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Sommaire← Questions ← Réponses

← Petit dictionnaire à l'usage des apprentis

← Travaux au grade d'Apprenti

← Conclusions du Frère Orateur

Questions

1. Etes-vous Franc-Maçon?

2. A quoi reconnaîtrai-je que vous êtes Franc-Maçon?

3. Que doit-on être pour devenir Franc-Maçon?

4. Qu'est-ce que la Franc- Maçonnerie?

5. Pourquoi vous-êtes vous fait recevoir Franc-Maçon?

6. Par quoi un Franc-Maçon doit-il se distinguer des autres hommes?

7. Quel est le premier devoir du

17. Pourquoi les yeux vous furent-ils bandés?

18. Pourquoi avez-vous été dépouillé de vos métaux?

19. Comment avez-vous obtenu accès à la Loge?

20. Que vous est-il arrivé après votre introduction en Loge?

21. Qu'a-t-on exigé de vous après les trois voyages?

22. Qu'est-il advenu ensuite?

23. Que signifient les trois pas

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Franc-Maçon en Loge?

8. Pourquoi toutes les Loges sont- elles dites de Saint-Jean?

9. A quelle heure commencent et finissent nos travaux?

10. Quel âge avez-vous et qu'est-ce que cela signifie?

11. Que signifie le mot sacré J... ?

12. Quel est le mot de passe des Apprentis?

13. Recevez-vous un salaire en tant qu'Apprenti?

14. Qu'est-ce qu'une Loge juste et parfaite?

15. Où avez-vous été préparé avant d'être reçu Franc-Maçon?

16. Comment avez-vous été préparé extérieurement?

d'Apprenti?

24. Quelle fut la récompense de votre constance?

25. Quelle était la place du Vénérable Maître, lorsque vous fûtes reçu Franc-Maçon?

26. Quelles sont les trois grandes lumières de la Franc-Maçonnerie?

27. Quelles sont les trois petites lumières de la Franc-Maçonnerie?

28. Quelle est la forme de la Loge?

29. Quels sont les bijoux de la Loge d'Apprenti?

30. Quels sont les outils des Apprentis?

31. A quoi travaillent les Apprentis?

32. Quelle est la batterie des Apprentis?

Réponses

1. ÊTES-VOUS FRANC-MAÇON?

Mes Frères Maîtres et Compagnons me reconnaissent comme tel.

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Cette première question, commune à presque tous les systèmes maçonniques, porte, grâce à sa forme particulière, la marque typique d'une question de reconnaissance. En donnant correctement, mot à mot, la réponse qu'elle réclame, nous fournissons à qui nous interroge la première preuve de notre connaissance des usages maçonniques. Il y a lieu toutefois d'ajouter que le simple fait de savoir répondre à cette première question n'implique pas l'acquisition légitime de cette connaissance; il ne préjuge donc pas de la régularité. Cela mis à part, la question et sa réponse ont une portée initiatique véritable. L'Apprenti, sa réception une fois achevée, est souvent tenté de se considérer comme un Franc-Maçon accompli. Or, la réponse qu'il donne doit l'inciter à ne pas affirmer lui-même qu'il a saisi toute l'essence de la Franc-Maçonnerie; c'est à ses Frères Compagnons et Maîtres qu'il appartient de juger si tel est le cas. Aussi bien l'Apprenti s'appliquera-t-il à devenir un Franc-Maçon véritable, à gagner la confiance, l'estime et l'amour de ses Frères plus anciens en Maçonnerie. La réponse à cette première question invitera d'autre part les Compagnons et les Maîtres à ne jamais oublier que leur vie durant ils demeurent des Apprentis, quand bien même ils acquerraient les plus hauts grades et les charges et dignités les plus élevées de la Maçonnerie.

2. A QUOI RECONNAÎTRAI-JE QUE VOUS ÊTES FRANC-MAÇON?

A mes signe, parole et attouchement, ainsi qu'à la répétition des circonstances de moninitiation.Ici encore, nous sommes en présence d'une question formelle de tuilage, destinée à fournir des précisions sur l'appartenance effective à l'Ordre et sur les modalités de la transmission de ces signe, parole et attouchement.

En réalité, les signes extérieurs de reconnaissance ne sont plus un secret absolu; ils ont été publiés à maintes reprises dans les écrits prétendant trahir nos mystères. Chacun peut se les procurer; en revanche, il sera extrêmement difficile à un profane de décrire les modalités particulières de la transmission des signes, voire les circonstances de l'initiation.

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C'est à ce dernier sujet que se rapportent presque toutes les questions suivantes. Cependant, cette seconde question acquiert également une portée initiatique par les actes symboliques auxquels elle fait allusion. L'Apprenti ne doit pas seulement prouver son appartenance à l'Ordre, mais aussi sa qualité de Franc-Maçon; aussi est-ce à dessein qu'il lui est pas demandé simplement: "A quoi reconnaîtrai-je que vous appartenez à l'Ordre?". Par le signe, l'Apprenti doit fournir la preuve que moralement, il est Maçon; et, comme signe, fait allusion au châtiment dont l'ancien serment maçonnique menaçait le traître, il nous rappelle en même temps nos devoirs, et en particulier ceux dont nous nous sommes chargés lors de la prestation de notre promesse solennelle. Par le signe d'apprenti, le Franc-Maçon affirme qu'il est intérieurement couvert; il devient conscient de son devoir de réfréner toutes ses passions et de n'agir que selon les principes maçonniques. Pour cette raison, l'Apprenti pénètre dans le temple en faisant le signe de son grade. La forme particulière du signe lui rappelle le symbolisme de l'équerre qui doit sans cesse lui être présent à l'esprit.La signification de la lettre J fait l'objet d'une question spéciale (voir N°. 11) ; elle se rapporte à la ferme volonté de faire le bien.Et que nous dit l'attouchement? C'est la main ferme et sûre qui saisit amicalement celle du Frère; et sa pression lui dit: "C'est un Frère qui te salue". L'amitié et la promptitude à l'aide sont deux qualités sans lesquelles il n'est pas de vrai Franc-Maçon. Aussi ne doit-on pas seulement se faire reconnaître à un Frère lorsqu'on désire en obtenir quelque service, mais avant tout lorsqu'on est en mesure de lui venir en aide.

3. QUE DOIT-ON ÊTRE POUR DEVENIR FRANC-MAÇON?

Être un homme libre et de bonnes moeurs.

La question relative aux conditions de l'entrée dans la fraternité maçonnique paraît être fort simple; mais on constate néanmoins de grandes divergences à ce sujet. La notion "d'homme libre" est interprétée de diverses manières. Dans les buts de la Franc-Maçonnerie, cette liberté exigée s'entendait sans doute par

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opposition à l'esclavage ou à une dépendance quelconque affectant le statut civique de la personne. Aujourd'hui cependant, à une époque où l'égalité juridique a triomphé, cette liberté exigée est d'ordre spirituel. Le futur Maçon doit apporter la preuve qu'il n'est l'esclave d'aucune passion; il importe que les opinions qu'il professe ne lui aient été imposées par aucune autorité, mais qu'il soit capable de former un jugement personnel sur le monde et les hommes et d'agir selon ce jugement. Cette capacité implique dans une certaine mesure l'indépendance économique et sociale de la personne.Pour ce qui est des "bonnes moeurs", nous n'exigeons pas de certificat de bonne réputation, semblable à ceux que délivrent les autorités de police; ce que nous voulons, c'est que les candidats à l'initiation possèdent l'estime des hommes dont, par leur valeur spirituelle et morale, le jugement nous importe. Nous exigeons du néophyte qu'il vienne à nous librement et obéissant à des motifs dignes. C'est sur ce point, extrêmement difficile à contrôler, que l'on se trompe le plus fréquemment; aussi est-il nécessaire d'agir avec circonspection et prudence. Nous devons être certains que de nobles aspirations conduisent le néophyte au seuil du temple, et non pas la recherche de quelque avantage matériel. Le rang social, le titre ou la situation économique du candidat ne doivent pas exercer d'influence sur la décision de la Loge. Peu nous importe que celui-ci porte un titre académique ou qu'il soit de condition modeste, pourvu qu'il ait le coeur à la bonne place, que sa moralité soit sans reproche et que sa culture et son intelligence soient suffisantes pour qu'il puisse récolter les fruits de l'enseignement maçonnique.

4. QU'EST-CE QUE LA FRANC-MAÇONNERIE?

C'est un ensemble d'enseignements relatifs à la morale, présentés et expliqués sous la forme de symboles et d'allégories.

Il y a lieu de distinguer ici entre la Franc-Maçonnerie en tant qu'idée et doctrine, et la Franc-Maçonnerie en tant qu'association de Frères. La Franc-Maçonnerie n'est pas une religion, puisqu'elle n'impose ni dogmes, ni article de foi; cette

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tolérance la met précisément en mesure, et cela mieux que n'importe quelle autre institution, de servir de lien entre les hommes. La loi morale de la Maçonnerie est indépendante de toute confession, bien que sur les points essentiels elle coïncide avec la morale chrétienne reconnue dans nos pays.

En tant que doctrine morale, la Franc-Maçonnerie est très stricte et conséquente; grâce à ses méthodes d'enseignement consistant dans l'emploi de symboles et d'allégories et aux usages particuliers qu'elle cultive, elle est susceptible d'exercer une influence profonde sur les hommes qui se sont adonnés à l'art royal. Le secret de la puissance de nos principes réside en grande partie dans notre symbolisme qui non seulement anime les idées d'une vie ardente, mais qui constitue en outre un lien étroit entre les Frères.

Cependant, la seule observation de la loi morale, exprimée déjà dans les Constitutions d'Anderson de 1723 ne fait pas le Franc-Maçon, autre chose encore est exigée de lui : il faut qu'il ait un coeur ouvert et sensible, qu'il éprouve le besoin impérieux de faire le bien, d'avoir des amis et d'être ami lui-même. Celui qui, se suffisant à lui-même, traverse la vie en observant froidement les préceptes de la morale sans pour cela être animé de l'amour, celui-là n'a aucun droit au titre de Franc-Maçon. Car la Franc-Maçonnerie enseigne à la fois le devoir envers soi-même et le devoir envers les hommes, envers toute l'humanité. Elle n'exige pas seulement l'observation, en somme assez négative, des règles de la morale, mais avant tout un travail moral positif; elle exige de ses adeptes qu'ils pensent et qu'ils travaillent sans cesse à leur développement spirituel et à leur perfectionnement moral. La lumière que le néophyte reçoit lors de son initiation doit le mettre en mesure de donner, à son tour, la lumière à autrui.

5. POURQUOI VOUS ÊTES-VOUS FAIT RECEVOIR FRANC-MAÇON?

Parce que j'étais dans les ténèbres et que je désirais la lumière.

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Lumière et ténèbres, deux termes exprimant deux conceptions du monde radicalement opposées. Que devons-nous entendre, au point de vue de l'esprit, par ce mot de " ténèbres "? C'est l'état de l'âme humaine avant que la vraie lumière lui soit révélée; et cette lumière, c'est la dignité humaine, l'unité humaine, c'est l'humanité dans le sens le plus large de ce mot. Celui qui foulant aux pieds les droits d'autrui, ne connaissant que la loi de son égoïsme, court brutalement à la satisfaction de ses désirs; celui aux yeux de qui la richesse, la gloire, les honneurs, la satisfaction des passions sont les seuls bonheurs d'ici-bas, celui-là marche dans les ténèbres. Celui qui croit à l'infaillibilité de son opinion et qui, en raison de cette croyance intransigeante, offense, méprise ou persécute autrui, celui-là marche dans les ténèbres. Celui qui est l'esclave de superstitions ou qui apparaît lié par des préjugés, celui-là est privé de lumière. Celui qui ne se souciant pas du droit ni de l'équité, ne reconnaît pour loi suprême que les contraintes de son égoïsme, celui-là est une créature de la nuit. L'homme digne et noble, en revanche, est un chercheur de lumière, un pionnier de la lumière, toujours assoiffé de vérité; il vit sa vie non pas en individu isolé, mais conscient des liens qui l'unissent aux autres hommes. Sa vie est un effort constant de perfectionnement qui le conduit à la vraie dignité humaine.

6. PAR QUOI UN FRANC-MAÇON DOIT-IL SE DISTINGUER DES AUTRES HOMMES?

Par sa sincérité vis-à-vis des hommes, par son amitié pour les Frères, par la liberté en l'indépendance de sa pensée et sa conduite irréprochable.

La réponse à la question précédente a mis en lumière ce que l'on pourrait appeler les qualités négatives du Franc-Maçon; ici, il s'agira de quelques-unes des qualités positives qui le distinguent particulièrement.

Le Franc-Maçon est un homme courageux qui ne craint pas de faire connaître son opinion; il est l'ami résolu de la vérité, de la sincérité. Il met en valeur une forte personnalité et n'est jamais le jouet de son entourage ou de ses amis; en un mot:

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c'est un homme prêt à défendre, où et quand que ce soit, ses convictions. L'amitié qu'il porte à ses Frères lui est chose sacrée et non pas propos sonore et creux. Et cette amitié doit pouvoir supporter de dures épreuves sans se briser aux premiers heurts. La vraie amitié est faite de service, de conseil, d'aide, d'égards et de pardon. Notre amitié, c'est l'amour fraternel que nous éprouvons les uns pour les autres; elle ne se démentira pas dans le danger et dans la détresse.

Le Franc-Maçon doit se distinguer des profanes par sa façon de penser. Libérer de tout préjugé, il ne doit poursuivre qu'un seul but: la vérité. Dans toute circonstance, il doit avoir le courage et la force d'agir selon les principes qui lui sont apparus vrais, justes et beaux. S'il suit ce précepte fondamental, il entrera de lui-même dans la voie qui mène au perfectionnement humain.

7. QUEL EST LE PREMIER DEVOIR DU FANC-MAÇON EN LOGE?

C'est de s'assurer si la Loge est dûment couverte intérieurement et extérieurement.

QUAND LA LOGE EST-ELLE COUVERTE?

Lorsque tous les profanes sont éloignés et que l'influence de la vie profane est écartée.

A première vue, il semble que ce devoir n'incombe pas à chacun des Frères en Loge, mais seulement à certains officiers. Cependant, le terme de "couverture de la Loge" ne se rapporte pas uniquement au temple dans lequel sont réunis les Frères, mais, dans une acception plus large, à toute réunion de Franc-Maçons.

Le mot "couverture" est emprunté au vocabulaire des anciennes loges opératives dont les parois protégeaient suffisamment contre les indiscrets, mais dont le toit, couvert de tuiles, pouvait parfois permettre à des curieux de voir ou d'entendre ce qui se passait à l'intérieur. C'est à cette particularité de construction des loges opératives que se rapporte l'expression "il pleut" pour désigner la présence de

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profanes; de même origine est aussi le terme de "tuileur", en usage dans certains systèmes, désignant l'officier veillant à la sécurité de la Loge et chargé de l'examen des hôtes qui s'y présentent.

Chaque fois que des Frères sont assemblés pour discuter de questions maçonniques, et notamment dans les tenues rituelles, il importe d'éloigner strictement les profanes.

De même, il faut s'assurer que les couloirs conduisant au lieu de la réunion soient fermés ou dûment surveillés. Pourquoi, demandera-t-on peut-être, nous mettons-nous ainsi à couvert, alors qu'en vérité nous n'avons rien à cacher? Nous agissons de la sorte, parce que seul l'initié peut comprendre le sens profond de nos allégories et de nos actes symboliques; un étranger, facilement porté à la raillerie, troublerait nos entretiens et nos travaux. D'ailleurs toute société fermée n'éprouve-t-elle pas le besoin bien compréhensible d'écarter les étrangers?

Tels sont les motifs de la couverture extérieure. Mais il est à côté de cela une couverture intérieure, non moins importante, qu'il incombe à chaque Frère de réaliser individuellement. Au seuil du temple ou de la salle de réunion, il tâchera de se défaire de tout ce qui, dans la vie du dehors, en fait un profane; et c'est en Franc-Maçon, en Franc-Maçon seulement, qu'il pénétrera dans l'enceinte. Cela ne veut pas dire qu'il ne doive agir en Franc-Maçon que lorsqu'il est en Loge; bien au contraire, dans tous les actes de la vie profane il doit faire preuve de ses qualités maçonniques et à plus forte raison, quand il se trouve entre Frères. C'est ce devoir que la question rituelle de la couverture veut lui rappeler toujours à nouveau.

8. POURQUOI TOUTES LES LOGES SONT-ELLES DITES "DE ST-JEAN"?

Parce que les Maçons anciens ont choisi Saint-Jean Baptiste pour patron.

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Nous sommes ici en présence d'une tradition empruntée aux loges opératives des temps anciens. La Franc-Maçonnerie actuelle, dit spéculative, est née, nul ne doit l'ignorer, dans les loges opératives de l'Angleterre au début du XVIIIème siècle. Ces loges ont de tout temps révéré comme patron, soit Saint-Jean Baptiste, soit Saint-Jean l'Évangéliste qui, de la sorte, ont passé dans les us et coutumes de la Maçonnerie spéculative.

Peu avant l'apostolat du Christ, Jean-Baptiste prêchait l'amour fraternel et la vraie humanité. Quelle que soit notre attitude dans la question religieuse, nous ne pouvons refuser notre estime à cette puissante personnalité, dont le courage, l'idéalisme, la grandeur morale peuvent aujourd'hui encore nous être donnés en exemple. Ce n'est pas sans intention que le jour de la naissance de Jean-Baptiste a été fixé au 24 juin, date approximative du solstice d'été: ainsi nous apparaît-t-il comme la personnification de la lumière, de la lumière maçonnique. Aussi la plupart des Loges célèbrent-elles à cette époque une fête commémorative, la Saint-Jean d'été, qui est une fête de l'amour, de la réconciliation et de l'enthousiasme. D'autres Loges, suivant leur système, célèbrent à la même date la fête solsticiale qui, initiatiquement, ne diffère guère de la Saint-Jean d'été.

Quant à Saint-Jean l'Évangéliste, son anniversaire est également commémoré dans certains systèmes maçonniques; il est fêté aux environs du solstice d'hiver (24 décembre). Dans notre pays, la Bible, symbole maçonnique placé sur l'autel, se trouve ouverte au premier chapitre de l'Évangile selon Saint-Jean.

9. A QUELLE HEURE COMMENCENT NOS TRAVAUX?

A midi plein

A QUELLE HEURE SONT-ILS TERMINÉS?

A minuit plein.

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Il s'agit ici d'une mesure du temps particulière à la Franc-Maçonnerie et qui, actuellement, est parfois abandonnée. Cela est regrettable à maints égards, car son application traditionnelle donne au langage maçonnique un cachet qui n'est pas sans charme et, de plus, nous préserve d'un rationalisme exagéré. Car le parler maçonnique ne doit pas être seulement un langage de la raison; il doit avant tout venir du coeur et parler au coeur. Les particularités de notre vocabulaire doivent nous rappeler sans cesse que nous sommes en présence d'un ensemble de traditions respectables que nous n'avons pas le droit de profaner en les abandonnant à la légère.

Il est dit que nos travaux commencent à "midi plein", c'est-à-dire à la 12ème heure du jour. A première vue, cette réponse peut paraître absurde, puisque nos travaux ont lieu généralement le soir. Cependant, cette façon de diviser le temps a un sens profond. Le temps maçonnique ne se soucie pas de l'heure astronomique. La Loge est un monde à part dans lequel ne pénètre pas la lumière du jour; au contraire, nous en fermons soigneusement toutes les fenêtres afin de donner un éclat d'autant plus vif aux lumières symboliques que nous y allumons. Lorsque le soleil maçonnique est à son point culminant, lorsqu'il est, selon nous, midi plein, nos travaux commencent, et nous les poursuivons jusqu'à ce que le soleil arrive à son point le plus éloigné; il est alors minuit plein et nous fermons la loge.

Presque tous les rituels comportent ce jeu de questions et de réponses entre le Vénérable et les surveillants relatif à l'heure des travaux, Dans certains systèmes cependant, il est dit que les travaux de loge durent "jusqu'à ce que la lumière commence à se répandre", c'est-à-dire jusqu'au matin. Sachant qu'il s'agit ici de la lumière maçonnique, nous comprenons qu'il n'y pas de différence essentielle entre ces deux manières de s'exprimer. Aux yeux du Franc-Maçon, le jour et la nuit ont la même valeur; et il travaille, lorsque dorment ceux au bien desquels est voué son labeur.

10. QUEL AGE AVEZ-VOUS?

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J'ai ... ans.

QU'EST- CE QUE CELA SIGNIFIE?

Que je n'ai gravi que les ... premières marches de l'échelle qui conduit à la connaissance.

Dans certains systèmes, il est dit que l'Apprenti a "moins de sept ans", ou qu'il "est encore mineur". Cette question est en premier lieu une question de reconnaissance très souvent employée comme telle. Aussi importe-t-il, lorsqu'au seuil d'une Loge étrangère l'on est interrogé sur son âge, de ne pas se tromper; une réponse fausse est toujours gênante et peut même vous faire refuser l'entrée.

Mais, ici également, le but pratique de la question se double d'un enseignement ésotérique. Pourquoi ce nombre? C'est qu'il est le premier des nombres sacrés de la Maçonnerie. D'autre part, on considère volontiers l'initiation comme étant la naissance du Franc- Maçon; et les trois voyages qu'il accomplit dans cette cérémonie seront dès lors assimilés aux trois premières années de la vie maçonnique. Comme l'indique la réponse à la seconde question, l'Apprenti n'a gravi que les premiers échelons de la connaissance; il n'en est qu'à ses débuts, il est enfant encore. L'on compare également les trois voyages avec les trois périodes de la vie du Maçon: l'enfance, l'adolescence, et l'âge de l'homme mûr; car ce n'est que lorsqu'il a atteint sa maturité que l'homme peut devenir Maçon. En tout cas, et de quelque manière qu'on l'interprète, l'âge de l'Apprenti doit rappeler à la modestie celui qui le porte.

Les trois années sont également assimilables aux trois premiers degrés de l'échelle mystique, composée de trois, cinq et sept marches qui, dans le temple de Salomon, conduisait à la Chambre du Milieu.

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Ces marches, l'Apprenti les a gravies, et de leur hauteur son regard contemple le parvis du temple; mais devant lui s'élèvent encore de nombreux gradins qui montent, toujours plus haut, vers la vérité.

11. QUE SIGNIFIE LE MOT SACRÉ J . . . ?

C'est le nom d'une colonne du parvis du temple de Salomon, auprès de laquelle les apprentis touchaient leur salaire.

La Bible mentionne la colonne J . . . au troisième chapitre du deuxième Livre des Chroniques. Elle était située à la gauche du porche conduisant au temple. A droite était placée la colonne B . . . , que les Compagnons sont appelés à connaître. Mais comme le point de vue où l'on se place dans la contemplation des deux colonnes n'est pas certain, la colonne J . . . peut aussi bien être dite à droite, et la colonne B . . . à gauche. De là s'explique une certaine diversité dans les systèmes maçonniques: pour les uns, la colonne J . . ., vue de l'Orient, est à gauche; pour les autres, elle est située à droite. Laquelle des deux positions est correcte? Il est difficile d'en juger.

En tout état de cause, il est frappant de constater que l'on a découvert des temples égyptiens et syriens d'une époque de beaucoup antérieure à la construction du temple de Salomon qui était également précédés de deux colonnes; ce qui permet de conclure que les représentations et des intentions semblables, assurément très anciennes, ont présidé à cette architecture particulière. En général, l'ésotérisme de ces deux colonnes est identifié à loi cosmique du binaire qu'elles sont censées représenter: c'est-à-dire la thèse et l'anti-thèse: masculin - féminin, bien - mal, lumière - ténèbres, etc.

Dans certains rituels, notamment dans ceux des Loges anglaises, les colonnes sont décrites d'une manière très détaillée quant à leur aspect et à leurs dimensions. Elles portent des chapiteaux faits de lis et de lacs, symbolisant l'amour et l'union. Selon d'autres systèmes, les colonnes doivent porter des

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globes, celui de la terre et celui du ciel, symbolisant l'universalité de la Franc-Maçonnerie. Dans d'autres Loges enfin on trouve à la place des globes quatre grenades entr'ouvertes laissant apparaître de nombreuses graines, symboles des innombrables membres de la chaîne fraternelle. En fait, les colonnes J . . . et B . . . présentent des formes variant d'une Loge à l'autre, ce qui d'ailleurs ne présente pas de grave inconvénient.

Il est dit que c'est auprès de la colonne J . . . que les apprentis recevaient leur salaire. Aujourd'hui encore, dans la plupart des ateliers suisses, les Apprentis prennent place sur la colonne du nord, à l'extrémité de laquelle se dresse la colonne J . . . et siège le second surveillant; dans certaines Loges, cependant, il en est autrement. Dans toute cette question de la position des colonnes et des surveillants, on remarque une assez grande divergence.

Outre ces interprétations plutôt formalistes, les colonnes J . . . et B . . . ne se prêtent guère à un enseignement plus profond. On a essayé, il est vrai, de donner à leur nom un sens approprié, comme par exemple "I.é.", ou "L.S.t'é." ou encore "H.l.c."; mais le nombre même des interprétations proposées démontre l'incertitude de leur fondement. Si nous en voulons à tout prix déduire un enseignement, nous dirons que le binaire doit être ramené à l'unité primordiale, à la perfection qui prêtera à l'ensemble sa force intérieure. L'idée de la renaissance spirituelle, à laquelle les deux colonnes font allusion, fortifiera notre confiance et notre conscience du devoir et nous encouragera à persévérer dans la voie du perfectionnement sur laquelle nous avons commencé à cheminer.

12. QUEL EST LE MOT DE PASSE DES APPRENTIS?

G. . . qui signifie "excellent dans le métier".

Ce mot est dérivé de Gébal, nom d'une ville de la Palestine, célèbre par les excellents tailleurs de pierre qui y auraient vécu. Selon une autre interprétation, G . . . serait le nom d'une montagne située près de Jérusalem; mais il y a une

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confusion à la base de cette interprétation. Le mot de passe G . . . a pour but de permettre en principe à l'Apprenti de se faire ouvrir les portes des Loges travaillant au premier grade.

Dans certaines Loges, notamment à l'étranger, d'autres mots de passe sont en usage; ainsi en particulier le mot T . . . qui était autrefois celui des Loges de l'Alpina.

13. RECEVEZ-VOUS UN SALAIRE EN TANT QU'APPRENTI?

Oui, dans la conscience d'avoir rempli fidèlement mes devoirs.

Comme nous l'avons dit, les apprentis dans les loges de Maçons opératifs touchaient leur salaire au pied de la colonne J . . . ; ce salaire se donnait sous forme d'espèces sonnantes. L'Apprenti Franc-Maçon, dans les Loges modernes, a droit également à une récompense; celle-ci ne consistera pas en argent, mais dans la satisfaction qu'éprouve tout Frère d'avoir rempli fidèlement les devoirs dont le charge sa qualité d'homme, de citoyen, de membre de famille ou de Franc-Maçon. Dans ce sens, seul celui qui a accompli du bon travail a droit au salaire; dès lors, il est dans le pouvoir de chacun d'augmenter, par un travail maçonnique toujours meilleur, la récompense qui naturellement, lui échoit. Car le Franc-Maçon n'a pas le droit d'exiger ni argent, ni remerciement, ni honneurs pour ses actes; il sait que toute bonne action porte en elle-même sa récompense. De même au sein de la fraternité, le Maçon est tenu de donner tout ce dont il est capable, sans se demander si ce don et son travail seront appréciés par les autres. Il est indigne d'un Franc-Maçon de se faire payer tous ses actes, tous ses services, et cela même dans la vie profane; à plus forte raison est-il indigne de lui de s'enrichir aux dépens de ses Frères.

Partout où il n'y a pas de récompense matérielle à attendre, le Franc-Maçon trouvera son vrai champ d'activité. Il paiera de sa personne chaque fois que le profane soucieux de son propre avantage se dérobera; dans les oeuvres

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désintéressées de la philanthropie, de la bienfaisance, dans les activités sociales bénévoles, le Franc-Maçon est à sa place.

14. QU'EST-CE QU'UNE LOGE JUSTE ET PARFAITE?

Trois la dirigent, cinq l'éclairent, sept la rendent juste et parfaite.

Malheureusement, dans la question de l'appréciation de la régularité, les contingences humaines provoquent parfois des divergences. La Maçonnerie anglo-saxonne a établi une série de conditions très précises de la reconnaissance de la régularité des Grandes Loges étrangères. Les conditions essentielles de la reconnaissance par les puissances anglo-saxonnes sont le maintien ou l'introduction du symbole du G. A. de l'U., la présence de la Bible ouverte sur l'autel et le maintien des "Anciennes Charges" et des "Landmarks" de la Maçonnerie. Pour être régulière, une Loge doit avoir été créée par sept Maîtres réguliers au moyen d'une charte constitutionnelle ou patente délivrée par une Grande Loge régulière. Pour constituer une Grande Loge régulière, la réunion d'au moins trois Loges régulières est exigée.

Les normes établies par les autres obédiences divergent sensiblement des préceptes anglais. Certains systèmes exigent la réunion de neuf, d'autres de cinq Maîtres pour la constitution d'un atelier. Cependant, une Loge n'est juste et parfaite que lorsqu'elle a été constituée selon les règles. Le Vénérable, assisté des deux surveillants, peut à la rigueur diriger la Loge; mais deux autres officiers, l'orateur et le secrétaire, sont nécessaires pour qu'elle puisse être éclairée, c'est-à-dire recevoir vie et lumière; enfin sept officiers sont nécessaires pour que l'atelier puisse procéder à une initiation.

D'après les prescriptions de la Grande Loge d'Angleterre et de nombreuses autres Grandes Loges, une assemblée de Loge n'est juste et parfaite que lorsqu'elle est composée au moins de trois Maîtres, deux Compagnons et deux Apprentis. Pour la fondation d'un atelier, la participation d'au moins sept Maîtres réguliers est

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exigée. Il serait éminemment désirable que l'on s'accordât sur une base internationale au sujet de ces très importants points de droit maçonnique.

15. OU AVEZ-VOUS ÉTÉ PRÉPARÉ AVANT D'ÊTRE REÇU FRANC-MAÇON?

Dans mon for intérieur.

ET ENSUITE?

Dans une chambre près de la Loge

Cette question nous introduit dans les us et coutumes maçonniques proprement dits relativement à la préparation et à l'initiation au grade d'Apprenti. Le candidat désireux de se faire recevoir Franc-Maçon s'enquiert tout d'abord de la nature et des buts de l'Ordre et après mûre réflexion, prend la décision de poser sa candidature ou de faire une demande d'admission par l'intermédiaire d'un ami. Puis des renseignements complémentaires lui sont donnés, de nombreuses questions lui sont posées qui lui permettent de se rendre compte plus exactement de ce qu'est la société dans laquelle il désire entrer.

Arrive enfin le jour de l'initiation et l'instant de la décision ultime. Une dernière fois le cas est minutieusement examiné. Son parrain et le Frère préparateur s'entretiennent avec le candidat, dans un lieu retiré, et évoquent devant ses yeux, avec toute la précision voulue, ses futurs devoirs; son attention est attirée sur toutes les conséquences que sa démarche pourra entraîner. Dans la plupart des Loges, il est tenu de répondre par écrit à un certain nombre de questions relatives à la Franc-Maçonnerie. Dans le cabinet de réflexion, il est abandonné à ses pensées; à la lueur d'une simple chandelle, généralement en présence de symboles de la mort, sa préparation intérieure doit s'accomplir. Il a sous les yeux des préceptes qu'il est invité à méditer; parfois on exige de lui un testament moral.

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Toutes ces circonstances, ce décor particulier sont destinés à mettre le candidat dans un état d'émotivité intense et de méditation sérieuse; et sa conscience de la gravité, de la solennité de l'heure est un critère de sa compréhension de la Franc-Maçonnerie. Chaque rite de la préparation doit encore augmenter cet état psychique, jusqu'à ce que le Frère préparateur ait la conviction que le candidat est "dans les dispositions convenant à l'initiation".

Le cabinet de réflexion, qui est dit "près de la Loge", est en réalité parfois assez éloigné du temple, mais toujours il est affecté à cet usage exclusif. Et comme l'initiation maçonnique n'est autre que la naissance de l'homme à une vie nouvelle, le cabinet de réflexion symbolise le sein maternel dans lequel s'accomplit la préparation de la renaissance spirituelle.

16. COMMENT AVEZ-VOUS ÉTÉ PRÉPARÉ EXTÉRIEUREMENT?

Dépouillé de tous métaux, je fus conduit devant les portes de le Loge, un épais bandeau recouvrant mes yeux.

Une tradition ancienne veut que le néophyte ne soit pas seulement préparé intérieurement, mais aussi extérieurement. Sa préparation extérieure est en relation étroite avec l'initiation et ses enseignements; elle doit contribuer de son côté à créer l'état d'âme particulier de l'initiation.

Suivant la tradition antique, le candidat subit une préparation vestimentaire spéciale. Il est dépouillé d'une partie de ses vêtements, pour lui rappeler que la vertu n'a pas besoin d'ornements. Le coeur est découvert en signe de sincérité et de franchise; le genou droit est mis à nu pour rappeler l'humilité dans laquelle doit se poursuivre la recherche de la vérité; le pied droit est déchaussé à l'imitation d'une coutume orientale qui, par ce geste, exprime le respect du lieu que l'on foule des pieds. Dans les Loges anglaises, une corde est passée autour du cou du néophyte. Cependant, de nombreuses Loges, notamment en Suisse alémanique, ont abandonné cette partie de la préparation extérieure du candidat.

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Le symbolisme de cette préparation extérieure varie d'un système à l'autre. D'une manière générale, on peut dire qu'elle a pour but de faire comprendre au candidat que la Franc-Maçonnerie ne juge pas les hommes d'après l'extérieur, d'après le titre ou le rang social. C'est dépouillé de son argent, faible et sans défense qu'il pénètre dans le temple, ce qui doit le mettre en garde contre sa vanité. La poitrine découverte est symbole de sa sincérité; le bras nu témoigne de sa volonté et de son aptitude au travail; le genou mis à nu rappelle le respect du G. A. de l'U. et la pantoufle représente la pauvreté. Le candidat est dépouillé de tous métaux, c'est-à-dire de son argent et des objets de valeur qu'il avait sur lui; privé de la vue par un bandeau, confiant et sans défense, il s'est confié à nous sans savoir ce qu'il adviendra de lui. Cette préparation constitue la première des épreuves auxquelles sera soumise sa constance.

Tandis que la préparation vestimentaire a été supprimée par un très grand nombre de Loges, toutes ont conservé le symbolisme très profond de l'abandon des métaux.

17. POURQUOI LES YEUX VOUS FURENT-ILS BANDÉS?

Afin que mon oeil intérieur aperçoive d'autant mieux les choses.

Toute la préparation, et plus particulièrement le bandeau placé sur ses yeux, a mis le candidat dans un état négatif, dans un état de néant. Il ignore où il est, il ne sait pas ce qui se passe autour de lui; tout au plus peut-il pressentir la vérité. Rien ne distrait son attention de la cérémonie dont il est le centre et des paroles qui lui sont adressées. Déjà dans les initiations les plus anciennes dont témoigne l'histoire, nous voyons que les néophytes avaient les yeux bandés, cela afin que la lumière qu'on va leur donner brille d'un éclat d'autant plus vif et qu'ils l'apprécient d'autant plus hautement. Il est possible également que cet usage constituait une mesure de précaution pour le cas où le candidat, pris de regrets ou de crainte, reculerait devant la décision dernière; ainsi s'assurait-on de sa discrétion.

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Actuellement, cette crainte n'est certainement pas la raison de la coutume de bander les yeux du néophyte; si l'on agit de la sorte, c'est pour lui permettre de se concentrer entièrement sur les actes qu'il est appelé à accomplir. La nuit dans laquelle il se trouve est le symbole des ténèbres dont est enveloppé l'enfant dans le sein de la mère; et comme l'enfant voit le jour à l'heure de sa naissance, ainsi le candidat, naissant à une vie spirituelle renouvelée, doit-il sortir des ténèbres à l'instant solennel de son initiation.

18. POURQUOI AVEZ-VOUS ÉTÉ DÉPOUILLÉ DE TOUS MÉTAUX?

Afin d'être rendu sensible à la vanité des trésors matériels et à la détresse des pauvres.

Le néophyte qui se présente devant l'assemblée des Frères doit être dépourvu de son argent et de ses bijoux, ainsi est-il l'allégorie vivante de l'égalité des hommes. La situation avantageuse, la richesse ne font pas la valeur de l'homme. Celui qui se présente devant nous, et fût-il le plus riche, nous apparaîtra pauvre pendant quelques instants; il importe qu'il devienne conscient, à ce moment, du sentiment amer de ne rien posséder. Cette expérience intime l'incitera à combattre dorénavant avec une ardeur renouvelée la détresse et la misère d'autrui. Le Maçon véritable ne s'adonnera pas à la chasse frénétique aux richesses, car il sait que les trésors matériels peuvent s'évanouir d'un jour à l'autre. A quoi lui servent honneurs et richesse, s'il est malheureux, mécontent de son sort, si les petits chagrins de la vie, si les pertes les plus insignifiantes l'abattent? Le Franc-Maçon, toutefois, ne vivra pas en dehors des réalités; il tâchera d'acquérir les moyens nécessaires à son existence et à celle des siens; il veillera à l'éducation de ses enfants et cherchera à assurer ses vieux jours. Mais ces préoccupations ne seront pas le but unique de sa vie, ainsi qu'il en est trop souvent parmi les hommes; car il connaît les richesses de l'esprit et se sent porté vers elles tout autant que vers celles de ce monde. Par sa bienfaisance, il sèmera le grain de l'amour; et il récoltera l'amour.

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19. COMMENT AVEZ-VOUS OBTENU ACCÈS À LA LOGE?

Par trois grands coups.

QUELLE EN EST LA SIGNIFICATION?

Cherchez et vous trouverez. Demandez et vous recevrez. Frappez et l'on vous ouvrira.

Dans la plupart des Loges, le candidat est invité à frapper lui-même les trois coups à la porte du temple; dans d'autres Loges, c'est le Frère préparateur qui accomplit ce rite. Il ne s'agit naturellement pas de trois coups de la batterie d'Apprenti, mais de trois forts coups frappés "en profane". Qu'est-ce qui nous conduit à la Loge? Persévérance, confiance, enthousiasme; voilà ce que ces trois coups disent aux Frères assemblés. Quand nous frappons à la porte, il est nécessaire que nous ayons la ferme conviction que nous sommes sur le chemin du bonheur. Lorsque nous avons cherché avec persévérance, nous devons avoir acquis une pleine confiance en la Loge et en la Franc-Maçonnerie; c'est cette confiance qui nous permet de frapper à la porte du temple et de solliciter notre réception. Et pour peu que cette confiance soit réciproque, nous pouvons frapper en toute sécurité, car l'entrée ne nous sera pas refusée. Celui qui cherche d'un coeur sincère et ardent trouvera toujours ce qu'il désire: la paix de l'âme.

20. QUE VOUS EST-IL ARRIVÉ APRÈS VOTRE INTRODUCTION EN LOGE?

Conduit par un Frère, j'ai accompli trois voyages et ai entendu de graves paroles.

QUE SIGNIFIENT CES TROIS VOYAGES?

Chacun a sa propre signification; dans leur ensemble ils symbolisent la pénible ascension vers la lumière.

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Une grande variété existe, dans les différentes Loges, relativement aux modalités de ces trois voyages; cependant, partout leur nombre est identique et de même leur signification: ils représentent la marche à travers les ténèbres et la poursuite de la lumière.

Dans certains rituels, des épreuves par éléments sont intercalées entre les voyages; ces épreuves symboliques sont exécutées au moyen de l'eau, de la terre et du feu, ou encore de l'eau, de la terre, de l'air et du feu. D'autres Loges ignorent ces épreuves et se contentent de donner, par la bouche du Vénérable et des deux surveillants, ou encore de l'orateur, de sages recommandations au récipiendaire. d'autres rituels enfin intercalent ici l'épreuve du calice d'amertume. Une musique appropriée ou des chants accompagnent le candidat dans ses voyages et le mettent dans un état d'âme particulièrement propice. La direction dans laquelle s'exécutent les voyages n'est pas partout la même; tantôt elle suit la marche de l'aiguille: ouest - nord - est - sud, tantôt elle est inversée. Mais toujours le voyage débute par l'ouest et conduit le candidat à l'est où se trouve la lumière. Symboliquement, le futur Apprenti parcourt une partie de sa vie: l'enfance, l'adolescence et l'âge mûr, ce qui suppose qu'avant de frapper à la porte du temple il a déjà acquis un certain degré de maturité d'esprit, maturité qui seule permet de voir et de comprendre la pleine lumière.

Avant d'entreprendre ces voyages, le récipiendaire est rendu attentif aux obstacles et aux dangers qui se présenteront à lui et aux épreuves auxquelles il sera soumis.Plusieurs Loges mettent effectivement en scène de semblables obstacles et dangers symboliques; les épreuves par les éléments ne sont pas autre chose que la représentation de difficultés que l'homme doit surmonter en parcourant la route de la vie; et ce n'est que lorsqu'il aura obtenu cette victoire qu'il sera capable de contempler la lumière de la vraie humanité.

Les trois voyages sont l'illustration des trois sentences que voici:

Par la nuit vers la lumière,

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Par la lutte à la victoire,

Par la fidélité à la perfection.

Ils se rapportent également aux trois premières marches de l'échelle mystique qui conduit, dans le temple salomonien, au Très-Saint, c'est-à-dire à la connaissance de la vérité.

21. QU'A-T-ON EXIGÉ DE VOUS APRÈS LES TROIS VOYAGES?

Une promesse solennelle que j'ai prêtée devant l'autel de la vérité.

QUELS SONT LES TERMES DE CETTE PROMESSE?

Je promets de remplir mes devoirs envers la famille, la patrie et l'humanité plus fidèlement encore que par le passé; de respecter toute conviction sincère non contraire à la loi morale et à l'amour du prochain; de travailler à mon propre perfectionnement; de persévérer sans relâche dans la recherche de la vérité et de la justice.

Je promets de ne pas demeurer absent des réunions de la Loge à moins de raisons absolument majeures et de collaborer à ses travaux dans la mesure de mes forces.

Je promets d'observer scrupuleusement les lois de la Franc-Maçonnerie, de travailler à la prospérité de ma Loge, d'aimer mes Frères, de les aider de mes conseils et de mes actions, pour autant que cela n'est pas contraire à mon honneur et mes devoirs vis-à-vis de Dieu, la patrie et la famille.

Je promets de ne révéler ni les usages de la Franc-Maçonnerie ni les justifications de mon Grade et de ne parler qu'avec la discrétion qui sied à un homme d'honneur des travaux et délibérations de la Loge.

Tout cela, je le promets sur l'honneur !

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Les devoirs formulés par ce serment sont clairs et ne prêtent pas à confusion; ils sont destinés à ne pas rester de vaines phrases, mais à être effectivement remplis. C'est un serment sacré que prononce le futur Franc-Maçon, et non pas une promesse accessoire quelconque qu'il n'est pas nécessaire de tenir à tout prix. Seul un homme indigne viole délibérément une promesse aussi formelle, prononcée dans un moment aussi solennel. Toute l'essence de la Franc-Maçonnerie est contenue dans ces paroles; et celui qui se conforme aux préceptes quelles formulent sera un Franc-Maçon véritable et un homme digne de ce nom.

Une fidélité toujours plus grande au devoir, la tolérance vis-à-vis de ceux qui pensent autrement, la poursuite de la vérité et le travail inlassable à notre propre perfectionnement, telles sont les vertus que l'on exige de nous. Le Maçon doit se soumettre aux lois et prescriptions de l'Ordre; l'un de ses devoirs les plus évidents - encore que trop souvent méconnu - consiste dans la fréquentation régulière de la Loge, car cette assiduité est la condition sine qua non de son activité en faveur de l'atelier.

Le Franc-Maçon doit, par ses conseils et ses actes, prêter secours à ses Frères; il ne s'agit pas ici principalement d'aide financière ou d'avantages économiques. L'aide matérielle n'entre en jeu que lorsqu'un Frère est dans la détresse; et même dans ce cas, l'aide à apporter ne dépend que des possibilités et du jugement de celui qui lui vient en aide. Certes, il n'est pas de Franc-Maçon qui laissera son Frère dans le dénuement, lorsqu'il a les moyens de le secourir; mais cette charité fraternelle, dépassant le cercle étroit de la famille maçonnique, s'étend à tous les hommes dans le besoin. La partie du serment qui a trait à l'entraide des Frères n'oblige pas ceux-ci à se prêter d'une manière immorale un appui mutuel; de même, l'aide fraternelle n'est un devoir que lorsqu'elle ne va pas à l'encontre des droits de l'État et de la famille.Il est recommander aux Frères de n'accorder des prêts ou des cautions qu'avec l'assentiment du Vénérable.

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Il va sans dire que nos signes de reconnaissance doivent être gardés secrets, car ce sont eux qui préservent notre alliance des hommes malveillants. De même nos cérémonies doivent être l'objet d'une grande discrétion; et ce ne sera jamais sans mûre réflexion que le Franc-Maçon parlera des affaires intérieures de la Loge. Il est également très important d'obliger les nouveaux Maçons à s'engager à conserver le secret même dans le cas où ils quitteraient, pour une raison ou une autre, la Franc-Maçonnerie; la démission ou la radiation ne les libèrent pas des engagements qu'ils ont contractés.

22. QU'EST-IL ADVENU ENSUITE?

Je fus consacré Franc-Maçon sous la pointe du compas.

La consécration du Franc-Maçon est sans doute, excepté le moment où la lumière lui est donnée, l'instant le plus solennel de toute la cérémonie qui doit laisser une trace inaltérable dans le coeur du néophyte.

Le compas touche le coeur et la pointe menace de pénétrer dans la chair. C'est le moment de l'abandon complet de soi, de la plus profonde confiance; le futur Maçon n'a aucune crainte et se prête avec émotion au rite de la consécration.

Pourquoi le compas est-il placé, en cette heure solennelle, sur le coeur? Parce que le coeur est l'organe essentiel, vital de l'homme, le symbole de la vie même, et qu'il est considéré par la croyance populaire de tous les peuples comme le siège de l'âme. Ainsi la consécration doit-elle aller droit au coeur du néophyte et toucher la partie la plus sensible de son être moral pour exercer sur lui une influence durable. Celui qui a été consacré Franc-Maçon doit le demeurer, même s'il quitte la Loge ou l'Ordre. La consécration le charge d'une obligation dont la durée dépasse celle de son appartenance à la Franc-Maçonnerie. S'il est un homme d'honneur, s'il a saisi la portée de la cérémonie, jamais il ne trahira la Maçonnerie et il gardera le silence juré même s'il ne fait plus partie de notre chaîne. Autrement il s'avilit et se condamne soi-même.

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C'est pourquoi il est nécessaire que l'Apprenti se pénètre du caractère solennel et sacré de sa consécration et de la durée imprescriptible des obligations dont il s'est chargé, afin que toute sa vie durant il s'en montre digne

Cette manière de placer la pointe du compas sur le coeur se justifie encore à d'autres égards. Le compas est l'instrument qui trace le cercle parfait, symbole de l'unité; ainsi apparaît-t-il lui-même comme le symbole de l'amour fraternel qui doit régner dans notre cercle maçonnique et, par extension, dans le cercle de l'humanité entière. Or,ce compas ne peut tracer son cercle que s'il est ancré fortement au coeur du Frère. Par les coups que le Vénérable, lors de l'initiation, frappe sur la tête du compas, le néophyte est consacré à la fois Franc-Maçon et Frère. En effet, l'autre pointe du compas, libre de tout appui, le relie à partir de cet instant à tous les Frères répandus sur les deux hémisphères du globe terrestre.

Dans certaines Loges suisses, la consécration se fait d'une autre manière. Selon certains rites, le Vénérable frappe de son épée le néophyte à l'épaule à la manière de la consécration des chevaliers. En Suisse romande, le néophyte est généralement placé sous une voûte d'acier figurée par les trois épées du Vénérable et des surveillants; et c'est sur l'épée que le Vénérable frappe la batterie d'Apprenti qui consacre le nouveau Franc-Maçon. Ce rite s'apparente à la consécration du chevalier; les épées qui constituent la voûte d'acier sont les symboles de la lutte que le Franc-Maçon doit mener sans cesse pour assurer le triomphe de l'amour, de la justice et de la vérité.

23. QUE SIGNIFIENT LES TROIS PAS D'APPRENTI?

Chacun forme un angle droit et nous enseigne que nous devons toujours agir selon le droit et le devoir.

L'exécution correcte des pas de l'Apprenti, le corps énergiquement redressé, la main faisant le signe, le regard dirigé vers le Vénérable, est à elle seule preuve de la couverture intérieure. Ces pas nous rappellent la seconde de nos grandes

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lumières, l'équerre, qui est à la base même de la position des mains et des pieds. Que la vie du Franc-Maçon se déroule sous le signe de l'équerre et soit dirigée résolument en avant, où est la source de la sagesse! Le nombre des pas rappelle les efforts constants que le Franc-Maçon doit faire pour s'approcher toujours davantage de la sagesse. Ces pas ce font maintenant les yeux ouverts, car le nouvel initié connaît dès à présent les devoirs que, par sa promesse solennelle, il a assumés. L'exécution particulière des pas de la marche d'Apprenti doit nous rendre sensibles la prudence et la réflexion dont tous nos actes doivent être empreints; car initiés, nous ne marchons plus au petit bonheur, mais conscients du but qui est devant nous.

Ici encore nous sommes en présence du symbolisme de l'échelle mystique du temple de Salomon. Les pas de l'Apprenti ne sont pas autre chose que les trois premiers degrés de cette ascension qui doit conduire au coeur même de la vérité.

24. QUELLE FUT LA RÉCOMPENSE DE VOTRE CONSTANCE?

La lumière, destinée à éclairer désormais la route de ma vie maçonnique.

Par sa persévérance qui l'a conduit à l'autel de la vérité en dépit de multiples obstacles, le néophyte a mérité une récompense. Marchant dans les ténèbres, il a cherché patiemment la lumière, et maintenant le voici jugé digne de la contempler. A ce moment dans la plupart des Loges, il est placé à l'occident, les mains dans celles de ses Frères qui forment la chaîne. Le bandeau tombe de ses yeux, et après son long séjour dans la nuit, il est ébloui et ne peut pas, au premier abord, distinguer des détails de l'Orient. C'est pour cette raison que certains rituels prévoient "la petite lumière" qui lui est préalablement donnée dans un temple faiblement éclairé.

Qu'est-ce que cette lumière qui a été promise au néophyte durant ses voyages et ses épreuves?

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Symboliquement, la lumière signifie toujours la sagesse, la connaissance. Or la lumière a sa source et son siège à l'Orient d'où elle éclaire toute la Loge. Le Vénérable en est en quelque sorte le conservateur et le dispensateur; sur l'autel, elle est symbolisée par les trois flambeaux placés devant le premier officier de l'atelier.

La lumière maçonnique, c'est la sublime grandeur et la force persuasive de la doctrine maçonnique, dont les trois bougies ne sont qu'un faible rayon et qui doit désormais éclairer la route du nouveau Franc-Maçon. Le bandeau lui a été enlevé, et par cet acte symbolique il est devenu un voyant, il a reçu cette lumière de l'esprit qui lui permettra de chercher, de penser, de connaître, de juger des choses en homme libre, d'agir selon les principes de la Franc-Maçonnerie. Une foule d'idées, de notions, de rapports, de nécessités qui jusqu'à ce moment était enveloppés de ténèbres, s'épanouissent maintenant en pleine lumière, l'engageant à contempler et à comprendre le monde d'un autre point de vue. Cependant, il n'est encore qu'Apprenti et en cette qualité n'est initié qu'aux grandes lignes de la doctrine de lumière; à lui de travailler pour obtenir, dans une nouvelle initiation, une lumière plus complète.

25. QUELLE ÉTAIT LA PLACE DU VÉNÉRABLE MAÎTRE, LORSQUE VOUS FÛTES REÇU FRANC-MAÇON?

A l'Orient, car de même que le soleil apparaît à l'Orient pour ouvrir la carrière du jour, de même le Maître se tient à l'Orient pour ouvrir la Loge et appeler les Frères au travail.

Dans certains systèmes, le soleil, la lune et le Vénérable Maître sont appelés " les petites lumières de la Franc-Maçonnerie"; l'explication de cette formule est que le soleil règne sur le jour, la lune sur la nuit, et le Vénérable Maître sur la Loge. D'autres systèmes ne connaissent au premier grade que le soleil et attribuent le symbolisme de la lune au troisième. Sans doute peut-on établir un rapprochement entre le Vénérable et le soleil: tous deux se tiennent à l'Orient, tous deux

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répandent la lumière et exercent un gouvernement. Mais ces attributs communs ne suffiraient point, à eux seuls, à justifier cette assimilation.

Le Vénérable Maître n'est pas un simple président à l'instar des présidents de sociétés profanes qui remplissent tant bien que mal leur office; il doit être davantage que cela: il doit être un sage régent jouissant de la confiance et de l'amour de son peuple, en l'occurrence de ses Frères. Sans doute est-il tenu d'observer les règlements de sa Loge, mais il est nécessaire qu'il ait des compétences suffisantes qui lui permettent, grâce à un certain pouvoir discrétionnaire, de combler certaines lacunes et de prendre, lorsqu'il est nécessaire, des décisions. Dans la mesure du possible, il doit jouir d'une certaine liberté d'action dans la direction de la Loge, afin de pouvoir insuffler l'esprit qui fera sa prospérité et, partant, celle de l'alliance maçonnique entière. Il faut que dans la Loge le Vénérable soit la personne la plus compétente devant laquelle tous les Frères s'inclinent volontairement.

Et cette situation privilégiée est parfaitement justifiée, puisque c'est le Vénérable qui porte, vis-à-vis de l'Ordre, la responsabilité des actes de sa Loge. La charge de Maître en chaire de la Loge exige beaucoup de souplesse, de tact, de patience et d'indulgence, beaucoup d'énergie et de fermeté, mais avant tout un très grand amour. Le Vénérable ne cherchera à faire triompher ses idées que lorsqu'il est sincèrement convaincu qu'elles concourent au bien de la Loge et de la Maçonnerie. Aussi les Frères témoigneront-ils à leur Vénérable le respect que réclame la haute charge qu'il occupe et dont dépend si souvent la prospérité de l'atelier. Une Loge qui ne respecte pas son Vénérable se déshonore elle-même. Discipline et obéissance librement acceptées, voilà les vertus qui prêteront force et union à la chaîne maçonnique. Et le Vénérable Maître sera la source à laquelle les Frères puiseront la noble ardeur au travail.

26. QUELLES SONT LES TROIS GRANDES LUMIÈRES DE LA FRANC-MAÇONNERIE?

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La Bible, l'Équerre, et le Compas.

Ces trois symboles du grade d'Apprenti sont appelés "les grandes lumières", parce qu'à eux seuls ils révèlent, à qui sait les comprendre, toute l'essence de la Franc-Maçonnerie. Placés sur l'autel, ils s'imposent immédiatement à l'attention du nouveau Frère qui pressent l'importance qu'ils ont dans notre symbolisme.

La Bible, en tant que symbole, se prête aux plus diverses interprétations. Pour l'un, elle est le livre sacré de sa foi religieuse et la révélation divine de la loi morale; pour l'autre, elle est l'un des plus anciens documents de l'effort humain vers la religion. Elle peut encore être considérée comme le symbole des lois de l'humanité, de la dignité humaine, de l'amour. Pour chacun, elle est le symbole de la voie qui franchit le cercle étroit des préoccupations matérielles pour conduire à cette puissance supérieure que nous révérons sous le nom de G.A. de l'U., tout en affirmant la liberté de conscience, de croyance et de pensée dans le respect de toutes les convictions sincères.

En tant que symbole, la Bible n'oblige personne à une profession de foi déterminée; l'unique obligation qui découle de sa présence est celle de rechercher la vérité, sincèrement, librement. Considérée sous cet angle, la Bible ne saurait soulever aucune objection; tout Maçon, quelle que soit sa religion ou sa conception du monde, respectera la Bible en tant que symbole ancien de la Franc-Maçonnerie.

Voici, à titre d'exemple, comment la Grande Loge de New York interprète le symbole de la Bible: "La Bible, dit-elle dans ses instructions, est une des grandes lumières. Elle est une des sources principales de l'histoire de la Franc-Maçonnerie.C'est à cette source qu'une grande partie de notre rituel à été puisée. La Bible étant ouverte sur l'autel, il est loisible à chacun de l'interpréter selon ses propres convictions. En tant que symbole, elle représente le livre de la Vérité, l'expression de la Foi, le témoignage de la Volonté Divine qui a été enseigné à l'homme au cours des siècles".

