démarche Luberon ?
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
111
VI- Modélisation d’accompagnement
et processus de concertation
L’objectif est de dépasser l’analyse de la co-construction et des outils créés pour étudier la démarche
de modélisation d’accompagnement en tant que processus de coordination entre des acteurs. Le
processus de concertation qui se déploie au cours de la démarche Luberon sera analysé de deux
façons :
- On proposera d’abord une évaluation des produits dérivés de la démarche Luberon: il s’agit
de voir si le processus de concertation initié lors de l’élaboration des modèles permet d’enclencher
des mécanismes d’apprentissage individuels et collectifs ou de construire une approche prospective
des dynamiques observées.
- On analysera ensuite la qualité « éthique » de cette démarche participative, en observant la
façon dont les légitimités ou les disparités entre participants se construisent au cours du processus.
1. Evaluation des « produits dérivés » de la démarche
L’évaluation produite ici est forcément relative à l’expérience vécue pendant le stage ; s’il manque
forcément une vision d’ensemble de la démarche pour produire une évaluation exhaustive, on fait ici
l’hypothèse que les données produites en amont suffisent à rendre compte a minima des
dynamiques initiales.
Pour faire cette évaluation, on mobilise toujours les interactions entre le modèle et le collectif. Les
modèles permettent-ils l’émergence d’une représentation partagée des dynamiques analysées
pendant la démarche ?
A. La modélisation d’accompagnement comme processus
d’apprentissage pour les acteurs
Les dynamiques d’apprentissage individuelles sont difficiles à mettre en évidence sans un protocole
d’entretiens. On s’attachera plutôt à montrer comment la co-construction permet l’expression et
l’échange de pratiques ou de stratégies sur la ressource. Le modèle Luberon semble constituer un
« moyen d’expression des points de vue en présence » (Barnaud, 2008).
1. Le modèle comme support d’expression de points de vue et de pratiques sur le
milieu
La confrontation des participants au modèle produit de la connaissance : la démarche de
modélisation permet la transformation de la réalité perçue en « procédures ». Elle nécessite à la fois
une description précise et une formalisation des pratiques que les différents agents sont amenés à
déployer sur le territoire. En poussant chaque partenaire à opérer cette traduction, le modélisateur
créé les conditions pour un partage d’informations entre les participants.
Un représentant du PNR a ainsi souhaité intégrer les Mesures Agro-environnementales
Territorialisées (MAET) dans le modèle pour élaborer le scénario Natura 2000. Ces mesures
permettent notamment de financer des travaux pour la réouverture des milieux si les éleveurs
s’engagent à pâturer cet espace. Pour implémenter ces mesures dans le modèle et en faire une règle
pour le SMA, l’animateur demande à cet acteur d’expliciter la stratégie (saupoudrage ou
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
112
concentration spatiale des aides ?) et les marges de manœuvre (enveloppe budgétaire) pour la mise
en œuvre de cette politique par le PNR. Il y a bien une interaction entre le chercheur et le
participant : l’implémentation d’un indicateur dans le modèle se fait à la demande d’un acteur mais
passe par une explicitation des stratégies et des marges de manœuvre de ce même acteur.
Le modélisateur et la confrontation au modèle invitent chaque participant à dépasser l’utilisation de
termes ambigus, et à en définir le contenu : lorsque l’agent du PNR emploie le terme de
« surpâturage », l’animateur amène l’acteur à expliciter ce qu’il entend par « surpâturage » en
construisant un indicateur susceptible de transcrire cette notion polémique dans le modèle. Au final,
cette interaction met en évidence les difficultés éprouvées par les participants pour définir
clairement cette dynamique.
Cette démarche de modélisation collective aboutit parfois à la création de documents synthétiques
capables de représenter une perception partagée entre les différents partenaires mobilisés. C’est le
cas par exemple du calendrier de pâturage qui synthétise des connaissances éparpillées entre
plusieurs experts sur l’élevage (voir annexe 5). Ici, la formalisation par la modélisation permet un
processus de création collective de données.
2. Des mécanismes d’apprentissage individuel par la confrontation au SMA
Si la confrontation au modèle créée les conditions pour des échanges d’informations au sein du
collectif, elle constitue également une voie de remise en cause individuelle : par la modélisation
d’accompagnement, l’acteur est amené à reconsidérer ses propres connaissances.
Un des experts mobilisé ponctuellement dans la démarche note l’intérêt de cette confrontation au
modèle :
« Je ne m’étais jamais posé la question comme ça ».
La démarche proposée permet à l’expert de jeter un regard nouveau sur ses propres données. Elle lui
offre également l’occasion de les remettre en cause : par ses exigences formelles, la modélisation
met en évidence les manques de connaissances. La représentation du pâturage se heurte ainsi à la
signification des « taux de raclage » proposés par les experts : les problèmes de calibrage du modèle
poussent ainsi ces experts à mieux définir chaque niveau de raclage en termes de prélèvements réels
sur les ressources.
3. Compléter l’approche experte par le jeu de rôles
Les sessions de jeu de rôles constitue une étape de validation à part entière des choix de
modélisation opérés au cours de la démarche. En effet, les acteurs mobilisés dans le processus de co-
construction sont tous des experts ; s’ils peuvent mobiliser des savoirs techniques pour décrire
l’impact de différentes dynamiques sur le milieu, aucun participant de ce groupe de pilotage n’assure
la gestion effective sur ce territoire. En confrontant leurs représentations avec les représentations
que les acteurs ont de leurs propres pratiques sur le milieu, le jeu de rôles créé de nouvelles
connaissances chez les experts mobilisés.
Les sessions de jeu de rôles n’ayant pas débuté, cette validation par la mise en situation des acteurs
du territoire est évaluée à partir de tests du prototype du jeu réalisés avec des éleveurs. Ces éleveurs
proposent de nombreuses évolutions du modèle, notamment sur les modalités d’adaptation des
exploitations prévues dans les scénarios. Ainsi, dans le scénario « baisse des revenus », l’option qui
propose un agrandissement de l’exploitation pour compenser cette baisse est jugée peu pertinente
par les éleveurs. De la même façon, la confrontation des éleveurs au jeu de rôles permet de
compléter la modélisation du pâturage : un des éleveurs propose ainsi la création dans le calendrier
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
113
de pâturage d’une catégorie « plantation pérenne » pour pouvoir faire pâturer ses brebis dans les
vignes de son exploitation.
Le jeu de rôles fournit également de la donnée sur le contexte social qui régit les interactions réelles
entre les acteurs sur le territoire. La phase d’installation des éleveurs du jeu de rôles met ainsi en
évidence la compétition spatiale qui existe entre éleveurs :
Eleveur A : Est-ce que dans le jeu on peut s’agrandir après ? Trouver d’autres ressources… Parce que
là, l’autre il m’embête ici…
Eleveur B : Si on peut s’agrandir, je ne joue pas avec lui…
(Rires)
Eleveur A : Non en vrai je n’ai jamais poussé quelqu’un…
Le jeu de rôles, même s’il constitue une « mise en situation distanciée », permet aux experts de
considérer leur objet d’étude –la structure spatiale des territoires de l’élevage- sous un angle
nouveau, celui des interactions quotidiennes entre éleveurs.
La confrontation des acteurs et de leur expertise au modèle créée de la connaissance individuelle et
collective. Cette confrontation créée-t-elle pour autant du collectif ?
B. La modélisation d’accompagnement comme processus de
coordination entre acteurs
On analyse ici le rôle de médiateur du modèle, la façon dont cet outil catalyse des processus de
coordination entre les participants à la démarche. Jusqu’où ces dynamiques de coordination se
déploient-elles ? Permettent-elles de faire émerger des stratégies concertées de gestion du milieu ?
1. La modélisation pour identifier des points stratégiques de coordination
La modélisation d’accompagnement est basée sur une approche systématique des problèmes de
gestion des ressources. Elle vise notamment à identifier des interfaces et des interdépendances entre
les dynamiques observées, les activités modélisées, mais aussi entre les acteurs mobilisés.
On distingue deux types de confrontation entre les acteurs induite par le processus de modélisation.
a. Une confrontation lors des réunions de co-construction
La création du modèle dans une démarche de modélisation d’accompagnement catalyse des
discussions autour de « verrous stratégiques », c'est-à-dire des dynamiques qui concernent plusieurs
types d’activités sur le territoire. C’est le cas par exemple du « surpâturage » : cette thématique
soulevée par l’agent du PNR croise les activités d’élevage et la conservation de la biodiversité. La
discussion sur les indicateurs de surpâturage se déploie lors de l’élaboration du modèle, plus
particulièrement au cours de la réflexion sur les modalités de pâturage (« taux de raclage »).
Les TFC constituent des moments d’interactions au cours desquels certains enjeux croisés peuvent
être disputés. En souhaitant intégrer des populations de rapaces dans le modèle, l’agent du PNR créé
la discussion avec l’expert forestier (voir annexe 6.g). Ces phases de confrontation des avis et de
contradiction sont sans doute les phases les plus intéressantes de la démarche. La nécessité de
construire une argumentation autour de variables et de données concrètes pour l’implémentation
renforce l’intérêt de ces moments d’interactions.
b. L’identification d’espaces d’interactions potentiels
L’utilisation d’un système multi-agents spatialisé permet d’identifier des espaces potentiels
d’interdépendances entre différents acteurs sur le territoire. Le croisement entre les scénarios
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
114
forestiers et le scénario de référence met ainsi en évidence un problème de gestion sylvospastorale
sur les parcelles passées en coupe situées sur le territoire d’un éleveur. Le « povCoupeEleveur »
permet d’identifier ces parcelles et d’étudier l’impact potentiel des mises en défens forestières sur le
pâturage.
En projetant les parcelles probablement mises en défens en cas de développement de coupes pour le
bois-énergie sur le territoire, ce pov créé une dynamique de réflexion sur les solutions. Le
développement « d’éclaircies sylvopastorales » et la réorganisation du territoire de l’éleveur touché
par les mises en défens sont envisagés sans pour autant être implémentées dans le scénario.
2. La modélisation pour mettre en concordance des stratégies de gestion du milieu ?
La modélisation d’accompagnement créé des espaces et des moments d’interactions entre les
participants. Pour autant, observe-ton au cours de la démarche Luberon des moments de
coordination entre acteurs aboutissant à de nouvelles voies de gestion du territoire ?
L’analyse de la démarche montre que l’exploration des interfaces précédemment mentionnées ne va
pas assez loin pour produire de nouvelles modalités de gestion. Si les problèmes sont identifiés et
discutés, ce n’est pas forcément le cas des « solutions » intégrées dans le modèle : en effet, ces
discussions sont laissées en suspend à la fin des réunions. Ainsi, les modalités d’une gestion
« sylvopastorale » des parcelles coupées sur le territoire d’éleveurs ne sont pas définies.
3. Un processus de co-construction qui génère des blocages dans la dynamique de
coordination
Il s’agit ici de proposer une analyse pour expliquer les limites propres à l’exploration des interactions
entre acteurs et des solutions innovantes pour la gestion des ressources. L’essoufflement de la
dynamique de co-construction observé plus haut (Figure 15) constitue selon nous un facteur
important.
A.Boutet (in Barreteau & Treuil, 2009) mentionne un exemple d’expérience de co-construction
problématique pour la coordination :
« A partir d’une constitution initiale du groupe impliqué dans la co-construction du modèle en forum
hybride, A.Boutet a pu constater son évolution en groupe restreint, partageant de mieux en mieux en
interne les représentations de chacun. Cependant, ce groupe restreint peut développer un langage
implicite partagé propre à ce groupe qui rendra plus difficile la communication du modèle co-
construit à l’extérieur du groupe. Par ailleurs, la coordination dans la construction du modèle n’a pas
impliqué une coordination dans les usages possibles du modèle qui en résulterait, sur lesquels il n’y
avait pas eu concertation ».
L’expérience décrite ressemble à s’y méprendre au processus de blocage de la dynamique de
coordination au cours de la démarche Luberon, processus initié par le cercle vicieux décrit plus haut.
La complexification progressive du modèle remet en cause l’élaboration d’une représentation
commune, préalable à une gestion concertée des ressources naturelles. Ce processus se traduit
concrètement lors des TFC par une séparation nette entre l’amélioration de la représentation des
activités forestières et l’amélioration de la représentation de l’élevage : à mesure que la
sédimentation des procédures et du modèle augmente, les boucles itératives de calibrage
envahissent les réunions au détriment d’une exploration qualitative et collective des résultats. Ce
problème culmine au cours d’un TFC centré autour de deux problématiques bien distinctes, le
calibrage des déficits sur parcours et celui de l’âge des peuplements forestiers. Ces problèmes
d’experts se traduisent par des sous-réunions thématiques qui limitent les temps d’exploration
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
115
communs pour une gestion concertée. De plus, l’attention des acteurs non concernés par ces
calibrages baisse fortement à mesure que la modélisation devient de plus en plus technique.
C. La dimension prospective de la démarche
On évalue ici la dimension prospective propre à la démarche menée dans le Luberon et aux différents
modèles produits, c'est-à-dire leur capacité à ouvrir le champ des possibles à et explorer des
trajectoires potentielles du système (Promotion-FNS, 2009). Cette dimension exploratoire est
développée pour augmenter la capacité d’adaptation des acteurs face aux voies de changement
modélisées, ce qui constitue un des objectifs déclarés de la démarche.
1. Un constat : des scénarios limités
L’analyse des scénarios construits au sein de la démarche Luberon met en évidence leurs limites
quant à une utilisation prospective.
a. Une hybridation limitée entre facteurs de changements
On note tout d’abord l’hybridation faible entre les différents scénarios et thématiques mobilisés : les
scénarios sont uniquement construits à partir d’un seul facteur de changement qui n’est pas
réellement exploité au sein du modèle. Le scénario « changement climatique » n’a qu’un impact sur
la production des ressources pastorales sans pour autant influencer l’activité forestière. Les enjeux
de « biodiversité » n’entrent jamais en interaction avec le module « élevage », puisque le seul impact
modélisé de cette activité sur le milieu concerne l’évolution des paysages. Ainsi le scénario « bois-
énergie » est le seul scénario où les problématiques de biodiversité sont abordées, par
l’intermédiaire des points de vue « vieille forêt » et « rapaces ».
b. Un champ des possibles restreint
Les scénarios modélisés offrent ensuite une gamme limitée d’évolutions par rapport au contexte
actuel, porteur d’incertitudes fortes. Le scénario « baisse des cours », même s’il constitue le scénario
prospectif le plus abouti, ne remplit pas ainsi l’objectif initial décrit par Lasseur et al, (à paraître) :
« Le contexte actuel de réévaluation globale des fondements de l’activité agricole est porteur de
fortes incertitudes, il s’agit plutôt d’accompagner les agriculteurs à faire émerger de nouvelles formes
d’activité ».
Les résultats de ce scénario insistent plus sur la réorganisation territoriale liée à l’abandon ou à des
changements de l’inscription spatiale des éleveurs. A aucun moment ne sont imaginées de nouvelles
formes d’activités. De plus, seul le facteur de changement « baisse des cours » est finalement
implémenté, alors que de nombreux autres facteurs sont envisagés au cours de la démarche
(évolution des interactions avec les agriculteurs, disparition des terres pâturables à cause du mitage,
apparition du loup…). De par leur composante spatiale, ces facteurs de changement auraient très
bien pu être déclinés dans le modèle afin d’ouvrir le champ des possibles.
c. Des scénarios peu ouverts et contrastés
Au final, les participants constatent que les résultats produits par les scénarios sont assez peu
contrastés. Lorsque l’on répète les simulations autour d’un seul scénario, ces résultats évoluent très
peu, ce qui montre que le modèle est incapable de décliner différentes trajectoires pour un même
scénario. Ainsi, le scénario sur le bois-énergie fournit toujours les mêmes résultats pour la récolte.
De la même façon, les résultats pour le pâturage ne varient qu’en fonction du climat ; l’introduction
d’une récolte de bois-énergie ne fait pas évoluer la quantité de ressource prélevée par les troupeaux
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
116
des exploitations touchées par les mises en défens. A l’échelle du territoire, l’abandon d’éleveurs
modélisé dans le scénario « baisse des revenus » a un impact sur la dynamique végétale.
Au final, les résultats sont assez prévisibles, ce qui limite fortement l’intérêt du modèle. Ces faibles
différences entre scénarios peuvent constituer un résultat de la démarche : dans ce cas, les facteurs
de changements choisis ne sont pas les plus pertinents. Ils peuvent aussi refléter des voies
d’amélioration à explorer dans la modélisation pour bonifier les scénarios et produire des résultats
plus contrastés : l’implémentation d’une desserte forestière aurait par exemple permis de préciser
des trajectoires différentes de récolte en fonction de distances à la desserte. De la même façon,
l’introduction d’une problématique d’accès à l’eau sur les parcours aurait pu enrichir le scénario
« changement climatique ». Cette thématique est discutée au cours de la démarche mais n’est pas
implémentée.
A quoi peut-on attribuer ces limites dans l’exploration des scénarios ?
2. SMA et prospective
On fait ici une première hypothèse pour expliquer les manques observés dans la dimension
prospective du modèle : l’utilisation d’un SMA spatialisé pourrait limiter l’exploration des trajectoires
de changement sur le territoire. On teste ici cette hypothèse en évaluant le rôle de l’outil mobilisé
dans la dynamique d’exploration.
a. Le SMA spatialisé : une contrainte pour l’exploration ?
La création de scénarios par l’utilisation d’un système multi-agent basé sur une spatialisation se fait
en deux étapes : à une exploration qualitative des scénarios (voir annexe 3) succède leur
transcription quantitative dans le modèle. Cette deuxième étape spécifique à l’utilisation d’une
modélisation informatique pose problème.
L’intégration d’une dynamique dans le modèle nécessite des données ou de l’expertise ; il n’est donc
possible de ne représenter que des dynamiques déjà bien documentées, ce qui limite fortement
l’exploration de nouveaux enjeux ou la représentation de dynamiques futures. En l’absence d’un set
de données infini pour modéliser l’ensemble des interactions mises en évidence par les acteurs,
certaines sont laissées de coté, ce qui est préjudiciable au développement des scénarios.
L’intégration d’indicateurs de biodiversité (enjeu « plantes messicoles ») et la modélisation de ces
indicateurs dans les différents scénarios (« rapaces ») se heurte à ce manque de données :
l’introduction d’une dépendance aux milieux ouverts pour les rapaces est discutée mais n’est pas
implémentée faute de connaissances disponibles. L’implémentation de ce mécanisme aurait
pourtant pu enrichir les interactions entre les différentes activités, notamment avec l’élevage.
Le choix d’une représentation spatialisée d’un territoire limite aussi les dynamiques modélisées dans
les scénarios, comme le relèvent Lasseur & al. (sous presse) :
« Une représentation des activités présentes agrégées à partir d’informations à l’échelle parcellaire
permet d’analyser finement les interactions actuelles. Ces travaux, qui reposent sur un lourd dispositif
de collecte de données, sont peu propices à l’élaboration de scénarios d’évolution. Ils ne permettent
pas d’initier chez les acteurs des interrogations sur des choix diversifiés d’évolution ou sur des
relations de complémentarités et concurrences entre diverses formes d’organisation de ces
activités ».
Ainsi, le scénario « baisse des cours » se limite à l’évolution de l’emprise territoriale des éleveurs
suite à des abandons de cette activité. L’impact sur la santé des exploitations restantes n’est pas
modélisé.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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b. Une « béquille pour penser » ?
Selon Barnaud (2008), le modèle peut constituer un atout pour l’exploration des interactions au sein
d’un système, en mettant en évidence des boucles de rétroactions insoupçonnées par les acteurs.
L’analyse de la démarche permet d’identifier très ponctuellement ce mécanisme d’exploration par la
confrontation au modèle.
Le scénario changement climatique a un impact sur la production en céréales, ce qui provoque de
gros déficit pour l’alimentation en bergerie. Ce lien de cause à effet n’est pas directement identifié
par les partenaires ; il n’existe d’ailleurs aucun point de vue spécifique pour évaluer cet impact. Une
étude fine des « incohérences » dans les résultats des simulations est menée par le chercheur
spécialisée sur l’élevage et permet de mettre en évidence ce résultat.
Si la modélisation offre des opportunités pour accéder à des rétroactions non prises en compte lors
de la construction du modèle, ceci demande une attitude d’exploration systématique de la part des
acteurs.
