Libéralisation commerciale, croissance et pauvreté au Sénégal :une analyse à l’aide d’un MEGC microsimulé dynamique
Auteurs : Nabil ANNABI, Fatou CISSÉ, John COCKBURN et Bernard DECALUWÉ
Document publié dans la revue Économie et Prévision 2008/5, n° 186, p. 117-131.
I. Contexte
Les liens entre libéralisation commerciale, croissance, inégalité et pauvreté ne sont pas toujours évidents.
Winters (2004) et Winters et alii (2004) ont analysé les liens potentiels entre chacune de ces composantes.
Sur le plan empirique, des désaccords subsistent entre les auteurs.
Les mécanismes de transmission des impacts sont très variables d’un pays à l’autre et les effets généralement attendus de la libéralisation sont loin de se vérifier, dans la plupart des cas (Cockburn et alii (2006)).
I. Contexte
Dans ce contexte, il apparaît important de contribuer à la réflexion en mettant en lumière certains des mécanismes de transmission qui peuvent expliquer les liens entre libéralisation, croissance et pauvreté dans les pays en développement.
Objectif : Evaluer l’impact de la libéralisation commerciale sur la croissance, la pauvreté et les inégalités au Sénégal.
II. Méthodologie
MEGC dynamique microsimulé.
Les MEGC dynamiques offrent la possibilité de prendre en compte les effets de croissance (accumulation).
De plus, ils permettent l’étude de la dynamique transitoire où les effets de court terme peuvent être différents de ceux du long terme.
Le MEGC statique de base s’inspire de Decaluwé et alii (2001).
Des adaptations pour développer le modèle dynamique ont été introduites.
Microsimulation : approche intégrée de la microsimulation.
Avantage de l’approche intégrée : prend en compte le caractère hétérogène des ménages en termes de sources de revenus (dotation et accumulation des facteurs de production) et des habitudes de consommation.
II. Méthodologie
Mesure impact pauvreté : Indices Foster, Greer et Thorbecke (1984).
Décomposition du changement de pauvreté entre deux dates en effet de pauvreté en effets croissance et effets inégalités : approches de Datt et Ravallion (1992) et celle de Kakwani (1997).
Le changement de pauvreté entre les dates et peut alors être décomposé comme suit : t n t
Changement Composante Composante Résidude pauvreté croissance distribution
P P G t ,t n;r D t ,t n;r R t ,t n;r
II. Méthodologie
Données
Matrice de comptabilité sociale de l’année 1996
Enquête sénégalaise de 1995 sur les dépenses des ménages (Esam I, 1995).
Paramètres libres (élasticités substitution et transformation) empruntés de la littérature.
III. Quelques faits stylisés de l’ économie sénégalaise
Faits stylés de l’économie sénégalaise
Tableau 1 : statistiques de base
Agriculture Industrie Services Services publics Total
Taux tarifaire tm* 13,6 20,7 Taux de pénétration M/Q 16,5 30,8 11,8 Parts des importations Mi/M 14,0 69,8 16,2 100
Intensité à l’exportation EXi/XSi 0,6 23,2 12,0 Parts des exportations EXi/EX 0,7 73,3 26,1 100
Parts de la valeur ajoutée VAi/VA 19,4 25,8 47,0 7,7 100
Taux de valeur ajoutée VAi/XSi 51,7 24,8 65,4 54,2 Demande intermédiaire DIi/Qi 33,2 48,8 75,3 Parts de la production XSi/XS 16,5 45,7 31,5 6,2 100
Parts sectorielles du stock de capital KDi/KD 12,5 37,4 50,1 100
Parts sectorielles de la main d’œuvre LDi/LD 18,2 21,1 48,3 12,4 100
Structure de la valeur ajoutée Travail LDi/VAi 58,1 50,6 63,6 100,0 Capital KDi/VAi 22,0 49,4 36,4 Terre Terre/VAi 19,9 Total 100 100 100 100
• Secteurs les plus protégés sont l’industrie et l’agriculture. Taux effectif de droit de douane : industrie (20.7%) ; l’agriculture (
13.6%)
• Le secteur des services produit la moitié de la valeur ajoutée et emploie 48,3% des travailleurs et 50% du stock de capital national
III. Quelques faits stylisés de l’ économie sénégalaise
Tableau 2: source des revenus des ménages
Urbain Rural
Proportion (%) dans
la population 39,0 61,0
Travail 64,9 58,2
Capital 19,9 15,2
Terre 0,1 18,8
Dividendes 9,3 0,0
Autres revenus 5,7 7,8
Total 100 100
Source : calcul des auteurs sur la base des données de la MCS 1995.