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L'équerre est la seconde de nos grandes lumières. Elle règle nos actions selon la sévère loi de l'angle droit, c'est-à-dire de la justice, du droit et de l'humanité. L'Apprenti est comparable à une pierre brute, couverte de rugosités et d'arêtes tranchantes; il est le produit immédiat de la nature. L'équerre lui est mise en main, afin qu'il l'applique à sa propre personnalité et qu'il se transforme en une pierre travaillée, cubique et lisse.

Le compas, symbole de l'amour fraternel que nous devons porter à tous les êtres humains, détermine notre vie affective, notre attitude à l'égard de la fraternité maçonnique et de l'humanité. Il est, dans son essence, plus irrationnelle que l'équerre dont la loi est davantage celle de la raison. L'une des pointes du compas est solidement ancré dans le coeur du Franc-Maçon, tandis que l'autre trace le cercle immense dans lequel est inclus la totalité des hommes auxquels, que nous les connaissions ou que nous les ignorions, s'adresse notre amour. Pareil au cercle qui est infini, notre amour du prochain, du Frère, doit être sans fin.

Au point vue de leur sens ésotérique, ni l'équerre ni le compas ne peuvent être considérés séparément; pris isolément, ni l'un ni l'autre ne nous rapproche de la perfection, car l'activité humaine procède toujours de la double source de la raison et de l'émotion. Mais réunies, les trois lumières constituent le point de départ de cette lumière maçonnique qui jaillit de l'Orient pour éclairer le monde.

Remarquons enfin que certaines Loges attribuent une autre signification à ces trois symboles essentiels, ce qui diminue d'ailleurs en rien la vénération dont ils sont l'objet. Dans certaines Loges le maillet est également considéré comme grande lumière et jouit du respect qui s'attache à cette qualité; il symbolise la force, l'énergie, sans laquelle nulle oeuvre ne peut être achevée.

27. QUELLE SONT LES TROIS PETITES LUMIÈRES DE LA FRANC-MAÇONNERIE

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Les flammes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté qui brillent sur les colonnes portant la Loge.

COMMENT CES COLONNES PEUVENT-ELLES SOUTENIR LA LOGE?

Parce que sans elles rien de parfait ne peut être édifié. La Sagesse invente, la Force exécute et la Beauté orne.

Les trois colonnes sur lesquelles repose la Loge sont placées à la périphérie du "carré oblong"; il est dit qu'elles représentent le soleil, la lune et le Maître de la Loge. Ou encore selon d'autres systèmes, le Vénérable représente la colonne de la Sagesse, le premier surveillant, celle de la Force, et le second surveillant, celle de la Beauté. Une grande divergence existe dans les différents rites; on parle tantôt de flammes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté, tantôt de piliers ou de colonnes.

Logiquement, les trois petites lumières ne sont autres chose que les trois flammes que l'ont peut aisément assimiler au soleil, à la lune et au Maître de la Loge ou, mieux encore, au Maître et aux deux surveillants. Désigner les flammes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté par le terme de "petites lumières" peut prêter matière à confusion et leur faire attribuer une signification secondaire. En réalité, flammes, colonnes ou petites lumières ne sont pas autre chose que de nouveaux symboles des notions fondamentales que représentent les trois grandes lumières.

La Sagesse invente le plan d'une oeuvre que la force exécute et à laquelle la beauté apporte l'ornement. C'est à dessein qu'il est parlé ici de sagesse et non pas de savoir, trop souvent vain et de pure forme. C'est la sagesse qui est à la base de l'inlassable recherche de la vérité et qui, utilisant les connaissances acquises au cours de cette recherche nous porte au perfectionnement de notre pensée et de notre action. La sagesse, c'est la connaissance de soi qui permet au Maçon de travailler utilement. Avant que de savoir ce que nous allons entreprendre, il

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importe que nous sachions ce que nous sommes et ce dont nous sommes capables. La sagesse est la source de l'idée et de l'action maçonniques.

Mais à elle seule, la sagesse ne suffit point; elle doit être doublée de la force, c'est-à-dire de la volonté résolue d'agir selon la sagesse. C'est cette force qui balaiera les obstacles et triomphera des difficultés. Son premier champ d'activité, elle se trouvera dans la possession de soi, dans la maîtrise de soi. Il ne suffit pas de connaître ses défauts et ses faiblesses, il faut tenter de les vaincre et de les éliminer. La force, dans le sens élevé où nous l'entendons, ne se manifeste pas aveuglément; elle n'exécute que les oeuvres conformes à la loi morale; et c'est cette sagesse, marchant de pair avec la force, qui nous garantit qu'il en soit ainsi.

La Beauté couronnera l'oeuvre commune de la sagesse et de la force en apportant à l'édifice ce qui lui manque encore; l'harmonie, l'unité, la paix, le contentement. La connaissance de soi, oeuvre de la sagesse, la maîtrise de soi, oeuvre de la force, trouvent leur achèvement dans le perfectionnement de soi, oeuvre de la beauté. Car la beauté réside dans la perfection et dans les efforts qui tendent à celle-ci. La tolérance, la patience, la clémence, la bienveillance, l'amour du Frère et du prochain sont à nos yeux des expressions manifestes de la beauté. Sans le triple concours de la sagesse, de la force et de la beauté, rien de parfait ne peut être créé.

Ces trois petites lumières brillent du haut des colonnes sur lesquelles repose la Loge, ou du moins sont en connexion étroite avec elles; de telle sorte que nous pouvons fort bien parler des colonnes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. Mais, par le jeu d'une autre connexion, ces colonnes portant la Loge sont également le Maître et les deux surveillants. En effet, le Vénérable gouverne et dirige l'Atelier selon sa sagesse; le premier surveillant est chargé de surveiller le travail, de maintenir la discipline et l'ordre et de payer les ouvriers; le second surveillant enfin a pour mission de surveiller les Frères en dehors des heures de travail et d'assurer le maintien de l'harmonie, de la paix et de la concorde. Il est

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donc parfaitement justifié de dire que la Loge repose sur ces trois piliers, car en fait ses trois premiers officiers portent presque tout le fardeau des responsabilités. C'est pourquoi il est du devoir des autres officiers et, d'une manière générale, de tous les Frères de leur faciliter la tâche et de les soutenir par une collaboration fidèle et une observation stricte de leurs obligations.

28. QUELLE EST LA FORME DE LA LOGE?

Un carré oblong qui s'étend de l'est à l'ouest, du midi au septentrion et du zénith au nadir.

QUE VEULENT DIRE CES DIMENSIONS?

Que la Franc-Maçonnerie est universelle et que tous les hommes sont nos Frères.

Ainsi que le font voir ces questions, la forme de la Loge est déterminée, tandis que ses dimensions, se confondant avec l'univers, ne le sont point. Cette description, dans ce qu'elle a de formel, concorde effectivement avec la forme de toutes les Loges, petites ou grandes; mais dans le sens le plus large, l'univers est une grande Loge travaillant sous le maillet du G. A. de l'U.

En tant qu'idéologie, la Franc-Maçonnerie est commune à toute l'humanité; aucune nation, aucun peuple ne saurait s'en faire un privilège personnel. La Loge est une image réduite de la société humaine telle qu'elle apparaîtra aux jours lointains du triomphe décisif de l'idée humanitaire, de la solidarité et de l'amour fraternel. Les principes maçonniques, identiques sous toutes les latitudes, l'histoire de l'Ordre, la tradition, le symbolisme unissent étroitement et apparentent intimement tous les Maçons du globe.Mais nous devons malheureusement constater que cette unité est par trop souvent encore rompue par des considérations politiques, des divergences dans la conception du monde et par des aspirations, à peine déguisées, à la primauté; ainsi se dressent des

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barrières au sein même d'une organisation qui, par définition et à l'encontre du monde profane, en devrait être complètement libérée.

La Franc-Maçonnerie possède un magnifique symbole de cette union idéale: c'est la chaîne fraternelle dont il est dit "qu'elle fait le tour du globe" et qui, au sein de la Loge, est représentée par les mains enlacées des Frères. Lorsque, dans nos tenues, nous formons cette chaîne, ne sentons-nous pas tous cette émouvante union fraternelle? Ce qui est réalisable dans le cercle restreint de l'atelier, pourquoi ne le serait-il pas également dans la Maçonnerie universelle? Devant la magnifique parole "Aimez-vous les uns les autres", fondement de la grande idée humanitaire, les considérations politiques, égoïstes et autres ne devraient-elles pas s'écrouler comme autant de châteaux de cartes?

29. QUELS SONT LES BIJOUX DE LA LOGE D'APPRENTI?

L'Équerre, le Niveau et le fil à plomb.

POURQUOI SONT-ILS APPELÉS DES BIJOUX?

Parce que tous les signes de la Franc-Maçonnerie sont formés par eux.

Dans le langage profane, nous appelons bijoux des objets possédant une valeur réelle, élevée, faits en général de métaux rares et de pierres précieuses. Les bijoux de la Loge sont de toute autre nature; ils n'ont de valeur que pour le Franc-Maçon, car souvent ils sont faits d'un métal des plus communs. Leur valeur réside dans leur signification symbolique; elle ne peut être appréciée que de ceux qui ont appris à découvrir les trésors secrets de l'enseignement qu'ils nous donnent.

D'autres instructions distinguent entre "bijoux mobiles" et "bijoux immobiles"; ceux-ci sont la pierre brute, la pierre cubique et la planche à tracer; il est vrai que ces deux derniers ne font pas partie des symboles de la Loge d'Apprentis.

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Nos trois bijoux sont portés en sautoir par les trois premiers officiers de la Loge: l'équerre par le Vénérable, le niveau par le premier surveillant et le fil à plomb par le second surveillant. Tous les signes de la Maçonnerie peuvent être formés au moyen de ces trois instruments, car nous sommes en présence de l'horizontale et de la verticale dont le point d'intersection constitue l'angle droit. Ici encore nous voyons une expression de la grande loi morale à laquelle est soumis le Franc-Maçon: la loi de la droiture dans la pensée et les actes. Le niveau nous est symbole de l'égalité et de la constance, tandis que le fil à plomb qui détermine la perpendiculaire nous est symbole de la droiture, de la sincérité, de la conscience. Cela nous explique pourquoi les trois premiers officiers de la Loge portent ces objets à leur cordon: le Vénérable dirige la Loge avec sagesse et selon le droit, la loi et le devoir; le premier surveillant, auxiliaire principal du Maître, veille au maintien de l'ordre dans la fraternité et à la constance dans l'exécution des travaux; le second surveillant enfin veille à ce que la construction s'élève perpendiculairement au sol sur lequel elle est assise et qu'elle s'orne harmonieusement par la vertu des travailleurs.

30. QUELS SONT LES OUTILS DES APPRENTIS?

La Règle graduée, la Marteau pointu et le Compas.

La plupart des instructions ne font figurer que les deux premiers parmi les outils propres aux Apprentis, mais il semble indispensable de leur associer également le compas.

Au moyen de la règle graduée, l'Apprenti détermine les dimensions des pierres qu'il apporte à l'édifice et juge si elles sont propres à être adaptées à la construction. Mais l'Apprenti avisé appliquera à soi-même cette règle en prenant comme point de comparaison l'homme le plus parfait qu'il connaisse ou encore l'idéal qu'il garde dans son coeur. Cela ne manquera pas de le porter à la modestie, car il verra ainsi combien il a encore besoin de se perfectionner. La règle est divisée en 24 parties égales, correspondant aux 24 heures du jour. Il s'en

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dégage la leçon que le Franc-Maçon, conscient de la fuite du temps, est tenu d'employer judicieusement toutes les heures de la journée, soit pour son travail, soit pour son repos, soit pour ses occupations maçonniques. C'est avec sagesse qu'il partagera son temps afin d'être en mesure d'accomplir tous ses devoirs; et jamais il n'oubliera que son temps est limité, que demain sera peut-être le jour où une force inéluctable lui arrachera les outils des mains.

Le marteau pointu, remplacé dans certaines Loges par un maillet et un ciseau, représente l'outil maçonnique le plus caractéristique; c'est au moyen de cet outil que l'Apprenti dégrossit la pierre brute. Sans relâche et sans pitié pour nos faiblesses, nous devons brandir ce marteau, afin que la pierre perde ses aspérités et devienne utilisable; le marteau est le symbole éloquent de l'énergie, de la force de caractère sans laquelle nulle oeuvre de valeur ne peut s'accomplir.

Mais tout ce travail de mensuration et de dégrossissement de la pierre informe ne sert à rien si l'on n'applique pas le compas, cet instrument qui symbolise l'unité harmonieuse, aux pierres laborieusement taillées. C'est la vertu du compas qui les unit et qui garantit la solidité de l'édifice.L'amour, la solidité, la fidélité doivent nous unir étroitement, afin que nous puissions nous aider les uns les autres et nous rapprocher, dans un magnifique effort commun, de la perfection. L'amour est le couronnement de notre oeuvre, et sans lui nous ne saurions travailler véritablement au bien des hommes.

31. A QUOI TRAVAILLENT LES APPRENTIS?

A la pierre brute qui représente l'imperfection de la raison et du coeur.

Ainsi que nous l'avons dit, certaines Loges ont pour bijoux immobiles la pierre brute, la pierre cubique et la planche à tracer; mais comme ces deux derniers symboles n'appartiennent pas à la Loge d'Apprentis, nous nous bornerons à considérer ici le symbolisme de la pierre brute, image de l'Apprenti Maçon.

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Le Frère qui vient d'être reçu dans notre chaîne est comparable à un bloc de pierre brute tel qu'il est extrait des carrières; une pierre impropre à servir à la construction aussi longtemps qu'elle n'a pas été débarrassée de ses impuretés et de ses rugosités. Aussi le Maçon doit-il consacrer tous ses efforts à la lourde tâche de son perfectionnement; ses faiblesses, ses passions, ses mauvaises habitudes sont comparables aux aspérités de la pierre brute qu'il s'agit maintenant de supprimer. Lorsque nous entrons dans la Franc-Maçonnerie, trop souvent nous sommes persuadés d'être des hommes accomplis; mais bientôt nous apercevons que les jugements du monde profane n'ont pas cours en Maçonnerie. Il s'agit alors d'accomplir un véritable travail de rééducation; pour cela, il est indispensable de suivre assidûment les séances de l'atelier et les tenues au temple, de méditer nos symboles et nos rites et d'étudier l'histoire de la Franc-Maçonnerie, de se pénétrer de son esprit et de connaître son oeuvre. Ainsi la pierre brute se transformera-t-elle en pierre cubique à laquelle nous pourrons appliquer avec succès l'équerre. Notre esprit doit être éduqué à penser maçonniquement et à se débarrasser de toutes les erreurs dont il a été chargé précédemment. Les principes maçonniques doivent devenir la mesure de tous nos actes; et notre coeur, peut-être trop encombré de préoccupations matérielles, doit s'ouvrir tout grand aux idées belles et aux enseignements de la Franc-Maçonnerie. Notre conscience doit s'affiner et s'aiguiser, afin que de plus en plus elle résiste aux entraînements des passions que nous réprouvons. Le sentiment qui doit désormais dominer toute notre vie est l'amour de nos Frères et, par-dessus lui, l'amour des hommes. Ainsi la connaissance de soi nous aura-t-elle conduit à la maîtrise et par cela même au perfectionnement de soi.

32. QUELLE EST LA BATTERIE DES APPRENTIS?

Deux coups p . . . et un coup l . . .

La nature se meut selon la loi du rythme et de l'harmonie. La vie du Maçon, elle aussi, sera harmonieusement rythmée. Ne travaillons pas toujours selon le même

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rythme, mécaniquement et sans réflexion, car un travail mécanique fatigue et asservit l'ouvrier. Au contraire, sachons adapter notre mode de travail aux circonstances; ainsi éviterons-nous le gaspillage de nos forces et ferons-nous un travail de valeur.

Pénétrés de ce précepte, nous n'entreprendrons point notre oeuvre avec un zèle intempestif pour quitter aussitôt le chantier. Certes, le Maçon accomplit toujours son travail avec zèle, mais aussi avec constance: C'est ce que nous disent les coups de la batterie d'Apprenti: les deux coups p . . . nous rappellent le zèle et l'ardeur au travail, le coup l . . . nous enseigne la constance qui conduira l'oeuvre entreprise à son achèvement.

CE QU'UN APPRENTI DOIT CONNAÎTRE POUR

POUVOIR DEVENIR COMPAGNON

1. Le rituel du 1er grade.

2. Le livre de l'Apprenti.

3. L'histoire générale de la Franc-Maçonnerie.

4. L'histoire de sa propre Loge.

5. Les formules maçonniques écrites et orales.

6. L'histoire du Grand Orient de Suisse.

PETIT DICTIONNAIRE A L'USAGE DES APPRENTIS

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PRÉAMBULE

Le vocabulaire employé par les Francs-Maçons entre eux, dans le Temple et sur les parvis demande à être parfaitement assimilé et compris.

Le F. Apprenti consacrera sa première année maçonnique à s'en imprégner, à en étudier le sens ainsi que celui de tous les symboles qui sont mis à sa disposition pour son édification personnelle.

Ce dictionnaire constitue, pour l'apprenti, un aide-mémoire qui sera constamment à sa disposition. Il ne doit cependant pas empêcher la consultation des ouvrages des différents auteurs maçonniques qui pourraient donner d'autres définitions qui ne concordent peut-être pas d'un auteur à l'autre. Parfois même avec des sens différents. Abordez-les toutes, leurs différences ne sont pas antagonistes, elles sont complémentaires et enrichissantes parce qu'elles émanent de systèmes de pensée différents, d'un monde mental différent.

Chacun trouvera dans ses recherches de quoi alimenter sa curiosité et satisfaire ses propres dispositions et ses sentiments personnels.

ACCLAMATION

Cri de joie qui suit une batterie maçonnique. Dans notre rite du R.E.A.A. cette acclamation est : HOUZE! HOUZE! HOUZE! qui signifie : "Viva!"

En acclamant on lève le bras droit en avant, la main tendue comme si on voulait lancer une offrande.

ACCOLADE FRATERNELLE

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Se donne entre frères qui sont heureux de se retrouver. En trois temps (gauche, droite, gauche. Ne pas confondre avec le baiser maçonnique que le V.M. donne en recevant un néophyte, sur le front, à gauche puis à droite.

AGAPE

Repas fraternel qui suit ou qui précède une réunion et qui fait partie intégrante de la vie maçonnique. Lorsqu'elle est rituelle on la nomme : "Tenue de Table" et elle doit comporter trois santés d'obligations portées par trois frères

ÂGE

Les Francs Maçons ont un âge conventionnel qui correspond à leur grade. Quand on demande son âge à un Frère, c'est lui demander son grade. L'Apprenti a trois ans.

AIR

Un des quatre éléments naturels par lequel l'impétrant est purifié lors de son premier voyage d'initiation.

ALPHABET MAÇONNIQUE

Système cryptographique actuellement obsolète. Il en existe plusieurs systèmes

ANNÉE MAÇONNIQUE

On dit aussi "Année de la Vraie Lumière". Il existe plusieurs systèmes. Celui généralement employé ajoute 4000 ans à l'année profane en cours ou année vulgaire.

Les Anciens dataient ainsi le commencement du monde. Pour marquer, par exemple le 21 juin 1997 on dit : "Le 21ème jour du 6ème mois de l'année 5997 de la Vraie Lumière"

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ANGLE NORD-EST

Emplacement de la première pierre lors de la construction d'une cathédrale. Par analogie c'est aussi la place de l'apprenti qui vient d'être initié. En face se trouve l'angle Sud-est, réservé aux Maîtres que l'on veut honorer.

APPRENTI

Franc-Maçon du premier grade. Ce mot signifie qu'à ce stade de l'évolution maçonnique il faut écouter, apprendre et méditer.

APPRENTISSAGE

C'est la période maçonnique comprise entre l'initiation et le passage au deuxième grade, celui de Compagnon. Cette période est d'une année au minimum.

ART ROYAL

C'est l'architecture car cet art fait appel à tous les arts et à toutes les techniques pour l'édification d'une cathédrale. C'est aussi le nom que l'on donne à la Franc-Maçonnerie qui est l'art de la construction personnelle, art aussi de vivre en harmonie avec ses semblables et son environnement. C'est l'art d'être.

ASSENTIMENT

Approbation donnée à main levée après les conclusions de F. Orateur et sur demande du Vénérable Maître.

ATELIER

Synonyme de Loge.

ATTOUCHEMENT

Poignée de main de reconnaissance variant avec le grade

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AUTEL

Table disposée devant le plateau du Vénérable Maître en Chaire où sont disposées les trois grandes lumières de la F.M.: le Volume de la Loi Sacrée (VLS), l'Équerre et le Compas.

Selon les rites et les Loges, le VLS peut être la Bible, le Coran, les Constitutions d'Andersen, les statuts de la Loge ou un simple livre blanc.

BALLOTTAGE

Mode de scrutin. Vote secret par boules blanches pour le oui et noires pour le non. En principe une boule noire annule six blanches pour les admissions de candidats

BANDEAU

Placé sur les yeux d'un candidat il symbolise l'aveuglement du monde profane.

BATTERIE

Applaudissements d'allégresse qui diffèrent à chaque grade par le nombre et la cadence des coups. On peut tirer une "Batterie de deuil" qui se frappe sur l'avant-bras gauche, suivie des mots : "Gémissons, gémissons, mais espérons". Elle est toujours couverte par une batterie d'allégresse.

BIJOU

Médaille distinctive de l'Atelier que l'Apprenti reçoit au moment de son initiation et qui doit être portée en Loge. C'est aussi l'outil symbolique pendu au cordon des Officiers de la Loge.

BURINER

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Tracer symboliquement sur le marbre ou sur une planche. Écrire un texte. On dit aussi ciseler : une planche bien ciselée. Un travail écrit se nomme une planche tracée. Par exemple : Le F. Secrétaire donne connaissance de la planche tracée des derniers travaux.

CABINET DE RÉFLEXION

Lieu où commence l'initiation. Le postulant y subit la première épreuve, celle de la Terre dans le silence, le dépouillement et la méditation. Il y rédige son testament philosophique, ses dernières impressions de profane. C'est le tombeau du monde profane.

CANDIDAT

C'est le profane proposé pour l'initiation. Il devient postulant dès que la Loge s'est prononcée favorablement, récipiendaire lorsqu'il est admis aux épreuves et néophyte après la consécration.

CARRE LONG

Expression maçonnique qui désigne le double carré que forme une Loge. Le mot rectangle n'existait pas encore lors de la formation du vocabulaire opératif. Le carré long est à l'origine d'une spéculation mathématique.

CATÉCHISME

C'est une instruction rituelle propre à chaque grade et qui se fait par questions et réponses. La Franc-Maçonnerie n'a pas un catéchisme proposant des solutions toutes faites et dogmatiques dont il n'y a rien à attendre. L'enseignement maçonnique doit promouvoir un stimulant réel et efficace dans la perspective initiatique.

CHAÎNE D'UNION

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Symbole de l'union fraternelle des francs-maçons. Elle se forme à la clôture des travaux. On peut se déganter pour la former et elle peut être courte ou longue. Dans une chaîne courte les FF. croisent leurs bras devant eux et prennent la main gauche de leur voisin de gauche avec leur main droite. Dans une chaîne longue on prend la main droite du voisin de gauche dans la main gauche. La chaîne d'union est aussi symbolisée par la corde à noeuds qui entoure la Loge ou qui figure sur le tapis de Loge.

CHAMBRE DU MILIEU

C'est le lieu ou se réunissent les FF. Maîtres. On dit aussi Loge de Maîtres ou Chambre des Maîtres

CIRCUMAMBULATION

On appelle ainsi la façon de se déplacer dans la Loge. On entre dans le Temple par l'Occident par les trois pas de l'Apprenti puis on gagne sa place en passant par le Nord, l'Orient et le Midi si nécessaire. Ainsi la circumambulation est dite "dextrocentrique" c'est à dire que le centre de la Loge se trouve sur la droite de celui qui se déplace.

La circumambulation en sens contraire, dite "sinistrocentrique" se pratique parfois. Elle a une signification de deuil.

CISEAU ET MAILLET

Ce sont les outils de l'Apprenti. Ils lui permettront de tailler sa Pierre brute. C'est la conjugaison de deux symboles : L'intention, les connaissances, le discernement pour le ciseau (outil passif) qui devra souvent être affûté et la volonté qui exécute pour le maillet (outil actif).

COLLÈGE DES OFFICIERS

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C'est le comité de la Loge qui réunit les FF. Officiants. Il est en général composé comme suit : Le Vénérable, les premier et second surveillants (qui forment ainsi le Comité Directeur), l'Orateur, le Secrétaire, le Trésorier-Hospitalier, l'Expert, le Maître des Cérémonies, le Couvreur et le Préposé à la Colonne d'Harmonie. On peut y adjoindre un Maître des Banquets et un Préparateur.

COLONNES

Désignent les deux colonnes architecturales J et B placées de chaque côté de l'entrée du Temple ainsi que les rangées de sièges destinés aux FF. au Nord et au Midi de la Loge.

Les colonnes de l'entrée trouvent leur origine dans la Bible (2Ch 3,15 et 1Rois, 7,13 à 22) : "Il dressa deux colonnes d'airain devant le Temple, une à droite, l'autre à gauche de l'entrée. Il nomma celle de droite J et l'autre B".

Dans les temples maçonniques leur emplacement varie selon les rites. Les FF. AA. et les FF. CC. y reçoivent leur salaire.

COMPAGNON

C'est un franc-maçon du deuxième grade. On dit aussi du second degré.

COMPAS

Outil important de la symbolique maçonnique qui est une des trois grandes Lumières. Au premier grade l'Équerre est posée sur le Compas. Cela signifie que la matière recouvre encore la spiritualité. Le Compas est le symbole de la mesure. Il permet la construction du Cercle, image de la perfection. Il est posé sur l'Autel pendant les Tenues, sur le VLS avec l'équerre.

COQ

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Est présent dans le cabinet de réflexion. C'est le symbole de la vigilance et de la persévérance, exemples dont l'apprenti doit s'inspirer. On le dit oiseau de Mercure.

CORDE A NOEUDS

On dit aussi "corde nouée". Elle figure autour du tableau de Loge et parfois autour du Temple. Les noeuds sont des entrelacs dit aussi "lacs d'amour". On devrait pouvoir compter douze noeuds à égales distances les uns des autres délimitant 13 espaces. A l'origine c'était un outil opératif utilisé pour tracer l'angle droit par 3, 4 et 5 qui forment un triangle rectangle.

COUPE D'AMERTUME

Une des épreuves de l'Initiation. Elle est dite aussi COUPE DES LIBATIONS. Elle est destinée à signaler au récipiendaire que le parjure comme parfois aussi les bonnes intentions peuvent avoir des conséquences amères.

COUVERT

On emploie le mot COUVERT ou A COUVERT pour préciser que les profanes sont écartés et que l'on peut vaquer en toute sécurité aux Travaux. A l'inverse on dit qu'il pleut. (voir le mot pluie).

COUVERTURE DU TEMPLE

Les travaux maçonniques doivent se dérouler dans un lieu fort et couvert, c'est-à-dire à l'abri du monde profane et entre initiés. On dit aussi que le Temple est couvert extérieurement et intérieurement. (Voir aussi le mot : Pluie)

COUVREUR

C'est l'Officier chargé de veiller à la sécurité des travaux. Sa place est à l'Occident près de la porte du Temple. Dans certains rites il y a un couvreur

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(Tuileur) extérieur et un couvreur intérieur. Il tient son épée de la main droite car il peut être symboliquement appelé à intervenir pour écarter les importuns. Le poste de couvreur relève de la symbolique du Gardien du Seuil.

COUVRIR LE TEMPLE

Couvrir le Temple signifie sortir du Temple. Le Vénérable peut demander aux FF. Apprentis de couvrir le Temple. Par nécessité un F. peut demander aussi à couvrir le Temple. Dans ces cas c'est le M. des Cérémonies qui conduit les FF. sur les parvis.

DÉCORS

Ornements du Maçon lors des Travaux rituels. Ils varient selon les grades et les rites. En principe l'Apprenti porte un tablier blanc avec la bavette relevée, des gants blancs et le bijou de Loge. Le Compagnon porte la bavette de son tablier baissée. Le Maître porte un tablier bordé de rouge ou de bleu selon les rites où figurent trois rosaces ou les lettres M B.

DÉGROSSIR LA PIERRE BRUTE

C'est le travail de l'Apprenti sur lui-même.

DELTA

On appelle ainsi le triangle équilatéral placé à l'Orient, au-dessus de la Chaire du Vénérable M. Ce triangle est lumineux et il y figure en son centre soit un oeil, soit le Tétragramme hébraïque qui désigne le nom divin qui ne peut être prononcé.

DIGNITAIRES

C'est un Frère occupant une fonction importante dans la Franc-Maçonnerie. Dans les cérémonies il prend place à l'Orient, aux côtés du Vénérable M.

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DOGME

Point de doctrine fixé une fois pour toute et qui ne doit pas être discuté. La F. M. est adogmatique. Si elle avait un dogme, ce serait peut-être la reconnaissance de la perfectibilité de l'homme.

EAU LUSTRALE

On appelle ainsi l'eau qui sert à purifier. (Par exemple : l'eau du baptême). C'est aussi l'eau qui purifie le récipiendaire lors du deuxième voyage de l'Initiation.

ENFANTS DE LA VEUVE

Les Francs-Maçons se désignent ainsi, eux qui se proclament les frères d'Hiram, architecte du Temple de Salomon, qui était fils d'une Veuve.

ENTRÉE DU TEMPLE

Elle est accordée à tous les FF. qui peuvent justifier de leur qualité de F. M. initié, qui sont en règle avec leur Loge et qui possèdent le grade exigé pour les travaux en cours.

ÉPÉE

Le port de l'épée était un privilège de la noblesse. En signe d'égalité la Franc-Maçonnerie a accordé ce droit à tous. Elle doit être tenue de la main gauche parce que c'est une force virtuelle, non agressive. Seuls les FF. Expert et Couvreur la tiennent de la main droite.

ÉPÉE FLAMBOYANTE

C'est celle du Vénérable M. qui consacre l'initié. C'est le symbole de la Justice.

ÉPREUVES

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On appelle ainsi l'ensemble des moyens physiques et psychologiques employés pendant les voyages initiatiques pour sonder les dispositions, le caractère et l'intelligence du récipiendaire.

ÉQUERRE

Une des trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie qui symbolise la matière et aussi la rectitude. Le Vénérable M. la porte à son cordon en signe de sa fonction.

ÉSOTÉRISME

On désigne par ce vocable l'enseignement qui ne peut être compris que par les seuls initiés par opposition à l'exotérisme destiné à tous. C'est la recherche de la véritable signification, selon Rabelais, de la substantifique moelle.

ESPRIT MAÇONNIQUE

Attitude du franc-maçon qui s'acquiert par la fréquentation régulière des travaux et qui l'imprègne de sentiments de tolérance, et d'indulgence constructive, positive et fraternelle.

ÉTOILES

On doit nommer ainsi les bougies allumées qui sont placées sur les trois colonnettes placées aux angles du carré long sur le pavé mosaïque. Le quatrième angle étant marqué par une lumière virtuelle et invisible. C'est aussi les autres bougies placées sur les plateaux des officiers dans le Temple. Pour éteindre une étoile on ne doit jamais la souffler mais utiliser un éteignoir, une épée ou tout autre objet approprié.

EXPERT

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Officier de la Loge dont le poste est très important. L'Expert préside au changement, il est le maître des phases transitoires qui font du récipiendaire un apprenti, de l'apprenti un Compagnon et du Compagnon, un Maître. Il reçoit et accompagne les récipiendaires dans leurs voyages. Il veille à leur enseignement en démontrant les signes et attouchements. Il est chargé de l'aspect rituel des travaux. Lors des ballottages il recueille les boules ou les bulletins de votes et assiste au dépouillement. Il veille à la conservation des outils, à leur remplacement ou à leur acquisition ainsi qu'à la préparation du Temple lors de toute cérémonie. Son bijou est l'épée.

FÊTES SOLSTICIALES

Ce sont les deux Saint-Jean. L'été, le 24 juin, celle de Jean le Baptiste. L'hiver le 27 décembre, celle de Jean l'Évangéliste. Les francs-maçons ont coutume de célébrer ces deux Fêtes qui ont donné leur nom à la Franc-Maçonnerie et aux Loges que nous pratiquons.

FEU

Élément purificateur du troisième voyage.

C'est aussi une question qu'un Franc-Maçon peut poser lors de travaux dans le Temple. En principe on n'a droit qu'à trois feux.

C'est encore les trois voeux émis lors de l'exposé d'une santé d'obligation.

FORCE ET VIGUEUR

Qualités avec lesquelles les travaux reprennent à l'annonce du V. M.

FRANC-MAÇON

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Désigne celui qui a été initié dans la Franc-Maçonnerie, qu'il soit apprenti, compagnon ou maître. On est initié pour la vie mais cette dignité doit être constamment méritée et entretenue par dévouement, assiduité et fidélité.

FRANC-MAÇONNERIE

Ordre initiatique spéculatif qui s'est constitué en 1717 sur une base opérative de laquelle il a conservé et maintenu les traditions initiatiques et ésotériques.

FRÈRE

Membre d'une Loge. On lui doit aide, protection et considération en toute circonstance tant qu'il s'en montre digne.

GANTS

Le F. M. doit porter des gants blancs lors des travaux en Loge. Ils symbolisent la pureté des sentiments.

GANTS DE FEMME

Lors de son initiation, le néophyte reçoit, en plus des siens, une paire de gants destinés à son épouse, à sa compagne ou, s'il est célibataire, à la femme pour laquelle il a le plus d'estime. Mais on attire son attention sur le fait qu'il ne pourra les offrir qu'une seule fois dans sa vie maçonnique. L'épouse ou la compagne d'un franc-maçon est une soeur. Elle assiste avec ses gants blancs aux tenues blanches organisées par la Loge.

GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS

C'est le nom par lequel les francs-maçons désignent l'esprit supérieur qui préside aux destinées de l'univers. Ce symbole permet aux Frères de s'associer dans une même pensée au-delà des croyances diverses et de tout courant religieux.

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GRAND MAÎTRE

Officier dignitaire qui préside une Obédience.

GRANDE LOGE

Obédience formée par une fédération de Loges. Les Loges y sont soumises aux décisions de l'obédience.

GRAND ORIENT

Organe fédératif des Loges qui ne s'immisce pas dans l'organisation intérieure des Loges qui le composent et dont le rôle principal consiste à entretenir et à favoriser la collaboration et la fraternité entre les loges et les obédiences.

HONNEURS

Hommages rendus à un dignitaire, par exemple à son entrée dans le Temple lors d'une tenue où il est reçu maillets battants, précédé par le F. M. des Cérémonies, suivi du F. Expert et de deux Frères Maîtres portant l'épée et conduit à l'Orient sous une voûte d'acier formée par les Frères tenant leurs épées levées.

HOSPITALIER

Frère responsable du tronc de la Veuve. Chargé de gérer les aumônes et les relations avec les Frères malades. On le nomme aussi F. Elémosinaire. Cette fonction est parfois remplie par le F. Trésorier.

HOUPPE DENTELÉE

Expression consacrée par l'usage, c'est le nom que l'on donne à la corde à noeuds qui entoure le Temple ou le tableau d'Apprenti.

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Une autre interprétation anglo-saxonne désigne ainsi une dentelure de triangles alternativement noirs et blancs qui cernent le pavé mosaïque.

ILLUSTRE

Qualificatif parfois accordé à un F. dignitaire membre d'un Grand Collège ou du Conseil de l'ordre.

INITIATION

Cérémonie d'admission aux mystères de la Franc-Maçonnerie où l'on communique au néophyte les premiers éléments de l'Art Royal .

C'est aussi une introduction à la connaissance des choses visibles et invisibles, cachées, difficiles. Cette initiation ne peut se conférer, elle ne peut que s'acquérir par un éveil de la conscience (Voir LUMIÈRE).

JUSTICE

Vertu cardinale enseignée au premier grade et sur laquelle est attirée l'attention du néophyte lors de l'initiation.

LANDMARK

Traduction de l'anglais : borne. Limite hors de laquelle la F. M. perd son caractère spécifique. Ces Landmarks varient selon les Obédiences.

LIVRE D'ARCHITECTURE

Livre où sont inscrits les P.V. des travaux de la Loge. Le procès-verbal des travaux de la Loge est dit "Tracé d'Architecture".

LIVRE DES PRÉSENCES

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Livre dans lequel les Frères de l'Atelier et les Frères visiteurs attestent de leur présence en apposant leur signature lors d'une tenue ou d'une séance.

LIVRE SACRE

C'est le "Volume de la Loi Sacrée". Il perd sa signification religieuse pour devenir le symbole initiatique de la Loi Sacrée. Placé sur l'autel où il est associé à l'Équerre et au Compas. Cet ensemble constitue les "Trois Grandes Lumières" de la Franc-Maçonnerie.

LOGE

C'est un groupe de Francs-Maçons constitués en "Atelier" ou "Loge" doté d'un titre distinctif. Une Loge peut se réunir dans un Temple ou en plein air. Pour "tenir Loge" ou "ouvrir les travaux" il faut la présence d'au moins sept Maîtres. Exceptionnellement, cinq maîtres et deux Compagnons peuvent ouvrir une Loge. On représente la Loge par un carré long dans lequel on fait figurer un ou trois points.

LOGE BLEUE

Atelier travaillant aux trois premiers degrés de la Franc-Maçonnerie.

LOGE DE TABLE

Agape en salle humide où le repas en commun est pris selon un rituel qui peut présenter diverses variantes et qui n'a pas valeur ésotérique. En général la table est ornée d'un ruban bleu sur lequel on aligne les coupes et on y porte trois toasts à différents objets.

LOI DU SILENCE

Discipline à laquelle sont astreints les Frères Apprentis. Le Vénérable peut lever cette disposition pour donner la parole aux Frères Apprentis lorsque les

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circonstances le permettent. C'est aussi le rappel de la discrétion que doivent observer les Francs-Maçons.

LUMIÈRE

Une démarche initiatique repose sur la recherche de la Vérité et de la Sagesse symbolisées par la Lumière.

La Lumière maçonnique est symbolisée par les trois grandes Lumières disposées sur l'Autel, par les trois luminaires que sont le Soleil, la Lune et le Vénérable de la Loge ainsi que par les Étoiles placées sur les colonnes de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. Le néophyte contemple tous ces symboles au terme de la cérémonie d'initiation.

Quand la Franc-Maçonnerie proclame qu'elle donne la Lumière au nouvel initié, elle signifie ainsi qu'elle veut donner l'éveil à sa conscience. Car la Lumière comme l'initiation s'acquiert mais ne se reçoit pas.

MAILLET

Outil qui symbolise le pouvoir et la volonté. Pour l'Apprenti c'est le pouvoir de travailler sur lui-même, Pour le Vénérable et les deux Surveillants, celui de diriger la Loge.

Une candidature en cours est dite : "sous le maillet"

MAÎTRE DES CÉRÉMONIES

Officier de la Loge qui est responsable du bon déroulement du rituel. Il est le seul à pouvoir circuler dans le Temple quand les Travaux sont ouverts et il accompagne les FF. qui doivent se déplacer. Il porte en signe de son office un bijou constitué de deux cannes croisées.

MAÎTRE

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Titre du maçon ayant atteint le troisième grade

MAÎTRISE

Le Franc-Maçon ayant atteint le troisième grade est investi de cette qualité qui lui confère la plénitude des droits maçonniques. C'est le point de départ de la recherche intégrale et la recherche de la connaissance. Avec la maîtrise, le maçon obtient les droits et les devoirs qui lui permettent de présenter un candidat à la Loge et d'instruire ses Frères.

MÉTAUX

Représentent ce que le maçon doit laisser hors du Temple, les préjugés et les considérations profanes. En Loge le travail doit s'accomplir dans le calme et la sérénité, C'est pourquoi les maçons taillent leur pierre loin du chantier.

MIDI

Heure à laquelle les maçons sont censés ouvrir leurs travaux et qui définit le temps symbolique différent du temps profane. A midi, le soleil est au Zénith et il n'y a pas d'ombre portée.

MINUIT

Autre heure symbolique qui définit le moment où les maçons terminent leurs travaux et retournent dans le monde profane.

MORCEAU D'ARCHITECTURE

Travail écrit ou oral présenté par un Frère en Loge.

MOT DE PASSE

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Mot connu des seuls initiés à chaque grade et qui permet l'entrée du Temple. Chaque rite a les siens.

MOT SACRE

Nom de la colonne où les apprentis ou les Compagnons reçoivent leur salaire. Ces mots ne peuvent être prononcés, ils ne peuvent être qu'épelés.

NÉOPHYTE

On nomme ainsi le postulant qui vient d'être consacré Apprenti Franc-Maçon.

NIVEAU

Bijou du premier Surveillant responsable des Frères Compagnons. Cet outil définit l'horizontale, la Vie, le Temps, l'Immanence. En étant promu Compagnon, l'Apprenti passe de la Perpendiculaire au Niveau.

NOMBRES

L'enseignement pythagoricien affirme que tout est ordonné par le nombre.

Les nombres jouent un grand rôle dans le symbolisme maçonnique et l'Apprenti doit connaître les mystères des trois premiers nombres.

OBÉDIENCE

Juridiction d'une autorité maçonnique. L'ensemble des ateliers d'une Grande Loge ou d'un Grand Orient constitue une Obédience.

OBLIGATION

On appelle ainsi la promesse de fidélité à l'ordre.

OFFICIER

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Frère à qui la Loge a confié un office. Les Officiers de la Loge constituent le Collège des Officiers. En fait ce sont des Officiants.

ORATEUR

Officier de la Loge, gardien de la Loi maçonnique, des statuts de la Loge et du Rituel. Sa place est sous le Soleil car il doit éclairer ses Frères par la sagesse de son enseignement. Il porte un livre comme bijou distinctif de sa charge.

ORDRE

Posture rituelle, de respect et de maîtrise de soi que le Franc-Maçon adopte quand il est debout dans le Temple et quand il s'exprime. Assis ou debout le Franc-Maçon doit toujours avoir une tenue digne.

ORIENT

Partie du Temple située à l'Est, côté où le soleil se lève et d'où vient la Lumière. Le Temple est symboliquement orienté comme une cathédrale.

C'est aussi le lieu où siège une Loge. Par exemple : à l'Orient de Genève.

OUVERTURE - CLÔTURE

Ce sont les deux parties du rituel qui commencent et terminent une Tenue. Ils sont symétriques et ont pour fonction de faire la transition entre le temps profane et le temps sacré.

PAROLE

Pour obtenir le droit de parole, le Franc-Maçon en fait la demande en frappant sur son tablier et en levant la main droite, en général à l'invitation du Vénérable Maître qui la lui accorde sur l'avis du Surveillant de la colonne concernée. Pour

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parler, le Frère se lève et se met à l'ordre. Au cours d'un débat chacun ne peut obtenir la parole plus de trois fois.

PARRAIN

F. Maître qui prend la responsabilité de présenter un candidat à la Loge et de le parrainer. Il répond de son filleul jusqu'à la maîtrise de celui-ci, mais reste symboliquement son parrain pour la vie.

PARVIS

Lieu qui précède le Temple où l'on se prépare à entrer selon le rituel.

PAS

En entrant rituellement au R.E.A.A. dans le Temple, l'Apprenti fait trois pas qui lui ont été enseignés en partant chaque fois du pied gauche. La prépondérance de la gauche signifie que le rite allie les qualités du coeur et de la raison en donnant la première place à l'affectivité et à l'intuition.

Sous d'autres rites on peut voir des Frères qui avancent le pied droit en premier.

PASSÉ-MAITRE

Ancien Vénérable de la Loge

PAVÉ MOSAÏQUE

Pavement de carrés noirs et blancs sur le sol du Temple. Dans certains Temples le sol est entièrement composé de ce pavement, dans d'autres seulement une partie sur laquelle sont posées les trois colonnes soutenant les petites lumières. Il symbolise la vie avec les joies et les peines qu'il faut surmonter, en fait il représente tout le système binaire.

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PENSÉE ANALOGIQUE

Elle réunit le raisonnement inductif et le raisonnement déductif. Elle est à l'écart du spiritualisme et du matérialisme. Pour elle le visible et l'invisible sont analogues. La matière et l'esprit sont consubstantiellement associés. Elle nous permet d'aborder, de comprendre et d'utiliser le système symbolique en usage dans la Franc-Maçonnerie.

PERPENDICULAIRE

Bijou du deuxième Surveillant. Il incite les Frères Apprentis à descendre au tréfonds d'eux-mêmes ainsi qu'à s'élever bien au-dessus des contingences matérielles. Il symbolise la verticalité et la transcendance. Il révèle que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

PHILOSOPHIE

Philosopher c'est penser sans preuve car s'il fallait des preuves ce ne serait plus de la philosophie mais une science. La métaphysique est la vérité de la philosophie. Une philosophie est un ensemble d'opinions raisonnables : la chose est plus difficile et plus nécessaire qu'on ne le croit.

PIERRE BRUTE

Matière que le Franc-Maçon, plus particulièrement l'apprenti, travaille, c'est-à-dire lui-même en premier lieu.

PILIERS

Il ne faut pas confondre les trois piliers avec les deux colonnes placées à l'entrée du Temple.

Ce sont les trois colonnettes dressées dans le Temple, sur le pavé mosaïque et sur lesquelles brillent les Étoiles ou Petites Lumières. On les illustre parfois par les

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trois ordres d'architecture grecs : Le Pilier de la Sagesse (pour inventer) est ionique, il représente le Vénérable. Celui de la Force (pour diriger) est dorique, il correspond au premier Surveillant. Celui de la Beauté (pour orner) est corinthien et il est attribué au deuxième Surveillant.

PLUIE

Il pleut ! C'est par ces mots que l'on signifie qu'une conversation maçonnique peut être entendue par des oreilles profanes. Il pleut car on n'est pas "à couvert."(Voir ce mot)

POSTULANT

Profane dont l'admission est décidée par la Loge.

PRÉPARATEUR

Frère officier chargé de préparer le récipiendaire à l'initiation.

PROFANE

Celui qui n'est pas initié. Il ne faut pas donner un sens péjoratif à ce vocable car certains profanes peuvent se conduire comme de véritables maçons sans tablier dont nous aurions peut-être à suivre l'exemple.

R.E.A.A.

Sigle signifiant Rite Écossais Ancien et Accepté

RÉCIPIENDAIRE

Candidat admis aux épreuves de l'initiation.

RÈGLE

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Outil symbolique, symbole de droiture et de mesure.

RITE

C'est l'ordre prescrit utilisé dans le déroulement d'une cérémonie, d'une tenue selon un rituel. Il y a plusieurs rites qui sont pratiqués par les diverses obédiences, voire les diverses Loges au sein d'une même obédience. L'Apprenti s'attachera à porter son attention et à bien comprendre le rite pratiqué par sa Loge.

RITUEL

Cahier contenant la description de la cérémonie d'un grade. Déroulement de la cérémonie, façon d'y procéder.

SACRÉ

Le sacré est un pont entre le visible et l'invisible. Il s'agit de l'administrer selon les règles soigneusement établies, mises au point et transmises judicieusement depuis la plus haute antiquité.

SALLE HUMIDE

Lieu de réunion pour les séances ordinaires où l'on peut tenir les agapes ou se désaltérer.

SANTÉ D'OBLIGATION

Action de porter un toast lors d'une agape ou d'une Loge de Table. Les Loges décident quels sont les thèmes des santés portées par trois Frères différents. En général elles sont adressées à la Patrie, à la Maçonnerie Universelle, aux Maçons heureux et malheureux.

SECRÉTAIRE

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Frère Officier qui consigne les travaux et faits marquants qui jalonnent la vie de l'Atelier. Chargé du secrétariat de la Loge il en est la mémoire. Il porte deux plumes d'oies croisées comme bijou distinctif de sa fonction.

SORTIE DU TEMPLE

A la fin d'une tenue, ou en cours de cérémonie si besoin est, les Frères ou un Frère seul quittent le Temple, conduits par le Maître des Cérémonies. Avant de sortir ils saluent le Vénérable. Dans certaines Loges le Collège des Officiers quitte le Temple avant les Frères assemblés. Dans ce cas on sort sans cérémonie et on ne salue pas l'Orient vide.

SURVEILLANT

Il y a deux Surveillants qui composent le comité directeur de la Loge avec le Vénérable. Ils sont les adjoints du Vénérable. Le premier Surveillant a la charge de l'instruction des Compagnons et le deuxième celle des Apprentis. Le premier surveillant peut remplacer le Vénérable s'il est absent, sauf pour des travaux rituels. Dans ce cas c'est un Passé-Maître qui doit officier.

Les bijoux des Surveillants sont le niveau pour le premier et la perpendiculaire pour le second. (Voir ces mots)

SYMBOLE

Outil de la pensée analogique. C'est une représentation suppléante qui représente une idée ou une émotion. Le symbole se distingue du signe par la pluralité de ses significations. Il n'impose rien, il donne à penser : c'est une fenêtre ouverte sur le monde.

L'étude du symbole est la voie royale de l'introspection et de la connaissance. Elle nécessite des exigences morales, intellectuelles et spirituelles.

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SYMBOLISME

Mode d'expression et d'étude de l'initiation. Il en constitue l'essentiel, en assure la pérennité et la préserve de toute déviance dogmatique. L'étude symbolique repose sur les analogies qui existent entre signifiants et signifiés et explore les principales dimensions de l'Espace et du Temps.

TABLEAU DE LOGE

Tapis que l'on déroule sur le pavé mosaïque entre les trois piliers. Il représente la Loge, les outils et les symboles utilisés pour les travaux. Chaque grade a son propre tableau de Loge avec ses propres outils et symboles.

TABLIER

Il est l'emblème du travail et symbolise le vêtement spécifique qui protège le travailleur. L'Apprenti, encore malhabile dans son travail le porte avec la bavette relevée. Il incite les Frères à avoir une vie active et laborieuse.

TAILLER

Quand on dit d'un maçon qu'il taille sa pierre, cela signifie qu'il travaille sur lui-même

TEMPLE

Lieu consacré où se tiennent les travaux d'une Loge

TESTAMENT PHILOSOPHIQUE

Rédigé par le candidat dans le cabinet de réflexion avant son initiation. Il est le constat de sa pensée du moment sur les questions qui lui sont posées. Ces questions peuvent différer selon les rites et les obédiences.

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TOLÉRANCE

Vertu maçonnique qui consiste particulièrement à respecter les convictions d'autrui et à garantir la liberté d'expression et l'écoute des opinions des Frères. Elle n'implique pas le devoir d'adhérer à ces opinions et ne doit pas être une incitation au laisser-aller et au laxisme. Elle concerne plus particulièrement les idées que les actes. Plusieurs grands philosophes ont traité du sujet sans arriver à définir les limites de cette vertu.

TRADITION

Éléments invariables et sacrés transmis consciemment. Elle s'oppose à la routine car elle est une constante re-création dans la recherche de la perfection. Transmettre la tradition c'est transmettre un état d'esprit et non pas une façon de procéder. Ce n'est donc pas imiter stupidement ce qui se faisait hier mais faire aujourd'hui ce qui doit être fait avec ce même état d'esprit que les maçons d'antan. Les idées et les techniques évoluent, les motivations sont immuables.

TRAVAIL

Le Franc-Maçon glorifie le travail. Dans une Loge maçonnique le travail régénère et ouvre l'esprit.

TRÉSORIER

Frère Officier qui a la charge importante de gérer les fonds de la Loge, veiller à l'encaissement des cotisations et régler les capitations dues à l'Obédience.

TRIANGLE

Figure géométrique indéformable qui réunit Trois en Un et qui est un emblème important de la Franc-Maçonnerie. C'est aussi la réunion régionale de Frères pas assez nombreux pour former une Loge.

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Voir aussi Delta.

TROIS POINTS

La tri ponctuation, trois points disposés en triangle, est utilisée pour les abréviations. Elle symbolise le triangle et semble avoir été reprise du rite Compagnonnique.

TRUELLE

Outil symbolique qui permet de cimenter les pierres entre elles et assure ainsi la bonne finition d'un travail. C'est un instrument de dialogue qui permet de réunir et de lier ensemble ce qui était épars. Le Vénérable doit être apte à la manier avec délicatesse.

TUILAGE

Questions rituelles que l'on pose à un Frère visiteur qui n'est pas connu pour s'assurer de ses qualités maçonniques. Il peut aller jusqu'à demander la preuve que ce maçon est en règle avec sa Loge et qu'il présente un passeport maçonnique.

TUILEUR

C'est le Frère chargé de procéder au tuilage d'un visiteur. On appelle aussi "tuileur" un recueil contenant les instructions de grade par questions et réponses.

VÉNÉRABLE

Officier dignitaire qui dirige une Loge, qui la préside. Le Titre complet est : "Vénérable Maître en Chaire."

V.I.T.R.I.O.L.

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Mot alchimique dont le sens est : "Visite l'intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée" traduit de la formule latine : "Visita Interiora Terrae, Rectificandoque, Invenies Occultam Lapidem". C'est un symbole important qui incite à la connaissance intérieure et la construction intellectuelle et morale du Franc-Maçon.

VOLUME DE LA LOI SACRÉE

Une des trois grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie avec l'Équerre et le Compas. Il symbolise la Tradition écrite. Ce peut être la Bible pour un chrétien, l'Ancien Testament, le Coran ou tout autre Livre sacré selon la religion des adeptes concernés. S'il s'agit de la Bible, elle est ouverte pendant les Travaux à la première page de l'Évangile de Jean.

VOÛTE D'ACIER

Honneurs rendus à un dignitaire en formant une voûte avec les épées sur son passage.

VOÛTE ÉTOILÉE

Voûte du Temple, son plafond. Symbole du Ciel, de l'immensité de l'univers sous laquelle le Franc-Maçon travaille.

VOYAGES

Partie des épreuves propre à tous les grades. Rappellent les voyages de la vie, les pèlerinages, le Tour de France des Compagnons.

VRAIE LUMIÈRE

C'est la Lumière spirituelle résultant de l'éveil de l'esprit du maçon. Elle est toute de Sagesse et de vérité.

Page 69: Livre de l'Apprenti Macon 01

Quand on qualifie une année "d'année de la vraie Lumière", cela signifie qu'il s'agit d'une année de l'ère maçonnique.

VÉRITÉ

État de ce qui ne peut être donné à l'Homme, mais qui doit être le fruit de ses recherches, le résultat de ses efforts, le fruit de l'initiation. Un doute d'aujourd'hui peut être une vérité de demain et vice-versa. Ce peut être le fait d'être en parfaite osmose avec son environnement.

Travaux au grade d'Apprenti

Sommaire

Ouverture de travaux annuels.

La fraternité maçonnique, mythe ou réalité?

L'essence de la philosophie maçonnique.

L'essence de la philosophie maçonnique (2)

De l'éthique en général et de l'éthique maçonnique en particulier.

Des religions à la fraternité.

← Le langage maçonnique.

← La fidélité en maçonnerie.

← Le Temple, miroir de l'homme et de l'univers.

← Ma lecture du livre symbolique "caché" de la vigne.

← La franc-maçonnerie: une philosophie du devoir.

← Tenue funèbre

Ouverture de travaux annuels

Page 70: Livre de l'Apprenti Macon 01

Aujourd’hui est un grand jour que nous devons vivre en nous réjouissant, car, par

la tenue de cette Loge éphémère nous allumons les feux symbolisant l’unité des

travaux de nos différentes Loges dans la diversité des rituels et avec l’immense

richesse que représente l’addition de la connaissance de tous les Frères. Par notre

présence ici ce soir nous réitérons tous la prestation de notre serment maçonnique

et nous montrons notre volonté de continuer notre recherche de la Vérité, de la

Fraternité et de la Connaissance. Je vous avouerai que pour moi la fraternité

initiatique ne m’est pas « tombée dessus automatiquement » lors de mon

initiation. J’ai longtemps douté de l’existence de la Fraternité. Ce n’est qu’après

quelques années de maçonnerie que j’ai commencé à entrevoir l’erreur que je

commettais en cherchant la Fraternité chez mes Frères, plutôt que de la

rechercher en moi. Seul, je pense que je n’aurais pas fait ce chemin.

Vous avez été les jalons qui m’ont permis de cheminer jusqu’ici et je vous en

remercie. Le chemin de l’humanité est actuellement chargé de difficultés et ce

n’est qu’en réunissant nos forces et nos diversités dans le même but, celui que

Page 71: Livre de l'Apprenti Macon 01

nous nous sommes fixés, que nous pourrons activement apporter une

amélioration de la vie sur cette terre. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Où en est

la franc-maçonnerie en ce début du 3ème millénaire ?