La dimension prospective des outils mobilisés peut être mise en cause : sans doute est-il plus facile
d’imaginer et de développer des scénarios prospectifs par des méthodes uniquement qualitatives.
Néanmoins, les limites observées ne doivent pas être attribuées uniquement aux outils, mais aussi à
la façon dont ils ont été mobilisés dans la démarche Luberon.
3. Validité d’une prospective co-construite dans la démarche Luberon
On analyse ici la façon dont les participants mobilisent le modèle pour développer les bases
qualitatives et la traduction quantitative des scénarios.
a. Des temps d’exploration qualitative restreints liés à la dynamique
de co-construction
Le scénario « baisse des cours » constitue sans doute le seul exemple de scénario dont la
construction bénéficie d’une importante phase de réflexion qualitative au préalable, réflexion
synthétisée dans un document (voir annexe 3). Pour les autres scénarios, cette phase est moins
développée, ce qui limite beaucoup la richesse des trajectoires modélisées.
Au final, la dynamique de co-construction déficiente provoque les mêmes limites que celle observée
pour les mécanismes de coordination (Figure 15). Les phases de calibrage et de paramétrage des
données prennent le pas sur les phases d’exploration qualitative. Ainsi, les partenaires envisagent de
créer dans le scénario « baisse des cours » un « neuvième type » d’éleveur, c'est-à-dire une forme
d’adaptation de l’élevage au changement modélisé. Malgré l’intérêt prospectif d’une telle réflexion,
cette phase qualitative n’est jamais mise en œuvre faute de temps lors des TFC. De la même façon, la
démarche ne prévoit pas de temps personnel en dehors des réunions, ce qui limite fortement les
possibilités de développement qualitatif.
L’exemple du « scénario Natura 2000 » montre quant à lui les limites liées à la posture « réaliste »
dans une démarche prospective : si les partenaires prévoient de réfléchir à un « scénario Natura
2000 », sa réalisation effective se borne à une retranscription la plus fidèle possible de la réalité. Ici,
l’implémentation des mesures MAET se limite à l’ajout d’un module plutôt qu’au développement
d’un réel scénario qui simulerait par exemple l’impact d’un changement dans les règles d’attribution
des aides MAET.
b. Les postures des participants face à la prospective
Les différents partenaires adoptent une attitude plus ou moins exploratoire au cours de la
démarche : si les experts sur l’élevage ont un objectif prospectif, ce n’est pas forcément le cas des
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
118
agents du PNR, qui souhaitent plutôt mobiliser le modèle afin de tester des orientations de gestion
précises. Le scénario produit sur le développement d’une filière bois-énergie constitue bien un
scénario de gestion plutôt qu’un scénario réellement prospectif.
Ce scénario se fait de plus en plus précis à mesure que la démarche progresse, ce qui limite sa
dimension prospective : au lieu de faire varier les modalités de la gestion des coupes pour en tester
les impacts différenciés sur le paysage, l’agent du PNR définit au fur et à mesure des modalités de
gestion de plus en plus précises. Parallèlement, le scénario devient de moins en moins un outil de
test pour le projet bois-énergie et de plus en plus un outil de démonstration pour représenter une
gestion idéale des coupes en bois-énergie. Plus le scénario se fige, plus l’exploration fait place à la
sensibilisation.
c. Un manque de contradiction
Le manque de contradiction lors du développement du scénario « bois-énergie » peut également en
expliquer les limites : en effet, seul l’agent du PNR et un expert forestier participe à son élaboration.
Un deuxième expert forestier est mobilisé au début du processus mais quitte la démarche. Ce
participant envisage des coupes de bois-énergie en résineux et en feuillus, là où les deux autres
partenaires n’envisagent que des coupes en résineux. Lorsque ce partenaire quitte la démarche, le
critère « essences coupées » se fige faute de confrontation entre des avis divergents, ce qui limite
l’exploration du scénario.
d. Une utilisation « passive » des scénarios par les participants
L’exemple décrit plus haut à propos de l’impact du changement climatique sur la production en
céréales montre que l’attitude prospective se fonde sur une analyse active des résultats du modèle :
en identifiant des prétendues incohérences, le chercheur met en évidence une interaction imprévue
dans le modèle, interaction qui constitue un résultat prospectif.
Contrairement à cet exemple, l’analyse des résultats des scénarios par les partenaires reste
globalement passive : la procédure de validation par confrontation des résultats à la réalité perçue
limite fortement l’analyse du modèle et ne permet pas d’identifier de nouvelles interactions. Plus la
transparence du modèle devient limitée, plus les partenaires ne se confrontent au modèle que par
l’intermédiaire des points de vue qu’ils ont eux-mêmes demandés ; ce mode d’interaction limite
forcément l’exploration, ce que déplore le chercheur à l’initiative de la démarche :
« Tu prends une carte dans la figure et tu raisonnes sur la carte ».
Ainsi, lorsque le scénario « bois-énergie » ne donne plus le résultat attendu (la récolte ne pourra pas
se faire sans les propriétaires privés), on évacue le critère foncier du modèle au lieu de le conserver
et d’essayer d’expliquer les évolutions des simulations. On met en évidence ici l’un des problèmes
spécifiques à l’emploi de « points de vue » dans une démarche de co-construction qui se veut
prospective : le point de vue ne doit pas simplement représenter « ce que l’acteur veut voir » mais
doit également constituer un média par lequel le participant interroge la structure du modèle.
De la même façon, les partenaires mobilisent peu les différentes variables qui peuvent permettre de
simuler des trajectoires variées du système au sein d’un même scénario. Ainsi, le critère « effectif de
brebis pouvant passer en filière courte » n’est pas testé lors des simulations sur le scénario « baisse
des revenus », malgré la forte incertitude qui pèse sur ce chiffre. Au final, les résultats produits par
les simulations et présentés lors des TFC ne représentent souvent qu’une trajectoire du système
parmi d’autres : la recherche d’une représentation réaliste du territoire limite par exemple
l’utilisation de paramètres stochastiques permettant de traiter les incertitudes existant sur de
nombreuses variables.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
119
4. Jeu de rôles et dimension prospective
L’analyse de la phase de modélisation par le SMA met en évidence les difficultés propres à cet outil et
à sa mobilisation par les partenaires dans un cadre prospectif. Les sessions de jeu de rôles, par la
dynamique de contradiction qu’elles créent, peuvent sans doute constituer un moment d’exploration
privilégiée au sein de la démarche. On se base ici sur les réunions de test du prototype du jeu de
rôles réalisées avec des éleveurs.
Les modalités d’élaboration du jeu de rôles offrent plus de possibilités d’exploration des dynamiques
modélisées. Ceci est lié à l’intervention plus forte de l’animateur/modélisateur, qui propose par
exemple l’introduction d’une forte part de hasard dans le fonctionnement du jeu. Ainsi, les crédits
disponibles pour réaliser les débroussaillements sont tirés au sort, ce qui permet aux joueurs
d’adapter leur stratégie en fonction. De la même façon, les animateurs imposent un jeu de rôles dans
lequel la liberté du joueur est maximale : au lieu d’imposer des enjeux de biodiversité au naturaliste,
le maître du jeu laisse le soin au joueur d’identifier les enjeux qui lui semblent importants. Même si le
cadre du jeu de rôles limite forcément la liberté des joueurs au cours de la partie (tous les enjeux de
biodiversité ne sont pas forcément intégrés), l’objectif de concepteur est ici de favoriser une
dimension très exploratoire afin d’ouvrir les perspectives lors du débriefing.
Ce débriefing constitue un temps d’analyse qui pourra produire des résultats prospectifs
intéressants ; il permet en effet la confrontation entre les choix réalisés par les concepteurs et les
choix opérés par les joueurs dans le jeu. Les éleveurs invités au test du prototype remettent ainsi en
cause l’une des voies d’adaptation proposée par les experts (agrandissement des troupeaux). Ce
temps d’exploration qualitative permet également de dépasser le cadre du jeu pour projeter des
solutions d’adaptation inenvisageables dans le cadre du jeu. C’est le cas par exemple de l’option
« abandon de l’élevage » : cette option n’est pas implémentée mais pourra être discuté lors du
débriefing.
5. Le modèle comme support d’une discussion prospective
Au final, l’analyse proposée interroge la capacité de faire de la prospective dans un cadre de co-
construction. Le maintien d’un groupe restreint pour réaliser un suivi des choix de modélisation
s’oppose manifestement à la nécessité d’ouvrir le collectif pour augmenter les trajectoires du
système explorée. De la même façon, l’utilisation d’un modèle informatique, par les données qu’elle
doit mobiliser et par les problèmes de transparence qu’elle implique, limite cette exploration. Les
problèmes liés à la mobilisation de ces modèles par les partenaires renforcent ces difficultés, ce qui
rend sans doute nécessaire la construction d’un cadre de modélisation d’accompagnement
spécifique à l’analyse prospective.
Si les modèles ne peuvent pas fournir tous les éléments d’une discussion prospective aboutie, ils
peuvent néanmoins constituer un support intéressant pour cette discussion : par la remise en cause
des choix opérés lors de la modélisation, la phase de débriefing pour le jeu de rôles constitue sans
doute une phase incontournable pour l’exploration parce qu’elle dépasse une simple analyse des
résultats produits. De la même façon, l’institutionnalisation des résultats du modèle devra rendre
compte des choix de modélisation pour les mettre en discussion.
Les discussions relevées lors des phases d’ouverture du collectif constituent ainsi des phases
d’exploration forte des trajectoires potentielles du système : l’apparition d’acteurs nouveaux ne
maîtrisant pas les techniques de modélisation permet à la discussion de dépasser le modèle et
d’appréhender de nouvelles dynamiques (apparition du loup, interaction avec les agriculteurs…).
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
120
L’analyse des produits dérivés de la démarche Luberon met en évidence les difficultés que posent les
ratés de la dynamique de co-construction. Ces dysfonctionnements remettent-ils en cause les
aspects éthiques de la démarche ?
2. Equité, représentativité et légitimité dans la démarche
Luberon
Si la modélisation d’accompagnement est basée sur un principe d’équité entre les participants et les
enjeux qu’ils portent, comment ce principe éthique est-il appliqué au sein de la démarche ? Les
produits créés peuvent-ils être considérés comme représentatifs des problématiques portées par
l’ensemble des acteurs mobilisés dans le collectif ?
A. Le modèle comme support des réflexions stratégiques
L’analyse des objectifs propres aux différents partenaires de la démarche Luberon montre une
certaine diversité de ces objectifs et parfois même l’apparition de divergences entre ces acteurs. On
s’attachera ici à montrer que la démarche de modélisation d’accompagnement ne créée pas
forcément de consensus mais abrite dans une certaine mesure une diversité d’objectifs et de points
de vue grâce à la relative plasticité des outils utilisés.
1. L’expression d’une arène de négociation
La discussion concernant le rôle de l’élevage sur le risque d’incendie dans le modèle (voir annexe 6.e)
met en évidence l’existence de règles de modélisation « partiales », qui retranscrivent le point de vue
et les stratégies de gestion portés par l’acteur qui les propose.
L’analyse de la démarche Luberon montre que modèle constitue une cristallisation, certes imparfaite
mais réelle, des négociations qui peuvent se dérouler sur le territoire et au sein de la démarche
participative. Si cette démarche participative peut-être perçue comme une arène (Barnaud, 2008), le
modèle constitue l’expression de cette arène. Ainsi, l’absence d’un consensus sur l’utilisation
potentielle des modèles créés aboutit à la création d’outils hybrides, chargés à la fois de représenter
une réalité afin de tester des options de gestion mais aussi de constituer des outils d’exploration
dans un but prospectif.
Plus qu’un « tiers neutre », l’analyse de la démarche menée dans le Luberon confirme la perception
de Drogoul (in Barreteau & Treuil, 2009) qui considère le modèle comme un « enjeu de
négociation », support des stratégies des différents acteurs mobilisés. Grâce à sa forme
« scientifique », le modèle Luberon justifie et légitime les informations incorporées auprès des
décideurs (Abbot & al., 1998). Le modèle constitue un début de traduction opérationnelle et
institutionnelle, puisqu’il « pré-formate » ses résultats dans un langage d’expert bien précis, sous la
forme de graphe et de cartes. Les résultats des simulations constituent des traductions amenées à
être communiquées, qui portent déjà un message pour des acteurs extérieurs au processus,
notamment par le biais des « points de vue ».
L’analyse des modalités de mobilisation du modèle par les acteurs met en évidence cette capacité de
l’outil à cristalliser des stratégies différentes et parfois antagonistes.
2. Des outils plastiques
L’objectif ici est de voir ce qui, dans la construction des modèles, permet l’expression des stratégies
propres aux différents acteurs mobilisés dans la démarche Luberon.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
121
a. La plasticité des données
Le choix des données de construction fixées en dur dans le modèle est très important et peut
contenir des éléments qui renvoient directement à une stratégie propre à un ou plusieurs acteurs. La
vitesse d’embroussaillement des pelouses implémentée dans les matrices de transition de la
végétation (10 ans pour qu’une pelouse passe en garrigue) est ainsi remise en cause par un expert
ponctuellement mobilisée dans la démarche. Cet expert considère comme cette vitesse « trop
vigoureuse » :
« C’est beaucoup trop rapide, en 50 ans ça ne s’embroussaillera pas autant sur le Grand Luberon ».
Les suivis scientifiques menés par cet expert contredisent les vitesses modélisées. Pourtant, les
partenaires justifient le chiffre utilisé par une volonté de « forcer le trait » sur cette dynamique. La
problématique de la fermeture des pelouses est portée par les acteurs, par l’intermédiaire du choix
dans les matrices de transition qui surestime et met en valeur cette dynamique sur des simulations
de 10 ans.
Dans la mesure où des données spatiales sont reconstituées au cours de la démarche, certaines de
ces données sont modelées pour porter d’elles-mêmes un enjeu identifié par les participants. Les
bricolages décrits précédemment et visant à « installer » des éleveurs sur les pelouses du Grand
Luberon sont directement issus d’une volonté de mettre en avant le rôle du pâturage comme facteur
de maintien des paysages. De la même façon, les pratiques de « forçage » observées lors de
l’élaboration de la carte du jeu de rôles visent à exacerber la concurrence entre les usages forestiers
et pastoraux ; de cette façon, les modélisateurs souhaitent créer des phases d’interactions entre ces
rôles, même si ces interactions sont plus fréquentes que dans la réalité.
b. La plasticité des procédures
L’évolution de la mobilisation du statut foncier des terrains forestiers dans la procédure de coupe
pour le bois-énergie montre que la structure de certaines procédures peut varier en fonction des
objectifs portés par les participants.
Les premières simulations du scénario « bois-énergie » présentées lors d’un TFC mettent en évidence
le rôle de ce statut foncier : ainsi, même en mettant une priorité des coupes sur les terrains
communaux, l’exploitant est obligé de réaliser des coupes en forêt privée pour compléter sa récolte.
Ce résultat correspond à la perception de l’expert chargé de développer le scénario :
« Donc ça veut dire qu’il n’y a pas vraiment de volumes dans les terrains communaux, à part la
première année… Il y a quand même 60… plus que ça 80% qui sortent du privé. C’est bien ça comme
résultat… (…) Ca veut quand même dire qu’il faut faire une sacrée mobilisation des propriétaires
privés si on veut se fournir localement en bois-énergie… non c’est bien ».
Suite à des modifications des règles de coupe, les résultats du scénario bois-énergie montrent que les
coupes peuvent être effectuées en intégralité dans des forêts communales. Ce résultat devient
« contreproductif » pour cet agent qui souhaite mobiliser les propriétaires privés autour de
l’exploitation en bois-énergie. Il revient alors sur les procédures précédemment demandées, comme
le montre cet extrait de relevé de décision :
Cette règle [priorité aux terrains communaux pour l’exploitation] n’est pas considérée comme
pertinente : les simulations montrent que toutes les coupes sont faîtes en forêt communale alors que
dans la réalité, toutes les forêts communales ne sont pas accessibles, ce qui impliquera forcément un
recours à la forêt privée pour l’approvisionnement en bois-énergie. En l’absence d’informations plus
pointues sur l’exploitabilité (pas de desserte), le statut foncier des terrains forestiers n’est plus
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
122
considéré comme une information pertinente : les coupes se feront donc au hasard entre les deux
types de statuts (idem pour l’exploitation en bois de chauffage).
c. La plasticité des points de vue
L’élaboration des points de vue constitue également une modalité d’expression privilégiée pour les
partenaires. Ces points de vue retranscrivent ce que l’acteur veut voir dans le modèle mais aussi les
résultats qu’il voudra potentiellement exporter lors de la phase d’institutionnalisation. En faisant
varier la forme (sémiologie graphique) et la structure des sorties du modèle, le message transmis par
ces résultats n’est plus tout à fait le même.
Le pov « surcharge1 » localise les zones de « surcharge », où le taux de raclage a dépassé le taux
prévu dans le calendrier de pâturage. La construction de ce pov est remise en question par les
experts pastoralistes lors de sa présentation en TFC : sans renseignements sur le nombre d’année
avec « raclage+ » sur la cellule, ce pov peut surestimer sa répartition et accréditer la thèse d’un
« surpâturage » avancée par l’agent du PNR (voir annexe 6.f). La couleur choisie pour les cellules en
surcharge (rouge) participe à la défiance de ces acteurs par rapport à ce pov. Au final, la structure et
la sémiologie graphique de ce point de vue contreproductif sont modifiées.
La démarche de co-construction et l’utilisation de modèles offrent aux partenaires des possibilités
infinies pour mettre en conformité les résultats du modèle avec leurs stratégies ou leurs
représentations du système. Le modèle n’est donc pas « neutre » (Laloë & Chaboud, 2009), ce qui
renforce la nécessité de développer des outils pour assurer la transparence et mettre les choix de
construction en discussion.
Si la plasticité du modèle rend possible une certaine instrumentalisation de cet outil, elle permet
également au chercheur d’analyser les enjeux portés par chaque participant dans la démarche.
3. Eclairer les stratégies et la posture des participants par l’étude de la démarche
L’analyse de la création de l’environnement du modèle Luberon (voir plus haut) met en évidence une
cohérence certaine entre les objectifs de chaque participant et les choix de construction qu’il
propose. L’hypothèse développée ici est qu’il est possible de reconstituer en partie les stratégies des
acteurs dans la démarche à la lumière de la posture de chacun dans le processus d’élaboration des
modèles. On analyse ici la façon dont certains participants souhaitent mobiliser le modèle.
a. Le point de vue des acteurs de l’élevage
Les objectifs affichés par la majorité des experts sur l’élevage sont de tester des connaissances
formalisées dans le modèle, et de développer une analyse prospective sur l’adaptation des
exploitations et du territoire aux changements. L’analyse fine de la démarche montre que ces
objectifs affichés ne suffisent pas à rendre compte de l’engagement de ces acteurs dans la
démarche : ces partenaires intègrent dans leur choix des éléments de démonstration visant à
représenter l’impact positif de l’élevage sur le paysage.
Cette approche, plus ou moins sensible chez les experts mobilisés, repose sur le postulat de la
multifonctionnalité de l’élevage : l’élevage ovin contribue à la qualité écologique des paysages en
maintenant le paysage ouvert. Le but de nombreux acteurs en rapport direct avec la filière ovine est
d’appuyer ce postulat et de le mettre en valeur dans une optique de visibilité de la filière ovine
auprès des décideurs. Le recours « aux élus », « aux politiques » est ainsi constant.
Il y a bien ici une stratégie plus globale, qui vise à produire des données pour consolider des
argumentaires développés auprès d’élus. Le modèle est conçu ici comme un outil de justification. Le
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
123
rôle du scénario « de référence » (uniquement les activités d’élevage) est intéressant dans cette
optique : il s’agit pour les participants de démontrer que la présence actuelle des troupeaux sur le
territoire n’est pas suffisante pour contenir l’embroussaillement. L’un des experts s’inquiète ainsi de
la visibilité de ce résultat pendant un TFC.
Lors de discussion sur la procédure d’installation des éleveurs, le chercheur orienté sur l’élevage
déplore l’absence des éleveurs sur les crêtes et décrit plus précisément la stratégie mobilisée par ces
experts :
« C’est dommage qu’il n’y ait pas les pelouses. Avec Natura 2000 ça devrait être bon. Ca serait bien,
ça permettrait au Parc et au CERPAM de justifier les fonds Natura 2000 alloués par le Ministère de
l’Environnement. C’est une bonne utilisation du modèle, c’est aussi fait pour ça ».