o Le revenu des facteurs de production représente la source la plus importante des revenus des ménages urbains et ruraux.
o La rémunération de la main-d’œuvre compte dans le revenus des ménagés.
o Les ménages urbains tirent une part non négligeable de leurs revenus du capital.
On peut donc penser que, si une politique de libéralisation du commerce, conduit à un changement dans la rémunération des
facteurs de production, celui-ci aura un impact majeur sur le revenu des ménages et sur leur bien-être.
III. Résultats
L'expansion de l'économie dans le scénario de base mène à une réduction substantielle de la pauvreté.
Les niveaux d’inégalités se sont accrus, surtout au sein des ménages urbains.
Scénario de base : pauvreté et inégalités
Tableau 3 : Impacts sur la pauvreté et l’inégalité dans le cadre du scénario de base
Urbain Rural Ensemble
1996 2015 1996 2015 1996 2015
Incidence de la
pauvreté 37,7 13,2 88,9 73,4 69,0 49,9
Profondeur de la
pauvreté 9,0 2,55 40,3 26,6 28,1 17,2
Sévérité de la
pauvreté 3,0 0,7 21,9 12,4 14,6 7,8
Coefficient de
Gini 38,3 52,0 29,4 32,0 41,4 53,9
III. Résultats
Décomposition de la pauvreté du scénario de référence
Tableau 4 : décomposition de la pauvreté du scénario de référence
Indice FGT Composante
croissance
(Datt et
Ravallion)
Composante
Croissance
(Kakwani)
Composante
Distribution
(Datt et
Ravallion)
Composan
te
Distributio
n
(Kakwani)
Résidu
(Datt et
Ravallion)
Différence
Pauvreté
début et fin
de periode
Incidence -37,2 -31,9 7,5 12,8 10,7 -19,0
Profondeur -19,3 -20,5 10,9 9,6 -2,4 -10,9
Sévérité -11,0 -13,2 8,6 6,5 -4,3 -6,7 Source: calculs des auteurs
III. Résultats
Décomposition de la pauvreté du scénario de référence pour différentes valeurs du seuil de pauvreté
III. Résultats Simulations
Simulation : Une élimination complète des tarifs douaniers
Impacts macroéconomiques et sectoriels Tableau 5: effets macroéconomiques et sectoriels (variation par rapport au scénario de base)
Résultats sectoriels Agriculture Industrie Services Services publics
1996 2015 1996 2015 1996 2015 1996 2015
Prix à l’importation -11,9 -11,9 -17,1 -17,1 0,0 0,0 Prix locaux -6,1 -4,4 -8,0 -8,1 -5,7 -6,6 Prix composite -4,2 -2,9 -8,2 -8,4 -2,1 -3,1 Prix à l’exportation (FOB) -0,7 -0,6 -1,0 -1,3 -1,0 -1,3 Prix au producteur -6,1, -4,4 -6,3 -6,3 -5,1 -5,9 -5,7 -4,1
Prix à la valeur ajoutée -9,0 -5,4 -7,7 -7,2 -5,2 -6,2 -6,6 -2,8
Rendement du capital -13,5 -10,7 -8,8 -11,2 -2,9 -11,4 Produits importés 6,0 11,2 11,5 15,4 -7,8 -7,0 Produits locaux -3,5 -1,5 -4,6 -1,1 0,7 3,0 Produits composites -2,0 0,4 0,1 3,8 -0,3 1,8 Produits exportés 7,8 6,5 10,5 14,1 11,0 15,0 Production -3,5 -1,4 -1,0 2,6 1,9 4,6 0,0 0,0
Investissement (destination) -5,1 14,0 5,2 16,5 19,4 19,5 0,0 0,0
Stock de capital (SR=1997) -0,3 3,0 0,3 6,3 1,4 9,5 Emploi sectoriel -5,9 -3,8 -1,9 -1,0 3,1 1,7 0,0 0,0
Investissement (origine) -4,3 -1,6 -0,2 4,2 -6,4 -1,4 Consommation intermédiaire -1,3 1,8 -0,4 2,8 -0,8 1,9 Consommation privée -2,2 0,1 2,3 6,9 -3,8 1,1 Résultats macroéconomiques 1996 2015 PIB réel -0,0 2,6 Incidence de pauvreté 0,1 -2,0 Taux de salaire -6,5 -2,8 Rendement sur la terre -11,2 -6,3 Indice des prix consommation -5,6 -5,5 Taux de change réel 5,9 5,8 Prix des biens de capital -9,7 -8,8
Source: calculs des auteurs.