۩ ۩ ۩

Nous sommes presque tous unanimes pour dire que notre monde est en crise. Une

crise qui touche les domaines économiques, politiques, les mœurs, la morale, la

spiritualité... En fait cette crise est globale. Comme si toutes les valeurs sur

lesquelles s’appuyait l’humanité étaient contestées et repoussées. Ceci nous

arrive au moment où nous produisons le plus de biens et d’énergies au cours de

notre histoire; au moment où le développement des sciences nous donne un

pouvoir énorme, allège notre travail, améliore notre santé et rallonge notre vie; au

moment où de plus en plus de pays se rapprochent de la démocratie; au moment

où les droits de l’homme sont édictés, l’ONU créé, et que nous nous efforçons de

protéger les droits des minorités. Mais que constatons-nous ?

Page 72: Livre de l'Apprenti Macon 01

Nous constatons que la misère s’accroît dans le monde, des milliers d’individus

meurent de faim et de maladie, la guerre et les persécutions sévissent dans

beaucoup de pays.

C’est un paradoxe, plus notre civilisation semble faire de progrès, plus

l’humanité en pâtit, plus les hommes redoutent l’extinction des ressources,

l’augmentation de la pollution, en clair la dégradation de notre planète. La

démocratie est bafouée par les mêmes pays qui ont établi la charte de l’ONU.

Dans combien de pays les libertés religieuses, politiques, économiques et

syndicales sont-elles réellement respectées ? Dans combien de pays la Franc-

maçonnerie est-elle tolérée ? Alors que naguère c’étaient les régimes totalitaires

qui volontairement et ouvertement s’opposaient à la démocratie, aujourd’hui

c’est au nom de la démocratie que l’on tue la démocratie.

Comme l’a écrit l’académicien Roger Caillois dans Le mythe et l’homme : «

L’examen du monde moderne est fait pour apporter à qui s’y livre à peu près

tous les dégoûts ».

Page 73: Livre de l'Apprenti Macon 01

Jadis terrifié par les forces de la nature, l’homme s’efforçait de les maîtriser grâce

à son génie, de nos jours ce sont les forces qu’il crée qui l’inquiètent. Il joue à

l’apprenti sorcier ce qui l’oblige à se poser des questions quant à la qualité du

monde qu’il engendre. Avons-nous fait de réels progrès dans le monde que nous

ont transmis nos pères ? Avons-nous plus de liberté, y a-t-il plus de justice, plus

de fraternité ? Sommes-nous plus sages ? Nous devons essayer de répondre à ces

questions selon notre conscience. Les Francs-maçons en particulier avec leur

idéal visant l’amélioration de l’humanité doivent s’interroger avec humilité,

altruisme et générosité, en gardant à l’esprit cette citation du philosophe Léon

Brunschvicg : « La qualité des âmes ne dispense pas de la qualité des idées ».

Avec le 18ème siècle, la philosophie du progrès se développe. Des écrivains et

philosophes tels que Fontenelle, Turgot et Condorcet en font l’apologie. Se

référant au progrès, Condorcet dans son Esquisse d’un tableau historique des

progrès de l’esprit humain, écrit : « Il arrivera un moment où le soleil n’éclairera

plus sur la terre que des hommes libres et ne reconnaîtra d’autre maître que leur

Page 74: Livre de l'Apprenti Macon 01

raison ». Même Voltaire en ses débuts avait cru que le progrès réalisé dans ce

siècle des lumières ferait progresser l’humanité. Mais par la suite il montre dans

ses œuvres une humanité toujours en détresse et que le progrès ne conduit pas

nécessairement au bonheur. J.-J. Rousseau lui s'érigera contre le progrès qui «

corrompt les mœurs ».

Les désordres et les massacres perpétrés pendant la Révolution feront réfléchir

beaucoup d’hommes et particulièrement les Francs-maçons. Chateaubriand écrit

dans Les Mémoires d’outre-tombe : « La Révolution m’aurait entraîné si elle

n’eut débuté par des crimes ; je vis la première tête portée au bout d’une pique et

je reculai. Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un

argument de liberté ».

Malgré ces événements, beaucoup de penseurs du 19ème siècle continueront à

croire au progrès pour le bien de l’humanité. Victor Hugo en est un des fervents

défenseurs. D’autres, comme Baudelaire, tirent la sonnette d’alarme. Celui-ci

écrit dans ses « Critiques » : « Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle

Page 75: Livre de l'Apprenti Macon 01

je veux me garder comme de l’enfer, je veux parler de l’idée de progrès. Ce fanal

obscur, invention du philosophisme actuel, brevet sans garantie de la nature et

de la divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la

connaissance. Qui veut y voir clair dans l’histoire, doit avant tout éteindre ce

fanal perfide. Cette idée grotesque qui a fleuri sur le terrain de la fatuité

moderne a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa

responsabilité, dégagé les liens, la volonté de tous les liens que lui imposait

l’amour du beau, et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps,

s’endormiront sur l’oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la

décrépitude. » Avec son génie Baudelaire a pressenti l’effet pervers que peut

avoir le progrès technologique pur car il continue : « Demandez à tout bon

Français qui lit son journal tous les jours dans son estaminet, ce qu’il entend par

progrès. Il répondra, c’est la vapeur, l’électricité, l’éclairage au gaz, miracles

inconnus aux Romains et que ces découvertes témoignent pleinement de notre

supériorité sur les anciens, tant il s’est fait de ténèbres dans ce malheureux

Page 76: Livre de l'Apprenti Macon 01

cerveau et tant les choses de l’ordre matériel et de l’ordre spirituel s’y sont

bizarrement confondues. Le pauvre homme est tellement américanisé (à l’époque

déjà !!) par ses philosophes zoocrates et industriels qu’il a perdu la notion des

différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde

moral, du naturel et du surnaturel. »

۩ ۩ ۩

Aujourd’hui nous sommes au 21ème siècle, nous pouvons rajouter au progrès

technologique, la radio, la télévision, le téléphone, l’ordinateur, l’énergie

atomique et toute la robotique qui nous entoure. Mais le texte de Baudelaire n’a

pas pour autant pris un seul cheveu gris. Et un siècle et demi après ces écrits,

l’humanité n’a toujours pas retrouvé la notion des différences entre le monde

physique et le monde moral. Baudelaire nous dit aussi : « Pour que la loi du

progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c'est-à-dire que, quand

tous les individus s’appliqueront à progresser, alors, l’humanité sera en progrès

».

Page 77: Livre de l'Apprenti Macon 01

En progressant l’homme fait mouvement vers l’avant. Puisqu’il est mouvant et

libre de ses choix entre le vrai et le faux, le bien et le mal, il peut se tromper. S’il

se trompe il fera marche arrière, il régressera. Pour pouvoir progresser la liberté

doit être fondée sur la connaissance, l’intelligence du cœur, sur la recherche de la

vérité et du bien. Ce n’est pas qu’une progression horizontale tel le progrès

technologique, mais bien une progression avec une représentation de verticalité,

d’élévation vers l’amour spirituel, l’amour de la vérité et de la beauté, et ceci

sans notion de temps.

L’histoire nous enseigne que des civilisations ont régressé et se sont éteintes.

Malgré la formidable avancée technologique au 20ème siècle, celui-ci est une

période désastreuse pour l’humanité, une escalade dans les guerres et le mode de

tuer, des crises économiques avec pour conséquences la désacralisation de

presque toutes les valeurs et le développement d’une littérature nihiliste, d’une

philosophie de l’absurde et du néant. En 1919 Paul Valéry constate : « notre

civilisation est mortelle ». L’homme est angoissé, il ne trouve pas ses marques.

Page 78: Livre de l'Apprenti Macon 01

Au siècle dit de la communication, il se sent seul. Il a l’impression d’être agressé

par les autres. Il est jaloux des autres et s’enferme sur lui-même dans un égoïsme

pseudo salvateur et une course aux richesses et aux plaisirs faciles. L’homme est

malade, il s’est perdu et ne pense qu’à satisfaire ses besoins et ses désirs. Dans le

vocabulaire actuel nous pourrions dire « Il se came en s’éclatant ». Il ne se

connaît pas mais ne pense qu’à lui. S’étant détaché de ses racines et ayant perdu

sa foi, quelle qu’elle ait été, il nie le sacré en sacralisant des lieux marqués du

timbre du matériel, tel que le « temple du foot » pour le stade, le « temple de la

consommation » pour les grands centres commerciaux, le « temple du Rock »

pour un de ses lieux de concert où il peut se « shooter » pour ne plus penser à sa

condition. Cette négation du sacré lui a fait perdre le sens de la beauté et il n’a

plus la capacité, ni la sensibilité d’éviter la laideur, la vulgarité. Il ne perçoit plus

ce qui est beau, fin, original.

۩ ۩ ۩

Page 79: Livre de l'Apprenti Macon 01

Que peut faire la Maçonnerie face à ce grave malaise de l’humanité ?

Malheureusement rien de direct, d’immédiat. Rien qui ne puisse avoir un effet à

court terme. Le Franc-Maçon ne peut que se concentrer sur sa recherche de la

vérité, essayer de se transcender et d’atteindre la vraie fraternité faite de l’amour

inconditionnel de l’humanité et de la mise en retrait de son moi. C’est un travail

de tous les instants de la vie pour lequel le Franc-Maçon a besoin de reprendre

force en se ressourçant aux rituels, aux symboles et à la fraternité qu’il trouve en

loge lors des tenues. C’est cette force qui devrait lui permettre d’avoir toujours

une attitude impeccable en toute circonstance et envers quiconque et de ce fait

apparaître comme un exemple à suivre. C’est plus à travers les bonnes actions et

l’exemple que par la diffusion de sa philosophie que la Franc-Maçonnerie peut

être efficace et crédible. La discrétion est aussi très importante car elle protège

les honnêtes maçons et la maçonnerie toute entière des éclats provoqués par les

brebis galeuses. Au surplus mieux vaut donner l’exemple que de discourir

Page 80: Livre de l'Apprenti Macon 01

vainement sans mettre les préceptes en pratique. Peut-être la religion est-elle en

train d’en faire les frais?

Pour terminer je laisserai l’épilogue au Frère Henri Tort-Nouges, passé Grand

Maître de la Grande Loge de France en citant un passage de son essai « L’idée

maçonnique » :

« La quête maçonnique s’articule autour de quelques idées fondamentales qui

étaient celles des maçons du 18ème siècle et qui sont restées celles des maçons

actuels.

L’idée de la reconnaissance d’une vérité Universelle, d’une lumière qui éclaire

tous les hommes, s’ils veulent bien se tourner vers elle.

Celle d’une liberté qui habite la conscience de tout homme, qui est inaliénable et

que l’on ne saurait lui enlever, car se serait lui enlever sa dignité d’homme.

La franc-maçonnerie affirme à la fois l’Universalité et l’Eternité de la Vérité et

la liberté de sa recherche. Il faut tenir ensemble ces deux Principes si l’on ne

Page 81: Livre de l'Apprenti Macon 01

veut pas mutiler et aliéner l’homme. Mais cette vérité, ne saurait se découvrir

immédiatement. Sa découverte suppose, d’abord la volonté d’aller vers elle « de

toute son âme », elle suppose le courage, la volonté, elle suppose un travail

incessant. Cette recherche et ce travail ne sauraient être solitaires. Ils doivent

s’effectuer dans la loge, avec les autres maçons qui « peinent vers la même Etoile

» et doit s’effectuer dans la fraternité des esprits et des cœurs. La vérité, ou la

recherche de la vérité, la liberté ou la conquête de la liberté, le travail, la

fraternité sont les idées forces autour desquelles s’organise le projet

maçonnique. Et si aujourd’hui notre monde nous semble en plein désarroi moral

et spirituel, c’est qu’il a perdu la vocation de la vérité et du travail, le sens de la

liberté et de la fraternité. L’affirmation de la liberté met l’homme et le franc-

maçon à l’abri de tous les « dirigismes totalitaires » qui aujourd’hui, sous des

raisons diverses, veulent imposer ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire et ce qu’il

faut penser. L’affirmation de la Loi Morale, traduction de la vérité sur le plan de

l’action, met l’homme à l’abri de toutes les transgressions systématiques de

Page 82: Livre de l'Apprenti Macon 01

toutes les aventures hagardes et débridées, qui prétendent rejeter toutes les

règles, abolir toutes les lois, ridiculiser toutes les traditions, et qui sous prétexte

de libérer totalement l’homme ne lui apportent en fait que le déséquilibre, le

délabrement intellectuel, l’angoisse et le désespoir.

La franc-maçonnerie ne saurait imposer aux hommes une réponse définitive, une

solution entière ; elle invite les hommes à une recherche, à une quête, de la

Connaissance et de l’Amour, à une conquête de la Sagesse ».

La fraternité maçonnique, mythe ou réalité?

La force d'une association réside essentiellement dans la cohésion de ses

membres. Plus ils sont unis, et plus ils sont puissants. En maçonnerie, l'union

n'est point l'effet d'une discipline imposée, elle ne peut naître que de l'affection

que ressentent les initiés les uns pour les autres. Il est de la plus haute

importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent

les Maçons.

Page 83: Livre de l'Apprenti Macon 01

Oswald WIRTH

La fraternité implique les notions de tolérance, d'affection, et aussi dans une

certaine mesure : de charité, d'indulgence, de fidélité et de communion.

De manière concrète elle se manifeste par une attention profonde d'un frère à

l'égard de son semblable : Une écoute respectueuse de propos que l'on ne partage

pas forcément, une aptitude à prononcer une parole réconfortante, à agir avec un

élan d'affection au moment opportun. Savoir proposer sans vouloir imposer,

savoir être présent sans jamais être pesant.

La structure de la loge maçonnique est favorable à l'épanouissement du

comportement fraternel. Les bons sentiments d'un jeune initié vis à vis de ses

frères se transformeront vite, s'il entend bien l'art, en véritable sentiment

fraternel. Mais cette affection ne peut être immédiate, il faut laisser le temps agir

pour que les liens s'établissent.

Page 84: Livre de l'Apprenti Macon 01

Les liens ainsi créés vont nous rapprocher les uns des autres. Nous ne serons plus

des étrangers car nous aurons pris le temps de nous connaître. Mais cela ne suffit

pas pour faire de nous des frères. Il nous faudra faire preuve d'humilité, car les

différences apparaîtront et il faudra bien les accepter pour aller de l'avant dans

l'échange de relations fraternelles. Les accepter sans les juger, car les jugements

prennent souvent un caractère définitif, et toutes choses "définitives" créent des

limites qui ont pour effet de réduire la liberté de chacun.

Il faut parfois abandonner nos convictions pour nous mettre entièrement à

l'écoute de l'autre, il faut accepter que notre frère ne soit pas ce que nous aurions

souhaité qu'il soit, il faut renoncer à notre propre idéal de la fraternité pour

reconnaître qu'il en existe d'autres, différents, mais ayant tout autant leurs raisons

d'être.

Cette disponibilité soudaine vis à vis de personnes venues d'ailleurs et que nous

avons acceptées comme frère est génératrice de sentiments de bien-être. Ces

Page 85: Livre de l'Apprenti Macon 01

sentiments sont sécurisants et nous font réaliser que tous les hommes, quels qu'ils

soient et d'où qu'ils viennent sont nos frères.

Les Stoïciens de l'antiquité l'avaient bien compris. En condamnant l'esclavage, ils

reconnurent la communauté d'origine des hommes et leur participation à

l'universelle raison. Les Chrétiens, en associant fraternité et charité, ont

développé le coté sentimental de la fraternité. Plus sélective et élitaire : la

chevalerie moyenâgeuse, avec la "Fraternité d'armes", a mis en exergue les liens

tissés par ceux qui ont lutté pour la même cause. Il s'agissait d'un engagement à

se défendre l'un l'autre envers et contre tout, à se garder une foi inviolable et à

tout faire pour mériter cette foi.

Ce dernier exemple est frappant car il fait état d'une fraternité absolue et sans

limites. Cette fraternité-là serait-elle un mythe?

En Maçonnerie, nous avons l'habitude de donner une mesure à toutes choses et à

refuser les dogmes. La fraternité Maçonnique est bien une réalité mais elle a,

Page 86: Livre de l'Apprenti Macon 01

comme toute manifestation, ses propres limites.

Ces limites, nous les fixons nous-mêmes, elles dépendent de la sincérité de notre

engagement. La maçonnerie propose et l'homme dispose: libre à chacun de

progresser, libre à chacun d'accepter ou de refuser les richesses qui lui sont

offertes, libre à chacun de collaborer à l'accroissement du patrimoine commun et

de son propre patrimoine.

La loge sera ce que nous en ferons, chacun est responsable de ce qu'elle

deviendra par sa propre participation positive ou négative. Agir pour l'intérêt de

tous, travailler individuellement pour tenter de créer un idéal de vie. Il faut

apporter pour recevoir, continuellement se remettre en question pour conserver le

caractère initiatique de notre démarche, se souvenir que notre fierté est de créer

l'unité dans la diversité et pour ce faire, utiliser le langage du coeur, persévérer

dans notre démarche et ne pas oublier que nous avons des outils pour nous aider à

rechercher la vérité. Le rayonnement de la loge dépendra de notre volonté de

persévérer dans la recherche de la connaissance, afin d'être présent sur la scène

Page 87: Livre de l'Apprenti Macon 01

de l'action. Rester humble, agir sans passion, ne pas démolir, mais transformer et

construire, ne pas mal juger, mais aimer, agir pour le bien de tous. Nous

hériterons de la loge que nous construirons, nous hériterons du monde que nous

construirons....

Pour agir dans cet esprit, la fraternité doit demeurer notre acte de foi afin de

donner un sens à notre démarche. De la participation active de chacun des Frères

dépend l'importance de la notion de réalité qui caractérise les relations

fraternelles établies au sein de l'atelier.

L'essence de la philosophie maçonnique

Traiter de l’essence de la philosophie maçonnique et tenter de répondre à la

question qu’est-ce la philosophie maçonnique, requièrent en vérité une profonde

culture et un long cheminement maçonniques que seuls les anciens les ont acquis.

Par conséquent, et en principe, seuls les maîtres en loge sont en mesure de

discuter adéquatement de ces questions. Apprenti, me voilà donc placé devant un

Page 88: Livre de l'Apprenti Macon 01

paradoxe et une difficulté: n’ayant que trois ans d’âge, je suis donc sollicité de

répondre à une question, pour laquelle il faut une maturité maçonnique que je

suis loin d’avoir acquise, mais dont néanmoins je poursuis la quête depuis le jour

où j’ai reçu les Lumières.

Cette planche traite donc de trois aspects qui me permettent de répondre à la

question posée. D’abord qu’est-ce que l’essence des choses, ensuite qu’est-ce que

la philosophie et enfin qu’est-ce l’essence de la philosophie maçonnique et

quelles sont les relations entre la philosophie et la Maçonnerie ? Je tente de

démontrer qu’il y a bien une relation entre les deux, dans la mesure où l’on s’en

tient à une conception antique de la philosophie et qu’on accepte de raisonner sur

la Maçonnerie en général, abstraction faite des différences doctrinales et

historiques des obédiences. Ce texte se termine par quelques remarques sur les

limites d’une réflexion sur l’essence de la Maçonnerie.

Qu’est-ce que l’essence des choses?

Page 89: Livre de l'Apprenti Macon 01

C’est en effet une première difficulté à vaincre que de démontrer l’utilité d’une

réflexion sur l’essence des choses. Philosophiquement, on distingue deux

questions: l’essence des choses, de l’existence des choses. La question de

l’essence renvoie donc à la substantialité des choses, réflexion qui fait partie de

la métaphysique aristotélicienne en tant que science de l’Être dans son humanité

et dans son universalité (Aristote, 384-322 av. J.-C.). Réfléchir sur l’Essence veut

dire réfléchir sur les propriétés communes à toutes les natures par lesquelles les

divers êtres (ou les diverses choses) sont classés en divers genres et espèces,

comme l’humanité est l’essence de l’homme. La définition de ce qu’est une

chose est la chose signifiée, ce par quoi les êtres sont constitués dans leur genre

et espèce propre. L’essence d’une chose, c’est l’ensemble des déterminants qui

définissent un objet de pensée ou un être.

Une réflexion sur l’essence des choses est donc séparable d’une réflexion sur

l’existence. On peut en effet concevoir l’essence d’une chose sans être assuré que

son existence soit conforme à son être. Ainsi, on peut concevoir l’essence de la

Page 90: Livre de l'Apprenti Macon 01

Maçonnerie en tant que réalité universelle et homogène, tout en sachant qu’il

n’existe pas une Maçonnerie, mais plusieurs loges et surtout plusieurs obédiences

avec des conceptions et des rites différents. On peut également concevoir ce

qu’est idéalement un Franc-Maçon, tout en sachant que dans la réalité il y a des

Francs-Maçons qui s’efforcent de s’approcher du mode de conduite idéalement

défini, sans toujours y parvenir mais sans jamais cessé d’essayer. Essence et

existence sont donc deux choses différentes, mais pas nécessairement

contradictoires.

Dans la réflexion sur l’essence des choses, il s’agit en fait d’une réflexion sur

l’universalité des phénomènes ou des êtres, indépendamment de leur dimension

concrète et historique. Cette réflexion concerne les fondements des phénomènes

et leurs finalités. D’une certaine manière, c’est aussi une réflexion sur le sens des

phénomènes et des pratiques, comme celle de la Maçonnerie, par exemple.

S’interroger sur le sens des choses, écrit le philosophe Dominique Lecourt, c’est

inscrire la réflexion dans la perspective de l’universel: “Il n’est nulle activité où

Page 91: Livre de l'Apprenti Macon 01

nous n’ayons d’urgence à inciter les uns et les autres à poser la question du sens

de ce qui s’y mène, non par référence à des valeurs instituées mais dans la

perspective de l’infini et sous l’angle de l’universel”. Le même auteur écrit plus

loin: “La philosophie ne tient aucun sens pour donné (ou perdu); inlassablement,

elle se pose la question du sens conféré à telle pratique et à telle croyance; (...).

La philosophie est un exercice de la pensée qui consiste à s’interroger sur le tout

de la condition humaine en tant que nous pouvons lui conférer un sens”[1].

Qu’est-ce que la philosophie ?

On connaît la réponse de Socrate à cette question. Dans le Phédon, il a enseigné

que philosopher c’est apprendre à mourir, dans le sens de se transformer en

quittant le monde concret pour le monde des idées. Le corps est, selon lui, le

siège des passions et des désirs, et ces désirs nous entraînant à la violence et à la

guerre pour parvenir à assouvir leur soif, c’est se libérer de la violence et de la

guerre que de se libérer du corps”. Aussi, il ne faut pas craindre la mort. car celle-

ci a quelque chose de philosophique, la séparation du corps et de l’âme procédant

Page 92: Livre de l'Apprenti Macon 01

d’elle étant analogue à la séparation entre le corps et l’âme dans la science.

Autrement dit, Socrate a inversé les rapports du vivre et du mourir en enseignant

que, comme vivre à une certaine vie, c’est mourir, ce n’est pas mourir mais vivre

que de mourir à une certaine vie qui fait mourir[3].

Ainsi, vivre à une certaine vie c’est mourir, et mourir à une vie qui fait mourir, ce

n’est pas mourir c’est vivre. C’est ici que la mort rejoint la renaissance: pour

renaître, il faut mourir symboliquement. Mais mourir à soi, c’est se libérer de soi,

du carcan des idées qui font mourir, c’est-à-dire qui empêchent de progresser et

de se libérer. S’exercer à mourir, disait le philosophe Sénèque (4 av. J.-C.- 65 J.-

C), c’est s’exercer à être libre, car qui sait mourir ne sait plus être esclave[4]. La

mort est une éthique du détachement, à la fois à l’égard des choses matérielles,

mais également à l’égard des certitudes qui nous empêchent de vivre pleinement.

Une telle perspective participe d’une éthique du temps, selon laquelle en passant

avec ce qui passe, on finit par demeurer et non passer, puisque l’être est devenir.

Une telle éthique du nomade, du voyageur et du passant dans la vie, n’est-elle pas

Page 93: Livre de l'Apprenti Macon 01

la sagesse même?. Par de-là le thème de la mort, c’est bien de la vie qu’il s’agit[5],

mais une vie où s’exerce la pensée. Chez les helléniques, comme chez les

épicuriens, les cyniques ou les stoïciens, tous considèrent que la philosophie est

au, premier chef, un art de vivre.

La voie tracée par Platon et les stoïciens est celle d’un salut éthique et individuel

par l’approche à la fois symbolique, raisonnée et intuitive d’une vérité-perfection

transcendant l’homme. Elle est seule à même de le rapprocher de ses semblables

dans un dépassement permanent altruiste et universaliste de lui-même. C’est cette

orientation première, dont les racines se trouvent dans la philosophie antique, qui

a marqué profondément l’éthique humaniste. Elle explique l’importance qu’elle

donne à la liberté de conscience, en même temps qu’au devoir d’un

perfectionnement intellectuel et moral ainsi qu’à l’exaltation des vertus d’effort,

de courage et de maîtrise de soi, condition première d’une fraternité universelle[6].

La philosophie, c’est également l’amour de la sagesse (philo-sophia). Elle

représente l’exercice par lequel on tend vers une sagesse tout autant orientée vers

Page 94: Livre de l'Apprenti Macon 01

le savoir que vers l’action. Dans une perspective critique, Dominique Lecourt

définit la philosophie comme un “exercice de la pensée par lequel nous nous

posons des questions radicales sur la manière que nous avons de nous y prendre

avec le monde, dans la perspective d’un sens à conférer au tout de l’humaine

condition”[7]. La philosophie, disait Platon, est fille d’étonnement! C’est

l’étonnement, que nous devons pratiquer, qui nous permet de nous interroger sur

les choses et sur nous-même. Par exemple, pourquoi tant Maçons et de Maçonnes

d’origines sociales, culturelles et religieuses différentes, donnent-ils de leur

temps et de leur énergie, dans la poursuite d’une voix et la pratique de rites,

comme ceux de la Franc-Maçonnerie? Qu’est-ce qui fait agir tout ce monde!

Énigme des énigmes!

Qu’est-ce que l’essence de la philosophie maçonnique?

Oswald Wirth définit la Franc-Maçonnerie comme une institution initiatique et

comme une alliance universelle d’hommes éclairés et honnêtes, sincèrement

dévoués au besoin de tous, unis pour travailler en commun au perfectionnement

Page 95: Livre de l'Apprenti Macon 01

intellectuel et moral de l’humanité. Institution essentiellement philanthropique,

philosophique et progressive, la Franc-Maçonnerie a pour objet la recherche de

la vérité, l’étude de la morale, la pratique de la vertu et de la solidarité. Elle a

pour principes la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même et la

liberté absolue de conscience[8]

Plusieurs aspects fondamentaux constituent l’essence de la Maçonnerie. Le

premier de ces aspects concerne l’initiation, qui est à la fois mort à soi-même,

mais également naissance ou plus exactement renaissance[9]. Au moyen des

symboles, le projet initiatique vise à provoquer une radicale et fondamentale

modification de notre pensée, de notre être et de notre manière de voir les choses.

Il s’agit, comme le dit la Tradition, du passage des ténèbres à la lumière

(“Pourquoi vous êtes vous fait recevoir Franc-Maçon? Parce que j’étais dans les

Ténèbres et que je désirais la Lumière”). Dans cette perspective de “renaissance”,

le changement consiste à construire sa propre vision du monde, en se libérant

d’abord des fausses certitudes. C’est pour cette raison que l’initiation est un

Page 96: Livre de l'Apprenti Macon 01

moyen d’accéder à la liberté: “La Franc-Maçonnerie n’est qu’une méthode

d’accès par la connaissance à la liberté, méthode d’accès à la connaissance par le

travail”[10]. Comme l’indique un document du GLF, la finalité de l’initiation n’est

pas seulement “théorique”, mais pratique, disons éthique. Il ne s’agit pas

seulement d’aller vers la Lumière et de se reposer dans une vaine et stérile

contemplation; mais par cette Lumière de nous entraîner à une action plus

efficace et plus juste.

Le second aspect de l’essence maçonnique concerne le travail, la vertu de l’effort

et la persévérance. Richard Dupuy écrit: “Nous croyons dans l’efficacité de

l’effort et dans la vertu du travail. Nous croyons dur comme fer que par son effort

et par son travail, l’homme est capable de surmonter toutes les épreuves qui lui

sont destinées dans un monde à sa mesure et dont il est partie totale”. Dans la

Maçonnerie symbolique, ce travail consiste dans la recherche de la Vérité,

recherche qui ne veut pas dire qu’il y a des vérités toutes faites que le Franc-

Maçon peut ou doit découvrir. D’une certaine manière, le Franc-Maçon est un

Page 97: Livre de l'Apprenti Macon 01

chercheur de vérité, sans carte ni cadre préétabli, ni guide rédigé, sans maître qui

saurait la vérité, ni gourou capable de lui tenir la main. Il cherche la vérité en

traçant lui-même les cartes des territoires inconnus qu’il veut explorer, et en

utilisant pour cela la “méthode maçonnique” (Richard Dupuy), celle qui s’appuie

sur le débat par l’utilisation des arguments de la raison et du coeur.

La recherche de la vérité est en réalité une quête permanente, pour laquelle le

Franc-Maçon s’appuie sur ses Frères de la Chaîne. Dans La Franc-Maçonnerie

et ses principes, énoncés par le Grand Orient de Suisse, on peut lire ceci: “Les

Francs-Maçons n’acceptent aucune entrave et ne s’assignent aucune limite dans

la recherche constante de la vérité et de la justice” [11]. Cette quête implique les

voyages et la recherche. Elle est soutenue par une éthique du nomade, du

voyageur et du passant dans la vie. Par le travail sur soi-même d’abord, et avec

l’aide de ses Frères, le Franc-Maçon surmonte les épreuves et se libère des

fausses certitudes. Par la pratique de l’art de la Pensée, il peut construire

patiemment l’édifice de ses propres convictions. En quelque sorte, il bâtît lui-

Page 98: Livre de l'Apprenti Macon 01

même son temple intérieur. Liberté et construction sont deux idées essentielles

dans la Franc-Maçonnerie.

Ressemblances entre philosophie et franc-maçonnerie

Il y a plusieurs similitudes entre l’essence de la philosophie dans son acception

antique et la Maçonnerie. L’une des ces similitudes concerne l’initiation. Nous

savons ce qu’il en est de cette notion dans la Franc-Maçonnerie. Dans la

philosophie antique, perpétuée par la tradition de Platon[12], l’initiation est un

accès à la connaissance et c’est donc une manière de se libérer de l’opinion, de

sortir de la caverne et de rompre avec les connaissances antérieures. Le

philosophe est non seulement celui qui est libéré de l’opinion, mais c’est

également celui qui libère les autres de l’illusion de la connaissance par

l’opinion.

A l’instar de la philosophie antique, telle que la concevait Socrate et qui se

confond avec la vie, la Franc-Maçonnerie existe parce qu’elle se confond avec la

Page 99: Livre de l'Apprenti Macon 01

vie en laquelle elle se résorbe. C’est en fait un genre de vie, une manière d’être et

de se comporter, déterminée par le désir de connaissance, mais d’une

connaissance qui ne s’acquiert pas sur le mode de l’avoir, mais celui de l’être.

Être Fran-Maçon, c’est apprendre à passer du verbe avoir au verbe être. C’est

également acquérir des connaissances qui transforment celui qui les assimile, et

lui permettent d’accéder à une plus grande perfection de soi. C’est l’union du

savoir et de la vertu, de la connaissance et de la vie. C’est en cela que la

Maçonnerie rejoint la philosophie antique, le moment où la philosophie avant

d’être philosophie scolastique était un mode de vie philosophique, c’est-à-dire

une aspiration constante à la perfection par la connaissance de soi, et à la sagesse.

A l’instar de la philosophie en tant qu’amour de la sagesse (Philo-Sophia), la

Franc-Maçonnerie, par le moyen de la méthode “a-dogmatique”, est également

l’exercice par lequel on tend vers une sagesse par le travail personnel sur les

symboles. Si le philosophe est par vocation un éducateur dont la mission est de

cultiver et élever les esprits afin de les rendre plus vertueux et de s’élever lui-

Page 100: Livre de l'Apprenti Macon 01

même, le Maçon est un bâtisseur qui construit son temple intérieur. En coopérant

avec ses Frères, il doit s’efforcer de construire une société meilleure (le temple de

l’humanité) où les êtres humains peuvent par leur effort personnel et leur

persévérance, atteindre la sagesse, du moins s’en rapprocher. Le Franc-Maçon

poursuit l’édification du Temple symbolique et universel, jamais achevé et mille

fois recommencé.

Ainsi, loin de participer d’une philosophie pessimiste, la Franc-Maçonnerie

s’inscrit dans la perspective d’une philosophie optimiste. Elle pose le principe

que l’homme peut s’améliorer, en travaillant sur lui-même et il peut donc par

extension améliorer les autres. Dans le prolongement de l’humanisme, elle est

donc une philosophie du progrès, celle qui rassemble des hommes et des femmes

de bonne volonté ayant décidé de travailler ensemble pour s’améliorer

individuellement et améliorer la société. A l’instar de l’humanisme d’Érasme et

de Montaigne, la Franc-Maçonnerie exprime une prise de partie philosophique

Page 101: Livre de l'Apprenti Macon 01

pour la libération de l’homme de toute forme d’oppression intellectuelle, morale

ou politique.

Alors que les philosophies modernes représentent des systèmes de spéculation

sur le monde, la philosophie antique a d’abord une visée de transformation de

l’homme. Mais dans la Franc-maçonnerie, cette transformation commence

d’abord par notre propre transformation. C’est là que la Franc-Maçonnerie rejoint

la philosophie antique qui est d’abord un travail de soi sur soi[13]. Ainsi, la

critique marxienne de la philosophie a une part de vérité, dans la mesure où toute

philosophie doit se préoccuper de transformer le monde. Mais l’impasse du

marxisme, qui se voulait une critique de la philosophie, c’est de ne pas avoir

pensé le principe de l’auto-transformation de l’homme par lui-même. C’est la

raison pour laquelle, la critique marxiste est insuffisante et donc le jugement

marxien sur l’inanité de la philosophie est lui-même problématique: la

Maçonnerie est à la fois une méthode de recherche de la « vérité », mais elle est

également méthode de transformation du monde par la méthode initiatique.

Page 102: Livre de l'Apprenti Macon 01

La Franc-Maçonnerie est une philosophie du dépassement de soi; c’est aussi la

recherche continue du savoir et de la connaissance par un travail permanent sur

soi. C’est d’une certaine manière, une philosophie de l’ignorance méthodique qui

fait que pour avancer dans le travail personnel, le Franc-Maçon doit

constamment déplacer les critères de l’excellence et de la sagesse. Ce sont tous

ces aspects qui font de la philosophie maçonnique une philosophie exigeante,

austère et sévère. Parce qu’elle bouscule les règles établies et veut transformer la

société en transformant l’homme, la Franc-Maçonnerie est souvent mal perçue,

tolérée, jamais réellement acceptée. Elle est constamment en sursis parce qu’elle

est l’objet de soupçon.

Conclusion

L’essence de la philosophie maçonnique réside dans le désir de rénovation et de

transformation personnelle qui s’accompagnent d’une mutation personnelle. Par

l’effort, le travail et la persévérance et au moyen de l’initiation, le Franc-Maçon

se donne les moyens du perfectionnement personnel qui est la voie vers la

Page 103: Livre de l'Apprenti Macon 01

sagesse. Telle est la définition idéal-typique de la Maçonnerie. Mais les Francs-

Maçons sont d’abord des êtres humains ayant leurs qualités et leurs défauts. En

tant que tels, ils sont au coeur d’une contradiction, car ils aspirent à se

perfectionner et à être meilleurs tout en vivant dans un monde où ces objectifs ne

sont pas valorisés et tout en étant eux-mêmes imparfaits.

Il est légitime de s’intéresser à l’essence de la philosophie maçonnique, dans la

mesure où il importe de définir idéalement ce qu’est la démarche maçonnique.

Dégager l’essence de la Maçonnerie, c’est montrer en quoi les Francs-Maçons se

ressemblent par-delà leurs différences. Ces différences nous invitent néanmoins à

nuancer l’approche essentialiste. Si, travailler sur l’essence de la Franc-

Maçonnerie c’est œuvrer à rassembler ce qui est épars; il importe néanmoins de

constamment s’interroger sur le pourquoi des différences entre les obédiences qui

sont autant de facteurs potentiels de division. Seul l’histoire et la sociologie,

peut-être, peuvent nous aider à en rendre compte pour mieux rassembler ce qui

est épars !

Page 104: Livre de l'Apprenti Macon 01

[1] cf. Dominique Lecourt, Déclarer la philosophie, Paris, PUF, 1997, p. 5 et 207.

[2] Dominique Lecourt rappelle que la légende attribue à Pythagore, qui était

astronome, musicien et l’un des premiers mathématiciens de la Grèce antique)

l’invention du mot “philosophe”, cf. Déclarer la philosophie, Paris, PUF, 1997,

p. 208. Bertrand Vergely dit aussi que Pythagore a été le premier à user du terme

“philosophe” (avant Parménide), cf. La philosophie, Larousse Editions, 1994 (1er

éd. 1993), p. 20 et ss.

[3] Cette conception de la philosophie n’est pas propre à la Grèce antique et à

l’Occident. On la retrouve également dans la sagesse orientale.

[4] Cf. Bertrand Vergely, La Philosophie, Larousse Editions, 1994 , p. 401.

[5] Cf. Dominique Lecourt dira que “philosopher c’est apprendre à vivre, mort

comprise”. Il note qu’une “longue tradition de penseurs a roulé de sombres

pensées autour de l’idée que “philosopher c’est apprendre à mourir”. Quels que

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soient les bénéfices de consolation qu’on puisse tirer de la lecture d’Epictète, de

Sénèque ou de Montaigne, je vous invite à penser que philosopher c’est plutôt

apprendre à vivre, mort comprise, cela va de soi”, Déclarer la philosophie, Paris,

PUF, 1997, p. 209.

[6] Cf. .Claude Saliceti, Humanisme, franc-maçonnerie et spiritualité, Paris, PUF,

1998 (1er ed. 1997): 35.

[7] Cf. Dominique Lecourt, Déclarer la philosophie, Paris, PUF, 1997: 207.

[8] Article 1 de la constitution du Grand Orient de France.

[9] Cf. Jean Verdun, La réalité maçonnique, Paris: PUF, 1982: 47.

[10] Cf. Richard Dupuy, p. 93.

[11] Cf. Constitution et Règlement du Grand Orient de Suisse, Novembre 1996.

[12]. Cf. La République de Platon, allégorie de la caverne, Livre VII.

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[13] Jacques Bouveresse note qu’il y a deux manières fondamentalement

antithétiques et inconciliables de concevoir la philosophie. On peut la voir

comme une activité de construction théorique qui, nécessairement, se situe plus

ou moins dans la continuité de celle de la science et qui ne se distingue de celle-

ci que par une généralité et une abstraction plus grandes ou bien comme une

activité ou un exercice qu’on entreprend d’abord sur soi-même (..), un travail de

réforme de soi”, cf. La Philosophie du réel (Entretiens avec J.J. Rosat), Paris,

Hachette-Littérature, 1998, pp. 121-122.

L’essence de la philosophie maçonnique (2)

Sommaire1. Introduction

2. Compréhension de la philosophie maçonnique

3. Présentation de la philosophie de quelques Grands Initiés

3.1 Krishna

3.2 Moïse

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3.3 Bouddha

3.4 Pythagore

3.5 Socrate

3.6 Jésus

3.7 Apollonius de Tyane

3.8 Mahomet

4. Recherche d’un dénominateur commun entre la philosophie maçonnique et celles des Grands Initiés

5 Conclusion

§ 1 Introduction

Rappelons, pour commencer, qu’étymologiquement le mot « philosophie » provient du grec ancien (φιλοσοφία), lequel est composé de (φιλο) «aimer » et (σοφία) « la sagesse, le savoir », soit littéralement « l’amour de la sagesse ».

Ce terme désigne une activité et une discipline existant depuis l'Antiquité et se présentant comme un questionnement, une interprétation et une réflexion sur le monde et l'existence humaine.

Ceci dit, de toute évidence, l’essence de la philosophie maçonnique tire ses racines des pensées éclairées des plus grands hommes qui ont marqué notre histoire et dans l’emprunte desquels la base de la philosophie maçonnique s’est largement inspirée.

Certains de ces remarquables personnages, qu’on appelle volontiers les Grands Initiés, ont sans nul doute, façonnés la pensée humaine et sont par ailleurs cités dans divers écrits maçonniques anciens.

§ 2 Compréhension de la philosophie maçonnique

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En effet, il est mentionné, à la G.L.D.F., dans un ancien rituel du Suprême Conseil de France, les noms de Socrate, Pythagore, INRI (le Christ). Dans des rituels plus récents, on peut méditer sur les pensées de Moïse, Pythagore, Confucius alors que la G.L.F.F. cite Moïse, Jésus et Mahomet. Au G.O.D.F, on dit au récipiendaire :

Je cite : « Certains rituels consacraient ces voyages aux philosophes. Mais comment choisir entre eux ? Socrate, Pythagore, Platon sont parmi les plus représentatifs de la philosophie. Mais on ne peut oublier Bouddha, Zoroastre, Hermès, Moïse, Confucius et tant d’autres… Doit-on différencier Jésus et le Christ ? Inclinons-nous, non pas devant tel ou tel philosophe, mais devant l’effort vers la sagesse… Car toutes les doctrines sont le reflet d’une même vérité, encore inaccessible. »

Avant de nous intéresser, d’un peu plus près, à certains de ces grands personnages de l’histoire, considérés comme modèles de sagesse et d’exemplarité, il me paraît important de rappeler les quelques grandes lignes philosophiques de la Franc-maçonnerie, sachant qu’il y a eu déjà tellement d’écrits à ce sujet que je n’ai, bien sûr, aucunement l’intention de vouloir tous les synthétiser.

Néanmoins, je rappeler simplement que ce mouvement de la Franc-maçonnerie a été fondé au XVIIIème, souvent appelé le siècle des lumières, mais dans la pénombre de ses temples, la Maçonnerie affirmant dès sa création une originalité sans égale dans sa démarche spirituelle et dans son mode de fonctionnement.

La Franc-maçonnerie moderne, dite « spéculative », est née en 1717 à Londres par la réunion de quatre Loges qui créèrent la première Grande Loge. Son inspirateur, le Pasteur Désaguliers (1683-

1739), huguenot français chassé par la révocation de l'Edit de Nantes, confia à un autre Pasteur, Anderson (1684-1739), le soin de codifier les règles de la Franc-Maçonnerie et en quelque sorte d’en restituer l’essence de sa philosophie.

En mettant de l’ordre dans cette organisation naissante, les deux ecclésiastiques permirent de situer celle-ci dans une triple continuité:

- celle des sociétés initiatiques et des religions, qui tentèrent très tôt de trouver un sens à la vie et de l’exprimer au moyen d’un langage symbolique;

- celle des bâtisseurs médiévaux qui transmirent certaines de leurs structures et leurs noms aux Francs-maçons d’aujourd’hui;

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- et finalement celle des mouvements de pensée qui, dès la Renaissance, voulurent s’affranchir des dogmes religieux et des monarchies peu éclairées pour centrer leur pensée sur l’Homme.

Sans passer en revue les 6 articles de cette constitution d’Anderson, je ne citerai que le premier, qui d’emblée, positionne le profil de la philosophie maçonnique.

Article 1 (version de 1738).

Un Maçon est obligé par sa tenure d’obéir à la loi morale et s’il comprend bien le métier, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irréligieux, ni n’agira à l’encontre de sa conscience.

Dans les temps anciens, les Maçons chrétiens étaient tenus de se conformer aux coutumes chrétiennes de chaque pays où ils voyageaient. Mais la Maçonnerie existant dans toutes les nations, même de religions diverses, ils sont maintenant tenus d’adhérer à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord (laissant à chaque frère ses propres opinions) c’est à dire être hommes de bien et loyaux, hommes d’honneur et de probité (c.à.d. : homme attaché aux devoirs de la justice et de la morale), quels que soient les noms, religions ou confession qui aident à les distinguer.

Ainsi la maçonnerie devient leur centre d'union et l’heureux moyen de concilier des personnes qui, autrement, n’auraient pu que rester perpétuellement étrangères.

Comme je l’ai compris, devenir Franc-maçon, c’est d’abord être sain de corps et d’esprit, aimer la paix et la bienveillance, être habité par une soif, non pas de vérité, mais de sens, car chacun peut avoir sa propre vérité.

La quête maçonnique est tout intérieure. Elle ne peut être motivée ni par l’égoïsme, ni par l’orgueil, ni par la vanité et n’a que faire des péripéties mondaines. Ceux qui y cherchent du pouvoir, de l’influence, des privilèges ou des profits ne font qu’en détourner l’essence et devraient logiquement être bannis de la Franc-maçonnerie.

§ 3 Présentation de la philosophie de quelques Grands Initiés

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Pour revenir maintenant à ce que je disais au début de mon exposé, soit de comprendre la philosophie maçonnique au travers des pensées les plus éclairées de ces Grands Initiés qui ont marqué le monde, je me propose ici d’en résumer, bien entendu, que certaines grandes lignes, dont l’importance n’est ni déterminée par l’ordre de présentation choisi, ni par les quelques idées que j’ai pu glaner, de-ci et de-là, dans certainement trop de littérature pour en saisir toute l’étendue. Je suis conscient que je ne vais pouvoir qu’effleurer l’immensité des œuvres que tous ceux-ci ont laissées.

J’ai choisi de rappeler, ci-après, quelques Grands Initiés simplement classés dans l’ordre de leur vécu. Il s’agit de :

- Krishna (~3000 av. J.-C.)

- Moïse (~1200 av. J.-C.)

- Bouddha (~ 600 à 500 av. J.-C.)

- Pythagore (580 – 500 av. J.-C.)

- Socrate (470 – 399 av. J.-C.)

- Jésus (an 0 – 33)

- Apollonius de Tyane (16 – 98 ap. J.-C.)

- Mahomet (570 – 632 ap. J.-C.)

§ 3.1 Krishna

Dans la religion indoue, croit que le Dieu Vishnou a eu dix incarnations. Krishna est le nom de la huitième incarnation de ce Dieu. La tradition indique que Krishna aurait vécu il y a ~5000 ans. Mais pour de nombreux hindouistes, il représente le dieu suprême, l'instructeur universel. Dans les textes sacrés (de la Bhagavad-Gita, écrits fondamentaux de l'Hindouisme), Krishna a dévoilé la place et la condition de l'homme dans l'univers.

On raconte qu’un jour, Krishna commença à parler à ses disciples des vérités inaccessibles aux hommes qui vivent dans l’esclavage des 5 sens. Il enseigna la doctrine de l’âme immortelle. Le corps, disait-il, enveloppe de l’âme qui y fait sa demeure, est une chose finie; mais l’âme qui l’habite est invisible et incorruptible.

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L’homme terrestre est triple comme la divinité qu’il reflète: intelligence, âme et corps.

Si l’âme s’unit à l’intelligence, elle atteint la sagesse et la paix;

Si elle demeure incertaine entre l’intelligence et le corps, elle est dominée par la passion, et tourne d’objet en objet dans un cercle fatal;

Si elle s’abandonne au corps, elle tombe dans la déraison, l’ignorance et la mort temporaire.

Mais l’un de ses disciples, nommé Ajurna lui demanda : quel est le sort de l’âme après la mort ? Obéit-elle toujours à la même loi ou peut-elle lui échapper ?

« Elle ne lui échappe jamais et lui obéit toujours », répondit Krishna. C’est ici le mystère des renaissances (ou de la réincarnation).

Quand le corps est dissous et lorsque la sagesse a le dessus, l’âme s’envole dans les régions de ces êtres purs qui ont la connaissance du Très-Haut.Quand le corps éprouve sa dissolution pendant que la passion domine, l’âme vient de nouveau habiter parmi ceux qui se sont attachés aux choses de la terre.

De même, si le corps est détruit quand l’ignorance prédomine, l’âme obscurcie par la matière est de nouveau attirée par quelque matrice d’êtres irraisonnables et revit à travers eux».

Qu’est-ce qui advient, demanda encore Ajurna, dans le cours des siècles, de ceux qui ont suivi la sagesse et qui vont habiter après leur mort dans les mondes divins ?

- L’homme surprit par la mort dans la dévotion, répondit Krishna, après avoir joui pendant plusieurs siècles des récompenses dues à ses vertus dans les régions supérieures, revient enfin de nouveau habiter un corps dans une famille sainte et respectable. Mais cette sorte de régénération dans cette vie est très difficile à obtenir. L’homme ainsi né de nouveau se trouve avec le même degré d’application et d’avancement, quant à l’entendement qu’il avait dans son premier corps, et il commence de nouveau à travailler pour se perfectionner en dévotion.

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Ajurna, poursuivi ses questionnements et demanda : si même les bons sont forcés de renaître et de recommencer par la vie du corps ? N’y a-t-il pas, pour celui qui poursuit la sagesse, de fin aux renaissances éternelles ?

- Krishna de répondre, je vais vous enseigner maintenant un très grand et très profond mystère souverain, sublime et pur.

Pour parvenir à la perfection, il faut conquérir la science de l’unité, qui est au-dessus de la sagesse; il faut s’élever à l’être divin qui est au-dessus de l’âme au-dessus même de l’intelligence.

Or cet être divin, cet ami sublime, est en chacun de nous.

Car Dieu réside dans l’intérieur de tout homme, mais peu savent le trouver.

En voici le chemin. Une fois que tu auras aperçu l’être parfait qui est au-dessus du monde et à la fois en toi-même, détermine-toi à abandonner l’ennemi qui prend la forme du désir. Domptez vos passions. Les jouissances que procurent les sens sont comme les matrices des peines à venir.

Ne faites pas seulement le bien, mais soyez bons. Que le motif soit dans l’acte et non dans les fruits attendus.

Renoncez au fruit de vos œuvres, mais que chacune de vos actions soit comme une offrande à l’Être suprême. L’homme qui fait le sacrifice de ses désirs et de ses œuvres, à l’être d’où procèdent les principes de toutes choses, et par qui l’univers a été formé, obtient par ce sacrifice la perfection.

Uni spirituellement, il atteint cette sagesse spirituelle qui est au-dessus du culte des offrandes et ressent une félicité divine. Car celui qui trouve en lui-même son bonheur, sa joie et en lui-même aussi sa lumière, est un avec Dieu.

Or, sachez-le, l’âme qui a trouvé Dieu est délivrée de la renaissance et de la mort, de la vieillesse et de la douleur, et boit l’eau de l’immortalité.

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C’est ainsi que Krishna expliquait sa doctrine à ses disciples.

§ 3.2 Moïse

Moïse, né en Egypte vers 1200 avant J-C. est, selon la tradition, le fondateur de la religion juive (le judaïsme), qui s'appelle parfois, pour cette raison, mosaïsme, c’est-à-dire la religion de Moïse.

On lui attribue d’avoir, sous l’inspiration divine, écrit le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible: la Genèse, l’Exode, le Lévitique, le Livre des Nombres et le Deutéronome) et d’y avoir raconté sa propre histoire, celle des patriarches ses ancêtres et celle du peuple d’Israël. Il est le prophète et le guide qui conduisit les enfants d’Israël hors d’Égypte, pays dans lequel ils étaient soumis, et c’est par sa main que les « prodiges divins » (les dix plaies d'Égypte) se seraient réalisés pour permettre la libération du peuple et le conduire vers la terre promise, le pays de Canaan. Il écrit « sous la dictée de Dieu » les dix commandements , lesquels constituent, plus qu’une philosophie, la codification d’une vie sociale et communautaire, ainsi que tout un ensemble de lois religieuses. La Torah écrite fait largement mention de Moïse et relate également les 10 commandements, que vous pourrez retrouver in extenso à deux reprises dans Exode § 20, vers. 2-17 et Deutéronome § 5, vers. 6-21.

Ainsi la version catholique romaine (a) et la version de la tradition juive (b) fournissent le contenu suivant :

1 er commandement : (a) Un seul Dieu tu aimeras et adoreras parfaitement. - (b) Je suis le Seigneur ton Dieu Qui t'a fait sortir du pays d'Égypte.

2 ème commandement : (a) Son saint nom tu respecteras, fuyant blasphème et faux serment.

- (b) Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi.

3 ème commandement : Le jour du Seigneur tu garderas, en servant Dieu dévotement.

- Souviens-toi du jour du shabbat

4 ème commandement : Tes père et mère honoreras, tes supérieurs pareillement. - Honore ton père et ta mère

5 ème commandement : Meurtre et scandale éviteras, haine et colère également.

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- Tu ne tueras point

6 ème commandement : La pureté tu observeras, en tes actes soigneusement.

- Tu ne commettras pas d’adultère

7 ème commandement : Le bien d'autrui tu ne prendras, ni retiendras injustement. - Tu ne voleras pas

8 ème commandement : La médisance banniras et le mensonge également. - Tu ne feras pas de faux témoignage

9 ème commandement : En pensées, désirs, tu veilleras à rester pur entièrement. - Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.

10 ème commandement : Le bien d'autrui tu ne convoiteras pour l'avoir malhonnêtement. - Tu ne convoiteras pas la maison, ni rien de ce qui appartient à tonprochain.

Moïse, fils d’Amram, est le premier homme à être nommé « homme de Dieu » dans la Bible, et seul à l’être également dans la Torah. Il est en outre cité dans le Coran sous le nom de "Moussa" comme prophète et messager d’Allah. Il est incontestablement considéré comme l’un des plus Grands Initiés dans au moins trois des plus importantes religions monothéistes abrahamique que sont : le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Moïse meurt à proximité de la Terre promise, sans pouvoir entrer dans le pays de Canaan, après l'avoir aperçue au sommet du mont Nébo, en face de Jéricho. Après avoir désigné Josué comme successeur, il remit les tables de la Loi aux anciens afin de les enseigner au peuple.

§ 3.3 Bouddha

L’enseignement, ou tradition qu’aujourd’hui en Occident on appelle le bouddhisme, a pris sa source dans l’expérience d’Éveil du Bouddha, il y a deux mille cinq cents ans environ. C’est donc avec le Bouddha que commence le bouddhisme.

Il nous faut tout d’abord préciser que « Bouddha » n’est pas un nom propre, mais un titre qui signifie « celui qui Sait, celui qui Comprend ». Il signifie aussi « celui qui est Éveillé ».

La tradition raconte que ce titre a d’abord été donné à un homme nommé « Siddhartha Gautama », et qui vivait entre le 6ème et 5ème siècle avant notre ère, dans une région située au sud du Népal.

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Ses dons surnaturels, sa grande sagesse, sa clairvoyance et ses enseignements furent reconnus par tous et il fut élevé au rang de Bouddha.

Ce qu’enseignait la plus part de ces hommes élevés au rang de Bouddha, est que leurs pensées n’avaient aucune origine divine. Ils enseignaient que certains êtres mouraient et reprenaient naissance dans une existence misérable, parce qu'ils avaient un mauvais karma de leur passé ; et que d'autres avaient une renaissance heureuse en tant qu'êtres humains ou célestes parce qu'ils avaient un bon karma de leur passé. (Le karma étant la somme de ce qu'un individu a fait, est en train de faire ou fera).

Rien que dans les textes non occidentaux, il existerait environ 80’000 enseignements bouddhistes. Au vu de leur nombre, ils sont souvent classés selon les Quatre Nobles Vérités, appelées « chatvari arya satyani »:

- l'existence de la souffrance (dukkha),

- son origine,

- la possibilité de s'en libérer (nirvana) et enfin

- le chemin pour y parvenir.

a) L’existence de souffrance

Souffrir, " dukka ", est le fait essentiel de notre vie. Naître est une douleur, vieillir est une douleur, la maladie et la souffrance physique sont des douleurs dont nous ne pouvons pas faire abstraction. L’union à quelque chose qui nous déplaît, comme la séparation de quelque chose qui nous tient à cœur, sont des événements qui nous donnent de la souffrance. Ne pas obtenir ce que l’on désire est une souffrance.

b) L’origine de la souffrance

La cause de la souffrance est : le désir "icçha ", la sollicitation " tanhy " ou la soif " trishna " des plaisirs sensuels, des possessions mondaines et du pouvoir. Le désir nous attache au cycle des renaissances. Ce terme existe dans l'hindouisme et le bouddhisme.

c) Possibilité de se libérer de la souffrance

La fin de la souffrance (nirvana), ne peut se produire qu’avec la cessation complète du désir, avec l’abandon, la renonciation et le détachement de toutes formes de désirs et d’attentes.

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d) Chemin pour parvenir, et se libérer de la souffrance

Le moyen d’arrêter la souffrance est la pratique de L'Octuple Chemin, "arya ashtanga marga". C’est la voie qui mène progressivement à la cessation de la souffrance ainsi qu'à la délivrance totale appelé le nirvana. Il s’agit d’un chemin à huit branches qui est suivi par les pratiquants du bouddhisme, non pas séquentiellement mais simultanément (que je ne développerais pas maintenant).