Cet exemple met en évidence la cohabitation chez ces acteurs de deux objectifs dont la compatibilité
reste problématique : à l’utilisation scientifique du modèle (procédure d’installation des éleveurs,
utilisation du modèle comme un « laboratoire ») s’oppose une utilisation plus engagée, qui vise à
exposer et à justifier (modèle comme outil dans une stratégie de captation de fonds).
b. Le point de vue de l’agent du PNR
A la posture hybride adoptée par les experts sur l’élevage s’oppose celle de l’agent du PNR engagé
dans les évolutions récentes de la démarche. Contrairement aux autres acteurs pour lesquels cette
dimension n’est jamais clairement exposée, cet agent assume totalement son positionnement
stratégique :
« On est là pour exprimer son point de vue ».
La posture adoptée ici est beaucoup plus engagée et donc moins exploratoire : les données issues de
la démarche pourront être mobilisées pour étayer la stratégie du PNR, à travers des opérations de
sensibilisation. Lorsqu’il s’agit de développer les modalités de récolte du bois pour le scénario « bois-
énergie », cet agent cherche ainsi à définir tout de suite la « bonne façon » de réaliser ces coupes
sans imaginer d’autres modalités (ces coupes se feront obligatoirement dans les résineux). De la
même façon, lorsque cet agent développe le rôle du forestier dans le jeu de rôles, elle imagine
d’abord un rôle dans lequel les modalités de la coupe ne sont pas définies par le joueur mais lui sont
imposées.
Cet agent souhaite ainsi modéliser un scénario « bois-énergie » afin d’en tester les impacts sur le
paysage. Il s’agit selon elle de « dégager des consensus autour de la mise en place de la centrale », en
sensibilisant les forestiers à des critères environnementaux lors des coupes. Le SMA est ainsi conçu
pour fournir de la donnée à une démarche parallèle au cours de laquelle seront testés différents
plans d’approvisionnement du territoire en bois-énergie : il s’agit de faire la preuve des dangers
potentiels d’une exploitation irraisonnée de la ressource en bois, en pointant son impact potentiel
sur le paysage.
L’analyse des objectifs portés par l’agent du PNR montre les liens potentiels entre la démarche
Luberon et d’autres démarches de gestion de l’environnement, dans lesquelles les acteurs pourraient
utiliser les résultats produits ici. Si l’étude de la démarche de modélisation d’accompagnement peut
fournir au chercheur de la donnée pour mener une enquête sociologique sur la gestion des
ressources à l’échelle du territoire, une telle analyse devra être complétée par une analyse du
contexte de gestion.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
124
B. Des disparités individuelles : des légitimités variables dans le
processus
L’analyse des modèles de la démarche Luberon montre que ces outils ne sont pas neutres et
mobilisent ponctuellement des éléments stratégiques propres à chaque participant. Ces acteurs
sont-ils pour autant égaux lors de l’implémentation ? Le poids des procédures proposées est-il le
même en fonction de celui qui propose ?
1. Des statuts différents
Le collectif de la démarche Luberon comprend différentes formes de mobilisation : certains acteurs
sont mobilisés dans la continuité (groupe de pilotage) tandis que d’autres sont mobilisés
ponctuellement, ce qui créé un premier facteur évident de disparités. Le fait de suivre la démarche
depuis longtemps confère une légitimité et surtout une « culture » de la démarche de modélisation
d’accompagnement que les intervenants ponctuels n’ont pas.
Le statut des partenaires de ce groupe est ambigu, surtout lors des phases mobilisant d’autres
acteurs (élaboration du jeu de rôles notamment) : ces partenaires sont à la fois porteurs d’enjeux
opérationnels et acquièrent quasiment un statut de « commodien » en animant eux-mêmes la co-
construction. Ainsi, lors des réunions de tests du prototype du jeu de rôles, certains membres du
groupe de pilotage prennent le relais pour l’animation grâce à leur connaissance des mécanismes de
co-construction acquise au cours de la démarche. Ces statuts différents font que les propositions
portées par les membres permanents de la démarche ont plus de poids que celles portées par des
membres extérieurs.
2. Le critère de proximité à l’animateur/modélisateur
La proximité aux chercheurs chargés de la modélisation hors des TFC peut jouer sur
l’implémentation et peut créer certaines disparités entre les partenaires. Ainsi, le fait de côtoyer
quotidiennement le chercheur spécialisé sur l’élevage à l’INRA confère à ce chercheur un lien direct à
l’implémentation que les autres acteurs n’ont pas. De cette façon, ce chercheur peut développer
l’expérimentation sur la procédure d’installation des éleveurs avec le modélisateur (voir annexe 2.d)
sans que les autres partenaires soient nécessairement au courant, ce qui peut poser certains
problèmes de transparence. Ainsi, la carte d’installation des éleveurs implémentée dans le modèle
Luberon (voir annexe 9) n’est choisie que par ce chercheur et ne fait donc pas l’objet d’une validation
collective. Le statut ambigu de ce chercheur, à la fois porteur d’enjeu (acquisition de connaissances)
et « apprenti commodien », lui confère au final la possibilité d’orienter la démarche : lors de
l’élaboration du prototype du jeu de rôles, l’option orientée sur l’acquisition de connaissance est
favorisée au détriment de celle qui privilégie la sensibilisation.
D’autres partenaires peuvent mobiliser individuellement le modélisateur afin de développer
certaines procédures, ce qui constitue une procédure ambigüe dans une démarche de modélisation
d’accompagnement. Ainsi, pour le développement du scénario « bois-énergie », l’agent du PNR
mobilise fortement un des modélisateurs en l’invitant aux réunions sur la démarche d’élaboration
d’un plan d’approvisionnement territorial en bois-énergie. Au cours de ces réunions, le modélisateur
s’accoutume aux enjeux portés par cet agent et devient capable ensuite d’anticiper les demandes de
cet agent lors du développement de ce scénario. De la même façon, cet agent prend le temps de
discuter individuellement avec le modélisateur des enjeux « rapaces » ou encore de la modélisation
des mesures MAET. Ces temps de discussion hors TFC débouchent sur une implémentation de
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
125
nouvelles procédures. Ces procédures sont validées ensuite par l’ensemble des partenaires mais ne
font pas l’objet d’une co-construction œcuménique. Par son implication forte et sa capacité à
mobiliser le modélisateur en dehors du cadre établi des TFC, l’agent du PNR développe la
représentation des enjeux qu’il porte au sein du modèle.
3. La modélisation : un vecteur de disparités ?
L’acte de modéliser n’est pas neutre : il crée de lui-même des disparités entre les acteurs mobilisés
au cours de la démarche.
a. La proximité à la rigueur scientifique
On relève un autre critère de proximité au modélisateur, plus difficile à évaluer mais néanmoins réel.
Ce critère relève d’une proximité « intellectuelle » avec le chercheur et avec l’acte même de
modéliser : en effet, la modélisation constitue à la base une méthodologie scientifique mise en
œuvre par des chercheurs, ce qui valorise les propositions de procédures relevant d’une certaine
rigueur scientifique. Au contraire, les « bricolages » relevés plus haut n’ont pas le même statut,
puisque les modélisateurs se montrent en général plus réticents pour implémenter ces choix
méthodologiquement discutables. Certains partenaires proposent ainsi de retoucher pixel par pixel
l’environnement du modèle Luberon, ce que ne feront jamais les modélisateurs. Ces différences de
postures dans l’élaboration du modèle constituent un facteur de disparités importantes entre les
partenaires.
b. Une capacité de traduction dépendante de connaissances acquises
au sein de la démarche
Tous les partenaires ne sont pas égaux face à la modélisation : ainsi, la capacité à la transposition de
pratiques en règles informatiques est variable selon les acteurs. Cette capacité résulte premièrement
d’un apprentissage parallèle à la démarche : en effet, la confrontation des partenaires aux phrases
logiques au début de la démarche vise à établir une dynamique de co-construction en accoutumant
ces partenaires à la traduction des dynamiques proposées. Les partenaires mobilisés plus récemment
dans la démarche ne bénéficient pas forcément de cette capacité de traduction, ce qui limite la
portée de leurs propositions. Ces disparités peuvent poser problème pour l’intégration de nouveaux
acteurs dans la démarche, comme par exemple les éleveurs mobilisés lors de l’élaboration du jeu de
rôles.
c. Une accointance variable à la pratique de la modélisation
Cette capacité à opérer une traduction valide pour la modélisation ne résulte pas seulement d’une
culture acquise au cours de la démarche. L’agent du PNR, malgré sa mobilisation tardive dans le
processus, se montre très vite à l’aise avec cette traduction, au point de fournir de lui-même des
règles « prêtes à l’emploi » sans médiation avec l’animateur/modélisateur. Cette capacité à
modéliser sans passer par la traduction de l’animateur pose problème dans la dynamique de co-
construction puisqu’elle permet à cet agent de s’abstraire des contraintes de validation collective.
Sans une certaine culture des outils de modélisation ou de spatialisation, cette capacité de traduction
est plus limitée. Certains partenaires détenteurs de savoirs empiriques se montrent même réticents
par rapport à la pratique de modélisation : cette pratique qui induit forcément une simplification du
réel est plus ou moins bien acceptée par les partenaires.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
126
Au final, seule une certaine homogénéité des capacités de traduction propres aux différents
partenaires peut permettre une équité par rapport à l’élaboration concrète du modèle. L’évolution
du collectif au cours de la démarche remet forcément en cause cette équité.
4. La proximité à la démarche de modélisation d’accompagnement
Les principes de la modélisation d’accompagnement décrits plus haut forment un cadre conceptuel
particulier dans lequel tous les discours n’ont pas nécessairement la même valeur.
a. Des orientations qui contredisent le cadre éthique de la
modélisation d’accompagnement
Certains discours ou pratiques peuvent se heurter au cadre de pensée proposé dans les démarches
ComMod. C’est le cas notamment des discours dans lesquels la dimension stratégique de l’acteur est
trop sensible et dépasse le cadre consensuel d’une démarche de modélisation d’accompagnement.
Lors de l’élaboration du jeu de rôles, l’option de jeu proposée par l’agent du PNR et orientée sur la
sensibilisation n’est pas retranscrite lors de la création effective du jeu. Ici, les fondements de la co-
construction (le partenaire doit décider des objectifs et du déroulement de la démarche) entrent en
contradiction avec le cadre éthique de la démarche porté par l’animateur/modélisateur. Cette
confrontation entre fondements méthodologiques et fondements éthiques est tranchée par le
modélisateur qui axe le développement du jeu autour d’un objectif d’acquisition de connaissances ;
le jeu de rôles orienté sur sensibilisation, considéré comme un outil potentiel de « manipulation »,
est abandonné.
b. La légitimité des acteurs multi-casquettes dans une démarche
ComMod
La démarche de modélisation d’accompagnement est basée sur la mobilisation d’ « expertises »,
c'est-à-dire d’un ensemble de connaissances portées par des acteurs reconnus au sein de la
démarche. Cette expertise est la base de la légitimation des participants.
L’étude de la démarche fait apparaître des expertises et donc des légitimités variables au sein du
processus d’accompagnement. Ce problème de légitimité se pose notamment lorsque les acteurs
mobilisés portent plusieurs expertises ; en effet, le statut d’acteur « multi-casquette » n’est pas
totalement reconnu au sein de la démarche. La chronique élaborée dans le cadre de la démarche ne
rend ainsi pas compte d’expertises plurielles présentes chez certains acteurs, ce qui pose parfois
problème pour les identifier : ainsi, l’agent du PNR doit-il être classé dans la
catégorie « environnement » ou dans la catégorie « forêt ».
L’un des éleveurs mobilisé au cours de la démarche présente un cas typique d’acteur difficilement
identifiable au sein d ‘une démarche ComMod : il est en effet à la fois éleveur mais aussi vigneron,
responsable agricole, élu… Au final, son discours hybride est peu audible dans la procédure de
modélisation d’accompagnement. La légitimité de cet acteur est clairement remise en cause par
l’animateur/modélisateur :
« Le problème c’est qu’il ne représente rien ».
Les acteurs mobilisés doivent ainsi « représenter » une expertise clairement identifiable pour être
légitimes dans la démarche. La question de l’intégration dans la démarche de modélisation
d’accompagnement des profils hybrides reste posée.
Au final, le processus d’accompagnement produit des implications, des postures et des légitimités
d’acteurs nombreuses. Selon ces caractéristiques, certains partenaires se moulent parfaitement dans
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
127
le cadre proposé dans une démarche ComMod, tandis que d’autres adoptent des postures
« déviantes » qui interroge les notions d’équité ou de légitimité au sein de la démarche. Il faut
envisager ici le fait que la démarche de modélisation d’accompagnement, malgré sa dimension
collective, puisse induire des processus d’exclusion ou de mise à l’écart afin de garantir la qualité du
consensus visé.
C. Des disparités thématiques : des mécanismes d’inertie dans la
démarche
On étudie ici la « légitimité des modèles » (Barnaud, 2008) : il s’agit de savoir si la représentation
produite est « acceptée et reconnue par l’ensemble des acteurs en présence ».
1. Des produits représentatifs du collectif mobilisé ?
L’étude des modèles produits au cours de la démarche Luberon montre une certaine
surreprésentation des thématiques liées à l’élevage, sensible par exemple dans la granularité des
agents créés dans le SMA. Là où un exploitant forestier et un agent de l’ONF suffisent à représenter
les pratiques de gestion forestière implémentées, il faut 8 types différents d’éleveurs pour rendre
compte de la richesse de la modélisation sur l’élevage. De la même façon, au déséquilibre observé au
cours du jeu de rôles entre le rôle d’éleveur et les autres rôles correspond un déséquilibre propre à la
démarche, dans laquelle les aspects « élevage » sont décrits plus précisément que les autres
thématiques mobilisées (forêt et environnement).
La représentativité des produits est parfois mise en cause par les participants à la démarche. Au
cours d’une réunion de test d’un prototype du jeu de rôles, l’agent du PNR, qui joue à la fois le rôle
du naturaliste, du forestier et du maire, note ce déséquilibre :
« Déjà je note le luxe de détail pour la description de l’activité agricole et le total désintérêt pour le
reste… déjà je suis seule pour faire 3 rôles et il n’y pas beaucoup d’action ».
Cette remise en question des produits construits au cours de la démarche n’est pas l’apanage des
partenaires représentant les thématiques forestières et environnementales : certains agents des
institutions de conseil aux éleveurs regrettent ainsi la faiblesse du questionnement sur la dynamique
des exploitations (Lasseur & al., sous presse). On rappelle en effet que seuls les déficits de pâturage
permettent de rendre compte de la santé de l’exploitation, ce qui limite grandement l’analyse de la
viabilité et de l’adaptabilité des éleveurs face aux changements modélisés. Lors d’un test du
prototype du jeu de rôles, certains partenaires identifient clairement cette carence dans la
démarche (voir annexe 6.h).
Les partenaires pointent du doigt, à des degrés divers, des distorsions entre les produits
effectivement construits et les objectifs affichés au début ou en cours de démarche. La
représentativité des produits créés semblent problématique. Comment expliquer cette distorsion ?
2. L’impact de l’évolution du collectif
La surreprésentation des thématiques « élevage » s’explique par la structuration évolutive du
collectif : en effet, le modèle construit aurait pu constituer un produit représentatif si le collectif
initial avait été maintenu. La problématique initiale ne concerne ainsi que la « capacité de
l’élevage » ; les thématiques de biodiversité sont clairement considérées comme un produit de cette
activité, un indicateur grâce auquel les participants pourront mettre en évidence la
multifonctionnalité de l’élevage ovin.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
128
L’ouverture aux forestiers et le changement de l’agent du PNR provoquent une remise en question
de ce consensus, remise en cause qui s’incarne dans la remarque de l’agent du PNR mentionnée plus
haut. Cette ouverture du collectif implique un certain rééquilibrage thématique, avec notamment le
développement du scénario « bois-énergie » et des procédures « rapaces ». Néanmoins, l’orientation
dominante sur l’élevage subsiste, ce qui implique une équité problématique entre les partenaires
ayant participé à l’initialisation de la démarche et ceux qui s’y sont greffés au fur et à mesure.
La disjonction observée entre l’évolution du collectif et l’évolution des modèles nous permet
d’identifier une certaine inertie dans la démarche. Cette inertie est propre au collectif : on a vu plus
haut que la légitimité des partenaires « historiques » et celle des nouveaux participants n’était pas
forcément la même. De plus, à mesure que la démarche avance et que le modèle se complexifie, il
devient plus difficile de mobiliser de nouveaux experts, ce qui limite forcément l’intégration de
nouvelles thématiques.
Cette inertie du collectif ne suffit pas pour autant à expliquer la surreprésentation actuelle des
thématiques « élevage » dans le modèle. On envisage ici une inertie propre aux outils utilisés, à
savoir les modèles produits.
3. L’inertie des modèles : une « cristallisation » de la démarche
a. Le modèle comme agent d’une cristallisation
Lémery & al (1997) mettent en évidence des processus de cristallisation dans les démarches de
coordination entre acteurs ; certains éléments deviennent ainsi irréversibles ou incontournables.
Dans la démarche Luberon, le modèle constitue le dispositif moteur dans ce processus de
cristallisation. A mesure que les choix opérés se solidifient, le modèle acquiert le statut de « point de
passage obligé » (Callon, 1986) dans la démarche.
Dans une démarche de co-construction, le modèle est à la fois l’objet qui permet la coordination
(tiers médiateur) mais aussi la concrétisation de cette coordination. Même si l’élaboration d’un
modèle procède de cycles itératifs, les éléments introduits dans les modèles y acquièrent une
certaine solidité et une certaine légitimité.
La modification de ces choix n’est pas toujours simple, notamment parce que la conception des
phrases logiques et du code informatique sont des investissements relativement lourds, mais aussi
parce qu’il est difficile de revenir sur un processus de modélisation commencé depuis au moins trois
ans. En pratique, les contraintes de temps et de moyens rendent souvent la structure du modèle
irréversible, ce qui oriente nécessairement la coordination en aval.
Cette cristallisation se développer également à partir de choix stratégiques : ces choix sont ceux par
lesquels la démarche se cristallise et qui engagent donc l’ensemble du processus de modélisation et
de coordination. Selon les choix effectués, on rend possible ou au contraire impossible la
modélisation de tel ou tel élément, de telle ou telle dynamique. On se propose ici de procéder à
l’identification de certains de ces choix « charnières » dans les modèles Luberon.
b. L’inertie liée à des choix stratégique dans les modèles
L’analyse dynamique de la démarche par les évolutions des modèles a montré une stabilité de
certains choix stratégiques réalisés au début de la procédure.
Le choix de construire un modèle spatialisé pour représenter des dynamiques à l’échelle du territoire
constitue clairement un choix stratégique majeur dans la démarche, comme le précisent notamment
Barreteau & Treuil (2009) :
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
129
« C’est le principe de la grille qui est utilisé dans la plupart des systèmes multi-agents et qui rend
visible une représentation spatiale implicite : on ne se pose plus alors la question de savoir si une
autre représentation est possible ».
La représentation spatiale, permise par l’automate cellulaire, constitue le mode de visualisation le
plus utilisé, ce qui a pu contribuer à minorer certaines dynamiques qui n’ont pas de composantes
spatiales. La thématique d’adaptabilité des éleveurs aux changements, que les partenaires
considèrent comme faiblement développée, ne peut se limiter à une représentation spatialisée : il
est en effet nécessaire d’avoir une idée de la dynamique des exploitations, et donc de mobiliser des
points de vue statistiques. Ces points de vue statistiques sont moins utilisés au cours de la démarche
Luberon.
Les choix opérés lors de la modélisation sur les différents niveaux de granularités spatiale et
temporelle limitent les évolutions ultérieures du modèle. Lorsqu’on demande à l’agent du PNR
comment représenter les zones forestières patrimoniales, il propose la modélisation des « fonds de
vallons » dans le modèle SMA. L’échelle de modélisation choisie (2,25ha pour un pixel) rend
néanmoins impossible cette modélisation, puisque le fond de vallon constitue un objet
« infrapixellique ». De la même façon, on peut douter de la pertinence d’un scénario forestier simulé
sur seulement 10 ans.