Réallocation des facteurs de production à partir des secteurs
initialement plus protégés au profit des secteurs initialement moins
protégés.
Dans le long terme, elle favorise l’accumulation du capital, en
particulier dans le secteur des services et le secteur industriel
III. Simulations
Tableau 6 : impacts sur les ménages (pourcentage de variation par rapport au scénario de référence)
Urbains Ruraux Ensemble 1996 2015 1996 2015 1996 2015
Revenu -6,3 -4,0 -6,9 -4,3 -6,5 -4,1
du capital -6,4 -4,5 -6,4 -4,5 -6,4 -4,5
du travail -6,5 -2,8 -6,5 -2,8 -6,5 -2,8
de la terre -11,2 -6,4 -11,2 -6,3 -11,2 -6,3
Consommation réelle -0,0 4,0 -1,4, 2,0, -0,5 3,4
Incidence de la pauvreté 0,1 -7,4 0,1 -1,4 0,1 -2,0
Profondeur de la pauvreté 0,6 -7,0 1,9 -2,6 1,7 -2,9
Sévérité de la pauvreté 0,9 -7,7 2,9 -3,6 2,8 -3,6
Inégalité (Gini) 0,1 0,6 0,7 0,8 0,7 1,0 Source: calculs des auteurs.
A court terme, un léger accroissement de la pauvreté et des inégalités.
Dans le long terme, une diminution importante de la pauvreté et une augmentation des inégalités .
III. Simulations
Décomposition de la pauvreté du scénario de référence et du scénario de libéralisation
commerciale
Tableau 4 : décomposition de la pauvreté du scénario de référence et du scénario de libéralisation commerciale
Composante
croissance
(Datt et Ravallion)
Composante
Croissance
(Kakwani)
Composante
Distribution
(Datt et Ravallion)
Composante
Distribution
(Kakwani)
Résidu (Datt et Ravallion)
Différenceb
Incidence -37,2 -31,9 7,5 12,8 10,7 -19,0 Scenario
reference
Profondeur -19,3 -20,5 10,9 9,6 -2,4 -10,9 Sévérité -11,0 -13,2 8,6 6,5 -4,3 -6,7
Incidence -39,1 -33,4 7,7 13,3 11,3 -20,1 SIM Profondeur -20,1 -21,5 11,4 10,0 -2,7 -11,4
Sévérité -11,4 -13,8 9,2 6,8 -4,8 -7,0
Les composantes de croissance et de redistribution sont plus importantes que dans le scénario de référence
III. Simulations
Si on recourt aux techniques de dominance stochastique on peut confirmer ces résultats pour un large éventail de seuils de pauvreté.
-0.005
0
0.005
0.01
0.015
0.02
0.025
0.03
0 250000 500000 750000 1000000
Seuil de pauvreté
Figure 3: Variation dans l'incidence de la pauvreté
Total Urbain Rural
Conclusions
L’élimination complète des tarifs au Sénégal entraîneA court terme, un léger accroissement de pauvreté et des inégalités. Une contractions des activités dans les secteurs initialement plus protégés
de l’agriculture et de l’industrie.
À long terme, elle favorise l’accumulation du capital, en particulier dans le secteur des
services et le secteur industriel.
elle se traduit par une diminution importante de la pauvreté.
La décomposition des changements dans la pauvreté montre que l’inégalité dans la distribution des revenus s’accentue.
ce qui réduit la contribution de la croissance à la lutte contre la pauvreté, car elle favorise les ménages urbains les mieux nantis.
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