Le but ultime du Bouddhisme est le Nirvana. Il est synonyme de la libération des attaches du désir, de l’ego, de la souffrance et des renaissances. Bouddha n’a jamais défini le Nirvana. Il disait simplement : «Il y a un non-né, un non-originel, un non-fait» et cela se situe au delà de l’expérience des sens. Le Nirvana est un état de paix et de réalité imperceptible à nos sens.

Le bouddhisme ne possède pas de Dieu créateur et par conséquent ne recherche pas l’union avec lui.

§ 3.4 Pythagore

Pour ce Grand Initié, je me permettrais de m’étendre davantage que pour les 3 précédents, car parmi les multiples organisations initiatiques, dont la Maçonnerie revendique l’héritage, une de celle les plus fréquemment citée est l’ « ordre pythagoricien ».

D’ailleurs, certains des anciens documents appelés « Old Charges » vont même jusqu’à mentionner que Pythagore a introduit la Maçonnerie en Europe et vous comprendrez, plus avant, pourquoi la Maçonnerie lui est si proche.

La doctrine de Pythagore était basée sur une science expérimentale et accompagnée d’une organisation de vie. Son but n’était pas seulement d’enseigner la doctrine ésotérique à un cercle de disciples choisis, mais visait plus encore, d’en appliquer les principes à l’éducation de la jeunesse et jusqu’à la vie de l’état. Ce plan comportait la fondation d’un institut laïc, avec l’arrière pensée de transformer peu à peu l’organisation politique des cités à l’image de cet idéal philosophique.

C’est, disait-il, par la théorie et la pratique, par les sciences et les arts réunis, que l’on parvenait à cette harmonie magique de l’âme et de l’intellect avec l’univers.

Pour accéder à l’instruction du maître, tout élève devait passer par différents degrés dont le but était d’atteindre un état de l’âme proche de la perfection. Pour ce faire, pénétrons dans l’institut pythagoricien avec un novice (profane) et suivons son initiation.

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La mise à l’épreuve :Tout candidat devait subir un temps d’épreuve, d’essai et d’observation et, un beau matin, le « disciple en espérance » aboutissait dans une cellule triste et nue. Il disposait d’une ardoise et on lui ordonnait froidement de trouver le sens d’un symbole (comme par ex. que signifie un triangle inscrit dans un cercle). Il restait ainsi 12 heures dans sa cellule, avec son ardoise, son problème, sans autre compagnie qu’un vase d’eau et du pain sec…

Puis vient seulement l’initiation, relatée comme étant très longue. Le candidat était examiné selon ses mœurs, ses habitudes et ses comportements ; et ce n’est seulement qu’à la suite de cette nouvelle période d’observation qu’il devenait « Postulant » pendant une période de 3 ans au cours de laquelle il était examiné sur sa conduite, son endurance et ses relations sociales.

Le 1 er degré (auditeur)Ce n’est qu’à la condition que cet examen lui soit favorable qu’il pouvait commencer un « Noviciat » de 5 ans, pendant lequel il était nommé acoustique ou auditeur. Cela signifiait qu’il devait apprendre à se taire et savoir écouter. Cet apprentissage est, bien entendu, à mettre en perspective avec les pratiques maçonniques ou le novice est tenu d’observer les mêmes règles.

Le 2 ème degré (la purification)Il commence par un grand jour « le jour d’Or », car en ce jour Pythagore recevait le Novice dans la demeure du maître et l’acceptait solennellement au rang de ses disciples. De là, le sens d’ésotérique (ceux du dedans) opposé à celui de d’exotérique (ceux du dehors). C’est à ce moment que la vraie initiation commençait.

Le 3 ème degré (la recherche de la perfection et l’évolution de l’âme)A ses disciples du 3ème degré, à la suite de la phase de purification (pouvant prendre, pour certains, plusieurs années), Pythagore enseignait à la fois la cosmogonie (l'étude du système solaire, de sa formation et de son évolution future) puis progressivement, la psychologie ésotérique (L'étude de l'âme).

Déjà à cette époque, Pythagore enseignait le double mouvement de la terre. Il savait donc que les planètes issues du soleil tournent autour de lui ; que les étoiles sont autant de soleils gouvernés par les mêmes lois que le nôtre et savait aussi que chaque monde solaire forme un petit univers qui a sa correspondance dans le monde spirituel. Mais ces notions auraient bouleversé la mythologie populaire et les foules auraient taxé ses dires de sacrilèges. C’est pourquoi ses enseignements étaient tenus sous le sceau du plus profond secret.

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Quant à l’étude de l’âme, domaine sur lequel il y a tant à dire et dont mon propos de ce midi n’en est pas l’objet, est sans doute le domaine sur lequel Pythagore a apporté une des plus grandes lumières, qui ne cesse de briller encore de nos jours, tant elle est profonde et sublime à la fois.

Au cours de ses enseignements, il s’efforçait de présenter ses révélations aux exigences de la raison de ses auditeurs, notamment sur ce qu’était l’âme humaine. Était-elle une parcelle de la grande âme du monde, une étincelle de l’esprit divin ? Il expliquait que l’âme qui caractérise l’essence de tout homme, a dû évoluer pendant des millions d’années à travers une chaîne de planète et de règnes inférieurs, tout en conservant, à travers toutes ses existences un principe individuel qui la suit partout.

D’une manière générale, disait-il, l’âme doit passer par un état intermédiaire de purification et se débarrasser des impuretés de la terre avant de poursuivre son voyage. La vie céleste de l’âme, enseignait Pythagore, peut durer des centaines ou des milliers d’années selon son rang. Mais il n’appartient qu’aux plus parfaites, à celles qui ont franchi le cercle des générations, de la prolonger indéfiniment. Quant aux autres, elles sont amenées par une loi inflexible à se réincarner pour subir une nouvelle épreuve et s’élever à un niveau supérieur, ou tomber plus bas si elles venaient à défaillir.

La loi de l’incarnation et de la désincarnation dévoile le véritable sens de la vie et de la mort. Elle constitue le nœud capital dans l’évolution de l’âme. Il affirmait que la naissance terrestre était une mort au point de vue spirituel, et la mort une résurrection céleste. L’alternance des deux vies est nécessaire au développement de l’âme, et chacune des deux est à la fois la conséquence et l’explication de l’autre. Pythagore encourageait ses disciples en disant que quiconque se pénètre de ces vérités se trouve au cœur des mystères, au centre de l’initiation.

Le 4 ème degré [l’Epiphanie (manifestation de l’être sublime) et l’adepte]A cette hauteur, enseignait Pythagore, l’homme devient adepte. C’est le plus haut idéal humain. L’être qui a atteint ce niveau d’élévation, entre en possession de facultés et de pouvoirs nouveaux. Les sens internes de l’âme s’ouvrent, la volonté rayonne dans les autres. Par la domination de toutes leurs facultés, les adeptes exercent la grande maîtrise. Grâce à cette concentration merveilleuse, qui rassemble toutes les puissances de la vie, leur volonté en se projetant sur les autres, acquière une force presque illimitée, une magie rayonnante et créatrice. Ces hommes ont portés plusieurs noms dans l’histoire, se sont des Adeptes, de Grands Initiés, des génies sublimes qui métamorphosent l’humanité.

§ 3.5 Socrate

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Il affirmait qu’il ne savait rien, entendant par là qu’il vaut mieux une ignorance qui se connaît qu’une ignorance qui s’ignore.

On lui attribue aussi la maxime « connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux » ou encore « connais-toi toi-même et tu connaitras le Dieu qui est en toi ».

Il avait comme principe de commencer toujours à examiner les opinions de la personne avec qui il discutait et de l’amener progressivement à constater qu’elle est, en réalité, ignorante du sujet et qu’elle a besoin de s’instruire. Peu à peu, par le biais des questions et réponses contradictoires, il déstabilise l’interlocuteur l’amenant à reconnaître son ignorance.

Cette première phase du dialogue est appelée « ironie Socratique », parce que Socrate la manifestait en feignant l’admiration devant la réponse pleine d’assurance donnée à la question qu’il venait de poser concernant le Vrai, le Beau, le Bien et la Vertu.

De ces réponses, Socrate tirait aussitôt des déductions approuvées par l’interlocuteur, lesquelles finissaient par être en contradiction avec la définition initiale proposée.

Si l’interlocuteur était sincère et reconnaissait ses torts, en proposant une nouvelle définition, Socrate passait immédiatement cette nouvelle définition au crible de l’analyse. De là, résultait l’éclaircissement de la question et des réponses, qui étaient considérées comme des étapes de l’approche de la Vérité.

Cette seconde phase du dialogue est appelée « méthode de l’accouchement », grâce à laquelle Socrate parvenait à faire surgir les vérités qui se trouvent en chacun, à l’état latent.

Le principal objectif de Socrate résidait en la recherche de la vérité en toute chose et en chacun, à l’intérieur de lui-même, d’éclairer les êtres et de les rendre vertueux par une prise de conscience de la notion du bien et du mal.

Il affirmait que nul n’est mauvais volontairement, la méchanceté représente l’ignorance, car connaître le bien, c’est le faire. L’idée du bien existe dans l’âme, à l’état latent, il suffit d’en susciter le réveil pour y trouver la vérité.

La tempérance était pour Socrate l’une des premières vertus. Pour l’expliqué il disait : «si nous devions, dans le danger, choisir l’homme le plus propre à nous sauver, choisirions-nous celui que nous savons esclave de son ventre, du vin, des plaisirs de l’amour, de la mollesse ou du sommeil ?

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§ 3.6 Jésus

La vie de Jésus, ses miracles, les paroles qu'il a prononcées, sa mort, sa résurrection, son ascension au ciel, tout indique que Jésus n'était pas qu'un simple homme ; il était manifestement un Grand Initié. Jésus a clairement changé le cours de l'Histoire. Même la date sur votre journal témoigne du fait que Jésus a vécu sur la terre il y un peu plus de 2000 ans…

Pour comprendre une parcelle de sa philosophie, correspondante au propos que je souhaite développer ce midi, j’ai choisi de vous présenter les textes suivants :

« Un homme s'approcha de Jésus et lui demanda : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Pourquoi m'interroges-tu au sujet de ce qui est bon ? Un seul est bon. Si tu veux entrer dans la vie éternelle, obéis aux commandements de Moïse. » (Matthieu 19.16-17 ; 25.46) .

« Le premier, c'est : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ! »

Voici le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là. (Marc 12.29-31)».

L'apôtre Paul compléta le message du Jésus en disant : « Celui qui aime autrui a, de ce fait, accomplit la loi. En effet, le précepte se résume en ces mots : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain. La charité est donc la loi dans sa plénitude» (Romains 13.8-10).

Jésus est certainement le plus important promulgateur, en Orient et en Occident, de la fraternité et de la charité universelle.

En outre, dans le sermon sur la montagne, plus particulièrement dans les Béatitudes (Luc 6, 20-23), il énonce l’essence même de sa philosophie. On peut imaginer aisément que, si les hommes l’avaient un temps soit peu suivi, nous n’aurions pas eu tant de guerres et de malheurs dans ce monde. Ecoutez plutôt :- "Ne résistez pas à celui qui vous veut du mal » - "Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre"- "Ne condamnez pas les autres, pour ne pas être vous-mêmes condamnés".- et la version de Jésus de la Règle d'or. "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse".

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D’aucuns pensent que, le sermon sur la montagne est une sorte de commentaire au sujet des dix commandements.

Pour différents penseurs religieux et moraux tels que Léon Tolstoï et Mahatma Gandhi, le « sermon sur la montagne » contient les principes centraux de l'observance morale chrétienne.

§ 3.7 Apollonius de Tyane

Apollonius est un philosophe néopythagoricien, prédicateur et thaumaturge (faiseur de miracles de guérison) du I er siècle de l'ère chrétienne, né en l’an 16 ap. J.-C. à Tyane en Cappadoce et mort à Éphèse en 97 ou en 98.

Il fut comparé à Jésus de Nazareth, en quelque sorte un « Christ païen » : il eut des disciples et fit des miracles.

Sa légende a été popularisée par la Vie d'Apollonios de Tyane, une biographie romancée rédigée par Philostrate l'Athénien deux siècles après sa mort. Sa légende vivante dura jusqu'à la chute de l'empire romain.

Selon la légende il était aussi capable d'être vu à deux endroits différents au même moment. On appelle ce phénomène : bilocation ou ubiquité.

On lui attribue des miracles. Les cas relatés se rapportent surtout à la guérison de malades. A Rome, il fut banni par l'empereur Néron en tant que magicien après avoir fait ressusciter une jeune fille. II lisait dans les pensées et avait un don de prophétie.

On signale également à son propos, un don de prescience. II refusa de s'embarquer sur un bateau, qui fit naufrage. Il eut une vision à distance d'un temple incendié à Rome. À Éphèse, le 18 septembre 96, devant ses disciples, il entra en transe criant « Frappe le tyran ! », alors qu'au même moment, l'empereur Domitien, véritable oppresseur, était assassiné à Rome, à l'instigation de sa femme Domitia et du préfet du prétoire. Il interprétait les songes. II eut de nombreux disciples imitant son mode de vie, mais n'a jamais fondé d'École. Il était végétarien, menant une vie ascétique et d’abstinence. Parmi ses disciples, on peut citer Musonius et Démétrius à Rome.

Apollonius disait en citant Pythagore que : 1'art le plus divin est celui de guérir. Mais si l’art de guérir est si divin, il doit s'occuper de l'âme autant que du corps , car nul être n’est sain, lorsque ce qu'il y a de supérieur en lui, est malade. Il s’occupait donc aussi de la guérison et de l’élévation des âmes.

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Sans nul doute, pouvait-il être compté parmi les rares ayant atteint le rang d’ « adeptes » [au sens du latin « adeptus » (qui a acquis)]. Titre donné à un alchimiste ayant acquis la pierre philosophale. A ce stade, si pur et si élevé, l’homme possède une énergie surnaturelle et entre en possession de facultés et de pouvoirs nouveaux. Les facultés internes de l’âme s’éveillent, son magnétisme corporel acquiert une puissance en apparence miraculeuse. Dans un tel état, parfois cet être là, peut guérir des malades par l’imposition des mains ou par sa seule présence. Parfois, il pénètre la pensée des hommes par un simple regard. Quelquefois à l’état de veille, il voit des événements qui se produisent au loin. On a entendu parler de certains qui ont atteint ce niveau d’élévation de l’âme. Apollonius de Tyane en était certainement un, Jésus en était certainement un autre.

§ 3.8 Mahomet

Mahomet est le fondateur de l'islam. Dans le monde musulman, essentiellement au moyen oriental et en extrême oriental, il est reconnu comme le prophète envoyé par Dieu et comme le dernier des prophètes monothéistes au sens où il termine le cycle de la révélation abrahamique. Il est né à La Mecque en 570 et mort à Médine en 632.

Ses biographies rapportent qu'il récitait à ses premiers compagnons les versets du Coran qu'il présentait comme la parole même de Dieu (Allah), transmise à lui par l'Archange Gabriel, lors de ses retraites dans une grotte du désert. Il reçut ses révélations alors qu’il ne savait ni lire ni écrire et vierge de toutes connaissances. Il fut ainsi un réceptacle idéal de la révélation divine.

Il était reconnu par ceux qui le côtoyaient, comme étant d’une vertu irréprochable, vivant dans une grande droiture et intégrité.

Il exhorta jusqu’au bout ses compagnons à pratiquer la justice, la bienveil-lance et le pardon (philosophie, aux antipodes des dérives islamistes, qui n’ont, bien entendu, aucune commune mesure avec l’Islam du prophète Mahomet).

Chaque fondateur d’une nouvelle tradition ou doctrine philosophique ou mystique rendue publique, que ce soit Moïse, Jésus ou Mahomet; chaque message divin est porteur du même message fondamental universel, mais il est réajusté en sa forme, en fonction de l’époque ou du caractère des peuples qui le reçoivent.

Mahomet, tout comme Jésus, interpelle d’abord son propre peuple, bien qu’il soit l’un et l’autre chargé d’un message à portée spirituelle universelle.

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Enfin, le mot Islam désigne « soumission à Dieu et Paix ». Les rituels de la foi musulmane reposent sur la pratique des cinq «piliers».

– la profession de foi «Il n'y a de Dieu que « Allah » et Mahomet est son Envoyé».

– la prière quotidienne (salah)

– le jeûne du mois de Ramadan.

– l'impôt islamique (zakat).

– le pèlerinage à la Mecque (hadj).

§ 4. Dénominateur commun entre la philosophie maçonnique et celles des Grands Initiés

L’essence de la philosophie maçonnique, comparée à celles des quelques Grands Initiés que nous venons de décrire brièvement, nous force à constater que toutes ces philosophies convergent et sont en concordance fondamentale les unes avec les autres. Toutes celles-ci sont le reflet d’une seule et même vérité, que se propose également de rechercher la Franc-maçonnerie.

S’il devait y avoir un mot caractéristique, un véritable dénominateur commun entre toutes ces philosophies, religions, cultures du monde et dans lequel se fonde également l’essence de la Franc Maçonnerie, cela pourrait bien être l’expression même de l’« AMOUR » et tout le sens que « AIMER » peut prendre dans la relation avec autrui.

L’AMOUR pouvant être compris aussi, comme une loi morale fondamentale dont le principe se retrouve dans pratiquement toutes les philosophies et toutes les grandes religions.

Ce principe est souvent énoncé comme la « Règle d’Or ». Elle se résume simplement par : "Traite les autres comme tu voudrais être traité".

Il est intéressant de comparer ce que les principaux philosophes et religions de l'histoire ont énoncés au sujet de cette loi morale en particulier :

Voici quelques citations, non parfaitement traduites peut être, mais mettant néanmoins en évidence, une idée très ressemblante :

Bouddhisme : « Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante. » (environ -500)

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Confucianisme : « Ce que tu ne souhaites pas pour toi, ne l'étends pas aux autres. » Rappelons que Confucius est un personnage qui a largement marqué la civilisation chinoise (environ -550).

Taôisme (philosophie et religion Chinoise) « Le sage n'a pas d'intérêt propre mais prend les intérêts de son peuple comme les siens. Il est bon avec le bon ; il est également bon avec le méchant, car la vertu est bonne » dans Dao De Jing, Chapitre 49 (environ - 600).

Hindouisme : « Ceci est la somme du devoir; ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent. » dans Mahabharata (5:15:17) (environ -500)

Islam : « Aucun d'entre vous n’aime vraiment, tant qu'il n'aime pas pour son frère, ce qu'il aime pour lui-même. » Mahomet (570-632), dans Hadith Nawawi 13.

Judaïsme : « Tu ne te vengeras pas, ou tu ne porteras aucun grief contre les enfants de ton peuple, tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Torah, dans Lévitique 19:18.

Christianisme: « Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi, de même. » Jésus, dans Matthieu 22:39, et aussi Luc 10:27.

§ 5. Conclusions

Si l’on se replace au début de mon exposé, on peut facilement se rendre compte que l’essence de la Franc-Maçonnerie, qui consiste à aimer la paix et la bienveillance, à être un homme de bien, habité par une soif, non pas de vérité, mais de sens ; tout ceci n’est autre que ce qu’enseignaient, sans exception, tous les Grands Initiés que j’ai brièvement évoqués.

Loin d’imposer nos points de vue, notre ambition se veut simplement de rechercher la paix et de concilier les hommes afin que dans une fraternité universelle (encore malheureusement trop peu présente), nous puissions progresser dans l’AMOUR apprenant de mieux en mieux à traiter les autres comme nous aimerions être traités et ainsi appliquer l’essence même de la philosophie maçonnique, dans une pratique de tous les jours.

Ce n’est évidemment qu’à ce prix, en tendant à pratiquer la probité et la vertu, dans notre propre vie, qu’il nous sera peut-être un jour permis d’accéder aux vérités encore invisibles, mais qu’ont déjà connues et goûtées, les Grands Initiés.

Arcangelo U.

Page 125: Livre de l'Apprenti Macon 01

De l'éthique en général et de l'éthique maçonnique en

particulier

L’Éthique est un ensemble de règles de conduite et de comportement qui

permettent aux individus de vivre selon des normes acceptées et nécessaires au

bon fonctionnement de la société. Aucune société ne peut se passer d’une Éthique

qui constitue un ensemble de normes et de références communes. Ces normes se

rapportent à la façon avec laquelle nous devons organiser de manière satisfaisante

notre vie en société. Ainsi, une vie sans Éthique est une vie sans fondement et

sans signification. Elle ne peut être vivable, car comment peut-on vivre sans que

notre vie ne soit subordonnée à des fins qui nous dépassent et qui constituent

notre Être social, un Être en devenir.

Bien que l’Éthique peut varier d’une société à une autre et d’une époque à une

autre, elle varie également dans sa signification philosophique. Pour Aristote

(discipline de Platon), le bonheur et le but de la vie, Dans L’Ethique à

Nicomaque (fin du IVe siècle), Aristote considère la quête du bonheur comme

Page 126: Livre de l'Apprenti Macon 01

une activité propre à l’Homme. C’est ce qu’on peut appeler la philosophie

hédoniste. A côté, il y a également le stoïcisme, philosophie développée vers 300

av. J.-C et selon laquelle seule une vie menée en harmonie avec la nature peut

être bonne. Les stoïciens recommandent à chacun de s’affranchir de l’emprise

des forces matérielles et de s’en rendre indépendant. Pour cela, il faut une sagesse

pratique, du courage et du discernement.

Les règles éthiques, quelles qu’elles soient sont donc au fondement de l’action

humaine, en tant qu’elle est énergie orientée et sous-tendue par un projet. Ces

règles supposent bien entendu la liberté individuelle, celle de concevoir,

d’entreprendre et d’édifier. Mais la liberté n’est pas l’absence de règles. Pour que

notre liberté soit constructive, elle doit être subordonnée à l’éthique de la

conscience, conscience de nos capacités, mais aussi de nos limites. Cela implique

un effort renouvelé de perfectionnement intellectuel et moral, et de coopération

avec les autres. Cette liberté doit être également subordonnée à l’éthique de la

responsabilité, d’abord à l’égard de nous-mêmes, puis à l’égard des autres et de

Page 127: Livre de l'Apprenti Macon 01

l’universel. C’est ce que Socrate appelle la vertu. Pour ce dernier, l’éducation du

citoyen doit être axée sur l’enseignement de la vertu en développant le sens de

l’éthique chez les hommes et les femmes.

Pour sa part, la Franc-Maçonnerie nous donne des outils qui nous aident à aller à

la recherche de nous-même pour travailler notre pierre brute. Elle n’exige pas de

nous qu’on renonce à ce que nous sommes, ni à notre liberté. Elle nous dit qu’on

peut s’améliorer, à condition qu’on se pense comme des êtres autonomes,

responsables et raisonnables ; des êtres qui doivent laisser parler leur cœur et qui

doivent travailler à leur propre édification. Certes, les Francs-Maçons sont des

êtres sociaux qui ont des appartenances culturelles, religieuses et politiques, mais

ils doivent cependant se déprendre de leurs appartenances particulières. Ils

doivent se penser comme faisant partie de l’humanité et d’abord comme

appartenant à la communauté des Francs-Maçons, la communauté de ceux qui

ont décidé en toute connaissance de cause de se consacrer au travail personnel

dans un environnement spécifique.

Page 128: Livre de l'Apprenti Macon 01

Le second aspect de la philosophie maçonnique concerne le travail, la vertu de

l’effort et la persévérance. Richard Dupuy écrit: "Nous croyons dans l’efficacité

de l’effort et dans la vertu du travail. Nous croyons dur comme fer que par son

effort et par son travail, l’homme est capable de surmonter toutes les épreuves

qui lui sont destinées dans un monde à sa mesure et dont il est partie totale": c’est

ce que cet auteur appelle "la philosophie du Meiester". Dans la Maçonnerie

symbolique, ce travail consiste dans la recherche de la Vérité, recherche qui ne

veut pas dire qu’il y aurait des vérités toutes faites que le Franc-Maçon devrait

découvrir. D’une certaine manière, le Franc-Maçon est un chercheur de vérité

sans carte ni cadre préétabli, ni guide rédigé, sans maître qui saurait la vérité, ni

gourou capable de tenir la main. Il cherche lui-même Sa vérité en traçant lui-

même les cartes des territoires inconnus qu’il veut explorer, en utilisant la

"méthode maçonnique".

La recherche de la vérité est en réalité une quête permanente pour laquelle le

Franc-Maçon s’appuie sur ses Frères de la Chaîne. Dans La Franc-Maçonnerie et

Page 129: Livre de l'Apprenti Macon 01

ses principes, énoncés par le Grand Orient de Suisse, on peut lire ceci: "Les

Francs-Maçons n’acceptent aucune entrave et ne s’assignent aucune limite dans

la recherche constante de la vérité et de la justice". Cette quête implique les

voyages et la recherche; elle est soutenue par une éthique du nomade, du

voyageur et du passant dans la vie. Par le travail sur soi-même d’abord et avec

l’aide de ses Frères, le Franc-Maçon surmonte les épreuves et se libère des

fausses certitudes. Par la pratique de l’art de la Pensée, il peut construire

patiemment l’édifice de ses propres convictions. En quelque sorte, il bâtît lui-

même son temple intérieur. Liberté et construction sont deux idées essentielles

dans la Franc-Maçonnerie.

A l’instar de la philosophie antique, telle que la concevait Socrate et qui se

confond avec la pratique de la vertu, le sens véritable de la Franc-Maçonnerie

c’est qu’elle se confond avec une ascèse et une Ethique. C’est en fait un genre de

vie, une manière d’être et se comporter, une Ethique déterminée par le désir de

connaissance, mais d’une connaissance qui s’acquiert par une manière d’être au

Page 130: Livre de l'Apprenti Macon 01

monde (être Fran-Maçon c’est apprendre à passer du verbe avoir au verbe être).

C’est l’union du savoir et de la vertu, de la connaissance et de la vie. C’est en

cela que la Maçonnerie rejoint la philosophie antique où la philosophie avant

d’être philosophie était d’abord un "genre de vie philosophique", une sorte

d’aspiration constante à la perfection et à la sagesse.

De même que la philosophie est amour de la sagesse (Philo-Sophia), la

philosophique maçonnique est amour de la vérité en tant que recherche et

construction au moyen de la méthode a-dogmatique. Si le philosophe est par

vocation un éducateur dont la mission est de cultiver et élever les esprits afin de

les rendre plus vertueux, le Franc-Maçon est un bâtisseur qui construit son temple

intérieur en utilisant les outils symboliques. En association avec ses Frères, il

s’efforce de construire une société meilleure où les êtres humains peuvent, par

leur effort personnel, atteindre la sagesse, du moins s’en rapprocher. Le Franc-

Maçon poursuit l’édification du Temple symbolique et universel, jamais achevé

et mille fois recommencé.

Page 131: Livre de l'Apprenti Macon 01

Ainsi, loin de participer d’une philosophie pessimiste ce qui pourrait sembler être

le cas selon certains, la Franc-maçonnerie s’inscrit dans la perspective d’une

philosophie optimiste. L’homme peut et doit s’améliorer parce qu’il peut être

meilleur que ce qu’il est. Dans le prolongement de l’humanisme, la Franc-

maçonnerie est une philosophie de progrès, qui rassemble des hommes de bonne

volonté, ceux qui ont fait le choix libre de travailler ensemble pour leur propre

amélioration et celle de l’humanité. A l’image de l’humanisme d’Érasme, la

Franc-maçonnerie exprime une prise de position philosophique pour l’homme

contre toute forme d’oppression intellectuelle, morale ou politique, une prise de

position pour un homme libre, responsable et de bonne mœurs qui a décidé de se

consacrer à sa propre élévation. Elle exprime donc un optimisme profond dans la

capacité de l’homme de s’améliorer par le travail incessant en vue d’atteindre un

idéal lointain. Dans cette perspective, la Franc-Maçonnerie rejoint la philosophie

antique qui est d’abord un travail sur soi : connais-toi toi même. La Franc-

Page 132: Livre de l'Apprenti Macon 01

Maçonnerie est à la fois une méthode de recherche de la vérité, mais elle est

également une méthode de transformation du monde par la démarche initiatique.

En conclusion, l’Éthique maçonnique, c’est l’effort, le travail, la persévérance et

la recherche méthodique de la meilleure voie d’accès à la vérité profonde des

Êtres que nous sommes. Cette quête est constitutive de notre identité de Francs-

Maçons. C’est parce que nous sommes à la recherche de nous-mêmes que nous

avons l’obligation de travailler à l’édification du Temple universel où régneront

la paix, l’harmonie et la fraternité. C’est pour cela que nous sommes et

demeurons les « Enfants de la veuve » ; notre devoir est de travailler

inlassablement et assidûment en vue de cet objectif. C’est là une des

significations les plus profondes de l’Éthique maçonnique que nous avons reçu

avec notre Initiation et que nous devons transmettre intacte à ceux qui viendront

nous rejoindre dans la Chaîne d’Union.

Des religions à la fraternité

Page 133: Livre de l'Apprenti Macon 01

Au commencement était le Verbe.

Et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.

Ce Prologue de l’Evangile de Jean nous apprend qu’au commencement Dieu créa

notre Univers.

Cette interprétation de nos origines est la base de l’histoire de la plupart d’entre

nous, mais elle n’est qu’une des innombrables explications que l’on a essayé de

donner à l’inexplicable.

Cette appréciation n’est cependant que personnelle et le propos de cette planche

n’est pas de prouver quoi que ce soit. Elle a pour but d’inventorier succinctement

et sans entrer dans les détails les principaux courants religieux pratiqués; de

susciter votre réflexion et peut-être l’émergence d’une autre voie.

Certes, il est plus facile de croire que de ne pas croire. Mais nous sommes

Francs-Maçons et l’un de nos devoirs est de rechercher la vérité. Non pas celle

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d’un passé multimillénaire dont les contradicteurs ne manquent pas, mais celle

qui fera se rapprocher demain, le genre humain.

Car à mon sens, il ne sera jamais possible de mettre l’ensemble de notre planète

d’accord sur une croyance.

Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux, par gain de paix comme disent les juristes, ou

simplement par gain de temps puisque les jours nous sont comptés, d’utiliser une

tangente ou une voie médiane permettant à chacun de vivre en harmonie dans

notre monde clos.

Des Religions

Un nombre incalculable de Religions a été créé par nos ancêtres et quelques

directions qu’elles prirent, elles n’ont cependant pas créé de races nouvelles. La

race humaine est en effet la seule que nous connaissons et le lien qui unit tous les

hommes et les femmes de notre terre, croyants ou non, reste fait de chair et de

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sang. S’il y a des Religions, il ne peut y avoir qu’une seule Fraternité. Existe-t-il

un chemin qui mène vers l’autre ? Tel est le sujet de ma planche de ce midi.

Selon le Larousse, du latin religio (étymologiquement : recueillir et relier), la

religion est l’ensemble de croyances et de dogmes définissant le rapport de

l’homme avec le sacré ; c’est aussi l’ensemble de pratiques et de rites propres à

chacune de ces croyances. La religion évoque en moi, mes racines, je suis né

catholique par ma Maman, j’aurais pu naître musulman ou bouddhiste, c’est un

peu comme Maxime Le Forestier qui nous chante:

« On ne choisit pas ses Parents, on ne choisit pas sa Famille. Etre né quelque part,

c’est toujours un hasard ».

Les souvenirs de mon enfance me rappellent le petit costume cravate dont

Maman me revêtait pour nous rendre à l’Eglise. Les repas de familles qui

succédaient obligatoirement aux cérémonies de baptêmes, des premières

communions, des mariages.

Page 136: Livre de l'Apprenti Macon 01

Dans mon école à Genève et paradoxalement, l’étranger n’était pas le petit

vaudois ou le petit italien, il était d’abord le Protestant. Dans mon esprit d’alors,

ce qualificatif avait pour moi une connotation particulière, confortée par le temps

mort qui suivait régulièrement la réponse de l’élève dissident à son professeur :

Comment pouvait-on être protestant ?

J’avais été éduqué, j’étais sûr de ma croyance. Rien d’autre ne pouvait exister.

Ce rejet de la différence est propre à notre environnement : nous naissons dans un

système et sans comparaison avec l’extérieur, nous restons murés dans nos

certitudes.

« L’homme n’est naturellement ni bon, ni méchant. Il est les deux. Parce qu’il est

libre ».

En reprenant cette phrase de Jorge Semprun, survivant de Buchenwald, je me

demande si ce n’est pas cette liberté naturelle que les Religions n’ont eut cesse de

contrôler au travers l’enseignement de leurs préceptes.

Page 137: Livre de l'Apprenti Macon 01

Sans les Religions, les peuples s’entredéchireraient. La majorité d’entre nous

préfère sans doute, se soumettre à une Loi qui lui impose de ne pas tuer plutôt

qu’à une autre qui autoriserait un carnage.

Pourquoi des Règles religieuses alors que les Lois civiles tendent au même

résultat.

Ce paradoxe tient uniquement de l’espérance.

Les Lois civiles règlent notre vie de tous les jours. En supposant que les Lois

soient scrupuleusement respectées par tous, elles ne règlent que le quotidien et

imposent un respect de vie communautaire.

Les Religions transcendant une entité supérieure, incorporent dans leurs dogmes

la promesse d’une vie meilleure dans une autre dimension.

Dans ce bas monde, il me semble évident que la réalité profane ne peut rivaliser

avec les promesses divines.

Page 138: Livre de l'Apprenti Macon 01

Il est assez remarquable de constater que pour ce qui est du divin, hormis

l’indouisme dont les origines ne sont pas clairement définies, toutes les religions

se réfèrent à des hommes fondateurs.

Bien sûr, comme au théâtre, le souffleur n’était pas loin!

Le Confucianisme est né en Chine par l’avènement de Confucius (K’ong-Tseu)

en 500 avant J.-C. Il apparaît une centaine d’année après le Taoïsme des

philosophes Lao-Tseu et Tchouang-Tseu.

Les Bouddhistes ont fait confiance à Siddhârta Gautam (600 avant J.-C.)

L’Islam à Mohammad le Prophète, l’Envoyé de Dieu (570 après J.-C.)

Les trois patriarches Abraham, Isaac et Jacob (1300 avant J.-C.) sont Pères du

peuple d’Israël et Jésus de Nazareth le Christ (du même siècle que notre ami

Jules César.) fondateur du christianisme.

Page 139: Livre de l'Apprenti Macon 01

L’hindouisme n’a pas de fondateur connu, et son origine remonterait aux Sages

inspirés de tribus indo-aryennes installées dans le nord de l’Inde il y a plus de

3000 ans. Il semblerait donc qu’il s’agit d’hommes dont on ne connaît pas leurs

noms.

Le Taoïsme, philosophie fondée sur le tao, principe du macrocosme qu’est

l’univers et du microcosme qu’est le corps humain, et le Confucianisme qui

considère que l’Homme doit être le lettré vivant en conformité avec la vertu et

donc, par là même, celui qui a compris le monde, sont encore pratiqués dans

l’archipel du Japon et beaucoup moins en Chine puisque considérés comme

politiques réactionnaires depuis l’instauration de la république populaire.

Ces deux théories peu connues sous nos latitudes mériteraient une plus grande

attention de notre part, puisqu’elles prônent le perfectionnement de l’Homme par

lui-même et non par une puissance supérieure.

Page 140: Livre de l'Apprenti Macon 01

Les préceptes bouddhistes et hindouistes sont principalement des règles de vies et

structurent la société. Ils portent sur l’impermanence des choses, la rétribution

des actes, le cycle des renaissances ou réincarnation.

Ces deux religions sont extrêmement tolérantes envers les autres croyances et

reconnaissent la diversité des voies qui conduisent au Dieu personnel et à travers

lui, à l’absolu insondable.

Plus proche de nous, l’Islam, les Chrétiens et les Juifs, tiennent leurs préceptes de

racines identiques qui remontent aux écrits des prophètes juifs du 13ème siècle

avant J.-C.

Si les 114 sourates du Prophète Muhammad inspirent toute la vie religieuse et

sociale des musulmans, la vie juive est marquée par l’attachement à un Peuple, à

une Terre et à une Loi, la Tora et ses 613 commandements. Les Chrétiens sont

guidés par les Prophètes d’Israël et croient en Jésus-Christ, Verbe incarné de

Dieu, venu au monde pour libérer l’humanité du mal et de la servitude.

Page 141: Livre de l'Apprenti Macon 01

De ces cinq religions, toutes ont subi des courants divergents, et toutes doivent

mener le croyant à un nirvâna, à la délivrance, à la vérité, au salut éternel, ou à

l’ère messianique libre de violence et d’affrontements, où régnera la justice pour

tous.

Pour atteindre ces objectifs, on y enseigne le respect de la vie, de la propriété, le

refus de la sexualité désordonnée, l’abstinence de boissons enivrantes et de

certains mets, la charité, la moralité, la patience, l’énergie, la méditation et la

sagesse, la bienfaisance, l’assistance aux proches, l’interdiction de la turpitude,

de l’oppression et de l’injustice, on y enseigne la mesure, la bienséance, la

générosité, le pardon des offenses, le souci de la vérité et l’amour de son

prochain comme de soi-même sans oublier l’étranger.

A l’énoncé de ces préceptes, notre terre devrait être un jardin.

L’Amour et la Solidarité devraient être nos Maîtres.

Page 142: Livre de l'Apprenti Macon 01

A l’aube de ce troisième millénaire, nous avons certainement dû manquer un

épisode!

Le prosélytisme des uns, l’intransigeance des autres, transforme régulièrement

des régions entières en cimetière.

« Question à Dieu : Etait-il possible de faire autrement?

Faut-il toute cette cruauté, toute cette barbarie, toute cette souffrance?

L’horreur était-elle une nécessité? »

Les religions derrière leurs apparences, sont soucieuses de conserver leur

pérennité. Elles ont des missions à accomplir.

Pour ce faire, elles ont agi et agissent comme des potentats. Leurs étatisations,

consécration suprême, ont eu et ont des conséquences dramatiques à l’intérieur

comme à l’extérieur des pays.

Page 143: Livre de l'Apprenti Macon 01

Quand bien même un certain œcuménisme tente quelques rapprochements,

l’heure n’est pas à la réconciliation, mais on pourrait y rêver un instant.

En revenant sur notre histoire et ce qu’elle nous enseigne, on ne peut que

constater le fossé qui sépare les bonnes intentions littéraires des réalités de ce

monde.

L’avidité, l’orgueil, la convoitise règnent en maîtres.

Que faut-il donc à notre humanité pour que nous puissions enfin réaliser de notre

vivant, ce que les Religions promettent dans l’éternité ?

« L’une des caractéristiques fondamentales de l’humanité est la recherche d'un

sens à la vie.

Les questions sont universelles, les réponses sont culturelles ».

Imaginons un instant qu’il n’existe pas de paradis ailleurs. Qu’il se trouve en fait

sur notre terre et qu’il subit immédiatement les conséquences de nos actes.

Page 144: Livre de l'Apprenti Macon 01

Imaginons que les hommes ne peuvent plus se cacher derrière un pardon futur ou

un sauveur attendu.

L’homme aurait-il besoin de croire dans une Religion ?

La Religion des hommes ne lui suffirait-elle pas ?

Quel sang coule donc dans nos veines pour que nous ayons oublié notre

Fraternité.

La Fraternité

Lorsque dans une famille, la séparation ou l’éloignement survient et qu’il dure

suffisamment longtemps, l’oubli s’installe. Les souvenirs s’estompent. Les

origines, les racines disparaissent.

Il en est de même de notre race.

Nous avons oublié que nous avions de la Famille aux antipodes. Et pourtant leur

sang est semblable au nôtre et seul le soleil a changé leur peau. L’évolution de

Page 145: Livre de l'Apprenti Macon 01

leur mode de vie a été différente de la nôtre. Tout nous a différencié. Seule notre

constitution rappelle notre communauté. Isolés dans des régions disséminées, les

siècles nous ont séparés.

Le temps a aujourd’hui réparé ces erreurs. Il nous permet de nous retrouver.

A nous maintenant de nous reconnaître et cessons de penser que notre venue va

leur apporter le bien-être de notre civilisation.

Nous avons tout à apprendre l’un de l’autre.

Tout cela ne pourra se faire qu’en dehors de toutes idées préconçues. Hors de

toutes pressions dogmatiques.

Comment aller vers l’autre bien ancré dans ses croyances sans être considéré

comme un prédateur mais comme un Ami?

La thématique de philosophes d’aujourd’hui parle de « conflits de civilisations ».

Page 146: Livre de l'Apprenti Macon 01

Jean-François Revel nous dit : « Les échanges entre civilisations ne sont féconds

pour toutes qu’à la condition qu’aucune d’entre elles ne cherche à propager chez

les autres une quelconque foi religieuse ou politique. Le communisme fut une foi

politique encore plus répressive que ne l’avaient été les fois religieuses en leurs

pires excès.

Seule la liberté peut transformer les conflits en coopération et en fécondation

réciproques. C’est pourquoi l’histoire nous montre, depuis des milliers d’années,

de nombreuses sociétés qui sont multiculturelles, pour le plus grand bien des

civilisations qui les composent. »

Mais les violences auxquelles nous assistons par chance à distance depuis notre

Suisse, sont-elles le résultat d’un refus ou d’incapacité d’évolution de certaines

croyances?

Page 147: Livre de l'Apprenti Macon 01

Si je limite ma réflexion aux simples pratiques musulmanes et chrétiennes, je

constate que chacune de ces deux religions sont composées de deux mouvements

absolument distincts.

D’un côté nous avons des groupes fervents de tolérance et d’amour et de l’autre,

les extrémistes du mouvement.

Chacun de ces groupes utilise le groupement tolérant pour pénétrer

pacifiquement le lieu d’engagement. L’intolérance vient ensuite.

Cette politique fonctionne. Elle fonctionne tellement bien que nous sommes

aujourd’hui, arrivés à accepter la religion de l’autre sans connaître véritablement

ses buts ultimes.

Je ne peux accepter cette issue. Je ne peux accepter que l’on impose une croyance

qui prêche la virginité de la mère d’un humain. Pas plus que je n’accepte l’unicité

d’une religion imposant le rabaissement de la femme, sans lesquelles nous

n’existerions pas.

Page 148: Livre de l'Apprenti Macon 01

Une religion dans mon esprit, ne peut être que divine. Hors, toutes celles que l’on

nous propose ont été créées par des hommes.

Je ne crois donc à aucune religion.

Quand je regarde devant moi, je ne vois que des hommes, quand je me retourne,

je ne vois que des hommes, rien que des hommes. Pas d’anges divins, pas de

dieux, pas d’éléments surnaturels, rien que des hommes.

La solution à nos problèmes ne peut donc venir que par les hommes et non pas

par des croyances en des entités imaginaires.

Lorsque les premiers maçons philosophes se sont réunis, ils ont créé un

environnement propice à une solution universelle : la Fraternité.

La pression religieuse permanente à l’époque des premiers maçons leur a fait

imaginer une nouvelle appellation de l’insondable : le Grand Architecte de

l’Univers. La définition passe-partout et universelle de notre G.A.D.L.U. permet

Page 149: Livre de l'Apprenti Macon 01

le nivellement des difficultés liées à la croyance. Chacun sur notre terre peut se

retrouver en Lui.

En politique on dirait : à la lutte des classes, les maçons ont substitué le mélange

des classes.

Alors que les religions d’une manière générale utilisent leurs symboles et leurs

rituels pour imposer leur façon de penser, notre Fraternité les utilise dans un

esprit d’ouverture.

Point de dogme, point de promesse, uniquement des outils que l’on peut toucher,

palper, utiliser.

La force du maillet, la précision du ciseau, les justes répartitions de la règle, la

droiture du niveau, rien d’extraterrestre dans l’explication de nos symboles.

Pas d’icône auréolée dans nos ateliers, mais un compas qui nous relie à tous nos

Frères et une équerre qui nous rappelle nos devoirs.

Page 150: Livre de l'Apprenti Macon 01

On pourrait dès lors comparer notre Fraternité à une Religion (recueillir et

relier…). Il me plaît en effet à m’en convaincre régulièrement et la réponse

souvent me brûle les lèvres quand on me demande quelle est ma religion !

Je pense en effet que si notre différence réside dans l’absence de dogme, ce qui

dans les faits nous interdit heureusement l’utilisation de cette appellation, dans

les actes, notre engagement personnel devrait être comparé à un sacerdoce.

La Franc-Maçonnerie possède dans ses enseignements la clef de la

reconnaissance universelle.

Les religions divisent. Laissons de côté ce qui divise et cherchons ce qui unit.

Laissons de côté ce qu’un rédacteur du journal Le Monde appelle une sorte de

pathologie de la certitude qui peut conduire des individus ou des sociétés à tous

les extrêmes au nom de la foi.

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Cependant, avant de se lancer dans cette reconnaissance, ne devrions-nous pas

nous demander si nous sommes vraiment prêts à entreprendre cette « croisade »,

substantif cher à notre ami George Double You.

L’élément de base de notre Fraternité est un homme libre, avec tout cela

comporte de défauts et de qualités.

Microcosme du monde profane, nous nous plaisons à nous considérer comme

membre dûment sélectionné, choisi et accepté par un groupement qui se veut

élitiste.

Cela induit des responsabilités.

La première responsabilité que je conçois, est le respect de son Frère.

Comment prêcher la Fraternité au monde profane, si elle ne règne

qu’imparfaitement dans nos ateliers.

Page 152: Livre de l'Apprenti Macon 01

Il ne peut y avoir d’ennemi dans notre Fraternité. Si l’incompréhension perdure,

il doit y avoir rupture car nous n’avons qu’un seul but, commun à tout maçon.

La deuxième responsabilité est l’engagement.

L’initiation n’est que la première étape de toute vie maçonnique. Elle n’est pas

une fin en soi, mais le recommencement, une nouvelle naissance. L’assiduité aux

réunions n’est que l’apparence extérieure que tout Franc-Maçon peut donner

aisément, elle ne fera pas de lui nécessairement un bon maçon. En plus il doit

s’engager à travailler sa pierre en effectuant des recherches sur tout ce qu’il ne

comprend pas. La compréhension du monde profane, passe par la connaissance

parfaite du monde maçonnique.

La troisième responsabilité est la prise en charge.

Accepter un nouveau Frère est une très lourde responsabilité. De même qu’un

atelier ne pourra initier que si sa structure permet son instruction, un parrain ne

prendra pas d’apprenti s’il n’a pas de travail à lui confier.

Page 153: Livre de l'Apprenti Macon 01

La Quatrième responsabilité que je conçois, est le gain du travail. De même que

dans le monde profane et le monde religieux, la loge doit être soucieuse que

chaque Maçon puisse toucher son salaire et qu’il le témoigne.

Quantitativement, son salaire sera égal aux sentiments qu’il aura ressentis lors de

nos rencontres. Les émotions qu’il aura pu et su partager. C’est pourquoi,

j’encourage mes Frères à parler avec leurs tripes. Quelque soit le sujet de leur

planche, leur avis personnel nous intéresse. C’est leur vécu qui crée les émotions

et non pas la lecture linéaire d’une succession de recherche livresque.

Cette liste, n’est pas exhaustive. Je vous laisse le soin de la compléter.

Et si maintenant nous nous sentons prêts, allons retrouver nos Frères si longtemps

absents.

Conclusion

Page 154: Livre de l'Apprenti Macon 01

Notre monde est fait d’idéologies, de croyances multiples qui ne peuvent se

marier. La persistance dans celles-ci, n’amène que le chaos, la destruction

générale.

Mais notre monde est surtout fait de mensonges. Tout est fait autour de nous pour

que cela perdure.

Les médias nous abreuvent quotidiennement de faits politiques dont ils ont eux-

mêmes été abreuvés; mais plus grave, les faits dramatiques qu’ils nous relatent

des quatre coins de notre planète ne nous émeuvent même plus. Assis devant

notre télévision, nous en sommes tellement habitués que la vue d’un cadavre

déchiqueté ne nous fait plus réagir.

«Question à Dieu : Est-il possible de faire autrement?»

S’il y a des Religions, il ne peut y avoir qu’une seule Fraternité.

Existe-t-il un chemin qui mène vers l’autre ?

Page 155: Livre de l'Apprenti Macon 01

Ce midi, je ne le pense pas ! Car aucune Religion telle que nous les connaissons

aujourd’hui, ne sera jamais universelle. Mais seuls les imbéciles ne changent pas

d’avis.

Il ne pourra donc y avoir de conclusion dans le sens d’une solution universelle à

cette planche.

Je crois en la Franc-Maçonnerie comme un dénominateur commun à toute notre

humanité. Mais nous n’en sommes qu’à la Genèse de notre histoire. La plupart

des Maçons eux-mêmes n’ont pas encore compris la portée réelle du mouvement

maçonnique. Seul des dictateurs et des potentats soucieux de leurs prérogatives

en ont réellement évalué la dimension.

Comment conclure un chantier en pleine construction, dont les fondations sont à

peines sèches et les piliers porteurs ne sont pas encore tous élevés.

En fait il n’y a devant nous qu’un énorme terrassement !

Laissons de côté ce qui divise, ai-je dit.

Page 156: Livre de l'Apprenti Macon 01

Les obédiences ne divisent-elles pas ? Nos rites ne divisent-ils pas ?

Rassembler ce qui est épars.

Imaginer que les milliers que nous sommes aujourd’hui seront des milliards

demain.

Rêver qu’un jour notre Temple sera achevé. Que la concorde régnera parmi nous

et que nous vivrons dans ce qui est notre jardin, loin, très loin des tumultes du

passé, parce que nous avons appris que le respect de nous-mêmes passe par le

respect de l’autre.

A l’aube de l’année 2000, certains érudits nous ont prédit que le vingt-et-unième

siècle sera spirituel ou ne sera pas.

De quelle spiritualité parlaient-ils ? De celle émanant de siècles d’erreurs

multiples à répétition ou plus simplement de celle qui nous dicte que la vérité est

en nous et que le V.I.T.R.I.O.L. de nos cabinets de réflexions est la phrase clef de

nos recherches.

Page 157: Livre de l'Apprenti Macon 01

Mais il est encore quelque chose de plus fort dont nous aurons besoin et cette

allégorie va nous l’apprendre :

« Il était une fois, une île où les sentiments divers vivaient en harmonie : le

Bonheur, la Tristesse, le Savoir, ainsi que tous les autres, l’Amour y compris.

Un jour on annonça aux sentiments que l’île allait disparaître. Ils préparèrent

donc leurs bateaux et partirent. Seul l’Amour resta. L’Amour voulait rester

jusqu’au dernier moment. Quand l’île fut sur le point de sombrer, il décida enfin

d’appeler à l’aide.

La Richesse passait à côté de l’Amour dans un luxueux bateau. L’Amour lui dit :

“ Richesse, peux-tu m’emmener ? ” Elle répondit : “ Non, car il y a beaucoup

d’argent et d’or sur mon bateau. Je n’ai pas de place pour toi. ”

L’Amour décida alors de demander à l’Orgueil, qui passait aussi dans un

magnifique vaisseau, toutes voiles dehors : “ Orgueil, aide moi, je t’en prie ! ” Il

Page 158: Livre de l'Apprenti Macon 01

lui répondit : “ Je ne puis t’aider, Amour. Tu es tout mouillé et tu pourrais

endommager mon bateau. ”

La Tristesse étant à côté, l’Amour lui demanda, “ Tristesse, laisse-moi venir avec

toi. ”. Elle esquiva : “ O oh… Amour, je suis tellement triste que j’ai besoin

d’être seule ! ”

Le Bonheur passa aussi à côté de l’Amour, mais il était si heureux qu’il

n’entendit même pas l’Amour l’appeler !

Soudain, une douce voix souffla : “ Viens Amour, je te prends avec moi ”. C’était

un vieillard qui avait parlé. L’Amour se sentit si reconnaissant et plein de joie

qu’il oublia de demander son nom au vieillard.

Lorsqu’ils arrivèrent sur la terre ferme, le vieillard s’en alla.

L’Amour réalisa combien il lui était reconnaissant et demanda au Savoir: “ Sais-

tu qui m’a aidé ? ”

Page 159: Livre de l'Apprenti Macon 01

“ C’était le Temps ” répondit le Savoir.

“ Le Temps ? ” s’interrogea l’Amour.

“ Mais pourquoi le Temps m’a-t-il aidé ? ”

Le Savoir sourit plein de sagesse et répondit : ”C’est parce que seul le Temps est

capable de comprendre combien l’Amour est important dans la Vie. ” ».

Autre histoire soumise à notre réflexion.

L’histoire de Termez, ville antique redécouverte à la frontière entre

l’Ouzbékistan et l’Afghanistan, située en zone militaire aujourd’hui.

Termez, après avoir été une petite colonie grecque dans l’empire fondé par

Alexandre le Grand, aurait été choisie par les Kouchans pour en faire une de leurs

capitales. Ces nomades originaires d’Asie centrale régnèrent sur un territoire

s’étendant de l’Afghanistan jusqu’au centre de l’Inde. Héritiers des traditions de

Page 160: Livre de l'Apprenti Macon 01

la steppe, les Kouchans modifièrent leur style de vie en fonction des pratiques

locales. Ce métissage provoqua l’émergence du style « gréco-bouddhique ».

Position stratégique sur la route de la soie, Termez devint un grand centre

bouddhique, après avoir été une colonie grecque. Au VIIIème siècle le

bouddhisme sera remplacé par l’Islam, avec la domination des Arabes. Lorsque

les Mongoles de Gengis Khan en 1220, déferlèrent sur la cité, la population fut

entièrement massacrée et Termez tomba dans l’oubli.

Mélange hirsute de population, on y a découvert des vestiges de Temples

grecques, bouddhistes et de mosquées. Termez la florissante n’a pas pu échapper

à la folie des hommes.

Domination et autodestruction, voilà de quoi est fait notre monde.

On sait aujourd’hui que l’exemple vient d’en haut puisque notre galaxie est une

cannibale. La Voie lactée, notre galaxie, dévoile un nouveau visage. Non

seulement cette folle spirale écartèle, puis engloutit toutes les petites galaxies qui

Page 161: Livre de l'Apprenti Macon 01

l’entourent, mais elle se ronge de l’intérieur, dévorée par ses trous noirs, à

commencer par le plus gros d’entre eux, le trou noir super massif qui trône en son

centre….

Notre fin est donc écrite et les religions ni pourront rien; et même si ce

phénomène doit nous arriver dans des milliards d’années, j’ai le sentiment que ce

destin est très proche de nous, comme si je pouvais le palper.

Pensez à la question que ferons-nous de notre journée si demain nous avons la

certitude de vivre la dernière!

Le langage maçonnique

Avant même ...

Dans la pénombre austère du cabinet de réflexion, les bruits ... Des bruits incohérents tel un fœtus peut les percevoir du sein de sa mère, il s'en imbibe, il ne les comprend pas.

Comment pourrait-il de la noirceur de son enveloppe comprendre des sons distordus par le doux liquide qui le baigne? Comment du fond de ce sombre cabinet l'impétrant profane pourrait-il comprendre, ce qu'il n'a même pas vu !

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Et pourtant, il apprendra à comprendre ce langage, car il le saura plus tard, le Franc-Maçon témoigne par ses actes et non par ses écrits sur la Franc-Maçonnerie. Il est maintenant évident, il faut l'apprendre. Il va passer du stade de muet, à celui du balbutiement et ensuite de la parole. Ce ne sera pas suffisant, à écouter les planches qui occupent et ornent nos travaux, l'envie naîtra certainement et le fera passer à l'étape du discours voire de la rhétorique. Et là, la méditation va reprendre le dessus et pour méditer avec force et vigueur, il faudra le silence et pour faire silence, il faut redevenir muet !

Mort ?

Non

Le testament terminant la vie profane, est une fin. Il faut donc finir pour recommencer ou mourir pour renaître à une nouvelle vie ... Il faut passer du matériel à l'immatériel. Faudrait-il se taire pour parler ?

C'est ce cycle que nous parcourons sans cesse dans nos travaux et dans notre vie profane et qui, à de multiples occasions revient sur le devant de notre vie symbolique. Il n'y a jamais de but fini, mais tel les mirages, il y a un point de fuite inaccessible et bien connu des architectes qui l'utilisent pour transcrire des formes complexes sur les plans qu'ils ont conçus. Il brille de son immatérialisme dans la réalité.

L'écoute.

L'incohérence apparemment totale du rite ne permettrait-il pas l'apprentissage ? Question légitime que l'on se pose après avoir passé de nombreuses journées sur la colonne du Septentrion. Au contraire, l'écoute patiente de propos qui passent de l'Occident à l'Orient puis au Midi mettent l'apprenti en situation et lui permette raisonnablement de se familiariser avec les propos qui l'entourent. Finalement, il

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est possible de réaliser que de s'interdire de parler pour s'astreindre à écouter est une excellente discipline intellectuelle.