L’analyse de la granularité des agents met en évidence le même type d’inertie : le jeu de rôles
reproduit ainsi en partie la granularité observée pour les agents du modèle. Le rôle d’éleveur
conserve sa complexité tandis que de nombreuses difficultés sont observées lors du développement
de nouveaux rôles (maire et animateur Natura 2000).
Si les choix réalisés lors de la définition des échelles du modèle sont adaptés à la modélisation du
pâturage, la pertinence de ces choix est remise en cause dès lors que les thématiques forestières et
environnementales sont réellement portées par de nouveaux participants. Pourtant, ces choix sont
maintenus dans le modèle mais sont également reportés dans le jeu de rôles.
L’analyse dynamique met en évidence une adaptabilité relativement faible de la démarche et le rôle
majeur du modèle comme outil de cette cristallisation. En effet, malgré les remises en cause
ponctuelles mais réelles de ces choix, la modélisation s’est poursuivie sur les mêmes bases,
notamment lors de la création du jeu de rôles.
L’inertie observée au sein de la démarche résulte donc à la fois du collectif et des produits mobilisés.
Ces deux types d’inertie se renforcent l’un l’autre : certaines limites du collectif (pas de spécialistes
« rapaces ») empêchent l’intégration de nouvelles thématiques dans un modèle établi à partir
d’expertises.
D. Un exemple : le traitement des thématiques environnementales dans
la démarche Luberon
Le traitement de thématiques environnementales dans la démarche Luberon constitue un exemple
intéressant parce qu’il nous permet de remettre en perspective l’ensemble des observations faîtes
précédemment sur les postures des acteurs et l’impact des objets mobilisés dans la démarche.
On distingue au cours de cette analyse dynamique trois temps au cours desquels les représentations
et la mobilisation des questions environnementales évoluent.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
130
1. L’environnement à l’initialisation de la démarche
La prise en compte des thématiques environnementales à l’initialisation de la démarche est
fortement subordonnée à la question de la multifonctionnalité de l’élevage :
« Les activités d’élevage sont particulièrement examinées sur leurs capacités à évoluer pour produire
des biens alimentaires et pour contribuer à une gestion des espaces peu anthropisés qui permette le
maintien des qualités environnementales de ces espaces fragiles et porteurs d’une diversité
remarquable » (Lasseur & al., sous presse).
Cette idée de multifonctionnalité constitue un « point de passage obligé » (Callon, 1986), c'est-à-dire
une notion autour de laquelle converge l’ensemble des acteurs présents à l’initialisation de la
démarche.
Pour autant, les indicateurs à utiliser pour définir des niveaux de biodiversité associée aux modes de
gestion pastorale ne sont pas encore identifiés :
« La définition des enjeux environnementaux fait partie de la question à traiter » (Lasseur, non paru).
Pour définir la biodiversité observée au cours de la démarche, l’agent du PNR mobilise plusieurs
indicateurs potentiels, comme par exemple les populations de passereaux ou encore la biodiversité
des prairies mésophiles.
2. L’environnement dans le modèle Luberon
On confronte ici la prise en compte de la biodiversité dans les discussions initiales et la façon dont
cette biodiversité est traduite dans le modèle Luberon avant l’arrivée du deuxième agent du PNR.
a. « Environnement = paysage »
Dans la dernière version du modèle mise à jour avant l’arrivée du nouvel agent du PNR, les
dynamiques paysagères sont considérées comme le seul enjeu environnemental. Les points de vue
qui évaluent l’évolution de la surface des différentes formations végétales constituent les seules
traductions effectives de la thématique « biodiversité » dans le modèle. Entretemps, les thématiques
de biodiversité envisagées précédemment ont été abandonnées.
b. Des limites liées au choix de l’outil
Le choix d’un modèle spatialisé limite clairement la représentation des enjeux environnementaux
identifiés par le premier agent du PNR. En effet, la modélisation mobilise des données ou des
connaissances qui ne sont pas disponibles au sein du groupe de pilotage. A propos de l’enjeu
« prairies mésophiles », l’agent du PNR note d’ailleurs :
« Mais pour caractériser les relations entre élevage et biodiversité avec des questions précises comme
tu viens de le dire et bien à mon avis aujourd’hui on est pas capable de formuler clairement ces
questions ».
Le choix d’une représentation réaliste du territoire renforce le besoin en données spatialisées et
limite d’autant plus la modélisation de ces thématiques.
c. Des limites liées aux choix stratégiques
Certains choix charnières dans la démarche Luberon sont rédhibitoires pour la représentation des
enjeux de biodiversité mentionnés plus haut.
Le territoire choisi correspond à une échelle large, sur laquelle il est difficile de modéliser l’évolution
de populations d’oiseaux. L’agent du PNR proposait ainsi un territoire plus restreint et bien étudié sur
lequel la représentation des thématiques environnementales auraient été plus simples. Les limites
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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propres au choix d’un territoire large par les experts sur l’élevage sont identifiées dès l’initialisation
par l’animateur-modélisateur.
Le choix d’un territoire important s’accompagne nécessairement d’une échelle large qui limite la
représentation de la biodiversité. En effet, les objets considérés comme des marqueurs intéressants
de biodiversité sont souvent « infrapixellique ».
L’animateur mentionne les limites propres à la modélisation de l’environnement avant l’arrivée du
deuxième agent du PNR :
« Je trouve que la prise en charge de l’environnement est extrêmement faible dans la démarche ».
3. L’arrivée d’un nouvel agent pour le PNR : réalités et limites du développement des
thématiques environnementales
L’arrivée dans la démarche d’un nouvel agent pour le PNR implique une remise en cause profonde de
l’appréhension des thématiques environnementales. Cet acteur s’affirme réellement comme le
porteur des thématiques de biodiversité dans la démarche, ce qui implique une diversification
majeure des enjeux de biodiversité implémentés.
a. La remise en cause de la représentation majoritaire sur
l’environnement
Cette remise en cause bouscule le consensus construit en amont sur la multifonctionnalité de
l’élevage. Cet agent propose pendant un TFC la création d’un point de vue de « surpâturage » pour
localiser dans le modèle les espaces dans lesquels le pâturage pourrait endommager la flore. Devant
le peu de réactions, elle est obligée de préciser que « le pâturage peut également avoir des effets
négatifs sur les espaces naturels », ce qui va à l’encontre de la question initiale, élaborée autour de
l’idée que le pâturage contribue à la biodiversité grâce à son rôle dans le maintien des milieux
ouverts.
Parallèlement, cet agent développe de nouveaux indicateurs qui remettent eux-aussi en cause les
choix préalablement effectués dans la démarche : lors de l’élaboration du jeu de rôles, il propose
ainsi un indicateur capable de différencier les pelouses anciennes et les pelouses ouvertes
récemment, moins riches. Contrairement aux points de vue précédemment construits qui ne
considéraient la pelouse que comme une surface « ouverte », ce point de vue établit une richesse
floristique différenciée.
b. Le développement de nouveaux enjeux indépendants de l’élevage
L’agent du PNR développe de nouvelles thématiques environnementales au sein du modèle
Luberon : il identifie des pixels en « vieilles forêts » et leur attribue des modalités de coupes
forestières particulières. De la même façon, des couples de rapaces sont implémentés pour tester
l’impact des coupes forestières sur ces populations. L’originalité des procédures ainsi produites tient
dans leur complète déconnexion par rapport à l’élevage, puisque seule l’activité forestière peut avoir
un impact sur ces enjeux. Ces exemples montrent bien le rôle « centrifuge » que peut avoir cet
acteur dans la démarche : parallèlement au développement du scénario « bois-énergie », la
thématique forestière acquiert ici une réelle autonomie par rapport à la représentation des activités
d’élevage.
c. Une intégration « aux forceps »
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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L’intégration des thématiques de biodiversité proposée par l’agent du PNR doit faire face à des
blocages, qui relèvent parfois de réticences « thématiques » (par exemple sur le « surpâturage »)
mais surtout de l’inertie globale de la démarche ou des contraintes liées à la modélisation.
Face à ces blocages, cet agent force le développement de ces thématiques, notamment de la
thématique « rapaces ». L’intégration de cet enjeu dans le jeu de rôles puis dans le SMA résulte en
effet d’une procédure peu œcuménique dans un processus de co-construction : s‘il y a bien une
discussion sur l’opportunité d’introduire des rapaces dans le modèle, la construction des procédures
ne fait pas l’objet d’une procédure contradictoire qui garantie en général la légitimité des données
implémentées.
L’animateur/modélisateur réprouve ces pratiques déviantes et regrette l’absence d’un spécialiste sur
la question :
« C’est les limites de la co-construction, quand il n’y a pas d’avis contradictoire sur un sujet ».
De la même façon, l’idée de rectifier « à la main » la carte d’installation des éleveurs pour la faire
coïncider avec la répartition des pelouses patrimoniales constitue une pratique de forçage
difficilement acceptable dans une méthodologie basée sur une modélisation.
Ce positionnement « interventionniste » dans les dynamiques de co-construction se retrouve dans sa
posture « éthique » dans la démarche de modélisation d’accompagnement. Là où les partenaires
spécialisés sur l’élevage acceptent bien l’idée que la gestion des ressources doit se baser sur une
construction collective et consensuelle, l’agent du PNR porte clairement une vision stratégique pour
la gestion de l’environnement. Son positionnement en faveur d’un jeu de rôles orienté sur une
sensibilisation des acteurs invités à jouer (notamment des élus) montre bien que cet agent souhaite
mobiliser la démarche pour impulser une dynamique de changement favorable aux intérêts qu’elle
représente (notamment sur la biodiversité).
Cet acteur déploie clairement une vision stratégique de la gestion de l’environnement, telle que l’ont
définie Benhammou & Mermet (2003) :
« Les acteurs porteurs du projet environnemental se trouvent pris dans des jeux antagonistes (…) dans
lesquels ils doivent déployer des stratégies pour prévenir les oppositions délibérées, ou y faire face si
elles surviennent malgré tout. C’est ce qui nous fait qualifier de « stratégique » cette perspective
théorique. Elle contraste avec d’autres approches, souvent prônées aujourd’hui, qui semblent partir
plutôt de l’hypothèse que la conservation n’est légitime que fondée sur une action conjointe de tous
les acteurs concernés » (Benhammou & Mermet, 2003).
Ici, la vision stratégique avérée de l’agent du PNR se confronte avec les fondements de la
modélisation d’accompagnement, qui reposent sur l’idée d’un problème collectif à résoudre
ensemble. Conformément à l’idée énoncée par le collectif ComMod (2009), cette perspective
stratégique remet en question le cadre méthodologique déployé au cours de cette démarche.
Au final, on constate que l’intervention de ce nouveau participant remet en cause l’intégralité des
choix précédemment réalisés dans la démarche :
- la problématique initiale centrée sur l’élevage ainsi que les points de consensus sur la
multifonctionnalité ;
- la méthodologie de modélisation et sa rigueur scientifique ;
- la méthodologie de co-construction et son éthique ;
- les choix stratégiques de modélisation.
La posture de cet acteur ainsi que les choix qu’il intègre dans la démarche interrogent fortement le
cadre de la modélisation d’accompagnement.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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VII- Discussion: limites de la
démarche et pistes de réflexion
1. Retour sur le cadre d’analyse mobilisé pour l’analyse d’une
démarche de recherche-action
L’analyse de la démarche Luberon proposée ici est basée sur une exigence de symétrie (Lémery & al.,
1997) : si les modalités d’engagement des acteurs dans le programme doivent être mobilisées pour
expliquer la réussite ou l’échec d’un programme participatif, l’étude de cet engagement ne suffit pas.
Le cadre méthodologique utilisé ici s’appuie également sur l’étude des déterminants propres au
programme (méthodes, outils et posture des chercheurs) et des interactions que ces déterminants
forment avec le collectif.
Conformément aux conclusions de Vinck (1999), la démarche méthodologique mobilisée ici –
analyser une démarche participative en mobilisant à la fois les discours et les outils qui la
concrétisent - s’avère utile pour comprendre les limites et les réussites d’un processus participatif.
Les modèles construits au cours de la démarche Luberon doivent ainsi être considérés comme des
« agents » à part entière afin de saisir la dynamique de participation. Ces modèles créent une
dynamique de participation et peuvent être appréhendés comme des « médiateurs » ; pour autant,
ces médiateurs ne sont pas neutres parce qu’ils contraignent et engage la démarche en limitant les
dynamiques représentées. La façon dont les acteurs mobilisent ces outils doit également être
analysée pour saisir les dysfonctionnements de la démarche qui ont pu être observés.
2. Les limites de la démarche
A. Deux pôles en tension dans la démarche Luberon
Lémery et al ( 1997) identifient deux pôles en tension dans un programme de recherche-action :
« D’une part il s’agit d’inviter à explorer la diversité des possibles et d’accompagner cette exploration.
D’autre part, il s’agit de susciter une cohérence qui permette la présentation et la discussion avec
d’autres du produit de cette exploration ».
On retrouve ces deux pôles dans les objectifs retenus dans le programme Luberon, ainsi que dans les
modalités d’engagement des différents acteurs mobilisés dans le processus. Cette démarche se veut
en effet largement exploratoire, en développant des « produits dérivés » (apprentissage,
concertation, approche prospective) considérés par les chercheurs comme les principaux résultats de
la démarche (Lasseur, non paru). Pour autant, certains partenaires souhaitent mobiliser les outils
créés pour la gestion effective du territoire. On note ici qu’il est difficile de d’identifier clairement
deux catégories d’acteurs, en distinguant des acteurs engagés dans l’exploration tandis que d’autres
mobiliseraient le modèle dans un cadre de gestion : le curseur entre les deux options n’est jamais
clairement défini et peut être amené à évoluer au gré des choix déployés lors du processus.
L’« accompagnement » du chercheur dans le processus pourrait consister à permettre la création
d’outils cohérents et partagés sans pour autant que cette exigence de cohérence ne limite
l’exploration du champ des possibles. L’analyse de la démarche menée dans le Luberon montre que
cette double exigence constitue une difficulté majeure pour la recherche-action.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
134
En effet, si la tension entre ces pôles n’est pas résolue au sein de la démarche Luberon, elle en
constitue même une des limites majeures. En l’absence d’un acteur capable de mobiliser le modèle
SMA afin de représenter différentes options de gestion, ce modèle ne peut constituer un outil
utilisable pour une gestion effective des dynamiques territoriales. Parallèlement, certains choix
motivés par la perspective de développer un outil de gestion handicapent clairement la dimension
exploratoire.
B. Des limites propres à chaque type d’objectifs
L’objectif est de résumer les résultats qui iraient à l’encontre des objectifs posés à la fois par la
méthodologie ComMod et par le programme Luberon. Mieux cerner ces dysfonctionnements et leurs
origines nous permettra ensuite de proposer des axes d’amélioration d’un cadre méthodologique
encore largement exploratoire.
1. Le modèle Luberon peut-il constituer un outil d’aide à la décision ?
Il s’agit ici de confronter la réalité du modèle Luberon à l’objectif de création d’un outil d’aide à la
décision porté notamment par les agents du PNR. Plusieurs limites ont été identifiées au cours de
l’analyse : les difficultés de calibrage et les solutions apportées remettent en cause à la fois la
transparence et la validité du modèle. Parallèlement, les choix opérés par les partenaires et
implémentés dans le modèle font que cet outil n’est pas neutre, ce qui peut poser problème dans un
cadre de gestion. Pour toutes ces raisons, une utilisation par un gestionnaire du modèle SMA
apparaît peu probable et surtout peu souhaitable.
2. Des limites pour la production de produits dérivés
Le constat doit être plus nuancé quant à la capacité des modèles et de la méthodologie mobilisés à
créer des « produits dérivés ». En effet, l’étude de la démarche met en évidence des processus
d’apprentissage important, à la fois pour les participants et pour les chercheurs. Les phases de
confrontation des participants aux modèles élaborés par les membres du groupe de pilotage
s’avèrent ainsi très fécondes. Grâce à la précision des modèles représentant l’activité d’élevage
(calendrier de pâturage), on peut penser par exemple que l’observation des choix réalisés par les
éleveurs invités au jeu de rôles fournira des informations intéressantes aux partenaires.
On peut être plus circonspect quant aux résultats de la démarche par rapport aux enjeux
« concertation » et « analyse prospective ». Ce résultat pourra sans doute être remis en cause par
l’observation des phases d’institutionnalisation, mais force est de constater que le processus de co-
construction seul ne permet pas de créer un cadre optimal pour établir des interactions entre
participants et les activités ou pour développer une vision prospective des dynamiques observées. La
faiblesse des interactions entre scénarios sectoriels ne rend pas compte de l’ensemble des
interactions observées lors des discussions en TFC mais montre malgré tout une hybridation limitée
des thématiques et des enjeux portés par les différents partenaires. De la même façon, la
confrontation au modèle limite la dimension prospective des scénarios implémentés.
L’analyse de la démarche menée dans le Luberon met en évidence une interaction constante entre
les deux options : les choix mobilisés dans un cadre exploratoire limite la dimension opérationnelle et
vice-versa. Le maintien d’une certaine indécision quant aux objectifs de ce processus
d’accompagnement doit sans doute être considéré comme une cause importante des limites
mentionnées ici (Hervé & Castella, 2009). De la même façon, les problèmes de définition des
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
135
objectifs « thématiques » de la démarche (démarche centrée sur l’élevage ou démarche de gestion
intégrée) contribuent sans doute fortement à ces limites.
C. Des causes identiques
Les limites observées plus haut peuvent être expliquées par un faisceau de dysfonctionnements liés à
l’engagement des différents acteurs mais aussi à la méthodologie et aux outils mobilisés. Il est
intéressant de constater que les limites propres à l’enjeu opérationnel et à l’enjeu exploratoire
peuvent être expliquées par les mêmes causes.
1. Un manque de cohérence dans la démarche.
L’analyse dynamique du processus met en évidence une cohérence difficile à établir : l’évolution du
collectif (notamment l’apparition d’un nouvel agent du PNR) entraine des changements de cap dans
la démarche, qui se traduisent par une remise en cause des consensus établis, des thématiques
développées et des dynamiques modélisées.
Les modèles créés retranscrivent cette évolution. La construction de ces outils mobilise des
processus de juxtaposition plutôt que d’hybridation, comme le montre par exemple l’ajout de la
thématique « rapaces » dans le modèle sans que ce module ne soit connecté au module « élevage ».
La structure modulaire du SMA constitue un gage de flexibilité de l’outil (Barnaud, 2008) et permet
l’ajout de nouvelles dynamiques. Pour autant, les liens entre ces dynamiques ne sont pas toujours
correctement explorés, ce qui limite à la fois la validité du modèle et les interactions entre les
acteurs.
La longueur de la démarche participe également à cette cohérence problématique : elle implique de
nombreux changements dans le collectif mobilisé mais aussi dans les thématiques abordées.
Certaines thématiques « à la mode » ont pu ainsi être ajoutées ou abandonnées au cours du
processus.
2. Des difficultés dans la mobilisation de l’outil par le collectif
La mobilisation des modèles par les participants à la démarche prend des formes variées ce qui limite
la cohérence de cet outil ; la diversité des données, des pratiques de construction des procédures et
des façons d’appréhender l’objet « modèle » provoque une sédimentation qui limite à la fois la
pertinence structurelle du modèle et les dynamiques de coordination qui peuvent se déployer lors de
la co-construction. Ce mécanisme remet également en cause le cadre déontologique établi par le
modélisateur chargé d’animer la co-construction.
3. L’utilisation d’un modèle et ses limites
Le cadre méthodologique choisi ne doit pas être considéré comme neutre et doit être appréhendé
dans le cadre de cette analyse critique. L’« agentivité » du modèle (Vinck, 1999) apparaît clairement
dans l’analyse proposée ici. Le modèle, par sa flexibilité, permet le processus de juxtaposition des
modules mentionné plus haut. Pour autant, le modèle suppose également l’existence d’un faisceau
de contraintes.
Le modèle constitue un dispositif vecteur d’irréversibilité (Lémery & al., 1997) : par le biais des choix
stratégiques, le modèle induit une certaine cristallisation du processus en limitant certaines
évolutions ultérieures. Lémery et al. (1997) montrent l’importance de construire des programmes et
des dispositifs évolutifs et ouverts pour la concertation, ce qui permet d’accueillir de nouveaux
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
136
participants au cours du processus. Ici, le choix du modèle limite l’adaptation du programme face aux
évolutions de la démarche.