C'est par cette écoute auditive et visuelle également, que petit à petit les propos entendus s'animent dans son esprit et que la compréhension peut se faire dans ce langage imagé et symbolique qui lui avait paru si flou et si abscons lorsque les sons étouffés lui étaient parvenus alors qu'il croupissait dans le cabinet de réflexion. C'est alors que l'apprenti peut s'astreindre à son premier devoir dans ce domaine qui consiste à méditer les enseignements du rituel afin d'y conformer sa conduite. Il apprend alors à juger sans le moindre parti pris, c'est ainsi qu'il tend à devenir penseur.

Que de mystères incompris que de d'incertitudes suscitées à cette occasion ?L'incompréhension engendre le doute et la méfiance qu'il faudra dissiper par un long travail d'observation et d'apprentissage. Aussi surprenant que ce soit, l'écoute est également visuelle. Là encore, la force du langage du geste peut être fort intime et de là, ne suscitera pas de trouble de confiance tel que ceux évoqués ci-dessus. L'écoute ou le décodage du geste n'est-elle pas la plus subtile manière de comprendre un frère. N'est-elle pas celle qui est la plus intime au sens de la fraternité celle qui permet de se comprendre avant même de s'être parlé ? Il est l'outil symbolique afin que les initiés puissent se distinguer des profanes.

Mais de loin, n'est-ce pas le plus dangereux aussi car le plus difficile, celui que l'apprenti appréhende le moins bien. Ses frères plus expérimentés rompus à cet exercice manient ce langage avec une dextérité que l'apprenti ne saurait soupçonner. La preuve, il doute et il présume qu'avec la lumière qui filtre à son degré ce qui lui appert est entaché d'incohérences qu'il ne pourra comprendre qu'une fois le travail sur lui-même suffisamment avancé.

Il aura aussi pu vérifier que ce langage usé en loge est un langage structuré. C'est de la musique, en effet point d'improvisation, chaque prise de parole est orchestrée par les frères Surveillants et déclenchée par l'approbation du

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Vénérable. Les frères écoutent sagement sur leurs colonnes le déroulement des travaux, point de prise de parole inopinée, le résonnement des maillets ponctuent les dialogues tel des métronomes. Chaque frère a droit à sa prise de parole, tout frère absent engendre une perte de cette union harmonique, cependant, sa présence à elle seule contribue à la solidité de la fraternité. Au demeurant, que serait cet ensemble symphonique à qui il ne manquerait ne serait-ce qu'un seul musicien? Au demeurant même le chef d'orchestre finirait par être distrait à chercher son musicien absent.

Le Vénérable également, sait de même donner la parole de façon mesurée sur les colonnes et que ne ressent-il pas, lorsqu'elles sont muettes alors qu'elles ne devraient pas l'être. N'est-ce pas là une sinistre intrusion dans le temple par de fâcheux rites profanes qui tentent de repousser le langage maçonnique sur les parvis. Le silence de désapprobation est stérile et c'est bien celui-ci qui tend à régner dans ce cas.

Alors que, le silence dû à la méditation est porteur de fruits innombrables. Pour harmoniser le fruit résultant de ces travaux, une répartition des prises de parole permet de faire régner l'équité entre frères, l'équilibre entre les opinions et cela est rendu possible par l'usage de ce langage de loge qui par sa précision, sa concision permet une communication harmonieuse de la pensée entre frères. Ce langage est aussi un gage de bonne compréhension entre frères. Point de petits comités ou de conversations privées, d'ailleurs proscrites par les constitutions d'Andersen.

En effet, dans la vie profane également nous devons parler un même langage pour nous comprendre. Celui qui ne parle pas notre langue est un étranger. Il est possible d'apprendre sa langue et de le maintenir dans son statut d'étranger ou bien il apprend notre langue et s'assimile. La grande différence vécue dans la loge, est que une fois initié avant même de parler le langage maçonnique, le profane est reconnu comme un frère. N'est-ce pas là la grande différence entre la

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vie profane ou règne le doute et la suspicion et la vie initiée ou règne la confiance et la fraternité ?

Les balbutiements.

Puis vient le moment où ce qui lui apparaît être une banalité, l'apprenti souhaite prendre la parole. Son parrain va alors également se joindre à lui par le geste qui consiste à se lever comme lui et qui peut paraître insigne. Cependant il est des plus rassurant pour l'apprenti orateur de voir qu'il est accompagné et que ce signe signifie symboliquement qu'il est couvert c'est-à-dire que son parrain endosse la responsabilité de son propos.

Alors qu'il chemine dans son allocution, !'apprenti surveille d'un oeil attentif les faits et gestes de son parrain qui ne manquerait pas de tressaillir au moindre écart de forme des paroles de son filleul. C'est ce réglage continu de la parole et de la gestuelle qui fait progresser son poulain sur le chemin de la vie de l'apprentissage du langage maçonnique.

On évite ainsi l'intrusion de mots inappropriés tel qu'il s'en insère dans le vocabulaire des enfants dans la vie profane. N'est-ce pas ainsi que le langage s'acquiert sans fausse note sans aspérités d'une manière harmonieuse et suave ?

Je vous le dis, mes très chers frères, cette méthode ferait bon de transpirer dans le monde que nous côtoyons et apprécions le fait de pouvoir nous exercer à l'abri du profane et de ses rodomontades fort peu constructives. Non, ici sous le couvert du temple je peux vous exprimer ma pensée sans crainte. Rien ne sortira d'ici et n'est-ce pas non plus une caractéristique de notre langage tenu dans le temple ?

Si la parole est éphémère, la pensée elle subsiste et n'est-ce pas là aussi cette facette de notre langage secret. Secret car il n'est pas accessible au profane et dans ce cas non pas qu'il fut composé de mots ou de symboles incompréhensibles, mais que cette fois-ci il est inaudible d'une part grâce à la

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couverture du temple et de toute manière un langage si subtile et si fin est couvert par le brouhaha de la vie profane.

Initié, instruit de ces lois, l'apprenti s'applique à se taire. Il se concentre, afin d'imprimer à ses idées une plus haute tension.

Le mur ou les marches.

Bien sur, comment aurait-il pu savoir ! Afin de développer des talents d'orateur, le sage lira ou consultera des ouvrages de ses prédécesseurs. Mais comment l'apprenti le pourrait-il, lui qui ne sait ni lire ni écrire et de surcroît n'a pas reçu complètement la lumière! De surcroît avec son petit âge, trois ans, la tâche paraît bien difficile voire insurmontable! N'ayant gravi que trois marches de l'échelle de la connaissance, il est loin d'apercevoir ce qui se passe derrière le mur qu'il doit franchir pour parvenir à un degré supérieur !

Pourquoi dit-il, je ne sais lire ni écrire ? A quoi se rapporte cette ignorance ? Au langage emblématique employé dans la Franc-Maçonnerie.

On sait que les emblèmes sont des symboles, car sur un emblème, la place est mesurée, on ne représente pas tout. Cependant, on dispose avec harmonie les éléments essentiels de ce que l'on veut représenter afin que cela fut compréhensible sans gaspiller de la hampe ou de l'étendard. De même, dans la loge nous utilisons notre langage avec harmonie et parcimonie en exprimant l'essentiel sur le tapis du temps si précieux, sachant que celui-ci se déroule de midi plein et se termine déjà à minuit plein.

L'apprenti, entouré de frères fidèles à leur serment, sait que le travail de compréhension doit se faire seul, l'ascension n'est pas possible sans une forte implication personnelle. Il attend stoïquement que la vérité se fasse jour. Il ne cherche pas à étonner en exposant des idées hardies, il apprend. Il sait que ses frères ont des obligations envers les uns et les autres, il attend alors en confiance

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en se faisant aider de ci et de là à construire l'outil qui lui fera franchir l'obstacle. Le ressentir ou la pensée exprimée par des expressions faciales fait également qu'on le veuille ou non partie du langage maçonnique qui échappe bien entendu au profane voire même à l'apprenti.

Derrière.

Oui, après qu'y a-t-il ? N'est-ce pas un recommencement ? Un retour dans des limbes qui ramèneront inlassablement l'impétrant devant sa réalité. Non jamais sa diction son élocution ne seront parfaites, toujours il y aura quelque chose à ajouter à son vocabulaire mystique, toujours il y aura de quoi parfaire sa syntaxe amener une ellipse à sa prose afin que la symbolique maçonnique soit présente ou sous jacente à sa pensée.

Que de phrases, expressions ou termes échappent à l'oreille du profane ou du frère de degré inférieur, que de communications partielles et incomplètes. Mais il s'agit de parfaire cet apprentissage maintenant que le dialogue peut s'instaurer et que l'apprenti peut par un processus itératif apprendre à corriger son propos en calquant celui-ci sur celui de ses frères de degré supérieur par définition plus expérimentés que lui.

Il va devoir sans cesse s'améliorer afin de pouvoir un jour transcrire le projet social qui sommeille dans chaque maçon en un projet d'architecture resplendissant de force, de sagesse et de beauté. Il n'oubliera pas que les intelligences sont faibles, il faut donc se comporter avec modestie dans son langage aussi. Plus d'un maçon s'est vu marginaliser par une érudition exagérée qui indispose le frère moins à l'aise que lui car moins instruit et par-là sur un moindre degré. Il se rencontre donc une part de vrai dans toutes les opinions même exprimées dans un langage simple. Nul est dans l'erreur absolue, et nul d'autre part ne peut se flatter de posséder la vérité parfaite. Une vérité peut cependant être exprimée symboliquement afin qu'elle ne froisse pas son destinataire.

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Et n'est-ce pas la force de cette symbolique mystique de pouvoir exprimer l'inexprimable sur le plan de la fraternité maçonnique. Elle permet de susciter la réflexion sans être invasive, elle préserve l'intégrité du destinataire du discours sans tomber dans le ridicule de la fable. Ne cherchons pas à imposer notre manière de voir, mais amenons-nous à nous découvrir afin que notre interlocuteur perçoive ce que vous avez trouvé vous-mêmes. Que de subtilités, de délicatesse, d'empathie à faire acheminer par notre langage symbolique !

Et, souvenons-nous qu'il y a toujours deux langages, le langage public et le langage secret, les grands hommes ont bien deux langages, mais ils sont parallèles. Ce parallélisme est garant d'une droiture de conduite qui est une des premières conditions exprimées dans les constitutions d'Andersen lorsqu'il parle des loges.

Ce langage imagé fascinant, cette gestuelle symbolique, ces attouchements discrets, la tenue et la posture du maçon ne sont-ils pas tout le mystère qui allie la parole à l'acte et l'éphémère à l'éternité. La parole immatérielle constituant essentiel du langage, le geste constituant essentiel du comportement ne pourront jamais être percés par les oreilles et les yeux profanes, car il est réservé l'image de l'apprenti construisant son temple intérieur avec ses frères dans la sérénité de son atelier.

"Les hommes les plus sages sont les plus brefs dans leurs discours. Si les bavards souffraient ce qu'ils font souffrir aux autres, ils ne parleraient pas tant." (Apollonius de Tyane)

La fidélité en maçonnerie

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La fidélité, mot provenant du latin "fidelitas", est définie par essence comme la

qualité d’une personne fidèle et s’identifie donc au dévouement et au loyalisme.

Elle est aussi une marque d’allégeance ou un attachement à la constance. La

fidélité conjugale se traduit comme un engagement pris entre conjoints.

Couramment la fidélité désigne la véracité d’une interprétation ou la fiabilité d'un

instrument (Haute Fidélité) ou alors une méthode mercantile de fidélisation de sa

clientèle au moyen de cartes de fidélités.

Elle qualifie tout simplement les adeptes d’une religion, appelés les Fidèles,

comme il en est beaucoup question dans l’actualité de ces jours pour l’église

catholique romaine suite au décès du Pape. On notera juste sans s’étendre sur ce

sujet relatif aux croyances et aux religions, que cette fréquente position duale et

même manichéenne des religions entre les fidèles et les infidèles, les croyants et

les mécréant a historiquement transpirée aussi sur la maçonnerie, aujourd’hui

encore classifiée en deux camps : celui des maçons dits Réguliers, imposant le

Page 170: Livre de l'Apprenti Macon 01

postulat de la croyance en Dieu, et celui des maçons Irréguliers, chantres de la

maçonnerie libérale ou a-dogmatique.

Toutefois c’est en définitif l’acception de la fidélité dans "le fait de ne pas trahir",

on parle alors de fidélité à un serment, qui méritera certainement le plus

l’attention des francs-maçons.

Aussi ce morceau d’architecture s’appuiera sur nos rituels pour donner des

éléments de réponse aux interrogations suivantes :

Comment se pose la problématique de la fidélité entre vertu et devoir en

maçonnerie ?

Et si tant se limiterait-t-elle à l’expression d’une forme d’allégeance, la fidélité ne

serait-elle pas alors un obstacle à la liberté ?

Puissent les contributions des Frères et l’apport de leurs lumières sur ce sujet

enrichir cette réflexion et permettre aux apprentis maçons que nous sommes tous

de méditer chaque jour sur notre engagement maçonnique.

Page 171: Livre de l'Apprenti Macon 01

***

Un petit aperçu historique nous oblige à nous référer aux actes constitutifs de la

maçonnerie en général, notamment un extrait des constitutions d’Anderson qui

stipule: « Les personnes admises comme membres d'une Loge doivent être des

hommes de bien et loyaux, nés libres et d’âge mur, circonspects, ni serfs, ni

femmes, ni hommes sans moralité ou de conduite scandaleuse, mais de bonne

réputation. »

La loyauté figure ainsi parmi les qualités requises et est expressément

mentionnée parmi toutes les autres qualités pour souligner l’importance de

l’assimilation et de la pratique de la fidélité pour le maçon qualifié alors

d'homme de bien et de bonne réputation.

L’histoire de la maçonnerie en Suisse, telle que relatée par l’illustre Frère

Bongard, d’après des recherches du célèbre Frère Ruchon, fait état de la création

d’une Loge dénommée « La Fidélité » constituée le 2 juillet 1764. Après une

Page 172: Livre de l'Apprenti Macon 01

période de sommeil, elle se reconstitua en 1806 en utilisant le local de la Loge «

Les Trois Temples » de Carouge. Cette Loge qui permet de reconstituer la

filiation de la R. L. Fidélité et Liberté (cofondatrice, avec la R. L. Mozart et

Voltaire et la R .L. Apollonius de Tyane, de la Grande Loge de suisse en juin

1967), permet de situer l’importance de cette vertu cardinale, érigée en titre

distinctif d’une Loge, lors de l’établissement de la maçonnerie helvétique en

réaction entre autres aux vicissitudes du pouvoir en place qui en interdira

l’exercice, mais aussi par controverses internes sur l’adoption et la pratique de

certains rites. La Fidélité est donc bien érigée en une Valeur depuis les aurores de

la maçonnerie.

***

Passant maintenant à l’examen des conditions de notre entrée en maçonnerie et

du rituel du premier degré, l’Homme « libre et de bonnes mœurs » qui a frappé à

la porte du temple, devenu néophyte s’engagera à « fuir le vice et pratiquer la

vertu ». Ceci établit bien évidemment la fidélité au rang de vertu cardinale, ce qui

Page 173: Livre de l'Apprenti Macon 01

suggère au franc-maçon non seulement d’appréhender cette notion, mais surtout

de la pratiquer au même titre que l’humilité et bien d’autres vertus à cultiver,

nécessaires pour suivre les enseignements de la méthode maçonnique.

Dans le Temple, espace sacré et consacré, lors de la cérémonie d’Initiation, cette

prédisposition évoquée de manière suggestive va prendre un caractère particulier

car, après les trois voyages initiatiques, le néophyte va faire une promesse

solennelle sur l’autel de la vérité : Il va prêter Le Serment Maçonnique.

« Je promets de remplir mes devoirs envers la famille, la patrie et l’humanité

plus fidèlement encore que par le passé ; de respecter toute conviction sincère

non contraire à la loi morale et à l’amour du prochain ; de travailler à mon

propre perfectionnement ; de persévérer sans relâche dans la recherche de la

vérité et de la justice.

Page 174: Livre de l'Apprenti Macon 01

Je promets de ne pas demeurer absent des réunions de la Loge à moins de

raisons absolument majeures et de collaborer à ses travaux dans la mesure de

mes forces.

Je promets d’observer scrupuleusement les lois de la Franc-maçonnerie, de

travailler à la prospérité de ma Loge, d’aimer mes frères, de les aider de mes

conseils et de mes actions, pour autant que ceci n’est pas contraire à mon

honneur et mes devoirs vis-à-vis de Dieu, de la patrie et de la famille.

Je promets de ne révéler ni les usages de la franc-maçonnerie ni les

justifications de mon grade et de ne parler qu’avec la discrétion qui sied à un

homme d’honneur des travaux et des délibérations de la Loge.

Tout cela je le promets sur l’Honneur.»

Après ce serment si solennellement prêté, la fidélité, loin de se limiter à une vertu

de bonnes mœurs, prend une toute autre dimension. Elle devient un engagement

irréversible et donc une obligation, un Devoir. En effet la fidélité au serment

Page 175: Livre de l'Apprenti Macon 01

prêté est le fondement même de l’éthique maçonnique tel que l’indique sans

détour le manuel de l’instruction dispensée aux apprentis: « Toute l’essence de la

franc-maçonnerie est contenue dans ces paroles, et celui qui se conforme aux

préceptes qu’elles formulent sera un franc-maçon véritable et un homme digne de

ce nom ».

***

Le franc-maçon est appelé à voyager pour parfaire son instruction, en visitant les

loges pratiquant des rites différents. Cependant même s'il est observé des variétés

dans la pratique rituélique, par exemple l’absence de l’épreuve d’interrogation

sous le bandeau dans le rite Ruchon par rapport au R.E.A.A., le serment quant à

lui, est obligatoirement contracté dans tous les rites.

Les dispositions claires et explicites du texte ainsi rédigé font du serment un code

de conduite et un guide pratique auto explicatif qui rendent tous commentaires et

Page 176: Livre de l'Apprenti Macon 01

additifs superflus. Mais force est de constater que l’ouvrage doit être remis en

chantier sans relâche !

Dans la pratique, puisque nous nous reconnaissons à nos signes mots et

attouchements, mais aussi et surtout aux circonstances de notre admission, il faut

donc bien se remémorer et polariser la signification du signe pénal, qui à chaque

fois qu’il est exécuté renouvelle notre serment et notre engagement, envers

l’Ordre, envers la Loge et surtout envers nos Frères.

Tous les signes, mots et attouchement n’ont de valeur que dans la mesure ou le

franc-maçon cherche à se distinguer par sa sincérité vis à vis des autres hommes

et par sa conduite irréprochable. Ce qui doit s’appliquer a fortiori et a priori vis à

vis de l’Ordre maçonnique. Cela suppose évidemment une participation active et

effective à la vie courante de la Loge, l’assiduité, les obligations liées aux

charges pécuniaires, mais surtout l’écoute et l’entraide, l’assistance à ses Frères

et par extension la générosité et la bienfaisance en général. Bien évidemment l’art

est difficile et la critique facile, mais ce travail doit commencer dans le temple et

Page 177: Livre de l'Apprenti Macon 01

se poursuivre au dehors. Ce n’est qu’à cette condition, sur le chemin de l’effort,

que les Frères, ces colonnes vivantes du Temple peuvent nous reconnaître

comme tels, car sans être juges de notre action quotidienne, ils balisent le chemin

de notre ascèse initiatique et réfléchissent, tels des miroirs d’indice de réfraction

différent, les multiples facettes de notre propre conscience, laquelle est appelée à

rejoindre une conscience collective de la Loge ou Egrégor.

***

Mais ces garde-fous ainsi constitués par nos Frères en leurs qualités respectives

ou par les formes et statuts organisationnels nécessaires à la vie et à l’animation

du corpus de la Loge entravent t-ils notre liberté individuelle?

Dans ce qui est communément appelé le land mark des Land mark, à savoir le

principe de base « le maçon libre dans une Loge libre », la notion de liberté est

canalisée et rejoint fondamentalement le libre arbitre des frères sous réserve du

respect scrupuleux de l’esprit des constitutions d’Anderson. En effet l’homme

Page 178: Livre de l'Apprenti Macon 01

libre de sa pensée et donc adulte circonspect doit éviter l’anarchie et tenir compte

de la liberté d’autrui. La fidélité à sa démarche maçonnique, loin de priver le

franc-maçon de sa liberté d’action, de mouvement, lui impose de bâtir selon un

modèle constructif, prenant en compte également des concepts et des idées

opposées à la sienne. Ce respect mutuel des positions de chacun est le fondement

même de la méthode maçonnique, véritable école de tolérance qui parvient ainsi

à concilier les contraires pour progresser vers la vérité.

L’engagement maçonnique, on n’aura de cesse à le répéter, se prend en toute

liberté, et la fidélité à ses engagements n’ôtera jamais la liberté que peut avoir un

franc-maçon d’exprimer et de marquer des positions divergentes pour vivre en

harmonie avec sa conscience. Mais le libéralisme ne doit pas sombrer dans le

désordre. A cet effet le congé, la démission et la radiation sont

administrativement prévus par les textes organiques, qui sont toujours à

améliorer, afin de permettre aux frères de se retirer élégamment et

fraternellement des obligations contractées.

Page 179: Livre de l'Apprenti Macon 01

Malgré la démotivation ou le renoncement de certains frères, rappelons-nous sans

cesse qu’il y a toujours beaucoup d’appelés et peu d’élus, tel que le symbolise la

Voûte étoilée. La seule caractéristique à laquelle le franc-maçon doit demeurer

attaché est une fidélité toujours plus grande au devoir et sa libre pensée sur le

chemin de la recherche de la vérité!

Dans ces conditions, la fidélité et donc le respect de ses engagements devient une

expression, une manifestation de sa propre liberté: une liberté raisonnée dans le

bien penser, le bien faire et le bien dire, véritable baromètre de son altruisme !

Toutefois il est toujours nécessaire de rappeler que même radié un franc-maçon

ne perd pas sa qualité d’initié, en conséquence il restera toujours redevable du

serment qu’il a prêté, surtout par rapport à la discrétion vis-à-vis de ses frères et

en tant que garde du sceau du Secret maçonnique. Bien évidemment le serment

prêté est atemporel, et livré dans un espace-temps particulier et sacré, il doit avoir

interpellé les profondeurs de la psyché de l’initié, lequel se trouve non pas face à

Page 180: Livre de l'Apprenti Macon 01

des obligations externes mais face à des manifestations internes, et vis-à-vis de

son maître intérieur.

Le franc-maçon, l’initié de tout ordre et de tout grade, être humain avec ses

faiblesses, ses défauts mais aussi ses qualités pourra toujours nous décevoir mais

jamais la maçonnerie en tant que méthode pour notre quête spirituelle vers un

idéal de vérité. La maçonnerie exige de nous des engagements que nous sommes

libres d’accepter ou de refuser, elle nous demande en particulier de participer à

une meilleure humanité. Et selon la maxime bien connue de Socrate, « Connais-

toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux! », chacun trouvera la voie

qui lui est propre car On S’INITIE SOI- MÊME !

La fidélité à ses engagements vécue comme manière et art de vivre devient alors

un gage de stabilité et de maturité qui conduit sur le chemin de la sagesse et de la

Vérité.

Page 181: Livre de l'Apprenti Macon 01

La fidélité supplante alors les obligations pratiques contractées nécessaires pour

des impondérables organisationnels et sociétaux qui sont inévitables dans la

sphère terrestre. La fidélité vécue comme philosophie comportementale induit

une élévation supplémentaire de la psyché de l’initié. Elle se dématérialise alors

et se transforme en un geste d’Amour pour l’autre et pour soi, l’amour de son

idéal de perfection et de perfectibilité de l’Homme.

***

Le sujet aurait pu s’intituler aussi bien « le Serment maçonnique » ou encore «

les devoirs du franc-maçon», les éléments de méditation conduiraient sur les

mêmes pistes à explorer toujours davantage. La fidélité me semble en définitive

être une singulière vertu issue du résultat consensuel d’une lutte permanente dans

notre psyché entre notre Ego et notre Altruisme, qui se transforme en un devoir

permanent de perfection par une alchimie particulière qui dans la pratique de

l’Art Royal se transcende en Amour. La fidélité, pierre angulaire de la

Page 182: Livre de l'Apprenti Macon 01

construction de notre propre temple maçonnique, sublime le devoir permanent de

celui qui cherche la vérité, de celui qui s’INITIE en toute liberté.

Selon l’illustre frère Alain Pozarnick :

« L’Initiation s’opposera toujours aux dogmes et aux théories parce que

l’Initiation est Connaissance, l’Initiation est action, l’Initiation est quotidienne,

l’Initiation est Amour… » On se surprend à retrouver une identité remarquable,

telle une correspondance biunivoque entre l’Initiation et la Fidélité.

Somme toute et pour clore ce propos, je soumets à votre sagacité l’acception

suivante de la fidélité qui me paraît bien lumineuse dans la déclaration suivante

que je formulerai en toute humilité: « l’Initiation, c’est aussi la Fidélité dans la

recherche de la Vérité ».

Le Temple, miroir de l'homme et de l'univers

Introduction

Page 183: Livre de l'Apprenti Macon 01

Le titre se compose de plusieurs éléments qui pourraient aussi bien être

indépendants, qu'indissociables les uns des autres . Ils pourraient aussi

générer un concept à la fois initiatique, religieux ou philosophique. Le

Franc-maçon doit-il choisir la difficulté ou la facilité? Ni l’une ni 1'autre. Il doit

choisir la voie qui lui convient, quitte à emprunter de grands boulevards

éclairés de lumières universellement connues pour s'engager ensuite dans de

sombres ruelles dont les murs ne renferment que dangers divers et l'amenant

inévitablement à des impasses. L'essentiel, dans la vie maçonnique, c'est de

trouver son chemin.

L'apparition de I'Homme sur Terre

Toute la communauté scientifique internationale est à peu près d'accord pour

admettre que I'Homme est apparu sur Terre il y a environ huit millions d'années.

Je ne vous invite pas à imaginer notre ancêtre il y a huit millions d'années, parce

qu’à cette époque, il n'avait rien de commun avec nous, et encore sur le plan de la

morphologie. A ce propos, il est intéressant, mais désolant, de savoir que notre

Page 184: Livre de l'Apprenti Macon 01

ancêtre est le fruit des caprices de la géologie. Ah ! si la Genèse pouvait être

aujourd’hui réécrite au premier degré à la lumière des découvertes scientifiques!

Afin de mieux cerner, et le plus justement possible, la situation de l'Homme, il

y a ...bref, très longtemps, j'ai enclenché la machine à remonter le temps et je

me suis retrouvé à 1'époque des hommes des cavernes à l'âge de la pierre ( le

choix de l’âge de la pierre n’est pas innocent!)

A cette époque, I'Homme est à la merci de tous les dangers possibles : climat,

intempéries, animaux, accidents géologiques, maladies, ses semblables...

Quant à ses préoccupations, elles sont réactives, car l’homme doit lutter sans

merci pour sa survie. Il s’agit bien de survie, et non de vie et encore moins

d'existence. Les questions métaphysiques n’ont aucune place dans son esprit. Mais

notre homme est doté du pouvoir d'observation, ce pouvoir extraordinaire, il

va le développer et s'en servir pour se libérer petit à petit des contraintes de la

vie quotidienne.

Page 185: Livre de l'Apprenti Macon 01

Ainsi il va d'abord saisir certains mécanismes et cycles de la nature. Il va aussi

comprendre qu'en vivant en groupe, il pourra attribuer certaines tâches en

fonction de 1'individu et augmenter par-là le bien-être général de la

communauté. Il établira aussi les relations de cause à effet, ce qui l'amènera à

constater que sa reproduction est le fruit de la copulation et non le résultat du

hasard. Cette dernière remarque peut paraître déplacée dans cette planche, mais

je vous invite à la prendre en considération, car elle contient un des éléments

fondamentaux de 1'Homme: la survie de son espèce. Enfin, geste essentiel, il lève

la tête et découvre 1'horizon, le ciel et l’Univers.

L'univers de I'Homme et l’Univers

Il est probable qu'à cet instant I'Homme a tout ramené à lui. Il a dû se sentir seul et

angoissé face à cet inconnu dont il n'avait aucun moyen pour l’appréhender. Il

n'avait aucun point de comparaison pour définir cet espace inaccessible et immuable

audessus de sa tête. A ce stade d'observation et de réflexion, il lui était

impossible de nier la réalité comme il pouvait le faire pour des réalités

Page 186: Livre de l'Apprenti Macon 01

perceptibles par ses cinq sens. Mais il a pris conscience d'être le trait d'union entre

le ciel et la terre et qu'il allait, dans une perspective historique, participer à l'invisible

en haut et au visible en bas.

L'angoisse et 1'entêtement de I'Homme à vouloir tout comprendre ont permis à

1'humanité de se développer. Pas toujours d’une façon harmonieuse et encore

moins sans quelques drames, il est vrai.

Après avoir recouvert l’Univers d'épaisses couches de mystères, notre homme s'est

mis à les décaper et à le repeindre de couleurs étonnantes. Le fruit de son

imagination a pris parfois des détours qu'il vaut la peine d'emprunter, ne fut-ce

que pour le plaisir.

Les Chinois, les Babyloniens , les Égyptiens out peuplé les cieux de dieux dont l'une

des préoccupations consistait à remplir des panthéons infinis. Les siècles passent et

les Grecs commencent à se rendre compte que l'Homme est à même de déchiffrer

I'Univers.

Page 187: Livre de l'Apprenti Macon 01

Pythagore, ce vieux compagnon des Francs-Maçons, pense que le Cosmos se définit

par les nombres. Pour lui, l'Univers est composé de 10 sphères concentriques aux

trajectoires circulaires s'ajustant parfaitement autour d'un feu central. Aristote et

Ptolémée achèvent et perfectionnent sa description en y ajoutant d'autres sphères et

placent la Terre au centre de l'Univers. Cette théorie géocentrique durera près de 15

siècles.

Au moyen Age, les hommes d'Église reprennent le concept de Ptolémée et

l'enrichissent d'une sphère supplémentaire: celle de Dieu. Et ces " brillants "

théologiens placent des anges dans les sphères planétaires et leur assignent la

rude mission de faire tourner les planètes.

Quant à la Lune, c'est le purgatoire. Enfin, ils réservent la Terre pour la mort

et au-dessous d'elle, ils placent l'enfer.

En situant le Soleil au centre de l'Univers, Nicolas Copernic déplace la Terre au

rang de planète. Ce déplacement aura des répercussions profondes dans l'histoire

Page 188: Livre de l'Apprenti Macon 01

de l'Homme. Désormais, it n'est plus le nombril de l'Univers. Quelques années

plus tard un astronome danois, Brahe, démontre que l'orbite des planètes est ovale

et réduit ainsi à néant la conception des sphères.

Galilée avec sa petite lunette, Newton avec son principe de la gravitation

mettent définitivement à la porte les anges qui n'ont plus d'autres issues que

d'aller occuper les esprits de certains hommes dont l'imagination continuera

d'expliquer une partie de notre Histoire.

La dernière humiliation nous sera infligée par notre siècle. Grâce à la science

et à l'astrophysique, nous avons encore découvert que le Soleil n'était pas au

centre de l'Univers.

Performance qu'il vaut la peine de relever ici, l'Homme a commencé à forger

son histoire en faisant de la science fiction. En effet, sans quitter sa planète, il a

conçu l'Univers, l'a ordonné, peuplé, dépeuplé, désordonné pour le placer enfin

dans un système dont il ne connaît pas les limites, mais dont il perçoit certains

Page 189: Livre de l'Apprenti Macon 01

aspects de désordres permanents. Force est de penser à Rabelais ou à Pascal qui

définissaient l'Univers comme une sphère infinie dont le centre est partout et la

circonférence nulle part. Qu'il est loin le temps ou l'Homme croyait habiter dans

un système fini et stable.

L'Homme face à l'Univers

Vouloir expliquer le Cosmos est une vaste entreprise à laquelle l'homme s'attelle

depuis la nuit des temps et qui lui confère sa véritable dimension. Et cette entreprise

n'a pas manqué, ne manque et ne manquera pas de provoquer des réactions dont les

influences se font sentir principalement au niveau des angoisses métaphysiques.

Face à I'inconnu qu'il peut résoudre, l'Homme répond par des actes qu'il ne peut

comprendre. Cela s'explique en partie par sa peur du vide qu'il comble comme il

peut, quitte à être déraisonnable. Exprimé autrement, l'Homme entretient des

rapports conscients avec ce qu'il comprend et des rapports inconscients avec ce

qu'il ne comprend pas.

Page 190: Livre de l'Apprenti Macon 01

Le fonctionnement de l'être est fort complexe. Je laisse cette délicate mission

d'explications aux médecins, psychiatres, psychologues et autres détenteurs de

diplômes en tous genres. A la lumière de mon âge maçonnique, et en toute modestie

par rapport à ma place dans l'Univers, je pense que l'Homme fonctionne selon le

concept d'un pas après I'autre. Et que la meilleure façon de marcher, c'est de mettre un

pied devant l'autre et de recommencer.

Vous allez sans doute penser que je n'ai rien trouvé là d'extraordinaire. C'est vrai,

puisque cette méthode est universellement connue de tous les marcheurs et qu'elle

est enseignée à tous les participants de colonies. Plus sérieusement, cette image me

plaît parce qu'elle montre bien que l'on ne progresse que sur la base d'acquis qui

permettent une projection d'actions envisagées. Seulement il faut admettre qu'il y a

un moment, un espace d'inconnu jusqu'à la réalisation de la projection. C'est pendant

cet instant et cet espace que 1'Homme prend toute sa valeur. Il peut en effet, en

pleine conscience, influer sur la suite de l'évènement. Trois voies lui sont ouvertes:

Page 191: Livre de l'Apprenti Macon 01

- la première consiste à achever ce qu'il a entrepris et à vérifier si ses acquis lui

ont donné raison;

- la seconde l'incite à renoncer, car son acquis expérience n'est rien d'autre

qu'une lumière éclairant le chemin parcouru; il serait donc déraisonnable de

continuer;

- la troisième à modifier l'action projetée en cours de réalisation.

Avant le Temple, avant l'Univers

Il y a un mot dans la langue française dont la signification et 1'emploi n'ont rien

d'anodin. Ce mot ou plus précisément ce verbe, peut provoquer la confusion et

1'erreur et servir les maîtres de la désinformation. Je veux parler du verbe

résumer. Lorsque l'on résume, on ne fait que jeter des perles aux pourceaux, ou

plus communément, on jette en pâture des bribes d'informations et de

connaissances aux masses avides de sensations fortes et de vérités sécurisantes.

Page 192: Livre de l'Apprenti Macon 01

La première partie de cette planche consacrée à l'apparition de l'Homme sur Terre

et de sa prise de conscience de l'existence de 1'Univers est en fait un résumé. Mais

ce résumé n'a rien à voir avec ce que je viens de dire sur ce mot. Il est le résultat

de mes très modestes connaissances en la matière. J'aurais pu certes hanter les

bibliothèques universitaires et académiques et entrer en relations avec des auteurs

spécialisés sans ce domaine pour parfaire ce tracé.

En prenant le pari d'expliquer pourquoi le Temple est le miroir de I'Homme et de

l'Univers, je me suis souvenu d'une phrase dont je ne sais plus à qui attribuer la

paternité mais qui colle parfaitement au sujet. Cette phrase est la suivante : "

L'histoire s'écrit avec de l'encre qui ne sèche jamais ". Prenons donc garde de

vouloir figer et graver à tout jamais des explications sur des sujets dont nous

n'entrevoyons que quelques pâles lueurs et dont la lumière complète pourrait nous

aveugler.

Du miroir à l'Univers

Page 193: Livre de l'Apprenti Macon 01

Comment vivait l'homme avant d'avoir inventé le miroir et avant de s`être

penché sur un plan d'eau? Il devait certainement procéder par analogie en

regardant ce qu'il pensait être ses semblables. Ce devait être une époque

d'incertitudes.

Et puis est arrivé le miroir. Mais avec lui sont arrivées aussi un nombre

incroyable de considérations philosophiques qui out donné à notre miroir une

profondeur symbolique sans fin. Dans nos dictionnaires de symboles l'une des

définitions du miroir dit " En vertu de la théorie du microcosme, image du

macrocosme, l'Homme et l'Univers sont dans la position respective de deux miroirs.

De même les essences individuelles se reflètent dans I'Être divin et l'Être divin se

reflète dans les essences individuelles ".

L'Homme avec son prodigieux pouvoir d'observation, mais surtout de création s'est

transformé en miroir et a capté l'image de l'Univers et 1'a matérialisée sous des

formes diverses. Je dis sous des formes diverses, car le miroir donne une image

inversée de la réalité. Mais 1'Univers, ce qui est en haut est comme ce qui est en

Page 194: Livre de l'Apprenti Macon 01

bas. Il n'y a donc pas de matérialisation et d'expression exactes de 1'Univers. De

plus, on ne peut observer aucune règle définie, tant sont riches et multiples les

sentiments du sacré et les modalités des rituels. Tout au plus, peut-on constater

que les Temples sont des traits d'union entre la Terre et 1'Univers, un pont entre

les ténèbres et la lumières, une expression spirituelle d'élévation.

Des Temples au Temple de Salomon

Durant des milliers d'années, l'Homme a concrétisé l'image de l'Univers par la

construction d'édifices, Les édifices qui nous intéressent sont ceux qui nous

montrent les proportions et et les mesures symboliques du Cosmos et ceux qui

s'inspirent du corps humain. Ces deux caractéristiques sont le résultat des effets

d'échanges éternels et permanents d'images et de reflets entre le grand miroir dans

lequel 1'homme se regarde et le petit miroir dans lequel le G:. A:. de 1'U:. contemple

sa création.

Page 195: Livre de l'Apprenti Macon 01

Ces Temples sont des Œuvres qui ne doivent rien au hasard. Leur architecture,

leurs dimensions et leur construction sont basées sur le nombre d'Or, nombre qui

n'est pas le fruit gratuit de 1'imagination mais un principe universel d'équilibre et

d'harmonie. Il est intéressant de noter que les dimensions de la Loge sont basées sur

ce fameux nombre d'Or et qu'elle se définit non plus en carré long, en carré doré

ou carré Soleil.

En Franc-maçonnerie, le Temple qui nous intéresse et qui constitue la référence, c'est

celui qui a été conçu par Salomon et qui a été construit par Hiram. Ce Temple pour

qui sait lire, déchiffrer et comprendre, contient toutes les clefs de 1`Univers et les

explications de la création. Il est le temple-symbole et l'expression visible de

l'invincible. Il explique, entre autre, l'activité des éléments, le commencement, la fin

et le milieu des temps, les alternances des solstices et les changements de saisons,

les cycles de l'année et les positions des astres.

Le Temple maçonnique, c'est d'abord un espace clos, à l'abri de la vie profane et

animé par la réflexion et par 1'échange d'idées. Ce Temple contient des légendes,

Page 196: Livre de l'Apprenti Macon 01

mémoires collectives de 1'humanité. Mais il est surtout là pour nous transmettre des

valeurs symboliques et initiatiques, adaptées il est vrai aux différentes coutumes des

sociétés. Il est construit de façon composite par des symboles qui doivent nous faire

vibrer et qui out pour origine le Cosmos, la Bible, le Compagnonnage, la

Chevalerie, I'Alchimie ou encore la philosophie pythagoricienne. Enfin certaines de

ses dimensions amènent l'Homme et l'Univers à se fondre l'un dans l'autre à

l'infini, telles deux miroirs se faisant face à face en se renvoyant indéfiniment une

seule et unique image. C'est ainsi que la pensée peut arriver à être plus étroitement

liée à 1'esprit qu'à la matière.

Le Palais des glaces

Mais il est aussi un palais des glaces que les reflets transforment en labyrinthe. Le

Maçon se déplace seul dans ce dédale de murs de miroirs qui lui renvoient son

image de tous côtés. Il sera encore plus seul s'il recherche à projeter une image

construite sur la vanité et la séduction. Et contrairement aux voeux de Jean

Cocteau, les miroirs ne réfléchissent pas avant de renvoyer une image. Le

Page 197: Livre de l'Apprenti Macon 01

Labyrinthe ne lui offrira alors qu'une seule voie: celle de la perdition, tant son

image renvoyée lui fera mal, car mal profilée et carénée pour se mouvoir dans les

eaux pures et limpides de la probité et de la connaissance.

Briser le dernier miroir

Pour s'y retrouver, le Franc-Maçon devra faire preuve de sagesse et faire la

part des choses entre 1'image projetée et l'image réelle. Il lui faudra aussi

comprendre que plus la distance entre lui et son image diminue, plus il aura de

force pour parcourir le Temple jusqu'au dernier miroir pour le briser et passer de

l'autre côté, dans un espace jusque là inconnu qui se définit pas avec le fil à

plomb et le niveau. Je veux parler d'un espace, d'un temps, où nous pouvons

nous intégrer avec 1'Esprit supérieur, ne faire qu'un avec lui et où le miroir n'a

plus de raison d'être.

Ultime question

Page 198: Livre de l'Apprenti Macon 01

L'initié doit-il considérer le Temple comme le miroir de 1'Homme et de

l'Univers? Ma réponse est oui, mais à condition qu'il dépasse le stade de la

contemplation, du reflet et de la spéculation pour atteindre une dimension

universelle.

Ma lecture du livre symbolique « caché » de la vigne.

L'homme a toujours eu beaucoup d'intérêts pour la vigne. C'est une plante qui lui

inspire le respect. Peut-être plus par le jus de ses fruits, qui une fois transformé en

vin, lui apporte, lorsqu'il le boit avec modération, un plaisir et un bien être que

peu d'autres boissons peuvent lui apporter. La vigne accompagne les civilisations

depuis la nuit des temps, c'est pourquoi, parler de la vigne ou du vin, c'est parler

de la culture des civilisations qui se sont succédées dans les zones tempérées de

notre planète depuis l'avènement de l'humanité.

Pour qui a déjà eu l'occasion de s'isoler quelques instants sur une vigne, il est plus

facile de comprendre la force symbolique de cette plante, qui très souvent est

Page 199: Livre de l'Apprenti Macon 01

représentée comme l'arbre de la vie et de la connaissance. Elle pourrait être

également symbole de la force et de la volonté, car elle possède une vivacité de

croissance extraordinaire dans les terres les plus pauvres.

L'Hiver

La vigne en hiver a un aspect très sombre. La couleur noire du cep avec son

écorce plucheuse fait penser à un végétal mort. De plus, plantée sur des hectares

de terre caillouteuse, sans herbe, la vigne donne au paysage un aspect très sévère

et triste. Un peu, comme si toute vie avait disparu de sa surface. Très souvent,

nous découvrons, en parcourant les lignes entre les ceps, ici le cadavre d'un

oiseau là, la peau desséchée d'un lézard ou d'un serpent, comme pour nous

rappeler la réalité de la vie, elle ne nous est que prêtée.

La mort est l'arrêt du muscle cardiaque, l'extinction du souffle et la putréfaction

de l'enveloppe charnelle. Ce corps qui se décompose et se disperse dans le

cosmos sous forme d'hydrogène, d'hélium, de carbone et autres particules,

Page 200: Livre de l'Apprenti Macon 01

retourne régénérer le cycle de la vie. Autrement dit, cette mort, au niveau de

l'univers n'est qu'apparente, car la disparition du singulier, renouvelle l'ensemble.

Ceci se remarque particulièrement dans les vignes rocheuses, par l'apport

d'humus que crée la caducité des végétaux et la mort des animaux, augmentant, la

couche de terre, matrice de la vie.

Jusqu'à l'âge de cinq ou six ans pour moi, la mort n'existait pas. Puis elle s'est

lentement dessinée, lointaine, horrible, mais réservée aux autres. Par la suite,

l'adolescence et ses questions, les responsabilités familiales et professionnelles

ainsi que le décès de personnes m'étant de plus en plus proches en âge, ont petit à

petit changé la vision de mon petit cosmos personnel, de la vie et donc de la

mort. Progressivement j'ai ressenti un sentiment de mal-être me poussant à

rechercher le comment et le but de la création. Recherche louable, mais à mon

niveau impossible. Ce sentiment, je l'ai compris bien plus tard, était généré par

l'impression que j'avais inconsciemment d'avoir jusqu'à ce jour, vécu

parallèlement aux moments réellement importants de ma vie. Partant de

Page 201: Livre de l'Apprenti Macon 01

l'ensemble, je me retrouvais à chercher la compréhension du particulier, c'est à

dire, mon moi.

« Sorti des écoles, j'ai trouvé un travail, je me suis marié, j'ai eu des enfants, j'ai

travaillé. Au début il a fallu faire ses preuves, et les menus de fins de mois étaient

très souvent : patates et fromage. Mais la force, l'appétit et l'optimisme de la

jeunesse aidant, j'ai commencé à grimper les échelons de l'échelle dite sociale.

Dès arrivé sur un échelon que déjà le suivant m'appelle. C'est Byzance, je suis le

roi. C'est un voyage à la japonaise au cours duquel je prends des photos des

moments de ma vie que je juge importants. Je les regarderai lorsque j'en aurai le

temps. Lorsque je serai arrivé ! Arrivé où ? Il me reste ces clichés jaunis, écornés

et la question : ai-je apporté à ceux que j'aime tout ce que je pouvais leur

apporter, au moment voulu ? Mes enfants sont maintenant hors de la maison, et je

n'y ai vu que du feu !

Cette réflexion m'est venue une fin d'après-midi de blues, alors que je m'étais

retiré dans une vigne accrochée à la montagne, cent mètres au-dessus du Rhône.

Page 202: Livre de l'Apprenti Macon 01

Chaque fois que je m'y rends seul, je suis troublé par deux sentiments simultanés

et contraires. Je me sens fort et heureux de vibrer avec la nature, impressionné

par le panorama , mais d'autre part, je ressens de l'humilité face à la grandeur de

cette nature. Elle m'oppresse et me rappelle ma condition de fourmi. C'est un lieu

où je perçois souvent une ambiance de retraite initiatique qui m'inspire des

pensées existentielles, telles que le pourquoi et le comment de ce qui m'entoure et

surtout qui suis-je là au milieu ?

Tout homme travaillant la vigne tous les jours de l'année, pratiquement isolé dans

la nature, se trouve comme le récipiendaire dans le cabinet de réflexions. Il est

seul avec ses observations et surtout ses réflexions. Dès que l'on noue

conversation avec un tel personnage, bien que très souvent il s'exprime d'une

manière très simple, même quelque fois un peu frustre, on ressent une grande

maturité, une logique terrienne et une vaste culture d'autodidacte, acquise par la

communion avec la nature. Sans vraiment le vouloir, quoiqu'un peu goguenard, il

vous suggère qu'intelligent et peu cultivé vaut mieux que cultivé et peu

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intelligent. Pour lui il n'est qu'intelligent, car son humilité l'empêche de

reconnaître sa culture. Le vigneron est un de ces hommes, pondéré, ne prenant

pas la parole sans avoir réfléchi. Il vit ce silence qui l'accompagne tout au long de

l'année. Il a le temps d'analyser toutes les questions qui lui viennent à l'esprit.

C'est certainement avec les difficultés et dans la douleur que l'on fait le plus de

progrès. Par la perte d'un être cher, cette séparation irrévocable qui brutalement

nous laisse appréhender ce que cet être était pour nous, ce qu'il nous apportait.

N'y aurait-il pas quelques remords de ne lui avoir pas toujours montré tout

l'amour qu'on lui portait ? Regrets égoïstes adoucis par la pensée qu'il n'y a plus

de souffrances, ni physiques, ni morales et que la vie continue à travers les

nouvelles générations. Cette bipolarité, nous l'observons l'hiver en contemplant

une terre gelée, recouverte d'un voile de neige, blanc, froid et triste comme la

mort, parce qu'éclairé par les rayons blafards de la lune, éclairage propice à la

veillée des morts. Ce sont ces mêmes rayons, qui la nuit donnent un signe de

lumière et de vie en vainquant les ténèbres.

Page 204: Livre de l'Apprenti Macon 01

La lune meurt à chaque lunaison et renaît trois jours après symbolisant une

certaine pérennité. De par ses disparitions et apparitions régulières, elle est

devenue le calendrier de l'homme, la mesure du temps qui s'écoule.

Le Printemps

Au printemps, la taille de la vigne bat son plein. L'atmosphère se réchauffe et la

végétation reverdit lentement. Les amandiers en fleurs forment de grandes boules

de couleur blanche dans le paysage et participent à un grand concours de beauté

avec les magnolias et les forsythias. Le vigneron coupe les sarments et forme le

cep à trois cornes.

Le chiffre trois est présent dans la vigne, par le mode de culture conduit en

gobelet, où le cep est habituellement taillé à trois cornes, et rappelle l'importance

du ternaire. La vision de tous ces ceps présentant leurs trois cornes disposées en

triangle fait penser à un texte maçonnique ou à la signature du maçon,

symbolisant, sa volonté de transformer l'opposition de son unité personnelle avec

Page 205: Livre de l'Apprenti Macon 01

le deux de l'autre ou de son environnement, à travers la recherche de la

connaissance de soi et la compréhension d'autrui. Le moi additionné à l'autre par

le travail intérieur effectué, devrait donner le résultat, compréhension, fusion. Le

trois nous ramène au moi qui se connaît mieux par son travail envers l'autre. Il

représente la synthèse de un plus deux. Le mariage et la création d'une famille en

est un des plus beaux symboles.

Les sarments coupés, très rapidement la sève monte et la vigne se met à pleurer

par les blessures occasionnées par la taille. Toutes ces gouttes de sève pendantes

aux ceps, paraissent, sous un rayon de soleil, tels des myriades de petits diamants.

C'est la renaissance de la vigne. Les bourgeons verdissent et attendent la

première pluie chaude pour éclater. Cette eau, sans laquelle la terre ne serait

qu'un énorme rocher stérile, fécondera la terre comme le sperme féconde la

femme. Une petite pluie fine de printemps, et c’est le ciel qui fait l'amour avec la

terre. L'eau, ici, est l'emblème de la vie. Sans eau c'est la sécheresse, la mort.

Pratiquement toutes les civilisations ont considéré ou considèrent l'eau comme un

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symbole de vie important. La Bible et le Coran contiennent un très grand nombre

de paraboles parlant du symbolisme de l'eau. Il en va de même, entre autres, chez

les Hindous et les Aztèques.

Le symbolisme de l'eau est ambivalent, car l'eau est également un symbole de

mort par les tornades, le déluge, les tempêtes et les inondations qui sont décrites,

souvent, comme des punitions données aux méchants.Nous utilisons également

l'eau pour laver, pour nettoyer et par conséquent l'eau est aussi un symbole de

purification, de renouveau.

Le climat du Valais étant très sec car les pluies y sont plus rares que partout

ailleurs en Suisse, les Valaisans ont dû aller chercher l'eau dans les montagnes,

très souvent à plus de trente kilomètres des cultures. Pour ce faire, ils ont

construit des petits canaux qui partent pratiquement de dessous les glaciers et

viennent arroser les vignes et les cultures des coteaux de la plaine du Rhône. Ces

canaux se nomment les Bisses. Leur construction a nécessité une large

connaissance technique et pratiquement les mêmes outils que ceux des bâtisseurs

Page 207: Livre de l'Apprenti Macon 01

de cathédrales. En effet ces bisses traversent des terrains très variés, il a fallu ici

creuser le lit du canal dans le rocher ou, là faire un mur de soutènement en pierres

sèches, quelque fois façonnées, taillées avec ciseau et maillet. Le lit du bisse

devant avoir une déclivité constante et minimale pour garantir un débit régulier et

pas trop important, le niveau et la règle étaient indispensables. Peut-être, les

Valaisans ne donnaient-ils pas la même symbolique que les maçons à leurs outils,

mais par l’œuvre accomplie et la précision atteinte, sans l’aide d’ingénieurs, ils

ont prouvé qu’ils avaient acquis un haut niveau de réflexions et de connaissances.

Ceci se remarque d’une manière plus précise dans les murs de pierres sèches de

certaines vignes, qui atteignent une hauteur de 18 mètres et dont le fruit a une

régularité remarquable.

Par la somme des travaux effectués ils ont démontré leur volonté et leur

persévérance, symbolisées par le maillet (actif). Avec le peu de moyens

mécaniques dont ils disposaient pour réaliser ces constructions, nous devinons le

nombre de problèmes, de difficultés qu’ils ont dû appréhender, résoudre ou

Page 208: Livre de l'Apprenti Macon 01

éviter, symbolisés par le ciseau (passif). Avec le niveau et la règle ils ont nivelé

les irrégularités du terrain et gardé une pente constante, comme nous devons dans

notre quête de la sagesse, supprimer les irrégularités qui nous en détournent et

toujours regarder notre but lointain.

L'Été

Dès que les cigales se mettent à chanter, c'est l'été, il fait très chaud. La vallée a

pris son air de Provence. Contre les murs de la vigne, les rayons du soleil arrivant

perpendiculairement sur le thermomètre de la guérite, font monter le mercure à

des hauteurs qui nous conseillent de sagement rester à l'ombre de la treille. Le

mercure qui s'échauffe contre le mur, est surprenant, car un métal, est

généralement solide à la température ambiante, lui s'adapte aux situations, il se

liquéfie, s'évapore. Il est le purificateur de l'or, mais il a aussi un côté médiateur

peut-être un peu entremetteur par sa fluidité et sa manière de s'amalgamer.

Page 209: Livre de l'Apprenti Macon 01

Les effeuilleuses, des écolières, des étudiantes et des femmes de la région, sont

sur la vigne, en plein soleil et abritées sous leur chapeau, elles arrachent les

feuilles qui portent ombrage aux raisins, à fin qu'ils mûrissent mieux. Elles

montent ou descendent les lignes au rythme de leur labeur très souvent en

chantant, comme si elles remerciaient le soleil de nous chauffer.

Le soleil, le feu qui fait fondre les métaux, empêche l'eau de se transformer en

glace et sans qui aucune vie ne serait possible sur terre, n'est pas seulement un

symbole de vie, mais également, celui de l'esprit, de la connaissance et de la

pureté. Le soleil par son extrême chaleur et par les radiations qu'il nous envoie

peut aussi être un symbole de mort comme le feu d'essence démoniaque est signe

de destruction, de punition. Le feu et l'eau, sont deux éléments contraires qui

symbolisent, la purification, une purification spirituelle par le feu et plus

matérielle par l'eau. Comme nous l'avons vu plus haut, tous les deux représentent

également la mort. Il n'est pas rare que des couples de symboles soient formés

Page 210: Livre de l'Apprenti Macon 01

d'individualités pour le moins différentes, si ce n'est antagonistes. Un autre de ces

couples est le couple soleil-lune, les deux luminaires de la vigne.

Le soleil est une étoile, masse en fusion qui émet une énorme quantité de chaleur

et une intense lumière, alors que la lune est un corps froid d'extraction planétaire

réverbérant la lumière du soleil. L'un et l'autre symbolisent, entre autre, la

connaissance. Le soleil est la connaissance intelligente active, celle que nous

acquérons par notre propre recherche. La lune est la connaissance apprise,

passive, par reflet. Pour nous, d'origine latine, le soleil est masculin, actif, viril, et

la lune est féminine, passive et changeante. Pour les germaniques, avec beaucoup

d'autres peuples, le soleil, die Sonne, est féminin et la lune, der Mond, est

masculin. C'est le féminin qui est actif. Il serait faut de penser qu'en symbolique

les comparaisons sont axées sur les différences sexuelles de l'homme et de la

femme. Au sens ésotérique le masculin donne et le féminin reçoit, alors que chez

l'homme et la femme, sur le plan psychique et biologique, tous les deux sont

formés de caractères mâle et femelle. La croyance dogmatique d'une différence

Page 211: Livre de l'Apprenti Macon 01

autre que physique, entre hommes et femmes, est en train de s'estomper, dû à

notre actuel mode de vie et à l'influence de l'éducation de plus en plus égalitaire

donnée aux filles et aux garçons.

Lorsque le soleil est au zénith, tout travail s'arrête dans la vigne et les gens vont

se réfugier à l'ombre des plantes et rechercher un éventuel petit souffle d'air. Ce

souffle est la vie des êtres vivants, il est le signe tangible de l'élément vital dans

lequel ils vivent et qui les sépare de l'infini. C'est maintenant le moment le plus

chaud de la journée. Après le casse-croûte, tout le monde s'assoupit. Alentour, il

n'y a qu'un silence de braise.

Le silence est certainement source de paix et de bien être, comme par exemple,

lorsque par une chaude nuit d'été, vous vous couchez sur le dos entre deux lignes

de ceps et vous contemplez les étoiles dans un environnement absolument

silencieux, vous vivez un moment privilégié. Une telle paix vous envahit, que

vous avez l'impression d'être en lévitation ou sous la voûte du temple, entrain de

participer à une chaîne d'union avec le monde entier.

Page 212: Livre de l'Apprenti Macon 01

Le silence à d'autres occasions, peut être source de mal-être, d'anxiété. Tel que

peu avant l'orage, la vigne arrête de bruire, il n'y a plus un brin d'air, les oiseaux

et autres animaux se terrent. C'est le silence avant le déchaînement des éléments.

Le vigneron anxieux espère qu'il n'y aura pas de grêle et que ses murs tiendront le

coup. Dans les relations humaines le silence signifie : ne pas parler, écouter, ne

pas correspondre. Ici de nouveau le silence a deux états. L'un positif et l'autre

négatif.

Le silence de l'apprenti est sans conteste un silence positif qui par l'écoute et la

réflexion lui permet d'apprendre. Ce silence me révèle le long chemin que j'ai

encore à parcourir jusqu'au jour où un commencement de sagesse pointera en

moi. Tant bien que mal, je tente d'utiliser le silence dans tous mes rapports avec

autrui. C'est un travail de longue haleine et les rechutes sont nombreuses. Je dois

avoir à tout moment le silence à l'esprit pour que lorsque je suis d'un avis

différent ou que je me sens agressé, se déclenche en moi une action de réflexion

Page 213: Livre de l'Apprenti Macon 01

plutôt qu'une réponse non méditée, dont le sens et la manière, seront certainement

mauvais et agresseront mon interlocuteur.

Le silence aide au respect et à la compréhension de la pensée d'autrui. Il nous

ouvre à la réflexion par l'écoute des arguments et objections, nous menant en

direction de la connaissance de notre moi. Il est aussi des silences négatifs tel que

la bouderie ou le mutisme face à l'injustice. Dans ces cas le silence est une

lâcheté et une solution de facilité. Comme en musique, où les silences, plus ou

moins longs, ont une grande importance, nos différents silences rythment notre

humeur.

Le silence intéressé

le silence respectueux (protégé, parce qu'en voie de disparition)

Le silence amoureux

Le silence douloureux

Page 214: Livre de l'Apprenti Macon 01

Le silence découragé

Le silence de la mort

Le silence du sommeil

Le silence de la réflexion ...

L'Automne

Le mois de septembre touche à sa fin, le vigneron est redescendu de son mayen

(chalet de montagne). Calmement mais avec un peu d'anxiété, il parcourt sa

vigne, contrôlant les belles grappes bien mûres et s'assurant que pendant son

absence il n'y a pas eu d'attaques de pourriture ou de mildiou. C'est le moment de

préparer les passages pour les vendangeuses et les brantiers, de réviser les

moteurs des treuils, des téléphériques et de rafistoler les marches d'escaliers

branlantes. Ces marches d'escalier crochées aux murs qui nous permettent, de

monter dans la vigne, lentement, avec précaution dans les passages difficiles,

Page 215: Livre de l'Apprenti Macon 01

illustrant notre ascension laborieuse vers la connaissance, ou de descendre à la

recherche du livre symbolique caché.

Les préparatifs terminés, les vendanges sont là. Les vignes grouillent de monde

Les routes viticoles sont encombrées, bloquées par trop de jeeps, tracteurs et

remorques. On crie, on rie, on s'engueule et le jus coule à flots dans les pressoirs.

Les vendanges se passent bien. C'est le salaire de dix mois de labeur. Dès que la

vigne a donné ses fruits, comme pour fêter ce succès par un dernier feu d'artifice,

le coteau se pare de brillantes couleurs , jaune or pour le fendant, rouge écarlate

pour les gamay et pinot noir et un beau vert, encore tout estival pour les vignes

non encore vendangées.

A l'aube de l'humanité, au Moyen-Orient, la vigne était considérée comme sacrée

et le vin était réservé aux dieux. En Valais les quelques cinq mille hectares de

vigne appartiennent à plus de vingt-deux mille vignerons. C'est dire que chaque

famille est propriétaire d'un lopin de vigne, et elle y tient comme à la prunelle de

ses yeux. La vigne représente la richesse qui se transmet de père en fils. Le fils

Page 216: Livre de l'Apprenti Macon 01

doit accepter cette vigne et c'est un déshonneur que de la vendre à un tiers.

Durant l'année les anciens iront contrôler si cette précieuse vigne est cultivée

selon toutes les règles de l'art. Si c'est le cas, il aura l’aide de toute la famille pour

les vendanges.

Une fois les vendanges terminées, après deux ou trois nuits fraîches, les couleurs

s'éteignent, les feuilles brunissent et la vigne n'attend plus qu'un coup de vent lui

mette son habit d'hiver. Par contre, à la cave, dans la douce chaleur des cuves en

fermentation, le sang de la terre frémit en laissant échapper des senteurs de

carbonique pétillant et de fruits murs. Le vin nouveau est prometteur. Ce vin qui

met la joie au coeur de l'homme symbolise chez les anciens la connaissance,

l'initiation, l'immortalité ou encore la boisson de l'amour divin.

« Notre verre était la pleine lune. Lui, il est un soleil , un croissant le fait

circuler. Que d'étoiles resplendissent quand il est mélangé.

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On a fait une distinction , mais le tout est un, nos esprits sont le vin et nos corps

la vigne. »

Extrait de AL KHAMRIYA (L'éloge du vin), poème mystique de Omar Ibn AI

Fâridh.

LA FRANC-MACONNERIE UNE PHILOSOPHIE DU DEVOIR

Le point de départ de cette planche est une remarque faite par un frère d’une Loge sœur qui, lors d’une instruction commune, en réponse à une remarque d’un autre frère qui parlait des « droits des Maçons », lui a répondu que dans la Franc-maçonnerie, il n’y a que des obligations et pas de droits. Cette remarque m’a fait réfléchir et m’a amené à travailler sur ce thème. Cette planche résulte de cette réflexion et porte sur la problématique suivante: la Franc-maçonnerie est une philosophie du devoir.

A la réflexion, je me suis aperçu que dans la Franc-maçonnerie, telle que nous la concevons et pratiquons, aucun Frère ne peut se prévaloir de droits spécifiques pour revendiquer l’accès à tel ou tel grade, à telle ou telle charge ou office. La Franc-maçonnerie se caractérise donc par le fait que tout est devoir et obligation. C’est même une exception maçonnique qu’une organisation humaine ne garantit à ses membres aucun droit particulier pour accéder à un tel ou tel office, grade ou charge, alors qu’elle leur impose des devoirs et obligations. Toute organisation profane est hiérarchisée. L’accès à des responsabilités ou l’augmentation de salaire y est statutairement et juridiquement défini. Quiconque se sentant injustement traité peut s’appuyer

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sur les règles juridiques pour faire valoir ses droits. Il en va autrement en Franc-maçonnerie, même si on parle de « juridictions maçonniques ».

Le fait qu’en Franc-maçonnerie les devoirs et obligations priment sur le droit, constitue une originalité qui mérite qu’on s’y attarde. Car la première question qui se pose est la suivante : comment est-il possible qu’une organisation qui impose des devoirs et obligations à ses membres et ne leur offre aucun droit, puisse-t-elle exister et perdurer ? Deuxième question : comment des frères soumis à tant de devoirs et d’obligations peuvent-ils accepter de s’y soumettre de bonne grâce et sans rechigner, alors que dans n’importe quelle organisation profane ceci paraîtrait difficilement concevable et applicable ? Ce sont ces deux questions dont traite cette planche, qui au préalable précise certaines des devoirs et obligations des Francs-maçons.

I. Les devoirs et obligations en Franc-maçonnerie

Pour traiter des devoirs et obligations, il faut partir du texte fondateur de la Franc-maçonnerie symbolique, celui de James Anderson. Les Constitutions d’Anderson de 1723 stipulent dans l’article 1 qu’un « Un Maçon est obligé par sa Tenure d'obéir à la Loi morale et s'il comprend bien l'Art, il ne sera jamais un Athée stupide, ni un Libertin irréligieux ». Il y a donc d’une certaine manière l’obligation pour les Maçons de se soumettre à ce que James Anderson appelle une Religion que tous les hommes acceptent et « qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d’Honneur et de Probité ». C’est là un élément de moralité.

Dans l’article 2 des mêmes Constitutions, il est dit qu’un Maçon ne doit jamais être mêlé aux Complots et Conspirations contre la Paix et le Bien Être de la Nation, ni manquer à ses devoirs envers les Magistrats inférieurs (…). Aussi, si un Frère devenait Rebelle envers l'État, il ne devrait pas être soutenu dans sa Rébellion, quelle que soit la pitié que puisse inspirer son infortune ». Dans l’article 3, il y est dit que « Les Personnes admises comme membres d'une Loge doivent être des Hommes bons et loyaux, nés libres, ayant l'Age de la maturité

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d'esprit et de la Prudence, ni Serfs ni Femmes ni Hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation ». Bien sûr, l’interdiction des femmes n’est plus acceptable; preuve en est le nombre de Loges féminines qui existent aujourd’hui.

Du point de vue de la conduite des Maçons en Loge, l’article 4 des Constitutions d’Anderson stipule que les Frères Maçons lors d’une tenue ou une activité en Loge ne doivent interrompre ni le Maître, ni les surveillants ni aucun Frère parlant au Maître ; aucun Frère ne doit user d’un Langage malséant ; tous doivent manifester à l’égard des uns et des autres une Déférence et un respect. S’agissant de la conduite des Frères hors tenue mais dans le Temple, comme par exemple lors des agapes, il est dit dans les constitutions d’Anderson que les Frères doivent adopter une attitude modérée et éviter les excès et les offenses. Les Brouilles et les Querelles privées ne doivent pas passer le Seuil de la Loge (c’est la formule : laisser les métaux à la porte du temple). On doit éviter les querelles de religion, du nationalisme ou de la politique.

En présence des non-Maçons, les Constitutions d’Anderson prescrivent ceci : « Vous serez circonspects dans vos Propos et dans votre Comportement, pour que l'Étranger le plus perspicace ne puisse découvrir ni deviner ce qu'il ne doit pas connaître, et vous aurez parfois à détourner la Conversation et à la conduire prudemment pour l'Honneur de la vénérable Fraternité ». Dans sa vie privée et dans son Entourage, précise les Constitutions, le Franc-Maçon « doit agir comme il convient à un homme sage et de bonnes mœurs ». En particulier il ne doit pas évoquer les affaires de la Loge en famille, à des amis ou à des voisins. Il doit être soucieux de son propre Honneur. A l’égard d’un Frère étranger, le Franc-Maçon doit lui prodiguer le respect qu'il mérite; et s'il est dans le besoin, et s’il le peut, il doit le secourir, ou tout au moins lui indiquer comment il peut être secouru. Un Frère Maçon doit repousser toute Dispute et Querelle, toute Calomnie et Médisance. Il ne doit pas permettre qu’un Frère honnête soit calomnié ; il doit défendre sa Réputation.

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Comme on le voit, les constitutions d’Anderson contiennent un ensemble de devoirs et obligations, ainsi que des prescriptions concernant la conduite des Frères Maçons. Ce texte fondamental de la Maçonnerie symbolique est rempli de devoirs et obligations que les Maçons doivent respecter. Il n’y est jamais question de droits.

Par ailleurs, et s’agissant du fonctionnement d’une loge, rappelons que le Frère Maçon nouvellement initié est soumis pendant sa période d’apprenti à l’obligation du silence. Certes, dans des circonstances précises et selon des modalités fixées, il peut prendre la parole et s’exprimer. Mais pour le reste du temps, il doit garder le silence, se taire en loge. C’est une des obligations les plus difficiles et qui contredit les usages profanes où chacun est sollicité de donner son point de vue à tout bout de champ. Là aussi on voit que la vie maçonnique a des exigences que des profanes ne les supporteraient pas. Si la parole est d’argent, dit-on dans la vie profane, le silence est d’or. L’Or dans l’alchimie est la matière la plus pure et la plus noble. En philosophie, c’est la vérité. Par le silence, chaque Frère apprenti s’efforce d’accéder à sa propre vérité, en dégrossissant sa pierre et en la purifiant, en quelque sorte.

Comme autre devoir et qui, en principe, s’impose à tous, c’est celui qu’on pourrait appeler celui de la parole rare. Quand un Frère prend la parole, il doit parler une seule fois pour exprimer sa pensée, puis il se tait. Et lorsque selon la formule il conclut son intervention en disant J’ai dit, cela signifie qu’il a été au fond de sa pensée, qu’il a bien « ramassé » ses idées et les a exposées le plus clairement possible à des Frères, qui eux-mêmes écoutent attentivement. Ensuite, il retourne au silence.

Cette obligation n’est pas toujours respectée, car elle exige un gros travail sur soi, celui d’écouter d’abord, puis d’entendre ce que l’autre dit, puis avant même de parler, savoir ce qu’on veut dire exactement. C’est la raison pour laquelle la prise de parole est précédée d’un silence nécessaire qui permet à un Frère de se concentrer, de préparer les idées qu’il veut exprimer et les mettre en forme avant de prendre la parole. La parole du Franc-maçon est donc une

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parole rare. Il parle peu et lorsqu’il le fait, il va à l’essentiel, parce qu’auparavant il a mûrement réfléchi.

Cette obligation de la parole rare contredit la pratique courante dans la vie profane. Mes Frères, lors des débats à la radio ou la télévision, tout le monde parle en même temps au point où il souvent difficile de suivre la discussion. Chacun est soucieux de sa propre parole sans égard pour les autres, et ceci dans un fonctionnement égocentrique. Bien des Profanes, et des journalistes, en particulier, devraient s’appliquer la règle maçonnique du silence et de la parole rare. Bien des malentendus et des polémiques stériles pourraient ainsi être évitées et des conflits désamorcés si, dans la vie profane, on appliquait cette règle d’or de la parole rare.

Les devoirs et les obligations sont très présents dans la culture maçonnique et dans la vie d’un Maçon en général, au point où on peut se demander comment des Frères puissent obéir et accepter une organisation qui ne leur assure aucun droit ? La réponse est qu’un véritable Maçon agit non pas dans le but prioritaire et unique de transformer le monde qui l’environne et sur lequel il aurait des droits. Il agit d’abord sur lui-même pour se transformer intérieurement en utilisant les outils symboliques que la Franc-maçonnerie met à disposition. En ce sens, le travail du Maçon consiste à utiliser des outils hérités des Anciens pour devenir autre chose que ce qu’il est. En frappant à la porte du Temple, le candidat à l’initiation se présente non pas avec sa fortune ou sa gloire, ces choses dont il sera rapidement dépouillé, mais avec sa personne, avec ce qu’il est et ce qu’il souhaite devenir.

En entrant en Franc-maçonnerie, le « jeune » initié s’engage à se débarrasser des idées préconçues, de toutes les fausses convictions qui l’empêchent d’acquérir de nouvelles connaissances et de recevoir la Lumière. Dans ce sens, il doit laisser les métaux à l’entrée du temple. D’ailleurs, en entrant dans le Temple le nouvel initié est dépouillé provisoirement de tous les objets métalliques (monnaie, bijoux, décorations, etc.). Ce geste n’est que symbolique car ce dont il doit se dépouiller, en vérité, c’est du vieil homme en

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lui pour laisser progressivement place à l’Initié. Il doit se dépouiller des préjugés et des choses futiles: « l’homme qui aspire à être libre doit apprendre à se détacher des choses futiles », écrit Oswald Wirth dans le Livre de l’Apprenti »[1]. Il doit regarder à l’intérieur de lui-même, approfondir la connaissance de lui-même. Il doit faire preuve d’humilité en acceptant l’impératif d’ignorance : je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais qu’épeler.. C’est en reconnaissant son ignorance qu’il peut accéder à la connaissance.

La caractéristique de la Franc-maçonnerie c’est le fait que les devoirs et obligations des Francs-maçons sont contractés de manière libre et responsable. Pour devenir Maçon, il faut être « libre et de bonnes mœurs ». C’est donc en toute liberté que le Franc-maçon contracte ces obligations. Le devoir implique la liberté. La Franc-maçonnerie propose un type d’enseignement, appelle un mode de conduite, suggère une morale de vie. Cependant, elle laisse les hommes et les femmes libres de suivre la voie initiatique. C’est à peu près ce que dit Mark Stavish[2] dans un livre sur la Franc-maçonnerie: « La franc-maçonnerie n’est pas une doctrine d’une loi divine révélée, mais se définit comme un système d’enseignements où, sous le voile du symbolisme, un savoir moral se cache ». Elle n’a rien d’un dogme, dit-il, car elle laisse le Maçon libre d’interpréter à sa guise son expérience rituelle. La Franc-maçonnerie propose et bien entendu l’homme dispose. Dans son essence, elle constitue « un outil qui sert à bâtir, à construire des personnes, des communautés et des sociétés meilleures.

Les enseignements de la Franc-maçonnerie sont universels, en ce sens qu’ils s’adressent à l’humanité, à ce que nous sommes tous, indépendamment de nos croyances religieuses. Elle s’adresse à des êtres humains en quête de progrès, des êtres qui aspirent à parfaire l’existence humaine, des individus qui, enfin, sont à la recherche de la Lumière. La philosophie des Francs-maçons est universelle et les enseignements qu’elle peut nous livrer transcendent les cultes et les sectes. Elle n’est pas une religion, même si il est question du Grand Architecte de l’Univers. Elle n’impose aucune croyance, sauf de croire

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en un Etre supérieur, quelque soit par ailleurs la domination que lui donnent les peuples de la terre. C’est une organisation spéculative et philosophique.

Ayant montré que les notions de devoir et d’obligation sont largement présents dans la philosophie maçonnique et dans la vie du Franc-maçon, il importe de s’interroger sur le sens profond de la notion de devoir dans ses rapports à la contrainte.

II. Q’est ce que le devoir et l’obligation ?

Les devoirs et les obligations en Franc-maçonnerie (les Landmarks) sont multiples. Il est importe donc de s’interroger philosophiquement sur les notions de devoir et obligation dans leurs rapports à la contrainte. Ce qui importe de dire d’emblée c’est que le devoir ou l’obligation n’est pas synonyme de contrainte ; le devoir est une sorte d’impératif catégorique au sens d’Emmanuel Kant (1724-1804)[3]. Le devoir, c’est ce qui nous incombe de faire ; c’est ce que le code moral impose.

Pour bien comprendre la différence entre l’obligation et la contrainte, utilisons l’exemple de l’automobiliste. Le code de la route stipule que l’automobiliste doit s’arrêter au stop, mais rien ne le contraint à le faire. Le stop n’est qu’un mur virtuel matérialisé par une ligne blanche. Le conducteur a cependant l’obligation morale de le faire car quand il a passé son examen pour l’obtention du permis de conduire et il s’est indirectement engagé à suivre et à respecter le code de la route, bien que rien ne le contraint physiquement à le faire. On pourrait dire que si l’automobiliste s’arrête, c’est parce qu’il y a un policier ou un radar et qu’il risque donc d’être verbalisé s’il ne s’arrête pas au stop. Mais l’autorité n’est pas toujours derrière et heureusement pour la société il n’y a pas un gendarme derrière chaque individu, de même qu’il n’y a un radar à chaque stop. Malgré cela, les conducteurs s’arrêtent au stop, même dans les lieux les moins fréquentés, parce qu’ils ont intériorisé la règle comme un impératif catégorique au sens kantien du terme. Le comportement du conducteur respectueux des prescriptions résulte du devoir et d’une obligation morale.

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Le devoir signifie donc être tenu par une obligation intérieure. C’est être tenu par un lien bien particulier : il ne s’agit pas d’une contrainte ou d’un déterminisme naturel, car ce serait réduire le devoir à un effet de la nature, à une conséquence qui ne pourrait pas ne pas être. Le devoir implique donc un choix et par conséquent la liberté. Le devoir désigne une exigence morale, un lien qui n’est pas de l’ordre contraignant et du nécessaire ; il est de l’ordre de l’obligation qui résulte d’un lien entre une action à accomplir et une loi morale qui commande absolument.

Avec le devoir, dit Jean-Jacques Rousseau apparaît la distinction entre les lois de la nature et les lois morales qui peuvent être violées alors que les premières sont inéluctables. Dans le Contrat social, Rousseau distingue le domaine de la nature et celui des valeurs morales : si les lois morales peuvent être violées, il est de l’essence des lois de la nature de ne pouvoir l’être. Au contraire des lois de la nature qui sont nécessaires, l’obligation morale suppose le devoir comme exigence de la conscience, et le pouvoir de s’y soustraire. Pour Rousseau, il n’y a pas de devoir sans liberté. Le devoir implique toujours un arrachement à des conduites déterminées ou forcées. Il implique un choix entre des possibilités que la conscience fait apparaître ; il implique aussi un consentement, un engagement raisonnable qui mobilise la pensée et la volonté. Le devoir est preuve de liberté car il exige que chacun maîtrise les tendances naturelles. L’homme choisit de suivre l’une de ses deux natures, la nature forcée ou la nature libre. La liberté consiste à suivre le devoir par un libre choix ; dans ce sens le Franc-maçon, parce qu’il est libre, peut accepter des devoirs qui lui génèrent des obligations.

Il faut donc bien distinguer contrainte et obligation : dans la contrainte il y a la notion de force qui prime : la force du droit ou la force de la nature. Dans l’obligation il y a la notion du devoir qui est une force intérieure à l’individu. Elle est associée à la liberté, c’est-à-dire la conscience comme possibilité de choisir un comportement autre qu’un comportement naturel ou un comportement forcé. Lutter pour la vie en se procurant les éléments de base

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est un comportement naturel. Ceci n’a rien à voir avec la liberté. L’obligation nous invite à obéir au meilleur de nous-même, à la loi qu’on s’est prescrite ou qu’on s’est donnée, à la raison pratique, aux règles qu’on a librement acceptées.

Emmanuel Kant définit le devoir comme un impératif catégorique. Que le devoir soit un impératif signifie qu’il se présente comme un commandement, une obligation à laquelle nous obéissons sans perdre notre liberté ; c’est l’obéissance à la loi morale qui est la loi de la raison dans la mesure où elle est adoptée librement. Obéir à l’injonction du « tu dois » c’est, pour la volonté, s’affranchir des mobiles sensibles et subjectifs, c’est agir en se donnant ses propres lois (ce qui est la définition de l’autonomie).

III. Pourquoi les Francs Maçons acceptent-ilsles devoirs et obligations ?

Comme l’écrit Mark Stavish dans son livre, « l’appartenance à la Franc-maçonnerie est un privilège, non un droit, idée bien étrangère à l’obsession de la société moderne pour l’inclusion forcée et les droits individuels dépourvus de toute forme de responsabilité personnelle. Ce principe confère à la Franc-maçonnerie une place à part, la distingue de bien des organisations. Cela explique pourquoi elle est considérée non comme une simple « fraternité », mais plutôt comme un véritable mouvement initiatique –non seulement cérémoniale, mais aussi spirituelle ».

Personne ne peut devenir Franc-maçon contre son gré; c’est un acte de libre volonté. Il n’en est pas de même de la citoyenneté. L’adhésion à la Franc-maçonnerie implique des devoirs et des obligations que le Franc-maçon accepte librement sans prétendre à des droits spécifiques. Ayant choisi d’être initié, il se soumet aux devoirs et obligations maçonniques, sans qu’il ait le sentiment d’une oppression ou d’une contrainte. Dès lors que les obligations sont intériorisées, elles ne sont plus perçues par lui comme contraignantes. En outre, la soumission à des obligations est symboliquement rémunératrice ; le « salaire » que tout Franc- maçon perçoit sous la forme d’acquisition de

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connaissance de lui-même et des autres, d’amélioration et de reconstruction de soi, lui suffit à trouver dans la Franc-maçonnerie des raisons de se conformer aux devoirs et obligations.

IV. Comment expliquer que la Franc-maçonnerie perdure malgré le décalage par rapport aux règles de la vie profane ?

Si la Franc-maçonnerie perdure en dépit du fait que ces devoirs et obligations sont différents de la vie profane, c’est parce que cette organisation offre à ses membres un sentiment d’appartenance à une entité solidaire et fraternelle. Alors que la vie profane est faite de concurrence, de lutte plus ou moins violente, d’exclusion, de marginalisation, de lutte entre les riches et les pauvres, les instruits et ceux qui ne le sont pas, les savants et les ouvriers, la vie maçonnique, par contraste, offre à ses membres une manière de vivre qui transcende les divisions et dépasse les clivages. Toute Loge cherche atteindre l’harmonie (l’Egregor), ce qui n’est pas synonyme de monotonie ou d’uniformité ; chacun cherche à réunir ce qui est épars, cherche à faire vivre ensemble des gens qui sans la Franc-maçonnerie, dans la vie profane, ne se seraient jamais rencontrés ni tolérés.

Si les Loges devaient se soucier d’introduire et de faire respecter en leur sein les règles de la vie profane, elles signeraient leur décret de mort. Car ce qui fait la spécificité de la vie maçonnique c’est qu’elle est différente de la vie profane, aussi bien dans l’organisation des rapports entre ses membres que dans sa hiérarchisation. C’est pour cela qu’elle exerce un certain attrait sur les profanes. Ceux ou celles qui voudraient organiser la vie maçonnique selon les règles de la vie profane se tromperaient lourdement. La vie maçonnique n’a pas besoin de ressembler à la vie profane car les objectifs et les finalités de la Franc-maçonnerie sont autres et différents. Et si la Franc-maçonnerie a perduré à travers les âges et les siècles, c’est justement que son fonctionnement est en rupture avec celui de la vie profane. Celle-ci est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante, raison pour laquelle les hommes ont imaginé autre chose et ont crée une voie initiatique et maçonnique.

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Les Francs-maçons ont deux vies et ils sont conscients du décalage entre les deux univers maçonnique et profane. Loin de vouloir réduire le premier au second, ils essayent de vivre dans une tension permanente entre les exigences, les devoirs et obligations de la vie maçonnique et leur enracinement dans la vie profane. Ils assument l’ambivalence de l’appartenance à deux univers. C’est cela qui fait d’eux des êtres différents des communs des mortels.

La vie maçonnique n’a pas à être calquée sur la vie profane car l’ambition de la Franc-maçonnerie c’est de construire le Temple de l’humanité où les hommes vivront différemment et auront des relations régies par des règles qui réalisent l’émancipation de chacun et le progrès de tous. Les fondations de ce Temple s’édifient déjà dans les Loges maçonniques qui sont des Temples en miniature. Les loges sont des espaces de contre-valeurs par rapport aux valeurs de la vie profane ; leurs membres qui partagent des valeurs communes différentes de celles qui organisent la vie profane, constituent une sorte de Fraternité invisible.

La vie maçonnique ne peut ressembler à la vie profane. Alors que dans cette dernière, le droit a toute sa place pour réduire l’arbitraire des lois de la nature et l’arbitraire social qu’il soit économique, ethnique ou racial, dans la vie maçonnique ce sont les devoirs et obligations qui remplissent la fonction de l’ordre juridique dans la vie profane.

Conclusion

L’obligation et le respect des devoirs ne sont pas synonymes de soumission servile. L’obligation ne s’oppose pas à la liberté ; elle est même sa condition de possibilité. Elle crée un lien qui n’est pas l’esclavage ni la sujétion ; elle est librement consentie par la mise en œuvre des principes maçonniques. Et même si le droit y est absent, les devoirs et obligations qui régissent les rapports entre Frères Maçons et qui organisent la vie d’une Loge, bien que n’étant pas des règles de droit, ressortent de l’obligation morale et ont valeur de loi morale[4] à laquelle les Frères Maçons ont librement consentis. Ils ne peuvent donc que la respecter sans qu’il faille recourir à l’autorité publique, comme on

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le ferait dans la vie profane à l’égard des citoyens récalcitrants, pour faire appliquer la Loi.

L’initiation, le passage au 2e degré et l’élévation à la maîtrise sont octroyés, par les Frères Maçons les plus anciens, à tout Frère qui aura démontré qu’il en est digne, par son travail sur lui-même, son assiduité et l’approfondissement des principes maçonniques. Rien ne s’acquiert par la force ni par le droit. Les charges sont octroyées et confiées à des Frères appelés à occuper un office ou un autre. On n’y a pas droit. On doit les mériter, et le mérite est indépendant de la richesse ou du prestige ; il est indépendant également du droit.

La Franc-maçonnerie est accessible à tout homme et femme sans égard au rang social, à la fortune, à la race, à la religion, aux origines ethniques, à la richesse et aux diplômes. C’est cela qui fait de la Franc-maçonnerie une organisation initiatique universelle qui va bien au-delà de toute organisation profane, même la plus respectueuse des droits de l’homme. On n’entre pas en Maçonnerie parce qu’on y a droit ; on y accède par ce qu’on le veut et parce qu’on a été jugée digne d’y être reçu et initié.

Si nous acceptons les obligations que nous avons librement contractées ou si nous acceptons les obligations qui résultent de celles que nous avons consenties, c’est parce que nous ne les percevons pas comme des contraintes. C’est parce que nous les avons choisi que ces obligations nous paraissent acceptables. Elles ne sont pas justes parce que conformes au droit, mais parce qu’elles sont en cohérence avec la morale maçonnique qui renvoie à un Ordre fondé sur une philosophie du devoir plutôt que sur une philosophie du droit.

Planche au 1er degré22 mars 6010Loge Apollonius de Tyane

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[1] Oswald Wirth, La franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, sa philosophie, son objet, sa méthode, ses moyens, Editions Dervy, 1994, p. 125.[2] Mark Stavish, La Franc-Maçonnerie. Cultes, Mœurs, symboles et histoire d’une société secrète, Editions AdA, Canada, 2007, p. 21-33.

[3] Emmanuel Kant, Les Fondements de la métaphysique des mœurs, Delagrave.

[4] Bruno Bernardi, Le principe d’obligation, Paris, Vrin, 2007, 333p.

Conclusions du Frère Orateur

Sommaire

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← ABC

← AGIR

← AGIR EN HOMME LIBRE

← AMITIE

← AMOUR ET VERITE

← BONHEU R

← BOUDDH ISME

← COLLEG E DES OFFICIERS

← COLLEG E DES OFFICIERS (2)

← DOUCEU R

← ENSEIGN EMENT

← HEGEL

← INITIATI ON

← JUSTICE

← LIBERTE

← LIBERTE (2)

← LUMIER E

← MORT

← PENSEE

← PLATON

← POUVOI R

← PROGRE S

← PROSTIT UTION

← SERENIT E

← SPORT

← TECHNI QUE

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← ESCALA DE

← FORET

← FRATER NITE

← GUERRE

← VERITE

ABC

Les tenues mixtes ne sont pas monnaie courante au sein du Grand Orient de Suisse. Il nous est agréable d'avoir pu ce soir combler cette lacune et de nous être enrichi par le biais de ce premier contact, car il est plaisant de constater que partout où l'on porte les yeux, l'homme et la femme ne sont pas seulement différents, mais se complètent si bien qu'ensemble ils sont presque tout-puissants : maîtres de la vie, artisans de leur survie, de leur plaisir et de la nécessaire chaleur affective sans laquelle l'humain dépérit. Séparés l'un de l'autre, ils semblent à la fois inutiles et en danger de mort puisque incapables de se reproduire, comme si seule l'unité des deux avait sens et efficacité. L'un doit épouser l'autre et collaborer avec lui pour que l'humanité soit complète, c'est-à-dire susceptible d'atteindre la perfection.

AGIR

Lorsque nous sommes amenés à prendre une décision, à entreprendre une action, il nous arrive parfois de douter du bien fondé de notre démarche. Il est très facile de juger les autres mais beaucoup plus délicat de se juger soi-même. Combien de

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fois n'avons-nous pas entendu dire : les gens sont fous, les gens ne sont pas raisonnables, les gens sont malhonnêtes, les gens conduisent trop vite, etc... La première démarche à faire est de reconnaître que nous faisons tous partie de ces gens-là pour la simple et bonne raison que pour les autres, nous sommes nous-mêmes les autres, autrement dit : pour les gens d'en face, nous sommes les gens d'en face.

Alors, de quelle manière agir ? Quels sont les critères qui doivent nous servir de base pour prendre une décision? Le Maçon dispose d'outils qui l'aident à discerner, à juger pour pouvoir agir juste. Encore faut-il savoir utiliser ces outils, ce qui n'est pas forcément donné à tout le monde.

Je voudrais ce soir quitter notre temple pour aller voir ce qui se passe ailleurs. Je voudrais vous emmener au cœur de la civilisation Hindoue afin de voir de quelle manière les gens de là-bas traitent ce problème.

La réponse selon les hindouistes se trouve dans un livre que la tradition dit avoir été écrit par le dieu Ganech, celui qui a une tête d'éléphant. Il s'agit d'un texte très ancien qui date d'environ 300 ans avant notre ère et qui relate des faits qui se sont déroulés il y a 3000 ans.

La légende a pour nom Mahabarata. Il s'agit du récit d'une épopée qui compte environ quatre cent mille versets qui relatent l'affrontement de deux clans de chevaliers qui se disputent les royaumes de l'Inde.

Les deux clans sont issus de la même famille. Les uns se nomment les Pandavas, ce sont des hommes loyaux et justes, les autres : les Kauravas qui sont perfides et se sont emparés du pouvoir par la ruse.

Les armées se forment. Chaque clan regroupe ses partisans. Il y a un roi chevalier qui est l'ami des deux clans. Son nom est Krishna. Il offre son aide aux deux

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adversaires. A l'un il donnera ses armées, à l'autre sa personne. Mais il ne combattra pas, il conduira seulement le char de celui qui le choisira.

Les Kauravas choisissent les armées, Arjuna, le chef des Pandavas choisit la personne de Krishna.

Krishna est un être particulier. Pour mieux vous faire comprendre qui il est réellement, j'ouvre une parenthèse pour faire une comparaison entre des faits essentiels qui différencient les religions chrétiennes et hindouistes. Notre culture a fabriqué un Dieu unique qui est un être bon et représente en quelques sorte une incarnation de l'amour. On dit souvent que Dieu est Amour. Son pouvoir est vraisemblablement limité puisqu'il laisse les hommes, créés par lui, se dépêtrer seul du guêpier féroce dans lequel ils se débattent. Dieu est au ciel, l'homme est seul sur terre.

Il n'en est pas de même chez les hindouistes. Pour eux le seigneur se tient au cœur de toutes les créatures, il n'est pas en dehors de cette bataille de la vie, il est sur le champ de bataille avec son disciple. Bien qu'impartial, il le soutient de sa présence, l'instruit de sa lumière, dissipe les brouillards de son ignorance, par sa parole et ses silences.

Il y a Bramah, le dieu créateur, Shiva le dieu destructeur et Vishnou le dieu protecteur.

Alors que selon la tradition chrétienne, Dieu est descendu une fois sur terre pour faire entendre sa parole. Chez les hindous, Vishnou, le dieu protecteur, est omniprésent. Il se manifeste sous une forme ou sous une autre chaque fois que le monde est en danger.

Dans le Mahabarata, Vishnou prend les traits de Krishna. Il devient le conseiller, le guide spirituel, la conscience d'Arjuna.

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Revenons maintenant à la guerre qui oppose les Kauravas et les Pandavas. Alors que les deux armées se font face et que le combat est imminent, Arjuna demande à Krishna de le conduire entre les deux lignes et d'arrêter son char. De là Arjuna observe les oncles, les grands-pères, les frères, les cousins, les fils, les petits fils, tous membres de la même famille prêts à s'entre-tuer. Le doute s'empare alors de lui, il se demande si son engagement est bien fondé.

Il imagine avec horreur ce qui va se passer et dit à Krishna que le prix de la victoire lui enlèvera toute raison de vivre. Il préfère renoncer au combat que de tuer ses frères. Mais il doute de lui-même et demande conseil à Krishna.

Celui-ci lui recommande principalement de s'entraîner à l'accomplissement désintéressé de l'action qui lui incombe. Il ne faut jamais attendre de bénéfice de ses actes, mais d'emblée y renoncer. L'homme ne se sent vraiment lui-même que lorsqu'il agit selon le côté universel, non égoïste de sa nature.

L'égoïsme est une fausse appréciation de soi. Pour l'hindou : s'imaginer que l'on est le corps, le nom, les émotions et même les pensées, c'est une grande erreur. La roue de la vie, la croyance en la réincarnation donne une toute autre dimension à l'existence. Je ne suis pas seulement la personne qui vous parle en ce moment, mais je suis le frère qui se trouve en face de toi, je suis le monsieur, la dame ou le chien que j'ai croisé dans la rue avant de venir vous trouver, je suis vous-même, ce pourrait être dans un autre temps, une autre vie.

Tel est le système de pensée des hindouïstes. Ceci directement en relation avec la loi de la réincarnation, la roue de la vie.

Alors dans ces conditions, comment peut-on être égoïste? Un homme qui vit en accord avec cette religion ne se préfère pas aux autres. Son action est spontanément désintéressée. Sa tendresse est universelle pour tous.

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Mais alors me direz-vous : Pourquoi combattre, pourquoi tuer?La réponse est la suivante : Chaque homme a une mission à accomplir sur terre, un devoir que les hindouïstes appellent Dharma. Pour donner un exemple : l'amour qu'une mère doit témoigner à son enfant est le Dharma de la mère. Les soins qu'un médecin donne à un malade sont le Dharma du médecin. Combattre pour sa patrie, tuer ou se faire tuer si nécessaire est le Dharma du militaire.

Le message transmis par Krishna à Arjuna dans la légende du Mahabarata est que tout homme doit accomplir son destin, qu'il ne peut en être autrement. Mais pour l'accomplir de manière sereine et bénéfique, il faut accepter la notion de Dharma. Il faut agir sans passion, de manière totalement désintéressée; l'égoïsme n'a aucun sens si l'on croit en la notion de réincarnation.

AGIR EN HOMME LIBRE

Il faut à tout prix assumer les conséquences de nos actes et agir en homme libre, indépendamment du contexte dans lequel notre action se situe.

Agir librement, c'est agir selon sa propre conscience, agir selon l'idée que nous nous faisons personnellement de ce qu'est le bien.

Seulement le bien et le juste sont des notions tout à fait relatives. Un même acte suivant le régime politique au pouvoir peut vous valoir une condamnation à mort ou une décoration de l'ordre du mérite. Héberger un juif en France pendant la dernière guerre vous aurait conduit en prison. Le dénoncer aux autorités aurait été interprété comme un acte de bonne conduite. Quelques années plus tard, les peines auraient été tout simplement inversées.

Cette situation est extrême et il n'est pas difficile dans cet exemple de savoir ou se situe le bien et le mal.

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Cependant, il y a des situations beaucoup plus complexes et moins flagrantes et surtout dépourvue du recul nécessaire pour être capable de juger de ce qui est bien et de ce qui est mal.

C'est pourquoi il est important d'agir selon sa conscience et selon l'interprétation toute personnelle de la notion de bien et de mal.

Que faisons-nous en Maçonnerie ? Et bien précisément nous travaillons au développement de notre conscience. Sans dogmes d'aucune sorte, sans ligne de conduite qui nous soit dictée, nous méditons sur des symboles et donnons libre cours à notre imagination pour rendre active la signification de ces symboles dans notre comportement de tous les jours. Notre conscience évolue avec le temps, il arrive même qu'elle se contredise d'un jour à l'autre car la seule vérité qui anime notre esprit est qu'il n'y a pas de vérité.

Cependant notre conscience dicte notre conduite et l'histoire démontre que bien souvent les maçons agissent de façon méritoire.

Je dis bien "souvent" et non "toujours" car il est vrai que certains Maçons de par leurs actes n'ont pas couvert de gloire la F.'. M.'.. Je citerais pour exemple Pinochet et Duvalier et je me demande ce que ces gens-là (que je me refuse à appeler FF.'. bien qu'ils aient été initiés) ont bien pu apprendre chez nous tellement leurs actes ont été odieux.

Quoi qu'il en soit mes FF.'. et même s'il est possible que nous nous trompions, agissons selon notre conscience de F.'. M.'. en gardant toujours en mémoire qu'il existe une vertu qui se nomme tempérance.

Un tel comportement nous permettra d'assumer la tête haute les conséquences heureuses ou malheureuses de nos actes.

AMITIE

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Le terme amitié désigne tout lien humain comportant attachement et affection. Pris dans un sens général, et non dans le sens d'une amitié exclusive, elle est sociabilité, altruisme. Elle fait partie de la nature humaine.

L'amitié est ce qu'il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans amis personne ne choisirait de vivre, eut-il tous les autres biens. Et de ce fait les gens riches, et ceux qui possèdent autorité et pouvoir semblent bien avoir plus que quiconque besoin d'amis : à quoi servirait une pareille prospérité, une fois ôtée la possibilité de répandre des bienfaits, laquelle se manifeste principalement et de la façon la plus digne d'éloges, à l'égard des amis ? Ou encore, comment cette prospérité serait-elle gardée et préservée sans amis, car plus elle est grande, plus elle est exposée au risque? Et dans la pauvreté comme dans toute autre infortune, les hommes pensent que les amis sont l'unique refuge. L'amitié d'ailleurs est un secours aux jeunes gens, pour les préserver de l'erreur; aux vieillards, pour leur assurer des soins et suppléer à leur manque d'activité dû à la faiblesse; à ceux enfin qui sont dans la fleur de l'âge, pour les inciter aux nobles actions car en présence d'un ami, on devient plus capable de bien penser et de bien agir.

Selon Socrate, l'amitié semble aussi constituer le lien des cités, et il disait que les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu'à la justice même : en effet, la concorde, qui paraît bien être un sentiment voisin de l'amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l'esprit de faction, qui est son ennemi, est ce qu'ils pourchassent avec le plus d'énergie. Et quand les hommes sont amis il n'y a plus besoin de justice, tandis que s'ils se contentent d'être justes ils ont en outre besoin d'amitié.

L'amitié est une valeur tellement reconnue, tellement admise, qu'il n'est guère nécessaire d'en faire l'éloge, ni même de démontrer qu'elle en est une. A l'inverse, procéder à critiquer cette valeur et dénoncer les illusions et les fantasmes qu'elle véhicule, pour leur substituer une prétendue "vérité" de l'amitié, ne projette aucune lumière sur la réalité de cette relation.

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Mais quel est donc le contenu de cette valeur ? L'amitié est assez généralement vécue comme un lien non passionnel, dépourvu d'ambiguïté parce que non sexualisé ; contrairement aux rapports amoureux ou familiaux, la relation amicale est libre et volontaire, du moins en apparence : on choisit ses amis et le lien ainsi créé apparaît alors comme l'effet de ce choix, fait en connaissance de cause. Choix d'une relation à la fois durable et immédiate : même si l'amitié se tisse au quotidien, elle semble ne pas être altérée par l'intermittence, et paraît tirer de cette force de résistance au temps une solidité particulière. On retrouve son ami, même après un long silence, "comme au premier jour", et le dialogue reprend comme si on l'avait interrompu la veille... L'amitié est souvent investie du mérite de la transparence : l'ami, le "véritable" ami, l'ami intime, c'est celui auquel on peut tout dire, mais aussi celui qui vous comprend à demi-mot, parce que le silence de l'intimité a l'éloquence de la parole. Choix enfin d'un type de rapport censé exclure toute violence et tout conflit : la valeur de l'amitié, en ce sens, c'est le havre de paix qu'elle représente dans un monde de tension et de rivalités, mais aussi son pouvoir de transcender tous les clivages sociaux, politique ou culturel.

Les amis sont ceux avec lesquels on a l'essentiel en commun : les souvenirs, les expériences, les valeurs... en ce sens l'amitié crée un rapport d'égalité en vertu duquel la vie est partagée avec les autres. Les souvenirs, les bonheurs, les malheurs sont vécus en participation avec les autres dans une relation d'échanges égalitaires.

Il existe des amitiés passionnées qui frôlent ce qu'on appelle l'amour. Les frontières ne sont pas nettement tracées. Pourtant l'amour est autre chose. Ce qui le caractérise n'est pas le fait de partager avec quelqu'un, mais d'être soi-même partagé, c'est-à-dire d'être une partie de l'autre en même temps que l'autre est une partie de soi.

Dans l'amitié, il y a aussi les "copains". Etre copains, c'est être proche dans le quotidien. Quand on a mangé, bu et ri ensemble, et fait aussi des choses graves et

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sérieuses, cette complicité crée des liens affectifs tels qu'on ne ressent sa propre existence comme pleine que dans et par la proximité de l'autre. Ce sentiment de communauté que l'on retrouve également dans le lien familial bien que dans ce cas on ne peu plus parler de "copinage", on y retrouve cependant un sentiment de solidarité créé par le partage des expériences vécues.

Dans la famille, un horizon commun se crée par des racines provenant d'une même origine, des souvenirs de jeunesse partagés, des traditions ressenties de la même manière, tout ce qui tend à renforcer une identité à partir de laquelle on se construit soi-même. Les sentiments qu'on éprouve à l'égard de soi et à l'égard des autres sont liés à ce qu'on a ressenti autrefois. C'est au fond le problème du temps : on n'est plus le même, les choses se défont, et on refait son propre tissu personnel avec la présence de ceux qu'on n'a pas vus depuis longtemps quand on peut évoquer avec eux toute une série de souvenirs auxquels on ne pense jamais. Le passé revient, et en même temps il revient partagé. Si on y pense tout seul, on ne sait même pas si c'est vrai, mais à partir du moment où il est intégré au folklore familial, il devient une partie de votre histoire.

D'un autre côté, la solidarité familiale évoque aussi l'idée de clan, et le clan suppose l'exclusion, le secret. Les parties rapportées ne sont pas dans le coup... Dans l'amitié, c'est autre chose, puisqu'il ne s'agit pas d'un rapport généalogique, mais d'un choix. Bien sûr, il y a toujours dans le choix un élément qui ne dépend pas de soi, mais des hasards de la vie ou de pressions de toutes sortes ; malgré tout, on a quand même le sentiment de choisir ses amis. Les parents, au contraire, on ne les a pas choisis, on les a reçus. Les amis, il est vrai, peuvent constituer une espèce de famille, et on peut faire avec eux ce qu'on ne ferait pas avec d'autres, par le fait que l'amitié implique toujours des affinités relatives aux choses essentielles. Pour le reste, pour ce qui est des différences qui caractérisent les personnes qui tissent des liens d'amitié, ces différences contribuent à faire évoluer sa propre personnalité. En cela l'amitié a aussi ceci de particulier qu'elle

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nous change. S'accorder avec quelqu'un qui est différent de soi pour construire quelque chose de commun.

On fabrique sa propre identité avec l'autre, mais pas n'importe quel autre. C'est là qu'intervient l'amitié. Il faut avoir des atomes crochus avec cet autre auquel on va se confronter et qui va vous faire réfléchir sur vous-même. Se demander pourquoi on a des affinités avec quelqu'un, pourquoi on a du plaisir à être avec lui, tout cela implique une connaissance affective, une sympathie à son égard, et par là même un retour sur soi et un changement de soi, une fabrication de soi qui est en même temps une fabrication de l'autre. Car l'autre aussi, on le construit : comment pourrait-on le connaître, sinon en le fabriquant, en façonnant de lui une image, en trouvant des chemins vers lui ?

On existe avec et par les autres, qui sont à la fois notre ressemblance et notre différence, ce qui rend parfois le chemin de l'amitié difficile et provoque des échecs, des contresens et des reprises.

On parle souvent de tisser une amitié, on parle aussi de tissu social. Platon, quand il veut montrer comment s'édifie une cité, dit qu'on doit avoir affaire à un roi-tisserand. Il associe l'image du métier à tisser à l'union nécessaire d'entité différente pour former une communauté. Lorsque l'on prépare un métier à tisser, il y a une chaîne constituée de fils tendus verticalement, et une trame de fils horizontaux. Selon lui, la chaîne représente le caractère masculin, et la trame le caractère féminin. Le travail du tisserand consiste à créer un tissu uni qui tend à rassembler des éléments à caractères différents. Si, comme dit Platon, le roi est tisserand, c'est parce que les hommes qu'il a à unir en une communauté serrée sont composés d'une part d'éléments énergiques, violents, d'autre part de caractères doux et tempérés. Par le mariage et l'éducation, il faut fabriquer avec la chaîne et la trame un tissu qui soit cohérent et uni. Mais pour cela, la différence est nécessaire, c'est à partir de la différence que l'on fait le tissage. Et d'une certaine façon, cette image de la constitution d'un tissu social communautaire est

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aussi l'image de l'amitié parce que l'amitié suppose aussi ce travail et cette tension.

L'amitié est la condition du bonheur humain, en tant qu'elle est la plénitude de la vie relationnelle pour un être pensant dont la vie ni la pensée ne sauraient être autosuffisantes ni continues. L'amitié est la relation humaine par excellence. L'amitié est utile car elle rend la vie agréable. Elle permet à un homme d'épanouir sa vie, sa puissance de penser et d'agir. L'amitié exige du temps et requiert la vie commune : on ne se connaîtra pas vraiment et l'on ne deviendra pas amis avant d'avoir consommé ensemble un boisseau de sel disait Aristote. Elle engendre une communion des esprits dans une communauté de goûts, de pensée, d'activités.

Cependant, le paradoxe de l'amitié, c'est qu'elle est ce qui nous est le plus nécessaire, mais qu'elle est aussi difficile et belle que rare, puisqu'elle requiert ce qu'elle aide à produire : la sagesse et la vertu, et qu'elle vise à combler ce sans quoi elle n'existerait pas, l'impuissance liée à la finitude, le défaut d'autarcie.

On comprend alors pourquoi l'amitié est, entre les hommes, la relation la plus forte, la plus humaine, la plus puissante. Si la sagesse n'est pas le dépassement de la condition humaine, mais son plein épanouissement, l'amitié est à la fois le critère de son advenue, le signe de sa présence, le milieu de son exercice.

AMOUR ET VERITE

Peut-on aimer la vérité sans aimer l'homme? Peut-on aimer l'homme sans aimer la vérité?

Pour aimer la vérité il faut connaître la vérité, et connaître la vérité c'est la nier. Ce qui est connu n'est pas la vérité, parce que ce qui est connu est déjà inséré dans le temps et cesse, par conséquent, d'être la vérité. La vérité est en continuel mouvement et, par conséquent, ne peut pas être mesurée en termes de temps ni en

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mots. La vérité ne se peut trouver dans des livres, dans l'idolâtrie, dans des temples. Elle peut être trouvée lorsqu'on agit, lorsqu'on vit, lorsqu'on pense, et la recherche de l'inconnu est un acte d'amour. Nous ne pouvons chercher l'inconnu sans être en rapports mutuels avec d'autres personnes. L'isolement est incompatible avec la recherche de la vérité. Nous ne pouvons trouver l'inconnu que dans nos relations humaines, dans les rapports d'homme à homme. Donc l'amour pour l'homme est la recherche de la réalité. Si l'on n'aime pas l'homme, si l'on n'aime pas l'humanité, il ne peut pas y avoir de recherche du réel. Car lorsque je vous connais, ou du moins lorsque j'essaie de vous connaître dans nos rapports réciproques, je commence à me connaître moi-même.

Les rapports humains sont un miroir dans lequel je me découvre moi-même. Mes rapports avec les autres constituent la recherche du réel, parce que c'est là le seul contact que j'ai avec moi-même ; donc la compréhension de moi-même dans mes rapports humains est le commencement de la vie. Si je ne sais pas comment vous aimer, vous avec qui je suis en relations, comment puis-je chercher le réel, donc aimer le réel ? Sans vous, je ne suis pas. Je ne peux pas exister indépendamment de vous. Par conséquent, dans nos rapports, dans les relations entre vous et moi, je commence à me comprendre moi-même, et la compréhension de moi-même n'est-elle pas le commencement de la sagesse ? Ainsi, la recherche du réel est le commencement de l'amour en relations. Pour aimer une chose, nous devons la connaître, nous devons la comprendre. Pour vous aimer, je dois vous connaître, je dois vous découvrir, je dois être réceptif à toutes vos humeurs à vos changements et ne pas me contenter de m'enfermer dans mes ambitions, dans mes désirs. Sans vous je ne peux pas être, et si je ne comprends pas ces rapports mutuels, entre vous et moi, comment peut-il y avoir amour?

Il n'y a pas d'amour sans vérité, il n'y a pas de vérité sans amour. Un cœur sec, un cœur vide, ne peut pas connaître la vérité. La vérité n'est pas quelque chose de distant, elle est très près, pour la chercher, nous devons comprendre nos relations, non seulement avec l'homme mais avec la terre. Dans la compréhension est la

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vérité et pour comprendre il faut de l'amour, car sans amour, il ne peut y avoir de compréhension.

BONHEUR

Tout homme veut être heureux, et cela suffit peut-être à définir, au moins provisoirement, le bonheur : il est ce que chacun désire, non en vue d’une autre chose, comme on désire l’argent pour le luxe ou le luxe pour le plaisir, mais pour lui-même, et sans qu’il soit besoin d’en justifier la valeur ou l’utilité. “ À quoi bon être heureux ? ” À cette question saugrenue il n’est pas de réponse, et c’est à quoi le bonheur se reconnaît : il est le désirable absolu, qui vaut par lui seul, la satisfaction ultime vers quoi toutes les satisfactions tendent, le plaisir complet sans lequel tout plaisir est incomplet.

Les hommes appellent “ bonheur ” ce qu’ils désirent absolument, mais tous ne désirent pas les mêmes choses... Or ce n’est pas le mot qui importe mais la chose, c’est-à-dire le bonheur lui-même, qui n’est pas un mot, ni une chose. Qu’est-il ? Peut-on l’atteindre ? Comment ? La philosophie et la vie trouvent là l’objet principal de leurs préoccupations. C’est l’enjeu de vivre et de penser.

Ce qui précède est l’écho de la pensée aristotélicienne. Tout être tend vers son bien, et le bonheur est le bien de l’homme. Il est donc dans toute action, dans tout choix, la fin que nous visons et en vue de laquelle nous faisons tout le reste. Sans le bonheur, en effet, nous n’en finirions pas de désirer. Choisissant indéfiniment une chose en vue d’une autre nous ne connaîtrions ni contentement ni repos, et cette poursuite indéfinie du plaisir nous en éloignerait sans cesse.

On dira que c’est bien en effet ce qui se passe, et qu’il suffit de penser le bonheur pour constater son absence. Sans doute : c’est ce qu’on appelle philosopher, activité bien vaine si le bonheur était là, et qui ne se justifie que du

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malheur ambiant. “ Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes... ” Ce qui est vrai du poète l’est aussi du philosophe : si elle tend au bonheur, et parce qu’elle tend au bonheur, la philosophie est d’abord réflexion sur le malheur, pour le vaincre. Il s’agit de comprendre pourquoi nous vivons si mal, ou si peu, et pourquoi, quand bien même nous ne manquons de rien, le bonheur toujours nous manque. “ Qu’est-ce que je serais heureux si j’étais heureux !... ” Il est donc normal qu’on ne le soit jamais, puisqu’on attend, pour le devenir, de l’être déjà. C’est le cercle du manque, où le bonheur, nécessairement, est manqué. C’est ce cercle qu’il faut explorer d’abord – pour en sortir.

Le bonheur est désirable, montrait Aristote, suprêmement désirable, et c’est ce qui le définit. Mais qu’est-ce que le désir ? Selon Platon le désir est manque : “ Celui qui désire désire une chose qui lui manque et ne désire pas ce qui ne lui manque pas. ” Comment désirer être grand ou fort quand on l’est déjà ? Tout au plus peut-on désirer être plus grand ou plus fort – ce qui n’est pas. On objectera qu’on peut, étant en bonne santé, désirer la santé, étant riche, désirer la richesse. Mais Platon répond qu’on veut alors “ jouir de ces biens pour l’avenir aussi ” : on désire, non la santé ou la richesse qu’on a, mais leur continuation, que l’on n’a pas. Tout désir, par conséquent, est d’absence : “ Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour ”.

Quel rapport avec le bonheur ? Celui-ci : parce que le désir est manque, et dans la mesure où il est manque, le bonheur, nécessairement, est manqué. Mais chacun peut se suffire de son expérience. Si le désir est manque, je manque toujours de ce que je désire et je ne désire jamais ce que j’ai. Tantôt, donc, je désire ce que je n’ai pas, et j’en souffre , tantôt j’ai ce que dès lors je ne désire plus. De là la tristesse, pour l’enfant, des après-midi de Noël, quand le jouet tant rêvé, en son absence, échoue, à maintenir vivace le désir qui le visait. De là aussi la tristesse des amants, quand la présence tant souhaitée de l’autre triomphe du désir qu'ils en avaient... C’est la même femme pourtant, mais l’une est impossible à aimer, et l’autre à oublier.

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On désire ce qu’on n’a pas, donc on ne désire plus ce qu’on a – qu’on désirera à nouveau si on le perd. Souffrance du manque, indifférence de la possession, horreur du deuil... La vue ferait le bonheur de l’aveugle (puisqu’elle lui manque), mais échoue à faire le nôtre (puisque nous voyons). Et la mort ou la fuite d’un être cher, lui rendant soudain son urgence et son prix, semble briser un bonheur que sa présence pourtant était incapable de donner... Le piège est terrible où nous sommes enfermés : la vue ne pourrait rendre heureux (pour combien de temps ?) que des aveugles, et l’amour, comme passion, que des amants malheureux. C’est pourquoi, comme dit le poète, “ il n’y a pas d’amour heureux ”, et il ne peut (tant que l’amour est manque) y en avoir. Comment désirer ce qu’on a ? Comment ne pas souffrir de ce qui manque ? Il n’y a pas d’amour heureux, ni de bonheur sans amour : il n’y a pas de bonheur du tout.