Ce choix constitue également une contrainte pour la réalisation de certains objectifs fixés par les
acteurs, notamment sur la dimension prospective : la nécessité de disposer de données pour
modéliser et l’utilisation d’une représentation spatiale limitent sans doute l’exploration, en
restreignant les dynamiques potentiellement analysables.
L’utilisation d’un modèle remet enfin en cause l’équité au sein de la démarche. Des disparités
thématiques apparaissent au cours de la co-construction : parmi les dynamiques intéressantes,
seules celles disposant de données peuvent être implémentées, ce qui pose notamment problème
pour la représentation des thématiques environnementales. Des disparités individuelles sont
également créées entre les participants : la modélisation constitue une méthodologie particulière
face à laquelle certains acteurs peuvent se trouver mal à l’aise.
Le modèle ou les cadres méthodologiques adoptés « orientent » bien la démarche, ce qui peut
parfois être mal vécu par les participants.
3. Des axes d’amélioration pour l’accompagnement
L’analyse des limites de la démarche nous permet de proposer quelques pistes d’amélioration de la
démarche de modélisation d’accompagnement.
A. Comment faire intervenir le modèle informatique ?
L’utilisation du modèle informatique est intéressante parce qu’elle concrétise et formalise des
savoirs divers et permet à l’acteur d’adopter une posture réflexive sur ces savoirs. Néanmoins, les
participants doivent prendre conscience des contraintes liées à ce type d’outils et adopter une
stratégie qui limite les situations d’itération mal contrôlée qui ont pu être décrites au cours de ce
travail.
1. Se limiter à des situations mieux connues
On peut s’interroger sur la faisabilité d’une modélisation aussi fine à l’échelle d’un territoire sur
lequel de nombreuses données incontournables n’existent tout simplement pas. Peut-être vaudrait-il
mieux se limiter à des territoires disposant d’un set de données plus exhaustif, comme par exemple
le Causse Méjean sur lequel une démarche similaire a eu lieu (Etienne & Le Page, 2002).
2. Réfréner les envies de « réalisme » et d’exhaustivité
L’analyse de la démarche a mis en évidence les méfaits propres à la recherche d’une représentation
réaliste chez certains acteurs. Si on cherche à représenter la réalité la plus fidèlement possible, le
modèle devient moins généralisable, moins transparent et plus complexe, ce qui fait se multiplier les
erreurs (Manson, 2002). Le groupe ComMod (2005) met de la même façon en garde contre un risque
de mauvaise gestion de l’itération au cours de la démarche, qui conduit à une complexification
progressive des modèles :
« Il n’y a en aucun cas, a priori, complexification progressive d’un modèle qui devrait incorporer de
plus en plus d’éléments pour mieux coller à la réalité ».
Au lieu de développer un modèle dont les résultats sont bons mais où la structure ne l’est pas, il est
important que les partenaires acceptent une représentation stylisée et épurée et s’interrogent sur la
structure du modèle. Cette stylisation du territoire vampirise moins l’exploration. Se limiter à la
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
137
modélisation de quelques dynamiques bien identifiées permet également de limiter les processus de
juxtaposition au bénéfice des interactions entre les différents modules.
3. Mobiliser le modèle comme un « laboratoire virtuel »
L’adoption d’une posture exploratoire suppose la création d’un cadre d’expérimentation et de
confrontation systématique au modèle : il s’agit de construire un dispositif par lequel les acteurs
deviennent capables de simuler des trajectoires plus nombreuses que celles testées dans la
démarche Luberon. Ce cadre méthodologique apparaît particulièrement utile dans un cadre
d’analyse prospective.
Certaines procédures devraient sans doute être mises en œuvre d’une manière plus systématique
dans une démarche de modélisation d’accompagnement : c’est le cas notamment des analyses de
sensibilité ou encore de l’introduction de hasard dans les procédures. Le modélisateur doit être
capable de rendre compte de la variabilité du modèle dans les résultats des simulations. L’utilisation
de variables ajustables, trop peu pratiquée au cours de la démarche Luberon, constitue également
une procédure intéressante pour mieux utiliser le potentiel de cet outil.
La co-construction, pour être pleinement satisfaisante, doit pouvoir se baser sur une confrontation
plus complète des acteurs au modèle que celle qui a pu se mettre en place au cours de la démarche
Luberon. En dépassant la simple analyse des résultats, les partenaires peuvent identifier des
incohérences mais aussi retirer du modèle des éléments inattendus. Cette confrontation complète
ne peut se passer d’un cadre permettant un suivi de la co-construction par les partenaires. Ce cadre
n’existe pas dans la démarche Luberon, puisque les TFC constituent le plus souvent le seul moment
pendant lequel les acteurs sont en contact avec le modèle. Dans l’idéal, l’étude des résultats du
modèle doit pouvoir être faîte lors de phases individuelles préalables aux TFC.
4. Se ménager de véritables moments d’exploration qualitative
Les moments d’exploration qualitative sont fondamentaux dans une démarche de modélisation
d’accompagnement, notamment si celle-ci mobilise une analyse prospective. L’analyse de la
démarche Luberon montre que ces moments productifs ont tendance à se raréfier à mesure que la
sédimentation se développe. Les participants doivent se donner la possibilité de s’abstraire
ponctuellement des contingences matérielles propres à la modélisation, par exemple pour mieux
établir les scénarios à implémenter.
Pour maximiser ces moments d’exploration qualitative, il est sans doute nécessaire de limiter les
itérations répétées pour la phase de calibrage lors des TFC, et de prévoir des réunions en petits
groupes d’experts pour réaliser ce calibrage. De la même façon, il est intéressant de développer un
collectif mouvant pour développer les processus de confrontation du groupe de pilotage à des
apports extérieurs ; ces apports contribuent à ouvrir les perspectives et limitent le repli sur le
modèle.
B. La co-construction de la démarche comme projet : construire et gérer
plutôt que subir le processus d’accompagnement
1. Mieux hiérarchiser les objectifs
La définition et la hiérarchisation des objectifs sont sans doute déficientes au cours de la démarche
Luberon, ce qui en limite les résultats. Sans doute serait-il intéressant de clarifier ponctuellement ces
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
138
objectifs, notamment lorsqu’un nouvel acteur intègre la démarche. Ce travail de clarification n’est
pas réellement fait, ce qui peut produire des incompréhensions entre partenaires.
2. Limiter la longueur de la démarche
Disposer de temps constitue une condition importante pour la réussite d’une démarche de
concertation. Ici, la longueur excessive de la démarche Luberon, rendue possible par son cadre
exploratoire, pose de nombreux problèmes et déclenche en partie le cercle vicieux observé plus
haut. Cette longueur implique également un fort turn-over dans le collectif, des problèmes de
mémorisation et d’assimilation des procédures, et une accumulation de nouvelles procédures à
mesure que les enjeux évoluent et que de nouveaux partenaires apparaissent.
3. Gérer le collectif
L’évolution du collectif est un processus complexe qu’il faut savoir « gérer » quand cela est possible ;
en effet, là où la cohérence de la démarche et des produits nécessite le maintien d’un petit groupe
de co-construction, l’exploration demande au contraire une ouverture du collectif à de nouveaux
participants. Les participants doivent s’interroger sur l’opportunité de mobiliser de nouvelles
personnes ou d’établir des sous-groupes de co-construction.
4. Mieux définir les données utilisées
La démarche de co-construction doit prévoir des moments spécifiques et formels d’identification des
données nécessaires à la modélisation, afin de les classer en fonction des typologies proposées en
partie 5. Ainsi les différents acteurs peuvent s’imprégner des différents statuts des données et avoir
un meilleur recul par rapport à elles ; ils peuvent également identifier les manques de connaissances
compensés par de l’expertise.
L’analyse du projet Luberon montre des difficultés quant à la mobilisation de certaines données
(comme par exemple la desserte forestière), ce qui limite beaucoup la pertinence de certaines
dynamiques. Envisager des plans de rechange si jamais de la donnée vient à manquer permettrait de
ne pas être trop dépendant de cette donnée.
C. Pour une posture plurielle et adaptative du chercheur dans la co-
construction
La posture complexe de l’animateur/modélisateur dans la démarche Luberon montre l’importance
du rôle du chercheur dans le processus de co-construction et les possibles contradictions entre le
principe de co-construction et les pratiques effectives. Ce chercheur doit-il n’être qu’un simple
traducteur ou se positionner ponctuellement en arbitre ? Contrairement aux principes de la co-
construction, nous estimons que la posture du chercheur doit être plurielle et adaptative afin de
permettre un pilotage ponctuel de la modélisation et de la démarche. Cette posture adaptative
correspond au final à celle adoptée par les modélisateurs dans la démarche Luberon.
Le chercheur devrait pouvoir adopter un rôle de modérateur afin de limiter les itérations néfastes
observées au cours de la démarche de modélisation et favoriser les processus d’hybridation au
détriment d’une modélisation trop fine de certaines dynamiques. De la même façon, il est sans doute
nécessaire que le modélisateur constitue un garant lors de la démarche de modélisation, afin d’éviter
notamment des processus de bricolages qui remettent cause la transparence du modèle.
Le chercheur doit pouvoir participer à la « gestion » du projet telle qu’elle a été définie plus haut, en
identifiant par exemple des déséquilibres entre les thématiques abordées ou en proposant des
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
139
évolutions du collectif engagé. Le dosage entre les phases quantitatives et les phases qualitatives
constitue également un point sur lequel le chercheur devrait pouvoir intervenir.
Les pratiques du modélisateur de la démarche Luberon pose la question de la mobilisation de son
expertise dans la démarche. Si la légitimité de cette expertise est reconnue par les partenaires (ce qui
est le cas ici), le chercheur doit pouvoir changer ponctuellement de statut pour devenir un expert et
participer à la co-construction. Cette « mise à jour » du statut du modélisateur doit être néanmoins
explicite auprès des partenaires pour éviter des manipulations lors des TFC ou de l’implémentation.
Ce rôle évolutif du chercheur lui permet également de sortir d’une posture déclarée « neutre »,
posture difficile à tenir et potentiellement dangereuse, comme le rappelle Barnaud (2008) :
« Prétendre à la neutralité est problématique également parce qu’en se considérant comme neutre et
dépourvu de biais, le concepteur n’explicite pas ses hypothèses sous-jacentes et risque donc de les
imposer inconsciemment, sans qu’elles puissent être remises en cause ».
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
140
Conclusion
L’analyse d’une démarche participative proposée ici – basée sur l’étude dynamique des interactions
au sein d’un dispositif complexe associant outils/produits concrets ainsi que des participants
rassemblés au sein d’un collectif – met en évidence l’intérêt que peut avoir une démarche de
modélisation. Les dynamiques itératives de confrontation des acteurs aux modèles produisent de la
connaissance et des nouvelles pistes de réflexion pour une gestion intégrée et adaptative des
ressources naturelles. Néanmoins, l’évaluation, même incomplète, des résultats de la démarche
menée dans le Luberon montre que les différents objectifs fixés à l’initialisation ne sont pas
pleinement remplis :
- Les défauts structurels et le manque de cohérence du modèle SMA ne permettent pas son
utilisation comme outil d’aide à la gestion effective du territoire.
- Certains produits dérivés (dynamique de coordination et approche prospective) sont
clairement limités.
- La qualité éthique de la co-construction est remise en cause si l’on considère la faible
transparence des modèles et les interventions importantes des animateurs/modélisateurs dans le
processus.
Aucun de ces résultats ne peut être expliqué sans mobiliser un faisceau de causes rassemblées au
sein de ce que l’on a appelé « le cercle vicieux de la dynamique de co-construction » (Figure 15). Les
dysfonctionnements propres à la cohérence de la démarche (longueur, évolution du collectif…)
doivent être croisés avec des éléments de dégradation propres à l’utilisation des outils mobilisés et à
la posture des différents participants dans la démarche de modélisation. Conformément aux
conclusions de Vinck (1999), ces dispositif concrets, parmi lesquels les modèles informatiques,
doivent être considérés comme des « agents » à part entière afin de saisir la dynamique de la
participation.
Le déploiement de cette évaluation de la démarche montre l’intérêt de l’approche originale, parce
que symétrique et embarquée, qui a été mobilisée lors de ce stage. La symétrie des analyses – entre
outils et acteurs, entre recherche et développement – s’avère nécessaire à la compréhension des
limites et des réussites d’un processus participatif. L’implication directe et quotidienne dans le
programme, qui permet l’appréhension de l’ensemble de la boucle d’interaction qui mène à
l’élaboration des modèles, constitue également un élément important pour fonder la pertinence de
l’analyse.
Le chercheur doit néanmoins construire un cadre d’analyse réflexive pour pouvoir à la fois rendre
compte de ses modalités d’engagement dans la démarche et des potentiels biais lors de l’analyse
(voir partie III). Cette réflexivité s’élabore grâce à un cadre de création continue et systématique de
données au cours de la modélisation et des phases collectives. La mise en place de discussions entre
chercheurs dans le processus (travail en équipe) constitue également un gage de réflexivité pour
prendre conscience en partie des interférences liées au modélisateur et aux outils qu’il mobilise.
L’approche déployée ici constitue un cadre d’analyse valide mais qui ne peut néanmoins pas être
considéré comme suffisant pour réaliser une évaluation globale d’une démarche participative. La
mobilisation par l’agent du PNR de résultats anticipés de la démarche dans un autre processus
participatif montre que certaines analyses ne peuvent aller au bout faute d’une perspective sur le
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
141
contexte de gestion. Or ce contexte ne peut être étudié dans sa globalité en ne mobilisant qu’une
analyse centrée sur la démarche. La mise en œuvre complémentaire d’entretiens avec les
partenaires semble nécessaire pour mieux établir la dimension stratégique que mobilisent certains
acteurs. De la même façon, l’observation de la phase d’institutionnalisation des résultats, moment où
se rejoignent les produits créés et l’utilisation de ces outils par les partenaires, permettrait sans
doute de mieux appréhender cette dimension.
Le cercle vicieux initié au cours de la démarche Luberon remet en cause le cadre conceptuel de la
modélisation d’accompagnement et la méthodologie de co-construction mobilisée par les
concepteurs :
- L’analyse du rôle du modèle informatique dans la démarche met en évidence les
contraintes et les cristallisations du processus que la mobilisation de ce type d’outil peut entrainer.
L’impact important sur la dimension prospective de la démarche nécessite sans doute de revoir le
cadre d’utilisation des modèles pour développer une dynamique plus exploratoire.
- On peut s’interroger sur la « solubilité » de certaines attitudes dans une démarche de
modélisation d’accompagnement. Il semble nécessaire de mieux intégrer les acteurs qui ne
mobilisent pas un cadre de réflexion scientifique lors de la modélisation. La question de la
compatibilité entre une démarche de modélisation d’accompagnement et les perspectives
stratégiques envisagées par certains partenaires reste également posée.
- Le cadre méthodologique de co-construction tel qu’il est mis en œuvre a montré également
ses limites. Peut-être le chercheur devrait-il envisager de conserver des marges de manœuvre pour
intervenir au cours de la démarche si cette démarche s’enlise. Le rôle du chercheur serait alors
d’orienter ponctuellement le projet de modélisation d’accompagnement afin de maximiser les
résultats en fonction d’objectifs clairement identifiés à l’initialisation. Sans cette intervention, le
processus d’accompagnement peine à conserver sa cohérence. L’adoption d’une posture plurielle,
adaptative mais aussi transparente par le chercheur engagé dans une démarche de modélisation
d’accompagnement semble le meilleur moyen pour assurer cette gestion de projet au cœur du
processus.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
142
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Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
145
Liste des abréviations
ComMod : Companion Modelling
IFN : Inventaire Forestier National
PNRL : Parc Naturel Régional du Luberon
Pov : points de vue
SMA : Systèmes multi-agents
TFC : Temps forts collectifs
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146
Liste des figures
Figure 1 : Cadre général pour une démarche de modélisation d’accompagnement ........................... 29
Figure 2 : Jeux de rôles et systèmes multi-agents, une représentation similaire d’un système socio-
écologique (tiré de Bousquet & al., 2002)............................................................................................. 33
Figure 3 : le processus itératif de co-construction idéal pour la démarche Luberon. .......................... 43
Figure 4 : Tableau récapitulatif de l’ensemble de la démarche. Une coévolution entre les produits de
la démarche et le collectif engagé......................................................................................................... 56
Figure 5 : « spécialités » des acteurs mobilisés lors des temps forts collectifs de la démarche ........... 57
Figure 6 : types de savoirs mobilisés lors des temps forts collectifs de la démarche Luberon ............. 58
Figure 7 : Un objectif de maintien du paysage ...................................................................................... 65
Figure 8 : Un objectif de maintien des exploitations d’élevage sur le territoire ................................... 65
Figure 9 : « Fiche signalétique » du modèle Luberon. Ce tableau récapitule l’ensemble des choix
majeurs faits lors de la conception du modèle Luberon. En rouge, les éléments ayant connu une
évolution importante lors de la transposition en jeu de rôles. ............................................................. 67
Figure 10 : Représentation simplifiée de la structure du modèle Luberon (voir légende en annexe 1).
............................................................................................................................................................... 68
Figure 11 : Carte du Parc Naturel du Luberon. En rouge, le territoire choisi pour la modélisation.
Sources : PNR Luberon. ......................................................................................................................... 70
Figure 12 : Modèle conceptuel ARDI co-construit avec le groupe de pilotage au début de la
démarche. Les cadres blancs renvoient aux acteurs, les cadres verts aux ressources et les différentes
flèches aux interactions (procédures dans le modèle). ........................................................................ 81
Figure 13 : « Fiche signalétique » du jeu de rôles Luberon. Ce tableau récapitule l’ensemble des choix
majeurs faits lors de la conception de ce jeu de rôles. En rouge, les éléments ayant connu une
évolution importante par rapport au modèle SMA. ............................................................................. 83
Figure 14 : Carte d’occupation du sol à l’initialisation du jeu de rôles / plateau de jeu. ...................... 87
Figure 15 : Le cercle vicieux de la dynamique de co-construction pour la démarche Luberon .......... 105
Figure 16 : Une itération problématique dans la démarche de co-construction ................................ 107
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
147
Annexes
Listes des annexes :
1- Schéma structurel du modèle SMA Luberon
2- Les procédures « initEleveur »
a- L’objectif : recréer la localisation des éleveurs
b- Description des procédures « initEleveur »
c- Résultats de la démarche de reconstruction
d- Limites de la démarche de co-construction
3- Elaboration du scénario « élevage »
4- Elaboration de la carte d’occupation du sol
a- Attribution des pixels pour les espaces naturels
b- Attribution des pixels pour les espaces cultivés et urbains
c- Attribution des pixels encore non distribués pour l’utilisation du sol
d- Attribution des pixels pour la catégorie « champ »
e- Attribution des âges pour les formations végétales
5- Le calendrier de pâturage
6- Retranscription de discours au cours de TFC
a- Sur l’importance de la sémiologie graphique
b- Sur le statut de l’animateur/modélisateur dans la démarche
c- Sur les bricolages du modèle
d- Sur les chasseurs
e- Sur l’impact du pâturage sur le risque d’incendie
f- A propos du pov « surcharge1 »
g- A propos de l’enjeu « rapaces »
h- Sur la thématique « maintien des éleveurs »
7- Lexique des entités spatiales du modèle Luberon (cellules)
8- L’environnement du modèle Luberon : une carte d’occupation du sol
9- L’environnement du modèle Luberon : une carte d’installation des éleveurs
Gratecap Jean-Baptiste
1. Schéma structurel
Mémoire FNS 2009
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structurel du modèle SMA Luberon
Mémoire FNS 2009-2010
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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a. Encadrés
En rouge : les agents (ou entités sociales) du modèle, c'est-à-dire les entités ayant un impact direct
sur l’environnement et sur les autres entités.
Note : Les lots de brebis ont été considérés comme des agents plus que comme des ressources : en
effet, seul leur impact sur l’environnement est pris en compte, tandis que leur valeur marchande (ce
qu’ils apportent à l’éleveur) n’est pas intégrée dans le modèle.
En vert : les ressources que peuvent mobiliser les agents du modèle.
En gris : les agents intégrés dans le modèle mais qui n’ont aucun impact réel sur l’environnement ou
sur les autres entités sociales :
- Le berger ne constitue qu’un intermédiaire entre l’éleveur et les lots de brebis. Au départ,
les partenaires prévoient d’intégrer différentes modalités de pâturage en fonction de niveaux de
connaissance des bergers. Cette idée n’ayant pas été implémentée, le berger n’a aucun impact
concret sur le reste du modèle.
- Le PNR et le CERPAM n’ont aucun effet direct dans le modèle : ces entités servent avant
tout à faire des suivis sur des indicateurs spécifiques, donc à enregistrer des résultats d’évolution
d’attributs du modèle.
- Les rapaces ne sont pas une entité sociale mais simplement des marqueurs de bonne
gestion sylvicole.
- En noir : des procédures automatiques qui font évoluer le modèle à intervalles réguliers.
b. Flèches d’interactions
Ces flèches représentent des procédures qui régissent les interactions entre les différentes entités
(spatiales et sociales) du modèle. Les descriptions sommaires des procédures représentées dans le
schéma sont issues du lexique « procédures ». Les interactions représentées ici ne correspondent
qu’aux procédures les plus importantes et ne sont donc pas exhaustives. Certaines procédures
propres à des scénarios particuliers (comme par exemple le scénario « baisse des produits de
l’élevage »), ne figurent pas sur ce schéma.
Les flèches rouges représentent les actions (procédures) qui ont un impact direct sur les formations
végétales sur le territoire (sur le « paysage »), notamment sur les attributs utsol et age des cellules.
Les flèches grises représentent des actions n’ayant aucun impact sur l’environnement ou les autres
entités.
1 : L’éleveur achète du complément à l’extérieur de l’exploitation pour compenser les déficits de
pâturage obtenus sur parcours, sur champs ou en bergerie (Procédure complementerLots, voir plus
bas).
2 : L’éleveur récolte les surfaces en cultures fourragères et en céréales sur son exploitation et stocke le
foin et le grain pour complémenter les animaux en bergerie (procédures recolterFoin et
recolterGrain).
3 : L’éleveur fait pâturer le lot par l’intermédiaire du berger (procédure fairePaturer : lot).
Procédure mensuelle. En fonction du type auquel il appartient, l'éleveur :
- choisit les unités pastorales à pâturer pendant les différents mois de l’année (lecture du calendrier
de pâturage) ;
- évalue la ressource herbacée présente sur l’ensemble des cellules de ces unités ;
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
150
- décide, en fonction des ressources présentes sur les parcours, du taux de raclage à appliquer aux
cellules à pâturer ;
- envoie le lot pour qu’il pâture les cellules correspondantes.
4 : L’éleveur complémente ses troupeaux en bergerie (procédure complementerLot).
A la fin de chaque mois, l’éleveur doit compenser les déficits des lots sur parcours, sur champs ou en
bergerie (déficitJb, déficit total mensuel pour l’éleveur) par de l’alimentation complémentaire. Pour
cela, l’éleveur puise dans son stock de foin et dans son stock de grain. Si le stock est vide, l’éleveur
achète du complément.
5 : Les troupeaux vont pâturer sur les terres cultivées : procédure graze
Procédure lancée chaque mois pour chaque lot si ce lot pâture une unité pastorale cultivée (cultures
fourragères, champs de céréales ou friches). Tant que le lot a des besoins en pâturage, il se déplace
sur la cellule suivante de l’unité sélectionnée et pâture cette cellule en fonction du taux de raclage
prévu par le calendrier de pâturage.
Si l’ensemble des cellules disponibles ont été pâturées avant que les besoins du lot ne soient remplis,
alors des déficits apparaissent.
Sur la cellule pâturée : mise à jour de la ressource herbacée disponible (attribut potPast).
6 – Les troupeaux vont pâturer sur les parcours. Cette action regroupe deux procédures différentes :
- Procédures qui font pâturer les troupeaux sur les parcours : grazeWith
Procédures lancées chaque mois pour chaque lot si ce lot pâture un parcours (pelouses, garrigues,
matorral et forêts). Tant que le lot a des besoins en pâturage, il se déplace sur la cellule suivante de
l’unité sélectionnée et pâture cette cellule en fonction du taux de raclage prévu. Si l’ensemble des
parcours ont été pâturés, alors des déficits apparaissent.
Sur la cellule pâturée : mise à jour de la ressource herbacée disponible (attribut potPast) et de la
ressource ligneuse disponible (attribut feuille).
- Procédure qui régit l’impact du pâturage sur le milieu naturel : Encroach
Mise à jour annuelle de l’âge des parcelles pâturées en fonction du degré de pression par le pâturage
(taux de raclage) :
- Si la cellule est pâturée à moins de 80%, pas d’impact du pâturage sur la structure ligneuse, la
formation végétale gagne 1 an (dynamique de végétales normales).
- Si la cellule est pâturée à 80%, impact du pâturage sur la structure ligneuse, l’âge de la formation
végétale reste stationnaire (maintien des dynamiques végétales).
- Si la cellule est pâturée à plus de 80% (100 ou 120%), impact du pâturage sur la structure ligneuse,
l’âge de la formation végétale baisse de 1 (dynamique végétale en régression).
7 - Entretien des zones de coupure DFCI : procédure Debroussailler.
Procédure annuelle lancée au mois de juin. Elle permet l’entretien par débroussaillage de 20 cellules
(soit 45ha) de garrigue ou de matorral situées dans les zones de coupures DFCI.
La cellule concernée passe en pelouse. Son âge devient 0.
8 – Entretien des zones MAET : DebroussaillerN2000
Procédure annuelle lancée au mois de juin. Elle permet l’entretien par débroussaillage de 18 cellules
(soit 40ha) de cellules situées dans des zones éligibles aux mesures agro-environnementales.
Les cellules éligibles sont :
- en milieu ouvert (garrigue ou matorral)
- dans des milieux ouverts prioritaires ou communautaires
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151
- sur des territoires d’éleveurs
- en dehors de la coupure DFCI.
La cellule concernée passe en pelouse. Son âge devient 0.
9 – Récolte de bois par l’exploitant forestier. Cette action regroupe deux types de procédures :
- Des procédures de sélection des cellules à récolter et des modalités de la récolte :
ExploiterBoisChauffage et alimenterReseauChaleurResineux (scénario Bois-énergie)
Procédures annuelles lancées au mois de juillet. Elles déterminent les règles de coupes pour
l’alimentation en bois (bois-énergie et bois de coupe) du territoire. Plusieurs facteurs pour délimiter
les zones et les modalités de la coupe :
- Les formations forestières à couper
- La pente
- Le foncier (terrains privés, communaux ou domaniaux)
- Le volume sur pieds
- L’âge du peuplement (choix entre coupe rase et éclaircie).
La récolte continue jusqu’à ce que la demande soit satisfaite.
- Des procédures de coupes (couperRas et eclaircir: target) qui permettent de mettre à jour le
volume sur pieds sur la cellule et de déclencher la mise en défens.
10 – L’exploitation forestière dérange les couples de rapaces (procédure majRapaces, uniquement
utilisée dans le scénario bois-énergie)
Procédure qui détecte les coupes dans les cellules situées sur le territoire de circaètes et qui
implémente les règles de dérangement et d’échec de reproduction.
11 – Evolution « naturelle » des formations végétales : procédure majVeg.
Mise à jour annuelle de toutes les cellules du territoire modélisé. Procédure qui correspond aux
« matrices de transition » co-construites dans le cadre de la démarche.
Les attributs des cellules mis à jour par cette procédure sont :
- L’utilisation du sol (utsol).
- Les espèces forestières dominantes (especeF).
L’utilisation du sol évolue principalement en fonction :
- de l’âge. Ex : si une garrigue a 20 ans, elle devient un matorral de 1 an.
- de l’utilisation ancienne du sol (attribut oldUtsol).
12 - procédure qui régit l’impact de l’incendie sur le paysage : majIncendie (uniquement dans les
scénarios avec incendie)
Mise à jour de la cellule après l’incendie. Elle garde en mémoire l’ancienne utilisation du sol de la
cellule (attribut oldUtsol) et lui attribue de nouvelles caractéristiques : âge de la parcelle mis à 0 et
disparition du peuplement forestier sur la parcelle.
13 - L’évolution des ressources herbacées cultivées (pâturage et fourrage) dépend du climat. Les
modalités de l’impact du climat sur ces ressources sont principalement définies dans deux
procédures :
majClimat Procédure qui génère aléatoirement une série climatique de 12 mois. A chaque mois de l’année est
associée une probabilité qui correspond à la pousse ou non de l’herbe :
- si « 1 », alors l’herbe pousse pendant le mois.
- si « 0 », l’herbe ne pousse pas.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
152
majProdherbe
Met à jour la production pastorale herbacée mensuelle (potPast) des différents types d’utilisation du
sol en fonction du mois et du climat, sur les cellules des territoires des éleveurs. Les coefficients de
production herbacée (journée brebis/ha) sont différents selon les utilisations du sol et selon les mois.
14 - Les ressources pâturables sur parcours évoluent de la même façon que les ressources tirées des
terres cultivées (voir 13). Néanmoins, aux ressources herbacées s’additionnent les ressources
ligneuses. L’évolution de ces ressources est définie dans la procédure suivante :
majProdLigneux : txRaclage Sur le territoire des éleveurs, met à jour les ressources ligneuses
mensuelles (attribut « feuille ») que le troupeau peut consommer en fonction du taux de raclage. La
quantité de cette ressource dépend des différents types d’utilisation du sol, du mois et du climat.
15 - Pendant les années sèches, des incendies peuvent se déclencher : procédure checkFire
(uniquement dans les scénarios avec incendie)
Procédure annuelle (juillet), qui génère un incendie :
- 1 chance sur 2 qu’un incendie se déclenche si les mois précédents ont été plutôt secs.
- sélection au hasard des zones de départ d’incendie (2 communes au choix).
16 – Le CERPAM suit l’évolution du nombre d’éleveurs sur le territoire (uniquement dans le scénario
« baisse des produits de l’élevage »).
17 – Le CERPAM suit l’évolution de l’occupation du sol sur le territoire.
18 – Le PNR suit l’évolution des formations végétales (dynamiques paysagères) sur le territoire.
19 – Le PNR suit l’évolution de la population de rapaces sur le territoire.
20 – Les rapaces nichent sur le territoire (procédure aléatoire d’installation sur les cellules en résineux,
procédure initRapaces).
2. Les procédures « initEleveur »
Cette annexe décrit la procédure d’installation des éleveurs utilisée dans le modèle SMA. Cette
procédure reconstruite en l’absence de données accessibles sur la localisation véritable des éleveurs
fait l’objet de nombreuses discussions au cours de la démarche. On que la description proposée ici est
retranscrite dans l’un des lexiques du modèle Luberon.
a. L’objectif : recréer la localisation des territoires des éleveurs
Les procédures « initEleveur » permettent de générer des territoires pour les éleveurs des différents
types. Les cellules sélectionnées dans ces territoires sont identifiées grâce au numéro de l’éleveur
(attribut « utilisateur »).
Une fois la carte créée, elle est importée dans le modèle de simulation : les scénarios sont donc tous
basés sur la même carte d’installation des éleveurs sur le territoire. Comme des procédés de
randomisation ont été intégrés dans ces procédures, les cartes obtenues diffèrent toutes l’une de
l’autre. Le choix de la carte à importer dans le modèle de simulation est donc fondamental.
b. Description des procédures initEleveur
Pour chaque type d’éleveurs, une procédure permet de générer le nombre d’agents correspondant
(nombre d’éleveurs par type) et de créer leur territoire d’exploitation (parcours et terres agricoles).
On décrit ici les différentes étapes de cette phase de construction des territoires d’éleveurs.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
153
- Sélection de la commune pour l’installation du siège d’exploitation. Les communes doivent
répondre aux critères suivants :
- Le nombre maximum d’éleveurs sur la même commune ne doit pas être atteint.
- La surface restante pour les différents types d’utilisation du sol à mobiliser doit être
suffisante. Les types d’utilisation du sol et les surfaces à mobiliser lors de la construction du territoire
dépendent des types. Ex : pour qu’un éleveur de type 2 s’installe sur une commune, les surfaces
disponibles en vignes sur cette commune doivent dépasser les 50ha.
- La sélection de la commune pour le siège d’exploitation se fait au hasard entre toutes les
communes répondant à ces critères. Si aucune commune ne répond à ces critères pour l’un des
éleveurs à installer, la procédure échoue.
- Définition du siège d’exploitation : au hasard sur des cellules de terres agricoles de la commune
sélectionnée.
- Définition des parcours d’ubac et des parcours d’adret :
- Sélection des cellules encore libres / correspondant aux critères d’utilisation du sol définis
pour les parcours d’adret ou d’ubac / comprises dans un rayon de x kms autour du siège
d’exploitation.
- Les cellules les plus proches du siège sont ajoutées aux parcours de l’éleveur jusqu’à ce que
la taille limite définie pour ce type d’éleveur soit atteinte. Si les cellules répondant aux critères définis
ci-dessus ne suffisent pas à construire les parcours de l’éleveur, la procédure échoue.
- Définition des terres cultivables :
- Sélection des cellules encore libres / correspondant aux critères d’utilisation du sol définis
pour les différents types de terres cultivables / comprises dans un rayon de x kms autour du siège
d’exploitation.
- Des cellules répondant à ces critères sont sélectionnées au hasard et sont ajoutées au
territoire de l’éleveur jusqu’à ce que la taille limite définie pour ce type d’éleveur soit atteinte. Si les
cellules répondant aux critères définis ci-dessus ne suffisent pas à construire les terres de l’éleveur
(pour chaque type de terres cultivables), la procédure échoue.
c. Résultats de la démarche de reconstruction des territoires d’élevage
La reconstruction par modélisation du territoire des éleveurs constitue en elle-même un objectif de
recherche, porté principalement par l’un des chercheurs de l’INRA. L’enjeu est de co-construire avec
les experts mobilisés une procédure capable de reconstituer une représentation réaliste de l’emprise
territoriale des élevages présents sur l’espace modélisé :
« Cette étape de validation par simulation a consisté à tester la capacité du territoire que nous avons
reconstitué à permettre l’installation des élevages, stylisés, dans des proportions comparables à la
réalité » (Lasseur et al., à paraître).
Plusieurs résultats sont issus de cette démarche (Lasseur et al., à paraître) :
- Par la modélisation, il est possible de faire varier les critères d’installation (ordre
d’installation des éleveurs, critères de mobilité…). L’enjeu de ces tests est de voir si la procédure
permet l’installation des 31 éleveurs prévus. Les simulations ont ainsi montré une forte sensibilité à
la mobilité des petits élevages.
- Une carte d’attractivité du territoire a été construite grâce à une répétition de la procédure
d’installation (50 fois). Il a ainsi été possible d’identifier des espaces potentiellement attractifs et
concurrentiels pour les éleveurs.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
154
- Les limites de la procédure de modélisation ont pu être mises en évidence ; ainsi, certains
espaces considérés comme étant utilisés par les éleveurs dans la réalité n’apparaissent pas dans les
territoires des éleveurs issus des simulations. C’est le cas par exemple des crêtes du Grand Luberon.
On voit ici les limites de la démarche de modélisation quand il s’agit d’intégrer certains critères
réglementaires, ici les zones de mesures agroenvironnementales.
d. Limites de la démarche de co-construction
Les cartes produites dans le cadre des simulations d’installation constituent autant de choix
potentiels pour la carte de base qui sera ensuite intégrée à l’environnement du modèle Luberon
(Lasseur et al, à paraître). Le choix de la carte d’emprise territoriale de l’élevage dans le modèle
Luberon a fait l’objet d’une co-construction : il résulte dans un premier temps d’une décision
collective. Différents résultats ont été présentés lors des temps forts collectifs ; l’adéquation de ces
résultats avec les représentations des différents partenaires sur la répartition réelle des éleveurs sur
le terrain a permis de sélectionner la ou les cartes les plus « pertinentes ».
Le renouvellement constant de ces procédures n’a néanmoins pas permis de confronter
systématiquement les résultats avec les représentations de tous les partenaires : la carte
d’installation des éleveurs actuellement implémentée dans le modèle de simulation n’a été choisie
que par une seule personne, c'est-à-dire le chercheur de l’INRA. Les ajustements constants de la
procédure font que la lecture des résultats par les autres participants devient de plus en plus difficile.
On note également que les critères de choix pour la sélection de cette carte n’ont jamais été
clairement définis.
Les ratés du processus de co-construction de ces territoires ont un impact direct sur le reste de la
démarche. La carte d’installation des éleveurs est ainsi remise en cause lors de la réflexion sur
l’introduction des mesures agroenvironnementales dans le modèle, en raison de l’incapacité de la
procédure à simuler l’installation d’éleveurs sur les crêtes du Grand Luberon. L’impossibilité de
changer cette carte en raison de la lourdeur de la procédure conduira à des difficultés importantes
dans la représentation des dynamiques associées à ces dispositifs de contractualisation.
3. Elaboration du scénario « élevage »
L’intérêt de ce compte-rendu, reproduit quasiment tel qu’il a été créé par l’un des chercheurs chargé
de l’animation de la démarche, réside dans l’opposition entre la construction qualitative du scénario
(voir encadré) et les éléments de traduction de ce scénario, préalable nécessaire avant la
transposition en langage informatique.
Luberon : Scénario « coup de Trafalgar dans la filière ovine… ».
Il ne s’agit pas que de la baisse en valeur absolue, mais en valeur relative ( « la non augmentation des
cours ») qui grève la capacité de maintien et/ou d’augmentation de la valeur ajoutée dans les
élevages ovins viande producteur d’agneau. Cela provoque globalement, une diminution de la
production ovine sur la zone (arrêt des troupeaux) et aussi la réorganisation de la production, l’
« atomisation » de l’offre dans les circuits plus ou moins courts « de vente directe», conséquence
d’une filière « organisée » qui se « déstructure » et n’arrive plus à trouver localement les volumes de
production nécessaire à son maintien et à son développement.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
155
Cela part aussi de l’hypothèse que les autres types de filières (courte, vente directe) ne sont pas
moins impactées sur la baisse des cours, mais elles permettent une meilleure valorisation de
l’agneau ET une meilleure valeur ajoutée pour l’éleveur…..
On intègre dans les scénarios des questions de démographie des types d’élevage et des
réorganisations des élevages dont on rend compte à travers
- des passages d’un type à un autre,
- des modifications de l’organisation interne des types.
Quelques idées sur la manière dont cela se déroule.
Conversion à la vente directe :
On est parti de l’idée que ce marché (des circuits courts par de la vente directe) n’est pas illimité et
que selon le type d’élevage les éleveurs ont « potentiellement » plus ou moins de capacité à
« convertir » leur système d’élevage et de commercialisation en Vente Directe. Seul un éleveur par
commune peut passer à la vente directe…
La dimension du marché et les ordres de priorité pour la conversion:
Une réactivité différente des éleveurs selon les types pour saisir l’opportunité d’orienter leurs
activités vers cette filière : On a tablé sur un effectif de 2500 brebis (pour être en situation limitante,
revoir éventuellement le chiffre) qui peuvent être orienté vers la production en vente directe.
Envisager ainsi les concurrences pour la reconversion permet des scénarios assez différents vu les
différentiels de taille de troupeaux, cela à condition d’être assez précis dans la manière dont on
établit les priorités en terme de reconversion.
• les éleveurs du type 3 sont les plus réactifs et 50 % d’entre eux sont en situation de passer en
vente directe. Soit 4 éleveurs et 1600 brebis (ils ne modifient pas leur organisation
d’exploitation). Les éleveurs de type 3 qui abandonnent l’élevage (4) libèrent les terres de
parcours immédiatement et vendent leurs terres agricoles petit à petit (1 pixel tous les 5
ans).
• Les éleveurs du type 2 abandonnent l’élevage, libèrent les terres de parcours et
maintiennent leurs activités sur les terres cultivables
• Un éleveur sur trois dans les types 7 et 8 passe à la vente directe. Les autres abandonnent
l’élevage et les espaces pastoraux mais gardent leurs terres de culture.
• Un éleveur du type 4 passe à la vente directe sans modifier le fonctionnement et l’emprise
territoriale. L’autre abandonne l’élevage et libère toutes les terres qu’il exploite.