Si le manque est souffrance, la satisfaction est plaisir. Mais cela ne fait pas un bonheur : “ Tout désir naît d’un manque, d’un état qui ne nous satisfait pas, donc il est souffrance tant qu’il n’est pas satisfait. Or nulle satisfaction n’est de durée, elle n’est que le point de départ d’un désir nouveau [...].

Misère de l’homme. Le chômage est un malheur, mais chacun sait bien que le travail n’est pas pour autant, en tant que tel, un bonheur. Et il est affreux de n’avoir pas de domicile, mais qui serait heureux, simplement, d’en avoir un ? On peut mourir d’amour, enfin, mais point en vivre

Que disent les philosophes à propos de tout cela? Sur ce que serait le bonheur, ils s’opposent ; sur son absence, ils se rejoignent. “ À désirer toujours ce que tu n’as pas, explique Lucrèce (un poète Épicurien), à mépriser les biens présents, ta vie s’est écoulée incomplète et sans joie... ” Et Pascal : “ Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. ” Le bonheur manque toujours, et c’est pourquoi tout homme veut être heureux, et ne peut l’être, et en souffre... Il s’agit de combattre l’angoisse et l’ennui, qui sont les deux maux de l’homme, et c’est ce qui nous occupe, et qui nous perd. “ Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ”

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(encore Pascal)... Mais comment le pourraient-ils ? Il faudrait accepter l’ennui, donc l’angoisse, et c’est ce que l’on fuit. Pascal ajoute encore : “ Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent, il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir ”. Le divertissement n’est pas un bonheur, mais la dénégation de son absence. Les hommes s’amusent pour oublier qu’ils ne sont pas heureux.

Tel est la façon pessimiste de voir les choses que l'on reconnait dans les discours de Platon, Pascal ou Schopenhauer.

Est-il une autre voie ? Peut-être, et c’est ce que les philosophes appellent la sagesse. Mais comment la penser ? D’abord par opposition à ce qui précède. Si le divertissement est un bonheur manqué, la sagesse serait un bonheur réussi. Mais comment, si le désir est manque ? S’il n’était que cela, il n’y aurait pas d’issue, en effet, pas de bonheur, et le suicide sans doute – ou la religion – serait la meilleure solution. Il faut donc qu’il y ait autre chose, quelque chose de réel, de positif, et qui nous pousse à vivre encore, et joyeusement parfois. C’est ce que chacun expérimente, et qu’on appelle le plaisir. Manger quand on a faim (et même, si la nourriture est bonne, quand on n’a pas faim), boire quand on a soif (et même, si la boisson est agréable, quand on n’a pas soif), faire l’amour (même sans amour), rire, se promener, écouter de la musique... Autant de plaisirs dont chacun peut goûter la pleine, la souveraine présence . Manquer ? De quoi, quand le plaisir est là ? Mais peut-il y avoir plaisir sans désir ? Sans doute pas. Sans manque , en revanche, qui peut le nier ? La musique qui me réjouit ne me manquait pas, ni ce paysage de printemps, ni ce rire qui explose, ni même, souvent, la femme qui me comble... Il faut donc que le désir ne soit pas toujours ni seulement un manque.

Telle est à peu près, contre les philosophes pessimistes (Platon et Pascal), la leçon d’Épicure et de Spinoza. “ Il faut donc, annonce Épicure, méditer sur ce

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qui procure le bonheur, puisque, lui présent, nous avons tout, et, lui absent, nous faisons tout pour l’avoir ”.

Tout plaisir est un bien, pour Épicure, toute souffrance est un mal, et ils ne peuvent coexister qu’en s’opposant : le plaisir, loin de supposer toujours le manque, n’apparaît qu’en le supprimant. Il existe aussi, outre le plaisir en mouvement, un plaisir en repos , plus essentiel (il est le plaisir constitutif de vivre et d’être bien) et qui, loin de satisfaire un manque, s’épanouit au contraire quand on ne manque de rien. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui la plénitude : ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas souffrir, ne pas craindre, ne pas regretter... Les formules sont négatives, mais la réalité est positive, absolument positive, et la seule positivité qui vaille. Le plaisir en repos est le plaisir constitutif de vivre, et la vie même comme plaisir. “ Une fois cet état réalisé en nous, explique Épicure, toute la tempête de l’âme” . Absence de souffrance pour le corps, absence de trouble pour l’âme : c'est la plénitude. C’est le bonheur même, à quoi rien ne manque. On peut être heureux en souffrant, mais point en étant troublé. Le bonheur est le plaisir en repos de l’âme.

Il faut bien reconnaître qu’une telle simplicité nous laisse perplexes : qui ne préfère boire plutôt que n’avoir pas soif, faire l’amour plutôt que n’en avoir pas envie ? Qui ne préfère le mouvement de jouir à la jouissance du repos ? Perplexité, toutefois, n’est pas réfutation. Sommes-nous si bons juges ? Avons-nous une telle maîtrise du bonheur ? En avons-nous même seulement l’expérience ? Le culte exclusif du plaisir en mouvement est certes dominant en l’homme, et aujourd’hui peut-être plus que jamais. Mais il est aussi, ce qui nous sépare du bonheur dans le mouvement même qui le poursuit. Il se pourrait, dès lors, que notre perplexité ne mesure que notre éloignement de la sagesse. Si le bonheur est possible, il suppose une conversion du désir, et c’est cette conversion qu’on appelle la sagesse : désirer non plus ce qui nous manque, même pas ce que nous avons (puisque nous pouvons le perdre), même pas ce que nous sommes (puisque nous ne sommes rien), mais ce que nous vivons, connaissons ou faisons. C’est le point essentiel, sur quoi se rejoignent les deux

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grandes sagesses d’Occident, l’épicurienne et la stoïcienne, et que l’Orient, à sa façon, confirme. Il s’agit de désirer le réel – de l’aimer, si l’on peut, de l’accepter, si l’on ne peut pas – tel qu’il est, au lieu de le refuser toujours pour désirer l’irréel.

Le bonheur est simple comme bonjour, et c’est pourquoi il est si difficile : il n’est qu’un grand oui au monde et à la vie. Mais le premier mouvement, qui est de peur, est de dire non, ou oui seulement sous conditions : “ J’aimerais le monde, s’il n’était précisément ce qu’il est, ou la vie, si elle n’était mortelle, ou cette femme, si elle n’avait tel ou tel défaut... ”. La sagesse est à l’inverse : accepter plutôt que refuser, supporter plutôt que haïr, aimer plutôt que mépriser... “ C’est bien peu, dira-t-on, pour faire un bonheur... ” C’est oublier l’action, sans laquelle le bonheur en effet ne serait rien. Car le bonheur n’est pas un état ou une disposition de l’existence. Il n’est pas quelque chose qu’on puisse posséder, trouver, atteindre, et c’est pourquoi, en un sens, il n’y a pas de bonheur : le bonheur n’est pas de l’ordre d’un “ il y a ”. Ce n’est pas une chose, ce n’est pas un état : c’est un acte.

Être heureux, ce n’est ni avoir ni être ; c’est faire. Le plaisir en repos n’est pas un plaisir passif mais l’acte même de jouir et d’exister quand il est libéré du manque et du refus. On comprend que cet acte vaut par lui-même, et non pour d’autres fruits qu’il serait censé apporter. Si tu plantes des choux pour avoir des choux, explique à peu près Montaigne, tu craindras la grêle ou les voleurs, et cela gâchera ton plaisir. De même, si tu vis pour être heureux... Agis, donc, non pour le fruit attendu, mais pour le plaisir de l’action : vis, non pour le bonheur, mais pour vivre. C’est le seul bonheur en vérité : le bonheur en acte, c’est l’acte même comme bonheur.

Une telle expérience – précisément parce qu’elle est absolument simple – suppose un bouleversement de notre rapport au temps. Si le désir est manque, presque toujours, c’est qu’il est temporel : le désir est manque à chaque fois qu’il se fait espérance.

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Le sage vit au présent et rien ne lui manque : qu’irait-il espérer ? Est-ce à dire qu’il soit sans désir ? Pas du tout. Mais son désir ne porte que sur le réel ou le présent soit pour s’en réjouir, quand il ne dépend pas de lui, soit pour l’accomplir, quand il en dépend. Ce dernier désir, c'est la puissance d’agir. Puisque le sage veut tout ce qui arrive, tout arrive comme il veut ; il est donc heureux toujours sans espérer jamais. Qu’irait-il espérer, d’ailleurs, puisqu’il est heureux ? Et comment ne le serait-il pas, puisqu’il n’espère rien ? La même idée, mais poussée à la limite, se retrouve en Orient : “ Seul est heureux celui qui a perdu tout espoir, dit un texte hindou, car l’espoir est la plus grande torture qui soit et le désespoir le plus grand bonheur ”.

La notion de volonté nous conduit à la morale. On reproche souvent au bonheur d’être immoral, soit parce qu’il serait égoïste, soit parce qu’il dissuaderait d’agir. Les deux reproches vont d’ailleurs de pair. “ S’il n’espère rien, dira-t-on, si rien ne lui manque, le sage restera inactif. Qu’en est-il alors du malheur ou de l’injustice ?... ” C’est confondre à nouveau l’espérance et la volonté. Loin qu’on ne veuille jamais que ce qu’on espère (comme s’il fallait espérer d’abord pour vouloir !), on n’espère, au contraire, que là où l’on est incapable de vouloir. Ainsi espère-t-on le beau temps, parce que l’on n’y peut rien. Mais qui, quand il en est capable, espérerait agir ? La volonté ne fait qu’un avec l’acte (vouloir sans agir, ce n’est pas vouloir) ; elle ne saurait donc s’identifier à l’espérance, qui suppose au contraire que l’acte n’ait pas lieu ou ne soit pas en notre pouvoir. Le paralytique peut bien espérer marcher ; pour l’homme sain, sa volonté lui suffit. C’est en quoi toute espérance est passive.

Peut-on agir, pourtant, sans espérer ? Oui, répondent les stoïciens, et c’est ce qu’on appelle la vertu. Il faut noter que la vertu, comme le bonheur, est désintéressée, elle "n'espère" pas, elle est donc désespérée. Bonheur et vertu sont le triomphe de la volonté sur l’espérance, et c’est en quoi aussi ils sont liberté. Le sage fait tout ce qu’il veut, “ Ne rien attendre, disait Marc Aurèle, ne rien fuir, mais te contenter de l’action présente... ”. Faire le bien sans jamais rien espérer. Est-ce possible ? Les stoïciens eux-mêmes parfois en doutaient ; mais ils

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ont tracé la voie, où chacun au moins peut cheminer : espérer un peu moins, vouloir un peu plus... C’est le présent de vivre. Et sans doute n’est-ce pas la même chose de trouver son bonheur dans la vertu (comme le stoïcien) ou sa vertu dans le bonheur (comme l’épicurien) ; il reste que l’un ne va pas sans l’autre, pour le sage, et c’est à quoi on le reconnaît.

Est-ce à dire qu’il n’est de bonheur que pour le sage ? Ce serait faire du bonheur – et d’ailleurs aussi de la sagesse – un absolu qui nous l’interdirait. En vérité, personne n’est sage tout entier, ni fou, et tout bonheur en cela est relatif : on est plus ou moins heureux, et c’est ce qu’on appelle être heureux. Qui voudrait l’être absolument ne le serait jamais, et c’est en quoi le bonheur se distingue de la félicité (si l’on entend par là un bonheur absolu) et suppose qu’on y renonce.

Il faut cesser de croire au bonheur (comme félicité) pour pouvoir le vivre (comme bonheur). Pas de bonheur, ici encore, en tout cas pas de bonheur réel (car on peut être heureux sans doute, dans la foi, par la simple pensée d’un bonheur attendu ; mais le bonheur ne vaut alors que ce que vaut cette pensée...) ; pas de bonheur, donc, pas de bonheur réel, sans une part de désespoir : le bonheur n’est possible (comme bonheur relatif) qu’à qui comprend qu’il est impossible (comme bonheur absolu).

Cette relativité du bonheur pose le problème de la béatitude, qui est le bonheur des sages et dont la tradition philosophique semble bien faire un absolu. Quelle différence alors entre la béatitude et ce que nous appelons ici la félicité ? Il s’agit, dans les deux cas, d’absolus, si l’on veut, en ceci qu’ils ne peuvent être augmentés. Mais l’absolu de la félicité est un absolu quantitatif (c’est un maximum de bien-être ou de plaisirs), notion contradictoire et impossible à vivre, alors que la béatitude est un absolu qualitatif ou, mieux spirituel : s’il ne peut être augmenté, ce n’est pas qu’il est le plus grand possible mais qu’il n’est plus de l’ordre, au contraire, d’une grandeur. Ce n’est pas un maximum mais un équilibre ; une perfection. C’est pourquoi elles ne peuvent être augmentées, et c’est ce qui les distingue en effet du bonheur ordinaire (qui est toujours un plus ou moins de bonheur). “ Le bonheur, disait par exemple Épicure, peut être de

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deux sortes : ou bien il est suprême et ne peut être augmenté, comme celui dont jouit un dieu, ou bien il est susceptible d’être augmenté ou diminué ”. Le premier bonheur est celui des sages, et c’est ce qu’ils appellent la béatitude. Le second est celui de tout un chacun (donc du sage aussi), et c’est ce qu’on peut appeler bonheur strictement. Ils se distinguent moins par la grandeur que par la pureté, la paix, l’harmonie : la béatitude n’est pas plus compliquée mais plus simple que le bonheur ; ce n’est pas un bonheur infini, c’est un bonheur pacifié.

Mais la béatitude se distingue surtout du bonheur par son rapport au temps Toute chose, peut être conçue de deux manières, selon qu’on la considère dans le temps ou dans l’éternité. C’est le cas aussi du bonheur. En tant qu’il est conçu dans le temps, le bonheur est changement. Être heureux, dans le temps, c’est toujours espérer l’être ou craindre de ne l’être plus, et c’est pourquoi le bonheur n’est jamais parfait (on espère toujours l’augmenter, on craint toujours de le perdre...), c’est pourquoi, même, il n’est jamais là : le temps qui le contient nous en sépare, l’imagination qui le vise nous en prive. Tout bonheur, en ce sens, est imaginaire (c’est l’imagination de la joie possible), et réel seulement en tant qu’imaginaire. La béatitude, au contraire, serait un bonheur vrai, c’est-à-dire éternel.

Cette joie réelle, pour Spinoza, ne va pas sans amour. Qu’est-ce en effet qu’aimer ? C’est se réjouir, explique Spinoza, à l’idée de quelque chose : dire à quelqu’un “ je suis joyeux à l’idée que tu existes ”, c’est bien lui déclarer son amour. Mais, d’ordinaire, nous sommes surtout joyeux à l’idée de posséder l’autre (auquel cas ce n’est pas lui que nous aimons mais sa possession) ou bien d’en être aimé (auquel cas ce n’est pas lui que nous aimons mais son amour), et c’est ce qu’on appelle la passion, toujours égoïste, toujours narcissique, et promise à l’échec car on ne peut posséder personne, ni être aimé jamais comme on le voudrait, et c’est la seule déception peut-être à laquelle on ne s’habitue pas. L’amour, au contraire, le véritable amour (celui qui est amour non de soi, mais de l’autre), est généreux toujours : il ne manque de rien (il est désir non de ce qui n’est pas, mais de ce qui est), il ne demande rien (puisque rien ne lui manque), il

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n’espère rien ....et dans ce sens il s'agit plus d'une amitié que d'un amour passion. L’amant passionné veut posséder l’aimé, et souffre de ne le pouvoir, puis s’ennuie de l’avoir pu... L’ami véritable se réjouit au contraire non de posséder ses amis, pas même d’en être aimé (voilà longtemps qu’il n’y tient plus, qu’il est libéré de ce petit commerce des sentiments), mais qu’ils soient . Sa joie n’est pas une caractéristique de son amitié, mais sa définition même. Il n’y a pas d’amour heureux ; il n’y a pas d’amitié malheureuse. Cela, qui redonne une chance au couple peut-être, donne aussi la formule de la sagesse : le sage est l’ami du monde, de ses amis et de soi-même. Que cela soit également, et par là même, la formule du bonheur. Sans l’amitié, dit à peu près Aristote, la vie serait une erreur, et c’est en quoi, ajoute Épicure, de tous les biens que la sagesse nous procure, “ l’amitié est de beaucoup le plus grand ”: la sagesse ne serait rien sans le bonheur, ni le bonheur sans l’amitié. C’est aussi ce que Spinoza, bien plus tard et avec d’autres mots, confirmera : il n’est bonheur que de joie ; il n’est joie que d’aimer.

Nous en sommes si peu capables, nous en avons, même, si peu d’expérience – nous sommes si mal aimants et si mal aimés ! . Mais faut-il pour autant oublier la leçon des maîtres ? Ce qu’ils enseignent, et presque en tout temps, et presque en tout pays, c’est que la conversion du désir, à quoi se ramène la sagesse, est conversion de l’amour, et à l’amour. Mais lequel ? “ Être amoureux est un état, disait Denis de Rougemont, aimer, un acte ” ; et les actes seuls dépendent de nous... Sans forcément refuser la passion (comment le pourrait-on, quand elle est là ?), c’est donc sur cet acte d’aimer (non l’amour-passion mais l’amour-action !) qu’il faut faire fond. Il n’y a pas d’amour heureux, et c’est notre part de folie ; il n’y a pas de bonheur sans amitié, et c’est notre part de sagesse. Cela donne, sinon la recette du bonheur (il est clair qu’il n’y en a pas, qu’il ne peut y en avoir), du moins l’indication d’un chemin, bien simple, comme il convient, et bien difficile : il s’agit d’espérer un peu moins, fût-ce le bonheur, et d’aimer un peu plus. Le bonheur suppose en cela, répétons-le, quelque chose comme le dédain du bonheur, et nous retrouvons là notre question initiale. “ À quoi bon

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être heureux ?... ” Question saugrenue, et bien entendu sans réponse. Cela ne signifie pas qu’elle soit sans objet. Il se pourrait, au contraire, que le bonheur ne soit possible que dans cette indifférence vis-à-vis de lui.

À quoi bon être heureux ? Il n’y a pas de réponse, et c’est le bonheur même. Il n’est donné que par surcroît.

(Morceaux choisis d'un texte de l'Encyclopédie Universalis sur le bonheur)

BOUDDHISME

On n'en finira pas de répertorier les livres qui nous suggèrent des exercices de vie, nous invitent à découvrir "la Voie", nous proposent des initiations aux spiritualités orientales, redécouvrent les vertus des médecines douces....

Or que peut-on comprendre, vu de San Francisco ou de Paris, aux religions orientales qu'on découvre dans des traductions approximatives, sans le moindre souci des distances historiques et culturelles? Pourtant, si le phénomène atteint chez nous une telle ampleur, c'est qu'il doit bien en quelque façon nous parler, combler certains vides.

Quel est, en effet, le message essentiel que la plupart des Occidentaux retiennent d'abord du bouddhisme? Selon certains historiens et spécialistes des religions, ce ne serait pas l'espérance d'un monde meilleur, mais bien l'absence d'espoir qui serait la condition d'un bonheur authentique. Il suffit, pour s'en rendre compte, de réfléchir un instant à ceci: espérer, par définition, c'est n'être pas heureux, mais dans l'attente, le manque, le désir insatisfait et impuissant : "Espérer, c'est désirer sans jouir, sans savoir, sans pouvoir". Sans jouir, puisque l'on n'espère jamais que ce que l'on n'a pas; sans savoir, puisque l'espérance implique toujours une certaine dose d'ignorance, quant à la réalisation des fins visées; sans pouvoir, étant donné que nul ne saurait espérer ce dont la réalisation lui appartient

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pleinement. Non seulement l'espoir nous installe dans une tension négative, mais en outre, il nous fait leur, nous en oublions que la seule vie qui vaille d'être vécue, la seule qui, tout simplement, soit, est celle qui se déroule sous nos yeux, ici et maintenant. Comme dit un proverbe tibétain, c'est l'instant présent et la personne située en face de moi qui, toujours comptent plus que tous les autres...

Pourquoi faudrait-il, dans ces conditions, "entrer dans l'espérance"? Il conviendrait plutôt de la fuir comme l'enfer si l'on en croit cet aphorisme hindou datant du XVème siècle: "Le désespéré est heureux... Car l'espoir est la plus grande douleur, et le désespoir la plus grande béatitude."

C'est donc dans la réflexion sur la mort et sur le mal sous toutes ses formes qu'il faut situer le sens de cette vie. Ecoutons le Dalaï-lama : "En réfléchissant à la mort et à l'impermanence vous commencerez à donner un sens à votre vie" car seule une telle méditation, si elle est bien conduite pourra nous aider à nous débarrasser de tous les attachements" qui nous rendent vulnérables à la souffrance, que ces attachements soient d'ordre matériel ou affectif : Qui pratique le dharma (l'enseignement de Bouddha) pense chaque jour à la mort, réfléchit aux souffrances des humains : aux tourments de la naissance, du vieillissement, de la maladie et de la mort. C'est comme mourir mentalement chaque jour. En raison de sa familiarité avec elle, il sera fin prêt quand il finira par la rencontrer." Outre l'effet bénéfique ainsi produit, par cette préparation, les exercices et la pratique qu'elle implique, nombreux et difficiles, offriront l'intérêt d'assigner une finalité claire à l'existence humaine tout entière : "L'avantage d'être conscient de la mort est de donner un sens à la vie, et goûter son approche fait que l'on meurt sans regret. " Et le Dalaï-lama y insiste : " En réfléchissant à la mort et en étant constamment conscient, votre vie prend tout son sens."

COLLEGE DES OFFICIERS

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La tradition de notre obédience veut que tout les trois ans un nouveau V.’. M.’. soit appelé à diriger les travaux de l’atelier. Il ne faut pas s’attendre à une révolution, à un bouleversement de nos habitudes. Bien au contraire : Le V.’. M.’. ainsi que son collège d’officiers ont le mandat de rendre le travail de la loge juste et parfait au plus près de l’esprit défini par les constitutions d’Anderson et par les statuts de l’atelier.

Le présent collège devra diriger les travaux de la même manière qu’ils ont toujours été dirigés, le plus fidèlement possible aux rituels que nous avons adoptés. Et ceci dans le même esprit qui anime et qui a de tout temps animé les Francs Maçons depuis que la Franc-maçonnerie existe.

Nous sommes des initiés, où tout du moins nous prétendons l’être. Notre premier travail est de tenter d’être à la hauteur de nos prétentions.

Qu’est-ce qu’un initié? Chacun de nous est appeler à en formuler une définition. Pour cela il nous est suggéré de lire et de relire les rituels de nos tenues, de méditer sur chaque phrase, d’établir des parallèles avec des événements que nous avons nous-mêmes vécu, de comparer nos propres interprétations avec celle des autres et d’en tirer des conclusions que nous aurons le devoir de mettre en doute pour ne pas devenir prisonnier de nos convictions.

Ayant fait cette démarche, nous aurons peut-être une vague idée de ce qu’est un initié. Idée qui ne sera valable que pour nous-mêmes mais qui nous permettra d’aller de l’avant, d’envisager la suite.

Un F.’. M.’. est-il forcément un initié? Il est évident que non.

Oswald Wirth disait lui-même que se faire recevoir en loge est facile, beaucoup trop facile, hélas ! mais devenir Maçon spirituel est une entreprise ardue, indépendante des dispositions d’initiateurs indulgents. Ceux-ci ne peuvent initier

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d’ailleurs qu’au extériorités de l’Initiation, car il est reconnu que nul ne s’initie réellement que par lui-même.

Nos mystères mettent l’initiable sur la voie d’un programme auquel il lui appartient de se conformer selon l’esprit. S’il est doué de perspicacité, de persévérance et d’un fervent désir de s’initier, la lumière se fera graduellement en son sanctuaire intérieur. Il agira ensuite selon ce que les circonstances lui inspireront. L’isolement pourra lui être propice, mais à titre transitoire, car l’association est seule réalisatrice. Les Initiés se cherchent et s’unissent pour le travail en s’inspirant des modèles d’union que la tradition leur offre.

Pour revenir à l’événement qui nous réunit ce soir, et aux devoirs de ce nouveau collège d’officiers, je souhaite attirer l’attention de mes frères sur une tâche importante qui incombe à chacun de nous mais plus particulièrement aux officiers et qui n’est pas mentionné dans le cahier des charges figurant dans notre rituel. Ils ont le devoir de stimuler l’enthousiasme du travail commun, de maintenir en quelque sorte la pression qui fait qu’une loge rassemble régulièrement un nombre important de frères travaillant en commun et de façon harmonieuse. Stimuler par leur propre enthousiasme, par leur propre aura, ils ont le rôle de rassembler de montrer l’exemple et d’éviter que l’atelier se disloque.

Différence de point de vue dans nos discutions il y aura, c’est un état qu’il est important de préserver et qui fait notre richesse, car il donne la possibilité à chacun de nous d’évoluer. Mais à la condition que ces différences soient exprimées et accueillies avec un esprit maçonnique. Et c’est dans ce sens que les officiers doivent donner l’exemple.

J’espère qu’ils seront à la hauteur de ce devoir et je remercie par avance tous les frères qui les aideront à cette réalisation.

COLLEGE DES OFFICIERS (2)

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Le renouvellement d’un collège d’officiers n’est pas une grande révolution au sein de la loge. Son rôle essentiel est d’organiser et animer les tenues et les séances conformément aux rituels et aux statuts de l’atelier. Son pouvoir de décision est très limité, car c’est la loge tout entière qui est souveraine.

Ce qui vient d’être dit signifie que la direction d’une loge ou la participation à son collège d’officiers est plus une charge qu’un privilège. Notre nouveau V.’. M.’. sera le premier à vous confirmer que personne ne s’est battue pour obtenir l’un ou l’autre des postes qui composent le collège d’officiers.

N’allons cependant pas imaginer que les officiers font preuve de dévouement par le fait de leur participation à l’animation de l’atelier. Ils en font tout simplement un devoir car sans eux, la loge n’a plus qu’à se mettre en sommeil. Mais il faut aussi être conscient que s’ils sont les seuls présents, les travaux risquent de devenir stériles, voire même ennuyeux. La richesse de nos travaux réside dans la diversité des opinions qui animent nos discutions.

Nous aimons initier car les apprentis nous procurent le sang neuf qui coule dans nos veines. Nous leur prenons autant que nous leur donnons. En échange de la méthode de réflexion et de savoir vivre que nous leur proposons, eux mêmes par les idées nouvelles qu’ils nous apportent mettent à l’épreuve cette méthode et lui permettent à tout moment de trouver un nouvel équilibre.

Les constitutions d’Anderson ainsi que la tradition Maçonnique insistent sur le fait que la Franc-maçonnerie n’est ni une armée, ni une Eglise, ni un culte, ni un parti. Elle n’est effectivement qu’une méthode au service de l’homme, méthode d’accès à la liberté par la connaissance, méthode d’accès à la connaissance par le travail.

Travail et liberté sont les deux notions essentielles que nous retrouvons dans le terme même de Franc-Maçon.

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Rien ne se fera tout seul. Les Maçons ne pensent pas que le bonheur et la liberté nous tomberont du ciel comme la manne sur les disciples de Jésus. Nous croyons dans l’efficacité du travail, nous pensons que l’homme, par ses efforts et sa persévérance, est capable de surmonter toutes les épreuves qui lui sont destinées dans un monde à sa mesure.

Et si pour bien des personnes la sentence « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »est une malédiction et une punition, les Francs-Maçons l’entendent comme un espoir et une récompense.

L’acquisition de notre liberté sera le fruit de nos efforts et de notre persévérance dans la recherche de la vérité. Nous croyons cependant qu’il n’existe pas de vérité immuable pour l’homme. Nous croyons qu’il n’est de vérité que dans la recherche de la vérité.

Tout comme la vérité, la liberté est une aspiration confuse qui repose au cœur de tous les hommes. Si nous tentons de lui trouver un sens et un contenu matériel, nous ne pouvons recourir qu’aux notions d’autonomie ou d’indépendance. Or, nous savons que l’autonomie, l’indépendance, ne sont qu’illusions et vues de l’esprit. Nous sommes dépendants de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, des êtres et des choses qui nous entourent, qui nous servent ou nous desservent, nous obéissent ou nous commandent. Nous sommes tributaires des lois naturelles que nous ne pouvons enfreindre sans être rayés du monde des vivants. Alors, dirons-nous, peut-être la liberté n’est-elle après tout qu’une notion psychologique dont il serait vain de rechercher l’application ailleurs que dans le domaine de l’esprit. Elle se ramènerait en définitive à l’illusion que l’on peut avoir d’être libre. Ce raisonnement lui aussi est faux. L’imagination est l’un des dons conférés à l’homme pour agir sur lui-même et sur le monde dans lequel il vit. Mais l’imagination ne peut s’élever qu’en prenant pied sur le tremplin du réel. L’imagination la plus folle est toujours inspirée par des choses connues.

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En fait il n’existe pas deux libertés : celle du corps et celle de la pensée, la liberté n’est pas une idée théorique et abstraite.

En matière politique, la liberté ne se définit point par des principes, si beaux soient-ils, énumérés en quelque déclaration solennelle et intangible, mais dénués d’applications pratiques. Ce n’est pas le droit théorique donné à chacun de se déplacer, de s’établir, de travailler, de posséder, de fonder un foyer. C’est le pouvoir concret de voyager, d’user, de disposer, de choisir et d’exercer effectivement un métier, d’entretenir une famille. Dans toute société humaine, quelle que soit l’étiquette ou la constitution qu’elle se donne, la liberté de chacun se mesure à la quantité de pouvoir social qui lui est accordé. Que ce pouvoir s’appelle argent, puissance, rang, fonction, il conditionne l’exercice de tous les droits, et par conséquent leur existence même. Car il ne suffit pas d’imaginer ce que l’on aurait virtuellement le droit de faire ou de dire, encore faut-il avoir le moyen de le faire ou de le dire. La liberté de conscience n’est rien sans la liberté d’expression, la liberté de concevoir n’est rien sans le pouvoir de réaliser.

DOUCEUR

La douceur est une vertu féminine. C'est pourquoi peut-être elle plaît surtout chez les hommes. Ce qu'elle a de féminin, ou qui paraît tel, c'est un courage sans violence, une force sans dureté, un amour sans colère.

La douceur est d'abord une paix, réelle ou souhaitée : c'est le contraire de la guerre, de la cruauté, de la brutalité, de l'agressivité, de la violence... Souvent trouée d'angoisse et de souffrance, parfois illuminée de joie et de gratitude, mais toujours dépourvue de haine, de dureté, d'insensibilité... L'agressivité est une faiblesse, la colère est une faiblesse, la violence même, quand elle n'est plus maîtrisée est une faiblesse. Et qu'est-ce qui peut maîtriser la violence, la colère, l'agressivité, si ce n'est la douceur ? La douceur est une force, c'est pourquoi elle

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est une vertu, c'est force en état de paix, force paisible et douce, pleine de patience et de mansuétude. Voyez la mère, avec son enfant. Voyez le Christ ou le Bouddha, avec tous.

La douceur est ce qui ressemble le plus à l'amour, plus encore que la générosité, plus encore que la compassion. Elle ne se confond d'ailleurs ni avec l'une ni avec l'autre, quoi qu'elle les accompagne le plus souvent. La compassion souffre de la souffrance d'autrui ; la douceur refuse de la produire ou de l'augmenter. La générosité veut faire du bien à l'autre ; la douceur refuse de lui faire du mal. Cela semble au bénéfice de la générosité, et l'est peut-être. Combien de générosité importune pourtant, combien de bonnes actions envahissantes, écrasantes, brutales, qu'un peu de douceur eût rendu plus légères et plus aimables? Sans compter que la douceur rend généreux, puisque c'est faire du mal à autrui que de ne pas lui faire le bien qu'il demande. Et qu'elle va au-delà de la compassion, puisqu'elle l'anticipe. Plus négative peut-être que la toute réactive compassion, la douceur se tient dans l'entre-deux, sans rien qui pèse ou qui pose, sans rien qui force ou qui agresse.

La violence est le mal premier, l'obscénité première, puisque le mal fait mal, puisque l'égoïsme corrompt tout. La violence est avide, indélicate, brutale... Quelle délicatesse au contraire, quelle douceur, quelle pureté, dans la caresse de la bien-aimée! Toute la violence de l'homme vient y mourir, toute la brutalité de l'homme, toute l'obscénité de l'homme... "Ma douceur" dit-il, et c'est un mot d'amour, et le plus vrai peut-être, et le plus doux...

La douceur est accueil, respect, ouverture. Vertu passive, vertu de soumission, d'acceptation ? Peut-être, et plus essentielle encore pour cela. Quelle sagesse sans passivité? Quel amour sans passivité? Quelle action, même, sans passivité? En effet, la passivité n'est pas synonyme d'inaction ou de paresse. C'est une manière de se laisser porter par le courant, nager avec lui, en lui, plutôt que s'épuiser contre les flots ou se laisser emporter.... La douceur se soumet au réel, à la vie, au

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devenir, à l'à peu près du quotidien : vertu de souplesse, de patience, de dévouement, d'adaptabilité... L'humanité n'invente pas la douceur. Mais elle la cultive, mais elle s'en nourrit, et c'est ce qui rend l'humanité plus humaine.

Au niveau le plus modeste, la douceur désigne la gentillesse des manières, la bienveillance que l'on témoigne envers autrui. Mais elle peut intervenir dans un contexte beaucoup plus noble. Se manifestant envers les malheureux, elle devient proche de la générosité ou de la bonté; envers les coupables, elle devient indulgence et compréhension; envers les inconnus, les hommes en général, elle devient humanité.

ENSEIGNEMENT

Le thème de ma planche de ce soir est la connaissance. Mais entendons-nous bien sur le terme de connaissance : celle dont je veux parler est la connaissance que je qualifierais d’académique, la connaissance à l’état brut qui est enseignée dans les écoles, où l'on apprend en jonglant avec des formules, des chiffres et des dates et qui fait abstraction de toutes formes de conscience. La connaissance qui impressionne ceux qui ne la possèdent pas sous cette forme.

Cette connaissance là ne mérite pas de figurer parmi les biens véritables. Simplement parce qu’elle ne compte pas dans son domaine la seule étude qui mérite une attention profonde : l’étude de la sagesse. On n' enseigne pas la sagesse à l’école ou à l’Université.

Et pourtant, l’étude de la sagesse est un travail plein de grandeur, de courage et de noblesse. Tout le reste est petit, puéril.

Les disciplines enseignées à l’Université, nous ne devons pas les apprendre, mais les avoir apprises, pour aller bien au-delà, pour nous offrir l’opportunité de

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revenir « en arrière », concentrer notre attention sur des sujets plus simples et plus modestes.

L’étude de la langue française, de la grammaire et de l’orthographe nous ouvre-t-elle le chemin de la vertu? Libère-t-elle de la crainte, supprime-t-elle le désir, réfrène-t-elle les passions? Tout savoir à propos de l’informatique me permettra-t-il de savoir comment aimer mon prochain, ma femme, mon fils, comment mener ma barque vers des valeurs nobles même après avoir fait naufrage?

L’étude de la musique m’enseigne comment les sons aigus et les sons graves s’accordent entre eux, comment avec des cordes qui rendent des sons différents peut naître l’harmonie. Je préférerais apprendre à faire en sorte que mon âme soit en accord avec elle-même pour qu’il n’y ait plus de couacs dans mes résolutions. Au lieux de me montrer quels sont les modes plaintifs : me montrer plutôt comment ne pas pousser de plaintes face à l’adversité.

Passons à la géométrie, je parle toujours de celle enseignée dans les écoles. Le métier de géomètre s’applique à mesurer la surface de votre terrain et à fixer de manière précise les limites de votre propriété. Ce géomètre-là ferait mieux de m’enseigner la mesure exacte de ce qui suffit à l’homme. Au lieu de m’apprendre à ne rien perdre de mon patrimoine, je préférerais que l’on m’apprenne à tout perdre avec le sourire.

Quel art admirable que la géométrie enseignée dans les universités. Savoir mesurer ce qui est rond, savoir réduire à un carré toute figure proposée, connaître la distance des astres entre eux. Il n’est rien que le géomètre ne sache mesurer. Mais s’il est si fort, qu’il mesure un peu l’âme de l’homme, qu’il nous dise sa grandeur, qu’il nous dise sa petitesse. Bien sûr il a appris à l’école ce qu’est une ligne droite. A quoi bon s’il ignore ce qu’est, dans la vie, la droiture.

Chez nous en Franc Maçonnerie, la géométrie s’étudie de manière bien différente.

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L'ESCALADE

Le thème de ma planche de ce soir est en relation avec l'événement dont nous allons fêter demain le trois cent nonante troisième anniversaire. Mais je ne vais cependant pas vous parler de la bataille de l'Escalade en particulier (notre F.'. Pierre P. nous en a largement retracé l'événement l'année dernière). Je vous parlerai des conflits en général, de la manière de les appréhender, du comportement à avoir lorsque nous nous trouvons pris dans l'engrenage d'un conflit et de quelle manière prévenir les conflits et éventuellement les éviter.

Un conflit qui dégénère entre deux partis qui décident de résoudre leur différend par l'affrontement physique est le signe d'un échec ; il montre que les hommes n'ont pas été capables de résoudre par leur intelligence les différends qui les opposaient ; ils n'ont pas su les faire évoluer vers un niveau de compréhension réciproque suffisant; ils ont oublié leur statut d'homme, et même leur statut d'animal; ils se sont abandonnés à la colère, à la fureur, à la folie; dans le cas d'une guerre entre deux nations, les hommes finissent par s'entre-tuer.

Oui, ils oublient même leur statut d'animal, car il n'existe guère d'exemples de luttes, à l'intérieur d'une même espèce, allant jusqu'à la tuerie. La violence est grande, certes, dans la nature. Lorsqu'il s'agit de se disputer la nourriture ou l'accès à une femelle, deux loups se battent de bon cœur; mais vient un moment où l'un des combattants sent qu'il a perdu; en signe d'acceptation de sa défaite, il tend sa gorge; le vainqueur donne alors un bruyant coup de dents, il fait claquer ses mâchoires en l'air. Il a gagné; pourquoi désirerait-il, en plus, la mort de l'adversaire? Seul l'homme commet la folie de transformer sa violence en haine, et de commettre l'acte irréversible, l'acte irréparable, donner la mort à un de ses semblables.

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Par une aberration étrange, aux conséquences dramatiques, la plupart des cultures humaines présentent les guerres comme des épisodes grandioses de la vie des nations. L'histoire de leur pays est racontée aux écoliers comme une succession de batailles enfilées comme des perles au long des siècles. Chacune est comme une étape autonome, un événement en soi : quel élève français ne sait que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515? Mais combien savent où est Marignan, et pour quelles raisons le roi de France s'était aventuré là-bas ? Quelle proportion de Français sait que l'armée ennemie était une armée suisse et que l'affaire a abouti à un traité de paix signé à Genève ?

La bataille de Marignan fut un affreux carnage dans la boue des marais qui fit 20'000 victimes dans chacun des camps. Seulement cette vision des choses est largement occultée par bon nombre de chroniqueurs de l'époque qui préfèrent mètre l'accent sur les vertus guerrières, le courage, l'héroïsme, l'intelligence manœuvrière des capitaines, alors que l'immense majorité de ceux qui ont participé à ces événements ne se souviennent guère d'avoir manifesté ces vertus; ils ont subi, obéi, attendu, et appris finalement, sans comprendre pourquoi ni comment, qu'ils étaient dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus.

Dans un conflit nucléaire possible, ce sera le sort de tous les hommes que de subir sans comprendre. Ils n'auront à être ni courageux, ni héroïques, ni intelligents. Des ordinateurs fermeront les contacts, des fusées s'élanceront, des charges exploseront, et tous les hommes disparaîtront, sans qu'aucun ne sache même la cause de ce suicide définitif. Le temps des "vertus guerrières" est révolu. Il est urgent d'en célébrer d'autres.

Les hommes peuvent gagner des batailles, mais l'Homme (avec un grand H) perd toujours la guerre.

Eviter la guerre, éviter les conflits par le dogme de la non-violence n'est pas toujours possible. Et le faut-il vraiment? "Endurer d'être bafoué, ou laisser avec indifférence insulter ses amis, est le fait d'une âme vile" écrivait Aristote qui

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n'était pas porté à tendre l'autre joue... La non-violence poussée à l'extrême, nous interdirait de combattre efficacement la violence criminelle ou barbare, non seulement quand elle nous vise, mais quand elle vise autrui, par exemple quand elle massacre ou opprime des innocents sans défense, ce que la justice ne saurait tolérer. Qui ne se battrait, pour sauver un enfant ? Qui n'aurait honte de ne pas le faire ? "La non-violence n'est bonne, écrit fort bien Simone Weil, que si elle est efficace." C'est dire que le choix n'est pas de principe, mais de circonstance. A efficacité égale ou supérieure, la non-violence est bien sûr préférable, c'est ce que Gândhî, en Inde, avait compris. Mais calculer l'efficacité respective de tel ou tel moyen est l'affaire de la prudence. Comment faire, par exemple, si une femme est attaquée devant moi ? "Use de la force, répond Simone Weil, à moins que tu ne sois tel que tu puisses la défendre, avec autant de probabilité de succès, sans violence." Cela dépend bien sûr des individus, des situations, et, ajoute Simone Weil, "cela dépend aussi de l'adversaire". La non-violence de Gândhî contre les troupes britanniques, soit. Mais contre Hitler et ses panzerdivisions? Cà c'est une autre affaire. La violence vaut mieux que la complicité, que la faiblesse devant l'horreur, que la mollesse ou la complaisance devant le pire.

Dans quels cas alors a-t-on moralement le droit (voir le devoir) de se battre et, spécialement, de tuer ? Exclusivement quand c'est nécessaire pour empêcher un mal plus grand, par exemple plus de morts, ou plus de souffrances, ou plus de violences... On dira que chacun pourra en juger à sa façon, et qu'un tel principe, dès lors n'offre aucune garantie. Mais comment y en aurait-il ? Il n'y a que des cas particuliers, que des cas singuliers, et nul ne peut décider objectivement à notre place.

Alors, quelle est la méthode pour prendre une décision de manière objective ?

Lorsque nous sommes amenés à prendre une décision, à entreprendre une action, il nous arrive parfois de douter du bien fondé de notre démarche.

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De quelle manière agir ? Quels sont les critères qui doivent nous servir de base pour prendre une décision ? Le Maçon dispose d'outils qui l'aident à discerner, à juger pour pouvoir agir juste. Encore faut-il savoir utiliser ces outils, ce qui n'est pas forcément donné à tout le monde.

Je n'ai pas de réponse à toutes ces questions. J'aimerais cependant vous exposer une idée que j'ai trouvée dans la mythologie Hindoue et qui m'a paru intéressante.

La réponse selon les hindouïstes se trouve dans un livre que la tradition dit avoir été écrit par le dieu Ganech (celui qui a une tête d'éléphant). Il s'agit d'un texte très ancien qui date d'environ 300 ans avant notre ère et qui relate des faits qui se sont déroulés il y a 3000 ans.

La légende a pour nom Mahabarata. Il s'agit du récit d'une épopée qui compte environ quatre cent mille versets qui relatent l'affrontement de deux clans de chevaliers qui se disputent les royaumes de l'Inde.

Les deux clans sont issus de la même famille. Les uns se nomment les Pandavas, ce sont des hommes loyaux et justes, les autres : Les Kauravas qui sont perfides et se sont emparés du pouvoir par la ruse.

Les armées se forment. Chaque clan regroupe ses partisans. Il y a un roi chevalier qui est l'ami des deux clans. Son nom est Krishna. Il offre son aide aux deux adversaires. A l'un il donnera ses armées, à l'autre sa personne. Mais il ne combattra pas, il conduira seulement le char de celui qui le choisira.

Les Kauravas choisissent les armées, Arjuna, le chef des Pandavas choisit la personne de Krishna.

Krishna est un être particulier. Afin de mieux vous faire comprendre qui il est réellement, j'ouvre une parenthèse pour faire une comparaison entre des faits essentiels qui différencient les religions chrétiennes et hindouïstes. Notre culture a fabriqué un Dieu unique qui est un être bon et représente en quelque sorte une

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incarnation de l'amour. On dit souvent que Dieu est Amour. Son pouvoir est vraisemblablement limité puisqu'il laisse les hommes, créés par lui, se dépêtrer seuls du guêpier féroce dans lequel ils se débattent. Dieu est au ciel, l'homme est seul sur terre.

Il n'en est pas de même chez les hindouistes. Pour eux le seigneur se tient au cœur de toutes les créatures, il n'est pas en dehors de cette bataille de la vie, il est sur le champ de bataille avec son disciple. Bien qu'impartial, il le soutient de sa présence, l'instruit de sa lumière, dissipe les brouillards de son ignorance, par sa parole et ses silences.

Il y a Bramah, le dieu créateur, Shiva le dieu destructeur et Vishnou le dieu protecteur.

Alors que selon la tradition chrétienne, Dieu est descendu une fois sur terre pour faire entendre sa parole. Chez les hindous, Vishnou est omniprésent. Il se manifeste sous une forme ou sous une autre chaque fois que le monde est en danger.

Dans le Maharabata, Vishnou prend les traits de Krishna. Il devient le conseiller, le guide spirituel, la conscience d'Arjuna.

Revenons maintenant à la guerre qui oppose les Kauravas et les Pandavas. Alors que les deux armées se font face et que le combat est imminent, Arjuna demande à Krishna de le conduire entre les deux lignes et d'arrêter son char. De là Arjuna observe les oncles, les grands-pères, les frères, les cousins, les fils les petits fils, tous membres de la même famille prêts à s'entre-tuer. Le doute s'empare alors de lui, il se demande si son engagement est bien fondé.

Il imagine avec horreur ce qui va se passer et dit à Krishna que le prix de la victoire lui enlèvera toute raison de vivre. Il préfère renoncer au combat que de tuer ses frères. Mais il doute de lui-même et demande conseil à Krishna.

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La réponse de Krishna est très importante: il recommande à Arjuna de s'entraîner principalement à l'accomplissement désintéressé de l'action qui lui incombe. Il ne faut jamais attendre de bénéfice de ses actes, mais d'emblée y renoncer. L'homme ne se sent vraiment lui-même que lorsqu'il agit selon le côté universel, non égoïste de sa nature.

Pour l'hindou, l'égoïsme est une fausse appréciation de soi : s'imaginer que l'on est le corps, le nom, les émotions et même les pensées est une grande erreur. La roue de la vie, la croyance en la réincarnation donne une toute autre dimension à l'existence. Je ne suis pas seulement la personne qui vous parle en ce moment, mais je suis le frère de celui qui se trouve en face de moi, je suis l'individu, la dame ou le chien que j'ai croisé dans la rue avant de venir vous trouver, je suis vous-même, ce pourrait être dans un autre temps, une autre vie.

Tel est le système de pensée des hindouïstes. Ceci directement en relation avec la loi de la réincarnation, la roue de la vie.

Alors dans ces conditions, comment peut-on être égoïste? Un homme qui vit en accord avec cette religion ne se préfère pas aux autres. Son action est spontanément désintéressée. Sa tendresse est universelle pour tous.

Mais alors me direz-vous : Pourquoi combattre, pourquoi tuer?La réponse est la suivante : Chaque homme a une mission à accomplir sur terre, un devoir que les hindouïstes appellent Dharma. Pour donner un exemple : L'amour qu'une mère doit témoigner à son enfant est le Dharma de la mère, les soins qu'un médecin donne à un malade sont le Dharma du médecin, combattre pour sa patrie, tuer ou se faire tuer si nécessaire est le Dharma du militaire.

Le message transmis par Krishna à Arjuna dans la légende du Maharabata est que tout homme doit accomplir son destin, qu'il ne peut en être autrement. Mais pour l'accomplir de manière sereine et bénéfique, il faut accepter la notion de Dharma.

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Il faut agir sans passion, de manière totalement désintéressée, l'égoïsme n'ayant aucun sens si l'on croit en la notion de réincarnation.

Enfin je voudrais vous proposer une alternative aux conflits qui consiste à les prévenir afin de les éviter. Ces moyens de prévention sont multiples. Ils excluent tous bien entendu l'égoïsme, mais il me faudrait encore des heures de paroles pour pouvoir les développer tous.

Je ne m'attarderai que sur un seul de ces moyens préventifs que l'on peut user au niveau du couple, entre amis, ou entre FF.'. Je vais vous parler de la douceur en vous lisant en avant-première les quelques lignes que je destine à l'auditoire qui sera présent lors de la tenue de notre prochaine St Jean d'hiver.

La douceur est une vertu féminine. C'est pourquoi peut-être elle plaît surtout chez les hommes. Ce qu'elle a de féminin, ou qui paraît tel, c'est un courage sans violence, une force sans dureté, un amour sans colère.

La douceur est d'abord une paix, réelle ou souhaitée : c'est le contraire de la guerre, de la cruauté, de la brutalité, de l'agressivité, de la violence... Souvent trouée d'angoisse et de souffrance, parfois illuminée de joie et de gratitude, mais toujours dépourvue de haine, de dureté, d'insensibilité... L'agressivité est une faiblesse, la colère est une faiblesse, la violence même, quand elle n'est plus maîtrisée est une faiblesse. Et qu'est-ce qui peut maîtriser la violence, la colère, l'agressivité, si ce n'est la douceur? La douceur est une force, c'est pourquoi elle est une vertu : c'est force en état de paix, force paisible et douce, pleine de patience et de mansuétude. Voyez la mère, avec son enfant. Voyez le Christ ou le Bouddha, avec tous. La douceur est ce qui ressemble le plus à l'amour, plus encore que la générosité, plus encore que la compassion. Elle ne se confond d'ailleurs ni avec l'une ni avec l'autre, quoi qu'elle les accompagne le plus souvent. La compassion souffre de la souffrance d'autrui ; la douceur refuse de la produire ou de l'augmenter. La générosité veut faire du bien à l'autre ; la douceur refuse de lui faire du mal. Cela semble au bénéfice de la générosité, et l'est peut-

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être. Combien de générosités importunes pourtant, combien de bonnes actions envahissantes, écrasantes, brutales, qu'un peu de douceur eût rendu plus légères et plus aimables? Sans compter que la douceur rend généreux, puisque c'est faire du mal à autrui que de ne pas lui faire le bien qu'il demande. La douceur va au-delà de la compassion, puisqu'elle l'anticipe. Plus négative peut-être que la toute réactive compassion, la douceur se tient dans l'entre-deux, sans rien qui pèse ou qui pose, sans rien qui force ou qui agresse.

La violence est le mal premier, l'obscénité première, puisque le mal fait mal, puisque l'égoïsme corrompt tout, il est avide, indélicat, brutal... Quelle délicatesse au contraire, quelle douceur, quelle pureté, dans la caresse de la bien-aimée! Toute la violence de l'homme vient y mourir, toute la brutalité de l'homme, toute l'obscénité de l'homme... "Ma douceur" dit-il, et c'est un mot d'amour, et le plus vrai peut-être, et le plus doux...

La douceur est accueil, respect, ouverture. Vertu passive, vertu de soumission, d'acceptation ? Peut-être, et plus essentielle encore pour cela. Quelle sagesse sans passivité? Quel amour sans passivité? Quelle action, même, sans passivité? En effet, la passivité n'est pas synonyme d'inaction ou de paresse. C'est une manière de se laisser porter par le courant, nager avec lui, en lui, plutôt que s'épuiser contre les flots ou se laisser emporter.... La douceur se soumet au réel, à la vie, au devenir, à l'à peu près du quotidien : vertu de souplesse, de patience, de dévouement, d'adaptabilité... L'humanité n'invente pas la douceur. Elle la cultive, elle s'en nourrit, et c'est ce qui rend l'humanité plus humaine.

Au niveau le plus modeste, la douceur désigne la gentillesse des manières, la bienveillance que l'on témoigne envers autrui. Mais elle peut intervenir dans un contexte beaucoup plus noble. Se manifestant envers les malheureux, elle devient proche de la générosité ou de la bonté; envers les coupables elle devient indulgence et compréhension; envers les inconnus, les hommes en général, elle devient humanité.

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Sources :- Abécédaire de l'ambiguïté, Albert Jacquard.- Petit traité des grandes vertus, André Comte-Sponville.- La Bagavagita, extrait du Maharabata.

TENUE EN FORET

Cette tenue n'est pas une tenue comme les autres. Nôtre V.'. M.'. a voulu renouveler une expérience qui c'est déroulé il y a quelques années et revivre une émotion qui a marqué plusieurs d'entre nous.

Le fait de rompre avec certaines habitudes, le fait de se trouver dans un cadre naturel, sous une voûte étoilée qui reste un symbole mais qui participe aujourd'hui de manière effective, apporte une nouvelle dimension à notre réunion de par l'émotion qu'elle provoque.

En diverses régions, notamment chez les Celtes, la forêt constituait un véritable sanctuaire à l'état de nature: ainsi de la forêt de Brocéliande, comme la forêt de Dodone chez les Grecs. En Inde, les sannyàsâ se retirent en forêt, de même que les ascètes bouddhiques: Les forêts sont douces, lit-on dans les textes indouïstes lorsque le monde n'y entre pas; le saint y trouve son repos.

Au japon, le torii marque, plus que l'entrée du domaine d'un temple, celle d'un véritable sanctuaire naturel, qui est le plus souvent une forêt de conifères. En Chine, la montagne coiffée d'une forêt est presque toujours le site d'un temple.

La forêt, qui constitue véritablement la chevelure de la montagne, en fait la puissance, en lui permettant de provoquer la pluie, c'est-à-dire, dans tous les sens du terme, les bienfaits du Ciel. Pour attaquer les montagnes, Yu-le Grand en coupait les arbres; Tsin Che Houangti, blessé d'avoir été accueilli sur le mont Kiang par un orage, en fit couper les arbres par représailles.

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Il y a une stricte équivalence sémantique, à l'époque ancienne, entre la forêt celtique et le sanctuaire, nemeton. L'arbre peut être considéré, en tant que symbole de vie, comme un lien, un intermédiaire entre la terre où il plonge ses racines, et la voûte du ciel qu'il rejoint ou touche de sa cime. Les temples de pierre ne se construiront en Gaule que sous l'influence romaine, après la conquête.

La grande forêt dévoreuse a été chantée dans une abondante littérature. Bertrand d'Astorg, dans LE MYTHE DE LA DAME A LA LICORNE la défini comme génératrice à la fois d'angoisse et de sérénité, d'oppression et de sympathie, comme toutes les puissantes manifestations de la vie. Je le cite : Moins ouverte que la montagne, moins fluide que la mer, moins subtile que l'air, moins aride que le désert, moins obscure que la grotte, mais fermée, enracinée, silencieuse, verdoyante, ombreuse, nue et multiple, secrète, la forêt des hêtres est aérée et majestueuse, la forêt des chênes, dans les grands chaos rocheux, est celtique et quasiment druidique, celle des pins, sur les pentes sablonneuses évoque un océan proche ou des origines maritimes, et c'est toujours la même forêt (fin de citation). Pour l'analyste moderne, par son obscurité et son enracinement profond, la forêt symbolise l'inconscient. Les terreurs de la forêt, comme les terreurs paniques, seraient inspirées, selon Jung, par la crainte des révélations de l'inconscient.

Lieux de tranquillité et de solitude, elle stimule en effet la réflexion et la méditation. Je conclurai par la lecture d'un texte qui me semble convenir à ce lieu, à cette heure, et à cette tenue un peu particulièr

LA FRATERNITE MACONNIQUE

La force d'une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres.Plus ils sont unis, et plus ils sont puissants. En maçonnerie, l'union n'est point

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l'effet d'une discipline imposée, elle ne peut naître que de l'affection que ressentent les initiés les uns pour les autres. Il est de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons.

Oswald WIRTH

La fraternité implique les notions de tolérance, d'affection, et aussi dans une certaine mesure : de charité, d'indulgence, de fidélité et de communion.

De manière concrète elle se manifeste par une attention profonde d'un frère à l'égard de son semblable : Une écoute respectueuse de propos que l'on ne partage pas forcément, une aptitude à prononcer une parole réconfortante, à agir avec un élan d'affection au moment opportun.Savoir proposer sans vouloir imposer, savoir être présent sans jamais être pesant.

La structure de la loge maçonnique est favorable à l'épanouissement du comportement fraternel. Les bons sentiments d'un jeune initié vis à vis de ses frères se transformeront vite, s'il entend bien l'art, en véritable sentiment fraternel. Mais cette affection ne peut être immédiate, il faut laisser le temps agir pour que les liens s'établissent.