• S’il reste des opportunités de vente directe (le seuil en nombre de brebis n’est pas dépassé)
alors un éleveur du type 6 puis un éleveur du type 5 peuvent se convertir s’ils n’ont pas
opéré de restructuration de l’exploitation (…). Ceux qui n’arrivent pas à s’agrandir et ne
peuvent passer à la vente directe par dépassement du seuil d’effectif ou du fait d’une
installation déjà opérée en vente directe sur la commune abandonnent l’élevage mais
continuent à exploiter les terres cultivables. Pour ceux qui passent à la vente directe ils
reconfigurent leurs exploitations et fonctionnent comme des types 3.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
156
Les réorganisations internes :
Cette capacité de reconversion est aussi conditionnée par les capacités de réorganisation au niveau
des conduites des productions ce dont on rend compte à travers des questions de répartition
calendaire des mise-bas et de constitution de territoires qui conviennent.
• Les configurations des types 2,7,8 ne sont pas modifiés.
• Concernant le type 3, a priori ils ne modifient pas leur territoire mais il faudrait rééquilibrer
les mise-bas pour être sur un équilibre printemps-automne. Constituer de nouveaux
calendriers d’alimentation et vérifier que cela passe.
• Le type 4 ne change pas.
• Pour les éleveurs du type 5 et 6, évolution du territoire et du troupeau :
- soit pour avoir les mêmes configurations que le type 3 : recherche d’ubacs supplémentaires
pour les éleveurs du type 6 et libération d’adret pour les deux.
- soit pour l’agrandissement.
Réorganisation et pérennité des élevages dans la filière traditionnelle :
Ceux qui ne font pas le choix de la conversion aux circuits courts évoluent dans une logique
d’abandon plus on moins progressive de la production ovine face à la chute des cours qui impacte la
démographie des types d’élevages et permet une réorganisation des territoires. Ceci aura un impact
sur le territoire utilisé et va éventuellement fournir des opportunités de réorganisation pour les
autres (espace libéré).
(…)
Pas de temps :
Tous les cinq ans on fait jouer des paramètres démographiques permettant de définir la présence
des élevages des différents types, libérant des espaces et permettant de réorganiser son territoire…
4. Elaboration de la carte d’utilisation du sol
Ce document transmis aux partenaires permet de décrire certaines procédures aboutissant à la
création de l’environnement du modèle SMA. Nous attirons ici l’attention du lecteur sur la complexité
des procédures créées par le modélisateur pour intégrer au mieux certaines données incomplètes
(données d’occupation du sol), voire pour en créer de toutes pièces (âge des peuplements). Au final, le
manque de données induit un travail accru du modélisateur et un manque de lisibilité certain des
procédures créées (et donc du document présenté ci-dessous).
Récapitulatif des hypothèses pour les procédures contenues dans « initTest » de « LuberonInit29 » :
majUtsolNew.
Nous décrivons ici l’ensemble des procédures aboutissant à la création de la carte d’utilisation du sol
(voir fig.6) pour le modèle Luberon, ainsi que les hypothèses mobilisées dans ces procédures. Par ces
procédures, on attribue à chaque pixel une valeur appartenant à la typologie « utsol » (26
catégories).
La carte d’utilisation des sols (attribut « utsol » de la cellule dans le modèle) pour le projet Luberon a
été construite à partir de deux documents distincts, la carte d’occupation des sols du PNRL (attribut
« ocsol » de la cellule dans le modèle) et la carte de l’IFN (attribut « ifn » de la cellule dans le
modèle). La typologie de l’IFN a été utilisée comme base pour l’attribution des « espaces naturels »
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
157
(forêts, matorral, garrigue et pelouses) tandis que la typologie fournie par le SIG du PNRL a permis de
compléter la carte pour les espaces cultivés et urbains. Les différences importantes de localisation et
de typologie entre les deux cartes ont nécessité des nombreux ajustements pour la constitution de la
carte d’utilisation du sol.
En comparant les pixels de la carte d’utilisation du sol dérivée de la carte d’occupation du sol du
PNRL et celle dérivée de l’IFN (voir procédure décrite ici), on arrive à 50% de différence, en incluant
néanmoins des différences liées à la répartition au hasard des terres et à la création de nouveaux
types d’utilisation du sol.
a. Attribution des pixels pour les espaces naturels
Utilisation du sol (utsol) des « espaces naturels »
Catégories IFN (ifn) Age de la formation végétale
Risque d’incendie
Espèce arborée dominante
Pelouses (2) 31 entre 0 et 10 1 Friches (3) 8 entre 0 et 5 1 Garrigue (4) dont :
5, 9, 24, 27 entre 0 et 20 2
Garrigue à chêne pubescent 9, 24, 27 entre 0 et 20 2 Chêne pubescent Matorral (5) dont :
14, 23, 28, 35, 43 entre 0 et 20 Arbres: +15 ans
3
Matorral à pins d’Alep 14, 35, 43 entre 0 et 20 3 Pin d’Alep Matorral à chêne vert 23, 28 entre 0 et 20 3 Chêne vert Pinède (6) dont :
13, 16, 17, 18, 21, 22, 29, 38, 39, 40, 41, 42, 44, 45
Chiffres pour chaque espèce
3
Pinède à pins d’Alep 13, 21, 29, 38, 39, 41, 42 entre 17 et 37 3 Pin d’Alep Pinède à pins noirs 17, 18, 22 entre 10 et 30 3 Pin noir Pinède à pins sylvestres 44 entre 11 et 31 3 Pin sylvestre Conifères indifférenciés 16, 40, 45 entre 11 et 31 3 Indifférencié Chênaie verte (7) 11, 30 entre 19 et 39 2 Chêne vert Chênaie blanche (8) 3, 4, 6, 7, 26, 32, 33 entre 21 et 41 1 Chêne pubescent Cédraie (9) 12, 19, 34, 37 entre 12 et 32 1 Cèdre Mélanges Pins/Chênes (25) 10, 15, 25 entre 13 et 33 3 Chênes et pins
Suivant les conclusions de la réunion du 14/05, les données IFN ont été considérées comme
prioritaires par rapport aux données d’occupation du sol du PNR pour la constitution de la carte des
« espaces naturels ». On attribue donc dans un premier temps des classes d’utilisation du sol à ces
espaces en fonction de la typologie de l’IFN. Ces classes se voient également attribuées des âges au
hasard et un risque d’incendie (voir fig.1). L’espèce arborée dominante est précisée pour réaliser le
calcul des volumes sur pieds et pour déterminer la future utilisation du sol des garrigues et des
matorrals.
L’attribution du type d’utilisation du sol et de l’espèce arborée dominante par rapport aux catégories
IFN s’est avérée parfois complexe étant donnée le manque d’informations contenues dans la
typologie. Cette attribution n’a pas donné lieu à des discussions poussées avec les partenaires et
résulte donc de choix qui ont été faits par les modélisateurs en fonction de leurs connaissances du
terrain. Pour chaque catégorie problématique, nous avons ainsi regardé la localisation des pixels
concernés pour ensuite les attribuer à une occupation du sol ou à une espèce (voir Ex1). Des
procédures ont également été créées pour résoudre ce problème (voir Ex2).
Ex1 : la catégorie IFN 32 intitulée « taillis de feuillus indifférenciés (protection) » a été intégrée à la
chênaie blanche (utsol 8) plutôt qu’aux formations de chênes verts du fait de sa position majoritaire
en ubac.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
158
Ex2 : étant donnée l’impossibilité de distinguer les pins d’Alep des pins sylvestres pour les pixels de
type IFN 13 « futaie de pins indifférenciés », nous appliquons la procédure ‘majPins’ qui permet de
distinguer les deux types de peuplements en fonction de l’altitude.
Les âges des formations végétales intégrés dans les procédures informatiques correspondent aux
matrices de transitions discutées lors de réunions précédentes ainsi qu’à des chiffres issus de
simulations (chiffres modifiés en rouge dans fig. 1). La procédure d’attribution des âges en fonction
des volumes sur pieds est décrite en partie 5.
La carte d’occupation du sol du PNR a été utilisée pour créer deux nouvelles catégories d’espaces
naturels qui n’ont pas leur équivalent dans la typologie de l’IFN : la hêtraie et la ripisylve.
Utilisation du sol (utsol) Typologie du PNR (« ocsol »)
Age de la formation végétale
Risque d’incendie
Espèce arborée dominante
Hêtraie (10) 12 entre 40 et 80 / Hêtre Ripisylve (26) 9 entre 10 et 40 / Aulnes
Comme les catégories « ripisylve » et « hêtraie » issues de la typologie du PNR nous ont semblé
pertinentes pour une bonne représentation des formations végétales sur le territoire modélisé, ces
catégories ont été considérées comme prioritaires. Ainsi, si un pixel appartenant aux catégories
« hêtraie » et « ripisylve » de la typologie du PNR a déjà reçu une catégorie d’utilisation du sol à
partir de la typologie de l’IFN, on lui attribue un nouveau type d’utilisation du sol qui remplace le
précédent.
b. Attribution des pixels pour les espaces cultivés et urbains
La deuxième partie de la procédure permet d’attribuer des catégories d’utilisation du sol cultivées ou
urbaines. Elle ne concerne que les pixels de la catégorie « autre » de l’IFN (type 1), qui
n’appartiennent donc pas aux catégories IFN d’espaces naturels (voir fig.1). L’ordre des procédures
reflète l’ordre des priorités établies lors de la réunion du 14/05 : l’attribution des pixels pour les
espaces naturels par la typologie de l’IFN est prioritaire et se fait donc en premier par rapport à
l’attribution des espaces cultivés et urbains.
Pour cette procédure d’attribution des pixels pour les espaces cultivés et urbains, on utilise les
catégories d’occupation du sol de la typologie du PNR, puisque cette typologie est la seule à donner
des précisions pour ces espaces. Le détail de cette attribution est donné dans la fig.3.
Utilisation du sol (utsol) Typologie du PNR (ocsol) Risque d’incendie
Champs (11) 5 / Espace urbain (23) 15, 18, 19, 21 + ifn 207 / Mitage (22) 6, 10 1 Vignes (17) 8 / Eau (21) 11, 23 / Verger (18) 17 / Prairies (16) 20 /
c. Attribution des pixels encore non distribués pour l’utilisation du sol
Cette procédure permet de remplir les derniers pixels vides de la carte d’utilisation du sol. Ces pixels
correspondent à des incohérences entre la carte de l’IFN et celle du PNR : là où l’IFN classe les pixels
en « autre », la typologie du PNR leur attribue une catégorie d’espace naturel. Par cette procédure
7 La catégorie 20 de l’IFN correspond aux « espaces verts urbains ».
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
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on attribue donc à ces pixels une classe d’utilisation du sol correspondant à un espace naturel mais
en se basant cette fois-ci sur la typologie du PNR :
Utilisation du sol (utsol) Catégories du PNR (ocsol) Age de la formation végétale Risque d’incendie
Pelouses (2) 14, 16 entre 0 et 10 1 Friches (3) 22 entre 0 et 5 1 Garrigue (4) 7 entre 0 et 20 2 Matorral (5) 3 entre 0 et 20
Arbres: +15 ans 3
Pinède (6) 4 Fourchette pour chaque espèce 3 Chênaie verte (7) 2 entre 19 et 39 2 Chênaie blanche (8) 1 entre 21 et 41 1 Sols nus (1) 13 / /
De cette façon, tous les pixels de la carte ont été attribués. Une dernière procédure nous permet de
préciser les types d’utilisation à l’intérieur de la catégorie « champs ».
d. Attribution des pixels pour la catégorie « champs ».
Ces pixels sont attribués lors des procédures « majTerres » des géoterroirs et « initEleveurs »
(création des différents types d’éleveurs).
La procédure « majTerres » finalise la carte d’utilisation du sol en attribuant aux pixels de la catégorie
d’utilisation du sol « champs » (utsol 11 / ocsol 5) un des 4 types ci-contre :
- Maraichage (utsol 19)
- Parfums (utsol 20)
- Cop (utsol 12)
- Fourrage (utsol 14).
L’attribution pour chaque pixel se fait proportionnellement aux données du RGA pour les différents
géoterroirs du territoire (voir tableau « affectationTerres ») avec une distribution au hasard étant
donnée l’absence de données permettant une localisation précise de ces espaces. La procédure
d’importation des chiffres du RGA se nomme « importRepartitionTerres ».
Deux types d’utilisation du sol n’ont pas encore été attribués :
- Les céréales (utsol 13) correspondent aux pixels de catégorie 12 (utsol « cop ») intégrées dans le
territoire d’un des éleveurs. Par les procédures « initEleveur », ces pixels passent de la catégorie
« 12 » à la catégorie « 13 ». Les espaces restant en « cop » sont ceux qui ne sont utilisés que par les
agriculteurs non éleveurs.
- Le fourrage irrigué (utsol 15) est implémenté pendant la création des éleveurs de type 6 à partir de
parcelles en fourrage situées en zone irrigable (« initEleveur6 »).
e. Attribution des âges pour les formations végétales
Pour cette procédure, nous disposions de données fournies par MR pour la production annuelle de
bois (accroissement courant en m3/ha/an) et pour les volumes sur pieds moyen (m3/ha) par région
de l’IFN et type de peuplements. Le principe était donc de définir, pour chaque peuplement, la
fourchette d’âge pour mettre en conformité les volumes sur pieds simulés avec les volumes sur pieds
fournis par ces données. Les chiffres modifiés ont été mis en rouge dans le tableau 1.
Sur chaque pixel, le volume sur pieds obtenu correspond à l’âge attribué à la formation végétale que
multiplie le chiffre d’accroissement courant correspondant à cette formation et à la région forestière.
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Par des simulations, on calcule le total des volumes sur pieds sur les pixels boisé pour chaque région
forestière. Le chiffre obtenu doit être ensuite divisé par le nombre de cellule boisée dans la région
forestière et par la taille du pixel (2,25ha) pour obtenir une valeur de volume sur pieds moyen.
En comparant avec les valeurs de référence, on a pu rectifier les fourchettes d’âges allouées par
défaut à chaque formation. Les chiffres de volume sur pieds obtenus par les simulations pour les
forêts de chênes verts et de chênes pubescents étaient très proches de ceux de l’IFN. Les
modifications de la fourchette d’âge ne sont donc que minimes. En revanche, les volumes sur pieds
obtenus pour les pins étaient largement surestimés par rapport aux chiffres de référence; il a donc
fallu baisser les âges des pinèdes. On a attribué des âges différents pour chaque espèce de pins parce
qu’un âge commun aurait induit des écarts très importants pour certaines formations végétales
(certaines espèces ont des accroissements courants beaucoup plus importants).
Selon les régions forestières, la fourchette d’âge optimale pour une formation végétale pouvait
varier. On s’est donc basé sur la ou les régions où l’on retrouvait le plus de pixels pour chaque type
de peuplement.
Types de peuplement (utilisation du sol et espèce dominante)
Equivalent IFN (données fournies par MR)
Age de la formation végétale (avant modifications)
Age de la formation végétale (après modifications)
Matorral (5) dont :
Garrigue (pin d’Alep, chênes vert et pubescent)
entre 0 et 20
entre 0 et 20 Arbres: +15 ans
Pinède (6) dont :
entre 20 et 40 Chiffres pour chaque espèce
Pinède à pins d’Alep Futaie de pin d’Alep entre 20 et 40 entre 17 et 37 Pinède à pins noirs Futaie de pin noir entre 20 et 40 entre 10 et 30 Pinède à pins sylvestres + Conifères indifférenciés
Futaie de conifères indifférenciés (notamment pin sylvestre)
entre 20 et 40 entre 11 et 31
Chênaie verte (7) Taillis chênes pubescents entre 20 et 40 entre 19 et 39 Chênaie blanche (8) Taillis indifférencié (en plus du
précédent le chêne vert) entre 20 et 40 entre 21 et 41
Cédraie (9) Futaie de cèdres entre 20 et 40 entre 12 et 32 Mélanges Pins/Chênes (25) Mélange de futaie de conifères et
de taillis entre 20 et 40 entre 13 et 33
L’attribution de l’âge pour le matorral a posé problème : en effet, il était impossible de le changer
sans remettre en cause les matrices de transition. De plus, les chiffres obtenus pour le volume sur
pieds moyen étaient largement inférieurs aux chiffres de référence. On a donc changé l’âge de l’arbre
dans les matorrals pour augmenter le volume sur pieds.
Pour toutes les formations végétales forestières, l’âge des arbres initial est égal à l’âge du
peuplement. La règle est différente pour le matorral : l’âge des arbres est égal à l’âge de la formation
+ 15 ans. Avec cet âge des arbres modifié, on obtient des chiffres qui correspondent bien aux
données de MR pour les volumes sur pieds/ha. On fait l’hypothèse ici que l’arbre se développe dès le
stade « garrigue », 15 ans avant le passage au stade « matorral ». Ainsi, l’âge de la formation ne
change pas pour ne pas remettre en cause les matrices de transition.
Une fois les fourchettes d’âges déterminées, on a réalisé 5 simulations pour choisir celle dont les
résultats s’approchait le plus des références. En effet, si les volumes sur pieds pour la majorité des
peuplements variaient très peu, certains volumes sur pieds connaissaient en revanche une variabilité
plus forte. Les âges fixés dans le modèle sont donc ceux de la simulation la plus conforme à ces
chiffres.
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
161
Procédure de création de la carte d’utilisation du sol
A la base, deux cartes importées dans SMA.Pour chaque pixel :
Une valeur pour l’attribut « ifn »(carte de l’IFN)
Une valeur pour l’attribut « ocsol »(carte de l’occupation du sol
fournie par le PNRL)
Pixels pour les espaces naturels :Attribution à partir des catégories IFN
Pixels non attribués : catégorie ‘autre’ de l’IFN
Tous les pixels ont maintenant une valeur pour l’utilisation du sol (‘utsol’). Nouvelle typologie avec 26 catégories.
Pour la catégorie « champs » : Répartition des pixels en fonction de statistiques du RGA
Pixels pour les espaces cultivés et urbains :Attribution à partir des catégories ‘ocsol’
Pixels pour les espaces naturels restant :Attribution à partir des catégories ‘ocsol’
5. Le calendrier de pâturage
On reproduit ici un extrait du calendrier de pâturage produit par les experts pastoralistes mobilisés
dans la démarche Luberon. Cet extrait permet de décrire l’un des 8 types d’exploitation.
Chaque colonne correspond à un mois de l’année, tandis que les lignes représentent les différents
critères de description pour l’alimentation du troupeau :
- Les besoins du troupeau (en journées brebis)
- Le complément nécessaire pour l’alimentation (en journées brebis)
Gratecap Jean-Baptiste Mémoire FNS 2009-2010
162
- Le lieu du pâturage (bergerie, parcours d’adret et d’ubac, céréales…)
- Le taux de raclage en pourcentage : ce chiffre permet de rendre compte des modes
d’alimentation différenciés des bêtes sur les parcours.
6. Retranscriptions de discours au cours des TFC
Ces comptes-rendus des TFC permettent de mieux appréhender les discussions qui peuvent se
déployer autour de la co-construction d’un modèle ou d’un jeu de rôles.
a. Sur l’importance de la sémiologie graphique
Cette discussion porte sur l’élaboration du plateau de jeu pour un jeu de rôles sur le risque d’incendie
en Cévennes Alésiennes. Elle met en évidence l’importance de la co-construction d’une sémiologie
graphique en adéquation avec les représentations des acteurs, mais aussi le rôle de la couleur dans
l’élaboration d’une carte. La sémiologie usuelle du géographe est rejetée pour favoriser celle du
partenaire. Elle montre également la pratique de l’animateur qui vise à provoquer la discussion en
proposant une sémiologie polémique (le rouge pour le chêne vert).
L’animateur présente le prototype de carte d’occupation du sol :
Moi les codes couleurs, je ne suis pas d’accord. En géographie, le vert clair c’est la plaine ».
Animateur : Moi je ne veux pas d’avis de géographe.
(…)
Moi le rouge ça me gène pour le chêne vert, il faut un autre vert.
Un pompier : Le chêne ici, il brûle peu, c’est une zone d’appui… alors qu’en général le rouge
correspond à la zone d’aléa maximum.
Oui on met du rouge pour le pin maritime.
Non, on ne met pas de rouge.
Pour le chêne vert on peut mettre du gris-bleu.
Animateur : Est-ce que vous pensez qu’un maire va reconnaître sa commune avec cette couleur de
chêne vert… Il faut arriver à ça.
Non, ce n’est pas la Camargue.
Animateur : J’ai mis le rouge pour le chêne vert pour vous provoquer…
b. Sur le statut de l’animateur/modélisateur dans la démarche
La discussion retranscrite ici montre l’implication personnelle du chercheur dans les débats lors d’un
TFC. Il s’agit ici de définir la gestion des stocks chez les exploitants de bois de chauffage afin de
l’intégrer dans le jeu de rôles. L’expertise du chercheur se base ici sur son expérience personnelle. La
posture d’expert adoptée par l’animateur est remise en cause par l’agent du PNR en charge des
questions forestières.
Agent du PNR : Peut-être aussi que le gars qui vient couper du bois de chauffage là il ne vend pas que
du bois là et qu’il a toujours un moyen d’écouler son stock…
Animateur : Ah non ça ce n’est pas vrai…
besoins 1008 1170 1170 1026 1026 900 900 1332 1980 1980 1404 1404complément 1008 1170 1170 122 0 0 0 0 850 850 850 1404lieu pâturage B B B CF UP1 UP1 UP2 CFI CFI CF CF Btaux raclage 0 0 0 100 40 40 40 100 100 100 100 0
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Agent du PNR : T’en connais beaucoup de gens qui n’écoulent pas le stock de bois de chauffage ?
Animateur : Tous les marchands de bois que je connais n’arrivent pas à écouler leur bois de
chauffage…
Agent du PNR : Si tu veux faire l’expert forestier, va-y…
Animateur : Non, non, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dis.
Agent du PNR : Si tu me dis que ce n’est pas la réalité, c’est que c’est toi l’expert en réalité sur
l’exploitation forestière…
c. Sur les « bricolages » du modèle
La modélisation des mesures MAET se heurte aux résultats de la procédure d’installation des
éleveurs ; cette procédure ne permet pas l’installation d’éleveurs sur les crêtes du Grand Luberon, ce
qui ne correspond pas à la réalité perçue par les acteurs. Pour faire coïncider les zones MAET et les
espaces pâturés par les troupeaux, l’un des partenaires propose un bricolage de la carte initiale :
Agent du PNR : Il faut forcer le modèle pour envoyer pâturer un éleveur là et puis c’est tout… On ne
prend pas le résultat de la simulation d’installation, on la trafique… On peut forcer la main au truc
pour lui dire « bah écoute »…
Animateur : Pendant la simulation ? Ca doit être possible mais c’est compliqué…
Agent du PNR : Ou alors tu modifies la carte d’installation à la main…
Expert élevage : On met une priorité sur la pelouse lors du choix des adrets…
Agent PNR : On prend la carte et on la trafique… on change la donnée de base et puis c’est tout… ce
n’est pas très réglo...
d. Sur les chasseurs
Cet extrait montre comment les processus d’ouverture thématique de la démarche lors des TFC
associant des éleveurs se heurtent à la modélisation et à ses exigences en matière de données.
Eleveur : On n’a pas oublié les chasseurs autour de la table ?
Expert élevage : On s’est posé la question… on les avait mis au début dans le modèle et puis on ne les
a pas maintenus parce que… on n’arrivait pas bien à leur donner un rôle…
Agent PNR : On n’avait pas non plus intégré dans le modèle le gibier des chasseurs… il n’y a pas non
plus de populations de sangliers virtuels qui diminuent ou qui augmentent… il aurait fallu rajouter
tout ça, voir l’effet des débroussaillements sur les populations… c’était compliqué, ça n’a pas été
rentré dans le modèle, du coup c’était difficile de donner quelque chose à faire aux chasseurs… on
aurait pu mais…
Expert élevage : Dans le premier schéma ils y étaient… mais après on s’est dit « mais est-ce qu’on est
capable de modéliser, de représenter les différents éléments… il y a plein de gens ou de phénomènes
biologiques que l’on a enlevé parce qu’on était incapable de… Il y a des choix comme ça qu’on
assume, et puis après il y a la difficulté de bien représenter ce qu’on a laissé dans le jeu.
e. Sur l’impact du pâturage sur le risque d’incendie
Le modèle n’est pas un outil « neutre » : la notion de « règle partiale » émise par l’un des partenaires
résume bien l’idée que le modèle constitue un support pour les perceptions et les réflexions
stratégiques des partenaires.
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Animateur : Pour l’instant, la règle est la suivant : si une cellule est pâturée au mois de mai avec un
taux de raclage supérieur ou égal à 80%, on considère que le risque d’incendie baisse d’une unité…
Expert élevage : Mois de mai tu ne vas pas avoir beaucoup de cas… plutôt si une cellule est pâturée
une fois par an… Moi j’aurais mis « si une cellule est pâturée = le risque d’incendie baisse de 2
points »…
Agent PNR : Quelque soit le type de végétation ?!
Expert forestier : C’est une règle partiale (rires).
f. A propos du point de vue « surcharge1 »
Lors d’un TFC, la construction d’une des cartes proposées par le modélisateur est remise en question
par les experts pastoralistes. Le message transmis par la carte est considéré comme problématique.
Expert élevage 1 : L’inconvénient avec ce genre de carte, c’est que ça peut complément fausser la
lecture… c’est quand même très différent s’il y a du « raclage+ » une année et que ça ne s’est pas
reproduit, que s’il y a eu un effet répétitif…
Animateur : (…). On peut mettre un compteur pour dire combien d’années on est passé au taux de
raclage supérieur.
Expert élevage 1 : Oui parce qu’en lecture immédiate…
Expert élevage 2 : … tu « surpâtures »….
g. A propos de l’enjeu « rapaces »
L’agent du PNR propose l’ajout d’un module « rapaces » au modèle Luberon. Une discussion sur les
interactions rapaces-activités forestières s’engage entre cet agent et l’expert forestier.
AS : Il faut voir si on met les rapaces dans le modèle…
JBG : Bah vas-y… Après tu as déjà donné des règles ce matin, ça ne va pas demander beaucoup
d’effort d’implémentation…
AS : Après il faut savoir comment tu simules les comportements des acteurs par rapport à ça… est-ce
que ça va ralentir ou pas l’exploitation… je n’en suis pas sûr… a priori non mais c’est un grand débat.
Si on devait vraiment tenir compte de l’ensemble des périmètres de sensibilité de tous les rapaces
pour l’exploitation, est-ce que ça ne serait pas des contraintes trop fortes pour les exploitants…
MR : Le problème c’est qu’il faudrait que les oiseaux fassent une grande réunion… mais là le problème
c’est qu’on peut arriver avec deux espèces à bloquer 6 mois…
AS : Il y a rarement deux espèces au même endroit…
MR : Le problème des rapaces c’est les ouvertures de milieux… Il y en a qui ont besoin de milieux
ouverts…
AS : Il y a deux problèmes différents… Il y a d’une part le territoire de chasse, le fait qu’il y a ou non
des rapaces dans le secteur… la quantité de milieux ouverts c’est très dur à modéliser. A priori là, avec
les milieux ouverts qu’il y a à l’heure actuelle, il y a encore des rapaces, c’est sûr que si le milieu se
ferme entièrement, ils vont peut-être disparaître… Après, il y a le problème des sites de nidification.
MR : Très franchement, je ne sais pas si une activité… moi je ne parle pas des rapaces… tu vas en
forêt, tu coupes du bois, à 20m tu as le chevreuil…
AS : …oui, le chevreuil…
MR : …mais je ne sais pas si les animaux sont si dérangés que ça par des activités régulières et
répétitives…
AS : Enfin, si on repasse en coupe tous les 50 ans…
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MR : …non mais la personne elle vient pendant 1 mois…
AS : On ne peut pas faire de généralités en parlant « des animaux ». Il est évident qu’un rapace qui
niche, si on vient couper tous les arbres qu’il y a autour de son aire…
MR : Le paradoxe c’est qu’il y avait des rapaces alors qu’il y avait une densité de population et un
impact démographique très fort sur ces espaces…
AS : Ouais, enfin il n’y en avait plus beaucoup quand même, on eu besoin de les protéger…
MR : C’est plus récemment qu’on a besoin de les protéger…
AS : La question c’est de savoir si on met ça dans le modèle de simulation… moi ce matin dans le jeu
j’ai proposé que l’on rajoute les rapaces…
ME : Elle veut un peu t’embêter quoi…
MR : Non, non…
AS : Soit on les laisse uniquement dans le jeu soit on le rajoute dans les simulations, voilà… sachant
qu’on ne va pas forcément montrer beaucoup de contraintes…
MR : La plupart des nidifications, elles se feront dans des zones qui ne seront pas concernées par les
exploitations…
AS : Pour les rapaces rupestres… Parmi toutes les espèces de grand rapace protégé Natura 2000, il y a
le vautour, le grand duc, l’aigle… eux ils nichent en falaise. Par contre, s’il y a de l’exploitation près de
leur falaise, ça peut perturber leur reproduction… le couple ne se reproduit pas cette année, je ne dis
pas qu’ils sont tués.
MR : Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de rapaces dans les pins d’Alep…
AS : Il n’y en a pas beaucoup mais il y en a un peu…
MR : Il n’y en a quasiment pas… Ils sont exclusivement dans le domanial…
ME : La façon dont elle (NDLR : AS) a souhaité modifier le jeu ce matin, c’est que dans les sessions de
jeu ce genre de discussions ait forcément lieu… avec tes arguments qui sont très bons et ses
arguments qui sont très bons…
BB : … et qu’est ce qu’on décide…
ME : Non, non, ce n’est pas « qu’est-ce qu’on décide », c’est voir que l’argumentaire n’est pas du
même type… et qu’il faudra bien trouver un compromis.
h. Sur la thématique « maintien des éleveurs »
Lors d’un test du prototype du jeu de rôles, certains acteurs de l’élevage déplorent les résultats
relativement faibles sur l’analyse de l’adaptabilité des éleveurs dans le contexte de changement
simulé dans le modèle.
JFB : « Après ce qui moi me paraît plus compliqué… c’est que ça ne permet pas beaucoup de discuter
d’où on veut aller en tant qu’éleveur… par exemple la discussion sur la vente directe où sur
l’augmentation des troupeaux… ça, ces directions on n’en discute pas… on ne discute que des
conséquences des directions prises par l’élevage mais… quelque part c’est intéressant d’en discuter
avec les autres mais en interne on ne sait pas trop comment les bouger nos systèmes… on ne sait pas
trop s’il faut les intensifier ou les extensifier nos systèmes… par contre là où on mesure les choses
c’est si on les intensifie ou on les extensifie, qu’est ce que ça fait sur le territoire… mais sur l’objectif
par rapport à l’élevage, c’est vrai qu’on n’apporte pas d’éléments de réponses de ça… sur les choix
d’agrandissement, de pas d’agrandissement… ».
BB : « Oui on aimerait bien savoir à quelle sauce on va être mangé… ».
7. Lexique des entités spatiales du modèle Luberon (cellule)
Le lexique reproduit ici permet de lister et de définir les différents attributs des cellules de l’environnement du modèle Luberon. Ce lexique constitue à la
fois un document nécessaire pour la transparence envers les partenaires mais aussi un outil pour le modélisateur. Les évolutions du modèle sont ici prises
en compte pour montrer les dynamiques de la démarche.
En bleu sont représentés : les attributs enlevés du modèle scénario / qui ne sont plus implémentés dans le modèle scénario.
Cellule Nom d’attribut Type Signification Statut Valeurs possibles / observations
abandon (14/07/09) Symbole Attribut qui localise les pixels abandonnés par les éleveurs à la retraite
Calculé par l’ordi scénario Circuits Courts
1 : espaces abandonnés 2 : espaces non utilisés par les types 5 et 6 qui passent en vente directe. Scénario Circuits Courts
age Entier Age de la formation végétale. Calculé par l’ordi Procédure encroach ageInit (18/08/09) Entier Age de la formation végétale à l’initialisation du modèle. Attribut
utilisé pour évaluer l’impact des perturbations sur les dynamiques végétales
Défini à l’init : fixé après simulations et validation par modélisateur
Procédure majUtsolNew
altitude Symbole Différentes classes d’altitude Importé du SIG PNR ‘hypsometrie_pnrl.asc’
de 1 à 9
baisseRI (12/10/09) Symbole Si baisseRI = 1, alors le pâturage a déjà permis de baisser le risque d’incendie sur la cellule. Attribut qui permet d’éviter plusieurs baisses pendant la même année.
Calculé par l’ordi 0 ou 1
codeTerroir Symbole Code du terroir. Importé du SIG PNR ‘geoterroir_pnrl.asc’
Attribut utilisé lors de la création de la carte d’environnement.
colorType Symbole Code couleur par différents types d’éleveurs pour les cellules intégrées dans leurs territoires.
Calculé par l’ordi 1 couleur par type
commune Symbole Code de la commune Importé du SIG PNR ‘commune_pnrl.asc’
1 à 22. Attribut utilisé lors de la création de la carte d’environnement.
coupe Entier Nombre de coupes forestières sur une cellule Calculé par l’ordi coupure Symbole Cellules en zone de coupure de combustible Importé du SIG PNR
‘pdfci_pnrl.asc’
defens Entier Nombre d’années de mise en défens après coupe forestière sur une Calculé par l’ordi de 1 à 11
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parcelle dfci Entier Cellules en zone DFCI Importé du SIG PNR
‘pdfci_pnrl.asc’
especeF Symbole Espèce forestière dominante dans la formation végétale Calculé par l’ordi PN, PA, PS, CB, CV, PC, IN, AU exploitabilite Symbole Exploitation forestière possible ou non (différents critères) Pas implémenté 0 ou 1.
Pas de carte de la desserte exposition Symbole Exposition de la parcelle Importé du SIG PNR
‘expo_pnrl’ 10 classes
feuille Entier Ressource pastorale ligneuse (en journées brebis) Calculé par l’ordi
Données de LG majProdLigneux
foncier (12/05/09) Symbole Foncier de la parcelle forestière Importé du SIG ‘statut_foncier.asc’
1 (communal), 2 (domanial), 3 (privé)
grazed Symbole Taux de raclage de la parcelle Calculé par l’ordi 0, 40, 60, 80, 100% ifn Symbole Code de la formation végétale Importé du SIG PNR
peuplement_ifn_pnrl.asc 45 classes. Base de la carte d’occupation du sol.
impactPat (19/08/09) Symbole Impact du pâturage sur une cellule : se mesure en nombre d’années de retard par rapport à la trajectoire normale de la végétation (définie dans les matrices de transition)
Calculé par l’ordi 1 année de retard si presPat = à 80 % (impactPat +1) 2 années de retard si presPat > 80 % (impactPat + 2) Calcul dans encroach
irrigation Symbole Irrigation ou non Importé du SIG PNR ‘irrig_pnrl.asc’
isParcours (rectifiée le 06/07) Symbole Cellules considérées comme parcours : garrigue, pelouse, matorral, chênaie verte et pinède + cellules en mélange pins-chênes en adret.
Calculé par l’ordi
isPatrimonial Symbole Espaces naturels considérés comme patrimoniaux (pelouses et hêtraie)
Pas implémenté Tiré d’un document du CERPAM + PNR : « Indice de durabilité de la gestion pastorale »
isUbac (rectifiée le 19/06 + le 06/07)
Booléen Cellules considérées comme « ubac » : chênaie blanche + garrigues avec « especeF = chêne pubescent » + cellules en mélange pins-chênes en exposition ubac.
Calculé par l’ordi
melange (06/07/09). Symbole Pour les cellules en utsol 25 (catégorie mélange pins/chênes), permet de faire la distinction selon l’exposition entre zones d’adrets et zones d’ubacs.
Défini à l’init melange = 1 � ‘isParcours’ melange = 2 � ‘isUbac’
natura2000 (22/06/09) Symbole Localisation des forêts et des milieux ouverts prioritaires ou communautaires sur le territoire.
Importé du SIG PNR 3 fichiers différents réunis en 1 attribut
1 : foretCommunautaire 2 : milieuOuvertCom 3 : milieuOuvertPrioritaire
nb120 (05/10/09) Entier Compteur qui calcule le nombre d’années où le taux de pâturage a atteint au moins une fois 120% sur une cellule.
Calculé par l’ordi de 0 à 10.
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nbIncendie (22/07/09) Entier Attribut qui comptabilise le nombre d’incendies passés sur la cellule pendant la simulation.
Calculé par l’ordi Calcul dans majIncendie
nbSurcharge (08/07/09) Entier Attribut qui comptabilise le nombre de fois où la cellule est passée en raclagePlus
Calculé par l’ordi Calcul dans majSurcharge
ocsol Symbole Code de l’occupation du sol, utilisé pour cartographier les utilisations « anthropiques » du sol (+ hêtraie, ripisylve et sols nus).
Importé du SIG PNR ‘ocsol_pnrl.asc’
24 classes Utilisé lors de la création de l’environnement du modèle
oldUtsol Symbole Type d’utilisation du sol précédent Calculé par l’ordi 26 catégories potentielles 11 catégories possibles
overgrazed Booléen Parcelle faisant partie d’un parcours sur lequel le troupeau a pâturé avec un taux de raclage augmenté
Calculé par l’ordi 0 ou 1
pente Symbole Pente de la parcelle Importé du SIG PNR ‘pente_pnrl.asc’
8 classes
potFor Entier Volume sur pieds sur le pixel (m3) Calculé par l’ordi Pour calcul : voir docs « PASTO_CRPF_SMA »
potGrain (24/07/09) Entier Ressource en céréales à récolter sur les cellules cultivées (en journée brebis)
Calculé par l’ordi Calcul dans majProdHerbe Equation construite par ME
potPast Entier Ressource pastorale herbacée (en journée brebis) Calculé par l’ordi Calcul complexe : dires d’experts + « grillePastorale.doc»
presPat (19/08/09) Symbole Attribut qui sélectionne le taux de raclage le plus fort de l’année sur la cellule. Ce taux de raclage max est pris en compte pour mesurer l’impact du pâturage sur la végétation (dans procédure encroach).
Calculé par l’ordi Calcul dans graze with
rapace (26/10/09) Symbole Localisation des différentes zones du territoire des 15 couples de circaètes.
Défini à l’init (localisation au hasard) et calculé par l’ordi
3 types de zones : nids, aires de quiétude, domaine vital.
regFor (22/05/09) Symbole Régions forestières de l’IFN Importé du SIG PNR ‘region_forestiere.asc’
4 régions
risqueIncendie Symbole Niveau d’inflammabilité de la parcelle Calculé par l’ordi 0, 1, 2, ou 3 route Symbole Localisation d’une voie sur la cellule. Desserte utilisée pour le calcul
de l’exploitabilité des massifs forestiers. Pas implémenté Pas de carte de la desserte
sic (22/06/09) Symbole Localisation des différents sites d’intérêt communautaire sur le territoire
Importé du SIG PNR ‘natura2000_sic.asc’
travaux (12/05/09) Symbole Cellule avec travaux Calculé par l’ordi débroussaillages / éclaircie / coupe rase
treeAge (02/11/09) Entier Age du peuplement dominant dans la formation végétale. Age calculé à partir des chiffres d’accroissement courant à l’initialisation / âge transformé ensuite pour correspondre aux accroissements moyens.
Défini à l’init et calculé par l’ordi
Chiffres calculés par rapport aux accroissements courants dans la carte d’initialisation. Voir doc « PASTO_CRPF_SMA » pour
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transformation. utilisateur Symbole Code de l’éleveur utilisant la parcelle Fixé après simulation et
validation 1 à 31
utsol Symbole Type d’utilisation du sol (IFN simplifié + ocsol) Défini à l’init et calculé par l’ordi
26 catégories
utsolInit (29/07/09) Symbole Type d’utilisation du sol (IFN simplifié + ocsol) à l’initialisation. Attribut utilisé pour l’étude des évolutions de la végétation.
Défini à l’init 26 catégories Procédure majUtsolNew (modèle de construction de l’environnement)
vieilleForet (19/10/09) Symbole Identifie les cellules en « vieille forêt », c'est-à-dire les cellules avec un treeAge > 70 ans. Cet attribue permet de toujours identifier la cellule après une coupe.
Calculé par l’ordi 0 ou 1
Gratecap Jean-Baptiste
8. L’environnement du modèle Luberon
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du modèle Luberon : une carte d’occupation des sols
Mémoire FNS 2009-2010
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