Les liens ainsi créés vont nous rapprocher les uns des autres. Nous ne serons plus des étrangers car nous aurons pris le temps de nous connaître. Mais cela ne suffit pas pour faire de nous des frères. Il nous faudra faire preuve d'humilité car les différences apparaîtront et il faudra bien les accepter pour aller de l'avant dans l'échange de relations fraternelles. Les accepter sans les juger car les jugements prennent souvent un caractère définitif, et toutes choses "définitives" créent des limites qui ont pour effet de réduire la liberté de chacun.

Il faut parfois abandonner nos convictions pour nous mettre entièrement à l'écoute de l'autre, il faut accepter que notre frère ne soit pas ce que nous aurions

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souhaité qu'il soit, il faut renoncer à notre propre idéal de la fraternité pour reconnaître qu'il en existe d'autres, différents, mais ayant tout autant leurs raisons d'être.

Cette disponibilité soudaine vis à vis de personnes venues d'ailleurs et que nous avons acceptées comme frère est génératrice de sentiments de bien-être. Ces sentiments sont sécurisants et nous font réaliser que tous les hommes, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent sont nos frères.

Les Stoïciens de l'antiquité l'avaient bien compris : En condamnant l'esclavage, ils reconnurent la communauté d'origine des hommes et leur participation à l'universelle raison.Les Chrétiens, en associant fraternité et charité, ont développé le coté sentimental de la fraternité.Plus sélective et élitaire : la chevalerie moyenâgeuse, avec la "Fraternité d'armes" a mis en exergue les liens tissés par ceux qui ont lutté pour la même cause. Il s'agissait d'un engagement à se défendre l'un l'autre envers et contre tout, à se garder une foi inviolable et à tout faire pour mériter cette foi.

Ce dernier exemple est frappant car il fait état d'une fraternité absolue et sans limites. Cette fraternité-là serait-elle un mythe?

En Maçonnerie, nous avons l'habitude de donner une mesure à toutes choses et à refuser les dogmes.La fraternité Maçonnique est bien une réalité mais elle a, comme toute manifestation, ses propres limites.Ces limites, nous les fixons nous-mêmes, elles dépendent de la sincérité de notre engagement.La maçonnerie propose et l'homme dispose: libre à chacun de progresser, libre à chacun d'accepter ou de refuser les richesses qui lui sont offertes, libre à chacun de collaborer à l'accroissement du patrimoine commun et de son propre patrimoine.

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La loge sera ce que nous en ferons, chacun est responsable de ce qu'elle deviendra par sa propre participation positive ou négative. Agir pour l'intérêt de tous, travailler individuellement pour tenter de créer un idéal de vie. Il faut apporter pour recevoir, continuellement se remettre en question pour conserver le caractère initiatique de notre démarche, se souvenir que notre fierté est de créer l'unité dans la diversité et pour ce faire, utiliser le langage du coeur, persévérer dans notre démarche et ne pas oublier que nous avons des outils pour nous aider à rechercher la vérité. Le rayonnement de la loge dépendra de notre volonté de persévérer dans la recherche de la connaissance, afin d'être présent sur la scène de l'action. Rester humble, agir sans passion, ne pas démolir, mais transformer et construire, ne pas mal juger, mais aimer, agir pour le bien de tous. Nous hériterons de la loge que nous construirons, nous hériterons du monde que nous construirons....

Pour agir dans cet esprit, la fraternité doit demeurer notre acte de foi afin de donner un sens à notre démarche. De la participation active de chacun des Frères dépend l'importance de la notion de réalité qui caractérise les relations fraternelles établies au sein de l'atelier

GUERRE

La guerre est le signe d'un échec ; elle montre que les hommes n'ont pas été capables de résoudre par leur intelligence les conflits qui les opposaient ; ils n'ont pas su les faire évoluer vers un niveau de compréhension réciproque suffisant; ils ont oublié leur statut d'hommes, et même leur statut d'animal; ils se sont abandonnés à la colère, à la fureur, à la folie; ils finissent par s'entre-tuer.

Oui, ils oublient même leur statut d'animal, car il n'existe guère d'exemples de luttes, à l'intérieur d'une même espèce, allant jusqu'à la tuerie. La violence est grande, certes, dans la nature. Lorsqu'il s'agit de se disputer la nourriture ou

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l'accès à une femelle, deux loups se battent de bon cœur; mais vient un moment où l'un des combattants sent qu'il a perdu; en signe d'acceptation de sa défaite, il tend sa gorge; le vainqueur donne alors un bruyant coup de dents, il fait claquer ses mâchoires, en l'air. Il a gagné; pourquoi désirerait-il, en plus, la mort de l'adversaire ? Seul l'Homme commet la folie de transformer sa violence en haine, et de commettre l'acte irréversible, l'acte irréparable, donner la mort à un de ses semblables.

Par une aberration étrange, aux conséquences dramatiques, la plupart des cultures humaines présentent les guerres comme des épisodes grandioses de la vie des nations. L'histoire de leur pays est racontée aux écoliers comme une succession de batailles enfilées comme des perles au long des siècles. Chacune est comme une étape autonome, un événement en soi : quel élève français ne sait que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515 ? Mais combien savent où est Marignan, et pour quelles raisons le roi de France s'était aventuré là-bas ? Quelle proportion de Français sait que l'armée ennemie était une armée suisse et que l'affaire a abouti à un traité de paix signé à Genève ?

La bataille de Marignan fut un affreux carnage dans la boue des marais qui fit 20'000 victimes dans chacun des camps. Seulement cette vision des choses est largement occultée par bon nombre de chroniqueurs de l'époque qui préfèrent mètre l'accent sur les vertus guerrières, le courage, l'héroïsme, l'intelligence manoeuvrière des capitaines, alors que l'immense majorité de ceux qui ont participé à ces événements ne se souviennent guère d'avoir manifesté ces vertus; ils ont subi, obéi, attendu, et appris finalement, sans comprendre pourquoi ni comment, qu'ils étaient dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus.

Dans un conflit nucléaire, ce sera le sort de tous les hommes que de subir sans comprendre. Ils n'auront à être ni courageux, ni héroïques, ni intelligent. Des ordinateurs fermeront des contacts, des fusées s'élanceront, des charges exploseront, et tous les hommes disparaîtront, sans qu'aucun ne sache même la

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cause de ce suicide définitif. Le temps des "vertus guerrières" est révolu. Il est urgent d'en célébrer d'autres.

Les hommes peuvent gagner des batailles, mais l'Homme (avec un grand H) perd toujours la guerre.

HEGEL

Hegel est un philosophe allemand qui vécut entre 1770 et 1831. Il développa les principaux courants de pensée de l'époque romantique.

Tous les systèmes philosophiques avant Hegel avaient en commun d'essayer de trouver les critères éternels qui pourraient déterminer le champ du savoir de l'homme. Chaque philosophe avait tenté de définir les fondements de la connaissance humaine, mais en se situant chaque fois dans des conditions intemporelles.

Hegel affirmait que tout ce qui est à la base de la connaissance se transforme au fil des générations. C'est pourquoi il disait que nous ne pouvions parler de "vérités éternelles", que la seule base solide à partir de laquelle le philosophe peut travailler, c'est l'Histoire elle-même.

En d'autres termes : toutes les pensées que la tradition fait déferler sur nous, d'une part, et les conditions matérielles qui déterminent notre présent, d'autre part, concourent à définir notre mode de pensée. Nous ne pouvons donc aucunement prétendre que telle ou telle pensée est juste et éternelle. Elle peut tout au plus se révéler juste là où nous nous trouvons. Chaque chose peut être juste ou fausse selon le contexte historique. Défendre l'idée de l'esclavage à notre époque serait une chose absurde, alors qu'à l'époque de Périclès, les gens ne voyaient pas les choses de la même manière. Pour donner un autre exemple : brûler de grandes étendues de forêts afin d'accroître les terres cultivables ne semblait pas

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déraisonnable au siècle dernier, alors que maintenant ce n'est plus le cas, tout simplement parce que nous avons de tout autres éléments pour juger un tel acte.

En matière de philosophie, il est donc aberrant d'analyser un courant de pensée sans tenir compte du contexte historique dans lequel il a évolué. Et j'en viens maintenant à un point essentiel : parce qu'il arrive toujours quelque chose de nouveau, la raison est "progressive", c'est-à-dire que la connaissance de l'être humain est en perpétuel développement et, vu sous cet angle, ne fait qu'aller de l'avant.

Cette connaissance qu'Hegel appelait "l'Esprit du monde", se développe avec le temps pour atteindre une conscience de plus en plus grande. Selon lui, l'Histoire n'est que le lent éveil de l'Esprit du monde. D'ailleurs, quiconque étudie l'Histoire verra que l'humanité se dirige vers une plus grande connaissance. L'Histoire témoigne en effet que l'humanité évolue dans le sens d'une plus grande rationalité et d'une plus grande liberté. Malgré tous ses méandres, le processus historique va "vers l'avant".

Il est aisé de se rendre compte qu'une pensée vient souvent se greffer sur d'autres pensées plus anciennes. Mais, à peine posée, cette pensée va être contrée par une nouvelle pensée, créant ainsi une tension entre deux modes de pensée. Et cette contradiction sera levée grâce à une troisième pensée qui conservera le meilleur des deux points de vue. C'est ce que Hegel appelle un processus dialectique.

La première affirmation, Hegel lui donne le nom de position. Celle-ci attire inévitablement son contraire. Ce que Hegel appelle une négation. A partir de ce moment il y a une tension entre deux manières de voir diamétralement opposées. Mais cette tension est dépassée par une troisième prise de position qu'Hegel a appelé la négation de la négation.Il a qualifié les trois stades de la connaissance de thèse, antithèse et synthèse. Mais l'histoire ne s'arrête pas avec la synthèse résultante de deux différents modes de pensée, car cette synthèse devient à son tour un nouveau point de

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départ pour une nouvelle chaîne de pensées composée de ces trois maillons que Hegel qualifie de triade. Car la synthèse elle aussi va être contredite par une nouvelle antithèse.

Faire la part de ce qui est vrai et de ce qui est faux n'est pas une chose facile, surtout lorsque nous défendons un point de vue et que nous sommes pris à partie. Il arrive parfois que malgré toute notre bonne volonté la raison nous échappe. C'est finalement l'Histoire qui montrera ce qui était vrai ou faux. Ce qui est "raisonnable", c'est ce qui est "doué de vie", ce qui est juste, c'est ce qui continuera à vivre.

Prenons un exemple historique : Il y a cent cinquante ans, de nombreuses personnes revendiquèrent l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. Mais d'autres s'insurgèrent contre cette égalité, Hegel faisait partie de ceux-ci. Si nous nous penchons aujourd'hui sur l'argumentation des deux parties, il est très difficile de dire qui avait les arguments les plus "raisonnables" car nous ne vivons plus dans le même contexte historique. De plus, il est toujours facile de dire après coup ce qu'il convenait de faire dans telle ou telle situation.

Il s'avère que ceux qui prônaient l'égalité des droits entre les hommes et les femmes avaient raison. Soit dit en passant, nous pouvons noter que c'est justement parce que les hommes au temps de Hegel clamaient si fort l'infériorité de la femme que le mouvement de libération des femmes a pu voir le jour. Car ces hommes ont avancé une "thèse". Et s'ils avaient éprouvé le besoin de le faire, c'est que le mouvement de libération des femmes avait déjà commencé. Quel intérêt y aurait-il eu à défendre un point sur lequel tout le monde tombait d'accord ? Plus leurs propos étaient virulents, plus l'antithèse ou la "négation" était forte. On peut donc affirmer que rien ne vaut d'avoir des opposants énergiques pour progresser. Plus les détracteurs seront puissants, plus la réaction qu'ils provoqueront sera violente.

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INITIATION

De même que les savants cherchent une loi synthétique de l'univers, que les théologiens s'ingénient à résumer leur credo en une phrase et que les philosophes s'efforcent de ramener à un principe les diverses réalités humaines ou naturelles, de même les F.'. M.'. avancent non une vérité, un dogme, une solution, mais une méthode. En ce sens, ils refusent de fermer la recherche : ils font une quête par nature indéfinie. Ils n'imposent pas une théorie, un résultat, ils donnent une règle, un procédé, un moyen. Ils posent des points de suspension plus qu'un point final. La clef est présentée par les F.'. M.'. de manière figurée, et non conceptuelle. Dès lors, ce qui peut sembler prétentieux et dogmatique devient pédagogique ou initiatique. En principe, il n'y a pas de principe en F.'. M.'..

Par l'initiation nous n'apportons au profane qu'un outil dont il fera ce qu'il veut, ou plus exactement ce qu'il peut. Oswald Wirth nous rappelle que l'enseignement maçonnique ne comporte ni dogme ni credo d'aucune sorte. L'initié ne peut que méditer sur les symboles et allégorie mis à sa disposition pour avancer sur la voie de la lumière.

Ainsi tout reste à faire. Cette quête de la lumière commencée dans l'obscurité du cabinet de réflexion, se poursuit au quotidien parmi les hommes. Au rythme des expériences vécues, des joies et des peines qui tourmente l'esprit de tous les hommes.

Le chemin est long et parsemé d'embûche, il est cependant un passage obligé et aucun être qui cherche la lumière ne peut y échapper. Il y a beaucoup d'illusions et de désillusion, et au travers de cela l'esprit maçonnique se forge, évolue en présence de symboles qui eux ne changent pas. Le pavé mosaïque restera toujours le pavé mosaïque. L'équerre, la règle et le compas resteront toujours l'équerre, la règle et le compas. De plus, tous ces symboles que la maçonnerie met à disposition seront toujours à la portée de celui qui tendra les mains pour les saisir, pour disposer de leur enseignement.

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Non, ce qui change dans la vie d'un initié, c'est l'interprétation et l'usage qu'il fait de ces outils. Il faut commencer par méditer en silence et avec toute confiance sur le contenu de ces symboles. Si je dis en silence, c'est simplement pour s'en laisser imprégner, pour ne pas entamer un dialogue de sourd qui ne mènerait à aucun résultat. C'est aussi pour apprendre à écouter sans forcément répliquer, apprendre à être pénétré par de nouvelles idées, de nouvelles façons de voir le monde. Il faut se débarrasser de sa carapace et de ses préjuger, il faut dépouiller le vieil homme comme on dit en maçonnerie.

Le silence de l'apprenti n'est pas une contrainte stupide qui leur est imposé par leurs frères compagnon et maîtres, ce silence doit être plutôt interprété comme étant la clé qui permet d'ouvrir de nombreuses portes. Ne dit-on pas que la parole est d'argent et le silence est d'or? Il est indispensable d'apprendre à écouter les autres. Qu'ils aient raison où qu'ils aient tors, la question n'est pas là, cette démarche est simplement à la base de toute communication, de tout échange d'idée et de toute évolution. Car comment pourrait-on évoluer sans contacte avec le monde qui nous entoure, sans apport de l'extérieur? Le bonheur appartient à celui qui sait le saisir, il est à la portée de chacun. Demande et tu obtiendras, lit-on dans notre rituel, frappe et on t'ouvrira, cherche et tu trouveras. Tout est question de volonté, de persévérance mais aussi d'intelligence nécessaire pour savoir quoi chercher, où frapper et que demander.

La voie maçonnique vous est ouverte mon très cher nouveau frère, c'est maintenant à vous de faire l'effort de l'emprunter. Aurez-vous la volonté nécessaire pour en franchir tout les obstacles? Je vous le souhaite et puis vous assurer que la démarche en vaut la peine.

JUSTICE

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La justice existe-t-elle dans le monde? C’est une question qu’ont abordée tous les philosophes, avec force mots à son sujet. Y a-t-il une justice au monde, rationnelle et sensée? Vous êtes brillant, je ne le suis pas. Vous avez de l’argent, je n’en ai pas. Vous avez des aptitudes, un autre n’en a pas. Vous avez du talent, vous pouvez profiter de la vie et moi je suis né pauvre. Quelqu’un a une infirmité, un autre n’en a pas. En voyant tout cela, nous sommes tentés de dire : « il doit tout-de même y avoir une raison, une justice quelque part ». Nous partons de l’absence de justice pour aboutir à une idée de justice - Dieu est juste. Mais le fait demeure qu’il y a au monde une injustice terrible.

Alors, s’il n’y a pas de justice, pourquoi chercher à s’améliorer ? C’est inutile, pourquoi chercher à s’améliorer dans ce monde chaotique où les dictateurs sont souverains ? Leur vie même constitue une injustice, puisqu’ils terrorisent des millions de gens. Au vu de tout cela, s’améliorer n’aurait pas de cause rationnelle.

Beaucoup cherchent à s’améliorer parce qu’ils y sont contraint par tel ou tel autre système légal qui les obligent à le faire. D’autres le font par crainte de la punition et pour être récompensé (je prends pour exemple la religion chrétienne qui promet le paradis aux bon et l’enfer aux méchant).

En fait le changement ne doit pas se faire par la contrainte, la récompense et la punition. L’esprit lui-même discerne l’absurdité de tout cela ; il voit la nécessité du changement, non parce que Dieu ou le prêtre nous l’indique, mais parce qu’il est conscient que bon nombre d’injustices ont été commises par des êtres humains. Nous sommes tel que ces êtres humains, mais nous choisissons d’agir contre l’injustice, c’est notre responsabilité et celle de tous les F.’. M.’..

LIBERTE

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Edgard Poe nous présente l'un de ses Contes extraordinaires comme la copie d'un parchemin trouvé dans une bouteille, message confié à l'océan par un naufragé. Au moment où son bateau a sombré, alors que tous ses camarades périssaient dans la tempête, un immense navire est passé, tout proche dans la brume ; il a pu saisir un cordage qui traînait et se hisser sur le pont ; il était sauvé. Il rencontre sur ce navire de nombreux matelots, mais leur comportement est étrange. Sans jamais s'arrêter, ni jour ni nuit, ils font leur travail, veillent aux gréements, amènent ou hissent les voiles. Leurs barbes sont hirsutes, leurs yeux profondément enfoncés dans leurs orbites ; ils sont vieux, infiniment vieux. Aux questions, ils ne répondent jamais, et ne semblent même pas voir le naufragé présent parmi eux. Celui-ci soudain comprend : il est sur le Vaisseau fantôme, le Hollandais volant, condamné à errer sur les océans , sans relâche, pour l'éternité. Cet équipage est fait de morts.

Avec eux, il ne peut avoir aucun échange, aucun contact ; mais il peut aller et venir sans la moindre contrainte, grimper aux mâts, visiter la cabine du capitaine, s'installer pour dormir là ou il le désire. Il peut même, mais au péril de sa vie, quitter le navire en plongeant dans la mer. Il est libre.

Libre vraiment ?

De même sommes-nous vraiment libre.

Débarqué par le hasard de la procréation sur le vaisseau Terre, le nourrisson, lorsqu'il ouvre pour la première fois les yeux, se voit entouré d'un équipage fait de personnes bien vieilles et aux comportements curieux. Il est au foyer des regards de tous ; tous s'adressent à lui ; rien n'est plus important pour eux que sa présence ; ils l'admirent, le guident, lui dictent les gestes à faire, lui interdisent ceux à ne pas faire, lui apprennent les règles du jeu. Un réseau de multiples contraintes se crée peu à peu ; parfois elles lui pèsent. Il lui arrive de se sentir entravé et rêve d'isolement, d'autonomie, de liberté.

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Mais quelle liberté ?

Pour faire un homme, il faut des hommes. Isolés nous ne pouvons que faire jouer les mécanismes définis par notre patrimoine génétique, réaliser des organes, mettre en place de métabolismes. Tout ce qui constitue l'apport nécessaire pour devenir un homme. Nécessaire mais pas suffisant.

Tant que nous n'avons pas de contact avec la liberté des autres, la notre n'a aucun contenu. Entouré de morts, d'hommes d'un autre monde, le naufragé d'Edgard Poe n'est ni libre ni emprisonné ; il est dans le vide. Sans oreilles pour les entendre, ses paroles sont inutiles ; peu à peu, il renonce à parler ; il renonce à communiquer ; en l'absence d'autres, il devient prisonnier de lui-même.

La liberté est moins un état qu'un chantier ; et un chantier où tous travaillent. Elle est constamment à construire ; elle ne peut résulter d'un objectif individuel, mais d'une exigence partagée.

LIBERTE (2)

Dans le nom de Franc-Maçon sont réunies deux idées essentielles, celle de liberté et celle de construction.

La liberté est une aspiration confuse qui repose au cœur de tous les hommes. Si nous tentons de lui trouver un sens et un contenu matériel, nous ne pouvons recourir qu’aux notions d’autonomie ou d’indépendance. Or, nous savons que l’autonomie, l’indépendance, ne sont qu’illusions et vues de l’esprit. Nous sommes dépendants de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, des êtres et des choses qui nous entourent, qui nous servent ou nous desservent, nous obéissent on nous commandent. Nous sommes tributaires des lois naturelles que nous ne pouvons enfreindre sans être rayés du monde des vivants. Alors, dirons-

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nous, peut-être la liberté n’est-elle après tout qu’une notion psychologique dont il serait vain de rechercher l’application ailleurs que dans le domaine de l’esprit. Elle se ramènerait en définitive à l’illusion que l’on peut avoir d’être libre. On peut enchaîner le corps, on ne peut asservir l’imagination. Ce raisonnement lui aussi est faux. L’imagination est l’un des dons conférés à l’homme pour agir sur lui-même et sur le monde dans lequel il vit. Mais l’imagination ne peut s’élever qu’en prenant pied sur le tremplin du réel. L’imagination la plus folle est toujours inspirée par des choses connues.

En fait il n’existe pas deux libertés : celle du corps et celle de la pensée, la liberté n’est pas une idée théorique et abstraite.

En matière politique, la liberté ne se définit point par des principes, si beaux soient-ils, énumérés en quelque déclaration solennelle et intangible, mais dénués d’applications pratiques. Ce n’est pas le droit théorique donné à chacun de se déplacer, de s’établir, de travailler, de posséder, de fonder un foyer. C’est le pouvoir concret de voyager, d’user, de disposer, de choisir et d’exercer effectivement un métier, d’entretenir une famille. Dans toute société humaine, quelle que soit l’étiquette ou la constitution qu’elle se donne, la liberté de chacun se mesure à la quantité de pouvoir social qui lui est accordé. Que ce pouvoir s’appelle argent, puissance, rang, fonction, il conditionne l’exercice de tous les droits, et par conséquent leur existence même, car il ne suffit pas d’imaginer ce que l’on aurait virtuellement le droit de faire ou de dire, encore faut-il avoir le moyen de le faire ou de le dire. Tout le reste n’est que tromperie et faux-semblant. La liberté de conscience n’est rien sans la liberté d’expression,

LUMIERE

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La notion de lumière en maçonnerie est en étroite relation avec l'initiation : être initié, c'est "recevoir la lumière". En ce sens, l'initiation est aussi "illumination". Le choc initiatique doit être créé lorsque le bandeau est retiré au postulant.

Les historiens qui ont étudié la Franc-Maçonnerie opérative sont d'accord pour affirmer qu'une telle cérémonie à caractère initiatique n'existait pas dans les loges opératives et ne s'est introduite qu'autour de 1730.

Mais que signifie le terme de "lumière" pour le nouvel initié? Tout dépend du rite, voire de la loge et, bien souvent, de la mentalité du Vénérable ou du postulant. Car la Maçonnerie propose et l'homme dispose. Le seul thème commun pourrait être l'opposition entre Lumières et Ténèbres, vue et cécité. "Je me trouvais dans les Ténèbres et je désirais la Lumière." L'initiation est le passage des Ténèbres vers la lumière".

LA MORT

La mort est une fin, comme la fin d’un attachement. L’orsqu’une chose comme celui-ci se termine, il en naît une autre, totalement nouvelle. Quand on s’est habitué toute sa vie à la colère, ou à l’avidité, ou à l’agression, et qu’on y met fin, il arrive quelque chose de totalement nouveau. On peut avoir suivi un gourou et utilisé tous les hochets qu’il nous a donnés, puis on se rend compte de l’absurdité que cela représente et on y met un terme. Qu’est-ce qui se passe? On se sent libéré du fardeau dont on s’était inutilement chargé. Mourir, c’est comme mettre fin à un attachement.

Qu’est-ce qui est continu tout au long de la vie? On oppose la mort à la vie. On dit que la mort vient à la fin de la vie, une fin qui peut arriver au bout de 10 ou 15 ans - ou après-demain. On espère que cela sera dix ans ou plus, mais c’est là une illusion, un désir, une sorte d’impulsion. On ne peut comprendre comment

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affronter la mort sans comprendre ou affronter la vie, car la mort n’est pas le contraire de la vie.

Plutôt que de poser les questions : comment affronter la mort ou qu’est-ce que l’immortalité, si elle est un état dans lequel on peut vivre, on ferait mieux de demander comment affronter la vie, comment comprendre cette chose terrible qu’on appelle ainsi? Car, vivre comme on le fait n’a pas de sens. On ne peut essayer de donner un sens à la vie, comme le font la plupart des gens, en disant : la vie est ceci, ou bien elle doit être cela, mais si on met de côté toutes ces absurdités romanesques, illusoires et idéalistes, la vie est la peine quotidienne, la concurrence, le désespoir, la dépression, l’angoisse, traversés à l’occasion de lueurs jetées par la beauté et l’amour ; c’est la vie de chacun ; peut-on l’affronter et la comprendre avec tant de plénitude qu’il ne reste plus un conflit ? Faire cela est mourir à tout ce qu’a construit la pensée. Elle fait naître la vanité en disant : « je dois réussir, devenir quelqu’un, lutter, rivaliser ». Voilà ce que la pensée a rassemblé et c’est l’existence de chacun. Les dieux, les églises, les gourous, les rituels, tout cela provient de l’activité de la pensée, mouvement de la mémoire, de l’expérience, du savoir emmagasiné dans le cerveau ; il s’agit d’un processus matériel. Et lorsque la pensée domine la vie, comme elle le fait, alors elle nie l’amour. L’amour n’est pas un souvenir, ni une expérience, ni un désir, ni un plaisir.

En vivant ainsi, régi par la pensée, on a séparé la vie de la mort qui est une fin et qui effraie. Si on refuse en soi tout ce que la pensée a créé - et cela exige un cran formidable - qu’obtient-on? On se retrouve en compagnie de la mort ; la vie, c’est mourir, donc se renouveler.

On a été formé à être un individu - moi par opposition à vous, mon ego contre votre ego. Mais le fait est que chacun de nous représente le genre humain. On passe par où passent tous les autres êtres humains, par tous les appétits sexuels, les complaisances envers soi, le chagrin, le grand espoir, la peur, l’anxiété,

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l’immense sentiment de solitude - c’est le lot de tout être humain, c’est la vie. On est l’humanité entière, on n’est pas un individu. On aime le croire, mais on ne l’est pas.

LA PENSEE

La pensée fait partie de nos émotions, de nos sentiments, de nos réactions, et du fait de reconnaître ces dernières. Avoir conscience de quelque chose, être lucide, être capable de reconnaître, de comprendre, c'est tout le domaine du fonctionnement de l'esprit.

Toutes nos activités reposent sur la pensée, avec ses images, ses souvenirs du passé ou ses projections dans l'avenir, ainsi que l'immense activité qui s'engage dans tous les domaines: technique, psychologique, physique. Nos relations mutuelles se fondent sur la pensée, celle qui a créé l'image que nous nous faisons de quelqu'un et celle de nous-mêmes que celui-ci a projetée. Cette pensée se base assurément sur le savoir, l'expérience, et la mémoire. Le savoir étant limité, la pensée est de ce fait toujours limitée. Il n'existe de savoir complet sur aucun sujet. Ainsi, dans le champ d'action du savoir et du mouvement de la mémoire, la pensée est circonscrite, enfermée dans les limites de notre propre raisonnement.

ALLEGORIE DE LA CAVERNE DE PLATON

Platon enseignait à ses élèves qu'il ne fallait pas se fier aux messages transmis par ses sens pour concevoir la réalité du monde.

Pour illustrer ces propos, il rédigea dans l'un de ses ouvrages, la République, un texte qui s'intitule : L'Allégorie de la caverne dont voici en résumé le message.

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Imaginons des hommes qui habitent dans une caverne. Ils sont assis le dos tourné à la lumière et sont pieds et poings liés, de sorte qu'ils sont condamnés à ne voir que le mur devant eux. Dans leur dos se dresse un autre mur derrière lequel marchent des hommes brandissant diverses formes au-dessus du mur. Parce qu'il y a un feu derrière ces figures, celles-ci jettent des ombres vacillantes contre le mur au fond de la caverne. La seule chose que les habitants de cette caverne puissent voir est par conséquent ce "théâtre d'ombre". Ils n'ont pas bougé depuis qu'ils sont nés et pensent naturellement que ces ombres sont la seule réalité au monde.

Imaginons maintenant que l'un des habitants de la caverne parvienne enfin à se libérer. Il se demande tout d'abord d'où proviennent ces ombres projetées sur le mur de la caverne. Que va-t-il se passer quand il va découvrir les formes qui dépassent du mur ? Il sera dans un premier temps ébloui par la forte lumière, mais il sera aussi ébloui par les formes, puisqu'il n'a vu jusqu'ici que leurs ombres. A supposer qu'il réussisse à escalader le mur et à franchir le feu pour se retrouver à l'air libre, il serait alors encore d'avantage ébloui. Mais, après s'être frotté les yeux, il serait frappé par la beauté de tout ce qui l'entoure. Il distinguerait pour la première fois des couleurs et des contours bien précis. Il verrait en vrai les animaux et les fleurs dont les ombres dans la caverne n'étaient que de pâles copies. Il se demanderait d'où viennent tout ces animaux et toutes les fleurs. Alors, en voyant le soleil, il comprendrait que c'est lui qui permet la vie des fleurs et des animaux sur terre, de même que le feu dans la caverne permettait d'apercevoir des ombres.

Maintenant l'heureux habitant de la caverne pourrait s'élancer dans la nature et profiter de sa liberté reconquise. Mais il pense à tous ceux qui sont restés là-bas. C'est pourquoi il veut y retourner et, dès qu'il est redescendu, il essaie de convaincre les autres habitants de la caverne que les ombres sur le mur ne sont que le pâle reflet vacillant de choses bien réelles. Mais personne ne le croit. Ils

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montrent le mur du doigt et maintiennent que la seule réalité est ce qu'ils voient. Et ils finissent par le tuer.

Ce que Platon illustre avec l'Allégorie de la caverne est le chemin du philosophe qui va de représentations incertaines aux vraies idées qui se cachent derrière les phénomènes naturels. Il pense sans aucun doute à Socrate que les hommes mirent à mort parce qu'il dérangeait leurs représentations habituelles et leur montrait le chemin d'une vraie vision intérieure. L'allégorie de la caverne devient une métaphore du courage du philosophe et de sa responsabilité vis-à-vis des autres hommes.

Platon veut démontrer que le contraste entre l'obscurité de la caverne et la nature à l'extérieur est le même qui existe entre le monde sensible et le monde des idées. Cela ne veut pas dire que la nature est sombre et triste, mais qu'elle l'est, comparée à la clarté du monde des idées. L'image d'une belle jeune fille n'est pas non plus sombre ou triste, bien au contraire. Mais ce n'est qu'une image.

POUVOIR

Quand le petit prince de St-Exupéry quitta sa planète pour échapper à la présence de plus en plus pesante de la fleur qui était venue d'on ne sait où et qui avait fini par déranger la tranquillité de la vie quotidienne du petit prince, il se mit à visiter les astéroïdes voisins et y rencontra de curieux personnages parmi lesquels figure un roi dont je vous propose d'écouter ce soir le récit de leur rencontre.

Ah ! voilà un sujet, s'écria le roi quand il aperçut le petit prince.

Et le petit prince se demanda :

"Comment peut-il me reconnaître puisqu'il ne m'a encore jamais vu?"

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Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.

- Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui était tout fier d'être enfin roi pour quelqu'un.

Le petit prince chercha des yeux où s'asseoir, mais la planète était tout encombrée par le magnifique manteau d'hermine. Il resta donc debout, et, comme il était fatigué il bâilla.

Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis.

- Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi.

- Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons ! bâille encore. C'est un ordre.

- Ca m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout rougissant.

- Hum ! hum ! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de...

Il bredouillait un peu et paraissait vexé.

Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C'était un monarque absolu. Mais, comme il était très bon, il donnait des ordres raisonnables.

"Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général n'obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute."

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- Sire..., lui dit le petit prince, je vous demande pardon de vous interroger...

- Je t'ordonne de m'interroger, se hâta de dire le roi.

- Sire... sur quoi régnez-vous?

- Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.

- Sur tout?

Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles.

Sur tout ça ? dit le petit prince.

Sur tout ça ... répondit le roi.

Car non seulement c'était un monarque absolu mais c'était un monarque universel

- Et les étoiles vous obéissent ?

- Bien sûr, lui dit le roi. Elles obéissent aussitôt. Je ne tolère pas l'indiscipline.

- Je voudrais voir un coucher de soleil... Faites-moi plaisir... Ordonnez au soleil de se coucher...

- Si j'ordonnais à un général de voler d'une fleur à l'autre à la façon d'un papillon, ou d'écrire une tragédie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le général n'exécutait pas l'ordre reçu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ?

- Ce serait vous, dit fermement le petit prince.

- Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. L'autorité repose d'abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d'aller se jeter

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à la mer, il fera la révolution. J'ai le droit d'exiger l'obéissance parce que mes ordres son raisonnables.

- Alors mon coucher de soleil? rappela le petit prince.

- Ton coucher de soleil, tu l'auras. Je l'exigerai. Mais j'attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.

Le petit prince bâilla, il s'ennuyait déjà un peu:

- Je n'ai plus rien à faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir!

- Ne pars pas, répondit le roi qui était si fier d'avoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre!

- Ministre de quoi?

- De... de la justice !

- Mais il n'y a personne à juger!

- Hem ! hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma planète il y a quelque part un vieux rat. Je l'entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras à mort de temps en temps. Ainsi sa vie dépendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l'économiser. Il n'y en a qu'un.

- Moi, répondit le petit prince, je n'aime pas condamner à mort, et je crois bien que je m'en vais.

- Non, dit le roi.

Mais le petit prince, ayant achevé ses préparatifs, ne voulut point peiner le vieux monarque :

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- Si Votre Majesté désirait être obéie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait m'ordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables...

Le roi n'ayant rien répondu, le petit prince hésita d'abord, puis, avec un soupir, prit le départ.

- Je te fais mon ambassadeur, se hâta de crier le roi.

Il avait un grand air d'autorité.

PROGRES

La pire des illusions : être emporté par le torrent et s'imaginer que l'on dirige le navire.

Aujourd'hui, le torrent au débit le plus puissant, s'enflant chaque jour, emportant dans ses tourbillons des pans entiers de la rive, c'est la recherche scientifique, consacrée, dit-on, à assurer le progrès de la connaissance. Ce torrent n'épargne rien, il transforme nos croyances et nos mœurs, nos petits bonheurs individuels et nos enthousiasmes collectifs; il nous métamorphose, et nous ne reconnaissons ni le paysage ni nous-mêmes. Mais puisqu'il s'agit d'un progrès, comment oserait-on se plaindre?

Les choses avaient si bien commencé! L'homme a appris peu à peu à se méfier de ses sens et à croire son cerveau; il a porté sur le monde un regard nourri d'imagination; il a reconstruit l'univers en l'insérant dans la panoplie de quelques modèles mathématiques. Quelle victoire qu'être capable d'expliquer par la même équation la chute des pommes et la trajectoire des planètes !

Les choses avaient si bien continué ! Après le plaisir de comprendre est venue la satisfaction de dominer, de transformer, de dire non à la nature, de la plier à nos

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exigences : Les hommes devaient rester sur la Terre, ils se sont donné le pouvoir de voler et même de quitter la planète; leurs enfants devaient pour la plupart mourir jeunes, ils savent les faire survivre. Mais au moment où ils pourraient fêter cette série ininterrompue de victoires, ils découvrent que ce n'est pas "leur" victoire mais celle d'une machine qu'ils ont construite, qui leur a échappé et qui aujourd'hui les menace.

Beaucoup d'énergies sont dépensées pour faire avancer le progrès de la technique. Mais en s'accumulant, ces énergies accélèrent la recherche dans des directions qui ne sont jamais remises en cause.

Qui oserait, par exemple, mettre en doute l'intérêt de la conquête de l'espace? Or, le mot lui-même révèle une mystification : on va peut-être apprendre beaucoup de choses sur le système solaire, ou sur la galaxie, mais on ne va rien "conquérir" du tout. Parlons de l'exploration de l'espace, non de sa conquête, mot qui révèle des arrière-pensées inavouables. Tout savoir sur les satellites d'Uranus et en déduire de nouveaux modèles de formation du système solaire est un objectif fort digne, dans la droite ligne des rêves des savants d'autrefois. Mais l'urgence est-elle si grande qu'il faille y consacrer des dizaines de milliards de dollars? Notre humanité est plus misérable que jamais. Ne conviendrait-il pas de se soucier d'abord du sort des hommes?

En créant d'énormes structures aux réseaux enchevêtrés, les hommes ont cru démultiplier leur capacité de comprendre et d'agir; mais ils se sont surtout dépossédés du pouvoir de choisir. Bientôt les avancées de la recherche scientifique ne pourront plus être présentées comme un progrès humain, mais comme une aggravation de notre schizophrénie.

PROSTITUTION

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Se prostituer, nous dit le dictionnaire, c'est "faire métier de son corps", autrement dit gagner de l'argent en fournissant à d'autres certaines des productions concrètes ou abstraites de ce corps. Mais, à part les privilégiés qui vivent de leurs rentes, ou les habitants d'îles lointaines et mythiques où règne l'Age d'or, qui peut échapper à l'obligation d'utiliser son corps pour gagner sa vie? Sommes-nous donc tous des prostitués?

En explorant cette voie, on va de surprise en surprise : pour quelle raison notre société n'affiche-t-elle que mépris envers les femmes qui louent leur sexe à la demi-heure pour le plaisir d'un client, et manifeste-t-elle son admiration envers les cadres dits "supérieurs" qui louent leur cerveau au mois pour le bénéfice d'une entreprise ?

Cette opposition en dit long sur la hiérarchie en valeur que nous admettons implicitement entre ces deux organes.

LA SÉRÉNITÉ

Quel beau thème que notre frère Bernard à choisi de traiter ce soir.

La sérénité.... cet état auquel nous aspirons tous égoïstement. Cette sagesse tranquille que nous pourrions assimiler au simple bonheur. Bonheur de vivre que nous sommes contraint de trouver au gré du quotidien. Equilibre fragile qu'il s'agit de façonner, de modeler au milieu de l'adversité, à travers les joies et les peines qui forgent notre personnalité. La chance que nous avons en maçonnerie, c'est précisément de pouvoir aborder de tels thèmes. De quoi aurions-nous l'air si nous parlions d'un tel sujet lors d'un conseil d'administration, d'une dispute familiale ou devant un supérieur hiérarchique dont le seul souci est la bonne marche d'une entreprise.

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La sérénité est un état indéfinissable, chacun d'entre nous en donnera sa propre interprétation, car finalement, le but ultime de la sérénité est de s'affranchir de tous les soucis et de toutes les angoisses qui nous tourmentent.

La bonne santé de ses enfants rendra serin le père de famille. La bonne marche d'un état rendra serin le gouverneur d'un pays. Un emploi retrouvé rendra serin le chômeur de longue durée. Tous ces facteurs apaiseront l'âme de celui qui souffre.

Mais le drame dans tout cela, c'est que l'homme ne cesse de s'affranchir d'une souffrance pour retomber dans une autre souffrance. Ainsi, l'équilibre retrouvé n'est qu'un répit car un nouveau problème survient : celui de conserver cet équilibre. C'est sans doute pour cela que notre F.'. Bernard insiste sur le fait qu'il n'y a aucune limite dans la recherche de la sérénité.

Le sage s'efforce de se libérer de l'aspect matériel des choses, tel Socrate qui s'arrêta un jour devant une échoppe qui proposait différentes marchandises et qui s'écria : "Que de choses dont je n'ai pas besoin".

Hélas il n'est pas donné à chacun d'atteindre un tel niveau de sagesse. Nous sommes de simples humains et nous nous débattons dans une jungle parfois trop peu humaine, cherchant au sein de la maçonnerie une raison d'espérer, une étincelle de lumière qui nous donne l'énergie de croire en un monde meilleur et qui nous assure que ce monde existe, qu'il ne dépend que de nous de le créer, de lui donner une vie.

SPORT

A l'heure où se déroule en Corse le procès qui déterminera les responsables de la catastrophe du stade de Furiani, il est bon de faire une réflexion sur les raisons qui mobilisent une telle foule pour venir assister à un match de football, sur les sentiments et les actes qu'ils provoquent.

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Imaginons cent mille spectateurs qui vocifèrent et s'enrhument, trente joueurs qui se disputent violemment un ballon et s'épuisent. Des milliers de sans-le-sou venus, en dépensant leur dernier billet, admirer des vedettes qui gagnent en quelques matches ce qu'eux-mêmes ne gagneront pas durant toute leur vie. Chaque jour nos journaux, nos télévisions, nous présentent ces événements comme du "sport". Le résumé de ce qui s'est passé tient en quelques chiffres, le score, qui désigne le gagnant et mesure sa supériorité.

Par mille canaux, notre société nous amène à croire que le moteur de la vie est la compétition. On ne parle que de gagnants; il nous faut, paraît-il préparer les enfants à entrer dans cette catégorie, faute de quoi ils seront des perdants, des minables. Cette vision effrayante du sort humain a envahi le domaine de l'activité physique; on ne parle plus que de sport de compétition, oubliant que l'origine de ce mot est le vieux français "desport" qui signifiait amusement.

Quel progrès nous obtiendrions si, au lieu de glorifier la victoire de telle équipe, nous jugions simultanément les deux équipes en fonction de la ferveur de leur engagement! Imaginez qu'en première page de votre journal on ne parle que de la qualité du jeu; l'on n'y apprendrait que dans une page intérieure le score obtenu ou même on l'ignorerait. Imaginez des stades où soit supprimé le tableau enregistrant les buts et les points. Imaginez que l'on n'entende plus dans le rues, le soir du match, tous ces braillards avinés criant stupidement "on a gagné", alors que ceux qui crient ont bien peu de part dans ce "on".

Si la vie se résume à une succession de combats toujours recommencés, pour l'emporter sur les autres, elle est dès le départ rendue définitivement vaine, gâchée. Plutôt que de parler de compétition, nous devrions utiliser le mot connivence. Pour l'espèce humaine, cette connivence est particulièrement nécessaire, car chaque membre de l'espèce a besoin des autres pour s'accomplir. Pour faire un homme, il faut des hommes. Nous sommes l'espèce qui est, de très loin, celle où l'écoute de l'autre, joue le plus grand rôle.

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Chaque affrontement peut être bénéfique à condition qu'il soit vécu comme une occasion d'enrichissement, non comme une possibilité de victoire. Dans la lutte entre deux hommes ou entre deux groupes d'hommes, deux issues sont possibles : ou bien ils sont tous les deux gagnants, s'ils ont su surmonter leur antagonisme, s'écouter, se regarder, et finalement se sourire; ou bien ils sont tous les deux perdants, s'ils ont cherché à se détruire l'un l'autre, à s'ignorer, à se haïr. Quant à l'issue comportant un gagnant et un perdant, elle me parait aléatoire; certes on peut parfois croire que l'on a vaincu, mais l'histoire nous montre que c'est toujours une illusion dont la durée est le plus souvent brève. Qui a gagné, Caïn ou Abel ?

Mon très cher nouveau frère, cet état de fait a été admis depuis bien longtemps par la F.'. M.'., nous avons bien compris qu'il faut privilégier la communication, qu'il faut faire l'effort de comprendre les raisons qui motivent les homes à agir de certaine manière avant de les juger et par là de mettre fin à toute forme de dialogue. Nous n'avons de conseil à donner à personne sur les actes à accomplir ou à ne pas accomplir, nous nous contentons de proposer une méthode de réflexion qui je l'espère te servira et t'apportera beaucoup de joie dans ton parcours maçonnique que tu entames ce soir en notre compagnie.

ASPECTS POSITIFS ET NEGATIFS DE L'AVANCEE

DANS LA RECHERCHE TECHNOLOGIQUE

Pendant longtemps, l'homme a cru que toute technique permettant d'acquérir des pouvoirs nouveaux ou de diminuer notre peine au travail était évidemment bénéfique. Apprivoiser le feu, forger ou fondre le métal, utiliser l'énergie de la vapeur ou de l'électricité, voler dans les airs, vaincre l'une après l'autre les maladies, transmettre des signaux à la vitesse de la lumière, chaque technologie nouvelle était une étape sur un chemin glorieux. Nourri par l'avancée des

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connaissances scientifiques, le progrès technologique libérait peu à peu l'homme des servitudes naturelles; la finalité de la science était même pour certains penseurs, l'accroissement sans fin du pouvoir des hommes.

Au cours de notre siècle, nous avons pu faire des constats qui ont entraîné des réflexions moins optimistes. Albert Einstein, au soir d'Hiroshima, s'écriait :"Il y a tout de même des choses qu'il vaudrait mieux ne pas faire." Certains scientifiques ont alors retrouvé l'état d'esprit des "savants-philosophes" d'autrefois. Au lieu de se contenter de trouver des réponses aux questions qui leur étaient posées, ils se sont efforcés de poser les questions essentielles, celles qui dépassent les interrogations de l'instant et du lieu, celles qui élargissent le champ de vision et concernent des problèmes globaux.

Ces réflexions nouvelles tiennent compte d'une évidence qui avait été étrangement oubliée ou tout au moins passée sous silence : notre planète n'a pas des dimensions infinies. La mer peut absorber nos déchets, l'atmosphère peut diluer les gaz toxiques que nous produisons, mais ces capacités ont des limites. Les océans sont si saturés de substances non dégradables, de mazout, d'ordures diverses, que leur couleur, vu de satellites a changé en vingt ans. Nous savons que l'explosion d'une faible partie du stock d'ogives nucléaires disponibles entraînerait un changement définitif du climat ; un "hiver nucléaire" succéderait au rythme des saisons.

On peut alors penser que la voie de la technique n'est pas une voie royale menant au triomphe de l'homme, mais une pente fatale aboutissant à une catastrophe qui engloutira l'humanité soit en une apocalypse nucléaire instantanée, soit en une lente asphyxie.

En ce sens la technique n'est pas aussi bénéfique pour l'homme que nous aurions pu le penser en énumérant les exemples qui ont été mentionnés au début de cette planche.

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Une découverte permettant la mise au point d'un nouveau procédé n'apporte en elle même ni bien ni mal pour les hommes ; ses conséquences dépendent de l'usage qui en sera fait.

Ceci est vrai dans l'hypothèse que la technique, faite par l'homme, est entre les mains de l'homme. Ce qui est loin de refléter la réalité, l'exemple de Tchernobyl le démontre.

Nous ne maîtrisons pas la direction que prend le progrès technique, mais considérons ce "progrès" comme inéluctable, et applaudissons à chaque accroissement de la vitesse des voitures ou des avions, à chaque performance nouvelle des robots, sans tenir compte des drames qui en sont la conséquence, des hommes qui sont broyés par ces changements. Quand cesserons-nous d'être ainsi fascinés ?

LA VERITE

Un fait généralement admis de nos jours est que tout est relatif, une question d'opinion personnelle, qu'il n'y a pas de vérité ou de fait indépendant de la perception personnelle.

Il faut cependant faire l'effort de découvrir soi-même, en dehors de ses opinions personnelles, de ses perceptions, de ses expériences, qui sont toujours relatives, s'il existe une perception, une vision qui correspond à la vérité absolue, non relative. Comment le savoir? Si on dit que les opinions personnelles et les perceptions sont relatives, alors la vérité absolue n'existe pas, tout est relatif. Par voie de conséquence, notre conduite, nos manières, notre mode de vie sont relatifs, fortuits, incomplets, non pas entiers mais fragmentaires.

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Comment découvrir s'il existe une vérité absolue, complète, qui ne s'altère jamais dans le climat des opinions personnelles? Comment l'esprit, l'intellect, la pensée vont-ils procéder?

La réalité est ce qui a lieu, qu'on appelle cela bon ou mauvais. Quand on est incapable d'affronter cela en soi, on se crée des illusions pour s'en évader. Si on ne veut pas faire face à ce qui se passe réellement, ou bien qu'on a peur de le faire, cet acte même de l'éviter crée l'illusion, une forme de fantasme, un mouvement artificiel qui permet de fuir la réalité. Pour ne pas créer l'illusion, il est indispensable de faire face et d'accepter la réalité telle qu'elle nous est offerte, à son état brut. Les jugements par l'intermédiaire d'une opinion personnelle vont à l'encontre d'une observation dépassionnée de la réalité.

Partir à la recherche de la vérité, c'est déjà s'en éloigner, car cet acte fait intervenir la notion de jugement personnel avec le flot d'illusions qui l'accompagne.

Pour illustrer à quel point la prétention de connaître la vérité est illusoire, et à quel point le jugement personnel peut déformer la réalité, j'ai choisi de vous lire une petite allégorie sous la forme d'un compte soufi écrit au douzième siècle.

"On avait parqué un éléphant venant de l'Inde dans une étable obscure. La population, curieuse de connaître un tel animal se précipita dans l'étable. Comme on y voyait guère à cause du manque de lumière, les gens se mirent à toucher l'animal. L'un d'eux toucha la trompe et dit:- Cet animal ressemble à un énorme tuyau!Un autre toucha les oreilles:- On dirait plutôt un grand éventail!Un autre qui touchait les pattes, dit:Non! Ce que l'on appelle un éléphant, est bel et bien une espèce de colonne!Et ainsi chacun d'eux se mit à le décrire à sa manière. Il est bien dommage qu'ils n'aient pas eu une bougie pour se mettre d'accord."

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TENUE FUNEBRE DU 28-02-2011

Ce soir nous sommes réunis pour une tenue funèbre. Pour l’orateur occasionnel, la tenue funèbre équivaut à l’oraison funèbre de nos frères disparus au cours de l’année écoulée, Marcello K. et Pierre P. Pour ceux qui ne les ont pas ou peu connus je dois en dire quelques mots, mais je ne ferai pas une oraison funèbre, puisque nous ne sommes pas à leurs funérailles qui ont déjà eu lieu dans le monde profane, encore moins leur panégyrique.

En suivant la chronologie, notre frère et ancien Vénérable Maître Edgar B. est décédé il y a quelques années et nous l’avons tous regretté tant il s’était investi pour notre loge, jusqu’à sa fin prématurée. Le choc de sa disparition fut brutal, même si nous le savions atteint dans sa santé, mais tant que ça va…

Marcello K. est entré quelques années après moi en Maçonnerie, et j’étais son frère instructeur au 1er et 2ème grade. A cette période nous avions presque dix apprentis et compagnons simultanément, c’est tout dire ! Marcello était commerçant indépendant et a été très actif dans notre loge, puisque quelques années plus tard, après avoir franchi les échelons de second et premier surveillant, il est devenu Vénérable de notre loge. Hélas, un accident vasculaire cérébral a mis fin a toutes ses activités maçonniques et profanes d’un seul coup, alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge officiel de la retraite. Après un second AVC, il a choisi de s’isoler et de ne plus avoir de contact en dehors de sa famille, nous ne pouvions que respecter ce choix.

Pierre P. était déjà en Franc-Maçonnerie à mon arrivée et était très actif bien qu’il soit aussi artisan indépendant, très occupé par sa charge patronale. A mon initiation au printemps 1984, il officiait en qualité de Maître des cérémonies, j’en garde des souvenirs ! Il me reste une anecdote, très brève, alors que j’avais encore les yeux bandés et que l’on me soumettait à des questions incessantes que

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vous connaissez tous, à l’une d’elles je ne savais plus quoi répondre et un silence assourdissant dominait l’assemblée. J’entendis alors son murmure à l’oreille : « Faut répondre ! » injonction bienvenue mais faut répondre quoi ? Je n’en avais pas la moindre idée, et il me répéta plusieurs fois « faut répondre ! » La réponse que je fis finalement ? Je ne m’en souviens plus, mais ce furent les premières paroles que j’ai entendu de la bouche de notre frère. Quelques années plus tard, il est devenu Vénérable de notre loge, puis il fit carrière au Collège des Grands Officiers de notre Ordre, jusqu’à en assurer la Présidence. N’étant pas Grand Officier, je ne ferai pas de commentaires sur cette activité. Malheureusement quelques années plus tard notre frère Pierre a fait une attaque qui l’a conduit en maison de retraite dans un état fort dégradé hélas.

Bien sûr nous pouvons nous souvenir de « nos défunts » bien qu’ils ne nous appartiennent pas, ni avant ni après leur décès, mais nous devons avoir également une pensée et plus qu’une pensée attachée aux catastrophes qui balaient tout sur leur passage. Qui ne se souvient de ces images terribles filmées sur les téléphones portables de ces vacanciers pensant qu’ils allaient vivre quelque chose d’extraordinaire et furent balayés quelques secondes plus tard par le Tsunami. Plus près de nous, il y a juste un an déjà, le terrible tremblement de terre en Haïti, broyant immeubles et humains, a ôté la vie en quelques secondes de milliers de nos frères avec ou sans tablier.

Cette brève évocation me conduit à vous délivrer quelques réflexions sur la mort, grave et vaste sujet, s’il en est de plus important pour les vivants. Ma première réflexion sera donc la suivante : « Seuls les vivants peuvent parler de la mort », les morts ne nous en parlent jamais, et ne parlent jamais de la vie non plus. C’est donc un discours à sens unique si j’ose dire, qui n’interpelle que les vivants. Je laisse de côté tous les essais de communiquer avec les morts qui ne seraient donc pas réellement morts, mais qui seraient autre chose, peut-être des extraterrestres, ou dans un monde intermédiaire. Cela je ne le réfute pas, mais cela appartient à chacun et tient du domaine de la croyance et de la foi.

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Pour certains la mort est une fin, pour d’autres un début. S’il en est ainsi, nous devons reconnaître que c’est le début d’on ne sait quoi ? Le monde religieux a longtemps vécu sur cette spéculation qui aujourd’hui semble plus s’apparenter à un discours politique, pour consoler les masses misérables. « Consolez-vous de cette vie dramatique d’ici-bas, car dans l’au-delà une merveilleuse vie éternelle vous attend ! ». La recette étant quelque peu éculée, une autre plus prosaïque semble la remplacer : « Votez pour nous et votre avenir ici-bas sera meilleur ! » Ce sont toujours des promesses de lendemains qui chantent mais jamais la vie présente. Or la mort est la fin de la vie présente, car la vie réelle ne se conjugue qu’au présent, à l’instant vécu, et n’a de sens que dans son rapport avec les autres.

Selon le Professeur Bichat : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». C’est une définition très réaliste mais elle semble sous-tendre un état de lutte pour la survie, et elle évoque des images comme on peut en voir à la télé lorsque des populations affamées se battent pour attraper de la nourriture. Cette lutte s’apparente davantage à un état de guerre plus qu’à un état de paix et de tranquillité. Peut-on en conclure que la guerre serait la Vie et la paix la Mort ? Je ne le crois pas, mais on peut constater que la mort est simplement l’absence de vie. Or nous savons que dans le monde créé tout est vivant, rien n’est statique, et par conséquent le monde créé est le monde des vivants. Quant à l’univers des morts, nous ne savons pas de quoi il se compose et s’il existe tout simplement. Dès lors, nos définitions sont comparables à celle de l’antimatière, hypothèse scientifique qui repose sur l’absence de matière, donc pour nous sur l’absence de vie.

Cette dualité me conduit à évoquer la dualité d’Eros et Thanatos. Eros nom du dieu grec de l’amour et du désir. Thanatos signifie mort en grec et également nom du dieu de la mort dans cette langue. Le combat permanent que se livre Eros et Thanatos dans la mythologie grecque a été réactualisé par Freud il y a une centaine d’années pour qui Thanatos est l’ensemble des pulsions de mort d’un

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individu, par opposition à ses pulsions libidinales (sexuelles), sous entendu pulsions de vie ou transmettant la vie. Dans cette hypothèse, je constate que pour la mort la définition reste inchangée, alors que pour la vie, le terme Eros signifie l’Amour et non la vie entraînant une confusion entre vie et amour. Est-ce l’amour de la vie ou plus prosaïquement comme dans les chansons la vie est amour ? Je n’ai pas la réponse mais ce que je peux affirmer c’est que la vie est avant tout relation entre les êtres et les choses, et que lorsqu’il n’y a plus de relation, il n’y a plus beaucoup de vie…

Pour conclure, je citerai encore une définition, que de mémoire j’attribue à Bossuet : « Le mieux serait de ne pas être né !» Cela prête à sourire, car si nous sommes là c’est trop tard pour le dire.

Pierre-Philippe R.

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